L
a
R
e
v
u
e
I
n
t
e
r
n
a
t
i
o
n
a
l
e
d
e
S
c
i
e
n
c
e
s
-
P
o
L
i
l
l
E I . S G R R A H O C É ES
G D E I e T i A
sLOM s u P I R D A L
. ienne s a c ? e au Froid nique c e r r e Guee la tecto l l e v u d la noau cœur à s é e el its g éorgienn l f n o Des c La crise g . rien . é . 0 b e i 4 l r m guerexocet m : le défi a l ec v t a ser en ssile r la paix i i e t m r e i r n a e o it ent man nstruis taire dur u h ’ f co dl Quan
. r e n ass
h e r Pier
Février - Mars 2010 • Numéro 1 • 3 euros.
e
.
FÉVRIER - MARS DEUX MILLE DIX. Le jeu de l’Oie. Premier Numéro.
le jeu de l’oie LE JEU DE L’OIE BIEN PLUS QU’UN CANARD. Oie [wa], n. f. : Oiseau
palmipède de la famille des lamellirostres,
voisin de la bernache, du cygne et du canard.
L’oie
compte parmi les plus anciennes compagnes de l’homme.
Son
cacardement bruyant, proche du son de la
trompette ou de clairon, sa vue perçante, ainsi que l’ouïe fine qui lui a valu son nom, ont fait de cet animal une légende, symbole de la prévention du danger et de la protection de la
Cité ; son extrême vigilance Charles Bataillard n’écrivait-il pas en 1865 dans une guérite. Jamais une oie en faction n’a
et son cri d’alarme strident faisan d’aile une précieuse alliée. ces mots avisés :
“On
a vu des gardes nationaux s’endormir
commis cette énormité”
(L’Oie réhabilitée). Végèce lui-même n’hésitait pas à les donner pour les plus vigilantes De l’art militaire, et Virgile de chanter leurs exploits au XVIIIème livre de l’Enéide. Curieuse ironie du sort, les oies sacrées du Capitole à qui les Romains devaient hier leur salut face aux hordes gauloises de Brennus, sont aujourd’hui célébrées en conserve sur la place toulousaine du même nom, confites ou en rillettes ! L’ingratitude de l’homme est décidément sans limites. Atrocement gavée, injustement taxée de stupidité, et régulièrement moquée pour sa démarche chaloupée, l’oie continuera pourtant de protéger ses bourreaux. Outrage suprême : sa mémoire restera g(r)avée dans l’histoire militaire non pas pour sa capacité d’alerte, mais pour son déhanché et sa cadence frénétique, que les fascistes ont eu le mauvais goût d’usurper pour baptiser leur terrible marche mécanique1 ! sentinelles dans son traité
Dans cet injuste tableau, le Jeu de l’Oie pourrait bien redonner à ce curieux palmipède, une tribune bien méritée... Notes. 1. Pas de l’oie.
LE BON DÉROULEMENT DU JEU DE L’OIE
18. US
22. POLITIQUE ARABE
ET
SAHARA
16. LE DÉFI
OCCIDENTAL
DE LA FRANCE
LIBÉRIEN
14.
57.
QUAND L'HUMANITAIRE SERT LA GUERRE
LE PRECEDENT
8. RETOUR SUR LA GUERRE DE GEORGIE
Audiatur
KOSOVAR
56. 54. LA GUERRE
prochaines
COLOREES
CONSTRUIS TON MISSILE
EXOCET
73. MANGER
LA DIPLOMATIE DES CHARS
62. IRAN
entende l'autre partie également).
ARA-BIQUE
36. REGARDS CROISES
60. VOIR
MOSCOU
LA SYRIE ET
50.
TBILISSI / MOSCOU
REVENIR
L'ETRANGER
PROCHE
44. ENTRETIENS P. SEMNEBY P. MOREL
cases :
le
F ranchissez
42.
chemin de la controverse est semé d’embûches.
A posteriori (En partant de l’expérience acquise). Troisième année, vous quittez la rue de Trévise pour les quatre points cardinaux . “N ous payons cher une expérience que nous pourrions trouver à bon marché chez le voisin” (Aristophane).Stude Verba docent, exempla trahunt (Les mots enseignent, les exemples entraînent). Vampirisez les témoignages, immergez-vous comme une plume dans l’encrier. Vous êtes en case “initiation”. Non ut plus scias, sed ut melius (N'apprends pas pour savoir plus, mais pour mieux savoir). Feuilletez les pages du carnet de voyage avec enchantement, leurs auteurs vous dépeignent leurs pérégrinations. Votre oie s’impatiente, jouez.
LA GEORGIE N'A PAS PERDU LA
GUERRE
Fabricando
Par ce lancé de dé, Un acteur se dévoile, il est votre éminence grise. Qui rogat, non errat (Poser des questions n'est pas une erreur). Le tête-à-tête éclaire votre lanterne sur l’enjeu humain des Relations Internationales. La médiation des conflits n’a plus aucun secret pour vous. fabri fimus
(La
pratique fait l'ouvrier).
vous pénétrez le champ de l’expertise.
En
route vers la case finale…
Cogito
pense, donc je suis).
DÉCRYP-TAGE
16. POINT DE VUE
33. DOSSIER
60. CARNET DE VOYAGE
69. PORTRAIT
Vous cheminez sur le sentier de la gloire Cernés par le doute, vos faits d’armes exhalent un relent amer. Vous vous souvenez que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire et dans un ultime élan d’audace, vous lancez les dés. L’Histoie ne vous donnera pas tort. Non ut edam vivo, sed ut vivam edo (Je ne vis pas pour manger, mais je mange pour vivre). L’Oie qui vous a vaillamment conduit jusqu’à la victoire est aujourd’hui en sauce, sous vos couverts. Votre victoire ? Le repos du guerrier, sans Brigitte Bardot. ergo sum
(Je
14.
L’Oie
prudemment les huit
Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre). Vous êtes au cœur du conflit, assourdi par le son du canon. Vous évoluez à couvert, dans votre blindé, sur le théâtre de la diplomatie des chars. Si vis pacem, para iustitiam (Si tu veux la paix, prépare la justice). Dans votre cartouchière : la clef de compréhension (Case 14). A portée de main : l’initiation par l’enchantement (Case 60) et les conseils de votre éminence grise (Case 69). Le cessez-le-feu ne dépend que de vous. Felix qui potuit rerum cognoscere causas (Heureux celui qui a pu pénétrer le fond des choses). Désormais, le champ de bataille est éclairé, vous êtes en terrain connu. Rejouez
PENINSULE
V/
(Qu'on
Omnibus viis Romam pervenitur (Tous les chemins mènent à Rome). Certes, mais vous avez choisi le meilleur. Votre oie n’est pas gavée, elle a soif de connaissances. de compréhension pour le prochain lancer de dé.
33. DOSSIER
58. TURQUIE
64.
DU GAZ N'AURA PAS LIEU
et altera pars
fait le point du haut de cette tribune.
LES REVOLUTIONS
52. KIEV
START
28. PORTFOLIO
A l’oie jacta est (Les dés sont jetés). Appréhendez le plateau qui esquisse son labyrinthe, ses méandres. Dura lex sed lex (La loi est dure mais c’est la loi). Apprivoisez les problématiques et les concepts théoriques des Relations Internationales. E fructu arbor cognoscitur (On reconnaît l'arbre à ses fruits). Déroulez la bobine de l’esprit, disséquez le fait d’actualité. Vous détenez la clef de compréhension pour le prochain lancer de dé.
et c’est à cet instant que craignez que les dés ne soient pipés.
ÉDITO.
POUR QU' ?
OIE
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
(...) Pourquoi
le
Jeu
de l'Oie ?
Oïe
not !
Le
nom est familier, le lecteur s’interroge, et le mystère court,
instillé dans nos pages de papier recyclé, au travers de subtils artefacts à la solde de l’oie.
Noble Jeu 56
57
58
59
de l’Oye, jeu de l’ouïe, jeu de l’entendement, l’Oie porte en elle la
à travers les méandres du labyrinthe de la connaissance.
60
Livré
Vérité,
qu’il s’agira de découvrir
à la fortune des dés, le joueur se confronte
à ses vices, vertus et vicissitudes, porté de cases en cases par le hasard des dés.
Prenez
19, La route est encore longue, mieux vaut avoir les idées claires… car il faudra ensuite éviter le Puits (31), puis le Labyrinthe (42) et la Prison (52), avant de prier pour que la Mort (58) ne vous rattrape à seulement quelques cases du but… Jeu de l’Oie mondain, politique, religieux ou historique, la diversité de ses apparats a fait de ce noble divertissement une récréation pédagogique. Comment ne pas rappeler qu’en 1898, un Jeu de l’Oie révèle à une France désorientée la Vérité sur l’affaire Dreyfus ! Connaître, comprendre et anticiper. Symbole de la prévention du danger, oiseau migrateur par essence transnational, l’Oie se fraie un chemin dans le labyrinthe des jeux de pouvoirs internationaux. Piquez vous à son Jeu et vous saisirez l’esprit qui nous anime. Que notre Jeu de l’Oie soit un outil agréable et pertinent de prévention et d’analyse des conflits aux mains du plus grand nombre. Amen ! Pour quoi le Jeu de l’Oie ? Certains ignorent et voudraient savoir. D’autres connaissent et voudraient partager. Les uns pâtissent de sources, les autres de support. Il se trouve que notre école héberge une section en Relations Internationales et regorge d’étudiants curieux qui voyagent, rédigent des mémoires, étudient et se spécialisent peu à peu. D’enseignants-chercheurs, également, garde au numéro
car celui qui entre à l’Hôtellerie1 y perd son temps tandis que ses rivaux poursuivent la course.
qui souhaiteraient faire bénéficier de leur savoir à un public plus large que le cadre restreint et souvent trop homogène de l’IEP.
D’intervenants extérieurs, enfin, qui apprécieraient voir leur discours dépasser les Trévise. Qu’il en soit ainsi ! Plus qu’une revue didactique et péremptoire (nous ne sommes que des étudiants !), le Jeu de l’Oie se veut un espace de discussion et d’échange, avec le recul nécessaire à toute analyse fondée et réfléchie. Un terrain de jeu aussi. Une revue à contre-courant de l’agenda médiatique international, une poche de résistance face à une standardisation progressive de la presse, où les gros titres se font concurrence en même temps que le contenu se réduit, et où l’information supplante peu à peu l’opinion, au milieu de colonnes conformes et sans saveur. Finalement, un hommage à ceux qui, avant nous, ont fait le pari de l’originalité, comme Lucien Vogel en son temps avec ses revues Vu et Lu, ou plus récemment Le Tigre et XXI. Les dés sont maintenant jetés, à vous de Jouer ! limites d’une simple conférence rue de
--------------Notes. 1. ne gaspillez pas votre argent dans les bistrots, "maman" attend à la maison !
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
CONVERSATION. Avec Pierre Hassner.
RETOUR SUR LA GUERRE DE GEORGIE. Pierre Hassner D’origine
est un philosophe et politologue français de renommée internationale.
roumaine,
Pierre Hassner s’installe en France en 1948, à l’âge de 15 ans. Élève de l’Ecole normale supérieure, il est agrégé de philosophie en 1955 et devient l’élève de Raymond Aron et de Leo Strauss. Après avoir travaillé comme chercheur au CERI (IEP de Paris) pendant près de 40 ans, Pierre Hassner est aujourd’hui directeur de recherche émérite de ce Centre. Lauréat du prix Alexis de Tocqueville en 2003, membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences, Pierre Hassner a reçu le titre de Docteur honoris causa de l’Université du Québec à Montréal en 2008. S’intéressant particulièrement à l’évolution des conflits de la Guerre Froide à nos jours, Pierre Hassner s’implique dans le débat politique français lors de la crise yougoslave du début des années 1990. Spécialiste des relations internationales, la richesse de ses analyses porte l’empreinte et l’éclairage de sa formation de philosophe. Dans un article publié à l’automne 2008 dans la revue Politique Internationale et intitulé “Que reste-t-il des grandes puissances ?”, Pierre Hassner analysait la crise géorgienne, ses origines, et ses conséquences géopolitiques globales.
instances internationales et régionales alors qu’elle n’aurait pas dû
Iouchtchenko. Aujourd’hui, l’Ukraine craint bien plus l’arme des
l’être. C’est l’exemple notamment du G6 devenu G7, regroupant
gazoducs qu’une invasion militaire. Mais il y a tout de même une
les Etats les plus industrialisés, dont ne fait pourtant pas partie
distribution massive de passeports russes sur le territoire ukrainien,
la Russie à la différence de la Chine. Un Conseil OTAN-Russie
notamment en Crimée, exactement comme en Ossétie du Sud et
(COR) a même été crée en 2002. Pourtant, les deux parties ne
en Abkhazie, faisant courir le risque que Moscou intervienne un
sont pas d’accord sur les règles du jeu : les Russes pensent, pas
jour au nom de la protection de ses citoyens. Sans compter la
totalement à tort, qu’on leur a donné de la forme, du symbolique,
question de la flotte russe de Sébastopol (Crimée), stratégique
mais qu’en fait l’OTAN a continué sans prendre en compte leur
pour le Kremlin car assurant sa présence en mer Noire ; or, ce
avis, comme cela a été le cas pour l’intervention au Kosovo
contrat doit expirer en 2017. Son éventuel renouvellement a été
par exemple. Ce qui est frappant pourtant, c’est le fait que V.
le sujet de vives tensions entre les deux capitales, le président
Poutine ait accepté le renforcement de la présence américaine
ukrainien V. Iouchtchenko s’y opposant.
La crise géorgienne
dans l’ancienne sphère d’influence russe à partir de 2001, alors
a finalement renforcé une situation déjà très conflictuelle, le
même que beaucoup parmi les militaires et l’élite dirigeante
président ukrainien ayant à cette occasion tenu des propos
russes voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de troupes américains
particulièrement véhéments à l’égard de la Russie. Je pense donc
en Asie Centrale, sous prétexte de lutte contre le terrorisme et
que dans les années qui viennent, Kiev sera aux premières loges.
de base d’appui pour l’Afghanistan. Vladimir Poutine pensait faire
Au final, je persiste à penser que les Russes sont parvenus avec
une faveur aux Etats-Unis tout en présentant la Russie comme un
la crise géorgienne à remettre aux Calendes grecques l’entrée de
précurseur dans la lutte contre l’Islam fondamentaliste, légitimant
la Géorgie et de l’Ukraine4 dans l’OTAN. En effet, deux critères
par la même occasion les précédentes opérations militaires
essentiels conditionnent l’entrée dans l’OTAN : la souveraineté
russes en Afghanistan et en Tchétchénie. La Russie s’est ainsi
territoriale doit être effective et les relations avec les puissances
déclarée solidaire des Américains en Afghanistan, tandis que son
voisines pacifiées. Or, ni la Géorgie, ni l’Ukraine4, ne remplissent
opposition à la guerre d’Irak a été bien plus retenue que celle de
ces conditions. Le Kremlin pensait, à juste titre, que les Etats-Unis
la France de Chirac. Mais de nouveau, les Russes ont considéré
ne riposteraient pas en cette fin de mandat de l’administration
qu’ils n’étaient pas vraiment payés en retour, et alors que les
Bush. Le moment était donc opportun pour intervenir, afin que la
prix du pétrole leur donnaient plus de poids et de confiance, le
nouvelle administration sache à quoi s’en tenir.
discours s’est peu à peu durci à l’égard de Washington tandis
Le Jeu de l’Oie : L’intervention de Moscou en Géorgie
donc pas juridiquement indépendante. En 2007, les attaques
marque-t-elle une rupture ou une continuité dans la
cybernétiques russes contre l’Estonie - un pays pourtant membre
JDO : Depuis la chute du Mur, on a observé une immixtion
l’Asie Centrale et du Caucase. Lors de la Conférence de Munich
politique de voisinage russe ?
de l’OTAN - avaient marqué les esprits. Mais l’intervention en
du 10 février 2007 sur la politique de sécurité, V. Poutine a ainsi
Pierre Hassner : La chute du mur de Berlin qui a conduit à la
Géorgie représente un pas important dans la politique russe,
dislocation du bloc soviétique a profondément marqué la Russie
non seulement sur le plan militaire, mais également sur le plan
des années 1990. La perte de l’empire et la remise en cause de
politique, avec la reconnaissance de l’indépendance des deux
l’identité russe a conduit Moscou à adopter une nouvelle politique
provinces séparatistes géorgiennes. On peut donc dire qu’il y a
d’influence à l’égard de ses voisins, dont l’indépendance était
une certaine continuité dans la politique étrangère russe, bien
mal acceptée par le Kremlin. La question du Kosovo aura été la
que celle-ci tende à se radicaliser comme le prouvent les crises
première manifestation de ce malaise russe alors que des tensions
estonienne et surtout géorgienne.
croissante des Américains dans l’ancienne sphère d’influence Russe, ce qui a été perçu comme une provocation par Moscou5. Certains commentateurs ont même parlé d’un nouveau climat de "Guerre Froide" à l’occasion du conflit géorgien. Dans quelle mesure peuton dire que la politique américaine dans la région depuis les années 1990 a été déstabilisatrice, contribuant au renforcement du sentiment national russe ? P.H. : Oui, si l’on veut, mais on ne peut toutefois pas le déconnecter du passé impérial russe. L’extension de l’OTAN, et donc de la présence américaine, dans l’ancienne sphère d’influence russe ne représente pas une menace militaire ou économique pour la Russie. Mais comme l’a dit le grand historien George Kennan, qui aimait beaucoup la Russie (ambassadeur en Russie, il a été le père de la politique du containment), la Russie ne conçoit ses voisins que comme des vassaux ou des adversaires. L’idée d’un pays indépendant à ses frontières est souvent vue comme une grande menace par Moscou. Nous sommes là dans un raisonnement impérial puisque, à la différence de la Turquie, de l’Austro-Hongrie, de la France, de l’Angleterre…qui ont euxmêmes été à la tête de puissants empires, la Russie, dont on a pu dire qu’elle avait été un empire avant d’être une Nation, ne s’est jamais résignée à la perte de son influence impériale. Il est vrai que des réformateurs russes tels que M. Gorbatchev pensaient qu’avec la chute du Mur et la fin du Pacte de Varsovie, l’OTAN s’éteindrait, ou du moins se transformerait en un nouveau système au sein duquel la Russie, en tant que grande puissance,
Auxquelles s’ajoute la question de l’UE qui, si elle était au départ
aurait une place de co-gestionnaire à égalité avec les Etats-Unis
considérée positivement comme capable de limiter l’influence et
et l’Europe. C’était l’idée avancée par Gorbatchev d’une "Maison
la puissance des Etats-Unis, est de plus en plus vue par Moscou
commune européenne". Or, ce n’est pas ce qui s’est passé.
comme une menace, son attraction étant parfois associée au plan
L’OTAN est restée, l’UE aussi. Au contraire, ces organisations
Marshall et à l’OTAN.
se sont même étendues, ce qui a été perçu par les Russes
Dans ce contexte, qu’est-ce que l’Occident aurait dû faire sauf à
comme une provocation. Du côté occidental pourtant, les choses
maintenir l’Union Soviétique ? - ce qui a d’ailleurs été le cas dans
apparaissent différemment : la Russie a été incluse dans les
une certaine mesure. En effet, il faut se rappeler le discours de
que s’engageait une véritable guerre des pipelines autour de
sécessionnistes voyaient jour au sein même de la Fédération de Russie. L’ingérence occidentale en Serbie servira ainsi d’argument
JDO : Quel intérêt la Russie avait-elle à provoquer ce conflit
à Moscou pour justifier son intervention en Tchétchénie et ailleurs.
en août 2008 précisément ?
C’est surtout avec l’arrivée de V. Poutine en 1999 que l’on a senti
P.H. : La Russie préparait cette intervention depuis plus de cinq ans.
un réel effort russe pour reprendre pied dans ce qu’ils appellent
Ce sont finalement les circonstances qui ont décidé du moment,
"l’étranger proche", soit les anciens pays membres de l’URSS et
au rang desquelles figure l’excès de confiance du Président
du Pacte de Varsovie. La Géorgie, ancienne République Socialiste
géorgien qui, après avoir "récupéré" la province séparatiste
Soviétique (RSS), n’y a pas échappé.
d’Adjarie en 2004 - vraisemblablement avec la tolérance des
La "Révolution orange" ukrainienne, reçue comme un choc par la
Russes - pensait pouvoir en faire autant de l’Ossétie du Sud et
Russie, a indéniablement contribué à la radicalisation du discours
de ses larges réseaux criminels et de contrebande. Il ne faut pas
---------------
russe à partir de 2005. V. Poutine ne qualifiait-il pas en 2005
oublier une autre circonstance essentielle : les projets d’intégration
Notes. 1. Vladimir Poutine, discours sur l’état de l’Union du 25.04.2005. NDLR.
"l’effondrement de l’Union Soviétique [comme] la plus grande
de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN2, ce qui était tout à
catastrophe géopolitique du XXe siècle"1 ? Concernant la Géorgie,
fait inacceptable aux yeux des Russes, alors même que les deux
la dégradation de la situation remonte déjà à cinq ans, avec
anciennes Républiques Socialistes Soviétiques (RSS) avaient déjà
l’expulsion de nombreux ressortissants géorgiens du territoire
commencé à se détourner du "grand frère russe" à l’occasion
2. Lors du sommet de l’OTAN de Bucarest des 2 - 4.04.2008, soit seulement 4 mois avant le début du conflit, les dirigeants des pays alliés se sont accordés à reconnaître que la Géorgie et l’Ukraine seraient un jour membres de l’Alliance [("Elargissement de l’OTAN", www.nato.int (m.à.j du 02.04.2009)]. NDLR
russe et la mise en place d’un embargo sur les produits géorgiens
des "révolutions de couleur"3. Moscou a donc profité de ces
à partir de 2006. Depuis le début de l’année 2008, ou en tout cas
circonstances pour mettre en œuvre une intervention préparée
depuis le mois de juillet, on prédisait qu’il allait y avoir une attaque
de longue date, destinée à freiner les velléités pro-occidentales de
russe. Les Russes attendaient l’occasion que M. Saakashvili leur
l’ancienne République.
3. En Géorgie,ce fut le cas de la "révolution des roses" de 2003,suivie de près par la "révolution orange" ukrainienne de 2004. NDLR.
pour empêcher la victoire du candidat pro-occidental Victor
a présentée sur un plateau en bombardant l’Ossétie du Sud. Symboliquement, on pourrait y voir une rupture, ou en tout cas
JDO : Par cette démonstration de force, les Russes
un tournant, car c’est la première fois depuis la chute du Mur
donnaient un signal fort aux pays de la CEI et aux anciens
que les Russes franchissent les frontières d’un Etat indépendant
membres de la sphère d’influence russe, tels que l’Ukraine.
et reconnu par l’ONU comme tel. Bien sûr, il y avait eu les deux
P.H. : Absolument puisque l’Ukraine avait déjà connu une certaine
guerres de Tchétchénie. Mais presque par un hasard juridique,
forme d’ingérence russe lors de l’élection présidentielle de 2004,
la Tchétchénie faisait partie de la Fédération de Russie, et n’était
où le Kremlin avait été fortement suspecté d’avoir truqué le scrutin
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
4. Dans le cas de l’Ukraine se pose la question de l’enclave de la Crimée, à grande majorité russophone. Colonisée par la Russie impériale au XIXe siècle, cette presqu’île devient République socialiste soviétique autonome en 1921, avant d’être gracieusement offerte à la République socialiste soviétique d’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954, à l’occasion du 300e anniversaire de la réunification entre russo-ukrainienne. NDLR. 5. On pourrait notamment mentionner le nouveau prosélytisme de l’Alliance Atlantique, le soutien américain à M. Saakashvili et V. Iouchtchenko, le projet de bouclier anti-missile en Europe ou encore l’influence des occidentaux dans les révolutions colorées. NDLR.
surpris tout le monde par un discours violemment anti-américain, s’opposant au "colonialisme" et à "l’impérialisme" de Washington, et allant presque jusqu’à comparer l’Amérique à Hitler ! Déjà en septembre 2004, lors de la prise d’otage d’une école à Beslan (Ossétie du Nord) par des Tchétchènes, réprimée dans le sang par la police et l’armée russes, la rhétorique anti-américaine du Kremlin avait été acerbe. J’étais alors avec des Russes de l’establishment à un colloque en Italie, et nous étions stupéfaits de voir V. Poutine à la télévision rejeter la faute sur les Américains et leur stratégie d’encerclement ! Il y a ainsi eu une propagande tout à fait délirante de la part des autorités russes depuis la perte de l’empire soviétique, motivée par une forte volonté d’être considérés comme la grande puissance qu’ils avaient été, comme un égal des Etats-Unis. Cette escalade s’est traduite dans les mots mais aussi dans les faits. Les Américains ont certainement pu manquer de tact à l’égard de la Russie dans un contexte de transition politique difficile. Mais il n’en reste pas moins qu’il y a eu une instrumentalisation d’un discours anti-américain et anti-libéral de la part des autorités russes, justifiant par exemple les échecs économiques de la Russie et la crise de 1998 par l’action de conseillers américains partisans du libéralisme, qui auraient cherché à enfoncer la Russie pour mieux se rendre maîtres d’elle ! On a là un mélange de données objectives (la perte de l’empire) et subjectives (la hantise de la montée en puissance des Etats-Unis dans la région).
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
CONVERSATION. Avec Pierre Hassner. Bush père à Kiev en 1989, au cours duquel le président Américain
résignerait jamais à l’indépendance de ses voisins. Il fallait donc
au pouvoir. Les Etats-Unis n’avaient donc aucune raison d’être
fait de leur engagement massif en Irak et en Afghanistan
enjoignait les Ukrainiens à ne pas se séparer de la Russie. De
leur offrir une protection. Je suis peut-être particulièrement
contre lui. Toutefois, M. Saakashvili s’est révélé être quelque peu
notamment.
la même façon que de nombreux Européens, Jacques Delors
sensible à cette question étant originaire de Roumanie, mais je
impulsif. Il y a deux ans par exemple, il a réagi de façon très peu
P.H. : Exactement. Les Etats-Unis sont actuellement trop engagés
en tête, s’étaient rendus en Yougoslavie au début des années
pourrais vous donner dix mille exemples de cet esprit impérial
libérale aux manifestations qui agitaient le pays - probablement
militairement en Irak et en Afghanistan pour jouer leur rôle
1990 pour apaiser la situation, soulignant que la création de
russe ! Je me souviens, il y a deux ans, j’étais à Moscou juste au
soutenues par les Russes - en décidant de fermer les stations de
de "gendarme du monde" sur la totalité du globe. Ceci dit, ils
nombreuses républiques indépendantes conduirait à une grande
moment où les frères Kaczyński nous faisaient des difficultés pour
télévision de l’opposition. Ce qui ne veut pas dire pour autant que
auraient pu empêcher une telle riposte de la part de la Russie
instabilité régionale. L’idée que l’Occident ait voulu désintégrer la
l’Europe. J’ai alors été surpris d’entendre un journaliste russe
la Géorgie soit un Etat policier : on attaque M. Saakashivili tous
s’ils avaient manifesté publiquement leur inquiétude face à la
Yougoslavie et l’Union Soviétique n’est rien d’autre qu’un mythe
plutôt ouvert dire avec beaucoup de dédain : "mais enfin, laisser
les jours dans les médias et la liberté d’expression semble réelle.
présence massive de troupes russes à la frontière du Caucase,
russe et serbe. Dans la réalité, ce sont d’abord des peuples libérés
un pays comme la Pologne mettre des freins à la Constitution
Il n’en reste pas moins que les Américains étaient conscients de
ou s’ils avaient affirmé expressément qu’une intervention de
qui ont cherché à accéder à l’indépendance, et ensuite un empire
européenne, cela prouve que vous n’avez pas de force, que vous
cette tendance impulsive du président géorgien et, bien que cela
l’armée russe aurait pour conséquence une détérioration
qui, comme tous les autres, a fini par se dissoudre. Toutefois,
n’êtes pas sérieux !". De même qu’il y a de cela 20 ans, alors
soit difficile à prouver, je pense sincèrement qu’ils prêchaient la
importante voire irrémédiable des relations russo-américaines.
je vous l’accorde, certaines initiatives comme l’expansion de
que je discutais avec un collègue de l’Institut de Moscou au sujet
modération. Au moment crucial, M. Saakashvili aurait ainsi reçu
De même qu’ils auraient probablement fait hésiter les Russes
l’OTAN jusqu’à la frontière russe (avec notamment l’entrée des
d’une prochaine réunion bilatérale avec le CERI, nous surprenons,
un coup de téléphone de Condolezza Rice lui disant de ne surtout
s’ils avaient dépêché à Tbilissi Dick Cheney ou une délégation
Etats baltes en 2004) ou plus récemment le bouclier anti-missile
en pénétrant dans un salon de l’hôtel particulier où nous nous
pas tomber dans le piège russe. Un conseil que le président
américaine importante au moment du conflit. Mais rien de cela
auraient pu être évitées et n’ont fait qu’aggraver le sentiment
trouvions, deux personnes de la délégation polonaise visiblement
géorgien n’a malheureusement pas écouté. Mais là où l’on peut
n’a été fait. En fait, je crois que, comme souvent dans les crises,
d’encerclement des Russes.
absorbées dans un dialogue affectueux. Évidemment, je me
effectivement voir une responsabilité américaine dans le conflit,
les Américains ne pensaient pas M. Saakashvili capable d’une
retire immédiatement. Mais le Russe s’écrie "mais non, c’est des
c’est dans le soutien inconditionnel de nombreuses personnalités
décision aussi irrationnelle que celle d’aller bombarder l’Ossétie
JDO : Cette escalade américaine procèderait donc d’une
Polonais, c’est des Polonais !" entrant impérialement dans le salon
de la droite américaine, le vice-président Dick Cheney en tête,
du Sud, donnant ainsi aux Russes un prétexte pour envahir une
escalade russe avant tout ?
(rire). Tout cela pour dire que le mépris des Russes pour les petits
qui présentaient la Géorgie comme un "symbole de liberté",
partie du territoire géorgien. De la même façon qu’ils ne croyaient
P.H. : Non, je n’ai pas dit qu’il y avait eu une "escalade" ou des
pays voisins explique que ces derniers aient demandé à être
affirmant leur solidarité au régime par des déclarations excessives
pas D. Medvedev capable d’une telle riposte, de surcroît dans les
"provocations" américaines. Avoir une "zone tampon" incertaine
protégés par l’OTAN. Et quand bien même nous aurions offert
et populistes ("nous sommes tous Géorgiens" !).
disproportions que l’on sait. Chacun a parié sur les réactions de
en Europe comme cela a été le cas aux lendemains de la Première
un petit peu plus de considération et d’importance aux intérêts
Côté géorgien, l’engouement pro-Américain était réel. On
l’autre et à ce jeu, selon moi, ce sont les Russes qui ont gagné.
et de la Seconde Guerre mondiale aurait été tout à fait injuste.
de la Russie, cela n’aurait rien changé sur le fond. N’importe
m’a même dit qu’il existait une rue George W. Bush à Tbilissi !
Les Américains pensaient que le président géorgien se tiendrait
Un pays qui remplit les conditions doit pouvoir adhérer à l’OTAN
quelle grande puissance n’aime pas avoir des voisins turbulents
Le problème, c’est que les gens croient que du moment
tranquille et que les Russes n’oseraient pas attaquer : ils se sont
et à l’UE. Ceci dit, il est vrai que d’un point de vue tactique et
et contestataires. Il faut se rappeler par exemple les interventions
qu’ils montrent leur fidélité aux Américains, les Etats-Unis les
trompés. M. Saakashvili pensait qu’il pourrait intervenir en Ossétie
diplomatique, je pense que l’on aurait pu dire plus fortement à la
américaines à Cuba, au Guatemala ou encore au Chili.
protégeront. Or, ce n’est pas le cas, et la Géorgie en est la preuve.
du Sud sans que personne ne réagisse : il s’est lui aussi trompé.
Russie qu’elle pourrait elle aussi adhérer un jour à l’OTAN si elle en
La grande question qui est réapparue avec le conflit géorgien,
Tout d’abord, parce que les Américains, à mon avis, n’avaient
Les Russes considéraient que le moment opportun était arrivé de
remplissait les conditions, ou du moins changer le nom de l’OTAN
c’est de savoir si les Russes ont le droit ou pas de contrôler leurs
pas l’intention de s’installer véritablement en Géorgie. Ensuite,
rétablir la situation en affaiblissant le président géorgien, pariant
pour ne pas que cela donne une impression de victoire. S’agissant
voisins, d’avoir des régimes obéissants à leurs frontières - ce
parce qu’un affrontement direct avec la Russie aurait été tout à fait
sur les divisions et l’inertie de la communauté internationale, et
des anti-missiles, je ne crois pas du tout que c’était une menace
qu’ils essaient de faire en Ukraine et en Géorgie actuellement,
irrationnel, surtout après quarante ans de Guerre Froide ! Après
ils ont visé juste. De fait, le seul objectif qui n’a pas été atteint
militaire pour la Russie. C’était avant tout un enjeu politique,
et qu’ils sont déjà parvenus à accomplir en Moldavie et en
l’invasion russe d’août 2008, certains ont avancé la nécessité
par Moscou, c’est de s’être débarrassé de M. Saakashvili, et ce
un symbole de qui contrôle l’espace, le voisinage de la Russie.
Biélorussie, de même qu’en Asie Centrale. De leur point de vue,
d’intégrer d’urgence la Géorgie dans l’OTAN afin d’éviter que
malgré une propagande inouïe visant à décrédibiliser le président
Probablement, les Occidentaux auraient-ils dû être plus prudents
et dans leur tradition, cela se comprend. Plus généralement, on
ce genre d’épisode ne se renouvelle. Personnellement, je ne
géorgien, l’associant à Hitler et taxant l’opération en Ossétie du
à l’égard de la Russie dans leurs tentatives de concilier ou en tout
peut même aller jusqu’à concevoir que les petits voisins des
suis pas sûr que cela changerait grand chose. Si demain, par
Sud de génocide. Est-ce Nicolas Sarkozy qui a sauvé la mise à M.
cas de ne pas vexer les Russes, comme le G7 ou le COR. Mais le
grandes puissances ne devraient pas entrer dans des alliances
exemple, les Russes décidaient, dans les mêmes circonstances,
Saakashvili en empêchant les Russes de descendre sur Tbilissi ?
terme "provocation" est un terme policier qui ne s’applique ni aux
militaires qui leur seraient hostiles. Mais ce que je ne peux pas
d’envahir une partie du territoire de l’un des Etats baltes sous
Les Français le pensent, mais ils sont les seuls, même si l’on ne
Russes, ni aux Américains. Il est ici plutôt question de "rapports
admettre, c’est qu’un pays voisin de la Russie n’ait pas le droit de
prétexte d’assurer la protection de leurs ressortissants, je ne
peut pas l’exclure. Mis à part cet apparent revers stratégique, les
de force" entre d’un côté, une perte de puissance de la Russie
choisir librement son régime, ni que son grand voisin ait le droit
crois pas que l’on déclencherait pour autant une Troisième
Russes semblent avoir gagné sur toute la ligne : ils ont démontré
concomitante à un regain d’influence des Etats-Unis, et de l’autre,
d’utiliser la force contre lui sous prétexte de protéger des citoyens
Guerre mondiale, OTAN ou pas. Il n’en reste pas moins que M.
que l’amitié américaine ne suffisait pas à garantir la sécurité
une volonté de libération et d’indépendance des peuples en
étrangers qui parlent la même langue que lui. Je n’accepte pas
Saakashvili portait une confiance naïve dans le soutien des Etats-
des pays qui leur étaient loyaux ; ils ont renvoyé aux Calendes
question, ce qui est vraiment incontestable. Cette dynamique de
que cela soit la règle des relations internationales.
Unis, rassuré par les discours d’amitié prononcés outre-Atlantique
grecques l’intégration de la Géorgie (et de l’Ukraine) dans
et par l’aide généreusement offerte par Washington. Les Russes,
l’OTAN ; ils ont également démontré leur capacité à interrompre
rapports de force est très bien illustrée par le contexte politique et économique de la fin des années 1980. À cette époque, le pétrole
JDO : Comme vous le dites, tout le problème réside
plus clairvoyants, savaient quant à eux que les chances d’une
à tout moment l’acheminement du pétrole de la Caspienne via
était à 12$ le baril. Or, comme Gorbatchev lui-même l’a affirmé
entre, d’une part, la création d’une zone tampon visant
escalade militaire étaient minimes. G. W. Bush, qui était aux JO
le BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), stratégique pour la Géorgie et
récemment, si le baril avait été à 100 ou 150$ comme aujourd’hui,
à l’apaisement des relations entre Etats-Unis, Europe
de Pékin avec V. Poutine, a d’ailleurs réagi très mollement à la
pour l’Occident, en bombardant des installations géorgiennes à
les choses auraient sûrement été différentes. Ce qui nous permet
et Russie, et d’autre part, le droit des pays voisins de la
situation dans un premier temps. Et s’il a élevé un peu le ton par
quelques kilomètres à peine du pipeline. Enfin, d’une manière plus
aussi de comprendre cette nouvelle politique d’influence russe,
Russie d’accéder à l’indépendance - ce qui passe par
la suite, cela ne s’est pas traduit dans les faits. Mais il n’est pas
générale, les Russes ont prouvé leur "immunité internationale" du
poussée par les revenus de la manne pétrolière.
une nécessaire protection par l’OTAN ou l’UE.
impossible que des membres de l’administration américaine aient
fait de leur rôle incontournable dans les grandes négociations
P.H. : C’est ça !
exhorté M. Saakashvili dans le sens d’une action militaire, sans
internationales en cours, iranienne et nord-coréenne notamment.
l’aval de leurs supérieurs. Cela avait déjà été le cas, bien avant que
De fait, personne, ni N. Sarkozy, ni A. Merkel, ni B. Obama ne les
JDO : Mais alors pourquoi ne pas avoir au moins changé
6. L’aide américaine s’est ainsi traduite sur le plan militaire par la fourniture d’armements modernes ainsi que par l’envoi d’instructeurs dans les bases militaires géorgiennes. NDLR.
le terme de l’OTAN, organisation créée pendant la Guerre
JDO : Justement, dans ce cas, on peut déplorer l’assistance
vous ne soyez né, durant la guerre d’Algérie, où des agents de la
a boycotté ou n’a organisé de représailles. Cette "immunité" leur
Froide qui aurait naturellement dû s’éteindre avec la fin
politique, économique et militaire des Américains au
CIA avaient encouragé les généraux auteurs du putsch de 1961
a permis de faire fi du droit international et de leur engagement
du Pacte de Varsovie ? Les Américains et les Européens
régime pro-occidental de M. Saakashvili, laissant croire
contre De Gaulle (trop anti-Américain à leur goût), à l’encontre de
au titre de l’accord de cessez-le-feu négocié par la présidence
étaient tout à fait conscients que si l’OTAN s’élargissait sur
à un soutien inconditionnel contre la Russie6, alors
la position officielle de Washington. Ce genre de comportement
française de l’UE (PFUE), en refusant aux observateurs européens
le continent européen jusqu’aux frontières de la Russie,
qu’aucune mesure de protection ou de riposte n’a ensuite
"incontrôlé" est assez fréquent, et je suis certain que cela a pu
de l’EUMM d’accéder aux zones sensibles comme prévu par le
cela serait vu comme une provocation par Moscou.
été entreprise lors du conflit.
jouer dans la décision de M. Saakashvili de bombarder l’Ossétie
traité. Ils ont aussi montré leur force de négociation en parvenant
P.H. : Oui, certainement. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle
P.H. : Exactement, vous avez tout à fait raison. Je pense que M.
du Sud.
à faire retirer la clause du traité selon laquelle ils ne pourraient
de nombreux Américains étaient opposés au maintien de l’OTAN,
Saakashvili s’est fait énormément d’illusions en pensant que les
du moins en l’état. Il y a eu de nombreuses discussions, et
Américains soutiendraient son opération en Ossétie du Sud. Que
JDO : De toute façon, les USA n’auraient pas pu mener une
des russophones. C’est donc, à mon avis, un franc succès pour
c’est finalement Lech Walesa qui a réussi à mettre un terme
les Etats-Unis l’aient soutenu politiquement depuis son élection en
opération armée en Géorgie, car pour cela, ils auraient dû
Moscou sur le plan international.
aux hésitations de B. Clinton, soulignant le droit des peuples
2004 était naturel : très pro-Américain, il est le dirigeant des ex-RSS
augmenter leur contingent et passer en "état de guerre",
Au sein même de la Fédération de Russie, en revanche, la
à disposer d’eux-mêmes. Il était évident que la Russie ne se
qui a fait le plus de réformes démocratiques depuis son accession
la limite possible en "état de paix" étant déjà atteinte du
reconnaissance d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
plus intervenir dans les régions où se trouvent des Russes ou
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
CONVERSATION. Avec Pierre Hassner. Sud pourrait encourager certains mouvements sécessionnistes
passé par exemple durant la guerre sino-vietnamienne de 1979.
les contourne. La même chose est actuellement en train de se
la Russie dans les Balkans. Ce qui n’empêche que la situation
en Asie Centrale et dans le Nord Caucase. Cette reconnaissance
La Chine avait beau être très mal équipée et peu entraînée, les
passer avec le projet South Stream, dont le tracé évite la Géorgie
est très différente s’agissant de la Géorgie ou de l’Ukraine, où
a d’ailleurs eu une incidence sur le plan international : beaucoup
Vietnamiens être aguerris par les précédentes guérillas menées
et l’Ukraine. Le jour où l’approvisionnement de l’UE en énergie ne
l’influence de l’Europe se limite à un "soft power", et donc à une
de commentateurs considèrent que les Russes sont allés trop
contre les Français puis les Américains, l’armée populaire de
sera plus dépendant de pays de transit tels que l’Ukraine ou la
menace seulement idéologique pour Moscou.
loin, en bravant le droit international et en réalisant en réalité une
libération (APL), colossale, a finalement eu raison des résistances
Géorgie, le sort de ces pays sera scellé. L’Europe aurait pu faire le
quasi-annexion. Cela étant, soixante-quatre Etats ont à ce jour
vietnamiennes. Certes, l’écart entre la Russie et les Etats-Unis
choix d’intégrer une politique énergétique commune en refusant
JDO : Pourtant, à la différence de la Géorgie, les Européens
reconnu l’indépendance du Kosovo, contre seulement quatre
est considérable, voire irrattrapable, en matière d’équipements
sa dépendance et celle de ses voisins vis-à-vis de la Russie.
ont échoué à enrayer et à imposer une résolution rapide de
pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud7. Mais les Russes préfèrent
militaires. Mais lorsque l’on voit l’échec des Américains en Irak et
Elle aurait ainsi disposé d’un moyen de pression considérable
la crise yougoslave dès 1991.
prouver leur force plutôt que d’être aimés. La crise géorgienne leur
en Afghanistan, on peut se dire que le matériel et la technologie
sur Moscou, qui lui aurait permis de pousser la Russie à pacifier
P.H. : Parce que cette différence réside dans la nature même
a donné l’occasion de montrer leur puissance. Les Russes sont
ne font pas tout...
ses relations avec l’Ukraine et la Géorgie, entre autres, sous
de ces conflits : l’intervention russe en Géorgie est une guerre
prétexte que cette situation portait atteinte à la stabilité du marché
interétatique alors que dans le cas de l’ex-Yougoslavie, les
avant tout des réalistes qui ne voient les relations internationales qu’en termes de rapports de force, et donc de puissance. Ce
JDO : La crise géorgienne a été l’occasion pour l’Union
énergétique européen dans son entier. Mais cela n’a pas été le
Européens ont dû affronter une guerre civile. Les instruments de
qui explique leur dédain prononcé pour Barack Obama, qu’ils
cas, faute de volonté des Etats membres. Selon moi, l’UE est
résolution du conflit étaient donc très différents. En ex-Yougoslavie,
passée à côté du seul moyen qui aurait pu faire d’elle la garante
on est d’abord intervenu en leur promettant des crédits s’ils
de la sécurité européenne, à savoir le chantage énergétique.
restaient unis. Ce n’est qu’après l’échec de cette politique
JDO : Mais aux yeux des Russes, les Européens ne manquent-ils pas de crédibilité considérant leur absence d’unité, même sur la crise géorgienne où se sont affrontés les partisans d’une ligne dure (généralement à l’est) contre les plus modérés (à l’ouest), sans compter tous ceux qui ne se sont pas manifestés ? P.H. : Il est certain qu’il existe une faille au sein de l’UE. Aujourd’hui, il n’y a pas grand chose en commun entre la manière dont un Espagnol ou un Portugais perçoivent la Russie, et la manière dont les anciens membres du Pacte de Varsovie ou de l’Union Soviétique la voient. Toutefois, il semble que même en l’absence d’unité, l’Europe soit capable de fonctionner. Dans une de vos questions, vous parliez de la déconvenue européenne des années 1990 dans les Balkans. C’est vrai, mais il n’empêche qu’aujourd’hui, grâce à la présence de l’UE, la situation s’est stabilisée : il n’y a plus de risque de génocide et la paix semble s’installer. Pendant près de dix ans, je me suis occupé de la guerre en Yougoslavie. C’est le seul point de terrain que j’estime bien connaître. Bien que cela ait très mal commencé, que la stabilisation ait été d’abord le fait des Américains et de l’OTAN, l’UE s’est peu à peu imposée dans la région en tant que force de maintien de la paix et d’aide à la reconstruction. Bien que le
pied avec les Russes (le fameux "reset"), multipliant les rencontres
russe n’est pas à l’heure actuelle celle d’une super-puissance,
Européenne de s’affirmer comme grande puissance régionale en matière de gestion des crises à ses frontières, effaçant la déconvenue balkanique des années 1990. De quelle manière la Russie perçoit-elle cet apparent retour de l’UE en tant que garante de la sécurité du continent européen ? P.H. : Effectivement, il y a des commentateurs qui croient en la capacité de l’UE à garantir la sécurité à ses portes. C’est le cas de Salomé Zourabichvili, ancienne diplomate française d’origine géorgienne étrangement "prêtée" à la Géorgie par le ministère des affaires étrangères français, devenue ministre des affaires étrangères de M. Saakashvili avant de tomber en disgrâce. Maintenant enseignante à Sciences Po Paris, elle affirmait dans son dernier ouvrage la nécessité d’une coopération russoeuropéenne dans la gestion des crises sur le continent, ce qui me semble tout à fait utopique étant donné la conception que les Russes ont de l’UE et de la cogestion. Je répète ce que j’ai déjà dit tout à l’heure : la Russie n’envisage ses relations avec l’étranger qu’en termes de puissance et d’indépendance ; l’important pour les Russes est de tout contrôler. C’est vrai que l’on a pu voir dans la médiation française un succès. Mais à mon avis, la France ou l’Europe ne sont pour pas grand chose dans la résolution du conflit. Je crois que les Russes auraient été embêtés d’avoir à occuper Tbilissi, craignant de faire les frais d’une nouvelle guerre de Tchétchénie. Leur idée était que M. Saakashvili tomberait de lui-même après la défaite. C’est exactement la même logique qui avait d’ailleurs prévalu lors de la première guerre du Golfe, quand Bush père avait refusé de prendre Bagdad pensant que le régime de Saddam Hussein, affaibli par la débâcle militaire, serait naturellement renversé. Je pense donc que le succès de l’initiative de Nicolas Sarkozy n’est autre qu’un heureux concours de circonstances, donnant aux Russes l’occasion de trouver une issue favorable à ce qui aurait pu être pour eux une impasse politique et militaire. Au contraire, cette médiation leur a permis de sortir renforcés du conflit. En laissant croire au monde que le pire (l’occupation de Tbilissi) a été évité, les Russes continuent à faire peser une menace sur la Géorgie (ils ont démontré que la prise de Tbilissi était possible) tout en prouvant leur "bonne volonté" à coopérer avec la communauté internationale... se montrant toutefois forts et intransigeants dans la négociation. L’UE n’a donc pu jouer ce rôle de médiation qu’avec l’assentiment des Russes (et encore, les Russes ont accepté la médiation française
ce qui n’empêche pas qu’ils soient incomparablement plus
et non pas européenne), et aurait sûrement été incapable d’agir le
bilan soit mitigé, l’UE a repris la main en Bosnie et au Kosovo,
le temps nous révèlera si oui ou non cette stratégie s’avèrera
puissants que leurs petites ou moyennes puissances voisines,
cas échéant. En effet, quels sont les Européens qui accepteraient
et est devenue un acteur de premier plan devant les troupes de
payante.
même lorsque celles-ci disposent d’équipements plus avancés
aujourd’hui de faire la guerre pour l’Ukraine, la Moldavie ou la
l’OTAN et de l’ONU. Je pense donc que les Balkans seront une
technologiquement. On a eu l’exemple de la Tchétchénie, on en
Géorgie ?
victoire européenne : les Américains se retireront peu à peu, tandis
a maintenant la preuve avec la Géorgie, qui avait à sa disposition
Ce manque de considération de l’UE pour ses voisins est
que les Russes n’auront vraisemblablement aucune influence sur
des équipements modernes fournis par les Américains. Face à
d’ailleurs assez flagrant dans la manière dont est gérée la question
l’évolution du Kosovo. Les Européens sont, à mon avis, parvenus
des pays bien plus petits, la quantité d’hommes déployés fait
énergétique en Europe. L’Allemagne, au grand dam de la Pologne
à prouver leur capacité à s’occuper de leur périphérie de manière
souvent la différence, même sous-équipés. C’est ce qui s’est
et des pays baltes, a accepté le projet russe Nord Stream qui
indépendante. On peut donc dire que l’UE a été une menace pour
considèrent comme un idéaliste incapable d’employer la force ou la menace. De la même façon que l’UE, si elle est parfois vue comme une menace du fait de l’attraction qu’elle exerce sur ses voisins (l’Ukraine et la Géorgie notamment), est avant tout considérée comme une organisation faible à ne pas prendre au sérieux, dont on critique le manque d’unité, l’absence d’autorité supranationale, et la politique de "soft power". Pour les Russes, seul le "hard power" compte sur la scène internationale. Les négociations de cessez-le-feu engagées entre la France, au titre de la PFUE, la Russie et la Géorgie, étaient assez révélatrices de ce mépris russe pour l’UE. Car si Moscou a accepté la médiation française, le Kremlin a expressément refusé qu’un drapeau européen ne soit dressé pendant les négociations. Au final, les Américains, par la faiblesse - pour ne pas dire l’absence - de leur réponse à la crise géorgienne, ont considérablement perdu en crédibilité, aux yeux des Russes mais aussi de l’opinion publique internationale. Certains commentateurs ont même affirmé, comme vous l’avez dit, que les Etats-Unis étaient allés trop loin dans leur tentative d’expansion de l’OTAN. Sans compter que le régime de M. Saakashvili n’était pas inattaquable. Finalement, ce qui a résulté de la crise géorgienne en terme d’impopularité russe sur le plan global n’est finalement pas si important. Tandis que ce qui en a résulté en terme d’affirmation de puissance, militaire et économique - l’Azerbaïdjan, fournisseur du pétrole du BTC, a ainsi adopté une position plus modérée à l’égard de la Russie à la suite du conflit - a eu une influence considérable, marquant une victoire incontestable de la Russie. JDO : Ne faut-il pas relativiser la puissance militaire russe, sachant d’une part que les Russes se préparaient depuis plusieurs mois à l’intervention, et considérant d’autre part les nombreux dysfonctionnements techniques auxquels l’armée russe a du faire face pendant l’opération, notamment en matière de communication entre les troupes au sol ? L’armée russe reste aujourd’hui relativement archaïque, sous-équipée et essentiellement terrestre. P.H. : Tout à fait. Il est évident que les Russes sont aujourd’hui totalement incapables d’envahir l’Europe ou de mener un "Pearl Harbor atomique" contre les Etats-Unis. Il est certain que l’armée
7. Il s’agit de la Russie, du Venezuela, du Nicaragua, et de l’île de Nauru. NDLR.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
incitative qu’une force d’interposition, qui faisait alors défaut à JDO : La Russie ne perçoit donc pas l’extension de l’UE
l’UE, est devenue nécessaire, donnant lieu à ce que l’on pourrait
comme une menace ?
appeler une "déconvenue" européenne. Par ailleurs, je le répète,
P.H. : Si. Mais la différence, c’est que la Russie voit l’UE non pas
je pense que bien que Nicolas Sarkozy soit intervenu rapidement,
comme une menace de puissance, mais comme une menace
il n’a affecté que marginalement le résultat. Les Russes ont
idéologique. Ce que les Russes ne veulent surtout pas, c’est que
obtenu ce qu’ils voulaient : le renforcement de leur présence en
des pays comme l’Ukraine ou la Géorgie donnent un exemple
Abkhazie et en Ossétie du Sud. Je pense donc, d’une part que
de prospérité supérieur à la Russie. La grande menace n’est pas
les situations sont trop différentes pour être comparées, et d’autre
un envahissement ou un bombardement de l’OTAN, qui reste
part que leurs succès ou échec respectifs sont à relativiser. Mais
théoriquement impossible. Pour eux, la grande menace réside
l’un dans l’autre, cela a tout de même contribué à étendre les
dans une contamination du mode de vie occidental au sein des
responsabilités et l’influence de l’UE.
anciens pays satellites, une contagion qui se serait exprimée au moment des révolutions de couleur et qu’il s’agit d’endiguer au
JDO : Finalement, quels changements pourrait apporter la
plus vite. En cela, le "soft power" de l’UE et l’attraction qui en
nouvelle administration américaine dans la géopolitique de
résulte pour nombre de pays est une menace réelle à la politique
la région ?
d’influence menée par la Russie dans la région.
P.H. : L’approche de Barak Obama est à l’opposé de la politique de son prédécesseur à la Maison Blanche : il veut repartir d’un bon avec D. Medvedev, retirant le projet de bouclier anti-missiles, etc. De la même façon qu’il souhaite rassurer les Chinois. C’est une approche assez pragmatique, car B. Obama estime avoir besoin des Russes pour régler le dossier iranien, comme il a besoin que les Chinois soutiennent l’économie américaine et l’aident dans la question coréenne. Moscou et Pékin sont eux-mêmes favorables à une détente globale, mais à la condition expresse qu’on leur accorde une sphère d’intérêt privilégiée et, ce qui est pour moi le plus inacceptable, que l’on accepte le fait qu’ils aient le droit de voler au secours de leurs minorités linguistiques dans d’autres pays, exactement comme Hitler l’a fait en Tchécoslovaquie pour les Sudètes. Le problème, c’est qu’il y a une dichotomie entre une approche globale, celle de B. Obama, et une approche régionale, celle de la Russie. Ce qui conduit le président américain à fermer les yeux sur la Tchétchénie, le Tibet, le cimetière où les Chinois viennent exécuter les séparatistes ouïgours, etc. C’est évidemment très contestable. Sa stratégie vise à établir dans un premier temps une relation de confiance afin d’exercer par la suite une sorte d’influence modératrice sur les Birmans, les Russes ou les Chinois. C’est une stratégie valable, bien que je puisse avoir des doutes sur sa réussite et ses fondements moraux. Seul
Entretien réalisé par Antoine Lury (13.11.2009).
Antoine est actuellement étudiant en 4e année section Relations Internationales. ---------------
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DECRYPTAGE.
QUAND L’HUMANITAIRE SERT LA GUERRE
L’AIDE HUMANITAIRE COMME RESSOURCE DES GUERRES NOUVELLES : UN SYMPTOME DE LA PRIVATISATION DES CONFLITS CONTEMPORAINS.
Sud-ouest de la Somalie, dans un passé proche. Un convoi de vingt-quatre camions du Programme alimentaire mondial (PAM) arrive enfin dans le village de Wahir, confronté à une vague massive de populations déplacées. Arrivé trois semaines plus tôt dans le port de Merca, le convoi aurait dû mettre trois jours pour parcourir la distance reliant la ville côtière au village. C’était sans compter les 40 barrages de "sécurité" répartis sur la route, au cours desquels les collaborateurs du PAM ont dû parlementer pendant des heures avec les différents groupes de miliciens, exigeant le prélèvement de taxes ou offrant "d’étendre leur protection" jusqu’au prochain point de contrôle. Loin de constituer un phénomène isolé, ce fait-divers est symptomatique d’une nouvelle configuration des conflits armés de l’après-guerre froide. Avec l’effondrement de la puissance soviétique, Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
“L’ENGAGEMENT HUMANITAIRE, (...) SE RETROUVE CONTRE SON GRÉ PARTIE PRENANTE les grandes puissances se sont DES CONFLITS.” publique détournées des conflits périphériques dont ils soutenaient jusquelà les parties dans une logique d’affrontement indirect (war-byproxy). Ce soutien consistait alors en un appui politique et financier de régime à régime, en fonction des affinités idéologiques de chacun. Mais après la chute du Mur, cette approche politique des conflits a progressivement laissé place à une lecture plus ethnique, "politiquement bénigne et propice moralement à l’intervention extérieure"1. C’est alors sous l’égide d’acteurs privés (principale-
ment des ONG) que cette "intervention extérieure" se massifie au début des années 1990 sous la forme de l’assistance humanitaire. Cet engouement pour le recours à l’assistance humanitaire semble toutefois dénoter une profonde asymétrie entre l’opinion
occidentale, persuadée d’endiguer les conflits armés par son action caritative, et la réalité d’une aide humanitaire alimentant l’économie de guerre propre à nombre de conflits contemporains - ces "nouvelles guerres" selon les mots de Mary Kaldor2. Sombre ironie : les conflits sont in fine financés par ceux-là même qui s’en émeuvent, persuadés de voir dans l’aide internationale un moyen de les résoudre. Victimes de la dégradation de l’environnement sécuritaire consécutif au délitement de l’Etat et à la dilution du monopole de la violence légitime, les fruits de l’assistance humanitaire sont pour partie captés par les parties belligérantes, alors que les moyens de s’emparer de la manne humanitaire se retrouvent quasiment institutionnalisés à l’échelle de l’économie parallèle, que ce soit de ma-
nière directe (pillages) comme indirecte. On parle dans ce dernier cas d’un "racket de la protection" : dans un environnement hostile, les ONG, dépendantes du bon vouloir des belligérants pour accéder aux populations piégées par les combats, doivent constamment négocier la protection des convois et s’acquitter de taxes diverses, dans l’espoir de pouvoir délivrer l’aide à bon port. L’engagement humanitaire, dont la neutralité est a priori le principe fondateur, se retrouve ainsi contre son gré partie prenante des conflits. Les belligérants ont bien compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de cette neutralité. L’exemple le plus frappant vient des camps de réfugiés situés juste derrière la frontière des pays en guerre, devenus de véritables "sanctuaires humanitaires", au sens où s’ils constituent sans conteste une réserve d’hommes et de ressources
voient leur prestige conforté grâce à l’aide humanitaire. C’est ainsi que l’on assiste à une privatisation des prestations de service public dans les pays en guerre, qui vient renforcer l’affaiblissement de l’Etat tout en s’inscrivant dans une logique plus large de privatisation générale des conflits armés.
diverses pour les parties belligérantes, ils ne sauraient toutefois être l’objet d’attaques militaires. L’assistance humanitaire et son corollaire, le traitement médiatique occidental, sont donc à la fois une contrainte et une ressource pour les parties belligérantes. Contrainte, car la présence d’acteurs de la communauté internationale rend difficile certaines exactions, sous peine de perdre toute légitimité auprès de l’opinion occidentale. Ressource, car dès lors que l’on sait la manipuler, elle peut être mise au service des intérêts de telle ou telle partie ; par exemple en déplaçant des populations vers les lignes de front afin que l’aide humanitaire, redéployée au plus près des combats, serve l’intendance des belligérants.
étalés dans le temps où la violence n’est plus que sporadique, mais touche de manière indifférenciée civils et militaires et peut prendre épisodiquement des proportions inconsidérées (viols de masse, massacres, génocides). Ces conflits, dont l’autoconservation semble être la fin en soi, nécessitent, pour s’inscrire dans la durée, la mise en place d’un système de ressources propres. Et l’usage souterrain d’une économie globalisée en est précisément devenu le pilier. Ce raccordement à une économie mondiale globalisée comprend d’une part la captation de l’aide humanitaire internationale que nous avons abordé ici, mais également le financement par la diaspora, le trafic de drogue ou d’armes ou le commerce de matières premières (diamant, or, pétrole…).
Avec le délitement des Etats dans la mondialisation simultané à la dilution de leur monopole de violence légitime, on assiste depuis plusieurs décennies à la fin des conflits tels qu’on a pu les concevoir depuis le XVIIe siècle. À des conflits interétatiques caractérisés chez Clausewitz par une concentration de la violence dans le temps (déclaration de guerre, traité de paix) et dans l’espace (front, arrière-front, patrie) qui se gagnent par des batailles décisives, se sont succédés des conflits
Si elle interdit toute affinité avec l’une des parties d’un conflit, la neutralité de l’assistance humanitaire en fait toutefois pour ces dernières un instrument malléable qu’il s’agit de manipuler et d’impliquer dans les stratégies de guerre. Il ne s’agit donc pas de remettre en cause la neutralité humanitaire, mais au contraire de montrer à quel point cette neutralité est véritable, en cela qu’elle peut participer au renforcement de l’Etat aussi bien qu’ à son affaiblissement, en fonction de quel acteur (étatique ou non) aura réussi à
L’aspect économique prononcé de ces nouvelles guerres et la possible émergence de stratégies visant à faire de la guerre un moyen de produire de la richesse a conduit certains à en faire une activité "économiquement orientée" au sens de Max Weber1. Si bien sûr, la guerre ne saurait être réduite à sa finalité économique, l’absence de tout monopole étatique de la violence conduit cependant à la rencontre sur un "marché" de l’offre et de la demande de pres-
en capter les fruits ; celui-ci s’accordant alors un regain de popularité auprès des populations, soit en procédant à la redistribution partielle de la manne, soit en ralentissant le racket auprès des populations, lui-même compensé par cette ressource extérieure. Dans l’ensemble, ce sont essentiellement les chefs locaux qui
tations armées. La violence devient alors une marchandise que proposeraient des "entrepreneurs" (seigneurs de la guerre). Elle est alors intégrée au mode de vie des populations. D’où la confusion qui règne dans les pays en
guerre entre violence et "vie active" (au sens d’activité procurant des moyens de subsistance), alors que c’est précisément l’impératif de distinction entre ces deux notions qui a depuis toujours présidé au processus de création de l’Etat. C’est à ce titre que l’on peut parler "guerre de déclin de l’Etat" (de Staatszerfallskrieg comme dirait Herfried Münkler3) et de l’apparition de "failed states", évolutions auxquelles l’assistance humanitaire contribue par son aide d’urgence, souvent captée par les seuls interlocuteurs disponibles (à savoir les mouvements armés), autant qu’elle s’y oppose - et là réside toute sa complexité - en proposant de véritables plans de retour à la paix et de reconstruction d’une administration civile dans les pays dévastés par des décennies de conflits. Une relation ambiguë qui pourrait expliquer l’échec des interventions internationales dans ces Etats post-coloniaux où la violence endémique propre à la déconcentration manifeste des structures étatiques empêche toute captation centralisée de l’aide humanitaire, renforçant la faiblesse de leurs autorités politiques tout en contribuant au jeu de leurs rivaux internes. Par la plume de Léonard Rolland.
Leonard est actuellement étudiant en 4e année section Carrières Publiques. ---------------
Notes. 1. François Jean, Jean-Christophe Rufin : Économie des guerres civiles, Hachette, Paris, 1996. 2. Mary Kaldor, New and Old Wars : organized Violence in a Global Era, Second Edition, Stanford University Press, Palo Alto (Californie), 2007. 3. Herfried Münkler : Die neuen Kriege (Les guerres nouvelles), Rowohlt Tb., 3e édition, 2004. Page18.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
POINT DE VUE. sont organisés à Accra. Taylor abandonne finalement le pouvoir et s’exile au Nigeria. 150 000 Libériens ont perdu la vie au cours de ces deux guerres et 850 000 ont été forcés de se réfugier dans les pays voisins.
FAIRE DURER LA PAIX :
L’orée de la paix au Liberia : l’œuvre indispensable des acteurs transnationaux. Le cas du Liberia est l’exemple parfait d’un nouvel interventionnisme post-guerre froide par la multitude des acteurs externes impliqués dans la résolution du conflit : les Nations Unies, ECOWAS, les États-Unis, certaines ONG et donateurs privés - sans pour autant que la question de l’ingérence ne soit jamais soulevée, bien au contraire. Au moment le plus fort de la seconde guerre, les Libériens lançaient un appel désespéré aux États-Unis pour qu’ils leur viennent en aide. L’ancienne colonie américaine persistait en effet à se considérer comme le "51e état" américain, devant logiquement bénéficier de la protection des États-Unis. En septembre 2003, le Conseil de Sécurité de l’ONU vote l’envoi d’une mission de maintien de la paix au Liberia : en l’espace de trois ans, plus de 15 000 soldats de 48 pays différents sont déployés. La mission principale des Casques
LE DEFI LIBERIEN. La
particularité du
Liberia,
bleus consiste à appliquer l’indispensable programme DDRR : "Désarmement-Démobilisation-Réhabilitation-Réintégration". La première phase du processus consiste à organiser l’inscription volontaire des ex-combattants : la réponse est enthousiaste et une grande majorité des guerriers dépose les armes. Toutefois, malgré des chiffres impressionnants, rien ne peut garantir que la totalité des armes illégales ait été retirée du pays. En outre, la procédure de désarmement est victime de son propre succès : la forte réponse des Libériens est si inattendue que le nombre de volontaires dépasse rapidement la capacité des infrastructures. La seconde phase entend réintégrer socialement ces combattants, les reconduire dans leur village et leur assurer des minima sociaux. Parallèlement, les Nations Unies tentent de promouvoir les zones rurales afin d’endiguer l’exode symptomatique aux situations post-conflit. En réintégrant les soldats, l’ONU souhaite surtout éviter le regroupement d’anciens combattants dans des camps de réfugiés et la formation d’une "force vagabonde" qui pourrait mettre en péril la fragile stabilité politique.
ce sont ses contradictions.
Encore récemment considéré comme un failed state, le Liberia offre aujourd’hui l’exemple progressiste d’un État dirigé par une femme démocratiquement élue. La stabilisation politique peut-elle cependant tout résoudre ? En 2003, l’état de paix s’installe dans un pays ruiné, pillé pour financer les combats et soutenir les insurrections des pays voisins, toujours rempli d’armes et de combattants désormais désœuvrés. Les accords de paix d’Accra avaient été précédés par plusieurs autres, tous soldés par des échecs. La question en 2003 n’était donc plus de savoir qui apporterait la paix, mais comment la rendre durable.
apez le mot-clé "Liberia" sur le site Internet du journal "Le Monde", et vous trouverez des articles sur Charles Taylor… et la Sierra Leone. Depuis la fin de la guerre au Liberia, les médias ont continué de suivre l’ancien président jusqu’à La Haye où il comparait devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone. Ont-ils oublié le pays qu’il laissait en ruines derrière lui ? Y aurait-il une tendance à se détourner des conflits africains une fois les accords de paix signés? Car il semble parfois que les sujets disparaissent des unes quand les images vendeuses d’affrontements armés ou de réfugiés rachitiques se font plus rares. La couverture médiatique des situations africaines est profondément inégalitaire : pour autant de connaissances sur les problématiques du Soudan, du Congo, du Zimbabwe, combien de lacunes sur le Burundi, l’Angola, l’Érythrée ou justement, le Liberia ? Une lacune qui nous invite à aborder la situation actuelle du Liberia, six ans après la signature des accords de paix d’Accra. Quelques rappels historiques. Pour comprendre le Liberia, il est indispensable de se replonger dans l’histoire du siècle précédent. Colonie africaine fondée par les États-Unis en 1822, le Liberia devient la première république indépendante d’Afrique en 1847. Le pays est dirigé par une élite américano-libérienne, qui exerce un contrôle sur les populations autochtones jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle. Face au clivage grandissant entre les deux groupes, un militaire indigène du nom de Samuel Doe renverse dans le sang le régime élitiste de Tolbert en 1980 : le Président est sauvagement assassiné et la totalité du gouvernement exécuté publiquement. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Le régime de terreur qui s’installe sous l’égide de Doe ne tarde pas à provoquer de violentes réactions : en 1989, un groupe de rebelles entrainés par l’américano-libérien Charles Taylor envahit le pays depuis la Côte d’Ivoire. Grâce à l’action du National Patriotic Front of Liberia (NPFL), la révolte gagne le pays tout entier. L’armée libérienne réagit avec violence, en attaquant les civils. En 1990, Samuel Doe est capturé, torturé puis assassiné : les images sont filmées et retransmises à travers le monde. Sa mort ne met cependant pas fin au conflit. Une force de coalition placée sous l’égide du Nigeria, ECOMOG1, est déployée par la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (ECOWAS), avec pour objectif d’imposer un cessez-le-feu et de mettre en place un gouvernement d’intérim. Mais la lutte pour le contrôle de la capitale continue : Monrovia est le théâtre de terribles affrontements entre les mouvements de guérilla et les partisans du défunt Samuel Doe, réunis au sein de l’ULIMO. Malgré des accords de paix signés à Cotonou en 1993, ECOWAS échoue à instaurer une paix durable au Liberia. Une mission d’observation est envoyée par l’ONU pour organiser des élections, mais la reprise des violences empêche, jusqu’en 1997, le suffrage d’avoir lieu. C’est dans un climat d’intimidation sans précédent que Taylor remporte la présidence et redonne, l’espace d’un instant, l’espoir amer d’une stabilisation politique. L’accalmie est de courte durée et le Liberia replonge dans une seconde guerre civile dès 1999. Celle-ci oppose les troupes de Charles Taylor à deux groupes rebelles : la LURD2 et plus tard le MODEL3. Le conflit du Liberia expose au reste du monde l’effroyable utilisation massive d’enfants soldats dans la conduite de la guerre. L’intervention tardive de troupes américaines va renforcer les forces régionales en présence : des pourparlers
Justine est actuellement étudiante en 4e année filière franco-britannique, section Politique, Economie et Société. Dans le cadre de son année dans l’Université du Kent (Royaume-Uni, 2008-2009), Justine Evrard a rédigé un mémoire sur le Libéria intitulé Fighting Doom : Building Peace In Liberia . --------------Notes. 1. Economic Community Monitoring Group. 2. Liberians United for Reconciliation and Democracy. 3. Movement for Democracy in Liberia. 4. Liberia Democracy Watch opère un centre national de ressources pour les organisations des droits de l’homme. La troupe du Flomo Theatre Production utilise quant à elle l’art dramatique pour sensibiliser la population, le gouvernement et les institutions aux mêmes problématiques, à travers des pièces diffusées à la radio et des performances live.
Une évolution vitale : construire une approche intégrée de la reconstruction. L’exemple de la DDRR montre comment la réponse populaire conditionne la réussite d’une mission de paix. La gestion de la reconstruction économique repose sur les mêmes principes. Une réponse purement humanitaire, fondée sur des aides directes uniquement, serait insuffisante. Les aides extérieures ponctuelles échouent à servir l’objectif de durabilité de la paix. Elle sont facilement sujettes à des détournements divers, étant donné les difficultés logistiques d’acheminement vers les populations : état des routes, des infrastructures, risques de pillages. En 2003, le Liberia est ruiné : la population doit faire face à la misère et à la faim alors que la plupart des businessmen ont quitté le pays, emportant avec eux leur capital et leur expertise. Toutefois, le Libéria possède des ressources minérales, fer et caoutchouc, mais aussi des mines d’or et de diamants. Le pays est également généreusement doté en eau, en forêts et jouit d’un climat favorable à l’agriculture. Le réel défi de la reconstruction économique réside donc dans l’exploitation efficace de ces ressources. Au même titre que la reconstruction politique, l’approche économique n’a de sens que si elle est d’abord intégrée à l’échelle locale, afin d’enraciner les efforts de paix au sein
4de la société civile. C’est dans cette optique que le Programme de Développement des Nations Unies (PNUD) a mis en place le projet "Diamonds for Development", introduisant l’idée d’une reprise fondée sur les communautés locales : les revenus générés par l’exploitation des diamants sont ainsi redistribués au sein de ces communautés afin de les rendre "durables". En s’attaquant à la question du partage des ressources au niveau local, les Nations Unis cherchaient aussi à réduire l’influence des diamants dans l’alimentation des précédents conflits. Un pays comme le Liberia ne saurait donc se reconstruire, sans l’application minutieuse de logiques d’intégration visant à créer, à terme, des capacités qui survivraient au départ des peacemakers. Sur qui fonder l’intégration des pratiques de paix ? L’hypothèse d’une société civile libérienne. Dans un rapport de 2004, l’Institut Démocratique National des Affaires Internationales affirmait que les Libériens, occupés par une lutte quotidienne pour leur survie, avaient peu de temps ou d’énergie à consacrer à toute forme de participation citoyenne. Pourtant, de nombreuses manifestations populaires au service de la reconstruction tendent à invalider ce discours. Au Liberia, certains groupes de femmes ont exercé une influence significative dans la promotion de la paix. En 2008, le documentaire "Pray the Devil back to hell" montrait comment un groupement mené par Leymah Gbowee avait atteint le statut d’interlocuteur lors de la Conférence de paix à Accra en 2005. Par ailleurs, plusieurs associations libériennes on fait de la protection des droits de l’homme leur cheval de bataille, à l’instar de Liberia Democracy Watch ou du Flomo Theatre Production4. Enfin, depuis la fin du régime répressif de Taylor, des radios indépendantes telles que Star Radio ou Radio Monrovia ont vu le jour, et s’engagent dans la promotion de la paix et de la liberté d’expression - une évolution d’autant plus positive lorsque l’on sait l’influence de l’activité radiophonique dans un pays dont le taux d’alphabétisation ne dépasse pas les 52%. Conclusion : une reconnaissance essentielle des capacités libériennes. L’idée d’ "offrir des solutions africaines aux problèmes africains" apparaît empreinte d’une certaine naïveté si on la considère au sens strict. Pourtant, elle a le mérite de supposer que des solutions venant de l’intérieur sont possibles. Au-delà des structures régionales comme ECOWAS, c’est par l’intégration nécessaire de pratiques et attitudes de paix que la reconstruction du Liberia peut espérer s’inscrire dans la durée. Certains indices vont aujourd’hui dans le sens d’une société civile organisée et pacifique. Dans le Nord du pays, où domine l’ethnie des Poro, de nouveaux leaders armés sont apparus dans les villages. Pour répondre à cette menace, les Poros ont créé des conseils au sein de chaque communauté. Ces structures d’autorité parallèles, mêlant prudent soutien et résistance silencieuse, sont ainsi parvenues à contenir l’action de ces nouveaux leaders. Finalement, c’est en reconnaissant l’existence d’impulsions civiques et de capacités organisationnelles aux Libériens que les peacemakers pourront instaurer la paix, et que le peuple pourra la faire durer. Alors peut-être les médias offriront au Liberia son heure de gloire, sans Taylor, sans pessimisme, sans sensation, en reconnaissant les efforts d’une population meurtrie qui se relève en silence. Par la plume de Justine Evrard. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
POINT DE VUE.
MEDIATION, QUELLE MEDIATION ? LES ETATS-UNIS ET LE SAHARA OCCIDENTAL. Un Royaume
souverain intransigeant depuis près de trente ans, un mouvement indépendantiste qui perdure,
des puissances régionales et internationales à l’œuvre, le tout pour un territoire désertique et peu peuplé.
Gros
plan sur le rôle des
Etats-Unis.
n conflit larvé, grand oublié des colonnes journalistiques. Le conflit du Sahara Occidental n’éveille que rarement l’attention des médias internationaux : étendue désertique vaste mais peu habitée, les positions des parties engagées dans le conflit ont peu évolué depuis le début des hostilités. Le territoire contesté, qui se situe entre le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, a pourtant vu son lot d’affrontements armés, de déplacements de populations, de torture et de répression, dans ce qui est l’un des conflits indépendantistes les plus vieux du monde. Le Front Polisario, fondateur de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), réclame l’indépendance du Sahara via l’autodétermination depuis plus de 30 ans, pour un territoire sur lequel le Maroc revendique sa souveraineté, faisant même de la "marocanéité" du Sahara un élément fondamental de la cohésion et de l’unité du pays autour de la personne du Roi. L’Algérie soutient, arme, et finance le Front Polisario depuis ses débuts, tout en maintenant une position ambiguë. Car si elle supporte l’idée d’un Sahara Occidental indépendant, sa motivation principale réside dans l’accès à la façade maritime Atlantique - ce qui constituerait une limite à la souveraineté Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
d’une éventuelle république sahraouie indépendante. Pour de nombreux observateurs, le Sahara Occidental serait le dernier territoire colonisé d’Afrique. Le Maroc, qui contrôle aujourd’hui près de 80% de sa surface, aurait ainsi succédé à l’Espagne en tant que puissance colonisatrice. Les arguments ne manquent pas, puisque le peuple Sahraoui ne forme pas vraiment d’unité culturelle ou ethnique avec le Maroc, si on excepte la religion. Les Sahraouis sont pour l’essentiel des nomades, adaptés au mode de vie contraignant imposé par le caractère désertique de la région. Comment donc expliquer l’inertie du conflit, et l’irrespect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? La réponse est à chercher du côté de la place du Maroc sur la scène internationale. Généralement considéré comme un pays arabe "moderne", ouvert aux valeurs de l’Occident et discret sur la scène internationale, le Maroc a su tirer profit de son statut international depuis le début du conflit, refusant tout compromis au profit de sa mainmise sur le Sahara Occidental. Les Etats-Unis et le Maroc : une relation historique privilégiée. Le Maroc bénéficie d’un soutien invariable et quasi-inconditionnel de la part
des Etats-unis et de la France. S’agissant de Washington, cela s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le Maroc fut, comme le rappelait le président Obama dans son discours du Caire du 4 juin 2009, le premier Etat à reconnaître officiellement les Etats-Unis au XVIIIe siècle. Ce qui n’est pas à négliger considérant l’importance accordée à l’histoire de l’indépendance des Etats-Unis dans l’imaginaire américain. La coopération étroite entre les deux pays après la décolonisation fut donc on ne peut plus naturelle, s’exprimant initialement par des ventes d’armes et la construction de bases militaires américaines sur le territoire marocain, puis par des relations commerciales privilégiées. L’Amérique est l’un des principaux destinataires des exportations marocaines de phosphate (le Maroc en est le premier producteur mondial), tandis que le Royaume Chérifien est le premier pays arabe bénéficiaire de l’aide au développement américaine. Sur le plan politique, les Etats-Unis ont toujours considéré le Maroc comme un allié inconditionnel. Car en plus des bases militaires américaines sur son territoire, le Maroc fut dans les années 1980 le premier pays arabe à établir des relations avec Israël. Ses relations diplomatiques avec le régime iranien n’ont jamais été bonnes, elles ont d’ailleurs été officiellement rompues depuis l’été 2009
après des accusations de prosélytisme chiite à l’encontre de l’Iran. L’armée marocaine a participé à la première guerre du Golfe ainsi qu’à la guerre d’Afghanistan, avec l’envoi de singes dressés pour le déminage. Le roi Hassan II, au pouvoir de 1961 à 1999, était un souverain très apprécié des présidents Reagan, Bush père, et Clinton, et entretenait une relation d’amitié avec Dick Cheney, alors secrétaire à la défense de Bush père. Un partenariat stratégique à l’origine de l’impasse politique actuelle. Cette relation, sur laquelle les médias marocains insistent peu vue l’impopularité des Etats-Unis dans le pays, permet au Maroc de camper sur ses positions depuis le début du conflit. À l’origine, les administrations Nixon et Ford considéraient même le Sahara Occidental comme un conflit de Guerre Froide. Le Front Polisario est en effet un mouvement ayant une idéologie proche du socialisme. Et son principal soutien, l’Algérie, était alors plus proche de l’URSS que de Washington dans les années 1970. La formation d’un Etat contrôlé par le Front Polisario était donc impensable outre-Atlantique, car elle aurait été considérée comme une progression territoriale du bloc communiste. Paradoxalement, l’URSS s’est maintenue à l’écart du conflit ; si l’essentiel des armes du Front Polisario étaient de fabrication soviétique, elles lui avait été fournies par l’Algérie ; la politique de nonintervention de l’URSS s’expliquant par sa dépendance à l’égard du phosphate marocain. À l’ONU, les Etats-Unis ont presque toujours voté en faveur du Maroc. Mais avec la fin de la Guerre Froide, la question du Sahara Occidental a été l’objet d’un regain d’intérêt de la part de la communauté internationale, à nouveau confiante dans son rôle de maintien de la paix au sein de ce "nouvel ordre mondial". La résolution du conflit devint ainsi prioritaire dans l’agenda onusien, sans toutefois remettre en cause la relation privilégiée entretenue par les Etats-Unis avec le Royaume. James Baker, diplomate de haut rang sous Reagan, secrétaire d’Etat sous Bush père, est nommé en 1997 envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental, devenant ainsi le principal médiateur entre le Maroc et le Front Polisario. Un premier plan est ébauché en 2000, dans la lignée de la position américaine sur le conflit, clairement pro-marocaine. Le plan proposait un statut d’autonomie au sein du Royaume ma-
rocain, une proposition bien évidemment approuvée par le Maroc mais refusée par le Front Polisario. Le sort du Plan Baker II illustre quant à lui parfaitement les raisons de l’actuelle paralysie du conflit. Rédigé en 2002, approuvé unanimement par le Conseil de Sécurité en 2003, il envisageait une autonomie de cinq ans suivie d’un referendum d’indépendance. En plus des Sahraouis, tous les individus ayant émigré dans le territoire auraient droit d’y participer, clause que le Front Polisario pourtant rejetait. Malgré l’approbation du plan par les Etats-Unis et la France, ses deux principaux soutiens, le Maroc refusa de se soumettre aux conditions du plan, excluant catégoriquement toute possibilité d’indépendance. Ce refus n’a toutefois eu aucune incidence sur les relations américano-marocaines. Une attitude intransigeante qui reflète les intentions du Maroc. Le "Palais" contrôle toujours 80% du territoire du Sahara Occidental, y compris les principaux gisements de phosphate qu’il contient, et n’a vraisemblablement aucune intention de s’en séparer. Le service de presse officieux du pouvoir marocain, Le Matin du Maghreb et du Sahara consacre la plupart de ses éditoriaux à souligner la "marocanéité" du Sahara alors que l’acronyme RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique) est toujours précédé de l’adjectif "prétendue" dans ses pages. L’une des initiatives actuelles du Roi Mohamed VI est ce que ses services de communication appellent le "retour au bercail", consistant en une amnistie royale de tout membre repenti du Front Polisario. Une apparente tolérance qui ne saurait être confondue avec une "ouverture" du pouvoir marocain, car réaffirmant au contraire l’intangibilité de la souveraineté territoriale du Maroc. Dans ce contexte, le refus du Maroc de mettre en place le plan Baker II n’est pas étonnant, alors que l’absence de volonté de la part des Etats-Unis (et de la France) de faire pression sur le Royaume chérifien pour trouver une issue au conflit explique en partie son inertie. Depuis, James Baker a démissionné de son poste onusien, découragé par la position marocaine. Rien ne semble d’ailleurs être à attendre du côté de la nouvelle administration américaine. Lors de son discours du Caire, Barack Obama a une nouvelle fois souligné les liens très forts unissant les deux pays. Pour l’instant, son administration n’a toujours pas livré de position officielle sur le conflit. Ce qui est certain,
c’est que tant que le conflit restera invisible dans l’actualité des médias internationaux, le Maroc n’aura probablement pas à s’inquiéter du maintien d’un statut quo inéquitable, largement à son avantage. Par la plume de M. A.
M. A. est étudiant à l'IEP de Lille. ---------------
Hallebardes. Il y a très longtemps.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
POINT DE VUE.
NON, LE NEO-
-CONSERVATISME AMERICAIN N’EST PAS MORT ! Le
récent décès d’Irving
Pourtant,
Kristol
a suscité peu de réactions de la part des médias français.
cet homme a marqué du sceau de son influence plusieurs générations d’intellectuels et d’hommes
politiques américains que l’on regroupe généralement sous le label de “néoconservateurs”.
Certains prédisent
que sa mort signe l’acte de décès du mouvement intellectuel dont il était le leader et le symbole.
Il
est cependant bien trop tôt pour dresser la nécrologie du néoconservatisme américain...
n homme de gauche giflé par la réalité. Le parcours personnel d’Irving Kristol est, à bien des égards, représentatif du destin d’un groupe d’intellectuels américains souvent caricaturés : les néoconservateurs. Né à Brooklyn, issu d’une famille d’émigrés juifs prolétariens d’Europe de l’Est, Irving Kristol fréquente dans les années 1930 les bancs du City College à New York où il adhère rapidement à la Young People Socialist League. Trotskiste engagé, il rompt avec la gauche radicale pour intégrer les rangs démocrates après avoir wobservé la vraie nature du régime soviétique au sortir de la deuxième guerre mondiale. Il dira d’ailleurs plus tard qu’un néoconservateur est "un homme de gauche giflé par la réalité"1. Souvent qualifié de véritable "entrepreneur intellectuel"2, Kristol est à l’origine de plusieurs initiatives qui vont introduire ses idées dans le débat politique américain. C’est notamment par le biais de deux revues qu’il crée, The Public Interest3 et The National Interest4, que Kristol lance les débats de l’époque sur des thèmes tels que la discrimination positive ou les orientations de la politique étrangère américaine. Il y critique notamment la realpolitik pratiquée par Henry Kissinger à l’égard de l’Union Soviétique dans le cadre de la politique de "détente", lui préférant une politique d’endiguement militaire de la "menace rouge" telle que pratiquée par les présidents Truman, Kennedy et Eisenhower. Le fort engagement anticommuniste de Kristol sera d’ailleurs une des raisons qui le pousseront, lui et ses partisans, à se démarquer du parti démocrate quand, en 1972, l’isolationniste et pacifiste George McGovern remporte les primaires du parti. C’est également à ce moment que le socialiste Michael Harrington lance à ces intellectuels de gauche en crise identitaire : "vous n’êtes plus des démocrates, vous êtes des néo-conservateurs !"5. Revendiquant cette appellation, Irving Kristol opère sa véritable mue politique en 1981, claquant, avec Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
la plupart de ses partisans, la porte du parti démocrate pour rejoindre un camp républicain renforcé par l’arrivée au pouvoir du faucon Ronald Reagan. Désormais installé de l’autre côté de l’échiquier politique américain, Irving Kristol restera jusqu’à son décès le symbole du virage assumé de ce mouvement intellectuel. Des hommes d’influence : de la première à la seconde génération. Si les premiers néoconservateurs, issus de la gauche radicale des années 1930, ont pour la plupart rejoint les rangs du camp républicain dans les années 1980, la deuxième génération qui voit le jour dans les années 1990 autour d’intellectuels tels Robert Kagan ou William Kristol (fils d’Irving) s’est quant à elle toujours clairement positionnée à droite. Tentant de renouveler les réseaux d’influence dont elle dispose à Washington, cette nouvelle génération multiplie les initiatives afin de poser les nouveaux termes du débat à Washington. Plusieurs think tanks voient ainsi le jour dont un, le Project for a New American Century, aurait eu une influence notoire sur la politique étrangère menée par George W. Bush6. Dans la droite lignée de la stratégie d’influence employée par son père, William Kristol crée par ailleurs une revue, The Weekly Standard, qui deviendra «la bible» des néoconservateurs. Finalement, avec l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, les néoconservateurs peuvent s’appuyer sur plusieurs membres de la mouvance néoconservatrice qui, comme Paul Wolfowitz ou Richard Perle, ont intégré les plus hautes sphères de l’Administration américaine. C’est par le biais de ces divers réseaux d’influence que les intellectuels néoconservateurs tentent alors de promouvoir leur philosophie, qualifiée de "Wilsonisme botté"7 par Pierre Hassner. La pensée néoconservatrice emprunte en effet à l’idéalisme Wilsonien son importance du rôle joué par les valeurs et la morale dans la
formulation de la politique étrangère, l’appareil militaire américain se mettant ainsi au service d’idéaux universalistes. C’est notamment cette philosophie qui fournira à George W. Bush la grille de lecture des attentats du 11 septembre : les Américains ont trop longtemps soutenu la défense de leurs propres intérêts au Moyen-Orient tout en négligeant la promotion de la démocratie et des droits de l’homme dans la région. Pour les intellectuels néoconservateurs, la reconquête du Moyen-Orient commence par l’Irak, prélude à une révolution démocratique généralisée à la région. C’est ainsi que les néoconservateurs en poste à Washington comme Paul Wolfowitz et Richard Perle s’allient aux nationalistes tels Dick Cheney et Donald Rumsfeld afin de convaincre George W. Bush de renverser le régime baasiste et d’instaurer une démocratie viable en Irak. C’est le "moment néoconservateur"8 à Washington. Rapidement pourtant, il devient clair que la guerre en Irak a été mal préparée par les stratèges du Pentagone, et ce qui devait être une guerre de libération se transforme en une guerre d’occupation impopulaire. En avril 2006, estimant que l’esprit du néoconservatisme avait été trahi, le politologue Francis Fukuyama claque la porte du mouvement et propose un retour à un "Wilsonisme réaliste",
pouvoir depuis l’entrée en fonction de l’Administration Obama, ils n’en gardent pas moins une influence prépondérante sur les termes du débat public américain. Ils continuent ainsi à publier des éditoriaux dans la presse et à promouvoir activement leurs idées par le biais de think tanks, qu’ils soient anciens (American Enterprise Institute) ou plus récents (Foreign Policy Initiative). L’actualité internationale brûlante pourrait également remettre la philosophie néoconservatrice au gout du jour à Washington. Les néoconservateurs, farouchement hostiles à la politique de la main tendue à l’Iran menée sans succès apparent par Barack Obama depuis bientôt neuf mois, ont toujours réclamé la plus grande fermeté à l’égard du régime des ayatollahs. Si le dialogue initié par le président américain devait ne mener à rien, il est clair que les intellectuels néoconservateurs auraient gagné la bataille des idées sur ce point. De plus, malgré le changement d’Administration, les discours néoconservateurs sur la promotion de la démocratie et sur le rôle messianique des Etats-Unis dans le monde ont gardé leur audience à Washington. L’équipe du président Obama est aussi composée de certaines personnalités telles Samantha Power et Susan Rice qui, sans pouvoir être classées dans le camp néoconservateur,
plus pragmatique et moins messianique9. Aujourd’hui, citant la déroute du candidat McCain aux présidentielles de 2008 et le récent décès d’Irving Kristol, certains commentateurs prédisent le déclin, voire la mort du néoconservatisme américain10. Il est pourtant bien trop tôt pour dresser la nécrologie d’un mouvement intellectuel encore largement actif à Washington.
ont toutefois tendance à fortement encourager l’idée d’un déploiement unilatéral de l’armée américaine dans des zones de conflits comme au Darfour par exemple. Une des forces d’attraction du néoconservatisme est également son ancrage profond dans l’histoire américaine et dans la tradition interventionniste des Etats-Unis, faisant de ce courant de pensée un mouvement intellectuel capable de conserver toute sa pertinence au fil des années et des aléas politiques. Banni des sphères du pouvoir depuis l’entrée en fonction de l’Administration Obama, le mouvement néoconservateur n’en est pas pour le moins actif sur la scène médiatique et il pourrait bien profiter de l’évolution de l’actualité internationale pour retrouver une certaine influence à Washington. La mort d’Irving Kristol, symbole et leader de ce mouvement intellectuel, ne signera donc pas l’acte de décès du néoconservatisme américain. La relève semble même assurée, confirmant le vieil adage : "Irving est mort, vive William !" Par la plume de Raphaël Lefevre.
L’impossible nécrologie du néoconservatisme américain. Malgré le décès d’Irving Kristol, il y a en effet fort à parier que le néoconservatisme américain conservera sa puissance intellectuelle et politique outre-Atlantique. Le décès du leader et symbole du néoconservatisme marque simplement la fin d’une période où les hommes qui composaient ce mouvement provenaient des deux côtés du spectre politique américain. Désormais dirigé par une deuxième génération de néoconservateurs clairement positionnés à droite, le courant s’est dernièrement consolidé autour de William Kristol et de Robert Kagan. De plus, si les néoconservateurs ont quitté le
Raphaël est actuellement étudiant en 4e année section Relations Internationales. --------------Notes. 1. Irving Kristol cité par Daniel Vernet dans "Irving Kristol, fondateur du néoconservatisme", Le Monde, 22.09.2009. 2. On doit notamment cette expression à Karl Rove, exconseiller de George W. Bush. 3. Revue traitant de la politique intérieure américaine, fondée en 1965 par Irving Kristol avec le concours du sociologue Daniel Bell. 4. A la différence de The Public Interest, The National Interest traite essentiellement des orientations de la politique étrangère américaine. 5. Alain Frachon et Daniel Vernet, L’Amérique messianique : les guerres des néo-conservateurs (Seuil, Paris, 2004) page 54. 6. Justin Vaïsse, Histoire du néoconservatisme aux Etats-Unis, (Odile Jacob, Paris, 2008). 7. Pierre Hassner et Justin Vaïsse, "Ascension ou déclin de la puissance américaine ?", dans Questions Internationales (n.3, septembre-octobre 2003). 8. Francis Fukuyama, "The neoconservative moment" in The National Interest (n.76, été 2004). 9. Voir entre autres : Sam Tanenhaus, The Death of Conservatism (Random House, London, 2009).
POINT DE VUE.
LA POLITIQUE ARABE DE LA FRANCE AU MOYEN-ORIENT. Nicolas Sarkozy Accusé d’être
est-il l’Anti
De Gaulle
de la politique étrangère française ?
un “néoconservateur américain avec un passeport français”, il renvoie l’image d’un président
voulant enterrer la tradition française d’une politique convient de s’interroger sur la réalité de la rupture prônée sa politique au
“pro-arabe”. À mi-mandat de sa présidence, il par le Président français, à travers l’analyse de
Moyen-Orient.
orsque Charles De Gaulle lançait dans les années 1960 "la politique arabe de la France"1, c’était avant tout pour lui permettre de retrouver son rang en regagnant de l’influence dans un monde arabe où son image avait été ternie par la guerre d’Algérie et l’échec de l’expédition de Suez. L’objectif était aussi de présenter une voie alternative à la bipolarité d’alors, autour d’une France soustraite à l’hégémonie américaine et leader d’une "troisième voie". Cette "politique arabe" a globalement été suivie par les successeurs de Charles De Gaulle. Mais la politique française actuelle semble marquer l’ouverture d’une ère nouvelle dans les relations franco-américaines et franco-israéliennes, opérant un rééquilibrage aux dépens du monde arabe. Pourtant, la politique de Nicolas Sarkozy au Moyen-Orient, si elle présente des tons nouveaux, est loin de constituer la rupture promise par le Président lors de sa campagne. Le "sarkozysme", un "pragmatisme actif". Si Nicolas Sarkozy a apporté des éléments nouveaux en matière de politique étrangère, la rupture se situe plus dans la forme que dans le fond. Le "pragmatisme Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
actif"2 du Président, qui selon une expression de Frédéric Charillon caractérise son style, le distingue nettement de celui de ses prédécesseurs. Hyperactif, il veut être présent et visible sur tous les dossiers, mais sa politique envers le monde arabe reste avant tout fortement empreinte de réalisme. La politique de la "main tendue" menée par Nicolas Sarkozy à l’égard de la Syrie contraste avec l’isolement prôné par Jacques Chirac en 2005 à la suite de l’assassinat de son ami libanais Rafic Hariri, dont la Syrie est accusée d’être le commanditaire. Pourtant, la rupture du dialogue franco - syrien entre décembre 2007 et mai 2008 a permis à la France de montrer l’importance qu’elle attache à la résolution de la crise libanaise, dont Damas détient en partie les clés3. L’action de Nicolas Sarkozy s’inscrit ainsi dans l’objectif traditionnel de la France de maintenir ses liens étroits et une certaine influence au Pays du Cèdre, qu’elle a toujours considéré comme son protégé. De la même façon, l’engagement du Président sur le dossier israélo-palestinien ne manque pas d’ambiguïté, entre réchauffement des relations franco-israéliennes et soutien à la cause palestinienne. Le rapprochement avec l’Etat hébreu est sans équivoque, surtout si l’on considère l’image négative renvoyée
par Jacques Chirac dans ce pays. La visite du Président israélien Shimon Pérès à Paris en mars 2008 et celle de Nicolas Sarkozy à Jérusalem deux mois plus tard montrent cette volonté de rapprochement. Qualifiant Israël de "miracle du XXe siècle"4, le président français prend ainsi ses distances avec la gêne traditionnelle de la France envers l’Etat hébreu. Mais sa politique oscille en réalité entre une certaine critique de l’intransigeance du nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou5, et la volonté de soutenir un Etat isolé dans sa région et dont les peurs sécuritaires sont à peine exagérées. Le refus catégorique de Nicolas Sarkozy de discuter avec ceux qui "posent des bombes"6 contraste bien avec la volonté de Jacques Chirac de minimiser l’isolement du Hamas pour ne pas nuire à la population palestinienne après sa victoire aux élections de janvier 2006. Pourtant, Nicolas Sarkozy n’a pas tourné le dos aux Palestiniens puisque la France n’a cessé de rappeler à Israël la nécessité de l’établissement d’un Etat palestinien, encourageant la reprise des négociations7. D’après le quotidien israélien Haaretz, la France serait même prête, au même titre que les Etats-Unis, à soutenir le plan du Premier Ministre palestinien Salam Fayyad qui vise à renforcer les institutions palestiniennes d’ici deux ans pour dé-
clarer unilatéralement l’indépendance au bout de cette période8. De même, le "renforcement très substantiel"9 des sanctions internationales et européennes prôné par Nicolas Sarkozy à l’encontre de l’Iran rompt clairement avec le refus de Jacques Chirac d’accroître les sanctions au profit du dialogue. Le Président tente d’apparaître comme le chef de file d’une ligne dure, s’appuyant sur l’échec de la diplomatie Obama, afin que quelle que soit l’issue de la crise, pacifique ou militaire, on puisse lui attribuer d’avoir raison : soit les sanctions auront contribué au règlement de la crise, soit elles auront préfiguré l’affrontement militaire. Pourtant, s’il prône une ligne dure, résumée dans l’alternative "la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran"10, il n’en reste pas moins un partisan de la poursuite du dialogue avec l’Iran, au sein
"Sarkozy l’Américain", un mythe. Le "style Sarkozy" est en fait un moyen pour le Président d’opérer un retour de la France sur la scène moyen-orientale, faisant écho à une certaine conception gaulliste de la politique étrangère. Jacques Chirac était considéré comme un véritable héros par la "rue arabe", renforçant l’image de marque de la diplomatie française dans une partie du monde arabe. L’action de Nicolas Sarkozy doit être vue différemment : le pragmatisme remplaçant la fascination de l’Orient et les relations personnelles qui avaient beaucoup jouées dans la politique arabe de Jacques Chirac12. Mais il s’agit toujours pour le Président actuel de renforcer, voire de renouveler la présence française dans une région considérée comme stratégique. Or, comme l’avait anticipé Charles De Gaulle dès les années 1950, l’in-
Les conditions d’un regain d’influence de la France dépendent en grande partie de la volonté des acteurs de la scène moyen-orientale de lui laisser jouer le rôle qu’elle ambitionne, comme le montrent le peu de résultats concrets de la diplomatie Sarkozy15. Inscrire son action particulière dans la politique étrangère européenne, afin de profiter des atouts européens que sont un financement important16 et une certaine légitimité à participer aux affaires du monde17, reste peut-être la seule façon pour Nicolas Sarkozy de permettre à la France de peser réellement au MoyenOrient sans pour autant abandonner le vieux principe de l’exception française. Quelle ironie, penserait De Gaulle, que la France ait désormais besoin de l’Europe pour réaliser son rêve d’indépendance et de rayonnement international !
duquel il tente d’obtenir une place privilégiée. La poursuite des partenariats stratégiques établis dans les années 1990 avec les pays du Golfe Persique rend aussi compte du pragmatisme de Nicolas Sarkozy. L’inauguration en mai dernier de la première base militaire française du Moyen-Orient à Abu Dhabi, ainsi que la signature d’un accord de défense avec les Emirats Arabes Unis, illustrent cette volonté d’accroître la présence française. Le Golfe Persique est une région hautement stratégique, d’un point de vue tant économique que géopolitique, et la France tient à y promouvoir ses intérêts. L’assouplissement de la politique française à l’égard de la Libye, ainsi que les volontés répétées de coopération dans le domaine du nucléaire civil avec l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, montrent que le volet économique de la "politique arabe" de la France demeure d’actualité. La "diplomatie des droits de l’homme" reste dans le domaine des relations économiques encore largement fictive. Sur chaque dossier "chaud" du MoyenOrient, Nicolas Sarkozy a donc tenté de se démarquer de ses prédécesseurs, et en particulier de Jacques Chirac. Mais le seul vrai changement réside dans le style diplomatique du Président. Finalement, ne tente-t-il pas d’arriver aux mêmes fins par d’autres moyens ? Stabiliser le Liban par le dialogue avec la Syrie - et non pas sa marginalisation - en serait un bon exemple. Nicolas Sarkozy ne s’en cache pas, il veut aussi "être l’ami du monde arabe"11. Il semble s’inscrire ainsi dans une certaine continuité de la tradition française au Moyen-Orient.
fluence des Etats-Unis au Moyen-Orient est considérable, s’appuyant sur des alliés fidèles13 et sur la crédibilité de leur diplomatie. Mais le monde n’est plus bipolaire et la superpuissance des Etats-Unis est à relativiser depuis le 11-Septembre et les impasses irakienne et afghane14. Le nouveau contexte international est peutêtre plus propice que jamais à ce que la France reprenne la place qu’elle a toujours convoité sur la scène internationale, une place soustraite à l’hégémonie américaine et valorisant l’exception française. Pourquoi Nicolas Sarkozy apparaît-il alors comme le Président français le plus atlantiste ? Stratège, il a peut-être choisi de se rapprocher des Etats-Unis - mettant fin aux tensions qui avaient atteint leur paroxysme en 2003 - afin de mieux de peser sur la diplomatie américaine. La réintégration complète de la France dans l’OTAN peut être vue comme un instrument essentiel de cette stratégie. Parallèlement, l’investissement de Nicolas Sarkozy dans l’Union Pour la Méditerranée, dont les Etats-Unis sont par définition exclus, montre sa volonté d’apparaître comme le leader occidental incontournable au Moyen-Orient. Mais si le contexte international ne paraît pas favorable à la puissance américaine, cela ne signifie pas qu’il soit propice à la France. Ses atouts principaux (son siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU et l’arme atomique notamment) ne constituent plus des facteurs distinctifs sur la scène internationale. Dans un monde éclaté où des logiques concurrentes se côtoient et s’affrontent, l’Union Européenne est pour la France une carte indispensable à jouer.
Par la plume de Cynthia Ohayon. Cynthia est actuellement étudiante en 4e année section Relations Internationales. ---------------
Notes. 1. Cette expression, qui est apparue ensuite, a suscité de nombreux écrits et représente à elle seule un débat, qui ne sera pas abordé dans cet article. 2. "Nicolas Sarkozy à mi-parcours : comment réformer une politique étrangère", de Frédéric Charillon, Politique Etrangère, 02.2009, été 2009, page 391 à 402. 3. Les tensions au Liban, animées notamment par la Syrie et l’Iran, entre majorité dite antisyrienne menée par Saad Hariri et opposition dite prosyrienne menée par le Hezbollah empêchaient le Parlement libanais d’élire un Président, alors que le mandat de l’ancien Président Emile Lahoud avait expiré fin novembre 2007. En mai 2008, après des affrontements meurtriers dans tout le pays, le chef de l’armée Michel Sleimane, considéré comme neutre, a été élu Président du Liban. 4. Discours prononcé à la Knesset, parlement israélien, lors de sa visite en juin 2008. 5. Le leader du Likoud est arrivé au pouvoir en février 2009, sa coalition comprend principalement le Likoud (parti de droite), le Parti travailliste et le parti d’extrême droite d’Avidgor Lieberman. 6. Discours prononcé à Bethleem, en Cisjordanie, lors de sa visite en juin 2008. 7. Visites à Paris et rencontre avec Bernard Kouchner du Ministre des Affaires Etrangères israélien Avidgor Lieberman en mai dernier, puis du Ministre de la Défense Ehud Barak et du Premier Ministre Benyamin Netanayhou en juin dernier. 8. Haaretz, "PM heads to U.S. under threat of Palestinian statehood declaration", 08.11.2009. 9. XVIIe Conférence des ambassadeurs, mercredi 26.08.2009. 10. XVe Conférence des ambassadeurs, 27.08.2007. 11. Discours devant le Conseil Consultatif de Riyad, lors de sa visite en Arabie Saoudite en janvier 2008. 12. "Voir L’Orient" de Jacques Chirac, d’Ahmed Youssef, 2003, Editions du Rocher, Monaco. 13. Principalement l’Egypte, la Turquie, l’Arabie Saoudite et Israël. 14. Voir l’article de Pierre Hassner dans Le Monde du 03.10.2007, "Le siècle de la puissance relative". 15. L’échec de la tentative franco-égyptienne d’imposer un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas lors de la guerre en janvier 2008, le refus de l’Iran de laisser la France faire partie des pays qui recevraient son uranium si un accord était signé, le scepticisme de Bachar El Assad quant à l’éventualité d’une médiation française dans le dialogue entre la Syrie et Israël ne sont que les exemples les plus flagrants. 16. L’UE est ainsi le premier financeur de l’Autorité Palestinienne, avec 496 millions d’euros alloué en 2008, et pourrait transformer sur ce dossier son importance économique en poids diplomatique. 17. En tant qu’association d’Etats occidentaux recherchant un intérêt transcendant, formant une puissance économique incontestable et par les valeurs de démocratie et de droits de l’homme qu’elle véhicule.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
REPORTAGE. Berlin.
BERLIN CAPITALE DE LA MEMOIRE. J’avais
à peine un an quand
“il”
est tombé.
Liesse. Surprise. Incrédulité. Toutes
ces émotions m’ont été racontées.
Souvent de façon anecdotique Mais aussi de manière historique - pas un cours sans elle-même, qu’en dit-elle ?
comme si le singulier permettait de mieux figurer le passé. que l’on y fasse référence, pas un.
Et
la ville
Teufelsberg. La Montage du diable. Léonard Rolland.Janvier 2010.
6 novembre 2009. J’arrive à Berlin pour fêter les 20 ans de la chute du mur. Je ne sais ce qui motiva cette décision. Peut-être l’envie de me situer au plus près de l’Histoire. Comme si le fait d’être à Berlin pour cet événement - qui ne serait rien d’autre qu’une commémoration officielle - me permettrait de mieux imaginer ce que cela a pu être. Je m’étais, pour ma part, donné un fil conducteur : l’architecture dans cette ville qui symboliquement a été réduite si longtemps à l’image d’un mur. Pauline est actuellement étudiante en 4e année section Relations Internationales. --------------Notes. 1. National Security Agency : agence gouvernementale américaine chargée de la collecte et de l’analyse de toutes formes de communication (militaire, gouvernementale et même personnelle) provenant d’une radio, d’un téléphone, ou bien d’Internet. 2. Le réseau d’écoute ECHELON désigne un système d’interception des communications dans le monde entier. Il est le résultat d’une alliance entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Canada, l’Australie et la NouvelleZélande font désormais partie des pays signataires du traité UKUSA qui fixe les conditions de collaboration dans ce domaine. 3. Ces terrains furent mis en vente à un prix dérisoire : les firmes multinationales ont réalisé des profits substantiels en en revendant une partie.
La montagne du diable. Un voyage dans la capitale allemande est souvent l’occasion de faire la tournée des musées et autres attractions pour touristes en quête de sensations ou de souvenirs. A l’ouest de la ville, une petite montagne bien singulière reste souvent inexplorée. Teufelsberg - littéralement la Montagne du diable - enferme en son cœur une ancienne université militaire nazie. L’impossibilité de la détruire a poussé les Alliés à enfouir l’édifice sous des millions de tonnes de gravats au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Conséquence de la construction du mur et de l’exacerbation des tensions entre Est et Ouest, la NSA1 aménagea au sommet l’une des plus importantes stations d’écoute associée au réseau ECHELON2. Bien qu’officiellement fermé, le site reste accessible par de nombreuses brèches dans la clôture. Si Teufelsberg demeure méconnu des touristes, les Berlinois viennent régulièrement s’y promener en famille. "Tout le monde vient ici, déclare mon guide. C’est la plus belle vue sur Berlin, et en hiver, on y fait même du ski". Au même instant, nous croisons un Berlinois en train d’y balader son chien. Dissimulé derrière des broussailles, ce haut lieu de l’espionnage
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
ne se laisse pas facilement appréhender. Une fois à l’intérieur, c’est l’immensité du site qui surprend. Un gigantesque complexe réparti sur plusieurs bâtiments surplombés de quatre coupoles dissimulant des antennes radios très performantes : pendant près de quarante ans, les transmissions et radio communications de Berlin Est y furent enregistrées et écoutées. De ces hangars, il ne reste que les murs pour la plupart recouverts de graffitis : abandonné par les autorités américaines en 1994, le site est progressivement devenu un immense lieu d’expression de la culture underground. En 1998, un investisseur privé rachète la montagne dans sa totalité : il était alors question d’y construire un immense complexe hôtelier. Aujourd’hui, les travaux n’ont toujours pas commencé, entretenant le mystère autour de ce curieux retard. De sorte que la sauvegarde de ce lieu emblématique continue d’agiter les esprits. Vingt après la chute du mur, faut-il conserver toutes les traces de cette division allemande encore si difficile à surmonter ? L’unité, coûte que coûte. Traces cicatricielles, sortes de vestiges d’une archéologie immédiate, elles se lisent dans le plan de la ville. La chute du mur a révélé d’ immenses no man’s land situés sur l’ancienne ligne de démarcation : d’une taille très différente, certains consistent en de vastes terrains vagues. Se sont ajoutés de nombreux sites stratégiques de l’ancienne RDA, désertés par les autorités soviétiques en 1989. Après la réunification, les autorités berlinoises ont rapidement revendu ces terrains à des firmes multinationales3 comme le constructeur automobile Daimler ou le géant de la technologie Sony. La démesurée Potsdamer Platz en fait partie. Elle permet
de mieux comprendre le visage de ce nouveau Berlin. Des architectes internationalement reconnus - comme Renzo Piano ou Helmut Jahn - transformèrent radicalement la physionomie de cet ancien haut-lieu des manifestations politiques. Point névralgique du Berlin réunifié, la place symbolise la prospérité de l’Allemagne post guerre froide. Tout de verre et d’acier, le surdimensionné Sony Center est un véritable temple de la consommation à la gloire de la haute technologie et du divertissement. En novembre dernier, une piste de luge ainsi qu’un marché de Noël avaient encerclé les quelques vestiges du mur laissés en pâture aux touristes. "Le centre de Berlin reprend donc vie mais sur des bases purement commerciales" explique la sociologue Margaret Manale. Si ce nouvel aménagement de la capitale a permis d’exorciser une division encore bien présente dans l’esprit de nombreux Allemands, nul ne peut nier le message politique envoyé par les autorités. En reflétant l’image de la puissance économique et commerciale, Berlin tente de "dépasser les autres capitales européennes plus légitimes car plus anciennes"4. D’autres y perçoivent une "névrose obsessionnelle" de vouloir "faire disparaître la RDA"5. . 4. Manale M., Berlin sans frontières ?, Espaces et sociétés 2004/1-2, 116117, p. 189-208. 5. Josef Haslinger, Une révolution au goût d’inachevé, Berlin pour mémoire, Courrier international n° 992. 6. Depuis la chute du mur, la Potsdamer platz (ou place de Postdam) est considérée comme le point névralgique de la capitale berlinoise.
Bye bye Berlin alternatif, bonjour conformisme ! Quelques jours avant la date anniversaire du mur, toute la ville était en effervescence. Et le monde de la nuit n’était pas en reste… De nombreuses soirées étaient organisées dans l’ancien Berlin est : la mémoire s’invitait jusque dans les boîtes de nuit. Pour l’occasion, deux lieux mythiques de la scène musicale allemande ont ouvert de nouveau leurs portes pour fêter dignement la fin du rideau de fer.
Le 7 novembre, c’est au Moskau Bar qu’il faut être. Construit en 1961, ce fleuron de l’architecture soviétique se situe sur la non moins célèbre Karl-Marx-Allee. Emblème du prestige de la République Démocratique Allemande, ce lieu de bals et de banquets a progressivement été investi par la jeunesse estallemande. Au tournant des années 1980-90, le café Moskau était l’une des figures emblématiques de la scène musicale est allemande. Le 8 novembre, c’est au tour de l’incontournable Ewerk de se prêter au jeu de la reconstitution. Ancienne usine consacrée à l’éclairage urbain construite en pleine révolution industrielle - 1885 - le bâtiment fut vite récupéré après la Seconde Guerre mondiale. Très endommagé, sa réhabilitation fut assurée par l’Union Soviétique qui lui redonna sa fonction initiale. Comme pour le Moskau Bar, les années 1980 ont été déterminantes : après une progressive cession de bail, la mode, puis l’art s’invitèrent dans cette immense complexe industriel à deux pas du nouveau6 centre de la ville. Devenu une boîte de nuit surdimensionnée en 1993, le Ewerk a contribué à fonder la renommée internationale de Berlin comme capitale culturelle et musicale. Près de vingt après, tous les moyens sont bons pour faire revivre ce lieu : l’ambiance décontractée a cependant laissé la place à un événement surmédiatisé où les services de sécurité assurent un ordre irréprochable. Dehors, à une centaine de mètres de l’entrée, les vieilles pierres vibrent à nouveau sur les fréquences des basses. "C’est exceptionnel, cela fait des années que le Ewerk n’a pas été réinvesti pour une soirée comme cela !" s’exclame dans la file un jeune Berlinois enthousiaste. "C’est une soirée très symbolique quand on connaît le passé du lieu !". Symboles des temps fastes de la période post-communiste, le Moskau bar et le Ewerk sont peu à peu devenus des Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
REPORTAGE. Berlin.
Musée du Jeu de l’Oie à Rambouillet Le Musée du Jeu de l’Oie est une nouvelle collection publique de la Ville de Rambouillet, acquise en 2008. Depuis 2001, le Palais du Roi de Rome était utilisé comme lieu de dépôt et d'exposition de l’extraordinaire collection de l’éditeur d’art Pierre Dietsch, qui avait rassemblé près de 2400 jeux de l’oie ! La présentation du moment - à travers 70 exemples représentatifs - consiste en un survol de l’histoire et de la typologie du jeu de l’oie, à la fois objet ludique et pédagogique, véritable témoin des préoccupations d’une époque, dans l’Europe entière (Allemagne, Italie, GrandeBretagne, Pays-Bas, Belgique, Suisse, pays scandinaves).
LE JEU ROYAL DE L’OYE RENOUVELLE DES GRECS, Le Canu, Alençon, Fin XVIIe s. Gravure sur papier.
Le jeu de l’oie "classique", dit à tort "renouvelé des Grecs" est apparu au XVIe siècle en Italie. Il trouve sa forme définitive au XVIIe siècle : parcours de 63 cases ponctuées d’oies, comportant des obstacles ou bienfaits du Pont, de la Prison, du Labyrinthe et de la Mort, pour mener au "Jardin" ou au "Paradis de l’oie". Il se développe au XVIIIe siècle. Alors gravé sur bois en province, il est plus raffiné et luxueux à Paris, gravé sur cuivre par des professionnels. Le jeu, guidé par le hasard du jet de dés, constitue une métaphore de la vie, menée par les aléas de la chance et de la malchance. Dès cette époque, les précepteurs ont vu dans cet objet en apparence anodin le moyen d’éduquer les jeunes gens dans les domaines les plus variés de l’héraldique, l’art militaire, l’histoire la géographie et la morale. À partir de la Révolution, il est devenu aussi un moyen de diffusion facile de propagande politique. À partir des années 1880, le jeu de l’oie, imprimé avec des moyens de reproduction devenus industriels (lithographie, puis chromolithographie), a commencé à devenir le support de messages publicitaires. Très diversifiés, ces objets étonnants, souvent amusants, toujours intéressants, ne peuvent qu’attiser la curiosité et l’appétit de découverte. Un renouvellement de la présentation est en préparation. A suivre, donc ! Sophie de Juvigny, Conservateur en Chef.
Située à 80 mètres de hauteur, la colline de Teufelsberg domine la ville de Berlin.
7. Dans Courrier international, "Berlin pour mémoire", n° 992. 8. Lors d’une conférence de presse avril 1954, le président américain est le premier à parler d’un risque de contagion du communisme en Asie du Sud-est selon le principe des dominos.
La chute (bis). Le 9 novembre 2009, une foule compacte se masse autour de la porte de Brandebourg. Quelques minutes avant le début des festivités, le Mur est de nouveau infranchissable : sur 2 kilomètres, 1000 dominos reproduisent exceptionnellement la séparation est/ouest. D’aucuns apprécieront le rappel à la théorie d’Eisenhower8 qui, à défaut d’être subtil, a le mérite d’être explicite. Une atmosphère bon enfant confirme que les temps ont bien changé… Froid, pluie, encombrements : cette liesse
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
organisée fait parfois place à l’agacement. "Ils ont fait une gigantesque mise en scène parce qu’ils savent que le monde entier regarde", déclare un spectateur, sceptique. Ecrans géants, scène surdimensionnée, tribunes V.I.P : la liberté ne se célèbre pas à la légère ! Symbolique encore… c’est à Lech Walesa que revient l’honneur de pousser le premier domino, profitant de cette tribune exceptionnelle pour rappeler - au passage - l’influence de Solidarnosc dans la chute du rideau de fer. Ceux qui s’attendaient à vivre ou revivre l’intense émotion qui saisit le monde ce beau soir de novembre il y a vingt ans, témoignent de leur déception devant une célébration qui tient plus de la foire que de la commémoration. Un homme venu de Hambourg illustre le scepticisme du public : "Je suis un peu déçu par la commémoration, j’aurais préféré quelque chose de plus modeste. Cela aurait pu être un moment de recueillement et d’introspection". Un peu plus loin, un groupe de touristes français ironisent : "Ils auraient pu le faire tomber le 8 novembre le mur, il faisait beau hier !" s’exclame un jeune homme d’une vingtaine d’années. Par la plume de Pauline Blistène.
JEU DE LA REVOLUTION FRANCAISE, Paris, 1791, Gravure sur cuivre.
MUSÉE DU JEU DE L’OIE Place du roi de Rome 78120 RAMBOUILLET Téléphone 01 30 88 73 73
Crédits Photographiques : ©Béatrice Lécuyer-Bibal.
lieux de fête conventionnels : les vieilles affiches ont été remplacées par des publicités épurées de bière et de prêt-à-porter. "Juste après la chute du mur, de nombreux bâtiments furent laissés vides, raconte Mark K. créateur du guide Berlin pour les jeunes. Chaque semaine, un bar, une nouvelle discothèque s’improvisaient dans ces maisons désertées". L’auteure Christiane Rösinger7 se souvient de ces mythiques soirées berlinoises comme d’un "jeu de piste qui permettait de s’approprier la nouvelle ville et cet Est à la fois proche et inconnu". Aujourd’hui, il serait bien difficile de perdre son chemin. Navettes, pancartes, projections visibles à des kilomètres.
ACCÈS Gare SNCF de Rambouillet A 10 et RN 10 OUVERTURE du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h
JEU INSTRUCTIF DES MERVEILLES DE LA NATURE ET DE L’ART, Basset, Paris, vers 1850. Gravure sur cuivre.
TARIFS DES VISITES tarif plein 2,50 € tarif réduit 1,50 € gratuit pour les moins de 4 ans VISITES GUIDÉES sur rendez-vous ANIMATIONS PÉDAGOGIQUES pour les groupes scolaires sur rendez-vous SERVICES ANNEXES vente de cartes postales
PORTFOLIO. Tassoua et Ashoura, célébrations religieuses en pays chiite. Téhéran, janvier 2008. Dès le début du mois de Muharram, les murs, vitrines et façades de Téhéran arborent de grandes banderoles annonçant les fêtes de Tassoua et Ashoura, célébrées en la mémoire de la mort d’Hossein. Pour les Chiites, qui représentent l’immense majorité de la population en Iran, l’Imam Hossein, petit-fils de Mohammad, est le seul descendant légitime du prophète. Tué lors de la bataille de Kerbala en 680, ses fidèles commémorent chaque année sa mort en martyr.
Foule. L’une des démonstrations les plus spectaculaires du deuil est le siné
Tassoua. La veille du jour anniversaire de sa mort,
que le terme ne le laisse penser, sont tantôt rapides,
genre théâtral qui rejoue le martyr d’Hossein. Là non plus
sont servis les “repas d’Hossein”, distribués gratuitement
les chants exhortent Ali, le père d’Hossein, à venir le
tantôt lentes. La tête haute et le regard vers le ciel, les
rien de sanglant, au contraire des images spectaculaires
dans toute la ville pendant les deux jours. Le soir venu,
protéger. Autour du grand bazar de Téhéran, dans le
corps se tendent, bras levés, puis se rétractent, les mains
des célébrations en Irak ou au Liban. Achoura. Le
les pas sont lents et les expressions graves dans le bazar.
torse nu pour les flagellations - souvent plus symboliques que réelles, du
sud de la ville, les familles envahissent les rues dans
rabattues sur la poitrine dans un bruit sourd et puissant ;
lendemain vient Achoura, plus triste, plus endeuillée. Les
Les aînés remplacent les jeunes, très présents pendant
moins a Téhéran, et jamais sanglantes). Certains portent donc un costume
une ambiance de fête populaire. C’est l’un des rares
jamais sur la tête, ce serait contraire à l’interdiction
temps de prière sont plus longs. Peut-être plus encore
la journée. Ils avancent, lentement, encadrés par des
exemples d’occupation de l’espace public par les
religieuse de se mutiler. Certains utilisent des martinets à
que la veille, les hey’ats (groupes de fidèles) se retrouvent
banderoles, les bras tantôt en l’air, tantôt sur leur poitrine.
Un homme, rarement un dignitaire religieux, chante le martyr d’Hossein.
habitants. Siné zani. Ces flagellations moins violentes
chaînes de fer lors des défilés précédant les taziehs, ce
dans les mosquées. Après la prière du milieu de journée
Les paumes vers le ciel. Par la plume de Pierre Alonso.
Communion. Pendant les deux journées de célébrations, le désespoir et la
zani. Les fidèles lèvent les mains au ciel avant de les rabattre sur leur poitrine, dans un bruit sourd. Chaînes. Depuis quelques années, il est interdit d’être
ouvert sur les omoplates. Main. Sine zani. Le geste de frappement de la poitrine est souvent symbolique et intime. Chant. Grand bazar de Téhéran.
tristesse affichés sont allés crescendo.
OFFRE SPÉCIALE JEU DE L'OIE.
Avec la Société Générale, être jeune comporte de nombreux avantages ! On est là pour vous aider * s une
e s j k c Pa it 3 an Gratu
8 août 2008. La guerre de Géorgie ouvre les Jeux Olympiques de Pékin. Les plumes des quotidiens occidentaux s’affolent le temps de quelques semaines. Escalade militaire, verbale, et journalistique. Chacun se fait du coude pour imposer sa vision, par les armes, la voix ou les mots. Face à cette surenchère éphémère, il est parfois difficile de trouver ses marques, de séparer le bon grain de l’ivraie, de dissiper les flous. Les raccourcis fleurissent, le parti pris est assumé et excessif, le conflit géorgien placé sous le signe de la confrontation Est-Ouest. Le mot est lâché : Guerre froide. Évocatrice, l’expression est pourtant idéologiquement marquée et anachronique. Si la confrontation est bien réelle, elle est la conséquence et non la cause d’une rivalité géopolitique dont le Caucase semble être la clé. Lancé de dés.
www.societegenerale.fr Ouvrez un compte à la Société Générale de la part du "Jeu de l’Oie" et bénéficiez de la gratuité du Pack Jeunes pendant 3 ans. Pack Jeunes est une offre groupée de services bancaires et d’avantages essentiels au quotidien réservée au 16/24 ans. Conditions et tarifs en vigueur au 01/03/2009 : 2.27€/mois pour les 16/17 ans et 4.55€/mois pour les 18/24 ans prélevés à partir de la 4 e année. Offre non cumulable avec toute autre offre de la Société Générale, valable jusqu’au 31/05/2010 dans les agences Société Générale de Lille et sa métropole, réservée aux jeunes de 16 à 24 ans non détenteurs d’un compte courant à la Société Générale, sous réserve d’acceptation de la banque. Présence du représentant légal obligatoire pour les mineurs. *
DOSSIER. Tableau de bord. Rappel historique.
DES ANTAGONISMES LARVÉS AUX CONFLITS GELÉS :
DES QUASI-ÉTATS AUX CONFLITS GELÉS. Les terri-
toires abkhaze et sud-ossète n’ont cessé, depuis l’arrivée au pouvoir de Staline, d’être un levier russe dans le contrôle de sa sphère d’influence, déstabilisant le pouvoir central géorgien tout en asseyant la suprématie russe dans la région. Autoproclamées indépendantes à la suite de l’accession à l’indépendance de la Géorgie en 1991, et après avoir essuyé de violents conflits avec Tbilissi, ces régions séparatistes sont peu à peu devenues, aux côtés du Somaliland (Somalie), de la Transnistrie (Moldavie) et du Haut-Karabakh (Azerbaïdjan), des "Quasi-Etats". Indépendants de facto - institutions politique, économique, judiciaire, sociale et militaire garanties par une Constitution propre ; identité nationale forte représentée par un drapeau, un hymne, voire une monnaie - il ne manque à ces territoires que la reconnaissance internationale pour que le flou autour de leur statut puisse
SOURCES ET ENJEUX DES INDÉPENDANCES ABKHAZE ET SUD-OSSÈTE.
Le conflit géorgien était-il prévisible ? L’histoire semble l’attester. Les peuples abkhaze et ossète sont millénaires, les premiers étant issus du royaume abkhaze chrétien (IX-Xe siècle), et les seconds de celui des Alains (IIIe siècle), peuple d’origine persanophone. Les Abkhazes comme les Ossètes ont toujours eu une culture et une langue propres qu’ils ont su préserver, et ce malgré les différentes ingérences étrangères - qu’elles soient romaine, arabe, mongole, perse, turque et russe - dont ils souffrirent tout au long des siècles. Au contraire, ces diverses colonisations ont largement contribué à l’émergence d’un sentiment identitaire fort, élément moteur de leurs futures revendications indépendantistes.
--------------Notes. 1. La différence entre ces deux statuts étant qu’une région autonome avait moins d’autonomie qu’une RSSA. Ce qui atteste du plus grand intérêt porté par les Soviétiques à l’Abkhazie sur son voisin ossète. 2. Cette colonisation fut particulièrement efficace en Abkhazie où la population d’origine abkhaze, largement majoritaire en 1931, ne représentait plus que 17,8% de la population totale au recensement de 1989 contre 45,7% de Géorgiens (le reste étant surtout constitué de Russes et d’Arméniens). 3. Au total, le bilan se monte à 10 000 morts et près de 250 000 déplacés majoritairement des Géorgiens d’Abkhazie. La population abkhaze est ainsi devenue à nouveau majoritaire en Abkhazie à la suite du conflit.
Plus particulièrement, l’expérience de la domination soviétique au XXe siècle a joué un rôle central dans le développement des antagonismes actuels entre Tbilissi et les deux régions séparatistes. Pour mieux contrôler leur périphérie, les Soviétiques élaborèrent une savante politique de mélange des populations au sein de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) créée en 1922. Dans le cas de la RSS de Géorgie, cette politique se traduisit par le rattachement des régions périphériques d’Ossétie du Sud (1922) puis d’Abkhazie (1931), tout en en accordant à ces territoires un statut spécial : celui de République Socialiste Soviétique Autonome (RSSA) pour l’Abkhazie, et de Région Autonome concernant l’Ossétie du Sud1 ; le but étant clairement d’affaiblir l’unité nationale géorgienne selon l’adage "diviser pour mieux régner". Dans les deux cas, il s’ensuivit une politique de "géorgisation forcée" (interdiction des langues abkhaze et ossète, répression culturelle et religieuse) et d’assimilation par le peuplement, concrétisée par l’implantation massive de colons géorgiens et russes dans ces régions2. Et si quelques révoltes sporadiques virent le jour contre cette négation de leurs libertés, elles ne donnèrent lieu qu’à de violentes répressions. Encouragée par Moscou, cette politique de géorgisation forcée conduisit à un profond ressentiment de ces minorités à l’égard des Géorgiens, perçus dès lors comme des colonisateurs et des
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
oppresseurs. Les demandes renouvelées de rattachement à la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie (RSFSR) témoignent de ce profond malaise. L’élément déclencheur des séparatismes abkhaze et ossète sera finalement l’accession à l’indépendance de la Géorgie, le 9 avril 1991, sur fond d’effondrement du bloc soviétique et de réactivation du nationalisme géorgien sous la houlette du Président Zviad Gamsakhourdia. Craignant de se retrouver isolé dans une Géorgie indépendante, sans la protection du "grand frère russe" (qui fut pourtant à l’origine de leur rattachement à la Géorgie !), le Soviet Suprême ossète, mené par le Front populaire de l'Ossétie du Sud (Ademon Nykhas), vote l’unification avec son voisin du Nord, le 10 novembre 1989. La réponse géorgienne ne se fait pas attendre : le lendemain, le Parlement abolit l’autonomie de la région séparatiste, déclare la suppression des quotidiens et interdit le droit de manifestation. Le 4 janvier 1991, Tskhinvali, la capitale ossète, proclame unilatéralement son indépendance. Une violente guerre civile éclate, causant des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés. Il faut attendre plus d’un an et demi pour qu’un cessez-le-feu soit déclaré, suite aux accords de Dagomys signés par les présidents russe et géorgien, respectivement Boris Eltsine et Edouard Chevardnadze. Ces accords mettent en place une force de maintien de la paix tripartite (russe, géorgienne et sudossète) de 1 500 hommes, soutenue par une mission d’observation de l’OSCE (alors CSCE). La défaite des troupes géorgiennes dans le conflit les opposant à l’Ossétie du Sud aura pour effet de conforter le mouvement indépendantiste abkhaze mené par Vladislav Ardzinba, à la tête du Conseil Suprême de la République autonome d’Abkhazie depuis 1989. En juillet 1992, l’indépendance est déclarée, et les combats peuvent commencer, sur l’exemple du voisin ossète (soutien des Russes et de certains volontaires venus du Nord Caucase), donnant lieu à une véritable purification ethnique3. Le 14 mai 1994, les accords de Moscou mettent finalement fin aux hostilités par la signature d’un accord de cessez-le-feu et
4. Instituée le 8 décembre 1991, la Communauté des Etats Indépendants était constituée à l’origine de douze anciennes RSS, réunies autour de la Fédération de Russie. Officiellement, son but officiel était de permettre à ses membres d’accéder plus facilement à l’indépendance, tout en favorisant la coopération multilatérale. Actuellement, seul neuf Etats en sont encore membres (Russie, Biélorussie, Moldavie, Arménie, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan, Azerbaïdjan, et Ouzbékistan), le Turkménistan ayant pris ses distances en août 2005 en devenant "membre associé", et la Géorgie l’ayant quitté suite au conflit d’août 2008. 5. 90% des Abkhazes et des Ossètes détiennent actuellement un passeport russe. À ce titre, ils ont pu prendre part aux élections législatives russes de décembre 2007, et présidentielles de mars 2008. 6. Le BTC est un oléoduc reliant les plateformes pétrolières de la mer Caspienne à la mer Méditerranée, selon un axe Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Financé par des firmes occidentales, notamment américaine et anglaise, cet oléoduc stratégique devrait permettre une meilleure sécurité d’approvisionnement pour l’Europe, évitant les frontières russe et iranienne. (cf. pages 54-55). 7. En Ossétie du Sud, les équipes dirigeantes sont étroitement liées aux autorités russes. On retrouve d’ailleurs dans leurs rangs d’anciens membres des services secrets russes. 8. En 2005, les dépenses d’armement de la Géorgie représentaient 18,1% des dépenses globales, pour seulement 5,3% en 2000 (source : World Perspective).
se dissiper. Enclavés au sein d’un Etat parent faible dont ils revendiquent l’indépendance, ces quasi-Etats ne doivent leur survie qu’à la protection d’un Etat tiers puissant, motivé par des enjeux géostratégiques, qu’ils soient politiques (maintien d’une pression sur l’Etat parent) ou économiques (appropriation de ressources). De ce fait, ces Etats sont voués à ne le rester qu’à moitié, leur "tuteur" ayant intérêt à maintenir le statu quo afin de pérenniser une situation largement à son avantage. Toute la problématique géorgienne tourne donc autour de cette question du statu quo et de son issue. Pour Tbilissi, le départ des Russes reste le préalable à tout règlement pacifique du conflit. Pour Moscou, l’objectif est au contraire de maintenir ses positions afin de préserver à terme sa sphère d’influence. Face à ce blocage, le gel des conflits était inéluctable. Une impasse que le conflit géorgien est venu renforcer.
le déploiement d’une mission de maintien de la paix de 3 000 soldats russes sous mandat de la CEI4, appuyés dans leur tâche par une mission d’observation de l’ONU (MONUG).
la construction du BTC6, ainsi que le prosélytisme transatlantique (OTAN) pratiqué par Washington, contribueront à attiser les tensions.
Affaiblissant le gouvernement géorgien, ces deux conflits ont surtout offert à la Russie l’occasion de renforcer sa présence dans la région, officiellement en tant que force de maintien de la paix bien qu’en réalité juge et partie. Loin d’assurer leur mission de stabilisation, les forces russes ont largement contribué à exacerber les tensions : distribution de passeports russes5, utilisation du rouble comme monnaie d’échange, remplacement de l’apprentissage du géorgien par le russe dans les écoles… laissant ainsi entrevoir à ces deux régions séparatistes la possibilité d’une intégration au sein de la Fédération de Russie. Approvisionnés en armes et en munition, les trafics d’armes et de drogue, le marché noir et les nombreux enlèvements peuvent se poursuivre sous l’oeil clément du "grand frère russe". Ce faisant, Moscou maintenait une pression constante sur le gouvernement géorgien, impuissant face à ces deux régions qui n’auront de cesse d’affirmer leur indépendance (vote de nouvelles Constitutions établissant des régimes présidentiels) et de se rapprocher de la Russie. Surtout, cette pax russica renforçait un statu quo largement en faveur de Moscou, contribuant au gel de ces conflits latents.
Peu à peu, le conflit se déplace du niveau local à l’échelle internationale, au profit de ce que l’on pourrait percevoir comme un affrontement indirect entre les puissances américaine et russe. Un équilibre précaire se met alors progressivement en place, renforçant un statu quo devenu insoutenable.
Les Russes ne sont pourtant pas les seuls à avoir une influence dans la région. Dès le début des années 2000, les Etats-Unis, du fait de leurs intérêts énergétiques et militaires, entament une activité de soutien au gouvernement géorgien. En 2002, le Sénat américain vote l’octroi d’une assistance militaire à la Géorgie (fourniture d’armements et envoi d’instructeurs américains en 2005), officiellement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Les importants investissements des majors américaines dans
Dans les deux cas, le cessez-le-feu demeure fragile, et dès la fin des années 1990, les tensions s’exacerbent. Accusant la Russie d’encourager les velléités sécessionnistes de ses protégés, Tbilissi réclame, en vain, le remplacement des forces de maintien de la paix russe par des soldats de l’OSCE et de l’ONU. Soutenues par Moscou, les régions séparatistes vont quant à elles multiplier les provocations : enlèvements réguliers contre rançon, représailles sporadiques, refus catégorique de tout retour des déplacés géorgiens et rejet de toute coopération avec l’ONU et l’OSCE7. Tout cela dans un contexte d’explosion des dépenses budgétaires géorgiennes en matière d’armement8, consécutive à la reprise temporaire des combats en Abkhazie entre 1998 et 2001 et à l’escalade de la violence en Ossétie du Sud depuis 2004 suite à l’élection de Mikheil Saakashvili, clairement déterminé à reprendre le contrôle sur ces régions séparatistes. En 2006, le Kremlin vote un embargo sur les produits géorgiens. Les relations diplomatiques entre les deux capitales sont rompues. La situation n’est plus tenable, le conflit géorgien peut se déclencher. Par la plume d'Antoine Lury. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Regards croisés.
REGARDS CROISES ENTRE
TBILISSI MOSCOU. Félix Krawatzek
est étudiant en quatrième année, section
Europe. 2008. autres ambassades européennes en Géorgie, ainsi Caucase lui ont permis de découvrir la région.
il a effectué un stage à l’ambassade allemande en
Présent
à
Tbilissi durant le conflit, il était en charge des relations avec les Nations Unies de Tbilissi. De nombreux voyages à travers le
que le bureau des
Géorgie
pendant l’été
Guillaume Bréjot est étudiant en quatrième année, section Carrières Publiques. Il a passé son année de mobilité à l’ambassade de France à Moscou ainsi qu’à l’Institut régional d’administration publique de Kharkov en Ukraine. Son arrivée à Moscou a coïncidé avec le conflit russo-géorgien.
VENDREDI 8 AOÛT 2008. Tbilissi 3h55 : La fête s’achève, l’anniversaire d’une amie géorgienne était une bonne occasion pour célébrer ça entre amis et déguster du vin local. Avec le week-end qui approche, pas vraiment besoin de regarder l’heure ! Sur le chemin du retour à travers la ville, je traverse des quartiers et des rues que je connais bien après sept semaines dans la capitale géorgienne. Des chiens qui errent, une voiture de police, rien d’inhabituel. Seul un cortège de trois Cayenne noires derrière deux voitures de police retient mon attention. Pourquoi roulent-ils à une telle vitesse au centre ville en direction de la place centrale, le quartier où se trouve également l’administration du pays ? Quelques coins plus loin se trouvent des camions avec des jeunes hommes, armés. Je ne comprends toujours pas cette agitation nocturne. Sans réponse, je décide d’abord de rentrer chez moi pour me reposer un peu tout en ayant à l’esprit d’y voir plus clair demain. Moscou 08h30 : En route vers l’ambassade. Le premier jour. Cela doit être imposant une ambassade... Moscou en jette pas mal au premier coup d’oeil. Une fourmilière dans une torpeur de béton. J’arrive à l’ambassade. On me présente au service. L’accueil est agréable, le tout dans une atmosphère néanmoins fébrile. L’immense hall central de l’ambassade est le théâtre de démarches pressées, occupées, les gens parlent beaucoup. La pause-café est interrompue par un membre du service de presse. Je ne comprends pas très bien de quoi il parle, mais ça a l’air sérieux. J’entends le mot "guerre", je crois comprendre qu’il s’agit de la Géorgie, mais je n’arrive pas à saisir la portée de l’évènement. Après tout, cela doit être le lot quotidien de la vie en ambassade. Tout de même, les gens ont l’air assez inquiets... Tbilissi 8h00 : Réveil difficile ce vendredi matin, mais un café plus tard, je saute dans une Marshrutka (taxi collectif) pour arriver à l’ambassade. Stupeur : il n’y a personne. Je fais une fois le tour et arrive finalement à la salle de réunion. Tout le monde est autour de la télé, des débats vifs sont en cours. Quelque chose est effectivement inhabituel. L’actualité se dévoile : la Russie a envahi la Géorgie ! C’est la guerre. Les informations se multiplient, réunions d’urgence des diplomates et répartition des tâches. Les images qui passent à la télévision paraissent surréalistes. Cela ne peut pas être à 50 km d’ici, je n’arrive pas à y croire. Moscou 10h00 : Maintenant qu’on m’a expliqué le fonctionnement du service, il s’agit de se mettre au boulot. Première tâche : revue de presse. Je dois me familiariser avec le langage journalistique russe, ce qui n’est pas évident. Je me lance et lis les unes de Kommersant et Izviesta ainsi que les dépêches de RIA Novosti, l’AFP russe. Dictionnaire à la main, je tente de déchiffrer ces articles qui, s’ils ne me sont pas encore compréhensibles, semblent cependant traiter la même actualité, une actualité brûlante. Je me rends compte que le vocabulaire du texte relève essentiellement du champ lexical militaire. Et les dates et horaires qui ponctuent les articles désignent le jour même, ce matin en fait... Mais que se passe-t-il avec la Géorgie ? Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Tbilissi 13h00 : Les questions fusent : que font les autres ambassades ? Quelles informations ont-elles ? Comment se positionner vis-à-vis de ce qui se passe ? La coordination européenne se met en route. Réunions, échanges d’information et assistance mutuelle. Je pars à l’ONU pour une réunion avec des ONG. Il s’agit de s’informer pour savoir ce que pense le secteur civil, ainsi que d’autres ambassades. Sur place, l’étonnement : le ministre de l’économie géorgien nous informe que le gouvernement contrôle la situation et qu’il n’y a pas besoin d’assistance étrangère. L’approvisionnement en eau potable est sécurisé et même les réfugiés sont hébergés. Il y a soi-disant suffisamment de tentes, de matelas ou encore de couvertures. J’ai du mal à y croire, les informations sont contradictoires. Moscou 23h00 : Première véritable soirée à Moscou, je suis épuisé. Nous sommes dans un bar-boîte moscovite, le Proekt-OGUI, je sirote ma bière et repense à cette journée qui a été dense : appels incessants de Paris, réunion de crise des chefs de service autour de l’ambassadeur, et tout le monde qui parle de la même chose, sans y voir très clair. Je ne comprends toujours pas bien ce qui s’est passé à la frontière. Ce qui est certain, c’est que les Russes sont entrés en Géorgie. En grande pompe. Avec les chars. Ce que je n’arrive pas à saisir c’est le pourquoi de l’affaire. Les journaux russes parlent de bombardements géorgiens sur des civils, d’où la réaction russe. La presse française est laconique, elle ne fait que mentionner des mouvements de troupes russes. L’information filtre peu et c’est cela qui est inquiétant, le sentiment d’être maintenu à l’écart de ce qui se passe, de ce qui brûle... Car quelque chose brûle quelque part à la lisière de la Russie, c’est palpable, cela jaillit du regard des gens qui semble demander "Et vous, vous savez ce qui se passe ?". D’autres sont plus véhéments, ils semblent savoir à quoi s’en tenir. C’est le cas de mes voisins de table. Ils parlent fort et vite, je ne comprends de leur discussion qu’un argot très agressif, et toujours le même mot, lui très audible : "Géorgie". Je leur pose des questions et leur demande ce qui s’est passé selon eux. S’ensuit un déluge d’insultes contre la Géorgie, Mikhaïl Saakashvili et les Etats-Unis, le tout pêle-mêle. Le gaillard semble peu se préoccuper de ce qui s’est véritablement passé, mais je perçois que l’idée même d’une quelconque agressivité géorgienne lui est insupportable. L’autre client, silencieux jusqu’alors, me regarde calmement et dit d’un ton terriblement assuré : "Tout ça est normal. De toute façon, la Géorgie ça reste la Russie". SAMEDI 9 AOÛT 2008 Tbilissi 10h00 : La première ambassade européenne propose à ses ressortissants de les évacuer le lendemain de Géorgie. L’information fait vite le tour et des personnes se regroupent devant leurs ambassades respectives. Peu ou mal informés, la peur est souvent inscrite sur leurs visages. Pour certains, c’est la panique. Les Russes vont-ils arriver à Tbilissi avec leurs chars afin de mettre fin au règne de Saakachvili ? La liaison est-ouest du pays est bloquée : la ville de Gori, située non loin de la capitale, est déjà occupée par les forces du "Grandfrère". Il ne reste plus que l’Arménie qui devient ainsi le safe heaven. Mais en état de guerre, comment aller jusqu’en Arménie ? Comment organiser des transports en commun dans un pays qui ne fonctionne qu’avec des trains des années cinquante et des Marshrutkas ? Moscou 18h30 : Je quitte l’ambassade et décide de me promener jusqu’à la Place Rouge. J’ai la même impression qu’hier. Là-bas, dans le Caucase, des choses graves se produisent mais les décisions sont prises là, de l’autre côté de la Moskova, derrière l’enceinte rouge du Kremlin. De beaux murs crénelés rouges... C’est idiot mais cela me rassure de pouvoir lier l’abstraction terrible de la guerre à un lieu concret, comme si elle en devenait elle-même plus concrète, plus humaine. Mais en quoi cela est-il rassurant ? Ce matin la police moscovite a dû intervenir devant l’ambassade de Géorgie où se pressaient des centaines de Russes prêts à en découdre, mais qui ont dû se contenter de la grille d’entrée. Et aujourd’hui, la direction centrale de mon service nous a demandé de suivre attentivement la situation des ressortissants géorgiens. Depuis la veille un nombre élevé d’agressions à leur encontre a déjà été signalé. Certes le Caucase est loin de Moscou, mais la guerre s’est immiscée jusque dans les rues de la capitale. Tbilissi 22h00 : La journée de travail est finalement terminée. Une journée chaotique et hectique parsemée d’informations contradictoires. Une intervention de Poutine a créé beaucoup d’interrogations : "Il faut mener cette action à une fin logique". Entendu Monsieur le Premier Ministre, so what ? Quoi qu’il en soit, après une telle journée impossible de se coucher immédiatement. Je vais voir mes amis qui se sont réunis sur Rustaveli, le grand boulevard de la ville. Il y a une foule immense qui s’avance en direction de l’ambassade de Russie. Une mer rouge et blanche (les couleurs nationales) et bien sûr de la vodka. On essaie d’avancer vers la source de cette marée humaine pour finalement arriver devant l’ambassade russe. Tout est paisible. Les gens ont fait une chaîne humaine comme pendant la "révolution des roses". Des bougies s’illuminent partout, en soutien à Saakachvili pour cette guerre contre le pouvoir impérialiste, que symbolise pour eux la Fédération de Russie. Un jeune géorgien en T-Shirt rouge brandissant un drapeau géorgien m’interpelle. On partage de la vodka et on discute avec lui et ses amis. Après ces échanges amicaux, ils insistent pour que nous échangions nos T-Shirts, comme signe de la profonde liaison entre nos deux nations. Comment refuser ? Un ami écossais et moi nous retrouvons donc affublés des couleurs nationales et équipés d’un immense drapeau géorgien. On pourrait supposer que nous sommes des nationalistes géorgiens. Comme le croyait le journaliste de CNN qui a pris à ce même moment une photo, publiée plus tard pour montrer le fervent soutien de la jeune génération à Saakashvili et à sa guerre. Le "soutien" d’un Ecossais et d’un Allemand, cela veut tout dire sur la manière dont ce conflit a été médiatisé… !
Par les plumes de Félix Krawatzek et Guillaume Bréjot. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Le conflit géorgien.
RUSSIE VS GEORGIE
LE FACE À FACE STRATÉGIQUE Géorgie. Nuit du 7 au 8 août 2008. Le bruit sourd des bombardements envahit la localité de Gori, ville natale de Joseph Staline située à trente kilomètres à peine de Tskhinvali (Ossétie du Sud). Interrompus dans leur sommeil, les habitants se questionnent du regard. Mais à la curiosité succède bientôt l’inquiétude : l’offensive géorgienne en Ossétie du Sud vient d’être lancée, réveillant les vieux démons des affrontements de la décennie passée. Stoïque, la statue monumentale de Staline contemple au loin l’horizon incandescent. Rien ne pourra effacer de ce visage de bronze l’expression de sérénité et de confiance propre au Petit Père des Peuples, ni la pluie de missiles russes qui secouera la ville dès le lendemain, ni la fuite massive de sa population, poursuivie par la terreur du feu, ni l’occupation des troupes russes jusqu’au 23 août. La guerre de Géorgie aura été à bien des égards surprenante. Surprenante par son déclenchement brusque, à la veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Surprenante aussi par la rapidité et la disproportion de la riposte russe, à l’aube du 8 août. Surprenante enfin du fait de l’engagement immédiat et substantiel de l’Union Européenne (UE) dans la médiation de ce conflit. Pourtant, la situation sur le terrain était particulièrement préoccupante depuis quelques années déjà, laissant présager l’éclatement de ces conflits latents. Dès le milieu des années 1990, les éléments d’une escalade périlleuse se mettent peu à peu en place, entre gel des conflits opposant Tbilissi aux républiques sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, renforcement de la présence russe dans ces régions séparatistes, immixtion croissante des Américains dans le Caucase et l’Asie Centrale, et réactivation du nationalisme géorgien face à un statu quo jugé intolérable. Comprendre les enjeux du conflit géorgien d’août 2008 implique de se plonger à la source de cette escalade caucasienne, véritable instan-
tané des luttes d’influences russe, américaine, voire européenne, dans le maintien de leurs intérêts stratégiques régionaux. La pax russica : un équilibre précaire autour du statu quo. Au cœur du conflit opposant Tbilissi aux deux régions séparatistes se trouve bien évidemment la question de la souveraineté territoriale de la Géorgie. Contestée par les mouvements indépendantistes sud-ossète puis abkhaze, réaffirmée par le jeune gouvernement nationaliste géorgien de Zviad Gamsakhourdia, et très vite instrumentalisée par le Kremlin soucieux de rassembler les débris de son ancien empire disloqué, le flou autour de cette question ne sera en vérité jamais dissipé. Et pour cause : cette incertitude fournira à la Russie un important levier dans le maintien de son ancienne zone d’influence, faisant de ces quasi-Etats la clé de son ascendance sur Tbilissi. Profitant de l’affaiblissement de la jeune république géorgienne, isolée et incapable de prendre le dessus sur les rébellions soutenues en sous-main par Moscou, le Kremlin va imposer sa médiation dans les conflits sud
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
ossète (1991-1992) puis abkhaze (1992-1994), au prix d’accords de cessez-le-feu iniques et humiliants pour Tbilissi. Jouant habilement de son rôle de médiateur, laissant espérer aux uns une intégration à la Fédération de Russie1 et à l’autre un règlement pacifique de la situation, la Russie renforce peu à peu sa position dans la région, pérennisant un statu quo largement à son avantage. Le jeu est subtil, mais la tactique simple. En 1993, la Russie obtient du président géorgien Edouard Chevardnadze son retour temporaire dans le giron russe monnayant l’adhésion de la Géorgie à la Communauté des Etats Indépendants (CEI)… contre sa médiation dans le confit abkhaze ! En s’instituant, au titre des accords de Dagomys et de Moscou, "force de maintien de la paix" dans les régions séparatistes, la Russie va par ailleurs légitimer sa présence militaire sur ces territoires, maintenant une pression constante sur Tbilissi. Le Kremlin va alors s’appliquer à nourrir les antagonismes de part et d’autre des lignes de démarcation, selon la logique séculaire de "diviser pour mieux régner". En refusant l’accès des Géorgiens aux deux régions
séparatistes, la Russie va d’abord signer l’acte de divorce entre Tbilissi et les deux régions rebelles. Soutenues par Moscou, Tskhinvali et Soukhoumi vont alors poursuivre leur processus d’accession à l’indépendance, forgeant leur unité nationale autour de leur opposition à Tbilissi2. Ces multiples affronts, conjugués à la perte d’une grande partie du territoire national, cristallisent le ressentiment géorgien face à une situation jugée inacceptable. La pax russica est installée, et les conflits gelés. L’indépendance par le pétrole et l’OTAN : welcome Americans ! Floué, humilié et isolé, Edouard Chevardnadze, sans toutefois être anti-russe, va tenter de s’émanciper de la tutelle de Moscou afin de trouver une issue plus favorable au conflit l’opposant aux deux républiques rebelles. Profitant de l’enlisement de la Russie dans la première guerre de Tchétchénie (1994-1995), le président géorgien trouvera alors en Washington la clé de l’indépendance de son pays, jouant de son seul atout : sa situation géographique3. Située au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du
Moyen-Orient, la Géorgie attire le regard des Etats-Unis, soucieux de maintenir leurs intérêts énergétiques et géopolitiques dans la région. Dès la seconde moitié des années 1990, la question de la diversification des approvisionnements en gaz et en pétrole commence à préoccuper Bruxelles et Washington. La Russie n’apparaît plus comme un partenaire fiable : la progression du fondamentalisme religieux dans le Nord-Caucase, exacerbé par la rébellion tchétchène, remet en cause l’acheminement des hydrocarbures depuis Bakou (Azerbaïdjan) jusqu’au port de Novorossisk (Russie), sur la mer Noire4. Parallèlement, la détérioration progressive des relations entre Washington et Téhéran rend impossible toute
et Washington ainsi que la position géostratégique du Caucase vont faire de la Géorgie un pivot de la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme, à la fois pôle d’observation de la montée de l’Islam radical nord-caucasien (Tchétchénie et Daguestan notamment) et base de soutien aux interventions américaines en Afghanistan (2001) puis en Irak (2003). Ce partenariat stratégique sera scellé dès 2002 par le lancement d’un vaste programme de modernisation de l’armée géorgienne, prévoyant l’envoi de 200 instructeurs américains sur le sol géorgien ainsi que l’équipement de l’armée nationale en armements modernes. La modernisation rapide de l’armée géorgienne permettra ainsi de relancer le projet d’adhé-
case. Mais la gourmandise des Américains agace le Kremlin, alors que le sentiment d’encerclement par les forces de l’OTAN et les majors pétrolières occidentales se fait de plus en plus fort. À ce titre, la "Révolution des Roses" de 2003 marquera un tournant majeur dans les relations entre Tbilissi, Moscou et Washington, contribuant à une idéologisation progressive du différend russo-géorgien.
perspective d’acheminement par le territoire perse. Cette situation géopolitique profite à Tbilissi : bloquées au Nord et au Sud, les voies de transit de la Caspienne à la Méditerranée devront obligatoirement traverser la Géorgie avant de rejoindre la mer Noire ou la Turquie. Dès la fin des années 1990, les premières pièces du "Grand Jeu" caucasien se mettent en place. En 1998, un poste de conseiller à la diplomatie énergétique dans le bassin de la Caspienne est créé par Washington. L’objectif est simple : sécuriser les approvisionnements américains par la formation d’un corridor de transport Est-Ouest évitant les territoires russe et iranien. L’année suivante, un oléoduc reliant le port de Bakou (Azerbaïdjan) à celui de Soupsa (Géorgie) est inauguré par un consortium de majors mené par la British Petroleum. Le mouvement s’accélère au début des années 2000 à travers deux nouveaux projet reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie : l’oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan (BTC) et le gazoduc Bakou - Tblissi - Erzurum (BTE), opérationnels depuis 2006. L’Union Européenne (UE) n’est d’ailleurs pas en reste et lance dès 2002 le projet Nabucco, devant relier directement le terminal d’Erzurum à l’Autriche. Ce nouvel intérêt occidental, et plus particulièrement américain, pour la région, va simultanément connaître un élan nouveau à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Les bonnes relations entretenues entre Tbilissi
sion à l’OTAN évoqué en 1998 par le président géorgien Edouard Chevardnadze.
Saakachvili, alors président de l’assemblée municipale de Tbilissi. Malgré des avancées notables en matière de démocratie, le gouvernement Chevardnadze accumule les scandales liés à la corruption du régime. Par ailleurs, beaucoup tiennent le président géorgien pour responsable du statu quo pesant sur les régions séparatistes abkhaze, sud-ossète et adjare. Près de dix ans après la guerre, les frustrations sont encore sensibles. En novembre 2003, une vague de protestation se déclenche, dénonçant la présence de fraudes électorales lors des élections législatives du 2 novembre. Jusqu’au 23 novembre, les drapeaux à cinq croix, symbole de la Géorgie médiévale en pleine expansion, envahissent les rues de Tbilissi, jusqu’à ce que les manifestants, emmenés par M. Saakachvili, interrompent une session parlementaire, forçant E. Chevardnadze à quitter l’hémicycle. Le 4 janvier 2004, M. Saakashvili est élu président de la République de Géorgie avec plus de 96% des voix… Foncièrement pro-occidental, ce mouvement, porté par le parti de M. Saakachvili et soutenu par l’organisation étudiante Kmara ("Assez !"5), va alors servir d’argument au Kremlin, dénonçant une manipulation de Washington contre les intérêts stratégiques russes dans la région. Peu à peu, le discours de Moscou à l’égard de Washington va se durcir, instrumentalisé par le clan Poutine à des fins politiques :
Entracte. Au début des années 2000, le pari de Chevardnadze semble partiellement gagné : la perspective d’accueil de nouvelles voies de transit, conjuguée à la modernisation rapide de l’armée nationale, ont consolidé l’indépendance de la Géorgie face à son voisin russe. Devenu un pays clé de la nouvelle architecture énergétique caucasienne, la Géorgie peut espérer attirer l’attention de ses partenaires occidentaux sur ses problèmes de sécurité intérieure, afin de modifier les termes des accords de Dagomys et de Moscou. Que ce soit pour la question énergétique ou militaire (OTAN), la fin des années 1990 témoigne donc d’un renversement géopolitique régional où la Russie semble reléguée sur le banc de touche. Naturellement, Moscou ne voit pas d’un très bon œil l’immixtion croissante de la puissance américaine dans son ancienne zone d’influence. Pourtant, la question tchétchène force Moscou à prêcher la modération à l’égard des Etats-Unis, réunis pour un temps autour d’une cause commune : la lutte contre le terrorisme international. Solidaire de l’intervention américaine en Afghanistan, la Russie ferme dans un premier temps les yeux sur le renforcement de la présence militaire américaine en Asie Centrale et dans le Cau-
Le tournant de la "Révolution des roses" de 2003. La stabilité de la Géorgie du début des années 2000 sur le plan international, va rapidement faire ressurgir son lot de contestations internes, canalisées par l’opposition démocratique menée par Mikheil
la rhétorique anti-américaine devant servir de fondement au renouveau de l’unité nationale russe. Usant d’une rhétorique populiste tenant les Etats-Unis pour responsable de l’affaiblissement de la puissance russe, le discours politique va peu à peu se focaliser sur la Géorgie, considéré comme la base avant de la puissance américaine dans le Caucase. D’autant que le jeune président géorgien, par son excès de confiance, commence à agacer les élites dirigeantes moscovites. En effet, fort d’un large soutien populaire et de l’appui des Etats-Unis, M. Saakshvili fait de la restauration de la souveraineté territoriale de la Géorgie son cheval de bataille. En mai 2004, il obtient de la région séparatiste d’Adjarie (sud-ouest de la Géorgie) son retour dans le giron géorgien. En parallèle, l’intérêt des Américains pour la Géorgie commence à se vêtir de relents idéologiques. Confrontés à une perte croissante de crédibilité sur la scène internationale, les néo-conservateurs américains vont faire de la Géorgie une "succes story" démocratique à mettre à leur actif6. Au cours d’une visite officielle à Tbilissi en 2005, George W. Bush qualifie ainsi la Géorgie de "lanterne démocratique" de la région, assortissant ses propos d’une augmentation substantielle de l’aide financière et militaire américaine au gouvernement de M. Saakashvili. Cette idéologisation progressive des discours russe et américain, portant en elle son lot d’irrationalité, contribua à attiser une relation déjà conflictuelle, où la solution des armes s’imposa progressivement comme la seule alternative viable pour Moscou et Tbilissi. Une escalade pernicieuse dans laquelle la Maison blanche se trouva malgré elle enfermée, l’importance symbolique accordée par l’administration américaine à la Géorgie empêchant toute possibilité de critique ouverte contre le régime de M. Saakashvili - en dépit de la volonté manifeste de ce dernier de ne pas exclure le recours à la force pour résoudre les conflits "gelés". Une escalade périlleuse. À partir de 2004, plusieurs événements vont s’enchaîner, perçus par Moscou comme autant de si-
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Le conflit géorgien. gnaux d’alarme de sa potentielle perte d’influence sur son "étranger proche"7. Tout d’abord, la Russie voit avec beaucoup d’inquiétude le développement à ses frontières du phénomène des "révolutions de couleur". Après l’expérience révolutionnaire serbe de 2000 et la "révolution des roses" de 2003 en Géorgie, c’est au tour de l’Ukraine puis du Kirghizistan de s’initier aux révolutions pacifiques, respectivement en 2004 et 20058. Dans ces alternances démocratiques forcées, le Kremlin perçoit surtout une manipulation américaine visant à contenir l’influence de la Russie à ses frontières. Cette idée d’une stratégie globale d’encerclement de la Russie par la puissance américaine sera d’ailleurs renforcée par
mer Noire - et donc de l’UE depuis l’élargissement de 2007 - va alors accaparer l’attention du Kremlin. Si la Géorgie est le problème, elle sera la solution. Or, la Russie, outre sa frontière commune avec la Géorgie, dispose de deux atouts non négligeables dans la région : son alliance militaire avec l’Arménie, où elle dispose d’une ancienne base soviétique, mais surtout sa présence dans les régions séparatistes abkhaze et sud-ossète, qui lui assure un important levier dans le jeu de puissance l’opposant à la Géorgie. Dès 2004, la Russie va donc s’appliquer à consolider sa présence dans les deux régions séparatistes géorgiennes, plus particulièrement en Ossétie du Sud qu’elle contribue à réarmer. De part
premier tour des élections présidentielles du 5 janvier, va tout d’abord révéler les limites de la politique de déstabilisation menée par le Kremlin à l’encontre du gouvernement géorgien depuis 2004. À ce revers politique, s’ajoutera ensuite un autre échec, cette fois-ci diplomatique : la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par de nombreux pays, dont la France, les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni, au lendemain de la déclaration d’indépendance de Pristina. Cet échec cuisant pour la diplomatie russe, pourtant clairement opposée à une telle solution, viendra alors renforcer son sentiment d’écartement des prises de décision internationales. Dénonçant la nature unilatérale de cette déclaration, le Kremlin ne
contribuant à attiser le sentiment d’agression géorgien, il va surtout permettre à la Russie de juger de la faiblesse de la réaction internationale face à cette provocation, deux jours avant la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin. Rejetant implicitement la responsabilité sur le président sud-ossète Edouard Kokoïti, jugé "incontrôlable", les forces de maintien de la paix russes vont ainsi se dédouaner de leur responsabilité, invitant indirectement le président géorgien à reprendre le contrôle de la situation… Le lendemain, dans la nuit, l’offensive géorgienne est lancée, et le piège russe peut se refermer.
l’accélération du processus d’élargissement de l’OTAN à l’est à partir de 2004. Cette année charnière célébrera non seulement l’entrée de sept anciennes démocraties populaires dans les organes de l’OTAN9, mais aussi son élargissement plus à l’est, au sein même de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), avec la création du poste de représentant spécial de l’OTAN pour le Caucase et l’Asie Centrale. Simultanément à cette expansion transatlantique, l’attraction croissante exercée par l’UE parmi ses voisins orientaux aura probablement contribué à ce sentiment d’encerclement, suite aux élargissements successifs de 2004 et de 2007 et au renforcement de la présence européenne autour de la mer Noire, dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) : création du poste de représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud en 200310 et lancement de la Synergie pour la mer Noire en 2007. Ce à quoi vient s’ajouter la question, stratégique, des hydrocarbures de la Caspienne, la stratégie américaine et européenne de diversification des approvisionnements en gaz et en pétrole menaçant de retirer à la Russie un de ses principaux instruments de puissance11. Face à ce contexte géopolitique global perçu par Moscou comme une provocation, la Géorgie, en tant que candidat à l’OTAN, voie de transit stratégique des acheminements occidentaux et pays riverain de la
et d’autre de la ligne de démarcation séparant la Géorgie de l’Ossétie du Sud, les provocations se multiplient. Durant l’été 2004, les deux parties frôlent l’affrontement. Les fusillades sporadiques entre forces de police géorgiennes et détachements sud-ossètes se multiplient, tandis que les divers trafics et enlèvements s’intensifient, sous la bienveillance du grand frère russe. Plus le temps passe, plus la perspective d’un conflit entre les deux parties apparaît inéluctable. Tous s’y préparent, Russie incluse. Parallèlement, les relations entre Moscou et Tbilissi deviennent exécrables. À partir de 2005, de nombreux sabotages et attentats éclatent sur le territoire géorgien. En réponse, les forces de police géorgiennes arrêtent et exhibent des espions russes suspectés d’être impliqués dans ces opérations. En janvier 2006, Moscou coupe les vannes du gazoduc Mozdoc - Tbilissi et négocie à la hausse le prix du gaz délivré à la Géorgie. À l’automne de la même année, le Kremlin déclare un embargo total sur les produits agricoles géorgiens. Des centaines de géorgiens sont expulsés du territoire russe dans la foulée. La situation n’est plus tenable, le compte à rebours est amorcé.
manquera pas de souligner que cette indépendance ne saurait rester sans conséquences… Finalement, le recul des pays membres de l’OTAN au sommet de Bucarest d’avril 2008 sur la question de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, va être interprété par Moscou comme un signe de division, et donc de faiblesse, de l’Alliance atlantique, qu’il s’agira d’exploiter. Soucieux d’agir avant l’arrivée de la nouvelle administration américaine au pouvoir, conscients que George W. Bush, arrivé au terme de son mandat, ne pourra engager de riposte sérieuse, et profitant de la perspective de la "trêve olympique" d’août 2008, les Russes entament les préparatifs de leur intervention en Géorgie12. Le 15 juillet, de vastes manœuvres militaires sont engagées au sud de la Fédération de Russie, à quelques kilomètres de la frontière géorgienne. Baptisé "Kavkaz 2008", cet exercice militaire de grande ampleur réunit près de 8 000 effectifs et de nombreux équipements lourds. Le passage de l’exercice à la pratique n’en sera que plus facile…
Pour Moscou, l’enjeu de ce conflit était triple. Tout d’abord, il s’agissait de donner une leçon à M. Saakashvili, afin de freiner ses ambitions sur les deux régions séparatistes. L’objectif étant, sinon de le renverser, du moins de l’affaiblir. D’où la vaste campagne de décrédibilisation lancée par le Kremlin à l’encontre du président, taxé de "génocidaire". D’où, aussi, la démarche punitive de l’armée russe, multipliant les raids aériens en dehors des territoires séparatistes, avec pour cibles les infrastructures économiques et militaires stratégiques de la Géorgie13. Il s’agissait ensuite de mettre un violent coup d’arrêt aux velléités occidentales dans la région, au titre desquelles figurent l’élargissement de l’OTAN et l’appropriation des hydrocarbures de la Caspienne. Or, le conflit géorgien devait permettre à Moscou de faire coup double. D’une part, ce conflit devait démontrer la capacité de la Russie à modifier son environnement stratégique par la force, contre les intérêts du "camp occidental", tout en réduisant l’importance stratégique de la Géorgie dans l’acheminement des hydrocarbures azerbaidjanais, du fait de l’instabilité pesant sur son territoire14. En détruisant une partie de l’arsenal militaire géorgien et en renforçant sa présence militaire sur les territoires séparatistes, la Russie pouvait espérer d’autre part anéantir toute perspective d’adhésion de la Géorgie à l’OTAN, du moins à moyen terme15. Enfin, en lavant
1er janvier 2008 : J - 220. Dès le début de l’année 2008, un concours de circonstances va précipiter les événements. La réélection de M. Saakashvili, dès le
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Le piège russe. S’il est clair que la Russie se préparait à la guerre, elle ne souhaitait pas pour autant en être tenue responsable. Le 6 août, soit deux jours avant la contre-offensive russe, un mystérieux missile est retrouvé intact sur le sol géorgien. Cet étrange fait divers va avoir un effet double :
Le pari russe : le choix du hard power.
de manière spectaculaire les humiliations militaires des années 1990 et en démontrant la capacité de la Russie à défier la communauté internationale dans ses propres retranchements (en l’occurrence, la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo16), ce conflit devait révéler le grand retour de la puissance russe sur la scène internationale. À ce titre, la contre-offensive russe en Géorgie devait probablement marquer un tournant dans la politique étrangère du Kremlin. Première offensive de l’armée russe sur le territoire d’un Etat internationalement reconnu depuis l’invasion en Afghanistan de 1979, ce conflit célébrait le choix du hard power par Moscou, dans la droite ligne de la politique de reconquête des territoires de V.
En seulement cinq jours, du lancement de la riposte russe aux premiers accords de cessez-le-feu du 12 août, le conflit géorgien aura causé la mort de centaines de civils et un déplacement massif de population estimé à près de 190 000 Géorgiens. Pendant près de deux semaines, les troupes russes occuperont une vaste partie du territoire géorgien, multipliant les raids aériens contre les infrastructures stratégiques de la Géorgie. Le 16 août, malgré la signature des accords de cessez-le-feu, une colonne de blindés est repérée à trente kilomètres à peine de la capitale géorgienne, faisant craindre la reprise des conflits. Humiliée, l’armée géorgienne est obligée de fuir les canons russes. La victoire est totale, la Géorgie
gien, pourtant tant espéré par M. Saakashvili, va apparaître aux yeux des Russes comme un aveu d’impuissance des Etats-Unis face à la préservation des intérêts privilégiés de la Russie.
Poutine - "la (re)construction identitaire russe [s’adossant] à l’affirmation symbolique de la puissance retrouvée"17. Par hard power, il faut entendre, non seulement la capacité d’un Etat à influencer le comportement ou les intérêts d’autres Etats par l’usage de la force militaire ou économique, mais aussi la capacité de cet Etat à résister aux pressions d’Etats tiers. Dans les deux cas, la définition semble adaptée.
traumatisée et impuissante. À cette victoire militaire écrasante s’ajoute un important succès diplomatique : les accords de cessez-le-feu du 12 août, négociés sous la présidence française de l’UE. En effet, la diplomatie russe parvient à obtenir de la médiation française le retrait de la mention concernant le respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie - qu’il aurait fallu définir - ainsi que l’insertion d’une clause prévoyant que "dans l’attente d’un mécanisme international, les forces de paix russes mettront en œuvre des mesures additionnelles de sécurité"18- sans toutefois préciser en quoi elles consisteraient. Ce faisant, la France offrait à Moscou une importante marge de manœuvre pour l’application de ces accords, tout en renforçant le flou pesant autour du statut des deux républiques séparatistes. Retour à la case départ. Pour couronner ce bilan déjà largement positif, la Russie va finalement parvenir à retourner la configuration géopolitique caucasienne en sa faveur. Sur le plan de l’environnement sécuritaire régional, le conflit aura permis à Moscou de renvoyer l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie (et de l’Ukraine) aux calendes grecques. Quant à la question énergétique, le conflit va permettre la réhabilitation des voies de transits Sud-Nord, remettant en cause l’aboutissement du corridor Est-Ouest soutenu par les Occidentaux19. Finalement, l’absence de soutien de la part de Washington à son protégé géor-
d’abord, puis les Etats-Unis : reprise des négociations pour un partenariat renforcé UE-Russie trois mois seulement après leur suspension en septembre 2008, retrait du projet de bouclier anti-missile est-européen en septembre 2009, réouverture du Conseil OTAN-Russie (COR) en mars, engagement de discussions pour la vente de quatre navires de guerre français Mistral à la Russie en novembre…Côté géorgien, l’internationalisation des forces de maintien de la paix en Abkhazie et en Ossétie du sud n’a pas eu lieu. Au contraire, les missions d’observation de l’OSCE et de l’ONU ont été contraintes de se retirer en juin dernier, après 15 ans de présence sur les territoires séparatistes, Moscou s’étant opposé à leur renouvellement. Quant à la mission d’observation de l’UE, lancée en octobre 2008, l’accès aux territoires séparatistes lui est toujours refusé, confortant le statu quo d’avantguerre. De part et d’autre des lignes de démarcations, séparées de quelques mètres seulement, les deux parties se regardent en chiens de faïence, postés derrière d’étroits baraquements renforcés de sac de sable. Régulièrement, quelques coups de feu sont échangés, histoire de rappeler que l’on est bien là et que la guerre n’est pas terminée. D’ailleurs, la présence militaire russe n’a cessé de se consolider au sein des territoires séparatistes, comme en atteste le projet de construction d’une nouvelle base navale à
Le pari géorgien : l’enjeu de l’internationalisation du conflit. Toutefois, la "manipulation" de M. Saakashvili par le Kremlin doit être nuancée. Le président géorgien voulait lui aussi la guerre et s’y était préparé.En engageant un conflit avec l’Ossétie du Sud, le président géorgien pouvait espérer soulever l’attention de la communauté internationale, soucieuse de préserver la stabilité de cette région hautement stratégique, afin de changer les termes des accords de Dagomys et de Moscou en faveur d’une force d’interposition internationale. Fort d’une armée renforcée et modernisée, M. Saakashvili pensait par ailleurs pouvoir compter sur le soutien de Washington en cas de dérapage. Finalement, la perspective de restauration de sa popularité, mise à mal depuis 2007, en cas de victoire, finira de conforter le président géorgien dans la voie militaire. Premier bilan : triomphe militaire et victoire géostratégique russe.
Echec et mat ? Plus d’un an et demi après la guerre, le conflit géorgien, qui avait pourtant défrayé la chronique pendant près de deux mois, semble avoir presque complètement disparu des colonnes journalistiques. De même que les dénonciations politiques acerbes tenues à l’égard de la Russie. Progressivement, le dialogue, rompu pour un temps, s’est renoué, et à l’isolement temporaire de la Russie a succédé une relance de la coopération, avec l’UE
Otchamtchir (Abkhazie). De guerre lasse, les relations entre Moscou et Tbilissi tendent à s’apaiser. En décembre dernier, la Russie autorisait une compagnie aérienne géorgienne à reprendre ses vols vers Moscou. Affaire à suivre… Par la plume d’Antoine Lury.
--------------Notes. 1. Distribution de passeports russes, apprentissage du russe dans les écoles, utilisation du rouble comme monnaie d’échange. 2. Adoption d’une nouvelle Constitution, développement d’une armée nationale, refus de tout retour des déplacés internes géorgiens, etc. 3. En effet, les atouts de la Géorgie étaient très limités jusqu’à la fin des années 1990, en l’absence de diaspora puissante comme l’Arménie, et de ressources stratégiques comme l’Azerbaïdjan. 4. En 1995, les seules voies d’acheminement en gaz et en pétrole reliant les gisements de la Caspienne (Bakou) à la mer Noire (Novorossisk) traversaient la région du Nord-Caucase, et plus particulièrement la Tchétchénie et le Daguestan, avant de desservir les marchés européens. 5. Cf. page 56. 6. Thorniké Gordadzé, "Géopolitique et rivalité des grandes puissances", dans Le Caucase : un espace de convoitises, Questions Internationales n°37 (Paris, Mai-Juin 2009). 7. Cf. pages 50-51. 8. Cf. page 56. 9. Il s’agit de la Bulgarie, des trois Etats baltes, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie. 10. Cf. pages 44-45. 11. Cf. pages 54-55. 12. À noter que ce contexte international va motiver de la même façon le lancement de l’offensive géorgienne dans la nuit du 7 au 8 août. 13. Occupation des grands axes routiers, bombardements à proximité de l’aéroport international de Tbilissi et de la base aérienne de Marneoulie, sabordage de la flotte géorgienne de Poti et anéantissement d’une base militaire située à la périphérie de la ville de Gori, elle-même sévèrement bombardée puis occupée par les troupes russes, etc. 14. Plusieurs raids aériens russes ont ainsi été opérés à proximité des routes d’approvisionnement géorgiennes (cf. carte). 15. Parmi le nombreux critères à respecter pour espérer entrer dans l’OTAN, se trouve notamment : a) le règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques ; b) la résolution des querelles ethniques ou des litiges territoriaux d’ordre externe, y compris les revendications irrédentistes ; c) le respect du non recours à la menace ou à l’emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies (ce qui pose évidemment problème, la Géorgie ayant été reconnue responsable du déclenchement du conflit). 16. La Russie s’est ainsi basée sur le précédent kosovar pour légitimer sa reconnaissance de l’indépendance des républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud le 26 août 2008 (cf. 57). 17. Silvia Serrano, "Le conflit russo-géorgien", dans Le Caucase : un espace de convoitises, Questions Internationales n°37 (Paris, Mai-Juin 2009). 18. Accords en six points, 12 août 2008. 19. L’interruption des voies de transport géorgiennes suite à l’extension des opérations militaires d’août 2008 va ainsi conduire l’Azerbaïdjan à réorienter une grande partie des ses flux vers le Nord, vers le port de Novorossisk (Fédération de Russie).
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. État des lieux.
Cinq jours, c’est la durée du conflit russo-géorgien en août 2008. Les hostilités s’achèvent sur une retraite de l’armée géorgienne, les adversaires ayant presque progressé jusqu’à la capitale. Cinq jours de combat de David contre Goliath dont l’issue ne peut pas uniquement se mesurer à la perte pour la Géorgie des deux régions sécessionnistes. Retour sur place dans un pays qui a su s’inviter sur la scène internationale en tant qu’acteur clef dans une région au cœur des considérations géopolitiques.
En moins de deux jours de combats les chars russes ont bien avancé dans le centre du petit pays caucasien. La seule véritable liaison entre la partie est et ouest, la route passant par la ville de Gori, est bloquée, les ports de la Mer noire coupés de la capitale. La Géorgie est paralysée, le conflit s’enlise et l’approvisionnement commence à poser problème. Le constat succédant au cessez-le-feu signé après seulement cinq jours de conflit militaire est lourd : des destructions considérables en Géorgie, près de 160 000 personnes sans abris et un dommage politique "collatéral" pour la Russie présentée par la grande majorité des médias occidentaux comme agressive, impérialiste ou/et préhistorique. D’après le rapport de la Mission d’Enquête Internationale Indépendante sur le Conflit en Géorgie (CEEIG) , la responsabilité de cette bataille revient à la Géorgie, à qui est imputée une action militaire contre la capitale sud-ossète, Tskhinvali. La riposte des armées russe et sud-ossète après la nuit du 7 août 2008 sont par conséquent jugées conformes au principe de la légitime défense. Tandis que la question de la responsabilité dans le déclenchement des hostilités semble résolue, il n’en est cependant pas de même quant à l’issue de cette guerre. Bien que la Géorgie ait visiblement perdu tout contrôle sur les deux régions sécessionnistes, une réflexion sur la thématique ne saurait se limiter à une simple considération territoriale. L’indépendance affirmée : les régions sécessionnistes un an après le conflit. Aux confrontations militaires succèdent la bataille diplomatique et la reconnaissance de la part de la Russie des deux régions Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
en tant qu’Etats souverains. Une décision fondée sur l’argument de l’analogie avec la reconnaissance du Kosovo. Bien que cette action isole la Russie, la probabilité que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud reviennent dans le giron géorgien diminue progressivement. La frontière semble plus fermée que jamais et la population dans les deux régions semble se satisfaire de ce nouveau statut. En Abkhazie des élections auront lieu le 12 décembre prochain et tout permet de penser que le Président actuel, Sergueï Bagapch, les remportera. La perte de contrôle sur ces régions se présente comme un revers politique substantiel aux ambitions politiques du Président géorgien Mikheil Saakashvili, élu au lendemain de la "révolution des roses" en 2004, avec comme leitmotiv la réintégration des régions sécessionnistes. Si le retour de l’Adjarie dans le giron géorgien avait donné de l’espoir à Saakashvili, les cas abkhaze et sud-ossète, en revanche, laissent peu de place à l’optimisme depuis août 2008. La perspective de rétablir l’ordre constitutionnel dans l’ensemble de l’Etat, pourtant prioritaire pour le Président, semble effectivement compromise. Depuis son accession au pouvoir, le Président n’a jamais exclu l’option militaire pour mettre fin à la dislocation territoriale de la Géorgie. L’ouverture des Jeux olympiques à Pékin le 8 août 2008 était une chance à saisir : camouflée par la "paix olympique", la Géorgie a voulu défier le "grand frère du nord". Mais les forces géorgiennes ont été rapidement anéanties par la Russie. Le "petit pays innocent" comme l’a dénommé M. Saakashvili devant les Nations Unies, pouvait compter sur le soutien moral et émotionnel de l’Occident. Le Sympathiefaktor pour la Géorgie est élevé, visible dans la manière dont la majorité des médias
Felix est actuellement étudiant en 4e année section Europe. ---------------
français, anglais ou allemand, sans même évoquer ceux des Etats-Unis, ont rapporté les confrontations. "David contre Goliath", reste le message que retiendront nombre d’occidentaux. "David" symbolisant l’esprit démocratique et respectueux des droits de l’homme, victime des ambitions impérialistes de la Russie. Le discours des médias a essentiellement repris la rhétorique du pouvoir politique américain, faisant appel à des stéréotypes que l’on croyait dépassés depuis la fin de la Guerre Froide. Pourtant l’état d’urgence instauré en Géorgie cet hiver, la quasi éradication de l’opposition au sein du pays, le népotisme régnant pour l’attribution des postes ministériels et les atteintes à la liberté de la presse sont autant de nuances à l’effectivité du processus démocratique en Géorgie. Les confrontations ont officialisé la perte de contrôle, pour encore longtemps, de Tbilissi sur ces deux régions sans avoir changé le statu quo d’avant le conflit. De toute façon, l’Ossétie du Sud en vu de sa géographie (région très montagneuse) et de sa faible économie ne semble pas être une perte trop importante pour la Géorgie. Quant à l’Abkhazie, elle était de facto indépendante avant le conflit. Au contraire, le Président Saakashvili a plutôt réussi à tirer profit du conflit, notamment en
Orient et est au cœur de la géopolitique des hydrocarbures. Depuis le début des années 1990 les Etats-Unis ont investi environ 1,7 milliards de dollars pour soutenir la transformation de la Géorgie en "free and prosperous democracy" ; en outre plus de 255 jeunes Américains ont effectué un volontariat dans le pays à travers le programme Peace Corps afin de partager la culture et la langue des autochtones. Une coopération d’autant plus développée étant donné le fort soutien de la Géorgie à la guerre contre le terrorisme : avec plus de 2 000 soldats déployés en Iraq, la Géorgie fournit le troisième contingent derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui Saakashvili tente de restructurer son armée après le désastre militaire de l’année dernière et c’est au nouveau ministre de la défense Batcho Akhalaïa, âgé de 28 ans, de remettre de l’ordre dans les rangs. Or, la coopération américano-géorgienne en matière militaire n’a pas souffert de l’alternance politique aux Etats-Unis : un nouveau programme de formation pour les soldats géorgiens a ainsi été lancé par le gouvernement Obama dans la droite ligne de la politique menée par George W. Bush. A la suite des confrontations russo-géorgiennes, les EtatsUnis ont investi à eux seuls plus d’un milliard de dollars pour
attirant les regards sur "sa" Géorgie.
la reconstruction des infrastructures du pays et le soutien à l’économie. Les chantiers se multiplient, donnant un nouveau visage à la Géorgie. Ainsi grâce aux investissements de l’étranger, le pays se développe à grande vitesse. Le ministère de l’économie géorgien escompte une forte recrudescence des investissements directs étrangers (IDE) par rapport à leur niveau de l’avant guerre ; après avoir diminué d’un quart entre 2007 et 2008, les IDE devraient à nouveau excéder deux milliards de dollars en 2009. Considérant le contexte économique mondial difficile, la Géorgie semble tirer son épingle du jeu. La croissance de son PIB est même estimée à 3% en 2009. Ainsi, tandis que la Russie est diabolisée, considérée comme puissance impérialiste et agressive, la Géorgie profite d’une attention nouvelle. La visite amicale de Joe Biden en témoigne. A cette occasion, le vice-président américain a souligné le droit de tous les peuples à disposer d'eux-mêmes, critiquant le statu quo de la question territoriale.
Métamorphose d’un pays auparavant négligé. Quel étonnement de voir des chantiers quasiment partout. Au cours d’un autre voyage en Géorgie, un an après le conflit, cet aspect a retenu mon attention. Saakashvili annonce qu’il fera de Koutaïssi une ville encore plus belle que Paris, de Batoumi le nouveau lieu touristique et balnéaire, de la Svaneti et de Kazbegi des centres pour les amateurs de montagne et les alpinistes, et des vins de la Kakheti des concurrents aux grands crus français. Sans oublier que Tbilissi est déjà aujourd’hui dotée d’un splendide centre ville aux maisons restaurées où les grands hôtels de luxe ne cessent de sortir de terre comme des champignons. Aux yeux de "Micha", Tbilissi peut rivaliser avec certaines capitales européennes. Un an après le conflit, la Géorgie se transforme. Elle était vivante et fière en 2008, les discours de Saakashvili la décrivant comme le berceau de toute la civilisation européenne ("Europe started here" selon le slogan du ministère du tourisme). Sans que la vie quotidienne soit aujourd’hui simple pour une majorité de Géorgiens, le changement est tangible dans de nombreux coins et recoins du pays. Une région vaut un détour plus détaillé : la Svaneti, territoire emblématique de la métamorphose géorgienne. Elle se trouve au nord-ouest du pays, un espace difficilement accessible, qui empêchait tout véritable développement touristique. Aujourd’hui, la route pour arriver à Mestia est presque entièrement refaite et les indications se font désormais en lettres latines afin que les touristes européens et américains ne se perdent plus dans un décryptage épique du géorgien ! Tous ces projets sont financés par l’USAID qui a également ouvert un centre d’information touristique dans le village en 2009. De plus, on y trouve deux nouveaux hôtels luxueux qui ressemblent de façon surprenante à ceux des Alpes. A la suite du conflit de l’été dernier, les EtatsUnis, l’Allemagne, la France et d’autres pays européens ont proposé des aides généreuses, dont la plus importante provient des Etats-Unis. Au-delà du potentiel économique de la région, ce sont bien des considérations stratégiques - tant politiques qu’énergétiques - qui animent ces investissements. Cette importance stratégique découle en grande partie de la situation géographique du pays qui relie l’Europe, l’Asie et le Moyen
Une bataille perdue qui permet de gagner la guerre. Bien que la perte de contrôle des territoires dissidents soit claire, la question de la victoire semble néanmoins tranchée en faveur de la Géorgie, le pays bénéficiant à l’issue du conflit d’un regain d’intérêt considérable de la part des Occidentaux. Tant et si bien que le pays pourrait sortir économiquement renforcé du conflit, malgré un contexte mondial incertain. De plus, le symbole le plus monumental de la transition démocratique du pays - le siège de l’administration présidentielle - est terminé. Il s’agit d’un bâtiment qui est un mélange architectural entre la Maison Blanche et le Reichstag, indiquant d’une certaine manière la direction politique vers l’ouest que Saakashvili souhaite prendre avec la Géorgie. Toutefois, le calme est peut-être trompeur tant les tensions entre Moscou et Tbilissi persistent. L’antagonisme entre les deux capitales est réel, Saakashvili étant toujours tenté de poursuivre sa marche vers l’ouest... et la Russie de l’en empêcher. Le conflit entre les deux pays est donc loin d’être résolu. Le Kremlin regrette certainement de ne pas avoir mis fin à la carrière politique du Président actuel, alors même que Saakashvili semble conforté dans son pouvoir, en l’absence d’une réelle opposition politique. Par la plume de Felix Krawatzek. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Entretiens. March of 2008. Ronald D. Asmus, in a recent book3, argued that the ambiguity of those decisions actually hastened the march towards an open confrontation. All of these parameters need to be analysed clearly. Anyway, dealing with conflict prevention is also about thinking the unimaginable.
ENTRETIEN avec PETER SEMNEBY. Peter Semneby est un diplomate européen d’origine suédoise, spécialiste des processus de sécurité et de transition politique en situation post-conflit. Responsable des questions de PESD1 au sein du Ministère des Affaires Etrangères suédois de 1997 à 2000, Peter Semneby a dirigé les missions de l’OSCE en Lettonie (2002-2002) et en Croatie (2002-2005), avant de devenir RSUE2 pour le Caucase du Sud en février 2006. Second du poste, Peter Semneby a ainsi accompagné la nouvelle configuration géopolitique issue de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’UE en 2007.
Jeu de l’Oie : What are the objectives and interests of the EU in the region within the European Neighbourhood Policy (ENP), especially since the 2007 enlargement ? Peter Semneby : Geography has obviously changed with the entry of Romania and Bulgaria. Europe has moved closer to the South Caucasus. The security and stability of the region have become issues of concern to the EU. Not least has this been demonstrated by the war in Georgia, which several years ago might not have created the same kind of concern for the EU. It is about conflict possibly spreading across borders, it is about migration issues and so on. We also have some other interests of our own : energy supplies are increasingly important to the EU, and it is clear that the South Caucasus is a vital route for the diversification of our energy resources. Most fundamentally, these countries have expectations in terms of their relationship with the EU. They are important neighbours of ours. Our credibility vis-à-vis our partners depends to a very large extent on how we succeed in responding to their expectations and aspirations. In this way, the Eastern Neighbourhood is directly linked to the European project. Then, it is also about our relationship with Russia, since this is a neighbourhood that we are sharing. To a large extent, Russian foreign policy depends on how our relationship develops with this region. So it is also about what kind of Russia we will have in the future, that will be determinant in this region. And finally, I would say that this region is a case in point for how the security system that has developed in Europe in the post-World War Two period will continue to develop in the future. There is a lot at stake here as well since it has been put under immense pressure with the Georgian war. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
JDO : With the increasing tensions between Moscow and Tbilisi since 2004, Georgia’s political stability may have been a special concern for you. Did the EU manage to calm down the situation ? Was the August 2008 Georgian crisis preventable ? P. S. : You can trace this conflict to different points even further back in time. But it is also a complex conflict that has been playing out at different levels. Firstly, there is the inter-community level between Georgians on the one hand, and Abkaz and Ossetians on the other hand, with a long-standing conflict that has been going on for decades. Secondly, this conflict has gradually been hijacked by inter-state tensions between Georgia and Russia since the Soviet Union collapsed in 1991, particularly in the years following the "Rose revolution" in 2004. And finally, we have a much larger conflict at the strategic level : these conflicts in the South Caucasus are important parts but still parts of a much larger game. Was this preventable ? I do not exclude that more could have been done in order to prevent the outbreak of open hostilities in August 2008. If we have had more foresight, read the signs right, and deployed more resources on the ground, perhaps it could have been prevented. But we did in fact do quite a bit. We did make efforts to calm down the situation, to talk to the parties, to bring them together, to also deploy limited resources on the ground. Obviously this was not enough. Could we have acted differently ? It is hard to answer. You need to look at the larger political issues that were at stake here. The war in Georgia came in the wake of Kosovo’s declaration of independence as well as the decisions on Georgia and Ukraine that were taken at the Bucharest summit of NATO in
JDO : What is your opinion about the management of the crisis by the French Presidency of the EU (FPEU) ? To what extent were you involved in the negotiation ? P. S. : Well, the French Presidency reacted very quickly and at the highest level. It used the resources that it had available, and did manage to bring the open conflict to an end. It was natural that the FPUE relied mostly on its own national resources. But there are lessons to be learned as well. The agreement that was struck was obviously not perfect. There are ambiguities and problems with its implementation. But speed and forceful action was the most important criteria in this crisis situation, and the fast intervention of the FPUE obviously has to be characterized as a major success. Personally, I was implicated in some limited parts of the process at first4. However, I obviously was very involved in the follow-up after that, in terms of negotiating the deployment of the EU Monitoring Mission (EUMM), which took place in a record time5. JDO : What about the "fifteen points plan for Georgia" that you proposed ? P. S. : Before the war indeed, I had agreed with the French diplomacy to focus on Georgia during the FPEU. In July 2008, we spoke very actively to present a proposal for the reinforcement of the EU presence in Georgia, based on our conviction that we needed to do more in order to stabilise the situation and prevent hostilities. And actually, just ten days before the war, the Political and Security Committee (PSC) took the decision to strengthen the EU action in Georgia, a decision that the FPEU and I had to develop together. JDO : More than a year after the end of the conflict, what global balance could be drawn from the EUMM that is in charge of overseeing the application of the ceasefire agreement ? P. S. : This mission, to which I provide political guidance alongside Ambassador Hansjörg Haber, has had an important role in terms of providing for transparency in the most sensitive area along the administrative boundaries of Abkhazia and South Ossetia : by providing objective information in a tense situation where allegations are made in each direction, it has been able to defuse many worrying situations and has made sure that the situation has not escalated out of control since that. The mission, in a larger perspective, has also provided for a sense of security in Georgia that has allowed the Georgian political establishment to concentrate on other important tasks that the country is facing : reconstruction, economic reforms and so on. It has also provided a sense of stability that has allowed international investors, at least to a limited extent, to come back to Georgia. In a smaller perspective what it has done is to re-establish some contacts across the confrontation line, by being part of the Incident Prevention and Response Mechanism that has been created as result of the Geneva talks. These mechanisms are important because they are a forum oriented toward discussing concrete issues on the ground. Unfortunately it has been much more difficult to do this in South Ossetia than in Abkhazia.
JDO : But the EUMM, unlike the previous OSCE and UN monitoring missions in Georgia, cannot have access to the breakaway republics currently. In a way, would the EUMM maintain a kind of unstable status quo ? P. S. : This is a valid question that you are posing. It is tremendously important that the EUMM continues to insist on getting access to these regions. And it is very important to make the point that it is also in the interest of the breakaway republics to accept a presence that would contribute to a much more stable and secure situation. But it is also important not to regard the presence of the EUMM in these regions the only criteria for the success of the mission. As I said, the EUMM has already accomplished quite a lot in terms of defusing very difficult situations and ensuring that the situation has not gone out of control. Nevertheless, there is a particular urgency in our view to having an international presence in Abkhazia and South Ossetia, especially in the Akhalgori (South Ossetia), the Kodori and the Gali (Abkhazia) regions, which are mostly populated by ethnic Georgians. The security of these populations largely depends on the ability of the international community to implement a much stronger and robust presence on the ground. At the end, it is also the return of the Georgian refugees that is at stake here. JDO : To what extent are you cooperating with Pierre Morel, who is the EU Special Representative for the Georgian crisis ? P. S. : As you can see, our offices are right next to each other. We have regular meetings and we give common updates to the member states and to the PSC. We obviously coordinate the work that we do directly on the conflict related part. However, my mandate is a broader one since I am the Special Representative for all of the South Caucasus and since many other issues such as the domestic political situation are part of my mandate. Concerning the security situation, my main role after the war has been to work with the EU member states in order to formulate a common policy toward the breakaway regions. I also worked with the Georgians in order to push them to adopt a position of engagement with the breakaway regions rather than the more instinctive policy of isolation that we saw immediately after the war. And if we look at the work that has been done, I am satisfied to notice that we have been able to make progress on both these accounts. Firstly, we now have a policy of nonrecognition and engagement with the separatist territories that has been endorsed by all the member states. Both those legs are interrelated: non-recognition without engagement is a policy that would build up barriers, bringing Georgian, Abkhazian and Ossetian further from each other; at the same time, engagement without clearly defined positions on the formal legal parts is also not appropriate as any step that we would have taken towards engagement would probably be misinterpreted or instrumentalized. Secondly, our work with Georgians to develop a more open-minded policy has found its expression in a more open "Strategy on the Occupied Territories" that was adopted by the Georgian government only a few days ago. It is still not perfect, but if you look at the Law on Occupied Territories that was adopted a month after the war, you will see the difference. JDO : The departure of the UN and the OSCE observatory missions in Georgia since June 2009, because of Moscow’s lobbying to prevent their renewal, may have strengthened the essential role of the EUMM on the ground. What are the consequences on the EUMM maLe Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Entretiens. nagement of the situation ? Do you think that the EUMM must be and could be enlarged in terms of persons and prerogatives ? P. S. : We very much regretted the withdrawal of the UN and the OSCE. They had played a very important role. Yet, their capacities had been very limited after the war: the OSCE mission was limited to the Georgian government controlled side of the administrative boundaries after the war, while the UN role was also confined because of their link with the peacekeeping format that collapsed as a result of the war. Therefore, nothing very much changed when these missions were withdrawn. The changes had taken place earlier. Concerning the future of the EUMM, I don’t want to speculate. There is a strong agreement among the EU member states that the mission is playing an extremely important role, and I don’t hear any voices talking about exit strategies. Concerning whether or not other functions could be added on, we will have to see in the course of the next review of the EUMM mandate, which will take place sometimes in the middle of this year as it expires in September. It is up to the member states to make this decision.
P. S. : Georgia has been faced with some tremendous challenges since its independence, and the war added to these challenges. In many ways, Georgia is still a country in transition and reconstruction, which has to reform its institutions under tremendous stress. I very much hope that the next local elections in May will contribute to reinforce the democratic institutions and to bring Georgia away from the negative aspects of its political culture that we have seen through the turbulent times that the country has gone through since independence. Georgia has made tremendous progress in many ways. And it is arguably one of the most open and pluralistic countries in the post-Soviet space. But it does not mean that the institutions are stable yet.
JDO : What are the EU priorities in terms of peace building ? How much money has the EU invested in Georgia since the end of the conflict ? Does the EU plan to strengthen its presence in Georgia in a long-term perspective ? P. S. : We have a very broad spectrum of peacebuilding priorities in Georgia, from reinforced political and economical reform backing to post-war reconstruction assistance and budgetary support to compensate for the short fall in tax revenue and foreign investment. The EU has been very active in this field, with great results. The war in Georgia occurred in an international environment that has been extremely challenging because of the international financial and economic crisis. But if you look at Georgia, they have managed it a lot better than many other countries. For instance, Armenia has suffered tremendously from the crisis with a double-digit decrease in GNP while it has only declined slightly in Georgia. The EU was one of the initiators, together with the World Bank, of the donors’ conference that was held immediately after the war, generating commitments of about 3,5 billion euros of which slightly over a quarter was from the EU itself. This has been an extremely substantial, almost unprecedented, assistance in a situation like this. Without this assistance, I think we would have seen a much different and much more problematic situation today in the whole South Caucasus. Additionally, one of the immediate consequences of the war was a renewed and stronger commitment to create and enhance the so-called Eastern Partnership. This led to its official launching at the Summit meeting that was held in Prague during the Czech Presidency in May of last year6. This is an initiative that involves many things, from a stronger political link to a new contracture relationship in the form of an association agreements, which will include free trade agreements and visa facilitations. What this all means is a much stronger focus from the EU on the Eastern Partnership. Therefore, the Georgian war brought a kind of equilibrium between the Southern and the Eastern European neighbourhood policies, while the focus of the EU toward the Union for the Mediterranean was very much pronounced before.
automatically generate a security bonus since the EU can obviously not be indifferent to the security situation of its partners with which it has close relationship.
JDO : What is about the post-war political situation in Georgia ? Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
JDO : Finally, how could we resolve the insecurity of some of our neighbours in front of Russia without providing them with an alternative security protection to NATO, which is contributing by itself to these tensions ? P. S. : The rationale for the engagement of the EU is different from NATO. If it may contain elements of building a more secure neighbourhood, it does not mean that the EU sees itself as an alternative to NATO7. Otherwise, the development of a strong give and take relationship within the Eastern Partnership will
Entretien réalisé par Antoine Lury (08.02.2010).
Notes. 1. Politique Européenne de Sécurité et de Défense. 2. Représentant Spécial de l’Union Européenne. 3. A Little War that Shook the World (Palgrave 2010). Ronald D. Asmus used to be deputy assistant secretary of state in the Clinton administration. He is currently Deputy director of the Transatlantic Centre and Strategic Planning of the German Marshall Fund of the United States (GMF), in Brussels. 4. In the run-up to the intervention by President Sarkozy, I accompanied the French foreign minister Bernard Kouchner and his Finnish counterpart Alexander Stubb to Tbilissi on the 10th of August. During the meeting that President Sarkozy had with President Saakashvili in September 2008 about negotiating the implementation agreement to the "six points plan", I was also involved alongside José Manuel Barroso, President of the European Commission, and Javier Solana, High Representative for the EU at that time (he has been replaced by Catherine Ashton in December 2009). 5. It took only two weeks from the decision to send EU observers to Georgia in October 1st of 2008, until the mission was in place in full force. 6. Ce sommet, tenu à Prague le 7 mai 2009, a réuni, outres les 27 membres de l’UE, les dirigeants de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Biélorussie, de la Géorgie, de la Moldavie et de l’Ukraine. NDLR. 7. La position de l’UE à ce sujet est claire : l’Union reconnaît la primauté de l’OTAN sur les questions relatives à la sécurité internationale. Les moyens pris au titre de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) ne pourront donc être soulevés qu’en cas de non-engagement de l’Alliance Atlantique. Si les moyens de l’UE se voyaient insuffisant, l’Union pourrait alors recourir, dans le cadre du partenariat UE-OTAN, aux moyens opérationnels et logistiques mis à sa disposition par l’Alliance. NDLR. 8. If the Eastern Partnership avoids any offer of membership, it does offer an approximation through a strong contractual relationship in a form of association agreements, which includes very important aspects of integration, not least free trade and freedom of travel.
ENTRETIEN avec PIERRE MOREL. Pierre Morel est un diplomate français diplômé de l’IEP de Paris et de l’ENA. Nommé conseiller diplomatique du Président de la République en 1991, Pierre Morel a ensuite été ambassadeur en Fédération de Russie (1992-1996), en Chine (1996-2002) et au Saint-Siège (2002-2005). Conseiller au Centre de planification du MAE1, Pierre Morel rejoint le Conseil de l'Union Européenne en 2006, en tant que Représentant Spécial de l’UE (RSUE) pour l’Asie Centrale. Depuis 2008, il assure parallèlement la fonction de RSUE pour la crise en Géorgie.
Le conflit géorgien d'août 2008 a conduit l'UE à renforcer sa présence en Géorgie en tant que médiatrice dans le règlement du différent entre Tbilissi et Moscou. Un processus de discussion de paix entre la Géorgie et la Russie a été lancé le 15 octobre 2008 à Genève sous l'égide de l'UE, de l'ONU et de l'OSCE. Jeu de l’Oie : Plus d’un an après le lancement de ces discussions, quel bilan tirez-vous de ce dialogue ? Pierre Morel : Il faut rappeler que ce conflit a pris fin à la suite d'une initiative de la Présidence Française de l’UE (PFUE). Cette initiative française a donné lieu à un engagement complet de l’UE sur le sujet, à la fois opérationnel, autour de la mission d’observation de l’UE en Géorgie (MSUE), et diplomatique, avec la mise en place des discussions de Genève. Ces discussions, prévues au titre de l’accord en six points du 12 août, ont été précisées par un accord complémentaire signé par les présidents Sarkozy et Medvedev le 8 septembre 2008, ainsi que par le Président Barroso et J. Solana, Haut Représentant de l'Union pour la politique étrangère. Quel bilan pouvons-nous tirer de ce dialogue, un an et quatre mois après son lancement ? Tout d’abord, nous avons mis en place un cadre de travail, accepté par l’ensemble des parties au conflit - qu’elles soient internationalement reconnues (Russie et Géorgie) ou pas (Abkhazie et Ossétie du Sud). Ce cadre de travail permet aux participants de se retrouver régulièrement pour aborder divers sujets, les plus urgents d’abord, mais aussi les plus substantiels, afin de rétablir un dialogue politique plus serein. Nous avons pu obtenir des résultats concrets, certes limités, mais tout de même importants, au rang desquels figurent les mécanismes de prévention et de règlement des incidents. Adoptés le 18 février 2009, ces mécanismes sont pleinement opérationnels depuis l’été 2009. Ils permettent à tous les protagonistes de faire le point sur le terrain à intervalles réguliers, de façon à prévenir tout risque de dérapage au niveau local. Globalement, cette initiative a été une réussite, bien que le mécanisme fonctionne mieux du côté abkhaze que du côté sud-ossète. Elle démontre en tout cas une volonté commune de réduire les risques d’incidents de part et d’autre de la ligne de démarcation par le dialogue - que ce soit dans une optique de prévention ou de clarification a posteriori.
À présent, il s’agit de consolider ces mécanismes, qui répondent à une situation qui reste tendue sur le terrain. Mais si l’on veut surmonter durablement le conflit, nous devons aller plus loin dans l’examen des questions politiques qui sont au coeur des antagonismes actuels, entretiennent un climat de méfiance entre les acteurs et empêchent la résolution des questions humanitaires. L’enjeu majeur reste clairement de trouver une issue au statu quo actuel. Toutefois, nous ne pouvons pas espérer des miracles pour l’instant à ce sujet. Le souvenir de la guerre est encore proche, et les ressentiments palpables. JDO : Suite au retrait des missions de l'ONU et de l'OSCE en juin dernier, Moscou a contesté la légitimité de la participation de ces organisations au processus de Genève. Pensez-vous que cela puisse nuire au bon déroulement des tractations ? Quelles sont les limites à la coopération de Moscou dans ce processus ? P. M. : Bonne question. Il y a effectivement eu un double contrecoup dans les discussions de Genève suite aux retraits successifs de Géorgie des missions de l’OSCE et de l’ONU, qui représentaient tout de même 600 hommes environ, une expérience de terrain de plus de quinze ans, de nombreux contacts politiques, et une bonne connaissance du terrain2. Ces missions ont donc laissé un vide derrière elles. Toutefois, le relais a été bien assuré : la Mission de Surveillance de l’UE (MSUE) collaborait étroitement avec elles depuis octobre 2008, ce qui a facilité son insertion rapide et la montée en puissance progressive de son activité ; il y a donc eu un partage d’expérience efficace entre les différentes organisations. Moscou a t-elle contesté la légitimité de la présence de l'ONU et de l'OSCE aux tractations ? Pas tout à fait. Elle a seulement posé la question, sur un mode critique, suite au veto russe du 15 juin à l’ONU. Les trois co-présidences ont clairement répondu que leur rôle à Genève ne correspondait en aucun cas à une sorte de "club des observateurs" sur le terrain, mais bien à un engagement pris par les trois organisations de favoriser une solution au conflit d’août 2008. La question n’a d’ailleurs pas été reposée depuis. Quelle est la limite à la coopération de Moscou ? Je dirais qu'il n’y en a pas à priori, mais tout dépend du comportement effectif Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Entretiens. à Genève et sur le terrain. Certes, la reconnaissance unilatérale par la Russie des deux entités séparatistes, le 26 août 2008, rend la négociation beaucoup plus difficile. Mais c’est là tout l’enjeu de notre travail de médiation. A l’issue d’un conflit, les positions sont forcément opposées. Et c’est notre travail d'inciter les parties à renouer le dialogue, malgré ces oppositions. Notre méthode est simple, du bas vers le haut : nous commençons à discuter des dossiers les plus urgents, tels que les problèmes de sécurité et la situation humanitaire, pour aborder ensuite les questions d’ordre politique, plus générales et particulièrement sensibles, comme l'intégrité territoriale de la Géorgie et donc le statut des entités séparatistes abkhaze et sud-ossète, dont l’indépendance n’a aujourd’hui été reconnue que par quatre pays dans le monde3. JDO : Ces missions d’observation, outre leur rôle de stabilisation, apportent du contenu aux négociations. Or, à la différence des missions de l’OSCE et de l’ONU, la MSUE se voit refuser l’accès aux zones les plus sensibles situées à la frontière des entités séparatistes. Dans quelle mesure cela a t-il une influence sur le processus de paix de Genève ? Ce manque de transparence du côté russe ne prouve t-il pas un certain refus de négocier ? P. M. : Il ne faut pas croire que tout dépende de l’accès de la MSUE à l'Abkhazie et à l'Ossétie du Sud. Certes, cela serait extrêmement souhaitable, et nous continuons à pousser dans ce sens. La MSUE dispose de personnels expérimentés et de moyens importants, notamment en matière satellitaire, qui lui permettent de poursuivre sa mission de surveillance à distance. Par ailleurs, la mission de la MSUE ne peut se résumer à la surveillance de l’évolution des forces militaires et à l’évaluation des risques de conflit. Son mandat comporte aussi un important aspect humanitaire, avec pour objectif de tisser un dialogue de confiance avec les populations locales, essentiel à tout processus de paix. Il faut rétablir une vie quotidienne aussi normale que possible et prouver à ces populations que notre présence est dans leur intérêt. JDO : En interdisant l’accès des observateurs de l’UE aux régions séparatistes, Moscou souhaite maintenir d’une certaine manière un statu quo qui lui est favorable. Qu’en pensez-vous ? P. M. : Les Russes voudraient nous voir ratifier ce qu’ils appellent "une nouvelle réalité". Ce à quoi nous leur avons toujours répondu que la non-reconnaissance de ces entités par la quasitotalité de la communauté internationale était aussi "une nouvelle réalité". Nous faisons face ici à une divergence de fond qui entrave l’avancée des négociations. C’est là que réside la clé des discussions de Genève : surmonter les divergences afin de promouvoir une solution équilibrée, respectueuse de l’intégrité territoriale de la Géorgie. C’est un travail de longue haleine et particulièrement sensible, qui est au centre de notre travail de médiation. JDO : Quelle est la position des trois co-présidences concernant l’accès de la MSUE aux régions séparatistes ? P. S. : Nous continuer de réaffirmer la nécessité pour la MSUE de pouvoir travailler sur l’ensemble du territoire géorgien, bien qu’il y ait un profond désaccord sur la délimitation de ce territoire, comme nous l’avons vu précédemment. Pour être pleinement efficaces, la prévention et le règlement des incidents supposent une présence de part et d'autre de la ligne de séparation. Notre Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
rôle est donc de souligner que nous ne nous résignons pas à la situation actuelle et souhaitons au contraire la faire évoluer. L’atmosphère reste lourde plus d’un an après le conflit, mais les réunions se poursuivent, ce qui nous permet de continuer à avancer des propositions. Si l’on peut parler de sérieuses difficultés, il n'y a pas pour autant de blocage. JDO : Qu’en est-il de la question du retour des réfugiés ? P. M. : Vous touchez ici un point sensible. Bien que le principe du droit international de libre accès des victimes à l’aide humanitaire ait été accepté par les parties au titre des accords de cessez-le-feu du 12 août et du 8 septembre 2008, de nombreux obstacles continuent d’entraver l’acheminement de l’aide internationale. Ces situations doivent être réglées au cas par cas. C’est pourquoi nous avons créé, aux côtés du groupe de travail en charge des questions de sécurité, un second groupe de travail spécialisé dans les questions d’ordre humanitaire, qui élabore des formules permettant de faciliter la vie des populations locales. La question du retour des personnes déplacées et des réfugiés est au centre des débats de ce groupe de travail. JDO : Concrètement, quels ont été les résultats de ce groupe de travail à ce jour ? Des réfugiés géorgiens ontils pu réintégrer leurs villages ? P. M. : Quelques visites ont pu être organisées, de façon plus ou moins formelle. Certains ont réussi à traverser la ligne de séparation administrative pour voir l’état de leurs anciennes habitations. D’autres la traversent régulièrement pour aller travailler. Le passage est donc accepté dans certains cas, mais le message russe, abkhaze et sud ossète reste clair : si certains aménagements peuvent être négociés, il s'agit de construire une "frontière d'Etat" étroitement contrôlée. C’est une situation qui ne permet évidemment pas d'avancer, tant pour des raisons humaines que politiques et juridiques. JDO : La reconstruction des villages détruits pendant le conflit est-elle abordée à Genève ? P. M. : C'est actuellement en discussion. Nous avons déjà identifié plusieurs problèmes urgents touchant aux conditions de logement des populations, auxquels nous tentons d’apporter des solutions concrètes. Nous commençons également à mettre en place une base de données répertoriant les déplacés internes et les réfugiés. Enfin, de nombreuses questions d’ordre juridique se posent quant aux habitations abandonnées. Ce sont des questions très sensibles que nous tentons de résoudre par le dialogue, depuis Genève. Nous avons déjà obtenu quelques résultats en matière d’approvisionnement des populations en eau, gaz et électricité. Petit à petit, la situation s’améliore. Toutefois, nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup à faire. Entretien réalisé par Antoine Lury (8 février 2010).
Notes. 1. Ministère des Affaires Etrangères. 2. Le mandat de la mission de l’OSCE, créée en 1992, n’a malheureusement pas été prolongé pour l’année 2009, faute de consensus au sein du Conseil permanant de l’OSCE réuni le 22 décembre 2008, la Russie contestant la légitimité d’une telle prolongation. Un schéma similaire a mis un terme à la mission de la MONUG le 15 juin 2009, suite à un veto russe au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. La MONUG opérait en Géorgie depuis 1993. NDLR. 3. Russie, Nicaragua, Venezuela et Nauru. NDLR.
DOSSIER. La Russie et son étranger proche. Saint-Petersbourg. Il y a quelques années.
Aussi la création en 1924 d’une union
notamment par l’intermédiaire de leurs
nanciers les associations diasporiques
(OCS) a été créée quant à elle à l’ini-
de républiques socialistes soviétiques
bases militaires, et de l’autre, la façade
russes. La communauté internationale
tiative des deux puissances régionales
traduit-elle la volonté de maintenir in-
d’une neutralité à la table des négo-
découvrit avec stupeur au cours de
- la Russie et la Chine - afin de pro-
tacte l’étendue territoriale de l’ancien
ciations ou dans l’exercice du main-
l’été 2008 que la majorité des ha-
mouvoir la coopération économique
empire. La dissolution de l’U.R.S.S.
tien de la paix.
bitants d’Abkhazie et d’Ossétie du
et sécuritaire en Asie centrale. Dans
sud étaient des citoyens de Russie,
une logique thématique, l’Organisa-
en 1991 a entraîné l’indépendance
LA RUSSIE POST-SOVIETIQUE ET SON ETRANGER PROCHE. L’intervention
militaire russe en
Géorgie
en août
2008
illustre la difficulté de
à gérer son étranger proche depuis la dissolution de l’U.R.S.S.
Cet
Moscou
article analyse la politique russe vis-à-vis des républiques soviétiques aujourd’hui indépendantes
et propose ainsi un éclairage sur les enjeux géopolitiques qui se jouent aux marges de la
Russie.
de quatorze républiques (Ukraine,
Une approche réaliste : le contrôle
sans considération d’appartenance
tion du Traité de Sécurité Collective
Biélorussie, Moldavie, 3 États baltes,
économique et politique.
ethnique. Et c’est bien au nom de la
est une union militaire qui associe de-
3 États du Caucase, 5 États d’Asie
Parallèlement à cette pression militaire
défense de "ses" citoyens que l’armée
puis 1992 la Russie à la Biélorussie,
centrale) jusqu’alors fédérées à la
de déstabilisation (hard power), les au-
russe est intervenue en Géorgie en
aux trois États caucasiens (la Géorgie
métropole russe. Mais à la différence
torités russes développèrent une stra-
août 2008.
et l’Azerbaïdjan s’en sont retirés en
des autres anciennes puissances im-
tégie plus souple (soft power) sur le
périales (France, Grande-Bretagne,
modèle occidental : une pression éco-
Le jeu des organisations régio-
l’exception du Turkménistan et stipule
Espagne, Portugal), la Russie se re-
nomique et politique sur ses anciens
nales : l’épineuse question de l’en-
un "recours à la force" en cas de me-
trouva en continuité territoriale avec
territoires de tutelle. Afin de limiter les
diguement.
nace extérieure contre l’un des signa-
ses anciens sujets coloniaux puis
velléités atlantistes ou d’influer sur le
Après la Seconde guerre mondiale,
taires ; la Communauté Économique
soviétiques. Dans ces conditions tout
jeu électoral de ses voisins, la Russie
le politologue George Kennan dé-
Eurasiatique regroupe depuis 2000 la
à fait particulières d’un double point
maintient une pression économique,
veloppa la théorie de l’endiguement
Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan,
de vue historique et géographique,
notamment en instaurant des em-
(containment) selon laquelle l’Union
le Kirghizistan et le Tadjikistan avec
la Russie ne pouvait que développer
bargos sur les produits clés pour leur
soviétique devait être contenue dans
le projet - inabouti à ce jour - d’une
une politique singulière vis-à-vis de ce
économie : l’importation de céréales
ses marches européennes et asia-
union douanière ; enfin les États rive-
qu’elle considère comme son étranger
d’Ukraine (2005), d’eau minérale et de
tiques. C’est sur ce principe que les
rains de la mer Caspienne regroupent
proche.
vins géorgiens (2006), de spiritueux
États-Unis
alliances
depuis 2002 la Russie et ses quatre
moldaves (2006), de produits laitiers
stratégiques et installèrent des bases
voisins transcaspiens (Azerbaïdjan,
Une approche néo-impérialiste :
biélorusses (2009), l’exportation de
militaires tout autour de l’U.R.S.S. en
Iran, Turkménistan, Kazakhstan) dans
le pompier incendiaire.
gaz vers l’Ukraine (2006 et 2009), de
Allemagne, Turquie, Arabie Saoudite,
le but de résoudre le conflit juridique
Depuis l’éclatement de l’Union sovié-
pétrole vers la Lettonie (2003). Outre
Corée du sud, Philippines, Japon.
sur le partage des ressources souter-
tique, la Russie ne semble pas avoir
cette politique d’embargo, la Russie
Après la dissolution de l’Union sovié-
raines de cette mer fermée.
accepté l’indépendance des sujets qui
investit également de manière consi-
tique, les gouvernements Bush père,
Il est clair que la Russie a déployé de
lui étaient jusqu’alors fédérés. Vladimir
dérable dans son étranger proche
Clinton et Bush fils poursuivirent cette
nombreux outils stratégiques pour
Poutine n’affirma-t-il pas que "l’éclate-
via les multinationales contrôlées par
logique afin de contrecarrer l’hégémo-
conserver une influence sur son étran-
ment de l’U.R.S.S. est la plus grande
l’État. Ainsi Gazprom a pris le contrôle
nie russe sur sa périphérie occidentale
ger proche. Cependant l’épisode du
catastrophe géopolitique du vingtième
des réseaux de distribution de gaz en
(Europe centrale et orientale) et mé-
conflit armé avec la Géorgie en 2008
siècle" ? Afin de limiter l’exercice de
Arménie et au Kirghizistan en échange
ridionale (Caucase et Asie centrale).
a révélé les limites de cette politique.
la souveraineté des nouveaux États
d’un crédit sur le paiement de la fac-
Deux organisations illustrent cet axe
En effet, la Russie a été perçue par la
indépendants, la Russie s’efforça de
ture de gaz. L’entreprise d’État russe
stratégique Est-Ouest : l’OTAN et son
communauté internationale comme
maintenir une capacité d’ingérence
UES (Unified Energy System) a ra-
programme "Partnership for peace"
une puissance impérialiste incapable
pour déstabiliser à souhait cet étran-
cheté le réseau électrique national
qui vise à moderniser les armées na-
de gérer ses relations de voisinage
ger proche et en rester ainsi le gen-
géorgien lors de sa privatisation et
tionales et offrir des passerelles pour
par la négociation. Quant à ses alliés
darme incontournable. Malgré l’obli-
peut ainsi aisément déclencher un
une éventuelle adhésion (la plupart
traditionnels (Biélorussie, Arménie,
gation de démanteler les anciennes
black-out, comme cela a déjà été le
des États d’Europe centrale et les
Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikis-
bases militaires soviétiques, dont
cas au cours de l’hiver 2008. L’afflux
trois États baltes ont intégré l’organi-
tan), s’ils ont soutenu l’initiative russe
Moscou avait été l’héritière en 1991,
de capitaux russes pour le contrôle du
sation entre 1999 et 2004 ; la Géorgie
du bout des lèvres, mais aucun n’a
la Russie conserva une présence ar-
secteur de la finance, de l’immobilier
et l’Ukraine sont candidats depuis
daigné reconnaître l’indépendance
mée en Ukraine (flotte de la mer Noire
ou du transport de marchandises per-
2007) ; le GU(U)AM, organisation ré-
de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud
à Sébastopol en Crimée), en Moldavie
met ainsi à la Russie de faire pression
gionale créée en 1996 sur initiative
malgré de fortes pressions politiques
(base de Tiraspol en Transnistrie), en
sur les États de son étranger proche.
américaine autour de la Géorgie,
et économiques du grand frère russe.
Géorgie (bases de Vaziani, Batoumi,
Enfin la Russie utilise parfois les com-
l’Ukraine, l’Ouzbékistan (entre 1999
Moscou n’a eu d’autre choix que de
Goudauta et Akhalkalaki) et en Armé-
munautés russes de l’étranger, ces
et 2005), l’Azerbaïdjan et la Moldavie,
chercher des soutiens dans son étran-
nie (base de Gyumri). En Asie centrale,
"pieds-rouges" laissés-pour-compte
qui vise clairement à fédérer des États
ger lointain puisqu’à ce jour seuls le
l’Armée rouge, devenue armée russe,
de l’éclatement de l’Union soviétique,
pro-occidentaux dans le pré carré de
Nicaragua, et le Venezuela et l’île pa-
fut maintenue au Tadjikistan et au
comme cinquième colonne pour faire
la Russie. Dans une même logique
cifique de Nauru ont reconnu les deux
Kirghizistan pour aider ces nouveaux
ingérence dans les affaires intérieures
territoriale, la Russie a promu des
États séparatistes.
États à assurer le contrôle de leurs
de ses voisins. Plutôt que de pro-
organisations régionales dans le but
frontières avec la Chine et l’Afghanis-
mouvoir un dialogue constructif avec
de fédérer les États de son étranger
tan. Dans les conflits qui déchirèrent
leurs États de résidence, les autorités
proche. La Communauté des États
la Moldavie (Transnistrie), la Géorgie
russes privilégient une politique unila-
Indépendants (CEI) est née sur les
(Abkhazie et Ossétie du sud), l’Azer-
térale visant à distribuer des millions
décombres de l’U.R.S.S. mais sans
1999) et aux États d’Asie centrale à
tissèrent
des
Depuis l’effondrement de l’Union so-
gérer un héritage historique contradic-
tique (Sibérie centrale et orientale)
lution bolchevique a sonné le glas de
baïdjan (Haut-Karabakh) et le Tadjikis-
de passeports aux Russes ethniques
les États baltes, avec une participation
viétique, la Russie tente de retrouver
toire : d’une part, la Russie a un passé
et d’étendre l’administration tsariste
l’empire mais l’instauration du régime
tan (guerre civile), la Russie avait un
mais également aux habitants non-
limitée du Turkménistan et un retrait
sa place dans le concert des nations
colonial qui lui a permis de prendre le
jusqu’aux confins de la Transcaucasie
communiste n’a pas remis en cause
rôle ambigu entre d’un côté un sou-
russes des territoires séparatistes et
de la Géorgie en 2008. L’Organisa-
indépendantes. Pour ce faire, elle doit
contrôle de son vaste territoire asia-
et de l’Asie centrale. En 1917 la révo-
les frontières de la Russie impériale.
tien inconditionnel aux autonomistes,
à soutenir en termes politiques et fi-
tion pour la Coopération de Shanghai
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Par la plume d’Olivier Ferrando. Doctorant à l’IEP de Paris (thèse réalisée sous la direction d’Olivier Roy), spécialiste de l’Asie Centrale et en préparation d’une licence de russe à l’INALCO (Paris), Olivier Ferrando est enseignant ATER de la section Relations Internationales de l’IEP de Lille où il anime plusieurs cours, dont un séminaire d’ouverture de 18h sur la Sociologie et Géopolitique du Caucase et de l’Asie Centrale. Olivier Ferrando a participé au comité de relecture du Dossier de ce premier numéro. ---------------
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Ukraine vs Russie.
CONSTRUIRE SON ENNEMI : LES TENSIONS ENTRE KIEV ET MOSCOU.
Il ne s’agit pas ici de spéculer sur les potentiels - probables ? - comportements à venir de la puissance russe envers son voisin ukrainien, mais plutôt d’étudier pourquoi les relations entre les deux sont devenues si complexes, notamment depuis la "révolution orange" de 2004. L’étude des comportements des deux protagonistes amène en effet à penser qu’une savante construction est à l’origine des nombreux maux qui altèrent leur relation. À ce titre, une analyse constructiviste de la situation offre une clé de lecture, certes parmi d’autres mais en elle-même assez performante, des relations entre le géant russe et l’Ukraine. Anarchy is What States Make Of It Le point de départ de notre analyse doit donc se fonder sur quelques considérations essentielles de la théorie constructiviste des relations internationales. L’idée centrale développée par Alexander Wendt dans son article Anarchy Is What States Make Of It est que les Etats développent entre eux des relations construites, basées sur des perceptions et des interprétations de faits plus que sur les faits eux-mêmes. L’idée de construction est ici fondamentale : les Etats construisent des situations où les acteurs sont considérés soit comme ennemis, soit comme alliés ; leurs actions devant être analysées au regard de cette catégorisation1. Dans le cas de l’Ukraine et de la Russie, il semble que cette construction soit manifeste, l’un comme l’autre prenant le plus souvent parti d’interpréter les actions de
constructiviste est donc performante puisqu’on retrouve l’idée de réalité "socialement construite" de Wendt, avec un même objet, ici l’OTAN, tantôt perçu comme un allié, tantôt perçu comme une menace. Perspectives Ces deux exemples sont un échantillon très mince d’une situation d’ensemble où les attitudes russe et ukrainienne semblent confirmer inlassablement cette tendance à la perception négative de l’autre, aboutissant à un cercle vicieux où l’un comme l’autre semble aujourd’hui enfermé. Une situation rendue d’autant plus complexe par la division Est-Ouest de l’Etat Ukrainien, entre une partie occidentale orientée vers l’Union Européenne et désireuse de prendre ses distances avec la Russie, et une partie orientale en majorité russophone, restée attachée à la Russie. Le conflit géorgien intervient donc à un très mauvais moment des relations russo-ukrainiennes puisqu’il vient fournir à l’Ukraine une raison supplémentaire de se sentir menacée et donc de spéculer davantage sur les potentielles intentions impérialistes de la Russie. Toutefois, une once d’optimisme semble aujourd’hui permise, les élections présidentielles ukrainiennes ayant vu arriver à la tête du pays des acteurs tout de même plus favorables et enclins à l’entente avec Moscou que ceux des gouvernements passés. Par la plume de Manuela Spagnol.
l’autre comme hostiles, et à fortiori, menaçantes. Un engrenage pernicieux qui expliquerait les tensions persistant entre les deux pays voisins. Escalade autour de la question gazière La récente "guerre du gaz" entre Moscou et Kiev offre une illustration de cette situation. Au départ un simple désaccord sur les prix, la tension est devenue telle que le conflit a pris une dimension bien plus politique, aboutissant à la fermeture des vannes par Gazprom, le 2 janvier 2006. Le conflit a ainsi donné lieu à une surenchère verbale entre les deux voisins. Du côté de la Fédération de Russie, Kiev a largement été accusée de voler du gaz russe2, allégations qui, selon de nombreux analystes ukrainiens, auraient eu pour but de discréditer l’Ukraine aux yeux de l’Union Européenne. De son côté, l’Ukraine n’a cessé d’affirmer que la Russie avait pour ambition de "briser la colonne vertébrale de l’économie ukrainienne"3, afin de déstabiliser le président Victor Ioutchenko à l’approche des prochaines élections de 2010. On voit bien ici le phénomène d’engrenage dont le point de départ a bien été un désaccord concret, celui des prix, mais qui s’est enclenché et poursuivi bien plus sur des spéculations que sur des faits avérés.
Marcel. Ant
oine Lury. 2010.
Suite à la crise géorgienne de l’été 2008, une conclusion évidente pour de nombreux analystes s’impose : l’Ukraine s’inquiète de plus en plus des ambitions impérialistes de son voisin russe. Si
la légitimité de telles inquiétudes est parfois contestée, il n’en demeure pas moins que les relations entre l’Ukraine et la
Russie
sont indéniablement placées sous le signe de la tension,
et ce de manière peut-être encore plus visible depuis les évènements en Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Géorgie.
L’Ukraine, l’OTAN et la Russie La volonté de l’Ukraine d’intégrer les forces armées de l’OTAN en est une autre illustration. Ici, il s’agit de bien se détacher de l’idée trop facile et unilatérale selon laquelle la Russie condamnerait en bloc et sans nuance l’OTAN. Des éléments tendent à montrer que la Russie a eu par le passé une position relativement ouverte vis-à-vis de l’organisation. En 2000, Vladimir Poutine affirmait ainsi dans un entretien avec la presse que percevoir l’OTAN comme un ennemi était "destructif" pour la Russie4 ; plus récemment, Vladimir Poutine a même soutenu l’intervention alliée en Afghanistan, autorisant le survol du territoire russe par les avions militaires de la coalition. Pourtant, et c’est bien là que l’on retrouve cette idée centrale de construction, lorsque cette organisation est associée à l’Ukraine, dans le cadre des négociations pour son intégration dans l’organisation, la perspective russe change et le discours devient beaucoup plus agressif, face à une réalité perçue comme menaçante par la Russie. Vladimir Poutine aurait récemment affirmé que la Russie viserait l’Ukraine au moyen de missiles nucléaires si elle intégrait l’OTAN5. Ici la clé de lecture
Manuela est actuellement étudiante en 4e année filière franco-britannique, section Carrières Publiques. Dans le cadre de son année dans l’Université du Kent (Royaume-Uni, 2008-2009), Manuela Spagnol a rédigé un mémoire sur les relations entre l’Ukraine et la Russie au regard de la théorie constructiviste intitulé Making An Ennemy ? How Relations Between Ukraine and Russia Became So Difficult. --------------Notes. 1. Wendt, "Anarchy". 2. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, "The Gas Crisis Between Ukraine and Russia : a Major Challenge for Europe", Fondation Robert Shuman, European Issues, n°125. 3. Author unknown, "Gas Supplies Fail to Resume to EU", The Moscow Times, 13 January 2009. 4. "Intervyu V. Putina Devidu Frostu", Kommersant, N°39 (2000) : 2 ; Alexander Golts, "Putin Could Aim for Europe Alliance", The Russia Journal, 20-26 (2000), 8 In Richard Sakwa, Putin Russia’s choice, (London, Routledge, 2008), 289. 5. Vladimir Socor, "Russia’s Threats to Ukraine, Georgia are Challenges to US, NATO", EDM, 5:55 (2008).
“LES ETATS CONSTRUISENT DES SITUATIONS OÙ LES ACTEURS SONT CONSIDÉRÉS SOIT COMME
ENNEMIS, SOIT COMME ALLIÉS.”
DOSSIER. Hydrocarbures.
LA GUERRE DU GAZ N’AURA PAS LIEU.
Au-delà des motifs avancés par le Kremlin, l’intervention en Géorgie de l’été 2008 a révélé la détermination des Russes à défendre leurs intérêts énergétiques face aux occidentaux, dans ce qu’il est convenu d’appeler leur "pré carré".
hydrocarbures caspiens vers l’Europe, en passant par la Tchétchénie (territoire désormais évité dans le dernier tracé) et Makhatchkala, pour enfin arriver au port pétrolier de Novorossisk sur la Mer Noire (l’oléoduc BMN). Les intérêts de la Russie dans la région apparaissent surtout politiques : réaffirmer son rôle de "grand frère", en freinant avec force et conviction les ambitions de la Géorgie par exemple. Cette posture particulière s’explique par le fait qu’elle n’est pas dans la situation de dépendance énergétique des pays occidentaux et qu’elle a déjà accès aux champs pétroliers et gaziers du nord de la Caspienne. Le gouvernement américain, quant à lui, prépare les conditions favorables à la diversification des approvisionnements en pétrole et en gaz de ses multinationales (Exxon-Mobil, Chevron-Texaco, Unocal) pour limiter la dépendance énergétique des Etats-Unis vis-à-vis des monarchies du Golfe. Le pétrole et le gaz caspiens paraissent donc très convoités. Le cas BTC. Fruit d’une coopération
entre
majors
occidentales,
la construction entre 2002 et 2005 de l’oléoduc BTC reliant Bakou sur la Caspienne au port turc de Ceyhan en Méditerranée, en passant par Tbilissi la capitale géorgienne, place théoriquement le pétrole et le gaz caspien aux portes des marchés européens et américains. L’acheminement du pétrole azéri par la Géorgie et la Turquie est souvent considéré comme une victoire américaine, dans la mesure où ces deux pays sont les seuls alliés inconditionnels des Etats-Unis dans la région. La Géorgie est alors considérée comme la clef des hydrocarbures de la Caspienne.
Camille est actuellement étudiant en 4e année section Carrières Publiques. --------------Notes. 1. Robert Johnson, directeur de l’énergie et des ressources naturelles au cabinet-conseil américain d’analyse des risques Eurasia Group.
La discipline géopolitique globale est un sport à risque qui, s’il était au programme des X-Games, ferait trembler les foules… L’analyste qui s’y risque éprouve sans nul doute certaines sensations fortes, flirtant avec des enjeux globaux sur une map façon Age of Empires, habitée de Princes machiavéliques, de pétrodollars et de sangliers (ça c’est juste dans Age of Empires…). Mais comme dans tout sport à risque, il y a toujours un moment pour se vautrer misérablement. Pour se lancer à corps perdu dans une philosophie de l’histoire minable. Pour être aveuglé par son imaginaire. Garder la tête froide. Et se limiter à dresser un tableau des forces en présence. Puis timidement, proposer des hypothèses… Nous tacherons donc de faire le point sur les manœuvres de la Russie et des Etats-Unis qui visent à obtenir ou préserver un contrôle sur le transit des hydrocarbures azéris à travers la Géorgie.
statut juridique de la mer) et celle de l’acheminement des hydrocarbures. C’est ce second aspect qui retiendra notre attention. Les principaux champs d’hydrocarbures sous-marins sont situés au nord de la Mer Caspienne (Tenguiz et surtout Kashagan, sous concessions russes) et au large de l’Azerbaïdjan : ces champs de Bakou qui ont fait fantasmer Adolf H. dans sa course vers le Caucase en 1942-43 (déjà…). Les hydrocarbures qui transitent par la Géorgie aujourd’hui proviennent de ces champs azéris, prospectés principalement par un consortium international, l’AIOC (Azerbaijan International Operating Company) qui rassemble les principales multinationales pétrolières occidentales : BP, Chevron, Exxon et une société azérie, la SOCAR. Nous avons pris le parti de présenter les manœuvres des grands Etats dans la région, mais ce serait une grave erreur d’ignorer l’importance décisionnelle des majors et leur pouvoir d’influence sur les gouvernements.
L’objet du litige Les enjeux énergétiques autour de la mer Caspienne sont de deux types : la question de l’extraction (question du
Les forces en présence. La Russie est le géant de la région. Elle assurait jusqu’à présent l’essentiel de l’acheminement par pipelines des
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Une victoire toute relative. La stratégie anglo-américaine peut à première vue apparaître comme une victoire totale puisque le projet BTC a été choisi. C’était pourtant le plus cher (plus de 3 milliards de dollars), son tracé de 1 774 km traversant des zones montagneuses, parfois à plus de 2 500m d’altitude, il est de plus souvent enterré pour éviter les sabotages. Des raisons politiques ont certainement amené les majors à choisir cette voie. Un hypothétique oléoduc passant par l’Iran aurait pourtant coûté beaucoup moins cher, aurait été opérationnel plus rapidement et aurait présenté des garanties de sécurité plus importantes. Il y a donc une volonté politique de la part des pays clients des majors d’éviter l’Iran et les alliés de la Russie (Arménie en premier chef). Notre hypothèse est que cette donne
plutôt favorable aux occidentaux a changé au cours de l’été 2008. Un pré carré russe ? La guerre en Géorgie pour le contrôle de l’Ossétie du Sud au cours du mois d’août 2008 a montré que la Russie était résolue à affirmer sa suprématie régionale, éventuellement au mépris du droit international. Les médias occidentaux s’étant focalisés sur le succès du BTC, il fallait donc à cette occasion s’attaquer à ce symbole. En bombardant les abords du BTC le 10 août 2008, l’armée russe a sans aucun doute voulu lancer un signal aux occidentaux. Or depuis le début du mois d’août, le tronçon turc du BTC avait déjà été victime de plusieurs sabotages, revendiqués par les séparatistes kurdes du PKK, causant une interruption d’approvisionnement pendant une vingtaine de jours. Cela remettait radicalement en cause une partie de la valeur ajoutée du BTC. Au même moment, un observateur américain avisé 1 constatait que : "la réputation de la Géorgie comme route alternative sécurisée pour les pipelines acheminant le pétrole et le gaz d’Asie centrale à la Méditerranée a été compromise... Si vous supprimez l’option géorgienne de la table, cela fait le jeu de la Russie, car la plupart des autres options viables passent par le territoire russe". Par ailleurs ces interruptions de transit dues de près ou de loin à la guerre en Géorgie auraient causé pour l’Azerbaïdjan une perte de plus de 500 millions de dollars. L’instabilité chronique de la Géorgie incite les autorités azéries à se retourner vers la Russie. Les deux voies de transit : BTC et BMN (le tracé russe) sont donc en compétition pour acheminer les hydrocarbures caspiens vers l’Europe. On peut facilement (peut-être à tort…) y voir une confrontation américanorusse et y trouver un arrière-goût de Guerre Froide. Lequel des oléoducs BTC et BMN emportera la bataille de l’acheminement des hydrocarbures azéris ? L’avantage est aux Russes sur le plan technique. Il reste désormais à la Russie à convaincre les pays européens qu’un partenariat énergétique est indispensable, et mettre les ambitions américaines en échec. Des questions restent en suspens : comment les Etats-Unis réagiront à cette domination russe de fait ? Et plus profondément, quelle forme prendra l’inévitable collaboration énergétique des européens avec la Russie ? La Géorgie, n’aura alors été qu’un théâtre secondaire mais nécessaire à la Russie pour la reconquête des hydrocarbures caspiens. Par la plume de Camille Bourgeon.
UNE LONGUEUR D’AVANCE POUR SOUTH-STREAM FACE À NABUCCO. Afin de diversifier les sources d’approvisionnements en gaz de l’UE, la
Commission européenne a soutenu à partir de 2002 le projet de gazoduc Nabucco, reliant directement les gisements de la Caspienne aux marchés européens. La Russie n’était cependant pas prête à abandonner un si juteux marché où Gazprom détient, du moins en Europe Centrale, une situation de quasi-monopole. Simultanément, le géant russe a entrepris le projet de gazoduc South-Stream, concurrent direct et parfait du précédent. Une course de vitesse est lancée. Mais à ce jeu, la Russie semble progressivement distancer son concurrent européen. En effet, le dossier Nabucco peine à se concrétiser. Sur la question de l’approvisionnement, les incertitudes demeurent quant à la capacité de l’Azerbaïdjan à répondre à la demande. Sans compter la question du financement que ses défenseurs traînent comme un boulet. Pragmatiques, les Russes progressent quant à eux très vite. Ces derniers mois, Medvedev et Poutine, en VRP consciencieux, ont convaincu la Turquie, la Bulgarie et la Hongrie (trois pays pilotes du projet Nabucco) d’autoriser la traversée de leur territoire par le gazoduc russo-italien. Au 20 février 2010, le site Internet du projet indiquait qu’un accord similaire était sur la voie d’être signé avec l’Autriche, pourtant pays clé du projet Nabucco par le biais de la compagnie pétrolière OMV. Un accord aurait été signé dès janvier 2008 entre l’Autriche et Gazprom, désignant Baumgarten comme ville d’arrivée de South-Stream. Or, c’est précisément dans cette ville frontalière de la Hongrie que Nabucco avait prévu d’établir son terminal… La stratégie de Gazprom est simple : calquer le tracé de son projet sur celui de Nabucco afin d’aboutir à une situation de concurrence parfaite dans laquelle il n’y aura pas de voie intermédiaire ; si l’un passe, l’autre trépasse. Face à l’argument de la diversité des approvisionnements, South-Stream joue la carte de la sécurité : "South-Stream : Europe’s Energy Security"… Or, la Russie dispose d’un avantage considérable : installée de longue date sur le marché européen, elle a prouvé qu’elle était un partenaire de confiance des pays d’Europe occidentale. Début 2010, voici donc la situation : incertaine voire inquiétante pour Nabucco, claire et prometteuse pour South-Stream. Déjà très avancée dans le projet Nord-Stream, la Russie semble donc en passe de réussir son pari d’approvisionner l’Europe en gaz sans transiter par l’Ukraine ni la Pologne. Au départ politique, Nabucco en est aujourd’hui réduit, en l’absence de politique énergétique commune, à sa dimension purement économique : ce sera aux six compagnies pétrolières européennes parties au projet de juger de son opportunité financière. Un déséquilibre certain face à une Russie déterminée à enterrer ce projet par tous les moyens. Si Nabucco devait révéler la capacité des Européens à parler d’une seule voix, il n’en a finalement dévoilé que d’autant leurs dissensions internes, entre une Europe occidentale entretenant de bonnes relations avec Moscou, et une Europe orientale enfermée dans son statut "d’étranger proche"…
DOSSIER. Mise en perspective.
LES REVOLUTIONS COLOREES. La
nouvelle franchise du régime change ?
Par
la plume de
Léonard Rolland.
Au début des années 2000, une vague de révolutions démocratiques vient ébranler trois Etats postcommunistes en proie à la corruption et à l'autoritarisme. En octobre 2000, le président serbe Slobodan Milosevic est renversé suite à un
LE PRECEDENT KOSOVAR COMME ENJEU DE LA RHETORIQUE RUSSE.
Pour
justifier l’accession à l’indépendance des provinces séparatistes géorgiennes d’Ossétie du
en août
2009,
la
Russie s’est
basée sur le précédent du
Kosovo. Les
Sud
et d’Abkhazie
deux cas sont-ils pour autant similaires ?
mouvement de protestation populaire après le second tour des élections présidentielles, jugées frauduleuses. Ce schéma du "troisième tour dans la rue" se répètera en Géorgie
"Si le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance, ce sera un signe pour nous" avait déclaré le Premier Ministre russe Vladimir Poutine le
trois ans plus tard lors de la "Révolution des Roses" de novembre 2003, qui mènera à la démission du
14 février 2008. Trois jours plus tard, le Parlement kosovar déclarait son indépendance. Le 25 août 2008, après une courte guerre russo-géor-
président Chevardnadzé, suivie de près par la "Révolution orange" qui, en 2004, portera Viktor Ioutchenko
gienne, la Russie reconnaissait l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Les sources de la controverse. Déjà en 1999, la Russie
au pouvoir. Durant quinze jours, et malgré la rigueur hivernale, des centaines de milliers d'Ukrainiens coloreront
s’était fermement opposée à la campagne aérienne de l’OTAN contre la Serbie, qu’elle avait jugée illégale et illégitime. Sans l’aval de l’ONU,
d'une teinte orangée la place de l'Indépendance à Kiev. La franchise "révolution colorée" était née.
l’OTAN avait bombardé Belgrade, invoquant une opération humanitaire de protection des populations majoritairement albanaises du Kosovo.
Pour obtenir cette franchise, la vague de résistance doit être le résultat d'une mobilisation massive et spontanée de la
L’opération "Forces Alliées" avait contribué malgré elle au déplacement massif de Kosovars ainsi qu’à de nombreuses exactions commises par
société civile, organisée et entrainée aux règles de la résistance non-violente par un noyau dur d'activistes, en général un
les forces serbes contre la population majoritairement albanaise de la province du Kosovo. Pour mettre un terme à cela, la résolution 1244 du
mouvement étudiant. Ce dernier sera lui-même formé par des universitaires américains et subventionné par des ONG occiden-
Conseil de Sécurité du 10 juin 1999 octroyait à la province du Kosovo une autonomie au sein de la République Fédérale de Serbie, garantie par
tales. C'est quasiment une recette de la révolution non-violente qui est alors élaborée. Les trois révolutions se dérouleront d'ailleurs
le déploiement de troupes internationales. Cette résolution avait alors été approuvée par la Russie, Moscou pensant préserver ainsi l’intégrité
sur le même schéma. Ainsi, les activistes du mouvement étudiant serbe Otpor, eux-même formés par la Albert Einstein Institution 1,
territoriale de la Serbie. La suite est bien connue… Dénonçant le soutien de l’ONU à l’indépendance du Kosovo, il semblerait que le Kremlin
iront ultérieurement former les mouvements étudiants géorgien (Kmara) puis ukrainien (Pora). Les trois mouvements sont subventionnés
ait voulu provoquer l’Organisation dans ses propres retranchements, justifiant son soutien à la déclaration d’indépendance de l’Ossétie du Sud
par des ONG occidentales ayant pour but de promouvoir la démocratie à travers le monde. On retiendra parmi d’autres l'Open Society de
et de l’Abkhazie au nom du droit international. Reprenant la rhétorique onusienne, Moscou a ainsi qualifié son opération en Géorgie "d’huma-
George Soros, la National Endownment for Democracy américaine, ou encore la Konrad Adenauer Stiftung en Allemagne.
nitaire", en réponse au "génocide" contre les peuples ossète et abkhaze qu’aurait mené le président Saakachvili. Pourtant, comme le dit
"Politics is sexy !", tel est le mot d'ordre d'Otpor. L'idée est alors de briser la frontière qui existe entre loisir et politique. Il s'agit d'extraire
l’adage, comparaison n’est pas raison. Le cas des indépendances du Kosovo et des provinces géorgiennes présente de telles différences
le loisir de son rôle d'analgésique, cet opium du peuple caractéristique des régimes autoritaires, pour le mettre au service de l'engagement
que les comparer sur un pied d’égalité reviendrait à valider l’idée d’un "retour à la guerre froide" entre les Etats-Unis et la Russie. Une situation
démocratique. Ainsi de nombreuses activités, qui tomberaient normalement dans la catégorie des loisirs, sont détournées au profit de la résis-
dans laquelle l’un agirait en réaction de l’autre : les Etats-Unis reconnaissant le Kosovo comme Etat indépendant aux dépens d’un allié de la
tance contre le régime. Théâtre de rue, concerts, match improvisé avec des stars du football national, flash-mobs et happenings divers visant
Russie, la Serbie ; et la Russie soutenant l’Abkhazie et l’Ossétie contre la Géorgie, proche de Washington. Pourtant, à la différence du cas du
à ridiculiser les forces de police sont organisés. Relayées par les médias, Internet, ou encore par SMS, toutes ces actions sont estampillées
Kosovo, aucune résolution du Conseil de Sécurité n’a entériné l’envoi d’une force de maintien de la paix dans les régions séparatistes géor-
du sigle de l'organisation, choisi selon les critères du marketing (un poing blanc stylisé sur fond noir pour Otpor et Kmara). Avec cette barrière
giennes, où la Russie se trouve être la seule force d’interposition. Tout s’est donc fait en dehors du cadre de l’Organisation des Nations Unies.
qui s'effondre entre politique et société, ce sont des modes de vie qui prennent une signification politique. Dès lors le régime, dépourvu de
Par ailleurs, la question de la légitimité de cette comparaison se pose quand seuls quatre pays dans le monde ont reconnu l’indépendance des
son monopole idéologique, se retrouve affaibli : les conditions sont remplies pour une révolution non-violente.
régions autonomes géorgiennes 1 contre plus de soixante dans le cas du Kosovo - dont la France, les Etats-Unis et la Turquie. Enfin, une analyse
Les opposants aux "révolutions de couleur" aiment à remettre en cause la spontanéité de ces mobilisations populaires. Loin d'en savourer
prospective de la situation révèle les limites de cette comparaison. Alors que le Kosovo devenu indépendant est actuellement dans la même
le caractère original et primesautier, ils y voient une simple reproduction des schémas de la Guerre froide. Par le biais des organisations
situation que la Bosnie Herzégovine depuis les Accords de Dayton de 1995, c’est-à-dire un protectorat européen dont la vocation serait de de-
non gouvernementales, ces révolutions seraient en fait manipulées par les démocraties occidentales, qui souhaitent placer leurs
venir un Etat indépendant et viable, cela ne semble tout bonnement pas être le cas des deux provinces géorgiennes, qui sont en train d’être ab-
propres pions dans des pays stratégiques au détriment de candidats "pro-russes". La révolution colorée : l'outil 2.0 de la CIA ? Si
sorbées de leur plein gré par la Fédération de Russie. Il n’existe donc que peu d’éléments de comparaison valables entre ces deux cas. En fait,
tentantes que soient les théories du complot, il est toutefois impossible de négliger le facteur interne à chaque pays dans le dé-
cette analogie est le plus souvent utilisée dans les discours des dirigeants moscovites pour justifier leur stratégie d’influence dans le Caucase .
clenchement de ces trois révolutions. Quelques années après, il semble en revanche difficile de peindre un tableau idyllique
Qu’en est-il alors de la situation du Kosovo, 10 ans après la fin de la guerre et pratiquement deux ans après la déclaration d’indé-
de la situation postrévolutionnaire dans ces pays. Si en Ukraine, par exemple, des avancées sont à noter dans le domaine
pendance ? Une mission civile européenne Eulex pour la consolidation de l’Etat de droit a été déployée à la mi-juin 2008 afin de soutenir le jeune
de la liberté d’expression et de la transparence du système électoral, le pays reste en proie à une corruption pandé-
gouvernement kosovar dans ses tâches administratives, policières et judiciaires. En parallèle, la Mission d’Administration Intérimaire des Nations
mique et à une situation économique préoccupante Les dernières élections présidentielles montrent d’ailleurs
Unies au Kosovo, mise en place par la résolution 1244, poursuit son travail sur le terrain, de même que la Kosovo Force (KFOR) de l’OTAN,
que les Ukrainiens n’ont pas fait grand cas des anciens héros de 2004 2.
composée de près de 14 000 soldats et dont le but est d’assurer la sécurité des habitants du Kosovo, serbes comme albanais. Jacques Arnault
Si, à long terme, les révolutions colorées n'ont pas eu tout le succès escompté en terme de dé-
Dérens, historien et rédacteur en chef du Courrier des Balkans, a ainsi qualifié le Kosovo de pays "post-moderne", disposant d’une souveraineté
mocratisation de la culture politique dans les Etats postcommunistes, elles ont en revanche
très limitée garantie par un protectorat international assurant sa survie économique. La question de la viabilité de ce petit Etat enclavé a
consacré le règne de l'image. Bien plus qu'à un obscur soutien de la CIA ou à un
souvent été posée. À peine sortis du joug serbe, les Kosovars doivent affronter les tentations expansionnistes pan-albanaises de Tirana. En
emballement démocratique au sein même de ces trois pays, c'est à une
effet, les dirigeants albanais suivent attentivement l’évolution du Kosovo, gardant à l’esprit la possible réalisation du rêve de "Grande Albanie"
production d'images médiatiques sans précédent que ces ré-
qu’un projet d’autoroute entre Tirana et Pristina 2 pourrait amorcer. Une perspective jugée inacceptable par Pristina dont la crainte principale
volutions ont dû leur succès, d'où peut-être leur
serait de se trouver sous la domination d’un nouveau maître : hier la Serbie, demain l’Albanie. Mais le protectorat ne peut durer indéfiniment. Le
rapide essoufflement.
risque pour le Kosovo est qu’il se trouve dans la même situation que la Bosnie-Herzégovine, enfermée dans le cadre des Accords de Dayton de novembre 1995 et sans réelle perspective d’avenir. Par la plume de Mathieu Lepaon.
---------------
---------------
Notes. 1. Institution américaine fondée par l'universitaire Gene Sharp. Elle est spécialisée dans l'étude des méthodes de résistance non-violente dans les conflits. 2. Pour aller plus loin, voire l’analyse nuancée de Ioulia Shukan, pages 62-63.
Notes. 1. Il s’agit de la Russie, du Venezuela, du Nicaragua et de Nauru. 2. "Entre Pristina et Tirana, l’autoroute de la "Grande Albanie" ?", Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Le Monde Diplomatique, mai 2009.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
DOSSIER. Mise en perspective.
Face à la lenteur du processus d’adhésion à l’Union Européenne et à une turque, Ankara s’émancipe des Etats-Unis et se tourne vers le Sud et
À la surprise générale des commentateurs américains, la Turquie refusait aux troupes américaines d’ouvrir un front nord en Irak lors de l’opération Iraqi Freedom de mars 2003, à l’opposé de sa position lors de la première Guerre du Golfe. En prenant ses distances avec la relation privilégiée qui l’unissait aux Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Ankara pensait pouvoir s’ancrer plus fermement en Europe, sans succès. Face au peu de considération de l’Union Européenne à son égard et à une adhésion qui ne cesse d’être repoussée, Ankara semble reconsidérer sa position au carrefour du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Europe, amorçant un mouvement de fond dans la conduite de sa politique extérieure. Un nécessaire repositionnement stratégique dans le Caucase face à la crise géorgienne. L’intervention russe d’août 2008 en Géorgie a été décisive dans le repositionnement turc dans le Caucase, encourageant Ankara à adoucir sa position envers l’Arménie aux dépens de son allié stratégique, l’Azerbaïdjan. Pendant longtemps, la Turquie a cherché à assurer son approvisionnement en hydrocarbures, d’où sa politique pro-azérie et le soutien inconditionnel au projet d’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), qui va des champs pétrolifères d’Azerbaïdjan vers la Turquie, en passant par la Géorgie : la Turquie deviendrait un carrefour stratégique pour l’approvisionnement de l’Europe. Le souci premier de la Turquie étant en outre de diversifier ses sources d’approvisionnement gazier et pétrolier afin de réduire sa dépendance à l’égard de la Russie, de l’Iran et de l’Irak. En vertu de cette fraternité stratégique, la Turquie a soutenu dès 1993 l’Azerbaïdjan dans le conflit qui l’oppose à l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh, une exclave à majorité arménienne située sur le territoire azéri et revendiquée par Erevan. Cependant, la crise géorgienne semble avoir rompu cet équilibre précaire. Face à la nouvelle affirmation de puissance russe dans la région, potentiellement menaçante, la Turquie tente de se concilier les faveurs du Kremlin, en initiant un rapprochement sans précédent avec son "pire" ennemi, l’Arménie, allié inamovible de la Russie dans le Caucase. Cette ouverture, amorcée dans la foulée de la guerre de Géorgie, en septembre 2008, par la "diplomatie du football", s’est d’ailleurs récemment concrétisée par la signature le 10 octobre 2009 d’un double protocole rétablissant les relations diplomatiques entre les deux pays. Il va sans dire que l’Azerbaïdjan est fermement opposé à ce rapprochement qu’elle considère comme une trahison de la part de la Turquie, sans pour autant envisager de renoncer aux liens privilégiés qui les unissent. Finalement, le principal perdant de cette affaire semble être la Géorgie, qui se retrouve on ne peut plus isolée dans le jeu diplomatique
résurgence de l’islam politique dans la société l’Est, plus réceptifs à son influence que l’Europe.
qui oppose la Turquie à la Russie - Ankara est ainsi restée très discrète quant à l’indépendance des provinces séparatistes géorgiennes. Un durcissement de la politique d’Ankara envers Israël. L’autre aspect du changement de positionnement est à voir sur le flanc sud de la Turquie. L’offensive Plomb Durci de décembre - janvier 2009 menée par Tsahal dans la bande de Gaza a été vivement condamnée et par la rue turque et par le gouvernement, ce qui est une première. Les mots se sont d’ailleurs rapidement traduits en actions : la réaction turque ne s’est pas fait attendre : annulation de l’exercice militaire turco-israélien "Aigle Anatolien" et annonce dans la foulée d’un exercice militaire conjoint avec la Syrie, qui est toujours en contentieux avec Israël concernant le plateau du Golan. Le coup d’éclat du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan lors du sommet de Davos le 29 janvier, s’emportant contre Shimon Peres et l’offensive de Gaza avant de quitter la salle, est à ce titre révélateur. Parallèlement, le premier ministre Erdogan s’est rendu fin octobre à Téhéran pour réaffirmer les liens étroits qui unissent la Turquie et l’Iran , nonobstant l’actuel bras de fer entre les EtatsUnis - et Israël - et l’Iran sur la question du nucléaire. Rappelons que jusqu’à présent, la Turquie est le seul Etat musulman de la région à être un allié d’importance et de longue date d’Israël. Ce double affront pour Israël devrait réduire la marge de manœuvre de l’Etat Hébreu et l’inciter ainsi à faire des compromis envers les Palestiniens et ses voisins. Ce n’est pas une remise en cause du lien spécifique unissant les deux Etats, mais ça n’en est pas loin. Soucieuse de se positionner en tant que médiatrice dans le conflit israélo-palestinien, mais aussi entre Damas et Tel-Aviv, il semblerait que la Turquie soit passée à une vitesse supérieure afin de s’imposer comme puissance régionale incontournable face à Israël, à l’instar des Etats-Unis. À terme, la Turquie envisage toujours une accession à l’UE. Mais face à ce qu’elle perçoit comme une cause perdue, elle conforte son ancrage au carrefour entre le Moyen-Orient, le Caucase et l’Europe, en tentant de devenir un acteur incontournable des enjeux diplomatiques régionaux. D’aucuns voient en cela une résurgence du passé impérialiste ottoman, un retour de la Turquie dans son "pré-carré", que l’on peut percevoir quand le Ministre des Affaires Etrangères turc Ahmet Davutoglu parle du Moyen Orient comme faisant partie de "la profondeur stratégique de la Turquie". Reste à voir si une telle politique peut permettre à la Turquie de résoudre un autre problème régional, celui des Kurdes, étalés sur quatre territoires : la Turquie, la Syrie, l’Iraq et l’Iran... Par la plume de Mathieu Lepaon.
Mathieu est actuellement étudiant en 4e année section Relations Internationales. Notes. 1. L’Azerbaïdjan partage avec la Turquie une communauté de langue, de religion et de culture. 2. "Cinq jours qui ont fait trembler le Caucase", Victor Cheterian, Le Monde Diplomatique, avril 2009. 3. "Is Turkey Leaving the West ?", Soner Cagaptay, Foreign Affairs, 26.10.2009. 4. "Le coup de calcaire" de Recep Tayyip Erdogan à Davos, Le Monde 30.01.2009. 5. "A Téhéran, Recep Tayyip Erdogan célèbre l’amitié irano-turque", Le Monde 27.10.2009. 6. "Looking East and South", The Economist, 29.10.2009. 7. Ibid.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
VOIR LA SYRIE ET REVENIR.
CARNET DE VOYAGE. Partir
au
Actualité,
Moyen Orient,
est lourd de sens pour un étudiant en sciences politiques.
cours magistraux, lectures...
Le
savoir sur la région est là, pas toujours solide, mais suffisant
pour permettre à l’étudiant de se représenter des situations, de réfléchir sur ce qu’il va voir. Il construit ainsi des représentations et se projette sur ce qui l’attend là bas. fragiles constructions. voici notre carnet de
Depuis voyage.
les préjugés construits en
France
Notre expérience à Damas a bouleversé ces jusqu’à l’expérience intime vécue sur place,
Gilles est actuellement étudiant en 4e année section Carrières Publiques. Il a passé 9 mois à Damas, en tant qu’assistant de recherche à l’Institut français du Proche Orient (IFPO). Charles est actuellement étudiant en 4e année section Carrières Publiques. Il a passé 14 mois à Damas, en tant que stagiaire à l’Ambassade de France puis consultant à la Délégation de la Commission européenne en Syrie. --------------Notes. 1. Mahmoud Issa et Michel Kilo, intellectuels signataires de la "Déclaration de Damas", texte appelant à la normalisation des relations entre la Syrie et le Liban, étaient encore tous deux en prison au début de notre séjour. 2. Conviction notamment illustrée par la célèbre phrase de H. Kissinger "Au Moyen Orient, pas de guerre sans l’Egypte, pas de Paix sans la Syrie". 3. Parmi les pays arabes issus de la décolonisation et auxquels les empires européens ont imposé le cadre national (frontières, système étatique, administration...), la Syrie semble l’un des seuls pays à avoir développé les moyens d’une politique étrangère aussi pragmatique et fine que celle de leurs anciens occupants.
Premières émotions. Malgré nos connaissances sur la région, notre compréhension de la Syrie est finalement assez mince. Notre vision du pays est en fait largement construite par le traitement médiatique dont il fait l’objet. Or l’actualité ne retient de la Syrie qu’une action régionale a priori malveillante à travers son implication dans les conflits du Proche-Orient, notamment au Liban et en Palestine. Présenté comme l’archétype de la dictature arabe, le régime apparaît autoritaire, corrompu et bafouant sans cesse les droits de l’homme. C’est donc fortement influencé par ces représentations que l’on prépare un long séjour en Syrie. Le billet est pris pour la poudrière du Moyen orient, à destination d’un "pays voyou". Ce qui frappe pourtant dès l’arrivée, c’est bien la normalité damascène. Au-delà du simple dépaysement inhérent à ce type de voyage, le quotidien se révèle facile. La barrière culturelle est réelle mais pas pour autant infranchissable. Damas est une ville paisible où il fait bon vivre. Les racines du "Mal" sont difficiles à identifier. Inconsciemment s’était construite dans notre esprit une Syrie imaginaire, associée à un répertoire d’images précis : celui de la dictature, du "mauvais régime".
d’un des nombreux services de renseignement. Le passage à tabac d’un voleur à la tire par toute une rue avant qu’il ne soit remis à la police choque et imprègne nécessairement plus que l’idée que Mahmoud Issa et Michel Kilo1 n’ont pas encore été relâchés. Progressivement s’opère alors une distinction entre la violence que l’on sait et la violence que l’on sent. Avec le recul, l’hôte que l’on est fait la part des choses, tente de remettre en ordre ses sentiments et de hiérarchiser les événements. Mais au quotidien, l’expérience est plus forte que la théorie. Cette situation pousse en définitive à intégrer la violence d’Etat dans un ensemble général de rapports perçus comme violents selon des standards européens. Ce cheminement invite alors à ne plus juger le régime aussi catégoriquement qu’avant. Son existence est replacée dans un contexte plus large. La relation intellectuelle à la Syrie dans son ensemble (régime, société, territoire) est bouleversée car désormais les éléments négatifs de l’activité de l’Etat ne sont plus les seuls à contribuer à notre jugement. À mesure que le séjour se poursuit, nous en venons à reconsidérer la légitimité du régime, alors même qu’on la niait en bloc avant notre départ.
“UN TEMPS D’ADAPTATION EST NÉCESSAIRE POUR SURMONTER CETTE NAÏVETÉ DU NOUVEL ARRIVANT ET COMMENCER À INTÉGRER LES CODES DE CETTE SOCIÉTÉ.”
Remise à plat des "présupposés". Partant de là, s’effectue une remise à plat progressive de tous nos préjugés sur le régime. Le rôle supposé malveillant2 de la Syrie à l’échelle régionale peut être considéré différemment, dès lors que l’on admet que la politique menée est celle d’un régime légitime. D’un point de vue syrien en effet, les caractéristiques historiques et géographiques du pays donnent du sens aux prétentions syriennes à exister sur la scène régionale. Que cela soit source de tensions avec ses voisins ou avec les puissances occidentales est une chose, cela n’enlève toutefois rien au droit de la Syrie de jouer son rôle de puissance régionale. En étudiant la situation, poussé par des nécessités professionnelles ou par la simple curiosité, on tend à mieux comprendre3 l’attitude syrienne. Il s’agit alors de prendre du recul vis-à-vis de ce réflexe européen, qui consiste à prêter systématiquement de mauvaises intentions à des pays comme la Syrie, dont la politique étrangère pragmatique est qualifiée de "cynique". Ceci alors que, sous couvert d’objectifs de développement et de coopération, ou encore de "processus de paix", les Occidentaux cherchent tout autant à placer leurs pions. Le même constat est valable sur le plan intérieur. Nous finissons par comprendre le système comme un tout, avec sa brutalité et ses inégalités, mais aussi ses canaux de répartition de la richesse que les occidentaux ont bien du mal à décrire, ses rapports sociaux parfois quasi féodaux qui comprennent pourtant peut être autant que les nôtres leur part de redistribution et de justice. Dans ce système, ce qui était identifié comme une répression gratuite ou encore un simple maintien au pouvoir par la force du régime est noyé dans un jeu de réseaux transversaux qu’on peine à comprendre. Derrière les "vitrines" (les mots "Etat", "secteur privé", etc.) se cachent une infinité de relations d’interdépendances religieuses, financières, communautaires, géographiques, ou politiques différentes de ce que nous connaissons et qui nous échappent. Il ne s’agit pas de cautionner les exactions commises, seulement d’éviter tout jugement de valeur. Loin de clarifier notre esprit, notre expérience syrienne n’a fait que brouiller les cartes.
Bien sûr, les conditions de vie qui s’offrent à l’étudiant étranger sont protectrices et invitent à ne voir que la partie émergée de l’Iceberg. Les institutions françaises qui accueillent les stagiaires sont situées dans des quartiers riches de la capitale, offrant un cadre quotidien sécurisant. Il vit et travaille dans une atmosphère aisée et rassurante. D’autre part, Damas est largement privilégiée par rapport à d’autres zones du pays, ce que l’on ne saisit pas d’emblée au début du séjour. Un temps d’adaptation est nécessaire pour surmonter cette naïveté du nouvel arrivant et commencer à intégrer les codes de cette société. La violence que l’on sait, la violence que l’on sent. Passée l’émotion des premières semaines, notre observation de cette société se fait plus attentive et pointue. Les informations récoltées au gré des premières missions et des échanges avec les collègues de travail forment une ébauche de compréhension. Elles confirment ce que l’on savait déjà sur le régime : des libertés publiques limitées, une surveillance et un contrôle importants de la population, etc. Mais au-delà de cette connaissance académique du pays, ce sont les expériences du quotidien qui vont véritablement constituer notre cadre d’analyse. Au fur et à mesure de notre séjour, les expériences se font plus authentiques, de véritables rencontres avec des Syriens deviennent possibles. Les occasions de sortir de Damas permettent également de mesurer la spécificité de la capitale, et font apparaître tous les contrastes en termes de richesses, d’éducation et d’ouverture à l’étranger qui peuvent traverser le pays. Nous commençons à développer une perception plus globale de la société syrienne. Mais des biais déforment encore notre perception. La société syrienne à laquelle accède l’étudiant - riches familles relativement occidentalisées ou classes moyennes damascènes - transmet une image particulière du régime. Ces couches de la population n’échappent pas nécessairement à l’autoritarisme du régime, mais elles parviennent cependant à en tirer profit, essentiellement grâce à la sécurité qu’il offre. Dans les contacts avec cette Syrie, la violence d’Etat n’apparaît jamais directement. Les gens qui viennent à en parler, s’ils peuvent parfois s’en plaindre, ne remettent pas en cause son principe. Quelque que soit le recul que l’on prend vis à vis de ces témoignages, ils nous marquent car ils sont syriens. Quand bien même on tente de s’extraire de cette bulle dans laquelle on a conscience de vivre, les voyages sont toujours trop courts, l’immersion jamais suffisante, pour pouvoir observer concrètement les signes de la dureté du régime. Bien sûr, la présence policière et militaire est omniprésente, mais la désuétude des uniformes et les poses nonchalantes des soldats en faction ôtent tout caractère menaçant à cette présence de l’Etat. D’autant plus que - et c’est peut être ce qui moralement dérange le plus - l’Occidental en voyage sait qu’il bénéficie directement de cette présence sécuritaire. Plus que les violences d’Etat, dont il n’a finalement qu’une connaissance académique, ce sont les décalages culturels qui interpellent le plus l’étudiant en voyage. La vue de quelques groupes de femmes couvertes de noir de la tête aux pieds ou la frustration sexuelle des adolescents qui s’expriment à chaque passage d’une femme occidentale interpellent beaucoup plus directement et personnellement que la conscience des séquestrations qui se déroulent peut-être au même moment dans un bâtiment voisin Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
“LOIN DE CLARIFIER NOTRE ESPRIT, NOTRE EXPÉRIENCE SYRIENNE N’A FAIT QUE BROUILLER LES CARTES.” À ce stade, notre connaissance des aspects négatifs du régime est plus exhaustive. De même, nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes qui traversent la société et le régime syrien. Mais cette lucidité sur la nature du régime s’accompagne d’une réserve importante, d’une lecture plus prudente. Le constat de la très grande complexité du pays, révélée par la confrontation du savoir théorique et de l’expérience de terrain, nous invite à la plus grande humilité, car il nous apparaît soudain que nos clés de lecture occidentales n’ouvrent pas toutes ces portes, au contraire. La Syrie apparait comme un objet d’étude fascinant, duquel nous gardons de nombreux souvenirs marqués du sceau de la découverte. Si nous avons considérablement enrichi notre connaissance du pays, ce n’est cependant pas là que réside l’essentiel de l’apprentissage. Sans sombrer dans le relativisme pur, nous avons surtout su développer une sensibilité particulière, une approche différenciée vis-à-vis de notre pays d’accueil. Nous en retiendrons que nos différents outils d’études sont à manipuler avec précaution car, en l’état, ils ne sont pas suffisants pour apporter des réponses à toutes nos questions. Par les plumes de Gilles Huchette & Charles Thépaut. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
CARNET DE VOYAGE.
IRAN PENINSULE ARABIQUE : Les
tenants d’un antagonisme mésestimé.
Jérémie Fontanieu a passé son année de mobilité au Moyen-Orient. Stagiaire à la chancellerie diplomatique de l’Ambassade de France en Oman, il a effectué en solitaire de nombreux voyages dans une région dont il s’est attaché à saisir la richesse culturelle par l’échange avec les populations, l’étude de la religion islamique et l’apprentissage des langues arabe, persane, hébraïque et turque. Khamenei. Bushehr (Iran). Jérémie Fontanieu.
On saisit mal le gouffre qui sépare les pays du Golfe de l’Iran, dans une confusion qui doit beaucoup au traitement médiatique de l’évolution de la région depuis les attentats du 11 septembre 2001. Après tout, la République Islamique ne faisait pas moins partie de l’Axe du Mal que l’Irak ; de même que l’Arabie Saoudite et l’ancienne Perse partagent une même religion, l’Islam. Mais voilà : il ne semble y avoir de commun entre les Arabes de la péninsule et les Iraniens qu’une large partie de l’alphabet et les cultures, des deux côtés du Golfe, sont immensément différentes. L’inquiétude face à l’expansionnisme perse. Le passé glorieux de l’Empire perse, le plus grand qui ait jamais été constitué, explique en bonne partie le recours à une rhétorique offensive, parfois agressive des autorités iraniennes depuis l’élection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005). La dissimulation de son programme nucléaire comme le comportement vis-à-vis d’Israël provocations sur l’Holocauste et l’existence même de l’Etat juif - donnent la mesure de l’ambition régionale d’une puissance dont l’influence, depuis la chute de l’Irak baasiste, peine à être endiguée. Ce nouveau ton à Téhéran, farouchement anti-occidental, ne manque pas d’inquiéter les Etats arabes de la péninsule qui, depuis la seconde guerre mondiale, ont vu leur développement économique et stratégique garanti par les EtatsUnis, seule puissance étrangère capable d’intervenir militairement dans la région depuis la chute de l’URSS. Le recours à l’idéologie musulmane, dans les discours prononcés par le Guide Ali Khamenei ou le Président Mahmoud Ahmadinejad, ne gêne qu’à peine Arabie Saoudite, Qatar ou Emirats Arabes Unis dont le sunnisme diffère radicalement de l’Islam iranien, chiite ; c’est plutôt l’expansionnisme perse, derrière, qui les terrorise. Des craintes fondées. De fait, les contentieux sont nombreux entre l’Iran et les pays de la péninsule arabique : au-delà du nom du Golfe - arabe, persique, arabo-persique ? - la République Islamique ne cache pas les vues qu’elle maintient sur l’île de Bahreïn, à forte population chiite et place financière majeure dans la région. Anciennement partie de l’Empire perse Achéménide - VI e - IVe siècle av. JC - Bahreïn continue d’être l’objet de déclarations iraniennes remettant en cause l’indépendance du Royaume, acquise en 1971 : en février dernier, Téhéran a dû présenter des excuses officielles après qu’un parlementaire iranien ait assimilé l’île à une "province" du pays… Les Emirats Arabes Unis, quant à eux, n’en sortent plus des négociations avec la République Islamique au sujet des Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
îlots Abu Musa et Tunb, situés dans le détroit d’Ormuz où transitent par tankers plus des deux tiers du pétrole mondial. En maintenant l’administration de ces petits territoires, l’Iran ne fait finalement pas grand-chose d’autre que la Chine au Tibet ou la Russie en Géorgie : une démonstration de force pour maintenir son influence régionale. Un antagonisme culturel profond. À l’échelle des sociétés, loin des hautes sphères politico-stratégiques, il est intéressant d’observer le rapport que les peuples arabes de la péninsule entretiennent avec le voisin perse. On ne réalise pas vraiment l’immensité du clivage entre sunnites et chiites, expliquant qu’en terres saintes - d’abord Arabie Saoudite, Yémen - la simple évocation de la République Islamique suscite un regard noir ou quelques commentaires acerbes. La où l’écrasante majorité des croyants sont sunnites, le traitement réservé aux partisans d’Ali - interventions militaires au nord du Yémen, tensions communautaires dans l’est du Royaume saoudien - illustre la méfiance qu’ils inspirent aux tenants de la tradition (sunna). Les Iraniens ne sont pas non plus en reste, et le profond racisme anti-arabe en terres persanes, héritage de la conquête du pays par les troupes musulmanes au VIIème siècle, ne manque pas d’impressionner dans ses expressions quasi-quotidiennes. Que dire, dès lors, de cette vieille rengaine selon laquelle la rue arabe (sic) fait un triomphe aux discours anti-israëliens du Président iranien, ou de l’écorchage permanent du nom de ce dernier, journalistes comme universitaires faisant d’Ahmadinejad (amadinejad) un patronyme arabe (armadinejad) ? À travers la lutte sourde qui s’exerce de part et d’autre du Golfe, c’est bien la complexité d’une région qui se donne à voir, loin des discours efficaces et autres formules tranchantes qui essaiment depuis le 11 septembre 2001. Par la plume de Jérémie Fontanieu.
Jérémie est actuellement étudiant en 4e année section Politique, Economie et Société. --------------Notes. Épuisé par la lutte qui l’oppose aux Empires romain puis byzantin depuis le iii e siècle, l’Empire perse des Sassanides est très rapidement conquis par les troupes arabes que la révélation coranique (610-632) et les premiers succès militaires (Palestine, Egypte, Syrie) encouragent. De cette soumission à l’envahisseur, jamais véritablement digérée, donc, la religion musulmane et l’alphabet arabe en Iran sont les principaux legs.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
5
1
CONSTRUIS LE BRICOLAGE DE LEONARD.
TON MISSILE EXOCET MM40
1
2
3
2
3
4
4
5
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
PRÉCISION SUR. Les élections présidentielles ukrainiennes. I. S. : Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse uniquement d’une stratégie électorale dans la mesure où, comme je l’ai déjà dit, les questions de politique extérieure sont passées au second plan dans cette campagne présidentielle, même si elles ont été en quelque sorte redécouvertes et exploitées entre les deux tours par I. Timochenko, de sorte à remobiliser l’électorat anti-Ianoukovitch des régions de l’Ouest et du Centre de l’Ukraine. Le programme du Parti des régions accorde une grande attention aux questions de coopération avec l’UE et donne la priorité à la signature d’un accord d’association entre l’Ukraine et l’UE, en vue de l’instauration d’une zone de libre-échange garantissant la libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services. Il fixe également l’objectif de libéralisation du régime de visas pour les citoyens ukrainiens se rendant sur le territoire de l’UE. Si la victoire du camp Ianoukovitch est confirmée, il s’agira pour ses représentants de trouver une manière de développer une coopérations entre la Russie et l’UE.
ENTRETIEN AVEC IOULIA SHUKAN. Au
Ukraine, l’Oie a rencontré Ioulia Shukan, Etats postsoviétiques. Elle revient pour nous
lendemain du deuxième tour des élections présidentielles en
docteur en science politique à l’IEP de
Paris
et spécialiste des
sur les enjeux du scrutin ukrainien.
Le Jeu de l’Oie : Le week-end dernier a eu lieu le second tour des élections ukrainiennes, dont V. Ianoukovitch est a priori sorti vainqueur. Les défaites consécutives de V. Ioutchenko au premier tour, puis de I. Timochenko dimanche, signifient t-elles l’échec de la "révolution orange" ? Ioulia Shukan : D’après les résultats partiels, Viktor Ianoukovitch est effectivement arrivé en première position avec près de 48% des suffrages, Ioulia Timochenko, le Premier ministre en exercice, n’ayant recueilli que près de 45% des voix. Quant à Viktor Iouchtchenko, il a été éliminé de la course électorale au terme du premier tour du scrutin, étant arrivé en cinquième position avec seulement 5,5% des suffrages. Si ce scrutin présidentiel a mis en lumière la dissolution définitive de l’ancienne équipe orange - Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko ayant tous deux avancé leurs candidatures à l’élection et s’étant mutuellement rejeté tout au long de la campagne la responsabilité des échecs politiques et économiques de ces dernières années - il ne marque aucunement l’échec de la Révolution orange. Au contraire, il consacre - si les résultats définitifs le confirment l’alternance politique au profit de l’opposition emmenée par le Parti des régions de Viktor Ianoukovitch. D’ailleurs, cette alternance intervient, à la différence de ce qui s’est passé en 2004, au terme d’un scrutin libre, équitable et compétitif, dont la conformité aux standards électoraux démocratiques vient d’être reconnue par l’OSCE. De ce point de vue, il est question non pas de l’échec, mais de la victoire de la Révolution orange. Des avancées majeures ont également été remarquées par les observateurs internationaux en matière de liberté de la presse, l’ensemble des candidats ayant eu la possibilité de présenter leur point de vue, ce qui est une autre victoire de la Révolution orange. J’espère que ces progrès en matière de démocratie ne seront pas remis en cause par la nouvelle équipe dirigeante. Pourtant, les échecs de la Révolution orange sont également nombreux : réforme constitutionnelle inachevée et source de conflits de pouvoir, corruption de la justice, imbrication forte entre la vie politique et l’économie. Ces échecs ont d’ailleurs nourri des déceptions au sein de la population. À cet égard, l’importance du vote "contre tous" au second tour des présidentielles, est un élément révélateur du rejet de l’offre politique par les électeurs ukrainiens.
la majorité des candidats ayant axé leurs discours de campagne sur les problèmes intérieurs : crise économique et sociale et promesse de redressement ; dénonciation de la corruption dans les appareils d’Etat et la justice et promesse de son éradication ; dénonciation des échecs de leurs adversaires et promesse d’un gouvernement efficace et responsable en cas de victoire. Seul le président sortant V. Iouchtchenko a cherché à exploiter la politique extérieure, en se présentant comme le seul partisan fervent et conséquent de l’intégration européenne et de la coopération nord-atlantique. Lors de ses interventions, il est allé jusqu’à renvoyer dos à dos V. Ianoukovitch et I. Timochenko en affirmant qu’il s’agissait de "deux bottes de la même pair". Bien que les médias européens aient eu tendance à opposer V. Ianoukovitch et I. Timochenko en présentant le premier comme un candidat pro-russe et la seconde comme une candidate proeuropéenne, il me semble important de nuancer ce propos. Malgré leurs différences, les deux défendent des positions similaires sur un certain nombre de points. D’abord, tant I. Timochenko que V. Ianoukovitch s’opposent à l’intégration de l’Ukraine au sein de l’OTAN, invoquant l’argument de l’hostilité de la population ukrainienne à cette intégration et défendant la nécessité de soumettre cette question à une votation populaire. Par ailleurs, les deux candidats sont partisans d’une approche plus pragmatique vis-à-vis de la Russie, défendant la nécessité de renforcer les coopérations dans le domaine économique, et notamment énergétique, ou encore culturel (pour V. Ianoukovitch). Pendant la campagne électorale V. Ianoukovitch n’a pas hésité à déclarer son intention de renégocier les accords de livraison de gaz signés par le Premier ministre Timochenko en janvier 2009, largement défavorables à l’Ukraine (et particulièrement avantageux pour Gazprom). V. Ianoukovitch a par ailleurs laissé entendre que l’Ukraine pourrait, sous sa présidence, reconduire le traité russo-ukrainien autorisant le stationnement des forces navales russes en Crimée qui expirera en 2017. Si la victoire de V. Ianoukovitch est confirmée, il faudra donc clairement s’attendre à une amélioration des relations avec la Russie, mettant fin aux tensions apparues sous la présidence de V. Iouchtchenko. Enfin, les deux candidats se sont déclarés favorables à une adhésion à terme de l’Ukraine à l’UE, bien qu’une telle adhésion reste pour l’instant très hypothétique à l’étape actuelle des relations Ukraine-UE.
JDO : L’approche des médias européens consistant à placer les élections ukrainiennes sous le signe du clivage russo-européen est-elle pertinente ? I. S. : Il me semble important de souligner que la politique extérieure est restée au second plan de cette campagne électorale,
JDO : Comment concilier un rapprochement avec la Russie et une coopération renforcée avec l’Union Européenne ? S’agit-il uniquement d’une stratégie électorale, étant donné le peu de crédit électoral d’une posture antieuropéenne en Ukraine ?
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
JDO : Selon la dernière réforme constitutionnelle, le Premier Ministre n’est plus contraint à démissionner en cas d’élection d’un candidat de l’opposition. En cas de victoire, V. Ianoukovitch peut-il espérer gagner le Parlement ? quel est l'avenir de la constitution ukrainienne ? I. S. : Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour faire des pronostics en la matière. La Constitution n’oblige effectivement pas Ioulia Timochenko à démissionner de ses fonctions tant que cette dernière bénéficiera du soutien de l’actuelle coalition parlementaire. En conséquence, le Parti des régions cherchera, à coup sûr, à mettre en place une nouvelle coalition parlementaire de sorte à pouvoir désigner son propre candidat au poste de Premier ministre. Pour ce faire, il sera obligé de rechercher des soutiens auprès des représentants de groupes parlementaires formant l’actuelle coalition réunie autour de I. Timochenko, et devra donc s’engager dans des négociations, voire même des échanges de service. Pour ce qui est de la Constitution ukrainienne, tous les acteurs pointent ses imperfections Pourtant, aucun consensus n’a à ce jour émergé parmi les élites au sujet
Hors-forfait. Antoine Lury. 2010.
du modèle constitutionnel à privilégier. Toutefois, on ne peut exclure que la nouvelle équipe dirigeante cherche à conforter ses positions en initiant une nouvelle réforme constitutionnelle. JDO : Après les résultats du second tour donnant son rival gagnant, I. Timochenko a déclaré qu’elle "n’acceptera jamais l’élection de Ianoukovitch". Cette posture de défiance systématique vis-à-vis du processus électoral ne risque-t-elle pas, à terme, de porter un coup à la crédibilité des institutions ukrainiennes ? I. S. : Si l’équipe de I. Timochenko a déclaré son intention de contester les résultats des élections, dénonçant des fraudes électorales, ses chances d’obtenir gain de cause semblent aujourd’hui minimes. Cette entreprise de contestation des résultats est d’autant plus difficile que les observateurs internationaux ont été unanimes quant à la transparence de ce scrutin et des conditions dans lesquelles il s’est déroulé. Elle semble relever plutôt d’une stratégie politique dont l’objectif est de permettre à I. Timochenko de ne pas perdre la "face" auprès de ses électeurs tout en retardant l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe. Une stratégie qui pourrait entamer la crédibilité de l’Ukraine sur la scène internationale. JDO : Six ans après la Révolution orange, c’est une situation post-électorale similaire qui se reproduit (accusation de fraudes, contestation des résultats). Timochenko a-telle cette fois encore une chance de rassembler un "troisième tour dans la rue" comme en 2004? I. S. : Je ne le pense pas. Le dernier meeting électoral de Timochenko, tenu deux jours avant le second tour du scrutin en plein centre de Kiev, n’a rassemblé que quelques milliers de personnes. Nous sommes donc loin des mobilisations de grande ampleur qui avaient porté V. Iouchtchenko à la présidence à l’automne 2004. Tout laisse à penser que Ioulia Timochenko privilégiera la voie judiciaire à celle de la contestation populaire. Entretien réalisé par Léonard Rolland.
PORTRAIT.
L’ARMÉNIE : PRAGMATISME D’ABORD ! L’Arménie
HISTOIRE
Il s’agit
et la
Georgie
se rapprochent par bien des aspects.
de deux pays voisins du
Sud-Caucase,
deux pays chrétiens
au contact du monde musulman, deux pays qui ont connu la domination russe puis la chape de plomb soviétique.
À
la veille de leur indépendance au début des années
1990,
ils ont vécu la même effervescence nationaliste.
Tout
cela aurait dû engendrer la même volonté d’émancipation à l’égard de la
la même aspiration à l’entrée dans l’Union
Européenne Et pourtant...
Russie,
et à l’adhésion à l’OTAN.
Contrairement à la Géorgie, l’Arménie signe dès le 29 décembre 1991, soit quelques jours à peine après la disparition de l’URSS, un traité d’amitié, d’assistance et de coopération avec la Russie. Elle accepte également le maintien des anciennes bases militaires soviétiques, devenues russes, toujours bien présentes en ce début de XXIe siècle sur le sol arménien. Comment expliquer ce net décalage entre une Géorgie foncièrement pro-occidentale et une Arménie attachée à l’alliance avec la Russie ? La raison de cette différence tient en un mot : "turc". Le terme "turc" doit ici être interprété au sens large, pas seulement à celui de citoyen de la Turquie, mais aussi au sens de turcophone, d’apparenté aux populations d’origine turque, ce qui permet d’y intégrer aussi les Azéris. Lors de son accession à l’indépendance en 1991, la République d’Arménie doit faire face à deux adversaires : la Turquie et l’Azerbaïdjan. Cette situation fait resurgir un passé très douloureux, dont le paroxysme fut atteint pendant la première guerre mondiale. Au début de l’année 1915, Istanbul décrète la déportation de centaines de milliers d’Arméniens, accusés d’être des traîtres prorusses. Un million à un million et demi de personnes vont périr durant ces opérations. Le nationalisme arménien exploite à la fois la défaite ottomane et la révolution russe d’octobre 1917 pour créer une Arménie indépendante le 27 mai 1918. Mais cette Arménie se retrouve aussitôt en butte à la contestation territoriale azérie, et bientôt aux troupes kémalistes. C’est une Arménie battue par les Turcs, coincée "entre le marteau kémaliste et l’enclume bolchevique"1, qui doit le même jour, le 2 décembre 1920, accepter de réduire son territoire à une superficie de 29 000 km2 seulement, et devenir une république soviétique. Mieux vaut être rouge que mort, mieux vaut être Russe que Turc. Staline, soucieux de maintenir de bonnes relations avec la Turquie kémaliste et de rallier les Azéris plus nombreux et plus rétifs à l’entrée dans l’URSS que les Arméniens, accorde à Bakou l’enclave du Nakhitchevan, alors peuplée à 95% d’Arméniens, au détriment d’Erevan. Le silence est imposé pendant des décennies sur ce découpage favorable à la République d’Azerbaïdjan. Mais en 1988, avec la libéralisation gorbatchévienne, un comité Karabagh se constitue, et la république autonome du Haut-Karabagh réclame son rattachement à l’Arménie. La réaction côté azéri est immédiate : des pogroms anti-arméniens sont organisés, 26 arméniens sont tués à Soumgaït, près de Bakou, en février 1988. Une guerre qui ne dit pas son nom s’engage entre Bakou et Erevan. À la proclamation de son indépendance, l’Azerbaïdjan se rapproche aussitôt d’Ankara et noue des liens très étroits avec la Turquie. Ankara apporte d’emblée son aide à Bakou et décrète le blocus économique de l’Arménie. L’Arménie est un petit pays, pauvre, enclavé, sans accès à la mer. L’embargo turco-azerbaïdjanais porte un vrai préjudice à l’économie du pays. Cette situation explique l’autre spécificité de la politique extérieure arménienne, à savoir l’entretien de bonnes relations avec la République islamique d’Iran. L’Arménie a absolument besoin des exportations iraniennes pour pouvoir résister à la pression turque. Il a été tenté de mettre fin à la question du Haut-Karabagh en envisageant des échanges de territoires. Ces échanges auraient entraîné la disparition du contact direct entre Arménie et Iran. Erevan a rejeté cette solution ; garder une fenêtre ouverte sur l’Iran est perçu comme une condition de survie face au panturquisme qui menace toujours dans la région. Ainsi, alors que la Géorgie regarde vers l’Occident, l’Arménie mise sur la Russie et l’Iran pour préserver ses intérêts. Ce n’est certainement pas le fragile rapprochement entamé en octobre 2009 avec la Turquie qui va remettre en question cette politique.
QuELLE PLACE POUR LA DIPLOMATIE PRIVEE ? du
Créé
en
1999
Entretien avec Andrew Andrea, Henri Dunant Centre for Humanitarian Dialogue.
autour d’une équipe réduite de professionnels majoritairement
issus du milieu humanitaire, le
Centre for Humanitarian Dialogue (HD Centre) 70 salariés. Basé à Genève, le Centre bénéficie de deux principales antennes régionales, à Nairobi et Singapour. Le HD Centre compte près d’une vingtaine de médiations à son actif, de l’Aceh au Kenya, en passant par le Soudan, où les négociations se poursuivent actuellement avec les groupes rebelles du JEM1 et du SLM2 pour le règlement de questions humanitaires, de la condition des enfants soldats à l’acheminement de l’aide humanitaire. emploie aujourd’hui près de
Par la plume de Sylviane Tissot.
Professeur agrégée d’Histoire, responsable de la deuxième année au sein de l’IEP de Lille, Sylviane Tissot enseigne l’Histoire des Relations Internationales aux étudiants de 2e année. ---------------
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Notes. 1. S. Afanasyan, L’Arménie, l’Azerbaïdjian et la Géorgie, de l’indépendance à la soviétisation, L’Harmattan, 1981.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
The 1990’s saw the apparition of a new kind of diplomats, with the involvement of numerous private organizations specialized in the field of mediation and conflict resolution3. How could this new development in the aftermath of the Berlin wall fall be explained ? During the Cold War it was very difficult to get involved in the internal affairs of another state without serious political repercussions. The end of the cold war ushered in a new era of engagement : there was a dramatic proliferation of conflict mediation efforts by the United Nations (UN) and other actors. It became viable for non-governmental organisations to engage in this hitherto politically-sensitive work. We also saw changes in the types of wars which were being waged : there was
ted States, while the government refused to use the UN following their involvement in East Timor. The HD Centre is not compromised by any political interests or bias. Of course, we don’t have the political clout or high-profile of these international actors, but sometimes this is a distinct advantage if the process is politically sensitive or tentative. If international attention is on a public process, because of the involvement of the United Nations as a mediator for example, then it can have serious political repercussions, both internally and internationally, when there are obstacles during the process. Our lowprofile, often confidential, involvement means that, if a process stalls, almost no one knows and the political consequences are significantly diminished. On the other hand, if the process is a success then we don’t steal the limelight : the
cess to the point of agreement and help coordinate monitoring and implementation activities but we don’t typically have the authority to put a peacekeeping force on the ground. However, in Aceh, we were asked to take on a monitoring role. We, a private organisation, coordinated military units from the Philippines, Thailand and Norway. This was the first time this had ever been done. However, this does not form the focus of our activities. To what extent the HD Centre and the UN cooperate ? What about regional organisations such as the AU or ECOWAS ? The UN has never presented a problem or objected to our work, but we are independent from the UN and really don’t rely on them to foster our work. Saying that, the HD Centre at times, works clo-
work we are conducting in Darfur on behalf of the UN specialized agencies. We also support the mediation processes of others, whether by conducting capacity-building programmes, as I mentioned before, or directly providing technical advice and logistical support. During the Kenyan election crisis in January 2008, we were approached by Kofi Annan, the former UN Secretary-General to provide this type of support : our responsibilities ranged from providing draft agreements to advice, through our network of senior advisors. Our primary contribution to the process was our experience and expertise in mediation processes. Our flexible and responsive approach makes us an attractive partner for diplomats and others. There are limitations to our action. We don’t have the leverage to force bellige-
successful mediation process. It is also vitally important that both parties trust the mediator. They need to trust you not to bug their hotel room or give away their location. Both the parties need to believe in your impartiality. Respect is also important : it is much more important to be respected and trusted than to be liked.
a relative decline in inter-state conflicts. However, I would like to correct the misunderstanding that intra-state conflicts were a new development. Intra-state conflicts have been waged since the concept of the nation-state first emerged. Indeed, if you look where the HD Centre has been involved, in the Philippines, where conflict has continued in Mindanao for over 25 years, or in Aceh, where the Helsinki Agreement ended a conflict which had been raging since 1976, you will see that the so-called new wars are not really "new" at all.What changed was, one, that the end of the Cold War created the possibility for dialogue, and, two, that governments realised that they could not win these conflicts through military means alone. The military might be able to contain unrest but long-term sustainable peace demands a negotiated settlement which addresses the underlying causes of a conflict.
emphasis remains on the achievements of the two parties. States and the UN, also find it very difficult to deal with non-state actors. This problem is multiplied, if the group is designated as a terrorist organisation. We are very good at dealing with these movements, we have developed relationships of trust with them and, of course, our involvement does not risk lending legitimacy to non-state actors. The UN sometimes comes to us, if it needs to talk to a non-state armed group, in Darfur, for example. We can not only provide access, but manage these discrete processes. We are also largely insulated from the vagaries of domestic politics. Whereas a politician might be able to fly in for a two or three day peace conference, we are able to maintain involvement for several years. We get to know various actors and the intricacies of the situation. It is not headlines we are looking for but an opportunity to get into the heart of a conflict and enact an intrinsic change.
sely with the UN specialized agencies. In Darfur, for example, the HD Centre, in collaboration with the OCHA4, brings the Justice and Equality Movement (JEM) leaders together with representatives of the UN specialized agencies, UNHCR, UNICEF, for example. We also participate with the Peace Mediators Support Network, where institutions involved in peacemaking, including the UN Mediation Unit, collaborate and share ideas. This helps us to avoid duplication and prevents parties from playing us off against one another. We have a dedicated mediation support team which works closely with regional organisations such as the AU and ECOWAS. They have an understanding of complex regional dynamics and politics but often lack the institutional capacity to make the most of their experience. The HD Centre helps them to bridge this gap by offering training on conflict analysis and peacemaking, for example.
rents to negotiate. We can’t impose sanctions or threaten to cut aid, for example. Due to these constraints, it is unlikely that we will become involved in areas considered to be of high strategic importance to the international community.
funding is unearmarked, this is very important because it provides seed funding, so we can explore a potential process and see if it takes root. We are totally independent from our donors. We decide where to get involved based on need, potential and will on the part of belligerent parties ; not on the political considerations of our donors. We would refuse to accept funds which might jeopardise our impartiality : from the US for a project in Afghanistan for example. Losing our impartiality and the trust of the belligerents would almost totally negate our value-added. We would be happy to accept unearmarked funding from the US or funding for other projects though!
What are the limits of diplomacy by third-states or the UN and what are the advantages of the HD Centre’s approach ? Third-party states and international or regional organisations, the UN or ECOWAS for example, can often play a vital role in peace processes. The UN represents the will of the international community and, when it decides to put its weight behind a process, it can really move things forward. Regional organisations have a unique understanding of regional dynamics. The problem is that these actors are often tainted by perceptions of political self-interest or bias. In Aceh, for example, the GAM doubted the impartiality of the UniLe Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Is there a risk of competition between private organizations such as the HD Centre and governments or international organizations ? I think that the HD Centre and governments or international organisations play quite distinct roles. You must remember that we are funded by governments. They wouldn’t continue to fund us if they felt we were duplicating their work. It is important to maintain the distinction between peacemaking and peacebuilding or peacekeeping. Our activities fall into the first category. We can take a peace pro-
To what extent do this kind of synergies between private and official diplomats work out ? What are the limits of your action ? The HD Centre often makes use of diplomats as advisers or to help move a process along. For example, we took Jonathan Powell and Gerry Kelly, the key negotiators in the northern Ireland peace process, to meet with Government officials and the Moro Islamic Liberation Front leaders in the Philippines. Conversely, diplomats will ask us to go places they cannot and speak to people whom it might be difficult for them to speak with. For example, some of the
When does the HD Centre take the decision of engaging a mediation process ? In some cases we are invited in by the Government or directly by the President. This happened in the Central African Republic and in Timor-Leste. In other cases, we will make a proposal to the relevant parties, if we feel we can make a significant contribution. We can only work with the cooperation of the belligerents, we are in no place to force ourselves into a conflict. In all cases, we will conduct a thorough assessment process before deciding to get involved. During this assessment process, we will be talking directly with the various leaders and commanders. We already begin to develop bonds of trust, contacts and networks in the country. By the time we decide to get involved we are often experts on the conflict. What are the fundamental elements of a successful mediation ? A mediator is less than a third of a peacemaking process : the process really belongs to the parties, not us. Consequently, it is the willingness of the parties which is the fundamental element of a successful mediation. The role of the mediator is not always glamorous ; it is about organising hotels and press conferences : logistics. Managing logistics well is important in a
How do you get your funds and to what extent are you independent from your investors ? We are funded by a number of donor governments and private foundations. Norway, Sweden, the United Kingdom and Switzerland are some of our main donors. We have also received funding from the MacArthur Foundation, for example. A lot of the funding is project-specific : we put out a proposal and the donor chooses to fund it or not. Some of the
were not, tentatively at least, committed to the dialogue process. The other thing to take into account is that a state will not cease its security measures simply because it is engaging in talks with an armed group. If the security services have the opportunity to intercept a shipment of arms destined for a non-state armed group, they will not fail to take this opportunity because they are engaged in talks. So, negotiations rarely present an opportunity for rearming. The important thing to consider is that, every day the parties are talking and not fighting, lives are being saved. In Aceh, during the first four months of the humanitarian pause, 69 civilians were killed. Compare that to the 400 civilians who were killed during the first four months of that year and you will see why we believe it is better to talk than fight. What are your main priorities currently ? We will continue to be actively engaged in mediation processes but we are also committed to helping improve the profession of mediation : helping to build the capacity of regional organisations and fostering debate among mediation practitioners at our annual Oslo forum and regional retreats. Entretien réalisé par Antoine Lury. 11.02.2010.
As you already mentioned, private diplomacy could provide channels to groups categorised as terrorists, with whom governments are reluctant to deal with. Did the HD Centre start a dialogue with Al-Qaeda or other terrorist organizations ? I’m sorry but I really can’t say. We would, if it was determined to be worthwhile and following an evaluation of the risks involved. The debate on negotiating or not with terrorists is still going on partly because it could give terrorists an opportunity to gain time for reorganizing and refunding. Would the HD Centre be held responsible, as a nonstate organization, in case of failure ? Our role is really facilitating talks between the parties to a conflict : it is their process. The HD Centre would not knowingly engage in a process in which the parties
Darfour (Soudan). Andrew Marshall, directeur adjoint du HD Centre, en pleine négociation avec Minni Arkou Minaoui, leader du Mouvement de Libération du Soudan (MLS). 2004.
Après avoir travaillé en tant que lobbyiste parlementaire dans un cabinet spécialisé londonien, Andrew Andrea a ensuite rejoint l’ONG ActionAid avant d’intégrer en 1995 le BCAH5 des Nations Unies. Andrea Andrew est aujourd’hui directeur de la Communication au HD Centre. Pour aller plus loin, visitez le site du HD Centre http://fr.hdcentre.org/ Ou posez vos questions à l’adresse suivante : pr@hdcentre.org. --------------Notes. 1. Justice and Equality Movement. 2. Sudan Liberation Movement. 3. On pourrait mentionner à ce titre Kreddha, Independent Diplomat, Conflicts Forum, Crisis Management Initiative, etc. NDLR. 4. UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. NDLR. 5. Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires. NDLR.
Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
MANGER RECETTE DE THIERRY DESLUS
Jeu de l'Oie : En tant qu’enfant du Sud-Ouest, quelle relation avez-vous entretenu avec les oies ? Thierry Deslus : Quand j’étais gamin, j’habitais à Saint-Vincent de Tyrosse, dans les Landes. Ma grand-mère avait une maison à la campagne, avec des oies, des poules, des lapins, des cochons… C’est là que je suis né, dans la paille, à même le sol, dans la maison familiale. Les oies, on les engraissait pour les manger, et le reste du temps, elles servaient à garder la maison, avec une efficacité redoutable. On les gavait donc pendant tout l’hiver pour les déguster entre les mois de décembre et de février. C’était la tradition. Pour moi, l’oie est, et restera, un plat de fête, une expérience familiale ; c’est l’odeur des vacances. Pendant une semaine, toute la famille se réunissait dans la ferme des grands-parents pour tuer cochons, oies et canards, en faire des conserves et déguster le tout. On se retrouvait quand il faisait bien froid, entre décembre et février, car c’est à cette époque que les oies, les cochons et les canards sont les meilleurs (traduction : les plus gras), mais aussi parce que cela permet de conserver les abats dehors. On commençait par tuer le cochon, qu’il fallait ensuite dépecer dans la journée. Rien que pour le tuer, il fallait être entre 8 et 10 (ce qui fait de 16 à 20 bras, en temps normal, si l’on sait compter). Ensuite, toute la famille, des plus jeunes aux plus anciens, portait la main à la patte (d’oie) pour dépecer l’animal, faire les jambons, les saucisses et les pâtés, récupérer la précieuse graisse pour les conserves, saler, confire et stériliser. Avec toute la graisse récupérée du cochon, on se lançait ensuite dans les conserves d’oies et de canard. Parce qu’il faut savoir que quand on tue le cochon, on fait les oies et les canards. C’est complémentaire et absolument essentiel puisque le cochon rend trop de graisse, et les palmipèdes pas assez. Et pour faire les confits, les cuisses, les cous farcis, les manchons, les magrets, les gésiers ou les foies, il en faut de la graisse. On met le tout (graisse et oies) dans de grandes bassines en cuivre, on fait cuire, puis on met en conserve. Tout était absolument utilisé, même les carcasses que l’on gardait pour manger en persillades en été. Le peu qui restait (tripes, boyaux…) était donné aux poules. Même les plumes étaient précieusement gardées pour rembourrer couettes et oreillers. JDO : Finalement, avec quoi l’oie se marrie-t-elle le mieux ? T. D. : Pas avec les humains toujours ! (rire). Il n’y a aucun mystère : l’oie se cuisine naturellement, afin de garder toute sa saveur. Par naturellement, j’entends avec des légumes de saison et selon la région. Dans le Sud-Ouest, par exemple, on va la déguster avec des petites pommes salardaises, des asperges des sables, de beaux oignons nouveaux, de la tomate, du piment d’Espelette pour faire circuler le sang, etc. Il faut la cuisiner simplement et avec amour. Généralement, elle se travaille comme un rôti, sauf qu’il faut la faire à la broche, à four très fort au début (15-20 min) pour qu’elle se colore de tous les côtés, puis à 150°c pendant 1h à 1h30. Pendant ce temps, on fait revenir oignons, ail en chemise et pommes de terres sur la plaque, on assaisonne, et c’est prêt.
JDO : Quelle recette pourriez-vous nous conseiller ? T. D. : Une recette à la fois délicieuse et simple à faire serait le Pot-au-feu au foie gras d’oie de Michel Guérard. Comme son nom l’indique, il faut appliquer la formule du pot-au-feu : (1) on fait cuire des légumes de saison (carottes, navets, oignons, poireaux, clous de girofle…) dans du bouillon classique ; (2) on retire les légumes afin de réduire le bouillon à 2/3 ; (3) on y ajoute temps pour temps du Porto blanc et du Madère1 ; (4) on laisse réduire le tout avant d’y plonger le foie d’oie, préalablement éveiné et enroulé dans un torchon afin qu’il ne s’évapore pas ; (5) on laisse cuire à couvert pendant 20 min (10 min sur le ventre, 10 min sur le dos) ; (6) on retire le foie et on ajoute les légumes déjà cuits, agrémentés de quelques piments d’Espelette ; (7) on y ajoute des pâtes fraîches, et le tour est joué. Il n’y a plus qu’à servir le tout (en n’oubliant pas d’enlever le torchon), le bouillon d’un côté, et le foie gras d’oie garni de pâtes de l’autre. On peut aussi préparer une petite sauce aux truffes (que je vous conseille fortement) pour accompagner le tout. Pour cela, il faut récupérer un peu de bouillon de pot-au-feu, le laisser réduire quelques minutes en y essaimant de la brisure de truffe, et monter le tout au beurre2. Résultat, on a un beau repas complet et pas très onéreux (en dehors de la brisure de truffe), qui tient chaud en hiver quand on vient des Landes, et même en été et au printemps quand on habite le Nord ! Un bon conseil : achetez votre foie dans les marchés (c’est plus convivial, pas cher et ça fait vivre le petit exploitant), et choisissez une pièce bien tendre (les foies durs c’est pour les touristes : ça fond plus vite que ça cuit !). Pour la petite histoire, à la base, c’est une recette diététique, malgré le foie. Car il faut savoir que Michel Guérard est l’un des premiers cuisiniers 3 étoiles de la génération de Bocuse à avoir lancé la cuisine diététique en France. Et si vous n’aimez pas vous mettre aux fourneaux, vous pouvez lui rendre une visite à Eugénie-les-Bains, dans les Landes3. Ça vous fera voir du pays, et le type est sympa. Je le connais bien puisque c’est lui qui m’a fait passer mon CAP. C’est un homme généreux et passionné avec qui j’ai gardé contact pendant très longtemps. Car dans la restauration, personne n’a la science infuse. On demande des conseils, on s’échange des astuces, et puis on en revient souvent aux valeurs sûres : le guide Escoffier et les grands-parents. Il n’y a rien de tel qu’un petit séjour à la campagne pour construire ses recettes. Il faut savoir faire vivre l’héritage de notre terroir, préserver nos racines culinaires. Et les vieux sont faits pour ça. D’ailleurs, ce sont souvent les plats les plus simples qui sont les meilleurs. À Paris, Lasserre cuisine toujours son pigeon de la même façon depuis 35 ans. Et depuis 35 ans, il y a toujours du monde à sa table. De même que Bocuse n’a jamais changé sa soupe à la truffe. Lui-même disait récemment que c’est dans les vieux pots qu’on fait de la bonne cuisine. Et ce n’est pas moi qui vais le contredire ! Entretien réalisé par Antoine Lury. Et pour ceux qui apprécient manger, mais pas cuisiner, Thierry Deslus sera ravi de satisfaire vos appétits au restaurant Le Gascon, 16 rue Nicolas Leblanc, à Lille, du lundi au vendredi de 12 h à 14 h 30, et du jeudi au samedi de 19 h 30 à 23 h 30. Tél. : 03.20.54.77.55. --------------Notes. 1. Pour 1l de bouillon, il faut à peu près 1 verre de Porto blanc et la même chose pour le Madère (après, cela dépend de la grosseur du foie et de l’envie de faire une sieste ou pas !). 2. Mettre une noix de beurre et fouetter avec énergie pour émulsionner la sauce. 3. Restaurant Les Prés d’Eugénie. Le Jeu de l’Oie. Février - Mars Deux Mille Dix. Premier numéro.
Directeur de la publication & rédacteur en chef. Antoine Lury Rédacteurs en Chef Adjoints. Pauline Blistène Léonard Rolland Comité de Relecture. Anne Bazin Olivier Ferrando Emmanuel Roudaut
L’OURS. Grrrrrrrrrrrrrrrrrr.
Pôle Communication. Pierre Caessa Morgane Le Dref Pierre Jeanson Imprimeur. La Presse Flamande Boîte postale 10139 59523 Hazebrouck Cedex +33 (0) 328 414 932 Le Jeu de l’Oie est édité par La Revue Internationale de Sciences Po Lille Association de loi 1901 Bureaux. IEP de Lille 84 rue de Trévise 59000 Lille Tel. +33 (0) 669 456 454 ISSN. En cours Copyright, dépôt
légal.
Février - Mars 2010
Rédacteurs. Pauline Blistène Camille Bourgeon Guillaume Bréjot Justine Evrard Olivier Ferrando Jérémie Fontanieu Gille Huchette Felix Krawatzek Raphaël Lefevre Mathieu Lepaon Antoine Lury McLovin Cynthia Ohayon Léonard Rolland Ioulia Shukan Manuela Spagnol Charles Thépaut Sylviane Tissot
Intervenants Extérieurs. Andrew Andrea Thierry Deslus Pierre Hassner Pierre Morel Peter Semneby Direction Artistique. Marie Zabiego Graphisme. Pierre Caessa Felix David Julien Desperriere Léonard Rolland Marie Zabiego
Sans le concours de la Voix du Nord, notre Oie serait restée aphone.
Dans
le prochain numéro :
‘La
nouvelle politique étrangère de la
Turquie’.