L’aliÊnation par le design de services
Paul Lequay
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Paul Lequay Sous le tutorat de éric Fache Mémoire de fin d’étude DSAA Design de Produits de Villefontaine Promo 2013_2015
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Remerciements
Je tiens tout particulièrement à remercier dans un premier
temps toute l’équipe pédagogique du DSAA de Design Intéractif du Pôle Supérieur de Design qui m’a suivie et accompagnée dans mes recherches.
Les conseils avisés et références que Monsieur Guillaume
Giroud a pu me donner pour les réflexions théoriques ont été d’une grande aide pour faire avancer et structurer ma recherche.
Je remercie aussi Monsieur éric Fache pour son suivi sur
l’ensemble de ce mémoire, ses conseils sur la méthodologie et la structuration de ma recherche. Je remercie également Sandrine Chatagnon pour l’attention qu’elle a pu porter à ma recherche. De plus, la participation active de mes camarades de DSAA, Léa Slimani, Adrien Chatelain, Aymeric Muletier, Jean-Pierre Traveaux et Lise Bernard, ainsi que mes proches, qui m’ont permis de mener à bien mes expérimentations.
Je tiens aussi à souligner et remercier, Corentin Allardet et
Vincent Ricard pour leur aide au niveau de l’édition de ce mémoire.
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Préface
L’entrée des technologies dans nos vies a chamboulé nos rapports
au monde, je me suis alors interrogé sur les impacts qu’elles pourraient avoir sur ma relation à la société. J’avais un sentiment de connexion à un monde iréel, loin de l’erreur humaine et de l’expérience du sensible, le service m’a semblé être le meilleur angle d’approche, car il est une sorte de pari sur l’avenir, autant sur le plan de la durabilité de notre économie que sur la recréation d’un lien au monde. La transformation du rapport au monde me semblait plutôt familière. Lorsque j’observais divers usagers utiliser leur iPhone, gérant divers services et interagissant autrement avec leur environnement, il m’a semblé qu’une nouvelle médiation était à l’oeuvre. De plus, un nombre incalculable d’objets devenus toujours plus pervasifs et intrusifs ont fait leur apparition. Ainsi, ils ont créé un environnement autonome qui captent nos moindres activités. En effet la quantification, semble apporter une dimension impalpable par une surcouche informative qui complexifie notre perception du monde. Suivant de là, les capacités de l’informatique appliquées aux objets du quotidien, nous facilitent la vie sur de nombreux points. Elles améliorent nos performances mais semblent instrumentaliser nos actions et de ce fait notre vie. Le clic ou le toucher d’écran comme seuls moyens d’action,
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limitent et appauvrissent nos interactions. Ainsi la stimulation moins fréquente de nos sens, pourrait diminuer peu à peu leur efficacité et leur utilité pour des applications actuelles. Dès lors, il faudrait se demander de quelle manière continueront nous à stimuler nos sens au travers de nouvelles pratiques. Il serait alors intéressant pour le designer de se poser certaines questions vis-à-vis de ce progrès technique toujours plus rapide et toujours plus incontrôlable. à partir de là, la construction logique et binaire de l’algorithme entraîne dans certains cas bien identifiés, une uniformisation de la pratique, en supprimant certaines variations possibles du vivant au travers de pratiques unilatérales. Cependant ces situations restent à être identifiées car dans bien des cas, cet algorithme permet une augmentation de la pratique. Pourtant, une vie humaine est faite d’imprévisibilités, de hasards, d’évènements qui permettent à l’homme de se construire au travers de ses expériences. En tant qu’actualité, le positionnement du designer doit être reconsidéré dans la chaîne créative pour s’opposer et peut-être inhiber ce sentiment de mécanisation du vivant. Il devra proposer une co-création ou une vision critique car la conscientisation de l’usager et du designer doit être une nouvelle valeur forte pour l’avenir de l’économie et du client.
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réfléxions théoriques
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table des matières
INTRODUCTION
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A. LA SOCIÉTÉ DE SERVICES Construction d’une économie de service
B. UNE SOCIÉTÉ DE MANIPULATION
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Une transformation sociale de la médiation et du rapport 28-31 au serviteur
La question de l’aliénation
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Les Causes et techniques
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C. UNE ORGANISATION DU SERVICE EN SYSTÈME TECHNIQUE Les différents positionnements de la technologie dans 54_63 le service Fonctionnement et logique du système technologique
64_67
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D. QUELLES SOLUTIONS POUR L’AVENIR? Retrouver une autonomie au quotidien 72_75 La construction d’une nouvelle économie contributive 76_77 Une nouvelle éthique pour le 78_79 designer ?
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CONCLUSION
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32_49
A. LA SOCIÉTÉ DE SERVICES
B. UNE SOCIÉTÉ DE MANIPULATION
Dans cette première partie, nous
Puis nous aborderons le
ferons état des transformations
problème de l’aliénation
de la société et des changements
de l’usager par le service
qui se sont opérés dans la relation
technologique. Pour ensuite,
de service et sa nature à cause de
en définir à une échelle macro,
l’apport de la technologie.
les causes de celle-ci.
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C. UNE ORGANISATION DU SERVICE EN SYSTÈME TECHNIQUE
D. QUELLES SOLUTIONS POUR L’AVENIR? Nous pourrons ainsi dégager
Nous ferons un point sur la
plusieurs moyens de lutter
technologie dans le service, ces
contre cette aliénation, pour
différentes natures et moyens de
fixer des règles et permettre de
faire fonctionner un service.
limiter ce phénomène.
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Dunne et Raby Projet «Is this your future ?» 2004
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Critique de la standardisation du monde, de ce phénomène de désenchantement du monde par la représentation de celui-ci en série + image de droite
Jusqu’où le design de services rend-il service?
Vers une dépendance vis-à-vis de la technologie, une aliénation déjà à l’œuvre.
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INTRODUCTION Les services numériques ont connu ces dernières années un développement fulgurant avec l’avènement du microprocesseur et des entreprises dites de services. Celles-ci se sont questionnées sur la nouvelle forme de l’économie contemporaine. Plus spécifiquement sur la manière qu’elles auraient de satisfaire les besoins des utilisateurs dans une société en mouvement, où la notion de propriété devient caduc et est remplacée par celles de la mise à disposition et de l’accès. Le design s’intéresse évidemment à cette nouvelle économie car c’est en partie grâce à lui que son appropriation par le grand public a été rendue possible. En tant que tel, les designers ont su comment répondre aux besoins toujours plus spécifiques des personnes en utilisant l’énorme potentiel des nouvelles technologies de l’esprit : résultat de la convergence entre les technologies cognitives (de l’information) et culturelles
1. http://www. design-museum.de/ en/collection/100masterpieces/ detailseiten/ animali-domesticibranzi.html
(de communication). Le projet Square, par exemple, répond au besoin de pouvoir payer par carte bancaire sur les marchés. La simplicité de ce système à en effet été rendu possible par ces nouvelles technologies et leur miniaturisation, rendant les applications multiples et faciles d’accès. Cependant, au regard des courants contestataires des années 60-70, menés entre autre par Ettore Sottsass, Andrea Branzi
2. Alexandra Midal, introduction à l’histoire d’une discipline, 2009, édition Pocket
(Animali Domestici)1 ou bien Joe Colombo avec l’anti-design2 , se posaient déjà certaines questions quant à la pertinence et la légitimité du concept de progrès technique. Il convient désormais de ré-interroger ce concept au regard de notions plus contemporaines. Certaines d’entre elles sont liées à
l’intégration omniprésente des technologies au coeur de notre quotidien ; d’autres sur l’aliénation que peut produire ce phénomène sur notre pratique des objets et sur le tissu social plus généralement. Alexandra Midal 2 , historienne et théoricienne du design, rappelle le caractère social et critique dont a toujours été doté le design.
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Projet Square_ Terminal de payement permettant de payer par carte bancaire via votre smartphone + annexe 1
En recontextualisant ce lien entre design et société, le design s’est tourné vers cette dimension dites de service générant alors de nouveaux usages. Nous pourrons donc voir comment se propose actuellement le service ainsi que la manière dont il s’est insinué au coeur de nos besoins. Se pourrait-il que les services influencent autrement plus nos vies que ne le fait déjà le système consumériste dont nous sommes dépendants ? Et finalement ne sont-ils pas de nouveaux outils de manipulation de
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3. André Gorz
: «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», 1990
4. Entretiens du
nouveau monde industriel, Sous la direction de Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, édition Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, octobre 2008 pour la présente édition
l’homme, qui lui-même se transforme en créant cette figure du consommateur (cf. André Gorz3) et devient responsable de sa propre aliénation ? Nous dégagerons ensuite les propositions éventuelles pour recréer, « une nouvelle économie libidinale »4. Une économie cherchant à reconstruire le désir des usagers de consommer et participer à ce système, en mettant en jeu les considérations économiques et sociales au sein d’un système industriel. De plus, la vision d’une société instrumentalisée affecte la pratique de designer. Sa position lui confère l’obligation éthique et politique d’être critique au regard de son rôle et de son propre travail. Y-a-t-il pour le designer et pour le futur client, la possibilité de s’extirper de ce système aliénant pour prendre du recul sur sa pratique.
5. Pascal Krajewski,
l’art au risque de la technologie, 5 Juillet 2012, page 18.pdf
Ainsi, le design de services pourrait-il générer une forme d’aliénation liée à la dépendance grandissante de l’homme à la technologie ? Problématisant ainsi la question d’une réelle
émancipation de l’homme. Il faut alors se questionner et définir jusqu’où le design de service rend-il service ?
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« Le futur homo-hyper-technologicus sera un homme désensibilisé, démi de ses propres sens, ne prenant le pouls du monde et de son environnement direct que par le biais d’ecrans informationnels. » [...] 5
Pascal Krajewski
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Prix pour le design de service 2015_ Concours de design de service lancĂŠ par la Poste et en partenariat avec la CitĂŠ du Design de Saint-ĂŠtienne
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CARACTÉRISTIQUES DE LA SOCIÉTÉ DE SERVICES
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La construction d’une économie de services
D’une société de propriété, du produit à la société de service, de nombreux changements culturels, organisationnels et matériels ont accompagné cette transition. Cette société modifiera autant le statut de l’objet que la notion de service.
La construction d’une économie de services Nous verrons dans ce premier chapitre, la manière dont s’est transformé notre économie. Puis, quelles sont les modifications du service dans sa nature propre ainsi que ses nouveaux moyens d’actions au regard des nouveaux apports technologiques dans notre économie de services? En premier lieu, nous éclairerons cette notion de service en se référant à l’histoire même du service, ainsi qu’en pointant * L’étymologie du mot servire = être esclave Polysémie service : service public/service militaire. Soit se mettre au service de l’armée par exemple, soit le service dans sa dimension marchande, soit public qui définit la prise en charge d’un besoin par l’état
l’apparition des technologies. À l’origine, l’histoire de l’esclave était étroitement liée à celle du service*. En effet, l’obligation de celui-ci était de servir son maître. Servir devait être le seul lien qu’il entretenait avec son maître, sans identité propre ni conscience de soi. Il réalisait les tâches ingrates car le service était considéré comme une marginalisation de l’homme vis-à-vis de la société. On citera ici la notion de servitude : le maître se place dans une dépendance servile à l’autre.
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La construction d’une économie de services
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Ensuite, il apparaît une notion de marchandisation du service avec l’abolition de l’esclavage et, poursuivant ce processus, l’apparition de la profession de domestique. Puis avec l’augmentation du niveau de vie des classes populaires et la démocratisation politique reconnaissant une égalité entre citoyens, le nombre de prestataires de
* annexe 2
services diminuent. Progressivement s’installe le libreservice : chacun doit alors être acteur de son service. Cette idée se manifeste dès 1916 aux Etats-Unis avec l’épicerie Piggly-Wiggly *. Par la suite, la production de services complémentaires : réparation, garantie, aide à l’installation, etc, permet aux industries de la fin du XX siècle de pouvoir
6. http://www. ladn.eu/actualites/ tribune,design-servicenouveaux-outils-marketing,35,14940. html
se différencier. Nous parlerons alors de servicisation de l’industrie où les offres se composent désormais comme un système « produit-service-système »6. En parallèle, le Fordisme en 1908 apportera l’automatisation. Des schèmes d’actions cohérentes et structurés par un travail machinal s’impose alors au coeur de la création. Cela sera une manière de travailler le progrès technique comme source de la réinvention du quotidien. Cependant, cette méthode est resté présente et s’actualise dans la création des objets technologiques dit de service qui transforme la relation et l’action de servir par le rôle prépondérant qu’ils occupent. Or, avec l’apparition des nouvelles technologies et essentiellement celles de l’information et de la communication, de nouveaux services apparaissent, remplaçant peu à peu le médiateur humain qu’est le fournisseur de service.
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La construction d’une économie de services
7. Cyril Afsa, Design de service, Pourquoi les serviteurs sont-ils devenus des fast-foods et des applications numériques, édition Cité du Design, 2013
Il conviendrait maintenant de pouvoir définir conceptuellement la notion de service en rapport avec le travail du design que l’on nomme « design de services ». On peut définir le service comme une activité faite pour un client, n’ayant pas l’envie ou n’étant pas en capacité de la réaliser soit même, pour lui permettre de libérer du temps pour réaliser d’autres activités.
Le design aura dans cette nouvelle économie le rôle selon Cyril Afsa7, de concevoir un travail en évacuant sa partie ingrate et laborieuse, en développant sa partie noble et stimulante, celle qui grandit l’usager. Nous parlerons de travail hétéronome qui est dédié à la sphère de la nécessité et le travail autonome à celle de l’enrichissement du plaisir et du partage (cf. André Gorz). Cette notion ainsi éclaircie, nous pouvons ensuite nous concentrer sur les transformations liées à cet apport technologique dans l’organisation et la valeur du service. On constate effectivement que la technologie s’est peu à peu intégrée à notre quotidien, du en majeure partie à la miniaturisation des systèmes informatiques et au développement de la communication mobile. La saturation du marché par la production de masse jouera un grand
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La construction d’une économie de services
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rôle dans la transformation du statut de l’objet et dans la transition vers l’économie de services, résultant aussi d’une recherche d’ultra efficacité et de gain de temps. Par conséquent, depuis les années 1980, se développe frénétiquement les technologies de calcul, rendant la puissance du microprocesseur illimitée. Du premier ordinateur Macintosh au dernier pot de fleur intelligent, le microprocesseur s’adapte à toutes les activités humaines et induit petit à petit un nouveau rapport à l’expérience du monde 8*. Effectivement, cette dilution et diffusion fait
* Mark Weiser, du Xerox Parc imaginait dès 1988, la disparition des ordinateurs dans les objets du quotidien, qu’il nommera « objets vivants » dont la forme et le comportement varieraient en fonction de l’utilisateur.
dire à Robert Casati 9 que nous assistons à un véritable « colonialisme numérique ». Ce dernier appuie son jugement par l’analyse empirique de l’école qui se transforment sous l’impulsion des institutions. Ces dernières sont alors déterminés à la rendre numérique. Ceci n’a d’autre fin que d’interroger les finalités de cette colonisation : quelles sont elles ? C’est ce que veut souligner l’auteur en réprimant ce désir aveugle de numériser chaque partie de notre société (lecture, échange, socialité...). Cette migration numérique ne se justifie que parce qu’elle est techniquement possible, bien que cela ne soit pas légitime. C’est ce qui nous amène alors à parler d’Overdesign, ou tendance à construire toutes les expériences sur la base d’un modèle technologique comme le souligne justement le designer Grégoire Baret10. Ces innovations technologiques apportent au service de nouvelles capacités, participant ainsi à sa nouvelle caractérisation. Celle-ci se distingue de la technique selon
8. http://www. lesechos. fr/21/01/2014/ LesEchos/21609045-ECH_larenaissance-desobjets.htm 9. Roberto Casati, Contre le colonialisme numérique, Manifeste pour continuer à lire, Albin Michel, 2013 + Les Matins de France Culture -Transmission du savoir : réapprenez à patienter pendant le chargement : http:// www.youtube.com/ watch?v=iZiVdle7eaU 10. http://mutation. nurun.com/program/ connected-things-andbodies
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11. Pascal Krajewski,
l’art au risque de la technologie, 5 Juillet 2012, pdf
Pascal Krajewski 11 qui définit la technique comme un moyen d’action alors que la technologie est un moyen d’appréhension qui décrit le monde. À l’image de la charrue tirée par des boeufs pour décupler la
force humaine, la technique se matérialise en des objets d’action ; la technologie serait plutôt celle qui rend compte de l’état du milieu dans lequel il interagit pour en faire émerger un rapport informatif. La technique est alors un moyen de sous-traitance à l’appareil de l’analyse par la technologie de la matière et du milieu. Pour prendre appui sur des cas concrets d’apports utiles de la technologie, nous parlerons de l’application du numérique dans le domaine médical, apportant une innovation substantielle. Avant cet apport, la technique et les outils employés par le corps médical n’étaient pas assez sophistiqués pour soigner certaines maladies. Ceux-ci ont permis par exemple grâce à la précision des appareils d’affiner les diagnostics et ainsi de pouvoir soigner au mieux leurs patients. Ce qui modifia, l’exercice de soin ainsi que l’organisation de ce service. À l’image de l’invention de l’IRM qui a permis de déceler des maladies non visibles et ainsi pouvoir affiner une expertise sur les maladies du cerveau. Ou bien avec les objets connectés
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La construction d’une économie de services
créant une surveillance en directe de la santé12 d’un malade. La liste n’est pas exhaustive, mais montre bien l’énorme potentiel des nouvelles technologies. La technologie s’incarne alors sous forme d’appareil, que
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12. http://www.
orange-business. com/fr/notreapproche-de-l-esante + annexe 3 : projet Samsung
Pascal Krajewski13 définit comme étant un intermédiaire, un traducteur du monde basé sur une réalité de données ; le monde devient alors ce qui est mesurable. La pervasivité de l’appareil crée un nouveau tissu de technologies entre l’homme et la technique. Jouant le rôle de médiateur *,
13. Pascal
Krajewski, l’art au risque de la technologie, 5 Juillet 2012, pdf
c’est à dire, facilitant la communication entre l’homme et l’outil technique dans son rapport au monde technique. Médiateur dont aurait besoin l’homme dans son incapacité technologique, c’est à dire dans son incapacité à gérer son environnement technique puisqu’il n’a plus les capacités de le faire fonctionner sans l’aide des capacités quasi illimitées
* Médiateur : faciliter une communication, rétablir une relation, transférer un savoir ou une connaissance
de la technologie. On voit alors que l’appareil a modifié considérablement la relation qu’entretenait l’usager avec le fournisseur de service. Auparavant, le contact humain était le principal moyen par lequel était prodigué le service ; des outils techniques étaient biensûr nécessaires mais ils n’avaient pas la capacité d’apprendre et de devenir autonomes. Actuellement, la technologie a apportée de nouveaux moyens de communication avec l’usager et créer une distance entre le fournisseur de service et son client : le médiateur n’est plus l’humain mais l’objet technologique.
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La construction d’une économie de services
Cette distanciation entre le client et le serviteur est alors palliée par cet objet de technologie qui incarne en lui les conseils, propositions et expertises qu’auraient pu fournir un serviteur humain. Pourquoi remplacer le serviteur humain ? Ces objets technologiques sont considérés comme plus efficients et moins coûteux. Dans le sens où l’appareil est plus rapide, mieux organisé de part sa logique algorithmique et peut percevoir un nombre d’informations que l’humain ne peut pas. De plus, si l’objet est bien paramétré, l’algorithme ne peut générer d’erreur, alors que l’homme par nature, imparfait ; peut se tromper. Ceci remet alors en cause l’utilité de l’homme comme fournisseur de service. Pour avoir un regard macro-sociétal de cette automatisation du service, nous pouvons nous baser sur le paradoxe de l’économie de services décrit par André Gorz. En effet, ce phénomène est une conséquence de la prolifération d’automates dans le domaine de l’industrie. Cet accroissement mène inévitablement vers une diminution relative du nombre d’emplois par un remplacement du travail humain destiné à lui libérer du temps. Cependant, l’accès restreint à l’emploi combiné à un coût généralement élevé du service, empêche l’achat de ceux-ci. De plus, cette libération du temps permet le développement de
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La construction d’une économie de services
nombreux services personnels vraisemblablement plus efficaces sur le plan de la qualité et du temps. Remettant
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* annexe 4 tableau société de services
ainsi en cause le principe d’autosuffisance, si l’on replace cette notion dans un contexte d’utilisation de ces services sur le long terme*.
Reste que, les modifications apportées au service, influencent en profondeur la relation de service en elle-même. Nous pointerons essentiellement l’implication du serviteur humain, comme énoncé précédemment mais aussi la valeur morale et sociale du service, point que nous allons développer maintenant.
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Une transformation sociale de la médiation et du rapport au serviteur Dans cette seconde partie, nous expliquerons en quoi la relation de service s’est modifiée avec la limitation du contact direct avec l’homme comme serviteur.
La distance imposée par l’outil technologique définit un nouveau
rapport socio-économique avec l’entreprise de service, entité proposant aux particuliers et professionnels des services sous forme immatérielle (cloud de stockage, assistance médicale, etc) ou matérielle. à l’origine, tout ceci se jouait dans une relation entre deux êtres humains. Il y avait un échange qui permettait de résoudre la demande et de reconnaître la compétence experte du conseiller. On peut le voir encore avec les Services après Vente de grandes chaînes de magasin comme Darty. Bien qu’il faille se déplacer jusqu’au magasin, cela permet directement d’avoir des réponses claires et précises en questionnant directement la personne en capacité de gérer ce service. Avec l’appareil comme nouveau médiateur entre le fournisseur et le client, la demande est formulée auprès d’un outil technologique qui servira soit de relais au fournisseur de services, rallongeant ainsi le
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Une transformation sociale de la médiation et du rapport au serviteur
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temps de réponse ; soit de serviteur autonome, reformulant cette même demande selon les formats du logiciel en question et supprimant alors ce rapport humain jusque-là inhérent à la notion de service. D’autres aspects de la relation de service se transforment comme le simple fait de communiquer. La communication est pour ainsi dire le vecteur clef dans l’acte de servir. Elle se faisait par la rencontre mais doit désormais se faire via le canal numérique de l’outil technologique qui lui-même va dicter ses lois et son fonctionnement. Le fournisseur de service n’est alors plus garant de l’intention de son message et de la manière dont son message est perçu par l’utilisateur en retour. Dans cette configuration, nous ne parlerons plus de communication propre aux rapports entre humains mais de partage d’informations numériques ou transfert entre l’utilisateur et le vendeur de service. En effet, ce terme de transfert renvoit étymologiquement à l’univers de l’informatique et du numérique. De plus, il s’agit de communication homme-machine et de machine-to-machine, générant non plus, un échange de paroles mais un échange d’informations. Alors que dans le cas des communications téléphoniques ou visiophoniques où il y a toujours une communication directe, et donc d’homme à homme. De surcoît, pour la question de la transmission des informations, l’échange formel se traduit non plus par la transmission par exemple de l’objet cassé nécessitant une réparation mais par un transfert d’informations recueillies par l’objet lui-même pour avertir l’agent du service. Le feed-back n’est plus physique, il devient numérique.
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Une transformation sociale de la médiation et du rapport au serviteur
Usager
Perte de jugement critique
Interactions
Médiateur Appareil/Service
Dépossession de l’usage
Usage
Instrumentalisation de l’usage Valeur d’apprentissage
Confiance
Fournisseur de Service
Schéma sur la confiance qu’octroie l’usager du service à son fournisseur de service. La confiance accordée au fournisseur doit se faire à travers les interactions avec l’appareil comme médiateur, ainsi nous accordons notre confiance à une représentation du fournisseur puisque nous n’avons de rapport qu’avec l’appareil. Ainsi que le contrôle que peut opérer le fournisseur sur l’usage puisque c’est lui qui créer les « matrices », qui génère des usages et ainsi génère ce phénomène d’aliénation.
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Matrice
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La redéfinition sociale du service, voire sa redéfinition éthique, remet en cause la confiance* placée par l’usager en la personne du serviteur. En effet, ayant l’obligation de passer par un médiateur technologique répondant avec efficacité, nous accordons alors notre confiance à l’objet qui représente désormais l’expert ou
* schéma page de gauche
le technologue, figures tutélaires de notre système technique, selon la terminologie de Jacques Ellul14. Celles-ci sont celles à qui on alloue une confiance immédiate car nous sommes conscients du niveau de leur expertise et donc du faible taux d’erreur de leurs réponses.
14. Jacques Ellul, La société technicienne, édition Calmann-Lévy, 1977/ le cherche midi, 2004, 2012
Cependant, cette transposition de la confiance du client envers l’expert est pour ainsi dire un leurre. Avec ces nouveaux objets technologiques, l’expert n’intervient presque plus dans le service. De plus, dans un contexte actuel, il semblerait qu’une certaine méfiance à l’égard de la captation d’informations par les entreprises soit née. Il suit de là qu’un nouveau contrat de confiance s’opère entre l’objet-service et l’usager. Avec une implication de plus en plus minime du fournisseur de services dans la gestion et la réalisation du service, il en va de se demander si la relation humaine dans le service va disparaître. La médiation technologique devient-elle alors une fin en soi?
Cette technologisation ou numérisation du service tant vantée, à la fois sur les plans économiques, sociaux et axiologiques (valeurs morales), méritent cependant d’être interrogée : ces nouveaux appareils ne sont-il pas un nouveau moyen de manipuler le consommateur, et que tout ce qui précède n’est-ce pas au final, qu’un voile cachant un nouveau système d’aliénation?
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Une société de la manipulation
Yann Arthus Bertrand, Henderson, banlieue sud de Las Vegas, Nevada, états-Unis_ Photo extraite du film Home
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Les causes et techniques
Dans cette seconde partie, nous verrons la manière dont se traduit la manipulation du consommateur par l’utilisation de ces appareils technologiques. Puis avec un regard plus large nous nous efforcerons de déterminer les causes et les moyens pour générer ce nouveau business de l’objet intelligent.
La question de l’aliénation Commençons par la question de l’aliénation dans et par la pratique, qui somme toute est la traduction dans le réel de ces mécanismes de manipulation. Dans l’action, ses mécanismes vont modifier le rapport au service de l’usager. 15. http://
fr.wikipedia. org/wiki/
Étant souvent mal comprise, l’aliénation, du mot latin alienus15 signifiant l’étranger, l’autre est définie par la dépossession de l’individu par autrui. Dans la pensée de Karl Marx16 , il s’agirait d’un processus de déshumanisation
16. http:// fr.wikipedia.org/ wiki/Division_du_ travail
orchestré par la société capitaliste. À partir d’une analyse
16. Karl Marx, Le capital, 1867 .pdf http://digamo.free. fr/capital63.pdf
aliéné s’il n’arrive plus à identifier ce qui l’anime, le pousse à
de l’organisation du travail de la fabrique, il déduit les effets de l’exploitation en terme d’aliénation. Le travailleur est dit agir. S’ajoute aussi la notion de réification selon A.Honneth17 qui invite à voir l’homme comme une partie mécanisée d’un système soumis au même règle que la technique.
Le processus d’aliénation se structure alors en plusieurs étapes. La première, non des moindres, se caractérise par la suppression d’un apprentissage de la pratique. Notamment par le geste opératoire, qui 17. Axel Honneth,
La Réification, Paris, Gallimard, 2007 - http://www. revue-klesis.org/ pdf/Klesis-Nour.pdf
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Les causes et techniques
disparaît petit à petit, et donc le savoir-faire propre à une pratique, se différenciant de l’usage* selon la définition de Bernard Stiegler18 *.
L’automatisation crée une dissociation dans
le schème de l’usage qui débute initialement par un apprentissage de l’usage se constituant dans l’expé-
B
* Définition de l’usage : On entend par usage, le fait de se servir de quelque chose et d’interagir avec. Il se différencie de la pratique car l’appareil ne nécessite plus un savoir-faire pour s’en servir.
rience. Comme avec le delta d’apprentissage19 de Bruno Latour, le tâtonnement et l’expérimentation est inéluctable dans ce processus. Ainsi, l’erreur doit être prise en compte comme une valeur d’apprentissage inhérente à la compréhension de la technique ; pour acquérir un regard évaluateur sur nos productions. L’usage, lui, demeure sous une forme appauvrie par une expérience mécanisée. à l’image de la cuisine, l’Anova Precision Cooker20 , ne propose plus ce rapport à l’apprentissage dont il est pourtant une caractéristique essentielle de la cuisine. Le seul choix dont dispose l’usager est le type de plat que l’outil pourra réaliser à sa place. Il y a « une perte de saveur » véritable dans la pratique.
* « On ne va plus parler de pratiques des objets, c’est à dire de savoirfaire instrumentaux mais d’usages des objets et d’utilisateurs ou d’usagers, en particulier pour les appareils et pour les services » P244 « La pratique peut seulement s’instruisent dans une fidélité de l’objet, simplement, il suppose une durabilité de l’objet peu compatible avec la consommation et l’obsolescence.» cf 18
De plus, le fait d’avoir doté la technologie des mêmes capacités que l’homme (mémoire, vue, odorat...) a permis un phénomène de sous-traitance de nos capacités instinctives. Ce qui semble presque naturel au vu des capacités des objets technologiques bien supérieures à celles de l’homme comme la vitesse d’exécution, le multi-tasking,
18. Quand s’usent les
usages : un design de la responsabilité, Azimut n°24 2004 , Bernard Stiegler, Entretien mené par Catherine Geel
la captation de certaines données comme la température, niveau d’humidité... 19. http://www.brunolatour.fr/sites/default/ files/P-92-PROTEE.pdf
20. Anova precision cooker, annexe 5
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Les causes et techniques
Anova Precision Cooker_ Dispositif de cuisson permettant à l’appareil de réaliser de manière autonome la cuisson sous vide de divers aliments. Il faut pré-alablement choisir le plat sur l’application mobile.
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Cet apprentissage n’étant plus nécessaire, l’utilisateur n’a plus d’autre choix que de suivre à la lettre les instructions dictées par le système. Pourtant, selon Honneth, un usager oublie moins les règles acquises par la pratique que celles par l’instruction explicite : cette transformation conduit à une restriction de l’attention. S’en suit alors un phénomène d’instrumentalisation de l’usage par la machine. Au départ, ce phénomène est dû à une méconnaissance des techniques. S’y ajoute un fonctionnement ordonné et mécanisé que l’usager non-initié doit suivre pour utiliser le service. Dès lors, l’outil technologique comme médiateur va, par son fonctionnement, modifier nos comportements et ainsi modeler de nouveaux usages. Puis s’opère une dépossession de l’action physique sur l’usage. L’usager se retrouve en marge de la réalisation de la tâche mais aussi d’interactions avec le dispositif. En effet, les interfaces relationnelles avec l’objet devenues de simples écrans ou l’automatisation des schèmes d’usage, inhibe parfois la capacité de l’usager à réaliser une tâche sans l’assistance de la technologie. Essentiellement grâce aux algorithmiques et paramétrages de l’outil qui en font un parfait gestionnaire de service, cela lui permet de s’affranchir de certaines décisions, remettant en cause l’intention de l’usager à faire telle ou telle action. Vient ensuite le déchargement de l’acte. L’utilisateur ne ressent alors plus le besoin de se soucier et donc de penser à réaliser la tâche. Pourquoi le faire ? Notre objet intelligent réagit à des données captées et à une logique algorithmique pour faire cette tâche à notre place.
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21. Franck Cormerais,
Du design d’objet au design de nos existences Bernard Lafarge et Stéphanie Cardoso (dir.), Philosophie du design, Figures de l’art 25, Revue d’études esthétiques, Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2013
Franck Cormerais21 suggéra le nom « d’idiot rationnel », ou client satisfait pour nommer cette attitude. Elle s’explique par une libération de l’esprit et du temps pour le client qui est déchargé de la tâche, il n’a plus à faire attention. En effet, selon Marx, si l’objet répond à un besoin de nécessité, il libérera du temps pour des tâches autonomes. Pourtant, il arrive que pour certaines activités, l’objet devenu indépendant entraîne une perte d’accomplissement dans l’acte, ce qui fait appel à son
22. Axel Honneth, La Réification, Paris, Gallimard, 2007 - http:// www.revue-klesis.org/ pdf/Klesis-Nour.pdf
concept de desobjectivation. Pour Axel Honneth 22 , le fait de placer l’usager dans une posture de connaissance de la situation et non plus de reconnaissance (processus d’appropriation de ses sensations, désirs) empêcherait notre individuation. La posture de connaissance se
* dividuation : Il n’y a plus d’individu mais des dividus. Ce qui signifie qu’il n’y a plus la constitution d’individualité
détermine par le fait de pratique unilatérale et de la transformation du monde en faits et choses. Créant alors un phénomène de dividuation* de l’homme, perdant ainsi ses savoirs et pratiques, déterminants de son potentiel d’individuation.
Enfin vient l’aliénation totale de l’être moral, la disparition d’un esprit critique. En effet, la libération de la pensée, un peu à l’image de la ménagère des années 60, libérée des tâches harassantes de la cuisine par les premiers appareils ménagers ; va faire entrer l’usager dans un cercle de satisfaction continue sans jamais se poser de questions, ou prendre du recul sur le service rendu. Nous pourrons citer la série Black Mirror23 , qui développe une satyre de la société technicisée à son extrême, où la vie est complètement contrôlée par des schèmes préétablies et fait entrer l’homme dans un cercle vicieux lui interdisant tout moment pour réfléchir sur le sens de ses actes.
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Série Black Mirror_ Saison 1 épisode 2.
On assiste alors à un retournement des rôles dans le service car grâce à ce processus d’aliénation, la technologie se place, comme dans un rapport de maître-esclave, en qualité de maître.
23. http://fr.wikipedia. org/wiki/Liste_ des_%C3%A9pisodes_ de_Black_Mirror + annexe 6
N’y aurait-il pas un non-sens, au vue des intentions initiales qu’avaient les créateurs de l’ordinateur, celles de pouvoir décupler les capacités de l’homme tout en administrant notre volonté au travers de ce nouvel outil.
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Les causes de ce phénomène se manifestent au travers de méca-
nismes manipulateurs de la société. L’aliénation ne trouve pourtant pas seulement sa cause dans le système capitaliste, mais aussi selon Ellul, dans le système technicien et in fine la Technique. Ainsi, après avoir exploré le champ de l’aliénation par la technologie, nous nous attacherons à mettre en avant les causes de celle-ci. Quels sont les mécanismes de la manipulation du point de vue culturel au regard des ressorts macro-sociétaux identifiés? Premièrement, Il faut donc considérer la manipulation du système comme un ensemble de techniques. L’ occultation de la réalité est un principe fonctionnant sur le système des images et la profusion d’informations. Celles-ci jouent deux rôles dans la vision brouillée du réel. Elles sont modifiées et présentées à dessein, en jouant avec la mentalité collective. Edward Bernays24 24. Axel Honneth, La Réification, Paris, Gallimard, 2007 - http:// www.revue-klesis.org/ pdf/Klesis-Nour.pdf
exprime ce terme par une influence des images collectives, construites et diffusées par les influences sociales. Il suit de là une déconnexion de l’homme vis-à-vis du monde qui l’entoure.
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Le système peut alors présenter le stéréotype
comme seul moyen de représentation du monde. Les Mass médias jouent un rôle plus qu’essentiel dans la diffusion de « matrices »25 qui conditionnent les évènements et nous forment à celles-ci. On assiste alors à ce que
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25. http://
banquetonfray. over-blog.com/ article-michel-onfrayconferences-surfrance-culture-lte-2014-22-124436487. html
l’on pourrait appeler un « désenchantement du monde ». En ce sens, il serait de l’ordre d’une destruction de la conscience ainsi qu’une destruction du désir *, et donc la fin d’une économie libidinale. Comme le font les canons de beauté dans l’inconscient collectif, ils génèrent un mode d’adhérence aux représentations induites par la société. Le monde est montré puis décliné sous forme de série et perd son caractère singulier. Tout d’abord, la transformation des besoins entraînent une homogénéisation des demandes qui répondent à des envies toujours plus standardisées, produisant ainsi une uniformisation des comportements. Ensuite, les représentations numériques du réel ont pour objectif « de produire in fine des comportements réguliers, c’est-à-dire prévisibles » 26 . Celles-ci sont utilisés pour anticiper, voir prédire les réactions des usagers par le recueil d’informations et ainsi pouvoir diriger leurs choix de consommation. Nous pouvons ainsi faire état d’un formatage des consciences. La gestion et manipulation des actions caractérisent aussi une recherche de productivité dans le monde du travail. Marx avait déjà dénoncé les conséquences aliénantes de cette organisation du travail dans son
25. Conférence Michel
Onfray, Qui est aliéné et quand?, Contre-histoire de la philosophie - 12e année, «La pensée post-nazie : Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders » 26/08/2014 http://banquetonfray.over-blog. com/article-michelonfray-conferencessur-france-culture-lete-2014-22-124436487. html
* L’épuisement de ses désirs s’explique par un marché basé sur la figure du consommateur qui une fois ensevelit par de nombreux produits répondant aux besoins, souvent créés de toutes pièces, amènent le consommateur à ne plus désire. Cela rejoint la thèse de B.Stiegler sur le désenchantement par un appauvrissement de l’économie libidinale et de l’individu 26. Antoinette Rouvroy, Détecter et prévenir les symptômes technologiques d’une manière de gouverner, Juillet 2009 .pdf
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27. Karl Marx, Le capital, 1867, chapitre 14 .pdf http://digamo.free.fr/ capital63.pdf
ouvrage « le Capital » 27 sous une forme séquencée du
28. Theodor W. Adorno,
à la machine, ce qui semble dissocier le serviteur de sa
Minima Moralia, Réflexions sur la vie mutilée, édition Payot pour la traduction française, 1980, 1983, 1991 Marx, Manuscrit de 1844
travail. J’aimerais ici illustrer mon propos par l’analyse d’une caisse automatique. Le découpage se manifeste ici dans la délégation d’une partie de l’action humaine fonction dans son ensemble, son action n’en devient que plus appauvrie. Derrière cette innovation se cache un souci de sécurité, mais la visée va bien au-delà. Elle prône encore et à tort cette volonté d’une hyper-efficacité et rapidité dans le service. Ce que recherche aussi le client, c’est l’expérience ressentie.
À savoir qu’il s’opère alors un phénomène de « désincarnation »* de l’homme 28 ; pour mieux le contrôler. Gunter Anders argumentera cette thèse : le découpage du travail empêche la personne d’avoir une vue globale de la tâche à laquelle il participe activement. En faisant un parallèle avec l’usage en général, il est intéressant de voir comment s’est traduit ce séquençage dans l’usage domestique de l’objet technologique.
Le dernier point se caractériserait dans notre société actuelle
comme fondée sur un désir absolu d’accès au monde. La technologie, fait la proposition de rendre toute la connaissance disponible sur un même réseau. Elle la rend alors tout accessible à partir de son propre domicile, entraînant une limitation du contact direct avec le genre humain, avec le monde. Dès lors ce nouveau rapport distancié entre les êtres humains, entraîne le développement d’une culture de l’individualisme. Parallèlement, se créer un culte du détail, symptôme contemporain 29. Jean Baudrillard, Le système des objets, éditions Gallimard, 1968
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du souci de connaître le plus précisément tout ce qui nous entoure, tout ce avec quoi nous interagissons. Jean Baudrillard 29 décrira cet état de fait en qualifiant
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CashKeeper_ La personne en charge de servir le consommateur n’a plus le rôle de rendre la monnaie. Le client introduit les pièces dans la machine qui lui rend en retour la monnaie. Le serviteur n’a plus la fonction de faire le compte, ranger l’argent. annexe 7
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* Control freak est le terme anglais désignant les personnes ayant ce besoin continuel de pouvoir tout contrôler et anticiper. Une conséquence de ce culte du détail et des mécanismes d’anticipation des comportements ?
ceci de névrose individuelle dûe à une destructuration quotidienne de l’esprit, affolé ou exalté par le détail. Ainsi, il y a une sorte de perversité dans ce désir absolu d’accès aux informations les plus précises sur notre environnement pour soi-disant mieux le contrôler et le comprendre. C’est ce phénomène qui favorise donc l’insertion des technologies de l’information au coeur de nos usages*.
Une logique de marché : Duane Hanson avait déjà compris ce que sous-entendait ce fonctionnement de l’économie capitaliste moderne, de la société de consommation en l’exprimant d’un regard critique dans 30. Duane Hanson,
Supermarket Shopper, 1969-1970 , annexe 8
Voir image page de droite
« Supermarket Lady »30. Cette oeuvre montre l’archétype d’une femme forte au supermarché, transformée par la sur-consommation, son caddie en fait la démonstration car il regorge de produits industriels. Pour la replacer dans un contexte plus actuel, nous pourrions faire le
parallèle avec la proposition foisonnante d’applications, de mises à jour qui actualisent et maintiennent en continu les utilisateurs dans un cercle vicieux de consommation. De manière concrète, il s’agit là d’entretenir les ressources d’un business mondial. Cette force de proposition des entreprises répond effectivement à une logique de marché servant elle-même à anticiper puis proposer à nouveau. Différentes stratégies marketing semblent aussi être responsable de cette adhésion des usagers de service à une marque. Elles ont pour but de rendre une innovation technologique indispensable pour les usages d’une personne. La firme Apple semble avoir trouvée une manière de
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Golden circle par Simon Sinek : TED
Stratégie marketing classique
http://www.coolmarketingstuff.com/whyapples-marketing-is-different-by-simonsinek/
Méthode de persuasion
WHY
HOW WHAT
Stratégie marketing d’Apple «People buy why you do this, not what» «Business with people who believe what you believe»
WHY
HOW WHAT
Rationnalisation de la pensée, des désirs, du besoin. Même croyance = Confiance Parler des gens, de ce pourquoi ils vivent, ce qu’ils sont
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rendre rationnelle et logique* l’achat de leurs services dont un grand nombre de personnes dépendent désormais. Cela influencera alors la construction et logique de fonctionnement du service, de sorte à conditionner l’usager et le rendre dépendant à l’entreprise (produit prison 31). Finalement, on peut dire que le service est parfois purement fictif, sans objet réel et que l’entreprise génère des pseudo-services. La limite qui peut-être énoncée, est celle où le service ne répond plus à sa fonction lorsqu’il est là pour conditionner l’usager.
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* Voir schémas page de gauche 31. Franck Cormerais,
Du design d’objet au design de nos existences, Bernard Lafarge et Stéphanie Cardoso (dir.), Philosophie du design, Figures de l’art 25, Revue d’études esthétiques, Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2013
Une autre caractéristique recherchée par
le client et c’est encore plus vrai pour les systèmes technologiques avec leurs capacités surdéveloppées, est le pouvoir du cool 32. Impressionné par les capacités de son nouveau service, l’usager ne se souciera pas de l’impact qu’il a sur lui. à sa manière, cela va occulter la vision du
32. htt http://www.
youtube.com/ watch?v=GWGDVxgPvUI
client avide d’innovation, le snob des temps modernes. De plus, la connexion et l’accès qu’offre ces objets, services permet socialement d’être intégré à ce nouveau monde. Ainsi, le service n’est plus dans l’obligation de répondre à un réel besoin et fait écho à ces pseudo-services qu’il est désormais plus facile à faire accepter.
La persuasion inconsciente peut aussi se
faire via une méthode qui permettrait de diriger nos
33. http://www.
franceinter.fr/emissionla-tete-au-carre-leneuromarketing
décisions. Cette technique appelée neuro-marketing33 ou psychologie cognitive résulte de ce croisement entre les neurosciences cognitives et le marketing qui étudient les stimulations cérébrales pour élaborer une communication plus efficiente. En effet, l’étude
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des réactions du cerveau humain façe à des stimulations (images, mots, couleurs...) démontre que le message est plus ou moins assimilé. L’objectif ici est de rendre cette assimilation obligatoire mais aussi de pouvoir faire adhérer psychologiquement et physiologiquement le cerveau au message. On peut l’utiliser comme un moyen d’améliorer l’expérience des supports communicatifs, à l’image des messages de prévention du gouvernement. Elles sont par ailleurs utilisées pour diriger nos choix de consommation. Pour cela, le neuro-marketing devra aussi utiliser le fort potentiel affectif véhiculé par la publicité en travaillant une nouvelle fois sur la conscience collective. Dès lors, on pourra évoquer le fait que cette consommation forcée fait état d’une forme d’aliénation qui est de ne plus faire appel à son jugement et ainsi de se déposséder de tout regard critique.
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Toutes ces techniques de manipulation opèrent sur la masse de manière détournée. Il en va alors de se demander par quels outils concrets, cette manipulation peut exercer son action sur ce nouveau «moi technologisé » par le service : quels sont-ils ?
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Une organisation du service en système technique
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Les outils dont nous allons parler dans cette troisième partie
se structurent dans une organisation systémique du service. En effet, l’introduction de la technologie dans la relation de service a complexifié l’organisation de celui-ci. 34. Jacques Ellul, La société technicienne, édition CalmannLévy, 1977/ le cherche midi, 2004, 2012
Pour comprendre, la notion de système pour le service, il convient de se référer à la terminologie de système technicien par la définition qu’en fait Jacques Ellul 34 . Dirigé par la dictature de l’expert ; la Technique en tant que système est constitué d’un ensemble de parties ou
sous-parties organisées et structurées entre elles selon des lois. Pour être fonctionnel, ce système doit répondre à un ordre précis dans son fonctionnement. De plus, Ellul fait une analogie entre le système technique et le cancer : Il nous dit que la Technique en tant que système se comporte comme le cancer en proliférant dans un tissu ancien car il est incapable de vivre par lui-même. Par rapport au système de service, le système technicien tel qu’Ellul le définit, transforme ce système de service en lui apportant une organisation et un fonctionnement propre à l’univers de la Technique. Son auto-évolution dans le corps social produit des mécanismes de
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conformisation de ce « tissu social » à ses règles *. Nous parlerons synthétiquement des actions et réactions humaines. Il s’en suit par exemple que si l’usager modifie son comportement vis-à-vis de l’outil, le système devra faire preuve de réactivité, se modifiant par auto-évolution, son système interne ainsi que celui des interrelations de
* Métaphore du cancer : Le système technicien a besoin tout comme le cancer de cellules sur lequelles se greffer pour pouvoir se développer et se répandre.
l’ensemble du service*. Pour intégrer l’homme à ce système, il faut alors le considérer comme un objet de celui-ci. Nous verrons aussi que la Technique résulte d’un processus d’extériorisation des capacités humaines, ce qui pourrait justifier ce pouvoir dont se dotent peu à peu les appareils par le biais d’une évolution technique. Déterminant un nouveau rapport entre l’homme et la Technique. Notamment par l’introduction et l’usage des mathématiques dans les sciences humaines, indicateurs de la mécanisation du monde.
* Bertrand Gilles décrit, « Le système est un ensemble d’éléments en relation les uns avec les autres de telle façon que toute évolution de l’un provoque une révolution de l’ensemble et que toute modification de l’ensemble réagit sur chacun des éléments » Bertrand Gille, « La notion de système technique », essai d’épistémologie technique, 1979, page 2 .pdf
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La différents positionnements de la technologie dans le service 35. Entretiens du
nouveau monde industriel, Sous la direction de Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, édition Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, octobre 2008 pour la présente édition
L’arrivée de la technologie dans la conception
du système de ser v ice crée d i f férents schémas organisationnels. La posture technologique de l’appareil vis-à-vis de l’utilisateur en terme d’interaction et de contrôle du service se distingue selon trois catégories : le quantificateur, l’assistant et l’automate.
La première posture peut être nommée le révéla-
teur ou quantificateur. Son fonctionnement se base sur la captation en temps réel d’informations sur une activité, un corps, etc. Une grande quantité de données est alors amassée et interprétée selon des modèles de représenta-
36. Axel Honneth,
La Réification, Paris, Gallimard, 2007 - http:// www.revue-klesis.org/ pdf/Klesis-Nour.pdf
tion. On assiste alors à un processus d’extériorisation35 de notre intériorité et de quantification de notre intimité. L’algorithme qui l’anime répond de manière rationnelle à son intelligence de calcul. Pourtant les interprétations du réel sont totalement dénuées d’émotions, de ressentis.
Somme toute, ce qui fait que nous vivons l’action et que nous ne la contemplons36 pas. Cela amorçe un processus de réification de l’individu, puisque celui-ci ne prendre le poul de son environnement que par l’intermédiaire d’une interprétation du réel basée sur des données. Ce qui construit une nouvelle perception de soi-même, mais aussi de notre environnement.
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
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Fourchette connectée Hapifork_ Calcul le nombre de repas pris, les heures, le nombre de bouchées que l’on prend et les intervalles entre cellesci. Elle réalise alors des statistiques sur cette activité. + annexe 7
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
Ensuite la seconde figure est l’assistant. Il joue tout d’abord le relais entre le fournisseur humain de service et l’usager au travers de différents moyens de communication : écran, connexion internet, téléphone... Ces moyens permettent de réduire la distance induite par la technologie. Sa deuxième fonction est celle qu’induit son nom : assister l’usager dans sa tâche. Ce positionnement de la technologie est le symbole du transfert technologique de l’expertise humaine, de son savoir-faire dans l’objet qui le matérialise. L’usager doit alors se référer à cette matérialisation programmée qui répond et agit comme l’aurait fait 37. ibid., p. 54
le technicien. Cette assistance doit bien évidemment, comme tout système technique, se décompose en étapes
dont les informations sont diffusées suivant une organisation définie. Cette structure du système se répercute alors sur l’usage même de l’objet, on peut alors se demander si l’objet technique n’est pas 38. Jacques Ellul, La
société technicienne, édition Calmann-Lévy, 1977/ le cherche midi, 2004, 2012
en mesure d’instrumentaliser la pratique. Honneth 37 souligne que l’imposition d’une pratique unilatérale avec des interactions et actions construitent autour d’une structure mathématiquement logique38 génère une instrumentalisation de la raison elle-même. On assiste
alors à une obligation inconsciente de l’homme à réaliser l’action de la manière dont aura été programmée le système. Il est intéressant alors de définir la distinction entre logique d’assistance et d’assistanat. Celles-ci diffèrent dans le degré de soutien apporté par le serviteur. Pour l’assistance, la personne va aider à réaliser une
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
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tâche. L’objectif est de pouvoir aider l’usager à atteindre un but par coaching, en faisant part d’une expérience ou en prêtant momentanément des capacités. L’assistanat va plus loin car la tâche sera réalisée par quelqu’un ou quelque chose à notre place. (cf. assistanat médical). La tâche est déléguée à une entité qui réalise l’action et donc décide à la place de l’usager. On peut dire que l’assistanat remplace finalement l’autonomie de la personne.
Borne autonomatique Autolib_ Possibilité d’aide par visio-assistance. Cette borne permet de louer sa voiture via celle-ci. En cas de problème, un écran/visiophone permet de prendre contact avec un assistant, nous aidant ainsi à pouvoir louer la voiture, etc...
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
L’automate est la troisième catégorie. Il permet à l’assistanat
de prendre forme au travers de systèmes auto-gestionnaires, déresponsabilisant totalement l’usager. Cependant, ces sytèmes rendent service aux usagers en les débarassant de différentes tâches répondant à des questions de nécessité et n’ayant pas de réelle valeur d’accomplissement. Cet acte de gestion doit d’abord passer par certaines étapes caractéristiques progressives de la dépossession de la pratique (apprentissage, instrumentation, captation de données, prédiction, gestion). Le nouveau Thermostat Learning de Nest peut par exemple anticiper le besoin et ainsi gérer votre système de chauffage.
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
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Thermostat Nest learning_ Quantifie vos habitudes pour pouvoir se régler automatiquement et ainsi apporter un confort d’usage sans faire attention à régler en permanence son thermostat. annexe 9
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Dimension critique
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ta l
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Processus d’aliénation
Dépossession de l’usage
Instrumentalisation de l’usage
Valeur d’apprentissage
Schéma récapitulatif du processus d’aliénation en parallèle de l’évolution de l’outil technologique
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Evolution outil technologique
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Modification du comportement de l’usager = évolution
Nouvelle proposition Auto-gestion
Habitudes quantifiées et inscritent dans la matrice
Phase d’apprentissage de la technologie
Paramétrage pré-existant
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Les différents positionnements de la technologie dans le service
Différentes postures
Tableau de synthèse des différentes postures de la technologie au travers de l’outil dans le service.
Quantificateur / Révélateur
Captation en temps réel d’informations sur nos activités Extériorisation de notre intimité, de nos activités Rationnalisation des activités par des algorithmes Interprétations du réel dénuées d’émotions
Réification Nouvelle construction du réel
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Automate / Gestionnaire Déresponsabilisation de l’usager
Contrôle de l’action et de l’environnement
Assistant / Relais Relais entre serviteur et utilisateur
Réduire la distance induite par la technologie
Étapes de dépossession de la pratique Anticipation du besoin basé sur la captation et la certitude des envies Logique de fonctionnement mécanisée Pratique unilatérale
Transfert de l’expertise humaine
Instrumentalisation de la raison
Aider à la réalisation ou instrumentaliser l’usage
Débarasser l’usager de tâche non enrichissante
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Fonctionnement et logique du système technologique Cette logique du système technique induit différents 39. Theodor W.
Adorno, Minima Moralia, Réflexions sur la vie mutilée, édition Payot pour la traduction française, 1980, 1983, 1991
états de la technologie au sein même d’un système incluant homme, support physique et support numérique.
La place de la technologie est un point important dans
l’expérience de médiation dont elle devient alors garante. Les différents éléments de ce système technique vont être sujets à des interrelations que la technologie va diriger ou être contrôler par l’influence de facteurs externes comme
* éthique : utilisation des données personnelles par une entreprise / chercher à faire consommer davantage / remplacer l’activité humaine par des appareils autonomes / supprimer le travail du fournisseur de service
l’action humaine ou la captation de données. Les différentes articulations proposent alors plusieurs formes de services et positionnements, lesquelles autorisent un certain pouvoir d’action sur l’ensemble.
La construction de cette logique numérique, modèle
d’elle-même l’usage d’une nouvelle temporalité, autant par la rapidité des moyens de communication que par le découpage des actions. Adorno39 pense que les rythmes imposés façonnent les comportements humains. On peut alors remettre en cause le bien-fondé du progrès technique et la
digitalisation du monde. Cela pose évidemment des questions d’éthique*,
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Fonctionnement et logique du système technologique
quand au possible « design de nos existences » (notion de Bernard Stiegler)40. On constate aussi que cet ensemble d’interactions peut s’élargir en créant un nouvel environnement via les connexions entre objets *. Le concept de trigger41*, dans sa définition informatique, est assez représentatif de cette automatisation et autonomisation des connexions. Il remet en cause le principe d’intentionnalité de l’usager, à l’image
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40. Entretiens du nouveau monde industriel, Sous la direction de Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, édition Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, octobre 2008 pour la présente édition
de la smart home où se joue une automatisation paramétrée. N’y a-t-il pas alors l’obligation de fixer certaines limites dans l’exploitation de ces interactions pour éviter une totale mécanisation de la vie ? Ce qui pose alors la question d’une émancipation ou non par l’intermédiaire de ces objets technologiques.
La conception technique du système met elle
aussi en avant les limites du contrôle humain du service et le pouvoir dont est porteur la technologie. On voit aussi
* La Nest family compte plusieurs typologies d’objets gérant en grande partie les activités de la maison qui sont centralisés par un objet gestionnaire de ces objets, et qui est lui-même relié à un service et donc une entreprise. annexe 10
que la figure de l’assistant semble être, si elle ne remplace pas l’action humaine, non réifiante et non aliénante. Les caractéristiques du système induisent aussi que la personne doit d’une part tenter de garder le contrôle de son environnement, mais doit être aussi consciente de ce qui l’engage lorsqu’il fait entrer le service technologique dans son quotidien, par conséquent, ce dont il se dépossède. En ce sens, la définition du système technique d’Ellul indique
* Trigger : formule empreintée au domaine de l’informatique. Si un élément se déclenche, alors un autre réagit et ainsi de suite. Un trigger ou déclencheur est un événement qui provoque l’exécution d’un algorithme 41. Objets et corps
connectés : de la science-fiction dans nos réalités d’affaires : https:// www.youtube.com/ watch?v=cuja55OLu9E
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Fonctionnement et logique du système technologique
que l’homme ne peut être maître de la Technique. Il doit simplement, être en mesure d’ajuster son rapport avec celle-ci. L’usager devra par exemple utiliser tel service avec parcimonie, ce qui implique alors une déconnexion. Cela pose donc des questions de transparence sur les processus techniques pour ainsi maîtriser son rapport au service.
On admettra donc que le service en tant que système, induit, suivant la posture qu’adopte la technologie, de nouveaux rapports à la perception du monde, à l’expérience de celui-ci. Différentes solutions dans l’attitude de l’usager ou dans l’activité créatrice devront être déterminantes pour pouvoir se réapproprier notre environnement.
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Quels solutions pour l’avenir?
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Dans cette dernière partie, se basant sur le constat que fait Bernard Stiegler sur la société capitaliste « celle-ci a atteint ses limites en soumettant le devenir des systèmes sociaux au devenir du système économique, lequel a une emprise de plus en plus totale sur le système technique »42 . Le primat accordé au développement technique comme vecteur d’accroissement économique induit que si l’on veut modifier le 42. Bernard
Stiegler, ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, De la pharmacologie, Flammarion, 2010, p.163 extrait de - http:// arsindustrialis.org/ groupe-de-travailsur-l-economie-dela-contribution
fonctionnement économique, il faut ré-introduire à l’origine du système technique, des valeurs éthiques et sociales. Je tenterai plus tard d’expliquer les possibles solutions qui pourraient amener à ce qu’il appelle le ré-enchantement du monde. Ayant mis en avant certaines notions comme la perte de contrôle, l’aliénation du geste opératoire et d’un avis critique ou même la distanciation client/technicien ; il est de mon point de vue nécessaire de refonder les bases du
service pour assurer un développement maîtrisable de la technologie et la conservation du tissu social de la société et de l’intégrité humaine.
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Retrouver une autonomie au quotidien 43. Bernard Stiegler, Du design comme sculpture sociale, page 2, Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
Contrôler son quotidien : un euphémisme ou
* « les motifs ne se constituent pas dans les usages que prescrivent les modes d’emploi, mais dans les pratiques qui développent des savoirs où se forment les saveurs qui leur donnent consistance »43
des savoir-faire parfois dira-t-on élémentaires, idée
une réalité à notre portée ? Le premier point que j’aimerai aborder concerne la mécanisation de notre pratique sous la forme d’un mode d’emploi qu’il nous faut impérativement suivre. L’aliénation progressive nous a empêché d’assimiler que défendra Bernard Stiegler43*. Entendons par là, que l’expérience du monde se forge dans un rapport intime, crée par la pratique régulière ; en étant acteur, le sentiment d’accomplissement, de valorisation de l’individu apparaît. De plus, la complexité de l’appareil ne nous permet plus de comprendre son fonctionnement interne, cela
44. Moholy-Nagy,
Telehor, 1936 http://a4rizm. wordpress.com/tag/ uvre/page/5/ + image page de droite
créer une incompréhension qui nous empêche d’être réellement maître de nos usages. La transparence technologique serait alors une manière de revaloriser notre apprentissage des techniques et d’être à même de se réintégrer à ce monde. Sur le plan technique, nous parlerons ici de la
transparence des interactions, des actions qui s’orchestrent toujours de manière cachées 44*. Informer les usagers, sur leurs engagements
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Retrouver une autonomie au quotidien
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* Moholy Nagy a mis en évidence avec son regard contemporain, le fonctionnement interne de l’appareil, révélant ainsi ses rouages.
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Retrouver une autonomie au quotidien
et sur les probables conséquences de leurs implications indirectes permettrait un espoir de prise de conscience de celui-ci. L’exemple le plus marquants sont les conditions d’engagement des réseaux sociaux (Facebook, Twitter...). En étant averti, l’usager pourra adopter des comportements, le rendant maître de son rapport au service et de pouvoir juger si oui ou non il est aliéné. L’invocation du libre-arbitre serait à même d’après Jean Louis Beauvois et Robert-Vincent Joule45 , d’annihiler les risques de manipulation. D’un point de vue pratique, le contrôle de l’usage 45. Jean-Léan Beauvois et RobertVincent Joule, petit traité à l’usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble Collection « Vies sociales », 2003, page 2
au travers d’objets singularisants serait un vecteur du retour à l’individuation. Ceci serait caractérisé par un état de conscience, une réutilisation de ses sens et la constitution de soi dans l’expérience. De plus, au regard du déterminisme technique actuel, le contrôle par l’usager ralentirait celui-ci car il faudrait mesurer au cas par cas si l’innovation technologique est nécessaire. De plus, la notion d’accomplissement du travail est aussi une constituante du
46. Franck
Cormerais, Du design d’objet au design de nos existences, Bernard Lafarge et Stéphanie Cardoso (dir.), Philosophie du design, Figures de l’art 25, Revue d’études esthétiques, Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2013
47. Matthew
Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail : http://lectures. revues.org/1351
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développement psychique individuel dans son rapport au monde. Franck Cormerais46 étaye ce propos par la suggestion d’une « prise en main » car l’individuation se fait dans une pratique réactivant ses actes. Comme avec le travail de l’artisan de Crawford 47, la primauté du rapport physique et de la confrontation au réel semble primordial. Ainsi, la construction de la pratique, doit être repensée suivant certains schèmes cognitifs réhabilitant l’utilisateur dans son rôle d’amateur. Franck Cormerais préconise alors de créer des services « cultivables, bricolables et contrôlables » pour retrouver manipulation, configuration et surtout ré-appropriation du service.
Retrouver une autonomie au quotidien
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Il faut créer des services « cultivables, bricolables et contrôlables. » [...] Franck Cormerais46
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La construction d’une nouvelle économie contributive 48.
Bernard Stiegler, Du design comme sculpture social, Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
49. Philippe
Beraud et Franck Cormerais, économie de la contribution et innovation sociétale, 2011/1 n°34, pages 163 à 183 - http://www. cairn.info/revueinnovations-20111-page-163.htm
Construire une économie soutenable ou d’après Bernard Stiegler une nouvelle fois, « une économie libidinale industrielle »48. Cette thèse indique que le moment est venu de recréer un lien dans la création entre fournisseur de service et client dans l’économie de services. D’une certaine façon, un design solidaire mêlant les questions économiques et sociales. Ce principe de coopération voit apparaître la figure du contributeur ou prosommateur49*. Ce contributeur moderne devient amateur, plus motivé par des intérêts que des raisons économiques. C’est pourquoi on appelera autrement cette figure comme celle du prosommateur : amateur contribuant avec les mêmes attentes, exigences et règles de qualité qu’un professionnel. Cette figure-là de l’usager est aussi née des tensions entre
la satisfaction des réponses apportées par ces « objets vivants » et le sentiment d’être inutile et étranger à l’action. Ainsi, par la participation, ces personnes seraient en mesure de participer à l’élaboration de service dont ils seront les futurs usagers, en apportant un regard d’expert de l’usage et non pas de la conception. Cela confrontera alors le service à la réalité de l’usage.
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La construction d’une nouvelle économie contributive
En ce sens, le prosommateur doit pouvoir s’intégrer à des structures dédiées à ce type de collaboration industrielle et pas simplement au travers de questionnaires distribués. Ces hommes doivent prendre part à l’activité créatrice, au même titre que le technicien. Plusieurs initiatives émergent à grande échelle comme avec les plateformes de crowfounding (OpenOxylane / Orange datavenue 50). Elles existent aussi à une échelle locale qui implique plus le contributeur51. La 27e région intervient dans le champ de l’innovation publique locale en réalisant des workshops avec les acteurs locaux. Il faut alors davantage intégrer
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* Prosommateur ou Pro-am : « Le terme pro-am désigne la figure du professionnelamateur, à l’intérieur de l’économie de la contribution, c’est-àdire celui qui apparaît sous le statut d’amateur mais qui s’investit dans son activité avec les mêmes exigences, les mêmes attentes, les mêmes règles de qualité que les professionnels. »49
au niveau industriel, des contributeurs pour développer ces programmes d’innovations qui ont des implications sociétales.
50. http://imagine. orange.com/fr/ datavenue/idea/list
51. annexe 12
Plateforme Orange Datavenue_ Plateforme de partage d’idées pour la création d’objets connectés du quotidien. + annexe 11
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Une nouvelle éthique pour le designer ? Au regard des questionnements initialement posés, les interrogations d’Alexandra Midal 52 au sujet de la réactualisation d’un propos critique et du rôle du designer semble légitime. Fixer des enjeux pour l’avenir, du point de vue social mais aussi de l’innovation technologique. Premièrement, en vue d’un développement réf léchi 52 + 54. Alexandra Midal, introduction à l’histoire d’une discipline, 2009, édition Pocket
de la technologie, nous devrons peut-être reconsidérer ce questionnement majeur, de toujours faire gagner du temps. Ainsi que de favoriser la construction d’une culture sociale. Quel serait alors le dessein pour les technologies de l’esprit ? Leur pouvoir de contrôle doit être repensé pour en tirer les
éléments d’interactions les moins aliénants pour l’utilisateur. Comment garder ce qui rend l’usage de la technologie le plus intéressant en terme d’efficacité, d’accès, d’augmentation de certaines capacités sans perdre cette sensibilité qui fait de notre monde, un monde humain.
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Une nouvelle éthique pour le designer?
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Une trajectoire pour le design :
Le designer devra se positionner lors des débats internes à la
création, aussi bien au coeur d’une équipe, que dans ses propositions. Il doit être conscient des conséquences de l’emploi à outrance de ces technologies, du « colonialisme numérique »53 dont il est un des acteurs majeurs. « Pour autant sa position est stratégique. Elle lui confère une responsabilité et la possibilité de contre-proposer des alternatives, des positions ironiques et des réajustements
53. Roberto
Casati, Contre le colonialisme numérique, Manifeste pour continuer à lire, Albin Michel, 2013
qu’aucune discipline ne peut prétendre égaler » 54 . Grâce à son positionnement dans la chaîne de création, au croisement des attentes et diverses expertises, le designer se doit de faire la synthèse de ceci et des possibles conséquences sur le système et l’utilisateur. Plusieurs figures du design contemporain se positionnent dans cette optiquelà, Dune et Rabby55 ou Maxime Mollon 56 avec leurs approches plus fictionnelles du futur de la communication et de la technologie. Un discours politique et économique reste donc à mettre en place, pour poser de nouvelles bases sociales dans l’innovation des services. Le designer doit apprendre à remettre en cause son travail et les entreprises prendre conscience de leur production. Il faut pour cela que des leaders puissent reposer ces bases, tels que l’État, des entreprises publiques, 27e région... 55. http://www.
dunneandraby. co.uk/content/ home
56. http://
designfiction. over-blog.com/ conf%C3%A9rencede-maxime-mollon + annexe 13
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Conclusion
Aliéné par l’innovation, l’homme ne comprend pas toujours les enjeux qui se juxtaposent face à cette déferlante de produits toujours plus rapides, efficaces dans leur propension, à agir en toute autonomie. L’adhérence à ce système transitoire cherchant à augmenter notre corps et notre capacité à contrôler notre environnement, nous pousse toujours dans la recherche du détail et ainsi du service pouvant donner ces informations. Les microprocesseurs et capteurs peuvent gérer ce type de besoin, leur intelligence algorithmique interprétera au mieux les informations requises pour les représenter. Je ne dirai pas alors qu’il faut être contre la technologie et l’internet des objets, mais qu’il faut accompagner ce progrès technique pour qu’il soit maîtrisable et participe aussi à une innovation sociétale. Le service peut en ce sens permettre grâce à ses apports technologiques de répondre à des problématiques sociales, par exemple avec les moyens de mise en relation et du partage. Cependant, si, ces innovations semblent tout simplement créer une inertie favorisant leur développement à tous les stades et dans toutes les situations possibles. Les mécanismes de manipulation politique et économique du système capitaliste réaffirme un positionnement technologique qui favorise ce phénomène d’aliénation générale. L’avidité et l’individualisme du consommateur entretiennent cette organisation de la pensée sociale. La structure du système technique joue alors lui aussi un rôle prépondérant dans ce façonnement des comportements et de l’inconscience, en
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forgeant des représentations et interprétations commerciales du réel. De surcroît, le fonctionnement du système induit des types de relations homme-machine mais aussi interrelations à l’intérieur du système technique qui se répercuteront sur l’organisation du service. L’usager devra être placé au centre de cette organisation et non plus en bout de chaîne ou en tant que spectateur de son service. Les activités augmentées par la technologie, sont-elles à repenser autour d’un apprentissage de la pratique ainsi que de cette perte d’action de l’usager et du processus de désensibilisation de l’homme par la délégation de nos capacités, de notre conscience. Ainsi, c’est au designer qu’incombe la tâche de repenser ces usages de services aliénants en se posant les questions nécessaires à l’élaboration de systèmes de services qui se libéreraient du phénomène d’aliénation.
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réfléxions pratiques
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table des matières °/2 INTRODUCTION
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88_97 E. Réticences et motivations Vers un service technologique
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Les raisons
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Organiser un serviceLa place de l’humain
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F. PRISE DE CONSCIENCE ET TRANSPARENCE Marchandisation du service
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Prendre conscience de nos implications
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G. DES USAGES SINGULIERS Maîtriser sa relation au service 112_115 Feedbacks sensibles 116_119
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H. IDENTIFIER L’aliénation dANS LE service Analyse et jugement 122_125
126_127
CONCLUSION
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E. Réticences et motivations
F. PRISE DE CONSCIENCE ET TRANSPARENCE
Pour comprendre ce phénomène
Par la mise en valeur de certaines
du point de vue de l’usager, j’ai
informations qui ne sont pas
cherché à connaître la raison du
toujours perceptibles par l’usager,
succès de ces nouveaux services,
j’ai voulu permettre à celui-ci
ainsi que les mauvais aspects
de prendre conscience de ses
de ceux-ci que m’ont révélé les
implications.
usagers.
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G. DES USAGES SINGULIERS
H. IDENTIFIER L’aliénation dans le service
Par la suite, je me suis intéressé à trouver des moyens, dans l’usage,
En synthétisant toute ma
pour permettre à ce même usager
réflexion et mes recherches.
de recouvrir un certain contrôle
Je suis arriver à produire un
et empêcher cette aliénation.
outil qui définit de manière structurée l’aliénation et ainsi d’en comprendre précisément les causes pour au cas par cas, avoir une ligne de conduite dans la création de services.
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INTRODUCTION
Le phénomène d’aliénation qui touche toutes les strates de notre
société est en pleine évolution avec cette emprise de plus en plus grande qu’ont les services intelligents sur notre quotidien. Une vraie révolution dans la manière de concevoir et d’accéder aux services qui prennent une toute autre forme en se matérialisant au travers d’une diversité d’objets du quotidien dont chacun peut faire l’acquisition. J’insisterai sur cette notion d’acquisition, synonyme de propriété et donc de privatisation qui est pourtant remis en cause par ce phénomène d’aliénation. Il convient alors d’identifier les mécanismes aliénants des services pour en déduire des solutions et/ou préconisations à respecter. En premier lieu, ma recherche s’est attachée à soulever les motivations ou réticences des usagers à utiliser ou non des services technologiques autonomes. Ceux-ci permettent un accès que chacun peut utiliser sans limite avec une quantité infinie de services au travers d’applications, objets connectés, internet... C’est ainsi, qu’une multiplication de liens visibles et invisibles se créée et dont la plupart des usagers n’ont pas forcément conscience. Une « mise à plat » ou un « déchiffrage » de nos diverses implications dans un service est alors apparemment nécessaire. J’ai voulu faire prendre conscience
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aux gens des changements qui interviennent dans la relation au service et in fine sur leur vie, leur comportement. Ce qui questionne en même la place de l’humain dans ce tissu de relations et de liens. Ensuite, dans une autre série d’expérimentations, ma réflexion a questionnée les divers moyens qui pourront transformer l’usage d’un appareil et sa façon d’interagir avec l’usager qui a des conséquences manifestes sur la perception de l’information, de l’environnement et de l’activité sur l’usager. J’ai donc essayé de transformer ces usages en pratiques singulières au travers d’interactions sensibles et par lesquelles l’usager redeviendrait maître de son service. Ces pratiques singulières, participent à replacer l’usager dans une nouvelle relation par rapport à l’usage de l’appareil et du service.
Une définition des critères et un recensement permettant
de mettre à jour la part éventuelle de l’aliénation dans les usages me paraissait nécessaire pour d’une part créer un service ou d’autre part l’analyser. Ce travail répond alors à la perspective, voire la nécessité de questionner le designer sur sa responsabilité dans son rôle de créateur, ainsi que l’économie de services et l’éthique qui s’y attache. De plus, il me permet de ré-aborder cette nouvelle économie du désir basée sur une participation active de l’usager sous l’angle de la création et implicitement dans celui de l’usage du service.
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RĂŠticences et motivations
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Avec cette transformation des services, nous sommes en droit de nous demander de quelle manière les services technologiques permettent-ils à l’homme de s’émanciper de la tâche. Nous devons tout d’abord cerner les désirs de chacun et ce qui motive le futur usager à choisir un service technologique.
Vers un service technologique Pour comprendre les motivations et aussi certainement les craintes à l’égard de ces changements, j’ai donc proposé un questionnaire créatif visant à transformer un aspirateur en service ultra-connecté. Il fonctionne sur la base de questions visant à créer pas à pas tous les aspects du service imaginé. Il en ressort qu’il y a un choix délibéré de vouloir s’affranchir de tâches ingrates en rendant un appareil totalement autonome. Pourtant il demeure une crainte dans l’usage de ce service autonome du fait de perdre une part de son contrôle ou du moins, de ne plus maîtriser totalement son activité. C’est une nouvelle fois, une remise * Réponses : L’aspirateur stoppe lorsque l’on rentre dans la pièce / Possibilité de passer l’aspirateur nousmême.
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en cause du principe d’intentionnalité qui est souvent énoncé. Plusieurs participants ont mis en évidence des fonctions de ce service permettant de stopper le service ou d’être tenu au courant de ces moindres faits et gestes*.
Vers un service technologique
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Expérimentation_ Fiction_ Création d’un cutter intelligent qui nous indique par un mode d’emploi et des voyants lumineux l’angle de coupe optimal qui nous permettra de couper à la perfection. C’est en quelque sorte une satyre de ce contrôle permanent.
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Les raisons Ces craintes de l’usager font écho à une autre expérimentation que j’ai menée en parallèle. Dans celle-ci, la simple comparaison entre deux objets répondant à la même activité mais dont l’un était « intelligent », m’a permis de soulever et de recolter des verbatim révélant les craintes des usagers. La perte du geste dans l’action, notamment pour les activités de la cuisine révèle une nécessité de garder le « ressenti » et l’expérience de la pratique. De plus, ces verbatims réaffirment ce * Par exemple, la rationalisation de la consommation du frigo intelligent va inconsciemment créer un rapport monotone à la consommation et inciter à acheter toujours la même chose (présentation des consommables que nous avions déjà dans notre frigo)
paradoxe de la technologie qui finalement dans certains cas limiterait l’usager au lieu de le libérer. Les cuiseurs intelligents par exemple ne peuvent pas selon la plupart des personnes interrogées, résumer la cuisine à un ensemble de programmes*. Ces conséquences sont liées finalement à l’organisation du service qui tend à remplacer le facteur humain dans toutes les actions et interactions par un appareil ou services technologiques annexes (marché en ligne par exemple). Il
convient alors de se questionner sur cette posture que souhaite conserver en partie l’usager et le fournisseur de service dans cette relation.
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Les raisons
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Expérimentation_ Connecté ou non_ Liste de réactions de personnes questionnées sur le choix entre un objet dit « basique » et un « connecté ».
« les gens utilisent tout le temps la même fonction et ne se servent que très rarement des autres » « Il manque le geste mais cela évite d’avoir son ordinateur sur la table » « En cuisine, il y a différentes écoles, soit très cadré et ultrascientifique, soit un peu à ta sauce et des fois tu as des bonnes surprises » « Peut-être qu’il y a quelque chose de meilleur mais que tu ne vas jamais tester » « Apprendre à repérer, et peut-être à insinuer plus qu’à montrer » « C’est la cuisine, c’est à toi de voir les petites astuces »
« à quel moment parce que tu goûtes, tu sens que cela est prêt » « C’est une question d’affinité et d’adaptation » « Je ne pense pas que cela peut se réduire à des programmes et c’est peut-être au niveau du ressenti » « Puis bon, j’ai déjà mangé des trucs cramés et parfois c’est une bonne expérience »
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Organiser un service - La place de l’humain
J’ai questionné et observé la manière dont les usagers pourraient
être amenés à se déposséder d’action, d’obligation... en imaginant de nouveaux services via une représentation schématique de ceux-ci. J’ai donc mis à disposition plusieurs facteurs technologiques et un facteur humain pour construire un service. Tout d’abord, ce qui est questionné par les participants est la libération du temps, la libération de la corvée qui, de fait, n’a pas à être reconsidérée puisque le service rend plus service qu’il ne dépossède l’usager. De plus, le fait de placer un facteur humain au même niveau que les facteurs technologiques obligent inconsciemment le créateur de service à l’incorporer dans ce système au même titre que l’appareil et ainsi de maintenir, au minimum d’égalité, ce rapport à l’humain. Et, il apparaît que dans certains cas, l’usager est replacé au centre du système de relations. Dans d’autres, l’usager devient maître de son rapport avec le fournisseur de service en fixant lui-même des interactions, temporalités et type d’informations transmises. On peut aussi constater que cette expérimentation permet d’avoir une vision globale d’un service et ainsi d’être conscient du rôle de chaque partie dans le système.
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Organiser un service-La place de l’humain
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Cette mise à plat d’un service m’a permis de révéler les implications et la responsabilité de chacun dans ce système dont nous ne sommes parfois pas maîtres et dont nous avons du mal à avoir une vision d’ensemble. Celle-ci même qui devient de plus en plus compliqué à se faire visible du fait des relations digitales et du transfert d’informations qui n’est pas toujours indiqué à l’usager. De fait, ses relations invisibles participent à ce phénomène d’aliénation et de non conscience.
Expérimentation_ Atelier de création de services_ Cartographie de service + visuel montrant les différentes facteurs possibles permettant de composer le système ainsi que des plaquettes transparentes destinées à définir pour chaque élément si c’est un homme ou la technologie qui contrôle les actions du facteur choisi.
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Organiser un service-La place de l’humain
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Prise de conscience et transparence
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L’implication de chaque personne dans ces nouveaux services
n’est finalement pas toujours palpable et presque invisible, pourtant les implications sont bien réelles et présentent plusieurs conséquences. Ces conséquences sont en partie déterminées par la dépendance de l’usager à son milieu technologique. Un milieu en plein changement qui répond à tous les besoins de l’usager. Une dépendance que nous sommes en mesure de pouvoir quantifier comme en démontre le projet de l’entreprise NoDesig n « le dépendomètre ». Cet appareil va représenter la quantité d’informations que nous faisons transiter par l’intermédiaire de nos services. C’est une manière de pouvoir interpréter et rendre visible à l’usager ce qui le lie aux services qu’il utilise. Cette représentation va faire appel, par une matérialisation sensible, au ressenti de l’usager, à son jugement par une prise de conscience.
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Dépendomètre_ Nodesign_ Mise en évidence de la quantité d’informations utilisée par chaque service et le mesurer sur une échelle de dépendance.
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Marchandisation du service En recherchant la manière dont je pourrais rendre visible nos implications, l’expérimentation sur la construction d’un service a débouché sur un service visant à prendre conscience notamment de ses échanges d’informations. Ce service de « prise de conscience » a été généré par la réflexion commune entre mon camarade de classe Vincent Ricard et moi-même. En effet, ce service avait pour vocation de donner les clefs à l’usager de se rendre conscient des connexions automatiques que son téléphone pouvait effectuer avec différents services, et ainsi de pouvoir se défaire de celles-ci. Cet appareil, sous * Le projet Unplug est destiné à se déconnecter de toutes connexions externes et ainsi protéger son espace personnel + annexe 14
forme de montre, se décompose en plusieurs blocs permettant de s’informer, informer les autres, couper ces connexions*. Une vidéo accompagne ce dispositif : elle retrace l’activité qu’une personne très friande de services et applications de smartphone, et le volume de services
qu’elle peut utiliser lors d’une journée. Nous avons essayé de mettre en évidence l’accumulation des données utilisées et transférées lors de ces opérations, mais surtout plus concrètement, de les identifier.
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Marchandisation du service
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Expérimentation_ Prise de conscience_ Montrer par l’intermédiaire de services connus, les implications que nous avons en les utilisant, comme les informations que nous partageons et qui sont utilisées.
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Marchandisation du service
* le premier avec le bracelet créer des vibrations dans un sens pour les informations entrantes. L’inverse se produit pour les vibrations sortantes. ** La seconde partie est un écran, servant à afficher et exposer les circulations d’informations. Il s’agirait ici de créer une sorte d’action militante en s’affichant et ainsi en tentant de conscientiser les autres usagers.
***
*** La troisième partie vient complètement fermer la montre et le dispositif. Par cette action symbolique, le système va déconnecter votre téléphone de toutes les connexions avec les services complémentaires.
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Expérimentation_ Montre_Prise de conscience_ Matérialisation de cette prise de conscience dans une montre
Marchandisation du service
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Cela a pour but de savoir réellement ce à quoi l’usager s’engage de manière implicite en utilisant un service. Ainsi, étant informé, l’usager pourrait ajuster son comportement et surtout porter une attention accrue à toute cette activité implicite. L’utilisation de tel service dépendra alors d’un jugement et d’une décision personnelle en toute connaissance de cause. De plus, les informations identifiées montrent bien que celles-ci sont utilisées à des fins commerciales et donc à notre encontre, faisant ainsi écho à cette notion de marchandisation du service qui pose évidemment des questions éthiques. Il convient alors d’amener plus de transparence* dans les relations de service (informer de manière concrète à chaque action que doit faire l’appareil, indiquer clairement quand le fournisseur se sert de vos informations... ).
* Projet Refact de Userstudio qui vise à clarifier les factures de téléphone pour les rendre plus compréhensible et ainsi réellement informatives en révélant ce que l’usager à réellement besoin de savoir. http://www.userstudio. fr/projets/refact/
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Prendre conscience de nos implications Au vue des problématiques que soulèvent ses implications invisibles, il apparaît alors nécessaire de les révéler en ayant un système de service plus transparent. Cette transparence est pour moi une notion centrale qui contribue à redéfinir les bases même de la conception d’un service et de notre rapport à celui-ci. J’ai donc tenté de traduire ce rapport par la « mise à plat » du système créé autour du frigo intelligent et en donnant une vue panoramique. On pourrait faire une analogie avec cette partie immergée de l’iceberg que l’on ne distingue pas toujours. J’ai ensuite comparé le service de frigo intelligent avec la réalisation de la « carte » pour un frigo sans services connexes ni intelligence. On voit par exemple que la présence d’un magasin en ligne directement sur le frigo couplé avec les informations récupérés sur ce qu’il reste comme aliments dans notre frigo, va générer un phénomène de consommation poussée*. Il convient alors de dire que tout service organisé de manière à rationnali* Celle-ci s’accentue évidemment par la disposition de ce magasin en ligne qui se trouve régulièrement en face de l’usager
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ser la consommation et qui incite à consommer plus, peut être considéré comme aliénant. L’aliénation apparaît donc quand le service dépasse l’action de se débarrasser de la corvée.
Prendre conscience de nos implications
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Cartographie du système fonctionnant autour d’un frigo
Expérimentation_ Cartographie des services_ Permettre à l’usager d’avoir une vue globale de ce dont il peut se déposséder. + annexe 15
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Prendre conscience de nos implications
Cartographie des services fonctionnant autour d’un frigo intelligent
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La réalisation du scénario d’usage sur ce service a mis en avant, les influences à long terme de ce système sur le comportement de l’usager qui serait petit à petit, lui aussi rationnalisé. Cela reflète cette mise sous tutelle ambigüe au nom du « rendre service » qui au fur et à mesure intensifie cette dépendance et ainsi l’appauvrissement de l’usager. Dès lors, l’usager ayant conscience de ce phénomène rendu visible et de ces critères aliénants, seul, son jugement lui permettra d’accepter ou non ce service. De plus, cette vue panoramique m’a permis, en tant que designer, d’identifier plus précisément les interrelations qui questionnent les critères de la dépossession. Ces interrelations pourraient être modifiées de sorte qu’elles pourraient rendre le service non aliénant. L’usager doit être replacé comme le maître de son service en redevenant acteur et non plus en étant seulement commanditaire. Cette méthode est utile dans le cas où les usages auraient un réel intérêt à être repensés en fonction d’une aliénation repérée de l’usager. On précisera alors que les services répondant à des prises en charges des corvées ne sont pas considérés comme aliénants car ils ne présentent en effet que peu d’intérêts et ne participent pas à ces notions d’enrichissement personnel et fierté d’accomplissement que j’ai pu évoquer précédemment dans mon mémoire.
On ret iend ra aussi q ue la marchand isat ion des informations et donc du service, demande à rendre les relations du service plus transparentes et visibles pour que l’usager puisse être à même de se déconnecter ou bien de juger si le service proposé lui rend plus service qu’il ne le dépossède. Il suit de là, que le travail sur les feedbacks doit-être pensé de manière à construire cette transparence et à impliquer l’usager dans ses usages.
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Des usages singuliers
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La réappropriation des usages doit en par tie pouvoir
contrer ce phénomène d’aliénation dans l’usage (la perte d’action et l’instrumentation de l’usage).
Maîtriser sa relation au service Tout d’abord, j’ai pris le postulat de comprendre de quelle manière les gens sont numériquement connectés à leur environnement. La tendance des entreprises est de pouvoir connecter l’ensemble des appareils entre eux pour produire des services globaux qui comprennent plusieurs domaines d’expertises et créer des rapports informatifs pour chaque activité de notre vie. Cependant, la plupart de ces services sont d’une part peu utilisés dans leur intégralité du fait de la multitude des applications possibles et de la gadgetisation des activités. D’autre part, le service doit pouvoir rester ponctuel car il assiste l’usager dans les situations où il en a le besoin et doit ainsi s’y adapter. Les différents projets de construction de services à base de briques technologiques émergent comme le SAM DIY. Projet lancé sur Kickstarter
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Maîtriser sa relation au service
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qui prône un nouveau mode de construction de services connectant votre environnement avec de multiples composants et une interface simple permettant de créer le système de relations souhaité*. La problématique est de pouvoir se relier à n’importe quel objet pour en extraire des informations. La fonction est aussi de pouvoir s’informer au moment voulu. L’idée qui est intéressante dans ce mode de fonctionnement est l’augmentation d’une pratique en ayant un apport technologique qui permet de mieux réaliser une action.
* Cette interface fonctionne sur le système de drag and drop et permet à l’amateur de construire rapidement un système d’interactions pour répondre à son besoin particulier.
Projet SAM DIY_ L’utilisateur peut composer son service entièrement par l’inermédiaire de composants qui connectent l’environnement comme on le veut
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Maîtriser sa relation au service
Expérimentation_ Créer son lien_ Permettre à l’usager de créer le lien praticulier qui pourra l’aider à réaliser une tâche de manière ponctuelle
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Maîtriser sa relation au service
G
Mon expérimentation vise à montrer que c’est l’usager qui devra pouvoir se mettre en relation avec son environnement de manière ponctuelle. L’intérêt de ce dispositif est de laisser l’usager personnaliser physiquement son service par sa décision de se mettre en relation avec son environnement, ainsi il pourra accomplir sa tâche plus facilement et surtout se libérer du temps. On le replace ici une nouvelle fois au coeur du système de service. De plus, le fait d’avoir des services créés par les usagers eux-mêmes détermine un cercle d’intimité que le fournisseur de service ne peut plus investir, on parlera alors de la notion de service propriétaire. L’idée est vraiment de pouvoir livrer des briques qui permettent à l’usager d’ investir son service comme il l’entend. Le principe étant de l’assister ponctuellement et non pas d’être utilisé de manière récurrente et systématique (dans le cadre d’activités qui peuvent être réalisées par l’usager), ce qui produit in fine de l’aliénation.
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G
Feedbacks sensibles Pour revenir au retour d’informations que doit avoir l’usager de son service via son appareil, la notion de ressenti est actuellement totalement écartée par les représentations digitales. Par exemple, le fait de toujours passer par des interfaces sous forme d’écran et de ne plus solliciter nos sens participe à l’aliénation et à la mise à distance du corps de la personne dans son environnement. L’objectif de l’expérimentation autour de la station météo était de retranscrire les informations visibles en sensations pour recréer une perception plus humaine. J’ai donc pris le parti-pris de travailler cette notion de ressenti qui semble absente de la plupart des appareils participant au service. C’est aussi un moyen de créer des pratiques singulières.
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Feedbacks sensibles
G
Au regard du service, la question de la réappropriation des usages nécessite que les appareils soient construits de sorte que l’usager puisse le modifier selon son besoin mais aussi d’être un vecteur de stimulation des sens. Cet argument ne touche pas directement le service, mais l’objet technologique est devenu une constituante nécessaire au service, il doit alors aussi être à même de répondre à des problématiques liées à son utilisation. Ainsi, l’aliénation touche de nombreux aspects du service, aussi bien liés à son organisation, qu’à l’utilisation de l’appareil de service. Il faut donc en faire ressortir des caractéristiques bien identifiées pour être à même de comprendre et analyser ce phénomène.
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Feedbacks sensibles
Expérimentation_ Météo sensorielle_
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Travail sur la dimension sensible que n’apportent plus les appareils technologiques. Matérialisation par des ressentis des informations initialement perçues visuellement par des chiffres et données.
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Identifier l’aliÊnation dans le service
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Aliénation et jugement Définir une liste de critères me paraît essentiel pour pouvoir analyser les services ou objets de service que l’on soupçonne d’être aliénant, et ce de manière structurée. La planche que j’ai créée met en évidence sur une échelle de critères, les différences de jugement que peuvent avoir les gens sur les services et * Remettre l’usager au coeur de la pratique. + annexe 16
* Pour repasser cette limite de 5 critères que je définis comme un service trop aliénant, c’est-àdire qu’il dépossède plus l’usager qu’il ne lui rend service
surtout les possibles impacts qu’ils pourraient avoir sur leur pratique*. L’analyse permet d’identifier sur quels critères le service doit être repensé*. Au regard de ma réflexion mais aussi des commentaires de chacun des protagonistes, j’ai pu mettre à l’épreuve ces critères. Il est de plus ressorti un nouvel argument lors de l’analyse de ces exemples qui est que l’aliénation peutêtre bénéfique dans certaines situations car elle est nécessaire. En effet, les applications destinées à la santé dépossèdent selon certains critères l’usager mais dans un
but médical, donc elles sont bénéfiques pour l’usager. Un critère a de plus été pointé, celui de la consommation poussée. Pour certains, ce critère est considéré comme non acceptable car il fait état d’une manipulation du fournisseur de service.
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Aliénation et jugement
Expérimentation_ Critères d’aliénation_ Ensemble de critères définissant selon ma réflexion et les tests que j’ai pu faire comme aliénant
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Aliénation et jugement
Expérimentation_ Planche de comparaison_
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Permet de faire une analyse de chaque service et ainsi connaître en détail, quels critères peut être modifié pour faire que le service ne soit plus aliénant.
Aliénation et jugement
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Dès lors, la rationalisation de la consommation par des appareils comme la Hapifork (fourchette connectée) n’est pas ressentie comme une réelle valeur ajoutée car elle va transformer l’action de se nourrir et qui donne à l’usager l’impression de ne plus être libre de ses actions, de son intimité. Cet argument renforce le besoin de laisser l’usager maître, mais aussi de se servir de l’appareil et du service comme un moyen d’apprendre ce que l’on peut appeler « les bons gestes » (les attitudes et gestes destinées à être auto-suffisant). Pour les systèmes liés au commerce, le critère qui apparaît comme déterminant dans la refonte de certains services quand il n’est pas nécessaire de le supprimer est le contact relationnel qui disparaît avec notamment les caisses automatiques. Une nouvelle fois, c’est la relation fournisseur-client qui mérite d’être maintenue sous la forme d’un contact, d’un échange participant à ce retour à l’expérience sensible qui fait de cette relation, une relation humaine. Cet outil d’analyse permet finalement de faire réfléchir et de donner les outils d’émancipation pour l’usager en travaillant en amont et en aval de l’utilisation de ses services pour possiblement modifier ses comportements. L’avantage avec l’analyseur de service est que l’usager puisse visualiser concrètement ce dont il pense être dépossédé et ainsi pouvoir juger si le service lui rend plus service qu’il ne le dépossède.
Cette transparence peut donc s’établir au travers non seulement des interactions entre les différentes parties d’un système service, mais aussi par la compréhension des impacts sur l’usage qu’à l’utilisation de ce système.
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Conclusion
Pour conclure, le service augmenté par la technologie supprime petit à petit la place de l’usager et plus largement de l’humain dans son organisation. La conception du service doit permettre de revisiter son positionnement en l’incluant comme le décideur et comme l’usager, dans le cas où le service rendu n’est pas dans le cadre de la corvée. De plus, pour générer des pratiques singulières et diminuer l’aliénation dans l’usage, il est intéressant de prendre en compte les renvois d’informations qui seront déterminants pour créer des appareils et les services plus proches de la réalité et des attentes de la personne. Le re-design de service semble être la direction à prendre au vu de mes expérimentations qui remettent en cause les conceptions de service, autant dans le résultat que dans la manière dont est menée la création. Il suit de là, que ma recherche questionne évidemment l’univers de la santé et les modifications que l’appareil apporte dans plusieurs situations du service de soin*. Tout d’abord dans la relation qu’entretient le médecin avec son patient. Un des grands avantages est aussi de permettre aux malades de s’affranchir par exemple, des contraintes de l’hospitalisation, via des services d’hospitalisation à domicile. En ce sens, il apparaît que
* annexe 17
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l’aliénation est omniprésente dans ces systèmes là, il faut pourtant se demander à quelles conditions, l’aliénation est-elle viable. L’ étude des usagers et l’utilisation de l’analyseur de service permettra de déceler en quoi l’aliénation peut desservir le service, ainsi que ses effets sur les usagers. De plus, la captation et l’utilisation des informations générées implicitement soulèvent des questions éthiques que les fournisseurs de services de santé doivent actuellement se poser. Ainsi, ces services devront être conçus sous ce filtre de l’aliénation. Cela remet alors en cause l’organisation entre les divers acteurs du service (infirmières, pharmacie, médecin, hôpital...), autant que le matériel fournit à ces patients dont seul les retours d’informations sont désormais garant du bon fonctionnement du service. Il conviendra aussi de se pencher sur toutes les questions autour de la transposition de l’univers médical dans le domicile et de la bonne réalisation des soins dans cet environnement, aussi bien pour le fournisseur de ce service que pour le patient.
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Annexes utiles
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Introduction _page 15
Annexe 1
Square_ Terminal de paiement destiné aux vendeurs sur les marchés, ainsi les clients peuvent payer directement via le téléphone du vendeur par carte bancaire. Cela résoud le problème de monnaie que peuvent avoir certaines personnes n’ayant pas d’argent liquide sur elle. Bien évidemment, cet appareil facilite la vente puisque les solutions de paiement sont plus larges mais il permet aussi d’avoir des transactions sécurisées. Cela limite aussi le risque de vol ou de compte non approvisionné.
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La construction d’une économie de services _page 21
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Annexe 2
Magasin Piggly-Wiggly, 1916 Etats-Unis_ Premier magasin d’une grande chaîne de distribution à laisser les usagers se servir et ainsi faire ses courses comme on le connaît aujourd’hui. Ce qui révolutionne cette notion de service puisque l’usager devient acteur de celui-ci. Cela permettra alors au fournisseur de service de gagner du temps et des moyens car il n’a plus à s’occuper au cas par cas de sélectionner chaque produit.
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A
La construction d’une économie de services _page 26
Annexe 3
Développement des services personnels
Plus productif sur l’efficacité que l’autoproduction
Suppression de l’autosuffissance
Société de services
Libérer du temps
Automatisation de l’emploi
Achat de ces nouveaux services
Moins de travail = Emploi partiel
De moins en moins de personnes peuvent se le permettre
Moins de revenus
Question d’aliénation et de dépendance au système Nivelage social Statut de serviteur / valet pour les personnes pouvant se payer ses services Contraire au but initial
Plus d’utilité sociale Cumul d’emplois précaires ou Perte de temps
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Deconnexion du travail valeurs / éthique Perte du sentiment d’accomplissement
Problème dans l’accès au mieux être
L’emploi n’a plus pour fonction d’économiser du temps mais de gaspiller le temps de travail gagné pour les solvables
Automatisation des services
Schéma société de services_ Schéma réalisé sur la base de lectures d’André Gorz sur les paradoxes de la société de services. cf. Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets, 1990
La construction d’une économie de services _page 25
A
Annexe 4
Samsung back up memory system_ Cette application permet lorsqu’un proche, s’approche du téléphone du malade, celleci affiche des photos et informations en rapport avec la personne rencontrée. La technologie apporte une thérapie non médicamenteuse passant par des stimulations cognitives ayant pour but de retarder les effets de la maladie d’alzeihmer. On voit que le soin peut désormais se faire d’une autre manière, et de façon autonome. Simplement j’insiste sur le fait que cette solution ne soit pas une solution indépendante en soi puisqu’elle ne peut remplacer la solution médicale. On voit alors que l’autonomie de celle-ci peut avoir dans certains cas bien particuliers, être bénéfique pour pallier à un manque de l’être humain. http://www.silvereco.fr/backup-memory-project-une-applicationsmartphone-au-service-des-malades-alzheimer/3122616
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B
Les causes et techniques _page 35
Annexe 5
Anova Precision cooker_ Cet appareil gère à la perfection la cuisson des aliments suivant une technique très particulière, la cuisson sous vide. Le principe consiste à mettre dans un sac les aliments à cuire, puis à les introduire dans l’eau bouillante. Une fois fixé à la casserole, il va en fonction des plats sélectionnés sur le téléphone, gérer le temps de cuisson et va grâce à ses capteurs déterminer la cuisson parfaite à réaliser. La pratique de la cuisine se limite ici à des actions limitées. L’usager n’est plus en capacité de faire la cuisine puisqu’il n’a pour rôle que la mise en place et la sélection des aliments. évidemment, le dispositif permet de réaliser une bonne cuisson des aliments, simplement, l’usager est mis à l’égard vis à vis de la pratique initiale.
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Les causes et techniques _page 39
B
Annexe 6
Série Blackmirror, saison 1 épisode 2_ Cette série exprime un regard critique sur divers aspects de notre société contemporaine ainsi que sur son futur possible. Dans cet épisode, le personnage principal ici présent vit dans un monde totalement numérique où sa chambre est un écran géant qui le réveille, lui passe en boucle des publicités, lui donne à manger. Sa vie est rythmée par des mécanismes (se lever à telle heure, manger à telle heure, courir en intérieur sur un vélo d’appartement..). Cela remet en cause bien évidemment cette mécanisation à l’oeuvre de la vie humaine et pose toujours des questions quant au développement de toutes ses technologies au coeur même de notre intimité.
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Les causes et techniques _page 43
Annexe 7
Cashkeeper_ La personne en charge de servir le consommateur n’a plus le rôle de rendre la monnaie. Le client introduit les pièces dans la machine qui lui rend en retour la monnaie. Le serviteur n’a plus la fonction de faire le compte, ranger l’argent. Le découpage de l’action de servir créer un sentiment de distance encore plus fort avec la personne qui doit nous servir. Cette machine répond cependant à des questions d’erreurs de compte, de sécurisation de l’argent.
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Les causes et techniques _page 45
B
Annexe 8
SuperMarket Lady, Duane Hanson, 1969_ Cette oeuvre met en avant la logique de marché qui entretient le système capitaliste et ses conséquences sur le consommateur toujours plus sollicité. Elle symbolise à la fois la profusion et l’adhérence du consommateur à ce système. Comme avec les biens de consommations dans les années 70, on peut facilement faire le parallèle avec les objets et services technologiques actuels proposés en masse et qui génère petit à petit une destruction du désir.
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C
Les différents positionnements de la technologie dans le service _page 55
Annexe 8
Fourchette connectée Hapifork_ Elle va décortiquer pour vous apporter des informations auxquelles vous n’auriez jamais eu besoin avec un peu d’attention et de contrôle de soi. Une justification de confort pour la santé qui ne répond finalement n’a aucune réelle problématique de santé de la masse. C’est le problème des objets qui sont conçus pour de réel problème de santé mais qui sont vendus au plus grand nombre en surfant sur une vague. Différents avis de consommateur ont soulevé un gêne général sur le fait d’être « grondé » par cet objet qui se met à vibrer lorsque l’on mange trop vite.
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Les différents positionnements de la technologie dans le service _page 59
C
Annexe 9
Thermostat Nest Learning de Google_ Ce thermostat intelligent propose de gérer au bout d’un certain temps la consommation en énergie du chauffage de votre maison. Cette gestion se base sur la captation d’information sur vos entrées et sorties, sur les température souvent paramétrées. Une application mobile vous permet aussi de pouvoir gérer à distance ce thermostat et de lui commander d’arrêter le chauffage, ou de pouvoir le lancer un peu avant que l’on arrive. Ce qui est intéressant dans ce projet est la possibilité de pouvoir régler à distance, pour un confort d’utilisation. De plus, au niveau d’une bonne gestion de la maison, cela permet de pouvoir faire des économies d’énergie, en baissant la température quand on en a le moins besoin, etc.
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C
Fonctionnement et logique du système technologique _page 65
Annexe 10
Revolv de Nest_ Ce modem de centralisation des connexions permet à l’usager de pouvoir connecter tous ses appareils intelligents de la maison et de les relier via cette box qui vous donnera accès au contrôle de ses appareils via votre téléphone. L’idée de cet appareil est de pouvoir créer un environnement de contrôle pour l’usager, mais indirectement relaie l’ensemble des activités des foyers à l’entreprise NEST, elle même détenue par GOOGLE. L’entreprise arrive de manière détournée à avoir accès aux informations les plus intimes pour pouvoir mieux personnaliser ses propositions.
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La construction d’une nouvelle économie contributive _page 77
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Annexe 11
Plateforme Datavenue de Orange_ Cette plateforme relaie un concours sur l’innovation de services et objets connectés innovants. Elle permet aussi de partager ses idées sur les désirs des consommateurs. Cette initiative semble intéressante mais ne permet pas réellement d’inclure ce contributeur dans un processus créatif plus large où il y aurait des feedbacks entre l’entreprise et cet amateur.
Plateforme OpenOxylane _ Comme la plateforme Orange, cette plateforme permet à la fois de faire partager les idées initiales des usagers mais aussi de les faire participer plus largement au processus créatif. Les contributeurs peuvent proposer un design, proposer un nom, choisir pour quels catégories d’usagers cela est définit...
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La construction d’une nouvelle économie contributive _page 77
Annexe 12
Dispositif Service Lab à Orléans mis en place par l’agence Userstudio_ Les acteurs et habitants locaux peuvent via cette application proposer des solutions de services pour le territoire. Diverses séances de travail participe à ce projet pour créer et réfléchir ensemble sur des innovations de services locales. Chacun peut voter, puis une exposition est réalisée pour présenter les projets.
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Une nouvelle éthique pour le designer ? _page 79
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Annexe 13
Dog and Bone, Maxime Mollon, 2012_ Exploration sur le futur de la communication. Mise en avant du fait que nos objets de communications quotidien sont en grande partie imperméables à la partie multisensorielle et non verbale des mécanismes emphatiques. Ce projet fait référence à la recherche d’expériences singularisantes. Il propose de téléphoner via un collier de chien pour recréer un instant d’émotion, de complicité, un contact. Cela questionne évidemment les nouvelles pratiques qui pourront se tourner vers des expériences sensorielles et singulières.
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Marchandisation du service _page 102
Annexe 14
Unplug_ Cet appareil permet une fois branché de pouvoir stopper toutes les connexions externes désireuses de se connecter à votre réseau wifi. Cela permet de se prémunir des connexions gênantes qui limiteraient par exemple votre débit réseau. L’appareil va bannir la connexion en question qui ne pourra plus s’effectuer tant qu’il sera branché. On peut imaginer qu’il serve à gérer un espace presque intime de connexion, empêchant les pirates de voler des informations.
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146 Directement par le bouton Go shopping ou par le chemin traditionnel?
Scan des aliments On informe le frigo des aliments contenus et des dates de péremption
Réalisation des premières courses
Temps d’apprentissage nécessaire pour comprendre son fonctionnement, les intéractions possibles
Définit-il l’heure de manger par habitude ou l’usager va activité cette fonction?
En fonction du repas réalisé, le frigo fait un bilan santé sur vous Il faut avoir évidemment remplit des informations sur vous auparavant
On prend le temps de chercher sur l’écran alors qu’on a seulement à ouvrir le frigo
Temps supplémentaire
Utilité pour le grand public de surveiller constamment sa consommation?
Vous le refermez et il vous indique encore ce qu’il manque
Le frigo vous montre avant ce qui se trouve à l’intérieur et leurs emplacements
Puis vers 16h, vous voulez prendre un goûter
11 Ensuite, il vous propose certains plats pour réguler votre alimentation
Accélération de la consommation
L’a-t-on décidé?
Après le repas, le frigo vous avertit qu’il manque certains éléments et les précommande
Pendant ce temps là le four s’allume et se pré-règle
Gadget ou L’utilisateur trouve répond à un ça amusant, il en choisit une et se met à besoin? cuisiner
6 On informe le frigo seulement, il est l’heure de manger. Le frigo nous propose des recettes
Annexe 15
3... Découverte des fonctions
2 Apprentissage du paramétrage
1 Achat du frigo Installation
PARCOURS UTILISATEUR COURT TERME
F Prendre conscience de nos implications _page 107
Expérimentation_Cartographie d’un service / Scénarios d’usage sur court et long terme d’un frigo intelligent.
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RÉEL
Solution de facilité pour nous faire soi-disant gagner du temps
Tout se passe alors autour du frigo (achat, préparation des plats, suivi diététique)
Les mêmes recettes sont alors proposées et l’on accepte de les faire car on gagne du temps
Je ne prend plus le temps de sortir, ni d’aller dans les magasins
Perte de contact humain
Perte de singularité Nivelage des savoirs-faire Standardisation des préparations
On ne va plus au supermarché puisque celui proposés pour le frigo a les produits que j’ai l’habitude de manger
6 S’en suit peut-être un rapport monotone avec la préparation de nourriture
Informations en continu qui permette de rabacher un message
3... Indication qu’il ne nous reste plus de tel aliment que nous consommons souvent
2 Le frigo nous fait un bilan sur ce que l’on doit manger
1 Chaque matin on va se servir un jus de fruit
PARCOURS UTILISATEUR LONG TERME
FICTIF
Obligation de l’usager à suivre les règles du fonctionnement algorythmique
Adhésion unique aux La commande Go shopping implique aussi d’acheter toujours produits de grande consommation à la même entreprise partenaire qui fidélise encore plus ses clients
Pour avoir accès au frigo, je dois alors aller faire du sport avec mon bracelet connecté qui va indiquer au frigo que j’ai besoin de manger
Création d’une bulle De plus, avec la connection à ma balance connecté, mon de contrôle santé + suivi est obligatoire et lorsque consommation je veux grignoter un peu, le frigo n’ouvre plus ses portes en ma présence, sous prétexte que j’ai assez consommé pour la journée
1bis Je ne vais plus non plus au restaurant car on peut me livrer des plats à partir du frigo
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Aliénation et jugement _page 124
Annexe 16
Expérimentation_ Contrôle des plantes_ Elle fait suite à l’analyse de l’objet « pot de fleur intelligent » qui avait pour particularité de mettre complètement à l’écart l’usager dans l’action. Le fait de prendre soin de ses plantes n’est plus considéré comme nécessaire puisque l’objet peut le faire à notre place. L’objectif était de replacer l’usager dans un système service où c’est lui qui exerce ce contrôle sur la plante en mettant un appareil autour de son doigt, lui permettant de savoir pourquoi sa plante va mal et ainsi avoir des conseils pour s’en occuper.
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1 ALLUME
2 APPUYE
3 CONTRÔLE
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Aliénation et jugement _page 124
« Il faut aller vers des pratiques partagées, voir mieux déléguées et réversibles, c’est à dire abandonner à l’usager des pans entiers du contrôle. » [...] « Big datas : ... Toutefois cela aura vraisemblablement beaucoup d’influence sur le domaine de la santé. » [...] Olivier Peyricot
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Interview_Olivier Peyricot : échange de mails
Annexe 17
« Ensuite la question d’un usager qui s’émancipe par l’objet n’est pas simple : par définition les outils sont des objets d’autonomie. Mais aussi des objets qui nous soumettent au labeur. De la même façon l’outil numérique pose problème dans cette ambiguité : connectés les objets appartiennent à une camisole technique et entrainent l’usager dans le système : qu’en est-il alors de son autonomie ? » « Je trouve la vision actuelle plutôt ludique que critique : on fait une sorte d’humour compensatoire. Construire une approche critique demande une maturité cognitive à propos du système technique mis en place. C’est plutôt dans des alternatives systémiques que nous trouverons à terme des développements probables, ce qui demande beaucoup d’acteurs et d’usagers impliqués dans le processus. Un peu comment naissent des insurrections. Si vous parlez des big datas, alors effectivement c’est un besoin unilatéral : ceux qui récupèrent les big datas, c’est à dire les Google, Facebook et autres institutions, pensent pouvoir négocier cela sur un marché dédié. Tout comme l’argent est un concept avec de moins en moins de réalité tangible, les datas devraient générer un marché spéculatif. Seulement, il est probable que nous n’en ayons aucun besoin pour la vie quotidienne. Toutefois cela aura vraisemblablement beaucoup d’influence sur le domaine de la santé. » « Oui, c’est une évidence. Mais cela a toujours été la réalité d’un monde constitué de systèmes techniques. Seulement, aujourd’hui il y a plus de systèmes techniques, il y a donc superposition et redondance de toutes les actions dans tous les systèmes. Combien de fois par jour devons nous déverrouiller qqchose avec un code ? » « Je ne crois pas à l’éthique mais à la conviction politique » « Oui, c’est vers des pratiques démantelées qu’il faut aller, pratiques partagées, voir mieux, déléguées et réversibles, c’est à dire abandonner à l’usager des pans entiers du contrôle : plus facile à dire qu’à faire pour un auteur comme le designer. »
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BIBLIOGRAPHIE : Alexandra Midal, introduction à l’histoire d’une discipline, 2009, édition Pocket Entretiens du nouveau monde industriel, Sous la direction de Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, édition Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, octobre 2008 pour la présente édition Cyril Afsa, Design de service, Pourquoi les serviteurs sont-ils devenus des fast-foods et des applications numériques, édition Cité du Design, 2013 Pascal Krajewski, l’art au risque de la technologie, 5 Juillet 2012, pdf Jacques Ellul, La société technicienne, édition Calmann-Lévy, 1977/ le cherche midi, 2004, 2012 Franck Cormerais, Du design d’objet au design de nos existences, Bernard Lafarge et Stéphanie Cardoso (dir.), Philosophie du design, Figures de l’art 25, Revue d’études esthétiques, Presses de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 2013 Axel Honneth, La Réification, Paris, Gallimard, 2007 - http://www.revue-klesis.org/pdf/ Klesis-Nour.pdf Edward Bernays, Propaganda, éditions H. Liveright, New York, 1928
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Conférence Maxime Mollon, Design fiction, Designer pour une société qui n’existe pas (encore) - http://designfiction.over-blog.com/conf%C3%A9rence-de-maximemollon La France cherche comment se doter d’une culture design - http://www.lemonde. fr/style/article/2013/10/15/la-france-cherche-comment-se-doter-d-une-culturedesign_3495521_1575563.html Datavenue, objets connectés - http://imagine.orange.com/fr/datavenue/idea/list Matthew Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail http://lectures.revues.org/1351 Les technologies au service de la santé - http://www.orange-business.com/fr/notreapproche-de-l-e-sante André Gorz: «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets» http://www.perspectives-gorziennes.fr/index.php?post/2013/05/15/ Andr%C3%A9-Gorz:-%C2%ABPourquoi-la-soci%C3%A9t%C3%A9-salariale-a-besoinde-nouveaux-valets%C2%BB/1520
VIDÉOGRAPHIE : Les Matins de France Culture, Interview de Roberto Casati par Marc Voinchet Transmission du savoir : réapprenez à patienter pendant le chargement : http://www. youtube.com/watch?v=iZiVdle7eaU Conférence Michel Onfray, Qui est aliéné et quand ?, Contre-histoire de la philosophie - 12e année, « La pensée post-nazie : Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders » 26/08/2014 : http://banquetonfray.over-blog.com/article-michel-onfrayconferences-sur-france-culture-l-ete-2014-22-124436487.html Grégoire Baret, Objets et corps connectés : de la science-fiction dans nos réalités d’affaires : https://www.youtube.com/watch?v=cuja55OLu9E Why Apple’s marketing is different by Simon Sinek - http://www.coolmarketingstuff. com/why-apples-marketing-is-different-by-simon-sinek/ Émission la Tête au carré de Mathieu Vidard, Le neuromarketing - http://www. franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-le-neuromarketing
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Index
A accès 14, 26, 42, 44, 47, 78, 86, 132, 140, 147 apprentissage 30, 34, 35, 37, 58, 60, 61, 72, 81, 146 assistanat 56, 57, 58 automatisation 21, 26, 35, 37, 65 autonomie 10, 57, 72, 73, 74, 75, 80, 133, 151 autosuffisance 26 B bénéfique 122, 133 C colonialisme 23, 79, 154 conscience 20, 41, 48, 74, 79, 81, 84, 85, 86, 95, 99, 100, 102, 103, 104, 106, 109
contributeur 76, 141 critères 87, 109, 122, 123, 124 D dividuation 38 desobjectivation 38 E éthique 10, 16, 31, 64, 78, 79, 87, 132, 143, 151
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I implication 27, 31, 100 individuation 38, 74 invisible 100 J jugement 23, 30, 48, 84, 100, 105, 109, 122, 123, 124, 125, 148, 150
M matrice 61 mécanismes 34, 40, 44, 52, 80, 86, 135, 143 mentalité collective 40 P pratique unilatérale 38, 56 prosommateur 76 S savoir 23, 25, 35, 42, 56, 72, 105, 148, 155 sensible 6, 100, 118, 125 système technique 31, 51, 52, 53, 56, 64, 65, 70, 80, 81, 151, 153
T transparence 66, 72, 99, 105, 106, 125 trigger 65 V visible 95, 100, 102, 109
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Résumé
Les nouveaux appareils et services toujours plus pervasifs ont
transformés notre environnement et nos usages. Cette omniprésence de la technologie a induit peu à peu un rapport complexe avec nos activités. En effet, un sentiment aliénant m’est apparu. Ces services peuvent apporter un nombre d’informations pour aider ou tranquiliser l’usager mais pour moi, cela créait parfois plutôt une perte de repères et ne participait pas à ce sentiment de simplicité que le service essaye d’apporter à l’usager. Il suit de là que ce « colonialisme numérique » opéré par l’appareil et les services digitaux a des conséquences directes sur l’usage, nos compétences et plus largement sur la société. En effet, l’appareil et son fonctionnement créer une distanciation et un brouillage de la relation de service. Il transforme le rapport entre l’usager et le serviteur. De plus, la puissance de celui-ci lui permet d’avoir tout contrôle sur la gestion du service et in fine, nos actions. Ainsi, il s’opère de manière invisible, une sorte de dépendance à ces nouveaux services. Il faut donc comprendre de quelle manière celle-ci fonctionne. L’objectif sous-jacent est donc de révéler aux usagers par un travail de transparence dans les relations de services, ce que ces services impliquent et les conséquences qu’ils ont sur nous-même. Cela amène alors à re-penser les services sous un filtre structuré décrivant le processus d’aliénation. Il permettra alors d’éliminer des critères aliénants présents dans certains services. On voit alors que la place du serviteur et de l’usager dans l’organisation du service doit-être reconsidérée. Ainsi, ce travail de révélation et de reconsidération fait écho directement au travail du designer, à son éthique qu’il se doit d’appliquer dans son processus créatif pour limiter les effets de cette aliénation. C’est cette même éthique qui est questionnante pour la création de nouveaux services de santé au vue de la captation d’informations privées et de la dépendance des patients à ses appareils.
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Colophon Ce mémoire de recherche a été imprimé à 3 exemplaires en Février 2015
Choix typographique_ La typographie Droid Serif réalisée par Steve Matteson a été utilisée pour tout le corps de texte et les références. Pour les titres et sous-titres ainsi que la pagination, j’ai utilisé la typographie Roboto réalisée par Christian Robertson. Cette typographie est utilisée par Google sur la platerforme Android.
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L’aliénation par le design de services Paul Lequay - Mémoires de fin d’étude