exposition
dossier pedagogique
28.02 – 21.04.13 une exposition du Palais des Beaux-Arts de Lille
Rue Royale 236 Koningsstraat • Bruxelles 1210 Brussel 02.218.37.32—www.botanique.be
Editeur Responsable | Verantwoordelijke Uitgever: A. Valentini, Rue Royale | Koningsstraat 236 _ 1210 Bruxelles | Brussel • Du Zhenjun, The Wind, C-Print sur aluminium, 160 x 120 cm, 2010 ©Du Zhenjun / Galerie RX Paris
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Babel
Table des matières
1.
Le mythe de la Tour de Babel
1.1. 1.2. 1.3.
Qu’est-ce qu’un mythe ? Un récit biblique 1.2.1. Ancien Testament : la Genèse 1.2.2. Nouveau Testament : les Prophètes 1.2.3. Après la Bible : l’exégèse hébraïque Textes profanes
2. Symbolique de Babel 2.1. Dans la Bible 2.1.1. Les Hommes, ces pêcheurs 2.1.2. Les Hommes, ces êtres multiples 2.2. Dans les textes profanes 2.3. Dans l’Apocalypse de Saint-Jean
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3.
La réalité de Babel
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4.
Babel et les artistes
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4.1.
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Babel dans l’histoire de l’art
4.2. Présentation l’exposition 5. Pistes pédagogiques
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6.
Activités annexes
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7.
Bibliographie
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1. Le mythe de la Tour de Babel
1.1. QU’EST-CE QU’UN MYTHE ?
Un mythe est un récit, porté à l’origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces histoires. Dès lors de nombreux mythes ont pour objet la création du monde, le statut de l’être humain et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature et avec les autres individus. Fonctionnant comme un mythe, l’histoire de la Tour de Babel est un récit biblique qui propose une explication à l’origine d’un phénomène : la diversité des langues et la dispersion des peuples sur la Terre.
1.2. UN RECIT BIBLIQUE
1.2.1. Ancien Testament : la Genèse
Le mythe de la Tour de Babel provient de la Bible. Plus particulièrement du premier livre de l’Ancien Testament consacré à la Genèse. Les premiers chapitres de la Genèse relatent l’organisation nécessaire à l’apparition de la vie sur Terre, des premières étapes aux premiers temps de l’Humanité. L’Homme ainsi créé par Dieu y découvre ensuite que la désobéissance à Dieu engendre la douleur. Adam et Eve, le premier homme et la première femme ayant mangé le fruit de l’arbre défendu, sont chassés du Paradis et connaissent désormais le bien et le mal. On y narre également comment Caïn, fils d’Adam et Eve tue son frère Abel et comment il sera banni. Dans les chapitres suivants, Dieu, voyant la corruption des Hommes, provoque le Déluge auquel il ne fait survivre que la famille de Noé. On y décrit ensuite les familles qui sont à l’origine de l’Humanité, présentant ce que l’on appelle la Table des peuples. C’est dans le chapitre 11 qu’apparaît l’épisode de la Tour de Babel. Peu après le Déluge, alors que Dieu leur demande de remplir la Terre, les Hommes atteignent une plaine dans le pays de Shinar et s’y installent tous. A ce moment du récit, l’Humanité parle encore une seule et unique langue nommée langue adamique. Les Hommes entreprennent alors par eux-mêmes de bâtir une ville et une tour dont le sommet touchera le ciel, pour se faire un nom. Dieu les voit et estime que s’ils y arrivent, rien ne leur sera plus inaccessible. Alors il brouille leur langage afin qu’ils ne se comprennent plus et ne puissent aboutir leur projet, et les disperse sur toute la surface de la Terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel.
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1.2.2. Nouveau Testament : Les Prophètes
On retrouve l’évocation de Babel dans les livres des Prophètes. Jérémie l’appelle «pays des rébellions» et prédit sa chute. Isaïe la qualifie de « couronne d’orgueil des chaldéens ». Dans le livre de Daniel, la fin de Babel survient après un banquet où le roi Balthazar profane des vases sacrés du temple de Salomon. Enfin, Saint Jean l’évangéliste, dans son Apocalypse daté du 1er siècle après J.C, assimile Babylone avec Rome, responsable de la destruction du temple de Jérusalem en 70 et de la persécution des chrétiens. Saint Jean y annonce la chute future de cette nouvelle Babylone, qu’il nomme la « Grande Prostituée ».
1.2.3. Après la Bible : exégèse hébraïque
Les commentaires hébraïques, postérieurs à la Bible, précisent que Dieu ne condamne pas le progrès qu’incarne la construction de la Tour mais le fait que cette construction témoigne d’un mépris de la vie humaine : dans cette entreprise collective, la mort d’un ouvrier finit par moins compter que la perte d’une brique. Par ailleurs, d’autres commentaires relatent que le but des bâtisseurs était de vénérer des idoles, de se mesurer à Dieu et de lui faire la guerre aux cieux, tandis que d’autres encore évoquent l’ambition de Nemrod de préserver les Hommes d’un nouveau Déluge infligé par Dieu.
1. 3. TEXTES PROFANES
« Au milieu se dresse une tour massive, longue et large d’un stade, surmontée d’une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à huit tours. Une rampe extérieure monte en spirale jusqu’à la dernière tour à mi-hauteur environ il y a un palier et des sièges, pour qu’on puisse s’asseoir et se reposer au cours de l’ascension. La dernière tour contient une grande chapelle (…) » Hérodote, L’Enquête, livre à I à IV, Andrée Barguet, Gallimard, 1964 Hérodote (env. 485-420 av. J.-C), considéré comme « le père de l’Histoire » et qui apparaît comme l’un des premiers géographes, nous a livré des textes mentionnant Babel. Dans ses Histoires (I, 178-186), il décrit la ville moins de cent ans après la chute de la dynastie néobabylonienne, pendant la domination perse. Il livre des informations sur la géographie, les mœurs, les institutions et la vie quotidienne des Babyloniens. Hérodote n’a sans doute pas visité la cité, mais il s’est fondé sur des récits de voyageurs anciens ou sur les témoignages de Babyloniens ayant connu la ville au temps de sa splendeur. Si certaines informations peuvent être prises comme avérées, Hérodote introduit cependant les premiers éléments de légendes à venir.
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Comme par exemple, la description de la ziggourat hélicoïdale qui donnera à la représentation de la Tour de Babel sa forme emblématique. Les artistes flamands se référeront directement à son texte, réhabilité à la Renaissance, lorsqu’ils prendront la Tour pour sujet, comme le célèbre tableau de Breughel. Le texte d’Hérodote, qui apporte de nouveaux éléments de contenu, est donc fondamental dans la formation du mythe de Babel. De nombreux auteurs et peintres s’inspireront de ses écrits par la suite. D’autres auteurs ont relaté les splendeurs de la cité, notamment Ctésias de Cnide (début du IVe siècle av. J.-C.) dans son œuvre perdue Persika, Diodore de Sicile (au Ier siècle av. J.-C.) dans sa Bibliothèque historique (II, 7-11), Strabon (vers 58 av. J.C. - 20 ap. J.C) dans sa Géographie (16, I: 5), Quinte Curce (Ier siècle) dans l’Histoire d’Alexandre (V, 1), Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, VI), l’historien grec Arrien (Anabase, VII, 17) ou encore l’historien latin Justin (Histoire universelle, I). Ammien Marcellin, qui accompagne l’Empereur Julien dans son expédition contre les Perses en l’an 363 de notre ère, rapporte la légende de la construction de la grande Babylone dans ses Rerumgestarum (XXIII, 6). Au début du IIIe siècle av. J.-C., Bérose, un prêtre de Marduk, le dieu de Babylone, réalise le lien entre les sources babyloniennes et les sources classiques. Il écrit en grec l’histoire de son pays, nommée Babyloniaca, et la dédie à Antiochos Ier. Malheureusement, il ne reste de son texte que des fragments. Enfin, au début du IIe siècle de notre ère, Ptolémée dresse une liste des rois de Babylone appelée le « Canon de Ptolémée ». Elle commence par le règne de Nabonassar, au VIIIe siècle av. J.-C. L’œuvre de Ptolémée, couplée à celle d’Hérodote, dominent le champ des connaissances au Moyen âge et à la Renaissance.
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2. La Symbolique de Babel
2.1. DANS LA BIBLE
2.1.1. « Les hommes, ces pêcheurs »
Dans la Genèse, l’épisode de la Tour est significativement placé à la suite d’une série de fautes humaines punies par Dieu : l’expulsion d’Adam et Eve hors du Paradis, le bannissement de Caïn, meurtrier de son frère, et le Déluge. Babel vient une fois de plus confirmer la corruption des Hommes aux yeux de Dieu. La construction d’une tour « dont le sommet touche le ciel » est interprétée par la tradition chrétienne comme un acte méritant le châtiment divin. Par ailleurs, les Hommes se réunissent tous dans un même lieu, alors que Dieu leur a demandé de remplir la Terre. Il intervient donc pour rappeler que sa propre puissance est supérieure. Ainsi, les hommes ont bâti une tour pour « ne pas être dispersés », mais Dieu « les dispersa sur toute la surface de la terre », brouillera leur langue et les empêchera d’achever leur première grande œuvre. Selon la Bible, Babel symbolise la vanité humaine. Incapables de se satisfaire de ce qu’ils possèdent sur Terre, les Hommes cherchent à atteindre le ciel. Alors que Dieu les invite à vivre dans l’humilité et la simplicité, ceux-ci sont perpétuellement envieux et insatisfaits. La morale biblique implique une origine de la cité marquée par le mal. Le premier constructeur de ville dans la Bible est un criminel, Caïn. Celui-ci est un sédentaire, cultivant le sol, contrairement à son frère Abel, le pasteur dont l’offrande est agréée par Dieu. Ensuite, la ville de Babel revient à la mauvaise lignée issue de Noé, celle de Cham, le mauvais fils. Désigné comme le souverain de Babel dans la Genèse, Nemrod, petit-fils de Cham, sera considéré, plusieurs siècles après l’achèvement de la Bible, comme le tyran qui ordonna la construction de la tour.
2.1.2. « Les hommes, ces êtres multiples »
Mais Babel est aussi le symbole de la diversité et de la multi culturalité. En effet, comme mythe fondateur, l’histoire de la Tour de Babel explique l’origine de la diversité des langues. Voulant le châtier d’être vaniteux et orgueilleux, Dieu multiplie les langues et sème la confusion au sein du peuple de Babel. Le mot Babel venant précisément de l’hébreu Bâlal qui signifie « confondre ». La tentation d’une langue unique, d’une communication facile et efficace est définitivement anéantie. En effet, la Bible ne préconise pas ce conformisme mais au contraire favorise la profusion des langages. Le dernier verset du chapitre 11 de la Genèse défend la pluralité des cultures de l’Humanité toute entière. On n’y célèbre pas l’unité du peuple babélien mais
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bien l’insuffisance du langage unique à embrasser la diversité du monde. La confusion – la multiplication– des langues doit être considérée comme une chance.
2.2. DANS LES TEXTES PROFANES
A l’époque néo babylonienne, c’est une cité monumentale et cultivée que célèbrent les auteurs grecs, Alexandre le Grand lui-même décide de s’y installer et de la reconstruire. Dans leurs écrits, Babel est synonyme de luxe, de beauté et est source d’émerveillement. Les portes de la ville sont alors ornées de décors fabuleux, la célèbre porte d’Ishtar est recouverte d’un glacis d’un bleu intense, la voie processionnelle était ornée des fameux lions de Babylone, de magnifiques jardins en terrasses ornaient le palais. Tant de splendeurs vont vite créer la réputation de Babel qui perdurera au-delà de son déclin. A l’époque hellénistique, quand se forge le mythe des Merveilles du Monde, les architectures colossales, les jardins suspendus, les murailles, le pont au-dessus de l’Euphrate, véritables prouesses techniques, font de Babel une ville hors du commun. C’est cette Babel et la fascination pour le génie humain qui l’a fait naître que célèbreront plus tard les humanistes renaissants.
2.3. DANS L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN
A l’inverse, dans les écrits des prophètes, Babel est synonyme de débauche, de dépravation, de perversion. Saint Jean en donne une description acide au chapitre 17 de L’Apocalypse : La Babylone de Saint Jean a été considérée au XVIème siècle comme une figure de la Rome papale, enrichie à outrance par le commerce des indulgences et édifiée autour d’un chantier démesuré (le nouveau Saint-Pierre). L’église qui utilise la religion pour obtenir de l’argent de ses membres commettrait un acte de prostitution spirituelle. Pour les catholiques, il ne s’agit pas de l’Eglise chrétienne mais d’un pouvoir politique occulte, associé à Satan. Du point de vue évangélique, Babylone la Grande représente l’ensemble des religions qui prétendent représenter Dieu mais qui, dans la réalité, ont l’attitude d’une Prostituée ayant des relations illicites avec les représentants politiques pour asseoir sa position et sa renommée.
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3. La réalité de Babel
Le mythe de la Tour de Babel trouve son origine et son inspiration dans des faits historiques. En effet, la ville de Babylone comme la tour ont réellement existées et ce, trois millénaires avant Jésus Christ dans la région de Sumer en Mésopotamie, dans l’Irak actuel. C’est en 1700 av. J.C que le roi sumérien Hammurabi fait de Babylone le centre d’un puissant empire ainsi qu’un foyer religieux et intellectuel hors du commun. De cette époque nous sont parvenus sans doute les deux plus anciens textes littéraires mythologiques : le Poème de la Création et l’Epopée de Gilgamesh, ainsi qu’un code de loi écrit en sumérien. Envahie et saccagée par les peuples Hittites, Cassites, Assyriens puis Perses et Parthes, c’est au VIIe siècle av. J.C que l’ancienne cité mythique renaît. Entre 604 et 562 avant notre ère, Nabuchodonosor II entreprend un vaste programme de reconstruction de la cité. C’est de ces faits que proviendrait l’idée que Babel est à l’origine de la diversité des langues. En effet, des peuples d’origines diverses ont travaillé à la construction de la grande ziggourat de Babylone. Par ailleurs, les cérémonies liées au culte de Mardouk font appel à des textes dans différentes langues. Pour les visiteurs, la Tour de Babylone devait représenter le foyer et la source d’une multitude de langages. Entourée d’enceintes, Babylone s’organise autour d’un palais somptueux agrémenté de ses célèbres jardins suspendus, et du sanctuaire du dieu, inséré dans le complexe de la fameuse ziggourat assimilée à la Tour de Babel. Appelée Etemenanki, signifiant « maison [qui est le] fondement du ciel et de la terre », cette tour aux dimensions colossales a pour fonction sacrée de permettre au Roi et aux prêtres de monter à la rencontre des divinités qui y descendraient. Cette Tour, a donné son nom à la ville : Babel vient de l’akkadien Bal-ili signifiant «porte de Dieu». Sa présence au centre de de la capitale babylonienne symbolise la loi qui réglemente tous les aspects de la vie du royaume. La cité impériale tombera à nouveau, et cette fois définitivement, suite aux assauts successifs de Cyrus, roi des Perses, en 539 av .J.C et d’Alexandre le grand en 330. En 1899 et 1917, l’archéologue allemand Robert Koldewey et l’architecte Walter Andrae mettent à jour pour la première fois les vestiges de cette Babylone antique construite en briques et dont hélas il ne reste que peu de vestiges. Cependant, les ruines révèlent la présence ancienne d’enceintes et de temples ainsi que d’une gigantesque ziggourat.
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Babel et les artistes 4.1.
BABEL ET L’HISTOIRE DE L’ART
Le mythe de Babel par la richesse de sa symbolique n’a cessé d’alimenter l’imagination des artistes. Si des représentations de la Tour de Babel existent déjà au Moyen-Age sous forme de mosaïques, comme celle de l’église d’Otrante, ou sous forme d’enluminure, c’est aux Temps Modernes que ce récit biblique prend toute son ampleur. Le thème de la Tour de Babel est alors en vogue, particulièrement au XVIème siècle dans les Pays du Nord de l’Europe traversés par de violents conflits politico-religieux. Les protestants assimilent l’église catholique romaine à la Prostituée Babylone décrite dans l’Apocalypse de Saint Jean. Une autre raison de la résurgence du mythe babélien au XVIe siècle est la perte du latin comme langue universelle de l’église (Luther ayant traduit la Bible en langue allemande) qui fait écho à la fin de Rome comme centre de foi unique. Mosaïque au sol de la cathédrale d’Otrante (Italie du Sud)
On connait de cette époque les fameuses œuvres de Breughel l’Ancien qui déclinera par trois fois le mythe, mais aussi celles des flamands Lucas et Martin Van Valckenborch, Abel Grimmer, Hans Bol, Hendrick VanCleve, Joos de Momper, Martin Van Heemskerck, Tobias Verhaecht et Lodewyk Toeput.
Pieter Breughel, La Tour de Babel, 1563
Hendrick III Van Cleve, La Construction de la Tour de Babel, mil. XVIème s.
Lucas Van Valckenborch, La Tour de Babel, 1595
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La Renaissance a, à l’inverse, utilisé le mythe de Babylone pour exalter l’héroïque conquête de l’Homme sur la nature. La tradition des Merveilles du Monde héritée de la culture hellénistique est réactivée. Babylone y tient une place de choix avec ses jardins suspendus et ses impressionnantes murailles. Plusieurs suites sont gravées, dont les plus célèbres sont celles réalisées par Philippe Galle d’après des dessins de Martin Van Heemskerck en 1572, les Septem
Philippe Galle, La Tour de Babel, 1569
Orbis Admiranda d’après Antonio Tempesta en 1608 et les Admiranda et Prodigiosa Antiquitates opera, d’après Martin de Vos en 1614.
Jusqu’au XVIIème siècle, la difficulté pour les érudits désireux d’explorer le destin de Babylone réside dans la quasiinexistence des données archéologiques. L’ouvrage du père jésuite Athanasius Kircher, Turris Babel, paru à Amsterdam en 1679, offre la première synthèse de toutes les traditions et des récits de voyageurs. Il est le premier à tenter de livrer une explication rationnelle de la Bible et propose une reconstitution plausible et inédite du site.
Athanasius Kircher, Turris Babel, 1679
A partir de 1811, le Britannique Claudius James Rich entreprend une description des fouilles de Babylone qui donne lieu à une publication en anglais en 1815, traduite en français dès 1818. Ce livre constitue une source essentielle d’inspiration pour les artistes, dont notamment John Martin, désireux de représenter des épisodes bibliques. Il en va de même du livre illustré de Sir Robert Ker Porter, Travels in Georgia, Persia, Armenia, Ancient Babylon during the Years 1817, 1818, 1819 and 1820, paru à Londres en 1821 et 1822.
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A défaut de vestiges suffisants, les sujets babyloniens sont traités par les peintres et les décorateurs de théâtre, en fonction des découvertes archéologiques, à la mode égyptienne et perse dans les années 17801830, puis assyrienne à partir des années 1840. En 1824, la représentation de la Sémiramis de Rossini à la Scala de Milan donne à voir le cadre d’un palais égyptien. Avec la découverte de Khorsabad et l’arrivée à Paris et à Londres des objets assyriens, la couleur locale ne peut plus se satisfaire d’une référence à l’Egypte ou à la Perse.
Georges Rochegrosse, La Fin de Babylone, 1891
L’ « assyriomanie » prend le relais de « l’égyptomanie », comme en témoigne le tableau de Georges Rochegrosse, La Chute de Babylone. Toutefois, l’image de la vraie Babylone fait toujours défaut… A l’époque romantique, l’allusion à Babylone est utilisée comme métaphore pour désigner la métropole moderne, rongée par ses démons : la coexistence du luxe et de la misère, ses vices et sa corruption. La tradition biblique de la ville maudite réapparait sous une forme moderne et laïcisée. Depuis, on voit ressurgir le mythe dans l’histoire de l’art aux moments de crise, quand l’Humanité semble osciller entre forces destructrices et capacité à les surmonter pour survivre. Ainsi, à la veille de la révolution française, la référence à Babel se fait de plus en plus sombre laissant de côté l’optimisme du siècle des Lumières qui interprétait le mythe comme symbole d’une Humanité solidaire tournée vers le progrès. Le message de la civilisation en perdition sera réactivé à la veille des révolutions de 1830, 1848, de la Commune. La première guerre mondiale ressemblera à une attestation de ces mauvais augures.
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4.2. PRESENTATION DE L’EXPOSITION L’exposition BABEL présente un ensemble d’œuvres d’artistes contemporains qui revisitent le mythe biblique. Peintures, photographies de grand format, cinéma, bandes dessinées et installations illustrent les épisodes de la Genèse. Le chantier de la Tour, la sanction divine, la confusion des langues et la dispersion des peuples sont revus sous l’angle de l’Histoire contemporaine. Dans notre présent incertain et précaire, le mythe babélien questionne les puissances que symbolisent des tours de plus en plus vertigineuses et le rôle de ces bâtisseurs : constructeurs de génie ou simples exécutants des pouvoirs économiques et politiques ? Babel pose aussi la question de la diversité des langues et des peuples : est-elle un châtiment divin ou un signe de richesse dans un quotidien ultra mondialisé ? Au-delà de ces thèmes, la tour de Babel reste une parabole de la vanité humaine et une évaluation de notre présent. L’exposition s’articule en deux parties. Dans le musée, on trouve en bas Les Fondations de Babel et en haut, Les Fictions et le tragique de Babel. La première section traite des thématiques propres au mythe, à savoir la confusion des langages - renvoyant à la multi culturalité - et la construction d’un projet collectif, la course vers les sommets. Les installations de Jakob Gautel, Brian Dettmer et Gilles Barbier invoquent toutes trois le langage. Pour ces artistes, la multiplication des langues doit être pensée comme une richesse pour le monde tout comme une aventure créative. Si dans la Bible le geste de Dieu s’interprète comme une punition, les artistes renversent le mythe pour lui donner une connotation positive et en faire le symbole de la diversité. Selon eux, il s’agit de la préserver pour lutter contre l’uniformisation et la globalisation. A l’image de la représentation de La Bibliothèque idéale de JeanFrançois Rauzier, la Tour s’imagine comme la plus grande et la plus universelle des bibliothèques où toutes les langues et toutes les écritures, toutes les connaissances et toutes les richesses du Jakob Gautel, Tour de Babel, 2006 - 2012
monde trouvent leur place. Ces artistes se proposent alors de vivre la confusion des langages comme une aventure, où les péripéties des mots ouvrent de nouveaux champs d’exploration du monde.
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Jean-François Rauzier, Bibliothèque idéale 2, 2009
L’œuvre de John Isaacs, The Architecture of Aspiration, mi-Tour de Babel, mi-termitière, représente l’union des travailleurs pour élever une tour qui témoignerait de leur force collective et qui imposerait leur puissance dans le paysage. Le conglomérat des cellules de la ruche d’Hilary Berseth, dans lesquels les insectes pondent leur œufs et produisent leur miel évoque, selon l’artiste, les grandes tours d’immeubles et la rationalisation de l’habitat. Hilary Berseth, Programmed Hive 9, 2009
Des
pyramides
aux
buildings
actuels,
comme on le voit dans la tapisserie d’Andy Diaz Hope et Laurel Roth, cette course vers les sommets a sans cesse animé l’esprit des Hommes, symbole de leur orgueil. Cette course est particulièrement vivace au temps des cathédrales, entre 1130 et 1280, lorsque le gothique se fait flamboyant. Wim Delvoye est fasciné par cette période de création architecturale lors de laquelle les Hommes ont fait preuve d’une inventivité architecturale et technique incroyable. Forte de sa construction
Wim Delvoye, La bétonneuse, 2010
ingénieuse pensée dans les moindres détails, l’architecture gothique appartient, selon Wim Delvoye, à la logique du végétal et en possède l’ingéniosité. L’ascension de la tour se veut également spirituelle. La progression vers les hauteurs se fait à travers une dématérialisation de plus en plus forte, au travers de murs de plus en plus percés par des vitraux, laissant pénétrer pleinement la lumière divine. Charley Case, en représentant la Naissance et Mort de Babylone, rejoint cette idée de vie et de cycle naturel. Babel est l’histoire d’un éternel recommencement : les entreprises des Hommes ont beau péricliter, ceux-ci ne se lasseront jamais d’élever des tours, toujours plus hautes, toujours plus spectaculaires, afin d’imposer leur puissance sur Terre.
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La deuxième section, Les Fictions et le tragique de Babel, présente des œuvres qui interprètent le mythe au présent ou au futur. Le récit de Babel trouve de nombreuses résonnances actuelles et les artistes tels que, notamment Du Zhenjun, Yang Yongliang, Xi Liqing, Florian Joye, Maxime Dufour, Jean-François Rauzier, Cédric Tanguy et Robert Gligorov les traduisent au travers du photomontage. Pour
évoquer
les
Babel
du
futur,
les
artistes
contemporains créent de grandes compositions où la démesure est la règle. Le montage d’images numériques leur permet de créer des univers dans lesquels ils mettent en scène l’urbanisation et l’industrialisation de manière innovante. L’ambition économique de l’Homme, son aspiration continuelle au progrès, sa volonté de puissance aboutissent à une surproduction qui peu à peu remplit la planète et détruit la nature. Ainsi, dans les œuvres de Yongliang, les montagnes se composent de buildings et les chemins sinueux ne sont rien d’autre que des autoroutes. Le résultat de l’action des Hommes transforme la Terre en un vaste lieu de science-fiction, comme dans le film d’Hendrick Dusollier ou dans celui de Samuel Rousseau. Ces lieux semblent improbables mais peuvent toutefois se révéler prophétiques. Dans les photos de Du Zhenjun, l’ambiance apocalyptique donne à voir un constat tragique. Les œuvres des artistes sont monumentales et symbolisent la démesure d’une Humanité parfois désespérée par ses propres excès. Dans Montjuic de
Yang Yongliang, Infinite Landscape, 2011
Jean-François Rauzier ou encore dans Rock Never de Xi Liqing, les Hommes s’encastrent dans des cellules pour trouver de l’espace pour vivre ou mourir ; dans celles de Marjan Teeuwen, les objets sont à compresser si l’on veut respirer ; et la publicité, ressort de notre société capitaliste, finit même par s’insinuer dans les lieux les plus sacrés comme le donnent à voir les cimetières de Robert Gligorov. La communication entre les Hommes est aussi touchée par ces phénomènes. Avec le World Wide Web, comme le souligne Vik Muniz, un langage universel voit le jour. La carte du monde est jonchée de carcasse d’ordinateur, support d’une communication uniformisée. Progrès ou menace?
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Vik Muniz, WWW (World Map), Pictures of Junk, 2008
Toutefois, les images contemporaines de Babel ne sont pas négatives, elles mettent en scène la débâcle pour nous prévenir du chaos. Leurs représentations nous avertissent des dérives et de la décadence de toute civilisation et de toute puissance qui envisagent de dominer le monde sans conscience et sans mémoire. Parfois excessives, elles sont symboliques du monde d’aujourd’hui dépassé par sa propre cadence. Allégories d’un futur que nous ne voulons pas connaître, ces images tentent de nous alerter sur les conséquences de nos actes. Tels des miroirs réfléchissant le délire humain, les représentations actuelles de Babel nous demandent de réagir tant qu’il en est encore temps.
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5. Pistes Pédagogiques
Thématiques et activités à explorer en classe autour du mythe de Babel et de ses diverses réinterprétations.
Le monde urbain, ses limites, ses démesures. On peut trouver dans Allegory of the prisoner’s dilemma d’Andy Diaz Hope et Laurel Roth les différentes constructions qui, au fil du temps, peuvent faire écho à la Tour de Babel. Activité Il s’agira de constituer une tapisserie «made in Bruxelles» à l’image de celle d’Andy Diaz Hope et Laurel Roth. Par petits groupes, les élèves choisiront un monument bruxellois en résonance avec les thèmes de la Tour de Babel et le décriront. En partant des grandes constructions de la ville (Palais de justice, Atomium, Tour des finances, Tours Belgacom…) amenez votre classe à découvrir leur ville différemment. Le but de cet exercice est de permettre aux élèves d’assimiler en quoi la Tour de Babel s’impose en véritable symbole du pouvoir politique, religieux et économique au fil du temps. Ils pourront partager et échanger des idées, et ainsi confronter leurs visions et leurs vécus de la ville. Vos élèves pourront ensuite réaliser le rendu sous forme de collage. La multi culturalité, le rapport à l’autre, le racisme. Cette exposition souligne toute la contemporanéité et la profondeur du mythe de Babel repris par les artistes présentés. Sont mis en avant la vanité, l’orgueil de nos actes et la part d’insensé de l’ambition humaine rendant donc l’unité des peuples inaccessible et impossible. Les élèves pourront s’interroger sur la diversité culturelle et sociale et voir combien elle est indispensable à nos sociétés. Ainsi la « punition » divine de la confusion des langues et la dispersion des peuples se transformeraient en richesses culturelles. A travers cette thématique, amenez également vos élèves à interroger la globalisation et la virtualité de nos réseaux de communication. Activité Faire le «procès» de Babel : argumenter le pourquoi et comment du mythe en partant des faits historiques. Ce que chacun peut interpréter du mythe de la Tour de Babel à sa façon, comme l’on fait les artistes dans l’exposition. Les étudiants devront développer des arguments ou contre-arguments afin d’exposer leurs avis. Un des objectifs de cet exercice est de permettre aux participants de s’interroger de manière ludique sur des questions actuelles telles que la relation à l’autre, la multi culturalité, l’écologie et l’urbanisme et d’y déceler les différentes valeurs qu’elles suscitent au regard de la société ou par rapport à leur propre vécu. Ils décideront ainsi du sort à réserver au mythe de Babel et à ses réinterprétations au fil de l’Histoire. Ce débat animé permettra aux participants de comprendre les enjeux de l’exposition et de se l’approprier tout en aiguisant leur esprit critique et leur sens de la rhétorique. 16
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Le mythe de Babel réinterprété par le montage numérique. Au sein de l’exposition, de nombreux artistes ont utilisé le traitement numérique des images pour proposer un point de vue sur notre monde. Leur travail questionne la représentation archétypale de la ville et le rapport de l’homme à son environnement. Les élèves aborderont la visite de l’exposition en prêtant une attention particulière aux œuvres photographiques afin d’y déceler les traitements effectués. A partir des œuvres sera étudié le traitement numérique dans l’art, du photomontage au collage. Activité Création en équipes d’une tour de Babel des temps modernes en collage de matériaux variés (photographies, magazines, journaux). Le but sera de produire des tours représentant le concept d’idéal ou de dystopie. Le collage permettra d’assembler des fragments d’images afin de troubler le réel comme les artistes de l’exposition peuvent le faire à travers leurs œuvres. Les participants proposeront leur propre vision du monde, personnelle et engagée.
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6. Activités annexes
Informations et réservations indispensables auprès de Lucie Duckerts-Antoine, du lundi au vendredi, au 02/226.12.18 ou à l’adresse lucie.duckerts@botanique.be En marge de l’exposition BABEL, le Botanique propose des visites adaptées à l’âge et aux acquis des participants.
Visite guidée Durée : 1h30 20 participants maximum
Langue : Fr/Nl.
A partir de 6ans
Le chantier de la Tour, la sanction divine, la confusion des langues et la dispersion des peuples sont revus sous l’angle de l’histoire contemporaine. De l’origine biblique du mythe à ses résonances actuelles, suivez nos guides pour une immersion au cœur de BABEL. Multi culturalité, globalisation ou encore démesure seront au rendez-vous ! Tarifs :
Forfait groupe jeune (-26ans) : 55¤ + droit d’entrée à l’exposition
Forfait groupe adulte : 65¤ + droit d’entrée à l’exposition
Un carnet ludique Peur de s’ennuyer au musée ? Découvrez une approche ludique et instructive pour parcourir l’exposition avec un carnet de visite spécialement conçu pour les familles et les enfants. Ce cahier interactif vous invite à vous pencher sur les œuvre en faisant appel à vos souvenirs, à vos connaissances ; observer ; comparer ; dessiner… Désormais les enfants ne pourront plus dire que le musée, c’est ennuyant ! Dimanches interactifs Possibilités de participer en famille, entre amis ou individuellement aux visites guidées organisées au sein du Botanique. Les dimanches 17 et 31 mars à 15h : visite guidée Durée : 1h30 / 20 personnes max. Tarif individuel : 5¤ + droit d’entrée à l’exposition
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Dossier pédagogique
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Babel
Bibliographie
Interprétation biblique : André Wenin, L’homme biblique. Lectures dans le Premier Testament, 2e édition revue et augmentée, coll. Théologies bibliques, Paris, Éditions du Cerf, 2004. André Wenin, Joseph ou l’invention de la fraternité. Lecture narrative et anthropologique de Genèse 35–50, coll. Le livre et le rouleau 21, Bruxelles, Lessius, 2005.
Linguistique : Paul Ricoeur, Histoire et vérité, Le Seuil, 1955. Jorge Luis Borges, La bibliothèque de Babel, 1941. Alain-Abraham Abehsera, Babel, la Langue promise, BibliEurope - Connectives, 1999. Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues (préfacé par Abraham Bengio), Editions La passe du vent, 2012. Umberto Eco, La Recherche de la langue parfaite, Seuil, Paris, 1994. Christiane Notari, Chomsky et l’ordinateur. Approche critique d’une théorie linguistique, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2010. Steven Piker, L’instinct du langage, Odile Jacob, 1999.
Point de vue psychanalytique : Marie Balmary, Le Sacrifice interdit, éditions Grasset 1999. Mary Balmary, Freud jusqu’à Dieu, Actes Sud, 2010.
Le mythe de Babel (roman) : Paul Zumthor, Le Puits de Babel, Gallimard, Paris, 1969. Paul Zumthor, Babel ou l’inachèvement, Editions du Seuil, Paris, 1997. Douglas Adams, Le Guide du voyageur galactique : le Babelfish est un poisson interprète qui se glisse dans le conduit auditif d’un être vivant, 1979. René Centassi et Henri Masson, L’homme qui a défié Babel, Éditions Ramsay, 2002. Ted Chiang, La Tour de Babylone, 2006.
Evocation de la tour dans la littérature française : Gustave FLAUBERT, La colline de l’Acropole, Salammbô, 1862. Pierre MAC ORLAN, Paris, Gallimard, Paris, 1929. Claude Ollier, Description panoramique d’un quartier moderne, Méditations, 1961. René de CHATEAUBRIAND, Les églises gothiques, Le Génie du christianisme, 1802.
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Dossier pédagogique
Babel
Corinne ALBAUT, Les Gratte-ciel, 101 poésie et comptines, 2006. Jules ROMAINS, New York, Une vue des choses, 1941.
Littérature jeunesse : Francine VIDAL, Elodie NOUHEN, La Tour de Babel, Didier Jeunesse, 2007. Jacques MARIN, Alix et la tour de Babel, Bande dessinée, Editions Casterman, 1981. Claude PONTI, La nuit des Zéfirottes, Ecole des loisirs, 2006.
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