Iconographie et représentation

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Le Sablier

La revue historique des étudiants de Premier cycle de l’Université de Montréal

Le colloque de premier cycle

Iconographie et représentation + La section féministe + Critique : L’exposition de ToulouseLautrec + L’Île Sainte-Hélène


Le Sablier Revue historique des étudiants de premier cycle de l’Université de Montréal

Iconographie et représentation Automne 2016


Table des matières

Éditorial ..........................................................................................................................3 Dossier « Iconographie et représentation » ................................................. 4 Mémoire et genre dans le monde patristique : l’exemple des Burgondes .................................. 5 Scandale et politique sous l’Ancien Régime : madame de Pompadour ................................... 26 La Crise ukrainienne : deux visions de l’ordre internationale .................................................. 35

Critique ............................................................................................................................. Des Ambassadeurs au Moulin rouge : Toulouse Lautrec à Montréal ....................................... 49

Section féministe................................................................................................................52 Le féminisme d’hier à aujourd’hui : son histoire, ses obstacles et son importance au XXIe siècle ........................................................................................................................................... 53

Articles.......................................................................................................................... 57 Les objectifs de la Russie dans le conflit syrien ......................................................................... 57 L’île Sainte-Hélène avant 1967 .................................................................................................. 75

L’équipe Rédactrice et éditrice en chef : Dorothée Nicholls, étudiante de 1er cycle Chef de pupitre section féministe : Audrey Morissette, étudiante de 1er cycle Collbotreurs-trices : Léonie Beaulieu, étudiante de 2e cycle Gabriel Bouchard, étudiant de 1er cycle Jean-Christophe Cusson, étudiant de 2e cycle Laëtitia d’Orsanne, étudiante de 2e cycle Karolanne Laurendeau-Goupil, étudiante de 1er cycle Rosalie Grimard-Mongrain, étudiante de 2e cycle 2


Éditorial Par Dorothée Nicholls Rédactrice en chef Ce premier éditorial n’en sera pas vraiment un. J’aurais l’impression de servir le dessert avant même d’avoir mis la table; ça ne ferait pas de sens et rendrait la suite des choses incroyablement indigeste. Je vais plutôt prendre cet espace pour expliquer en long et en large le contenu afin que chacun commence la lecture de ce numéro avide de ce qu’il va s’en suivre.

d’une section thématique ou « dossier » dans laquelle l’équipe de rédaction s’efforcera de mettre la lumière sur un sujet ou une problématique. De plus, vous pourrez trouver une section féministe qui agira comme un espace de réflexion sur la place de la femme dans l’histoire et dans l’historiographie. Finalement, chaque numéro aura un article critique portant soit sur un film historique, une exposition, un livre ou même d’une conférence. N’ayez crainte, on ne publiera aucun compterendu critique sur L’histoire de la Suisse par François Walter, car je crois que tous ont soupé de cet ouvrage.

C’est la première fois que l’Association des Étudiants en Histoire de l’Université de Montréal (AÉHUM) a sa propre revue historique. De cette nouveauté, je crois qu’il est nécessaire dans expliquer les raisons de sa mise en place ainsi que sa finalité. Par le passé, Le Sablier avait comme vocation d’être un journal fait par et pour les étudiants en histoire de l’Université de Montréal. Toutefois, les différentes tentatives n’ont jamais pris leur envol comme l’AÉHUM l’a souhaité.

Finalement, Le Sablier se veut un lieu d’apprentissage pour tous les étudiants de premier cycle. Un lieu où chacun pourra expérimenter le monde de la publication, affiner leur plume et apprendre à vulgariser des sujets complexes. Le présent numéro ne reflète pas totalement la vision du journal, car nous avons publié les articles présentés lors du dernier colloque de l’AÉHUM. C’est pourquoi les articles sont plus étoffés et recherchés. Les prochains numéros seront probablement moins volumineux, mais sans que la qualité de la publication soit compromise.

De ces essais infructueux, l’idée d’avoir une revue historique plutôt qu’un journal a germé. Le format « revue » offre l’avantage d’être une publication intemporelle qui est moins attachée à l’actualité. Ce faisant, les collaborateurs ont une plus grande latitude quant à leur choix de sujet en plus de pouvoir approfondir davantage leurs articles.

Somme toute, je crois que quelque 80 pages plus tard, on peut bel et bien affirmer que Le Sablier est plus vivant que jamais. Bonne lecture !

Le Sablier sera publié à raison de deux fois par session. Chaque numéro sera composé

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Dossier

Iconographie et représentation C’est le lundi 2 mai dernier que s’est tenu à l’Université de Montréal le troisième colloque des étudiants de Premier cycle du Département d’histoire de l’Université de Montréal. Cette édition s’est articulé autour du thème de «L’iconographie et de la représentation». Le comité organisateur a offert un espace multidisciplinaire consacré au rôle de l’iconographie et de la représentation dans la sphère sociale. L’iconographie ouvre un spectre très large de l’histoire culturelle, politique et économique d’une société, ainsi que sur ses mentalités et croyances. Sujet très vaste, l’iconographie et la représentation a pu être abordées de plusieurs façons. Exclusivement les étudiant-e-s du premier cycle ont pu présenter leur recherche sur l’iconographie et la représentation de toutes les époques confondues. Les étudiant-e-s ont eu l’opportunité de présenter leur recherche dans un panel modéré par un professeur du département. Plus d’une dizaine d’étudiants ont participé au colloque. Le Sablier a décidé de publier leur recherche afin que tous les étudiants en histoire puissent en bénéficier.


Figure 1 L’abbaye Saint-Maurice-d'Agaune, un lieu de mémoire très important pour le royaume burgonde.

Mémoire et genre dans le monde patristique : l’exemple des Burgondes Par Rosalie Grimard-Mongrain La question de la « fin » de l’Empire romain a suscité un grand intérêt des contemporains tardo-antiques aux historiens d’aujourd’hui. Depuis plusieurs décennies déjà, la recherche a remis en question la vision d’un empire décadent en mettant plutôt l’accent sur les multiples continuités, discontinuités et

transformations qui ont eu lieu durant cette période. On peut penser par exemple aux travaux de Peter Brown ou encore au projet européen The Transformation of the Roman World dont l’objectif était de faire le pont entre la période de l’Antiquité tardive et celle du haut Moyen Âge en misant sur l’interdisciplinarité 5


pour affronter les nombreux défis de l’étude de la période entre 300 et 800. Plusieurs ouvrages ont découlé de ce projet notamment Regna and gentes : The Relationship between Late Antique and Early Medieval Peoples and Kingdoms in the Transfmormation of the Roman World1.

longtemps comme des chefs militaires au service de l’empereur romain. Les Burgondes font également partie des premiers peuples à s’établir dans l’espace romain. En effet, les Romains leur permettent de s’installer d’abord dans la région de Worms autour de 411 pour protéger la frontière de l’Empire romain sur le Rhin contre d’autres peuples germaniques, entre autres les Alamans. Par contre, nous ne souhaitons pas nous concentrer sur ce premier royaume parce que cet établissement est moins durable et beaucoup moins connu par les sources que le second royaume. Il est donc plus pertinent, à notre avis, de regarder le second royaume qui profite d’une plus grande autonomie politique par rapport à l’Empire romain. En outre, ce point de vue permettra d’analyser le rapport mémoriel qu’entretient le second royaume burgonde vis-à-vis du premier.

Pour permettre une meilleure compréhension de cette période en pleines transformations, nous souhaitons mettre en relation deux concepts, le genre et la mémoire. À cette époque, plusieurs peuples germaniques se déplacent à travers l’Europe et entrent en contact avec la culture romaine. C’est donc une étape charnière dans la construction de l’identité collective des Romains et des différents peuples germaniques. En outre, même si les travaux sur la fonction identitaire de la mémoire et sa mise en histoire dans la période du haut Moyen Âge ne manquent pas, le concept du genre, et surtout les caractéristiques culturellement associées à chacun des sexes, commence à peine à être considéré par les chercheurs.

Pour atteindre l’objectif de ce travail, nous pouvons compter sur plusieurs sources burgondes qui nous sont parvenues, comme le Liber Constitutionum ou encore les lettres d’Avit de Vienne. Ces sources expriment la pensée et la vision des différentes élites du royaume. Il faut donc garder à l’esprit durant tout ce travail que nous ne pouvons que voir l’histoire telle que la concevaient les élites de cette époque. Nous ne prétendons donc pas être en mesure de définir l’identité et le rapport à la mémoire de tous les Burgondes, mais

De nombreux royaumes postromains auraient pu servir d’exemple. Par contre, il est impossible, dans ces modestes vingt pages, de tous les considérer. Nous avons choisi de nous intéresser plus précisément au royaume burgonde, l’un des royaumes germaniques les plus romanisés, que ce soit du point de vue législatif ou encore de celui des élites qui se présenteront 1

Hans-Werner Goetz et al., The Relationship between Late Antique and Early Medieval

Peoples and Kingdoms in the Transfmormation of the Roman World, Leiden e.a., Brill, 2003, 704 p.

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bien des têtes dirigeantes, particulièrement la royauté.

monastère de Saint-Maurice d’Agaune comme lieu de mémoire des Burgondes.

plus

Cette question de l’identité burgonde est fortement influencée par le lien que ce peuple entretient avec sa mémoire culturelle et les moyens qu’il utilise pour la perpétrer. À travers ce travail, nous souhaitons voir s’il existe un lien entre les femmes, plus particulièrement les reines et les aristocrates, et la conservation de la mémoire. Pour y parvenir, nous présenterons d’abord les concepts nécessaires à une telle étude, soit celui de la mémoire culturelle telle qu’établie par Jan Assmann. Ensuite il sera question du genre, tel que défini par Julia Smith dans son article Did Women Have a Transformation of the Roman Wolrd2 ? Puis, nous traiterons de l’ethnogenèse des Burgondes en utilisant les travaux de Patrick Amory et Ian Wood puisqu’ils se sont concentrés sur ce peuple. Par la suite, nous présenterons un aperçu des principales sources de l’histoire burgonde, soit les lettres d’Avitus de Vienne et la chronique de Marius d’Avenches. Nous passerons ensuite au contexte sociopolitique des Burgondes puis nous terminerons avec le cœur de l’analyse, soit le rôle des femmes aristocrates dans la création et la conservation de la mémoire culturelle. Nous examinerons également le cas du

La présentation des concepts

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De manière générale, les concepts permettent une meilleure intelligibilité de certains propos. Cette abstraction nécessaire comporte néanmoins certains risques comme le rappelle Mieke Bal dans son article Travaling Concepts in the Humanities : A Rough Guide : « But like all representations, they are neither simple nor adequate in themselves. They distort, unflix, and inflect the object3 ». Il nous faudra garder cela à l’esprit lors de notre analyse. Comme mentionné plus haut, deux concepts sont utiles pour réaliser ce travail : la mémoire culturelle et le genre. Le concept de mémoire culturelle a été développé par Jan Assmann dans son livre La mémoire culturelle : Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques. Selon lui, elle s’inscrit dans le rapport qu’entretient un peuple avec son propre passé : « la mémoire culturelle se règle sur des points fixes dans le passé. Même en elle, le passé ne peut se conserver en tant que tel, mais se fige dans des figures symboliques auxquelles s’arrime le souvenir4 ». Autrement dit, la mémoire culturelle résulte d’une interprétation et d’une intériorisation du passé par une société.

Julia Smith, « Did Women Have a Transformation of the Roman World », Gender and History, Vol. 12, No 13, novembre 2000, 552-571 p.

Mieke Bal, Travelling Concepts in the humanities. A rough guide, Toronto e. a., 2002, p. 22 4 Jan Assmann, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, 2002, p. 47

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Ce n’est donc pas une vision neutre et objective du passé puisque ce qui importe ce ne sont pas les faits, mais l’histoire telle qu’on s’en souvient. C’est pourquoi ce concept est aussi fortement lié au mythe, comme ceux sur les origines ou mythes fondateurs, qui constitue également un moyen de renforcer l’identité collective5.

collective qui naît de cette mémoire. Jan Assmann affirme que le mélange de l’identité individuelle, le « je » et de l’identité collective, le « nous » crée une identité collective. La première se construit de l’intérieur vers l’extérieur et résulte donc de la communication d’une personne avec son entourage. La seconde n’existe pas en dehors du fait que des individus s’y rapportent8. Autrement dit, l’identité collective est : « l’image de soi qu’un groupe élabore et à laquelle s’identifient ses membres9». Donc, l’identité collective est un jeu de réflexivité entre le « je » et le « nous ». Dans cette période en pleines transformations qu’est le haut Moyen Âge, la notion d’identité collective change, « En règle général, c’est sans doute d’abord la non-congruence entre formations ethnique, culturelle et politique qui déclenche cette réflexivité par laquelle le sens culturel, avec ses liens et ses obligations, cesse d’être évident pour devenir conscient10 ». Les Burgondes s’établissent dans un espace occupé par des Gallo-Romains, depuis plusieurs siècles déjà. Ces gens présents sur le territoire influencent la construction de l’identité collective des Burgondes. Cette présentation ne prétend pas faire le tour du rapport complexe entre histoire, mémoire culturelle et identité collective, mais nous croyons que cela est suffisant pour ce travail. En outre, nous y reviendrons dans la partie sur

La mémoire culturelle peut jouer plusieurs rôles au sein d’une société. Par exemple, elle permet d’amener une bidimensionnalité ou une bitemporalité à la vie humaine. Cette noncontemporanéité est l’une des fonctions universelles de la mémoire culturelle, « c’est-à-dire de la culture en tant que mémoire6 ». Il s’agit là d’une fonction essentielle dans une société puisque cela lui permet de concevoir le passé et le présent comme deux aspects différents. En outre, ce concept de mémoire est à la base de l’identité collective selon Jan Assmann : « Dans la référence au passé se trouve fondée l’identité du groupe qui se souvient. Dans le souvenir de son histoire et la commémoration de ces figures-souvenirs fondatrices, le groupe s’assure de son identité7. » C’est donc ce lien si important qui est visible à travers la création de lieux de mémoire comme le monastère de Saint-Maurice d’Agaune pour les Burgondes. Comme nous venons de le voir, nous ne pouvons parler de mémoire culturelle sans le concept d’identité 5

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Ibid. Ibid., p. 77 7 Assmann, La mémoire culturelle, p. 48

Ibid., p. 117 Ibid., p. 119 10 Ibid., p. 130

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l’analyse du rapport burgonde et sa mémoire.

entre

l’élite

Julia Smith explique également que le rôle des femmes dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge subit certaines modifications, mais que plusieurs aspects demeurent inchangés : leur relative invisibilité dans les sources, l’accent mis sur leur rôle de mère et d’épouse, leur place inférieure à l’homme dans la hiérarchie des genres et leur vulnérabilité vis-à-vis la violence ou l’exploitation14. D’un autre côté, le niveau de vie, l’accès à la propriété, les attentes et les contraintes du mariage et l’alternative religieuse au mariage représentent tous des changements de la condition des femmes entre c. 300 et c. 80015.

Passons maintenant au prochain concept, celui du genre. Comme le mentionne Julia Smith dans son article, Did Women Have a Transformation of the Roman World?, l’approche par le genre permet de mieux saisir les relations entre les hommes et les femmes, mais également l’organisation et la représentation culturelle des relations de pouvoir dans une société à travers les caractéristiques sociales attribuées aux différents sexes11. Elle présente le rôle de mère et d’épouse des femmes comme un vecteur de transmission de normes culturelles. En effet, les femmes dans la tradition romaine étaient considérées comme le mentor moral de leur mari, mais pas dans une optique de s’occuper de la maison et d’élever les enfants. Il s’agit plutôt de considérer l’influence de la femme pour le mieux auprès de son mari. Ce rôle continue d’être attribué aux femmes durant le haut Moyen Âge. Celles-ci étaient aussi responsables de l’éducation de leurs enfants à qui elles transmettaient les valeurs culturelles12. Mis à part ce rôle d’épouse et de mère, les femmes pouvaient s’illustrer au sein de communautés religieuses qui e commencent à être fondées dès les IV et Ve siècles. Elles sont présentées comme des modèles de piété et d’ascétisme dans les sources13.

À travers trois aspects du rôle des femmes à l’époque du haut Moyen Âge, nous pouvons constater qu’elles agissent comme vecteurs de transmission de notions culturelles, soit auprès de leurs enfants et de leur mari, soit au sein de communautés monastiques, qui par leur fonction de lieux d’écritures et de conservation de documents contribuent à façonner la mémoire culturelle et l’identité collective d’une communauté. En ce qui concerne le dernier concept, celui d'ethnogenèse, il a notamment été développé par Patrick Amory, dans son article Names, ethnic identitty, and community in fifth- and sixth-century Burgundy16, et par Ian Wood, dans son article Ethnicity and 14

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Ibid, p. 566 Ibid. 16 Patrick Amory, « Names, ethnic identity and community in Fifth and sixth century burgundy », Viator, 1994, Vol 25, p. 6

Smith, « Did Women Have a Transformation of the Roman World », p. 555 12 Smith, « Did Women Have a Transformation of the Roman World », p. 562 13 Ibid., p. 557

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Ethnogenesis of the Burgundians17. Ils ont tous deux travaillé sur le contexte burgonde précisément, ce qui explique le choix de ces deux auteurs. Pour Patrick Amory, l’ethnogenèse se caractérise par une croyance d’un groupe à son passé commun : « they believed they shared common interests, [...] in common ancestry as well, with concomitant belief in cultural differences from others groups. This political process of ethnic group formation and evolution, called ethnogenesis, assuredly happened in early medieval Europe18 ». Ce concept définit plutôt un groupe politique qu’un groupe ethnique à proprement parler. La recherche récente tend à abandonner le concept ethnique parce qu’il ne correspond pas à la réalité des sources. En effet, comme le rappelle Patrick Amory, le concept de gens ou de natio à cette époque est particulièrement fluide dans l’utilisation qu’en font les auteurs, d’autant plus que ces termes n’avaient pas la même signification durant 19 l’Antiquité . Dans le cas des Burgondes, Ian Wood explique qu’un code de lois comme le Liber Constitutionum a défini un groupe de Burgondes dont les principales caractéristiques étaient d’être non-Romains et descendants de Gibich et de son entourage. Ce code de lois ne reflète pas des gentes bien établies, mais contribue plutôt à donner une identité à

certains groupes après la période d’établissement et de cohabitation dans le royaume burgonde20. Il ne s’agit pas ici de faire le tour du concept, mais nous croyons qu’il faut garder à l’esprit que les Burgondes ne sont pas une entité fixe et rigide. Nous y reviendrons plus en détail lorsque nous parlerons du groupe qui a fondé le second royaume burgonde.

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Les principales sources de l’histoire burgonde Avant de passer à la description du contexte sociopolitique des Burgondes, nous nous pencherons d’abord sur les principales sources de l’histoire de ce peuple, soit les lettres d’Avit de Vienne et la chronique de Marius d’Avenches. Les lettres d’Avit de Vienne ont été écrites par l’évêque de cette ville à l’époque des rois Gondebaud et Sigismond. Nous ne possédons que peu d’informations sur la formation d’Avit de Vienne, de sa carrière comme prieur à son élection comme évêque. Il est originaire d’une famille de la tradition sénatoriale gallo-romaine, et son père était fort probablement à la tête de l’évêché de Vienne avant lui21. Nous savons qu’Avit de Vienne était en poste autour de 494496 et qu’il était reconnu à son époque pour ses connaissances en matière de théologie. Cet homme était également très proche des rois burgondes,

Ian N. Wood, « Ethnicity and Ethnogenesis of the Burgundians » dans I. H. Wolfram et W. Pohl, dir., Typen der Ethnogenese unter besonderer Berücksichtigung der Bayern, Vienne, Osterreichische Akademie der Wissenchaft, p. 63 18 Amory, « Names, ethnic identity and community », p. 6

Ibid., p. 5 Wood, « Ethnicity and Ethnogenesis of the Burgundians », p. 63 21 Danuta Shanzer et Ian Wood (ed.), Avitus of Vienne. Letters and Selected Prose, Liverpool, Liverpool University Press, 2002, p. 4 20

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Gondebaud et Sigismond. Il les a conseillés et a même rédigé des lettres pour eux afin de gérer leurs relations extérieures, entre autres à l’empereur Anastasius. L’évêque a d’ailleurs tenté de convaincre Gondebaud de se convertir au catholicisme, mais ce dernier ne l’a jamais fait publiquement. Avit de Vienne a prononcé l’homélie lors de la fondation du monastère de Saint-Maurice d’Agaune par Sigismond. Il a participé au concile d’Épaon en 517, mais pas à celui de Lyon, ce qui implique qu’il serait mort entre 517 et 51822. Ses lettres demeurent une source majeure pour l’histoire des Burgondes puisque, selon une estimation grossière de Danuta Shanzer et Ian Wood, elles représentent la moitié des sources écrites provenant du royaume23. Il existe deux principaux manuscrits pour les lettres : le manuscrit S, aujourd’hui perdu et de provenance et de date inconnue, et le manuscrit L, daté du XIe-XIIe siècle, est actuellement conservé à la bibliothèque municipale de Lyon24. L’historiographie n’a pas été très tendre envers le latin d’Avit de Vienne, particulièrement dans ses lettres où il y a une surabondance de périphrases et de langage abstrait. En plus, le texte corrompu rend la lecture difficile. Par contre, Danuta Shanzer et Ian Wood affirment qu’il faut nuancer cette vision et insistent sur le fait que les lettres étaient écrites dans un jargon

d’affaires, donc moins soigné que la prose25.

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Passons maintenant à la chronique de Marius d’Avenches. Elle relate les évènements entre 455 et 581, sous la forme d’une liste de consuls avec des notices de longueurs variables, mais majoritairement très courtes. Ce texte couvre plusieurs aires géographiques : la Burgondie, le Valais, le sud de la France, l’Italie, l’Espagne et même l’Empire d'Orient26. Cette source est connue par un unique manuscrit qui nomme l’auteur, un certain Marius qualifié d’évêque. Le seul évêque connu sous ce nom en Gaule au VIe siècle est Marius d’Avenches. Puisque la chronique se termine en 581, Justin Favrod pense que le chroniqueur devait vivre aux environs de cette date. De plus, il semblait habiter dans le Valais puisqu’il accordait une importance particulière à cette région, en y relatant longuement des évènements, comme une révolte des moines d’Agaune27. Il serait né aux environs de 530 et serait mort le 31 décembre 593. Il a probablement commencé sa carrière d’évêque très jeune, mais nous ne pouvons établir avec certitude où il a fait ses études. Marius d’Avenches est connu pour son activité de bâtisseur illustrant sa générosité et sa piété. Il a entre autres fondé l’église de Payerne et plusieurs autres dédiées à des martyrs d’Autun dans son diocèse

Shanzer et Wood (ed.), Avitus of Vienne, p. 710 23 Ibid., p. 14 24 Ibid., p. 28 25 Ibid., p. 72-73

Justin Favrod, La Chronique de Marius d’Avenches (455-581) : texte, traduction et commentaire, Lausanne, Faculté des lettres de l’Université de Lausanne, 1991, p. 11 27 Ibid.

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d’Avenches28. L’évêque est le continuateur de trois chroniques : celle de Jérôme, qui couvre la Création jusqu’à 378 apr. J.-C., les Chronica Gallica qui englobent les années 379 à 452 et celle de Prosper d’Aquitaine pour les années 450 à 45229. Comme Marius d’Avenches n’est pas contemporain de tous les évènements qu’il relate, il se sert de certaines sources. Le premier groupe comprend des sources italiennes, ravennates et wisigothiques et le second est constitué d’une source burgonde et franque et d’une source locale qui ont probablement une origine commune. La source locale provient probablement du monastère de SaintMaurice d’Agaune puisqu’elle traite presque uniquement de l’abbaye30. Selon Justin Favrod, Marius d’Avenches aurait construit sa chronique en fusionnant les deux séries de sources, il a plus précisément fondu le second groupe dans le premier. L’évêque a recopié tel quel ses sources sans nécessairement bien les comprendre de l’avis de Favrod31.

général sur l’histoire du second royaume burgonde, nous avons complété ce portrait avec les chroniques de Marius d’Avenches. Elles présentent un squelette chronologique, en plus de se concentrer sur la région du Valais. Un aperçu du contexte sociopolitique des Burgondes Passons maintenant à une brève description du contexte sociopolitique des Burgondes afin de mieux saisir qui ils sont et comment ils interprètent leur passé et la mémoire culturelle qui en découle. L’existence de ce peuple est attestée dès la seconde moitié du premier siècle de notre ère en Pologne actuelle par Pline l’Ancien. Selon Katalin Escher, le nom de ce peuple remonte à une racine burgund, qui signifie haut, mais plutôt dans le ses d’un habitat en hauteur que de la taille. Il existe un débat entre spécialistes sur le lien qui aurait existé entre le nom des Burgondes et celui de l’île de Bornholm, mais il est difficile de savoir si l’un est à l’origine de l’autre ou s’ils se sont développés de façon indépendante à partir d’une même racine indoeuropéenne32. Les Burgondes se déplacent ensuite à travers l’Europe et leur parcours nous est surtout connu par les sources archéologiques, qui demeurent essentielles pour les origines de ce peuple, puisque les seules sources écrites sont celles des Romains qui sont extérieurs au peuple33. Vers 369/370, les

Ces deux sources offrent un point de vue différent sur l’histoire des Burgondes. Avec Avit de Vienne, nous avons une vision plus précise des relations entre les rois Gondebaud et Sigismond et l’évêque, surtout du point de vue religieux. Il a également joué un grand rôle de conseiller en plus d’écrire certaines lettres pour ceux-ci. Par contre, ces lettres n’offrent pas un point de vue 28

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Favrod, La Chronique de Marius d’Avenches, p.15-17 29 Ibid., p. 31 30 Ibid., p. 31-33 31 Ibid., p. 33-34

Katalin Escher, Les Burgondes, Ier-VIe siècles ap. J.-C., Paris, Errance, 2006, p. 248 33 Pour plus d’informations sur l’archéologie de ce peuple, il faut consulter l’étude de Katalin Escher, susmentionnée.

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Burgondes contractent une première alliance avec l’empereur Valentinien contre les Alamans, mais elle échoue et ils rentrent dans leur pays.

germaniques de la gens burgonde de la part d’Avit, de Gondebaud ou de Sigismond. Avit de Vienne, dans ses écrits, s’appliquait à exalter tous les habitants du royaume burgonde, qu’importe leur origine ethnique36. Ian Wood ajoute que dans la mémoire des gens qui ont vécu le changement de royaume, la destruction de l’établissement des Gibichungs n’est pas un cataclysme final, mais bien le prélude à une nouvelle installation qui se fera dans le Rhône. L’historien émet plusieurs hypothèses sur cette absence, la première est que la mémoire de ce peuple a peutêtre été préservée par des Burgondes qui n’ont jamais connu le changement de royaume ou encore qui descendent de groupes opposés aux Gibichungs. Une autre hypothèse serait que cette histoire de la destruction du premier royaume burgonde aurait été faite par des peuples voisins comme les Francs qui ne souhaitaient pas se remémorer la survie des Burgondes. Ian Wood en arrive à la conclusion que : « there is nothing to suggest that the group settled in Sapaudia looked back to the kingdom of the Rhine, and its destruction, as a providing past which was central to their own selfidentification37».

Il faut attendre 411 certainement, mais 406 probablement, pour voir une installation burgonde à la frontière directe avec l’Empire romain, sur le bord du Rhin, mais, comme le rappelle Katalin Escher, c’est une période très mal connue par les sources. Il faut simplement retenir que les Burgondes acquièrent de plus en plus de territoires et que nous ignorons combien ils étaient lors de leur installation. C’est durant cette période qu’un roi nommé Gibich ou Gibica, prend le pouvoir seul et la multitude de rois disparaît. Lui ou son successeur Gundahar réussissent à unifier les différents clans burgondes34. La famille des Gibichungs aura par la suite une importance très grande puisque selon l’étude du Liber Constitutionum réalisée par Ian Wood, les Burgondes qui s’établissent dans la Spaudia, sont essentiellement, mais pas exclusivement, ceux qui ont suivi cette famille35. Cela veut dire qu’il ne faut pas concevoir le peuple des Burgondes comme une entité fixe, car ses membres n’ont pas toujours été les mêmes. En outre, ceux qui se sont installés dans le second royaume n’ont pas entretenu la mémoire du premier. Selon Patrick Amory, il y a une absence d’intérêt à propos des origines

Après avoir observé le rapport mémoriel du second royaume par rapport au premier, concentrons-nous maintenant sur un aperçu du contexte sociopolitique

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Escher, Les Burgondes, p. 17-20 Ian N. Wood, « Gentes, kings and kingdoms the emergence of states. The kingdom of the Gibichungs » dans Hans-Werner Goetz et al., The Relationship between Late Antique and Early Medieval Peoples and Kingdoms in the

Transfmormation of the Roman World, Leiden e.a., Brill, 2003, p. 261 36 Amory, « Names, ethnic identity and community », p. 13 37 Wood, « Gentes, kings and kingdoms », p. 247-248

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d’abord l’expansion et la consolidation du royaume. Entre 454 et 476, l’Empire romain d’occident s’éteint lentement ce qui a permis aux peuples germaniques, comme les Burgondes, de s’émanciper et de conquérir des territoires plus importants. Sous leurs deux rois, les frères Gondioc et Hilpéric, puis sous Hilpéric seul après la mort de Gondioc dans les années 460, les Burgondes atteignirent leur expansion maximale en 476, soit jusqu’en Avignon. Durant cette période, les Burgondes et les aristocrates gallo-romains jouèrent un rôle très important en s’alliant avec certains empereurs dans cette période d’instabilité politique. Par contre, ils étaient coincés entre plusieurs royaumes et il leur fallut être de très bons diplomates pour survivre, selon Justin Favrod42. Hilpéric mourut à une date inconnue, qui se situerait entre la sécession temporaire de l’oppidum de Vaison en 474, peut-être autour de 476-477 pendant une guerre contre les Goths, mais il était certainement déjà décédé durant la campagne suivante en Italie en 491. Des quatre fils de Gondioc, Gondebaud, Godégisel, Hilpéric le Jeune et Godomar, seuls les deux premiers étaient encore en vie durant la succession et ils se sont partagé le royaume. C’est Gondebaud qui s’installa à la résidence officielle de Lyon tandis que Godégisel résidait à Genève43. En 500, la situation s’envenime entre les deux frères et une guerre civile se déclenche comme le rapporte Marius

du royaume de la vallée du Rhône. Après la terrible défaite des Burgondes contre les Huns en 436, pour permettre aux survivants de ne pas disparaître, ils sont éloignés de la frontière rhénane38. En 443, un nouveau traité entre les Burgondes et les Romains accorde aux premiers la région de la Sapaudia. L’évènement est rapporté dans la Chronica Gallica de l’an 452 : « La Sapaudia est donnée au reste de Burgondes, pour être partagée avec les indigènes39 ». Par contre, cette phrase ne nous donne que peu d’informations sur l’établissement de ce peuple et soulève plusieurs questions sur le contexte de ce phénomène et sur l’endroit où se situe la Sapaudia. Katalin Escher arrive à la conclusion que c’est un territoire administratif, plus ou moins équivalent à une cité ou à une province, ou encore un secteur militaire. Selon elle, cet espace s’étendait du Jura à travers le sud de la vallée du Léman et du Rhône jusqu’aux grandes Alpes et englobait ainsi le territoire de la Savoie historique40. Selon une estimation moderne, les Burgondes ne représentaient que 13 % de la population, selon la part d’impôts qu’ils prélevaient, ce qui correspond à environ 25 000 personnes. Ils ne pouvaient donc pas régner sans l’appui d’acteurs importants pour l’opinion de l’époque, soit les propriétaires fonciers et les évêques41. Nous reviendrons sur leur rôle un peu plus loin, mais regardons 38

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Favrod, Justin. Les Burgondes : un royaume oublié au cœur de l’Europe, Bibliothèque historique vaudoise, 1997, p. 43 39 Cité dans : Escher, Les Burgondes, p. 61

Ibid., p. 65 Favrod, Les Burgondes, p. 50-51 42 Favrod, Les Burgondes, p. 57 43 Escher, Les Burgondes, p. 102-103 41

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d’Avenches : « Il [Godégisel] s’empara pour peu de temps du royaume de son frère Gondebaud qui avait pris la fuite et qui trouva refuge à Avignon44 ». Godégisel, qui avait un territoire plus petit que son frère, sentant que son jour ne viendrait peut-être jamais, décida de renverser son frère et proposa une alliance à Clovis. Rappelons ici que sa nièce Clothilde, qui avait habité pratiquement grandi sous son toit, était la femme du roi des Francs. C’est finalement Gondebaud qui l’emporte : « Quand il [Gondebaud] eut pris la ville, il tua son frère et condamna à mourir dans des supplices divers et raffinés les nombreux nobles et Burgondes qui avaient pris parti contre lui45 ».

affaire délicate auprès de son oncle Apollinaris. Notons également l’exemple de Laconius, consiliarius et secrétaire du roi Gondebaud. Du côté de l’administration fiscale, les Burgondes font également appel à des GalloRomains comme un dénommé Étienne ou Stéphane, en charge du fisc pour Sigismond, et qui reçut la protection du roi alors qu’il était accusé d’inceste47. Ce ne sont que quelques exemples pour illustrer l’importance des Gallo-Romains à la cour des rois burgondes. Il y avait également quelques Burgondes au service des rois, mais il est extrêmement difficile de les repérer à leur seul nom puisque le nom n’est pas synonyme d’identité comme le rappelle Patrick Amory48. En outre leurs agissements ne les différencient pas des Gallo-Romains, puisqu’ils pratiquent le même type d’activités, comme cet Ansemundus de l’entourage de Sigismond qui fera plus tard une donatio en faveur de l’église de Vienne en 54349.

Le règne de Gondebaud est l’un des plus importants pour la consolidation du royaume burgonde et de sa société. En matière de politique étrangère, il sut faire passer les intérêts de son royaume en premier tout en restant très diplomate. Il a maintenu un équilibre qui a permis à son royaume de survivre au milieu de plus grands que lui comme les Wisigoths et les Francs par exemple46. Déjà à l’époque d’Hilpéric l’Ancien, les Burgondes avaient su s’entourer de Gallo-Romains issus de l’ancienne aristocratie romaine, comme Sidoine Apollinaire, et d’évêques. Celui-ci est même intervenu en faveur du roi burgonde dans une

L’intérêt des rois burgondes pour la culture latine se retrouve également dans les titres qu’ils se donnent. La famille des Gibichungs avait plus de titres romains que n’importe quelle autre famille du Ve siècle selon Ian Wood. Déjà, Gondioc et Hilpéric avaient le titre de magistri militum en Gaule. Par la suite, ce titre a été transféré à Gondebaud qui a

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Favrod, La Chronique de Marius d’Avenches (455-581), p. 69 45 Ibid. 46 Favrod, Les Burgondes, p. 50-51 47 Reinhold Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae aux époques burgonde et

mérovingienne » dans À l’ombre du pouvoir. Les entourages princiers au Moyen Âge, Genève, 2003, p. 82-85 48 Amory, « Names, ethnic identity and community », p. 19 49 Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae », p. 85

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été le représentant de l’empereur romain en Gaule de 474 à 51650. Nous savons également qu’Avit de Vienne a écrit une lettre, au nom de Sigismond, à l’empereur Anastasius pour que cette fonction soit donnée à Sigismond également. Le roi rappelle l’honneur que représentaient pour ses ancêtres ces titres : « [...] that the glory that Your Highness has offered us in titles of military honor has been considered the greater glory by us, and, for all my ancestors, what they received from emperors has always been worth more than what they had derived from their own father. Even though we may seem to rule our own people, we think of ourselves as nothing else than your soldiers51. » Nous croyons que cette citation résume parfaitement l’importance des titres romains pour les rois burgondes, puisqu’ils vont même jusqu’à affirmer qu’ils ont plus de valeur à leurs yeux que les titres hérités de leurs pères. Donc, nous pouvons dire que pour les rois burgondes, l’appartenance à l’Empire est très importante et nous pourrions même aller jusqu’à penser qu’elle fait partie intégrante de l’identité collective de ce peuple. Avec des fouilles archéologiques, nous savons également que ce désir d’imiter la culture des Romains se trouve dans la tenue des reines burgondes qui ressemblait à celle des aristocrates locales selon Katalin Escher52. En ce qui concerne la langue

des Burgondes, il ne fait aucun doute qu’elle a existé et que c’était probablement une langue germanique orientale. Par contre, il y a de fortes chances que les Burgondes parlaient également le bas latin, d’autant plus qu’ils étaient en minorité dans le royaume, comme nous l’avons vu, mais aussi parce que les membres de ce peuple avaient des contacts avec l’Empire romain dès le IVe siècle53. À cause des nombreux éléments de culture latine, mais également de l’élite gallo-romaine du royaume, Ian Wood pose la question de l’acculturation des Burgondes, même si nous n’avons pas de réponse à y apporter54. Après la présentation de ces différents éléments, nous nous croyons que les Gallo-Romains et leur culture ont fortement influencé la création de l’identité collective des Burgondes et de leur élite.

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Il sera maintenant question de la religion des Burgondes, un sujet qui ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes. Pour commencer, nous ne savons pas exactement quand les Burgondes se sont convertis au christianisme. Les témoignages à ce sujet sont contradictoires puisqu’Orose affirme qu’ils sont convertis au catholicisme dès la fin du IVe siècle, mais tandis que Grégoire de Tours affirme qu’ils étaient d’abord ariens. Il ne faut cependant pas oublier que celui-ci n’a pas une vision Shanzer et Wood (ed.), Avitus of Vienne, p. 146-147 52 Escher, Les Burgondes, p. 235 53 Ibid., p. 45 54 Wood, « The Latin culture of Gundobad and Sigismund », p. 377

Ian N. Wood, « The Latin culture of Gundobad and Sigismund », dans : Akkulturation. Probleme einer germanisch-romanischen Kultursynthese, Berlin, De Gruyter, 2004, p. 376

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neutre des évènements puisqu’il idéalise les Francs et, particulièrement Clovis, qu’il présente comme le premier roi germanique converti au christianisme. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il y avait, dans l’aristocratie burgonde, des membres catholiques et ariens. Bien que, selon Ian Wood, nous ne pouvons prétendre, avec certitude quels Burgondes parmi l’élite étaient ariens, il y avait une pression de la part d’un groupe d’aristocrates ariens et du clergé aussi la cour, à l’époque de Gondebaud. Il semblerait qu’Hilpéric et sa femme étaient catholiques, mais ce ne sera pas le cas de tous les rois burgondes puisque Gondebaud demeurera arien, du moins publiquement comme nous l’avons vu lors de la présentation des lettres d’Avit de Vienne. Comme nous le verrons dans la prochaine partie, le catholicisme chez les Burgondes était avant tout une affaire de femmes, du moins jusqu’à la conversion de Sigismond55. Celui-ci se serait converti entre 500, date de la mort de Godégisel, roi à Genève auparavant, et 507, date à laquelle Avit de Vienne rédige une lettre dans laquelle il affirme que Sigismond est catholique. Selon Katalin Escher, cette conversion s’est faite sous l’influence de sa mère Carétène et d’Avit de Vienne. L’évêque prononça une homélie pour l’occasion, mais nous ne l’avons malheureusement pas 56 conservée . Nous achevons ici notre présentation de la question de la religion des Burgondes, même si elle aurait mérité

davantage de considération, nous croyons que cela est suffisant pour ce travail.

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Pour terminer cet exposé sur le contexte sociopolitique des Burgondes, nous verrons les règnes des deux derniers rois, Sigismond et son frère Godomar. Sigismond régnait déjà aux côtés de son père depuis 505 environ. La mort de Gondebaud, que nous rapporte Marius d’Avenches en 516, permet à Sigismond de prendre la tête du royaume et d’installer sa capitale à Lyon. Son frère Godomar resta associé à lui et garda la capitale de Genève. De son mariage avec Ostorgotho, la fille de Théodoric, il eut deux enfants, une fille, Suavegotho, et un garçon, Sigéric. Ils sont tous deux convertis au catholicisme durant une cérémonie dirigée par Avit de Vienne. Deux histoires viennent entacher le règne de Sigismond, sa défense de Stephanus et le meurtre de son fils. Dans la première affaire, Stephanus était accusé d’inceste en vertu d’un canon du concile d’Epaone à cause de son mariage avec la sœur de sa défunte épouse. Les évêques souhaitaient la condamnation de ce couple et le roi mit son autorité dans la balance pour empêcher cela, sauf que les évêques se sont sentis attaqués dans leur autonomie. Ensuite, il semblerait que la relation entre Sigéric et sa belle-mère, Sigismond s’était remarié après la mort d’Ostrogotho, était particulièrement tendue et se serait sous l’influence de sa nouvelle femme que le roi burgonde décida de tuer son fils. Il se retira par la suite dans le monastère de Saint-Maurice

Wood, « Ethnicity and Ethnogenesis of the Burgundians », p. 58-60

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Escher, Les Burgondes, p. 118


d’Agaune qu’il avait fondé en 515, où il trouva la mort en 52357. Nous reviendrons sur ce sujet dans la partie d’analyse du lien entre les lieux de mémoire burgondes et leur identité collective.

Existe-t-il un lien entre les reines et la création d’une identité collective chez les Burgondes?

Après la mort de Sigismond en 523, son frère Godomar prend le pouvoir seul en 524, mais le royaume est menacé par les Ostrogoths qui souhaitent venger la mort de Sigéric, pressenti comme l’héritier de Théodoric. Les Francs se mettent également de la partie et, après une première campagne en 524, les fils de Clovis reviennent à la charge vers 532534 et s’emparent du royaume. Par contre, la fin du royaume ne signifie pas la fin du particularisme puisque celui-ci se poursuit bien au-delà même de l’époque mérovingienne. En outre, ce royaume ne reçut un nom qu’après sa destruction et pendant le second royaume, c’est par ses rois que le royaume était reconnu. Les gens ne s’identifiaient pas encore à ce territoire58. Nous touchons ici à un lien entre la domination extérieure et le souvenir historique comme l’explique Jan Assmann : « L’oppression est un stimulant de la pensée historique (linéaire), du développement de cadres interprétatifs au sein desquels rupture, bouleversement et transformation apparaissent chargés de sens59. » À la lumière de ces explications, il n’est pas surprenant qu’un particularisme burgonde se soit développé même après que le royaume ait cessé d’exister.

Maintenant que nous avons présenté le contexte sociopolitique du second royaume burgonde et les différentes influences sur les élites, passons à l’analyse du rôle des reines dans la création d’une identité collective. Il n’est pas aisé de répondre à cette question puisque, comme nous l’avons vu lors de la présentation du concept du genre, les femmes demeurent relativement invisibles dans les sources60. Nous avons tout de même pu identifier certaines femmes qui nous fournissent des pistes de réflexion sur ce lien entre le genre et la mémoire. Tout d’abord, comme nous l’avons mentionné plus haut, plusieurs femmes de la royauté burgonde s’étaient converties au catholicisme et elles s’illustraient dans ce domaine par des fondations pieuses. Il y a par exemple Théodelinde, d’origine franque ou alamane, femme de Godégisel, qui fonde une église à Genève dans les années 480-490. Elle aurait obtenu, pas l’évêque Domitien de Genève, des reliques de saint Victor de Soleure, membre de la légion thébaine martyrisée à Agaune61. Cette fondation peut être liée à celle que fera Sigismond en 515 et nous pouvons y voir les prémisses d’un culte qui sera par la suite très important pour l’identité collective des Burgondes. Ce sont des lieux de

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Ibid., p. 128-131 Wood, « Gentes, kings and kingdoms », p. 266 59 Assmann, La mémoire culturelle, p. 65-66

Smith, « Did Women Have a Transformation of the Roman World », p. 566 61 Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae », p. 89

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fondation, mais notons qu’elle touche non seulement le présent, mais également l’avenir, une partie importante du lien entre le pouvoir et le souvenir. Cela peut sembler étrange, mais en agissant ainsi, la reine s’est non seulement arrogé le passé des Burgondes, mais également l’avenir puisque les générations futures se souviendront de son geste ainsi que de leurs ancêtres : « la domination se légitime rétrospectivement et 64 s’immortalise prospectivement ». À travers ce type de fondations, la royauté burgonde se donne de la légitimité pour diriger, d’autant plus que les Burgondes ne représentent qu’une petite partie des peuples présents sur le territoire. En plus, comme pour Théodelinde et Godégisel, le couple de Carétène et Gondebaud incarne ainsi l’équilibre entre les ariens et les catholiques, essentiel au bon maintien du royaume.

mémoire qui rappellent aux générations futures la place du catholicisme dans la société burgonde. Nous avons également vu que le rôle des femmes comme conseillère morale de leur mari est grandement associé à l’idéal de piété qu’elles représentent. Nous voyons bien ce rôle dans le cas de Théodelinde puisque son mari Godégisel, même s’il est arien, fonde un monastère catholique à Lyon dédié à Saint-Pierre, avec l’aide de sa femme. Selon Kaiser Renhold, ces deux fondations sont très importantes puisqu’il s’agit d’un signe politique représentant la bonne entente entre ariens et catholiques, entente réalisée par le couple royal comme dans l’entourage du roi62. Le couple royal devient ici le symbole d’une volonté d’équilibre entre ces deux groupes en grande présence à la cour comme nous l’avons vu plus haut. Un autre cas de femme représentant cet idéal de piété est Carétène, la femme de Gondebaud et la mère de Sigismond. Cette reine burgonde fonda une église dédiée à saint Michel Archange, sur la presqu’île de Lyon. Tous les évêques du royaume étaient présents pour l’ouverture et Avitus prononça l’homélie de consécration. Cette fondation est également connue par la Vie de Marcel de Die : « la reine des Burgondes du nom de Carétène a fait construire une basilique en l’honneur du bienheureux archange Michel63 ». Il n’est pas essentiel de revenir ici sur les implications mémorielles d’une telle

En outre, Carétène s’est également illustrée par son rôle de conseillère du roi, comme dans cette affaire auprès de Marcel l’évêque de Die. Lors de la cérémonie de consécration de l’église Saint-Michel de Lyon, Marcel profita de l’occasion pour demander à Gondebaud un dégrèvement d’impôts pour les habitants de sa ville, mais le roi le lui refusa. On raconte que peu de temps après, une servante de la reine fut guérie par un miracle du saint. Ce n’est qu’après cet évènement que Carétène put convaincre son époux de changer d’avis65. Cette reine burgonde mourut peu

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Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae », p. 89 63 Cité dans : Escher, Les Burgondes, p. 120

Assmann, La mémoire culturelle, p. 64 Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae », p. 88 65

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de temps après la fondation de cette église en 506. Son épitaphe nous est connue d’après une inscription du IXe siècle66. Les qualités pieuses de Carétène, son rôle d’influence auprès de son mari et son enseignement de la foi catholique auprès de ses enfants, particulièrement dans le cas de son fils Sigismond, sont relatés dans le texte : « Elle fonda cette église, donnant ainsi un sanctuaire au chœur des anges. Les prières qu’elle adressait au roi, demandant la grâce des coupables, elle les adresse aujourd’hui au Christ. Elle s’est éteinte âgée d’environ cinquante ans, le 16 septembre du consulat de Messala67 ». L’influence de Carétène dans la conversion de Sigismond n’est pas négligeable puisque, comme nous l’avons vu précédemment, cet acte contribuera à mettre davantage l’église catholique au premier plan et à fragiliser l’équilibre entre les ariens et les catholiques. De plus, l’influence de Carétène se transmet également à ses petits-enfants, Suavegotha et Sigeric puisque ceux-ci deviennent catholiques malgré le fait que leur mère, Ostrogotha, la fille de Théodoric, était arienne68. À la lumière de son épitaphe, nous pouvons conclure que Carétène est présentée comme un idéaltype de piété et qu’elle incarne parfaitement le rôle des femmes au haut Moyen Âge tel que décrit par Julia Smith.

femmes influentes issues de la famille royale burgonde. Comme le rappelle Kaiser Reinhold, les reines burgondes expliquent la présence d’enfants catholiques très tôt chez ce peuple, comme Clotilde, la fille d’Hilpéric le Jeune69. Rappelons simplement ici son rôle d’influence auprès de son mari Clovis, particulièrement dans la conversion de celui-ci au catholicisme. Il y a aussi la sœur de Clotilde, Chrona qui a pris le voile, comme plusieurs autres femmes aux IVe et Ve siècles comme nous l’avons vu plus haut70. Par contre, nous n’avons que très peu d’exemples supplémentaires dans les sources et ces femmes, bien qu’issues de la royauté burgonde, se sont plutôt illustrées dans le royaume franc. Deux princesses, Sédéleuba et Guntheca, sont présentées comme des petites-filles de Godégisel et Théodelinde dans les récits de Grégoire de Tours et Frédégaire sur la vengeance de Clotilde, mais beaucoup d’incertitude subsiste à propos de ceux-ci. Les spécialistes pensent qu’ils se seraient trompés de génération et que Sédéleuba, identifiée comme moniale attachée à l’Église de Saint-Victor, serait en fait la sœur de Clotilde qui s’appelle en vérité Chrona. Il y a donc trop de confusion dans les sources pour conclure quoique ce soit à propos de ces deux princesses burgondes. Par manque de sources, nous devons arrêter ici notre investigation sur le lien entre les reines burgondes et la fondation d’une identité collective. Nous

Outre ces deux exemples de reines, nous pouvons trouver d’autres 66

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Ibid. Cité dans : Escher, Les Burgondes, p. 120 68 Reinhold Kaiser, « L’entourage des rois du regnum Burgundiae », p. 90

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Ibid., p. 89 Ibid.


croyons qu’avec les fondations qu’elles ont faites, l’influence qu’elles ont eue sur leurs maris respectifs et l’héritage qu’elles ont laissé à leurs enfants, Théodelinde et Carétène ont certainement contribué à forger l’identité de la royauté burgonde tout en laissant des lieux de mémoires au peuple. Les lieux de mémoire comme les églises contribuent à donner une image à la société burgonde, une image qui lui permet de se représenter. Par contre, nous ne pouvons pas conclure que les reines avaient un rôle prépondérant en la matière par manque d’exemples, mais aussi parce que certaines fondations ont été faites par des couples royaux, comme Godégisel et Théodelinde et que la fondation monastique la plus importante pour le rayonnement de l’identité burgonde est celle de Saint-Maurice d’Agaune, qui a été faite par un roi, Sigismond.

c’était contraire à leur foi chrétienne. L’empereur romain d’Occident Maximien ordonna qu’ils soient tués s’ils refusaient d’exécuter l’ordre. Encouragés par leur chef Maurice, ils n’obéirent pas à l’empereur et furent passés sous le fil de l’épée. Par contre, il existe actuellement un débat entre les historiens à propos de deux traditions différentes de transmissions du récit et qui n’interprètent pas le martyr des Thébains de la même façon71. Inutile ici de s’attarder plus longuement sur cette question. Ce culte a par la suite toujours conservé une grande importance dans le monastère d’Agaune comme le rappellent Éric Chevalley et Cédric Roduit72. À travers différents textes hagiographiques, plusieurs autres saints sont associés à l’abbaye et contribuent à sa renommée. Éric Chevalley et Cédric Roduit expliquent l’importance de ces hagiographies : « Le devoir de mémoire et la volonté de proposer aux générations futures des exemples à suivre ont incité plusieurs auteurs, toujours anonymes, à composer la Vie ou la Passion de personnages à qui leurs actions conféraient le statut de saint73 » . Il s’agit ici d’un bon exemple de mémoire créée par la fondation de Sigismond et des monastères en général.

Le monastère de Saint-Maurice d’Agaune dans la création d’une identité collective burgonde Comme nous l’avons déjà mentionné à plusieurs reprises, après sa conversion au catholicisme, Sigismond a fondé un monastère à Saint-Maurice d’Agaune en 515, sur le lieu du martyr de la légion thébaine. Selon le récit de la Passio Acaunensium martyrum, cette légion, alors qu’elle était dans le Valais près d’Agaune, reçut un ordre que les soldats refusèrent d’exécuter parce que

Avant la refondation d’un monastère par Sigismond en 515, un culte de la légion thébaine existait déjà dans la 72

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Ibid., p. 42 Chevalley et Roduit, « La naissance du culte des saints d’Agaune et les premiers textes hagiographiques », p. 42

Éric Chevalley et Cédric Roduit, « La naissance du culte des saints d’Agaune et les premiers textes hagiographiques », dans Andenmatten, Bernard, Pierre Alain Mariaux, dir., L’abbaye de SaintMaurice, vol. 1, Gollion, Infolio, 2015, p. 33-35

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région. Ce culte avait été instauré lors de la fondation d’une basilique par l’évêque Théodore d’Octodure. Par contre, il est très difficile d’établir le statut des desservants du lieu de culte. Barbara Rosenwein y voyait une communauté monastique d’hommes et de femmes, qui auraient été chassés lors de la refondation d’un nouveau monastère par 74 Sigismond . Anne-Marie Helvétius rappelle qu’au VIe siècle ces communautés mixtes qui ne se sont pas adaptées aux réformes sont plutôt mal vues75. Dans ce contexte, la refondation du monastère par Sigismond se veut un geste politique et symbolique où le roi souhaite innover en matière de liturgie. Tous ces éléments sont soulignés dans l’homélie que prononça Avit de Vienne pour l’occasion. Il n’a pas été avare de compliments pour Sigismond : « May such great honor follow your perseverance that whatsover effort you expended on the task be repaid to you as a prize in recognition of your merit76 ». Au début de son homélie, Avit de Vienne rappelle également la signification de ce lieu pour la légion thébaine : « According to the solemn custom, the order of the passion [just] read has unfolded the praise of the happy army, among whose most blessed company no one perished, though no one escape, when justice as if of a lot decreed the unjust death of the holy

martyr ». Cela confirme l’importance du culte de la légion thébaine dans le monastère. Sigismond instaure la psalmisonum sollemne que l’on appelle aujourd’hui la laus perennis. Cette liturgie a été inspirée par l’idéal monastique oriental des Acémètes « ceux qui ne dorment pas », dont la louange ininterrompue était célèbre à Constantinople. La laus perennis demande un grand nombre de moines qui se relaient dans la basilique pour chanter les louanges de Dieu vingt-quatre heures sur vingt-quatre77. L’instauration de cette liturgie est rapportée par Avit de Vienne dans son homélie : « Today let ther begin an eternity for devotion and dignity for the region, with these man praising God in the present world, who will praised him equally in the future. May death renew rather than end this action78 ». AnneMarie Helvétius voit dans la structure de l’homélie d’Avit de Vienne la naissance de l’idée des trois armées qui s’unissent au profit de la communauté de chrétiens jusqu'à la fin des temps. Ces trois armées sont celle des Thébains, celle du « peuple élu », les moines et celle des anges. Le rite oriental rappelle les origines des Thébains en plus de positionner Agaune comme le lieu d’unité des églises d’Orient et d’Occident79.

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Anne-Marie Helvétius, « L’abbaye, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne », dans Andenmatten, Bernard, Pierre Alain Mariaux, dir., L’abbaye de SaintMaurice, 1 vol., Gollion, Infolio, 2015, p. 113 75 Ibid., p. 114 76 Shanzer et Wood (ed.), Avitus of Vienne, p. 381

Helvétius, « L’abbaye, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne », p. 116 78 Shanzer et Wood (ed.), Avitus of Vienne, p. 380 79 Helvétius, « L’abbaye, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne », p. 117

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Plusieurs exemples montrent le rayonnement culturel du monastère de Saint-Maurice d’Agaune bien au-delà de la fin du royaume burgonde. Par contre, il est impossible de tous les aborder dans ce travail et c’est pourquoi nous nous concentrerons sur la diffusion du culte de Sigismond. Selon la passio de Sigismond, ses ossements et ceux de sa famille ont été transportés dans le monastère trois ans après sa mort80. La première attestation connue du culte du saint remonte à 590. Grégoire de Tours mentionne, dans son Livre à la gloire des martyrs, que des messes lui sont consacrées durant lesquelles les malades sont 81 miraculeusement guéris de la fièvre . La plus ancienne version conservée d’une messe en l’honneur de Sigismond se trouve dans le missel de Bobbio, daté du VIIIe siècle. On pense que cette messe aurait pu être composée à Agaune. Les plus anciens manuscrits, datés du IXe-Xe siècle, proviennent de la Burgondie, de l’Italie du Nord, de la Francie et de l’Aquitaine, ce qui indique une diffusion importante. Les messes en son honneur constituent le premier vecteur de diffusion du culte de Sigismond selon Éric Cehvalley et Cédric Roduit82. La circulation des reliques de ce saint roi représente l’autre diffusion très importante que son culte a connue au XIe siècle. L’abbaye d’Einsielden, la cathédrale de Bamberg et l’abbaye de Prüfening reçoivent des reliques de

Sigismond. La troisième voie de diffusion du culte du roi burgonde se produit à partir du milieu du XIVe siècle. Elle est due à l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Charles le IV. Il emporte, en 1354, des reliques de Sigismond du monastère d’Einsielden, mais c’est lors de son couronnement comme roi de Bourgogne en 1365 qu’il visite le monastère d’Agaune et repart avec l’autre moitié du crâne de Sigismond. Cette relique sera transportée à Prague où de nombreux miracles seront observés. C’est pourquoi le fils de Gondebaud fait partie des saints patrons de la Bohême83. À travers la diffusion du culte de Sigismond, nous observons qu’il dépasse largement les frontières de la Burgondie, mais qu’il demeure toujours essentiellement attaché au royaume. Plusieurs se réclament de son héritage, comme Charles IV. Le monastère d’Agaune a également joué un rôle important dans la diffusion du culte puisqu’il a contribué à distribuer les reliques.

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Pour conclure, à travers ce travail, nous avons tenté de répondre à la question du lien entre les reines et les aristocrates burgondes et la création de lieux de mémoire. Pour ce faire, nous avons présenté différents concepts utilisés durant cette analyse. Celui de la mémoire culturelle telle que développée par Jan Assmann qui définit la façon dont

Chevalley et Roduit, « La naissance du culte des saints d’Agaune et les premiers textes hagiographiques », p. 46 82 Ibid. 83 Ibid., p. 46-47

Éric Chevalley et Cédric Roduit, La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, Lausanne, Faculté des lettres de l’Université de Lausanne, 2014, p. 262-263

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Maurice d’Agaune a créé un lieu de transmission culturelle pour lui-même et son peuple. Cette transmission de l’identité burgonde rayonne même bien au-delà de la Burgondie. L’identité burgonde après la chute du second royaume n’a que brièvement été abordée dans ce travail, mais nous croyons qu’il y a beaucoup de matière pour travailler sur ce sujet dans le futur.

un peuple approche son passé. Celui du genre selon l'article de Julia Smith Did Women Have a Transformation of the Roman World ? pour comprendre quelles caractéristiques étaient culturellement associées aux femmes et aux hommes durant le haut Moyen Âge. Le concept d’ethnogenèse permettait de comprendre qu’un groupe se construit par rapport à un passé et des ancêtres communs et non par rapport à une origine ethnique commune. Les lettres d’Avit de Vienne et la chronique de Marius d’Avenches constituent de précieuses sources permettant de bien comprendre le second royaume burgonde. L’établissement du premier royaume burgonde ne semble pas être passé dans la mémoire des habitants du second pour des raisons que nous ignorons encore. Ce deuxième établissement a profité d’une royauté plus stable et d’une plus grande indépendance vis-à-vis l’Empire romain. La culture latine et gallo-romaine a grandement influencé l’élite burgonde et façonné leur identité collective. Les rois burgondes accordaient même plus d’importance à ces titres romains qu’à ceux hérités de leurs pères. L’analyse du rôle des femmes dans la création d’une identité collective constituait vraiment le cœur de ce travail. Nous avons vu que dans le cas de Théodelinde et de Carétène, un tel lien existe, mais avec si peu d’exemples, il est difficile de prétendre qu’il est généralisé. En plus, l’idéal de piété réalisé par des fondations monastiques se retrouve également chez les hommes. L’exemple le plus célèbre demeure Sigismond qui par sa refondation du monastère de Saint-

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Scandale et politique sous l’Ancien Régime: Madame de Pompadour Par Léonie Beaulieu Le cas plus spécifique, celui de Madame de Pompadour, favorite de Louis XV de 1745 jusqu’à sa mort en 1764, s’inscrit dans ce cadre politique. Il est doublement intéressant par sa situation temporelle, aux lendemains du zénith de la monarchie française sous le Roi Soleil, et la crise politique, économique et militaire majeur qui marque la période: la Guerre de Sept Ans. En effet, l’opinion politique et historique contemporaine et postérieure aux événements a, de manière assez marquée,

La présence des maîtresses royales officielles des rois Bourbons, en dehors de ses aspects plus sulfureux relevés généralement par les vulgarisateurs historiques, demeure un engrenage crucial du fonctionnement de la machine politique de la France d’Ancien Régime. À l’intersection entre le genre, la religion et la politique, se retrouve la question de leur rôle en tant qu’actrices et outils politiques dans les rapports de pouvoir qui régissent l’état français. 26


fait porter le blâme de la défaite à Madame de Pompadour. Ce blâme est-il cependant justifié? Comment s’est construite cette image de maîtresse royale dirigeant le pays à travers l’oreiller qui caractérise Madame de Pompadour ?

Cette conception de l'inégalité, si elle est de nature sociale, est aussi de nature sexuelle. La supériorité de l'homme sur la femme, ainsi que la définition du féminin et du masculin, est au coeur des rapports de pouvoirs en France et en Europe. Celles-ci sont basées sur une misogynie traditionnelle, qui commence à peine à s'armer du déterminisme biologique qui caractérise le sexisme des périodes suivantes. Si la science médicale commence à définir l'identité sexuelle de manière plus organisée et concrète dès le XVIe siècle, les justifications qui entrent dans la querelle sur l'éducation des femmes84 demeurent d'abord et avant tout d'inspiration religieuse. La femme est conçue comme l'opposée de l'homme, en accord avec le récit biblique: dominée plutôt que dominante, difforme plutôt qu'à l'image de Dieu, gouvernée par ses passions plutôt que rationnelle.

Pour répondre à ces questions, il est d’abord nécessaire de définir le cadre de cette analyse, c’est-à-dire la société d’Ancien Régime, le paradigme social, culturel et genré qui la régit. Ensuite, une présentation plus détaillée de l’époque de Madame de Pompadour elle-même sera offerte. Finalement, la question de la Guerre de Sept Ans, ses causes, ses conséquences, son héritage politique, culturel et historiographique, ainsi que la place de Madame de Pompadour dans celui-ci, sera abordé. Une société patriarcale d’ordres La société française d’Ancien Régime, jusqu’à la Révolution, est définie par sa qualité primairement religieuse, irrationnelle et hiérarchique. Si l'état n'est plus féodal, les divisions sociales et mentalitaires continuent de faire la distinction entre oratores, bellatores et laboratores, les trois ordres modernes du Clergé, de la Noblesse et du Tiers État, dont l'inégalité est fondamentale au bien commun de tous les sujets du roi. La hiérarchie, la tradition et l'affectif prime, dans la mentalité moderne, prime sur le pratique et le rationnel.

L’Époque Moderne voit se dérouler la construction de l’état royal en France, construction qui s’appuie sur un retrait des forces traditionnelles qui rivalisent avec l’autorité monarchique, la noblesse et le clergé. Les guerres de Religion, et leur subséquente résolution par Henri IV, ont pour conséquence d’affirmer la primauté du temporel sur le spirituel, avec la création du premier royaume bi-confessionnel d’Europe. Le gallicanisme s’affirme comme ligne directrice de la politique religieuse française. De plus, la nouvelle dynastie

84

Eliane Viennot, “La Querelle des femmes”, site consulté le 3 novembre 2016,

[http://www.elianeviennot.fr/Querelle/Querelle1intro.html]

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L’aspect genré de la politique française est aussi crucial dans le maintien de la cohésion sociale et de l’union sacrée entre le peuple et son roi. Si le rapport au monarque est un rapport de soumission, celui-ci est exprimé dans le discours royal comme un rapport de nature maritale, voir familial, le roi de France incarnant aussi le père et l’époux de la grande famille des peuples du royaume85. De la même manière, le maintien de l’unité, sa consolidation et son expansion se font en suivant les lignes des rapports d’autorité sexués, à travers une définition d’une altérité ayant un caractère très souvent féminin. L’exemple le plus marquant de cette instrumentalisation du genre dans le processus de centralisation étatique est sans doute celui de la chasse aux sorcières86, aux cibles d’abord et avant tout féminines, qui permet à l’état d’accroître son pouvoir et sa présence dans les régions périphériques du royaume durant l’Époque Moderne.

instrumentalise la fin des conflits de la Contre Réforme pour asseoir son autorité sur le royaume; on assiste, au cours du XVIe et XVIIe siècle, à une mise au pas progressive de la noblesse française. La dernière grande rébellion de la noblesse de la période est écrasée en 1653 avec la victoire d’Anne d’Autriche et de Mazarin sur la Fronde. Ces développements politiques, s’ils sont d’une importance cruciale dans le processus de centralisation étatique, s’articule cependant d’une autre manière dans l’univers mental de la population française, qui est dans sa grande majorité rurale et paysanne. Le monde mental moderne, dont la gardienne demeure l'Église, évolue en concordance et en relation avec l'expansion de la présence de l'État. La grande aristocratie, la noblesse dite “d’épée” qui incarne un masculinité combattante à travers sa participation traditionnelle à la guerre, est cependant partiellement émasculée à travers l’asservissement de l’imposante cour de Versailles sous Louis XIV. La bourgeoisie, dont l’élite s'arroge de charges lui donnant accès à la noblesse dite "de robe", sert les Bourbons dans la mise en ordre du royaume. Cette montée sociale amène une redéfinition du pouvoir, et de manière intrinsèque de la masculinité, qui s'incarne le mieux dans l'idéal du gentilhomme, noble, érudit et maître de ses passions.

Il est donc possible de comprendre les rapports de forces dans la France royale comme système articulé à travers deux axes principaux, c’est-à-dire les ordres et le genre, qui sont tous deux hiérarchisés de manière interdépendante et interreliée. En effet, le pouvoir en France est incarné par la virilité morale et physique du monarque absolu de droit divin, virilité royale qui hiérarchise les

85

86

Robert Muchembled, “Répression de la sorcellerie et acculturation du monde rural” dans La sorcière et le roi. L’Europe des bûchers, Paris, Desclée, 1993, p. 287-340.

Lynn Hunt, The Family Romance of the French Revolution, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1992, 213 p.

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pouvoirs auxiliaires de cette même autorité. Dans une situation de clair désavantage, cependant, les femmes de l’Ancien Régime parviennent à trouver des moyens détournés pour accéder à une certaine forme de pouvoir. JeanneAntoinette Poisson, Marquise de Pompadour, fait partie de ces femmes.

régulière de Louis XV. Le 24 juin de la même année, elle reçoit du roi le domaine de Pompadour, ainsi que le titre qu’elle gardera jusqu’à sa mort, Marquise de Pompadour. Il est crucial de rappeler que l’ascension de Madame de Pompadour se fait sur fond de changements de nature sociale, politique et économique en France. Le XVIIIe siècle est marqué par une importante baisse des crises de mortalité qui sont caractéristiques de l’Époque Moderne et les balbutiements d’une révolution manufacturière encore proto-industrielle. Le royaume connaît un accroissement de la population, une hausse générale de la consommation pour toutes les couches de la société et une amélioration du niveau et de l’espérance de vie.

Le siècle de Louis XV et Madame de Pompadour Jeanne-Antoinette Poisson, qui devient Madame de Pompadour en 1745, est issue de la bourgeoisie parisienne. Elle est née de François Poisson et Louise-Madeleine de La Motte en 1721, à Paris, et reçoit au cours de son enfance une éducation religieuse aux Ursulines. Après la séparation de ses parents, sa mère se remarie à Jean Pâris de Monmartel, dit Le Normant, qui devient le tuteur légal de Jeanne-Antoinette. Celui-ci arrange son avec CharlesGuillaume Le Normant d’Étioles, duquel elle prendra le nom pour devenir Madame Le Normant d’Étiolles en 1741.

Le siècle est aussi marqué par une rivalité de plus en plus marquée entre la noblesse et la bourgeoisie française montante qui demeure, à la différence de la bourgeoisie anglaise, généralement exclue de la direction du pays. La possibilité, minime mais présente, d’ascension sociale, qui avait été une constante au cours de la construction du royaume Bourbon, se voit de plus en plus mince sous la monarchie absolue, rigidifiant ainsi les classes sociales au mécontentement de la bourgeoisie87. Cette rivalité, sur le plan intellectuel, prend la forme des Lumières, qui cherchent à redéfinir et rationaliser le fonctionnement du pouvoir et de l’État,

Son ascension sociale, à l’instar de celle d’un nombre d’autres femmes de la bourgeoisie et de la noblesse au XVIIIe siècle, se fait à travers les salons. C’est sa réputation en tant que salonnière lui permettra d’être invitée à la cour et de se faire remarquer le roi Louis XV. En effet, le roi et sa future maîtresse se rencontrent le 25 février 1745 lors d’un bal masqué à la Galerie des Glaces, date à partir de laquelle elle devient une visiteuse 87

Guy Lemarchand, “La France au XVIIIe siècle: élites ou noblesse et bourgeoisie?”,

Cahier des Annales de Normandie, n. 30, 2000, p. 107-123.

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critiquant les barrières qui empêchent l’ascension sociale et politique au sein de l’Ancien Régime.

Sur le plan politique, Madame de Pompadour agit encore une fois de manière indirecte dans son soutien à la carrière du duc de Choiseul, qui prendra le rôle de premier ministre non-officiel de Louis XV entre 1758 et 1770. C’est aussi avec l’influence de Choiseul que la France réalignera son système diplomatique en 1756, avec l’alliance autrichienne qui accélèrera la marche vers la guerre de Sept Ans.

C’est donc dans ce cadre historique que, demeurée favorite du roi même après avoir cessé d’être sa maîtresse vers 1750, Madame de Pompadour s'immisce dans les affaires de l’État à travers différentes allées parallèles du pouvoir à Versailles. Le statut, instable, de favorite royale lui permet d’outre-passer les restrictions imposées par son statut de femme et de roturière pour avoir accès à un pouvoir politique indirect. Cette incursion dans le politique est, par le fait même, très critiqué par la cour, formée en majorité de la haute noblesse française qui cherche à se différencier de la bourgeoisie montante dont Madame de Pompadour est issue88.

La Guerre de Sept Ans La Guerre de Sept Ans entre dans les nombreuses guerres de la France qui, après la mort de Louis XIV, perd son statut de première puissance d'Europe. Sur le front colonial, elle est supplantée, tout au long de la période, par la rivale maritime Anglaise. Sur le front européen, elle se voit entrer en compétition avec les nouvelles puissances continentales, nommément la Prusse, l'Autriche et la Russie. Cette perte de vitesse sur le plan international est alliée au déclin progressif de l'absolutisme français, qui fait l'objet d'un nombre important de critiques internes, à travers les parlements qui résistent aux décisions royales et le mouvement intellectuel des Lumières européennes.

Conseillère du monarque, elle influence à travers la suggestion la direction politique de Versailles et de la France sur plusieurs dossiers. En effet, son influence se fait sentir dans les arts et sciences sur le sujet de la publication de L’Encyclopédie, dont la publication chaotique est minée par un arrêt du conseil du roi en 1751. Sa défense des Lumières, dont les critiques à la monarchie absolue de droit divin en France sont vues d’un très mauvais oeil par Louis XV, passera aussi à travers son aide à Voltaire et Montesquieu durant la décennie 1740.

La cause immédiate de la Guerre de Sept Ans, en Europe, prend la forme de l'invasion de la Saxe par Frédéric II de Prusse, mais les racines du conflits remontent à la guerre de Succession

88

Frédérique Leferme-Falguières, “La noblesse de cour aux XVIIe et XVIIIe siècles”, Hypothèses, vol. 1, n. 4, 2001, p. 87-98.

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d'Autriche (1741-1748) et au renversement des alliances causée par celle-ci. En effet, les ambitions de la Prusse, qui tente d'agrandir son influence et son territoire au sein d'un Saint Empire Romain Germanique qui n'a plus qu'une valeur nominale et symbolique au XVIIIe siècle, se frappent aux réticences de l'Autriche, et de la maison des Habsbourgs qui contrôlent le titre impérial depuis 1452. La France, qui s'était engagée dans le conflit de 1741 dans une politique d'alliance traditionnelle avec les princes protestants contre l'ennemi Habsbourg, effectue cependant un changement diplomatique au cours de la période de 1755-1756, entrant en partenariat avec l'Autriche contre la Prusse. Ce renversement diplomatique, qui est scellé avec le mariage du futur Louis XVI et de MarieAntoinette d'Autriche, s'avère cependant désastreux à la suite de la défaite écrasante de la France, qui se voit ruinée par l'effort de guerre et amputée de la quasi-totalité de son premier espace colonial en Amérique du Nord à la signature du traité de Paris de 1763.

critiques prennent la forme des “poissonnades”, des poèmes satiriques ayant souvent un thème sexuel. Plusieurs sont produits durant la période 17451755, mais ils ne se multiplient véritablement de manière exponentielle qu’avec le déclenchement de la guerre en 1756. Si les auteurs demeurent généralement anonymes, ils placent de manière satirique le fardeau de l’échec politique sur Madame de Pompadour. Il est intéressant de noter que les attaques visent souvent le sexe et les origines bourgeoises de Madame de Pompadour89; ils mettent l’emphase sur le fait que la place d’une femme, et d’une membre du Tiers État, n’est pas dans l’appareil politique français. Plus intéressant encore est le traitement postérieur réservé à Madame de Pompadour dans l’historiographie française. Michelet, qui s’intéresse d’abord à l’aspect plus romantique et sulfureux du personnage de Madame de Pompadour, la présente comme une parvenue victime de la flatterie de l’ambassadeur autrichien Kaunitz et des témoignages d’amitié de l’impératrice Marie-Thérèse dans le processus de renversement des alliances. L’école méthodiste, qui naît en France en réponse à la défaite française de 1870, perpétue cette image de femme avide d’un pouvoir et d’une reconnaissance politique qu’elle n’a pas les capacité d’exercer correctement. Un exemple intéressant de

Bien que les causes de la défaite soient de nature multiples, sur le plan logistique, politique et technologique, Madame de Pompadour, qui meurt en 1764, est tenue pour personnellement responsable du désastre par des commentateurs contemporains et postérieurs. Au XVIIIe siècle, ces 89

ligne] http://www.bnf.fr/documents/chanson_defiait_po uvoir.pdf (page consultée le 3 mars 2016)

Robert Darnton, Élène Delavault et Claude Pavy « Quand la chanson défiait le pouvoir » Chansons de rues parisiennes, 1748-50 [en

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cette historiographie de fin particulièrement hostile à Madame de Pompadour est celui de Ferdinand Brunetière, avec L’Impératrice MarieThérèse et la marquise de Pompadour, publié en 1877, qui peint la maîtresse royale en “bourgeoise enivrée de la faveur royale”90 ayant été l’une des artisanes principales de la désastreuse alliance franco-autrichienne.

diplomatie parallèle de Louis XV, et ne peut qu’employer la suggestion dans un cadre monarchique où tous les pouvoirs sont concentrés en une seule personne. Si son action politique dans le renversement des alliances ne peut, de manière réaliste, qu’être réduite, la Marquise de Pompadour joue cependant un rôle politique crucial pour l’autorité royale française: celui de bouc-émissaire canalisant un mécontentement populaire contre le roi. En effet, elle consiste une cible parfaite pour la critique des actions politiques royales sans avoir à critiquer directement la personne du roi, qui est sacrée; elle incarne de manière parfaite cet “Autre” féminin et profane qui est, de manière constante, instrumentalisé par les Bourbons dans la consolidation d’un absolutisme royale, sacré et masculin dans la France de l’Époque Moderne. Madame de Pompadour est fautive par sa qualité de femme, de roturière et de maîtresse royale, et le mythe qui se construit autour d’elle de son vivant et après sa mort sert d’abord et avant tout à déplacer dans la sphère privée les actions politiques publiques de l'état français.

Cette image négative d’un rôle majeur de la Marquise de Pompadour dans le désastre de la Guerre de Sept Ans, qui perdure dans l’historiographie sur l’Ancien Régime jusqu’à récemment, n’est cependant pas complètement justifiée. Il est en effet possible d’affirmer que la Marquise de Pompadour possède un pouvoir politique acquis à travers les moyens détournés qui constituent, sous la monarchie absolue, les seules avenues d’agentivité pour les femmes dans la sphère publique. Elle s’est positionnée en faveur de l’alliance autrichienne au même titre qu’un nombre de diplomates français de la même époque. Il est cependant nécessaire de souligner que son action politique n’est cependant qu’officieuse et limitée par des restrictions qui l’empêchent de véritablement mettre en place un programme politique aussi large et ambitieux que celui du renversement des alliances par simple suggestion. En effet, elle ne possède aucun titre de pouvoir officiel, n’a pas accès au Secret du Roi, c’est-à-dire l’organe de la

Les véritables motivations du renversement des alliances ne sont pas issues de l’influence d’une femme telle que Madame de Pompadour, qui, flattée par la diplomatie autrichienne, aurait servi de catalyseur pour vaincre l'animosité traditionnelle entre la maison

90

Ferdinand Brunetière, “L’Impératrice MarieThérèse et la marquise de Pompadour”, Wikisource, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/L%27Imp%C3%A

9ratrice_MarieTh%C3%A9r%C3%A8se_et_la_marquise_de_P ompadour (page consultée le 3 mars 2016)

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Louis XV jusqu’à sa mort en 1764, incarne donc une figure familière dans le système politique et mentalitaire qui consolide et justifie la monarchie absolue française. Il s’agit d’un bouc-émissaire, d’un déflecteur de la critique à l’encontre du corps sacré du roi, dont le rôle politique principal, durant la Guerre de Sept Ans, sera de prendre le blâme du désastre militaire qui mènera au Traité de Paris en 1763. Sa culpabilité dans le cadre du renversement des alliances et des défaites face à la Prusse et l’Angleterre, établie par ses contemporains et par les historiens du XIXe et XXe siècle, est moins basée sur ses actions politiques réelles que sur son statut représentant “l’Autre” dans le paradigme patriarcal monarchique français. La figure de Madame de Pompadour, féminine, profane et étrangère à la cour, canalise un haine qui ne peut être dirigée directement contre Louis XV, et par le fait même est instrumentalisée par le pouvoir royal.

d'Autriche et la maison de France. Le renversement des alliances constitue une opération diplomatique logique dans le cadre politique des années 1750 dont les conséquences seront cependant négatives pour la France à l'issue de la guerre de Sept Ans. La disparition de la branche espagnole des Habsbourgs après la guerre de Succession d'Espagne a écarté des préoccupations françaises la peur de l'encerclement qui avait dirigé sa politique extérieure depuis François I. De plus, le comportement de Frédéric II durant la guerre de Succession d’Autriche, qui signe une paix séparée et laisse la France combattre l’alliance austro-anglaise seule en 1742, pousse la France à se tourner vers d’autres avenues diplomatiques ayant pour objectif principal d’obtenir un soutien sur le continent dans sa lutte essentiellement maritime et coloniale contre la puissance montante de l’Angleterre. La violence des critiques contre Madame de Pompadour dans le cadre du renversement des alliances est donc disproportionné compte-tenu de son implication réelle dans la manoeuvre politique; en effet, ni Louis XV, ni le duc de Choiseul, pourtant plus objectivement responsables de l’alliance, ne feront face à des attaques personnelles contemporaines postérieures, ce en raison de leur statut d’hommes dans une position de pouvoir et appartenant à la noblesse française.

Il est important de rappeler que Madame de Pompadour entre dans un continuum de figures féminines utilisées par les Bourbons pour légitimer et affermir leur autorité monarchique. Une femme justifie les erreurs politiques de la Couronne sous Louis XV, de la même manière que Catherine de Médicis, Anne d’Autriche et Madame de Maintenon le feront sous leurs rois respectifs dans le roman national français qui s’élabore et se construit au cours de l’Époque Moderne et Contemporaine.

Conclusion

La dernière héritière de cette lignée de ces “Autres” féminines qui

Madame de Pompadour, maîtresse royale et grande favorite de 33


sauvent de la critique le roi régnant, c’est Marie-Antoinette, qui verra la Révolution Française, et avec elle la chute du modèle patriarcal monarchique traditionnel français. La construction d’un nouveau paradigme lui succédera, paradigme plus essentialiste et plus exclusif, du genre et de son rôle politique au sein de la fraternité masculine républicaine.

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La crise Ukrainienne : Deux visions de l’ordre international Par Jean-Christophe Cusson La crise ukrainienne, comme les médias l’ont nommée, débute en novembre 2013 quand le président ukrainien Viktor Yanukovych’s quitte la table de négociation avec l’Union européenne, négociation qui avait pour but l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne.91 Cette rétractation amena une vague de manifestation qui en février 2014 atteint son paroxysme et provoqua la démission de Yanukovych’s.92 L’opposition entre les pros UE et les Pros russes déstabilisèrent la nation et amenèrent la Crimée, province majoritairement russophone, à profiter de la situation pour voter un référendum et ainsi s’annexer soit même à la Russie93. L’explosion d’un avion de la Malaisie Arline qui survolait le Donbass(autre région russophone d’Ukraine), augmenta les tensions entre la Russie et l’Ukraine.94. En septembre 2014, un cesser le feu est signé entre l’Ukraine et la Russie (qui était intervenue militairement en Crimée), mais à l’heure où j’écris ses pages, l’armée Russe se situe toujours au Donbass, menant un combat contre l’autorité Ukrainienne

dans le but d’annexer cette région russophone.9596

91

94

Bien que ce travail porte sur la crise Ukrainienne et la politique Russe face à celle-ci, nous avons cru bon s’émanciper de l’approche évènementielle en essayant plutôt de l’étudié dans son impact sur l’ordre international. Nous posons donc la question suivante : comment la crise Ukrainienne témoigne d’un conflit entre deux visions de l’ordre international : celle de l’Occident et de la Russie. Il nous parerait clair, avant même d’entamé la recherche, que l’Ukraine était déchirée entre ses liens avec la Russie et son désir de rejoindre l’Union européenne et, éventuellement l’OTAN.97 Nous suggérons donc que la crise ukrainienne est le reflet de l’incompatibilité du cadre normatif libéral véhiculé par l’Occident et celle du particularisme russe. Dans la première section de la recherche, nous esquissons les deux perceptions de l’ordre international que porte l’Ouest et la Russie à l’aide de théorie universitaire et de discours de

Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 53 92http://www.lefigaro.fr/international/2014/01/22/0100 3-20140122LIVWWW00197-ukraine-le-face-a-faceentre-police-et-manifestants- degenere.php

http://www.reuters.com/article/us-ukraine-crisisairplane-idUSKBN0FM22N20140717 95

Menomet et Rumer, op. cit., p. 155.

96https://twitter.com/Liveuamap/status/719369208824

537089 97 Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 259.

93http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/16/un

-referendum-en-crimee-pour-dire-oui-a-larussie_4383876_3214.html

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Unis et, par le fait même, de l’OTAN. Selon, l’auteur I. Manners, la politique internationale de l’Union européenne applique un cadre normatif à sa vision de l’ordre international.98 Ce cadre normatif serait en soi fondé sur l’exceptionnalisme de l’histoire européenne et américaine dans le but d’assoir universellement les normes libérales et donc concevoir l’ordre international de manière 99 normative. Ces normes correspondent en fait à cinq catégories principales : liberté, paix, démocratie, droit de l’homme et l’état de droit.100 De plus, elle en comporte quatre secondaires : solidarité sociale, développement durable et bonne gouvernance et l’antidiscrimination.101 C’est avec ceux-ci que par exemple, L’UE « should be perceived as a normative power in the light of its ability to shape ideas of what passes for « normal » in the discourse of international politics »102. Dans cette mesure, cette théorie d’un pouvoir normalisateur nous aide à comprendre les agissements de l’Occident sur la scène internationale et son impact sur l’ordre mondial.

diplomate. Ceci nous servira de cadre de travail (framework) pour étudier le conflit dans sa dimension internationale. La deuxième section est consacrée à la période d’avant crise, nous démontrerons que la crise était enracinée dans sa géopolitique, ses défis économiques et surtout dans ses liens nécessaires avec la Russie et les attentes de l’UE, de l’OTAN et des États-Unis à son égard. La troisième et dernière section est livrée à la réaction russe et occidentale à la crise ukrainienne tout en mettant l’emphase leur agissement en rapport avec leur vision de l’ordre international. Il est important de rappeler que notre but n’est pas de militer en faveur d’une des deux interprétations de l’ordre mondial et non plus de porter un quelconque jugement moral, mais plutôt de tenter de comprendre le conflit au-delà de la crise, par ses paradigmes géopolitiques, matériels et économiques Deux visions du monde Dans la première section du travail, nous vous présenterons les deux bases théoriques par lesquelles nous étudierons le conflit. La théorie consiste à présenter les modalités et le « framework » par lequel l’occident agit dans l’espace politique international. La première configuration est celle de l’Union européenne, des États-

Ensuite, comme le nomme D. Alenga « The European normative architecture » repose sur la solidification des liens de sécurités européens et sur la diffusion des normes énumérées cidessus.103 Ainsi, cette structure fait en

98

100

Ibid., p. 152

101

Idem., p. 153

102

Ibid., p. 153

103

Ibid., p. 157

I. Manners. « Normative Power Europe: a Contradiction in Terms? » Journal of Common Market Studies 40(2), 2002, p’ 235–258. David Alenga. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p. 152. 99

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sorte qu’un pays désirant adhérer à ce vison du monde doit posséder cet ensemble explicite de norme et sera, du coup, encouragé à ce dé marginalisé du cadre normatif. C’est dans cette mesure que l’on pourrait entrevoir une source de conflit entre une nation, sois la Russie dans le cas échéant, qui perçoit autrement l’ordre international prescrit par l’Occident.

Il faut souligner que cette théorie n’est pas appliquée mot pour mot et n’agit pas comme un code de loi par laquelle les visions s’affrontent, mais Pluto comme un modèle de pensée. Par exemple, un article publié en 2015 par Andrii Klymenko, nommé Human rights abuses in russian-occupied crimea, met l’accent de la crise Ukrainienne sur les abus des droits humains faits dans la Russie occupés tout en omettant le racisme que certain russophone subisse de la part des Ukrainiens ultranationalistes. L’auteur commence son ouvrage par « Russia forceffully and illegally annexed the Crimean peninsula from the territory of Ukraine ».106On ressent déjà le ton de l’article avant même d’avoir commencé. Le cadre normatif s’active et critique la norme d’État de droit et des libertés humaines. On met la focale sur les aspects qui marginalise l’autre face à nos normes. Un peu comme les chrétiens faisaient dans les croisades, ou bien le phénomène du barbare pour les Grecques.

En effet, la deuxième configuration est celle de la vision de l’ordre international prôné par le Kremlin. Selon, Vasily Kultyshev, 3e secrétaire (politique) à l’ambassade de la Fédération de Russie à Ottawa, la vision du monde de la Russie est fondée sur la prise en compte du particularisme des États et, de ce fait, de leur paradigme social culturel104. Donc, comme le soutient aussi Alenga, Moscous considère comme exclusives ses normes, valeurs et institutions tout en prenant compte de son historique avec la zone postsoviétique de l’Europe de l’Est.105 De cette manière, on comprend que si l’espace postsoviétique, dont l’Ukraine, est en effet dans la zone d’influence de la Russie et aussi à porter de main de l’UE et que c’est deux centres de pouvoir ne possède pas la même vision de l’ordre international selon nos théories, alors il y a matière à conflit.

C’est dans cette mesure que nous démontrerons que la crise ukrainienne est belle et bien née de l’incompatibilité de ses deux visions de l’ordre mondial. Si l’on en croit Pyotr Stegny, universitaire russe, le Kremlin a beaucoup de difficulté, en ce qui concerne l’Ukraine et l’espace postsoviétique, à accepter que « the Western values of human rights,

104

106

Vasily Kultyshev, conférence intitulée « La politique étrangère de la Russie: défis et priorités », jeudi 25 février 2016.

Klymenko, Andrii. « Human Right abuses in Russian-occupied Crimea », Freedom House,Specia Report, Mars 2015, 20 p.

David Alenga. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p. 155. 105

37


democracy and neoliberalism are the sin qua non for running the international order»107. De plus, il est rependu que l’Intelligentsia russe entretient depuis longtemps une malveillance envers l’Ouest étant donné leur passé difficile si l’on pense autant à Napoléon, au Nazisme et à la Guerre froide.108 Finalement, on comprend que les intérêts Russes sont nécessairement obstrués par le désire de l’Occident de normalisé l’Ukraine, qui nous verrons, est déchirée entre son désir de s’émanciper de la Russie et sa réalité géopolitique.

Wilson dans son ouvrage Ukraine crisis : what in means for the west.109 Tout d’abord, l’éclatement de l’URSS laissa plusieurs problèmes non résolus en plus d’en créer entre la Russie et l’Ukraine. Le fondement de ses problèmes gît principalement dans le fait qu’une grande majorité de Russes ne reconnaisse pas l’Ukraine comme une nation et espère un éventuel retour de l’Ukraine, le tout accompagné d’une nonreconnaissance des frontières.110 La Russie attendit près de 6 ans après la création de l’État ukrainien avant de signer un traité qui reconnaissait les frontières ukrainiennes.111

Un conflit prévisible ? Dans cette deuxième section, nous démontrerons que les deux parties tentaient d’influencer la politique ukrainienne dès sa naissance, à la chute de l’URSS, en plus d’essayer d’orienter son dessin selon leur propre conception de l’ordre international. Nous survolons l’avant-conflit en nous concentrant sur les problèmes de la politique étrangère de l’Ukraine. Nous sommes conscients que l’éclatement de la crise vient de l’intérieur au premier dégrée, mais pour l’intérêt de notre recherche, le second dégrée est pour révélatif des vrais enjeux du conflit comme le souligne Andrew

L’autre sujet de litige entre les deux nations est bien évidemment la séparation de la flotte de la mer noire et, par le fait, même la ville de Sevastopol qui est majoritairement russophone.112La Russie désire maintenir sa flotte en plus d’utiliser Sevastopol comme base d’opérations tandis que l’Ukraine souhaite minimiser la présence de la Russie pour s’assurer de sa mainmise sur Sevastopol, sachant que la Crimée a tenté plus d’une fois d’obtenir son indépendance face au gouvernement

Pyotr Stegny, « Russia’s Foreign Policy: Searching for a New Paradigm », Russia’s Pivot to Eurasia, Kadri Liik, ed. European Council on Foreign Relations, 2014, p. 43

Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 251.

107

110

111

Ibid., p. 151.

108

Alenga, op. cit., p. 155. 109 Andrew Wilson. Ukraine crisis: what it means for the West, New Haven, Yale University Press, 2014, p. 183.

112

Pifer, Steven. «Averting crisis in Ukraine », Council Special Report, No 41, Janvier 2009, p. 21.

38


ukrainien.113114 Par contre, la faible économie ukrainienne l’empêche de tenir tête à la Russie et la pousse à vendre sa part de la flotte en échange d’une réduction de la dette accumulée que possède l’Ukraine envers la Russie.115

économique et sécuritaire autour de la Russie, englobant les anciens pays de l’Union soviétique, permettant de contre pesée le poids de l’Occident. 121 Finalement, dans un monde qui gravite autour de l’ordre Occidental, la Russie tente de maintenir son statut de puissance est gardant son emprise sur l’Ukraine.

Ceci nous amène au problème le plus important de l’Ukraine : l’absence d’une économie forte et sa dépendance envers la Russie. Tous les auteurs qui abordent la crise Ukrainienne et même ceux qui tentait de la prévenir, s’entendent sur le ce point, la corruption et le manque de réforme économique l’empêche d’être un candidat potable pour l’OTAN et la dépendance au pétrole Russe lie son destin à celle-ci.116117118 D’un côté, la Russie tente d’imbriquer l’Ukraine dans son traité économique de l’Union Eurasie tandis que de l’autre côté, l’UE souhaite intégrer 119120 l’Ukraine. L’union eurasienne est en soit une manière de forger une union

D’un autre part, l’élargissement de l’OTAN vers l’est de l’Europe est un autre facteur qui fait grincer les dents de la Russie qui ne souhaite pas avoir les bases militaires de l’OTAN aussi proche de ses frontières.122 En effet, l’expansion « of Nato, and subsequently of the EU, has long been seen by the Russian foreign policy establishment as an attempt by the United States and its European allies to marginalize Russia, dimnish its role in European and global affaires and weaken its security and economic and political influence ».123 Il est intéressant de voir qu’aucune des deux parties ne perçoit

113

Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 251.

economics, Policy Brief No. 14-24, Novembre 2014, p.2 119

Andrew Wilson. Ukraine crisis: what it means for the West, New Haven, Yale University Press, 2014, p. 189.

114

Pifer, Steven. «Averting crisis in Ukraine », Council Special Report, No 41, Janvier 2009, p. 26. 115 Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 251.

120

https://www.rt.com/op-edge/249657-ukraine-crisiswest-russia-relations/ 121

Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 60.

Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 251. 116

Stephen Larrabee. « Ukraine’s place in European and regional security », Harvard Ukrainian Studies, Vol. 20, 1996, p. 252. 122

117

Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 60.

123

Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 71.

118

Anders, Äslund. «An Economic strategy to Save Ukraine », Peterson institue for international

39


l’Ukraine comme un atout. De plus, le terme marginalisé dans la phrase cidessus convient à exclure la Russie du pouvoir normatif qu’est l’Union européenne, étant que les solutions prisées par elle, vont nécessairement dans le sens de la démocratisation de l’Ukraine et de l’ouverture de son marché, sans prendre en compte la dimension multiculturelle et sa situation de proximité inévitable avec la Russie.

Ukraine’s vulner- abilities to Russian pressure, guiding NATO-Ukraine relations, and close coordination with Europe126 ». Sur une note plus journalistique, les deux parties ont montré une implication directe dans la politique ukrainienne à la veille de la crise. Du côté américain, le réseau de nouvelle FoxNews publie en 2004 que l’administration Bush à dépensé plus de 65 millions pour le parti de l’opposition de Viktor Yushchenko dans le but qu’il rencontre les autorités américaines.127 Un Article du Guardian publie le 6 mars 2014, que l’administration Obama confirme par la parole de Nuland que « the US had invested in total "over $5 billion" to "ensure a secure and prosperous and democratic Ukraine" - she specifically congratulated the 128 "Euromaidan" movement ». Donc, le gouvernement amécirains soutient le mouvement pro européen né de la crise ukrainienne en plus de le financer.

Ensuite, il est intéressant d’observer, au niveau académique, qu’en 2009, dans une publication du Council on foreign relations nommées advertising Crisis in Ukraine relève que « The Obama administration considers its approach toward Europe, it should maintain the goal of Ukraine’s development as a stable, independent, democratic, and market-oriented country, increasingly integrated into European and Euro-Atlantic institutions. ».124Il remarque ensuite que les tensions entre l’Ukraine et la Russie sont un frein à aux développements d’une Ukraine plus démocratiques et que cette même tension pourrait à menée à une crise.125 Donc, la solution proposée par le journal scientifique américain est que Washington renforce c’est lien avec l’Ukraine pour que celle-ci renforce son économie pour être qualifiable à l’intégration à l’OTAN et ainsi « reduce

Par contre, La Russie a aussi eu son rôle à jouer. Un article du quotidien Libération publie un témoignage du premier ministre Ukrainien dans lequel il confirme avoir été dissuader de signé

124Steven

127

Pifer. «Averting crisis in Ukraine », Council Special Report, No 41, Janvier 2009, p. 36. 125

Ibid., p. 36

126

Ibid., p. 36.

http://www.foxnews.com/story/2004/12/10/usspent-65m-to-aid-ukrainian-groups.html 128

http://www.theguardian.com/environment/earthinsight/2014/mar/06/ukraine-crisis-great-power-oilgas-rivals-pipelines

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l’entente avec l’UE par la Russie.129 Cette pression comme le note le Figaro dans son article publié le 26 novembre 2013, pourrait être lié l’offre Russe d’ouvrir les barrières douanières entre les deux nations, de baissé le prix du gaz et d’Offir un financement d’environ 11 milliard dans le but de réduire la dette pétrolière que possède malheureusement 130 l’Ukraine. Par contre, ce geste arrive tout juste avant les prochaines élections ukrainiennes et était, fort probablement, une manière d’influencer le choix de l’Ukraine envers son rapprochement avec l’UE.

d’un rapproche avec l’Ouest, c’est la Russie qui a s’eu profité de l’instabilité du Pays pour déployer des troupes dans le but de supporter les mouvements prorusses en Crimée et dans le Donbass. La Raison principale qui donne la victoire au Russe est que « for Kyiv and the West […] it is easier for the Russia to destabilize Ukraine than it is for Ukrainian gouvernement, event with the Western help, to build a more stable and secure state ».131 En plus, Poutine est prêt « for the first time in the last quarter century » a sacrifié ses relations avec l’UE au profit de ses intérêts personnels.132

On peut en conclure que la place de l’autonomie de l’Ukraine à l’international semble peu présente, ou du moins est limité à deux choix : S’associé à la Russie particularisme ou embrassé la normativité occidentale. Il faut rappelles que la géopolitique ukrainienne est autant divisée que sa population qui comporte des régions vastement russophones et d’autre largement Ukrainienne.

Les méthodes employées par l’Ouest telles les condamnations diplomatiques, les sanctions économiques, l’assistance militaire indirecte envers l’armée Ukrainienne à plutôt servi les intérêts Russes dans la mesure ou ceux-ci on peut justifier leur acte en pointant du doigt le « paternaliste occidentale » et forger une propagande médiatique encore plus forte.133Aussi, bien l’économie russe fut durement touchée par baisse du prix du pétrole, elle ne changea point ses

La crise : une victoire russe ? Bien que la crise Ukrainienne débute avec une vague de protestation nommée le « Maidan Prostest » en faveur 129

http://www.liberation.fr/planete/2013/11/26/lukraine-reconnait-avoir-ete-dissuadee-par-la-russiede-signer-avec-l-ue_962167

David Alenga. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p. 156. 132

130 133

http://www.lefigaro.fr/international/2013/12/17/01003 -20131217ARTFIG00540-la-russie-tend-les-bras-a-lukraine.php 131 Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 4

Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals

and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 4

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intentions.134Comme le soutient cette article du Russia Insinder « low debt and high cash reserves means that Russian investment programs can continue without foreign borrowing – at most ».135 La Russie semble, de ce fait, tirer avantage de la situation comparée à son homogène Occidental.

envoyer une 138 significative.

aide

militaire

Cependant, c’est l’annexion de la Crimée par la Russie à l’aide d’un référendum jugé légitime en Russie et non légitime en Occident, qui est le point culminant de la victoire russe. Comme nous l’avons souligné plus haut, la victoire des manifestants contre le premier ministre ukrainien donna peu d’options au Kremlin pour tirer avantage de la situation et reprendre le dessus sur la première bataille remportée par l’Ouest.139 La clé résidait pour la politique russe étrangère dans les mouvements séparatistes de Crimée et du Donbass.140 10 près de jours avant la tenue du référendum, Poutine affirmait à ces partenaires occidentaux, comme ils les appellent, qu’aucune intervention militaire russe n’aurait lieu en Crimée, mais que si un référendum il y aurait, l’Europe serait peut-être décu du résultat.141 Ainsi, la Crimée réclame une intervention militaire de la Russie pour la

Les sanctions occidentales ont aussi échoué à isoler l’économie de la Russie qui négocia rapidement une entente avec Beijing ce qui rassura d’un côté la population et permit d’alléger les sanctions.136 Ceci démontre les limites du pouvoir normatif qui omet la possibilité de la création d’ententes entre les pays marginalisés. L’autre aspect de la force de l’Intervention du Kremlin en Ukraine est sa capacité à maintenir l’Ukraine en crise tout en gérant cette crise.137 Étant donnée la nature normalisatrice de la politique européenne, l’instabilité en Ukraine la rend indésirable au yeux de L’UE et des USA, qui n’ont pas assez d’intérêt pour 134

Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 4

138

135http://russiainsider.com/en/politics_business/2014/1

139

Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 5. Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 83.

1/07/01-1722pm/kremlin_economy_boss_pl eas e_don t_ cancel_sanctions_-_theyre 136 Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 6.

140

Rajan Menonet Eugène B. Rumer. Conflict in Ukraine: The unwinding of the post-cold war order, Cambridge, MA: The MIT Press, 2015, p. 83.

137

141http://www.lefigaro.fr/international/2014/03/04/010

Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 5.

03-20140304ARTFIG00338-poutine-sort-de-sonsilence-pour-se-justifier-sans-clarifier-sesobjectifs.php

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supporter dans la tenue de son référendum décrié par Kiev. De ce fait, les Sénateurs votent en faveur de l’Intervention russe et le 16 mars 2014 la Crimée vote oui à son annexion à la Russie.142143

Ukraine into a Western orbit. The West on the Hand, despite its statement to the contraty, lacks the stragetic fortitude to risk a potentially costly miliary collision with Moscow in defense of Ukraine. There is also no palpable political will in Brussels to fulle embrace Ukraine into full EU membership. »145

Ensuite, la fameuse citation de Poutine « The collapse of the Soviet Union was a major geopolitical disaster[…] tens of millions of our cocitizens and compatriots found themselves outside Russian territory » aura eu raison d’elle même.144 Cette victoire marque un dur coup pour l’Ouest qui n’est pas en mesure de procurer une stabilité suffisante en Ukraine, qui aurait pu permettre d’adoucir les séparatismes russes. Finalement, ce point tournant désengage quasi complètement l’intérêt qu’avait l’Occident pour l’Ukraine. Pour ce qui est de l’Ukraine, Alenage souligne amèrement que

Dans cette mesure, si l’on désire régler le sort de l’Ukraine, Alenga propose qu’étant donné que Kiev n’est plus significative pour l’UE, l’UE doive se désengager d’Ukraine, réparblir le statut de neutralité de Kiev entre eux et Moscou et, de ce fait, normaliser les relations avec Moscous et Kiv pour être capable de stabiliser la situation.146 Il est évident que ce genre de recommandation qui donne raison à l’ordre russe n’est pas ce qu’il y a de plus répandu en Occident. Si l’on jète un coup d’œil sur le Special Report : UkraineRussia conflict signals and Scenarios for the Broader Region publiée par le United instituted of Peace, celui suggère en quelque point que la solution doit se faire par une l’offre d’entente économique entre l’Ouest et l’Ukraine, par

« the current posturing by Moscow and Brussels has abundantly revealed that both sides have no consistent end plan for this tussle. Russia has not hidden its determination to continuing destabilizong Ukraine until EU reletns in dragging

142http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/16/u

http://archive.kremlin.ru/eng/speeches/2005/04/25/203 1_type70029type82912 _87086.shtml.

n-referendum-en-crimee-pour-dire-oui-a-larussie_4383876_3214.html

David Alenga. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p. 170. 145

143

https://www.rt.com/news/russia-ukraine-approvemiltary-371/

David Alenga. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p. 170. 146

144

Annual Address to the Federal Assembly of the Russian Federation April 25, 2005 The Krem- lin, Moscow

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l’application des valeurs de l’Ouest sans se soucier des remarques de la Russie et de la corruption Ukrainienne, en supportant la société civile en lui donnant accès à des médias indépendants pour contré l’effet de la Propagande Russe et finalement, pour ne pas materniser, l’application forcé par l’international de réforme institutionnel pour renforcir la confiance du public dans leur système.147

vers la Russie. Le peuple décide de prendre en main le destin du pays avec de nombreuses manifestations au Maidan. Cet événement est un comme prix de consolation pour l’Ouest, et pousse la Russie à opter pour l’implication militaire, pour apporter un soutien au séparatiste russophone. Donc, L’UE et l’Ouest n’arrivent pas à normaliser l’Ukraine et la poussé à tourné le dos à la Russie qui, par le maintient de l’instabilité, rend l’Ukraine peut désirable à l’oeil de l’Occident. On conçoit alors que le cadre normatif permet de comprendre les agissements de l’UE, et que l’Ukraine est un parfait exemple de cette disposition. Du côté Russe, elle maintient une politique agressive en justifiant c’est action sur le droit (presque divin) de possède la Crimée et sur le passé des deux nations : l’Ukraine est faite pour être lié à la Russie. De plus, la Russie baigne dans une mentalité post guerre froide.148 Elle réagit, de ce fait, au politique de l’ouest qu’elle juge incapable d’assurer l’ordre mondial dû à sa vision centralisatrice et normalisatrice.149

Finalement, on comprend que la crise Ukrainienne est, bien qu’être ukrainien, aussi une crise mondiale dans la mesure où deux visions de l’Ordre international s’affrontent pour asseoir leur sécurité militaire, économique et politique. La Russie a la main haute en Ukraine et a démontré qu’elle est de retour sur la scène internationale. Conclusion En conclusion, l’Ukraine, dès sa renaissance officielle avec la signature de sa constitution en 1996, était, malgré elle sous les griffes de la Russie et dans l’œil de l’Occident. La période d’avant crise est le symptôme d’une Ukraine indécise quant à sa politique internationale, bousculé par deux ordres internationaux qui désirent étendre son pouvoir. La crise ukrainienne survient lorsque le chef d’État quitte la table de négociation avec l’Union européenne pour se retourner

Finalement, l’armée russe est toujours dans le Donbass pendant que le président Ukrainien, le 10 avril(journée avant la remise) vient tout juste de perde

147

Lauren Van Metre, Viola G. Gienger et Kathleen Kuehnast. « The Ukraine-Russia conflict : Signals and Scenarios for the Broader Region », United States Institute of Peace, Special Report 366, Mars 2015, p. 6

149

Vasily Kultyshev, conférence intitulée « La politique étrangère de la Russie: défis et priorités », jeudi 25 février 2016.

Alenga, David. « Ukraine’s fault lines : the quest for regional hegemony in the Post-Soviet Space », The Soviet and Post-Soviet review, No 42, 2015, p.150-173. 148

44


un vote de confiance et de remette sa démission.150 L’instabilité dans le pays reste présence, temps et aussi longtemps qu’elle perdure et que la Russe est capable de la contrôler, la victoire des deux ordres mondiaux sera du côté Russe. Même si la guerre froide est terminée, on peut sentir un vent froid venir de l’espace postsoviétique.

POLICY BRIEF, No. 320, 25 juillet, 2014, 9 p. HARREL E., Peter. « Lesson from Russie : for the Future of Sanctions », Economic Statecraft series, Center for a New American security, Septembre 2015, 11 p

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150

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45


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https://www.rt.com

http://www.foxnews.com/story/2004/1 2/10/us-spent-65m-to-aid-ukrainiangroups.html

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Appel à Communications Département d’histoire de l’Université de Montréal « Secrets et intrigues à travers le temps » Vendredi 10 mars 2017 À l’Université de Montréal

Le vendredi 10 mars prochain se tiendra à l’Université de Montréal le quatrième colloque des étudiants de Premier cycle du Département d’histoire de l’Université de Montréal. Cette édition s’articulera autour du thème « Secrets et intrigues à travers le temps ». Le comité organisateur souhaite offrir un espace multidisciplinaire consacré aux faits historiques non officiels, peu connus ou cachés. Pour cela, il vous faudra redoubler d’effort pour ce qui est de la fiabilité des sources primaires. Les secrets et les intrigues ont été nombreux et leur importance et leur pertinence sont jugées en fonction de leur impact politique, mais aussi social, culturel, économique ou bien sur les mentalités. Sujet très vaste, les secrets et intrigues peuvent être abordés de différentes façons. Voici une liste non exhaustive de thématiques s’insérant dans ce cadre :      

Correspondances ou négociations secrètes Sociétés secrètes (organisations criminelles, politiques, intellectuelles ou civiles) Complots/manigances Textes de loi/opérations non officiels Débats historiographiques sur un sujet controversé Marginaux/résistants/clandestins


Le comité organisateur vous encourage à envoyer toute proposition susceptible de s’inscrire dans des réflexions autour de faits secrets et d’intrigues. Toutefois, nous restons ouverts aux propositions de communications n’ayant pas de liens directs avec le thème du colloque. Toute autre communication inscrite dans cette catégorie sera analysée au même titre que les autres. Nous encourageons exclusivement les étudiant-e-s du premier cycle à présenter leur recherche sur les secrets et intrigues de toutes époques confondues. Les étudiant-e-s d’études classiques et d’études médiévales peuvent aussi participer. Les équipes de deux personnes par présentation sont aussi permises. Les étudiant-e-s des cycles supérieurs et de tout autres disciplines sont également invités à participer, mais à titre d’observateurs. Les étudiant-e-s auront l’opportunité de présenter leur recherche dans un panel modéré par un-e professeur-e spécialiste. Ce colloque reste une excellente opportunité pour les étudiant-e-s de profiter des rétroactions sur leurs recherches et d’échanger avec d’autres étudiant-e-s et professeur-e-s. Pour présenter votre recherche, vous devez soumettre un résumé d’un maximum 500 mots à l’adresse courriel colloque.hst.1ercycle.2017@hotmail.com avant le 10 février 2017. Les résumés et les présentations doivent être soumis et présentés en français. Veuillez également indiquer votre nom complet, discipline et université. Les étudiant-e-s dont le résumé aura été retenu seront rencontré par le comité organisateur afin d’avoir un aperçu plus précis de leur présentation. L’étudiant-e peut également soumettre le texte de leur communication finale (d’un maximum de 8000 mots) advenant le cas que la rencontre individualisée s’avère impossible à réaliser.

En guise de rappel, la date limite pour soumettre votre proposition est le 10 février 2017.

Nota Bene Les présentations seront d’une durée de 15 minutes par participant avec une possibilité d’une période de questions de 10 minutes. Nous ne pouvons assurer le remboursement des dépenses des conférenciers. Toutefois plusieurs universités offrent de couvrir une partie des frais de déplacement des étudiants qui participent à des colloques. Nous vous suggérons de vous informer auprès de votre institution afin d’obtenir davantage d’information à ce sujet.

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Critique

Des Ambassadeurs au Moulin Rouge : Toulouse-Lautrec à Montréal Par Gabriel Bouchard Ayant vécu de 1864 à 1901151, Henri de Toulouse-Lautrec est l’un de ces artistes dont les œuvres restent à tout jamais dans la mémoire de celui qui les voit. Dans sa vie heureuse, mais fragile, le peintre français se passionnera des jockeys, des danseurs et des acteurs théâtraux qu'il immortalise avec ses lithographies, ces dessins que l’on transpose sur les pierres.152 Utilisant une technique directe et simple, les

Jusqu’à la fin du mois d’octobre, le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) expose plus de 100 affiches d’Henri de Toulouse-Lautrec, des plus inédites au plus connues. Cette exposition ambitieuse jette un regard bref, mais bien informé, sur le monde de l’illustration et du divertissement des années 1890 à 1900. L’exposition met en place un univers festif et animé qui en vaut le détour.

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Bondil, Nathalie. dir. Toulouse-Lautrec affiche la Belle Époque, Montréal, Hazan, 2016, 122 pages

De Fiore, Gaspard. dir. Toulouse-Lautrec, Paris, Fabbri, (Coll. Regards sur la peinture), 1988, p.30-31

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d’Allemagne, qui côtoient leur croquis original. Cette première salle familiarise les œuvres et le style de ToulouseLautrec aux néophytes tout en suscitant la nostalgie des connaisseurs. En effet, les plus connus côtoient des inédits, des affiches publicitaires célèbres se mêlent à des brouillons. Ce mélange lie les œuvres sans ordre chronologique ou thématique, ce qui peut décevoir, surtout lorsqu’on connait l’impact de l’alcool et la douloureuse chute de la santé de Toulouse-Lautrec. Toutefois, la datation, la description et la mise en contexte des œuvres sont présentes, écrites dans un ton informatif et anecdotique, mais qui détient une information clairement recherchée. Avec ses guides sympathiques, la présentation est à la fois instructive et divertissante.

Figure 2 Affiche publicitaire pour l’Artisan Moderne. 1896. Ton caricatural et parodique qui n’est pas sans allusion aux modèles féminins nus et allongés du XIXe. (Première salle)

lithographes seront appelés à réaliser des publicités et des annonces pour différents milieux de leur société, dans ce cas-ci du milieu du divertissement (cirques, cabarets et concerts-hall). L’exposition du MBAM, bien que très courte, réussit avec vigueur de nous montrer ce monde et ce qu’il illustre avec des œuvres déposées en trois salles bien mémorables.

La deuxième pièce, plus petite, met tout en place pour rappeler un cabaret : le rouge des murs, de la musique de cabaret y est jouée et nous notons surtout la présence d’un magnifique et grand tableau de Louis Anquetin: L’intérieur de chez Bruant : le Mirliton153, volant la vedette aux nombreuses lithographies de notre cher Toulouse-Lautrec. Ce tableau demeure toutefois pertinent ; le sujet de la composition est le même que ceux de Toulouse-Lautrec, mais illustre avec la couleur et le détail de la peinture à l'huile. Il est aussi de la même époque, et rappelons-nous que Louis Anquetin était un ami de Toulouse-Lautrec.154 Dans

L’exposition s’ouvre dans une pièce allongée, avec des affiches déposées sur une longue bande faisant le tour des murs. Trois larges murs de bois isolés mettent en valeur les affiches notoires de la chaîne Simpson et de la Babylone

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visuels/473112/une-toile-inedite-de-louis-anquetindevoilee-a-montreal. 154 Bondil, Nathalie. dir. Toulouse-Lautrec affiche la Belle Époque, Montréal, Hazan, 2016, p.12-15

Agence France-Presse, «Une toile inédite de Louis Anquetin dévoilée à Montréal», Le Devoir, 10 juin 2016, [en ligne] http://www.ledevoir.com/culture/arts-

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cette même salle, nous y trouvons des photographies, et surtout de très courtes biographies des artistes de la scène que nous avons vus jusqu’à maintenant (La Goulue, Jane Avril et bien d’autres encore.)155 Cet aspect inattendu est aussi fortement apprécié : elles donnent un bon aperçu des réalités de l’époque, mais demeurent intimement liées aux dessins. On aurait toutefois aimé en avoir plus, surtout qu’à l’exception des petits

écriteaux, l’exposition est d’abord une série d’images dansantes et trépidantes. Enfin, la troisième pièce rassemble les œuvres les plus connues, et affiche un véritable glossaire de tout le vocabulaire technique utilisé. Ici, nous voyons que l’exposition vise à introduire, mais surtout à rendre hommage à l'œuvre lithographique de Toulouse-Lautrec, tout en permettant aux initiés de s’y retrouver.

Bref, cette exposition vaut la peine d'être visitée, peu importe votre niveau de connaissance sur ToulouseLautrec. D’Aristide Bruant à Yvette Guilbert, des esquisses maîtrisées côtoient des chefs d'œuvres internationaux. Notons aussi que malgré l’apparente « simplicité » de la lithographie, on s'amuse beaucoup à admirer l'habileté de l'artiste à représenter des mouvements et des états psychologiques très complexes avec l'aide de simples traits. Finalement, la documentation sérieuse et détaillée de l’exposition plaira à l’historien, sans parler de son usage des autres médias tels que la musique et la photographie d’époque. On aurait aimé cependant avoir plus de textes et de galeries : on peut facilement faire le tour en moins de 30 minutes sans rien manquer, et c’est

pourquoi je recommande de jumeler la visite de l’exposition à une des autres galeries du musée.

155

Cependant, les dessins à eux seuls valent la peine d’être vus, animant un monde qui se croyait sans lendemain. Les ouvrages suivants sont très utiles si vous voulez en savoir plus sur le sujet. Bondil, Nathalie, dir. Toulouse-Lautrec affiche la Belle Époque, Montréal, Hazan, 2016, 122 pages. Matthias, Arnold. Henri de ToulouseLautrec, 1864-1901 : le théâtre de la vie, Cologne, Taschen, 2012, 96 pages. De Fiore, Gaspard. dir. ToulouseLautrec, Paris, Fabbri, (Coll. Regards sur la peinture), 188, 32 pages.

Ibid., p.80

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Section féministe

Une section féministe, vraiment ? C’est donc au milieu de portes débarrées, d’un député présumé agresseur, d’initiations dégradantes, d’une montée du victim bashing, le tout recouvert d’une culture du viol qui ne fait que s’enraciner davantage que l’idée d’avoir une section féministe dans la revue Le Sablier a germée. Force est d’admettre que l’actualité des dernières semaines justifient à eux seul la nécessité de cette section. On essaie de nous présenter une société aux valeurs égalitaristes, prônant le respect de tous et dotée d’une ouverture aux idées féministes pourtant la société québécoise ne fait que s’enliser dans un problème qu’elle est incapable de gérer et encore moins de régler. Pour ces raisons, la promotion du féminisme est de plus en plus importante. C’est à quoi s’engage cette section. Promouvoir les femmes de toutes époques, vous les faire découvrir ou redécouvrir, engager des débats et donner une voix aux idées féministes au sein de l’association étudiante. Cette section est chapeautée par le comité femme de l’AHÉUM. Le comité femme se veut le promoteur des idées féministes, le gardien du respect des femmes au sein de l’association étudiante et l’informateur des faits d’actualités, des débats, des enjeux et des activités liées au féminisme au sein de l’AHÉUM ou ailleurs. Nous sommes fiers de faire partie d’une association étudiante aux positions ouvertement féministes et qui encourage la participation des femmes au sein de son organisation. Audrey Morissette Responsable du comité femme de l’AHÉUM Responsable de la section féministe de la revue Le Sablier 52


Section féministe

Le féminisme d’hier à aujourd’hui : son histoire, ses obstacles et son importance au XXIe siècle. Par Audrey Morissette

D’aussi loin qu’il peut puiser sa légitimité, le féminisme a toujours été considéré comme un mouvement dérangeant de l’ordre social et des plus complexe. Regroupant sous son aile femmes, hommes et LGBTQ+, le féminisme doit encore, malgré ses innombrables succès, démontrer son importance auprès de ses opposants.

premièrement par des hommes, et par des femmes lorsque leurs situations leur permettaient. Que l’on remonte à Christine de Pisan à la fin du XIVe siècle, considérée comme la pionnière d’un mouvement à devenir ou à Poulain de La Barre qui publie en 1673 De l’égalité des deux sexes, les écrits féministes ont toujours évolué en parallèle des études historiques a proprement dites et même si l’étude de ce mouvement se fait dans les facultés universitaires, « le féminisme apparait comme un désordre, une passion, une hystérie, rarement comme un engagement raisonné dans l’espace politique . » Pour les besoins l’article, nous ne pouvons faire un historique

Le mot féminisme n’existe que depuis peu, il nait en 1830 de la plume de Charles Fourier, un philosophe français utopiste, mais fera son entrée dans le langage courant en 1892, lors d’un Congrès des Droits de la femme . Les idées féministes quant à elles sont partagées depuis bien plus longtemps, 53


objectif d’obtenir le droit de vote en Angleterre, ce qu’elles réussiront après 15 ans de combat. En plus du combat pour le droit de vote, les femmes demandent le droit à l’éducation et le droit au travail. En France, ces droits seront acquis au début du XXe siècle, entre 1897 et 1907, elles obtiendront le droit de témoigner dans des actes civils et notariés, elles pourront soutenir une action en justice et disposer comme bon leur semble de leur salaire.

complet du féminisme, et encore moins lui donner une vision mondiale, nous nous attarderons à un point de vue occidental, voire français, débutant à la fin du XIXe siècle, nous y découvrirons quand moins de 200 ans, le mouvement a trainé avec lui les mêmes opposants, les critiques restant sensiblement les mêmes au fil des années. De plus, même si le genre masculin a longtemps paru comme étant réfractaire au féminisme et à son évolution, il reste que plusieurs d’entre eux ont été et sont aujourd’hui des membres importants du mouvement qui ne peut pas avancer qu’avec seulement la moitié de la population de son côté.

Au Québec, le combat n’est pas si différent. Les revendications sont les mêmes et le droit de vote reste la priorité. Deux arguments sont avancés par les groupes féministes. Le premier se base sur le rôle social des femmes qui diffère celui des hommes. Leur caractère maternel apporterait une réflexion nouvelle dans la société et ne serait en rien une menace à l’ordre établi. Un courant qu’on nommera maternalisme, soutenu par Marie Lacoste-Gérin-Lajoie et par la Fédération nationale Saint-JeanBaptiste (FNSJB). À l’opposé, les féministes dites libérales telles qu’Idola Saint-Jean Thérèse Casgrain avancent que les femmes et les hommes sont semblables et devraient posséder les mêmes droits. La première vague du mouvement féministe jette les pierres de ce qui sera l’un des plus grands mouvements humains.

La première vague du mouvement féministe Le féminisme se divise en trois vagues, la première de 1800 à la mi-1900, suivi de celle que nous considérons comme ayant un apport plus considérable qui se déroule de 1960 à 1970, et celle dans laquelle nous sommes présentement débute dans les années 1980. Nous passerons rapidement sur la première vague, bien qu’elle soit d’une importance majeure, puisqu’elle marque le début de la lutte des femmes avec ses revendications de nature politiques et les premières manifestations publiques. Le mouvement le plus connu est sans équivoque celui des suffragettes que Jeanne Misme décrivait comme : « [des] guerrières qui ont entrepris la conquête armée des droits politiques de la femme là où les suffragistes procèdent à la même besogne par la pénétration pacifique . » Ces femmes avaient comme principal

La deuxième vague La deuxième vague sera celle qui agira comme une césure dans l’histoire et dans le mouvement en lui-même. Les années 60 sont reconnues comme une décennie 54


où tout bouge, tout s’agite. On a qu’à penser à la question de l’émancipation des Afro-Américains aux États-Unis, au débat concernant l’indépendance des colonies africaines ou bien à la Révolution Tranquille ici au Québec. L’heure est au changement et au questionnement. Le mouvement féministe n’est pas en reste. Doit-il être radical ou modéré, politique ou apolitique, inclusif ou exclusif, contre les hommes ou avec les hommes. La deuxième vague du féminisme est une période cruciale mais façonné par une grande remise en question. Le pacifisme enflamme les esprits, l’émancipation des Afro-Américains est au premier plan aux États-Unis, les colonies européennes d’Afrique qui se battent pour leur indépendance, l’heure est aux droits humains. Le féminisme ne laisse pas sa place,

mettre le livre à l’Index en 1956, sans pour autant diminuer ses effets. Les idées énoncées dans le livre créeront un mouvement en faveur d’une libération individuelle, amenant les femmes à réclamer le droit à la contraception, à l’avortement et au divorce mutuel. L’opposition politique reste pourtant farouche à toute avancée des femmes sur le contrôle de leur corps, mais elles réussiront à arracher une loi en 1965 qui leur donne le choix de leur profession, même si le mari s’oppose à celle-ci. L’année 1968 fut majeure dans le développement du féminisme. On y voit le début des rassemblements féministes ou les femmes prennent la parole publiquement, même si elles étaient politiquement engagées depuis plusieurs années; les hommes étaient toujours ceux qui parlaient et les femmes étaient laissées de côté. Les groupes féministes commencent à rejeter la mixité et le mouvement se tourne de plus en plus vers l’extrême gauche, voire à une radicalisation. L’effet de Mai 68 n’est pas ressenti seulement en France, mais aussi aux États-Unis qui surfent sur la vague du mouvement de l’émancipation des Noirs et des protestations contre la guerre au Viet Nam.

Le coup d’envoi fut donné par Simone de Beauvoir qui, en 1949, publie Le Deuxième Sexe, dans lequel elle met de l’avant plusieurs principes qui seront repris par les groupes féministes. Dénonçant le déterminisme culturel, l’auteure avance que l’oppression de la femme est le produit d’une construction sociale et que la sexualité, jusqu’alors refoulée, doit prendre sa dimension libératrice. Malgré les avancés du mouvement, les groupes de femmes, s’appuyant sur l’ouvrage de Mme de Beauvoir, trouvent que « l’égalité des droits restée sans effets n’est plus qu’un principe au regard d’une réalité profondément inégale. » Les critiques arriveront de toute part et finiront par

Au Québec, comme ailleurs en Occident, on décèle deux grands objectifs, soit l’égalité des femmes face aux hommes et la libération de la femme. Le féminisme s’oriente autour de trois pôles, le féminisme libéral, plus particulièrement présent au Québec, il est principalement actif en politique et veut modifier le 55


« scandale » médiatique que Safia Nolin à provoquer avec son habillement au gala de l’ADISQ, le lynchage public dont elle a été victime démontre que n’importe qui peut désormais se faire critique du féminisme.

système déjà en place pour y permettre une plus grande reconnaissance de la femme. Le féminisme marxiste, beaucoup plus présent en Europe, lie directement l’oppression de la femme à la société capitaliste et à la propriété privée, il demande un renversement de l’ordre établi. Finalement, le féminisme radical, dont les souches sont présentes un peu partout, dénonce la société patriarcale et milite pour la reconnaissance d’une culture féminine, il est surtout associé à la révolution sexuelle de la femme. Les années 60 au Québec marquent le début de la femme en politique et sa reconnaissance aux yeux de la loi. La production de recherches universitaires et le monde culturel se féminisent de plus en plus.

Si le mouvement se voit plus souvent malmener, il est aussi plus réactionnaire : manifestations, regroupements, soirées de discussion et marches font maintenant partie de l’arsenal défensif et expressif du féminisme. Au tournant du XXIe siècle, et surtout depuis l’apparition des nouveaux médias, les femmes autant que les hommes sont plus entrain à défendre et encourager les idées qui en émanent. Toutefois, nous assistons de plus en plus à un rejet du féminisme de la part des femmes. Ces dernières ont refusé d’être associées à un mouvement qu’elles considèrent comme séparatistes et préfèrent se nommer comme des « égalitaristes ».

La troisième vague Cette période d’agitation donnera un mauvais départ à la troisième vague qui se retrouve encore plus fracturée et qui tente de réunir toutes les factions d’un mouvement qui veut pourtant la même chose, l’égalité des femmes face aux hommes. Comme la société, le féminisme change, il s’accommode à la nouvelle réalité des médias sociaux, c’est principalement par ces derniers que le message est le plus souvent transmis. Les blogues, Twitter et Facebook sont les nouveaux moteurs de propulsion du message féministe qu’étaient les journaux écrits auparavant. Qui dit médias sociaux, dit aussi une critique plus facile face au mouvement, des dérapages auxquelles le mouvement n’avait jamais été réellement confronté, nous avons qu’à penser au

Conclusion Même si le féminisme a franchi de grandes étapes, il reste une utopie, un idéal à réaliser. Nous sommes encore loin d’une complète égalité entre les hommes et les femmes de ce monde. Il faut reconnaitre qu’être une femme, même au XXIe siècle et en Occident, comporte son lot de défi. Naître femme nous condamne à devoir nous battre toute notre vie pour atteindre un semblant d’égalité. Le mouvement est à un moment de son existence où il a encore plus besoin du support de tous pour pouvoir percer une culture sociale qui ne semble pas vouloir changer. 56


Article

Les objectifs de la Russie dans le conflit syrien ? Par Laetitia d’Orsanne

L’année 2016, encore à ses débuts, a déjà eu son comble d’immondice que ce soit par les attentats trop nombreux, les conditions inhumaines vécues par les réfugiés, les innocentes victimes des combats armés, et ainsi de suite. Ces problèmes qui ne datent pas d’hier font partie d’un débat international sur la façon de gérer les conflits actuels. Vladimir Poutine va participer à cette discussion mondiale pendant son discours à l’ONU le 29 septembre 2015 : « Mais il ne s’agit pas d’ambitions pour la Russie : il n’est plus possible de supporter la situation qui se crée dans le monde. En réalité, nous proposons d’être guidés non par les ambitions, mais par les valeurs et les intérêts communs, et en se basant sur le droit international ; que nous unissions nos efforts pour affronter les problèmes qui se dressent devant nous et pour créer une vaste alliance 156

Vladimir Poutine, « Discours de Poutine à la 70e session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York », RT, 28 septembre 2015,

internationale »156.

antiterroriste.

Cette coalition contre le terrorisme promue par ce président russe est, d’après ses dires, une raison qui explique son intervention dans les conflits au MoyenOrient. C’est d’ailleurs son leitmotiv sur son implication dans le conflit syrien. Cette recherche va faire l’analyse des objectifs qui poussent la Russie à s’impliquer dans la guerre qui sévit en Syrie. Avant de rentrer dans le vif du sujet, la relation historique syro-russe sera traitée, ainsi que leur place sur la scène internationale. Puis, cinq points à la proportion très différente permettront de répondre à la problématique de la recherche. Le premier qui occupe une grande partie de cette recherche se concentre sur le terrorisme qui est au cœur du conflit. Il s’en suit par une brève analyse de la géopolitique russe déjà entrevue dans le premier point. Ensuite, les raisons stratégiques et les intérêts économiques vont être étudiés. Pour finir, l’essai va expliquer la position russe sur

https://www.youtube.com/watch?v=q13yzl6k6 w0&nohtml5=False.


la question des valeurs morales dans les relations internationales. La relation historique entre gouvernement russe et syrien

partenaires au Moyen-Orient et la Syrie veut garder un rôle de puissance régionale. Surtout, leur lien permet de faire contrepoids à la politique « déstabilisatrice » des États-Unis158. C’est pourquoi leur rapport n’est pas tant une alliance stratégique qu’une entraide ponctuelle qui se caractérise par une coopération économique et diplomatique. Cela se concrétise à travers beaucoup d’accords tels que le soutien syrien au gouvernement russe pendant sa crise avec la Géorgie (2008) ou l’aide militaire offerte par la Russie159.

le

La Russie entretenait des relations diplomatiques avec la Syrie avant la reconnaissance internationale en 1946 de son indépendance en tant qu’État souverain. Cette alliance syro-russe a toujours été ponctuée de resserrement et d’éloignement. En effet, le gouvernement russe offre une assistance économique et militaire dès 1955. Le coup d’État du parti Baas et l’entrée au pouvoir d’Hafez el-Assad ne coupe pas les liens et ces derniers deviennent même plus serrés suite à une coopération entre les deux pays. Pourtant, la fin des années quatrevingt et le début des années quatre-vingtdix marquent un éloignement entre ces deux gouvernements causé par plusieurs facteurs tels qu’un rapprochement entre la Syrie et les États-Unis pendant la guerre du Golfe et la décomposition de la sphère soviétique. Malgré cela, le rapport entre Moscou et Damas se ravive suite à la présidence de Vladimir Poutine et pendant la guerre en Irak (2003)157. En fait, l’alliance syro-russe s’explique par la convergence de leur volonté de puissance et se résulte par des ajustements successifs. La Russie tient à garder des 157

La place de la Russie et de la Syrie sur la scène internationale La situation géopolitique de ces deux pays est extrêmement importante pour comprendre le conflit actuel. La position de la Syrie a une valeur stratégique indéniable, car elle a un point d’accès à la méditerranée, se situe au nord de la péninsule arabique et représente un pont entre l’Irak et la mare medi terra160. Quant à la Russie, elle a des frontières avec de nombreux pays et se trouve proche des grands points commerciaux importants. Toutefois, ces deux pays n’ont pas le pouvoir et la position voulus sur la scène internationale. C’est la guerre en Syrie qui a permis à la Russie de se montrer en tant que puissance

Souhail Belhadj, La Syrie de Bashar Al-Asad : Anatomie d’un régime autoritaire, Paris, Belin, 2013,

de ses rapports avec la Russie », Études internationales, vol. 41, n° 2, 2010, p. 16. L’article de Marta Tawil-Kuri explique clairement les échanges commerciaux et les relations diplomatiques qu’il y a entre la Russie et la Syrie des années soixante-dix à aujourd’hui. 160 Tawil-kuri, op. cit., p. 24. 159

p. 248 à 252. Marta Tawil-Kuri, « L’adaptation de la politique de puissance de la Syrie à la lumière

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internationale protectrice de ses alliés. Néanmoins, il ne faut pas minimiser son importance politique. En effet, la Russie a toujours eu son rôle à jouer dans le jeu des pouvoirs : « Paradoxically, it is also true that for the past 200 years the European balance of power has been preserved on several occasions by Russian efforts and heroism. Without Russia, Napoleon and Hitler would almost certainly have succeeded in establishing universal empires. »161. Actuellement, la Russie a la même implication, mais dans un contexte mondial certainement très différent. Quant à la Syrie, elle a toujours eu un rôle primordial au Moyen-Orient. Le pays participera à l’idéologie panarabe avec le parti Baas fondé à Damas en 1943, à la Ligue des États arabes, formera une alliance avec l’Égypte pour s’opposer à l’impérialisme occidental, mettra sur pied la République arabe unie (RAU), etc.162 Si ce rêve d’une unité arabe va échouer, l’importance syrienne sur la question est indéniable. Puis, c’est le conflit actuel qui a fait perdre à ce pays les gains obtenus au fil des décennies.

à Bruxelles (2016). Cette main invisible et meurtrière combattive à l’encontre de l’Europe et de l’Amérique touche encore plus la population musulmane qui ne correspond pas aux idéaux extrémistes des terroristes qui se disent eux les fervents représentants de l’islam. D’innocentes victimes décèdent tous les jours dans les pays du Moyen-Orient à cause de kamikazes et d’assassins idéologues. Qui sont ces groupes terroristes et que veulent-ils ? Al-Qaïda et l’État islamique sont les deux plus grandes organisations terroristes d’inspiration djihadiste salafiste. Leur but premier est un retour à l’islam des origines, donc aux pratiques des anciens basées sur le prophète Mohammed et ses compagnons. Ces deux groupes veulent être le représentant de ce mouvement, ce qui cause une lutte entre les deux163. En plus, d’autres organisations font partie de cette action terroriste et certaines se rallient entre elles. Par exemple, le Front al-Nosra va être allié de l’État islamique d’Irak pour finalement joindre Al-Qaïda. Aussi, leur objectif à tous est de mettre en place un califat mondial : « Our goal is that it is possible for an Islamic Caliphate to rise. A State, I mean a Superpower.

Le terrorisme, une menace réelle La menace terroriste est un fléau qui prend de l’ampleur au XXIe siècle, et cela se voit à travers les attentats qui ont eu lieu en France (2015) et plus récemment 161

Henry Kissinger, Diplomacy, United States of America, Simon & Schuster Paperbacks, 1994, p. 141.

Presses Universitaires de France, 2012, p. 6667. 163

Kagan, Frederick W. et. al., « Al Qaeda and ISIS: Existential Threats to the U.S. and Europe », Institute for the Study of War, mars 2016, p. 17.

162

Tancrède Josseran, Florian Louis et Frédéric Pichon, Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord : du Maroc à l’Iran, Paris,

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(…) We will rule the world. »164. Pour ce faire, les recrutements à travers les médias et autres moyens n’ont pas cessé de se propager. Ainsi que la crainte grandissante de leur expansion possible, entre autres à cause des conflits politiques qui affaiblissent et déstabilisent des pays du Moyen-Orient tels que l’Irak et la Syrie.

Ces paroles dîtes par le président russe Vladimir Poutine lors d’une session au douzième rendez-vous annuel du Valdai Discussion Club montrent de façon évidente l’engagement de la Russie pour enrayer le terrorisme. Aussi, elles indiquent leur souhait de s’allier avec d’autres puissances pour réussir ce projet166. Ceci s’explique par la crainte du développement du fondamentalisme islamique autant au sein de ses propres citoyens musulmans (15% de la population totale) que dans les pays frontaliers167. L’exemple de la Tchétchénie expose bien ce fait, car dans les années 1990, ce pays était l’un des épicentres du jihad international où se retrouvaient des moudjahidines du monde entier168. Cette peur fondée va mener vers une alliance avec l’Iran, la Syrie et l’Irak pour combattre l’État islamique169. Aussi, cela explique la raison du gouvernement russe d’être contre un changement du régime syrien pendant le « printemps arabe » de 2011. Un effondrement politique permettrait au terrorisme de gagner du terrain, lui qui est déjà présent selon une affirmation du gouvernement

Les pays d’Europe, d’Amérique et du Moyen-Orient sont fortement affectés par les organisations terroristes, mais ce ne sont pas les seuls. La Russie est aussi touchée par cette menace qu’elle affirme combattre : « Russia has always fought terrorism in all its forms, consistently advocating for truly unifying the global community’s efforts to fight this evil. That is why we made our suggestion to create a broad anti-terror coalition, which I recently voiced in my speech at the United Nations. » 165.

164

Vice, « Enemies at the Gates | Global Jihad », Season 3, Episode 12, 2016, https://www.youtube.com/watch?v=YRF6GLB STYc.

putin-national-guard-terrorism/. Cela revient à l’ordre du jour. 167 François Burgat et Bruno Paoli, dir. Pas de printemps pour la Syrie : les clés pour comprendre les acteurs et les défis de la crise (2011-2013), Paris, La Découverte, 2013, p. 307.

165

Valdai Discussion Club, « Vladimir Putin meets with members of the Valdai Discussion Club », 22 octobre 2015, http://valdaiclub.com/opinion/highlights/vladi mir-putin-meets-with-members-of-the-valdaidiscussion-club-transcript-of-the-final-plenarysess/.

168

Josseran, op. cit., p. 156. Aussi, cette relation antagonique entre la Russie et la Tchétchénie a causé deux guerres (1994-1996 et 1999-2000). 169 Vasily Kultyshev, « La politique étrangère de la Russie : défis et priorités », Conférence organisée par le CEPSI et le GIHRIC, 25 février 2016.

166

RT. « Putin orders creation of National Guard to fight terrorism, organized crime », 5 avril 2016, https://www.rt.com/politics/338512-

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de s’en emparer et en conséquence, de se rapprocher des frontières russes qu’ils aimeraient attaquer. Effectivement, cela déstabiliserait l’arc d’instabilité situé au sud de la Russie (Caucase). De ce fait, son action sur le terrain devient légitime.

russe et syrien. Les deux indiquent dès le début du conflit que c’est une guerre par procuration infiltrée par des terroristes. Pendant un entretien en 2012, Bashar elAssad dira : « My enemy is terrorism and instability in Syria. This is our enemy in Syria. It is not about the people, it is not about persons. The whole issue is not about me staying or leaving. It is about the country being safe or not. So, this is the enemy we have been fighting as Syria. »170.

Ces quelques phrases dévoilent que ce dernier savait que des groupes tels que l’ÉI étaient présents en Syrie, donc que ce n’était plus seulement un conflit entre le régime politique et la population. Vladimir Poutine était en accord avec ce fait. C’est pourquoi la Russie a affirmé que depuis la guerre civile de 2011, la Syrie connaît une hausse de la terreur terroriste171. Ainsi, le gouvernement russe ne peut pas accepter l’effondrement de l’État syrien parce que cela affaiblirait le pays et offrirait la chance aux terroristes

La majorité des articles s’entendent sur le point que l’intervention russe dans le conflit syrien est en partie due à son objectif d’éliminer l’État islamique172. Ils n’y donnent pas la même importance, mais la certitude de cette raison y est. Par exemple, dans un article sur les intérêts russes en Syrie, Simon Saradzhyan écrit qu’un des buts de la Russie est la « Prevention of the complete failure of the Syrian state, which would turn it into a long-term haven for militant Islamists who have vowed to attack Russia and displayed practical interest in acquiring weapons of mass destruction. »173. Dans un autre rapport, Saradzhyan rédige même que c’est pour la Russie une question d’intérêt national vital qui se joue en Syrie174. Il considère qu’il y a une menace d’exportation de l’insurrection syrienne vers la Russie. Le soulèvement armé d’Al-Qaida dans la partie nord du Caucase légitime ceci. Ces faits sont

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172

171

174

C’est l’organisation qui opère le plus en Syrie même si Al-Qaida est aussi très présent. 173 Simon Saradzhyan, « Russia’s Interest in Syria is Not Assad », Carnegie, 20 octobre 2015, https://www.carnegie.org/news/articles/russiasinterest-syria-not-assad/.

RT, « Bashar Al Assad Interview : Syria faces not a Civil War, but Terrorism by Proxies », Global Research, 9 novembre 2012, http://www.globalresearch.ca/bashar-al-assadus-supported-proxy-terrorists-insyria/5311158.

Simon Saradzhyan, « Russia’s Actions in Syria : Underlying Interests and Policy Objectives », David Center Harvard University, 16 novembre 2015, http://belfercenter.ksg.harvard.edu/files/Russia %20Actions%20in%20Syria.pdf.

RT, « Global terrorism on rise : Fivehold increase in terror-related deaths since 2000 », 18 novembre 2014, https://www.rt.com/news/206475-terrorismincrease-report-deaths/.

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confirmés par d’autres rapports dont celui de Sergey Aleksashenko qui écrit que la suppression de l’État islamique en Syrie est le seul intérêt commun entre les ÉtatsUnis, la Russie et l’Iran175. Donc, si tous ne pensent pas que le terrorisme est l’élément principal de la participation du gouvernement russe dans le conflit syrien, tous adhèrent à l’idée que s’en est une cause.

avril 2016 d’un commandant général de l’armée syrienne. Ce dernier garantit la reprise de la ville chrétienne AlQaryatayn178. Encore une fois, les troupes du régime sont appuyées par les hélicoptères russes179. Ces faits permettent de prouver l’implication russe qui tient à contrecarrer les agissements terroristes. Aussi, il est important de signaler que les frappes russes ont également été faîtes contre les rebelles « modérés », afin de désengorger le régime. On sait aujourd’hui que la majorité de ces gens sont plus proches de l’extrémisme et qu’ils ne se révoltent pas de façon pacifique180. Bref, le gouvernement russe montre son engagement contre les terroristes à travers ses entrevues, ses discours, dont à l’ONU, et par ses actions. L’attestation de cette promesse s’est vue de façon définitive pendant l’alliance avec les États-Unis pour un cessez-le-feu en Syrie dès le 27 février 2016, car Poutine s’est engagé à continuer ses frappes aériennes contre Daech181.

D’ailleurs, les évènements actuels prouvent l’implication russe dans la guerre contre les terroristes. En mai 2015, la ville antique de Palmyre tombe aux mains de l’État islamique, ce qui causera la mort des civils présents sur les lieux et la destruction de plusieurs vestiges. Cependant, le 27 mars 2016, les troupes gouvernementales syriennes et l’aviation russe entreprennent la reconquête de cette ville, ce qui est un franc succès176. Cette victoire pour le régime marque le recul de l’État islamique. En plus, d’autres réussites sont divulgués à travers le site internet liveuamap ce qui permet de suivre à toute heure du jour et de la nuit les actes terroristes de Daech produits au Moyen-Orient, dont en Syrie177. Par exemple, ce site publie l’annonce le 3

Cette lutte contre l’État islamique met de l’avant la distinction entre deux coalitions. D’un côté, il y a les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la

175

179

Sergey Aleksashenko, « A three-sided disaster : The American, Russian, and Iranian strategic triangle in Syria », Brookings, 16 octobre 2015, http://www.brookings.edu/blogs/order-fromchaos/posts/2015/10/16-us-russia-iran-syrianinterests-aleksashenko.

Les troupes du régime syrien sont aussi formées par les Russes. 180 Éléonore Vulpillières, « Syrie : qui se cache derrière les rebelles ? », Le Figaro, 13 octobre 2015, http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/10/13/ 31002-20151013ARTFIG00353-syrie-qui-secache-derriere-les-rebelles.php.

176

Tous les journaux parlent de cette victoire. http://liveuamap.com. Il y a même une section consacrée au combat contre l’État islamique. 178 http://isis.liveuamap.com/en/2016/3-april-saageneral-command-officially-announces-theliberation.

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177

Cette information a été donnée dans plusieurs journaux tels que Sputnik ou La Presse.

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Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. D’un autre côté, la Russie, la Syrie, l’Irak et l’Iran sont alliés. Les deux disent vouloir détruire tous les groupes terroristes, pourtant ils se confrontent au lieu de s’unir. Ceci apporte plusieurs questionnements, dont la raison qui oppose ces deux coalitions. Évidemment, les rapports entretenus entre ces pays seraient la réponse la plus logique. Néanmoins, s’arrêter à cet élément présenterait une erreur. En effet, les derniers mois ont mis de l’avant les contrées qui aidaient l’État islamique à se propager en Syrie. Cette recherche va apporter quelques points jugés importants sur ce sujet, mais certains seront délaissés, car ce n’est pas le propos de l’essai. Ceux qui ont aidé les terroristes de manière indirecte et qui sont pour ce faire de plus en plus critiqués sont les ÉtatsUnis et la France. Les reproches sont multiples : ventes d’armes, leur « ignorance » des évènements, leurs rapports amicaux avec des pays prodjihadistes, etc. Un exemple de Pichon sur le « Forum de Doha » affirme ces critiques. En mai 2013, cette discussion réunit de grands patrons et des hommes politiques français pour envisager une collaboration future entre la France et le Qatar. Dès l’été 2013, des contrats d’armements sont signés entre les entreprises françaises et le Qatar et l’Arabie Saoudite, les deux pays alliés les plus intransigeants sur le dossier syrien.

Étonnamment, quand le Qatar distribue des armes à qui il veut bien, dont à la Libye en 2011, cela ne semble pas avoir inquiété ni empêché le gouvernement français de leur vendre des armes182. Cela montre que la France comme les ÉtatsUnis n’agissent pas contre l’Arabie Saoudite et le Qatar qui exportent le terrorisme hors de leur frontière, afin que leur propre politique intérieure ne soit pas déstabilisée. Frédéric Pichon écrira à ce propos que ces deux pays du golfe tentent de « différer la survenue d’un « printemps arabe » domestique, qui viendrait déstabiliser des régimes (…) »183. En effet, les attaques des djihadistes touchent aussi ces pays184. En plus de cette raison, l’accès au pétrole syrien joue un rôle dans ce conflit. Effectivement, en Arabie Saoudite, les subsides versés aux islamistes ont encouragé l’émergence du djihadiste international, ce qui a été possible par le biais des pétrodollars présents sur tous les théâtres d’opérations post-guerre froide185. Ces faits ont été prouvés à maintes reprises, néanmoins par où passent ces terroristes pour se rendre en Syrie? Ils sont arrivés dès 2011 dans ce pays par la Turquie qui a laissé affluer par ses frontières des djihadistes et des armes afin de renverser le régime syrien186. Le résultat de cette tentative à court terme est en échec, car la Turquie a maintenant des terroristes proches de ses frontières et le régime de Bashar el-Assad est toujours en place. En plus, l’État

Frédéric Pichon, Syrie : Pourquoi l’Occident s’est trompé, Monaco, Éditions du Rocher, 2014, p. 87 et 95.

182

183

184

Vice, op. cit. Les Houthis au nord du Yémen s’en prennent à l’Arabie Saoudite. 185 Josseran, op. cit., p. 84. 186 Pichon, op. cit., p. 72.

Ibid., p. 89.

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islamique occupe des champs de pétrole au nord de la Syrie, évidemment le voisin d’Ankara187. Ainsi, la coalition menée par les États-Unis se trouve compromise de manière parfois indirecte ou directe dans la propagation du terrorisme dans le territoire syrien. Au contraire, l’autre alliance entre la Russie, l’Iran, la Syrie et l’Irak ne montre pas une implication aussi forte. Ce jeu dangereux auquel se réjouissent certains pays s’est déjà retourné contre eux et cela ne fera que s’accentuer si les façons d’agir ne changent pas. Pendant une entrevue, le président syrien dira : « Terrorism is like a scorpion; it can unexpectedly sting you at any time. »188. Ce fait a déjà été prouvé par les attentats multiples en Europe et partout ailleurs.

une rébellion morcelée dont les représentants les plus «légitimes» ne sont autres que Baghdadi, le Khalife autoproclamé, et Al Jolani, le représentant d'Al-Qaïda en Syrie. »189. Donc, une transition du gouvernement en place devient illogique, car ceux qui pourraient être les nouveaux représentants du pouvoir ne sont pas des gens connus pour leurs actions pacificatrices prônant liberté et démocratie à l’occidentale. En plus, les répercussions du regime change ont montrés l’échec de cette pratique autant en Irak qu’en Libye. Or, les États-Unis ne veulent pas envisager une autre solution puisque la Syrie a une valeur morale et stratégique : « It is in many ways the keystone state of the Levant. Its neighbors are our friends: Israel, Jordan, Turkey, Lebanon, Iraq. (…) It’s also important strategically because the main backers of the Assad regime are Iran, Hezbollah, and Russia, all adversaries of the United States. »190. Ces raisons gardent le pays dans une fermeture d’esprit où un changement d’idée leur semble impossible à imaginer. S’ils tentent un retrait progressif, ils restent pris dans une impasse.

En plus, renversement de situation, être contre le régime de Bashar el-Assad pourrait vouloir dire être pour l’État islamique. Cela s’explique par les conséquences négatives que pourrait avoir l’effondrement du gouvernement syrien. Dans Le Figaro, Fabrice Balanche met de l’avant le problème principal sur ce changement de régime : « Dans le chaos syrien, il (Bashar el-Assad) demeure l'acteur le plus puissant face à 187

Valentin Vasilescu, « La situation militaire actuelle en Syrie », Réseau Voltaire, Bucarest, 22 janvier 2016, http://www.voltairenet.org/article190032.html# nb1. 188 Izvestia, « Bashar al-Assad : All contracts signed with Russia are implemented », 26 août 2013, http://izvestia.ru/news/556048#ixzz453qvu9vi.

Le Figaro, 30 octobre 2015, http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/10/30/ 31002-20151030ARTFIG00149-pouquoi-latete-de-bachar-el-assad-serait-trop-couteusepour-l-occident.php. 190

Christina Pazzanese, « The Syria saga, explained », Harvard Gazette, 5 septembre 2013, http://news.harvard.edu/gazette/story/2013/09/t he-syria-saga-explained/.

189

Fabrice Balanche, « Pourquoi la tête de Bashar el-Assad serait trop couteuse pour l’Occident »,

64


de renverser le régime syrien en place, la Russie, ainsi que d’autres pays (Chine) s’y sont opposés. Poutine comprenait dans quelle position son pays serait placé. En plus, d’être encerclé par l’OTAN, la Russie perdrait une stabilité qui lui est précieuse sur son flanc sud. Pour ce pays, ce qui est important n’est pas le régime au pouvoir, mais bien l’équilibre politique de la Syrie qui permet d’empêcher une propagation du terrorisme. En plus, ce n’est pas seulement ce pays qui est visé, car l’Iran et l’Hezbollah en sont aussi la cible192. La fin de cette alliance ferait perdre à la Russie et à ses alliés un appui important qui en contrepartie améliorerait la condition de l’autre coalition.

La géopolitique russe : une question de sécurité interne Précédemment, nous avons vu la menace « déstabilisatrice » que font peser les djihadistes sur la Russie. Explicitement, c’est une raison de leur implication en Syrie, car leur position géographique les impute de ce problème. À cela s’ajoute l’isolation grandissante du pays face à un renforcement militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Son encerclement autour des frontières russes est un fait. Par contre, un débat actuel se déroule sur ce que cela représente. Pendant que certains, tels que les États-Unis, affirment que c’est dû à la peur des pays baltes et slaves de se faire enclaver dans la Russie, cette dernière dénonce cet acte d'intrusion dans sa sphère d’influence. Les répercussions de cela se font encore attendre, mais certains choix gouvernementaux laissent sousentendre une politique « déstabilisatrice » dont l’OTAN est le représentant. En effet, les États-Unis ont posé des boucliers antimissiles dans les pays baltes et ils y ont déployé des troupes. Peut-être que c’est une démarche de prévention, mais la question à se poser est : comment réagiraient les Américains si les Russes faisaient de même au Mexique ? C’est pourquoi la Russie se dit prête à coopérer avec l’Occident seulement sur une base d’égalité et de réciprocité sans ingérence interne191. Donc, quand le gouvernement américain et ses alliés ont pris la décision

Stratégie : la nouvelle puissance de l’heure ?

grande

Après la chute du mur de 1989, l’Union des républiques socialistes soviétiques prend fin, ce qui enlève au monde l’adversaire des États-Unis qui permettait un jeu équilibré des pouvoirs. D’ailleurs, cela marque le début des interventions américaines dans les pays du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Cependant, la dernière décennie met de l’avant de nouvelles puissances économiques et politiques telles que la Chine et la Russie. Cette dernière s’est reconstruite et retrouve petit à petit sa place dans ce monde des relations internationales. Il est évident que Poutine et les gens de son cabinet ont vu en Syrie l’opportunité de contrer l’hégémonie

191

Kultyshev, op. cit. Samir Saul, « Syrie-Ukraine, la méthode Poutine », Le Devoir, 20 mars 2014,

http://www.ledevoir.com/international/actualite s-internationales/403079/syrie-ukraine-lamethode-poutine.

192

65


occidentale et de retrouver sa position de grande puissance. Pour cela, ils mettent l’emphase sur l’aspect légal en prônant le droit international. La Russie devient la défenderesse de ses alliés, dont de la Syrie. Cela s’explique par les intérêts de puissance qui guident la politique russe, et tous les gouvernements de ce monde. Il faut dire qu’avant les révolutions dîtes colorées, la Russie avait retrouvé des rapports avec le Moyen-Orient et évidemment, elle y tenait193. Or, ces soulèvements arabes déstabilisent plutôt les relations qu’entretient Vladimir Poutine avec les dirigeants de cette région, car les régimes sont ébranlés et le terrorisme gagne en puissance194. Il devient plus difficile d’y avoir une présence économique, une coopération militaire et des intérêts convergents. Malgré cela, la crise syrienne a permis à Moscou de retrouver une place importante sur la scène diplomatique195. En fait, puisqu’un de ses buts premiers est de défier l’hégémonie des États-Unis, le pays se retrouve sur l’avant-scène196. Ceci apporte son lot de critiques contre la Russie :

security order makes it difficult for many Western observers to accept that Russia has shifted its policy from one seeking integration of post-Soviet Russia into the existing security system to one designed to challenge it. »197. Il est bien vrai que le gouvernement russe actuel veut changer le système établi par l’Occident et les États-Unis pour en mettre un en place qui leur donnerait un droit moins important. En effet, Vladimir Poutine prône une coopération plus constructive basée sur une égalité et aucune gérance dans les affaires internes des pays198. Outre, il ne faut pas oublier que la Russie a essayé de se rapprocher des Européens, mais des évènements ont soudainement mis fin à cela199. Bref, tout ceci expose une des stratégies entreprises par Moscou qui est de défendre la souveraineté internationale. C’est vraiment sur ce point qu’insiste le gouvernement russe quand il défend ses alliés. D’autant plus que cela lui permet de montrer une Russie forte, qui acquiert et conserve une réputation de protectrice.

« Two decades of trying to encourage Post-Soviet Russia to be a stable, strong, and critical part of the Post-Cold War

Un autre intérêt stratégique, mais de moindre importance est la base navale russe dans le port syrien de Tartous. Rares S. R. Covington, « The meaning of Russia’s Campaign in Syria », Harvard Kennedy School : Belfer Center for Science and International Affairs, décembre 2015, http://belfercenter.ksg.harvard.edu/files/Russia %20in%20Syria%20-%20web.pdf.

193

197

Burgat, op.cit., p. 305. Ibid., p. 305. 195 Ibid., p. 307. 196 Dmitri Trenin (ДМИТРИЙ ТРЕНИН), « Интересы России в Сирии », Centre Carnegie à Moscou, 9 juin 2014, http://carnegie.ru/2014/06/09/интересыроссии-в-сирии/hdt4. 194

198

Kultyshev, op. cit. Le bombardement de Belgrade en 1999 est un bon exemple. 199

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sont les textes qui n’en font pas mention lorsqu’il est question des objectifs russes en Syrie. Par contre, d’un écrit à l’autre, la priorité n’y a pas le même degré. Certains tel que Aleksashenko pense que cela fait partie des intérêts stratégiques principaux pour la Russie. D’après lui, Poutine et son cabinet veulent conserver un régime syrien qui leur est amical pour garder la base navale200. Saradzhyan continue dans le même ordre d’idée en exprimant la raison de son indispensabilité : « Maintaining Russia’s military presence in Syria, including the naval facility at Tartus, to ensure, among other things, the permanent presence of the Russian Navy in the Mediterranean Sea, something that Russia’s new Maritime Doctrine explicitly calls for. »201. Le but de cette doctrine maritime est de lier sur un pied d’égalité les intérêts économiques maritimes et le monde naval. Ce qui reflète en même temps cette « évolution de la politique maritime vers une intégration croissante des fonctions de promotion des intérêts de souveraineté, de sécurité et de protection des intérêts économiques de la Russie. »202. De ce fait, la base navale de Tartous est importante, car elle donne à Moscou un accès direct à la méditerranée et

protège ses intérêts économiques. Néanmoins, pour affirmer cela, il est préférable d’avoir une source russe, car Aleksashenko ne cache pas son parti pris quand dans son article, il informe que la Russie et l’Iran ont plusieurs bénéfices stratégiques, au contraire des États-Unis qui ne tiennent qu’à enlever Bashar elAssad du pouvoir203. En diplomatie, s’il y a une évidence, c’est que chaque pays a toujours plusieurs intérêts en jeu dans un conflit. Dmitri Trenin, un historien, politicien et directeur du centre Carnegie de Moscou, affirme que la base navale de Tartous est un site important pour la Russie, car cela renforce son rôle géopolitique en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient204. Donc, oui le gouvernement russe y voit un intérêt, mais cela n’est pas le but principal de son implication. D’ailleurs, c’est pourquoi Dmitri Peskov, un diplomate russe, affirme que les installations à Tartous et à Hmeymim ne sont pas des bases militaires russes puisqu’il n’y a pas de renforcement des capitaux ni la construction de capitale205. Donc, leur objectif en Syrie n’est pas de renforcer leur puissance militaire, mais de simplement maintenir un contrôle sur ces installations et un point d’accès à la « mer

200

Aleksashenko, op. cit. Simon Saradzhyan, « Russia’s Interest in Syria is not Assad », Carnegie Forum, 20octobre 2015, https://www.carnegie.org/news/articles/russiasinterest-syria-not-assad/.

https://www.frstrategie.org/publications/notes/ web/documents/2005/20051130.pdf.

201

203

Aleksashenko, op. cit. Trenin, op. cit. 205 Sputnik. « Russia’s Hmeymim, Tartus Facilities in Syria Not Military Bases », 16 mars 2016, http://sputniknews.com/middleeast/20160316/1 036377215/syrian-ceasefire-russiaairbase.html. 204

202

Isabelle Facon et Jean-Marie Mathey, « La politique maritime de la Russie », Fondation pour la Recherche Stratégique, 30 novembre 2015,

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au milieu des terres ». De plus, une base aérienne aurait été rajoutée à la liste de ces installations, ce qui peut s’expliquer par la coopération militaire entre le régime syrien et russe206. En fait, la base navale à Tartous est un des points qui a fait pencher la balance du côté de l’alliance entre la Russie et la Syrie. Elle est un enjeu sans toutefois être essentiel.

Au début de la recherche, les rapports syro-russes ont été analysés et ils ont dévoilé que c’était lié à des intérêts convergents. Cela a montré qu’il y a depuis longtemps une coopération économique entre eux. Dès 1956, il y a un contrat d’armement entre la Russie et la Syrie et un an plus tard, une collaboration économique s'établit207. Malgré un abaissement progressif de leur e coopération à la fin du XX siècle, les liens entre Moscou et Damas se ravivent sous la présidence de Vladimir Poutine208. En 2005, six accords bilatéraux sont signés dans les domaines de l’énergie, des transports et des investissements. De plus, la dette syrienne due à la Fédération de Russie est effacée de 73%209. Les 3,618 milliards de dollars restant à payer vont être

remboursés les dix prochaines années à venir, ce qui met de l’avant les liens « amicaux » entre les deux pays210. Ce resserrement des liens s’accentue, car en 2008, les échanges commerciaux ont atteint un niveau impressionnant. Aussi, cela se voit à travers l’aspect militaire de leur relation. Selon l’annuaire du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) de 2012, 78% des armes achetées par la Syrie entre 2007 et 2011 proviennent de la Russie211. De plus, l’équipement de l’armée syrienne est presque exclusivement soviétique. En fait, la coopération économique entre le gouvernement russe et le gouvernement syrien va toujours être d’actualité. Pourtant, entre 2007 et 2011, les armes achetées par la Syrie ne représentent que 3% des exportations d’armes russes212. Alors, quels sont les intérêts de Moscou dans cette collaboration? Tout d’abord, cela resserre leur lien diplomatique et offre un allié à Moscou. En effet, Bashar el-Assad dira en 2008 : « Nous soutenons entièrement la Russie. Son action en Géorgie avait pour finalité de défendre ses intérêts légaux. La Syrie et la Russie se trouvent dans la même situation et la balance des forces au Moyen-Orient et dans le Caucase dépend d’elles. »213. Leur relation montre encore une fois un appui

206

208

L’économie : coïncident

des

intérêts

qui

Simon Saradzhyan, « What Russia won in Syria », Belfer Center for Science and International Affairs, 16 mars 2016, http://belfercenter.ksg.harvard.edu/publication/ 26392/what_russia_won_in_syria.html?breadcr umb=%2Fexperts%2F1897%2Fsimon_saradzh yan.

Belhadj, op. cit., p. 249-250. Ibid., p. 250. ; Burgat, op. cit., p. 306. 210 Ibid., p. 250. 211 Burgat, op. cit., p. 305. 212 Ibid., p. 305. 213 Belhajd, op. cit., p. 252. Extrait d’un entretien du président Assad avec le quotidien russe Kommersant et reprit par Teshreen du 21/08/2008. 209

207

Burgat, op. cit., p. 305. (Grands projets, industrialisation, agriculture, etc.)

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réciproque qui s‘opère entre les deux pays. La Russie offre une assistance militaire et économique à la Syrie qui en échange lui permet d’avoir un partenaire au Moyen-Orient, donc de posséder une porte d’entrée dans le jeu politique de cette région. On peut dire autrement que c’est une coopération stratégique où Damas offre à Moscou un marché économique en échange d’une protection. C’est pourquoi le gouvernement russe tient à préserver l’accès des compagnies russes au marché syrien et la diversification de son économie. Ainsi, Vladimir Poutine comprend l’importance de ces rapports avec la Syrie. L’intérêt économique est une autre raison qui amène la Russie à s’impliquer dans le conflit syrien si elle ne veut pas voir ses gains s’envoler.

rapidement une guerre civile, régionale et internationale. Dans les médias occidentaux, le régime du parti Baas deviendra brusquement tyrannique, autoritaire, dictatorial et ainsi de suite. Les États-Unis et ses alliés prônent un regime change pour une Syrie démocratique et libre et promettent une victoire rapide. Or, cinq ans plus tard, ce pays est encore dans une crise politique et suscite un afflux démesuré de candidats au djihad. En effet, la Syrie en aurait reçu plus que l’Afghanistan, l’Irak ou la Bosnie d’après des experts unanimes215. En fait, le modus operandi de la coalition des six (États-Unis, France, GrandeBretagne, Turquie, Arabie Saoudite et Qatar) avait une vision court-termiste basée par les trois premiers pays sur un enjeu moral. Toutefois, comme a déclaré Gilles Kepel : « France et États-Unis avaient bâti leur argumentaire sur une posture morale qui s’est retournée contre eux. »216. À l’inverse, la position de la Russie dans les relations internationales se veut plus réaliste et pragmatique tout en s’opposant à une ingérence interne basée sur une éthique de conviction invoquant les valeurs humanitaires et morales. Pour les Russes, la Syrie est devenue une question de principe qui concerne la souveraineté syrienne. En

À bas les idéaux moraux En 2008, Bashar el-Assad est officiellement invité au défilé du 14 juillet en France et sa femme est décrit dans le magazine Vogue en mars 2011 comme « a rose in the desert »214. Ils sont présentés dans les médias occidentaux comme des gens modernes qui suivent le chemin tracé par l’Europe et l’Amérique. Or, dès le printemps 2011, la Syrie bascule dans un conflit qui devient 214

Samuel Laurent, « Bachar el-Assad officiellement invité au défilé du 14 juillet », Le Figaro, 12 juin 2008, http://www.lefigaro.fr/international/2008/06/12 /01003-20080612ARTFIG00063-bachar-alassad-officiellement-invite-au-defile-dujuillet.php. ; The Atlantic. « The Only Remaining Online Copy of Vogue's Asma alAssad Profile », 3 janvier 2012, http://www.theatlantic.com/international/archiv

e/2012/01/the-only-remaining-online-copy-ofvogues-asma-al-assad-profile/250753/. 215

Pichon, op. cit., p. 117. Gilles Kepel, « Le salafisme dans les banlieues françaises ? Une réalité qui s’étend », La Tribune, 4 novembre 2013, http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/2013 1030trib000793284/gilles-kepel-le-salafismedans-les-banlieues-francaises-une-realite-qui-setend-.html.

216

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Libye, l’intervention de l’OTAN dans la capture et l’exécution de Mouammar Kadhafi a été perçue par les Russes comme une violation de la résolution 1973 du 17 mars 2011217. De ce fait, sur la question syrienne, la Russie utilisa trois fois son droit de veto et refusa d’accepter toute résolution pendant les discussions au Conseil de sécurité218. En usant de son pouvoir, Moscou a amené les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne vers le droit international. Il devient plus important de converser avec tous que d’établir des actions précipitées qui mènent vers le chaos. « Les bons sentiments, la morale et le jusqu’auboutisme (qui finira même par agacer nos alliés, y compris sur le dossier iranien) ont prévalu. »219. En fait, l’enjeu syrien a permis à la Russie d’amener une nouvelle approche de l’ordre international et suscite de nouvelles questions.

souveraineté internationale. Le pays renforce son image et devient le protecteur de ses alliés en gardant une attitude « réaliste » qui remet en question l’idée préconçue selon laquelle les idéaux moraux peuvent permettre l’ingérence interne. Ainsi, la Russie tient à garder ses liens économiques avec la Syrie et surtout à empêcher une propagation des djihadistes. Ce combat contre les escadrons de la mort est la raison fondamentale de sa participation au conflit. Plus que tout, l’implication russe et sa manière d’agir soulèvent de nouvelles questions sur l’ordre international. C’est au monde, et plus précisément à l’Occident, de se demander s’il doit mener une politique internationale basée sur des idéaux moraux qui apporte l’immixtion ou sur le droit d’autodétermination de chaque pays. Un entendement sur la question et un jeu des pouvoirs équilibrés pourraient rétablir l’ordre et mener à la fin de la guerre en Syrie. En fait, il semble que la seule solution possible pour que le conflit syrien cesse soit une alliance entre l’Occident et la Russie, afin d’éradiquer le terrorisme et de permettre à la Syrie de redevenir un pays où il fait bon vivre.

Pour conclure, cette recherche a étudié beaucoup de points sur la position russe en Syrie et en a malgré elle laissés de côté par manque de place ou de pertinence pour l’essai. Tout de même, cela a mis de l’avant les multiples objectifs de la Russie dans le conflit syrien. Nous avons vu que le gouvernement russe tient avant tout à stabiliser la région, afin que son propre régime et ceux de ses voisins ne soient pas déstabilisés. Aussi, le conflit a permis à ce joueur d’échecs de se présenter comme une grande puissance mondiale qui a la capacité avec d’autres de changer le système établi en prônant la 217 218

219

Pichon, op. cit., p. 112. Ibid., p. 113.

70

Ibid., p. 119.


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74


Article

L’île Sainte-Hélène avant 1967 Par Karolanne Laurendeau-Goupil 1611 dans Le Troisième voyage, qui est en fait son carnet de voyage. L’île fut

Pour plusieurs, l’Île Sainte-Hélène rime avec Osheaga, la Ronde, le parc Jean-Drapeau et bien entendu, la célèbre Expo 67, mais qu’en était-il de cette île avant 1967 ? À l’occasion du cinquantenaire de l’exposition universelle, nous vous proposons de plonger dans l’histoire de l’île SainteHélène qui eut autrefois des allures bien différentes.

nommée, Sainte-Hélène, en l’honneur de sa jeune épouse, Hélène Boulé221. À l’époque de la colonisation, les concessions de terres commencent à forger notre histoire. Charles Lemoyne obtiendra la concession de l’île SainteHélène et celle de l’île ronde en 1664 à partir de la seigneurie de la famille Lauson. Ces acquisitions viennent s’ajouter à sa concession de la PetiteCitère qu’il a obtenue en 1657 de la part de la même famille et qui sera le cœur de la seigneurie de Longueuil. La dite concession est une partie de la GrandeCitère qui s’étend du côté sud du fleuve de la rivière Saint-François jusqu’à Châteauguay222. L’île Sainte-Hélène, sera utilisée à des fins agricoles pendant plus d’un siècle et demi. Malgré des débuts modestes, l’habitation de l’île s’est vite développée. N’étant garni que d’une maison en bois sans plancher à la mort de Charles Lemoyne, en 1723, l’île se développa rapidement si bien que quelques années plus tard on comptera

Des recherches archéologiques nous permettent de dire qu’il y a eu une occupation amérindienne de l’île SainteHélène entre le XIIIe et XVe siècle. Les seuls autres moments où nous avons connaissance d’Amérindiens sur l’île seraient lorsque deux colons ont été tués par des Iroquois. Toutefois, deux dates sont possibles. Certains chercheurs avancent que ce serait en 1664, d’autres soutiennent que c’est en 1687 lors d’une expédition contre les Iroquois220. L’île Sainte-Hélène voit le jour dans notre histoire grâce au père fondateur de Québec, Samuel de Champlain. L’île est mentionnée pour la première fois dans les écrits de l’explorateur en date de mai

Jules Bazin, « L’Île Sainte-Hélène et son histoire », Vie des Arts, n° 48, 1967, p.21. 222 Martin Royer, Op. Cit. p. 28. 221

220

Martin Royer, Le fort et les poudrières du complexe militaire de l’île Sainte-Hélène, Mémoire de maîtrise, Université de Laval, Département d’histoire, 2009, p.27.

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une maison de maçonnerie, un pressoir à cidre, une bergerie, une écurie, une étable, quatre arpents de vigne et trentesix arpents en verger pour la production de cidre223. Le baron de Longueuil y fera même pousser des arbres provenant de plantations du sud, ce qui amènera le naturaliste Pierre Kalm à s’intéresser à l’île224.

mention de cet épisode dans les rapports ou la correspondance de Lévis. La mise à feu des drapeaux s’est probablement produite à travers la ville de Montréal et au sein des quelques soldats sur l’île226. Quoiqu’il en soit, cela expliquera tout de même le nom de la Tour de Lévis construite dans les années 1930. Suite à la victoire des Britannique en 1760, l’île Sainte-Hélène est maintenant une possession britannique. En 1770, David Alexander Grant devient seigneur de Longueuil en épousant la baronne Marie-Charles-Joseph Lemoyne, fille de feu Charles Lemoyne, précédent administrateur de l’île Sainte-Hélène. La production de cidre est maintenue et des moulins à eau sont construits vers 1780227. L’île semble avoir du charme; plus d’un fait l’éloge de ses terres arables, de la qualité de son cidre et surtout de son emplacement qui donne une vue imprenable sur Montréal. Plusieurs commencent même à s’intéresser à l’île pour des raisons militaires et stratégiques : on veut établir un fort militaire228.

La Conquête fut un moment marquant dans l’histoire de l’île Sainte-Hélène. Les puissances coloniales britanniques et françaises s’affrontent sur la scène américaine. L’enjeu est grand; le gagnant aura le contrôle de l’Amérique du Nord. Alors que la ville de Québec est perdue aux mains des Anglais en 1759, Montréal tente de tenir le coup. La ville devra toutefois se résoudre à signer sa capitulation en 1760. Comme l’atteste le texte de la capitulation de Montréal, il y a eu quelques centaines de soldats sur l’île Sainte-Hélène qui ont organisé la résistance. Des histoires se sont aussi formées autour du successeur de Montcalm, François Gaston de Lévis. Le commandant se serait réfugié avec quelques 3000 soldats français pour fomenter une dernière résistance. Selon l’histoire quasi légendaire, Lévis aurait brûlé ses drapeaux au lieu de les donner à l’ennemi225.Toutefois, on peut remettre en question ces informations véhiculées à travers les âges, car il n’y a aucune

La guerre anglo-américaine de 18121814 force le gouvernement britannique à améliorer les systèmes de défenses de ses colonies. Les anciennes fortifications étant désuètes, voire même dangereuse pour la population, le gouvernement britannique n’a d’autre choix que d’agir.

223Ce

227

sont ici des déductions basées sur un inventaire d’après décès de Charles Lemoyne et un acte d’aveu et de dénombrement du premier baron de Longueuil en 1723. Jules Bazin, Op. Cit., p.21. 224 Jules Bazin, Op. Cit. p.21. 225 Martin Royer, Op. Cit., p.30. 226 Jules Bazin, Op. Cit., p.21.

Martin Royer, Op. Cit., p.30. description se base sur celle de Joseph Bouchette dans son ouvrage « Description topographique de la province», Jules Bazin, Op. Cit., p.23. 228Cette

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Leur choix s’arrête sur l’île SainteHélène. Le gouverneur de la colonie fait des démarches auprès de William Grant, le nouveau seigneur de Longueuil, pour acquérir l’Île Sainte-Hélène. Le gouvernement britannique fini par obtenir en 1820229. L’Île change de fonction, elle devient un poste défensif fortifié en plus d’un dépôt militaire. Des arsenaux seront construits entre 1820 et 1822, ainsi que des casemates, des poudrières et des maisons d’officiers. Le Blockhaus quant à lui date de 1849. Lors de la la Rébellion 1837, l’île devient un poste défensif pour les troupes anglaises qui craignent une attaque des rebelles, mais aussi des Américains qui pourraient se porter solidaire de la cause des Patriotes230. Aujourd’hui cet établissement est le musée militaire Stewart qui vaut à lui seul le détour.

réaffectation entraina une vague d’aménagement et de constructions sans précédent. De sa seconde inauguration en 1953 jusqu’à nos jours, l’île SainteHélène est le lieu par excellence des activités récréatives. L’histoire attribue souvent l’essor de l’île Sainte-Hélène à l’Expo 67. Toutefois, si l’on s’attarde moindrement à son passé on peut cependant constater qu’elle était très vivante, même avant cet évènement. Notre belle île, loin d’être décevante, nous permet de visiter le passé en plus d’être un lieu d’amusement moderne avec ses multiples festivals et ses installations récréatives. Le fort construit en 1820 a aujourd’hui une seconde vie à titre de musée. La Tour de Lévis, quoique postérieure, s’agence magnifiquement au décor du fort, de la petite poudrière et du cimetière militaire. En quelques mètres, on passe à travers deux siècles d’histoire de façon étonnante et l’Expo 67 deviendra à son tour un décor du passé à travers lequel on peut marcher.

En 1870, les troupes anglaises commencent à quitter le Canada et l’île est cédée au gouvernement fédéral canadien. L’île commence à s’ouvrir au public. Montréal, qui sans en avoir la possession, commence à aménager la partie sud-est en parc et attractions où les gens de ville vont passer leurs dimanches. En 1907, Montréal achète l’île, mais le gouvernement reprend possession de l’île de façon temporaire lors de la Deuxième Guerre mondiale pour l’utiliser comme camp de prisonniers231. Au lendemain de la guerre, on décida de sa nouvelle fonction; l’île on sera désormais un lieu axé sur le divertissement. Cette

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229

Matin Royer, Op. Cit., p.31-32. Martin Royer, Op. Cit., p. 32. 231 Jules Bazin, Op. Cit., p.23. 230

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