L'estuaire de la Canche en quête d'un paysage en commun - PFE 2019

Page 1


L’estuaire de la canche en quête d’un paysage en commun D’une rive à l’autre

Léa Colombain Rapport de présentation de PFE de Paysage Atelier materialité printemps 2019 Enseignants : Yves Hubert, Bertrand Le Boudec


Je remercie

Yves Hubert pour la confiance qu’il nous a accordé tout au long de cet atelier, pour son écoute et son attention. Je souligne son envie de nous faire expérimenter de nouvelles manières d’aborder le paysage et notamment ce semestre par le biais des réunions participatives et des services écosystémiques. Merci pour l’enthousiasme et la passion transmise. Bertrand Le Boudec pour le suivi et les bons conseils mais aussi pour les histoires, les lectures et les références toujours plus intéressantes les unes que les autres. Merci pour la curiosité, et les connaissances transmises et de m’avoir montré qu’il y a dans tout une part de poésie. Mes parents, mes frères Alexi et Tom, mes amis de longues dates qui ont toujours été là et qui ont su avoir les mots justes pour m’encourager et me donner confiance. Mes camarades qui m’ont accompagné tout au long de ces trois années, une pensée particulière aux « bebous » mais aussi à toutes les personnes que j’ai pu rencontrer, côtoyer avec qui j’ai lié de belles amitiés. Ils m’ont fait grandir aussi bien intellectuellement que humainement. Axelle pour tous les excellents conseils à la rédaction de ce mémoire mais surtout pour tous les bons moments partagés. Toutes les rencontres que j’ai pu faire durant ce moment de vie à Lille qui m’ont fait évoluer. Un clin d’œil à Florine, une coloc de grande qualité, qui a été un exemple de ténacité et qui a été un vrai soutien.


« Quelques indispensables…ceux qui permettent de professionnaliser votre profil…et notamment : des vêtements chauds, un bon manteau (le plus imperméable que vous ayez), de bonnes chaussures bien fourrées et bien chaudes, un bonnet, une écharpe et des gants, un petit sac à dos avec tout votre matériel de parfait reporter (carnet de croquis, crayon et feutres en tous genres…) appareil de photos…et pour les ornithologues et chasseurs de phoques...une paire de jumelle…! Venez en forme et bien reposé car la marche, le vent, le froid et les embruns…solliciterons nos réserves énergétiques. » Yves Hubert. Mail du 19 février 2019

Marche vers la mer, le 20 février 2019 Photographie personnelle


Sommaire Avant-propos Préambule Introduction..........................................................................................p.15

I - « regarde de tous tes yeux, regarde ! »........................................p.18 I.1. L’atelier public, un autre regard sur le paysage......................p.21 I.2. Une vallée en quête d’identité.................................................p.31

II - « beauté exige »................................................................................p.42 II.1. La vallée de la Canche, un socle géographique puissant....p.45 II.2. L’estuaire de la Canche, une présence humaine forte..........p.57

III - d’une rive à l’autre..........................................................................p.62 III.1. Un paysage symbolique du commun..................................p.65 III.2. La promenade de l’estuaire....................................................p.73

Conclusion..............................................................................................p.87

Observation, le 20 février 2019 Photographie personnelle


Avant-propos

Choisir un atelier de master materialité Le Touquet Paris-Plage, un lieu qui m’était inconnu. Je n’ai pas eu pour habitude de passer mes vacances à la mer et encore moins dans des stations balnéaires. La mer du Nord, je ne la connaissais pas avant de venir faire mes études à Lille. L’air pur, les embruns, ces grandes étendues de sables à perte de vue, l’horizon si parfait qui sépare le ciel de la mer, de grands paysages qui emmènent ailleurs, hors du temps. Cet atelier public m’a emmené dans une réalité, celle d’un estuaire, celle de la Canche qui vient se jeter dans la Manche. Celle de la rencontre entre un socle géographique instable, un paysage en perpétuel mouvance et une présence humaine oscillante en fonction des saisons. La materialité de ce territoire résulte d’une confluence déséquilibrée entre ces deux éléments. Construire les dunes, endiguer l’estuaire, polderiser les terres, pour finir par vivre en instabilité et se rendre compte qu’il n’est désormais plus souhaitable d’aller contre mais qu’il va falloir vivre avec, vivre ensemble. Ce projet s’intéresse aux nouvelles façons de gérer et de construire en commun avec les éléments, dans l’urgence impartie. L’atelier s’est saisi de ce territoire par le biais de l’étude des services écosystémiques, un levier qui a permis de définir les composantes de ce paysage et ce qui lui donne ou non une identité. C’est une porte d’entrée qui permet de constater tous les services que ce territoire rend à l’homme, constater à quel point l’humain s’est emparé de ces milieux, comment l’homme a voulu dompter cette matérialité littorale. Ce rapport à pour objet de présenter ce territoire et ce travail élaboré durant ce semestre de printemps et d’appréhender le rôle du paysagiste dans ce moment d’ écoute et de partage autour d’un territoire, de problématiques communes.

Confluence, le 04 avril 2019 Photographie personnelle

11


préambule

Une première journée dans l’estuaire de la Canche le 20 février 2019

« Entre l’urbain et le naturel, d’un côté un quai, de l’autre le sable qui craque, qui marque, qui ondule, qui cède… L’instabilité du sable, la semaine dernière, je marchais dans la neige aujourd’hui c’est une neige minérale faites de milliards de petits grains. C’est d’un pas chaloupé que l’on descend les dunes. Le sable peut aussi être très marqué sous les pas des marcheurs le sable est en pagaille, tout se mélange. Ces traces sont marquées puis effacées. Le sable peut être lisse, doux, dessiné par le vent. Le vent dessine le sable, dessine le paysage de la baie de Canche. Influence la construction de la ville, les rues rectilignes, quadrillées rallongent ou raccourcissent l’arrivée à l’ouverture, à l’horizon. Le vent s’engouffre, la dernière rue avant le grand horizon, les cheveux commencent à s’emmêler. La grande ouverture, déception, la voiture partout, les pieds dans l’eau ce n’est pas pour tout de suite. Des franges, des portes, des sas, des différences. Ouvert, fermé. La pinède sombre, le sable claire : contrastes. L’embouchure, une compétition entre terre et mer, eau et sable. L’eau grignote, la terre avance ou recule. Les hommes s’agitent, construisent, empilent des pierres, déplacent des masses sableuses. Les éléments et les hommes cohabitent, un système (des)équilibré ? »

13


Introduction

Les enjeux de paysage de l’estuaire de la Canche

L’Estuaire de la Canche est un paysage littorale où l’eau est l’une des contraintes principales. Aujourd’hui, ce territoire donne l’impression que l’eau morcelle. C’est en globalité que ce territoire est à questionner, à l’échelle de la vallée. Deux échelles sont donc à interroger : - l’échelle du rivage, comment raisonner, préserver et valoriser la diversité des paysages littoraux, améliorer l’accessibilité au littoral et renforcer le sentiment de trouver là « un bien commun », ou encore accroître l’attractivité des espaces balnéaires. - l’échelle du territoire habité, actif et résidentiel, qui le borde et dont il faudra à chaque fois définir l’étendue et la profondeur : comment habiter les territoires littoraux, comment s’installer avec « vue sur mer », comment développer les activités économiques liées à la mer et au fleuve mais aussi comment tenir à distance l’activité et la fréquentation des façades littorales et fluviales sans négliger l’arrière-pays et tout l’apport qu’il peut avoir pour le développement du territoire. 1 Afin de comprendre ce territoire qui semblait diviser et tourner le dos à son fleuve ainsi qu’à son estuaire nous avons dans un premier temps réalisé une analyse par le biais des services écosystèmiques. Ce concept a été pensé par l’ONU dans le cadre de l’Ecosystem Millenium Assessment (L’Évaluation des écosystèmes pour le 1 Habiter demain le littoral, un territoire en projet(s), DREAL PACA, ENSA master 2, 2017-2018

15


millénaire) qui a débuté en 2001. Les services écosystémiques sont définis comme étant les bénéfices que les êtres humains tirent du fonctionnement des écosystèmes. Cette notion met en évidence les liens de dépendance de l’homme vis à vis des milieux naturels, les conséquences des changements des services écosystémiques sur le bien-être humain. C’est une approche anthropocentrée, c’est à dire qui place l’homme au centre puisque les services écosystémiques profitent à la société et au bien être humain. Le but étant de mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durable de ces systèmes, ainsi que de leur contribution au bien-être humain. Les services écosystémiques rendent la vie humaine possible, par exemple en produisant des aliments nutritifs et de l’eau propre, en régulant le climat, en contribuant à la pollinisation des cultures et à la formation des sols, et en fournissant des avantages culturels. Ce concept permet de parler du paysage en commun, du paysage partagé entre les humains et la nature. C’est un équilibre à trouver entre l’intérêt général (du plus grand nombre) et l’intérêt particulier de ceux qui en ont l’usage quotidien dans une dynamique qui permet d’intégrer les évolutions, les nouveaux usagers tout en acceptant les dynamiques naturelles et ainsi accepter l’idée d’un « paysage en mouvement ».

17


01

ÂŤ regarde de tous tes yeux, regarde ! Âť Se saisir de la commande et du site


I.1. L’ATELIER PUBLIC Un autre regard sur le paysage

L’atelier public est une mise en situation dans le monde réel. Cette méthodologie d’intervention nous a permis divers échanges et rencontres avec une multitude d’acteurs, connaisseurs, pratiquants du territoire. Nous avons alors directement été confrontés au paysage du réel, du quotidien, des saisons qui influencent ce territoire. Nous nous sommes saisis de ce paysage de l’intérieur, nous avons ainsi pu entrer au cœur des dynamiques présentes, en apprécier les richesses et en appréhender les manques. Ainsi, j’ai pris conscience de l’importance des témoignages, des ressentis des personnes qui au quotidien «vivent» le territoire. Apparait alors la dichotomie entre ce paysage à couper le souffle, que l’on contemple, un paysage carte postale qui incite au rêve, et la perception des acteurs grâce auxquels j’ai pu en appréhender les imperfections, les points noirs. Un paysage vivant par lui même et par ceux qui le vivent. Des enjeux et une urgence toute prosaïque, celle imposée par la mer qui vient creuser la terre, le chemin en corniche qui n’existera probablement plus la prochaine fois que nous viendrons, un camping en sursis, il faudra accepter de dormir les pieds dans l’eau.

Les dunes de Saint-Gabriel, le 04 avril 2019 - Photographie personnelle

21


CA2BM Mairies Eden 62 DDTM

La vallée de la Canche

Office du tourisme Maréis ...

ENSAPL Atelier Public Baie de Canche

DREAL Direction Régionale Environnement Logement Aménagement « le projet concerne la question du devenir paysager de la Pointe du Touquet, sa relation avec la ville du Touquet, tout comme sa capacité à assurer le lien avec l’estuaire, le cordon dunaire et l’arrière-pays. »

réunions de participations Proposition d’un projet global à l’échelle de la vallée

Le maître d’ouvrage pour cet atelier public est la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) des Hauts de France pour laquelle notre projet d’intervention est ainsi défini : « le projet concerne la question du devenir paysager de la Pointe du Touquet, sa relation avec la ville du Touquet, tout comme sa capacité à assurer le lien avec l’estuaire, le cordon dunaire et l’arrière-pays. » Cette proposition d’action incite dans un premier temps à prendre de la distance. En effet, l’estuaire de la Canche pose autant de questions en aval qu’en amont. La première approche a donc consisté à prendre de la hauteur, à «dézoomer». Nous avons donc exploré l’ensemble de l’estuaire de la Canche par le biais de l’analyse des services écosystémiques prenant en compte les écosystèmes naturels liés aux estuaires et aux cordons dunaires mais aussi les écosystèmes anthropiques liés aux stratégies qui animent les villes du Touquet, d’Etaples et de Camiers. En parallèle les réunions «participatives» que nous avons organisées et animées m’ont montrées l’importance d’être à l’écoute des acteurs locaux, et à quel point cette écoute peut être bénéfique pour l’élaboration du projet. Les acteurs locaux, avec leurs différents points de vue sont porteurs de la dynamique du territoire dans lequel ils vivent. Les échanges que nous avons pu avoir m’ont également permis de vraiment prendre conscience d’une dimension importante de l’intervention du paysagiste dans ce type de projets. Dans un premier temps, le paysagiste occupe, selon moi, une fonction de médiation: réunir, faire échanger des personnes qui ne se connaissent pas forcément, mais qui travaillent sur les mêmes problématiques, sur le même territoire, partager les points de vue, travailler à l’émergence d’une connaissance commune...

Fig 1 : Organisation de l’atelier public Réalisée par Léa Colombain mai 2019.

23


se rencontrer, d’échanger et de constater les valeurs et les problématiques partagées.

« Les paysages sont des ressources communes, ils répondent à des besoins humains généraux, sociaux et psychologiques, mais aussi politiques, que les paysages peuvent être considérés non seulement comme biens communs, comme ressources communes pour les êtres humains, mais aussi comme des lieux et des conditions de la fabrication du commun, voir comme des enjeux

La méthode retenue a été d’organiser des réunions participatives. Comme évoqué précédemment les débats ont été animés autour d’une analyse des services écosystémiques du territoire. Cela nous a permis d’évaluer les enjeux actuels, de faire l’inventaire des atouts et des difficultés rencontrées et mettre ainsi en exergue les moyens d’élaborer ou d’améliorer les stratégies de gestion intégrée du territoire.

pour le commoning. »2

Le paysage qui se déploie le long de la Canche est partagé par les différentes communes qui se sont construites autour de l’estuaire ou le long de la rivière. Ne s’agit il pas d’ailleurs là d’un «bien commun» à ces communes ? Le paysagiste à un vrai pouvoir de coordination. En effet nous nous sommes très vite rendu compte qu’il n’y avait pas de véritable de dialogue entre elles et notamment entre Etaples, le Touquet et Camiers, la notion du devoir de coordination, pour moi une autre fonction du paysagiste, s’est imposée à nous. Notre venue en tant qu’intervenants extérieurs à ce territoire a permis, de réunir ces différentes communes concernées par les mêmes problématiques, par le même paysage. Avec cette particularité, pour moi nécessaire à notre travail, que les personnes rencontrées, ne sont pas seulement des politiques ou des gestionnaires, mais également des personnes qui vivent simplement ce paysage au quotidien, qui s’y promènent, qui le contemplent... et l’ont contemplé au fil des saisons et des années. Notre atelier a ainsi ouvert son territoire d’investigation à tout l’estuaire de la Canche après avoir constaté qu’il existait une histoire commune, singulière mais divisée. C’est pourquoi nous avons élargi notre terrain d’investigation à l’échelle de la vallée, de Montreuil-sur-Mer à l’exutoire. Nous avons alors choisi de réunir ces acteurs, afin de leur permettre de 2 BESSE Jean-Marc, Paysages en commun, éditorial, Les carnets du paysage n°33, 2018, p.5

24

Sur cette base nous avons programmé trois réunions appelées ateliers participatifs . Les deux premiers ont eu lieu, le troisième nous permettra de présenter les différents projets proposés par chaque étudiant autour de quatre grands thèmes : les interfaces, la résilience, les connexions et les infrastructures vertes.En partant de cette base des services écosystémiques présents sur le territoire de l’estuaire de la Canche nous avons organisé trois réunions participatives :

1er atelier participatif : l’atelier s’est déroulé en deux temps, 14 mars 2019

une première partie consacrée à un répertoire des services écosystémiques présents sur le territoire, et à un état des lieux de chaque système existant, et un deuxième temps de projection dans le futur sur ceux qu’il conviendrait de supprimer ou au contraire renforcer. Ce qui nous a ensuite permis d’établir des moyennes sur une vision commune du territoire.

2ème atelier participatif : à partir des éléments récoltées lors 4 avril 2019

de la première réunion, nous avons imaginé trois scénarios qui renforcent ces services écosystémiques vus comme positifs par la majorité des acteurs de l’atelier précèdent, nous proposons trois thèmes: la submersion, la production et les

25


activités touristiques. Nous avons interrogé une vingtaine d’acteurs, sur les services écosystémiques à prioriser pour arriver à la fin de l’exercice, à les faire s’exprimer sur les actions porteuses d’avenir.

Usagers du site Complémentarité

Administratifs du territoire

PROJET Implication

Partenariat

Paysagistes

Ces réunions m’ont permis une première approche du territoire. Elles m’ont fait constater dans un premier temps, que les différentes communes qui bordent la Canche rencontrent les mêmes problèmes, l’érosion et la sédimentation de la vallée. Malheureusement aujourd’hui, il n’y a pas de coordination territoriale. L’un des constats fait par la DREAL est qu’il y a une vraie volonté de faire mais il manque une vision globale, une cohérence d’ensemble. Il faut donc prendre de la hauteur sur la baie de Canche, pas seulement penser aux aménagements mais penser les dynamiques. Comment redonner vie et de la biodiversité à l’estuaire ? Comment revaloriser ce paysage qui est aujourd’hui aujourd’hui une sorte d’exutoire à tous les problèmes ? Quel dialogue à trouver entre les deux rives de la Canche ? Un estuaire oublié auquel on tourne le dos, la Canche étant aujourd’hui perçue comme une limite, un obstacle.

« En tant que paysagiste, notre intervention est éphémère. Nous avons un rôle de conseil, un regard extérieur à ce territoire, une attention particulière à la globalité, à l’ensemble. Nous sommes des incitateurs. » Réflexion d’atelier le 22 février 2019. Fig 2 : Fonctionnement du projet Réalisée par Léa Colombain mai 2019.

27


Camiers

Le Touquet

28

Etaples

Montreuil-sur-Mer 0

29 3km

N


La Manche I.2. une vallée en quête d’identité L’estuaire de la Canche se trouve dans le Nord de la France, sur le littoral de la Manche. Depuis la baie de Somme au Sud, le littoral est formé d’une succession de baies dans lesquelles se jettent des fleuves côtiers et de plages basses soumises aux rythmes des marées. Depuis le Tréport au Sud jusqu’à Ambleteuse au Nord, ce littoral fait partie de la Côte d’Opale et du Parc naturel marin des estuaires picards. La Canche est un petit fleuve côtier qui prend sa source à Gouy-en-Ternois à une altitude de 133m, et qui débouche sur la côte du Pas-de-Calais dans la Manche. Son bassin versant présente une forme allongée de 85km sur 30km, et sa surface est de 1274 m². La baie de Somme et la baie d’Authie sont les deux baies les plus proches de la baie de Canche, deux baies qui ont réussi à valoriser un caractère paysager qui leur est propre. Toutefois la baie de Canche n’a pas encore su promouvoir son identité, sa force, sa cohérence. Aujourd’hui, il n’y a pas d’approche globale de ce territoire, il n’y a pas de plan de paysage. Ce territoire donne l’impression d’une organisation en silos, sans collaboration entre les différentes fonctions, empêchant une vision transversale entre les différentes communes du territoire de l’estuaire de la Canche : Le Touquet, Etaples, Camiers, Cucq et Montreuil-sur-Mer. Il existe aujourd’hui et ce depuis 2016 la Communauté d’Agglomération des 2 Baies en Montreuillois (CA2BM) qui a pour compétences: le développement économique, l’équilibre social de l’habitat, l’élaboration du diagnostic du territoire et la définition des orientations du contrat de ville ainsi que la gestion des milieux aquatiques et la prévention Fig 3 : La côte d’Opale Réalisée par Léa Colombain mai 2019. N

31


CAMIERS

ETAPLES

ETAPLES

LE TOUQUET


des inondations (GEMAPI). Ce partage de compétences permet une approche globale de ces différentes thématiques sur un territoire plus large et met en relation deux baies qui partagent les mêmes problématiques. A une plus petite échelle, celle de l’estuaire de la Canche, il y aurait une cohérence à trouver. Un manque de dialogue entre les communes est constaté alors qu’elles partagent le même socle géographique et les mêmes problématiques, ce qui se passe en amont a forcément un impact sur ce qui se passe en aval et inversement. L’érosion du trait côtier, la sédimentation des vallons par les affluents qui viennent se déverser dans l’estuaire sont autant de problématiques qu’ils gagneraient à être gérées conjointement. L’estuaire de la Canche est bordé par les communes de Camiers (hors bassin versant de la Canche), d’Étaples et du Touquet-Paris-Plage. Il est composé de prés salés (ou mollières) riches en espèces halophytes : salicornes, obiones, etc., et de dépressions marécageuses. On y dénombre quarante espèces de végétaux protégées au niveau régional et près de 150 espèces d’oiseaux. Compte tenu du patrimoine naturel remarquable, une partie de la rive droite de l’estuaire a été classée en réserve naturelle nationale. 3 Cette diversité naturelle ne doit pas occulter le fait qu’existe aujourd’hui une sorte de point de non retour. Face aux problématiques environnementales, aux changements climatiques, ce qui était traité au cas par cas: les digues, les enrochements... autant d’aménagements qui s’inscrivent dans le temps court, et dans un espace contraint , ne peuvent plus être des solutions. Les répercussions ainsi créées sur l’ensemble de l’estuaire et les conséquences dans le temps long

ne sont plus supportables. Il n’est désormais plus envisageable d’aller contre les dynamiques naturelles. Il s’agit de sortir d’une gestion par la volonté de maitriser les forces naturelles au rythme voulu par le développement de l’activité humaine: l’économe, les loisirs, et de tenter de faire de ces contraintes des opportunités de développement. L’approche par les services écosystémiques nous a permis d’inverser le mode d’appropriation de ce territoire en l’abordant par le biais des services que la nature rend à l’homme. Ainsi nous avons mis en place une première analyse du territoire qui a été soumise aux acteurs afin de recueillir leurs avis et de bénéficier de leurs apports. Dans un premier temps, un jeu de carte matérialisant les services écosystémiques, a permis de prioriser et catégoriser les différents services en fonction des expériences des acteurs, ce qui a également suscité des débats et échanges autour des visons du territoire. Il en est résulté un classement, objet, dans un deuxième temps d’une réflexion menée collectivement dans l’objectif de trouver un consensus sur les services à prioriser sur le territoire de la Baie de Canche. La vallée de la Canche une diversité d’entitées paysagères, une diversité de milieux qui font la richesse du territoire. Les différents exercices réalisés durant les réunions participatives sur les services écosystèmiques nous ont permis de constater que les acteurs et les gestionnaires de la vallées rencontrent les mêmes problématiques.

3 Programme d’actions, de prévention contre les inondations, Symcéa, 2014, 188p.

34

35


échantillon des services écosystémiques les servcies de production - les produits potentiels obtenus à partir de ces écosystèmes : la cueillette, l’agriculture exportatrice, le maraîchage, la chasse au gibier d’eau...

Les services de régulation - modérer ou réguler par les phénomènes naturels : la régulation du climat, le maintien des habitats de reproduction, l’érosion des plateaux ...

les services culturels - les bénéfices non matériels que l’homme peut tirer des écosystèmes : le paysage symbolique, espèces animales symboliques, les espèces végétales symboliques, les événements festifs ...

37


La vallée de la Canche : une diversité d’entités paysagères Dans lesquelles s’insèrent les services écosystémiques

Zone urbaine construite Zone rurale construite Champs Dune boisée Dune grise Dune blanche Estran

Schorre urbanisé Schorre anthropisé Schorre naturel Slikke Marais Forêt

Fig 4 : Réalisée par l’atelier. Février 2019.

0

3km

N


+

Les services écosystémiques suivant sont jugés comme ayant un impact positif sur le territoire :

Dans une autre mesure, les notions qui divisent les acteurs du territoire sont :

- la ressource en eau non potable

- l’agriculture exportatrice

- l’agriculture locale de proximité

- les digues

- la dune protectrice

- les événements festifs, sportifs ou traditionnels

- le maintien des habitats de reproduction

- les activités balnéaires

- la gestion des espaces naturels - le paysage symbolique de la Baie, ainsi que les espèces végétales, animales - le patrimoine à valeur historique.

-

A l’inverse les services écosystémiques négatifs pour la majorité des acteurs présents à la dernière réunion sont : - l’érosion des plateaux

Ces données objectivées expriment une moyenne et varient selon le panel des acteurs. Nous prenons donc avec beaucoup de recul ces résultats qui restent néanmoins des données concrètes utilisable comme levier de projet. Ces résultats montrent tout de même que les enjeux sont partagées, il y a donc une identité commune à trouver afin de rendre cohérent ce territoire aujourd’hui très morcelé entre les activités humaines qui souhaitent maîtriser un socle géographique fort aux dynamiques imprévisibles.

- les rejets d’eau polluées - l’utilisation de la voiture. Les résultats du deuxième exercice mettent en avant les services à renforcer : - l’agriculture locale de proximité - le maintien des habitats de reproduction - la recherche scientifique - Les service culturels comme la pratique de la marche, l’éducation à la nature, le paysage symbolique à valeur culturelle.

40

41


02

« beauté exige » La rencontre entre l’homme et un socle géographique


II.1. la vallée de la canche, UN SOCLE GéOGRAPHIQUE PUISSANT La France est entourée par quatre mers, la Méditerranée, l’océan Atlantique, la Manche, la mer du Nord. L’érosion concerne aujourd’hui un peu plus du quart du littoral (27 %), dont presque la moitié (46 %), des plages à sable et à galets et environ le quart (23%) de côtes rocheuses. Entre décembre 2013 et mars 2014, huit tempêtes à l’origine de fortes vagues, de vents forts, entrainant des érosions de plage et de dune, des mouvements de terrain, des submersions marines. Cela a provoqué un recul du trait de côte d’environ pour de nombreux sites et des submersions marines. 4 Les phénomènes d’accrétion (avancée de la terre sur la mer sous l’effet d’une accumulation de matériaux), ou d’érosion (départ de matériaux vers la mer ou parfois vers l’intérieur des terres) participent au recul du trait de côte et/ou à l’abaissement des plages. Il faut s’appuyer sur des éléments géomorphologiques ou sur des considérations altimétriques voire hydrodynamiques (limite de déferlement), d’autres sur la présence de végétation (botanique) ou de débris (laisses de mer) pour constater les fluctuations du trait de côte. 5 L’atmosphère, la lithosphère et l’hydrosphère, le mélange de ces éléments construisent ce paysage de l’estuaire. Ce paysage impressionne, emmène ailleurs. Il donne envie de revenir, c’est pourquoi il est en grande partie habité de manière continue ou saisonnière. 4 Cinq territoires recomposent le littoral, Traits urbains, Ministère de l’environnement, de l’Energie et de la Mer, 108 p. 5 http://observatoires-littoral.developpement-durable. gouv.fr/qu-est-ce-que-le-trait-de-cote-r25.html

45


L’atmosphère Le vent, l’air marin. Lorsque l’on va à la mer, on va aussi prendre l’air frais rempli d’odeurs salines … Le vent est toujours présent, il fait partie du paysage de la Canche. Je me souviens, être sorti d’une des rue du Touquet et pris en pleine figure une rafale de vent, m’emmêlant les cheveux dans tous les sens. Et je me suis dit : « Ca y est, je suis à la mer !» Le vent est pour moi un élément significatif des paysages côtiers. Le vent est un moteur essentiel de la construction du paysage et de la géographique du bord de mer. En fonction de sa vitesse, il met en mouvement des particules, par exemple un vent de force 4 (21 mètres à la seconde), dans l’échelle de Beaufort, soit une «jolie brise», peut déplacer 10 kilos de sable par mètre linéaire et par heure. Ce qui rend le paysage de la Canche un paysage contraint, un paysage qui vie par cette modulation du vent. Il fait partie des éléments que l’on attend avec son cerf volant, son voilier, son char à voile, ou simplement pour se sentir ailleurs. Mais il est aussi un élément contraignant, marcher contre le vent, faire du vélo face aux rafales ce n’est jamais très agréable et que dire lorsque de la «jolie brise» il passe au «grand frais» voire au «coup de vent»...

47


L’hydrosphère Les marées, la montée des eaux . L’eau divise, morcelle, transporte, dépose. « Les estuaires sont des embouchures fluviales sous la dépendance de la marée. »8 Les marées influencent le paysage de l’estuaire de la Canche. Deux fois par jour, avec une force colossale elles modifient les paysages, les usages, les activités humaines. La mer monte et et génère un espace instable, qui n’appartient ni vraiment à la mer ni vraiment à la terre. Il y a aussi un lieu particulier, là où il y a contact entre l’eau douce de la terre et l’eau salée de la mer. Un territoire intermédiaire entre deux mondes. Cette limite indécise, fluctue au grès des marées, des courants marins, du vent et des conquêtes végétales. Les éléments naturels contraignent les activités humaines, une temporalité à prendre en compte dans l’élaboration du projet. Les vallons formés par des rhizomes sinueux se déversent dans l’estuaire au grès des pluies. Le cheminement de l’eau est à considérer de la goutte d’eau qui tombe sur les plateaux jusqu’à la mer en prenant en compte les pollutions accumulées.

8 Marais et estuaires du littoral français, Fernand Verger, Paris, Belin, 2005, 335 p.

49


La lithosphère L’ensablement, la terre, le vivant.

La litosphère est la couche la plus superficielle de l’écorce terrestre. Elle est prise en compte dans la biosphère qui est la partie de notre planète où la vie s’est développée. La végétation qui s’est développée a su s’adapter et tirer parti de ce milieu contraint. Le sol, le sel, le vent sont autant d’éléments qui font que cette biomasse est riche avec une vraie biodiversité.

51


La Canche par ses marées offre chaque jour un spectacle et conditionne les usages. L’estuaire a donc deux états forts, en immersion et en émersion. Ce paysage permet des activités, où l’on vient jouer avec ces éléments, on vient contempler, se vider les poumons, souffler, se poser, se reposer, s’apaiser, se défouler, se dépenser, se libérer … Ce qui fait que ces lieux sont très convoités depuis de nombreuses années… L’ estuaire de la Canche est un territoire en perpétuelle mouvance régit par des phénomènes naturelles indomptables. « Jour après jour, année après année, la mer se jette contre les plages, les dunes et les falaises, fracasse, polit et arrache inlassablement sable, terre, galets ou roches, redessinant sans cesse les contours des rivages. »6 Le trait de côte est la ligne des plus hautes eaux atteintes par temps calme. Cette érosion entraîne le recul (ou l’avancée, dans certains cas) du trait de côte, c’est-à-dire de la limite atteinte par la haute mer lors d’une grande marée, dans des conditions météorologiques normales. 7 Ces mouvances sont intrinsèquement liées par la force de l’atmosphère, de l’hydrosphère et de la lithosphère. Le trait de côte est donc une notion relative et fluctuante.

Actuel 1997 1979 1935 Etat major 1820-1860 Cassini XVIIIème siècle

Actuel

Poulier

1997 1979

6 Cinq territoires recomposent le littoral, Traits urbains, Ministère de l’environnement, de l’Energie et de la Mer, 108 p. 7 Cinq territoires recomposent le littoral, Traits urbains, Ministère de l’environnement, de l’Energie et de la Mer, 108 p.

Contre-poulier

1935 Etat major 1820-1860

Fig 5 : Evolution du trait de côte. Réalisée par Léa Colombain avec la collaboration de Ambroise Jeanvoine. Avril 2019.

Cassini XVIIIème siècle

0

1,6km

N

53


Le vent, l’eau, le sable forment le poulier, la Canche n’a pas de trajectoire fixe. Le poulier est un banc de sable qui forme un cordon littoral. Sa trajectoire change d’une année sur l’autre, progression vers le sud du poulier pousse le chenal toujours plus près de la rive nord, menaçant les dunes, creusant la terre. Ce poulier referme petit à petit l’estuaire, ce qui génera à terme la navigation. Il est impossible d’aller contre ces phénomènes naturels qui forment, le paysage de l’estuaire de la Canche. Ce sont des dynamiques changeantes qui évoluent avec le temps et qui font que ce paysage est en perpétuel mouvement. Ce paysage est unique. Il est ce que l’on vient contempler. L’estuaire offre un paysage qui mène jusqu’à l’infini. L’horizon si lointain et si large emmène ailleurs, transporte chacun dans son imaginaire. Après l’avoir parcouru je ne peux toutefois pas m’empêcher d’avoir l’impression qu’il est aujourd’hui oublié par les villes qui se sont construites en ne le prenant pas en compte ou en allant contre lui (en construisant des enrochements, des digues), comme si il faisait partie d’un arrière, d’un décor oublié, délaissé.

55


II.2. L’estuaire de la Canche, UNE PRéSENCE HUMAINE FORTE Le phénomène de l’érosion côtière a toujours existé mais jusqu’aux années 1950, il provoquait moins de dommages. Avant cette date, les habitants du littoral s’installaient à l’abri, hors de portée des vagues. Ces dernières décennies, l’attrait pour les bains de mer a considérablement transformé les côtes. De nouveaux habitants sont attirés, souhaitant avoir une vue sur la mer, les pieds dans l’eau, de nouvelles activités, de nouveaux aménagements. Avec la multiplication des stations balnéaires, la côte est aujourd’hui la première destination touristique française. Ces espaces sont très convoités, de plus en plus soumis à une intense migration saisonnière lié au tourisme estival, multipliant la population par 10 l’été. Avec un pression de construction de logements trois fois plus élevée que la moyenne nationale et une hausse de la population de plus de 4 millions de personnes prévues en 2040 ( prévision de l’Insee), le littoral connait une dynamique particulièrement importante. L’exposition de ses habitants aux phénomènes d’érosion côtière de submersion marine et de montée du niveau de la mer sera donc sans aucun doute renforcée. 9

Trait de côte actuel Enrochement 1983, 2003, 2007 Epis 1994 et 1995 Prolongation digue 1990

L’estuaire de la Canche a subi de nombreux aménagements, il n’a donc plus un fonctionnement totalement naturel depuis 1840. Dans l’espoir de maîtriser ou de contrer les éléments naturels, du paysage de l’estuaire, l’homme a construit des infrastructures qui ont guidé l’eau douce et salée et remodelé l’estuaire.

Encloture aéroport 1924 Digue rive droite arrasée en 1909 Digue rive droite (1982 - 1899)

9 Cinq territoires recomposent le littoral, Traits urbains, Ministère de l’environnement, de l’Energie et de la Mer, 108 p.

Digue rive gauche (1842 - 1866) Fig 5 : Construction de l’estuaire. Réalisée par Léa Colombain avril 2019.

0

1,6km

N

57


Les digues sont des ouvrages de remblais servant à contenir les eaux, détourner les cours. Les digues forment une enceinte continue afin de protéger les terres plus basses ou discontinue.

Prolongeant encore la digue de 594 mètres à l’état initial, pour rajouter 1 kilomètre puis 100 mètres puis encore 100 mètres avec une largeur de 75 mètres

L’implantation de digues et quelques opérations d’entretiens (curage et rectification du lit, réseau de drainage pour les égouts des terres) ont été entrepris dès le 15ème siècle dans tout le bassin versant de la Canche. 10

Le Touquet s’est construit sur les dunes du littoral en commençant en 1856 par des oyats puis de pins maritimes afin de fixer et «civiliser» ces terres. La station du Touquet s’est donc développé sur les dunes, face à la mer sur une longueur de cinq kilomètres.

Les jetées sont des ouvrages maritime ou lacustre s’avançant sur le large ou vers la partie profonde d’un chenal pour faciliter l’accostage des navires, ou protéger un port du mouvement des vagues et de l’ensablement. Les enrochements sont des ensembles de quartiers de roches, de blocs de béton entassés sur un sol mouvant ou submergé afin de servir de fondations à des ouvrages immergés ou de les affermir. 11 Ces éléments ont été construits de manière à faciliter l’appropriation de ce territoire par l’homme, qu’il puisse l’habiter. En effet, les différents milieux qui constituent la vallée de la Canche, la Manche, la dune habitée, la vallée et les vallons, les marais, les plateaux et l’estuaire ont permis l’installation de l’homme. C’est un territoire habité par l’homme sur laquelle il a posé une empreinte indélébile. Le port d’Etaples existerait depuis l’époque gallo-romaine qui serait l’ancien port de Quentowic ou Cuenlavicus (ville de la Canche). Depuis ce temps l’estuaire a connu de nombreux aménagements pour permettre le passage des bateaux. Entre 1863 et 1897 l’estuaire a connu de nombreux changements. 10 Mémoire Historique de la gestion du trait de côte dans l’estuaire de la Canche, et gestion du risque d’inondation dans la basse vallée de la Canche, Mathilde LE COADOU, 2011, 96 p. 11 Définition : www.cnrtl.fr

58

Deux grandes infrastructures se sont installées dans l’estuaire: L’hippodrome s’est construit au début des années 20 sur le lit de la Canche. D’importants travaux de terrassements et de construction de trois kilomètres de digues ont été nécessaires, avec l’apport de 70 000 m3 de craies extraites des carrières d’Etaples, de 150 000 m3 de sable provenant des grandes dunes de « May-village » et de 25 000 m3 de terre végétale. Le chantier des tribunes est entamé en janvier et se termine au mois d’août 1925. 12 L’aéroport s’est installée, dans les années 30 lorsque les appareils anglais cherchent à se poser au Touquet. Faute d’installations suffisantes, ils sont contraints d’utiliser l’aérodrome de Berck-Merlimont. Pour faciliter leur transfert jusqu’à Paris-Plage, Gaston Sainsart, commissaire de l’AéroClub de France, réussit à convaincre la Société des Casinos du Touquet d’organiser une navette automobile entre Le Touquet et l’aérodrome de Berck-Merlimont. Soucieuse de récupérer les avions de l’Imperial Airways sur son territoire, la municipalité de Paris-Plage vote en 1934 l’étude de la construction d’un aérodrome, en bordure de Canche, dont les travaux démarreront en février 1936. L’ambition du maire 12 https://si-letouquet.fr/de-ci-de-la/74-implantation-de-l-hippodrome-et-de-l-aeroport

59


de l’époque, le docteur Jules Pouget, est de promouvoir le transport aérien pour donner aux estivants français et étrangers un moyen rapide et sécurisé de rejoindre la plage la plus prisée de France. Le colmatage de la Canche a donc permis au Touquet d’augmenter sa superficie territoriale et d’en tirer profit. Ces infrastructures sont venus anthropiser le coeur même de l’estuaire, elles répondent au développement de ces villes balnéaires. Aujourd’hui, 75 % du territoire du Touquet sont des habitats secondaires. Chaque année durant la haute saison cela a un fort impact sur le territoire de la Canche, il y a évidemment de nombreuses répercussions sur l’assainissement, le besoin en eau, les équipements nécessaires au loisir, à l’accueil de ces touristes. Il faut aussi prévoir la capacité d’accueil de ces flux, l’arrivée en masse de la voiture, des vélos, des piétons, ces mobilités qui prennent d’assaut ce territoire une fois par an. Cela pose la question de la capacité d’accueil des communes mais aussi de la fréquentation et l’artificialisation des milieux naturels, des espaces de vies sur les abords du littoral. Sensibiliser les acteurs faces aux risques d’érosion et de submersion, intensifiés par le changement climatique, il ne suffit plus de raisonner en termes de « défense contre la mer ; ce sont de nouveaux modèles économiques, culturels et spatiaux qu’il s’agit de mettre en œuvre en réunissant les acteurs pour « faire projet ».

Aéroport

Digue

Schorre


03

d’une rive à l’autre La réconciliation du territoire


III.1. un paysage symbolique du commun La forte dualité entre le socle géographique en perpétuel mouvement et la présence humaine, surtout en saison génère une vraie difficulté de cohabitation entre le territoire et ses habitants et entre les différentes interventions menées sur ce territoire. Les réunions participatives que nous avons organisées sont selon moi une première amorce de réconciliation du territoire. Par le biais de cet atelier public nous avons provoqué le débat, suscité l’échange et collecté des données. La participation a donc, dans un premier temps permis de réunir. Notre présence en tant qu’ étudiant est pour moi un prétexte facilitant le dialogue, on force le débat et les échanges. C’est pour moi une partie du rôle du paysagiste, en tant qu’acteur extérieur à un territoire d’insuffler une démarche d’échanges, de montrer que le territoire, les paysages ne peuvent être morcelés et ne peuvent fonctionner indépendamment les uns des autres. Les dynamiques d’aménagement doivent êtres globales et reliées, leur approche doit être systémique. L’approche anthropocentrée par le biais des services écosystémiques permet de rendre visible le lien entre le socle géographique et l’humain. Les échanges ont permis une prise de conscience d’un partage de différents problèmes : l’érosion des plateaux, le rejet d’eau pollué et l’impact négatif de la circulation automobile. Ces problèmes sont la conséquence directe de l’activité humaine et de la manière dont le territoire est aménagé. La force géographique qui fait toute la beauté de ce territoire et son actuelle fragilité dont l’humain est à l’origine doit amener

65


à l’humilité : « disposition à s’abaisser volontairement (à faire telle ou telle chose) en réprimant tout mouvement d’orgueil par sentiment de sa propre faiblesse. »13 Les aménagements mis en place doivent adopter une forme de résilience. Il s’agit de réapprendre à vivre avec l’eau, avec les phénomènes naturels et non pas en opposition à eux. Tirer parti du paysage et de sa beauté naturelle. Faire de la dualité de la force naturelle et de cette volonté d’occupation (partielle ou quotidienne) un avantage. Proposer une cohabitation qualitative. Permettre à chaque entité de tirer parti de l’autre en minimisant les effets négatifs. Il s’agit donc ici de renouer avec l’histoire du territoire pour prendre en compte ses singularités dans les stratégies d’aménagement et dans l’imaginaire collectif. En bref apprendre à vivre différement l’estuaire. Récemment, il est remarqué qu’un changement de paradigme s’opère dans l’estuaire de la Canche, la dernière phase d’enrochements au niveau de la pointe du Touquet a été annulée en 2009, la route en corniche est aujourd’hui réservé aux piétons et aux vélos. De même devant le quai d’Etaples, le projet de prolongement de 600 m de la digue rive gauche en 2006, a été abandonnée. 14 Fort de ces constats partagés et nourris par les travaux des ateliers participatifs, complétés par notre approche des milieux par les services écosystémiques, nous proposons un schéma directeur collectif dans lequel s’inscrivent nos différentes propositions d’actions.

Les grandes lignes de force A travers ce schéma directeur : Protéger l’ensemble de l’écosystème de l’estuaire, l’ensemble de l’estran tout ce qui est dégagé à marée basse. Il y a une attention véritable à porter à la qualité de l’eau venant des terres, des plateaux et de l’eau de mer. Tous les dispositifs mis en place doivent aller dans le sens de la qualification de l’eau. Respecter la dynamique naturelle de la dune et en favoriser la résilience pour renforcer la protection qu’elle offre. Considérer l’eau dans son parcours de l’amont vers l’aval : de la pluie sur les plateaux à son arrivée en mer. Rétablir de la biodiversité, de la biomasse, l’ensemble des dispositifs proposés doivent participer à cette question de développement de biodiversité. Ces milieux sont extrêmement intéressants car les écotones dynamiques permettent des zones tampons qui permettent d’établir des transitions. Les attitudes et les postures à mettre en place sont à considérer à l’échelle de la Vallée. Le schéma directeur dans lequel nous nous sommes répartis les différents lieux rend compte de la mise en place d’une dynamique globale.

13 Définition: https://www.cnrtl.fr/definition/humilit%C3%A9 14 Mémoire Historique de la gestion du trait de côte dans l’estuaire de la Canche, et gestion du risque d’inondation dans la basse vallée de la Canche, Mathilde LE COADOU, 2011, 96 p.

66

67


Un nouveau réseau territorial support de développement et d’attractivité

0

1,6km

N

Réalisé par Ambroise Jeanvoine avec la collaboration de Léa Colombain, mai 2019.


Les attitudes et les postures à mettre en place :

Développer une économie cyclique, (circuit court, service de proximité)

Agir à l’échelle du bassin versant (système amont/aval) intégrer la saisonnalité

raisonner à l’échelle territoriale : décentraliser, solidariser, rendre complémentaire, connecter, porter une image commune

prioriser le développement des modes de déplacement alternatif

70

71


III.2. LA PROMENADE DE L’ESTUAIRE Comme décrit plus haut, l’estuaire de la Canche est fortement partagé entre les infrastructures créées et les espaces riches de nature. Il existe aujourd’hui une cohabitation mais il n’y a pas de lien, les éléments sont comme juxtaposées . Il manque une jonction qui permettrait d’adoucir les limites. Ce projet prend place au coeur de l’estuaire. Il travaille les rives, le face à face, les arrières du décor d’Etaples et du Touquet. De part et d’autre de l’estuaire, des entitées fortes, des milieux très riches et la Canche qui passe au centre qui est aujourd’hui un obstacle. Il y a d’un côté Etaples et le port bétonné, qui offre une première promenade, une ballade le long des quais animés par le marché au poisson. Les hangars qui bordent la Canche sont les coulisses de la ville. Pour rejoindre l’autre rive, il faut emprunter le pont Rose, aujourd’hui plutôt dédié à la voiture. A mi-chemin le piéton a envie de s’arrêter pour contempler la baie mais ce n’est pas agréable, le marcheur continue. Une fois la Canche traversée, le piéton est désorienté, perdu dans les files de voitures, une alternative est à trouver. Cette autre rive de la Canche n’est pas bétonnée, nous sommes dans le schorre. Le schorre, recouvert seulement aux grandes marées est la partie haute de la vasière, où s’est implantée une végétation adaptée à l’eau saumâtre, sur laquelle on peut aisément se promener ou s’approcher du lit de la Canche. La slikke, partie de la vasière qui est recouverte à chaque marée, est construite de vase molle sans végétation. Le sol est gorgé d’eau, les pieds s’enfoncent et glissent, il faut attaper

73


quelques herbes pour réussir à s’en sortir. Ce schorre longe la longue digue qui protège l’aéroport, l’hippodrome et le Touquet. Sur ce schorre, se trouvent des bassins, dessinés par l’homme, chaque bassin possède sa hutte. Ces petites cabanes sont privées limitant l’espace du schorre à un unique usage : la chasse. Un des enjeux de ce projet est donc de retrouver un continuum, un traitement de ce qui pourrait s’apparenter à une lisière, comme une sorte de couture qui relierait la présence humaine à ce socle géographique. Les grands principes d’aménagement : la proximité, les mobilités actives, les liens entre l’arrière-pays et le trait côtier et la solidarité. C’est donc une activation du territoire qui doit être mise en place afin de faire les liens, les mobilités sont au service des échanges, de la valorisation de l’estuaire comme bien commun. Il faut donc accepter et valoriser un paysage changeant en fonction d’un cycle imprévisible et adapter la vie quotidienne et saisonnière au sein de cet espace qu’est l’estuaire.

75


de nouvelles mobilités Mise en relation des facades Réalisée par Léa Colombain, mai 2019.

Promenade de l’estuaire : Favoriser les connexions douces Avenue de la Canche : mise en relation des usages et des lieux Séquence urbaine Séquence naturelle Séquence huttes de chasse Résilience du hors piste de l’aéroport Pôles attractifs: Base nautique Pôle attractif : Port d’Etaples Points de vues sur le paysage les landmarks Les deux rives comme corridor écologique Rendre résilient le «horspiste» des infrastructures installées dans l’estuaire

0

1,6km

N

Connexions ville estuaire


La promenade de l’estuaire, un parcours qui donne à voir le lointain, des landmarks qui donnent envie d’aller découvrir l’autre rive, trouver le chemin qui permet de traverser.

Le paysage de l’estuaire, un paysage symbolique, typique, spécifique de ce lieu AÉROPORT

PHARE DU TOUQUET

RÉSERVE NATURELLE

BASE NAUTIQUE DE LA BAIE DE CANCHE

BASE NAUTIQUE DE LA BAIE DE CANCHE

ROULEV D’ETAPLES

ÉOLIENNES DE WIDEHEM

CARRIÈRE DE CAMIERS

ETAPLES

HIPPODROME


Paysage symbolique

- LES VILLES TOURNENT LE DOS À L’ESTUAIRE - AUCUN TRAITEMENT DES FACADES

Améliorer la covisibilité des facades de l’estuaire

Aménagement des facades, traitement par séquences en fonction des lieux. Dialogue entre les deux rives, façade, décor requalification paysagère de l’estuaire.

mobilités douces - PRÉSENCE FORTE DE LA VOITURE - PROMENADES DE LOISIRS PAS ADAPTÉES À L’AFFLUENCE

Développer un réseau de mobilités douces

Tirer parti de l’élément de digue, transformer le statut de l’objet technique en élément support. Une diversité d’usages : les usagers du quotidien et les usagers saisonniers. Les loisirs lents, les loisirs rapides, l’ordinaire.

Gestion de l’eau

- EAUX DE SURFACE REJETTÉES DANS L’ESTUAIRE

Dépolluer l’eau de surface avant l’arrivée dans l’estuaire

Développer des espaces de lagunages, des zones tampons afin de récupérer et traiter les eaux de ruissellement avant d’être rejetés dans le milieu naturel.

81


Interfaces - LIMITES FRANCHES ENTRE LES INFRASTRUCTURES ET LES MILIEUX NATURELS - ESPACES IMPERMÉABLES

Rendre les infrastructures résilientes, poreuses

Rendre résilient le «hors-piste» l’hippodrome et de l’aérodrome.

- DÉSUÉTUDE DES PÔLES ATTRACTIFS DE L’ESTUAIRE

Renforcer l’attractivité de certains lieux

Les bases nautiques de la baie de Canche (Etaples et Le Touquet) et le port d’Etaples comme espaces d’intensités.

- FORTE PRÉSENCE DE LA CHASSE À LA HUTTE - MÉCONNAISSANCE DU SCHORRE ET DE LA

donner accés, éduquer, faire de la pédagogie de l’estuaire

de

vie de l’estuaire

connaissance de l’estuaire

SLIKKE

Pédagogie, ouvrir l’estuaire à la promenade, donner accés aux huttes. Donner la possibilité d’observer tout en préservant le milieu.

83


Donner de l’épaisseur aux interfaces Une Cohabitation Homme / Nature Constat actuel

Aéroport

Fossé

Digue

Intention

Aéroport

84

Phytoremédiation Dépollution des eaux de surfaces.

La digue support d’usages.

Schorre


Conclusion « La notion de paysage ne se confond pas avec le cadre de vie (un décor), le patrimoine (un héritage à transmettre), le territoire (un espace contrôlé ou approprié), la nature ou l’environnement (les risques). Elle les contient et les réunit avec l’idée directrice de concourir au bien-être humain local, de construire des biens communs localisés car chacun vit le monde ambiant avec les paysages qu’il perçoit et qui sont aussi ceux des autres. »1 Cette citation de Pierre Donnadieu, me semble refléter au mieux l’expérience qu’a été pour moi cet atelier public. Construire un projet en commun, confronter les points de vue, ceux des habitants, des acteurs locaux, les nôtres, s’appuyer surs les analyses techniques, les approches sensibles, la vie et l’expérience des acteurs locaux... Utiliser la confrontation des points de vue pour ébaucher une vision dynamique et complexe d’un territoire. Travailler les différentes échelles, ne pas oublier que le «petit» fait partie d’un «tout». Puis élaborer un schéma directeur partagé. Le paysagiste non pas comme sachant, mais comme catalyseur. Passée cette phase, d’inventaire partagé, de bouillonnement d’informations et de questions, c’est l’estuaire qui retient mon attention pour la suite de mon travail. Ce formidable et puissant milieu naturel est à l’origine de l’implantation humaine. C’est sa nature même qui a attiré l’homme et ses activités. Mais la dichotomie entre les espaces naturels et anthropiques qui s’est accentuée au fil du temps, est aujourd’hui trop forte. De la même manière les différentes 1 DONADIEU Pierre, Paysages en commmun, Contrées et concepts, 2014, p.25

87


activités humaines et leurs implantations dans l’estuaire ne communiquent pas ou peu entre elles. Paradoxalement c’est cela qui m’attire. Comment, recoudre, tisser ce territoire? Comment créer des liens? Brouiller les limites? Favoriser les échanges entre milieux naturels et anthropiques? Développer la présence humaine tout en favorisant la résilience des écosystèmes. Autant de questions que je me propose de travailler dans la réalisation d’une «promenade de l’estuaire».

88


bibliographie BESSE Jean-Marc, Paysages en commun, éditorial, Les carnets du paysage n°33, 2018, p.9 BESSE Jean-Marc, Voir la Terre, Six essais sur le paysage et la géographie, Actes Sud/ENSP, 2000, p.12 DEVILLERS Christian, HAUMONT Antoine, MOREL Valérie, ROUX Jean-Michel, Le littoral en projet, 2009, p.79 DONADIEU Pierre, Paysages en commmun, Contrées et concepts, 2014, p.25 DREAL PACA, Habiter demain le littoral, un territoire en projet(s), ENSA master 2, 2017-2018. KLEIN Richard, La côte d’Opale, architectures des années 20 à 30, sous la direction de, 1998, 191 p. LE COADOU Mathilde, Mémoire Historique de la gestion du trait de côte dans l’estuaire de la Canche, et gestion du risque d’inondation dans la basse vallée de la Canche, 2011, 96 p. Ministère de l’environnement, de l’Energie et de la Mer, Cinq territoires recomposent le littoral, Traits urbains, 108 p. Symcéa, Programme d’actions, de prévention contre les inondations, , 2014, 188p. VERGER Fernand, Marais et estuaires du littoral français, Paris, Belin, 2005, 335 p. VIRILIO Paul, Le littoral, la dernière frontière, novembre 2013, p.18



Léa Colombain Rapport de présentation de PFE paysage Atelier materialité Printemps 2019


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.