Numéro 4, Janvier-Février 2012
Editorial : Anniversaire depuis, et surtout notre ambition s’est ajustée à nos moyens et, nous l’espérons, à notre lectorat : notre projet de départ de paraître tous les mois s’était avéré bien orgueilleux, nous sommes mêmes toujours pressées pour nos numéros bimestriels. En un an, nous nous sommes forgé une petite place à Nîmes, où le journal nous a permis de faire un grand nombre de rencontres, toujours enrichissantes, et de nous ouvrir à notre ville dont on disait, à défaut de n’en rien connaître, qu’elle était vide d’occupations. Le contraire nous a été démontré par toutes nos découvertes. Cet hiver, nous vous présentons quelques jeunes artistes nîmois de notre connaissance dont les travaux nous plaisent et qui méritent la reconnaissance. Il se pourrait aussi qu’ils inspirent, qui sait, de par leurs parcours, les lycéens en mal d’idées d’orientation . Nous vous souhaitons par ailleurs une excellente année, de réussite et de satisfaction! • MORNY
Février. Le premier numéro du Gueuloir paraissait il y a un an, mais notre projet de créer un journal lycéen a maintenant bien plus de douze mois de vie ; à vrai dire l’idée nous avait déjà toutes effleurées au moins une fois, jusqu’au jour en décembre où l’idée fut lancée tout haut. C’était une utopie qui semblait encore peu réalisable ; mais le temps de se trouver un nom, de démarcher auprès de l’administration et de trouver des thèmes d’articles, tout s’est fait très vite et en février paraissait le tout premier Gueuloir. On sourit désormais en pensant au chemin parcouru depuis cette époque et à ce qu’a pu être Le Gueuloir à ses débuts. Le journal que nous avions créé ne nous a vite plus sa- Photo : Walter Chandoha tisfaites, et nous l’avons fait évoluer
Dans ce numéro Le dossier : Quelques jeunes artistes nîmois page 2 Les photographes page 3 - Cédric Crouzy, « Patate » - Morgane Adawi, Marion Baldi, Emilie Saubestre, Charlotte Navio : un quator au Lac Gelé Un dessinateur - Nils Bertho
page 7
Les musiciens - Mofo Party Plan - MasterFader
page 7
L’actualité
page 10
Une exposition page 10 -Vik Muniz, Le musée imaginaire Les films à l’affiche - Café de Flore - Hugo Cabret
page 12
Le Gueuloir de ….Ken Loach page 15 La playlist : Nîmes et ses musiques page 16
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Numéro 5 — Janvier-février 2012
> Le dossier : Quelques jeunes artistes nîmois C’est l’hiver, Nîmes perd ses feuilles et le froid nous renvoie à nos chaumières : difficile en cette saison de s’ouvrir vraiment à la culture quand la seule envie qui subsiste est celle de rester sous les couvertures à écouter des disques que l’on connaît par cœur ; à part peut-être quand un dimanche pluvieux nous traîne nous émouvoir dans une salle de cinéma. Pour palier cette inertie hivernale de la ville, nous avons décidé de passer directement au printemps en vous présentant les
nouvelles pousses de cette ville. Jeunes photographes, dessinateurs, compositeurs ou musiciens, c’est eux qui font renaître un paysage culturel à Nîmes et aux alentours et nous avons décidé de leur laisser la parole dans un dossier non-exhaustif mais qui attend ses suites. Un dossier parsemé d’interviews et accompagné d’une petite playlist qui vous fera découvrir les saveurs d’une scène nîmoise qui n’a rien à envier à personne. Savourez. •VERA
Les photographes - Cédric Crouzy, Patate / page 3 -Morgane Adawi, Marion Baldi, Emilie Saubestre, Charlotte Navio : un quator au Lac Gelé / page 4
Un dessinateur - Nils Bertho / page 7
Les musiciens - Mofo Party Plan / page 7 - MasterFader / page 8
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Numéro 5 — Janvier-février 2012
> Le dossier : les photographes
Cédric Crouzy, « Patate » Globe-trotter, photographe, skateur, dessinateur, sculpteur, pour toutes les couches sociales, même ceux qui ont pas l’habijournaliste pour son propre compte, rencontre avec un ar- tude de regarder de l’art : ils peuvent admirer ça et je trouve que tiste au grand cœur qui a plus d’une corde à son arc. ça met du dynamisme dans la ville. Ça touche tout le monde, et mon but c’est vraiment de sensibiliser les gens le plus possible à D’abord, Patate, c’est qui et c’est quoi ? D’où te vient ce travers mes photos, et qu’une fois sensibilisés, ils soient éveillés surnom ? à autre chose. Qu’ils ouvrent leurs yeux et leur esprit. « Patate » c’est venu par rapport aux patates que je prends en Tu as exposé chez 340MS des photos de ton voyage en skate, les chutes : je skate beaucoup, et je prends de grosses Amérique centrale, qu’est ce que ce voyage t’a apporté, patates ! C’est le skate qui m’a amené à toutes les formes d’art humainement et artistiquement ? que je fais, parce que c’est un médium super créatif avec le Humainement, beaucoup. J’ai beaucoup appris sur moi-même mobilier urbain, il en fait des utilisations inédites par rapport à vu que je voyageais seul avec mon sac à dos et mes appareils l’utilisateur lambda. En premier lieu ça m’a amené à la photogra- photo. Beaucoup d’expériences et de galères desquelles on phie, et plus ça va plus j’utilise de médiums : je fais beaucoup apprend encore plus. Artistiquement, pas grand-chose : je me de collages à la manière de J.R., je me mets au dessin, aux laissais aller, j’apprends plus artistiquement maintenant en pratipochoirs, à la sculpture. De toute façon je n’aime pas me can- quant différents médiums ; je me laissais juste imprégner de des tonner à un seul outil, j’aime évoluer en fonction des influences atmosphères et de la culture qu’il y avait autour de moi, et j’esque j’ai autour de moi. sayais d’en imprégner mes appareils photo. Quel est ton parcours ? Comment t’est venue la passion de Où as-tu voyagé, à part en Amérique centrale ? la photographie ? J’ai vécu à Montréal, j’ai été au Maroc, en Indonésie, en Hongrie Je n’ai pas fait d’études, je suis autodidacte. Des potes skateurs et Slovénie, aux Etats-Unis. plus âges m’ont appris les bases, et j’ai fait de fil en aiguille. Le Tu as lancé un fanzine récemment, Sarcasme, il consiste en meilleur conseil qu’on m’ait jamais donné, qui est toujours d’ac- quoi ? tualité, c’est : plus tu shootes, plus tu progresses. Il y a pas de Tous les problèmes sociaux et environnementaux me touchent secret ! beaucoup, ça me fout les nerfs au possible. Moi-même je comÇa fait combien de temps que tu fais de la photo ? mençais à devenir sarcastique en parlant de ces sujets, et je Cinq ans, quelque chose comme ça. J’ai vraiment commencé hais ça. Être sarcastique n’est pas ma vraie personnalité. Du quand j’ai arrêté mes études, à Rodhilan, et c’est là que j’ai pu coup je me suis vidé sur ce fanzine, j’espère que ça peut faire prendre plus de temps pour me consacrer à ça. réaliser certaines choses à des gens. Ca faisait longtemps que Est-ce que tu as des sujets favoris de photo ? je voulais faire quelque chose de concret : j’ai mon blog, mais le L’être humain. J’aime les photos de scènes de vie toutes sim- virtuel c’est bien beau ; j’ai besoin de faire des choses palpaples ; avec le quotidien qu’on a, à toujours vouloir aller vite, on bles. Je voulais un fanzine et j’attendais, parce qu’on peut toune fait pas attention. J’aime bien tous ces moments simples de jours faire mieux, mais le mieux c’est l’ennemi du bien : à un vie qui font que c’est beau, auxquels il faut porter plus d’atten- moment donné je me suis dit « vas-y fais le direct ». Et j’ai fait tion. Les natures mortes aussi. Et les vieilles personnes, je les ça en trois jours avec des images que j’avais chez moi, j’ai couadore : elles sont toutes ridées, tu regardes leur visage et t’as pé des pubs, c’était photocopié et voilà. l’impression que tu peux lire une histoire. Ils la retranscrivent à travers leur face qui a pris l’usure du temps et de leur parcours. J’adore les vieux. D’où t’est venue l’idée de faire des collages dans les rues de Nîmes ? Quand je me suis installé à Nîmes en mars dernier, c’était pour réaliser des projets après les voyages que j’avais faits. Dont un en Amérique centrale, dont j’ai fait une expo chez 340MS. Je voulais vraiment le faire depuis mon retour en France, et j’ai essayé au début de démarcher des galeries, mais c’est saturé. Et une galerie à proprement parler, c’est un peu considéré pour une élite qui connaît l’art. Une fois je suis tombé sur des photos et vidéos de J.R., et c’est vraiment lui qui m’a inspiré : les styles de collage que je fais descendent direct de lui ; ce qui m’a plu c’est qu’exposer dans la rue, c’est une galerie ouverte 24/24
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> Le dossier : les photographes Tu envisages de le refaire ? Avec une parution plus périodique ? Je vais en faire d’autres, mais à parution très irrégulière. Peut-être moins sarcastique, y aller plus en nuances. Quels artistes t’influencent, en plus de J.R. ? Beaucoup d’artistes des milieux underground, des cultures alternatives de skate principalement. Ed Templeton m’inspire beaucoup, Thomas Campbell qui lui aussi mélange plusieurs médiums, peinture, collages ; Marc Gonzales … La plupart sont des skateurs. Je trouve que dans leur art il y a une grande spontanéité. Toutes les formes d’arts plus conceptuels, j’ai du mal. J’aime pas trop me prendre la tête ! Depuis mars que tu es à Nîmes, est-ce que tu t’es vite intégré ? J’ai justement du mal à m’intégrer à la culture française. Je trouve la France vraiment magnifique, chaque fois que je suis revenu en France j’en suis retombé amoureux, mais c’est vrai que nous les Français on râle tout le temps pour tout, on trouve toujours à critiquer même sur les sujets qu’on aime. Les gens manquent d’enthousiasme et il n’y a pas de dynamique qui se crée, chacun fait son truc de son côté. C’est prétentieux pour moi de dire ça, mais c’est un défi de rassembler tous ces gens. À Nîmes, il y a beaucoup de potentiel avec les jeunes artistes, plein de monde fait plein de trucs… mais chacun de son côté. J’aimerais arriver à rassembler tout le monde et à ce qu’il y ait
une vraie dynamique qui se crée. Pas seulement pour la musique, où il y a le nouveau centre, mais plus tout ce qui provient de la culture underground. Qui tu apprécies comme artiste local ? Il y en a plein : la plupart des artistes qui sont passés chez 340MS. D’ailleurs ils assurent : ils font une expo par mois et ils mettent en avant plein d’artistes qui ont un talent fou et qui ne sont pas forcément reconnus à leur juste valeur. Il y aussi un projet qui aura lieu en mars : plus d’une dizaine d’artistes à qui j’ai filé une planche de skate vierge chacun, ils vont créer dessus une œuvre, dessin ou peinture, et ça fera une expo dont le vernissage sera le 2 mars chez 340MS. Ce sera une vente aux enchères des œuvres pendant un mois, et tous les fonds seront reversés à l’association Pour un sourire d’enfant, qui sort les enfants des bidonvilles au Cambodge. Et toi aussi tu décoreras un skate ? Non, justement. Mon projet n’est pas de mettre mon travail en avant mais de fédérer : rassemblés autour de causes qu’on trouve justes, c’est possible de faire quelque chose de cool, de faire bouger la ville sur une culture qui nous touche et des choses pour lesquelles on vit. Enfin je sais que je vis pour ce que je fais, pour l’art que j’essaie de produire. Et il y a une autre sorte de culture à Nîmes que celle qu’on met toujours en avant, tu sais : les cornes… Propos recueillis par MORNY Retrouvez Cédric Crouzy sur www.patatoes.net
Morgane Adawi, Marion Baldi, Emilie Saubestre, Charlotte Navio : un quator au Lac Gelé Fin janvier, la galerie du Lac Gelé a accueilli une exposition peu conventionnelle : quatre jeunes filles de la prépa photo de Saint Stanislas ont-elles-mêmes pris l’initiative de se faire exposer. Le résultat est très plaisant : les quatre photographes ont en effet chacune développé un style qui leur est propre et font preuve d’une grande maturité artistique, que la confrontation
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de leurs travaux conforte et aiguise. Rencontre : Depuis quand pratiquez-vous la photographie? Comment vous est venue cette passion ? Charlotte : Depuis 7 ans. J’ai commencé la photographie en m’inspirant du monde de la mode. Emilie : Depuis 5 ans. J’ai commencé la photographie lors
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Fin janvier, la galerie du Lac Gelé a accueilli une exposition peu conventionnelle : quatre jeunes filles de la prépa photo de Saint Stanislas ont-elles-mêmes pris l’initiative de se faire exposer. Le résultat est très plaisant : les quatre photographes ont en effet chacune développé un style qui leur est propre et font preuve d’une grande maturité artistique, que la confrontation de leurs travaux conforte et aiguise. Rencontre : Depuis quand pratiquez-vous la photographie? Comment vous est venue cette passion ? Charlotte : Depuis 7 ans. J’ai commencé la photographie en m’inspirant du monde de la mode. Emilie : Depuis 5 ans. J’ai commencé la photographie lors de voyages. Morgane : Je fais de la photographie depuis environ 8 ans. D'abord c'était un moyen d'expression pour m'ouvrir aux autres, que j'utilisais en même temps que l'écriture ou la peinture. Et puis je m'y suis intéressée de plus en plus, j'ai été en BTS Photo où j'ai découvert de nombreux artistes qui m'ont confortée dans l'idée que la photographie est le médium que je préfère. Marion : Depuis très jeune je suis attirée par les arts, depuis maintenant 5 ans j’ai fait de la photographie mon médium principal. On trouve l’inspiration dans la lumière, les couleurs, les rencontres et donc de sentiments, mais aussi le cinéma et Quelles sont vos influences ? la musique. Pour Morgane et moi majoritairement nos Voici quelques artistes que nous sommes venues à citer modèles sont nos proches mais pour Charlotte et Emilie toutes les quatre : Philippe Ramette (pour plus de préci- c’est différent car il s’agit de photos de mode et de « resion : Emilie), Helmut Newton (Charlotte), Nan Goldin portages ». (Morgane), Richard Avedon (Marion)... Vous avez récemment exposé à la Galerie du lac gelé, Où puisez-vous l'inspiration qui sert à vos photogra- comment est venue cette idée ? L'initiative vient de phies, notamment les lieux et les modèles? vous ? Nous avons pris seules l’initiative de cette exposition comme celle qui se tient actuellement à l’Instant T. C’est autour d’un café que nous avons émis l’envie de faire un projet qui soit indépendant de notre cadre scolaire. Vous avez eu de bons retours de cette expo ? Oui nous avons eu beaucoup de retours notamment de la part d’amis, de notre famille, nos profs mais aussi d’inconnus. Nous avons aussi reçu quelques critiques qui ont toujours été intéressantes. Charlotte Navio
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> Le dossier : des photographes Pouvez-vous nous présenter la prépa photo que vous faites toutes les quatre à St Stanislas ? En quoi consiste-t-elle? (Enseignements, programmes, ambiance, difficultés?) Nous avons principalement des cours de photo, pas vraiment sur la technique mais plutôt sur la réflexion. Et aussi des cours d’histoire du cinéma, de la photo et d’histoire de l’art. Le programme des cours est construit en fonction des connaissances requises pour passer les concours de Arles et Louis-Lumiere. Il y a une très bonne ambiance entre les élèves (nous sommes mélangées avec des étudiants de prépa cinéma et Louvre) et les profs sont compétants. Par contre nous n’avons pas assez d’heures de cours et l’organisation laisse un peu a désirer. Ce n'est pas trop dur de développer un travail personnel dans le cadre d'une prépa ? Il est clair que ce n’est pas évident de trouver le temps. Mais notre dynamique de groupe à toutes les quatre fait que nous arrivons a faire des projets personnels et à créer continuellement. Ce que nous exposons en est la preuve! Quel conseils donneriez-vous à des lycéens qui veulent faire de la photographie leur métier ? Il y a de nombreuses écoles de photographie en France et a l’étranger, il ne faut pas qu’ils hésitent a partir et surtout qu’ils osent se lancer dans des études artistiques. Tout en n’oubliant pas qu’il y a peu de place dans les grandes écoles de photo et beaucoup de monde qui veulent en faire. On pense qu’il est important de se faire des contacts en allant voir des expositions...
Morgane Adawi
Y-a-t'il des artistes locaux que vous appréciez ? Soulage, ou bien Caroline Chevalier • Propos recueillis par MORNY
Marion Baldi
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> Le dossier : un dessinateur
Nils Bertho Lorsque l’on rencontre ce garçon là ou qu’on le voit sur scène, le bonhomme nous apparaît si déjanté et intenable que l’on a du mal à l’imaginer tenir en place une minute. Alors la surprise est générale lorsque l’on se retrouve face à ses dessins qui font preuve d’une minutie et d’une patience hors-pair. Rencontre avec ce jeune diplômé des Beaux-Arts qui a plus d’un tour dans son sac ! Salut Nils, tout d'abord est-ce que tu pourrais te présenter à nos lecteurs ? Nils Bertho, 24 ans.J'ai effectué un parcours beaux arts à Nîmes ou j'ai commencé à m'investir dans plusieurs disciplines artistiques et à me spécialiser en dessin. En quoi consiste ton travail plastique ? Quelles sont tes principales influences ? Je suis passionné de rock et de cinéma bis, je m'inspire de la contre-culture des années 80 comme du Bad Painting, je puise constamment dans mes références pour créer mon propre univers en essayant de trouver un équilibre entre trash et plasticité. Je me refuse aucun médium, tout se retrouve indistinctement au service d'une énergie que je cherche à véhiculer, il en va de la mise en scène fragile entre jeu et provocation, avec théâtralité et humour décalé. Anarchie et apocalypse rêvée sont des thèmes récurrents dans mon travail. J'essaye de créer autour de moi un désordre programmé ou la destruction, la dé-construction est principe de création. Tu chantes également dans le groupe Trashmongo, tu dirais que ton travail plastique et ton travail musical sont liés ou justement tu essaies de faire quelque chose de différent dans les deux ? Je crie aussi dans le groupe nîmois Trashmongo, j'essaye en effet d'allier les deux, créer un jeu entre le public et les musiciens, on se déguise, performances et costumes sont au rendez-vous. On me dit souvent que ma musique ressemble à mes dessins.
Mes références musicales vont vers le rock, le punk, la noise et pas mal d'autres choses, mais on va dire qu'on essaye de se rapprocher du son des groupes comme Sonic Youth, Foetus, Lydia Lunch, The Make-up... et on est tous un peu fan de The Cramps même si ça ne se ressent pas énormément dans notre musique. Tu as de l'actu sous peu ? Expos, concerts ? Mon travail au rotring sur toile est représenté par la Xavier Ronse galerie (Belgique) et je viens d'intégrer (avec grand plaisir) la Galerie Sens-unique (Castres). Les prochaines expos seront à Montpellier St Roch, le 24 février, le 1er Mars à Mouscron en Belgique et vous pourrez aussi voir mes dessins prochainement chez 340 MS et à l'Instant T pour des expositions temporaires. On jouera également avec Trashmongo, sous forme de ciné concert en collaboration avec les vidéastes des Beaux arts, le 22 mars au théâtre du Périscope à Nîmes et le 12 avril au Carré d'art. Un message à adresser à nos lecteurs ? Vous pouvez retrouver mon travail sur : http://www.nilsbertho.com/ ou sur mon facebook: Nils Kirigouté. • Propos recueillis par VERA
> Le dossier : les musiciens
Mofo Party Plan A se pencher sur la jeune scène nîmoise, passage obligé par la case Mofo Party Plan. Pour ceux qui n’auraient pas encore été touchés par la vague créée par le groupe, les derniers lauréats en date de la Bourse des Jeunes Talents nous retournent les oreilles depuis un bon moment mainte-
nant avec des compositions aux allures de tubes et des lives toujours plus enflammés les uns que les autres. Nous avons rencontré pour vous ce groupe qu’il faudra garder sous surveillance !
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LE GUEULOIR Salut les Mofo Party Plan, alors tout d’abord qui êtes-vous et que faites-vous ? Simon : La question est large alors on va commencer par le début ! Mofo Party Plan c’est un groupe de musique composé de quatre mecs qui jouent ensemble depuis maintenant un an et demi. On ne sait pas trop se qualifier en termes de genre mais ce serait plutôt vers l’indé. Jessy : On a des influences très électro comme LCD Soundsystem, Nine inch Nails ou Yeasayer. Simon : Et aussi des influences plutôt funk ! Tout ça dans une ambiance un peu déjantée et tribale ! Vous êtes les grands lauréats de la Bourse des Jeunes Talents 2011, ça vous a fait quoi sur le moment et maintenant avec le recul ? Jessy : Sur le coup on a été très heureux forcément même si on a mis un petit moment pour digérer tout ça ! Mais ça nous a surtout permis de mener à bien notre projet, c’est-à-dire concrètement d’enregistrer un EP et puis tout simplement d’introduire en quelque sorte la voie professionnelle du groupe et d’essayer de nous confirmer dans cette voie là. Simon : Aujourd’hui ça nous permet de voir un peu plus l’avenir et de nous dire : « Mince, en fait il faut vraiment plus qu’une Bourse des Jeunes Talents pour pouvoir vivre de la musique », même si on le savait déjà plus ou moins avant. Ca nous a apporté une grande motivation, tout simplement on sait qu’on veut continuer à fond avec ce groupe là ! Vous l’avez dit, grâce à la Bourse vous avez récemment enregistré un EP au Studio Phantom, ça s’est passé comment ? Jessy : C’était intensif ! Simon : Effectivement on a enregistré au Phantom avec l’ingé son Nikhertz et ses acolytes ! C’était une superbe expérience parce qu’on était presque h24 dans le studio, enfermés. Bon par contre plus anecdotique, l’inconvénient c’est qu’on prenait des douches à peu près tous les deux jours… Jessy : Disons que ça sentait le mâle ! Simon : Sinon l’ambiance était vraiment familiale. Si tu veux, on pouvait enregistrer quand on voulait. C’est-à-dire que si l’inspira-
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tion nous venait à 3h du matin on était pas bloqués, c’était toujours possible d’enregistrer : l’ingé son était toujours là, si les sessions étaient longues il dormait avec nous. Et le matin on se réveillait et on s’y remettait ! Il y a d’ailleurs une piste sur l’EP qui a été enregistrée à six heures du matin parce qu’elle nécessitait une certaine hargne qu’on avait pas à une autre heure de la journée ou de la nuit ! C’était vraiment une expérience profitable, on a appris plein de choses en travaillant avec cette équipe ! Jessy : Nickhertz est une véritable encyclopédie. Grâce à lui on a réussi à trouver la direction dans laquelle on voulait aller. Il nous a beaucoup aidés en nous donnant des portes mais en nous laissant explorer les choses nous-mêmes. Simon : C’est ça, il nous a conseillés sans pour autant nous mâcher le travail ! Votre premier EP, Voices, sort en avril : à quoi on peut s’attendre ? Jessy : Déjà ce sera cinq chansons ! Toutes très énergiques, et on espère qu’elles feront danser ! Simon : Ou au moins remuer la tête. On espère vraiment qu’en l’écoutant les gens auront le sourire, qu’ils remueront la tête voire plus. Votre grand avantage en tant que groupe c’est quand même la scène, où vous dégagez une énergie assez incroyable ; c’est quelque chose que vous avez travaillé ou c’est venu naturellement ? Simon : Déjà merci de le souligner, ça fait plaisir ! Mais non on l’a pas travaillé plus que ça. Jessy : Pour l’instant c’est un peu instinctif et naturel. On va essayer de le travailler à l’avenir, on va certainement faire une résidence pour bosser l’aspect scénique justement. Simon : C’est vrai que pour le moment ça reste très naturel, on a pas vraiment travaillé dessus. D’ailleurs ça se voit à notre façon de nous habiller sur scène, on s’habille comme on s’habillerait tous les jours. Mais tout ça va changer ! Cette résidence va nous permettre de travailler les éclairages, les vêtements et les « chorégraphies » si on peut parler en ces termes. Donc voilà, normalement d’ici l’été on devrait pouvoir proposer des concerts carrément mieux que ceux qu’on donne maintenant ! Quels sont vos projets après la sortie de l’EP ? Jessy : On aimerait bien embrayer sur une petite tournée et puis comme je l’ai dit tout à l’heure il y aura cette résidence prochainement. Ensuite l’année prochaine on va essayer de tenter notre chance dans les tremplins, les festivals etc. Simon : On va essayer de s’inscrire dès cette année dans les festivals même si on est pas plus confiants que ça, on va la jouer au coup de cœur, on sait jamais ! Quel est le mot de la fin ? Jessy : Merci ! Merci à tout ceux qui nous suivent. Ca fait plaisir, on a énormément de soutien. On l’a vu au dernier concert que l’on a fait à l’Odéon où l’apport du public était vraiment cool ! Et puis voilà, écoutez notre EP et on espère qu’il va vous plaire. Simon : Merci à tous, un grand merci qui se retrouvera sur la pochette de l’EP ! • Propos recueillis par Vera Sortie de l’EP le 7 Avril, accompagnée d’un showcase à la FNAC. Release party le 6 Avril @ L’Olive.
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> Le dossier : les musiciens
MasterFader Si la scène nîmoise a su se développer ces dernières années, il est aisé de remarquer que si les groupes de rock ont tendance à se produire à tous les coins de bar, il est plus rare de voir se produire des artistes issus de la scène électro. Pourtant, au milieu des gratteux, les bidouilleurs de machines électroniques sont bien là. Illustration sous forme d’interview avec le duo mi-nîmois mi-montpelliérain MasterFader. Salut les garçons, alors tout d'abord : MasterFader c'est qui et c'est quoi ? C'est nous ! Yann: L'idée de MasterFader nous est venue il n'y a pas si longtemps. Avec Bastien on se connait depuis le lycée, et on cultivait tout les deux une véritable passion pour la musique électronique. Bastien a entamé une école de sound designer, moi je me suis plaisir de bosser avec eux. beaucoup ouvert à la musique. Le mélange des deux a donné Bastien : Ensuite on risque de sortir un remix de notre ami Bise MasterFader bise bise, ainsi qu'un featuring avec Nika, une artiste montpelliéraine avec qui je bosse depuis un petit moment. Quelles sont vos influences ? Yann : On a beaucoup écouté de techno et de musiques mini- Vous avez des projets pour bientôt ? Concerts ? Compos ? malistes et progressives au lycée. Bastien en écoutait aussi, Yann : Bien sur, on bosse le live à fond. On joue le 29 Février à mais il avait un groupe de métal à coté (rire). Puis on s'est très Marseille à l'Intermédiaire avec nos copains les PA, et on se vite penchés sur d'autres sonorités, toujours avec cet esprit produira aussi à Nimes pour une soirée organisé par le collectif underground de notre adolescence. WTC fin avril. Mais ça c'est encore secret ! Bastien : On écoute vraiment de tout, mais on a une histoire d'amour avec la musique électronique. Qu'est-ce-que vous pensez de la scène nîmoise ? Bastien : C'est difficile comme question... Vous avez récemment remixé le Eveything goes my way de Yann : Nous bossons seulement avec le WTC et les PA sur Metronomy, c'est le premier d'une longue série de remixes Nimes. On se sent un peu seuls dans ce qu'on fait et dans ce indé ? qu'on propose. Yann : Ce remix a été enregistré en une soirée, et c'est pas Bastien : C'est justement pour ça qu'on essaie de bouger un forcement une chanson qu'on a envie de mettre en avant. C'est peu, la scène montpelliéraine est beaucoup plus ouverte à ce juste un délire, mais surtout un avant goût de notre futur live. genre de sonorités hip hop et électro par exemple. Mais on n'arrive tout de même à s'entendre avec certains artistes locaux qui Justement MasterFader en live, ça donne quoi ? font des choses complètement différentes de nous, mais qui Yann : Pour le moment pas grand chose, on a fait quelques Dj sont carrément cools aussi ! (rire) set vinyl à droite à gauche dans la petite ville de Nîmes et sur des web radios et des radio locales, mais on cherche vraiment à Quel est le mot de la fin ? développer un live construit et technique, avant même de se The game ! produire à deux. Bastien : MasterFader jusqu'à présent ça été beaucoup de stu- Retrouvez le duo MasterFader sur leur page facebook et sur dio et de composition, notamment avec les PA, mais le live arri- le www.soundcloud.com/masterfaderdjcrew ve, ne vous inquiétez pas. • Propos recueillis par VERA D'autres collaborations sont prévues ? Yann : Si tout se passe bien on risque de sortir un remix des PA incessamment sous peu. Les PA, ce sont avant tout des amis, et il y a beaucoup de complémentarité entre nos musiques, même si l'on vient de deux univers différents. C'est toujours un
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> L’actualité Expositions & Cinéma Notre notation : **** : décevant **** : pourquoi pas? **** : pas mal **** : formidable > Exposition
Vik Muniz : Le musée imaginaire "Regardez les gens dans les musées, ils font toujours ça [l'artiste se balance d'avant en arrière]. Ils s'approchent et voient le matériau, ils s'éloignent et voient l'image, ils se rapprochent et voient le matériau..." C'est que Vik Muniz a su à merveille décomposer notre processus d'appropriation d'une œuvre graphique, et cette alternance entre la perception du tableau dans son ensemble et l'appréciation de chaque détail. De cette observation découlent toutes ses réalisations qui consistent en des "images à double lecture" (le mot est d'Éric Mézil, directeur de la Collection Lambert) où notre regard balade d'une étape de compréhension à l'autre en un constant va-et-vient. L'artiste en joue en adoptant des matériaux qui interagissent en quelque sorte avec l'œuvre qu'il crée, en complétant sa signification. Ainsi, il refait le portrait de La Joconde en confiture et en beurre de cacahuète, démontrant le lien entre société de consommation, culture de masse et banalisation de clichés ; la sauce chocolat avec laquelle Freud est dessiné suggère « l’amour, la volupté, la romance, l’obésité, la scatologie, les taches, la culpabilité… — des associations qui court-circuitent assurément le sens de l’image originale » et est certainement un clin d’œil à la libido que le psychanalyste soulève dans ses théories. Vik Muniz ne considère pouvoir bien effectuer ce travail qu’en se « libérant du sujet » pour mieux se consacrer au matériau : c’est pour cela qu’il n’utilise presque exclusivement que des images vues et revues dans l’imaginaire commun, que ce soit Marilyn, Dietrich, Frankenstein, ou des tableaux de Géricault, Monet, Manet, Cézanne… De même cela nous permet, à nous qui connaissons déjà les formes représentées, de mieux nous concentrer sur les techniques utilisées. Mais cette allure d’artiste très grand public, quelque peu pop, qui peut paraître inconséquent au premier abord, cache un ancrage pourtant profond dans l’histoire de l’art.
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Comment, devant la reprise du Semeur de Van Gogh, reconstitué tout en fleurs, ne pas tisser un parallèle évident avec Le printemps d’Arcimboldo ? Là, le sujet même du tableau détermine le matériau utilisé ensuite. Et le jeu de la reconstitution de l’image en passant du détail à l’ensemble fait penser au pointillisme, surtout dans la série Pictures of Color où les tableaux de départ sont pixélisés, rassemblés en carrés d’échantillons de papier peint : on a besoin de s’éloigner du tableau et de faire désaccomoder son œil pour saisir toutes les nuances de l’assemblage. Aussi les Pictures of Pigment, où des chefs-d’œuvre de Monet notamment sont reconstitués par la disposition de pigments des
Vik Muniz, Medusa
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> L’actualité : une exposition mêmes teintes que les couleurs initiales (« de la peinture à l’huile sans l’huile » — Éric Mézil), ne sont pas sans rappeler les mandalas tibétains, dessins compliqués faits de sable sur lesquels on souffle ensuite : le caractère des compositions de Muniz est pareillement éphémère. D’ailleurs ce ne sont que de très grands tirages photographiques des compositions qui sont présentés : la composition minutieuse a sans doute en elle-même été détruite. Mais les œuvres les plus frappantes de cette exposition sont sans conteste celles où l’image reconstituée n’est pas reprise, mais justement créée par Muniz. Ainsi, sa série la plus brillante est Pictures of Garbage, qui a été pour lui l’objet de deux ans de travail. Lui-même brésilien, mais installé aux Etats-Unis, il est retourné dans son pays natal, à la décharge de Jardim Gramacho à Rio. Des hommes et des femmes y travaillent toute la journée pour récolter tout ce qui est recyclable. Le projet de Muniz est ambitieux : réaliser des portraits de trieurs, les reconstituer en matériaux recyclables et offrir l’argent qui résultera de la vente aux enchères des œuvres pour l’amélioration des conditions de vie des 2500 catadores et l’anticipation de la fermeture de la décharge (prévue pour cette année). De cette aventure a été tiré un documentaire absolument formidable, Waste Land, réalisé par Lucy Walker et nominé aux Oscars de cette année en plus d’être le vainqueur de nombreux prix. On y voit quelque peu le quotidien des trieurs, la plupart fiers de leur métier, qui est « honnête » : les femmes expliquent qu’elles préfèrent ça à la prostitution qui serait pourtant un recours plus simple, les hommes au trafic de drogues. Et surtout leur enthousiasme et leur épatement d’être « devenus des œuvres d’art ». Sebastião se transforme en Marat assassiné de David, Isis en Repasseuse de Picasso, mais certains autres posent aussi au naturel, avec leur sac juché sur l’épaule, ou simplement souriant. Tous ont participé à l’assemblage de chacune des compositions : dans un hangar qui sert à Vik Muniz d’atelier, les photos prises sont projetées sur le sol et l’on superpose des matériaux recyclables de façon à recomposer les images seulement en détritus. On comprend que les certitudes et l’arrivisme teinté de Vik Muniz subissent un coup dur : il se rend compte de la difficulté que représente son entreprise de tirer de la sorte ces gens de leur quotidien, de leur faire vivre une expérience exceptionnelle, puis de les laisser de nouveau livrés à eux même une fois la vente réalisée et les bénéfices distribués. Il se heurte, sans s’en cacher, à ce que ces personnes ont de terriblement attachant : « ce fut un projet magnifique qui me donna l’occasion de rencontrer des personnes absolument incroyables, vivant dans des conditions désastreuses, au-delà de tout ce que je pouvais imaginer, et qui m’ont permis de découvrir un aspect de la vie que je ne soupçonnais pas ». Il réussira pourtant à mener ces travaux à terme, et le résultat plastique est réellement admirable. D’ailleurs on ne peut dire que ce soit un hasard : une telle implication et une telle inspiration s’expliquent par le parcours de Vik Muniz, digne d’un conte de fées. Il a grandi dans une favela de São Paulo et a été accidentellement blessé par une balle perdue dans une émeute à l’âge de 20 ans. Le tireur préfère lui remettre
de l’argent que d’essuyer des représailles : cette somme servira à Muniz pour acheter un billet d’avion pour les Etats-Unis, où tout pourra commencer. Un tel coup du destin ne peut arriver à tous, Muniz le sait et explique : s’il était arrivé quelque chose à un de ses parents, si sa vie avait tourné autrement, il aurait pu être de ces trieurs de Jardim Gramacho qu’il représente. • MORNY. Jusqu’au 13 mai 2012 à la Collection Yvon Lambert en Avignon
Vik Muniz, Pictures of Garbage : Suelen Et Tiao en Marat assassiné d’après David
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> L’actualité : les films à l’affiche
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Café de Flore de Jean-Marc Vallée avec Vanessa Paradis et Kevin Parent Loin de ce qui aurait pu être un téléfilm bidon sur la relation Sartre/Beauvoir, ce Café de Flore là n’est autre que le neuvième film de Jean-Marc Vallée, réalisateur de l’hilarant C.R.A.Z.Y. Ce long-métrage là avait tout pour nous plaire : une histoire d’amour croisée entre le Paris de la fin des années soixante et le Montréal d’aujourd’hui. Mais ce que le synopsis ne dit pas, c’est que l’intrigue devient plus complexe et mystique à mesure que le film avance, que le lien qui s’échafaude entre les deux histoires nous prend par les tripes dans un découpage de scènes qui regorge d’indices. Et en sortant de la salle l’on reste persuadé qu’il faudrait bien le revoir une deuxième fois pour saisir tous ces indices qui ont tendance à nous échapper. Mais à parler en ces termes là, on croirait lire une chronique de film policier alors que Café de Flore ne saurait parler que de l’amour et de la mystique de l’amour. L’amour-bonheur, l’amour -possession, l’amour-déception : l’amour qui toujours nous fait réfléchir et qui sans logique nous faire croire à des choses extraordinaires. Et quand le film avance et que le lien qui apparaît entre ces deux histoires se fait aussi improbable et paranormal que touchant, nous aussi on finit par y croire. Car JeanMarc Vallée a le don de nous faire penser que cela pourrait être notre histoire, nos souvenirs qui défilent à l’écran. Même si l’on a jamais mis au monde un enfant trisomique ou quitté la femme que l’on aimait depuis l’adolescence pour une autre, on a vite fait de comprendre que l’histoire n’est pas propre aux personnages, que ce n’est ni leur bonheur ni leur douleur qui importe mais le caractère universel des amours continus, rompus, éternels ou d’une nuit : tous ceux qui rendent fous, qui nous font y croire alors que l’on ne devrait pas et qui nous paralysent longtemps avant de nous laisser en paix. Néanmoins, Jean-Marc Vallée a réunit deux histoires des plus touchantes. Dans le Paris de la fin des années 60, Jacqueline donne naissance à un enfant trisomique et son mari la quitte car il se sent incapable d’élever cet enfant. Son fils devient alors son combat et on la suit les yeux mouillés dans un quotidien mécanique où chaque chose ne peut être qu’à sa place. Jusqu’au jour où son petit Laurent rencontre celle qu’il aimera autant que sa mère. Mais c’est trop tôt, trop brutal pour Jacqueline qui voudrait être la seule dans son combat qu’elle rêvait de mener à deux. A Montréal, de nos jours, l’on est plongés dans les amours troublés d’Antoine qui n’a pas rencontré une âme sœur mais
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deux. Alors qu’il vivait depuis plus de 20 ans avec Carole, élue femme de sa vie alors qu’ils étaient encore des adolescents un peu rebelles et férus de musique, il rencontre Rose et ne peut se résoudre à la laisser filer. Dès lors, ni lui, ni ses deux femmes, ni ses deux filles n’échapperont à la souffrance. Liens du sang, du corps ou du cœur, tous se déploient sous nos yeux éblouis. Mais rien n’aurait été si fort dans ce film sans un élément : la musique. Que ce soit le Café de Flore version originale ou électronique, le Svefn-G-Englar de Sigur Ros ou le Pictures Of You de The Cure ; chacune des chansons qui figurent sur la bande originale donne au film une intensité lumineuse. L’éclat du génie, certainement.
• VERA
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> L’actualité : les films à l’affiche
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Hugo Cabret de Martin Scorsese
Avec Ben Kingsley et Sacha Baron Cohen Un film de Martin Scorsese, c'est toujours un événement. Surtout quand il se tourne vers un film pour enfants. Quand il s'agit d'adapter le roman illustré pour enfants de Brian Selznic, L'invention d'Hugo Cabret, c'est tout autre chose. Beaucoup d'attentes, et voilà. Scorsese vit encore, malgré son grand âge. Même, méprenons-nous à dire qu'il a gardé son âme d'enfant. Hugo Cabret est un enfant qui vit dans le Paris des années 1930. Son père, un horloger incarné par Jude Law, meurt dans un incendie, et il se voit confié à un alcoolique qui s'occupe des horloges d'une gare de Paris. Celui-ci doit voler pour survivre, tout en essayant de percer le mystère d'un automate que son père avait récupéré. Cet automate lui permettra, grâce à l'aide d'Isabelle, une orpheline, de percer le secret de Georges Méliès, pour lui redonner la splendeur qu'il avait jadis. Ce film, d'une grande technicité, surprend, même si parfois il connait des longueurs, pour se finir en plaidoyer en faveur de l'association de restauration et de conservation de films, The Film Foundation, créée par Scorsese en 1990. Mais tout de même, excusons-le. Les clichés tellement américains sur Paris sont pardonnés par des références très surprenantes. Si tous les décors sont splendides et rien n'est écrit en anglais (sauf le livre Robin des Bois ou une faute au nom Lumière), pas même le kiosque à journaux où l'on peut apercevoir le Canard Enchaîné, déambulent dans la gare James Joyce, Salvador Dali, Django Reinhardt, et bien d'autres. Les plans sont impressionnants, parfois carte postale, mais d'une luminosité incroyable, où nous pouvons saluer le travail du directeur de la photographie, Robert Richardson. Quant au casting, exclusivement britannique, excepté Chloe Grace Moretz qui est américaine mais mérite tout de même son rôle de la petite Isabelle, est convainquant. Nous ne pouvons que saluer le jeu de Sacha Baron Cohen en inspecteur boiteux, celui de Ben Kingsley en George Méliès, le grand Christopher Lee en libraire et le jeune Asa Butterfield en Hugo. Les références du films sont innombrables, et c'est bien de là que vient le problème. En effet, Scorsese laisse le scénario de côté, histoire à laquelle nous avions bien accroché, pour s'aventurer dans la deuxième partie du film vers ce fameux message. L'histoire d'Hugo n'a pas de suite, l'intérêt est porté vers Méliès. Scorsese parvient à reconstituer le tournage de ses films, ce que nous pouvons saluer, mais en fait trop. Ce n'est plus à ceux qui ont restauré ce qu'il reste de Georges Méliès que Scorsese
rend hommage, mais à lui-même et à The Film Foundation. Et d'un film pour enfant nous passons à un film adulte et engagé, très porté sur l'esthétisme, fidèle au travail immense du réalisateur et de son équipe. Pardonnons-lui cet acte, car conserver les films reste une lourde et importante tâche. Le film est tout de même brillant, même si la dimension politique aurait pu être évitée pour laisser au enfants tout l'imaginaire de Méliès et d'Hugo. Hugo Cabret est nominé 11 fois cette années pour les Oscars et il apparaît que, même si Hugo Cabret n'est sans doute pas son meilleur film (souvenez-vous du chef d'œuvre qu'est Les Infiltrés), le jury aimerait bien lui rendre hommage, car l'homme se fait vieillissant, et peut-être ne fera-t-il pas d'autres films à « oscariser », à leur plus grand dam. • OSCAR
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Retour sur...
> Le festival des écrans britanniques
Oliver Twist de Roman Polanski **** Avec Ben Kingsley
Du 3 au 12 février, le festival des Écrans Britanniques de Nîmes nous montre, entre autres, des adaptations cinématographiques du célèbre romancier Charles Dickens, auteur du célèbre Oliver Twist, de David Copperfield ou bien de Great Expectations. Le nombre d'adaptations étant innombrable, nous avons choisi de vous parler de la dernière, celle du fameux réalisateur francopolonais Roman Polanski, datant de 2005. Ce dernier avait choisi Oliver Twist. Oliver Twist, c'est l'histoire de cet orphelin pendant la première Révolution Industrielle, qui, après avoir été exploité par un croque-mort, tombe entre les mains d'un réseau tenu par un malfrat, Fagin, qui oblige des enfants à voler des portefeuilles dans la rue, pour survivre. Le roman de Dickens, publié dans un journal comme feuilleton, a connu un succès populaire très considérable, ce qui classe Dickens comme un des auteurs britanniques du XIX° siècle les plus lus. Cet orphelin, qui doit traverser les épreuves les plus cruelles avant d'avoir une famille aimante qu'il n'a jamais eue, est l'incarnation d'une certaine réussite dans une Angleterre du XIX° siècle où les écarts de richesse se creusent. C'est certainement une des raisons de la popularité qu'il a eu dès sa première publication. Si le roman de Dickens mêle à la fois humour et cruauté et montre les affres de cette société nouvelle, le film de Polanski se tourne plutôt vers l'aspect tragique de ces enfants orphelins et prisonniers du banditisme. Grâce à des images très sombres, parfois crues et des couleurs jaunâtres, il appuie sur la saleté du Londres populaire et de sa misère. Oliver n'est une exception, car la destinée de ces enfants reste tragique. C'est le personnage de Bill Sikes, cet homme monstrueux toujours accompagné de son chien menaçant, autrefois recueilli par Fagin puis devenu un criminel redoutable, qui en est le portrait. Même si le personnage de Fagin est interprété avec brio par l'incroyable Ben Kingsley, le reste du casting est donné à des acteurs inconnus, ce qui nous donne le plaisir de voir un film qui ne repose pas sur tout le gratin hollywoodien. Même si l'initiative de Polanski nous touche et que la justesse de l'adaptation assez proche du livre nous enchante, le film
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n'apporte malheureusement pas grand chose au livre. Ce qui déçoit, après son magnifique film qu'est Le Pianiste, aussi adapté d'un roman autobiographique, Palme d'Or à Cannes en 2002. Cependant, si le Oliver Twist de Roman Polanski n'est pas à la hauteur de nos espérances, il est tout de même intéressant, avec son regard neuf sur l'œuvre. Il ne caricature pas le personnage de Fagin, accusé d'être une satire des juifs, ce que d'autres adaptations ont fait. De plus, le film apporte une certaine humanité à ces enfants et à Fagin, qui n'ont pas forcément le choix dans cette période cruelle, sans toutefois en donner au personnage de Bill Sikes, qui finit par terroriser tout Londres avant d'être pendu. Le Oliver Twist de Roman Polanski est donc une adaptation fidèle à l'histoire qui laisse de côté l'enjeu scénaristique pour souligner la critique sociale du roman, et nous faire aimer, malgré tout, Fagin. • OSCAR
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> Le Gueuloir de …
Ken Loach A l'occasion du festival des écrans britanniques, il nous a semblé normal de vous présenter un des fleurons du cinéma britannique indépendant. L'an dernier, le festival vous avait présenté son dernier long-métrage, Route Irish, qui avait reçu des critiques mitigées de la part de la presse. Cette année, c'est son fils, Jim, qui est présenté avec Oranges & Sunshine, son premier long métrage où, comme l'a fait son père, il traite d'un scandale. Le film, porté par Hugo Weaving et l'excellente Emily Watson, montre les retrouvailles d'enfants déportés en Australie par le gouvernement avec leurs parents. Le nom de Ken Loach ne vous dit peut-être rien, mais ce réalisateur anglais qui a toujours dit non aux producteurs hollywoodiens a pourtant tout d'un maître. Son style ne va chercher que la simplicité et s'intéresse plus au fond qu'à la forme. Il fait le portrait de ces gens, si complexes mais pourtant si semblables par leur pauvreté que par la réalité de cette société qui les marginalise. C'est tout ce qui fait la force de ses films. Né en 1936 dans le Warwikshire, comté du centre de l'Angleterre qui a vu naître Shakespeare et George Eliot, il étudie le droit dans la prestigieuse université d'Oxford. Pourtant, il se passionne d'abord pour le théâtre avant de se tourner vers la télévision où il commence en réalisant en 1962 les premiers épisodes de la série Z Cars. Mais il quitte la télévision pour le cinéma à partir de 1967 pour tourner ses propres films. Ainsi commence sa longue carrière. Kes, sorti en 1969, est son premier succès. L'histoire de ce petit garçon pauvre de la région industrielle du nord de l'Angleterre qui élève un faucon crécerelle, et adapté du roman de Barry Hines, aura une influence considérable au Royaume-Uni. Réalisateur engagé, ses films critiquent la pauvreté et condition ouvrière au Royaume-Uni, notamment en 1980 avec le documentaire A Question of Leadership, suivant une grève de mineurs. Mais c'est à partir des années 90, avec Hidden Agenda (en français Secret Défense) puis Raining Stones qu'il acquiert la notoriété. Les deux films gagnent chacun le prix du jury à Cannes. Au fil de ses films, il accumule les prix. Que ce soit avec le magnifique Ladybird, le bouleversant Bread and Roses, où les espoirs vains d'un adolescent dans le milieu de la drogue avec Sweet Sixteen, Ken Loach et son scénariste fétiche Paul Laverty ne finissent pas d'émouvoir les critiques comme les festivals. Mais ce n'est qu'en 2006 avec The Wind That Shakes The Barley (en français Le vent se lève), que Ken Loach remporte la palme d'or à Cannes. Il y raconte l'histoire de deux frères irlandais en 1920 qui se battent pour l'indépendance de leur pays face aux Black and Tans anglais. Cependant, le film a des critiques assez divisées. Même si ses derniers films n'ont pas été très appréciés, com-
me le regrettable Looking For Éric où il met en scène l'ancien footballeur Éric Cantona dans le milieu délinquant de l'Angleterre d'aujourd'hui, il faut toujours attendre son prochain film. En effet, ce réalisateur si particulier a tout pour nous sortir un nouveau chef d'œuvre, car il est loin de tirer sa révérence. • OSCAR
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> Playlist
Nîmes et ses musiques S’il y a souvent compétition entre Nîmes et Montpellier, il y a bien un point sur lequel nous restons invaincus : notre scène musicale. Aussi éclectique que bourrée de talent, la scène nîmoise saura en satisfaire plus d’un. Et avec l’arrivée cet été de Paloma, la SMAC de Nîmes Métropole, ces groupes trouveront enfin un lieu où faire résonner leurs tonitruantes compositions. On vous a compilé un joli aperçu sans limite d’âge cette fois. Alors, heureux ? • MOFO PARTY PLAN – MONSTER MFPP = faiseurs de tubes, pour être clairs ! • BISE BISE BISE – YOU, SIR, ARE JOHN CLEESE’S DOPLLEGANGER Non content de t’éveiller, ce titre de Bise Bise Bise te tiendra éveillé jusqu’au bout de la nuit ! • THE FROGGS – WHAT IS LOVE ? Portés par un chanteur assez remarquable, les Froggs méritent bien leur titre d’espoir de la Bourse des Jeunes Talents 2011 ! • MASTER FADER – EVERYTHING GOES MY WAY (Remix du titre de Metronomy) Le duo d’électro MasterFader revisite le tube de Metronomy, si leur patte est bien présente ils se gardent bien de dénaturer la touch des anglais, et c’est tout bénéf’ pour nos oreilles ! • PA – LE MONSTRE Le groupe PA, anciennement Panik Angelik, a récemment pris un virage plus electro-rock tout en conservant la saveur de leurs compositions en français. Le Monstre fait étalage de ce changement de direction et vous conseille fortement le clip qui l’illustre ! • THE RAINDROPS – WHO CARES Si les Raindrops sont jeunes, leur musique revisite un autre âge sans entrer dans le cliché des babyrockers, et c’est fortement appréciable.
• TRASHMONGO – DON’T DRINK WATER Groupe inclassable et insatiable, à voir en live absolument. • 10 RUE DE LA MADELEINE – SALE TEMPS S’écoute très fort pour apprécier son brut et ligne de basse incroyable. • CLOCKWORK MECANIC – CUMSHOT Extrait du CUMSHOT EP, graphisme et son sont tour à tour étonnant et rafraîchissant. • EMILIE CHICK – SCHOLARSHIP Enfin une fille dans cette playlist, et elle ne fait pas les choses à moitié avec Scholarship, véritable tube qui suinte plus le talent que le féminisme. • KUSSAY AND THE SMOKES – LE SOMNANBULE Rap, blues et convictions : une trinité qui fonctionne bien ! • THE NAUGHTS – GET NAUGHTY Extrait du Tha Chronicles EP, on a beaucoup de mal à croire que ce son là vient directement de Lunel et pas straight de la West Coast ! • WATERLLILLIES – MURDER ON A RANGE ROVER Parce que même s’il ont fait un bon bout de chemin depuis leurs concerts à La Chapelle, ils restent nos petits nîmois que l’on en finira jamais de soutenir. •VERA Photo : Mofo Party Plan @ Paloma par Estelle ‘Tess’ Inzani
Le Gueuloir n°5, janvier-février 2012 Internet Retrouvez nous sur Facebook, ainsi que sur Twitter et sur notre blog : http://legueuloir.tumblr.com Remarques et suggestions : legueuloirdaudet@gmail.com Rédaction Morny, Oscar, Vera Mise en page Morny Responsable de publication Mme Din