Moomin et la grande inondation

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Småtrollen och den stora översvämningen © Tove Jansson 1945,1991 © Le Lézard Noir 2010 pour l’édition française First published by Schildts Förlags Ab, Helsingfors, Finland Tous droits réservés Édité par Stéphane Duval Traduit du suédois par Kirsi Kinnunen Remerciements à Stéphanie Dubois pour sa collaboration à la traduction Photographies Jari Kuusenaho, the Tampere Art Museum Moominvalley Collection Layout par Noky : nokydesign@gmail.com Ouvrage publié avec le concours du FILI (Finnish Literature Exchange) Le Petit Lézard c/o Le Lézard Noir, BP 294, F-86007 Poitiers cedex lezardnoir@wanadoo.fr - www.petitlezard.org




Illustrations de l’auteur Traduit du suÊdois par Kirsi Kinnunen



Nous étions en pleine Guerre d’hiver1 et je n’avançais pas dans mon travail. Essayer de dessiner me semblait totalement vide de sens. Vous comprendrez peut-être alors pourquoi je fus soudain envahie par l’envie d’écrire quelque chose qui commencerait par « Il était une fois ». La suite allait donc fatalement être un conte, mais je m’en excusais en décidant d’éviter les princes, les princesses et les petits enfants ; je les remplaçai par le petit personnage colérique qui accompagnait ma signature dans mes dessins satiriques et l’appelai Moomin le Troll. Mais cette histoire inachevée tomba dans l’oubli jusqu’en 1945. J’eus alors la visite d’un ami qui me dit qu’elle serait parfaite pour un petit roman jeunesse : je n’avais qu’à la finir et l’illustrer et peut-être serait-elle publiée. J’avais pensé que le titre devrait faire référence à Moomin le Troll et à ses aventures à la recherche de son père – sur le modèle des Enfants du capitaine Grant – mais l’éditeur préférait avoir « les petits trolls »2 dans le titre pour que les lecteurs comprennent mieux de quoi il s’agissait. L’histoire s’inspirait largement des livres que j’avais lus et aimés dans mon enfance ; un peu de Jules Verne, un peu de Collodi (la fille aux cheveux bleus) et cetera. Et alors, pourquoi pas ? Quoi qu’il en soit, ce fut mon tout premier happy end !

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Ndlt : La Guerre d’hiver éclata fin novembre 1939 avec l’invasion de la Finlande par l’Union Soviétique et elle dura jusqu’en mars 1940. 2 Ndlt : En suédois le roman s’appelle « Les petits Trolls et la grande inondation ».



I

l devait être tard dans l’après-midi, par une journée de fin août, quand Moomin le Troll et sa maman arrivèrent au plus profond de la grande forêt. Tout y était silencieux, et à l’ombre des arbres, la nuit semblait déjà tombée. D’énormes fleurs poussaient de ci de là émettant une lumière vacillante telles de petites lanternes. Dans les ombres, on voyait bouger de petits points lumineux d’un vert froid. « Des vers luisants », dit Maman Moomin, mais ils n’avaient pas le temps de s’arrêter pour les observer de plus près car ils étaient partis à la recherche d’un endroit agréable et chaud pour y construire une maison où ils pourraient se tapir avant l’arrivée de l’hiver. Les Moomins ne supportent pas du tout le froid, aussi leur maison doitelle être prête au plus tard en octobre. Ils continuèrent leur chemin, pénétrant toujours plus profondément dans le silence et l’obscurité. Peu à peu, Moomin sentait l’inquiétude l’envahir et il finit par demander en chuchotant à sa maman si elle croyait que la forêt pouvait cacher des animaux dangereux. 9


« Cela m’étonnerait, répondit-elle. Mais sans doute, vaut-il mieux se dépêcher, au cas où. J’espère que nous sommes suffisamment petits pour passer inaperçus si par malheur nous rencontrons quelque créature dangereuse. » Soudain Moomin s’agrippa au bras de Maman Moomin. « Regarde ! » s’écria-t-il, et sa queue se raidit de terreur. Dans les ombres, derrière un tronc d’arbre, une paire d’yeux les regardait fixement. D’abord, Maman Moomin prit peur également puis elle dit d’une voix calme :

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« Ce n’est qu’une toute petite bête. Attends, je vais l’éclairer. Tout semble plus redoutable dans l’obscurité, tu comprends, chéri. » Et elle cueillit une des grandes lampes-fleurs et la dirigea vers le personnage qui se cachait dans les ombres. Alors, ils comprirent que la bête était vraiment petite et inoffensive. De plus, elle semblait un peu apeurée. « Tu vois ce que je voulais dire, dit Maman Moomin. – Qui êtes-vous ? demanda la petite bête. – Moi, je suis Moomin le Troll, répondit Moomin qui avait déjà repris courage. Et voici ma maman. J’espère que nous ne t’avons pas dérangé. » (Comme vous pouvez le remarquer, sa maman lui avait appris la politesse.) « Mais pas du tout, dit la petite bête. Je m’appelle Sniff et je me sentais justement assez mélancolique et j’avais besoin de compagnie. Est-ce que vous êtes très pressés ? – Oui, répondit Maman Moomin. Nous sommes à la recherche d’un endroit ensoleillé où nous pourrions construire notre maison. Ne voudrais-tu pas nous accompagner ? – Quelle question ! s’exclama Sniff les rejoignant d’un bond. Je me suis perdu et j’étais sûr que je ne verrai plus jamais le soleil ! » Ils continuèrent ainsi leur route à trois après avoir cueilli une grosse tulipe pour éclairer leur chemin. Mais tout autour, l’obscurité s’épaississait et la lumière des fleurs qui poussaient sous les arbres faiblit avant de s’éteindre tout à fait.


L’air devenait lourd et froid. Ils étaient arrivés au bord d’une étendue d’eau noire luisante. « Oh, comme c’est terrifiant ! s’exclama Sniff. C’est le marais. Je n’oserai jamais m’y aventurer. – Pourquoi ? demanda Maman Moomin. – Parce que le Grand Serpent habite là, répondit Sniff d’une voix très grave en jetant des regards furtifs de tous les côtés. – Nan, dit Moomin qui se voulait courageux. Nous sommes si petits que nous passerons inaperçus. Comment veux-tu trouver le soleil si nous n’osons pas traverser ce marais ? Allez, on y va. – Peut-être un petit bout de chemin, alors, répondit Sniff. Mais faites attention. Ce sera à vos risques et périls ! » Et ils se mirent à bondir d’une touffe d’herbe à l’autre le plus silencieusement possible. Des bulles et des chuchotements sourdaient de la vase noire tout autour d’eux mais tant que leur lampe-tulipe brillait, ils n’éprouvaient aucune d’inquiétude. Une fois, Moomin glissa et faillit tomber dans la vase, mais sa maman réussit à le rattraper au dernier moment. « Nous devons continuer en barque, constata-t-elle.


D’ailleurs, avec tes pieds mouillés, tu vas certainement prendre froid. » Et elle sortit une paire de chaussettes sèches de son sac à main et souleva Moomin et Sniff pour les déposer sur une grande feuille de nénufar. Tous les trois plongèrent leurs queues dans l’eau pour s’en servir de pagaies. Ils dirigèrent ainsi leur embarcation tout droit vers le milieu du marais. Dans l’eau, au-dessous d’eux, ils distinguaient des silhouettes noires qui plongeaient entre les racines des arbres en faisant de gros ploufs tandis que le brouillard arrivait en glissant sur leur tête. Soudain, Sniff poussa un cri : « Je veux rentrer à la maison ! – N’aie pas peur, Sniff, lui dit Moomin d’une voix tremblante. On va chanter quelque chose de joyeux et... » Au même moment, leur tulipe s’éteignit et ils furent plongés dans une obscurité profonde qui laissa échapper un sifflement. Ils sentirent alors que la feuille de nénufar commençait à tanguer. 13


« Vite ! Vite ! s’écria Maman Moomin. C’est le Grand Serpent ! » Ils plongèrent leur queue encore plus profondément dans l’eau en pagayant jusqu’à ce que l’eau bouillonne devant eux. Alors, ils virent le Serpent les poursuivre en nageant. Ses yeux jaunes et féroces lui donnaient un air mauvais. Ils pagayaient de toutes leurs forces, mais le serpent se rapprochait d’eux en ouvrant déjà sa gueule pour allonger une langue vibrante. Moomin se couvrit les yeux de ses pattes et hurla : « Maman ! » attendant d’être dévoré. Mais rien ne se passa. Alors, il écarta prudemment ses doigts pour regarder. Quelque chose d’extraordinaire s’était produit. Leur tulipe s’était rallumée : elle avait ouvert tous ses pétales et au milieu, se tenait une fille aux cheveux bleu clair qui lui tombaient jusqu’aux chevilles. La tulipe brillait de plus en plus fort. Le serpent battit des paupières, et soudain il fit demi-tour, siffla méchamment et replongea dans le marais. Moomin, sa maman et Sniff étaient tellement surpris et effarés tout à la fois qu’ils furent incapables de prononcer le moindre mot pendant un long moment. Enfin, Maman Moomin dit solennellement : « Un très grand merci pour votre aide, belle dame. » Moomin fit la plus profonde révérence qu’il ait jamais faite, car de toute sa vie il n’avait rien vu de plus beau que cette fille aux cheveux bleus. « Vous étiez dans cette tulipe tout ce temps ? demanda Sniff timidement.

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– C’est ma maison, répondit-elle. Tu peux m’appeler Tulipa. » Et en continuant à pagayer, ils gagnèrent enfin l’autre rive du marais. Maman Moomin leur prépara un petit nid de mousse sous la dense couverture de fougères pour y passer la nuit. Moomin se blottit contre sa maman en écoutant les grenouilles chanter dans les marécages. La nuit était remplie de bruits étranges et tristes et il mit longtemps à s’endormir.

Le lendemain matin, Tulipa prit la tête de leur petite troupe et ses cheveux bleus brillaient comme une lampe émettant de la lumière du jour. Le chemin devenait de plus en plus abrupt et finalement, ils se trouvèrent devant une paroi rocheuse tellement haute qu’ils n’en voyaient même pas le sommet. « Le soleil doit se trouver là-haut, dit Sniff d’une voix mélancolique. Et j’ai terriblement froid.

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