Learning from Valparaíso: de la crise à la régénération urbaine

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École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles Mémoire de Master Ici & Ailleurs: Villes, Territoires, Nature

LEARNING FROM Valparaíso De la crise à la régénération urbaine

Laure Khayat Février 2017





Remerciements En France, je remercie particulièrement ma directrice et mon directeur de mémoire, Roberta Borghi et Jean-François Coulais, pour leurs retours critiques, soutien et disponibilité. Mateo Lopez pour son œil précieux et ses corrections. Anne et Philippe Khayat pour leur encouragement et aide inconditionnelle. Au Chili, je remercie toutes les personnes qui ont contribué à faire de mon temps à Valparaíso une expérience unique et enrichissante, et qui ont bien voulu répondre à ma curiosité et mes interrogations. Les architectes de l’agence U6 Arquitectos, Carlos Urquiza et Carlos Seisdedos, pour leur accompagnement durant mes quatre mois de stage à Valparaíso. Juan Enríquez Olivares pour son accueil, Adrian Arcila Pereira pour sa patience, Horacio Silva pour son aide, Arnaud Figari pour la qualité de ses recherches.

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Valparaíso, Quelle absurdité Tu es, Quelle folle, Un port fou, Quelle tête Aux coteaux, Échevelée, Tu n’arrives pas À te peigner, Jamais Tu n’as eu Le temps de t’habiller, Toujours T’a surprise La vie, T’a réveillée la mort, En chemise, En culottes longues Aux franges de couleurs, Nue Avec un nom Tatoué sur le ventre, Et avec chapeau, T’a saisie le tremblement de terre, Tu as couru Affolée, Tu t’aies brisé les ongles, Se sont mus Les eaux et les pierres, Les sentiers, La mer, La nuit, Tu dormais Sur une terre, Fatiguée De tes navigations, Et la terre, Furieuse, A levé sa houle Plus tempétueuse

Que le vent violent marin, La poussière Te couvrait Les yeux, Les flammes Brûlaient tes souliers, Les solides Maisons des banquiers Se tordaient Comme des baleines blessées, Pendant que là-haut Les maisons des pauvres Sautaient Dans le vide Comme des oiseaux Prisonniers Qui en essayant leurs ailes S’inclinent. Bientôt, Valparaíso, Marin, Tu oublies Les larmes, Tu reviens Étendre tes vêtements, Peindre des portes Vertes, Fenêtres Jaunes, Tout Tu le transformes en navire, Tu es, La proue tachetée, D’un petit, Valeureux Navire. La tempête couronne Avec de l’écume Tes cordes qui chantent Et la lumière de l’océan


Fait trembler les chemises Et drapeaux dans ton vacillement indestructible. Étoile Obscure Tu es De loin, Dans la hauteur de la côte Resplendissante Et bientôt Tu livres Ton feu dissimulé, Le va-et-vient De tes sourdes ruelles, La toute confiance De ton mouvement, La clarté De ton équipage. Ici je termine, c’est cette, Ode, Valparaíso, Si petite, Comme un maillot Impuissant, Accroché À tes fenêtres en lambeau

Se balançant Dans le vent De l’océan, S’empreignant De toutes Les douleurs De ton sol, Recevant La rosée Des marées, le baiser De la vaste mer colérique Qui avec toute sa force Se frappant contre ta pierre Ne put Te faire tomber, Car sur ta poitrine australe Sont tatouées La lutte, L’espérance, La solidarité Et la joie Comme des ancres Qui résistent Aux vagues de la terre.

« Ode à Valparaíso », in Odes élémentaires, Pablo Neruda, 1954 Traduction personnelle du poème

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NB: Les photos dont le crédit n’est pas exprimé sont des photos personnelles


Avant propos Tout commence en janvier 2015 lors d’un voyage qui débute à Buenos Aires - à la fin d’une année d’échange universitaire dans la capitale argentine - pour se terminer à Lima au Pérou. Une halte à Valparaíso, premier port du Chili, sur la route conduisant au nord vers le Pérou. Une halte qui ne devait durer que deux jours deviendra un séjour de cinq jours afin de connaitre la ville dans ses dédales et recoins. En quittant la ville portuaire, je conservais en moi un goût d’inachevé. Cette ville m’avait frappée par son paysage atypique. Je gardais donc en moi le souvenir ému de cette ville qui m’avait particulièrement marquée, dans l’espoir d’y retourner. A l’heure de travailler sur mon mémoire de fin d’études, retourner à Valparaíso m’a semblé comme une évidence. En effet Valparaíso concentre une grande partie des problématiques qui m’animent sur la ville contemporaine : risques naturel, centre-ville délaissé, renouvellement urbain, expansion et reconversion de quais portuaire, espace public dégradé, patrimoine en péril, architecture spontanée, histoire politique complexe qui a marqué le territoire. De cette ville en crise à la fois politique, économique, sociale et urbaine, ce mémoire tente de définir les contours et donner à découvrir comment, lorsque gouvernance et aménagements publics font défaut, volonté, sentiment d’appartenance, attachement à leur quartier, et culture du partage, se rassemblent pour permettre aux habitants d’agir à échelle locale et produire du projet qui régénère la ville sur elle-même.

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Sommaire REMERCIEMENTS

p.5

AVANT PROPOS

p.11

SOMMAIRE

p.13

INTRODUCTION De la crise... ...À la régénération urbaine Problématiques & objetif Méthodologie

p.16 p.18 p.19 p.20 p.21

VALPARAÍSO, UNE VILLE EN CRISE 1/ Une histoire urbaine 2/ Un cadre morphologique singulier 3/ Comment se manifeste la crise aujourd’hui ?

p.26 p.32 p.52 p.58

TROIS ENSEIGNEMENTS DE VALPARAÍSO : LES RAISONS DE LA RÉGÉNÉRATION URBAINE, LES RÉPONSES À LA CRISE 1/ L’implication politique et contestataire dans la fabrique de la ville 2/ La réappropriation de l’espace public par les habitants 3/ Le rôle de la culture et du patrimoine dans le développement urbain

p.74 p.76 p.86 p.99

CONCLUSION

p.108

BIBLIOGRAPHIE

p.114

ANNEXES

p.118

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Introduction « Les projets urbains les plus intelligents, ces dernières années, viennent d’Amérique Latine, du Brésil, de Colombie. Ils équilibrent interventions planifiées et initiatives communautaires, constructions formelles et spontanées, incluent les réseaux sociaux et l’économie informelle pour faire émerger de nouvelles formes d’urbanisme, libérées de la logique néo-libérale. Les réponses les plus intéressantes à la crise mondiale du logement et de l’urbanisation viennent des conditions de rareté, pas des situations d’abondance. Mais le réflexe, dans les pays riches, est de nier l’intérêt d’un modèle né de la précarité et de la pauvreté. » Teddy Cruz, Architecte guatémaltèque

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Les villes du XXIe siècle font face, dans le monde, aux enjeux de leur développement urbain à différentes échelles, territoriales et locales, au regard des transitions économiques / industrielles / sociales, de leur Histoire, des traces tangibles ou non de leur patrimoine, de leur contexte politique et des risques naturels. Habitat III, la Conférence des Nations Unies (ONU Habitat) qui se réunit tous les vingt ans pour examiner la question du développement urbain et du logement à échelle mondiale, rappelle lors de son dernier sommet à Quito (Equateur) en 2016, que le monde connaît aujourd’hui une urbanisation grandissante et préoccupante : 54% de la population mondiale est aujourd’hui urbaine, et d’ici à 2050, atteindra 66%. Or cela pose de nombreux problèmes au niveau de la répartition des personnes, des ressources, de l’aménagement du territoire et de l’occupation des sols1. D’autre part, le paradigme selon lequel le modèle de développement des villes est fondé sur l’industrie et les énergies fossiles, est depuis plusieurs décennies en crise. Avec la raréfaction des ressources fossiles, les grandes transitions industrielles, la révolution technologique et numérique, la mondialisation de l’économie et l’attractivité des villes qui concentrent richesses et emplois, une crise complexe et globale touche partout les sociétés sous différentes formes. Aussi bien dans des pays en voie de développement comme en Amérique du Sud, que dans des pays développés, en frappant durement certaines villes en décroissance en Europe ou aux États-Unis par exemple.

UN-Habitat, Urbanization and Development : Emerging Futures, World Cities Report, Quito : UnHABITAT, 2016

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De la crise... Crise : « Situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond »

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)

Cette crise globale touche le domaine de l’urbanisme. En bouleversant l’équilibre économique des villes, elle remet en question le rôle des secteurs publics et privés dans la fabrique de la ville, en terme de conception, participation des citoyens, aménagements urbains, architecture et gouvernance. Et l’Histoire a montré que les sociétés ont souvent su se réinventer pour sortir de situations de crise. De quelle manière ? Partout où la crise est présente, il émerge une prise de conscience de la société civile quant à son rôle à jouer pour y faire face. Elle n’est cependant pas toujours suivie de mesures adéquates par les pouvoirs publics.

RODRIGUEZ-MALTA Rachel, Villes d’Espagne en régénération urbaine. Les exemples de Barcelone, Bilbao et Madrid, in Annales de Géographie, n°608, 1999

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MASBOUNGI Ariella (dir.), Le Projet Urbain en temps de crise, l’exemple de Lisbonne, Paris : Le Moniteur, 2013

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Lorsque ceux-ci prennent la décision de participer à l’effort de relance économique et territoriale, ce sont de grands projets urbains qui sont entrepris dans le cadre d’une planification territoriale, assortis de politiques locales spécifiques, et cela porte ses fruits. Par exemple en Espagne à partir des années 1980, la régénération de vastes emprises industrielles, portuaires ou ferroviaires, considérées par les acteurs urbains comme une opportunité pour reconquérir des sites stratégiques de la ville et ainsi relancer la croissance, est activé dans le centre-ville de Bilbao ou les berges de Barcelone2. A Lisbonne au Portugal, l’équipe municipale à partir de 2007 allie planification urbaine stratégique et actions par le projet urbain à court terme, permettant à la capitale portugaise de résister à la crise qui l’attaque et de se remettre en mouvement3. En Amérique Latine, à Medellin en Colombie, pour permettre le désenclavement des quartiers les plus déshérités de la ville, la mairie se lance dans une ambitieuse politique d’investissements publics via des Plans Urbains Intégraux dès 2003. L’objectif de cette politique dite d’« urbanisme social »


est de redonner du sens à la citoyenneté et promouvoir l’inclusion sociale, en créant un réseau de transport public par télécabines, des équipements culturels et des espaces publics qualitatifs à des points charnières de la ville. Mais lorsque les pouvoirs publics sont impuissants à répondre rapidement et efficacement aux besoins des populations sinistrées par la crise, on voit une partie des habitants prendre des initiatives à l’échelle de leur chez soi, du seuil de leur maison, de leur rue ou quartier, en mettant en place, seuls ou en groupe, des actions concrètes pour améliorer leur cadre de vie. Dans certaines villes durement touchées par la crise, comme à Détroit aux États-Unis, archétype des « shrinking cities »4, qui ces soixante dernières années a vu sa population chuter de 60% suite à l’effondrement de l’industrie automobile dont elle dépendait, certains habitants développent de nouvelles activités pour pallier à ce qui leur manque au jour le jour, et combler les vides d’un territoire peu dense. Par exemple plusieurs communautés se sont formées et ont transformé en parcelles cultivables quelques-unes des 100 000 parcelles vacantes de la ville afin de créer des systèmes alimentaires urbains locaux alternatifs au lieu de dépendre des commerces peu fournis en produits frais et bon marché. Ces initiatives auparavant portées par quelques habitants, ont su trouver échos auprès de la mairie qui dispose depuis 2013 d’un plan guide pour un développement urbain durable de Détroit, intégrant ces nouvelles pratiques des habitants sur leur territoire.

« Le terme de «shrinking city», traduit par ville rétrécissante, désigne un phénomène de rétrécissement urbain qui touche les villes sur trois plans : démographique, par la perte de population ; économique, par la perte d’activités, de fonctions, de revenus et d’emplois ; et social, par le développement de la pauvreté urbaine, du chômage et de l’insécurité. » > Géoconfluences, Shrinking city, MAJ 11/2016 [consulté le 05/12/2016], disponible sur internet : http://geoconfluences. ens-lyon.fr/glossaire/shrinkingcity

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...À la régénération urbaine En Amérique Latine au Chili, à Valparaíso -la ville portuaire qui fait l’objet de notre étude-, les pouvoirs publics jusqu’à l’élection d’une nouvelle équipe municipale en octobre 2016 ont été très peu présents dans le processus de développement de leur ville, en crise depuis plusieurs décennies. Or c’est au cœur de la crise que la ville, les espaces et les pratiques doivent être repensés. Dès lors, une partie des porteños (habitants du port, puerto en espagnol) se sont saisis de ces questions. Des particuliers ou professionnels, conscients de la valeur et du potentiel de leur ville, se sont regroupés pour protester,

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maintenir, sauvegarder ou redynamiser des espaces auparavant, abandonnés ou détériorés, pour pallier la dégradation du patrimoine culturel (architectural et urbain) et naturel de leur ville. Mettre l’accent sur ces projets locaux d’initiatives privées variés, semblables dans la dynamique à ceux rencontrées à Détroit, permet de donner à comprendre le processus de régénération urbaine qu’est en train de vivre la ville de Valparaíso, petit à petit et grâce à la créativité et l’ingéniosité de ses habitants. « Quand le courage et la vision sont là, si la situation porte autant de problèmes que d’atouts, l’action surmonte les obstacles en surfant sur les qualités du site, de la géographie, de l’histoire, du patrimoine culturel et humain. Quand les talents des hommes de l’art, des initiateurs d’actions culturelles et le dynamisme sont à l’œuvre, la ville se réinvente. » Ariella Masboungi

Problématiques & objectif Dans un contexte où la crise paralyse les marges de manœuvre de l’administration publique et l’émergence de grand projets urbains, quelles actions locales la population met-elle en place pour continuer à développer la ville pour et par elle-même ? Quelles solutions alternatives sont expérimentées par les porteños pour faire sortir leur ville de la crise et qu’est ce qui en fait leurs spécificités ? Qui sont les acteurs de ces actions mises en œuvre sur, par et pour la ville de Valparaíso ? Quels en sont les mécanismes et les temporalités ? Et enfin… Quels enseignements en tirer ? La crise urbaine, terreau fertile d’un processus d’urbanisation alternatif ? Opposition entre ville « traditionnelle » à la croissance planifiée par les politiques urbaines, et ville « spontanée » à la croissance non planifiée et édifiée par les habitants eux-même en autoconstruction.

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L’objectif de ce travail de mémoire est de porter à la connaissance du lecteur des façons alternatives de faire la ville et comprendre les raisons de leur émergence, dans un contexte différent de celui du vieux continent. En l’occurrence celui propre à l’Amérique du Sud, où les problématiques des villes mêlant croissance formelle et informelle5 sont à traiter avec lucidité et bienveillance.


Il s’agira de montrer les richesses de créativité et de stratégies mises en place par les acteurs locaux, avec ou sans architectes - mais toujours sans l’aide des pouvoirs publics -, en autogestion ou grâce à un partenariat habile avec le mécénat culturel, pour développer des secteurs abandonnés par les services publics. Ainsi que l’intérêt d’envisager un développement urbain respectueux des questions patrimoniales pour embrasser la totalité des aspirations de développement de la ville. Ces initiatives privées locales, bénéfiques pour le territoire, dont on retrouve une dynamique similaire dans d’autres villes en crise, nous montrent que l’on peut considérer aussi la crise comme un terreau fertile pour repenser le devenir des villes.

Méthodologie Un séjour de quatre mois à Valparaíso au premier semestre de l’année universitaire 2015-2016 me permit de commencer mon travail de mémoire, et de réaliser un stage long de master. Je m’empreignais des lieux pour mieux les comprendre et à la fois plus j’approfondissais ma connaissance de la ville, plus faire un choix de recherche me paraissait difficile. C’est donc de retour en France que je disséquai la multitude d’informations que j’avais relevé dans les domaines du rapport au patrimoine, au recyclage, à la ruine, aux sites en friche, à l’appropriation des espaces publics, pour commencer ce travail début 2016. Ce travail s’appuie donc d’une part sur mes souvenirs, notes, observations in situ et ma présence à plusieurs conférences sur l’architecture et l’urbanisme au Chili ; d’autre part sur des lectures à la fois chiliennes, françaises et internationales, me permettant d’approfondir mon sujet et de le mettre en perspective avec des situations similaires dans le monde, tout en restant très connectée avec l’actualité de la ville de Valparaíso. Certains témoignages, articles, ouvrages ou mémoires d’étudiants m’ont aidée dans la définition de ma problématique et

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Sous la direction de QUINTANA Francisco et DÍAZ Francisco, Proyecto Ciudad : Valparaíso, Santiago, ARQ Ediciones, 2015

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DÍAZ Francisco, DE CASTRO Alejandro, Quien se preocupa por las ciudades chilenas ?, Santiago, ARQ ediciones, 2013

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ANDUEZA Pablo, El patrimonio cultural como factor de desarrollo en Chile, Universidad de Valparaíso, Valparaíso, 2008

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PETIT Flore, La crise une opportunité urbaine et architecturale -Le quartier Prodac à Lisbonne-, Mémoire sous la direction de JeanFrançois Coulais, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, soutenu en janvier 2015

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MASBOUNGI Ariella (dir.), Le Projet Urbain en temps de crise, l’exemple de Lisbonne, Paris : Le Moniteur, 2013 10

11 JACQUOT Sébastien, Patrimoines et conflits dans les Cerros Alegre et Concepcion, sous la direction de M. Jacques Brun, Paris I, 2001 12 FIGARI Arnaud, « Faire le quartier, faire l’histoire ». Inscription au patrimoine mondial et passé dictatorial à Valparaíso, Genèses 2013/03 (n° 92), p. 28-51

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dans la manière d’aborder la question de la régénération urbaine à Valparaíso. Pour le Chili, nous citerons entre autre le livre Proyecto Ciudad 6, puis la conférence sur « Quien se preocupa por las ciudades chilenas ? »7, et le travail de Pablo Andueza sur les questions de patrimoine au Chili8. Pour la France, nous citerons le travail de mémoire de Flore Petit sur la crise urbaine9 qui m’a permis de mettre en perspective le scénario propre à Valparaíso, l’ouvrage sous la direction d’Ariella Masbougni sur les réponses urbaines de Lisbonne à la crise10, et enfin les travaux de Sébastien Jacquot11 et Arnaud Figari12, respectivement géographe et ethnologue, pour comprendre mieux le phénomène de patrimonialisation à l’œuvre dans la ville. En ce qui concerne les pratiques même de régénération urbaine par les habitants sur la ville, je n’ai pas pu trouver de support qui en faisait l’inventaire. C’est pourquoi j’ai souhaité travailler sur ces thématiques. Au cours de mon séjour à Valparaíso, plusieurs rencontres m’ont permis d’affiner mon analyse. Souhaitant comprendre davantage le positionnement du gouvernement municipal sur les questions de patrimoine, j’ai réalisé un entretien semi directif avec la Directrice du Service de la Culture et du Patrimoine. Mais celui-ci est resté très général et objectif, la Directrice ne souhaitant pas aborder de front mes questions. Les deux architectes avec lesquels j’ai travaillé dans une petite agence au cœur du quartier historique et le Directeur de l’ONG Valparaíso en Colores qui m’ont permis de comprendre davantage les rouages de la société chilienne. Et le fait de côtoyer au jour le jour cette partie de la population de Valparaíso indignée et impliquée dans les dynamiques de revendications et régénération de la ville. Nous analyserons tout d’abord la ville de Valparaíso : son histoire urbaine, la singularité de sa morphologie, et comment la crise s’y exprime aujourd’hui. Dans un second temps, nous verrons quels enseignements nous pouvons tirer du développement de cette ville qui malgré une crise profonde et longue, est en train de se régénérer. Nous analyserons le rôle de l’implication politique croissante des citoyens, puis le rôle


de la réappropriation des espaces publics délaissés ou vacants par les habitants, et enfin le rôle de l’intégration du patrimoine et de la culture dans la ville, dans le processus de régénération urbaine de Valparaíso.

Photo Isabel Böhmer, 2016

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Photo Huella Digital, 2014


Valparaíso, UNE VILLE EN CRISE « Valparaíso parece una ciudad bombardeada » Marcelo Ruiz Architecte chilien, membre de l’association Metropolitica, chef de projet à l’Urbanisme de la municipalité de Viña del Mar et professeur à l’Université Pontificale Catholique de Valparaíso

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ValparaĂ­so


ValparaĂ­so

Santiago

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Viña del Mar

Valparaíso

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Au recensement INE 2012 (Institut National de Statistique du Chili) 13

14 ASANCHEZ Alfredo, BOSQUE Joaquin, JIMENEZ Cecilia, Valparaíso: su geografía, su historia y su identidad como Patrimonio de la Humanidad, Estudios Geográficos Vol. LXX, 266, pp. 269-293, janvier-juin 2009

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Au Chili en Amérique du Sud, la ville de Valparaíso, est une ville portuaire dont le port est un des principaux ports du Chili et d’Amérique du Sud. D’une superficie de 401,6 km², elle compte 292 510 habitants13 sur une densité de 704 habitants au km². Elle est la ville centrale de l’aire métropolitaine du Grand Valparaíso formée de deux villes côtières Viña del Mar et Cóncón, et deux villes intérieures Quilpué et Villa Allemana. Comme la plupart des grandes villes chiliennes, Valparaíso est une ville côtière qui tire ses racines et son énergie de sa relation à l’océan Pacifique. Si la ville s’est développée par et pour son port à partir du XVIe siècle, elle a dû se diversifier depuis le début du XXe siècle dans son développement pour faire face aux grandes transitions industrielles, économiques et politiques du pays. En cinq siècle d’existence, la ville a dû affronter huits grands séismes ou incendies qui ont mis à l’épreuve la résistance de ses habitants dans leur capacité à reconstruire une fois de plus sur des ruines14. L’histoire de Valparaíso est celle d’efforts et de reconstruction depuis toujours. Ce récit qui semble se répéter inlassablement développe un caractère chez le porteño, celui de sa ténacité face à l’épreuve. Malgré la déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2003 de son quartier historique portuaire et les ressources envoyées par l’ONU pour protéger et réactiver un territoire qui « constitue un témoignage exceptionnel de la première phase de mondialisation à la fin du XIXe siècle », la ville n’a pas encore réussi à soigner les plaies qui lui ont été infligées avec le temps. Aujourd’hui Valparaíso est une ville en pleine transition, à la recherche d’un récit collectif et commun pour se développer en harmonie avec les traces de son passé tout en considérant le présent et la multitude de ses intérêts à servir. En effet la ville qui auparavant faisait un tout, est aujourd’hui profondément divisée, en cinq pôles principalement : ville-port, ville universitaire, ville touristique, ville artistique (capitale culturelle du Chili), et ville patrimoniale, qui suivent chacun une logique de développement autonome au lieu de se développer main dans la main. Dans un premier temps nous allons voir l’histoire urbaine


dans ses grandes phases pour comprendre la situation actuelle de Valparaíso, puis ses caractéristiques morphologiques, et enfin comment s’exprime la crise à Valparaíso.


1/ Une histoire urbaine Histoire urbaine de Valparaíso réalisée à l’aide des ouvrages: Sous la direction de QUINTANA Francisco et DÍAZ Francisco, Proyecto Ciudad : Valparaíso, Santiago, ARQ Ediciones, 2015 et ASANCHEZ Alfredo, BOSQUE Joaquin, JIMENEZ Cecilia, Valparaíso: su geografía, su historia y su identidad como Patrimonio de la Humanidad, Estudios Geográficos Vol. LXX, 266, pp. 269-293, janvier-juin 2009 15

La ville de Valparaíso est une des villes les plus anciennes du Chili. Sa situation privilégiée lui a permis de se forger une identité locale forte, à partir de la relation que l’homme a su créer avec son environnement naturel. S’en distinguent trois composants : la baie, le plan et les 42 cerros (en espagnol le « Plan », c’est-à-dire la surface plane de la ville ou la ville basse, et les collines ou la ville haute). Depuis son origine la ville s’est développée à partir de deux facteurs qui à travers le temps ont influencé son profil : sa géographie et l’activité portuaire. En effet depuis la naissance de la ville coloniale, Valparaíso s’est structurée autour de l’ambivalence d’être tout à la fois ville et port. Mais à partir des années 1930, cet équilibre est rompu15.

1.1/ Découverte de la baie et installations de colons espagnols (1536 – 1800) Dates repères • 1549 création de l’Almendral • 1730 Séisme

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Son histoire commence en 1536 quand Diego de Almagro et Juan de Saavedra réalisent la première expédition espagnole du Pérou vers le Chili, et découvrent la baie de « Alimapu » (Ali, brulé et mapu, terre en langue indigène). Dès 1549, les colons espagnols installent fermes et tentes dans le quartier de l’actuel Almendral. Le petit port de commerce croit vers l’ouest et vers 1700, la quasi intégralité de la baie est occupée par les nouveaux habitants, les entrepôts à marchandises et comptoirs de commerces. En 1730, un séisme et un tsunami surprennent la ville qui se replie alors sur les cerros, à cette époque si proches de la plage. A partir du début du XIXe siècle, sont entrepris les premiers grands travaux d’excavations dans les cerros afin de remblayer sur la mer pour faciliter le passage entre la partie Est de la ville, l’Almendral, et la partie Ouest, le port de commerce. La croissance de la ville se structure donc autour des caractéristiques naturelles de la ville. Les habitations grimpent sur le cerros et les fonctions administratives, commerciales, de services, restent implantées et concentrées dans le plan.


1744

Aire urbaine actuelle de ValparaĂ­so

Baie de ValparaĂ­so, 1820 memoriachilena.cl


1.2/ Croissance de la ville-port (1800 - 1856) Dates repères • 1808 Construction du premier quai portuaire • 1810 Indépendance du Chili • 1822 Séisme • 1823 Premières excavations et remblais sur la mer • 1831-1848 Construction des bâtiments portuaire importants : la douane et les entrepôts douaniers

C’est durant le XIXe siècle que la ville connaît sa période de plus grande croissance démographique et économique. En effet la baie forme une enclave très stratégique le long des routes maritimes qui relient l’Europe avec la côte de l’océan Pacifique par la pointe du Cap Horn. Le petit port de commerce se transforme en un port renommé, une porte d’entrée et de sortie des marchandises de toute la zone centrale du pays. Entre 1810 et 1822, la population de la ville augmente de 5 500 à 16 000, avec une population « flottante » de plus de 3 000 marins chiliens et étrangers qui font de Valparaíso la seconde ville du pays. A partir de la seconde moitié du XIXe, Valparaíso accueille une forte immigration anglaise, allemande, française, italienne, yougoslave et américaine. La présence d’un grand nombre d’étrangers transforme la société porteña en lui conférant un caractère cosmopolite qui se manifeste dans son architecture et ses monuments. Le style colonial espagnol qui imprègne le territoire jusqu’au début du XIXe, est remplacé par une architecture où cohabitent différentes influences européennes. Le style victorien prédomine. Les immigrés européens à Valparaíso contribuèrent très fortement au développement urbain et à l’essor de la ville en y développant les premières banques, compagnies maritimes, compagnies exportatrices, la majeure partie des succursales des nouvelles sociétés minières et industrielles, les bureaux des chemins de fer, ou encore les compagnies d’assurances. Activités portuaires et environnement urbains entrent en résonance et la ville est marquée par le développement d’un réseau complet d’infrastructures viaires dans le plan, et dans les cerros où se sont installées les populations. En 1840, la route entre Valparaíso et Santiago est la route la plus importante du Chili et par là circulent les produits pour la consommation intérieure du pays et au commerce international avec l’Argentine, la Bolivie ou le Pérou, entre autres.

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Baie de ValparaĂ­so, 1863 memoriachilena.cl

1790

Aire urbaine actuelle de ValparaĂ­so


1.3/ Apogée de la ville portuaire (1856 - 1906) Dates repères • 1856 Eclairage public au gaz • 1863 Premier chemin de fer reliant Valparaíso – Santiago • 1873 Nouveau quai de la douane • 1883 Premier ascenseur • 1890 Projets d’extension du port pendant 10 ans • 1890 Extension de la ville à l’est et à l’ouest • 1893 Urbanisation généralisée (eau potable, égouts, électricité) • 1906 Séisme

La seconde moitié du XIXe siècle permet la mise en application des grands progrès réalisés en sciences et ingénierie : réseau complet d’égouts (1883), l’éclairage public au gaz (1856), accès à l’eau potable (1889) puis l’électricité (1893). La bourgeoisie et les habitants aux revenus plus modestes jouissent d’espaces publics qui se déploient entre théâtres, promenades, escaliers et ascenseurs pour connecter le plan et les cerros. Valparaíso est à la fin du XIXe siècle la capitale économique du pays. Elle concentre la majeure partie des mouvements financiers et le nombre le plus élevé de sociétés marchandes et industrielles. A cette époque, le port de Valparaíso cesse de faire du commerce exclusivement avec l’Espagne et est ouvert à l’international. Jusqu’à 200 bateaux occupent la baie en un mouvement incessant, qui la nuit tombée, se transforme en musique, chant et danse. C’est dans le barrio puerto (quartier du port) que nait la bohemia porteña, à l’époque les habitants aux conditions de vie plus modestes qui travaillent au port, les arrimeurs, les employés divers ou les sans-emplois, qui trouvent dans les bars populaires du quartier portuaire de la distraction et de la joie. C’est toute une vie nocturne riche, localisée au pied du port, qui s’éveille aux premières heures de la nuit.


1871

Aire urbaine actuelle de ValparaĂ­so

Baie de ValparaĂ­so, 1900 memoriachilena.cl


1.4/ Reconstruction, grands aménagements et déclin progressif (1906 - 1930) Dates repères • 1911 Début des grands travaux de reconstructions et modernisation des infrastructures portuaires • 1914 Inauguration du Canal de Panama, Valparaíso cesse d’être un port de transit international • 1922 L’accès aux quais du port est pour la première fois interdit • 1922-1927 Grands travaux de viabilisation d’infrastructures routières (avenue d’Espagne, chemin de Ceinture) • 1928 Grands travaux d’aménagement (nouvelles avenues, promenades, embellissement des espaces publics…) • 1930 Les grands travaux des infrastructures portuaires sont terminés (digue actuelle molo de abrigo) • 1929 Crise économique

Ministerio de Vivienda y Urbanismo, Mapa social de campamentos, N° Serie VII Política Habitacional y Planificación, N°339, Secretaría Ejecutiva de Campamentos 16

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Cette période de prospérité se voit interrompue en 1906 par un tremblement de terre de magnitude 8.2, qui détruit une grande partie du secteur de l’Almendral, située dans le plan. A partir de l’année suivante sont entrepris de grandes reconstruction de tout le centre-ville et les cerros touchés. C’est pourquoi aujourd’hui le centre historique est marqué par un style néo-classique. Quelques années plus tard, en 1914, le Canal de Panama est inauguré, déviant les routes maritimes du Sud par l’Amérique Centrale. C’est un second revers très dur pour la ville qui doit continuer à soutenir l’essor économique et le développement de ses activités portuaires malgré la baisse importante d’attractivité de son port et les conséquences du tremblement de terre. Les historiens considèrent que le déclin de Valparaíso commence à cette date. Comme attendu, le trafic maritime diminue drastiquement, et provoque une forte baisse des activités économiques et financières de la ville dans leur ensemble. Pourtant, la ville a entrepris de grands travaux d’aménagement (réaménagement de places, tracé de nouvelles avenues, promenades piétonnes…), de nouveaux édifices au service de l’industrie alimentaire et ferroviaire continuent à se construire dans la partie plan, et une modernisation des infrastructures portuaires est en cours entre 1911 et 1930. Par la suite, la crise économique qui touche les Etats-Unis puis le monde en 1929, impacte aussi l’économie chilienne. Deux phénomènes sont observés : d’une part avec l’affaiblissement des activités minières et la fermeture de plusieurs usines, la migration interne s’intensifie vers les villes métropolitaines où se concentrent davantage d’emplois. Une partie de la population de Valparaíso part s’installer à Santiago, la capitale, où dans la ville voisine Viña del Mar, alors petite station balnéaire bourgeoise. D’autre part, avec le processus d’urbanisation impulsé par l’Etat à partir des années 30, le pays assiste à l’exode rural important de chiliens attirés par les promesses de conditions de vie meilleures16. Les grandes villes comme Valparaíso ou Santiago, qui représentent de nouvelles opportunités attirent alors des milliers de familles qui s’installent, sans le sou,


dans des campements en périphérie de la ville, c’est-à-dire en regroupements spontanés, non contrôlés et auto construits sur des terrains dépourvus de service public.

1909

Aire urbaine actuelle de Valparaíso

Baie de Valparaíso, 1906 memoriachilena.cl


1.5/ Modernité, dépression et croissance de la ville informelle (1930 - 1973) Dates repères • 1953 Incendies et explosions dans l’Almendral • 1969 Construction du nœud viaire Barron • 1971 Séisme • 1973 Coup d’Etat militaire

A la seconde moitié du XXe siècle, la ville est marquée par divers événements politiques, sociaux et économiques qui affectent la cohésion nationale et plusieurs phénomènes naturels frappent à nouveau la ville. Dans les années 1960, la ville-port de Valparaíso ne représente plus le faste et les progrès, sinon l’abandon, la surpopulation et le manque. Les écarts de niveau de vie se sont creusés. Les populations les plus pauvres habitent le haut des collines, et les plus aisées, le centreville ou certains cerros historiquement peuplés par la bourgeoisie (cerros Alegre et Concepción). Le quartier où s’est développé historiquement son port, le barrio puerto continue à héberger les marchés aux produits de la mer, les ouvriers et la vie nocturne bohème qui attire dorénavant les classes moyennes et les étudiants. Mais les édifices sont fragilisés par le temps et le peu d’entretien car nombre de leurs propriétaires ont quitté la ville à la recherche de meilleures opportunités économiques, laissant les édifices au soin de leurs locataires. Une seconde vague de migration interne des plus faibles revenus vers les grandes villes, participent aussi à la consolidation d’un Valparaíso qui attire ses populations sur les cimes, les flans ou les ravins des cerros, qui continuent à être occupés malgré la rareté de connexion aux services d’assainissement, accès à l’eau potable ou à l’électricité. Les maisons sont édifiées en auto construction avec les matériaux disponibles sur les terrains avoisinants : bois pour la structure et murs en brique de terre (adobe) ou parpaing de béton, tôle ondulée et peinture colorée pour se différencier de son voisin.

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1959

Aire urbaine actuelle de ValparaĂ­so

Cerros de ValparaĂ­so, 1963 Film de Joris Ivens


Photos Sergio Larrain, 1963



1.6/ Dictature militaire et stigmates sur le territoire (1973 – 1990) Dates repères • 1982 Récession économique • 1985 Séisme • 1988 Référendum révocatoire, fin de la dictature militaire

17 DELANO Manuel, « Chile reconoce a más de 40.000 víctimas de la dictadura de Pinochet », in El Pais [en ligne], 20/08/2011, [consulté le 06/01/2016], disponible sur internet : <http:// elpais.com/diario/2011/08/20/

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A l’élection présidentielle de 1970, une coalition de partis de gauche soutient le candidat Salvador Allende qui est élu président. Il met en place un État socialiste, par des projets tels que la nationalisation des secteurs clés de l’économie et une réforme agraire. Il doit faire face à la polarisation politique internationale de la Guerre froide et à une crise économique profonde - l’inflation atteint 35% - En 1971, un nouveau tremblement de terre de magnitude 7.5 secoue la ville. Deux ans plus tard, l’opposition au pouvoir se soulève et les militaires aidés de la CIA prennent le pouvoir. Le général Pinochet instaure une dictature militaire qui durera jusqu’en 1990. Le « chef suprême de la nation » suspendra la Constitution, dissoudra le Parlement, instaurera la censure et réprimera violemment la société civile (le journal espagnol El Pais considère dans un article paru en 201117 que la dictature militaire chilienne a fait plus de 40 000 victimes, dont 3 000 reconnus officiellement comme morts ou portés disparus entre 1973 et 1990). Durant les dix-sept années de dictature, une série de réformes sont entamées dans le but de réduire l’intervention de l’Etat dans l’économie et établir une économie libérale : 400 grandes entreprises d’Etat qui constituaient environ 60 % de l’économie nationale sont privatisées (dans l’industrie minière, les télécommunications, les transports, l’agriculture, l’électricité, l’eau potable, égouts…) Cette série de mesures affectera beaucoup l’image urbaine de Valparaíso puisque chacun est libre de disposer de ses biens. En place de bâtiments anciens, mémoire branlante de l’histoire urbaine de la ville portuaire, des tours sont construites par des promoteurs immobiliers peu regardants sur le fait de conserver l’harmonie du paysage urbain en amphithéâtre, où toute construction précédant dans la pente du cerro sa voisine respecte tacitement un « droit à la vue ». En 1982, une nouvelle crise économique ébranle le pays, et en 1985, un nouveau tremblement de terre frappe Valparaíso. Les destructions et la hausse de la pauvreté poussent une partie de la population bourgeoise à quitter la ville pour s’installer à Viña del Mar,


qui accueille depuis plusieurs années déjà les porteños qui considèrent Valparaíso comme peu sûre. A partir de cette époque, de plus en plus d’édifices à usage résidentiel sont abandonnés par leurs propriétaires, et la ville entame une longue période de dévalorisation de ses quartiers historiques, el Almendral et le barrio puerto, vidé de ses marins. S’en suivent une série de rénovation et de modernisation importante des infrastructures portuaires pour accueillir principalement les porte containers au détriment des infrastructures du port marchant jusqu’à la fin des années 1990. La dictature de Pinochet aura contribué à augmenter le PIB national mais surtout à multiplier les inégalités. Les revenus des 10% de ménages chiliens les plus riches ont augmenté 28 fois plus vite que les 10% de ménages chiliens les plus pauvres. En 1987, 45,1% de la population chilienne vit sous le seuil de pauvreté.

Coup d’Etat à Santiago 1973 memoriachilena.cl

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1.7/ Retour à la démocratie et aux valeurs culturelles (1990 – 2003) Dates repères • 1990 Retour à la démocratie • 1993-2000 Démolition de plusieurs entrepôts douaniers du XIXe pour extension des terminaux portuaires • 1998 Gestion du port privée • 2002 Ouverture du premier terminal de croisière • 2003 Déclaration Patrimoine Mondial de l’UNESCO

Enquète CASEN de 1998 (Caractérisation SocioEconomique Nationale) 18

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Les années 1990 amorcent une nouvelle étape dans l’histoire du pays et de la ville de Valparaíso. Le retour à la démocratie est lent à imprégner la société mais reste synonyme de croissance et de diminution du taux de pauvreté. D’ailleurs le général Pinochet n’a pas tout à fait quitté la sphère politique car il reste Commandant en Chef des Forces Armées Chiliennes jusqu’en 1998. La société chilienne continue à voir ses grandes entreprises publiques privatisées malgré la fin de dictature militaire. Ainsi en 1997, les ports chiliens auparavant administrés par l’Etat deviennent des entreprises privées autonomes, afin d’augmenter la productivité et les investissements par le biais de concession privées qui administrent les différents terminaux. En 1998, 17% des habitants de Valparaíso sont sans-emploi, 21,3% se situent sous le seuil de pauvreté dont 6,7% sont sans-abris8. A partir de la fin des années 1990, l’Etat chilien, qui est responsable au regard de l’UNESCO, estime que Valparaíso a un rôle mondial à jouer, car la ville bénéficie d’un patrimoine culturel et naturel riche mais qui est malheureusement dégradé et très dévalorisé. En 1998, l’Etat postule une première fois au Patrimoine Mondial de l’UNESCO mais son inscription est évaluée négativement par l’organisation ICOMOS International car il propose le paysage de l’ensemble de la ville au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. En 2002, l’Etat postule à nouveau en restreignant sa candidature au barrio puerto et aux cerros Alegre et Concepción. L’année suivante, le « Quartier historique portuaire de la ville de Valparaíso » est déclaré Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Il constitue « un témoignage exceptionnel de la première phase de mondialisation à la fin du XIXe siècle » (critère iii). Dans le même laps de temps, la culture Hip Hop venuedes États-Unis influence les jeunes générations qui s’approprient les codes du « street art ». Les rues de Valparaíso sont couvertes de graffiti et de muraux aujourd’hui


« ¿Dónde están? » (où sonts-ils ?) memoriachilena.cl

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1.8/ Valparaíso, patrimoine mondial de l'Unesco (2003 - aujourd'hui) Dates repères • 2005-2006 Promenades Wheelright et Costanera sont réaménagées • 2008 Ouverture du tunnel de la Polvora pour désengorger le trafic camions-port • 2007 Explosion et incendie dans le barrio puerto • 2014 Grand incendie, 950 ha brulés, 2900 maisons endommagées • 2017 Grand incendie, 230 ha brulés, 250 maisons endommagées Gobierno De Chile Ministerio De Vivienda y Urbanismo Comisión De Estudios Habitacionales y Urbanos, PONTIFICIA Universidad Católica De Chile, Facultad De Arquitectura, Diseño y Estudios Urbanos Dirección De Extensión De Servicios Externos –Dese Observatorio De Ciudades Uc, Investigación para la caracterización y valorización de predios eriazos de Valparaíso y Santiago, Informe final y anexos versión final corregida, 01/08/2012 19

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La déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO permettra à la ville de recevoir des ressources de l’ONU pour rénover ses édifices patrimoniaux, or les bénéfices de cet apport financier sont aujourd’hui difficilement mesurables par manque de transparence du gouvernement municipal et de l’État. Aujourd’hui, environ 300 sites de la ville sont des sitios eriazos, c’est-à-dire parcelle en friche, dans la zone urbaine de la baie de Valparaíso, (sur les 3000 de l’aire métropolitaine du Grand Valparaíso)19. Or à partir de 2003, Valparaíso ressuscite l’intérêt de certains chiliens, notamment de Santiago, d’investisseurs ou d’étrangers, qui voient en la baie un trésor. Dès lors, le tourisme dans la ville croit, se concentrant surtout sur les quartiers du centre historique « accueillants », c’est-à-dire les cerros Alegre et Concepción, dont les bâtisses bourgeoises du XIXe ont pu être sauvegardées et reconverties durant la dernière décennie, le plus souvent, en hôtel, auberge de jeunesse ou restaurants La ville de Valparaíso jouit aujourd’hui d’une attractivité croissante en terme de tourisme mais sa mauvaise réputation de ville sale et dangereuse perdure dans certaines autres villes, ou quartiers. Ce sont réellement trois vies très sectorisées qui cohabitent à Valparaíso: la vie dans le plan, dans les premiers cerros, et les arriba, c’est-à-dire sur les hauteurs, que les transports publics ne desservent pas. Ce sont des colectivos, des taxis collectifs, qui montent et vous y déposent.


2014

Aire urbaine actuelle de Valparaíso Quartier historique déclaré Patrimoine Mondial de l’UNESCO Zone d’amortissement

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1.9/ Les défis de demain Dans la prochaine décennie, l’architecte Marcelo Ruiz annonce dans un article du Mercurio de Valparaíso (17 janvier 2016) que « personne ne sera à l’aise » à Valparaíso. Une étude établie que d’ici dix ans, l’aire métropolitaine du Grand Valparaíso devrait gagner 100 000 foyers. Or les restrictions géographiques et le manque de sol disponible qui caractérisent le territoire, impliqueront des problèmes de ségrégation urbaine et des déséquilibres environnementaux qui mettront à mal un développement durable de la ville. Quel sens donner au développement urbain de Valparaíso ? Comment le canaliser entre ses différents acteurs ? Quels outils et pratiques mettre en place ? Comment se saisir des potentialités de la ville pour en faire des forces ? Comment inverser la tendance à la crise?

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2/ Un cadre morphologique singulier « Sur les collines une autre ville existe. Pas une ville, une fédération de villages. Un par collines, 42 collines, 42 villages. Pas une autre ville… un autre monde »

Joris Ivens, 1963

Le paysage urbain si particulier de Valparaíso est conditionné par une topographie très forte : après une surface plane qui s’étend sur 50 m à 1,3 km de large, les collines rencontrent le plan en pentes abruptes semblables à des falaises. Sur les 2 prochains kilomètres, la ville s’étend en différents plateaux jusqu’à 500 m d’altitude. Il accueille deux tissus urbains différents : un tissu traditionnel dans le plan où se concentrent les commerces, services et entreprises ; et dans les cerros (collines) et quebradas (ravins) un tissu plus organique, adapté au relief, à la végétation, et à l’écoulement de l’eau dans les quebradas. 42 5 30 0

25

52

75

20 0 12 5


Valparaíson compte 42 cerros, qui comptent pour autant de quartiers dans la ville.

Les cerros regroupent 94% de la population mais n’hébergent que 15% des actitivités de la ville20.

Le tissu urbain du plan est formé d’ilots réguliers divisés en plusieurs parcelles sous la forme d’un plan en damier, héritage de l’urbanisme colonial espagnole. Dans les cerros, lorsque les quartiers sont le fruit d’une planification urbaine ordonnée comme à la fin du XIXe siècle, alors on retrouve ce plan en damier, altéré ponctuellement par la topographie.

Interface plan / cerros

Tissu urbain en damier

JACQUOT Sébastien, « La redistribution spatiale du pouvoir autour du patrimoine à Valparaíso » in La mondialisation coté Sud, (dir. de LOMBARD Jérôme, MESCLIER Evelyne et VELUT Sébastien), Objectifs Suds, IRD Editions, 2006 20

Tissu urbain organique


Lorsque les cerros sont peuplés spontanément, le tissu est organique car fruit d’occupations successives et non planifiées à partir d’une route de terre reliant le Sud au Nord. Les raccords aux réseaux de voirie existants, assainissement et électricité se font dans un second temps. Les habitations défient les dénivelés, accrochées à flan de cerros ou encaissées dans les ravins, se succédant dans la pente et à la cime des cerros, le long des routes de terre frayées dans la végétation. La logique qui prime est un « droit à la vue » que tous les habitants défendent. La variété de constructions observée n’est donc pas seulement due aux différents styles et matériaux employés, mais aux formes d’adaptation des constructions à la pente et d’orientation vers le paysage de la mer. Le plan est marqué par une mixité de styles architecturaux: républicain (qui accueille des éléments du langage architectural colonial), néoclassique, néobaroque, industriel, moderne, rationaliste et contemporain. Les cerros sont occupés par des maisons bourgeoises de style victorien dans la zone peuplée historiquement par les immigrés européens, puis par des maisons individuelles édifiées par des entreprises de construction, en auto construction par les habitants eux-mêmes ou à l’urgence avec des matériaux de récupération dont la tôle est un des parements les plus utilisés contre la salinité des vents marins. Certaines maisons s’appuient sur des murs de soutènement en pierre ou béton, d’autres sont perchées sur des pilotis en béton ancrés dans la pente.

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La ville jouit d’un réseau de voiries bien maillé dans la partie plane : plusieurs avenues structurantes qui unissent de manière longitudinale les pointes est et ouest de la baie sont ensuite recoupées orthogonalement par de petite rues axées davantage à un usage piéton. Pour relier la ville basse à la ville haute, il y a de longues rues, les subidas qui grimpent les collines pour desservir les cerros dans toute leur hauteur. A leur pied, des ascenseurs, répartis relativement équitablement, permettent de monter plus vite, sans emprunter les escaliers que l’on monte et descend inlassablement. Il y a les passages aussi, ruelles étroites qui permettent de relier les habitations aux grandes rues. Aux paliers, se forment des terrasses qui parfois contemplent la mer.


Cerro Carcel

Barrio Puerto

Subida Equador

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Les limites entre espace public et espaces privés sont diffuses dans la ville, parfois même complètement confondues à cause de l’étroitesse des voies de circulation. Dans le plan, les espaces publics sont des places, des boulevards. Dans les cerros, ils peuvent être promenades en balcon sur la mer, ou nés des interstices, des extensions du logement et des voies de communication. Chaque espace est exploité.

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3/ Comment se manifeste la crise aujourd’hui ? La ville de Valparaíso souffre d’une image double : romans, cartes postales, site internet de la municipalité ou blogs touristiques vous proposent une image pittoresque et fantasmée de la ville. Cette vision se concentre en réalité uniquement sur les quartiers du centre historique, en particulier les cerros Alegre et Concepcion qui font l’objet d’investissements importants de la part de privés pour reconvertir des habitations en offre touristique. Si cette image est réductrice, elle a cependant le mérite d’exacerber les qualités morphologiques de la ville. Ses dédales de rues et la multiplicité des points de vue sur l’océan crée des ambiances inédites, des situations surprenantes, des moments de vie singuliers et éphémères. Cependant Valparaíso ne peut se réduire à cette image d’Épinal. C’est toute une frange de la population qui ne se reconnait pas dans ce portrait enjolivé qui prédomine. Valparaíso c’est environ 200 000 personnes qui vivent dans les cerros et qui se sentent exclus de cette dynamique de développement centralisé, et dont on parle peu, sauf lorsque les incendies ou tremblements de terre font tomber les constructions précaires.

3.1/ Une crise de la planification urbaine et de la Gouvernance qui engendre une crise sociale et environnementale Les problèmes qui influent sur le développement des villes et les défis que cela génère sont le résultat de processus multidimensionnels d’ordre spatial, économique, social, politique, juridique, culturel et environnemental. Face à une réalité si complexe, la planification urbaine comme champs disciplinaire et professionnel, est une réponse capable d’influencer le développement des villes. 58


Planification urbaine : « Dans le cadre de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, la planification urbaine définie les objectifs à atteindre en termes de construction et d’urbanisme, et des moyens d’y parvenir. » Jean-Philippe Antoni, Lexique de la ville, 2009

En France, les politiques d’aménagement du territoire existent depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et ont permis de répondre aux situations de reconstruction, de crise du logement, ou pour accompagner l’urbanisation équilibrée des villes. Au Chili, la croissance urbaine exerce beaucoup de pression sur les aires urbaines consolidées, et les politiques publiques d’aménagement du territoire ont très vite été dépassées par les migrations massives des campagnes vers les métropoles (1930, 1950, 1985, 1990, 2000). En 2011, le MINVU (Ministère du logement et de l’urbanisme) rapporte que plus de 30 000 familles vivent dans des campements au Chili. 50% des camps ont plus de 20 ans d’existence et la région de Valparaíso est la seconde région à en compter le plus grand nombre. Environ 50% des campements occupent des terrains appartenant à l’Etat ou à la municipalité. 87% des camps ont accès illégalement à l’eau, 67% n’ont pas de situation électrique régularisée et 85% n’ont pas de solution sanitaire satisfaisante21.

Ministerio de Vivienda y Urbanismo, Mapa social de campamentos, N° Serie VII Política Habitacional y Planificación, N°339, Secretaría Ejecutiva de Campamentos 21

Campement (de l’espagnol «campamento»): occupation d’urgence de terrains par des populations aux revenus très faible qui ne trouvant pas de logement accessible s’installent temporairement. Forme d’occupation qui précède la toma de terreno. Toma de terreno (littéralement « prise de terrain ») : l’action d’occuper et d’habiter illégalement un terrain puis d’en revendiquer la propriété. A Valparaíso, les campements occupent d’abord la périphérie de la ville, en l’occurrence dans les hauteurs des cerros. L’Etat qui est débordé par la situation laisse les quartiers se consolider de manière autonome. Leurs occupants revendiquent alors la propriété des terrains ainsi que l’intervention des services publics pour urbaniser leurs quartiers, considérant qu’ils en ont acquis les droits. Au lieu d’accompagner les populations les plus démunies à trouver un

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22 FERNANDEZ Oriana et GALARCE Jonathan, «Incendio: 57% de las viviendas afectadas pertenecen a familias vulnerables», La Tercera, MAJ 07/04/2014, [consulté le 25/01/2017], disponible sur internet : http:// w w w. l a t e rc e r a . c o m / n o t i c i a / incendio-57-de-las-viviendasafectadas-pertenecen-a-familiasvulnerables/

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logement décent par des mesures types politiques de relocalisation en logement social, l’Etat chilien se retrouve à devoir réguler à posteriori les toma de terreno dans lesquels vivent environ 2000 familles 22. Le phénomène de croissance de la ville informelle est donc très important aujourd’hui à Valparaíso. Considérant que 94% de la population vit dans les cerros, c’est près de la moitié de la population qui vit dans des conditions sinon de pauvreté, de précarité sociale et environnementale.


« Avec le soleil, la misère n’a pas l’air d’être la misère. Son mensonge, c’est le soleil. Sa vérité, la mer. » Joris Ivens, « A Valparaíso » (film), 1963

Revenu moyen par foyer 5 700 € et plus 1 000 € 570 € 250 € et moins

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23 Par Plan on entend le recueil des lois et préceptes qui s’imposent réglementairement dans le domaine du code de l’urbanisme

L’Etat et les collectivités locales disposent pourtant d’outils de planification urbaine pour réguler l’occupation des sols et organiser une stratégie de développement pour le territoire. Seulement avec une population largement appauvrie, la municipalité ne perçoit pas suffisamment de prélèvements obligatoires (impôts divers) pour lui permettre d’avoir une comptabilité saine et excédentaire. C’est donc une municipalité appauvrie qui doit mettre en place des mesures de redistribution de richesse. Le Service de Planification Urbaine de la Municipalité de Valparaíso (Secpla) applique les plans23 suivant : • PRC Valparaíso : Plan Régulateur Communal (1984 et plusieurs avenants) • PLADECO : Plan de Développement Communal (2002 mais en cours d’actualisation) • PRDUV : Plan de Récupération et Développement Urbain de Valparaíso (2003) • PDGP : Plan Directeur de Gestion Patrimoniale (élaboré de 2007 à 2016) Les principaux problèmes de ces outils de gestion sont qu’ils ne disposent pas d’une dimension prospective, et que les municipalités ne les élaborent pas au sein de leurs équipes, mais en faisant appel à plusieurs cabinets de conseil (jusqu’à 10 dans le cas du PDGP et ce pendant 9 ans).

Professeur d’Affaires Publiques à l’Université du Chili (Santiago). D’après l’article p21 de la revue Planeo, #01, mars 2012, disponible sur internet : https:// issuu.com/revistaplaneo/docs/ planeo_1 24

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Pour Sergio Galilea Ocon24, cela s’explique par l’histoire politique libérale du Chili. Selon lui, cela fait depuis les années 1979 que le Chili exerce une « non politique » en matière de développement urbain. En effet l’Etat chilien en matière de définition de politiques et régulations de développement urbain, « est plutôt relégué à garantir la libre concurrence sur le ‘‘ marché du sol ’’ au lieu de prendre une position plus active et régulatrice ». A l’époque de la dictature, le domaine de la planification urbaine est radicalement amputé de ses pouvoirs de régulation les plus élémentaires car la junte militaire la souhaite flexible. L’idée se consolide selon laquelle le sol est un bien libre et soumis lui aussi aux lois du marché. « C’est un ‘‘laissez-faire’’ urbain qu’on a jamais vu dans aucun autre pays du


monde! » Par leur non-interventions, les instruments de planification favorisent le développement d’entreprises de construction privées, qui maintiennent et augmentent leur contribution au PIB national. « L’inégalité qui s’exprime par une ségrégation territoriale est le problème le plus grave de la société chilienne. (…) La lutte pour l’équité territoriale et la décentralisation des pouvoirs institutionnels et économiques sont des défis que le gouvernement doit affronter. » Sergio Galilea Ocon En 2001, des efforts sont entrepris pour améliorer les politiques urbaines du pays. Une Reforma Urbana aboutit à la refonte de la Politique Nationale de Développement Urbain restée en vigueur depuis 198525. Dorénavant chaque région et commune doit se doter d’un PLADECO, Plan de Développement Communal, instrument de planification local élaboré à l’aide de la participation des habitants, qui doit servir de guide pour orienter les politiques urbaines des municipalités. S’il est prospectif, il est n’est néanmoins pas coercitif. Il contient un diagnostic de la ville et des recommandations. Devant être actualisé au maximum tous les quatre ans, le PLADECO de Valparaíso de 2002 ne sera actualisé qu’en 2016. Ce document pose question quant à sa pertinence. En effet il sert de guide à la municipalité, mais s’il n’est pas actualisé plus régulièrement, est-il vraiment efficace ? Le PRC de Valparaíso quant à lui date de 1985. C’est un instrument normatif qui donne un ensemble de lois et normes urbaines pour réguler l’occupation des sols, les conditions de construction, de division parcellaire et viaire26. Ce document d’urbanisme qui va bientôt fêter ses 32 ans, même si chaque année y apporte ses modifications et ses nouveaux articles, il n’y a pas eu de refonte de ses concepts depuis longtemps. Ne montrant pas son efficacité sur le territoire à combattre les inégalités territoriales, ce document semble être devenu obsolète.

«Reforma Urbana: una ciudad justa para todos», article de Claudio Orrego dans le journal chilien El Mostrador. http://www.elmostrador.cl/ noticias/opinion/2013/06/06/ reforma-urbana-una-ciudad-justapara-todos/ 25

Traduction de la rubrique « Qu’est-ce qu’un Plan Régulateur Communal ? » sur le site internet du cabinet de conseil FOCO Consultores, qui s’est chargé de l’élaboration du PRC de Valparaíso. Crée en 2006, c’est une entreprise « dédiée à la gestion et la mise en œuvre de projets dans le domaine du développement social, architectural, patrimonial, développement local et gestion de quartier » 63 26


27 Site internet du SUBDERE : h t t p : / / w w w. s u b d e re . g ov. c l / programas/división-desarrolloregional/programa-derecuperación-y-desarrollo-urbanode-valpara%C3%ADso-pr

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A partir de la déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2003, la ville jouit d’un regain d’intérêt des sphères publiques et privées. En 2006 par exemple, le gouvernement chilien contracte un prêt auprès de la BID (Banque Interaméricaine de Développement) pour intervenir de manière intégrale sur le territoire urbain considéré comme zone patrimoniale de Valparaíso selon un plan, le PRDUV (Plan de Récupération et Développement Urbain de Valparaíso). Ce plan est un instrument du SUBDERE (Le Soussecrétariat de Développement Régional et Administratif ) dont la mission est « d’impulser et conduire des réformes institutionnelles en matière de décentralisation, pour permettre un transfert effectif du pouvoir politique, économique et administratif au gouvernement régionaux et aux municipalités27». Les ressources attribuées à Valparaíso par le PRDUV auraient dû permettre à ville de se rénover et d’apporter enfin à ses habitants une meilleure qualité de vie. Or il n’est attribué « qu’à » restaurer des bâtiments historiques (comme le Palazzio Barburizza en 2009 pour un montant d’environ 190 millions de pesos chilien, soit l’équivalent de 250 000 euros ). Pour la grande majorité des habitants de Valparaíso, la priorité de cette qualité de vie se trouve dans l’accès à la santé, l’éducation, les transports publics et les divertissements. Mais les politiques de la ville ne régulent pas suffisamment l’occupation des sols et n’ayant pas de stratégies durable pour la ville, Valparaíso ne réalise pas de grands projets urbains ni ne construit d’équipements publics pourtant si nécessaires d’un point de vue tant fonctionnel que social. Par ailleurs, dans le cadre de la privatisation de la société chilienne, les services municipaux tel que la collecte et le traitement des déchets, l’approvisionnement en électricité, gaz ou eau, sont entièrement délégué à des entreprises privées. L’Etat n’a de capital investi dans aucune de ces entreprises privées à but lucratif, agissant dans le domaine du bien public. On constate une véritable inégalité devant le traitement des déchets. Dans certains cerros, le ramassage d’ordures ménagères passe tous les jours. Dans d’autres, une fois par semaine. Et enfin dans les derniers, les routes ne sont même


pas accessibles aux camions. Après une crise sociale, c’est une crise environnementale. En 2014 a lieu un des incendies les plus dévastateurs de l’histoire de Valparaíso. 950 ha de forêt et de secteurs d’habitations seront dévorés par les flammes. 2 900 maisons touchées ou détruites et 12 000 personnes évacuées. Cette catastrophe aurait pu être évitée si les habitants ne jetaient pas leur déchets dans le ravin derrière chez eux, et que passaient les entreprises de ramassage d’ordures. En effet l’amoncèlement de déchets, la végétation asséchée et les couloirs entre deux maisons où s’engouffre le vent, les pneus au sol pour former des marches d’escaliers… ont contribué à alimenter les flammes. 11 000 tonnes de déchets et 11 000 tonnes de décombres seront évacués après l’incendie28.

Observatorio Valparaíso, Reconstruction du Grand Valparaíso, Rapport 1, Etat d’avancement de la reconstruction, décembre 2015 28

Photos Huella Digital, 2014

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3.2/ Une crise de la gestion du patrimoine culturel Se promener aujourd’hui dans les rues de Valparaíso, surtout dans l’Almendral ou le barrio puerto déclaré Patrimoine Mondial de l’Unesco en 2003, c’est être frappé par l’état d’abandon et de dégradation avancé des édifices et du cadre urbain : route, trottoir, éclairage public. Or nous savons que Valparaíso est un territoire sinistré. Tout d’abord un territoire sinistré par des incidents naturels ou des erreurs humaines : une explosion la plupart du temps due au système d’alimentation des habitations en gaz / un incendie / une secousse sismique qui a endommagé le bâtiment et l’a vidé de ses activités et ses habitants. Ensuite, des outils municipaux faibles pas suffisamment contraignants ou incitatifs n’ont pas permis de pousser le propriétaire à rénover son bien ou à l’aider à le rénover en prenant en charge une partie des coûts. Si la récupération des édifices à valeur patrimoniale peine autant à se généraliser, c’est dû à la fragilité et le cout de leur rénovation : Les bâtiments dont nous parlons ont en moyenne une centaine d’années. Leur structure est très fragilisée et le cout des travaux de restauration ou reconversion du bâtiment sera élevé. La structure bois et les planchers sont mangés par les termites, le remplissage des murs en terre d’adobe s’effrite, les tôles ondulées en acier s’oxydent ou se percent.

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Ce patrimoine bâti nombreux correspond aux bâtiments qui ont été abandonnés avec le temps par leur propriétaire et qui parfois n’en ont jamais retrouvés. Toujours debouts mais vacants ou squattés, la ville ne sait que faire d’eux d’autant plus qu’ils ne lui appartiennent pas, ne sont pas sur des parcelles publiques. Ou sont victimes de spéculation immobilière. Leur propriétaire attend le moment opportun pour le revendre. De plus, la notion de patrimoine en Amérique du Sud est une notion récente que tous les chiliens ne considèrent pas avec autant d’attention qu’en France.

Patrimoine (du latin patrimonium qui désigne l’héritage du père) : Au sens commun, le patrimoine regroupe tous les trésors du passé que l’on admire et qui inscrivent le présent dans une continuité historique. Dictionnaire de La ville et l’urbain, 2006

En France, on évoque pour la première fois l’expression « Monuments Historiques » dans les années 1830 pour qualifier les édifices « qu’il importe de conserver au patrimoine national pour les souvenirs qui s’y rattachent ou pour leur valeur artistique »29. La première loi pour la protection des Monuments Historiques est promulguée en 1887. Entre 1930 et 1970, la France vit l’aventure de la protection des abords aux Monuments Historiques (1943) jusqu’aux secteurs sauvegardés avec la Loi Malraux (1962)30. Parallèlement, les Nations Unies crée en 1945 donnent lieu à la création de l’institution

Définition Larousse Loi n° 62-903 du 4 août 1962, dite loi Malraux (du nom d’André Malraux, ministre de la Culture). Elle complète la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tend à faciliter la restauration immobilière 29 30

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de l’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la Science et la Culture) qui en 1972 s’engagent à protéger des sites et monuments dont la sauvegarde concerne l’humanité. La notion de Monuments Historiques ayant évolué à celle de Patrimoine, la direction des Monuments Historiques en 1978 change de nom et devient du Patrimoine. Cette évolution dans les notions correspond à ce que Pierre Nora explique dans l’introduction de l’ouvrage Science et conscience du patrimoine : « Le patrimoine est devenu l’un des maitresmots de la conscience historique contemporaine, passant de l’acceptation presque notariale qui était encore la sienne à la fin des années 60 et 70 à une définition beaucoup plus contraignante et envahissante: non plus le bien dont on hérite, mais le bien constitutif de la conscience collective d’un groupe: véritable retournement. » « A ce titre il est venu rejoindre dans la même constellation passionnelle les mots « mémoire », « identité », dont il est devenu presque synonyme, et qui ont eux aussi connu dans le même temps, en très peu d’années, le même renversement de sens ravageur. Aujourd’hui aux niveaux français et international (UNESCO), on parle des biens hérités du passé comme d’ordre culturel ou naturel. Dans les biens culturels, on distingue le patrimoine architectural du patrimoine urbain. Au XXeme siècle, conséquence directe du développement et de l’intérêt pour l’écologie, la nature est intégrée aux biens patrimoniaux Au Chili, il faut attendre 1925 pour la première loi sur les « Monuments Nationaux » qui considère alors le « patrimoine historique, arquéologique et monumental ». En 1970, sont incorporés à la loi sur les MN les zones, sites, localités, quartiers ou campements afin de préserver le patrimoine urbain et les aires rurales. La première déclaration au MN à Valparaíso s’effectue en 1971. D’autres déclarations s’en suivent.

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C’est donc tardivement, à partir de 1970, que le Chili intègre les outils de classification et gestion pour les monuments nationaux, c’est-à-dire le patrimoine culturel architectural. Malgré l’existence de cet outil de sauvegarde du patrimoine, les mentalités chiliennes peinent à s’approprier cette notion qui leur paraît venir tout droit de


la vieille Europe, ou d’une partie des intellectuels de la ville. Deux visions s’opposent alors à cette époque entre le désir de croissance urbaine et de modernité (voies rapides notamment), et les voix qui s’élèvent pour une préservation du paysage bâti présent. Encore une fois, les lois du marché l’emportent. Cas particulier sur la scène internationale, en 2003, le Chili ne compte pas de Ministère de la Culture, mais des services relatifs au sein d’autres ministères (Education, Secrétariat Général du Gouvernement). Cette même année, à partir de la fusion de ces services est créé le Conseil National de la Culture et des Arts, qui sera décentralisé à Valparaíso. Dans les mairies non plus il n’existe pas de service qui gère les questions de Culture. Le Patrimoine culturel (architectural ou urbain) quant à lui est dirigé par le Conseil des Monuments Nationaux, hébergé par la Direction des Bibliothèques, Archives et Musées, elle-même appartenant au Ministère de l’Éducation. C’est seulement après la déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO que le Chili se dote en 2003 d’un Ministère de la Culture. Dans les mois qui suivent, la municipalité de ville de Valparaíso crée la Direction de la Culture et du Patrimoine. C’est la première fois qu’est utilisé le terme « patrimonio » au sein des services publics. Mais cette nouvelle direction reste une exception puisqu’aujourd’hui Valparaíso est la seule ville chilienne à bénéficier de ce service. Au lendemain de la déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO du centre historique (barrio puerto et cerros Alegre et Concepción), les Nations Unies demandent à la municipalité de mettre en place rapidement un plan de gestion pour permettre la sauvegarde de la zone inscrite à la liste du patrimoine de l’Humanité. La toute nouvelle Direction de la Culture et du Patrimoine de Valparaíso doit alors s’atteler à la tache de rédiger un plan de gestion patrimonial pour le secteur inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. L’élaboration de ce plan aura pris neuf ans, de 2007 à 2016. Soumis au Conseil des Monuments Nationaux, il y a quelque

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mois, le Plan Directeur de Gestion Patrimoniale a finalement été rejeté. La lenteur d’élaboration du document et son rejet par le Conseil des Monuments Nationaux montre encore ici l’échec des outils de gestions municipaux. Suite à la déclaration, l’UNESCO envoie des ressources à l’état pour aider dans la gestion du patrimoine. Puis ces fonds sont utilisés pour restaurer en priorité les bâtiments emblématiques comme le palais Barburizza transformé en 2016 en musée des Beaux-Arts. Ces efforts ont permis une série de ravalements de façade (nettoyage, peinture). Mais les effets ont un impact faible dans un premier temps sur l’état de dégradation du patrimoine. En 2013, l’administration privée Puerto Valparaíso annonce son souhait d’étendre les terminaux portuaires. Sous consultation citoyenne préalable, elle en propose l’extension au cœur de la baie, en augmentant les charges de containers et en proposant la concession des espaces au niveau du Quai de Baron à une entreprise commerciale de la ville, qui souhaite y bâtir un Mall. En 2016, est remis un rapport d’Etude d’impact patrimonial commandé par l’UNESCO. Il dénonce notamment que « l’état de conservation patrimoniale de Valparaíso est calamiteux ».

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4

2 1

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Situation patrimoniale de la ville 1

Quartier historique déclaré Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO

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Zone d’amortissement à la zone déclarée UNESCO

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Aire historique de Valparaíso, inscrite au Monuments Nationaux du Chili

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Zone de conservation historique (ZCH), inscrite au Monuments Nationaux du Chili au Monuments

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TROIS ENSEIGNEMENTS DE Valparaíso : LES raisons de la régénérATion urbaine, LES RéPONSES À LA CRISE « Crise économique, crise sociale, crise de la démocratie, crise énergétique, crise de l’éducation, crise du logement… Nous sommes aujourd’hui entrés dans une situation de crise généralisée, globale. Et c’est peut-être notre meilleure chance ! » Extrait du texte « Des architectes ordinaires » du Collectif Etc dans l’ouvrage collectif AlterArchitectures, Manifesto, sous la direction de Thierry Paquot, Yvette Masson-Zanussi et Marco Stathopoulos (éditions Infolio, 2012)

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Si l’on considère la situation de précarité dans laquelle vivent la majeure partie des habitants, la vétusté des infrastructures urbaines, les risques environnementaux que continue à craindre la ville et l’impact quasi nul des politiques urbaines communales, la ville peut sembler se trouver dans une impasse. Seulement même si la ville a été sinistrée à plusieurs reprises notamment par des incendies et tremblements de terre fréquents, elle a toujours su trouver en elle les moyens de se relever, grâce avant tout au caractère tenace de ses habitants et à leur force d’adaptation. Aujourd’hui la ville qui s’offre à nos yeux curieux, est le fruit d’une histoire mouvementée mais surtout, de l’urbanisation propre à ses habitant, d’une culture poussée à l’extrême de l’appropriation du territoire. C’est cette culture de la « débrouille » et ses actions sur la ville, face à l’insuffisance des moyens mis en place par les pouvoirs publics, qui nous intéresse tout particulièrement. Qui sont les acteurs de la régénération urbaine de la ville ? Sur quels piliers culturels s’appuie celle-ci ? Quels sont ces actes du quotidien ou exceptionnels qui marquent la ville ? Quelles sont les revendications, les appropriations de l’espace public, les solutions locales mises en place par les habitants pour pallier le manque d’un cadre urbain satisfaisant ? Toutes ces solutions d’«acuponcture urbaine», la plupart du temps collaboratives, nous montrent que lorsque la crise est vue sous un angle bienveillant, il existe des forces locales créatives qui se mettent en place.

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L'implication politique et contestataire dans la fabrique de la ville La fabrique de la ville à Valparaíso est le fruit de mécanismes complexes où l’habitant à l’échelle locale joue un rôle clé.

Un rôle politique des habitants à l'échelle locale

31 Arnaud Figari, « Faire le quartier, faire l’histoire ». Inscription au patrimoine mondial et passé dictatorial à Valparaíso, Genèses 2013/03 (n° 92), p. 28-51. DOI 10.3917/gen.092.0028

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Dès les premiers campamentos, les habitants liés par une unité de territoire - le cerro -, ont formé des assemblées de voisinage permettant d’aborder leurs problèmes à l’échelle du quartier en communauté plutôt qu’individuellement, et de mener à bien des projets dans l’intérêt collectif (comme la construction d’un mur de soutènement ou la construction d’escaliers dans des lieux à usage partagé). En 1968, ces assemblées nées spontanément sont reconnues par l’Etat sous le nom de junta de vecinos en devenant des personnalités juridiques (personne morale). Pensées comme « un moyen d’accession et de participation des masses au politique à un niveau local »31 , ses assemblées permettent aux citoyens de la ville de Valparaíso d’être entendus par les autorités municipales et de l’Etat et de se positionner en acteur clé pour collaborer avec elles. Le rôle de la gestion communautaire dans les quartiers est reconnu par les institutions publiques. De 1973 à 1990, la dictature militaire très répressive censure la liberté d’expression et d’actions (presse, associations, manifestations…), les partis politiques et la propagande politique sont interdits. Le sentiment d’appartenance très fort des habitants des cerros persiste mais ne s’exprime plus ouvertement dans l’espace public, de crainte de représailles.


« Avant le coup d’État, la vie de quartier était une vie délicieuse, très belle. Parce qu’à Valparaíso, chaque quartier avait une place et chaque place avec un ciné, un théâtre. […] C’est sûr que durant les temps de la dictature, cela a été très difficile de communiquer parce que personne n’avait confiance en personne. Car le conflit du Chili s’incrusta dans les familles. À l’intérieur des familles, il y a en avait qui étaient de gauche, d’autres qui étaient de droite, donc [silence] Une grande douleur est restée et par conséquent les gens se sont dit : ‘‘Hum ! Distance’’ ! » Entretien d’un habitant du cerro Alegre réalisé par A.Figari, 2011 Depuis le retour à la démocratie et le retour aux libertés fondamentales d’expression, de réunion et d’association en 1990, les habitants reprennent part à la vie politique progressivement.

Sentiment d'appartenance et revendications La déclaration au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2003 marque un tournant décisif à Valparaíso dans la conscience qu’en ont les habitants et dans leur désir de voir leur ville retrouver son dynamisme. Des voix se lèvent contre les principaux maux de la ville : problèmes de salubrité (déchets, tout-à-l’égout), transports publics, sécurité (dans les rues et en terme de qualité de construction des bâtiments – antisismique, des matériaux mieux adaptés aux risques dus à leur localisation sur les cerros…), l’absence de consultation citoyenne dans les projets immobiliers réalisés -ou en voie de l’êtreet l’opacité sur les permis de construire, l’abandon du patrimoine culturel (bâti), le manque d’équipements publics équitablement répartis sur le territoire (santé, éducation, sport, espaces verts), ou encore le défaut d’installations publiques de base que sont l’eau, l’électricité. « Los porteños y porteñas deben luchar para salvar Valparaíso » Jorge Diaz

Les citoyens et le droit à la ville Différents mouvements sociaux se constituent progressivement à Valparaíso autour de la revendication d’un « droit à la ville ». Pour David Harvey, dont la théorie s’appuie sur celle de Henri Lefebvre (Le Droit à la Ville, 1968), le droit à la ville « ne se

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réduit pas à un droit d’accès individuel aux ressources incarnées par la ville : c’est un droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à nos désirs les plus fondamentaux. C’est aussi un droit plus collectif qu’individuel, puisque, pour changer la ville, il faut nécessairement exercer un pouvoir collectif sur les processus d’urbanisation. »

32 Mark Purcell, Le Droit à la ville et les mouvements urbains contemporains, Rue Descartes 2009/1 (n° 63), p. 40-50.
 DOI 10.3917/rdes.063.0040

idib « L’espace conçu désigne les constructions abstraites et techniques de l’espace, souvent associées aux entreprises et aux promoteurs. (…) Dans les conditions des relations sociales du capitalisme, l’espace conçu, avec sa réduction rationnelle et technique de l’espace à une matrice cartésienne, occupe une position dominante que Lefebvre veut ébranler. L’espace conçu facilite une «marchandisation» de l’espace, le réduisant à une entité mesurable, de telle sorte qu’il est plus efficacement évalué en tant que propriété. » 32

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Mark Purcell dans un article paru en 2009 nous permet de mieux comprendre les liens que tissent droit à la ville et mouvements sociaux32. De sa lecture de Henri Lefebvre, il retient que le droit à la ville « implique de réinventer radicalement les relations sociales du capitalisme et la structure spatiale de la ville » où la ville « n’est pas simplement un espace matériel, mais un sentiment intégral de l’espace urbain en tant que contexte physique, que relation sociale, et que vie quotidienne. » (…) « La résistance à l’urbanisme capitaliste, selon Lefebvre, exige une résistance spatiale pour défier l’hégémonie de l’espace conçu 33 et pour imaginer des moyens d’évaluer l’espace urbain davantage orienté vers ses usagers. » « Son droit à la ville ambitionne de promouvoir les intérêts «de la société tout entière, en premier lieu de ceux qui habitent. Selon Lefebvre, les résidents urbains habitent la ville, tandis que les professionnels la conceptualisent et la gèrent. Par opposition à la situation actuelle, où planificateurs, architectes, promoteurs et autres experts détiennent un pouvoir immense sur la production de l’espace urbain, Lefebvre imagine à l’inverse un rôle central des usagers de l’espace urbain pour déterminer son futur. » « Revendiquer un droit à la ville, c’est revendiquer un droit à habiter bien, à avoir un accès raisonnable à tout ce qui est nécessaire pour mener une vie urbaine décente. Pour ses usagers, la ville est un projet humain social, collectif, dont le succès se bâtit sur l’interaction, la coopération et les relations affectives. Pour le capital, en revanche, la ville est un site stratégique en vue de l’accumulation ; l’espace urbain est une marchandise qu’il faut posséder et gérer selon les lois de la propriété, qu’il s’agit de valoriser en tant que telle, ou d’utiliser comme plate-forme sur laquelle l’accumulation puisse avoir lieu. Le droit à la ville est donc la revendication opposée à l’idée capitaliste – et néolibérale – de l’espace urbain ; il lance un défi au néolibéralisme, sur la définition de ce à quoi sert la ville. »


Des organisations communautaires au service de la ville Les revendications des habitants aboutissent alors à des mouvements sociaux éphémères ou prennent la forme d’associations ou d’associations au service de la ville. Nous en relèverons deux dont l’action est significative. A minima sur l’image de la ville, à éveiller les consciences, et sinon organiser des actions dans l’espace public, apporter leur aide là où les services publics sont absents et enfin dans la mesure du possible influencer les politiques publiques. • Ciudadanos por Valparaíso (Association, 2001) Association citoyenne apolitique, catalyseur des organisations citoyennes, défenseur du patrimoine porteño. Ses membres se montrent critiques envers le système et les partis politiques, mais ils sont aussi pleinement conscients du rôle politique qu’ils jouent sur la scène urbaine : un contrepoids aux décisions abusives du pouvoir politique du gouvernement central, local ou des entreprises 32. Campagnes principales : campagne contre l’installation d’un supermarché dans le barrio puerto, pour les commerces traditionnels (« Lugares Valiosos » en 2001), contre les constructions en hauteur sur la côte (« Que nadie nos tape la vista » en 2002), contre l’installation du Mall Baron (2013). > http://ciudadanosporValparaíso.blogspot.fr

32 ROJAS ALCAYAGA Mauricio et BUSTOS URBINA Victoria, Valparaíso : el derecho al patrimonio, (traduction : « le droit au patrimoine »), Revue Antropologias del Sur, n°3, 2015

• Minga Valpo (Fondation, 2014) Au lendemain du grand incendie qui a détruit 900 ha en avril 2014, un groupe de jeunes architectes décident d’apporter leur aide aux populations dont l’habitation avait brulé, en participant à la reconstruction par des projets efficaces énergétiquement en utilisant des matériaux naturels ou recyclés, et une architecture respectueuse du contexte. Aujourd’hui, c’est une Fondation. > http://www.mingavalpo.cl 79


• Mar Para Valparaíso (Association, 2014) « Association citoyenne » dont le but est d’avoir une incidence sur les décisions qui impliquent la ville de Valparaíso : protéger son paysage urbain/océanique en le considérant comme la plus grande richesse de la ville et pour ses citoyens, veiller à la diversité économique, récupérer l’accès public au bord de mer et proposer des projets de qualité pour les personnes qui habitent en ce lieu. Ses principaux membres sont des architectes. > https://twitter.com/marpaValparaíso?lang=en • Valparaíso en colores : no solo de arte vive el hombre (ONG, 2015) Organisation non gouvernementale dont le projet est d’améliorer la ville par des actions concrètes et permanentes de « récupération d’espace public », en accord avec les voisins impactés : art urbain (peinture murale) + jardinage + nettoyage de la zone + ateliers de participation et d’explication + présentation des artistes invités. > http://www.Valparaísoencolores.com/es_ES/ • Crac Valparaíso (Association, 2007) Plateforme d’investigation critique et d’actions collectives qui travaille depuis Valparaíso en confrontant les thèmes de l’architecture, la sphère publique, la ville, le territoire, avec l’art, la sociologie et l’expérimentation. Cette structure compte surtout des intellectuels préoccupés par les problèmes de la ville (étudiants, professeurs, architectes, sociologues, psychologues...) > http://www.cracValparaíso.org

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• Pacto Urbano La Matriz (Association, 2014) « Mouvement citoyen » qui intègre divers acteurs sociaux, organisations et personnes dans le but de proposer, défendre, informer et participer activement au défis du développement de Valparaíso. Articles parus sur son site internet : « Nous avons le droit d’avoir une opinion sur les changements de notre ville », « Un Valparaíso construit par tous » …


On y trouve personnalités politiques et citoyens engagés. http://www.pactourbanolamatriz.cl • Valparaíso Inamible (Série web financé en 2015, produite en 2016) « Inamible » signifie ineffable. Ce sont onze chapitres (« Calamiteuse », « Non Patrimoniale », « La fournaise », « La dette », « Le naufrage », « Gentrifique-là moi » … ) qui dressent le portrait de la ville, à travers les interviews d’habitants, de membre de l’équipe municipale, du gouvernement, de professionnels impliqués dans l’histoire urbaine de Valparaíso. > http://www.Valparaísoinamible.cl • Accion Basura (Asociation, 2015) « Mouvement citoyen » dédié à agir positivement sur le problème complexe de l’accumulation de déchets dans les espaces publics de Valparaíso. On y trouve essentiellement des étudiants. > https://www.facebook.com/accionbasura/

Des actions ponctuelles et/ou emblématiques Campagne organisée par Ciudadanos por Valparaíso, contre l’expansion portuaire de l’entreprise privée Puerto Valparaíso, sans concertation des citoyens préalable (2013).

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« NON au Mall OUI au Patrimoine NON au Mall dans des anciens entrepôts portuaires OUI à protéger le paysage urbain Valparaíso Patrimoine de l’Humanité » > noalmallbaron.cl

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Atelier CRAC en 2010 de cartographie collective pour réaliser un «Atlas Citoyen de la Valparaíso». Le projet invite à participer en remplissant la carte à partir de ses connaissances et sensations locales, individuelles ou collectives. But: activer les différents récits de la ville, générer débat et changement dans l’environnement urbain. Les participants font apparaître les enclaves du territoire comme le bord de mer inaccessible au piéton à cause des activités portuaires ou la sensation partagée d’abandon de nombreux secteurs.

« Mémoire territoriale de l’individu. Où sommes-nous ? »

« Résister la fragmentation : Connexion Abandon Résistence Comment vit-on dans et en dehors du périmètre? > https://Valparaísoaulapermanente.wordpress.com/propuestas/atlas-ciudadano-de-Valparaíso/

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En 2014, un second atelier est organisé pour créer une carte collective qui puisse aborder les inégalités territoriales et dysfonctionnements de la commune. Le titre signifie «C’est moi qui t’ai invité à venir vivre ici?’, réponse de l’ancien maire à un père de famille sinistrée par le grand incendie du mois d’avril de cette même année. La carte invite, malgré le portrait sombre qu’elle dresse de la ville de Valparaíso, à noter «la présence d’espaces culturels et communautaires, d’étudiants et professeurs, de travailleurs et militants, qui, ensemble en une communauté solidaire et alerte, se réunissent pour penser et activer des actions de transformations de la ville, par l’autogestion ou le travail en réseau.» Cette carte a été placardée dans le centre ville pour donner à connaître le travail de l’association et inciter les habitants à réagir encore. Parallèlement, les associations Pacto Urbano La Matriz ou Mar para Valparaíso par exemple, organisent des campagnes d’information pour inciter les habitants à connaître l’histoire de leur ville et à prendre position sur les débats concernant le développement urbain de la ville. Notamment celui très vivace concernant le cœur de la baie fermé à l’accès public depuis la privatisation des entreprises portuaires au milieu des années 1985. Outre l’implication politique, ce qui est intéressant ici est le front dit citoyen, qui se constitue progressivement de la société civile contre la politique libérale de la municipalité et les secteurs privés ayant un impact territorial sur la ville. Site internet Pacto Urbano La Matriz > http://www.pactourbanolamatriz.cl/portfolio-items/preguntas-al-intendente/

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La réappropriation de l’espace public par les habitants « Valparaíso a une logique assez singulière en relation à l’occupation et à la manière dont graduellement les espaces sont occupés et deviennent légitimes au fur et à mesure, car ils vivent peu à peu. » Série Web « La Zancadilla », Valparaíso Inamible, 20:57, interview de Vanessa Vásquez, ex présidente de l’association Ciudadanos por Valparaíso

33 VESCHAMBRE Vincent, « Le recyclage urbain, entre démolition et patrimonialisation : enjeux d’appropriation symbolique de l’espace », Norois [En ligne], 195 | 2005/2, mis en ligne le 08 août 2008, consulté le 30 septembre 2016 34 LAMARCHE-VADEL Gaetane, Politiques de l’appropriation, L’Harmattan, Paris, 2014

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Henri Lefebvre dans La Production de l’espace (1974) considère que « l’appropriation de l’espace » est le socle de la notion du « droit à la ville ». L’appropriation d’un espace consiste en l’action de rendre propre ou sien, un espace limité. Il peut être envisagé selon trois angles : juridique (acquisition de titre de propriété), économique (valeur économique et ses évolutions) ou symbolique (« légitimation des acteurs sociaux en présence et des revendications de visibilité qu’ils portent dans cet espace, mise en scène des pouvoirs 33.») Dans l’ouvrage Politiques de l’appropriation de Gaëtane Lamarche-Vadel 34, l’auteur montre que (selon Christian Ruby ) Henri Lefebvre « trouve du côté de l’art un moteur sinon un modèle de changement. L’art serait donc la forme la plus accomplie de l’appropriation. » (…) « Comme praxis urbaine, l’appropriation consiste en une reconquête du pouvoir et de l’intelligence collective sur la création urbaine contre la privatisation et la normativité des rouages de production et de contrôle. » Il s’agit de comprendre que dans le cas de Valparaíso, l’espace public représente un enjeu majeur d’appropriation par les différents groupes sociaux. D’une part dans la relation de l’habitant à sa pratique de l’espace public libérée depuis la fin de la dictature, d’autre part dans la revendication de droits sociaux, et enfin du point de vue du


droit à la ville, du droit à « faire la ville » et à agir sur elle. Tout d’abord, l’usager de la ville de Valparaíso arpente l’environnement urbain. On monte, on descend. On se perd, on fait une pause, on discute. On s’assoit, on attend quelqu’un, on regarde. On contemple. Le fait de passer fréquemment au même endroit, de l’occuper temporairement par le simple fait de s’y arrêter ou d’y donner rendez-vous ainsi que de le voir tous les jours depuis sa fenêtre, sont des manières symboliques de s’approprier l’espace en question. Ensuite, il y a le fait de se réapproprier l’espace public en faisant de la rue le lieu de l’expression de sa citoyenneté, de son droit à se réunir, à donner de la voix quant aux évolutions pour la ville de Valparaíso. C’est le lieu de la Feria (petit marché), de la manifestation. Enfin, et ce qui nous intéresse particulièrement dans le cas de Valparaíso et ce qui en fait sa spécificité, c’est l’appropriation de l’espace public (ou privé abandonné) par certains habitants pour y réaliser des actions concrètes qui en modifient l’aspect.

Une pratique de l'espace public « Que c’est bon cette rencontre sur la voie publique, en prenant l’espace public!» Jeune architecte à la Feria Alegre, juillet 2010 Au Chili, la rue et l’espace public sont des lieux favorables à l’expression de la citoyenneté. Par exemple le commerce ambulant ou les ferias (petit marchés) sont présents dans toute ville, et les échoppent des marchants n’hésitent pas à déborder sur le trottoir.

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Pour se donner rendez-vous avec quelqu’un, on choisit souvent une place ou un croisement de rues approprié. Les gens aiment à se réunir dehors et dès les premières chaleurs, les dédales des rues et passages fourmillent aux points de croisements.

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Espaces Publics Ă ValparaĂ­so Places et parcs publics, promenades Escaliers et passages Miradores (point de vue sur la mer le long des rues)

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Espace public Espace privĂŠ

Espace semi-public

Espace rĂŠsiduel

Escaliers Poniente Dessins bruts T. Batzenschlager, M. Combette, C. Pybaro Mise en couleur personnelle

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Les espaces publics dégradés Quelques images pour comprendre dans quel état se trouvent les aménagements urbains et infrastructures de Valparaíso, et la nécessité de rénover.

Les acteurs impliqués

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Les acteurs impliqués dans cette dynamique de réappropriation de l’espace sont privés. Les acteurs les plus investis sont les habitants qui vivent dans les quartiers visés par le phénomène de patrimonialisation de la ville. L’étude effectuée par Sébastien Jacquot en 2001 sur la population des cerros Alegre et Concepcion (cœur du quartier historique déclaré patrimoine mondial de l’UNESCO) nous aide à définir différents profils : les « habitants historiques » qui vivent à Valparaíso depuis plus d’une vingtaine d’années, et les « nouveaux habitants » qui se sont installés à Valparaíso à partir des années 1990. Les premiers sont souvent des retraités et leurs enfants (quadras) qui n’ont pas quitté la ville au moment de la dictature et ont vécu de l’intérieur les changements de leur quartier. Les seconds sont de plus jeunes générations venues à Valparaíso pour y étudier ou attirées par le


marché touristique en plein essor. Ces derniers sont des professionnels type architectes, ingénieurs, artistes, musiciens, entrepreneurs, qui jouissent de statuts économiques qui en font parfois malgré eux les pionniers du mouvement de gentrification touchant les quartiers historiques35. Les « nouveaux habitants » de Valparaíso sont souvent les plus investis dans les activités ayant pour but d’améliorer la ville, car ils sont plus sensibles aux thèmes patrimoniaux, du fait de leur arrivée autour ou après la déclaration au patrimoine mondial de l’UNESCO de 2003. Un autre critère est le groupe socio-économique d’origine des habitants et leur niveau de formation. Au regard des notions de capital développées par le sociologue français Pierre Bourdieu dans les années 1970 , pour les personnes propriétaires de leur logement, le niveau de « capital économique » fixe leur possibilité de valorisation de leur maison. Pour les locataires, la capacité à rester dans le quartier en cas de hausse des loyers. Ensuite le « capital culturel » influe sur le regard patrimonial des habitants. Enfin les acteurs sont chiliens, souvent de la province de Valparaíso ou de Santiago la capitale, ou des étrangers (beaucoup de français, des allemands, italiens, américains, hollandais surtout) installés à Valparaíso récemment. Ces différents acteurs s’impliquent alors dans leur quartier, par le biais de la junta de vecinos, d’associations, les universités, ou en autogestion.

35 Arnaud Figari, « Faire le quartier, faire l’histoire ». Inscription au patrimoine mondial et passé dictatorial à Valparaíso, Genèses 2013/03 (n° 92), p. 28-51. DOI 10.3917/gen.092.0028

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L'appropriation de l'espace par l'action concrète qui en modifie l'aspect « La forme privilégiée d’affirmation d’un pouvoir sur un espace, c’est l’acte urbanistique et architectural.» Vincent Veschambre • Sur les déchets: l’Association Accion Basura intervient ponctuellement en nettoyant des lieux de grande affluence particulièrement sales. Ils souhaitent donner l’exemple et impulser une prise de conscience de la part de tous les habitants. • Dans le but d’améliorer le cadre de vie des voisins: En novembre avait lieu la MINGA de las Puertas Lucidas, c’està-dire une activité collaborative avec un but commun, celui de repeindre l’intégralité des portes d’entrée des maisons d’une ruelle, qui a souffert de vandalisme (tags, saleté...) • Poursuivant un but similaire que la MINGA, l’ONG Valparaíso en Colores organise des événements autour de la réalisation des graffitis. Les événements sont le moyen durant toute la durée de la peinture, de s’entretenir avec les voisins et de définir avec eux le dessin final. Les endroits sont choisis stratégiquement pour leur impact à la fois sur le cadre urbain et social immédiat, et la visibilité dans/depuis la ville. Ce projet se dit «intégral» puisque propose non seulement de l’art sous une forme gratuite, mais il agit aussi en jardinant les abords et entretenant les lieux. Encore une fois, pour impulser, donner l’exemple. • Pour embellir une place en béton vieillissante, un groupe de voisins et d’habitants ont procédé à la couverture de la place en mozaique. Ce n’est pas la première fois qu’est employé ce procédé que le retrouve à divers endroits de la ville : des portes, des meubles, des colonnes... 94


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• Redonner vie aux sitios eriazos. Certaines actions vont plus loin, en occupant des parcelles laissées en friche par leur propriétaire. Avec l’accord (ou non) de ceux-ci, ces sites sont occupés souvent par des collectifs dont le modèle de développement est celui de l’auto-gestion. Sitio eriazo, l’exemple ci contre, est depuis 2015 un Centre Culturel. Les membres ont obtenu du propriétaire un prêt à usage de 5 ans. Le contrat est souvent le même à chaque fois pour les sitios eriazos: les locataires bénéficient du lieu de manière gratuite après en avoir fait le nettoyage. Le Collectif de Sitio Eriazo propose une programmation libre entre spectacles, concerts, repas, activités artistiques, qui leur permettent de financer leurs activités. La structure en bois permettant d’accueillir du public a été bâtie par un workshop d’étudiants de l’école d’architecture d’Oslo, avec l’aide des membres du Collectif. L’intérêt de faire basculer un terrain de vide à occupé dans le tissu urbain de Valparaíso est très bénéfique pour son voisinage. Il permet de rétablir le réseau de relations de voisinages, accroître le sentiment de sécurité aux abords de l’ancienne ruine, et redynamiser dans une petite mesure les activités économiques proches. • L’occupation artistique temporaire comme moyen de prendre le temps, le temps de la ruine. Changer de regard sur le patrimoine culturel de Valparaíso. • Le jardinage, vecteur lien entre les voisins et d’amélioration du cadre de vie.

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Ailleurs dans le monde... The Rebuilt Fondation, fondée à Chicago aux États-Unis par Theater Gates un artiste américain, est une fondation qui entreprend de reconstruire les bases culturelles de quartiers sous investis, à l’aide des habitants du quartier, en revitalisant, par la pratique artistique et architecturale, des lieux désertés.

A Christchurch en Nouvelle Zélande, un tremblement de terre en 2011 a laissé la moitié du centre ville sous les décombres. Depuis cette catastrophe naturelle traumatique, la ville est en processus de reconstruction. Mais la vie a quitté une partie importante de son centre ville qui fut vidé de ces habitants. Quartiers fantômes dans une ville en transition. Une des initiatives privées notable à Christchurch, est l’action du collectif néozélandais Gap Filler qui propose de retourner sur les lieux vides et sinistrés en proposant des activités artistiques. Le tremblement de terre et les pertes considérables du centre ville forcent les citoyens à voir ce qu’ils ont vraiment perdu, et les opportunités qui s’offrent à eux dorénavant. En effet les gens sont nombreux à percevoir la valeur de recommencer à zéro. Un élan est en marche, pour essayer de nouvelles choses, même si ce ne sont que des actions éphémères, car cela remet en question comment étaient les choses auparavant. Certains disent même que Christchurch est l’endroit le plus excitant en Nouvelle Zélande maintenant !

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Le rôle de la culture et du patrimoine dans le développement urbain

« On assiste ainsi à une appropriation patrimoniale et symbolique de la ville, qui, à défaut de droit de propriété sur elle, autorise l’exercice d’un droit de regard sur la qualité de ses paysages, indissociable de la quête d’un agrément d’usage de son espace public » Thierry Paquot « L’usager de la ville », La ville et l’urbain, l’état des savoirs, La Découverte, Paris, 2000 Le troisième enseignement est un changement d’approche par la ville de Valparaíso de son patrimoine culturel. Longtemps ignorée, la reconnaissance de la valeur du patrimoine dans la ville semble être la solution vers un développement urbain soutenable. Il n’est plus souhaitable de résumer et cantonner la ville à son passé prestigieux de premier port commercial mondial du XIXe siècle. Il est plutôt nécessaire de considérer la totalité des éléments qui la composent pour en sublimer les qualités et permettre ainsi une régénération du territoire plus globale. A la recherche d’un point de convergence pour rallier les différentes facettes de Valparaíso à la fois ville-port, ville universitaire, ville touristique, ville artistique (capitale culturelle du Chili) et ville patrimoniale, le fait de considérer le patrimoine non seulement comme les biens hérités du passé d’ordre culturel (patrimoine architectural et patrimoine urbain) et naturel (la nature), mais aussi comme une série d’objets aux usages spécifiques et porteurs de sens, allant même vers un projet politique et social de transmission de valeurs, permet d’envisager la question patrimoniale plus largement, et de s’en saisir pour régénérer la ville sur elle-même, dans le respect de son identité .

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La notion de patrimoine porteño Le patrimoine porteño peut être appréhendé de deux manières différentes, que l’analyse nous permet de comprendre, mais qui dans le discours, sont mêlées. Dans un premier cas, le regard que porte les porteños sur leur patrimoine, en espagnol patrimonio, est une vision quasiment détachée de l’histoire de la ville, mettant en avant les qualités substantielles de Valparaíso : paysages particuliers liés au site en amphithéâtre, maisons d’un ou deux étages de différentes couleurs qui s’égrènent sur les pentes des cerros donnant à la fois une richesse visuelle et une certaine harmonie. Cette vision patrimoniale ne s’attache pas seulement aux espaces historiques, mais au contraire considère la ville comme un tout indivisible, dont la valeur patrimoniale peut être partagée par tous les habitants.

36 JACQUOT Sébastien, « Valparaíso, valeurs patrimoniales et jeux des acteurs » in GRAVARI-BARBAS Maria, Habiter le patrimoine: Enjeux, approches, vécu, Collection Géographie sociale, Presses universitaires de Rennes, 2005

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Dans un second cas, le patrimoine est défini par sa valeur historique. Par le fait de témoigner de l’intégration de la ville de Valparaíso au système économique mondial du XXe, qui passe par une architecture et un urbanisme d’influence européenne adaptés à la morphologie de la ville. Or ces valeurs historiques ne concernent qu’une partie de la ville, le barrio puerto et les cerros Alegre et Concepción, et ses lieux se voient conférer une plus-value patrimoniale importante. Un processus de gentrification menace les populations les moins aisés de ces quartiers qui attirent chaque année davantage de tourisme et d’investissements chiliens ou étrangers. Sébastien Jacquot parle de « valeur patrimoniale historique » (c’est-à-dire espaces définis et délimités, historicité de la ville, discours historique) et de « valeur patrimoniale typique » (c’est-à-dire l’ensemble de la ville, immuabilité de la ville, discours essentialiste) 35. Cette première approche du patrimoine à Valparaíso correspond à l’évolution que repère Pierre Nora en 1994 : le patrimoine est devenu « l’un des maitres-mots de la conscience historique contemporaine, passant de l’acceptation presque notariale qui était encore la sienne à la fin des années 60 et 70 à une définition


beaucoup plus contraignante et envahissante: non plus le bien dont on hérite, mais le bien constitutif de la conscience collective d’un groupe: véritable retournement. » (…) « A ce titre il est venu rejoindre dans la même constellation passionnelle les mots « mémoire », « identité », dont il est devenu presque synonyme, et qui ont eux aussi connu dans le même temps, en très peu d’années, le même renversement de sens ravageur. » Si pour Pierre Nora l’évolution de la notion est considérée comme problématique, à Valparaíso il fait sens car le sentiment d’appartenance des habitants à leur ville, à leur cerros est très fort.

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35 65

82

1.

2.

PIENSA Région de Valparaíso, Qualité de vie dans la région de Valparaíso, Enquète octobre 2016 1. Sentiment d’appartenance à sa ville (Valparaíso) 2. Sentiment d’appartenance à son pays (Chilie)

La notion de patrimoine au cœur des revendications L’association Ciudadanos Por Valparaíso dont nous avons parlé précédemment, est une des associations dont le discours est le plus basé sur des questions patrimoniales. En effet le groupe dépose des plaintes et milite pour protester contre les transformations faites sur des maisons ou contre des permis de construire contraires selon elle au droit patrimonial « essentiel », à valeur patrimoniale typique. Pour Sébastien Jacquot, le discours patrimonial de l’association exalte certaines « valeurs sociales » de la ville de Valparaíso, comme les bonnes relations de voisinage. Si le principe de quinta fachada, la cinquième façade c’est-à-dire le toit, est violé par l’élévation en hauteur d’un bâtiment privant son voisin de la vue à la mer dont il disposait, alors c’est l’harmonie paysagère complète qui est rompue. Au début lorsque l’Etat chilien a commencé à préparer sa candidature pour déclarer la ville Patrimoine Mondial de l’Humanité auprès de l’UNESCO, l’association Ciudadanos Por Valparaíso y était

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contre. En effet au-delà des préoccupations purement techniques du respect des formes urbaines, les préoccupations de l’association sont avant tout sociales. A l’époque elle craignait que la déclaration de l’UNESCO ne précipite les quartiers de la ville classés vers une dépossession des habitants de la ville au profits d’investisseurs, habitants « étrangers ». « Le discours patrimonial est basé sur l’idée d’une essence de la ville par la médiation des habitants. »

L'essor d'un urbanisme patrimonial ? L’autre intérêt de la déclaration au Patrimoine Mondial de l'UNESCO est la naissance au Chili d’un embryon de conscience aux niveaux des services publics, de la nécessité de proposer des politiques publiques dans le but de sauvegarder, restaurer et promouvoir le Patrimoine et la Culture. Si le Plan Directeur de Gestion Patrimoniale a été un échec, il laisse présager à terme une gestion dans le but de préserver le patrimoine.

Le patrimoine comme solution de développement

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Si les pouvoirs publics n’ont pas encore su se saisir de la question patrimoniale pour créer les outils efficaces à sa bonne gestion, vers la fin des années 1990 le patrimoine commence à être vu comme une ressource permettant à la ville de redynamiser son économie. Si l’on définit le patrimoine comme axe de redéveloppement économique avec la culture et le tourisme, pour faire face à la crise de la ville. Pour Sébastien Jacquot, la volonté de reconversion par l’économie des loisirs est une tendance mondiale des villes en crises notamment des villes portuaires, qui traduit un processus d’homogénéisation des stratégies face à des problèmes similaires. Où Valparaíso doit se différencier au niveau international des autres villes en crise en développant son image propre et bien spécifique.


Art urbain et patrimoine Parallèlement aux questions de sauvegarde du patrimoine et de développement économique de la ville, Valparaíso est une des scènes privilégiées du street art chilien. Lors de mon séjour à Valparaíso début 2016 j’ai pu m’entretenir avec de nombreuses personnes évoluant dans des domaines artistiques, qui m’ont raconté son émergence. Avant l’arrivée du graffiti au Chili, les murs sont d’abord utilisés comme supports de message politiques lors des élections présidentielles de 1964, où deux groupes de partis politiques opposés y peignent des logos et messages de propagande politique. Durant la dictature, cette pratique fut censurée. Au milieu des années 1980, le mouvement hip hop (graffiti, breakdance, DJ) commence à apparaître au Chili, au travers de deux films qui marquèrent une partie de la génération adolescente de l’époque : Beat Street et Breaking de Stan Lathan. Au milieu des années 1990, les premiers graffitis apparaissent à Santiago puis Viña del Mar. Or le graff n’est pas toléré par les autorités de ces villes. Valparaíso, qui est vécue comme un espace de plus grande liberté que les autres villes du Chili, et vue la disponibilité de nombreux murs vierges ou abimés, attire, et devient progressivement une des villes les plus « habitées » par les graffiti. Depuis une dizaine d’années, le graffiti s’installe de manière quasi professionnelle et à l’échelle non seulement locale mais urbaine, comme un acte critique d’intervention sur la ville, qui implique les artistes et quiconque transite par ces lieux. Les abords du graffiti deviennent alors une scène où converge l’art, la société, l’architecture et la ville. A Valparaíso, les maisons cohabitent avec les graffitis que la couleur des murs rehausse, faisant de la ville portuaire un grand « musée à ciel ouvert ». Le graffiti joue à la fois avec l’architecture, les textures, les formes, recoins et couleurs, établissant un dialogue avec la ville, sa géographie, ses hauteurs et ses rues. Le graffiti connecte le plan au cerro en interpelant celui qui regarde vers la mer, et entre les

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passages et les rues ceux qui vivent là. Cette technique artistique et urbaine de cette manière démontre qu’elle peut être une des formes d’intervention sur la ville, avec un esprit critique qui a permis de redonner vie à des lieux abandonnés ou détériorés à travers de l’art urbain. Au-delà de l’apport esthétique du graffiti au voisinage, le graffiti à Valparaíso est souvent un moyen de cultiver les gens, en abordant des thèmes importants. Par exemple l’ONG Valparaíso en Colores depuis un an organise des évènements autour de la réalisation de grands muraux à Valparaíso. Les lieux choisis par l’équipe de l’ONG sont emblématiques : placés en haut des cerros de manière à être visibles d’un maximum de personnes, sur une place, ou visible en contre bas depuis le flan des cerros par exemple. Ce sont des fresques parfois gigantesques dont le thème est (presque) toujours une allégorie ou une illustration fidèle à des éléments de l’histoire de la ville ou de son patrimoine culturel. Par ailleurs, le choix des idées représentées par les graffeurs se fait avec les habitants du voisinage qui vont cohabiter les prochaines années autour et avec le graffiti. Les habitants les plus touchés par les mutations de la ville ces dernières décennies se disent touchés de la qualité de ces graffitis qui raniment des souvenirs importants, aujourd’hui invisibles mais présents dans les esprits et qui surtout permettent de donner plus de valeur à leur quartier. De plus, les projets de graffiti se font dès que cela est possible dans le cadre d’une intervention globale sur la zone choisie. Le mur et les abords sont d’abord nettoyés, et lorsque cela est possible, de la végétation est plantée.

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CONCLUSION C’est un portrait de la ville de Valparaíso aujourd’hui que j’ai souhaité développer dans mon mémoire. L’ambition portée est de donner à voir comment, malgré un contexte de crise profonde et complexe, lorsque les forces locales s’agrègent et convergent vers un même but, en l’occurrence le « droit à la ville » et la sauvegarde du patrimoine, une ville peut amorcer une prise de conscience généralisée et se régénérer. L’aventure de Valparaíso ne s’arrête pas là, la ville est en pleine transition. Auparavant cantonnée à une prise de conscience monopolisée par la « classe créative » (Florida, 2014) il semble que ce sentiment soit en train de croître progressivement dans la population, en particulier dans les jeunes générations. Cette tendance est confirmée par l’élection en octobre 2016 du premier Maire n’appartenant à aucun parti politique traditionnel, mais à la tête d’un « mouvement citoyen », dont les « premières primaires citoyennes » ont été tenues quelques mois plus tôt, pour pouvoir soumettre au suffrage universel direct un candidat « aux mains propres » émanant directement des citoyens. La victoire de Jorge Sharp est vécue comme un tournant décisif pour l’histoire politique de Valparaíso, et plus largement du pays. 108



Pour l’heure, la nouvelle équipe municipale est en train de récupérer les dossiers tenus pendant huit ans par le même gouvernement. Il s’agira de voir avec le temps quelles mesures seront pragmatiquement mises en place. La transparence nécessaire aux actions de la municipalité et la sollicitation accrue de la population dans la prise de décisions politiques, portent à croire que la ville s’est engagée sur de « bons rails ». Cela doit être considéré comme un bon exemple d’appropriation de ses espaces publics par des citoyens engagés, et son impact positif sur la politique de la ville. En attendant que de grands projets urbains soient entrepris, les habitants continueront à agir pour leur ville et participer au débat sur l’évolution des outils et techniques mis en place par les acteurs publics dans le cadre des politiques urbaines. Ces réflexions m’ont amenée à considérer le rôle de l’architecte, non pas seulement comme un lanceur d’alerte, mais aussi comme un vecteur de communication et de sensibilisation de la population. Nombre de projets d’architectes ont déjà vu le jour dans le quartier inscrit au patrimoine de l’Unesco. J’ai eu la chance de pouvoir travailler sur une de ces rénovations engagées sur des demeures privées. Valparaíso et sa régénération est un exemple pour de nombreux pays, confrontés aux mêmes problèmes structurels et politiques. La restructuration des espaces portuaires en déserrance reste un sujet de grande actualité à travers le monde. Le recours à la couleur sur les façades fait l’objet de nombreux voyages d’études et impacte déjà des projets multiples dans le monde entier. J’espère avoir pu dresser un portrait réaliste de la ville et ses problématiques en m’attachant à cerner les solutions dues aux initiatives citoyennes.

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Bibliographie Définitions générales ANTONI Jean-Philippe, Lexique de la Ville, Ellipses, Paris, 2009 Dictionnaire général, Paris, Larousse, 2015 MERLIN Pierre, CHOAY Francoise, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, Quadrige Dicos Poche, 2015 PUMAIN Denise, PAQUOT Thierry, KLEINSCHMAGER Richard, Dictionnaire La ville et l’urbain, Paris, Anthropos-Economica, 2006 Le patrimoine en France, l’évolution d’une notion CHASTEL André, La notion de patrimoine, Paris, Liana Levi, 1994 CHOAY Françoise, Le patrimoine en question, anthologie pour un combat, Paris, Seuil, 2009 Sous la dir. de NORA Pierre, Science et conscience du patrimoine, Actes des entretiens du Patrimoine, Paris, Fayard, Editions du patrimoine, 1994 Le patrimoine à Valparaíso et au Chili

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Sous la dir. de CONTAL Marie-Hélène, Ré-enchanter le monde. L’architecture et la ville face aux grandes transitions, Paris, Gallimard, coll. « Manifesto », 2014 Sous la dir. de MASBOUNGI Ariella, Le Projet Urbain en temps de crise, l’exemple de Lisbonne, Paris, Le Moniteur, 2013 Géoconfluences, Shrinking city, MAJ 11/2016 [consulté le 05/12/2016], disponible sur internet : http://geoconfluences.enslyon.fr/glossaire/shrinking-city Régénération urbaine CHALINE Claude, La régénération urbaine, Que sais-je ?, n° 3496, Paris : PUF, 1999 Sous la dir. de D’ARIENZO Roberto, YOUNES Chris, Pour une écologie des milieux habités, Recycler l’urbain, MetisPresses, 2014 Sous la dir. de D’ARIENZO Roberto, YOUNES Chris, LAPENNA Annarita et ROLLOT Mathias, Pour un renouveau écologique des territoires, Ressources urbaines latentes, MetisPresses, 2016 L’échelle locale MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Liège, Mardaga, coll. « Architecture + Recherches », 2003 Recyclage urbain VESCHAMBRE Vincent. « Le recyclage urbain, entre démolition et patrimonialisation : enjeux d’appropriation symbolique de l’espace ». Norois. Environnement, aménagement, société, n°195 (1 juin 2005) Urbanisme temporaire et participation

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JOVIS, Urban Pioneers: Temporary Use and Urban Development in Berlin, Bilingual. Berlin; Maidstone: JOVIS Verlag, 2007.


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ANNEXES Frise chronologique notion de Patrimoine (monde/France/Chili) 1931 1931 1945 1945 ConceptConcept du Création du Création des des NationsNations Unis et Unis et «patrimoine «patrimoine de l’institution urbain»,urbain», de l’institution spécialisée spécialisée Giovannoni Giovannoni l’UNESCO (Italie) (Italie) l’UNESCO

1950

1900

1800

1800

LE PATRIMOINE LE PATRIMOINE en France en France

1900

1830 1830 1887 1887 CréationCréation du poste du poste1ère Loi1ère pourLoi la pour la protection des des d’Inspecteur d’Inspecteur des des protection Monuments Monuments Historiques Historiques Monuments Monuments Historiques Historiques par le par le(France)(France) de l’Intérieur MinistèreMinistère de l’Intérieur (France)(France)

1972 1972 1994 Pierre N Convention Convention pour la pour la l’introd protection protection du du Scienc patrimoine patrimoine mondial,mondial, du pat culturel et culturel naturel et de naturel de l’UNESCO. l’UNESCO. Texte Texte «Le pa devenu juridiquejuridique qui engage qui engage maitres les étatsles signataires états signataires consci à protéger les sitesles et sites et 1962 1962à protéger 1930 1930 1943 1943 contem les monuments dont dont Loi les monuments 1ère Loi1ère pourLoi 1ère pourLoi1ère pourLoi pour Loi non plu la sauvegarde la sauvegarde la protection la protection MalrauxMalraux la protection la protection on héri concerne concerne l'humanité. l'humanité. des des des abords des abords CréationCréation d’une liste d’une liste constitu des des CréationCréation Monuments Monuments des des consci Monuments SecteursSecteurs Monuments NaturelsNaturels et et d’un g Historiques Sauvega Sauvega 1978 1978 des Sites des SitesHistoriques DirectionDirection des des retourn rdés rdés (France)(France)(France)(France) MH devient du du (France)(France) MH devient Patrimoine Patrimoine (France)(France)

1950

1840 1840 La «valeur La «valeur mémoriale mémoriale de de l’architecture l’architecture domestique» domestique» , , John Ruskin John Ruskin

LE PATRIMOINE LE PATRIMOINE le Monde dansdans le Monde

1982 1982 Ratification Ratification par p le Chili de le Chili la de la Convention Convention pour la pour la protection protection du du patrimoine patrimoine mondial,mondial, culturel et culturel et naturel de naturel de l’UNESCO l’UNESCO

LE PATRIMOINE LE PATRIMOINE au Chili au Chili

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1970 1970 1925 1925 1971 1971 Modification Modification loi 17.288 loi 17.288 1ère déclaration 1ère déclaration aux aux 1ere Loi1ere sur les Loi sur les Incorpore Incorpore la la Monuments Nacionaux Monuments Nacionaux Monuments Monuments Nacionaux Nacionaux déclaration déclaration de zones, de zones, (Ley 17.288) (Ley 17.288) à Valparaiso. à Valparaiso. sites, localités, sites, localités, Considère le Considère le Secteur Secteur de l’Eglise de l’Eglise La La quartiersquartiers ou ou +Matriz Matriz son périmètre. + son périmètre. «patrimoine «patrimoine historique, historique, 1 1 «poblaciones» afin de afin de arquéologique arquéologique et et «poblaciones» Autres déclarations Autres déclarations en en préserver préserver le patrimoine le patrimoine monumental monumental » » 1979, 1982, 1979,1999, 1982, 1999, urbain eturbain les aires et les aires (édifices) (édifices) 2001... 2001... rurales. rurales. Le Conseil Le Conseil des des Monuments Monuments Nacionaux, Nacionaux, organisme organisme dependant dependant du du 2 2 MINEDUC MINEDUC , identifie , identifie protègeprotège et supervise et supervise les interventions les interventions sur le sur le patrimoine patrimoine national.national.

1 1 V c la m


1982 Ratification par le Chili de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l’UNESCO 1970 Modification loi 17.288 Incorpore la déclaration de zones, sites, localités, quartiers ou «poblaciones»1 afin de préserver le patrimoine urbain et les aires rurales. Le Conseil des Monuments Nacionaux, organisme dependant du MINEDUC2, identifie protège et supervise les interventions sur le patrimoine national.

1971 1ère déclaration aux Monuments Nacionaux à Valparaiso. Secteur de l’Eglise La Matriz + son périmètre. Autres déclarations en 1979, 1982, 1999, 2001...

2001 Déclaration aux Monuments Nacionaux «Zone tipique» la zone historique de Valparaiso

2003 2007 Déclaration au Agrandissement de la Patrimoine Mondial de Zone de Conservation Historique + à l’ouest l’UNESCO du Quartier Historique porturaire de la ville de Valparaiso Création à la 2002 municipalité de 2nde postualtion de Valparaiso de la Valparaiso. Cette fois Direction de Gestion du est présentée Patrimoine seulement le quartier historique de la ville portuaire 2005 2000 Agrandissement de la Evaluation négative de Zone de Conservation ICOMOS International Historique + à l’est à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. 2004 L’Etat chilien retire sa Déclaration aux candidature Monuments Nacionaux de la Zone de Conservation 1998 Historique. Le Plan + 1ere Postulation de les collines de Valparaiso par l’Etat l’anfitéatre de chilien à l’inscription à Valparaiso la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO

2016

1978 Direction des MH devient du Patrimoine (France)

1994 Pierre Nora dans l’introduction de Science et conscience du patrimoine. «Le patrimoine est devenu l’un des maitres-mots de la conscience historique contemporaine, (...) non plus le bien dont on hérite, mais le bien constitutif de la conscience collective d’un groupe: véritable retournement.»

2010

1962 Loi Malraux Création des Secteurs Sauvega rdés (France)

1950

43 e Loi pour protection s abords s numents toriques ance)

1972 Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l’UNESCO. Texte juridique qui engage les états signataires à protéger les sites et les monuments dont la sauvegarde concerne l'humanité. Création d’une liste

2000

945 Création des Nations Unis et e l’institution pécialisée UNESCO

2011 Parution du livre Valparaiso NO patrimonial qui donne à voir la ville hors du circuit touristique «officiel»

2013 Annonce officielle du projet d’extention des terminaux portuaires. Craintes de l’UNESCO + une partie des citoyens

2016 Remise du rapport d’Etude d’impact patrimonial en attente depuis 2015. «L’état de conservation patrimonial de Valparaiso est calamiteux»

119


Frise chronologique histoire urbaine Valparaíso

VALPARAISO

Découverte du Chili par l’expédition espagnole de Diego de Almagro

1536

Seconde expédition espagnole pour le Chili de Pedro de Valdivia Début de la Conquista Española

1540

Les Espagnols soumettent la population locale, les Mapuches, à la Guerre d’Arauco

Première junte militaire

Capitulation des Espagnols à la Bataille d’Ayacucho

120

Fin du régime parlementaire Début du régime présidentiel

Découverte de la baie de Valparaiso avec Juan de Saavedra

1549

Création de l’Almendral par Pedro de Valdivia où s’installent les fermes et tentes des colons espagnols

1700

Croissance du secteur portuaire et de l’Almendral Entrepôts et comptoir de commerces forment l’actuelle place de la Douane

1730

Séisme + Tsunami La ville se replie sur les collines

1802

Construction du Camino a Santiago Route reliant le port de Valparaiso à la capitale Santiago

1808

Construction du premier quai portuaire

1822

Séisme Premières excavations dans les collines pour remblayer sur la mer Le passage est facilité entre le quartier du port et celui de l’Almendral

1831

Construction du batiment de la Douane

1848

Excavations dans les collines pour accueillir la place Municipale (Echaurren) et la rue de la Planchada (Serrano) Construction des entrepots douaniers (Almacenes fiscales) et remblais agrandissent la surface portuaire

1856 1861 1863

OR GA N I S AT IO N DE L’ E TAT C HI LI E N ET GAI NS TERR ITORIAUX

INDEPENDANCE

PERIODE COLONIALE

CONQUETES ESPAGNOLES

CHILI

Eclairage public au gaz Premier chemin de fer en ville: train le long de la baie Premier train de Valparaiso à Santiago

1873

Construction du quai de la Douane (terminé en 1883)

1883

Construction des égouts Fonctionne le premier ascenseur de la ville (cerro Concepcion)

1884

Débuts des travaux de construction du Camino de Cintura (Chemin de ceinture)

1889

La ville s’approvisionne en eau potable

1890

Décennie durant laquelle 7 projects d’extension du port différents sont proposés, pour en faire un port moderne d’échelle internationale

1893

Extension de la ville à l’ouest, secteur Playa Ancha Urbanisation généralisée (accès à l’eau potable, l’éléctricité et les égouts)

1906

Séisme: Destruction de l’Almendral, des infrastructures portuaires et modification de la baie

1911

Début des travaux de reconstruction du Port de Valparaiso Digue (288m) + digue (70m) + promenade de la douane (630m) + quai fiscal Baron (370m) + promenade Prat (210m) + jetée (630m)

1914

Ouverture du Canal de Panama

1918

Valparaiso cesse d’être un port de transit & devient le port d’importation et exportation principal du Chili

1922 1924 1927

Début des travaux de l’avenue d’Espagne (côte est) Le quai Prat cesse d’être accessible aux piétons Inauguration du Chemin de Ceinture


O R G A N I S ATI O N D E L’ ETAT C H I L I EN ET

(Chemin de ceinture)

REPUBLIQUE PRESIDENTIELLE

Fin du régime parlementaire Début du régime présidentiel

Coup d’Etat Militaire du Général Pinochet qui prend le pouvoir à la mort du président socialiste Allende

1889

La ville s’approvisionne en eau potable

1890

Décennie durant laquelle 7 projects d’extension du port différents sont proposés, pour en faire un port moderne d’échelle internationale

1893

Extension de la ville à l’ouest, secteur Playa Ancha Urbanisation généralisée (accès à l’eau potable, l’éléctricité et les égouts)

1906

Séisme: Destruction de l’Almendral, des infrastructures portuaires et modification de la baie

1911

Début des travaux de reconstruction du Port de Valparaiso Digue (288m) + digue (70m) + promenade de la douane (630m) + quai fiscal Baron (370m) + promenade Prat (210m) + jetée (630m)

1914

Ouverture du Canal de Panama

1918

Valparaiso cesse d’être un port de transit & devient le port d’importation et exportation principal du Chili

1922 1924 1927

1928

Grands travaux sous le mandat municipal de Lautaro Rosas - promenades piétonnes (avenue Altamirano, 21 de Mayo...) - tracé de nouvelles avenues et réaménagement d’avenues et places (quartier portuaire et el Almendral) - recouvrement de l’avenue Argentina sur le Canal de las Delicias - réarticulation du Camino de Cintura

1931

Crise économique suite à la Grande Dépression de 1929 Déclin du salpêtre

1953

Incendie et explosion dans l’Almendral

1969

Construction du noeud viaire secteur Baron

1971

Séisme

1973 1976

Récession économique

Création de la Région de Valparaiso

1982 1985

Référendum révocatoire Fin de la dictature miliaitre du Général Pinochet

Début des travaux de l’avenue d’Espagne (côte est) Le quai Prat cesse d’être accessible aux piétons Inauguration du Chemin de Ceinture

Séisme Grandes destructions dans l’Almendral et les logements des collines

1990 1993 1998 2000 2002

Démolition d’entrepots douaniers et habilitation Terminal 1 Gestion du port par entreprise privée EPV Démolition d’entrepots douaniers et habilitation Terminal 2 Ouverture d’un Terminal de croisière

2003

Déclaration au Patrimoine Mondial de l’UNESCO du quartier historique portuaire de la ville de Valparaiso

2005 2006 2008

Promenade Wheelright aménagée Promenade Costanera aménagée Création de l’accès sud par le chemin de la Polvora

2014

Grand Incendie 1000 ha de terres brulés (cerro Las Cañas) et 2500 logements détruits

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Laure Khayat laure_kh@hotmail.fr +33 6 25 34 68 87


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