« En quête de demain ! » n°2

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1er juin, Journée Mondiale du Lait Retrouvez-nous sur franceterredelait.fr

En quête de demain ! Le Groupe Sud Ouest s’associe à plus de 40 titres de la presse quotidienne régionale pour offrir à 13 millions de lecteurs ce supplément de 16 pages qui met en lumière les solutions et acteurs œuvrant pour la transition sociale et environementale des territoires


2 En quête de demain

En quête de demain ! Face à l’ampleur des enjeux auxquels nous devons faire face, entre crise écologique, inégalités sociales et tensions démocratiques, il est plus que jamais urgent de regarder au-delà de ce qui nous divise pour mettre en lumière ce qui peut nous rassembler. Si les inévitables changements dans nos manières de produire, de consommer, d’habiter, de vivre ensemble ébranlent forcément nos certitudes et nos convictions personnelles, ils peuvent aussi nous unir autour de préoccupations partagées. Au quotidien, des Françaises et des Français de tous bords et de tous horizons dépassent les clivages et travaillent déjà main dans la main pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux dans nos territoires. Des citoyens, des collectivités locales, des acteurs économiques s’engagent, expérimentent et mettent en place des solutions qui ensemble tracent un objectif commun : un monde de demain qui pourrait être plus en phase avec la nature, plus durable, plus juste et somme toute peut-être plus désirable. Ces initiatives, ces collaborations doivent pouvoir grandir et essaimer. C’est pourquoi le Groupe Sud Ouest s’associe à Sparknews et 50 titres de la presse régionale pour mettre en lumière ceux et celles qui tentent de faire émerger le monde de demain dans nos territoires.

Retrouvez d’autres reportages, analyses et interviews exclusifs à partir du 31 mai sur nos sites Internet respectifs (sudouest.fr, charentelibre.fr, larepubliquedespyrenees.fr, dordognelibre.fr). Ainsi qu’un live en direct de Marseille diffusé sur nos réseaux sociaux à partir de 17 heures. Trois temps forts : une interview sur l’adaptation des territoires au changement climatique et deux tables rondes autour des enjeux de mobilité et de santé / bien-être.

Édito

Tout ce que je suis / Par Nicolas Vanier, aventurier, écrivain et réalisateur /

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a nature a été le fil conducteur de ma vie. Tout petit déjà, je trottinais derrière les bottes de mon grand-père, l’écoutant me raconter les arbres, les chevreuils et les palombes. Je l’aidais au travail de la ferme, et ensemble nous partions à l’affût dans un arbre en bordure de plaine observer les animaux à la tombée de la nuit. Des bois de ma Sologne natale aux crêtes enneigées des montagnes Rocheuses, au cœur de la forêt boréale, dans la taïga sibérienne ou encore à fleur d’eau sur le lac Baïkal, je n’ai jamais cessé, depuis, d’être fasciné par les merveilles de la nature. J’y ai vécu mes plus belles émotions et lui ai consacré toute ma vie. Dès l’obtention de mon diplôme dans un lycée agricole, j’ai négocié la suite de mes études puis organisé toute mon existence pour rester fidèle à une citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. » Un précepte que j’ai respecté quarante années durant, m’appliquant à donner vie à mes rêves… Remonter du sud au nord toutes les montagnes Rocheuses pendant dix-huit mois, traverser l’Alaska en canoë jusqu’au détroit de Béring, puis m’aventurant dans une longue expédition de deux ans en Sibérie. Laponie, Carpates, péninsule de Kola, Mandchourie, Canada encore, d’ouest en est… Dans tous ces pays d’en haut, j’ai parcouru quelque 60 000 kilomètres sur la neige ou sur les fleuves gelés avec mes chiens de traîneau. L’été, c’est à cheval, à dos de renne, en canoë ou encore sur des radeaux que j’ai traversé les immensités sauvages. Seule cette lenteur, propre à des moyens de déplacement naturels, permet de comprendre et de respecter ces territoires. J’ai vécu avec des Indiens, des Inuits, des nomades éleveurs de rennes, auprès d’eux j’ai touché à ce qu’il y a de plus important à mes yeux : cette faculté à vivre dans et avec la nature. Une relation quasi amoureuse fondée sur l’échange, où chacun prend et restitue sa part, contribuant ainsi à maintenir l’équilibre. C’est cette vie en harmonie avec la nature dont j’ai souhaité témoigner dans certains de mes films comme « Le Dernier Trappeur » ou encore « Loup ». Montrer comment aujourd’hui des hommes savent encore vivre dans une certaine « sobriété heureuse » – pour reprendre le titre d’un livre du regretté Pierre Rabhi –, des hommes qui peuvent nous réapprendre à conjuguer un peu plus le verbe être plutôt que le verbe avoir. Car dans cette fuite éperdue de croissance, nous avons perdu nos repères et semé trop de misères, engendré trop de dégâts, certains irréparables comme la disparition de quantité d’espèces et plus largement le dramatique déclin de la masse de la biodiversité. Nous ne pouvons plus prospérer sur

l’illusion d’une croissance sans fin. Ce projet de société ne tient plus. C’est ce que le dernier rapport du Giec, comme les précédents, rappelle encore une fois, cette urgence absolue de réagir pour réduire les conséquences dramatiques des changements climatiques. Impossible d’ignorer que tous les voyants sont au rouge. L’étau se resserre : avec la guerre à nos portes, les risques de pandémie, les événements climatiques et l’effondrement de la biodiversité, notre vulnérabilité et notre dépendance en énergie, en métaux, en matières premières et denrées alimentaires nous imposent de réduire nos besoins et de substituer au diktat de la croissance sans fin une autre idée du progrès, non plus indexé sur le seul PIB, mais qui intègre d’autres indicateurs comme le bien-être, la cohésion sociale et le partage. Ces valeurs mêmes qui sont celles que j’ai apprises et comprises auprès de ces peuples qui vivent encore dans la nature mais qui sont aujourd’hui très injustement les premiers im-

pactés par les modes de vie « occidentaux ». Face à nous, deux cas de figure : soit nous restons dans l’illusion que nous pourrons continuer dans cette fuite en avant en produisant toujours et encore plus pour posséder davantage, malgré les limites planétaires, soit nous envisageons enfin d’adopter une manière de vivre compatible avec la réalité : celle qui impose de repenser nos comportements afin de maintenir l’habitabilité de la planète pour nos enfants et nos petits-enfants. C’est un défi immense, car nous vivons dans un monde sous emprise, drogué aux énergies fossiles, mais des solutions existent et l’aventure promet d’être passionnante pourvu que nous soyons réactifs et capables de mettre toute notre énergie, notre génie et notre créativité à réparer ce que nous avons détruit de la nature. Rappelons-le encore une fois, celle-ci n’appartient à personne, et nous devons veiller à ce que ses ressources soient équitablement disponibles pour tous les

êtres vivant sur terre maintenant, ici, là-bas et demain. Ce sera sans aucun doute la seule voie pour éviter les conflits et espérer maintenir la paix. Choisir d’agir maintenant dans nos territoires pour vivre mieux demain ou subir demain notre inaction dans un monde devenu menaçant et dangereux. Alors qu’attendons-nous ? En avant ! Le dernier film de Nicolas Vanier, « Champagne ! », sortira en sallele 8 juin.


1er juin 2022

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Jean-Pierre Fleury et l’invention de la biodynamie en Champagne Et dire qu’il voulait devenir astronome ! Passionné d’astres et d’étoiles, Jean-Pierre Fleury n’a pourtant pas suivi cette voie. S’il persiste à observer les corps célestes, c’est pour mieux soigner sa vigne et son vin / Par Yann Tourbe, « L’Est éclair » /

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our moi, il y a 1789 et 1989. » 1789, pas besoin de vous faire un dessin. 1989, en Champagne, c’est une autre forme de révolution. C’est l’année où le vigneron Jean-Pierre Fleury s’est lancé dans la biodynamie. Premier Champenois à tenter l’aventure de cette viticulture sous l’influence des astres, il y a sans doute retrouvé son amour pour la voûte céleste. Il voulait devenir astronome. Robert, son père, n’était pas de cet avis. En 1962, il l’extirpe du lycée et le met au travail sur l’exploitation familiale. Dans les années 1960, la Champagne, et particulièrement la Champagne auboise, n’est pas encore le vignoble de luxe qu’elle est devenue depuis. C’est l’époque de la grande replantation : la surface en vignes de l’appellation passe de 11 400 hectares en 1950 à 21 400 après 1970. On est encore loin des 34 000 d’aujourd’hui, mais le mouvement est lancé, il suit celui de la modernisation de l’agriculture française. Modernisation qui passe

par la mécanisation et l’introduction de la chimie. Les alternatives sont rares. Les domaines en bio ne sont pas légion. Laval ou Beaufort font figure d’exception. « À l’époque, c’était parathion et DDT (insecticides désormais interdits en Europe) », commente Jean-Pierre Fleury. « Je me suis dit qu’on allait tous crever ! »

corne de vache… très peu pour un vignoble qui s’occupe à faire des affaires. Sauf que les fêlés sont pragmatiques. Les vins sont bons. Ça se sait. Ça se dit. La Champagne et le bio

Un maraîcher en biodynamie Dans les années 1980, le vigneron a pris le domaine en main. Il tâtonne. Il se passe d’herbicides, de produits de synthèse, mais il cherche sa voie. Comme souvent, c’est une rencontre qui change tout. Le maraîcher en biodynamie Michel Leclerc pousse le vigneron champenois à sauter le pas. La première parcelle du domaine à entamer sa conversion est Val Prune, 3 hectares isolés qui donnent, encore aujourd’hui, quelques-uns des plus beaux pinots noirs de l’Aube. Rapidement, les deux vignerons qui partagent le pressoir, Alain Réaut et Érick Schreiber, franchissent le seuil à leur tour.

Jean-Pierre Fleury. PHOTO YANN TOURBE

Des pionniers ? Des fêlés, oui ! C’est comme ça qu’on les regarde, à l’époque. Au tournant des années 1990, la Champagne a retrouvé

E T S I L E S S O LU T I O N S É TA I E N T DA N S N O S T E R R I TO I R E S ? U N P R O G RA M M E

Au j ou rd’h u i , plu s de 50 t i t res de l a p re s s e quot i di e n n e régi on a l e s’a l l i e n t pou r ré véler les con tou rs d’un e Fra n ce d é j à e n t ra n s i t i on . # En QuêteDeDema in # Fresq u eD eL a Ren a is s a n ceEcol og iq ue

l’opulence. Alors, les histoires d’influences lunaires, de jours racines et les préparations ésotériques à base de bouse enterrée dans une

AVEC LE S OUTIE N DE :

Le pire, pour les détracteurs, c’est que ça fonctionne. Les rendements ont baissé de 30 % au moment du passage en bio ? C’était attendu. Mais ils permettent au domaine de produire bon an, mal an, entre 160 000 et 170 000 bouteilles pendant toute la décennie 20102020. Et l’expérimentation fait tache d’huile. D’autres domaines se lancent, en bio ou en biodynamie. Longtemps parent pauvre du bio en viticulture, la Champagne approche des 3 000 hectares de vignes certifiées ou en cours de certification. Jean-Pierre, lui, ne se repose pas sur ses lauriers. Il milite pour l’abandon des herbicides en Champagne. « On ne peut pas avoir la plus belle appellation du monde et continuer de polluer les sols. »


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En quête de demain Du champ à l’assiette

Une irrépressible quête du goût >

Agriculture Afin de donner du sens à sa vie et dans son assiette, Rachel Lagière a quitté son poste d’ingénieur agronome en 2016 pour devenir maraîchère. Installée depuis trois ans en Gironde, elle porte à bout de bras le Conservatoire du goût / Par Emma Gouaille, « Sud Ouest » /

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e ne sont que des légumes, et pourtant. Ils émerveillent Rachel. Ses yeux s’illuminent alors qu’elle présente chaque variété ancienne, qu’elle a découverte et qu’elle cultive aujourd’hui au Conservatoire du goût, à Floirac, près de Bordeaux. Sur sa parcelle de 5 000 m², deux serres sont installées. À l’intérieur, les plants de petits pois envahissent une partie de l’espace. De l’autre côté, on voit des bettes multicolores, des fèves, des choux pak-choï et aussi des plants de tomates, encore jeunes. « Goûtez cette feuille, c’est de la tagète, ça a le goût de fruit de la Passion. Et cette fleur, ici, la bourrache. Vous sentez le goût iodé ? Et là, le plantain, on retrouve les arômes du champignon. » Chaque légume ou aromate, ici, a un goût franc et une haute valeur nutritionnelle. C’est cette quête du goût qui anime Rachel Lagière depuis plusieurs années. « Je cherchais des légumes avec une saveur différente qui puisse m’émouvoir. On sait faire de la très bonne viande, mais les légumes, c’est plus rare ! » Une révélation En 2015, en Bretagne, elle fait la rencontre qui va changer sa vie. L’étal du maraîcher Christophe Collini, « le chasseur de goût », fait rêver Rachel. « Je n’avais jamais vu ça, il y avait des tomates de toutes les couleurs, des aubergines blanches… C’était magnifique ! » C’est une révélation : les légumes de Christophe sont aussi bons qu’ils sont beaux. Tombés amoureux, les deux passionnés se lancent ensemble dans l’aventure du Conservatoire du goût, que Rachel

continue aujourd’hui en Gironde, après le décès de son compagnon, en 2018. « J’ai appris à ses côtés pendant deux ans, mais je crois surtout que c’est une intuition quand on cultive. Je prends soin de mon sol, comme je le fais de mon corps. » Ses légumes sont cultivés sans intrants. Si elle ne se revendique pas d’un mouvement en particulier, elle s’inspire des principes de l’agroécologie, de la biodynamie, de la permaculture… et du bon sens ! « Certains pourraient penser que c’est un peu la jungle en ce moment, mais je laisse pousser, par exemple ce cresson sauvage, parce que c’est la période de reproduction pour les insectes. » Le printemps est une période chargée pour la jeune maraîchère. « Il y a tous les semis à faire, je pars de la graine, donc ça demande du temps et un travail différent en fonction de l’espèce. » Rachel est la seule salariée de l’association à temps plein. Elle reçoit de l’aide une fois par semaine. La trentenaire se confie sur les difficultés du métier et lâche un cri du cœur : « Je ne voulais pas être maraîchère au début, je l’ai fait parce que personne d’autre ne le faisait comme ça ! Je voulais que les gens puissent découvrir ce que j’avais goûté ! » Mais, finalement, à quoi tient ce goût si particulier, indescriptible, pour ceux qui n’ont jamais eu la chance d’en profiter ? « Il faut une bonne graine, un bon environnement et une intention de vouloir offrir le meilleur ! » La maraîchère explique : « Il ne faut pas récolter la tomate quand elle commence à rougir, il faut la récolter quand elle est d’un rouge spécifique. Ce n’est que l’année dernière, après plusieurs années de récolte, que j’ai compris que la tomate bleue a un goût de caramel, quand on la prend au bon moment ! »

Préserver des semences Pour s’émerveiller chaque jour en goûtant ses légumes, Rachel poursuit sa quête sans relâche. « Quand je vais quelque part en France ou à l’étranger, je vais sur les marchés, je regarde les cartes de restaurants, je rencontre des semenciers artisanaux. Dès qu’il y a un nom de variété que je ne connais pas, je prends ! » Depuis les débuts de Christophe Collini en 2012, elle estime qu’ils ont testé, à eux deux, plus de 3 500 variétés. « Si je sens qu’il y a du potentiel, on fait une dégustation avec les chefs. » Rachel partage avec les cuisiniers la recherche du goût à tout prix. Plusieurs chefs de la région bordelaise, parmi lesquels Vivien Durand, du restaurant étoilé Le Prince Noir, se fournissent au Conservatoire du goût. Grâce à ces prescripteurs, elle espère

convaincre les consommateurs, notamment sur la saisonnalité. « Je dis aux chefs : “Tenez bon ! C’est trop tôt pour servir des tomates en mars, ne cédez pas.” » Les particuliers aussi peuvent goûter ces légumes choyés, grâce à un système de paniers hebdomadaires. Face à ceux qui trouvent les prix élevés, Rachel ne démord pas : « On doit continuer d’expliquer le travail que demande un kilo de tomates, de la manière dont on le fait. Et non avec des machines qui les ramassent quand elles sont rouges mais pas mûres et sans vitamines. »

Écoutez l’insatiable passion de la maraîchère Rachel Lagière.

Plus de 3 500 variétés de légumes et d’aromates ont été cultivées depuis les débuts du Conservatoire du goût. PHOTOS GUILLAUME BONNAUD/« SUD OUEST »

« Le nom du bateau est sur l’étiquette de nos terrines » < En 2016, à l’orée de la

trentaine, Marion Fleuret et David Picault ont décidé de changer de vie professionnelle. Ingénieurs agronomes, ils ont créé dans les Côtes-d’Armor leur conserverie artisanale de produits de la mer. Le credo des Poissons de Marion : n’utiliser que des ingrédients bio et locaux, avec un souci de traçabilité

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Marion Fleuret et son compagnon, David Picault, ont créé leur SARL, Les Poissons de Marion, en 2016, à Plurien, dans le département breton des Côtes-d’Armor. Une reconversion pour ce couple originaire de Champagne-Ardenne qui se connaît depuis l’enfance. « On s’était ensuite perdus de vue, mais on s’est retrouvés sur les bancs de l’école d’ingénieurs agronomes de Rennes ! précise la jeune femme. J’ai ensuite travaillé à la Chambre d’agriculture. David était, lui, au ministère de l’Agriculture. »

Marion Fleuret (35 ans) et David Picault (38 ans) sont deux anciens ingénieurs agronomes devenus patrons d’une conserverie de produits bio de la mer, en Bretagne nord. PHOTO NÉRÉA BROUARD

Le labo dans la longère Passionné de pêche en mer, David a toujours eu envie de créer sa boîte. « Après avoir passé un master en gestion d’entreprise et un CAP de poissonnier, nous avons acheté une longère en pleine campagne, notamment pour nous lancer professionnellement. On avait envie de concret et de travailler pour nous. » Le couple retape alors une dépendance

avec l’idée de la transformer en laboratoire pour leur conserverie artisanale de produits de la mer. Un investissement de 100 000 euros. « Même si David a beaucoup fait par lui-même… », note Marion. Car, oui, l’idée était aussi de promouvoir certaines valeurs. « Comme travailler avec du poisson local sauvage. 80 % viennent d’Erquy et de Saint-Quay-Portrieux, le reste est de toute façon 100 %

breton. On va chercher le poisson directement en bacs pour éviter l’utilisation de polystyrène. » Le port d’origine et même le nom du bateau sont indiqués sur les étiquettes des produits ! « Tous nos ingrédients sont bio et au plus proche. On a même réussi à trouver récemment du combava bio (un agrume très utilisé à La Réunion) auprès d’un producteur finistérien. » David et Marion travaillent euxmêmes le poisson. « Plutôt que de le broyer comme dans les productions industrielles, nous le désarêtons à la main. Et on suit la saisonnalité pour être en cohérence avec notre démarche environnementale et, bien sûr, avoir des prix plus intéressants. » Une approche qui a ses contraintes. « Nous sommes dépendants des arrivages de poisson pour le travailler frais. On ne peut donc jamais planifier la production… » Toutes les recettes des Poissons de Marion sont des créations 100 % maison. À la carte : neuf rillettes artisanales (barbet, poivron et espelette ; lotte, chablis et morilles ; merlu, échalotes et combava…),

des tapas de bulots, gingembre et curcuma, un tartare d’algues façon asiatique, une soupe de poissons et une bisque de homard. La vente se fait en ligne, mais surtout en direct sur les marchés (entre Erquy et Saint-Malo), en Biocoop, dans les épiceries fines et cavistes. Un fonctionnement en accord avec leur mode de vie : le couple cultive son potager, se chauffe au bois et porte une grande attention à la gestion de ses déchets. Avec le projet de « continuer à progresser tranquillement, sans trop grossir, pour garder une qualité de produits, nous démarquer, et préserver aussi un équilibre entre vie privée et vie professionnelle ». « Malgré la crise sanitaire, l’entreprise a connu une progression satisfaisante », assure le couple, qui, depuis deux ans, a même embauché un salarié à mi-temps. Avec un chiffre d’affaires de 170 000 euros en 2021, Les Poissons de Marion ont trouvé leur clientèle, soucieuse elle aussi de mettre de l’éthique dans son assiette. PAR NÉRÉA BROUARD, « OUEST-FRANCE ».



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En quête de demain De la ville à la campagne

« Jusqu’ici on devait faire six kilomètres pour acheter du pain » >

Revitalisation Petite révolution dans un village d’Aveyron : un café multiservice a ouvert début mars. Une première en trente ans dans cette commune, rendue possible grâce à l’initiative 1 000 Cafés, portée par le Groupe SOS / Par Clément Gassy, « La Dépêche du Midi » /

I

l est 13 heures à l’horloge du café. « Je viens chercher le pain », chantonne un petit garçon à l’attention de Stéphanie, qui lave la vaisselle derrière son comptoir. La gérante sort une baguette et la tend à l’enfant, qui repart en trottinant. Cette scène pourrait sembler d’une grande banalité. Sauf que dans le village de Gramond, 550 âmes, dans la campagne aveyronnaise, les habitants vivaient sans commerce depuis plus de trente ans. Cette petite révolution du quotidien porte un nom : L’Estanquet, un café multiservice ouvert mi-mars ici, à 25 kilomètres de Rodez. « C’est un vrai plaisir d’accueillir les gens du village et j’espère qu’ils s’y sentiront bien », confie Stéphanie Bourdiau, la gérante, fraîchement arrivée de Paris. La mairie a rénové une salle de réunion associative. Résultat : un lieu chaleureux à l’esthétique rétro, ouvert du mercredi matin au dimanche soir. « C’est principalement un bar, mais je propose aussi de la restauration légère sur réservation pour dix couverts. Il y a un petit appoint d’épicerie, un dépôt de pain et on proposera, prochainement, de la viande de producteurs. » De quoi ravir les anciens, dont trois représentants – 260 ans au total ! – sont attablés autour d’une Suze cassis. Eux ont connu leur village avec des commerces, une école et une église, tous fermés depuis… « On est contents, car jusqu’ici on devait faire 6 kilomètres pour aller acheter le pain, réagit André, 88 ans. Même s’il n’y a pas de légumes, ça dépanne et on peut venir boire l’apéritif ! » « Ça permet aussi de rencontrer des gens de notre village, car on n’en

Stéphanie Bourdiau, gérante heureuse de L’Estanquet de Gramond. PHOTO CLÉMENT GASSY/ « LA DÉPÊCHE DU MIDI »

avait pas souvent l’occasion », abonde Sandrine, la quarantaine, venue manger une quiche et un gâteau au chocolat avec sa fille. Sortir du village-dortoir, donc. Les Gramondais doivent l’ouverture de L’Estanquet au réseau 1 000 Cafés. Cette initiative a été lancée en mars 2020 par le Groupe SOS, premier groupe d’intérêt général en France, qui gère entre autres des Ehpad à but non lucratif. Objectif : redonner un café aux petits villages. La proposition a été retenue dans l’agenda rural du gouverne-

ment et un appel massif à candidatures a été lancé. Auquel le maire du village, André Bories, a répondu. Entreprendre avec sérénité « On n’aura jamais de grande surface à Gramond, c’est sûr, mais ce projet, j’y crois réellement, car ça amènera de la vie », explique l’édile, qui mène son cinquième mandat. La mairie a rénové les lieux et a aménagé la voirie pour 230 000 €. Elle met les murs à dispo-

sition « moyennant un loyer modéré » et quelques conditions, notamment la tenue d’animations régulières. Mais l’originalité de 1 000 Cafés tient surtout dans son approche d’entrepreneuriat social. C’est le Groupe SOS qui détient le fonds de commerce. Au démarrage, il finance du matériel, le stock et la trésorerie à hauteur de 25 000 € (dans ce cas-ci cofinancé par la Région Occitanie). Puis il ajoute 25 000 € de trésorerie après l’ouverture du café. De son côté, la gérante, Stéphanie, a un petit crédit

pour compléter. Elle est assurée de toucher un revenu fixe minimal, auquel s’ajoute une part variable liée à l’activité. De quoi entreprendre « avec sérénité » pour celle qui dirigeait jusqu’ici une crèche du Groupe SOS à Paris. « Très attachée au lien social », elle a voulu quitter la vie urbaine. « J’avais toujours rêvé d’être barmaid et le Covid a accéléré ma reconversion », raconte-t-elle. En amont, elle a bénéficié d’un accompagnement de A à Z avec 1 000 Cafés (comptabilité, gestion). Après l’ouverture, un suivi d’exploitation très attentif (financé à hauteur de 30 000 € par le programme) est maintenu, avec un référent local. Ensemble, ils affineront les services proposés, suivant les retours de la population. Et si, malgré tout ça, le café ne trouvait pas sa rentabilité ? « Il n’y aurait pas de fermeture, explique Sophie Le Gal, directrice du programme 1000 Cafés. Nous établirons un diagnostic, pour comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas et nous travaillerons tous ensemble pour construire des solutions, avec un modèle économique moins lourd par exemple. » Le programme accompagne déjà 100 cafés en France, dont 14 en Occitanie. Et le bilan d’étape est prometteur : malgré la pandémie, les 40 lieux déjà ouverts ont tous maintenu leur activité. De plus, le contexte local donne des raisons d’espérer. Le village renoue avec la croissance démographique : + 13 % en six ans. La population, composée surtout d’agriculteurs et d’artisans, rajeunit. « Je passe tous les jours à L’Estanquet pour faire tourner la boutique, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas, si tout le monde joue le jeu », sourit Guillaume, agriculteur de 34 ans.

OssauLib’, le taxi des villages de montagne du Béarn < Ce service de transport

« Il y a des gens isolés dans les villages de montagne, pour aller chez le médecin, le kiné ou à la pharmacie, ils sont un peu coincés », poursuit Christine Monges, qui dirige le service de transport à la demande dans lequel travaille Agnès. OssauLib’ a été mis en place il y a cinq ans en faisant appel à des transporteurs locaux.

à la demande permet aux habitants de la vallée d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques) dans le besoin de se déplacer pour 2,30 euros seulement

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Agnès récupère la retraitée devant sa porte, l’aide à charger son chariot, avant de l’emmener au supermarché. « C’est très bien d’avoir mis en place ce service », confirme Marie, 86 ans. « Je ne veux pas dépendre de qui que ce soit. Si je n’avais pas OssauLib’, je devrais demander à l’un et à l’autre. Avant, je marchais, mais j’ai commencé à avoir de l’arthrose », ajoute la fringante passagère. « Ici, sans voiture, on ne peut rien faire », explique Agnès. Le bus qui dessert les vallées suit les grands axes routiers, mais ne monte pas dans les villages. « Ça crée du lien avec les gens, ce sont de petites courses de

Liaisons intermodales

Christine Monges (à droite), d’Arudy, participe au service OssauLib’ avec sa société de transport. PHOTO STÉPHANIE SAVARIAUD

dix à quinze minutes, on parle de la vie de tous les jours, c’est le petit air frais de la journée. Les gens veulent rester chez eux le plus longtemps possible, et tout le monde n’a pas les moyens

d’aller en maison de retraite », ajoute Agnès avant de récupérer sa prochaine cliente au foyer de vie de Sévignacq-Meyracq, qui accueille des personnes handicapées.

Trois transporteurs assurent le service et sont complémentaires, ils se répartissent les zones géographiques de la vallée, et le type de personnes à transporter, une compagnie étant spécialisée, avec l’équipement nécessaire, dans le transport des personnes à mobilité réduite. Certaines personnes isolées utilisent aussi le service pour se rendre à Pau. Le taxi les dépose en gare de Buzy pour prendre le

train. Le tarif comprend aussi la correspondance avec les lignes régulières de bus. Le prix d’une course est de 2,30 euros pour le client, la communauté de communes et la Région financent le dispositif pour payer les compagnies de taxis en fonction du barème kilométrique en vigueur. « C’est la première action sociale que nous avons menée. On aurait pu acheter un bus, mais cela aurait coûté plus cher, et cette solution nous permet de faire travailler des transporteurs locaux », explique Jean-Paul Casaubon, président de la CCVO, qui a la délégation de compétence de la part de la région Nouvelle-Aquitaine. La convention de délégation permet d’assurer la gestion, les appels d’offres et les prestations. PAR STÉPHANIE SAVARIAUD, « SUD OUEST »



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En quête de demain De la ville à la campagne

Et si l’habitat partagé permettait de bien vieillir chez soi ? >

Transgénérationnel À Biot, dans les Alpes-Maritimes, Hélène et Patrick Chagneau ont opté pour l’habitat partagé, une alternative aux maisons de retraite. Neuf ans après leur installation, ils racontent cette expérience / Par Gaelle Belda, « Nice-Matin » /

I

l est 18 heures, le ciel est gris, le fond de l’air frais. Dans la cour de L’Hédina, à Biot, dans les Alpes-Maritimes, une petite fille profite des aménagements pour enfants. Sa mère nous salue. Nous avons rendez-vous chez Patrick et Hélène Chagneau, dans l’une des neuf maisons blanches qui enveloppent l’espace partagé : ils sont à l’initiative de cette idée un peu folle de création d’une coopérative d’habitants. C’est à La Rochelle et à Ramonville – du côté de Toulouse – qu’ils ont découvert le concept d’habitation partagée. Quand l’occasion de racheter un terrain biotois, à 3 kilomètres du village, s’est présentée, ils ont mobilisé famille et amis. « Administrativement, rien ne nous aura été facilité, mais on va passer sur cette étape de l’histoire », souffle Patrick en souriant. Avant de poursuivre : « On s’est accrochés. Quand tout a été enfin validé, nos maisons, à la structure métallique, se sont dressées en six mois. Été 2013, nous posions nos cartons. » La grande évolution : les enfants ! Neuf ans après, qu’en est-il ? « À une ou deux familles près, ce sont les mêmes personnes qui vivent ici. Et tout le monde s’y sent bien. Nous avons réussi, tous ensemble, à instaurer une belle philosophie de vie. » Sans devenir une « communauté ». À L’Hédina, on parle d’associés, de voisins, d’amis. On est en SCI (société civile immobilière). Autour de la table, les habitants prennent place, pendant que des petits bouts se jettent joyeusement

dans les canapés colorés d’Hélène et de Patrick. « Voilà, la vraie grande différence avec notre installation, il y a neuf ans : les enfants sont arrivés ! Il y a beaucoup de petits… et on adore ça. C’est parfois mouvementé, mais c’est tellement vivant. » C’est aussi particulièrement stimulant pour les doyens de L’Hédina, qui ont même installé des jeux dans leur maison… Les mots-clés : tolérance et entraide Le maître mot, ici, c’est la tolérance. Qu’importe la liste des bons comportements à adopter qui figurent dans la charte initiale. Pour que ça fonctionne, il faut y mettre du bon sens et beaucoup de bienveillance. Marion enchaîne : « Ceux qui imaginent que l’habitat partagé, c’est calme, sans bruits de voisinage, sans casse, sans accrochage, peuvent de suite renoncer. Ici, ça bouge, parfois c’est même très bruyant. On peut ne pas être d’accord sur tout, hausser le ton, débattre. Le tout, c’est de trouver une solution, tous ensemble, en bonne intelligence. » Patrick et Hélène ont toujours été très entourés. Ils sont aujourd’hui à la retraite. Deux de leurs enfants ont acheté en même temps qu’eux à L’Hédina. Leur fille Fabienne les a rejoints après la naissance de son premier enfant. Elle confie : « J’offre un truc exceptionnel à mes gosses, en étant ici. Ils sont avec les cousins, les copains, les grands-parents. » Dans leur salle des fêtes partagée, garnie de tables immenses, de larges canapés, d’instruments de musique, de livres par centaines, de boîtes de jeux et d’un écran de projection, les ados s’en donnent à cœur joie. Juste à côté, la salle de sport est également bien utilisée. Peut-être pas autant que

Dans la cour centrale de L’Hédina, à Biot, les enfants s’en donnent à cœur joie. PHOTO SÉBASTIEN BOTELLA

la grande nouveauté, née du confinement : l’espace ultra-moderne de coworking. Miser sur une forme de donnant-donnant Le couple sent qu’il vit dans les conditions idéales pour bien vieillir. « On est présents pour nos enfants, nos petits-enfants. Et puis, on est là aussi pour ceux des autres. Ici, il n’y a jamais de problème de garde ! Hier, un petit était malade, ma femme s’est occupée de lui. » Une toute petite fille vient interrompre la conversation : « T’as pas un gâteau ? » Patrick hésite. Il regarde sa montre. « Bon, alors un seul… Ça va être l’heure du dîner. » La fillette a les

yeux qui brillent. Elle embraye, discrètement : « Dis, t’en as pas aussi pour mes copines ? » « Ah, ben si ! Et elles sont combien tes copines ? » Quelques minutes plus tard, c’est Hélène – flanquée de quelques résidentes à couettes – qui se glissera côté cuisine pour attraper des sucettes. Tout le monde se rend service. « Ah, on ne manquera jamais de sel ou de farine ! » Rires. Ils ont même, sur site, une infirmière, une assistante sociale. « Vous n’imaginez pas comme c’est rassurant ! » L’Hédina est au-delà des attentes. « On est entourés, on partage des valeurs fortes. Nous sommes convaincus qu’on aura un retour pour tout ce que l’on donne aujourd’hui. Cela ne fait aucun doute. »

Hélène et Patrick Chagneau : « On est entourés, on partage des valeurs fortes. » PHOTO SÉBASTIEN BOTELLA

Bip Pop, l’appli d’entraide qui rend mille et un services < Faire les courses, conduire

chez le médecin, aider dans les démarches ou simplement discuter : à Château-Thierry, dans l’Aisne, des bénévoles font tout cela et plus encore pour des personnes âgées et isolées. Une plate-forme numérique, Bip Pop, les met en relation

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« Vos radis, vous les préférez plutôt ronds ou plutôt longs ? Et la crème, vous préférez que je prenne laquelle ? » Robert Hue (sans rapport avec son homonyme communiste) s’enquiert des besoins de Roberte Jobert, 92 ans. Dans l’appartement de la vieille dame, en bord de Marne à Château-Thierry, celle-ci vient de lui confier, comme tous les mercredis, sa liste de courses. Il ira les faire pour elle. Entre Roberte et Robert, le rituel est bien réglé. Avec la liste, elle lui tend une enveloppe : elle contient un chèque en blanc, déjà signé, et

La remise du chèque, de la bénéficiaire Roberte Jobert au bénévole Robert Hue. PHOTO GUILLAUME LÉVY

une carte d’identité qu’il présentera à la caisse. « Je lui fais entièrement confiance », confie la nonagénaire. « Il m’aide depuis deux ans et c’est très précieux d’avoir un bénévole comme lui. » Elle le taquine souvent : « C’est pratique, dès que je lève le doigt, il

arrive ! Plus sérieusement, j’essaie de ne pas en abuser. » Car l’intéressé ne s’occupe pas que d’elle. En trois ans, Bip Pop s’est fait un nom dans la Cité des Fables, où cette plate-forme a pris tout son sens pendant la crise sanitaire. Le dispositif

est simple : mettre en relation, via une appli mobile ou un site Web, des personnes âgées, fragiles, seules, avec des aidants. Au printemps 2022, la ville compte ainsi, 60 bénévoles et 200 bénéficiaires. En 2021, 900 interventions ont été recensées. Elles franchiront le millier en 2022. Au niveau national, Anne Guénand, fondatrice de Bip Pop, comptabilise « 3 500 bénévoles et 3 500 bénéficiaires ». Son invention a été adoptée par « 1 077 collectivités ». Celles-ci souscrivent un abonnement à Bip Pop, puis le mettent en musique. À Château-Thierry, « c’est le CCAS* qui utilise notre plate-forme », explique Fabrice Ducrocq, agent de développement pour Bip Pop. « Le CCAS vérifie notamment le profil des bénévoles », pour s’assurer de leur sérieux. « La technologie ne remplace pas l’humain », rappelle le maire, Sébastien Eugène, « très satisfait » par le service rendu dans sa ville de

15 000 habitants. « Cet outil a été très utilisé pendant le Covid, pour apporter des aliments ou des médicaments. Ou parfois, simplement, pour discuter avec des personnes seules. » Sur le podium des services les plus courants, Robert Hue cite tout ce qui a trait à la santé (accompagnement à des rendez-vous médicaux), puis l’aide aux courses, enfin les démarches administratives. Mais bien d’autres services sont rendus : des « appels de convivialité », de l’aide informatique, des lectures à voix haute… « Nous allons aussi développer le soutien scolaire », annonce Alice Dupuis. Lauréat, en 2020, de la fondation La France s’engage, de François Hollande (l’ancien chef de l’État est venu défendre la plate-forme numérique en 2021), l’extension du dispositif est en projet. * Centre communal d’action sociale.

PAR GUILLAUME LÉVY, « L’UNION »



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En quête de demain Des océans aux forêts

L’arche de Noé au fond de l’océan >

Biodiversité Depuis plus de vingt ans, les récifs artificiels d’Atlantique Landes Récifs sont un refuge pour les espèces marines. L’objectif de l’association est de lutter contre le dépeuplement et de limiter le chalutage de fond / Par Emma Gouaille, « Sud Ouest » /

M

«

on objectif est de voir une nouvelle espèce chaque année. Jusqu’à présent, ça a toujours été le cas ! » Muriel Barrère est passionnée de plongée sous-marine. La Landaise s’est embarquée, il y a quelques années, dans un projet que certains pourraient qualifier de fou, d’autres de salutaire. L’association Atlantique Landes Récifs (ALR) a été créée par un pêcheur de surfcasting, inquiet de ne plus rien pêcher au bord de l’eau. En cherchant une solution pour lutter contre la baisse drastique de la ressource halieutique, Gérard Fourneau a découvert les récifs artificiels. Utilisés depuis plusieurs décennies au Japon, ils sont comme des refuges pour des colonies de poissons. Des modules sur mesure Depuis plus de vingt ans, l’équipe a immergé 2 500 m³ de modules. « Au début, on n’était pas experts, on faisait des tests avec des matériaux de récupération, comme des buses en béton », explique Muriel Barrère, trésorière de l’association. En 1999, 800 m³ de buses ont été largués dans la concession de Capbreton. Deux ans plus tard, une nouvelle concession a été accordée à Soustons-Vieux-Boucau et enfin une troisième à Messanges-Azur-Moliets. Après le temps de l’expérimentation, l’association a développé ses propres modules, adaptés aux espèces de l’Atlantique. Le Typi, arrivé en 2010, ressemble à un cône sans chapeau et le Babel, installé en 2015, n’est autre qu’une tour à plusieurs étages. Ces abris de près de 10 tonnes chacun ne restent pas longtemps inhabités. « Dès le lendemain de l’installation, on remarque des nouveaux poissons.

Ils sont curieux », se réjouit Jean-Paul Roger-Etchegoyen. « Ce sont de vraies nurseries, les juvéniles sont mieux protégés dans ces haltes », ajoute Luc Deramaix, vice-président. Conscience écologique Ces refuges, à 20 mètres de profondeur, sont le lieu idéal pour la reproduction des espèces marines. Contrairement aux modules japonais développés dans une logique de pêche intensive, les Typi et Babel landais favorisent le repeuplement et permettent de lutter contre le chalutage illégal dans les eaux peu profondes. Il est interdit de pêcher et de plonger autour de ces zones. Le projet fait consensus auprès des institutions. L’association reçoit des subventions de la Région, du Département et de la Communauté de communes de Maremne Adour CôteSud (Macs). Pierre Froustey, président de la Communauté de communes, maire de Vieux-Boucau et membre de l’association, ne tarit pas d’éloges sur ALR. « C’est le gardien du temple de la qualité des milieux marins. La ressource s’épuise et les pêcheurs sont tentés de racler le plus possible. C’est difficile à protéger. » « S’il n’y avait pas nos récifs, il n’y aurait rien, ce n’est que du sable dans ces zones », raconte Muriel. « Certaines espèces commencent à se sédentariser », se réjouit-elle. Chaque année, l’équipe de plongeurs bénévoles va faire des relevés et des photos. Ils sont aux premières loges pour constater le réchauffement climatique. « On voit de plus en plus d’espèces méditerranéennes comme les sérioles ou les balistes. » Muriel, qui porte un pendentif dauphin, raconte aussi, avec des yeux de petite fille, ses rencontres avec ces cétacés. Son air attendri laisse vite la place à une certaine gravité. « Ce n’est pas normal d’en voir de plus en plus près de nos côtes. Il faut se poser des questions. Avec ALR, je sers à quelque chose. Ce n’est pas ça qui va

Sortie en mer à bord du « Calypso », le bateau utilisé par les plongeurs de l’association.

repeupler la mer, mais, plus il y en a, mieux ce sera », estime la plongeuse passionnée. Travail scientifique Luc, qui a le mal de mer, s’investit différemment, en faisant de la sensibilisation. « C’est forcément un peu frustrant de ne pas vivre tout cela. Mais les plongeurs me confient leurs images et leurs observations. » Il partage ces récits avec des enfants dans les écoles. Il leur présente les récifs et le travail de l’association. Chaque été, ALR organise aussi des sorties de « pêche à pied » autour du lac marin de Port-d’Albret. L’occasion de belles découvertes. « Les gens sont étonnés de trouver des hippocampes ici. » Alors que l’association espère poursuivre le travail et immerger de nouveaux récifs, l’enjeu est aussi la recherche scientifique. Les données récoltées par ALR sont une mine d’or. À chaque plongée, un comptage des espèces est effectué.

Luc, le vice-président, précise : « Nos récifs sont un laboratoire scientifique ouvert à tous. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) pourrait

tout à fait y installer des capteurs. On pourrait, par exemple, mesurer le taux de nanoparticules de plastique qui s’y trouvent, ce serait intéressant. »

Les modules sur mesure Typi et Babel, conçus par Atlantique Landes Récifs.

Les récifs artificiels attirent les poissons, en particulier pour se reproduire. PHOTOS PHILIPPE SALVAT/« SUD OUEST »

Découvrez l’association ALR en vidéo.


1er juin 2022

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Vers un tourisme plus durable ? >

Environnement Nans-les-Pins, petit village du Var qui a vu récemment déferler des centaines de visiteurs après la publication sur Instagram de photos bleu lagon relance le débat du tourisme durable. Un phénomène constaté dans beaucoup d’autres endroits en France pour éviter le tourisme de masse au cours de l’année écoulée, et près d’un quart (24 %) qu’ils ont choisi une destination plus proche de leur domicile pour réduire leur empreinte carbone. « Le public exprime une réelle volonté pour un monde plus sain, un tourisme plus durable, plus lié aux territoires. Un retour à des valeurs, assez anciennes, finalement, qui seront sans doute les fondamentaux du tourisme de demain », explique Florence Rousson-Mompo, directrice du tout premier salon Horizonia, qui réunira à Lyon en septembre tous les acteurs participant à la réflexion et à la transformation du secteur vers un futur durable. Selon elle, « Le Covid-19 a fait grandir chez de nombreux touristes l’envie de consommer autrement leurs voyages, de façon plus éthique et solidaire. En cette sortie de crise, les gens veulent redonner du sens à leurs vacances. C’est une vraie tendance de fond. »

/ Par Laure de Charette, « Midi libre » /

À

rebours du tourisme de masse, qui bien souvent sature les sites, pollue et abîme, l’heure est à un tourisme plus durable, plus respectueux de la nature et des hommes. Un tourisme qui « tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs », selon la définition officielle de l’Organisation mondiale du tourisme. Un tourisme qui « préserve aussi notre patrimoine et gère bien les déchets », a précisé Thierry Breton, le commissaire européen au Tourisme, lors de la conférence des ministres du Tourisme de l’Union européenne qui s’est tenue en mars 2022. « Certains se sont plaints du tourisme de masse, nous devons aller vers un tourisme plus inclusif et respectueux de l’environnement. »

« S’engager dans une démarche différente »

Une réelle volonté de tourisme plus durable Une tendance plébiscitée par les Français ! D’après les chiffres publiés fin avril par Booking.com, le spécialiste de la réservation de voyages en ligne, 57 % des voyageurs français interrogés déclarent vouloir voyager de manière plus durable dans les douze prochains mois, soit une hausse de 11 points par rapport à 2021. Dans cette enquête, 25 % des Français révèlent qu’ils ont préféré voyager en basse saison

Comme d’autres secteurs, le tourisme est désormais confronté au défi de la durabilité. PHOTO LAURE DE CHARETTE

L’évolution vers un tourisme plus qualitatif, durable et résilient est lourde d’enjeux, sachant que cette industrie représente en France 8 % du PIB et génère près de 900 000 emplois salariés directs. Concrètement, cela implique de relever les défis liés aux mobilités, de réduire les émissions de CO2, de préserver la ressource en eau, de protéger les milieux fragiles – en Méditerranée, 90 % de la biodiversité se situe dans les 200 premiers mètres de la frange littorale –, de

limiter les pollutions et les déchets – en France, une commune touristique produit en moyenne, par an et par habitant, 100 kilos de déchets de plus qu’une commune lambda. Ce n’est pas rien ! « Intégrer le développement durable à tous les niveaux de l’activité touristique suppose que les professionnels s’engagent dans une démarche différente et offrent des produits qui se démarquent de ceux proposés habituellement », souligne Atout France, l’agence de développement touristique de la France. Les pays anglo-saxons ou nordiques ont été les premiers à s’engager dans cette voie, suivis d’une partie de l’offre italienne, en avance sur d’autres pays récepteurs comme l’Espagne ou le Portugal. « C’est une transition longue, confirme Florence Rousson-Mompo. Les établissements touristiques vont devoir penser différemment. Par exemple, si j’ai un restaurant, peut-être mon chef peut-il travailler davantage avec les producteurs locaux en circuits courts ; dans mon hôtel, je peux investir dans du linge made in France ; dans mon camping, optimiser la gestion de l’eau avec des robinets dans les douches ou installer des panneaux solaires sur le toit des mobile homes pour éclairer les lieux la nuit. » Pour aider les professionnels dans cette démarche, le plan Destination France présenté par le gouvernement en novembre 2021 prévoit de mobiliser 1,9 milliard d’euros de crédits publics. Avec un objectif clair : faire de la France la première destination pour le tourisme durable en 2030.

L’office Niort-Marais poitevin montre la voie de l’écotourisme La petite musique de l’écotourisme résonne de plus en plus aux oreilles des vacanciers. Les professionnels cherchent à entretenir la dynamique amorcée en proposant de nouvelles offres / Par Karl Duquesnoy, « La Nouvelle République du Centre-Ouest » /

L

e département des Deux-Sèvres a pris la crise sanitaire de plein fouet. Des effets semblent désormais durablement installés, notamment dans le secteur du tourisme, qui a passé un cap. « Le Covid et les rapports du Giec ont agi comme des accélérateurs de tendance, remarque Thierry Hospital, directeur de l’office de tourisme Niort-Marais poitevin. Notre positionnement s’est adapté. On est passé d’une offre de séjour d’agrément, de la simple valorisation du calme à la promotion des loisirs actifs en extérieur. On cherche maintenant à s’approprier l’espace, à prendre une grande bouffée d’air en s’éloignant des masses et en rencontrant les gens… » L’heure de l’écotourisme, pour des séjours plus responsables, plus authentiques, serait venue.

Depuis deux ans, l’acteur public développe des propositions « en prise directe avec le territoire ». La station de trail en est un exemple parlant. Des circuits de course à pied sont tracés dans des communes proches de Niort : Germond, Surimeau, Échiré, Prahecq, Beauvoir… On préserve l’environnement « et on tient compte des impacts sociétaux en limitant la pression sur un seul espace comme le marais ». Le tourisme devient extensif. L’office de tourisme a développé une billetterie « expériences au naturel » qui privilégie les sensations et les rencontres (visites de ferme, randos guidées, excursions insolites) ou encore un pass gourmand pour inciter les visiteurs à manger local.

La traditionnelle balade en barque n’est plus l’unique proposition d’activité écotouristique du Marais poitevin. PHOTO KARL DUQUESNOY – « LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE »

Moins de flyers Au rez-de-chaussée du Séchoir, à Port-Boinot, l’office Niort-Marais poitevin a tourné la page des li-

néaires de flyers vantant les mérites de tel ou tel site. « Nous préférons éditer des documents qui synthétisent l’ensemble des offres. Nous

privilégions le numérique et nous encourageons les échanges avec le personnel d’accueil. » Le changement d’habitude n’est pas sans créer

quelques crispations chez les prestataires. Pour accompagner le changement, l’office organise des ateliers de sensibilisation à destination des professionnels : « Le premier a eu lieu en mars. Huit sont prévus jusqu’à la fin de l’été 2022. Chacun s’empare du sujet en fonction de sa sensibilité, c’est à nous de faire foisonner tout ça. Sans nous placer en donneur de leçons, nous cherchons à emmener tout le monde dans ce sens. » Thierry Hospital ajoute : « On ne peut plus faire l’autruche dans nos métiers du tourisme. » Les visiteurs sont invités à appliquer les bons gestes. Une charte sera bientôt éditée et affichée dans les lieux stratégiques pour inciter au covoiturage, à utiliser les transports en commun, à demander des doggy bags au restaurant…


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En quête de demain Des commerces à nos poubelles

Une consommation confinée dans les paradoxes >

Mentalités On souhaite consommer moins et mieux, mais en faisant attention à ne pas hypothéquer la croissance et l’emploi. On aspire à protéger la planète, tout en continuant à se faire plaisir. Philippe Moati, fondateur de l’observatoire ObSoCo, éclaire nos contradictions / Propos recueillis par Valérie Parlan, de « Ouest-France » /

le commerce de proximité, en allant vers plus de sobriété, du consommer moins mais mieux… » Le tout en chérissant le souci d’achats éco-compatibles, car l’environnement à protéger reste une préoccupation bien ancrée chez de nombreux consommateurs. Toute la métaphore de l’effet Colibri : chacun doit verser sa goutte d’eau pour éviter la catastrophe écologique. Moins 11 % sur le bio

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Philippe Moati. PHOTO DR

e consomme, donc je suis… Mais qui suis-je ? Bien téméraires sont ceux qui, aujourd’hui, tentent de décrypter, à travers ses comportements et aspirations, le consommateur français. « Ce n’est pas simple parce qu’il faut se méfier des visions généralistes et tenir compte, au contraire, de la grande hétérogénéité des habitudes », décrypte Philippe Moati, professeur d’économie à l’université de Paris et cofondateur de l’Observatoire société et consommation (ObSoCo). Des habitudes qui sont, en prime, particulièrement percutées ces dernières années par la succession des crises financière, sociale, sanitaire, géopolitique… « Ces crises viennent casser nos routines, nous faire revoir nos habitudes. On l’a vu lors de l’épidémie de Covid. Beaucoup se sont remis en cause, en mettant en avant des notions de solidarité, de citoyenneté, en privilégiant

Mais voilà, entre son désir et la réalité des chaos du monde, il y a le prix… La campagne électorale l’a démontré, le pouvoir d’achat est au centre du budget des foyers. La guerre en Ukraine l’a ensuite accentué en occasionnant des hausses notables sur le ticket de caisse au supermarché ou à la pompe. Le marché du bio est, par exemple, l’un des secteurs souffrant des effets collatéraux de cette insécurité inflationniste. Selon Interfel, l’association qui fédère les producteurs de fruits et légumes frais, la vente de bio a accusé, en une année, une baisse de 11 %. Une désaffection à relativiser car, en même temps, « les industriels ont aussi bien compris ce besoin de manger sainement mais sans passer forcément par le bio. On voit ainsi de plus en plus de produits étiquetés sans nitrites, ni colorants, en garantissant le bien-être animal ». Alors entre toutes ces contingences, le consommateur doit de plus en plus arbitrer « entre ses idéaux et les contraintes ». La dernière étude de l’ObSoCo (1) révèle toute la résonance de ces « dissonances cognitives ». D’un côté, 88 % des Français sondés estiment que la société accorde trop de place à la consommation et que

notre manière de consommer est nuisible à l’environnement. De l’autre, 71 %, très pragmatiques, avancent que la croissance de la consommation est essentielle pour l’économie et l’emploi. Et, parallèlement, ils sont 74 % à reconnaître que pouvoir acheter contribuerait fortement au bonheur, surtout en cette période anxiogène. « Le plaisir de la consommation est un argument avancé quand on traverse des moments difficiles. Le système économique est encore très marqué par cela en invitant les consommateurs à se lâcher, avec le fameux “Vous le valez bien”. Comme une gratification, une façon de compenser. » L’essor du quick commerce Alors, là, serait peut-être une tendance de fond : « L’utopie suprême du monde occidental serait le bonheur individuel. » Faire attention aux autres, à la planète, certes, mais il ne faut pas trop que ça empiète sur notre espace des plaisirs. Exemple avec les vacances estivales : les taux de réservations des destinations hors de la France hexagonale ont retrouvé des scores plus élevés qu’avant la crise sanitaire. Partir loin de chez soi, « pour vivre une expérience, un quotidien différent du sien restent des aspirations fortes », notamment dans les catégories socioprofessionnelles les plus aisées. Autre tendance forte de ce consommateur en mutation, son appétit vorace pour le commerce en ligne. Le principe de faire venir à soi, et de manière rapide, ce qui vous prenait avant plus de temps. C’est l’essor du quick commerce, avec, notamment, des livraisons rapides de courses alimentaires en moins de 15 minutes chrono. Mais

ILLUSTRATIONS URBS

aussi l’achat de biens de loisirs ou de vêtements à portée de clic et déposés, en quelques jours, dans votre boîte aux lettres ou à votre porte. Un des signes est la fréquentation des boutiques, dites physiques, qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant 2019. Maintenant, face à son écran, « on peut aussi prendre ce plaisir de consommer avec le sentiment de devenir plus acteur,

plus expert dans ses achats. Avec l’idée de reprendre la main. » Et de la tendre… Car l’autre valeur essentielle des perspectives utopiques réside dans l’entraide et le collaboratif. Ou comment trouver du sens dans un monde sans dessus-dessous. (1) L’Observatoire des perspectives utopiques, mars 2022.

Smartway aide les magasins avec son appli antigâchis <Près de Nantes, à Saint-

Herblain, la société Smartway a créé le premier système fiable pour écouler les aliments en voie de péremption, et donc ne plus gâcher. Un pari réussi. Dix ans après sa création, l’entreprise équipe un demimillier de magasins dans cinq pays, emploie plus de 80 salariés et estime avoir sauvé 113 millions de repas

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Chaque année, 10 millions de tonnes de nourriture finissent à la poubelle. Et on ne parle ici que de la France ! Vous avez dit « gâchis » ? Le zéro gâchis, c’est pourtant un enjeu gagnant pour tout le monde : le magasin perd moins d’argent, les aliments ne finissent pas à la poubelle et le consommateur en profite à moindre coût, ou bien ils sont donnés à des associations s’ils ne peuvent être revendus… Le concept est simple, mais sa mise en

Grâce à l’appli Smartway, les produits à écouler sont repérés très rapidement dans les rayons. PHOTO SMARTWAY

pratique, elle, est un vrai casse-tête ! L’idée de Smartway a germé en 2012 dans la tête de Paul-Adrien Menez, son frère Christophe et un ami, Nicolas Pieuchot, tous étudiants à Brest en commerce et informatique. « On a démarché un Super U, un Leclerc et un Intermarché, explique

Paul-Adrien Menez. Tous les matins, on allait répertorier en rayons les invendus pour les aider à mieux communiquer dessus et à les écouler. » La jeune société crée un système d’étiquetage automatisé des produits à mettre en promotion. Puis affine

le concept grâce à l’intelligence artificielle : de puissants algorithmes passent au crible les codes-barres pour détecter rapidement les produits à vendre à prix discount et augmenter ainsi le taux de revalorisation sur casse. Au-delà de la détection, Smartway aide à déterminer à quel prix liquider ces denrées, à trier ce qui peut être mis en paniers et vendu aux consommateurs via des applis antigaspi, ou bien ce qui peut être donné à des associations. 80 % de gaspillage en moins En 2021, la start-up a réussi une levée de fonds de 10 millions d’euros pour investir dans la recherche et le développement et poursuivre sa démarche de soutien des clients. « On aide concrètement les magasins dans leur prise de décision. Par exemple, pour mieux maîtriser les commandes en

amont en fonction des aliments qui reviennent le plus comme invendus, ou pour mieux les écouler avant leur péremption », souligne Paul-Adrien Menez. Les consommateurs, eux, peuvent voir quels magasins pratiquent des promotions via le site zérogâchis.com. Et les résultats sont spectaculaires : en moyenne, le taux de gaspillage est réduit de 80 %, et le résultat net après impôt des magasins est en hausse de 50 %. Depuis février, le système est déployé chez Auchan. Cela devrait porter le nombre de magasins clients à plus d’un millier à la fin de l’année, toutes marques confondues, de la supérette à l’hypermarché. En France, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Roumanie… Et ce n’est pas fini, l’objectif de Smartway est de toucher 4 000 magasins en 2025. PAR VÉRONIQUE COUZINOU, « OUEST FRANCE »



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En quête de demain De la santé au bien-être pour tous

« Toutes les vies se valent et les plus vulnérables ont besoin d’attention » >

Bien-être Philosophe, professeure, Fabienne Brugère a consacré son ouvrage, « L’Éthique du care », à la notion du prendre-soin, au souci des autres, à la vulnérabilité et à l’inégalité femmes-hommes / Propos recueillis par Maryan Charruau, « Sud Ouest » /

Quelle est votre définition du « care » ? Le « care » désigne avant tout une activité, celle du « prendre-soin », par laquelle des vies sont soutenues, réparées ou maintenues. Ce que fait le docteur Denis Mukwege avec la Fondation Panzi – aider les survivantes de violences sexuelles en temps de guerre – relève du care. De l’informel des activités ordinaires à la création d’institutions, il s’agit de construire un monde plus juste. Toutes les vies se valent, et les plus vulnérables ont besoin d’attention. Plus largement, la terre elle-même mérite un « prendresoin ». Pourquoi l’éthique du care estelle apparue dans l’Amérique sous la gouvernance de Reagan ? Elle apparaît à un moment où l’État social n’est plus considéré comme une priorité. Reagan considérait que le social coûte trop d’impôts, que chacun doit se montrer performant, apte à prendre sa part dans le grand marché. Dans le grand jeu de Monopoly néolibéral, on fait croire que tout le monde est à égalité, alors que les situations de pouvoir et de privilèges sont acceptées telles quelles : on renforce les forts et affaiblit les faibles. C’est la vérité très crue du néolibéralisme. L’éthique du care surgit comme une critique de ce marché de dupes. Elle révèle combien des institutions de soin s’avèrent nécessaires et centrales.

Dans votre ouvrage « L’Éthique du care » et plus encore dans « Le Peuple des femmes » (coécrit avec Guillaume Le Blanc), vous soulignez notamment le poids du patriarcat, les inégalités de genre, des femmes plus vulnérables que les hommes, etc. Comment les comportements peuvent-ils évoluer ? Nous sommes dans un capitalisme patriarcal : l’économie et la politique, mondialement, sont entre les mains d’un ordre masculin jusqu’à des manifestations inquiétantes comme la remise en cause du droit à l’avortement aux États-Unis. Les inégalités de genre sont donc partie prenante de cet ordre alors même que depuis #MeToo les femmes réclament une justice de genre. L’éthique du care interroge les raisons et l’histoire de ces inégalités en insistant sur le caractère central d’activités comme le soin des corps, le travail affectif, la réponse aux besoins vitaux. Le care a de la valeur ; il doit être rémunéré le plus possible et partagé entre les hommes et les femmes. Pourquoi les femmes sont-elles déléguées en priorité aux tâches de soin, un travail qui souffre d’un manque de reconnaissance et de considération ? Les femmes sont déléguées aux tâches de soin, car cela leur a été imposé à travers l’histoire jusqu’à fabriquer la perspective d’une nature aimante féminine ! Or, personne, par exemple, n’est mère au nom d’un instinct. On fabrique des rôles, des binarités qui handicapent nos vies, qui pourraient être bien plus libres. De même, on a

d’une écoute des autres largement attribuée aux femmes à travers l’histoire. L’attention à la singularité d’une situation complexe où des personnes sont en relation, réhabilitant la place des émotions et d’une rationalité dialogique, est souvent dévalorisée, contrairement à une morale qui exhibe des principes. C’est pourtant d’elle que nous avons besoin aujourd’hui. Une politique de santé et de bien-être pour tous est-elle possible ? Le système public de soin en France est en danger. Les jeunes médecins ne veulent plus exercer dans l’hôpital public. Il est difficile de recruter des infirmières ou des aides-soignantes. Il y a de plus en plus de « déserts médicaux ». Toutes ces activités ne peuvent pas être ramenées à un chiffrage des actes, à une vision selon le profit. Le service public doit être repensé avec le care : des institutions où la qualité des relations vient en premier.

« L’éthique du care tient dans une attitude ouverte avec la perspective de Carol Gilligan d’une “voix différente”, d’une écoute des autres largement attribuée aux femmes à travers l’histoire », souligne Fabienne Brugère. PHOTO ARCHIVES PHILIPPE TARIS

forgé des métiers « féminins » moins rémunérés car considérés comme faciles. Pourtant, s’occuper de personnes très âgées dans des Ehpad relève d’un savoir-faire, d’expériences, de compétences tout autant qu’un travail de maçonnerie.

Quel rôle doivent jouer et jouent les femmes pour changer la mentalité et l’éthique, que vous préférez au terme de morale ? L’éthique du care tient dans une attitude ouverte avec la perspective de Carol Gilligan d’une « voix différente »,

La pandémie liée au Covid a-t-elle renforcé les inégalités hommes-femmes ? A-t-elle affaibli les personnes déjà vulnérables ? La pandémie a renforcé les inégalités femmes-hommes jusqu’à l’extrême visibilité de la sphère médiatique, où les femmes ont disparu comme expertes ! La pandémie nous avait amenés à vouloir changer de monde, à sortir du modèle devenu étriqué de la croissance : que reste-t-il de notre expérience commune de la vulnérabilité ?

Le Gynécobus sur les routes du haut Var pour lutter contre la désertification médicale en zone rurale < Son départ est attendu

pour les mois qui viennent dans le centre et le haut Var. Le Gynécobus doit venir pallier le manque criant de spécialistes et ainsi favoriser le dépistage des cancers

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Tout est parti d’un triste constat. Dans le haut Var et le centre de ce département, nombre de femmes, faute de suivi gynécologique, n’effectuent aucun dépistage de cancer. Elles finissent par consulter lorsque leur état de santé se dégrade. Parfois trop tard. Une situation due à l’insuffisance de l’offre médicale en gynécologues et sages-femmes. Alors, quelques professionnels ont décidé d’aller vers ces patientes. « Aller vers », c’est en effet la philosophie qui préside au projet du Gynécobus, lancé il y a quelques mois dans ce secteur rural. Ce bus sillonnera les 43 communes de Provence-Verdon et de Provence verte. Le Gynécobus proposera de

véritables consultations, comme dans un cabinet, mais itinérantes, afin, notamment, de favoriser les dépistages des cancers du sein et du col de l’utérus. « Une femme sur deux n’a pas de suivi » Parmi les instigateurs de cette première en France, vouée à lutter contre la désertification médicale, le docteur Gérard Grelet. Membre fondateur de l’association Gynécologie sans frontières, il est convaincu que, s’agissant de ruralité, un bus médical est la meilleure solution pour répondre aux besoins des habitants. Tout simplement, dit-il, parce que toutes les autres sont compliquées et que, « même si on arrivait à fabriquer suffisamment de médecins, la paupérisation des foyers rend leurs déplacements difficiles ». C’est aussi la certitude de Fabien Matras, député (LREM) de la 8e circonscription du Var. « Je crois

Le Gynécobus proposera de véritables consultations. PHOTO AXELLE TRUQUET

beaucoup aux bus pour la ruralité. » Lorsqu’il a eu vent du projet, il lui a apporté son appui et, surtout, ouvert les portes de l’Agence régionale de santé Paca, partante elle aussi, à l’instar des collectivités locales parties prenantes du projet. Le rôle de l’ARS a d’ailleurs

été prépondérant, puisque la structure a eu l’idée d’adosser le Gynécobus à l’hôpital JeanMarcel de Brignoles, en faisant une sorte de dispositif de consultation externe. Le projet a ainsi pu rentrer dans les cases de financement, tout en sautant

l’obstacle de l’interdiction de la médecine foraine. Aujourd’hui, s’il ne circule pas encore, c’est seulement parce que l’aménagement de ce véhicule médical a pris du retard, comme toute l’industrie automobile. La faute à la pandémie. « On attend les pneus », précise, impatient, le docteur Grelet. À part ça, tout est prêt : son territoire d’action est défini, son équipe soignante – une vingtaine de gynécologues et sagesfemmes – recrutée, son planning déjà ficelé. Surtout, les patientes ont hâte de voir le Gynécobus arriver dans leur village. Quant au monde médical, il semble déjà considérer le projet comme une réussite. Le docteur Grelet reçoit en effet des appels de collègues d’autres spécialités, intéressés par le dispositif, parfois désireux de le reproduire : dentiste, ophtalmo et même psychiatre. PAR VIRGINIE RABISSE, « VAR-MATIN »



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En quête de demain De la santé au bien-être pour tous

La Baraque à Frat’ contre l’isolement dans les campagnes du Nord >

Lien social Aller à la rencontre des personnes isolées socialement et géographiquement dans les territoires ruraux du Cambrésis, voilà l’objectif de la Baraque à Frat’. Le projet, touché par la crise sanitaire, reprend vie depuis quelques mois dans le Nord. Au menu : des moments conviviaux dans les villages / Par Céline BERGERON, « La Voix du Nord » /

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eux coups de klaxon pour annoncer son arrivée. La camionnette blanche s’arrête dans une petite rue. De l’autre côté du trottoir, France et Marie-Paule, voisines, attendaient leur chauffeur avec impatience. Fidèles à leur nouveau rendez-vous. « Je me suis mise sur mon trente-etun », s’amuse France, 77 ans. Au volant, Hélène Ducatillon, coordinatrice de la Baraque à Frat’ pour les Petits Frères des pauvres. Sourire aux lèvres, elle fait le tour du village pour chercher les personnes qui ne peuvent faire le déplacement jusqu’au lieu de rendez-vous. Aujourd’hui, la Baraque à Frat’ prend ses quartiers dans la salle polyvalente derrière l’église de Troisvilles, commune de plus de 800 âmes à une trentaine de kilomètres au sud de Valenciennes. Concrètement, la Baraque à Frat’, c’est un dispositif itinérant pour lutter contre l’isolement en milieu rural. À l’origine, l’initiative a vu le jour grâce à l’association Les Petits Frères des pauvres dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans le Nord, le projet a été pensé dès 2019. « Il y avait des zones blanches où il n’y avait pas de réseaux de bénévoles ni de temps dédié pour les personnes âgées. On a voulu créer une initiative itinérante dans les territoires ruraux », se souvient Hélène Ducatillon. À bord de son fourgon prêté par la Croix-Rouge, elle sillonne les villages du Cambrésis, un territoire rural et semi-rural situé à la lisière du

Pas-de-Calais et de l’Aisne. Par ici, les citoyens se retrouvent vite sans solutions pour se déplacer s’ils n’ont pas de voiture. Même les transports en commun désertent. Fraternité Un après-midi par mois, la Baraque à Frat’ se rend dans un de ces villages pour « recréer du lien, un temps d’animation » : « C’est ouvert à tous ceux qui ont envie de passer un moment convivial », informe la coordinatrice. Après tout, le nom n’a pas été choisi au hasard. « Frat’ ». C’est pour « fraternité ». Après des mois de travail, la démarche se concrétise en avril 2020. Mauvais timing. La crise sanitaire a tout chamboulé. « Le projet ne démarre vraiment que depuis mars 2022 », soupire la coordinatrice. Avant chaque rencontre, Hélène Ducatillon, parfois aidée de bénévoles, prépare la salle fournie par la mairie. Café, thé, jus d’orange, petits gâteaux. Elle l’admet, pour l’instant, il est encore tôt pour réussir à toucher les personnes les plus isolées. « Cela va prendre du temps », confie-t-elle. Pour cela, la travailleuse sociale ne lésine pas sur les efforts et met toutes les chances de son côté. Petit à petit, le bouche-à-oreille fait son effet. La Baraque à Frat’ trouve son public. Hélène Ducatillon compte sur le petit cercle d’habitués, des personnes qui ne sont pas les plus recluses et qui connaissent parfaitement leur village. Pour la coordinatrice, « ce sont elles qui peuvent nous aider à identifier les personnes les plus isolées ».

Partie de petits chevaux à la Baraque à Frat’. PHOTO CHRISTOPHE LEFÈBVRE

Pendant quelques heures, entre 10 et 15 habitants se retrouvent autour de jeux de société et partagent un moment de convivialité. Ensemble. Loin de la solitude quotidienne qui pèse sur certaines personnes en milieu rural. Hélène Ducatillon est aux petits soins pour ses « princesses ». Il faut dire que le public est majoritairement féminin. En ce début de mois de mai, seuls deux hommes sont présents. Dans son fauteuil roulant, Madeleine joue aux petits chevaux avec Marie-Christine et Nathalie. Elle a pris du retard, tous ses chevaux sont à l’écu-

rie. Lancement de dés… Un six ! Ça y est, la partie peut commencer. Alain supervise la belote sous le regard de sa femme, Réjane. France agite sa frêle silhouette sur sa chaise en même temps qu’elle construit sa stratégie. La septuagénaire a bien l’intention de remporter la partie ! Debout, Hélène Ducatillon se promène de table en table. Elle a un mot, un sourire, un geste pour chacun. Elle prend des nouvelles des uns et des autres. Quand on leur demande ce qui les amène à la Baraque à Frat’, les parti-

cipants peinent à mettre des mots. Ils expriment tous un « besoin de sortir » ou évoquent encore une « bonne ambiance ». Au final, la meilleure réponse se trouve sur leur visage. Au fil des minutes, les sourires s’étirent, les rires se dérident. Les visages s’éclaircissent. Toujours optimiste, Hélène Ducatillon a bon espoir de développer la Baraque à Frat’ et de sillonner d’autres villages du Cambrésis. En 2022, le dispositif intègre d’autres départements de l’Hexagone : la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, la Côte-d’Or, la Savoie ou encore la Nièvre.

Tom & Josette, le premier réseau de crèches qui cohabitent avec des seniors <À Albi, la microcrèche

Tom & Josette s’est installée au rez-de-chaussée d’une résidence pour seniors. Un lieu de rencontre intergénérationnel où petits et grands peuvent passer de bons moments ensemble

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Rayyan, 2 ans, se jette dans les bras d’Anny, 80 ans. Ils ne se connaissent pas encore, mais ce premier contact est réussi. La scène se déroule dans une résidence senior d’Albi. Ici, de 8 mois à 88 ans, les générations cohabitent. Depuis que la structure a ouvert, en mars 2022, elle abrite 80 personnes âgées du Clos de Rochegude et 14 enfants de la microcrèche Tom & Josette. Fini la distanciation sociale, le quotidien des petits et des grands est rythmé par leurs rencontres. Aujourd’hui, c’est chasse aux œufs. Munis de leurs paniers, les petits attendent impatiemment que les auxiliaires de puériculture leur ouvrent la porte. Au bout du couloir, les « mamies », comme ils

les appellent, les attendent, elles aussi avec hâte, pour découvrir les chocolats. La magie opère dans le salon partagé où se mêlent Scrabble et comptines pour enfants. Pour la directrice de la microcrèche, Émeline MoisyLesaffre, c’est un moment « hors du temps », qui donne du sens à son travail. « En candidatant à ce poste, je voulais m’éloigner du système impersonnel des grosses structures auquel j’étais habituée. » 100 crèches d’ici cinq ans Véritable projet pédagogique de la crèche Tom & Josette, la transmission est au cœur de l’initiative. Touchées par l’isolement de leurs grandsparents respectifs en maison de retraite, les cofondatrices Astrid Parmentier et Pauline Faivre ont ouvert leur première crèche intergénérationnelle quelques mois avant le confinement de mars 2020. « Un timing qui aurait pu être catastrophique à l’heure

Émeline Moisy-Lesaffre coordonne pour Tom & Josette les rencontres entre les enfants et les résidents de la maison de retraite. PHOTO AGNÈS GRIMALDI/« LA DÉPÊCHE DU MIDI »

où les maisons de retraite se sont repliées sur elles-mêmes, redoutait Astrid. Mais qui a finalement mis en lumière la solitude des personnes âgées. » Depuis, le projet séduit.

Pas de frais supplémentaires pour implanter ces garderies. Elles sont régies par la même réglementation que les autres. En plus de répondre au cahier des charges de la PMI*, la seule obligation est qu’elles soient rattachées à une maison de retraite existante ou en création. Loin des rapports d’enquêtes qui accablent des groupes d’Ehpad, l’objectif de Tom & Josette est de « redonner vie » à ces personnes âgées, souvent « oubliées ». Originaire de Castres, la jeune entrepreneuse de 27 ans entend notamment développer ce concept en Occitanie. « Il y a besoin de créer des places en crèche et de transformer les Ehpad en France. Reconnecter ces deux générations œuvre à la fois pour le “biengrandir” et pour le “bien-vieillir”. » * Protection maternelle et infantile..

Une levée de fonds de 1,3 million d’euros l’été dernier a permis de structurer le siège. Prochain challenge, l’ouverture de 100 crèches d’ici à cinq ans.

PAR AGNÈS GRIMALDI, « LA DÉPÊCHE DU MIDI »


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