ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE PARIS LA-VILLETTE ANNEE UNIVERSITAIRE 2007 - 2008
TRANSFORMER LA VILLE DANS LE CONTEXTE DE LA GLOBALISATION, LES ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE
:
LE RENOUVELLEMENT DU QUARTIER POBLENOU A BARCELONE
POLE ASM - ARCHITECTURE, SOCIETE, METROPOLISATION
MASTER 2
SOUS LA DIRECTION D’AGNES DEBOULET PRESENTE PAR LESLIE MATESCO SESSION DU 6 FEVRIER 2008
Transformer la ville dans le contexte de la globalisation, les enjeux de la participation citoyenne
Un grand merci à tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire, et qui ont pris le temps de me faire part de leur vision du milieu barcelonais.
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« Notre époque est celle des utopies. Elles sont nombreuses (…), et elles possèdent toutes le pouvoir de mobiliser les foules. Mais, malgré ce pouvoir, elles ne sont pas « comprises » par leur partisans qui ne suivent, en leur nom, rien d’autre qu’une idée vague, non définie. Comment espérer alors que ces utopies deviennent réalité ? Mais il est important de souligner que ces utopies pourraient être réalisées. Les vraies
utopies
sont
celles
qui
sont
réalisables. Croire en une utopie et être, en même temps, réaliste, n’est pas une contradiction.
Une
utopie
est,
par
excellence, réalisable. »
Friedman Y., Utopies réalisables (nouvelle édition), Ed. de L’éclat, janvier 2000, p.13.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
- p.6
I – UN URBANISME MODÈLE DEPUIS LE PASSAGE À LA DÉMOCRATIE ?
- p.10
1 -
L’évolution des politiques publiques d’urbanisme depuis la fin du
franquisme à Barcelone a. la mise en place des orientations des politiques d’aménagement et d’urbanisme pendant la transition démocratique b. des Jeux Olympiques au Forum des Cultures 2004: une affirmation de la « marque Barcelone » 2 - La remise en question du modèle, tendance commune aux villes globales ? a. De nouveaux réseaux qui ont façonné les villes b. Le nouveau rôle de l’Etat c. La constitution d’une image, d’une identité d. une municipalité qui agit comme une entreprise ?
II – UNE MISE EN PRATIQUE DIFFICILE DE LA PARTICIPATION?
- p.25
1 – Un décalage entre la politique du logement et les besoins de la population ? a. construire plus de logement social ? b. le « mobbing », conséquence de la gentrification ? c. une ville trop tournée vers ses visiteurs ? 2 - Pourquoi la participation citoyenne? a. Un rôle pour chacun - Habitants ou société civile ? - une question de volonté politique ? - les professionnels au cœur du processus b. Des ambitions d’ordres différents ? 3 – Qui décide la ville : une nécessité de changement ? a. le citoyen-client, l’habitant-consommateur b. la faiblesse d’une vision simpliste de l’espace
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III – LE QUARTIER POBLENOU : LE RÉNOUVELLEMENT URBAIN A L’ÉPREUVE DE LA PARTICIPATION
- p.45
1 – Poblenou, le « Manchester Catalan » a. l’influence de la tradition ouvrière b. des habitants qui demandent une transformation du quartier c. La progression de la transformation urbaine, sociale et spatiale 2 - Principes du projet 22@ a. Le système de développement, quel équilibre entre les pouvoirs publics et privés ? b. la question du logement c. la question des activités et des équipements d. la valeur du patrimoine historique e. la recherche d’une nouvelle image : les prémices de conflits ? 3 – la restructuration d’un axe central : l’Eix Llacuna a. Une prise de conscience de l’incidence de la transformation sur le quartier b. Le coût social du renouvellement urbain c. Des associations trop institutionnalisées ? 4
- Un espace de défense symbolique : le cas de Can Ricart a. Une relation tumultueuse entre institutions et société civile b. De l’occupation légale à l’ « okupa » c. La question du patrimoine : un urbanisme amnésique ? d. Une participation spontanée, évolution de la résistance citoyenne - de la démolition totale à une préservation timide - la lutte pour la conservation et la redistribution des usages - le projet définitif, les premières démolitions fin 2007
CONCLUSION
- p.99
BIBLIOGRAPHIE
- p.104
INDEX DES ILLUSTRATIONS
- p.110
ANNEXES
- p.112
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INTRODUCTION
Au cours d’une année passée à Barcelone, j’ai été surprise par le dynamisme de cette ville. De l’intervention à petite échelle à des opérations de renouvellement urbain à grande échelle, à presque chaque quartier correspond un chantier. Souvent, à coté des grues et des gravats se trouve un panneau avec le logo de la Mairie de Barcelone présentant des slogans tels que « Millorem Barcelona » (nous améliorons Barcelone), ou « fem barri, fem habitatge » (nous faisons un quartier, nous faisons du logement). Et partout dans la ville sont affichées des pancartes proclamant « B participa » (B participe), reflétant la grande campagne de communication faite par la municipalité pour promouvoir la participation citoyenne. Et pourtant en parlant avec des gens, même au cours de discussion brèves, on se rend rapidement compte qu’ils n’ont pas le même avis sur les interventions menées par la municipalité et sur l’application de la participation. Puis il y a ce gigantesque morceau de ville, derrière le nouvel emblème que représente la « Tour Agbar » de Jean Nouvel, où petit à petit s’élèvent des tours substituant des constructions basses ou des anciens bâtiments industriels parfois laissés à l’abandon. Prenant parfois des allures de l’opération Seine Rive Gauche à Paris, le contraste architectural entre le déjà-là et le nouveau est saisissant. Je trouvais intéressant de chercher à comprendre comment, dans un laboratoire urbain aussi vaste, des processus participatifs pouvaient être mis en place, et si un projet d’une telle envergure pouvait être réellement pensé avec les habitants de la ville.
Participer, c’est prendre part à quelque chose. Le mot participation est présent dans de nombreux discours, du politique au citoyen, et à tant être employé dans des situations différentes, il est sujet à de nombreuses interprétations. Partant du constat décrit entre autres par Catherine Foret1 qu’il existe un fossé entre les habitants des villes et leurs représentants, et que la construction d’une réflexion urbaine et l’intervention dans la ville a besoin d’être pensée pour et par les habitants, une des
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FORET - 2001
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pistes pour remédier à cette fracture semble être la mise en place de la participation citoyenne dans le domaine de l’urbanisme. Nombreux sont les écrits sur ce que devrait être la participation dans différents domaines, particulièrement dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme. Il existe un nombre important d’expériences qui ont été menées, et ce depuis presque un demi siècle. Mais comme dans toute expérience, la théorie et la pratique sont deux choses distinctes, car appliquer une théorie, c’est l’appliquer dans un contexte. Le contexte de la ville se compose d’une infinité de facteurs qui en font sa complexité historique, territoriale, sociale, économique et politique. Une fois prise en compte l’existence de ces facteurs, nous pouvons nous rendre compte de la multitude de sens que peut prendre le mot « participation ». Etudier un cas, c’est essayer de comprendre les sens que peuvent prendre le mot participation dans un même contexte, et dire qu’il y a plusieurs sens du même mot, c’est peut-être déjà suggérer l’existence inévitable de diversité de points de vue, de conflits, de tensions, de luttes. Dans le contexte de la mondialisation, les enjeux locaux prennent toute leur importance. Il faut à la fois s’intégrer, à la fois se démarquer. Suivant cette logique, s’intégrer implique d’accepter des logiques de fonctionnement globales, se démarquer implique la recherche d’une image pour être reconnu comme attractif. Et pour être attractif, il faut proposer un cadre de vie adéquat, il faut gommer les défauts de la ville, il faut rénover. Les grands projets de renouvellement urbain sont au goût du jour dans la plupart des pays européens, souvent partant d’une nécessité d’une partie de territoire plus ou moins étendue à être redynamisée. Mais à cette nécessité première viennent s’ajouter tous ces facteurs qui font la complexité de la ville, et c’est là que souvent le renouvellement dépasse les enjeux de simple nécessité, et que sont amenés à se confronter différents intérêts. La ville de Barcelone est surprenante car elle parait être perpétuellement en chantier. Le projet 22@ commencé en l’an 2000 dans le quartier Poblenou en est l’exemple emblématique, et le plus vaste. Sa position relativement centrale par rapport au reste de la ville et surtout à l’aire métropolitaine en fait un territoire très convoité. Par ailleurs, la richesse du contexte local et l’aspiration à une dimension globale font que l’intervention dirigée par la municipalité est un élément clé pour le futur de la ville. Dans un projet de telle envergure, de quelle façon la population peut elle être intégrée aux prises de décisions ?
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Avant de me pencher sur le projet 22@ et expliquer les conflits que le développement du projet a engendré, je vais dans un premier temps expliquer l’évolution de l’urbanisme barcelonais depuis la période postfranquiste, afin de comprendre de quelles orientations et pensées urbanistiques découle le projet de renouvellement actuel. Dans un deuxième temps, je tâcherais de confronter les principes qui caractérisent les villes globales à la situation particulière de la capitale catalane, en m’appuyant sur les polémiques que suscite le « modèle Barcelone ». En me basant ensuite sur certains des nombreux écrits existants sur le sujet, je voudrais rappeler quelques concepts théoriques sur la participation citoyenne, en les reliant à la situation particulière de la participation à Barcelone. Je vais également m’appuyer sur divers entretiens que j’ai mené au cours d’un séjour à Barcelone, avec des personnes impliquées de différentes façons dans les domaines de l’urbanisme, de la politique, et de la participation. Ensuite je vais expliquer la pensée du projet 22@ qui encadre l’opération de renouvellement urbain du quartier Poblenou, ainsi que rappeler quelques traits historiques, sociaux et urbains qui font l’identité du quartier. Enfin, au travers de deux cas, je voudrais montrer quels sont les conflits qui peuvent apparaître dans le cadre d’une opération de renouvellement urbain à si grande échelle, et je tâcherais d’analyser de quelle façon la population a pu, ou s’est efforcée de faire évoluer le projet qui leur était présenté.
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NOTE À PROPOS DES EXTRAITS D’ENTRETIENS
Pour développer ce travail, j’ai rencontré diverses personnes impliquées dans la participation citoyenne, l’urbanisme, et l’architecture dans le milieu barcelonais. Afin de faciliter la lecture, je vais lister ici par ordre de rencontre quelles sont ces personnes avec qui je me suis entretenue et leur rôle :
- Pep MARTI [entretien du 26.10.2007]: sociologue, membre de l’équipe technique de la FAVB (Fédération d’Association d’Habitants de Barcelone)
- Manel ANDREU [entretien du 2.11.2007] : président de l’association d’habitants du quartier Poblenou
- Zaida MUXI [entretien du 9.11.2007] : architecte, professeur du département d’urbanisme de l’Ecole d’Architecture de Barcelone (ETSAB), a écrit notamment L’architecture de la ville globale (voir bibliographie).
- Fernando PINDADO [entretien du 19.11.2007] : Sous-directeur général de la participation dans le milieu local au gouvernement autonome de Catalogne (Generalitat).
- Martha PELAYO [entretien du 28.11.2007] : urbaniste, membre de différents collectifs de réflexion sur la ville (dont Repensar Barcelona) et actuellement d’un « groupe de participation »
Je me suis également appuyée sur deux cycles de conférences auxquels j’ai assisté : d’une part, dans le cadre d’une journée de débat sur le thème « Mobbing Immoblier » organisée par l’Institut Catalan d’Anthropologie, qui a eue lieu le 27 juin 2007 à Barcelone ; et d’autre part, l’« Atelier Projet Urbain n°34 : Nouvelles centralités, quels modèles? », qui a eu lieu les 20 et 21 septembre 2007 à Barcelone.
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I – UN URBANISME MODÈLE DEPUIS LE PASSAGE À LA DÉMOCRATIE ?
1 - L’évolution des politiques publiques d’urbanisme depuis la fin du franquisme à Barcelone La participation citoyenne mise en avant par les institutions barcelonaises ne peut être étudiée qu’en relation avec son contexte. Les mouvements sociaux qui ont donné naissance aux « associaciones de vecinos » - collectifs d’habitants organisés faisant contrepoids aux entités représentant le pouvoir - sont nés dans une conjoncture particulière, qui était celle de la Catalogne meurtrie par le franquisme. Compris en termes de lutte, ces mouvements ne peuvent être examinés qu’en parallèle avec les grands évènements qui ont marqué la ville de Barcelone, les orientations des politiques publiques concernant l’urbanisme, et replacés dans une vision plus large qui englobe les caractéristiques d’une volonté d’ouverture et d’internationalisation. a. la mise en place des orientations des politiques d’aménagement pendant la transition démocratique L’étape finale du régime franquiste à la fin des années 70 a été le début d’une série de transformations profondes de la ville de Barcelone. En 1977 ont lieu les premières élections démocratiques, suivies de l’approbation de la Constitution Espagnole en 1978 qui réorganise la structure territoriale du pays avec la création de 17 régions autonomes, puis des élections locales en 1979. Une première version du « Plan General Metropolitain » (PGM) de Barcelone est approuvée en 1976. (fig.1) Elle cartographie et planifie sur 20 ans l’occupation du sol pour Barcelone et 26 communes de sa périphérie, accordant la priorité à satisfaire les principales demandes des « mouvements sociaux urbains » qui ont largement favorisé la transition démocratique :
« Dans les années de transition, l'arrêt de la destruction du patrimoine des centres-villes, des expropriations abusives ainsi que la demande d'équipements et des espaces publics étaient devenus des revendications sociales des plus pressantes. Les nouvelles équipes au pouvoir (dont la grande majorité avait participé aux mouvements
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contestataires) vont s'attaquer à ces problèmes en s'appuyant sur la toute nouvelle loi. »1
L’idée majeure de ce premier PGM est de récupérer la ville2, et de mettre en œuvre une réforme des équipements afin de rééquilibrer les problèmes hérités de la période franquiste. Dans cette optique, la loi du sol datant de 1956 est réformée :
«Dans le volet consacré à l’aménagement urbain, l’articulation et l’équipement de différents secteurs des villes deviennent une priorité. Des mécanismes très variés de programmation et de gestion, ainsi que de fabrication et de contrôle des opérations d’urbanisme, seront introduits, situant finalement les plans généraux des villes espagnoles à un point intermédiaire entre les SDAU et les POS définis en France dans la loi d’orientation foncière de 1967. Selon les dispositions de la loi de 1976, des éléments structurants (systèmes de communication, espaces verts, équipements communautaires) devront être définis et leur réalisation programmée sur deux périodes de quatre ans afin de permettre de coordonner les investissements publics (correspondant notamment aux prévisions ministérielles) et privés. »3
Une fois satisfaite une partie des revendications émanant des associations de quartiers (« associaciones de vecinos »), la ville s’est tournée vers la résolution
d’autres problèmes tels que l’ouverture de la ville sur la mer,
l’amélioration des voies de circulation périphériques, ainsi que l’amélioration des réseaux d’assainissement de la ville. Déjà commence à se profiler l’esquisse de la Barcelone Olympique. Par ailleurs, la population de Barcelone et de l’aire métropolitaine ayant augmentée de un million et demi d’habitants entre 1950 et 1980, la planification de la ville était devenue indispensable pour en maîtriser la croissance.
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GOTLIEB - 1998. CALAVITA / FERRER - 2000. 3 JALABERT- 2001 2
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b. des Jeux Olympiques de 1992 au Forum des Cultures 2004: une affirmation de la « marque Barcelone » Les importantes transformations urbanistiques qui précédent les Jeux Olympiques de 1992 vont définir de nouvelles fonctions pour la ville, et amorcer les orientations politiques qui définissent le « modèle Barcelone »1 au niveau de la planification des espaces publics. Le programme de rénovation urbaine lancé en 1979 va donc être remplacé par un projet global d’aménagement en 1983, avec la candidature de Barcelone aux Jeux Olympiques (qui sera retenue en 1986). L’entrée de l’Espagne dans le marché commun en 1987, a fait évoluer la politique de la politique de la ville, puisque comme les autres grandes métropoles elle « se [devait] alors de répondre aux nouvelles attentes des acteurs économiques : permettre la localisation des entreprises européennes, répondre aux pressions croissantes du secteur tertiaire et créer de nouveaux espaces résidentiels de qualité. »2 Le premier plan stratégique de Barcelone, adopté en 1990, a pour but d’initier une grande opération de régénération urbaine, en vue de se préparer à l’événement d’envergure internationale que constituent les Jeux Olympiques. Quatre secteurs majeurs d’intervention vont être retenus : la colline de Montjuïc, le parc maritime, Diagonal et Vall d’Hebron. (fig.2) Le secteur de « Poble Nou », à tradition industrielle, accueille le village et le port olympique faisant face à la mer. (fig.3) Ces opérations seront marquées par de très forts investissements privés (42% du financement total).3 La décision d’installer le village olympique dans le secteur d’Icaria a été le début d’une grande période de transformation du quartier Poblenou. La construction de la « Nova Icària », zone résidentielle pouvant accueillir 15 000 nouveaux habitants, libérait toute une zone industrielle dégradée et obsolète. Les associations ont suivi attentivement les chantiers afin d’essayer d’évaluer les répercussions qu’aurait la construction du nouveau secteur sur le reste du quartier. Les principales préoccupations tournaient autour de la composition sociale du nouveau secteur, et du prix des nouveaux logements, plus précisément s’ils seraient accessibles pour la population du quartier qui en moyenne avait des revenus modestes. La crainte que les prix des logements seraient tout simplement soumis aux lois du marché immobilier a fait naître dans les années 1990 des campagnes sollicitant du logement social. Les travaux
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CAPEL - 2007 RODRIGUES MALTA - 1999. 3 SAINT-PIERRE - 2002. 2
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effectués ont permis la réalisation de grandes infrastructures, la suppression de la station d’épuration, l’enfouissement des voies ferrées jusqu’à la place Gloriès, ainsi que la récupération du littoral. Cette première étape de transformation a été le début d’un longue période de restructuration du district qui se prolonge encore aujourd’hui avec le plan 22@. (fig.4) Les Jeux Olympiques de 1992 ont eu non seulement un fort impact urbanistique sur le quartier, mais aussi un fort impact social, reliant Poblenou au front de mer et au reste de la ville. Cette étape n’a pas été sans conséquences sur le quotidien de la population de Barcelone : de par la forte hausse des prix du mètre carré, les habitants ont commencé à éprouver des difficultés pour se loger. Parallèlement, la périphérie s’est développée, soulevant la question de l’influence de l’aire métropolitaine de Barcelone, tandis que le centre ancien a été marqué par l’appauvrissement de sa population et le vieillissement du bâti. En 1994 a été adopté un deuxième plan stratégique, misant cette fois sur des actions en faveur de l’emploi, pour adapter la main-d’œuvre aux nouveaux secteurs d’activités. Il soulignait « la nécessité de disposer de programmes modulables,
adaptables
consommation »
aux
nouvelles
conditions
de
production
et
de
et « [affirmait] la nécessité d’un compromis entre secteur
public et secteur privé pour conduire les opérations d’urbanisme ou de développement, au fur et à mesure des besoins, tout en échappant déterminisme des localisations ».
1
au
Pour pallier à la concentration de l’attractivité
de la ville dans le centre historique ont été crées douze « nouvelles aires de centralité ». Le troisième plan stratégique de 1999 a pour objectif de « consolider la position de la région métropolitaine dans le réseau des grandes villes d’Europe ». Cinq axes d’orientation du plan sont définis : orienter la ville
vers le
développement durable, augmenter le taux d’emploi, faire de Barcelone une « ville des savoirs » accessible à tous les citoyens, stimuler la culture participative des citoyens, et enfin « jouer un rôle actif dans le processus de consolidation de l’Union Européenne ». La planification du projet du Forum des Cultures 2004 a été un nouveau prétexte pour un remodelage profond du nord-est de la ville, suivant un « double objectif d’accélérateur de la réforme urbanistique et d’élément dynamisant pour la connectivité internationale »2. L’opération marque le début d’interventions de grande envergure, dont le plan 22@bcn dont je parlerais plus loin fait partie. Reprenant la volonté de donner une impulsion à la planification urbaine de la ville, le Forum ne sera cependant pas aussi bien accueilli par la population que
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JALABERT - 2001 BADIA - 2004
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les J.O. et va soulever de nombreux thèmes de débat et interrogations reflétant un décalage entre la volonté des pouvoirs publics et celle des habitants. Le discours des pouvoirs publics appuyait l’idée que la célébration du Forum était née d’une nécessité de « faciliter le dialogue entre les peuples, les cultures, et les civilisations », et que le Forum serait « une convocation pour toutes les cultures du monde pour qu’elles fassent entendre leur voix ».1 Cependant, cette vision de l’évènement n’était pas partagée par la majorité de la population, comme le montre la critique de Manuel Delgado : « Le cas du Forum Universel des Cultures, l’extravagant macrospectacle célébré entre le 6 mai et le 26 septembre 2004, est l’expression maximum – difficilement surmontable – de l’usage d’alibis culturels pour légitimer de grandes opérations urbanistiques, dans ce cas les dérives de la prolongation de l’avenue Diagonal jusqu’à la mer et le nouveau « skyline » barcelonais (…). En plus d’un objectif urbanistique, l’objectif de cet accent ainsi mis sur de grands ensembles culturels est également politique, dans le sens où il cherche à centraliser, produire de la participation symbolique et une identité correspondant à des intérêts économiques et institutionnels hégémoniques.»2
Les critiques ont visé non seulement la qualité de l’espace construit, mais aussi le fait que les pouvoirs publics se soient associés à des entreprises reliées à l’industrie de l’armement pour mener à bien l’opération de renouvellement urbain. (fig.5) L’augmentation croissante des critiques au fur et à mesure que de nouvelles interventions – toujours plus vastes, toujours plus globales – ont été planifiées a-t-elle préfiguré un changement dans le mode d’intervention des politiques publiques ? Dans ce contexte préfigurant l’apparition de tensions entre les politiques publiques et les volontés des habitants, quelle a été la place et le pouvoir laissé à la participation citoyenne dans le domaine de l’urbanisme ? Plus généralement, y-a-t-il eu un changement du dénommé ‘modèle Barcelone’ ?
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CASTELLS / BORJA - 1997. DELGADO - 2005
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2 - La remise en question du modèle, tendance commune aux villes globales ? Les
différentes
actions
urbanistiques
menées
depuis
la
transition
démocratiques ont définit un modèle d’intervention propre à la capitale catalane, lui conférant sa renommée internationale. En effet, les actions menées pendant les années 80 ont permis de satisfaire nombreuses des revendications des associations d’habitants, en rééquipant la ville de manière plus équilibrée et en améliorant la qualité de vie pour ses habitants. Cependant, beaucoup considèrent qu’il s’est produit un changement à partir de 1992, l’envergure de l’opération des Jeux Olympiques ayant supposé une transformation du modèle antérieur, basculant de la recherche de qualité de vie pour les habitants à de nouveaux objectifs de concurrence mondiale. A l’heure actuelle, ce modèle est au centre du débat sur la ville, à la fois fortement critiqué, et présenté comme un modèle qui ne cesse de se renouveler et d’évoluer. Bien que développant des façons d’agir particulières de par le contexte politique, géographique, économique et social dans lequel la ville est immergée, le « modèle Barcelone » est inévitablement caractérisé par la volonté de la ville à jouer un rôle dans le réseau de ville globales1. Elle a donc suivi, au moins à partir de 1992, certaines tendances qui caractérisent toutes les villes globales de la planète, qui ont des répercussions directes sur la vie quotidienne des habitants et plus largement sur le rôle en général du citoyen dans la « machine » démocratique. a. De nouveaux réseaux qui ont façonné les villes Le passage du modèle économique fordiste basé sur le développement de grandes concentrations industrielles et du travail à la chaîne à une économie basée sur les services a eu des répercussions sur la structure territoriale et économique de Barcelone, comme dans les autres villes du monde suivant un développement basé sur l’économie capitaliste. Pendant la crise économique des années 70, le tissu industriel de Barcelone, qui était principalement basé sur le secteur textile, a petit à petit été remplacé
par
d’autres
types
d’industries
telles
que
l’industrie
chimique,
pharmaceutique, de l’alimentation et de la construction. Une partie des activités s’est alors déplacée dans la périphérie de la ville, libérant des terrains intramuros qui ont attiré la convoitise des spéculateurs, car ils permettaient suite à la 1
MUXI MARTINEZ- 2004.
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requalification du foncier de faire d’importantes plus values. Le projet de La Ribera pour une portion de la façade maritime de Barcelone en a été un exemple1. Dans les années 90, l’Espagne s’est intégrée au réseau de l’économie mondialisée du fait de son entrée dans l’Union Européenne, ce qui a eu des répercussions sur le réseau productif, qui était alors caractérisé par une prédominance de petites et moyennes entreprises. Suivant la logique globale, la ville est devenue un nœud dans un réseau reliant
espaces
de
décision
et
espaces
de
production,
qui
suite
aux
délocalisations se sont divisés et dispersés sur le territoire, favorisant le travail en réseau. En effet, le changement dans les modes de production et l’irruption des nouvelles technologies ont permis la séparation, la simplification et la fragmentation des processus productifs. L’existence de lieux emblématiques pour diriger la communication entre ces nouveaux réseaux est donc devenue nécessaire. Cependant, les nouveaux enjeux à échelle globale n’ont pas empêché la persistance de l’existence d’une échelle locale. Cette confrontation entre les deux échelles est souvent source de conflits, puisque les intérêts correspondant à chacune sont souvent différents, voir contradictoires. Ce phénomène est particulièrement visible dans la ville de Barcelone, et peut-être encore plus dans le projet de renouvellement urbain du quartier Poblenou. En effet, le secteur se veut de résoudre des problèmes ayant trait aux deux échelles : d’un coté, le plan 22@ cherche à s’affirmer dans le réseau des villes
globales
en
proposant
le
développement
d’une
« économie
de
la
connaissance », et en essayant d’attirer des investissements étrangers, et d’un autre coté il cherche à solutionner des problèmes à échelle locale, tel que le grand déficit de logement social, ou le manque d’équipements de proximité.
b. Le nouveau rôle de l’Etat L’appartenance au réseau global a défini un nouveau rôle de l’Etat. On peut noter quatre caractéristiques du changement idéologique des politiques nationales2. Tout d’abord, on peut relever la prédominance des politiques d’innovation et de la compétitivité sur les politiques de l’emploi et de la planification. Ensuite, on note que les programmes politiques économiques se substituent
peu
à
peu
aux
programmes
politiques
sociaux,
ayant
pour
conséquence une gouvernabilité diffuse avec la dominance des partenariats entre
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voir III-1 pour le Plan de la Ribera CASELLAS - 2007.
2
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le public et le privé. Enfin, l’échelle locale acquiert une importance croissante dans la prise de décisions et l’offre de services. A Barcelone, ces changements sont visibles dans l’intérêt croissant de la municipalité à promouvoir les secteurs économiques et stratégiques à vocation internationale (comme par exemple les nouvelles technologies et services avancés, le secteur de l’aéronautique, l’enseignement supérieur et la recherche, la logistique et le transport de marchandises, le tourisme, le secteur financier…). Ce changement de volonté politique a donc une influence directe sur les relations sociales, faisant petit à petit diminuer les droits civils pour laisser place à des relations caractérisées par des contrats commerciaux, et renforçant le sentiment d’abandon des citoyens par les pouvoirs publics.
« L’obsession pour convertir la ville en un pôle mondial, pour attirer les visiteurs et de possibles investisseurs est perverse, et, finalement, contreproductive : elle débouche sur l’oubli des citoyens qui vivent la ville au quotidien, et qui réagissent face à cet oubli (…). »1
Par ailleurs, l’application de logiques du marché à la conception des villes a profondément modifié le statut du citoyen, le reléguant à un rôle de spectateur et de consommateur : « Le citoyen, qui est devenu un simple consommateur, se retrouve dans une nouvelle logique qui défend ses droits en tant que consommateur au lieu de citoyen. »2
c. La constitution d’une image, d’une identité La recherche d’une image de la ville dans le but de renforcer son attractivité a souvent été décrite comme une opération de « marketing urbain ». Il va s’agir alors de trouver les moyens pour rendre une certaine noblesse et qualité urbaine à certaines zones emblématiques, souvent au détriment d’autres zones considérées comme non emblématiques. La volonté des administrateurs de la ville d’améliorer l’efficacité économique et la productivité va donc se refléter sur l’urbanisme et les interventions dans la ville, au travers de la
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CAPEL - 2007 MUXI – 2004, p.101
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recherche de l’image d’une ville attractive, parfois au détriment de la qualité des actions des politiques publiques sur la ville. L’opération du Forum à Barcelone est probablement la plus représentative de ce phénomène. En effet, le bâtiment du Forum construit par les architectes Herzog et de Meuron en 2004 et l’esplanade qui l’entoure (fig.6) ont fait l’objet de nombreuses critiques de la population et parfois de professionnels.
« Ils ont fait un grand investissement. Je ne dis pas qu’on n’ait pas atteint
certains
objectifs
intéressants
quant
au
thème
des
infrastructures, mais pour ce qu’il s’agit de la disposition du Forum, de l’espace, du Forum en tant que tel, en tant que débat d’idées et de contraste entre culture cela a été un échec. Et maintenant nous nous retrouvons avec un espace qui n’est pas utilisé, a part pour quelques événements pour lesquels sont organisées des fêtes gigantesques ou pour certaines célébrations importantes, mais en tout cas ce n’est pas un lieu qui peut être visité de façon assidue par les gens, par les habitants et les habitantes. (…)Et en échange tout ce que le Forum a supposé comme implantations d’hôtels et de type de modèle de ville, eh bien c’est ce qu’on a voulu vendre. »1
Nous en arrivons donc à nous demander si les intérêts de la globalisation et les intérêts du bien être des habitants sont compatibles dans la construction d’une ville, dans des opérations de renouvellement urbain. La question de la participation citoyenne trouve donc sa place au coeur du débat, et il est important que les citoyens aient en main toutes les informations pour comprendre les enjeux qui sont parfois dissimulés sous couvert des opérations de renouvellement urbain, et leurs conséquences sur leur quartier, leur ville, et leur vie quotidienne.
d. Une municipalité qui agit comme une entreprise ? Comme je l’ai évoqué en parlant du nouveau rôle de l’Etat dans le contexte
de
la
mondialisation,
les
logiques
de
marché
sont
devenues
prédominantes dans la conception des villes. Les organismes transnationaux et 1
Extrait de l’entretien avec Manel Andreu.
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les entreprises jouent un rôle croissant dans la définition des politiques urbaines. Aujourd’hui, il n’est plus possible d’implanter un projet urbain sans tenir compte du secteur privé, mais l’implication croissante de celui-ci représente à la fois des opportunités et une menace pour la qualité des quartiers rénovés et leur capacité à changer1. En effet, le secteur privé, par définition, n’a pas de responsabilité sociale, de ce fait, la recherche d’intérêts convergents entre secteur public et secteur privé a des répercussions sur l’ensemble des relations sociales :
« Dans le cas de cette ville, la frénésie publique (et surtout privée) de tirer au maximum profit des avantages dérivés du succès acquis a généré de multiples conflits avec les secteurs citoyens et a aussi favorisé un début de critiques provenant de secteurs intellectuels et professionnels. »2
S’inscrivant
dans
cette
logique,
les
villes
méditerranéennes
sont
« tournées vers une imitation des grandes », ce qui implique une programmation plus stratégique, et la mise en œuvre de nouvelles associations entre les secteurs publics et privés dans le projet.3 A Barcelone, les politiques publiques urbaines mises en place depuis la transition démocratique ont largement misé sur l’intervention croissante du secteur privé, jusqu’à arriver à une situation qui est aujourd’hui très critiquée, comme le résume Jordi Borja en annonçant dans l’article ‘Barcelone, difficile d’être un modèle’ : « Barcelone a vendu son âme au privé.»4 Dans le cadre de ce contexte global qui a permis l’intervention croissante du secteur privé, la particularité de Barcelone est le mode de fonctionnement des politiques publiques dans les grands projets de rénovation urbaine. Mis à part le fait que les décisions urbaines se prennent de plus en plus selon les intérêts des investisseurs5, et que par conséquent les pouvoirs publics sont parfois obligés de se plier aux exigences du secteur privé, le secteur public a lui-même modifié sa façon d’agir. Le « modèle Barcelone », où sa façon d’agir, se base sur des actions publiques de grande envergure et considérées comme prestigieuses, faisant agir l’administration publique comme promoteur de l’investissement privé.6 Dans la
1
Cahiers de l’IAURIF – juin 2007 , n°146, p.117 BORJA - 31 janvier 2007 3 BERRY-CHIKHAOUI / DEBOULET / ROULEAU-BERGER - 2007. 4 Citation de Jordi Borja, dans Barcelone, difficile d’être un modèle ?, Traits Urbains n°17, août/septembre 2007 5 MUXI – 2004 p. 101 6 MARRERO GUILLAMON - 1er aout 2003. 2
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plupart des projets de grande envergure, comme pour le projet 22@, sont crées des entreprises publiques qui vont s’occuper de la gestion des projets, équivalent des sociétés d’économie mixte en France1 :
« La plus grande critique que tu puisses faire du modèle Barcelone, c’est que le modèle Barcelone consiste en ce que la mairie pense et agisse comme une entreprise. Comme une entreprise qui participe avec d’autres entreprises. Par conséquent tu te rends compte que ceux qui décident, (…) sont les marchés privés. »2
C’est donc la façon d’agir de la municipalité qui est souvent remise en question, car en laissant un pouvoir jugé comme trop fort au secteur privé, elle ne donne pas toujours la priorité à la résolution des disfonctionnements qui menacent l’équilibre des relations sociales au sein de la ville. Par ailleurs, le fait de gouverner la ville selon les logiques du marché global se reflète dans la politique d’urbanisme, en passant par la recherche d’outils permettant une plus grande flexibilité dans la planification des villes, afin de pouvoir développer des projets spécifiques et réalisables à court ou moyen terme, répondant aux impératifs de l’internationalisation. Nous avons vu comment depuis les années 80 les nouveaux objectifs de la ville tendant à la globalisation avaient métamorphosé le territoire et les relations sociales. Je vais maintenant regarder les répercussions qu’ont eues ces transformations à l’échelle locale, autour de thèmes qui font l’objet de la critique sociale.
1 2
Voir III-2 pour l’exemple de fonctionnement dans le cadre du projet 22@. Extrait de l’entretien avec Martha Pelayo.
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II –UNE MISE EN PRATIQUE DIFFICILE DE LA PARTICIPATION?
« Les conflits relatifs à l’espace sont l’expression – et le seront de plus en plus – de conflits entre l’échelle globale et la locale. »1
1 – Un décalage entre la politique du logement et les besoins de la population ?
a. construire plus de logement social ? La tendance de l’Etat espagnol quant aux politiques de logement s’appuie sur le principe de « familiarisation », c'est-à-dire que la charge du logement est renvoyée sur la sphère familiale2. Par ailleurs, la société espagnole se caractérise depuis les années 80 par une prédominance de propriétaires, phénomène ayant une influence directe sur le parc de logement locatif pour de nombreux aspects. (fig. 7 et 8) A cette politique de logement favorisant l’accession à la propriété vient s’ajouter le fait que l’Espagne ne possède que 2% de logement social, ce qui la place dans les plus bas rangs européens dans ce domaine, puisque en France par exemple il y a 17% de logement social. Pour l’Espagne il faut compter 3 logements sociaux pour 1000 habitants alors qu’en France par exemple les chiffres montrent 48 logements sociaux pour 1000 habitants en France, selon la DGUHC (Direction Générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction) de 2004. Contrairement à la situation française dans laquelle c’est l’Etat, parfois en accord avec les élus locaux, qui intervient majoritairement et prend les décisions dans ce domaine, en Espagne, ce sont « les communautés autonomes (la Generalitat en Catalogne) et les villes [qui] établissent leurs priorités dans le secteur ».2 Par ailleurs, depuis 1992 les promoteurs privés sont autorisés à intervenir sur le marché du logement social. Le logement représente une charge beaucoup plus lourde pour les ménages espagnols que les ménages français ainsi que la moyenne des ménages européens, du en partie au manque de logement social et locatif en Espagne. Nous voyons cependant que la proportion de ménages ayant de lourdes charges 1
BOIRA MAIQUES - 2003 « Veille internationale », Le logement social dans quatre métropoles européennes : Londres, Rome, Berlin, et Barcelone. Le rôle des associations, Centre de prospective et de veille Scientifiques et Technologiques, publication 2001 plus, oct. 2006, n° 66. 2
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financières liées aux frais de logement a baissé depuis 1995 de 10,2% en Espagne, contre 2,3% sur l’ensemble de l’UE et 3,2% en France. Cette forte baisse est probablement liée à l’entrée de l’Espagne dans l’Union Européenne, puisqu’elle a du être contrainte à fournir de nouveaux efforts en matière de logement. (fig. 9) Bien que les politiques municipales semblent commencer à mettre l’accent sur la politique de logement pour construire plus de logement social et essayer de développer le secteur locatif, particulièrement pour les jeunes et les personnes âgées, l’orientation quant au problème du nombre de logements vacants qui a augmenté depuis 1991 n’est pas réellement définie. En effet, le nombre de logements vacants a augmenté depuis 1991. (fig. 10)
« Il existe beaucoup de discours, mais pour ce qui est de politiques concrètes et effectives, si elles existent je n’en ai pas connaissance. Elles font l’objet de propositions, sont débattues au sein du Parlement (…). Donc ils font quelques propositions, (…) mais ensuite d’autres groupes politiques s’opposent radicalement à la pénalisation des logements vacants… C'est-à-dire que pour certains le plus important c’est la nécessité des gens à disposer d’un logement, et pour d’autres ce qui prime c’est le patrimoine personnel, la propriété privée, et ça c’est sacré… »1
On remarque également que les prix du marché de logements neufs ont suivi une augmentation plus rapide que le marché de logements anciens entre 1998 et 2006. (fig.11) Parallèlement, on remarque que les pris du logement en Catalogne ont suivi une augmentation beaucoup plus forte que les salaires moyens (fig.12) Le thème du logement à Barcelone et dans de nombreuses villes d’Espagne est actuellement au cœur du débat public, et représente une des préoccupations premières de la population. La population critique en particulier le rythme rapide des constructions de programmes neufs face au rythme plus lent du logement social et des politiques de recyclage de logement vacant. (fig. 13) Les politiques publiques paraissent avoir été réorientées vers le problème du
1
Extrait de l’entretien avec Pep Martí.
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logement, avec le plan de logement 2004-2010 élaboré par la municipalité de Barcelone (Pla d’habitatge 2004-2010)1.
« En 2004 il y a eu un changement politique très important en Espagne et en Catalogne, on a pu finalement commencer à travailler sur un plan de logement, avec le plan de logement 2010, qui donne aussi une certaine cohérence à tout ça, parce que finalement le logement c’est la matière première de toute ville (…) On traite comme un équipement public le problème du logement. Ce n’est pas seulement du territoire qu’on cherche pour faire du HLM de différents niveaux, mais surtout pour avoir la capacité de toucher certaines communautés, les personnes âgées, les jeunes, les immigrés, pour résoudre le problème de logement. »2
Afin de se rendre compte de la situation, il est intéressant de faire ce calcul simple : en Espagne, il y a 22 millions de logements pour une population de 44 millions. Théoriquement, il y a donc 1 logement pour 2 personnes. Mais il faut retirer à ce chiffre 2 millions de logements qui sont des résidences secondaires appartenant à des étrangers, 6 millions qui sont des résidences secondaires de loisirs (à la mer, à la montagne), et 3 millions de logements vacants. En réalité, il y a donc 11 millions de logements pour une population de 44 millions, c'est-àdire un logement pour 4.3 La crise du logement s’articule donc autour des trois thèmes : l’évolution du prix du foncier, une politique publique du logement locatif et social plutôt faible, et un manque de politique visant la récupération des logements vacants.
b. le « mobbing », conséquence de la gentrification ? Il semblerait que la population soit en train d’adopter une position de plus en plus critique vis-à-vis des mesures prises par la Mairie quant au logement. Les secteurs de la population revendiquant activement le droit à un logement digne et accessible sont devenus nombreux, et pointent du doigt les grands groupes immobiliers qui ont main mise sur le secteur, et les autorités qui ne 1
Voir le site internet de la Mairie de Barcelone, http://www.bcn.cat/habitatge/bcn_pla_pla.shtml Extrait de la conférence d’Oriol Clos. 3 Jornada Mobbing Immobiliari, organisé par l’Institut Catalan d’Anthropologie – 27 juin 2007 2
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tiennent pas toujours leurs promesses électorales. Le mouvement qui rassemble le plus de personnes parait être « l’assemblée populaire pour un habitat digne », ou « V de vivienda », né en mai 2006, qui a depuis sa création organisé différentes manifestations pour revendiquer le droit au logement et générer un débat au sein de la population. Leurs principales critiques visent la conversion de la ville en un parc thématique touristique, « conséquence d’un
modèle
économique basé sur l’image, le tourisme et la vente du sol public », la conversion du logement en pure marchandise et objet de spéculation, l’existence de « violence immobilière » ou « mobbing » dans les parties de la ville qui font l’objet de renouvellement urbain ou grands projets urbanistiques, et le manque de
régulation
du
marché
du
logement
par
les
institutions.
Ainsi,
les
revendications des associations d’habitants à l’échelle des quartiers tournent souvent autour de la demande de logement social : « Il existe la demande sociale que dans chaque promotion neuve il y ait un pourcentage important de logement public, et surtout logement en location, pour les jeunes. Mais ce qu’il y a c’est que les pourcentages réels sont actuellement infimes, et ils n’atteignent pas les promesses faites par l’administration publique. Le thème du logement social continue d’être une revendication historique, mais le thème du logement en location – et location destinée aux jeunes – est un terrain de lutte des mouvements sociaux depuis peu de temps. C’est une demande assez récente. »1 Cependant,
contrairement
aux
institutions,
ils
considèrent
que
la
construction davantage de logement social ne représente par l’unique solution pour résoudre le problème de logement, car ils estiment que le prévisions de constructions suffiraient à peine à couvrir 6% des besoins de la population en matière de logement, et que le principal problème qui a mené à cette situation de crise n’est pas le déficit de logement en terme de quantité, mais les prix exorbitants dus en partie à la spéculation immobilière et au manque de politiques de recyclage de logements vacants. (fig. 14) Les grandes opérations de rénovation urbaine effectuées depuis les années 80 ont par ailleurs généré de nouvelles formes d’exclusion sociale et spatiale, qui se sont traduites par la gentrification de nombreux quartiers, largement critiquée par les citoyens, et propulsée sur le devant de la scène comme argument dans la lutte des mouvements citoyens dans la ville de Barcelone. La rénovation du 1
Extrait de l’entretien avec Pep Martí.
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centre historique de Barcelone des années 90, et en particulier les quartiers Ciutat Vella et le quartier de la Ribera, en sont des exemples :
«Le cas de Barcelone se caractérise par le choix d’un modèle mixte de rénovation. Après une période d’initiative publique fondée sur ce qu’on a appelé l’intervention urbanistique stratégique, les investissements dans le quartier ont connu une croissance, entraînant la réactivation du marché immobilier et de l’activité commerciale. Rejetant explicitement le terme de gentrification, la Mairie affirme qu’il n’est pas question d’expulser la population mais de la mélanger. (…) Les effets de la ségrégation et l’accroissement des différences sociales pourraient être évités par une volonté publique affirmée de protéger les résidents. Une mesure essentielle pour les protéger consisterait à augmenter le nombre de logements d’initiative publique dans la zone. A l’inverse, le pouvoir local promeut un type de centre urbain orienté vers la consommation et spécialisé par zone. »1
Une des critiques majeures adressées à l’administration quant à sa façon d’agir lors de grandes opérations de renouvellement urbain est le peu de sensibilité accordée aux populations affectées. Le « mobbing » ou « violence immobilière », est un phénomène qui commence à être de plus en plus montré du doigt et débattu au sein de la population comme au sein des institutions. « Au
cours
des
cinq
dernières
années,
les
cas
de
menaces,
agressions, et sabotages contre les locataires de logements, de petits locaux commerciaux et de squats se sont multipliés et ont rendu visible certains des aspects les plus extrêmes du développement urbanistique. (…) Les cas de harcèlement se sont en plus étendus à des habitants ayant des revenus plus elevés, selon un processus étroitement
lié
à
la
croissance
du
tourisme
comme
moteur
économique. »
Dans l’ouvrage collectif Dossier i carta contra la violencia inmobiliaria i urbanistica2
sont
expliquées
toutes
les
lois
et
mesures
prises
par
les
gouvernements qui, en favorisant l’accession à la propriété et donnant toujours
1
CLAVER - 2003 Taller contra la violencia inmobiliaria y urbanística, El cielo está enladrillado, entre el mobbing y la violencia inmobiliaria y urbanística, la biblioteca del ciudadano, éd. Bellaterra, Barcelone, 2006 2
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plus de pouvoir au secteur privé, ont participé au développement d’une situation particulièrement difficile pour les locataires les plus vulnérables vivant dans des secteurs visant à être renovés. Ils décrivent ainsi le cas de Barcelone :
« Barcelone est une des villes de l’Etat Espagnol où les prix ont le plus augmenté. Et Barcelone est le leader absolu du nouveau phenomène social, qui a été baptisé avec l’euphémisme anglais « mobbing », ce qui signifie tout bonnement harcèlement (des locataires). »
Bien que ce phénomène ait été particulièrement visible dans le centre historique de la ville qui a été et continue à être largement rénové, plusieurs cas sont régulièrement dénoncés dans d’autres opérations de renouvellement urbain dans le reste de la ville. Le processus de gentrification a été une des causes de ces situations de « violence immobilière », et est l’expression d’une autre caractéristique de la ville visant l’internationalisation, qui cherche à « se vendre » pour trouver sa place dans le réseau des villes globales. En cherchant à revaloriser des quartiers considérés comme ayant une image négative, l’action des villes se base sur des interventions pour attirer une nouvelle population ayant de plus forts revenus dans ces quartiers, ce qui a contribué à l’expulsion d’une partie de la population à revenus plus modestes, et souvent plus vulnérable. Le fait que la ville soit comprise comme un commerce, une marchandise, et non plus en ensemble complexe de relations politiques, sociales et économiques, a eu comme conséquence que la ville a du rechercher une image, « son » image, une prétendue identité pour se différencier des autres villes appartenant au réseau global. En effet, son succès économique et son inscription dans le rang des villes globales ne pourront avoir lieu que si elle exerce un pouvoir d’attractivité sur les flux, les personnes et les capitaux. La nouvelle image que veut se donner la ville doit également arriver à attirer les visiteurs étrangers, le secteur du tourisme étant devenu une des principales sources de revenus de Barcelone.
c. une ville trop tournée vers ses visiteurs ? Depuis les Jeux Olympiques de 1992, la ville de Barcelone n’a cessé de renforcer son attrait touristique, en recherchant
entre autre une image pour
renforcer son attractivité. Le tourisme faisait déjà l’objet de la critique publique
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durant les « années olympiques » à cause du grand nombre d’équipements hôteliers
construits
pour
l’évènement.
(fig.15)
Horacio
Capel
décrit
ce
changement en expliquant que Barcelone est passée de la priorité donnée aux besoins des quartiers et de la recherche de qualité de vie pour ses habitants à la concurrence mondiale. Le mouvement V de Vivienda né en 2006, qui revendique le droit au logement, a imaginé un scénario pour le futur de la ville, ironiquement surnommée « Touristland » :
«
Qu’est ce que Touristland?
• Touristland est un parc thématique situé où se trouvait anciennement la ville de Barcelone. • Cette ville a misé sur un modèle économique basé sur l’image, le tourisme, et la vente de sol public. • Pendant que des millions de touristes parcourent le sol de Touristland, ses habitants souffrent des effets dévastateurs de ce modèle, appelé par les politiciens eux mêmes “la marque Barcelona”. »1
Cela nous rappelle une fois de plus la critique qui émane de nombreuses associations à propos des priorités des politiques publiques de la ville, et l’image d’une « Barcelone top model » que la ville essaye de vendre à ses habitants. Si l’on compare les données de la mairie concernant l’évolution du nombre d’établissements hoteliers et l’évolution du nombre d’équipements culturels entre les années 2000 et 2004 à Barcelone, (fig. 16 et 17) on remarque que l’offre hôtelière a augmenté dans toutes les catégories, alors qu’en ce qui concerne les équipements, même s’il y a eu une augmentation générale due à l’augmentation importante de salles de cinéma, le nombre de bibliothèques a diminué, et le nombre de musées n’a presque pas augmenté.
Ces chiffres sont un exemple
parmi d’autres montrant que la priorité est donnée au développement
du
secteur touristique, qui est une source de revenus majeure pour la ville, et témoignent que la ville suit un développement à plusieurs vitesses, comme l’ont dénoncé les associations à plusieurs reprises. Dans ce contexte propice à l’apparition de tensions entre secteur public, secteur privé et citoyens, la municipalité a procédé à diverses campagnes de communication pour promouvoir la participation citoyenne, justifiant son image de ville tournée vers ses habitants. 1
Extrait traduit de l’espagnol du texte ‘Bienvenidos a Touristland’, du collectif ‘V de Vivienda’, en ligne http://bcn.vdevivienda.net/textos/bienvenidos-a-touristland-antes-barcelona/
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Transformer la ville dans le contexte de la globalisation, les enjeux de la participation citoyenne
2 – Pourquoi la participation citoyenne ? J’ai cherché tout d’abord à synthétiser ce que la participation citoyenne pourrait être, et comment elle pouvait être appliquée à une opération de renouvellement urbain, à partir des nombreux écrits théoriques sur le sujet. La participation citoyenne est un processus qui diffère selon le contexte dans lequel il est appliqué, mais il y a cependant des traits communs à toutes les opérations, ou plutôt conditions pour que le processus puisse se développer. Je voudrais d’abord rappeler le pourquoi de la participation, c'est-à-dire pourquoi le discours sur la nécessité de la participation citoyenne est de plus en plus présent, tant du coté des institutions que du coté de la population. Nous avons vu que le contexte global qui caractérise la situation mondiale actuelle implique forcément la nécessité de mettre en marche une nouvelle façon de construire la ville afin de garantir une certaine « paix sociale »1. En effet, la ville est devenue lieu d’une nouvelle domination, et en concordance avec les caractéristiques de la ville globale, le rôle du citoyen est de plus en plus réduit à l’état de spectateur – consommateur. De plus, la société est constituée par un ensemble de personnes qui travaillent individuellement pour satisfaire leurs nécessités. L’enjeu serait donc de trouver une place pour tous les citoyens dans le système de prises de décisions, que ce soit à l’échelle globale ou à l’échelle locale. Certains auteurs voient dans la crise économique et sociale présente dans de nombreuses couches de la population l’opportunité pour que le germe d’un nouveau type de relations sociales et économiques basées sur l’autonomie et l’autogestion se développe. Comment faire donc passer le citoyen de statut de « consommateur de la ville » à « participant pour sa construction » ?2 a. Un rôle pour chacun
- Habitants ou société civile « Les acteurs de la participation sont principalement, ou devraient être principalement les citoyens. »3 La question de la participation directe des citoyens à la mise en place des politiques publiques, qu’il ne faut pas confondre avec la question des élections, est une question délicate. En effet, les habitants ne sont pas forcément sensibilisés aux nécessités des politiques de planification et de développement,
1
FORET - 2001. MUXI – 2004, p.171 3 Extrait de l’entretien avec Fernando Pindado. 2
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et donc sont difficiles à mobiliser. S’ils n’ont a priori pas en main les outils pour comprendre la complexité de la gestion publique, ils peuvent enrichir le projet par la connaissance et la pratique qu’ils ont du lieu où ils habitent.
« Notre opinion est que les citoyens non seulement ont le droit [de participer], mais plutôt, s’ils [ne participent pas], on gaspille une quantité énorme d’idées et de volontés (…). De fait, les membres de n’importe quelle communauté, les personnes affectées par n’importe quelle situation ou préoccupées par n’importe quel problème, sans être professionnels, (…) sont en revanche experts. Experts dans le sens où ils ont l’expérience,(…) et étant donnée la condition d’expert que nous donne l’expérience, bien sur que nous avons des idées et des propositions à apporter. »1
Les habitants participant à titre individuel sont souvent accusés de ne représenter qu’eux même, et donc d’être peu légitimes. Beaucoup d’auteurs ont expliqué le syndrome NIMBY (« Not In My Back Yard », pas dans mon arrièrecour), qui consiste à ce que un ou des habitants défendent leur environnement local sans tenir compte de l’intérêt général, en s’opposant par exemple à l’installation dans leur voisinage d’un équipement qu’ils considèrent comme nuisible, polluant, dérangeant.
« Je ne dis pas que nous les habitants ayons toujours raison, parce qu’à Barcelone il y a plusieurs exemples de division des habitants. Et parfois leurs intentions ne correspondent pas à celles d’autres résidents. Par exemple je me réfère au phénomène « NIMBY », qui est que quand un équipement est gênant, personne ne le veut… (…)Tout ce qui nous dérange nous voyons que c’est nécessaire mais nous ne le voulons pas proche de chez nous. Il faut en discuter, il faut bien que ce genre d’équipement soit mis quelque part. »2
Afin d’acquérir cette position uniforme face aux pouvoirs locaux, les habitants ont besoin de se rassembler pour énoncer un discours porteur
1 2
PINDADO - 2002 Extrait de l’entretien avec Manel Andreu.
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d’intérêts collectifs et partagés. Le secteur associatif est donc une solution afin que les habitants se rassemblent et débattent autour d’objectifs communs, mais la question de la représentativité des associations est un sujet délicat qui est souvent remis en question. Se pose alors une question essentielle dans la mise en place d’un projet participatif : jusqu’à quel point le public d’un processus participatif va être représentatif de l’ensemble de la communauté des citoyens qui participent ?
« Les associations sont très importantes parce que plus les citoyens sont organisés, plus ils ont la capacité de répondre à des problèmes, les débattre, de construire des solutions. Les citoyens sont importants mais pas tous sont organisés (…). Par conséquent nous ne devrions pas fermer la possibilité d’exercer ce droit citoyen, ou sinon ça serait imposer comme condition requise le fait d’appartenir à un type d’organisation. Bien qu’il faille encourager, et arriver à ce qu’ils aient plus de capacités, et plus d’autonomie pour améliorer leurs projets. »1 -
Une question de volonté ?
Une des conditions pour mettre en place la participation citoyenne est qu’il doit exister une volonté politique des élus pour partager un compromis avec la population, la participation a besoin d’être une « façon de faire » politique, ce qui explique la nécessité d’un cadre légal pour la participation. A Barcelone il existe un règlement régulant la participation depuis 1986, période de la transition démocratique. La dernière révision du règlement de participation date de 2002, et affiche l’objectif de « promouvoir et développer la participation la démocratie participative dans la ville de Barcelone » 2. Cependant, l’existence de normes la régulant ne garantit pas que la population prenne réellement part aux décisions concernant leur environnement3. Dans un système démocratique, le rôle de base de la classe politique est de penser aux intérêts de caractère général, c'est-àdire, moyennant la participation économique des membres de la société, de décider des investissements et gérer tout ce qui doit satisfaire la collectivité. Leur rôle consiste aussi à trouver des mécanismes pour ne pas laisser de coté ceux qui sont en marge de la société. La volonté politique de mettre en place une participation réelle consisterait donc à ce que les élus cèdent une part de leur pouvoir à d’autres qui actuellement n’en ont pas. 1
Extrait de l’entretien avec Fernando Pindado. En ligne : http://www.bcn.es/participacio/docus/normesreguladores.pdf 3 MARTI MASFERRER - 2003 2
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- les professionnels au cœur du processus Les professionnels, parfois experts, exercent eux aussi un certain pouvoir, puisqu’ils ont souvent des relations directes avec les élus. Par ailleurs, le pouvoir politique utilise souvent les professionnels pour légitimer ses décisions, mais le professionnel lui-même ne possède pas de pouvoir réel. Les normes de la municipalité de Barcelone régulant la participation précisent que la mairie doit faciliter les moyens nécessaires aux associations et aux citoyens non associés afin qu’ils puissent d’un aide technique adaptée afin d’assurer la participation qualitative.1 « Depuis l’association de résidents, nous considérons que pour pouvoir participer, nous devons le faire dans les mêmes conditions [que les autres entités]. C'est-à-dire que nous ne sommes pas des professionnels de l’urbanisme (…). Chacun est expert dans son domaine. Nous avons donc proposé à la mairie qu’elle nous finance les services d’un professionnel que nous choisirions, pour qu’il nous guide. Et cela a été accepté. Ce technicien (…) a une convention avec le 22@ qui le paie pour qu’il oriente l’association et aussi les résidents qui ont besoin d’informations, ou ceux qui sont affectés par les projets. »2
Afin
que
les
différentes
entités
impliquées
dans
un
processus
de
participation aient en main tous les outils favorisant une situation de dialogue, il est important qu’elles puissent avoir toutes les cartes en main pour comprendre les enjeux du processus. Le rôle de support aux associations ou plus largement à la société civile confère aux professionnels une place centrale dans les processus de participation, puisque c’est eux qui pourront faciliter le dialogue entre les institutions et la société civile. Cette aide consiste principalement à expliquer des questions
techniques
sur
lesquelles
ils
sont
considérés
comme
experts.
Cependant, il faut noter que bien que les professionnels soient experts sur certaines questions, la participation peut être également un moyen de changer la façon dont les experts interviennent sur la ville. En effet, il est essentiel qu’ils soient disposés à considérer l’évolution de la pratique que représente le travail de collaboration avec la société civile. Cette collaboration entre professionnels et société civile ne peut en aucun cas être considérée comme de l’assistanat,
1
Normes Reguladores de la Participació Ciutadana, Mairie de Barcelone, 22 novembre 2002, article 13. 2 Extrait de l’entretien avec Manel Andreu. ENSAPLV _ 2007 // 2008
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puisque son intérêt réside dans l’enrichissement mutuel des connaissances des des deux entités. Il est nécessaire pour cela de reconnaître la société civile comme « experte » par l’expérience du lieu qu’elle a acquise. b. Des ambitions d’ordres différents ? Dans le premier cas, le but de participer pour légitimer une politique donnée ou un type d’action consiste à ce que des positions –ou intérêts- soient renforcées, mais pas forcément changées. Dans le deuxième cas, participer pour transformer, consiste à chercher à promouvoir un changement, recherche qui devrait être à la base de toute participation citoyenne fondamentale selon Fernando Pindado1. La matière première permettant ce changement est la population, ainsi que la construction d’un projet collectif et la définition d’intérêts communs. La volonté municipale de mettre en place la démocratie participative est confirmée par l’existence de lois régulant la participation et cherchant à la promouvoir, mais nous verrons au travers des cas sur lesquels je me suis penchée pourquoi la participation a du mal à se réaliser dans la pratique, et pourquoi cette volonté est remise en question par la société civile. Afin que la volonté de participation institutionnelle provienne d’une volonté de changement et n’aboutisse pas à la légitimation de façons d’agir, il parait indispensable que les pouvoirs politiques facilitent les processus en agissant sur le contexte de la participation. Ce contexte varie selon une infinité de facteurs, et rend parfois difficile l’application de la participation.
« Si tu regardes ce qu’il s’est passé en Espagne (…) durant les 30 dernières années sous la démocratie, les modèles de ville ne se sont pas basés sur la participation populaire, on a fait des processus de participation
élitiste.
Ce
qui
est
certain
c’est
que
certaines
interventions (…) ont été freinées grâce à la présence de citoyens. Donc maintenant, d’un point de vue formel en Catalogne depuis l’année 2002 ou 2003, la loi d’urbanisme prescrit qu’à chaque fois qu’il y a une planification, une révision de la planification, on doit démontrer qu’il y a eu un processus de participation. Mais ça dans la pratique… »2
1 2
PINDADO - 2002 Extrait de l’entretien avec Fernando Pindado.
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3 –Qui décide la ville : une nécessité de changement ? a. le citoyen-client, l’habitant-consommateur Comme je l’ai expliqué en première partie, le nouveau statut du citoyen dans la ville globale se caractérise par le fait que son rôle serait réduit à un rôle de consommateur de ville. Cette position de consommateur-client, comme le décrit Josep Vicent Boira Maiques1, a des conséquences directes sur la participation, dans le sens ou les habitants sont parfois amenés à réagir comme tel, et que les institutions sont également amenées à les considérer comme tel. L’auteur illustre le premier cas par l’exemple du « client mécontent », qui au lieu de s’incorporer à un processus participatif, formule son mécontentement sous forme de plainte. L’exemple cité est celui des collectifs de défense qui sont nés dans plusieurs villes d’Espagne et qui se mobilisent ponctuellement, pour un cas très concret et précis, et qui selon l’auteur dévalorisent tout le travail de continuité et de vision plus généraliste qui aurait pu être fait en amont par d’autres associations. Le deuxième cas, qui consiste en ce que les institutions considèrent les citoyens comme des clients, est également une entrave à la mise en place de processus participatifs réels. En effet, considérés les habitants comme des consommateurs amène à leur faire choisir entre plusieurs options, en évitant un débat de fond sur la ville, et en leur ôtant tout réel pouvoir de décision. On comprend alors la complexité que représente la mise en place de la participation dans le domaine de l’urbanisme, et la prudence dont il faut faire preuve avant de parler de participation, car le terme est souvent utilisé à tort et à travers pour décrire toute situation de communication entre les institutions et les habitants. Par exemple, concerter, ce n’est pas faire participer, et bien que le fait de vouloir entendre la parole des habitants représente sûrement un pas en avant dans la recherche d’une nouvelle politique, le fait d’entendre ne veut pas dire écouter, ni prendre en compte. On ne peut donc parler de construction de la ville par les habitants sans que les habitants aient réellement été impliqués dans une mise en place de projet, et là encore, en recherchant une vision globale et en définissant des objectifs collectifs.
1
BOIRA MAIQUES - 2003
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b. la faiblesse d’une vision simpliste de l’espace Le travail de planification urbaine mené par les élus et les professionnels (architectes, urbanistes, géographes) s’appuie principalement sur une conception absolue de l’espace, comme « une espèce d’échiquier où l’on peut déplacer des pièces avec plus ou moins de liberté »1. Cette conception réductrice de l’espace, qui selon l’auteur a été renforcée par les logiques de marché se répercutant sur la pensée sur la ville, est en contradiction directe avec la notion d’espace vécu, qui provient de l’expérience de la population. Développer une opération de rénovation urbaine en ne tenant compte que d’une seule dimension de l’espace, en s’appuyant exclusivement sur un travail de tracé de lignes et courbes sur un plan de ville, reviendrait alors à omettre une dimension primordiale de toute ville, tout lieu : la dimension humaine. « le projet se fait en plan, c’est certain tu dessines un plan, et le plan, c’est rien, il n’y a personne sur le plan, il n’y a pas d’activités réelles, il n’y a rien de réel. »2
Nous en arrivons donc à nous demander si le quartier sur lequel les urbanistes, architectes et institutions interviennent est réellement le même que celui que la population pratique au quotidien. Le concept de participation des habitants à la construction de la ville devient alors un point clé pour la réalisation d’un projet qui prenne en compte une vision plus générale de l’existant, pour aboutir à une intervention plus réaliste, plus adaptée au contexte d’intervention. En préalable du projet, une étude portant sur la perception que détient la population de son environnement urbain pourrait être un outil permettant de palier à ce déficit de la planification urbaine. La mise en place d’une culture participative dans le domaine de l’urbanisme parait donc dépendre tout d’abord de l’affirmation de la volonté de mettre en place un processus participatif, ainsi que de l’acceptation de « règles du jeu » de la part de tous les acteurs impliqués dans le processus. Cependant, différents cas d’expériences participatives montrent que ce changement de façon de penser la ville est souvent la conséquence de résistance des habitants au sein d’un contexte conflictuel. J’illustrerais ce type de participation, que j’ai caractérisé de « participation spontanée », par mes cas d’étude, qui montrent le décalage entre le discours institutionnel sur la participation et la réalité des processus dans le milieu barcelonais. 1 2
BOIRA MAIQUES - 2003 Extrait de l’entretien avec Zaida Muxí.
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III – LE QUARTIER POBLENOU : LE RENOUVELLEMENT URBAIN A L’ÉPREUVE DE LA PARTICIPATION
1 - Poblenou, le « Manchester Catalan » 1 a. l’influence de la tradition ouvrière Le quartier Poblenou se situe dans la partie nord-est de Barcelone, et est délimité par la Place Gloriès, la Gran Via, le fleuve Besòs et le front de mer. (fig. 18) La révolution industrielle dans le quartier Poblenou a commencé au début du 19ème siècle, entraînant de profonds changements dans le quartier suite à l’installation de nouvelles industries. (fig.19) Le développement industriel s’est accompagné
d’une
croissance
démographique,
et
par
conséquent
de
la
construction de nouveaux logements. Le principal facteur de ce développement a été la construction du chemin de fer en 1848 qui traversait le quartier en longeant le littoral. Vers 1870, le nombre d’usines a vertigineusement augmenté, ainsi que la population et le nombre de logement, suite à la disparition de la citadelle militaire et des changements politiques. De nouveaux noyaux urbains se sont formés à coté des nouvelles usines. A cette époque, un certain nombre d’ouvriers a commencé à s’organiser en associations ouvrières et de travailleurs. Le reste de la population se composait d’une partie de commerçants de classe moyenne, employés qualifiés, propriétaires et petits industriels, ainsi qu’une classe aisée d’industriels plus importants qui vivaient sur la Rambla de Poblenou. En 1897, le district St Marti de Provencals a été rattaché à Barcelone, faisant de Poblenou un quartier de la ville surnommé le ‘Manchester Catalan’ du fait de son statut de noyau industriel et de sa forte concentration de population ouvrière. Par la suite, le quartier a été urbanisé selon la trame du projet d’extension de Cerdà, en suivant la trame orthogonale appliquée dans le reste de la ville. (fig. 20) Dans les années 30 sous la République, Poblenou était un quartier majoritairement républicain et anarchiste. La crise sociale et économique de cette période a été la cause de nombreux conflits dans le monde du travail. Quand la guerre civile a éclaté en juillet 1936, la population a pris part activement dans la résistance au fascisme. Avec le triomphe du franquisme en
1
Traduction du catalan, d’après « Història del Poblenou », association Arxiu Històric del Poblenou,
mis en ligne : http://www.geocities.com/Athens/Acropolis/3324/historia.html?200723
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1939, la période d’après-guerre a débuté sous le signe de la répression et du manque de libertés. Le régime totalitaire ultraconservateur a provoqué un retour en arrière important dans tous les domaines.
Malgré la répression, l’activité
politique et syndicale n’a pas été totalement anéantie, et un certain nombre de militants ont poursuivi la lutte dans la clandestinité. Dans les années 50, les classes populaires ont commencé à s’opposer à la politique sociale et économique du régime. Les conditions de vie des travailleurs étaient précaires. Les prix augmentaient à un rythme plus soutenu que les salaires, et le pouvoir d’achat des ouvriers était plutôt bas durant ces années. La crise économique a eu comme conséquence la fermeture de nombreuses grandes industries. Les années 60 ont représenté l’époque la plus stable économiquement parlant, caractérisée aussi par le nombre croissant de conflits dus aux revendications des ouvriers. Durant les années 70, le quartier Poblenou a été fortement touché par la crise du secteur textile, avec comme conséquence la disparition de nombreuses entreprises laissant des centaines de travailleurs au chômage. Pendant les années 40 et 50 les interventions urbanistiques dans le quartier du Poblenou ont été ponctuelles, et se sont limitées à l’ouverture de quelques rues et à la construction de certains immeubles de logement. La barrière qui entourait les voies ferrées représentait une des principales frontières physiques qui isolaient le quartier et lui coupaient son accès au front de mer. (fig.21) Pendant de nombreuses années la plage a été occupée par des bidonvilles qui hébergeaient une population à très faibles revenus. (fig. 22) La croissance
démographique
due
aux
vagues
d’immigration
de
la
période
franquiste a fait augmenter le déficit de services du quartier déjà existant, particulièrement grave dans le domaine de l’enseignement, la santé, et les transports. De plus, des problèmes récurrents tels que la pollution, l’isolement du quartier entre l’autoroute et les voies ferrées, ou les inondations systématiques par manque d’un réseau d’égout adéquat, sont demeurés irrésolus. b. des habitants réclamant une transformation du quartier Les carences du quartier ont fait naître un mouvement des habitants, qui se sont rassemblés pour faire entendre leurs revendications. Mais l’évènement déclencheur a été le Plan de la Ribera, projet promu en 1966 par un groupe de grandes sociétés immobilières qui disposaient de terrains et usines dans le sud du quartier, réunies dans la société Ribera S.A. Deux ans plus tard, la Mairie a approuvé le projet. Il s’agissait de construire un vaste programme immobilier devant la plage, séparée du quartier du Poblenou par une autoroute. (fig. 23) Le nouveau Plan supposait l’expulsion de 15 000 habitants, en plus de la perte ENSAPLV _ 2007 // 2008
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d’espaces de travail, et de nombreuses répercussions négatives sur le quartier, dont la disparition de sa structure traditionnelle. Cinq ans plus tard, le rassemblement de presque 8000 signatures a réussi à entraver le projet. En 1969 est née clandestinement la « commission de quartier », qui s’est convertie plus tard en Association d’habitants du Poblenou (Associació de Veïns del Poble Nou). Une période d’effervescence politique a débuté pendant la transition démocratique, les associations d’habitants participant activement à la politique. Peu à peu, les revendications ont été satisfaites. Cependant, les habitants ont continué à réclamer une intervention des pouvoirs publics pour rénover le quartier, exigeant un projet qui respecte l’activité industrielle existante, et qui soit compatible avec du logement, des équipements, et des espaces verts. Comme je l’ai décrit dans la première partie, la création du Village Olympique et la récupération du front de mer ont été les premières grandes transformations qui ont commencé à changer le visage de cette partie de la ville. A ses débuts, le projet 22@ a été bien accueilli par les habitants puisqu’ils demandaient depuis des années un projet global de renouvellement en raison de la situation de dégradation du quartier due à l’abandon des activités industrielles et au peu d’attention des pouvoirs municipaux.
c. La progression de la transformation urbaine, sociale et spatiale1 Le
quartier
démographique
Poblenou-Village
forte
depuis
l’année
Olympique 1991,
du
connaît fait
des
une
croissance
processus
de
renouvellement urbain qui ont été initiés dans la zone depuis cette époque, avec tout d’abord la construction du Village Olympique et le plan 22@ qui a débuté en 2000. L’association d’habitants de Poblenou estime que la population d’environ 68.000 habitants atteindra les 80.000 habitants au terme de l’opération de renouvellement urbain en cours. Le quartier a connu entre 2001 et 2004 un taux de croissance de la population de 11,4%, qui représente le double de la croissance à l’échelle de la ville de Barcelone (5%). Ce taux de croissance s’explique par l’arrivée d’une nouvelle population dans le quartier, par un taux de natalité plus élevé que sur l’ensemble de Barcelone, et un taux de mortalité légèrement plus faible. En 2005, la part de population jeune entre 0 et 14 ans et
1
Données statistiques provenant de la Mairie de Barcelone, sauf quand précisé en note de bas de page. ENSAPLV _ 2007 // 2008
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active entre 25 et 64 ans était plus élevée que sur l’ensemble de la ville avec un niveau d’éducation similaire. Du fait de la plus grande quantité de population active, le taux d’activité y est plus élevé que dans le reste de Barcelone, et ce depuis au moins 1991. Ce bon niveau d’activité se traduit par de relativement bons revenus disponibles bruts par foyer. En 2005 par exemple, ils étaient de 15.542€/an, assez proches de la moyenne de 16.555€/an sur l’ensemble de Barcelone.1 En 2004, la densité d’habitants par hectare était assez faible, à 96 comparé à 156 à l’échelle de Barcelone, ce qui peut être expliqué par la présence de grands bâtiments industriels. De fait, la densité d’habitants par hectare de sol résidentiel
de
Poblenou
(627
en
2004)
rejoignait
presque
la
moyenne
barcelonaise (638). En 2001, Poblenou présentait un pourcentage de logements vacants de 18%, bien au dessus de la moyenne de 13% à l’échelle de Barcelone. Bien qu’en général une grande proportion de logements vacants ait tendance à faire baisser les prix du logement, nous verrons par la suite que ces prix ont plutôt eu tendance à augmenter. Je pense que cela reflète la forte spéculation immobilière qui sévit dans le quartier depuis les premières transformations. En 2001, les foyers propriétaires de leur logement représentaient 73% de la population de Poblenou, et les locataires 24%, par rapport aux 68% de propriétaires et 28,5% de locataires sur l’ensemble de la ville. En ce qui concerne les prix du logement, en 2005 le prix de la location était nettement plus élevé dans Poblenou (12,63€/m²) que la moyenne de Barcelone (10,74€/m²), et avaient presque doublé entre 1999 et 2005. Les prix du logement ancien en accession ont augmenté nettement plus rapidement que sur Barcelone (de 278% entre 1999 et 2005, comparé à 247% pour tout Barcelone). Le marché immobilier de logements anciens en accession à Barcelone a cependant connu une baisse de 2% au cours de l’année 2007, baisse notable pour la ville si on la compare à la hausse de 30% de 2002. La plus forte baisse a été constatée dans le quartier Poblenou, qui a connu une baisse de 8,9% en 2007, pour atteindre des prix de vente de logements de seconde main à 4.896€/m².
Cette
baisse
s’explique
sans
doute
par
la
construction
de
programmes neufs autour de Diagonal Mar et dans le cadre du plan 22@, une situation financière difficile actuellement, et le manque de services dans la zone,
1
SERRA J. (dir), Distribució territorial de la Renda Familiar per càpita a Barcelona, Mairie de Barcelone, janvier 2007, en ligne : www.bcn.cat/publicacions.
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qui ont poussé les propriétaires à baisser leur prix de vente afin de pouvoir vendre leurs biens.1 Pour résumer, Poblenou est caractérisé par une population plutôt jeune par rapport à la moyenne de la ville (moins de personnes au dessus de 65 ans), ce qui représente un atout quant à la dynamique potentielle du quartier. Il présente par ailleurs un rapport densité d’habitants/sol total plus faible que sur le reste de la ville, mais plus élevé dans les zones résidentielles, ce qui explique les enjeux de la reconversion des terrains industriels. Concernant le secteur du logement, nous avons vu que les prix ont globalement augmenté, bien qu’il y ait eu une inflexion dans les prix de vente des logements anciens au cours de l’année 2007, suite à la situation que j’ai expliquée plus haut. Si l’on calcule le rapport entre les revenus disponibles bruts mensuels par foyer (pour Poblenou 15.542€/an, donc environ 1295€/mois)2 et la dépense que constitue le loyer mensuel par foyer pour un logement d’une taille moyenne de 75m² en location3 (le prix de location au m² dans Poblenou était de 12€/mois en 2004, donc 900€ représenteraient le prix du loyer mensuel), le loyer constitue une charge extrêmement lourde pour les foyers. En effet, il représenterait une charge d’environ 69% du revenu disponible brut mensuel. J’ajouterais que les données que j’avais à disposition pour effectuer ce calcul datent de 2007 pour les revenus, et de 2004 pour le prix des loyers, sachant qu’en 2004 les revenus étaient légèrement inférieurs à ceux de 2007. Il serait intéressant de refaire ce calcul avec des données concernant les loyers mises à jour. Cela signifie qu’une famille moyenne non propriétaire aurait aujourd’hui beaucoup de mal à payer son loyer. Le fort ratio entre loyers et revenus bruts disponibles pourrait signifier que les gens déjà présents dans la zone ont en moyenne des revenus plus bas que les nouveaux venus, car pour pouvoir se loger aujourd'hui dans ce quartier, il faut sans doute avoir des revenus bien supérieurs à la moyenne. On sait que entre temps, les loyers dont on peut imaginer qu'ils reflètent le coût du mètre carré aujourd'hui ont beaucoup augmenté (alors que la moyenne de ce que paie l'ensemble des locataires de la zone doit être nettement plus faible). Cet
exemple
montre
les
enjeux
que
présente
l’opération
de
renouvellement urbain dans le quartier, et quelles orientations elle devrait prendre pour améliorer la qualité de vie de la population du quartier Poblenou. La 1
Rapport de 2007 du département d’étude de la société Idealista, en ligne : [http://www.idealista.com/informacion/anio_2007.pdf] 2 SERRA - janvier 2007. 3 La surface de 75m² correspond aux besoins approximatifs d’une famille de 3 personnes, ainsi qu’à la moyenne de surface des logements disponibles dans Poblenou en 2001 – chiffres de la Mairie de Barcelone ENSAPLV _ 2007 // 2008
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demande de logement social et locatif part d’une nécessité, et reflète la faiblesse d’une politique tournée pendant de nombreuses années vers l’accession à la propriété, ayant comme conséquence le retard de développement des deux secteurs. Il faudrait donc plus de construction à des coûts moindres pour faire baisser les prix, associée à une politique visant à remettre sur le marché du logement des logements vacants ainsi qu’à réguler les prix du marché immobilier.
2 - Principes du plan 22@ Le plan 22@ propose de relancer l’activité industrielle et tertiaire à l’intérieur de la ville en donnant au quartier du Poblenou un rôle de nouvelle centralité métropolitaine, en misant sur les nouvelles activités pour que s’opère la reconversion du quartier. Il s’inscrit dans une rénovation plus vaste de toute la partie nord-est de Barcelone (fig.24), qui inclue la nouvelle station intermodale de la Sagrera, le Forum des Cultures construit en 2004, et la Place Gloriès, qui est un des nœuds de circulation majeurs de la ville, et qui est devenue un lieurepère pour la ville, en particulier depuis la construction de la tour Agbar de l’architecte Jean Nouvel. (fig. 25) Il représente le projet de renouvellement urbain le plus important actuellement en terme d’échelle puisqu’il occupe pratiquement 200 ha, et fait le pari de placer la ville dans le réseau de villes globales les plus importantes. Il défend l’idée de modèle de ville compacte, mixte et durable, et en quelque sorte de refaire la ville sur la ville, puisque le projet se veut respectueux de l’existant. Enfin, l’opération a souvent été décrite comme la dernière grande transformation urbanistique possible à Barcelone, puisque le quartier constitue la dernière réserve foncière disponible dans la ville du fait de la persistance d’un tissu industriel étendu et parfois laissé à l’abandon.
« Le dénommé modèle Barcelone se base sur quelques lignes de travail, parmi lesquelles nous pouvons citer : l’ouverture de la ville sur la mer ; la régénération du centre ; la rénovation, le recyclage et la réutilisation des tissus existants ; les aires de nouvelle centralité ; l’amélioration constante des infrastructures, en tant que forme de structuration
entre
les
quartiers.
La
rénovation
du
Poblenou
exemplifie la continuité et l’évolution du modèle pour les années à
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venir et nous fait réfléchir au défi d’intégrer Barcelone dans la nouvelle économie digitale. »1
a. Le système de développement, quel équilibre entre les pouvoirs publics et privés ? Au cours de l’année 2000, la municipalité de Barcelone a crée la société privée de capital public 22@bcn S.A. chargée de regrouper les instruments et compétences requises afin de gérer le processus de transformation prévu par le plan 22@.
En parallèle, elle a crée « Infraestructuras 22@ », avec une part
minoritaire de capital public, qui a pour objectif de privatiser la réalisation des travaux d’infrastructure. Le but de la société 22@bcn S.A. est de préparer et exécuter les différents projets relatifs au secteur de rénovation, de projeter, construire et gérer toutes les infrastructures, services urbains, et espaces publics, de gérer les terrains fonciers municipaux du secteur, de promouvoir
le projet 22@, et enfin
d’encourager l’installation d’entreprises développant des activités dans le secteur des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). La logique globale du projet est marquée par la volonté qu’une petite quantité d’argent public soit le moteur pour mobiliser une grande quantité d’investissements privés2. Le document principal régissant la transformation et la reconversion industrielle de la zone de Poblenou est la Modification du Plan Général Métropolitain (MPGM), approuvée le 27 juillet 2000. Le nom 22@ a été attribué au projet, car la légende « 22 » signalait les zones industrielles sur le Plan Général Métropolitain datant de 1976, et la légende « 22a » le sol industriel existant. Le plan 22@ est basé sur un système de développement qui se veut de donner le plus de flexibilité possible, en définissant un cadre général que vont venir définir plus en détail une série de Plans Spéciaux publics et privés, appelés PERI (Plan Spécial de Rénovation Intérieure). La société municipale 22@bcn avait au départ définit six grands plans spéciaux d’initiative publique, qui représentaient 46% du sol transformé au sein du projet 22@. (fig 26) Suivant cette logique, l’initiative privée devait venir compléter la transformation restante au moyen d’autres PERIs, en ayant comme unité minimum à traiter un îlot, dont au moins 60% des terrains fonciers devaient ainsi être transformés, afin de
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BRAGADO - 2001 BOIXADER SOLE – 1er août 2004
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convertir les sols industriels pour correspondre aux nouveaux usages relatifs à l’installation des nouvelles activités. (fig.27)
« Il y a des règles très claires, mais a partir de là il y a une grande flexibilité, une entreprise spécifique pour gérer tout ce processus de transformation,
et
pour
gérer
une
gradation
de
taille
de
développement, d’évolution, de transformation, on peut transformer une petite parcelle de 2000m² minimum, comme on peut transformer un îlot complet, on a même fait quelques plans de plus d’un îlot pour amorcer le processus avec une action publique et privée, et surtout c’est un plan qui introduit dans notre culture urbaine la nécessité de travailler d’une manière plus proche entre ce qui existe et ce qui est nouveau, entre la permanence et la substitution. C’est trouver cet équilibre, tacher de conserver et de donner continuité urbaine a des éléments qui existent, et aussi de trouver la manière de cette innovation sur des espaces qui sont le paysage d’origine (petites maisons, usines).»1
Pour arriver à l’idée de ville compacte que le projet 22@ souhaite promouvoir, une stratégie claire a été adoptée suivant l’idée de densification. La question du coefficient d’occupation des sols (COS) est primordiale pour comprendre
le
fonctionnement
de
la
planification
de
l’opération
de
renouvellement urbain. Le COS général qui était de 2 a été augmenté à 2,2. Ce COS peut ensuite être augmenté à 2,7 si sont prévues des activités nommées « activités@ », qui correspondent à la philosophie du projet. (fig.28)
Enfin, le
nouveau COS pourra atteindra un maximum de 3 pour la réalisation de logement social, qui correspond à un devoir de rétrocession de sol à la municipalité (à Paris, la moyenne de COS est de 3 selon le règlement du PLU). Par ailleurs, la rétrocession de sol à la municipalité est un des principes clefs du projet, puisque tout promoteur privé à comme obligation de rétrocéder sans contreparties 30% du sol dont il est propriétaire à la municipalité, destiné à être reparti comme tel : 10% destiné à la réalisation de logement social, 10% à celle d’équipements, et 10% pour des espaces verts.
1
Extrait de la conférence d’Oriol Clos.
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b. la question du logement Bien
que
le
quartier
Poblenou
ait
été
caractérisé
par
une
forte
concentration d’industries, il présentait également un tissu résidentiel consolidé dans certaines parties du quartier. Les 4 614 logements existants, pour la plupart construits avant 1953, étaient cependant dans une situation irrégulière vis-à-vis de la loi car le sol sur lequel ils étaient construit avait été qualifié de « foncier industriel » avec l’approbation du « Plan Comarcal » en 1953. La Modification du Plan Général Métropolitain datant de 2000 rendait définitive la reconnaissance de ces logements, en redonnant au foncier la qualification de sol résidentiel. Cependant, il est important de noter que cette reconnaissance ne garantissait ni la protection ni la préservation des logements existants, mais qu’en cas d’expropriation ou toute autre action sur ceux-ci, ils devaient être considérés en tant que tel (en particulier pour des questions de compensations financières). La MPGM définissait ainsi des « fronts consolidés de logements », dont seulement
3 344 logements des 4 614 reconnus légalement faisaient
partie. Ces fronts consolidés pouvaient être élaborés d’office par l’administration publique ou, après étude, à la demande des propriétaires de chaque front. Ce concept de « fronts consolidés » laissait donc planer le doute sur le devenir des 1 270 logements qui n’étaient pas considérés comme tels. Concernant la construction de nouveaux logements, le plan 22@ prévoyait la construction de 3500 à 4000 logements (fig.29), dont la totalité devait être du logement « protégé », et 25% destiné au marché de la location, ce qui était assez exceptionnel dans une opération de renouvellement urbain à Barcelone puisqu’en général la proportion des logements protégés ne dépassait pas les 25%. Un article du 24 mai 2007 paru dans le journal El Pais1 signalait qu’à cette date, parmi les 4000 logements prévus par le plan 22@, 613 étaient en construction, 416 avaient obtenu les permis de construire, et 180 étaient encore en projet, signifiant que plus de la moitié de ceux qui étaient prévus (2791 logements) étaient encore en attente d’être programmés. Par ailleurs, le plan 22@ prévoyait une part de logements qualifiés de « non conventionnels » laissés au prix du marché, laissant libre cours à des projets de reconversion d’anciens bâtiments industriels en logement pour la création de lofts par exemple. Les associations ont revendiqué que 50% des logements sociaux construits soient réservés prioritairement aux habitants actuels du quartier, dans le but de garantir le droit au logement et éviter la substitution de la population actuelle par une population possédant un plus grand pouvoir d’achat. Après une
1
CIA - 24 mai 2007
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période de négociation avec la municipalité et les dirigeants du plan22@, ils sont arrivés à l’accord que le tiers des logements sociaux construits soient réservés aux habitants du quartier. c. la question des activités et des équipements Afin d’atteindre la croissance économique voulue et de développer le secteur tertiaire en conséquence, le projet 22@ doit réserver une surface considérable à des bureaux et autres espaces de production. Misant sur le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)1, le principal objectif du plan 22@ est d’attirer des « activités @ », c'est-à-dire en relation avec ces nouvelles technologies, la recherche, le design, le multimédia, la gestion de bases de données, etc. Ce sont des activités considérées comme accueillant une proportion de nombre d’emplois plus grande que les activités économiques traditionnelles.
« Depuis la Mairie, on pense au contraire qu’il est important que ce territoire de plus de 150 ans d’histoire industrielle maintienne une activité économique. Mais quelle est l’activité économique du 21ème siècle ? Il ne s’agit pas de la sidérurgie, ni de la métallurgie, qui dans un premier temps sont parties à la périphérie de la ville et maintenant sont délocalisées à l’étranger. Dans ces conditions, le pari a été de miser sur les nouvelles technologies. »2
Selon les documents de la mairie, le potentiel total de plancher est d’environ 4.000.000 m², dont a peu près 3.200.000 m² seront dédiés aux activités productives essentiellement tertiaires, c'est-à-dire 80%. Les 20% restants sont définis comme dédiés à d’autres usages tel que le logement, les équipements, etc. Le projet prévoit une augmentation de 130 000 emplois. Le rapport d’état d’exécution de la société 22@bcn S.A. de juin 2007 signale qu’à cette date, 32.478 nouveaux emplois avaient été crées, et que 925 nouvelles entreprises étaient venues s’installer dans le secteur. L’idée du projet est de fonctionner selon le principe de ‘clusters’ (fig. 30), qui doivent servir de leviers au développement de nouvelles activités. Les clusters, détaillés sur le site Internet de la société 22@bcn S.A., sont les suivants : le secteur media, le secteur TIC, le secteur énergie, le secteur textilemode, et le secteur TecMed (des « biosciences »). Les clusters doivent 1 2
Voir à ce propos l’ouvrage de Miquel Barcelo et Antoni Oliva, La Ciutat Digital Extrait de la conférence d’Aurora Lopez.
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permettrent de garantir la concentration dans le territoire d’entreprises, organismes publics et centres scientifiques et technologiques de référence dans les secteurs considérés comme stratégiques que je viens de citer. Les chiffres annonçant l’augmentation d’emplois ont été critiqués par la société civile et particulièrement les associations, car ils n’ont jamais pris en compte le nombre d’emplois disparus suite à l’expulsion d’activités implantées dans le quartier de Poblenou, souvent des petits commerces et petites entreprises qui ont du se déplacer, ou parfois même fermer car ils n’avaient pas les moyens de se déplacer. En effet le plan 22@ a supposé l’affectation de presque 1000 ateliers, commerces, et autres entreprises, représentant une quantité considérable de main d’œuvre.1 L’article de Jordi Boixade Solé souligne également le fait que l’implantation des nouvelles technologies ait favorisé un discours permettant de légitimer des pratiques qui encouragent l’accumulation du capital, au détriment de la redistribution sociale. Bien que le discours officiel accompagnant la promotion du projet ait mis l’accent sur une ville dense, compacte, et sur le concept de mixité, les conséquences de l’implantation d’activités répondant aux exigences de la globalisation amèneront sûrement à une homogénéisation sociale. Les associations et habitants ont également remis en question l’implantation de nouvelles entreprises qui n’hébergeaient pas des activités considérées comme « activités@ », tels que des hôtels, des compagnies d’assurance, ou des centres d’appel. « La mairie avait déjà définit l’orientation du plan 22@. En quelque sorte elle avait donc déjà hypothéqué tout ce territoire à certaines entreprises, à des entreprises privées qui soit dit en passant n’apporteront
pas
grand-chose
à
Barcelone
en
tant
qu’espace
dynamique et technologique, non. Mais ça tu ne peux pas le remettre en question, parce que Barcelone est complètement soumise à l’investissement privé. (…) Ca finira par se transformer en un quartier de logements de luxe, au mieux avec un quelconque type de thème culturel, comme ce qu’ils ont fait dans le quartier du Born, le Centre Historique, le quartier du Raval, et ça n’ira pas plus loin. Les entreprises qui vont venir s’installer seront de basse qualité, avec un faible potentiel dynamique et économique parce que ça sera…des ‘call centers’? »2
1 2
BOIXADER SOLE - 1 août 2004 Extrait de l’entretien avec Martha Pelayo.
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Concernant les équipements (fig. 31), le projet prévoie la possibilité de reconversion d’équipements en équipements 7@, c'est-à-dire pouvant permettre le développement d’activités liées à la formation, la recherche, et l’entreprise, et favorisant la localisation d’activités permettant la collaboration entre universités et entreprises. Ces équipements sont prévus pour servir l’échelle de la ville, et non seulement du quartier. En parallèle, le projet prévoit l’implantation d’équipements à échelle locale, afin de couvrir les besoins des futurs résidents. La MPGM précise que «les éléments qui contribueront à la conservation de la mémoire historique du processus d’industrialisation de Poblenou seront pris spécialement
en
considération
dans le
développement
des
systèmes
d’équipements communautaires. » Au moment de l’approbation du projet, le quartier souffrait déjà d’un grand déficit d’équipements, en particulier des équipements de proximité tels que garderies, bibliothèques, et résidences pour personnes âgées. La mobilisation des habitants autour de ce thème a débouché sur la création d’une commission avec des techniciens de la mairie et des représentants des habitants pour débattre du type d’équipements nécessaires. Le plan d’équipements de Poblenou a été approuvé en juillet 2001, sans indication précise quant aux délais de construction des équipements prévus. Différentes entités ont dénoncé la différence de vitesse d’exécution des constructions pour les activités liées au commerce et les équipements : « le projet 22@ est devenu un projet à deux vitesses : d’un côté il y a le rythme des commerces, hôtels, bureaux, etc., qui est très rapide, et de l’autre le rythme du logement, des équipements et des espaces verts qui est très lente. C’est donc ça que nous critiquons maintenant, c’est un problème de fond. (…)Mais nous avons obtenu l’approbation d’un certain nombre d’écoles, d’équipements sanitaires, de maisons de quartier, etc… Le problème c’est qu’à l’heure actuelle pour les écoles par exemple, il y en a 3 qui sont en éléments préfabriqués parce que le bâtiment n’a pas encore été construit. Pour ce qui est des garderies, il en manque encore beaucoup par rapport à la demande qui a été faite. (…) Les 2 vitesses ne se rejoignent pas, c'est-à-dire qu’ils mettent surtout l’accent sur tout ce qui est commerce. »1
1
Extrait de l’entretien avec Manel Andreu.
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d. la valeur du patrimoine historique L’idée du projet 22@ a donc été approuvée par l’association de résidents du Poblenou, car en principe elle venait satisfaire quatre de leurs six demandes basiques : un projet général de rénovation pour le quartier, le maintien des activités productives, la construction de logement social, et la reconnaissance légales des 4600 logements qui étaient auparavant dans l’illégalité. Cependant deux thèmes restaient sans réponse : la prévision de nouveaux équipements sociaux pour le quartier, et la protection du patrimoine historique et industriel du Poblenou. Au fur et à mesure du développement du projet, la question de la protection du patrimoine est devenue un point central de revendications de la société civile. En s’appuyant sur un travail de documentation effectué par le groupe du patrimoine Forum Ribera Besos, la municipalité a petit à petit modifié le
plan
de
sauvegarde
du
patrimoine
pour
y
incorporer
de
nouveaux
éléments (fig.32): « La richesse du patrimoine industriel de Poblenou est visible dans l’important nombre de bâtiments et éléments qui font partie du catalogue du patrimoine. Aux 46 éléments industriels déjà catalogués ont été ajoutés 68 nouveaux éléments (…) [qui] ont mérité la qualification de bien culturel d’intérêt local. Pour renforcer la conservation de cet ensemble sont préservés d’autres éléments, comme des passages, des bâtiments de logement et des structures parcellaires (…)»
Cependant, le projet de renouvellement a été de plus en plus l’objet de la critique des habitants du Poblenou. Les trois points les plus critiqués ont été les suivants : les processus de prise de décisions dont les habitants se sont sentis tenus à l’écart, le type de constructions projetées, (fig. 33)
le coût social
dérivant des actions menées. Je développerais ces thèmes dans mes cas d’étude. Par-dessus tout, les différentes associations et parfois les habitants à titre individuel se sont mobilisés pour manifester leur désaccord avec un modèle architectural considéré comme éloigné de la réalité du quartier et tranchant avec le patrimoine existant. La question de la sauvegarde du patrimoine a soulevé la question de l’usage de ces bâtiments sauvegardés, qui une fois de plus ouvrait le débat entre la société civile et les institutions.
« Un des enjeux est comment transformer un territoire en gardant ses caractéristiques qui font sa spécificité. 114 éléments ont été identifiés comme constituants du patrimoine, allant d’un bâtiment à
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un îlot complet. Le problème est de savoir à quoi on destine chacun de ces bâtiments sachant qu’on ne peut pas convertir l’ensemble de tous ces bâtiments en équipement public. »1
e. la recherche d’une nouvelle image : les prémices de conflits ? Depuis les Jeux Olympiques, la Mairie a souvent utilisé de grandes campagnes
de
communication
pour
vanter
les
mérites
de
différentes
interventions urbanistiques, ou pour mettre en valeur l’avancée de la ville dans différents domaines. Une des campagnes menées a été « Barcelone fais toi belle » (« Barcelona posa’t guapa »), « dont l’objectif est de subventionner et mener à bien toutes les réhabilitations de bâtiments» (source : site de la Mairie). La ville essaye de se vendre auprès de consommateurs extérieurs, et auprès de ses propres habitants. Dans cet esprit, le projet 22@ a lui aussi fait l’objet d’une vaste campagne publicitaire, comme le décrit Blaz Kriznik: « De nombreux efforts ont été faits pour faire la promotion du projet 22@ aux citoyens de Barcelone. (…) La campagne publique a commencé avec la stigmatisation des conditions existantes dans le Poblenou, en insistant sur ses immeubles décadents, la pauvreté, la délinquance, qui impliquait donc la nécessité de changement. Lors de l’étape suivante de la campagne, le nouveau projet était donc présenté comme une solution pour le quartier, vantant tous les avantages et bénéfices qu’il apportait aux citoyens. « Une nouvelle ville émerge dans le Poblenou !» était un des slogans. D’ailleurs, le concept de « bénéfices pour les citoyens » était lui-même employée de façon assez vague, laissant dans le flou ce que ces bénéfices seraient. »
2
Le concept de marketing urbain est d’abord apparu aux Etats-Unis dans les années 70, et ce modèle de promotion de la ville s’est ensuite étendu à d’autres villes partout dans le monde. De par la situation de crise dans laquelle se trouvaient un grand nombre de villes avec la désindustrialisation depuis les années 70, le renouvellement urbain est apparu comme le remède à la dégradation des centres historiques, à l’occupation des espaces libérés par les
1 2
Extrait de la conférence d’Aurora Lopez. KRIZNIK - 2005, p.38
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anciennes usines, et à la perte de population des villes. La rénovation urbaine a donc été abordée comme une solution économique pour revitaliser les villes, en s’appuyant sur d’importantes campagnes publicitaires afin d’attirer touristes et investisseurs, les deux moteurs capables de redresser l’économie. Cette conception de la ville comme une marchandise n’est pas sans conséquence sur la structure sociale et spatiale établie, et la rénovation passe souvent par des démolitions massives et des processus de changement social qui mènent à des actions contradictoires. En effet, la recherche d’une nouvelle image passe peut avoir comme conséquence la perte de l’identité. Le fait de rechercher une ville propre, pacifiée, des espaces civilisés, afin de donner une nouvelle image à un quartier suppose la substitution d’un type de population et de ses modes d’habiter, puisque le but est d’attirer une nouvelle population grâce à cette image. L’identité, elle, se fonde sur un ensemble de facteurs sociaux, historiques et spatiaux, une mémoire collective qui représente la spécificité d’un quartier et participe à une certaine cohésion sociale. Le renouvellement urbain, abordé du point de vue de la globalisation, suppose donc forcément des conflits, et se trouve limité quant à sa réflexion sur la matière première de toute ville : ses habitants. Bien que la population, et notamment l’association de résidents de Poblenou, ait été favorable à une transformation urbaine du secteur, elle a dès l’apparition des premiers PERIs commencé à critiquer considérablement certains points d’un projet présenté comme idyllique. Deux conflits entre les institutions et la société civile ont été particulièrement représentatifs, et ont permis de soulever différents thèmes de débat relatifs au renouvellement urbain. Ces tensions se sont cristallisées autour de deux plans spéciaux (PERI) impulsés par la mairie : Le PERI Eix Llacuna et le PERI Parc Central prévoyant la transformation de l’usine Can Ricart. (fig. 34)
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3 – la restructuration d’un axe central : l’Eix Llacuna a. Une prise de conscience de l’incidence de la transformation sur le quartier Les premiers PERIs d’initiative publique ont été approuvés au cours de l’année 2001, avec peu d’incidence sur le noyau historique du quartier et sur le tissu résidentiel existant. Les premières critiques émanant de l’association de résidents de Poblenou visaient plutôt le manque de canaux de participation pour la société civile. Mais le premier conflit véritable a débuté après l’approbation du PERI Llacuna, qui proposait d’implanter des tours dans un tissu résidentiel consolidé, sur un axe très important pour le quartier.
« Le premier conflit a eu lieu pour l’« eix Llacuna », parce qu’ils prévoyaient de construire des bâtiments très hauts sur cette rue parallèle à la Rambla del Poblenou, l’artère la plus importante du quartier.
Evidemment quand le projet a été découvert il a été très
critiqué, parce qu’il détonnait avec le reste du quartier. (…) pour que la Mairie révise le projet on a du faire de nombreuses mobilisations, des manifestations, protestations, jusqu’à ce qu’ils revoient le projet en baissant la hauteur des bâtiments et en réduisant le nombre de personnes affectées. »1 L’idée de ce PERI était de définir un nouvel axe renforçant la relation entre la mer et la montagne, et de proposer un nouveau « skyline » pour la ville, au moyen de la construction de neuf tours de 72m de haut (environ 24 étages) réparties sur la rue Llacuna, (fig. 35) qui fait partie du noyau historique du quartier Poblenou. La première proposition de la mairie consistait en la construction de 216 nouveaux logements, et la rénovation supposait le déplacement de 63 familles. La population et les associations ont alors commencé à contester le projet, en s’opposant à la hauteur des tours proposées qui pour eux représentait une intervention agressive et peu respectueuse de l’existant, ainsi qu’au coût social que supposait le projet. (fig. 36)
En effet, l’implantation du projet tel que
proposé initialement aurait entraîné la destruction de nombreux logements, supposant le déplacement de plusieurs familles. Suite à la diffusion du projet ont eu lieu différentes mobilisations des habitants, obligeant la municipalité à revoir
1
Extrait de l’entretien avec Manel Andreu.
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le projet pour du « PERI Eix Llacuna », et aboutissant à une nouvelle proposition dans laquelle la hauteur des tours était rabaissée à 48m, et le nombre de familles déplacées passait de 63 à 32. (fig.35) b. Le coût social du renouvellement urbain La principale critique de la société civile a été le coût social que supposait l’intervention urbaine. Isaac Marrero Guillamon dégage deux dimensions du coût social : la dimension relative au logement, et la dimension relative au commerce. Pour la dimension relative au commerce, le modèle critiqué a été le modèle de grand centre commercial comme ceux qui ont été réalisés dans le quartier Poblenou à Diagonal Mar près du littoral, ou encore le grand centre commercial de la Place Gloriès. En effet, en continuant à appliquer cette logique de grand pôle commercial centralisateur, on prend le risque de tuer le commerce de proximité. L’axe Llacuna, qui est un des axes commerciaux les plus importants du quartier, serait donc directement affecté par une telle logique, et le coût social correspondrait ici à l’obligation pour les petits commerçants de fermer, souvent définitivement car il leur serait financièrement impossible d’envisager un déplacement. Pour ce qui est de la dimension relative au logement, elle s’est traduite surtout par la peur des habitants que la construction de nouveaux logements soit une excuse pour la gentrification du quartier, problème auquel sont souvent confrontés
les
habitants
partout
en
Europe
dans
des
opérations
de
renouvellement urbain similaires comme je l’ai expliqué plus haut. On peut donc dégager deux thèmes relatifs à la question du logement : tout d’abord, le coût social direct, qui correspond aux déplacements de population et à la question de leur compensation, et ensuite, le coût social à moyen - long terme, qui correspond à la substitution progressive d’une population ouvrière ou aux revenus modestes par une population plus aisée. Par ailleurs, les habitants menacés d’expulsion à cause des démolitions que supposaient les différents PERIs, ont critiqué la difficulté qu’ils avaient eu à dialoguer avec la municipalité pour trouver un accord, comme l’explique Claude Sibuet, une personne qui a été affectée par le PERI Llul – Pujades Llevant, dans le documentaire Ciutadans 22@ : « Ca n’a pas été facile…ça n’a pas été facile parce qu’il y a avait au début une collusion totale entre l’administration et les sociétés
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immobilières, dans le but de nous écarter des décisions le plus vite possible, et avec l’indemnisation la plus basse possible ».1
Le fait que la coopération entre le public et le privé soit un des moteurs de la transformation urbaine n’est pas sans conséquence sur le pouvoir qu’ont les habitants à dialoguer avec les institutions, et bien que la municipalité barcelonaise se dise être à l’écoute des citoyens et avoir mis en place une politique participative, cette participation parait être plus orientée vers les entreprises que vers les citoyens. Le renouvellement urbain en tant qu’opération de marketing a dans tous les cas un coût social, puisque malgré les discours politiques qui l’accompagnent, il se caractérise par des opérations principalement basées sur l’image de la ville, fonctionnant selon des partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Bien que les projets soient financés avec l’argent public, le fait qu’ils soient destinés à favoriser l’installation d’entreprises et à attirer les investissements privés a aussi des conséquences directes sur les politiques sociales, puisque le rôle du secteur privé n’est pas de les développer, et que souvent le budget qui leur est alloué par le secteur public est très restreint du fait du fort investissement dans une politique tournée vers les partenaires privés. La création de nouvelles centralités, vitrines de la nouvelle image de marque que veulent avoir les villes pour mieux se vendre, entraîne inévitablement un déplacement de population, puisque la nouvelle image se veut d’effacer toute trace du passé industriel considéré comme ayant une connotation négative, ce qui se répercute directement sur la population issue des milieux ouvriers et à faibles revenus. La formation de ghettos à la périphérie des villes et dans les aires
métropolitaines
est
donc
devenue
une
conséquence
directe
de
la
gentrification des aires centrales de la ville, puisque ce sont toujours les mêmes couches de la population qui se trouvent dans l’obligation de se déplacer, surtout quand les politiques de logement social ne suffisent pas à faire le contrepoids à ce processus.
Ces conséquences de la rénovation en tant qu’opération de
marketing ont soulevé la question du renouvellement urbain comme moyen de contrôle social : « Pour les gouvernement locaux le marketing apparaît comme un outil efficace de contrôle social, en agissant au moyen de la rénovation et la promotion dans le domaine du symbolique ; de la même façon ils essayent de convaincre du caractère bienveillant des
1
Ciutadans 22@, - 2003
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ces pratiques néolibérales au travers de l’usage de la culture et des loisirs. »1
c. Des associations trop institutionnalisées ? Le fait que le conflit relatif au PERI Llacuna ait été considéré comme résolu après la signature d’un pacte entre la municipalité et l’association de résidents « officielle » de Poblenou a suscité de nombreuses critiques de la part des associations qui s’étaient constituées au cours du conflit, telles que la « coordinadora contra el 22@ » et l’« associacio d’Affectats 22@ ». Le pacte a soulevé la question de la légitimité et de la représentativité des associations « institutionnalisées », question qui a déjà été soulevée à de nombreuses occasions dans d’autres débats plus généraux sur la participation citoyenne à Barcelone, comme me l’a expliqué Fernando Pindado lors de notre entretien : “La manière de résoudre n’importe quelle situation dans laquelle il y a différents intérêts c’est le débat. (…) Je ne sais pas si ce débat a lieu [dans Poblenou]. J’ai peur que ce qu’il se passe là bas, et je te le dis en toute ignorance, c’est un débat entre certains qui sont considérés comme les représentants des citoyens, et d’autres qui se considèrent représentants des institutions. (...) Qui est représentant de quelque chose? (...) Le représentant c’est celui qui a un mandat. (...) Par exemple tu peux être membre d’une association, puis être président de cette association. Et qui t’auras élu président de cette association? La base de cette association. Donc tu es représentant de cette assemblée, mais juste de cette assemblée, tu ne me représentes pas moi.”2 A
cette
question
de
la
représentativité
est
liée
la
question
de
l’institutionnalisation des associations, du fait de l’institutionnalisation de la participation citoyenne et du débat public. En effet, l’intégration du débat public à la politique est vue parfois comme la récupération du discours pas les institutions à des fins de légitimation, comme le décrit Marie-Hélène Bacqué : « L’institutionnalisation du débat public, que nous définissons comme l’intégration d’une norme délibérative dans la gestion publique,
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ARMAS DÍAZ - 12 mars 2007 Extrait de l’entretien avec Fernando Pindado.
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converge à plusieurs égards avec l’institutionnalisation de l’action collective. La réappropriation d’un discours participatif par les élites et les institutions passe-t-elle par la canalisation et la domestication de l’action des groupes de citoyens ou des mouvements sociaux ? »1
A Barcelone, la situation est d’autant plus particulière du fait que de nombreux acteurs politiques faisaient partie des mouvements sociaux durant la période de la transition. Bien sur, le dialogue et la recherche de positions communes entre institutions et associations sont des conditions indispensables pour la mise en œuvre d’une politique participative. Cependant, si l’on considère que les associations représentent un contrepoids potentiel pour la réorientation des politiques publiques et en particulier dans le domaine de l’urbanisme, elles devraient s’affirmer dans leur rôle de représentation des citoyens, en cherchant à conserver cette position de contre-pouvoir qu’elles détiennent.
4 - Un espace de défense symbolique : le cas de Can Ricart a. Une relation tumultueuse entre institutions et société civile Le cas de l’usine Can Ricart aura sûrement été le plus représentatif de la lutte des citoyens pour la conservation du patrimoine. Il est aussi l’expression symbolique de la rupture qui existe entre les citoyens et l’administration publique. C’est l’un des trois derniers grands bâtiments industriels importants restants à Barcelone, et il appartient encore aujourd’hui à la famille Ricart. Le bâtiment occupe quasiment quatre îlots de l’extension Cerdà, dans le quartier de Poblenou. L’enceinte de Can Ricart est un ensemble de bâtiments industriels à vocation textile dont la construction a commencé au milieu du 19ème siècle, et a évolué jusqu’en 1930. (fig.37 et 38) Le PERI Parc Central qui prévoyait la destruction totale de l’enceinte industrielle fait partie des six PERIs initiaux impulsés par la municipalité, et a été approuvé en octobre 2001. Il couvre six îlots occupés par des bâtiments de logement, dont certains sont qualifiés de « front de logement consolidés », et des bâtiments industriels. Il définit deux aires d’intervention distinctes, UA1 et UA2 (fig. 39), l’usine Can Ricart faisant partie de l’UA1. L’architecte Solà Morales était alors en charge du projet, et ne prévoyait de garder de Can Ricart qu’une des anciennes cheminées, afin de pouvoir construire environ 70.000m² de 1
BACQUE / BLANC / HAMEL / SINTOMER - 2005, P.7-19
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bureaux. Dans les premières étapes du projet, il n’était donc accordé aucune valeur patrimoniale à l’usine Can Ricart, puisque la municipalité en prévoyait sa destruction totale. En mars 2003, la Municipalité approuve le Plan d’Amélioration Urbaine (PMU) de l’UA1 (Unité d’actuation 1), promu par la famille Ricart, qui est propriétaire du bâtiment industriel. Le PMU incorpore alors la sauvegarde d’un des hangars qui est alors occupé par l’association d’artistes « Hangar », mais continue à prévoir la destruction de la majorité des bâtiments qui forment l’ensemble. Au début du mois de décembre 2004 est approuvé le plan de reparcellisation de l’UA1, qui donne le feu vert à l’exécution du projet. Le propriétaire demande alors à demander aux entreprises présentes dans l’usine de quitter les lieux, afin de pouvoir commencer les démolitions prévues par le projet, acte qui va marquer le début d’un profond conflit entre la Mairie, les propriétaires, les associations, et la population. La première réaction de la population a été une manifestation au début du mois de janvier 2005, à l’appel des entreprises à qui il avait été demandé de quitter l’usine. En mars 2005, le groupe du patrimoine de Forum Ribera du Besos constitué en juin 2003 (Grup de patrimoni del Forum Ribera del Besos) présente une proposition de Plan de Patrimoine Industriel de Barcelone, qui propose de mettre en valeur le patrimoine industriel du quartier Poblenou en l’incorporant à la planification du projet 22@. Par ailleurs, au cours du printemps 2005, le même groupe présente une étude historique et archéologique de l’usine Can Ricart, qui démontre sa valeur patrimoniale1.
En s’appuyant sur ces documents, les
associations demandent à la municipalité que soient conservés l’ensemble des bâtiments de Can Ricart, mais la mairie s’oppose à modifier le projet parce qu’ils n’accordent pas de valeur patrimoniale à tous les bâtiments, et ils argument que le projet est trop avancé pour faire marche arrière. Les entités se rassemblent pour former la Plateforme de défense de Can Ricart
(Plataforma
Salvem
Can
Ricart),
et
commencent
une
importante
campagne de mobilisation et médiatisation, au moyen de portes ouvertes, appel à des manifestations, évènement culturels, entretiens avec des personnalités politiques, afin d’obtenir la préservation de l’usine. Suivant cette même logique d’action, le collectif de défense de Can Ricart fait une proposition de loi au Parlement de Catalogne, qui est approuvée en octobre 2005. Le secteur d’urbanisme de la mairie décrète donc la suspension des licences pour les bâtiments du quartier de Poblenou considérés comme ayant une valeur
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GRUP DE PATRIMONI INDUSTRIAL DEL FORUM DE LA RIBERA DEL BESOS - 25 mai 2005
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patrimoniale, afin que soient faites des études en vue de l’élaboration d’un plan de protection du patrimoine industriel. Oriol Clos, l’architecte en chef du projet 22@ présente en janvier 2006 un projet de préservation partielle qui ne satisfait pas entièrement les associations, car le projet ne prévoie toujours pas la conservation totale de l’usine Can Ricart. En avril 2006, la municipalité annonce que 70% de l’ensemble sera conservé, et que seuls seront détruits les bâtiments ne présentant pas de valeur historique. Quelques heures après la conférence publique, un incendie s’est déclaré à Can Ricart, détruisant partiellement deux bâtiments. (fig. 40) En juin 2006, plusieurs entités envoient une demande au directeur du patrimoine du gouvernement autonome de Catalogne pour que Can Ricart soit catalogué comme bien d’intérêt national (correspondant au niveau A de protection), afin que le bâtiment jouisse d’une protection maximale. Le plan du patrimoine prévoit quatre niveaux de protection allant de A à D, A caractérisant les biens ayant un intérêt national, B local, C ceux qui n’ont jamais été catalogués avant mais présentant un intérêt pour le secteur dans lequel ils se trouvent, et enfin D ceux qui présentent une valeur mais peuvent être déplacés. Can Ricart bénéficie du niveau B de protection, sachant que le niveau A n’est appliqué à aucun bâtiment de Poblenou. La municipalité approuve alors définitivement la modification PMU UA1 PERI Parc Central en décembre 2006. En mars 2007, le département de Culture du gouvernement autonome (Generalitat) rendait publique la procédure en cours pour que l’usine soit classée comme bien d’intérêt national. Fin octobre 2007, la mairie a commencé à procéder à la démolition de certains éléments, dont une partie était classée, ce qui a relancé la polémique à propos du manque de participation et de la surdité des institutions face aux demandes citoyennes, et la mobilisation de la société civile afin d’essayer d’interrompre les démolitions. b. De l’occupation légale à l’ « okupa » L’usine Can Ricart a été une des premières usines à accueillir des activités d’impression textile en Catalogne et une des premières à s’implanter dans le secteur de Sant Marti. Après les années 1920, les activités s’y sont diversifiées et des entreprises travaillant dans d’autres secteurs tels que la production de savons, ou un atelier travaillant dans le domaine des arts graphiques y ont successivement cohabité. En 1997 est venu s’y installer le collectif « Hangar », centre de production et recherche artistique crée par L’Association d’Artistes Visuels de Catalogne, qui est aujourd’hui un espace de création et de formation important. Quand le PERI Parc Central a été approuvé à la fin de l’année 2001, il y avait donc encore de nombreuses entreprises qui louaient les locaux de Can
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Ricart. Sur les 34 entreprises qui y étaient installées, seule l’association Hangar a été autorisée à rester dans l’usine après transformation dans le cadre du projet 22@. Seulement deux autres ont réussi à se déplacer dans le quartier Poblenou, quinze ont du se déplacer dans d’autres quartiers pour la plupart situés en dehors de la ville, et six ont du fermer. (fig. 41) Les associations et collectifs ont alors affiché leur incompréhension quant à la stratégie de la mairie concernant les évictions : « Ils sont en train d’expulser beaucoup de petites et moyennes entreprises du quartier, pour que les nouvelles puissent s’installer. Par conséquent des 130 000 emplois crées annoncés par le 22@, beaucoup existaient déjà, et ont été remplacés par d’autres. Le cas emblématique a été le cas de Can Ricart, où il y avait a peu près 35 entreprises et presque 250 emplois… ils ont tous été expulsés.»
1
« C’était un espace vivant, qui hébergeait une série d’activités considérées productives, ou qui avaient beaucoup de potentiel, beaucoup de vie commune, communautaire, et au final cet espace était menacé comme le reste du quartier de Poblenou. Pour eux ça a été un espace symbolique de défense. »2
Au début du mois de décembre 2006, le collectif d’artistes La Makabra3, qui avait été expulsé de son local le mois précédent, a commencé à occuper les locaux de Can Ricart, qui étaient alors vides et surveillés par quatre agents de sécurité. Ils ont été expulsés après deux semaines d’occupation, malgré l’intervention de Miloon Kothari, membre de l’ONU qui était venu sur place et avait dénoncé la situation de spéculation immobilière que subissait Barcelone, en soutien aux collectifs délogés. Peu après, la mairie a annoncé à la presse la démolition
de
certains
bâtiments.
L’occupation
de
lieux
désaffectés
(le
mouvement « okupa ») est actuellement un des mouvements revendicatifs du droit au logement à Barcelone qui prend de plus en plus d’ampleur, et qui est de plus en plus médiatisé. La tentative du collectif « La Makabra » pour se réapproprier les espaces de Can Ricart et y développer des activités artistiques ouvertes à tous (fig.42) aura sûrement permis de rendre plus visible la
1
Extrait de l’entretien avec Manel Andreu. Extrait de l’entretien avec Martha Pelayo. 3 « Collectif qui travaille pour la reconnaissance des espaces et activités artistiques, sociales, et culturelles en tout genre : scénographiques, plastiques, musicales, sportives, etc. » (source : www.lamakabra.org) 2
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négligence de la mairie quant à l’entretien des espaces de l’usine, qui depuis l’expulsion des entreprises qui en louaient les locaux, se dégradait à une vitesse beaucoup plus rapide. De plus, le soutien que d’autres entités ou collectifs on manifesté à la Makabra pour l’occupation de l’usine laissée à l’abandon a permis de relancer le débat public sur des problèmes plus larges tels que la forte spéculation immobilière favorisant l’apparition de « scandales urbanistiques », le manque de participation citoyenne dans les processus de transformation de la ville, ainsi que le manque d’espaces indépendants pour la création du à la disparition massive d’espaces créatifs. Le collectif Hangar avait annoncé à se sujet au début de l’année 20071 que près de 200 artistes devraient quitter le quartier au cours de l’année à cause de la fermeture de leurs ateliers. (fig. 43) Bien que la municipalité ait promu la création d’un réseau d’espaces pour artistes dans le cadre du Plan Stratégique de la Culture, ce projet n’en était alors qu’à un stade très peu avancé puisque il n’y avait encore aucune décision prise quant aux locaux choisis. c. La question du patrimoine : un urbanisme amnésique ? La question de la conservation partielle ou totale de Can Ricart a placé la question de la valeur du patrimoine au centre du débat sur la ville et sur la façon de faire l’urbanisme à Barcelone, comme le souligne le Groupe du Patrimoine industriel2 : « Can Ricart offre une opportunité unique de créer un nouveau style pour faire la ville, comme pièce clef d’une aire de nouvelle centralité culturellement enracinée, économiquement dynamique et socialement créative,
incontestablement
attractive
pour
les
locaux
et
les
visiteurs. » En première partie, j’ai traité de la polémique entourant le modèle Barcelone, caractérisé par un urbanisme basé depuis les Jeux Olympiques de 1992 sur de grandes manifestations comme moteur de la transformation de la ville. Ce modèle, avec le cas de Can Ricart, a été critiqué comme un modèle amnésique du passé industriel de Barcelone, comme l’ont expliqué plusieurs historiens, notamment Joan Roca qui a écrit que Barcelone avait renié son passé industriel3. Josep Maria Montaner, dans le même article, déclare :
1
BOSCO - 29 janvier 2007. TATJER MIR / URBIOLA DOMENECH - mai 2005 3 MONTANER - 25 février 2005 2
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« Nous avons créé une image fausse de la ville qui met en avant ses monuments modernistes tandis qu’elle occulte et détruit le tissu industriel et ouvrier qui a contribué au développement économique qui les a rendus possible » La société civile a souvent argumenté que la destruction d’une partie de l’usine représentait un danger pour la constitution de la mémoire collective historique de la ville, et que leur lutte pour la conservation de cet espace ne partait pas simplement d’une volonté sentimentale et conservatrice, comme le leur ont parfois reproché les institutions. « La perte de la mémoire historique est grave. Bientôt les jeunes en viendront à imaginer que Barcelone a toujours été cette ville tertiaire et de yuppies que certains paraissent désirer. Il restera à peine le souvenir de ce qui a fait la puissance de cette ville : l’industrie et les classes populaires. »1
Nous voyons qu’au travers de la lutte pour le patrimoine, l’enjeu a aussi été la critique d’un modèle voulant à tout prix donner une nouvelle image au quartier, au risque de mettre de coté son histoire, bien que le projet de renouvellement urbain ait été présenté comme respectueux du patrimoine et des activités existantes. La transformation urbaine passe donc par des processus qui peuvent apparaître contradictoires, puisqu’il s’agit à la fois de la recherche d’une image pour trouver une spécificité de la ville afin qu’elle se démarque dans un réseau de villes globales, et en même temps une perte de la mémoire de ce qui a fait la ville. Josep Maria Montaner décrit ce « traumatisme urbain » comme un trait caractéristique
du
développement
capitaliste,
en
le
définissant
par
« la
destruction systématique de la mémoire sociale constituée ; un processus d’effacement de la mémoire collective qui se produit dans des situations qui ne sont pas explicitement traumatisantes, sans conflits sociaux évidents, de façon lente et occulte comme conséquence du développement capitaliste des grandes villes. »2 Nous avons vu que grâce au travail produit par le Groupe du Patrimoine, certains éléments ont été incorporés à un plan de protection du patrimoine dans le projet 22@. Cependant, les difficultés qu’ont les habitants et les institutions à
1 2
CAPEL - septembre-octobre 2001, p11 MONTANER - 7-11 juillet 2004
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trouver une position commune concernant Can Ricart montrent que le projet 22@ s’inscrit dans la continuité d’un urbanisme fortement influencé par la spéculation immobilière et peu respectueux de l’existant : « Va-t-on trouver une solution qui incorpore ce grand district urbain au fonctionnement et à la mémoire du quartier, avec des nouveaux équipements et espaces publics, en sachant maintenir la structure, l’architecture et les rues de l’ensemble, ou, au contraire, tout cela vat-il se dissiper dans l’atmosphère amnésique et spéculative de la Barcelone contemporaine ? » 1
Dans le cas de Can Ricart, il est difficile de comprendre l’interêt qu’avait la municipalité à persister dans sa volonté d’en détruire une si grande partie, malgré les différents travaux qui ont été faits par les associations et divers professionnels montrant que l’intérêt résidait dans la conservation de l’ensemble, et qu’en plus il était possible de construire autant que ce que voulait la mairie, tout en conservant l’ensemble, comme me l’a expliqué Zaida Muxi lors de notre entretien: « la Plateforme pour Can Ricart avait parlé plusieurs fois avec les propriétaires, (…) ils disaient s’il faut conserver on conserve, en plus ils n’avaient pas forcément envie de détruire le patrimoine de leurs grands pères et arrières grand pères(…) et dans ce que nous avons fait, qui pourrait être un schéma de bâtiments, nous voulions juste démontrer qu’on pouvait construire autant sans détruire les usines, il aurait fallu prendre plus de hauteur mais il y a un parc en face, il y avait de l’espace pour le faire(…). D’autant plus que l’architecture qu’ils proposaient a toujours été très banale, c’est une architecture de petites boites de verre, (…) tu peux la trouver n’importe où dans le monde, ça n’a aucun charme. »1
d. Une participation spontanée, évolution de la résistance citoyenne Nous avons vu autour de quels thèmes le conflit à propos du devenir de Can Ricart s’était développé, les débats qu’il avait suscité, et les différentes étapes des relations entre les institutions et la société civile.
1
Extrait de l’entretien avec Zaida Muxí.
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Je vais maintenant expliquer plus en détail comment par une forte résistance au projet de 22@bcn S.A. et grâce aux différents travaux développés, les associations ont réussi à obtenir une plus grande conservation de l’enceinte industrielle. Je vais aussi m’intéresser à la façon dont la situation de tension a pu faire émerger une évolution du projet architectural, ainsi que la question des futurs usages de Can Ricart. - de la démolition totale à une préservation timide Comme je l’ai signalé auparavant, le premier projet reconfigurant l’espace de Can Ricart a été le PERI Parc Central approuvé en 2001, qui prévoyait de ne rien garder de l’ancienne usine. Nous pouvons constater l’ampleur des démolitions que le projet initial supposait en comparant le schéma des bâtiments existants avec le schéma du PERI Parc Central de 2001. (fig. 44 et 45) Le rapport de présentation du PERI de 2001 précise que selon les prévisions de la MPGM, les opérations de transformation impulsées par le secteur public « doivent agir comme des moteurs pour la transformation du quartier, (…) de lieux émergents identifiables que aident à la lecture de cette partie de la ville, (…) avoir une incidence dans la transformation des aires industrielles existantes qui, de par leur caractéristiques, doivent se développer de manière progressive et en s’adaptant aux éléments préexistants, afin de ne pas produire d’incidents traumatisants pour les usages actuels »1. Ce même document décrit le projet proposé :
« Le plan spécial valorise la superposition de la morphologie de grandes pièces d’origine industrielle,(…) avec la macrostructure des rues de l’extension de Cerdà, et propose une mécanique de substitution de volumes, selon le tracé de la décomposition actuelle des complexes industriels du parcellaire existant, en créant à l’intérieur des espaces libres, de nouvelles relations et accessibilités, et en valorisant les anciens passages (…) Pour la base de cette dynamique
de
substitution
sont
proposées
des
hauteurs
de
construction variant entre R+3 et R+7, reliées par des petits espaces publics. (…) L’agencement de l’ensemble propose un traitement de la façade sur le Parc Central. »
1
Pla especial de reforma interior del sector Parc Central de la MPGM per a la renovació de les àrees industrials del Poblenou, aprovació definitiva, districte d’activitats 22@bcn, Barcelone, septembre 2001.
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Mis à part les pourcentages obligatoires de rétrocession foncière à la municipalité prescrits par le règlement du projet 22@, il y est aussi précisé que les propriétaires ont le devoir de reloger les occupants de logements devant être démolis, et de prendre en charge les dépenses dérivées de la suppression des usages qui ne sont plus admis et des usages ou activités qui doivent cesser. L’ « association de propriétaires du PERI Parc Central » a présenté un projet d’intervention élaboré par l’agence d’architecture Alonso et Balaguer au début de l’année 2005. Le «Parc Central des Affaires » proposé avait pour objectif de créer un environnement propice à promouvoir toute sorte d’activités liées au monde de l’entreprise. Basé sur les recommandations du PERI Parc Central de 2001 ainsi que sur le Plan Spécial d’Amélioration Urbaine de l’UA1 du PERI Parc Central datant de 2003 le projet précisait qu’il prévoyait « la récupération des éléments architecturaux les plus emblématiques de l’ensemble Can Ricart », c'est-à-dire la Tour de l’Horloge, un hangar annexe, la cheminée et un autre hangar, en plus de conserver le tracé original accentué par la disposition des nouveaux bâtiments. (fig. 46) - la lutte pour la conservation et la redistribution des usages La menace de démolition et d’expulsion des activités a donc été l’élément déclencheur du mouvement des habitants pour la sauvegarde de Can Ricart, et a débouché sur une première proposition alternative du Groupe du patrimoine de Forum Ribera du Besós1 en avril 2005, en collaboration avec les architectes Josep Maria Montaner et Zaida Muxí. Le premier argument avancé pour justifier la légitimité de la proposition alternative était que la proposition d’intervention était basée sur des critères élaborés cinq ans auparavant, quand la question du patrimoine du quartier n’était pas encore intégrée dans le débat, et qu’aucune étude historique ni architecturale n’avait été élaborée pour appuyer les critères d’intervention. La première critique visait le manque d’attention à la position stratégique qu’occupait Can Ricart en relation avec l’environnement urbain. De par sa position centrale, sa relation avec le parc attenant et l’avenue Diagonale, la proposition alternative proposait un « élément articulateur de la polarité des arts dans Poblenou », (fig. 47) pouvant être le portail d’entrée pour un « axe patrimonial » formé par la rue Pere IV. La proposition se basait sur la remise en question des aires de nouvelle centralité proposées par les modèles de la place
1
Groupe rassemblant différentes associations d’habitants, des coopératives, des collectifs de défense, ainsi que la fédération d’association d’habitants de Barcelone [http://forumriberabesos.net/antiga/]
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Gloriès et du quartier Diagonal Mar – Fòrum à cause de leur manque de relation avec le tissu social et urbain formant leur environnement :
« L’aire de nouvelle centralité proposée doit être aussi nouvelle dans sa définition, en incorporant, entremêlées, des activités de différentes échelles d’attraction (de voisinage, municipale, métropolitaine) et de différents types (productif, commerce et services, culturel). »1 Concernant la valeur des usages et la disposition spatiale, la proposition alternative de 2005 (fig. 48) se voulait de suivre une logique de conservationtransformation, afin de ne pas détruire un tissu social existant, de conserver un patrimoine considéré comme important pour la ville, et reconnaissant la nécessité de s’adapter au monde des nouvelles technologies et aux nouveaux enjeux soulignés par les intentions du projet 22@. Les sept principes marquant la proposition étaient décrits comme tels : - Conserver la majorité de l’enceinte industrielle formée par un système de hangars, rues et places. - Compléter la trame Cerdà sur la rue « Marroc » par des immeubles de logement. - Construire plus dans la zone située à l’extrême sud du périmètre d’intervention, en créant une zone plus dense tout en conservant les bâtiments industriels. - Renoncer à ouvrir la rue « Bolívia » afin de ne pas favoriser le trafic des véhicules,
et
favoriser
les
parcours
piétons
à
l’intérieur
du
périmètre
d’intervention. - Mettre en relation la façade avec le Parc Central de Poblenou, et favoriser une intervention
permettant
la
pénétration
du
parc
Central
dans
l’enceinte
industrielle, au moyen d’une disposition perméable des bâtiments. - Croître. Le système de bâtiments industriels est basé sur des formes permettant la croissance, et ayant la possibilité de s’adapter à de nouveaux usages. La proposition se base donc sur l’idée d’arriver à créer un ‘cluster’ qui perpétue la morphologie de l’enceinte industrielle initiale et exprime les trois strates du palimpseste urbain : l’ancienne structure industrielle de cluster, la structure de la ville rationnelle et répétitive de Cerdà, et le 22@ avec la nouvelle structure de la Diagonale et du Parc Central.
1
GRUP DE PATRIMONI INDUSTRIAL DEL FORUM DE LA RIBERA DEL BESOS - 25 avril 2005
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La proposition alternative venait donc tout d’abord renforcer un des principes de base du 22@ qui consistait à implanter de nouvelles activités en reconstruisant la ville sur l’existant, principe qui n’était que peu présent dans les premières propositions municipales. D’autre part, elle venait souligner un facteur important qui jusque là n’avait pas été pris en compte, le facteur social, qui était ici représenté par la conservation de la mémoire ouvrière collective et le maintien des activités existantes qui auraient pu être compatibles avec l’implantation de nouvelles activités. Cette proposition démontrait qu’il était possible de combiner les usages prescrits par la mairie ainsi que la qualification du sol avec la préservation des bâtiments industriels. La force de cette proposition résidait aussi dans l’intégration d’une plus grande surface d’espaces verts, correspondant à la volonté de recherche d’un espace réellement public et ouvert à tous.
- Le projet définitif, les premières démolitions fin 2007 Le projet a continué à évoluer au cours de l’année 2006, marquée par des incendies dont l’origine était souvent incertaine, l’occupation de Can Ricart par le collectif « La Makabra », et l’approbation définitive du projet à la fin de l’année. Suite à la modification du Plan d’Amélioration Urbaine de l’UA1 du PERI Parc Central publiée au cours de l’année 2006 (fig. 49), les associations ont à nouveau formulé une réponse, tout en critiquant la manière dont l’administration prétendait
mettre
en
place
une
situation
de
participation.
La
réponse
s’accompagnait d’un manifeste, soulevant divers points quant aux thèmes de la participation. Tout d’abord, les associations ont reproché à la municipalité de ne leur communiquer les modifications du projet qu’une fois qu’ils étaient acceptés, montrant que les intentions des institutions quant au thème de la mise en place de la participation s’en voyaient remises en question. La question de la temporalité a également été soulevée, questionnant la temporalité des processus participatifs, qui ne correspondait pas à la temporalité de la transformation rapide de la ville. Ensuite, les associations ont déploré que la dimension participative soit largement tournée vers les entreprises du secteur immobilier, et non vers les citoyens, pour qui la dite participation s’était limitée à de l’information qui « arrivait souvent trop tard ». Revenant au thème de la sauvegarde du patrimoine, ils défendaient le fait que le conflit ait généré un débat sur cette question, en adoptant une position tournée vers le devenir du quartier et de la ville. La volonté de la municipalité d’installer à Can Ricart la « Maison des Langues » pour y placer une exposition qui avait été présentée au Forum, a suscité la critique du collectif de défense ainsi que des associations, qui ENSAPLV _ 2007 // 2008
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revendiquaient depuis un certain temps un Musée du Travail. Ils déploraient également que les équipements planifiés ne soient pas davantage en accord avec les besoins du quartier. Les allégations1 à la modification du Plan d’Amélioration urbaine de l’UA1, présentées en juillet 2006, détaillaient point par point la critique visant la nouvelle proposition de la mairie. Le document était accompagné d’une nouvelle proposition venant de la société civile. (fig. 50) Parmi les points les plus importants, je citerais la critique visant le manque de préservation et la construction de bâtiments neufs à des emplacements portant préjudice à la lecture des bâtiments de l’usine comme ensemble, menant à « la désarticulation du système industriel » ; la destruction de certains éléments reconnus pour leur valeur historique et architecturale mais ne bénéficiant pas d’un niveau de protection suffisamment élevé ; une proposition d’usages peu ambitieuse par rapport
au
potentiel
« civique »
que
présentait
l’espace.
Aux
yeux
des
associations, de par sa position privilégiée dans la ville, l’enceinte de Can Ricart se devait de maintenir des usages exclusivement publics afin de devenir « une nouvelle centralité locale, métropolitaine et globale. » Le dernier point du document demandait l’ouverture d’un processus participatif, afin « d’exploiter au maximum (…) les possibilités de la planification pour
devenir
un
outil
de
communication,
d’implication
citoyenne,
d’épanouissement individuel et collectif ». Malgré la forte résistance citoyenne au projet tel qu’il était présenté, la municipalité a commencé à détruire une partie des bâtiments tel que prévu dans le projet de 2006, avec l’accord de la Generalitat dont les citoyens attendaient encore la décision quant au niveau de protection visant à classer le bâtiment comme bien d’intérêt national. Le 30 décembre 2007, la presse publiait la nouvelle que l’architecte Benedetta Tagliabue, de l’agence EMBT (Enric Miralles et Benedetta Tagliabue) réhabiliterait Can Ricart en ‘Maison des Langues’. Le principal terrain de lutte des associations pour son maintien sera probablement la question des usages, qui bien que préconisés, sont peut-être encore sujets à changement. Nous pouvons noter un point positif du grand effort citoyen qui a été fourni afin de lutter pour la préservation de Can Ricart en regardant le projet approuvé à la date de janvier 2008. (fig. 51) En effet, même s’il ne suit pas toutes les recommandations des associations et divers groupes et collectifs, la comparaison 1
Document présenté par les Archives Historiques de Poblenou, l’Association d’Artistes Visuels, la Fondation Hangar, l’Association d’habitants de Poblenou, la FAVB, Le Groupe du patrimoine industriel Forum Ribera Besòs, un groupe de l’Université de Barcelone, la Société Catalane d’Histoire des Sciences et Techniques, le président de ‘The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage, et la vice-présidente de l’Association du Musée des Sciences et Techniques et de l’Archéologie industrielle.
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avec le projet du PERI Parc Central initial
parle d’elle même : malgré la forte
situation de tension apparue depuis le début du débat, l’ensemble industriel profité d’une plus grande attention, et certaines idées qu’ont défendus les habitants ont été intégrées au projet. « Si pour l’instant Can Ricart reste tel quel, avec ce que propose la mairie, eh bien ça sera déjà une victoire parce que nous avons réussi à ce que pas mal d’éléments soient conservés. (…) C’est comme je disais, la mobilisation arrive à changer les choses jusqu’à un certain point, parfois tu perds, parfois tu gagnes. »1 Je
pense
qu’il
est
important
de
souligner
que
cette
participation
« spontanée » a pu se construire grâce à la résistance des citoyens, la multitude d’acteurs qui se sont impliquées, ainsi qu’à la force déployée pour toujours être dans la proposition, et non seulement dans la négation. Cependant, le cas de Can Ricart montre le travail qui reste à faire du coté de la municipalité pour passer d’un discours sur la participation à une application réelle de la participation. Enfin, il faut espérer que la grande énergie que la société civile a démontré tout au long du processus ne va pas se disperser, et influencera tant les associations que les institutions pour donner un nouveau souffle à leurs modes d’action, et initier un débat encore plus général sur le devenir de la ville face à un contexte propice au conflit.
1
Extrait de l’entretien avec Manel Andreu.
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CONCLUSION
J’ai essayé d’aborder au fil de cette étude les aspects caractéristiques de la présence d’un conflit entre la dimension globale et la dimension locale de l’urbain, en m’appuyant sur la supposition que ce conflit pouvait avoir une incidence sur la notion de participation citoyenne dans le domaine de l’urbanisme. Le but de ma recherche était de comprendre et analyser, au travers de l’étude de conflits apparus dans le cadre de l’opération de renouvellement urbain engendrée par le plan 22@ à Barcelone, comment la participation mise en avant par les institutions avait été mise en place, de quelle façon la résistance citoyenne avait pu façonner le projet, ainsi que les thèmes de débat soulevés par l’apparition de conflits. Nous avons vu comment les politiques de la ville, confrontées aux enjeux de l’internationalisation, s’étaient basée sur des actions cherchant à vendre la ville, et avaient par là même accordé un nouveau rôle au citoyen, lui conférant un statut de consommateur. L’étude de la politique de la ville Barcelone, jeune démocratie puisqu’elle n’est sortie du franquisme que depuis la fin des années 70, montre comment les politiques
ont
suivi
un
processus
accéléré
tendant
vers
la
volonté
de
globalisation. Limitée par ses moyens car meurtrie par une longue période de dictature, la ville s’est d’abord construite dans l’urgence et grâce à une forte participation citoyenne, puisqu’elle devait combler les carences résultant de la politique totalitaire et qu’elle connaissait une liberté nouvelle. Une fois la situation d’urgence passée, elle est revenue à un mode de développement qui la caractérisait déjà au début du XXème siècle, et qui consistait à s’appuyer sur de grandes manifestations pour se renouveler, se reconstruire, se consolider. Cependant, le changement de conjoncture mondiale a été un élément qui a profondément influencé une façon d’agir qui se voulait modèle, en recentrant les ambitions de la ville vers des ambitions plus globales. De plus, le secteur public qui était à la base le principal acteur des transformations a de plus en plus cherché la coopération avec le secteur privé, afin d’acquérir des financements pouvant couvrir les dépenses dues à l’ampleur des interventions. Il est difficile de savoir précisément quand a eu lieu cette inflexion dans le mode d’action politique, certains considérant que le changement s’était produit à partir des
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Jeux Olympiques de 1992, d’autres un peu avant l’opération de rénovation liée au Forum de 2004 ; toujours est-il que le secteur privé a petit à petit acquis toujours plus de pouvoir dans les décisions urbanistiques, jusqu’à en arriver à une situation aujourd’hui très critiquée, et paraissant limiter les possibilités d’action de la municipalité. Cette implication croissante des grands groupes immobiliers, associée à une politique du logement social et locatif ayant des difficultés à se mettre en place, a eu des conséquences sur la qualité de vie des habitants de Barcelone. En effet, ce n’est plus exclusivement la population la plus vulnérable qui est touchée par la question de l’accessibilité au logement, mais également d’autres catégories de population plus aisées. Nous pourrions résumer ainsi les secteurs qui ont eu une influence sur la conception de la ville : le secteur des groupes immobiliers et investisseurs, le secteur de la municipalité, le secteur du gouvernement autonome, le secteur du tourisme, et enfin le secteur associatif et de la société civile. Au discours institutionnel d’une politique participative, réglementée, et d’une ville cherchant toujours à plaire à ses habitants, vient s’opposer le discours critique des habitants quant au manque de participation réelle, à l’abandon de la ville aux mains des pouvoirs privés et au tourisme de masse. Malgré tout, les répercussions positives de l’existence de regards divergents et du fait que Barcelone soit une ville perpétuellement en transformation, ont été que l’urbanisme est un thème au cœur du débat public, et fait partie des préoccupations quotidiennes d’une grande part de la population. Je pense que le réseau associatif consolidé a largement contribué à favoriser ce débat, puisqu’il est amené à suivre l’évolution de la ville au jour le jour, en essayant de mobiliser la population lorsque cela est nécessaire. Les revues publiées par les associations de quartier, et particulièrement la revue « La Veu del Carrer », publiée par la FAVB, commentent et critiquent de façon permanente les actions menées sur la ville par les différents acteurs. La difficulté que rencontre la participation citoyenne à s’organiser est due à différents facteurs, parmi lesquels je pourrais citer : un foisonnement de structures associatives, qui constituent une richesse, mais qui présentent un réel besoin de coordination entre elles et de renouveau dans leur méthodes de travail ; un discours politique sur la participation réglementée et obligatoire, qui a du mal à se concrétiser dans la pratique, mettant en doute la question de la volonté d’une participation réelle ; la complexité des processus de transformation ENSAPLV _ 2007 // 2008
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urbaine ; le manque de reconnaissance de la valeur des savoirs citoyens issus de l’expérience. Face à ces obstacles, un constat commun peut être malgré tout dégagé des discours de politiciens, citoyens, et professionnels de la ville : la participation dans le domaine de l’urbanisme est confrontée à un dysfonctionnement dans la manière de faire la ville, ce que je caractériserais par l’existence d’une convergence d’intérêts difficilement compatibles. Le besoin d’un projet commun et partagé par les différentes entités se fait de plus en plus ressentir, et les énergies qui se dégagent des mouvements citoyens de résistance pourraient être une voie envisageable pour concentrer ces divergences vers l’intérêt commun et collectif. Une approche plus détaillée de deux des « fronts de résistance » citoyens dans le cadre du plan 22@ m’a permis de comprendre comment, face à un manque de participation « institutionnalisée », s’était constituée une participation plus spontanée, dont la caractéristique a été d’ouvrir le débat public sur des thèmes relatifs à la transformation urbaine. Le cas de Can Ricart en particulier, a montré comment la société civile avait réussi à se rassembler autour d’un projet commun, qui a su se réajuster en fonction de l’évolution de ses relations avec la municipalité et les acteurs porteurs du projet, tout en continuant à maintenir ses positions sur des thèmes qu’elle considérait majeurs dans sa recherche de l’intérêt commun. Il a aussi démontré que malgré ses réticences initiales, la municipalité a tout de même modifié le projet sous la pression citoyenne. Bien que le projet n’ait pas aboutit à une solution entièrement satisfaisante pour les associations, ces dernières sont tout de même parvenues à obtenir la satisfaction de certains des thèmes qui leurs paraissaient primordiaux. Cependant, ce cas illustre le décalage entre la réglementation et la pratique de la participation à Barcelone, et montre que bien que la participation soit de plus en plus intégrée à la politique, elle est encore loin d’être systématique, surtout dans des situations impliquant une multitude d’acteurs. J’ai par ailleurs essayé d’expliquer en quoi le discours développé grâce aux différents mouvements citoyens s’est caractérisé par une vision plus globale que le discours développé par la municipalité car il a permis d’incorporer au débat différents thèmes tels que la précarité, l’accessibilité au logement, la réactivation de l’économie et l’économie créative, la question de la substitution sociale et du ENSAPLV _ 2007 // 2008
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rejet de la population à la périphérie des villes, et enfin la question de la préservation du patrimoine et de la mémoire collective. Il a permis d’ajouter au discours sur le renouvellement urbain des questions sociales, qui sont encore très dissociés des aspects économiques et urbanistiques dans les discours municipaux. Je pense, malgré un contexte différent, que ce travail m’a également permis de réfléchir au renouvellement urbain en France. Bien que les enjeux ne correspondent pas tous aux enjeux barcelonais, je considère que la nécessité de mettre en place une participation réelle serait un moyen de penser le renouvellement des villes de façon plus harmonieuse avec l’environnement social, plus en accord avec une réalité qui est souvent déformée par la façon dont
elle
est
communiquée.
Cette
façon
d’agir
nécessite
forcément
la
reconnaissance d’un « savoir citoyen », issu de leur expérience et de la pratique de leur environnement, qui pourrait être intégré comme outil à part entière du projet d’urbanisme et d’architecture. Le décalage entre les volontés des habitants et les aspirations des institutions que nous avons vu dans ces cas précis à Barcelone, exprime une fracture qui reflète la crise de nos systèmes démocratiques, ainsi je suppose qu’il est temps que nous cherchions à approfondir cette démocratie, en la recentrant sur ce qui fait la base de la démocratie, c'est-à-dire le peuple.
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INDEX DES ILLUSTRATIONS
I – UN URBANISME MODÈLE DEPUIS LE PASSAGE A LA DÉMOCRATIE ?
Figure 1 : Le Plan Général Métropolitain de 1976 Figure 2 : Les quatre secteurs d'intervention des Jeux Olympiques Figure 3 : La récupération du front de mer dans les années 1990 Figure 4 : La transformation de Poblenou depuis la transition démocratique Figure 5 : Entreprises reliées à l’industrie de l’armement participant au Forum. Figure 6 : Le Forum et son esplanade
II – UNE MISE EN PRATIQUE DE LA PARTICIPATION DIFFICILE ?
Figure 7 : évolution du régime d'occupation des logements principaux à Barcelone Figure 8 : Parc de logement social en Europe Figure 9 : Part des ménages avec/sans charges financières dues aux coûts de logement Figure 10 : Evolution du nombre de logements vacants à Barcelone 1991 – 2001 Figure 11 : Variation annuelle des prix du marché de logements à Barcelone 1998-2006 Figure 12 : Evolution des prix (euros) du logement et des salaires en Catalogne, 1998-2006 Figure 13 : « voilà mon royaume ! » Figure 14 : manifestation à l'appel du collectif V de Vivienda Figure 15 : les vainqueurs olympiques Figure 16 : Evolution des équipements hôteliers à Barcelone 2000 - 2004 Figure 17 : Evolution des équipements culturels à Barcelone 2000 - 2004
III – LE QUARTIER POBLENOU : LE RENOUVELLEMENT URBAIN A L’EPREUVE DE LA PARTICIPATION
Figure 18 : Situation et limites du quartier Poblenou Figure 19 : Evolution urbanistique du quartier Poblenou Figure 20 : L'extension prévue par le Plan Cerdà de 1859 dans le quartier Poblenou Figure 21 : La situation d’enfermement de Poblenou Figure 22 : Photo du "Camp de la Bota", les bidonvilles sur le front de mer Figure 23 : Image du Plan de la Ribera dans les années 60
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Figure 24 : Le triangle de rénovation du nord-est de Barcelone Figure 25 : La place Gloriès et la Tour Agbar, nouvel emblème du plan 22@ Figure 26 : Les six Plans Spéciaux de Rénovation Intérieure (PERI) d'initiative publique Figure 27 : Exemple de transformation sur un ensemble d’îlots. Figure 28 : Le principe de densification et de l'augmentation du COS Figure 29 : état d'avancement de la construction de logement social en mai 2007 Figure 30 : Structuration de l'espace 22@. Moteurs de transformation Figure 31 : état d'avancement des équipements, mai 2007 Figure 32 : modification du plan spécial de protection du patrimoine architectural, 2006 Figure 33 : le contraste entre l’ancien et le nouveau dans Poblenou Figure 34 : situation de la rue Llacuna et de l’usine Can Ricart.
Figure 35 : Le PERI Llacuna avant et après modifications Figure 36 : couvertures de la revue « El Poblenou »
Figure 37 : Construction progressive de Can Ricart Figure 38 : Repérage et analyse du bâti de Can Ricart Figure 39 : délimitation des UA1 et UA2 du PERI Parc Central Figure 40 : photo de l’incendie à Can Ricart Figure 41 : Les victimes du 22@ Figure 42 : flyer Abra Makabra Figure 43 : situation des ateliers d’artistes dans Poblenou, 29 janvier 2007.
Figure 44 : schéma des bâtiments de Can Ricart Figure 45 : schéma PERI Parc Central en 2001 Figure 46 : schéma de la proposition de la Mairie entre 2003 et 2005 Figure 47 : axe articulateur de la polarité des arts Figure 48 : proposition alternative de mai 2005 Figure 49 : PMU UA1 2006 Figure 50 : proposition alternative de juillet 2006 Figure 51 : Planification prévue, janvier 2008
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ANNEXES
- CONFERENCE D’ORIOL CLOS, architecte en chef de Barcelone : « L’urbanisme barcelonais, petite histoire récente, développements et projets actuels » Atelier Projet Urbain n°34, « Nouvelles centralités, quels modèles ? »[20 et 21 septembre 2007, Barcelone] - ENTRETIEN AVEC PEP MARTI, membre de la FAVB, Fédération d’association de voisins de Barcelone. [26.10.2007, Barcelone] - ENTRETIEN AVEC MANEL ANDREU, président de l’association de voisins du quartier Poblenou. [02.11.2007, Barcelone] - ENTRETIEN AVEC ZAIDA MUXI, architecte – urbaniste, professeur à l’école d’architecture de Barcelone (ETSAB). [09.11.2007, Barcelone] - ENTRETIEN AVEC FERNANDO PINDADO, sous-directeur de la participation dans le milieu local au gourvernement régional. [19.11.2007] - ENTRETIEN AVEC MARTHA PELAYO, urbaniste, membre du collectif « Repensar barcelona » et d’autres collectifs de réflexion sur la ville et la participation citoyenne. [28.11.2007, Barcelone]
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CONFERENCE D’ORIOL CLOS (EN FRANÇAIS), CENTRE DE CONVENTION INTERNATIONAL DE BARCELONE (CCIB), BARCELONE. [20 ET 21 SEPT.2007]
Introduction A. Masboungi : Oriol Clos est architecte urbaniste, alors on en parlera demain il y a vraiment 2 tendances dans cette ville, il y a les enfants de Bohigas, et il y a les enfants de Sola-Morales, dont il fait partie. Il a travaillé longtemps avec Solà-Morales, et il représente un cas un peu particulier, parce qu’ici il y a beaucoup de perméabilité entre le public et le privé, donc les gens passent souvent du public au privé, Oriol lui a fait exactement le parcours inverse, il est passé du privé au public. Quand il travaillait avec Manuel (SolàMorales), ils ont fait ce fameux « Moll de la Fusta », que tous les français ont beaucoup admiré, puisque c’était une magnifique résolution d’un problème viaire, et qu’aujourd’hui malheureusement la ville de Barcelone a un peu démantelé. Nul n’est parfait. Il est également architecte, il a notamment réalisé des très jolies choses, dont le réaménagement d’un bâtiment qui est devenu le musée Dali a Figueras. Oriol, qui a été enseignant, a été recruté par la ville pour travailler sur 22@, donc il est vraiment à l’origine de la pensée de ce projet, ensuite il est devenu architecte en chef-urbaniste de la ville – directeur de l’urbanisme, et il succède à des gens considérable, comme d’abord Oriol Bohigas, suivi de Joan Busquets, puis « Josep Basilio » qui est encore très présent dans cette ville puisqu’il dirige Barcelona regional. Donc c’est une très lourde tache, Oriol, est ce que tu peux nous dire ce que c’est que ce métier qui m’a beaucoup frappée, puisque ce n’est pas comparable à un directeur d’urbanisme en France, d’autant que tu diriges également le lien avec le transport, c’est une chose que nous ne connaissons pas très bien en France, et qui est assez importante au moment où l’on parle de la ville durable. Oriol Clos : Bonjour, merci de votre présence. Je vais tacher de répondre à une question presque impossible. Comme directeur d’urbanisme je dirige un service, qui est une partie de ce qu’on appelle le secteur d’urbanisme, c’est un des secteurs central de la ville, ce service est formé a peu près formé par 70 personnes. Il y a le service de planification, le service de projet urbain, c'est-à-dire de l’aménagement surtout de l’espace public et de l’architecture surtout qui est propriété de la ville. Comme en architecte en chef, j’ai disons un droit ou une obligation de travailler d’une manière plus croisée sur tous les services de la ville qui ont une certaine relation avec ce qu’on appelle l’architecture et l’urbanisme, dans un sens très large. Dans la ville il y a 10 arrondissements avec ses propres services techniques et autres secteurs centraux, et c’est là un travail de coordination parfois un peu compliqué qui n’est pas facile à régler mais que l’on tache de faire avancer. C’est dans cette ligne que je ne dirige pas directement la mobilité mais je tache d’avoir et j’ai une très bonne relation avec les services de mobilité pour vraiment trouver la manière d’avoir un lien étroit entre tous les problèmes de mobilité associés à une ville comme Barcelone et les problèmes de l’urbanisme et de la pensée urbaine.
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Si vous permettez je vais tacher aussi d’expliquer d’un peu plus près ce que nous sommes en train de faire à Barcelone, quel est l’état d’aujourd’hui. Je parle du présent parce que quand on parle de projet c’est une manière de parler du futur. C’est pour ça que parfois je n’aime pas beaucoup parler du passé, ce n’est pas dans ma nécessité, je le connais, j’y ai participé, on l’a déjà expliqué. Quand on parle de Barcelone, je voudrais expliquer aussi qu’est ce que c’est exactement Barcelone. Il y aurait cette version de Barcelone, une version métropolitaine de Barcelone, on est en train de parler de 4 millions et demi d’habitants, de 600m² de surface, et de la Barcelone du centre (municipalité). Ca pourrait être une Barcelone, c’est une discussion je crois qu’on pourra avoir plutôt demain, les relations qui peuvent s’établir, et le fait métropolitain comme une des valeurs qui puisse aider à l’évolution d’une ville comme Barcelone qui a une vocation comme on l’a dit d’être une ville-monde, une ville d’une certaine catégorie. Je crois que je dois aujourd’hui concentrer l’explication sur Barcelone a disons une autre taille, qui n’est pas non plus celle de la municipalité, mais qui a des références physiques qui sont assez claires, c'est-à-dire on tient directement à une certaine réalité physique à une certaine géographie, historique aussi, socio-économique bien sur, et qui a été définie par ce qu’on appelle « la ville entre deux rivières ». Quand on parle de rivière ici c’est plutôt de l’eau qui coule parfois, mais ça sert a expliquer cette idée de cadre géographique très bien défini par une petit montagne (Tibidabo). C’est dans ce cadre qu’on peut trouver une manière d’avancer une discussion qui permette de mettre sur la table beaucoup d’éléments, de différentes échelles, de différente importance, mais qui se retrouvent un peu dans une certaine cohérence. En ce moment vous avez 13 municipalités, ou parties de municipalités. La rocade (ronda) donne le tour de Barcelone, et a été faite en 1992. C’est un peu ce qui est mis en relation par la ronda, le port est juste à coté, les grands éléments d’infrastructures, qui permettent à cette ville de travailler dans cette mentalité de capitale, mais qui n’ont pas disons l’emprise métropolitaine. C’est pour ça, pour expliquer cette réalité physique, qu’on a cru intéressant de faire cette maquette de 200m² qui est dans l’exposition, au 1/1000, qui explique cette ville, cette ville entre 2 rivières, entre la montagne et la mer, cette ville qui a même une couleur, avec la pierre de Montjuic qui a été utilisée pour construire une ville au 19eme siècle, très puissante, très importante, sur ce quadrillage magnifique du plan Cerdà, qui était un grand écrivain espagnol de Barcelone, qui a dit une fois « cette ville restera pour toujours un très beau accident géométrique ». Et c’est vrai, c’est une réalité. C’est toujours une manière de donner cette référence à tous les habitants de Barcelone, et par extension a tous ceux qui nous visitent, dans cette exposition que vous verrez tout a l’heure. C’est sur cet accident géométrique qu’il faut je crois avancer et réfléchir. Pour cadrer un peu, voici un message qui je crois est assez important. C’est un message de continuité. Il ENSAPLV _ 2007 // 2008
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y a des étapes bien sur, il y a des phases, il y a des inflexions, mais je crois qu’on peut dire d’une manière assez claire qu’il y a une continuité, il n’y a pas de rupture dans l’évolution de cette ville, et même si on va plus loin. Vous pourrez peut être voir ici ces premières opérations d’espace public, qui caractérisent ce moment jusqu’à la nomination des jeux olympiques. C’est une action publique sur le territoire, c’est la municipalité qui fait ce genre d’action, et c’est en tout cas une organisation centralisée. La mairie à ce moment était unique, il y avait les arrondissements mais ils n’avaient pas de pouvoir. Les jeux olympiques présentent un changement d’échelle très important. C’est un peu cette rupture provoquée par ce changement d’échelle qui nous a amené aujourd’hui dans une discussion ou on ne parle plus d’une manière si forte d’espace public mais plutôt de tissu urbain, qui bien sur, traite aussi de l’espace public, mais c’est un niveau de complexité un peu plus élevé. Ca nous rapporte directement a une gestion ou il doit y avoir une relation public/ privé indispensable. C’est un peu ce travail de concertation public/ privé qui ont fait avancer tout ce genre de projet, et surtout une structure organisatrice de la ville décentralisée. Les 10 districts prennent un pouvoir technique et politique qui est important et qui marque la manière d’avancer. Aussi, on a parlé d’opportunités. C’est toujours autour de l’idée d’opportunités urbaines que se développe Barcelone, et que se développent je dirais la plupart des villes du monde qui ont un certain intérêt. C’est savoir vraiment trouver les opportunités, dans une première étape avec l’espace public, dans une deuxième les nouvelles centralités, les projets urbains d’une certaine taille, cette polarisation sur certaines espaces qui est toujours associée à une idée d’opportunités. Ce n’est pas le grand plan, le plan qu’on a, qui date de 1976, ça fait déjà plus de 30 ans. C’était utile, il nous sert pour avancer, mais ce n’est vraiment pas une référence cyclique pour définir la stratégie de la ville. C’est pour ça que, après ce changement d’échelle de 1992, ou l’infrastructure comme base de la ville est posée avec la ronda etc, ou on retrouve d’une manière claire un discours de la relation de la géographie physique de la ville. On va récupérer le contact de la ville avec l’eau, c’est vraiment la recherche de ce contact, qui n’est pas encore fini puisque le bout du forum attend l’aménagement définitif. Même le port s’est transformé avec la nouvelle construction. C’est cette idée de travailler vraiment sur le contact vers l’eau, et les rocades nous donnent une taille, une dimension, un contact avec la partie haute de la ville, le vert dont on va parler tout à l’heure. C’est vraiment ce cadre de référence et d’échelle qui justifie pleinement qu’on puisse passer des heures et des heures à parler de cette Barcelone entre deux rivières. On pourrait parler d’autres échelles et bien sur d’autres Barcelone, mais je crois que ca sera suffisant si j’arrive à la fin avec les idées claires… Je crois que c’est aussi important de marquer – il n’y a pas de rupture, je répète, les étapes sont toujours une continuité, il y a des choses qui se superposent- mais c’est vrai ENSAPLV _ 2007 // 2008
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aussi qu’on pourrait dire que à un certain moment, aux alentours de l’an 2000, il y a une certaine inflexion parce qu’apparaissent d’autres choses. C’est à peu prés la qu’apparaissent quelques lignes de travail, qui ouvrent des lignes de travail importantes. La première, peut être du point de vue de stratégie, socio-économique, de l’innovation qu’il y a derrière, c’est ce qu’on appelle le district 22@. C’était la clé qui signalait sur le plan de Barcelone les zones industrielles, et 22a voulait dire le sol industriel qui existe. Alors quand on a inventé ça on a substitué le «a » par un @ parce que ça voulait donner ce sens technologique, etc. Il s’agit de tacher de diriger une transformation d’un secteur de la ville qui était un secteur industriel, qui avait été très important du point de vue de l’économie de la ville, de la région, et même de l’Espagne, et de diriger ce processus vers une position de district technopole, pour la nouvelle économie, les nouvelles entreprises, et c’était vraiment tacher de définir un processus. Je crois que c’est la qu’il y a une grande différence. On ne parle plus de projet urbain clair, précis, qui a des limites, dont on sait quand il commence et quand il finit, dont on sait même ce qu’il coûte ou devrait coûter, ce n’est plus ça, c’est vraiment amorcer un processus de transformation, avec un horizon temporaire, 15, 20 ans. C’est sur cette idée qu’on a travaillé. Si vous regardez le plan de Barcelone d’il y a 50 ans, en bleu c’est industriel, en rouge c’est résidentiel. L’explication de cette coupure si forte c’est l’existence de la voie ferrée qui coupait d’une manière physiquement très évidente ces deux parties de la ville. Il y avait - il y a- un tas de logements a l’intérieur de ce secteur industriel, même dans le quartier de Poblenou, avec sa magnifique rue, la Rambla de Poblenou, mais c’est vraiment la dominance industrielle. Et c’est le changement, dirigé par la mairie qui est le plus important. Les investisseurs locaux et les promoteurs voulaient un changement vers le résidentiel, le logement à prix libres, et c’est la mairie qui a provoqué ce plan ou on cherche vraiment à avoir ce district technologique. Comment on fait ça ? Les conditions de transformation sont basées sur la croissance progressive des usages et des densités, et une flexibilité des normes qui permet d’avoir ces usages. Il y a des règles très claires, mais a partir de la il y a une grande flexibilité, une entreprise spécifique pour gérer tout ce processus de transformation, et pour gérer une gradation de taille de développement, d’évolution, de transformation, on peut transformer une petite parcelle de 2000m² minimum, comme on peut transformer un îlot complet, on a même fait quelques plans de plus d’un îlot pour amorcer le processus avec une action publique et privée, et surtout c’est un plan qui introduit dans notre culture urbaine la nécessité de travailler d’une manière plus proche entre ce qui existe et ce qui est nouveau, entre la permanence et la substitution. C’est trouver cet équilibre, tacher de conserver et de donner continuité urbaine a des éléments qui existent, et aussi de trouver la manière de cette innovation sur des espaces qui sont le paysage d’origine (petites maisons, usines). Il faut comprendre l’importance du maintien de la ville Cerdà, c’est la même base qui existe dans le centre de Barcelone, 133 mètres entre axes, ENSAPLV _ 2007 // 2008
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l’octogone des croisements faisant 20 mètres de cote, c’est vraiment une manière d’organiser l’espace différente du centre-ville. Nous sommes en train de parler, pour que vous ayez d’une idée de la taille, de 17% de la grille Cerdà que représente le plan 22@. C’est plus de 100 îlots, 200 hectares de sol, ce qui présente une dimension importante. C’est important pour moi d’expliquer la force des rues, de l’espace public, comme soutien public de cette transformation, parce que c’est vraiment le renouvellement de toute cette infrastructure qui permet de suivre ce processus a partir de cette entreprise et du travail sur chaque lieu. Il y a de nouvelles relations qui s’établissent entre les formes de distribuer, de traiter l’intérieur des îlots avec des rapports entre le propriétaire, des compagnies fournissant des services comme l’eau par exemple, et puis une grande distribution sur rue qu’on tente de préserver pour les gens, pour la mobilité. Vous pouvez voir un peu ce que signifie chaque mètre linéaire de rue qu’on est en train de transformer, on parle de 35km de rues, avec des galeries etc. C’est un investissement très important, absolument géré par la ville, 100% capital public. On tâche de ne jamais perdre une certaine hétérogénéité dans les îlots, avec une idée de structure générale, parce que chaque îlot a des conditions parfois difficiles à gérer. A. Masboungi : Oriol, est ce que l’on pourrait dire que c’est un modèle intermédiaire entre la ville dixneuvièmiste structurée, et homogène, et la ville définie par le jeu libre de l’architecture ? On a le sentiment que là il y a une sorte de négociation entre un ordre public et une assez grande diversité architecturale, un jeu beaucoup plus libre d’organisation, qui n’est pas forcément continue. O. Clos : Oui c’est vrai, moi je dis toujours le 22@ c’est un plan sans plan, parce qu’il n’y a pas de dessin, il y a seulement un dessin du cadre général, et les plans, les dessins arrivent plus tard, pour chaque îlot, et même dans le traitement de l’espace public ou l’on tache de donner cette cohérence, cette continuité. Ce qui relie vraiment tout ça, c’est le plan d’infrastructures. C’est la reconstruction des infrastructures qui donne une continuité, ce qui nous oblige à discuter ou est exactement la galerie qui doit croiser les rues, pour trouver la connexion entre les îlots, etc… Et c’est dans ce sens peut être que cette ville, une des stratégies globales qui se déroule par petits fragments, avec une expression physique, morphologique de cette fragmentation parce que le processus porte à ça.
A. Masboungi : On est dans un contexte très différent par exemple du village olympique, il n’y a pas de continuité absolue, il y a du maintien d’usines, de bâtiments existants, on est peut être plus proches de l’île de Nantes. Et aussi ce qui est assez frappant c’est que tout n’est pas réalisé en même temps, c'est-à-dire qu’on a des choses qui partent sur des îlots, et donc on a un travail très vivant, on n’aura même pas un aspect de ville finie très rapidement à l’inverse des autres opérations qu’on a connu sur Barcelone. ENSAPLV _ 2007 // 2008
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O. Clos : On en revient à l’opportunité. Le rythme est marqué surtout par l’opportunité, surtout par la capacité foncière de résoudre un problème. Il faut gérer la concertation. La ville n’achète pas le terrain, la ville reçoit une concession de tout ce processus, environ 30% du terrain plus 10% de bénéfices. Les 30% de terrain sont pour les espaces libres, pour les équipements publics, et pour la construction de logement social qui sera inséré dans ce secteur. Pour compléter les 4000 logements qui existent. On parlait de l’an 2000, et il y a, dans une autre ligne d’idées, 2 autres choses qui peut être se passent : c’est d’une part le forum, en l’an 2000 on finit de le penser et on en commence la construction. C’est vraiment la recherche d’une relation entre espace libre et infrastructure, avec des équipements publics, une grande esplanade, la continuité de la Diagonal, un petit port de plaisance, et surtout l’intégration de la station d’assainissement, électrique, des ordures. Pour nous l’intensité urbaine qui viendra ici sera aussi donnée par les logements, qui sont en train de se faire, l’université, le nouveau bâtiment de la compagnie «Telefonica », le nouveau zoo. Toujours avec l’idée de trouver une relation entre infrastructure, grands équipements de la ville, et l’espace public. Nous avons aussi le problème du TGV. Nous devons construire une ligne de TGV pour Barcelone. J’imagine que vous savez qu’en Espagne l’écartement des rails est différent du reste des voies ferrées d’Europe, ce qui rend très compliqué de donner la continuité entre les voies ferrées. La décision a été prise il y a très longtemps déjà de faire le tgv avec la largeur européenne, c’est donc impossible de réutiliser les voies qui existe, même provisoirement, il faut vraiment refaire toute la voie nouvelle. On veut profiter de la nécessité de croiser vers le nord, vers la France, pour faire la nouvelle gare, une gare plus grande, et surtout pour résoudre un problème urbain très important. C’est a peu près en l’an 2000 que les éléments physique du système ferroviaires commencent à se résoudre, et donnent l’opportunité de commencer à penser à d’autres questions d’ordre urbain. Vous pouvez voir le problème urbain en termes de coupure absolue de la ville par ces voies qui existent. D’un coté San Marti, de l’autre Sant Andreu, il y même une différence de niveau assez importante entre les deux districts. Le problème était comment trouver la manière de permettre que ce système ferroviaire puisse résoudre le problème de la gare et aussi le problème de continuité entre ces deux parties de la ville qui sont coupées, isolées. (…) Il y aurait un troisième axe de pensée, qui serait tacher de trouver dans de grands espaces de la ville, a Collserola, de trouver ici une stratégie. On peut chercher comment définir un tissu des espaces libres, une manière de traiter le vert comme du plein. C’est pas vraiment chercher à libérer du vert, ni chercher une limite entre ce qui est bâti et ce qui ne l’est pas, mais trouver les lois, les relations les morphologies, qui puissent aider à traiter cet espace mais surtout à traiter les espaces qui sont proches, et trouver dans cette nécessité stratégique d’évolution de la ville des lieux d’évolution, avec les prémices du ENSAPLV _ 2007 // 2008
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maintien du libre, du vert, de l’ouvert. C’est un élément structurel pour Barcelone, à très long terme, l’investissement doit être très important dans ce secteur. C’est un espace en contact avec des tissus urbains marginaux qui ne sont pas de grande qualité, il n’y a pas eu jusqu’à récemment une pression immobilière forte, aujourd’hui elle commence à apparaître, et il y a des problèmes d’accessibilité. Quelles sont les valeurs que j’attribue à ces espaces ? Equilibrer la densité est très important. On est en train de parler d’une ville compacte, d’une ville très dense, la ville c’est comme un fromage, c’est si important le fromage qu’il doit avoir saveur et couleur, comme les trous qu’il y a dans le fromage. Il y a aussi une valeur d’environnement qui ne vous échappe pas, c’est un espace de loisirs, normalement ce sont des espaces avec une utilisation très dense. Il s’agit de chercher la définition des lignes de crête, mais surtout ce qui est plus difficile dans ce cas, c’est de trouver une manière de définir une limite qui n’est pas une ligne. C’est une limite complexe, ou il y a des éléments de transition, des éléments de continuité, de communication, ou on peut jouer sur le changement d’échelle. On peut être très proche dans le traitement de certains espaces, le traitement de cette nouvelle façade de Barcelone peut être compris aussi comme un élément stratégique. On a recherché le contact de la ville avec la mer, on est en ce moment en train de rechercher le contact de la ville avec l’espace vert, l’espace libre, c'est-à-dire avec cette nouvelle façade de la ville. (…) En 2004 il y a eu un changement politique très important en Espagne et en Catalogne, on a pu finalement commencer à travailler sur un plan de logement, avec le plan de logement 2010, qui donne aussi une certaine cohérence à tout ça, parce que finalement le logement c’est la matière première de toute ville, de l’urbanité, de l’identité urbaine, et c’est pour ça qu’aujourd’hui il y aurait cette 4ème ligne de travail pour développer le problème de logement. C’est un programme de logement assez important ou on tache d’avoir une attention spécifique pour des collectifs qui ont des difficultés pour résoudre ce problème de logement. On traite comme un équipement public le problème du logement. Ce n’est pas seulement du territoire qu’on cherche pour faire du HLM de différents niveaux, mais surtout pour avoir la capacité de toucher certaines communautés, les personnes âgées, les jeunes, les immigrés, pour résoudre le problème de logement. Tout ce qu’on établit fait référence à des critères, pour chercher cette ville compacte, on travaille toujours avec cette idée, il y a des concepts qu’on utilise qui serviraient à définir la position de Barcelone par rapport à cette notion de développement durable. On travaille vraiment sur cette idée de réutiliser les espaces, les opportunités nous obligent à réutiliser ces espaces, par exemple on travaille sur la réutilisation de sites industriels, dont 22@ est le premier projet, mais on a d’autres quartiers sur lesquels on pourrait travailler avec la même logique. Les relations entre le tissu dense et les espaces ENSAPLV _ 2007 // 2008
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verts seraient aussi une autre ligne conceptuelle très claire dans notre stratégie. L’espace public comme infrastructure, et non seulement comme un problème d’expression de qualité visuelle, mais surtout comme support de l’évolution de la ville, ce qui fait un contrôle public, parce que c’est vraiment le contrôle public de l’espace public qui nous donne la qualité et qui nous donne la sûreté d’avoir un contrôle réel sur l’évolution du public qui est très complexe, ou le privé a bien sur un rôle a suivre. Finalement, les équipements publics établis comme réseau, c’est quelque chose qui a changé quand le gouvernement de la Catalogne et de l’Espagne a changé, la capacité de travailler d’une manière plus claire sur cette idée de réseau, établir des éléments d’identification du territoire, et finalement une relation très étroite entre les équipements publics et l’espace public. On parle toujours de densité, de tissu mixte, d’activités productives, pas strictement industrielle, de flexibilité de langue, de mobilité, ce sont les éléments habituels de notre travail ; la recherche aussi de nouvelles morphologies qui expriment d’une manière physique et claire cette nouvelle intensité urbaine. Comment travailler sur le problème de continuité urbaine alors qu’il y a une fragmentation évidente de l’exécution, qui s’exprime parfois par une fragmentation morphologique. Il faut essayer de trouver un équilibre dans tout cas. Le problème de hauteur des bâtiments, qu’on discute aussi dans d’autres villes européennes, fait également partie du débat, et nous plonge à la limite de la discussion sur le patrimoine. Il y a une discussion très importante sur ce qui existe, ce qui doit être gardé, ou modifié. (…) Il y a des projets de transformation, 6 genres de projet. Aujourd’hui nous sommes en train de travailler sur la transformation de ce secteur industriel avec une composante résidentielle, on fait un nouveau quartier pour 10 000 logements. Derrière Montjuic, c’est le projet de transformation ou on calque un peut sur la manière de faire du plan 22@. Il y a deux rues qui sont le support de cette infrastructure qui doit permettre la transformation de chaque ilot de manière plus libre. Il y a un autre groupe de projets que j’appelle « structurants ». C’est le projet qui assure la continuité, qui donne une structure, et qui doit peut être définir certaines icônes urbaines, de référence pour la ville. C’est juste à coté de la tour de jean nouvel, cet espace (plaça glories) va encore être réaménagé pour fêter le 150eme anniversaire du plan Cerdà, dans 2 ans, on pourra le fêter peut être avec une solution définitive que Cerdà n’a pas réussi à marquer. On tache de définir un espace d’une taille plus claire, sans encombrements apparents de la voirie, avec des tailles qu’on connaît. Ce dessin est une expression de la superposition des cet espace libre, vert, sur ces grandes infrastructures, et une intégration dans cette grande maille qui est la ligne Cerdà, ou se croisent la Meridiana et la Diagonal, et c’est rechercher cette capacité de continuité avec le quadrillage orthogonal et les diagonales qui peuvent aider à définir cette endroit.
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On continue aussi a travailler dans cette ligne de projets urbains mais en visant plutôt sur l’espace public, d’un certain contrôle de la mobilité privée, avec le problème des échangeurs, et de trouver de nouvelles formes de quelques places qui existent, qui vont changer dans les prochaines années, en profitant du besoin de traiter le sous sol pour des problèmes d’accessibilité. Il y a aussi une politique de très long terme mais aussi très stratégique de traitement des quartiers « déprimés » (en difficulté). La gauche est arrivé au gouvernement de la catalogne en 2003, avec une loi qui s’appelle « loi des quartiers », et qui permet des actions très directes d’ordre physique, mais aussi social et économique sur des quartiers déprimés dans toute la catalogne, avec des actions qui pourraient aider a améliorer les conditions de ces quartiers. Cette loi demande pour moitié le financement du gouvernement régional, et pour l’autre moitié du gouvernement local (municipalité de Barcelone). Il y a une autre ligne qu’on commence aussi à traiter, une ligne historique. Comment des quartiers quoi ont une qualité historique parce qu’ils ont été bâtis dans un certain caractère, des petits villages aux alentours de Barcelone par exemple, la vieille ville centrale, nous avons lancé des études sur ça pour voir un peu les problèmes des couleurs, des balcons, des matériaux, trouver des normes qui puissent être plus claires pour ne pas abimer la qualité de ces quartiers, sans perdre la capacité d’évoluer. Dans ce groupe de 6 stratégies, la vieille ville, le centre de Barcelone, est quelque chose qui doit être traité comme une question à part. Il faut arriver à comprendre la qualité des différentes typologies, des bâtiments qui existent. Juste derrière le « mercat de la Boqueria », il y a un espace « dégueulasse » qu’il faut transformer avec la nouvelle école des arts et métiers, des petits bâtiments de logement et de l’espace public. Ce serait toujours dans cette idée de classification de 6 lignes de travail qui devrait être en continuité avec les 4 lignes d’action que j’ai expliquées au commencement. On explique parfois que la grande transformation de la ville se produit en partie basse, avec ce qu’on appelle le triangle de l’est, le forum, Glories, et la gare du TGV avec le plan 22@. C’est une manière d’expliquer que je n’aime pas beaucoup. J’ai écrit quelque chose que je vais lire : le plan projet comme corps cohérent est cohesionné comme partie hétérogène d’une stratégie globale. Ce sont des études isolées avec leur propre logique qui apportent des valeurs culturelles spécifiques avec pleine conviction de sa capacité de transformation. Le déploiement des stratégies urbaines ne peut être contraint par un ordre hiérarchisé. Les rythmes, les opportunités, les obstacles, les dimensions, la variété des contenus, la diversité des agents, et les imprévus, ne permettent autre chose que l’addition hétérogène de projets de qualité, référenciés par des directrices stratégiques. Chaque plan, chaque projet doit expliquer par soi même cet effort intégré et doit être part autonome d’une logique générale globale. Toujours plus riche et complexe que la simple addition des parties. Je crois que tout ce que j’ai expliqué vient ENSAPLV _ 2007 // 2008
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d’ici, c’est l’accident géométrique. Il y a toujours quelque chose dans les villes qui reste : la mer, la montagne, la plaine…
A. Masboungi : Il y a des thématiques extrêmement fortes qui se croisent, il y a une très grande souplesse d’adaptation, et ce qui est très frappant c’est qu’aucun espace de la ville n’est oublié. Il y a du projet partout. Je souhaite beaucoup d’avenir à cette démarche qui parait renouveler réellement le travail qui a été fait jusqu’à présent sur Barcelone.
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ENTRETIEN AVEC PEP MARTI (TRADUIT DE L’ESPAGNOL), LOCAL DE LA FAVB, C/OBRADORS, 10 BAIXOS
[26.10.2007]
Leslie : Ma motivation initiale pour ce travail est née du constant que la Mairie de Barcelone faisait beaucoup de publicité à propos de la participation citoyenne. Je cherche à comprendre quelle est la structure de la participation citoyenne à Barcelona, quelle influence elle a ou pourrait avoir sur les projets d’architecture et d’urbanisme. Je me suis particulièrement intéressée au quartier du Poblenou, à cause de l’échelle du projet de rénovation, et ses conséquences sur le reste de la ville. Je me demandais comment l’échelle locale de la participation et l’échelle globale du projet pouvaient s’articuler. Pep Martí : Pour que tu te fasses une idée, la participation à Barcelone est un peu comme un défilé de modèles de haute couture. Tu vois des modèles très voyants, séduisants, intéressants, mais ensuite dans la rue personne ne les porte. La participation à Barcelone c’est la même chose : beaucoup de discours, beaucoup de mise en scène, mais peu de réalité dans la pratique. Pour te donner des exemples concrets, une des propositions de la fédération (FAVB) qui a été incluse dans le règlement de participation est le rapport participatif (memoria participativa). C'est-à-dire qu’obligatoirement, avant toute intervention urbanistique, la mairie devrait faire un rapport participatif. Cela fait 2 ou 3 ans que ça fait partie du règlement. Commencent alors une série de réunions avec la mairie, la fédération et d’autres organismes pour définir exactement en quoi consiste le rapport participatif. C’est sur qu’il suffirait de demander aux fonctionnaires qui vivent dans un lieu donnée pour avoir un rapport… Tout ça pour dire que ça a commencé à se faire, et pour le moment personne ne sait exactement en quoi consiste le rapport participatif… elle n’est pas appliquée, et le rapport au niveau de la circonscription non plus. On vend un discours disant qu’ici à Barcelone on applique la participation citoyenne, mais bon… par exemple l’AVE va passer sous la Sagrada Familia… et ou est le rapport participatif concernant ce projet ? Parce que ça c’est un projet d’envergure ! Ou le projet de la station de la Sagrera… Personne ne sait… Le rapport ne s’est pas fait, et on continue comme si de rien n’était… Je crois que Barcelone est dans un processus de retour en arrière quant au thème de la participation citoyenne, depuis deux législatures. Il y a eu un retour en arrière avec les changements de gouvernements, et de maire. Il commence à y avoir quelques réponses des citoyens organisés, avec par exemple la création du C.A.B (Conseil d’associations de Barcelona), qui dépend en partie de la mairie. Diverses associations se sont inscrites, pour commencer à donner des impulsions depuis la société civile, qui est assez faible. L: Existe-t-il une volonté politique d’encourager la participation citoyenne? ENSAPLV _ 2007 // 2008
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P.M.: J’en doute. L: Parce que j’ai l’impression d’avoir entendu beaucoup de discours politiques sur le sujet, bien qu’ils soient critiqués et accusés de ne rien faire… P.M.: S’ils ne font rien… je mets en doute cette volonté… L: Alors pourquoi expriment-ils cette volonté, est-ce une manière de dissimuler quelque chose, comme le disent les critiques? P.M.: Chacun peut avoir sa propre opinion sur le sujet. Je crois que pendant un moment la mairie y croyait, et maintenant en plus comme on fait partie d’un réseau de villes qui appliquent la participation (dont Lille fait partie par exemple), on doit maintenir le discours. Mais un discours n’ayant pas une base réelle reste un discours. Je crois qu’il y a eu un période pendant laquelle on a stimulé différentes actions, mais depuis la mairie de Clos on est rentrés dans un processus de marche arrière qui me parait lamentable. Il faut ajouter aussi, que bien que la participation ait été une revendication historique du mouvement associatif et surtout du mouvement des habitants, on a toujours laissé l’initiative à la municipalité. C’est comme ça… L: Dans les années 80 la participation citoyenne a plutôt été bien appliquée non, la transition démocratique à eu lieu en partie grâce aux mouvements des habitants… P.M.: Oui. De nombreuses personnes qui étaient impliquées dans le mouvement des habitants, et qui demandaient le changement démocratique, faisaient partie des partis politiques, et ont ensuite été intégrés à l’administration publique. Il s’est donc opéré une première étape, avec le discours suivant : « maintenant que nous gouvernons, ceux qui ne prennent pas de décision ne sont plus nécessaires. » Ici, ceux qui ne prenaient pas de décisions dirent qu’ils n’étaient pas d’accord… Il y eut donc une période pendant laquelle on ne savait pas très bien quelle orientation prendre, et ensuite vers le milieu des années 80 le mouvement a resurgi avec une certaine présence. L: L’étape des Jeux Olympiques à changé quelque chose pour la participation citoyenne?
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P.M.: Non, mais les Jeux Olympiques ont servi à différentes choses. Cette ville s’est toujours faite par à-coups. Disons qu’elle n’a pas eu une croissance cohérente, et déjà depuis les expositions universelles de 1889, de 1929, etc.… elle s’est urbanisée petit à petit. Donc les Jeux Olympiques furent une nouvelle excuse pour différentes choses. Ce fut une très bonne excuse tout d’abord pour placer Barcelone dans le monde, et ensuite pour urbaniser la ville. Comme cette urbanisation n’a pas pu être terminée, on a ensuite inventé le Forum des Cultures, dont personne, et encore aujourd’hui, n’a jamais bien su de quoi il s’agissait. Le 22@, Diagonal Mar font aussi partie de cette opération. Cela a aussi servi à promouvoir le volontariat dans une certaine mesure. Il y a eu une campagne importante de volontaires Olympiques, etc… Cela a servi aussi à impliquer la population, mais seulement pour aider à que d’autres décident, et non pour soutenir la participation. En fait, l’exemple le plus représentatif de manque de participation est l’exemple du Forum. Rien n’a été discuté avec les différentes entités, et au final ils ont appelé les associations dans un « speak corner » pour qu’elles puissent régler quelques détails. Mais bon, au niveau du contenu, personne n’a participé, ni dans des thèmes urbanistiques, ni sur ce qu’était réellement le Forum, ni dans sa conception. L: C’est à partir de l’opération du Forum que les gens ont de plus en plus parlé de spéculation? P.M.: La spéculation a toujours existé, mais s’est vrai qu’elle s’est concrétisée à ce moment, elle a été rendue plus visible. Il fallait payer plus de travaux, etc… je suppose que les politiciens ont leur propre justifications, mais effectivement ça a été l’image qui a légitimé un peu tout ça. L: Et en ce moment il parait y avoir un mouvement assez intense par rapport au logement. Penses tu que cela pourrait constituer une force pour le futur de la participation citoyenne ? Qu’est-ce que ce mouvement pourrait changer? P.M.: Je crois que ça a déjà changé. Tout le mouvement « Okupa » (squatteurs) a déjà touché la conscience collective, bien que ce ne soit pas forcément reconnu (par les institutions). Le problème c’est que quand on commence une lutte pour un thème concret, si le problème ne se résout pas rapidement, les gens se démobilisent. Tu vas me dire que le problème du logement officiellement pourrait se résoudre. … Je ne sais pas à quel point toutes ces énergies, qui pour l’instant sont isolées pourraient se structurer pour donner naissance à des mouvements sociaux plus organisés. De toutes façons c’est sur que les
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jeunes ne font pas le choix de se rallier aux mouvements sociaux existants, ni au mouvement existant des habitants. En effet ils se mobilisent, et avec pas mal de force, pour le problème du logement. Il faut voir la quantité de logements vacants qu’il y a à Barcelone, on maintient la pure spéculation. Des politiciens ou certains groupes politiques commencent à parler de pénaliser les propriétaires de logement vacant… moi ici je vois l’influence du mouvement « okupa », même si le politiciens ne le reconnaissent pas. En plus, à chaque fois qu’ils délogent un squat, comme celui de Sants récemment, les médias interrogent les voisins et les voisins sont souvent d’accord avec le mouvement des « okupas ». Parce que ce local qui avant était un repère de rats, de saleté, au moins il était propre, entretenu, et les jeunes aidaient les voisins, etc.… Si ça va se transformer en mouvement plus structuré ? Je ne le sais pas… J’ai des doutes, parce que si on résout le problème du logement pour ceux qui le réclament, ça ne se convertira pas en une lutte – pour le nommer ainsi- plus poussée. De toutes façons j’ai de l’espoir, dans ce sens là oui. Contrairement à ce que les gens disent – que les jeunes ne s’intéressent pas, etc. – j’ai l’impression que les jeunes se mobilisent plus qu’il y a quelques années. L: Existe-t-il une politique de “recyclage” de logements vacants? P.M.: Il existe beaucoup de discours, mais pour ce qui est de politiques concrètes et effectives, si elles existent je n’en ai pas connaissance. Elles font l’objet de propositions, sont débattues au sein du Parlement, certains sont pour, d’autres sont contres, et c’est sur que les organisations politiques ont divers intérêts. Donc ils font quelques propositions, dont certaines intéressantes, mais ensuite d’autres groupes politiques s’opposent radicalement à la pénalisation des logements vacants… C'est-à-dire que pour certains le plus important c’est la nécessité des gens à disposer d’un logement, et pour d’autres ce qui prime c’est le patrimoine personnel, la propriété privée, et ça c’est sacré… L: Penses-tu que le poids qu’a le tourisme ait quelque chose à voir avec le poids de la participation citoyenne? P.M.: Je ne crois pas que les deux soient liés. C’est sur qu’on est en train de souvenir, et on a soutenu, l’image d’une Barcelone de carte postale. Mais bon, aujourd’hui je suis arrivé en retard parce que les services publics ne marchent pas bien. Et si tu utilises la voiture, tout est embouteillé. A Paris ça serait dans la presse tout ce qu’il s’est passé ces derniers jours… On vend une Barcelone de carte postale, avec un aéroport qui ne fonctionne pas, des transports publics qui ne fonctionnent pas,
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des embouteillages tous les jours, des
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propositions de métro nocturne mais qui arrête de marcher une fois l’été passé… Ce type de politiques est absolument chaotique. Au final, une personne peut venir des Etats-Unis attirée par l’image de la ville, mais en arrivant a l’aéroport elle se rendra compte qu’elle ne sait pas quel train elle doit prendre, ou que le train ne marche pas ce jour là et qu’elle peut seulement se rendre en ville par taxi, et en taxi elle se rendra compte que tout est embouteillé…Ensuite elle voudra prendre le métro mais a cause des travaux il n’y aura pas non plus de métro. Ils peuvent vendre ce qu’ils veulent. Mais on en revient toujours au même non, au défilé de modèles, qui ne se concrétise pas dans la réalité. Et bien sur celui qui en souffre, c’est le citoyen d’ici. C’est pourquoi je comprends que cette façon de vendre une Barcelone de carte postale qui n’a rien à voir avec la réalité soit critiquée. D’ailleurs je suis amoureux de Barcelone, c’est pourquoi je me permets de critiquer quand je trouve que les choses ne sont pas bien faites… L: Et par rapport au dénommé ‘modèle Barcelone’, modèle d’urbanisme, certains disent que le modèle continue à exister, et d’autres que ça n’a jamais été un modèle, ou encore qu’il a changé. Qu’en penses-tu? P.M.: Je crois qu’actuellement il n’existe pas de modèle d’urbanisme à Barcelone. En tous cas il peut exister des modèles de projets concrets. On a la Tour Agbar par exemple – que j’aime beaucoup- dans tous les cas on construit des bâtiments qui suscitent la controverse. Mais le modèle, si on peut parler de modèle, veut dire que c’est quelque chose de joli, charmeur. Par exemple, le Fútbol Club Barcelona, le “Barca”…. Un nouveau stade, je ne sais pas si c’était nécessaire, eux seuls le savent, mais en échange de ce stade qui fera le tour du monde, parce que c’est un « donut » avec des « smarties » et qu’il sera très mignon, d’ailleurs je ne crois pas que ce soit une construction très durable – au lieu de construire plus de logement. Donc si ça c’est un modèle, c’est un modèle qui ne me plait pas du tout. D’un coté fait plus de tertiaire, d’un autre on densifie, alors qu’on ne compte plus la quantité de logements vacants. Je pense qu’en ce moment, Barcelone n’est pas un modèle d’urbanisme. Après il y a le plan 22@, qui est un autre type de modèle. L: Il y a de nombreux articles qui dénoncent le manque de logement social ou logement « protégé » en Espagne par rapport au reste de l’Europe. Quelles sont les orientations actuelles des politiques de logement social ? P.M.: Il existe la demande sociale que dans chaque promotion neuve il y ait un pourcentage important de logement public, et surtout logement en location, pour les jeunes. Mais ce qu’il
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y a c’est que les pourcentages réels sont actuellement infimes, et ils n’atteignent pas les promesses faites par l’administration publique. Le thème du logement social continue d’être une revendication historique, mais le thème du logement en location – et location destinée aux jeunes – est un terrain de lutte des mouvements sociaux depuis peu de temps. C’est une demande assez récente. L: Parce que ici on soutient plus le logement à la vente, non? P.M.: Oui, pour une raison de pure logique. Ca revient moins chez de payer une hypothèque que de payer un loyer. En plus l’hypothèque tôt ou tard, enfin plus tard que tôt, elle se termine, tandis que le loyer c’est moins probable. Et depuis toujours, je me souviens quand j’étais petit, que le rêve de mes parents était d’avoir leur propre maison. Même si les loyers étaient au plus bas…C’était le rêve de mes parents et de tous… Et puis ça leur apportait un sentiment de sécurité. Ici on dit que le « pavé » (la « pierre ») c’est ce qu’il y a de plus rentable. Depuis toujours on a plus misé sur la vente que sur la location. L: Quel poids ont les immigrés dans la participation? Y a t il des politiques spécifiques qui s’appliquent à l’immigration? P.M.: Les politiques qui s’adressent à eux sont plus sociales que de participation. C’est un thème important, parce que quantitativement cela représente un pourcentage très important – surtout dans des quartiers comme celui dans lequel nous sommes (Gótico, centre historique). Ce qui a été fait jusqu’ici - surtout par les organisations sociales, en partenariat avec l’administration publique, en particulier la mairie- c’est d’essayer d’impliquer les immigrés dans les organisations sociales. Mais je crois qu’on a plus mis l’accent sur la création d’associations d’immigrés. En réalité il existe beaucoup d’associations de colombiens, d’argentins de sénégalais par exemple. Donc en tant qu’association ils ont les mêmes droits de participation que n’importe quelle autre association. Le problème est s’ils connaissent leurs possibilités de participation, mais je crois que ce problème ne s’applique pas seulement aux associations d’immigrés, mais à toutes les autres associations. Pas mal de travail est fait sur ce thème. Je crois qu’il y a beaucoup d’hypocrisie de la part de l’administration quant au thème de l’immigration. Et la société civile organisée mène beaucoup d’actions. Un processus mené par les mouvements sociaux peut être complètement troublé par un fait isolé. Regarde l’exemple de la fille équatorienne qui a été agressée par un raciste dans le métro. Eh bien ce matin j’ai entendu à la radio qu’une chaîne de télévision avait offert de l’argent à cet homme pour qu’il explique ce qu’il s’est passé.
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C'est-à-dire qu’on soutient le racisme selon des quotas d’audience. Donc parfois tout le travail qu’on essaye de faire petit à petit peut complètement s’écrouler ou faire un pas en arrière à cause de certaines actions, ou un geste d’une chaîne de télévision plutôt lamentable. Dans tous les cas on doit être avertis, il faut continuer à travailles, parce que quand on consulte les adolescents dans certains quartiers, on est parfois confrontés à des attitudes xénophobes, et parfois directement racistes. De la part des enfants non, mais les adolescents oui. Cela reste limité à de faibles pourcentages, mais qui prennent de l’ampleur petit à petit, et ici fait défaut une réponse convaincante de l’administration publique. Je crois que qu’aucun parti n’a d’idée précise à ce propos. Quand l’Espagne est passée d’exportatrice de main d’œuvre à réceptrice de main d’œuvre, on avait comme exemple le cas de l’Italie, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas… on aurait pu regarder comment ces gens là avaient essayé de résoudre ce thème. Ici il ne s’est rien passé, les politiques se font à la hâte, pas à-coups. L: Quel est l’équilibre entre pouvoirs publics et pouvoirs privés dans les opérations d’urbanisme? Est-ce que la participation citoyenne pourrait éter un outil pour réguler cet équilibre? P.M.: Les sociétés immobilières ont toujours participé dans n’importe quel type de régime et système politique. Les citoyens peuvent participer quand il existe une structure démocratique, tandis qu’elles ont toujours participé. Je crois qu’il y a des éléments qui peuvent permettre cette régulation, comme le rapport participatif dont je te parlais avant par exemple. Cette volonté politique doit se concrétiser au jour le jour. Parce que jusqu’ici on arrive à des accords entre l’administration publique et les sociétés immobilières, qui parfois ne sont pas compris des citoyens parce qu’ils ne leur sont pas expliqués, et personne n’en connaît les modalités. On parle beaucoup de développement durable, mais bon ils vont faire un nouveau stade qui n’a rien de durable parce qu’il a besoin que la lumière soit toujours allumé, en plus ils veulent agrandir le parc du Tibidabo dans la montagne de Collserola. Ici ceux qui dirigent « le pavé » (« la pierre ») ont beaucoup de pouvoir. Les trafiquants de « la pierre ». Ou on joue vraiment, on pose toutes les cartes sur la table et on dit – d’accord, on va voir ce qu’en pensent les habitants, on va les écouter- sinon on en reste à – moi l’administration je fais un pacte avec toi pour ce que tu vas me faire de ce terrain, et en échange je te concède ceci. Requalifier un terrain, ça s’est déjà fait avec le stade de football : un équipement sportif devient logement. Et là on se demande « et la participation, ou est elle ? ». On peut faire de beaux discours sans rien concrétiser. Il y eu un changement
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de maire, et pour l’instant on en est encore à la Barcelone de carte postale… Je suis plutôt déçu quant au thème de la participation citoyenne promu par la mairie elle-même. L: J’ai l’impression que la société civile est déjà bien organisée, il y a énormément d’associations à Barcelone… P.M.: Ca c’est un autre problème. Je crois qu’il y a trop d’associations, et peu coordonnées entre elles. Je doute de si ce sont des associations qui sont en train de se créer ou directement des équipes de direction. Bien qu’il y ait des efforts faits comme la création du CAB, des entités coordinatrices entre les districts et les quartiers, il n’y a pas la conscience d’appartenir à un secteur non lucratif. Les chefs d’entreprises ont bien conscience du secteur auquel ils appartiennent, les politiciens aussi, mais les associations pas trop parce que leur subsistance dépend beaucoup des contributions publiques. Ici il reste encore beaucoup de travail à faire de la part de la société civile, de la part des associations. Nous avons beaucoup avancé en 20 ans mais il faut avancer encore beaucoup plus. Je me souviens quand on a commencé a faire des cours de formation pour les associations en 1985, on devait traduire des documents d’autres associations françaises, anglaises, parce qu’ici nous n’avions absolument rien. Pas même la conscience qu’on avait besoin de formation. L: Pour conclure, que penses-tu être le « terrain de lutte » le plus important de la participation aujourd’hui, et sur quoi doit elle travailler pour assurer son futur ? P.M.: Je crois que c’est l’attitude des politiciens. C’est basique. Je l’ai vu moi-même, il n’y a aucun parti, même ceux qui pourraient paraître avoir le plus d’intérêt – ni les socialistes, ni les convergents, ni ceux de Unio, ni le PP bien évidemment – qui ait eu un débat interne sur ce que signifie réellement la participation. Je ne l’ai vu nulle part. Donc ici dans la ville comme dans les districts, comme dans les autres municipalités catalanes, la promotion de la participation ou non dépend de la volonté des personnes, et non de choix politiques. Je crois que tant qu’on ne commence pas par la base, c'est-à-dire « nous les socialistes pensons que la participation est importante, nous allons l’appliquer là ou nous gouvernons », c'est-à-dire tant que chaque parti ainsi que les citoyens n’auront pas donné leur avis sur le sujet et qu’il soit commencé un réel débat interne, nous ne dépasserons pas les simples expériences. On parle encore d’expériences concrètes de participation. Alors que le premier règlement de participation a été approuvé en 1986, 20 ans et quelques après on parle encore d’expériences…on pourrait peut-être penser à commencer à parler de modèles, de systèmes. Je crois que c’est l’attitude des politiciens, et plus que l’attitude, le manque de
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croyance, le manque de volonté de donner de l’importance à ce sujet, de promouvoir de débats, de recevoir de représentants d’autres villes qui appliquent réellement la participation. Tout dépend de ça…actuellement dans cette ville la participation c’est un miroir, mais qui n’est pas la pour refléter, mais pour se regarder soi même… pour nous contempler nous même, mais en réalité, je me réfère encore au fait qu’on a besoin de cesser le défilé pour devenir une réalité, un prêt-à-porter… passer de la haute couture au prêt-à-porter permettrait d’ouvrir des portes à la citoyenneté et la faire avancer. Sinon je ne vois pas comment avancer, il y a un désenchantement toujours plus fort, qui se traduit dans le fait que beaucoup de gens pensent que ça ne sert plus à rien d’aller voter. Un jour les politiciens disent qu’ils vont réfléchir au sujet de la participation, et le lendemain on voit que la participation n’est pas du tout soutenue.
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ENTRETIEN AVEC MANUEL ANDREU (TRADUIT DE L’ESPAGNOL), CENTRE CIVIQUE CAN FELIPA, POBLENOU
[02.11.2007]
Leslie : Comment s’est déroulé le processus participatif dans le cadre du plan22@?
Manel Andreu : Le plan 22@ s’est modifié petit à petit parce qu’au début c’était un plan plutôt appétissant pour les sociétés immobilières, du fait que Poblenou représentait un terrain presque « vierge », ou il était possible de démolir de nombreuses usines, ou il y avait beaucoup d’espace reconvertible, et l’idée des sociétés immobilières et des promoteurs était de ne faire que du logement, du logement cher. Déjà avant le 22@ - depuis 76-77 – il existait un projet, le plan de la Ribera, qui devait urbaniser tout le front littoral. C’était un projet pour construire des logements de luxe et de haut standing. La première proposition de la part des promoteurs a donc été celle ci, et a changé petit à petit. Du coté des entités de quartiers, l’association de résidents et autres, nous avions déjà définit que nous voulions un projet qui respecte l’activité industrielle existante du quartier, qui soit compatible, avec du logement, des équipements, et des espaces verts. Et sur la base de cette idée a commencé le processus, je dirais de façon plutôt participative au moins au niveau des entités, dans lequel cette philosophie s’est peu à peu configurée. Au moyen de procédés plutôt novateurs. Les propriétaires pouvaient bénéficier d’un surplus de capacité d’édification si en échange ils cédaient un terrain pour des équipements et du logement. Cette solution a donc été adoptée, et on a signé l’accord du 22@, dans lequel il était prévu que soient construits 4000 logements, tous étant du logement « protégé », des équipements et des espaces verts. L’accord a donc eu lieu dans ces conditions, car nous nous étions rendu compte qu’il représentait quelque chose de novateur et intéressant pour le quartier. La suite a été autre chose, la mise en pratique de ce projet urbanistique. Le premier conflit a eu lieu pour l’« eix Llacuna », parce qu’ils prévoyaient de construire des bâtiments très hauts sur cette rue parallèle à la Rambla del Poblenou, l’artère la plus importante du quartier. Evidemment quand le projet a été découvert il a été très critiqué, parce qu’il détonnait directement avec le reste du quartier. Ca a donc été le premier conflit, parce que pour que la Mairie revoie le projet on a du faire de nombreuses mobilisations, des manifestations, protestations, jusqu’à ce qu’ils refassent le projet en baissant la hauteur des bâtiments et en réduisant le nombre de personnes affectées. Au cours de ce processus, lors du premier conflit, on a signé un accord dans lequel la Mairie s’engageait à effectuer un processus de discussion et de dialogue avec les entités, surtout l’association de résidents, antérieurement à tout projet du 22@, afin que ce type de conflit ne se reproduise pas. A cette époque il y a eu beaucoup de faux-pas, et de nombreuses situations conflictuelles avec des hauts et des bas. Je fais un ENSAPLV _ 2007 // 2008
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court résumé…Je ne veux pas laisser de coté un thème important qui est que depuis l’association de résidents, nous considérons que pour pouvoir participer, nous devons le faire dans les mêmes conditions [que les autres entités]. C'est-à-dire que nous ne sommes pas des professionnels de l’urbanisme, ni des techniciens. Chacun est expert dans son domaine. Nous avons donc proposé à la mairie qu’elle nous finance les services d’un technicien que nous choisirions, pour qu’il nous aide. Et cela a été accepté. Ce technicien est encore à nos cotés, il y a une convention avec le 22@ qui le paie pour qu’il oriente l’association et aussi les résidents qui ont besoin d’informations, ou ceux qui sont affectés par les projets. Nous considérons que au-delà des divergences qui parfois sont profondes entre la société 22@ et l’association de résident, c’est un élément important. Parce que si ça n’en était pas ainsi, nous pourrions difficilement être à la hauteur pour débattre de projets et de questions d’urbanisme que nous ne connaissons pas. Nous pourrions connaître grâce à la pratique que nous avons accumulée, mais sans la profondeur que peut avoir un expert. Et donc selon cette logique nous nous sommes mis d’accord pour que 22@ nous fournisse les documents de tout projet avant qu’il soit exécuté afin que nous puissions en suivre les étapes. Là aussi il y a eu différents moments, la société 22@ nous expliquait qu’elle pouvait nous fournir les projets publics, de la mairie, mais pas les projets privés parce que sans les autorisations elle ne pouvait pas les communiquer… C’était donc la situation dans laquelle nous nous trouvions à ce moment, je dirais qu’elle a été critique parce que le projet 22@ est devenu un projet à deux vitesses : d’un coté il y a la vitesse des commerces, hôtels, bureaux, etc., qui est très rapide, et de l’autre la vitesse du logement, des équipements et des espaces verts qui est très lente. C’est donc ça que nous critiquons maintenant, c’est un problème de fond. Mis à part la philosophie même du 22@, de concilier logement et activité industrielle en respectant celle qui existe déjà, qu’elle soit polluante ou non, eh bien dans la pratique ce qu’il se passe c’est qu’ils sont en train d’expulser beaucoup de petites et moyennes entreprises du quartier, pour que les nouvelles puissent s’installer. Par conséquent des 130 000 emplois crées annoncés par le 22@, beaucoup existaient déjà, et ont été remplacés par d’autres. Le cas emblématique a été le cas de Can Ricart, où il y avait a peu près 35 entreprises et presque 250 emplois… ils ont tous été expulsés. Certaines ont fermé, d’autres se sont déplacées, et nous ne comprenons pas pourquoi il est nécessaire d’expulser les entreprises existantes afin que d’autres viennent s’installer, surtout qu’elles étaient compatibles avec la philosophie du 22@. L.: Et où sont allées les entreprises qui ont du se déplacer?
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M.A. : Eh bien il y en a qui se sont déplacées dans la périphérie de Barcelone, la où le terrain est plus accessible financièrement, et beaucoup ont fermé, elles ont fermées parce que c’était de petites entreprises, qui étaient déjà en difficulté, et le fait de la relocalisation, de l’expulsion de leur lieu de travail, a été un motif pour fermer. L.: Y a-t-il au beaucoup de résidents affectés par les projets? M.A. : Non, des résidents pas beaucoup. Je ne sais pas exactement combien mais pas beaucoup. Comparé à l’échelle du projet pas beaucoup, parce que dans beaucoup d’endroits il y avait surtout des anciennes usines, qui n’étaient plus en activité. Mais des résidents il y en avait peu. Et pour ceux qui étaient affectés, il y a eu un compromis pour les reloger dans le même quartier, et qui est en cours. Avec trois options, ou bien du logement en accession à la propriété – logement social à la vente, ou bien du logement à la location, ou bien du viager, ce qui se fait beaucoup pour les personnes âgées : elles paient un loyer très bas et quand elles décèdent le logement devient propriété de la mairie. L.: Dans le centre historique de la ville on parle beaucoup de « mobbing » immobilier, je me demandais si ici aussi il y a eu de nombreux cas? M.A. : Ici aussi il y a eu des cas de mobbing, et dans la partie historique du quartier il y a eu des cas assez dramatiques. Et on dirait qu’il va y en avoir encore. Le cas le plus récent a été celui de 7 familles, qui vivaient dans le quartier depuis toujours, c'est-à-dire 35-40 ans. Une société immobilière rachète l’immeuble en 2004, et en plus de le racheter elle le déclare en ruine, et donc demande aux résidents de partir. Les habitants disent que non, il y a un procès, les résidents gagnent en première instance, et le juge énonce que la propriété doit réparer les dégâts de l’immeuble, pour que les gens puissent vivre dans des bonnes conditions. La propriété fait appel à l’audience provinciale de Barcelone, et à ce moment les juges énoncent tout le contraire, ils estiment que les réparations nécessaires surpassent 50% de la valeur de l’immeuble, et qu’ils ont donc le droit de déclarer l’immeuble en ruine. Dans ce cas, on peut dire que la justice s’est occupée de faire le travail sale des sociétés immobilières. Les 7 familles se sont donc retrouvées à la rue, sans droit à rien. Il y a donc eu une forte pression, par l’intermédiaire des médias, et on a réussi à obtenir qu’ils aient un logement en location. Mais ça a été difficile. L.: Ca fait combien d’années que les résidents du quartier sont organisés?
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M.A. : L’association de résidents est née en 1972, quand c’était encore l’époque franquiste. C’est pourquoi alors la lutte était commune et unitaire parce que l’objectif était de mettre à terre la dictature et obtenir la démocratie. Ensuite il y a eu une chute de mobilisation citoyenne, ou plutôt un manque de leaders parce que beaucoup de personnes qui étaient impliquées dans le mouvement ont eu des postes à la mairie, cela a laissé un vide, et aussi parce que la gauche considérait que comme elle avait gagné la majorité aux élections, l’association de résidents n’avait plus lieu d’être parce que par principe, la gauche se tenait de défendre les intérêts de la population. Mais ça ne se passe jamais comme ça. Quand quelqu’un détient le pouvoir, parfois il doit rééquilibrer les choses, et non pas seulement défendre les plus faibles. Donc dans cette situation, qui a été une époque de crise, l’accent a été mis pour remettre chacun à sa place, pour que l’association de résidents ait son rôle, et la mairie le sien. L.: Quelle a été l’attitude/ le rôle de l’administration envers les résidents lors du processus du projet 22@? M.A. : Je crois qu’en général, dans tout processus de participation- actuellement nous sommes en train de discuter le « plan de actuacion municipal » pour le mandat 2007-2011je crois que le mot « participation » est en train de se prostituer. Parce qu’on parle beaucoup de développer la participation, on demande de la participation, mais en réalité on veut que personne ne participe, on ne veut pas que les entités participent. Par conséquent dans le 22@ concrètement, quand vraiment on arrive à être écoutés, ou à accéder au dialogue et a la participation, c’est quand il y a la pression de la mobilisation. Sinon, le sujet prend rarement de l’importance, et la participation reste difficile. Actuellement nous sommes assez critiques quant au thème de la participation parce que la mairie fait dériver, ou se concentre sur la participation à niveau individuel, à niveau de citoyen et citoyenne, mais porte peu d’attention à ce que la participation implique un débat. C'est-à-dire qu’ils peuvent me demander si moi, en tant que citoyen, je suis d’accord pour qu’il y ait une caserne de pompiers à coté de chez moi ou pas, et je peux répondre oui ou non, ça dépend. Mais le débat pour savoir si c’est intéressant, important, dans quelles conditions… ce débat n’a pas lieu. Et quand on le soulève depuis les associations, eh bien souvent on ne le prend pas en compte. Il faut savoir que Poblenou est un quartier, je suppose que tu as vu qu’il est assez grand, mais dernièrement la mairie, dans la nouvelle organisation des quartiers au niveau de la ville, a crée 2 quartiers, elle a fait une nouvelle… enfin dans ce sens Poblenou a été le quartier le plus affecté parce qu’il a été divisé en 5 nouveaux quartiers. Et nous croyons que politiquement ça suit un objectif clair qui est de diviser le tissu associatif pour qu’il ne puisse
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pas s’unir. Parce que de notre coté nous sommes convaincus que le travail doit se faire en réseau avec de nombreuses entités, que ce soit des associations de résidents ou non. Mais le travail doit être fait en réseau pour être efficace, et pour qu’il ait réellement de la force, et aussi pour qu’il s’enrichisse. Et malgré ça eh bien la mairie essaye de diviser. Et parfois le tissu associatif est fragile, nous sommes confrontés à des difficultés, et ici la mairie divise plus qu’elle n’aide. L.: Quand a été faite la division? M.A.: Elle s’est faite à la fin de l’année dernière, et a été approuvée pour ce mandat, donc on travaille déjà comme si le quartier était divisé en 5. L.: Tu parlais de la façon dont se font les débats, je me demandais si les résidents sont d’accord avec le modèle de ville que propose l’administration, et la nouvelle image de la ville que suppose le projet, ou bien s’ils avaient une vision des choses différente, si ils avaient pensé à un autre modèle, une autre image.
M.A.: J’imagine qu’il existe différentes opinions. Mais en général, des interventions urbanistiques à l’échelle de la ville qui ont servi d’excuse pour faire un certain modèle de ville qui ne coïncide pas avec la population – les gens sont critiques. Par exemple dans le cas du Forum, il y a eu beaucoup de critiques, et ici dans le Poblenou nous sommes proches du Forum. Aujourd’hui on ne parle plus du Forum. Ils ont fait un grand investissement. Je ne dis pas qu’on n’ait pas atteint certains objectifs intéressants quant au thème des infrastructures, mais pour ce qu’il s’agit de la disposition du Forum, de l’espace, du Forum en tant que tel, en tant que débat d’idées et de contraste entre culture ça a été un échec. Et maintenant nous nous retrouvons avec un espace qui n’est pas utilisé, a part pour quelques événements pour lesquels sont faites des fêtes gigantesques ou pour certaines célébrations importantes, mais en tout cas ce n’est pas un lieu qui peut être visité de façon assidue par les gens, par les résidents et les résidentes. Ca ne l’est pas parce que c’est un espace très ouvert, en été il y fait très chaud et en hiver il y fait très froid à cause du vent de l’est, c'est-à-dire que ce n’est pas un lieu propice pour se promener et être bien, donc c’est un espace qui n’a pas accompli le résultat espéré...Et en échange tout ce que le Forum a supposé d’implantations, d’hôtels et de type de modèle de ville, eh bien c’est ce qu’on a voulu vendre. Pendant les jeux olympiques il s’est passé quelque chose de similaire, mais en échange nous avons gagné toute la frange du littoral. Tout ce qui faisait que Barcelone tournait le dos à la mer s’est ouvert. Et c’est important parce qu’à ce moment – non seulement Poblenou qui était en
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première file- sinon toute la ville a gagné ses plages. Mais on a d’avantage pensé la question des jeux et de l’infrastructure par rapport à la prise en compte des quartiers en tant que tel. Par exemple dans Poblenou on n’a toujours pas de bibliothèque publique. Enfin, à partir du moment où on définissait l’objectif du Forum des Cultures pour 2004, Poblenou devrait déjà avoir une bibliothèque publique. Eh bien nous ne l’avons toujours pas… Si tout va bien elle sera inaugurée au mois d’avril, pour la « Saint Jordi », le jour du livre. Mais seulement si tout va bien, elle est en train d’être construite mais on verra si elle sera terminée… ils y travaillent. C’est une ancienne usine aussi qui devait être démolie, on a réussi à ce qu’elle ne soit pas démolie, et pour le moment elle occupe la fonction de résidence pour personnes âgées, et la bibliothèque sera à l’étage. Mais ils se sont rendus compte que la bibliothèque devait supporter un poids très important, et la structure n’était pas adaptée, donc ils ont du refaire les calculs pour supporter le poids…mais le chantier est en cours. On voit ici qu’il y a une contradiction, on prévoit des grandes structures et des grands locaux, mais par contre on néglige la question de la petite échelle, de l’échelle de quartier. C’est pour ça que je dis que les gens, ou du moins les associations, critiquons ce modèle de ville qui est d’apparat, mais ne prend pas en compte les réalités à l’échelle du quartier et de la vie quotidienne des gens L.: Est ce que la population des quartiers a beaucoup changée depuis que la rénovation urbaine du quartier a commencé, c’est à dire depuis l’étape des jeux olympiques ? M.A.: Nous considérons que quand tous les projets urbanistiques qui sont en cours seront terminés, le nombre d’habitants va doubler. De 40.000 habitants nous sommes déjà passés à 68.000, et il se peut qu’on arrive à 80.000. C’est pour ça que nous avons demandé que des 4000 logements « protégés » construits dans le cadre du projet 22@, un tiers (résultat de la négociation et de la pression, parce qu’initialement nous avons demandé 50%) soit réservé aux personnes résidant dans le quartier, pour essayer d’équilibrer une certaine « perte » de population jeune qui a du partir du quartier, du fait que tout le logement qui s’était construit jusqu’ici était au prix du marché, et donc non accessible. L.: Y a t-il eu des propositions alternatives venant des citoyens organisés? M.A.: Pour Can Ricart il a été fait un travail très intéressant, nous essayons de ne pas seulement être dans la négation, mais de faire aussi des propositions. Dans ce sens, lié au fait de l’augmentation de la population, on avait prévu qu’il y aurait un déficit important d’équipements. Poblenou a été le premier quartier en 2001 à élaborer en partenariat avec la
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circonscription un plan d’équipements. Ce qu’il y a c’est que maintenant, ce projet qui a été déjà définit, il faut le finaliser. Mais on a obtenu l’approbation d’un certain nombre d’écoles, d’équipements sanitaires, de maisons de quartier, etc.…. Le problème c’est qu’’à l’heure actuelle pour les écoles par exemple, il y en a 3 qui sont en éléments préfabriqués parce que le bâtiment n’a pas encore été construit. Pour ce qui est des garderies, il en manque encore beaucoup par rapport à la demande qui a été faite. Mais le projet planificateur d’équipements qui a été fait, en quelque sorte c’est aussi une proposition, approuvée par la mairie mais qui a impliqué l’apport des associations qui ont dit : « il manque ça, ça, et ça… ». L.: Ca serait donc une manière de joindre les 2 vitesses dont tu as parlé avant? M.A.: Exactement. Ce qu’il y a c’est qu’actuellement, c’est qu’on ne corrige pas ce problème, les 2 vitesses ne se rejoignent pas, c'est-à-dire qu’ils mettent surtout l’accent sur tout ce qui est commerce. On dirait qu’ils sont en train d’essayer d’accélérer la construction de logement, parce que sinon ils n’arriveront pas à justifier ni ce qu’ils proposent ni ce qu’ils ont démoli. Mais même ainsi ça reste difficile parce qu’il y a une telle demande… lors du dernier « tirage » de logement, je crois que c’était en mai, 1500 logements ont été tirés au sort, et je crois qu’il y avait environ 50.000 sollicitudes pour ces 1500 logements – tous étaient soit à la location, soit en accession à la propriété. Donc la demande est très forte, et l’offre existante de logement public ne suffit pas à la satisfaire. L.: Quelles sont les moyens qu’ont les résidents pour faire pression sur l’administration? M.A.: Les moyens que nous avons sont ceux de toujours, c’est à dire la mobilisation, essayer de faire de réunions pour définir nos critères, mais souvent ce sont des dialogues de sourds… je ne dis pas que les résidents ayons toujours raison, parce que dans Barcelone il y a plusieurs exemples dans lesquels les résidents sont divisés. Et parfois leurs intentions ne correspondent pas à celles d’autres résidents. Par exemple je me réfère au phénomène NIMBY, qui est que quand un équipement est gênant, personne ne le veut… un équipement par exemple pour accueillir les toxicomanes, un équipement pour les sans domicile fixe, une caserne de pompiers– ce dont je te parlais avant. Tout ce qui nous dérange nous voyons que c’est nécessaire mais nous ne le voulons pas proche de chez nous. Et ça il faut le discuter, il faut bien que ce genre d’équipement soit mis quelque part. Il y a eu beaucoup d’affrontements, comme pour le centre de toxicomane de Vall d’Hebron par exemple – il y a eu des affrontements importants, quant au thème de l’AVE il y a une division, ce qu’il se passe en se moment a pris tellement d’ampleur, on a perdu toute confiance envers les
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techniciens qui garantissaient que les travaux se feraient en toute sécurité…Je veux dire que parfois nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez, nous n’avons pas une vision globale de la ville. Et donc les armes que nous avons à disposition pour obtenir ce que nous voulons sont la négociation et la mobilisation. Nous en avons eu la preuve avec Can Ricart. Ce qu’il y a c’est que si pour l’instant Can Ricart reste tel quel, avec ce que propose la mairie, eh bien ça sera déjà une victoire parce que nous avons réussi à ce que pas mal d’éléments soient conservés. Mais même de cette façon, nous avons perdu une partie importante que l’on considérait essentielle. Mais mis à part le fait de conserver le bâti, la partie du patrimoine, il y a une chose qui n’a pas encore été discutée quant à l’usage : nous voulions que tout l’espace soit à usage public, et installer le musée du travail dans les dépendances. Mais la Mairie a choisi d’y mettre la « casa de las lenguas », qui est une exposition qui était dans le Forum, payée par le fond européen, elle a un certain potentiel, mais nous ne croyons pas que ce soit la solution la plus intéressante. C’est comme je disais, la mobilisation arrive à changer les choses jusqu’à un certain point, parfois tu perds, parfois tu gagnes. L: Comment se sont coordonnées les différentes associations du quartier entre elles? M.A.: Nous avons essayé de faire un travail en équipe. Par exemple pour les équipements, il y a une plateforme qui unit toutes les associations du Poblenou, en tout il y en a 6 – Vila Olímpica, Gran Vía - Perú, Diagonal Mar, Maresme, Paraguay-Perú, Poblenou- eh bien toutes ces associations réunies font partie de cette plateforme d’équipements, et donc nous essayons de dépasser le cadre propre à chaque entité. Et c’est important parce que ça donne la base pour une vision beaucoup plus ample. L: Et à l’échelle de la ville?
M.A.: A l’échelle de la ville il y a la FAVB, qui actuellement encadre environ 105 associations de résidents, mais elles n’ont pas toutes le même poids. Si tu regardes la page web de la FAVB tu trouveras l’adresse, mais bon comme je disais c’est très inégal, le rythme, les demandes selon les associations, il n’y a pas de demande uniforme, parfois on essaye de se rassembler tous pour une même cause, mais bon… Par exemple une action qui a été plutôt importante et emblématique a été celle de la place Glories. Il y a là 4 associations de résidents qui interviennent : celle de Sagrada Familia, celle de Fort Pienc, celle de Clot et celle du Poblenou. Et ça a été un processus participatif plutôt intéressant, qui a inclut des mobilisations, et au final avant les élections
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municipales il y a eu une assemblée publique qui a dépassé les prévisions en terme de nombre de personnes, je crois qu’on a parlé de 500 personnes ou quelque chose comme ça. Ca a été une assemblée publique très intéressante et bien organisée quant aux interventions qu’il y a eu, et donc ils ont planifié un projet qui devrait se terminer en 2012 ou en 2013, et qui prévoit de démolir tout l’anneau, et la construction de logements. Il y a des éléments de divergence, comme par exemple sur le terrain qui est municipal, la mairie veut consacrer 13% à du logement « protégé », et environ 50% pour du logement privé, pour qu’ils en aient pour leur compte au niveau financier.
Nous pensons que sur un terrain entièrement
municipal la totalité devrait être consacrée à du logement protégé, et non à du logement soumis aux prix du marché. Mis à part ces divergences, quant aux équipements et espaces verts, je crois que c’est un travail qui a été commun et de dialogue avec la mairie, avec ses hauts et ses bas selon les moments. L.: Pour revenir au cas du Poblenou, depuis l’association de résidents avez-vous eu un moyen de réguler l’intervention privée ? M.A.: Peu, car nous avons surtout des relations avec la mairie, c’est à dire qu’avec le privé nous n’avons quasiment pas de relations, enfin avec le propriétaire de Can Ricart il y a bien eu une relation directe, lui au départ ça lui était égal si on construisait à un endroit plutôt qu’à un autre, parce qu’on ne remettait pas en question sa plus-value, c’était la mairie qui n’était pas intéressée pour changer les choses. Mais la négociation, le débat et la participation se font pratiquement toujours avec la mairie, ou avec la Generalitat, ça dépend du contexte. L.: On parle beaucoup en ce moment du modèle Barcelona, quel modèle est-ce ? Un modèle de participation, une façon d’agir entre le public et le privé, ou alors n’est-ce déjà plus un modèle ? M.A.: Je crois qu’on parle beaucoup de modèle, mais se modèle, si il existe, n’est pas un modèle que nous partageons, ou que le mouvement associatif de résidents approuve. C’est un modèle de « vitrine », très tourné vers l’extérieur, qui se veut de vendre Barcelone, mais qui ne prend pas en compte les problématiques ni les possibilités relatives aux citoyens qui vivons à Barcelone, les gens des quartiers. On dirait qu’ils n’ont pas de grand événement en perspective pour le moment. La philosophie qui régnait avant était que Barcelone devait avancer stimulée par de grands événements. Les expositions universelles à une certaine époque, les jeux olympiques, le forum, et tout ce qui a pu donner une impulsion à niveau médiatique, etc… On dirait que pour l’instant les nouveaux dirigeants de la mairie n’ont pas
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de perspective de ce genre, et je pense que c’est positif, mais si on ne change pas de direction, ca reste un modèle pour vendre Barcelone comme une vitrine, et non comme une situation qui répond à ses citoyens, leurs problèmes concrets, qui sont divers et variés. Et ça je ne sais pas si nous serons capable de le faire changer ou non, ou de commencer un débat en profondeur, mais le thème a été définit. L.: Donc à l’heure actuelle, quel est le thème qui a le plus besoin d’être débattu ? M.A.: Je dirais que c’est un double thème, un au niveau interne, qui serait d’arriver à obtenir un minimum d’accords et avec un débat de fond du…comment dire…comme une partie éthique du mouvement des résidents, c'est-à-dire vers où on va et ce qu’on a. Pour que ça ne soit pas tant une lutte pour quelque chose d’immédiat et d’éphémère, mais que nous ayons une ambition plus large. Et cela requiert un débat interne au niveau des associations, qu’est ce qu’on entend par participation, qu’est ce qu’on entend par culture, le choc entre différents cultures, le phénomène de l’immigration, de la vie en commun, en fait c’est un phénomène qui est très fragile, mais c’est un problème pour lequel le mouvement des résidents se doit de donner une réponse. Au niveau interne nous devons fournir un minimum de points en commun, pour ne pas nous disperser et ne pas être contradictoires avec nous même. A ce propos, avec la FAVB nous sommes en train d’ouvrir un débat qui va dans ce sens. C'est-à-dire repérer les bonnes pratiques des associations, voir comment on doit poser les problèmes, comment nous entendons la participation, comment nous la encourageons auprès de nos résidents et résidentes. Et l’autre thème qui serait plus externe serait le développement des quartiers, mais à l’échelle de la ville en ce moment il y a un sujet qui est au centre de tout débat. C’est le thème de l’AVE qui est très compliqué, surtout à cause des complications des travaux et tout ce qu’il se passe en ce moment. Ensuite il y a le thème des équipements, qui n’est pas seulement un problème caractéristique du Poblenou mais qui est présent dans toute la ville, et puis il y a le problème du logement. Ce sont des sujets importants auxquels ont doit répondre d’une façon ou d’une autre. Enfin il y a un dernier sujet auquel on n’accorde pas l’importance qu’il mérite, c’est le thème de l’environnement, du traitement des déchets…qui représente toujours une chose à part, comme une chose à laquelle on ne donne pas assez d’importance, parce que si on ne prend pas en compte l’environnement on se retrouve confrontés à certains problèmes, comme la coupure d’électricité du mois de juillet, quand la ville est restée 3 jours entiers sans électricité… si on ne se pose pas la question de quel système énergétique est nécessaire, et des ressources qui font défaut, eh bien comme toute autre chose nous ne pouvons compter sur des ressources inépuisables, il faut être rationnel. C’est pour ça que je crois que c’est aussi un
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débat qui doit s’ouvrir. A une certaine époque il y a eu le sujet de la « guerre de l’eau », on avait aussi un problème très important à ce sujet là, et la lutte duré plusieurs années, et je crois qu’au niveau énergétique il faudrait ouvrir un débat similaire. L.:
Pourtant le projet 22@ a été présenté comme un projet respectueux de
l’environnement…? M.A.: Oui mais bon, ils sont en train de mettre en place un système de convection de l’air pour profiter de l’air qui est en trop provenant de la station thermique du Besós, et par conséquent ils sont en train de faire passer de gros tubes par le quartier, tu as du voir qu’il y avait un certain nombre de rues dont le bitume a été ouvert, et ils disent que l’air chaud et l’air froid passeront par la, ça va être quelque chose de novateur, en effet ça peut l’être mais nous verrons bien…
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ENTRETIEN AVEC ZAIDA MUXI (TRADUIT DE L’ESPAGNOL), ETSAB [09.11.2007]
Zaida Muxi : Jordi Borja, quand il était à la mairie de Barcelona, a surtout travaillé dans les premiers organismes bureaucratiques pour la division territoriale de Barcelone, qui se voulait de rapprocher le gouvernement et la population, mais ce qu’il voulait aussi, c’était que chaque district puisse élire son représentant, et que ceux-ci élisent leurs représentants à la mairie et non le contraire. C'est-à-dire qu’actuellement, tu votes en général, et ensuite la division de pouvoirs se fait au sein de la mairie, et théoriquement le parti qui a le plus de voix est celui qui est élu, mais ça ne marche pas toujours comme ça…Forcément ils voyaient ça comme une perte de pouvoir. C’est sur que ça répartirait les votes différemment, parce que forcément si tu votes dans ton district tu votes plus pour une personne que pour un parti. Et pour ce qui est de la participation à Barcelone, au début ça ne s’appelait pas participation mais il y a avait plus de participation que maintenant. Ca ne s’appelait pas participation, et surement aussi parce qu’à cette époque les canaux de participation n’existaient pas, et les gens étaient plus mélangés, tant les politiciens – les futurs politiciens, que les techniciens et le reste de la population, il y a avait plus d’harmonie, et donc il y a eu un moment ou le gouvernement était vraiment démocratique, car les politiciens, les professionnels et le reste de la population voulaient les mêmes choses. Par conséquent une fois que les premiers objectifs ont été atteints…à partir des jeux olympiques eh bien les choses ont changé. C’est sur qu’en 1993 ça a été la fin d’un cycle, quelque chose a terminé, et après ça a été autre chose. Et je crois que progressivement, enfin nous sommes plusieurs à penser ça, la distance s’est accrue entre la population et les hommes politiques, et entre les professionnels et la population surtout.
Leslie : Est-ce que cette distance qui s’est installée petit à petit pourrait être au changement d’échelle des projets? C'est-à-dire que dans une opération de rénovation urbaine à grande échelle, il parait plus difficile de faire participer la population, non ? Z.M. : Le fait est qu’il pourrait y avoir des échelles de participation. Quand a été fait le plan 22@ pour le quartier du Poblenou, au début les gens, les citoyens, trouvaient ça très bien, ça avait l’air d’être un bon projet, mais ensuite la façon dont il a été mis en œuvre n’a pas été comme…enfin ça peut être interprété de plusieurs façons, mais en tout cas la façon dont l’ont interprété les citoyens n’a pas été la même que la façon dont l’a interprété la mairie, et les gens du quartiers se sont sentis très délaissés. C’est sur il préconise un changement de population…
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Et c’est un quartier dans lequel il manque beaucoup d’équipements. Mis à part de ce que le plan 22@ avait d’intéressant, qui aurait pu être la superposition de strates…il ne s’agit pas de faire table rase, comme le voulait le Plan Voisin, ou comme le voulait le projet du GATCPAC qu’ils proposaient pour Barcelone, dans lequel il s’agissait de faire table rase comme dans le Plan Voisin. Et je crois qu’en plus si on regarde ça au niveau de l’urbanisme il y a aussi ici une perte d’opportunités, si on se place dans la logique, enfin ça ne correspond pas à la logique des habitants, mais même si on se place dans la logique de la globalisation, je crois qu’il y a une perte d’opportunités. Parce que, si c’est pour faire un bâtiment banal, d’une architecture que tu peux trouver n’importe où dans le monde, pourquoi viendrais-tu t’installer à Barcelone et payer le prix que coute Barcelone ? Si tu viens à Barcelone c’est pour profiter de quelque chose, non, pour tirer profit de certaines caractéristiques, d’une histoire, d’un effet du temps, donc si tu as une usine, eh bien utilises la pour donner plus de valeur au nouveau bâtiment que tu vas construire, et non pour t’opposer, ça me parait beaucoup plus…mais évidemment, moi je crois qu’il essaient de dissimuler un processus qui n’a rien à voir avec ce discours, mais qu’ils veulent rendre les choses plus faciles pour le promoteur, pour un promoteur très simple, très peu… un peu entrepreneur en réalité, un spéculateur qui veut un terrain vide pour pouvoir construire à tout prix, peu lui importe. Donc si tu ne le voyais pas du point de vue duquel tu veuilles attirer l’argent global, tu devrais offrir quelque chose de différent, qui ne pourrait pas être à Shangai, ou qui ne pourrait pas se trouver je ne sais où…à Paris ou à New York, parce qu’en plus ce type de quartier existe dans toutes les villes du monde, la zone dans Paris à coté de la bibliothèque par exemple, la zone ‘Seine Rive Gauche’, c’est exactement comme Poblenou : le même type de publicité, le même type de bâtiments, le même discours, la même chose de laisser le nom d’une usine, la même persécution envers ceux qui restent, des artistes, il se passe la même chose avec l’urbanisme de Buenos Aires ou de Shangai. C’est exactement pareil, c’est comme une scénographie de ville, il n’y a pas de ville là dedans. C’est comme s’il manquait un regard critique, on s’applaudit soi-même, ceux qui ont fait ‘Seine Rive-Gauche’ applaudissent le projet 22@ et ceux qui ont fait 22@ applaudissent Seine Rive Gauche. L.: Est-ce que le fait qu’il y ait une part importante d’intervention privée contribue à éloigner le projet des volontés de la population et ait une influence sur le type d’architecture réalisée? Z.M.: Le fait est qu’il y a un projet public, et théoriquement il y avait des aires de projet bien définies. La Mairie est propriétaire des rues, plusieurs choses lui appartiennent, et dans chaque unité de projet la Mairie possède différentes propriétés. Par exemple dans le cas de
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Can Ricart, la Mairie possède quasiment 30%. En plus c’est la mairie qui donne son accord pour les permis de construire. Ce pouvoir, si la municipalité est forte – par exemple à la fin des années 80, il y avait toute une opération privée, tout le terrain appartenait au même promoteur, et la mairie a dit ‘on te laisse construire là, mais tu dois suivre ce programme, ce schéma urbain, et le jury qui déterminera qui est le gagnant du concours est celui-ci, et on fait un concours international, sinon, tu ne construis pas.’ Tu vois là au moins c’est clair que toutes ces obligations, il doit les suivre, sinon, il n’est pas à Barcelone. Et maintenant on n’a plus cette capacité de dialogue, c’est dommage. C’est aussi une question de laisser-aller de l’administration, et tu es là face à un quartier industriel historique, tu parles de récupérer un patrimoine, tu dis que le patrimoine sera integré au projet, alors ne fais pas un catalogue, regarde d’abord ce qu’il faut conserver, plutot que de dire on verra ce qu’il faut maintenir plus tard, c’est sur, si j’achète une usine, j’achète un terrain, je ne suis pas en train d’acheter un terrain et ensuite un bâtiment... L.: Manel Andreu me disait que dans le cas de Can Ricart, ils avaient pu parler directement avec le propriétaire, mais que le problème ne venait pas de lui, le problème venait directement de la volonté de la Mairie. Quel intérêt a la Mairie à faire une chose plus qu’une autre, si de toutes façons la plus value revient au propriétaire ? Z.M.: Nous non plus nous ne comprenons pas, nous pouvons le soupçonner, mais il n’y a pas de moyen de le vérifier. Plus que la mairie concrètement ce sont des personnes de la mairie… et je ne sais pas si c’est une question de pourcentages, comme d’habitude. Mais la Plateforme pour Can Ricart avait parlé plusieurs fois avec les propriétaires, et ils étaient disposés à le faire, ils disaient s’il faut conserver on conserve, en plus ils n’avaient pas forcément envie de détruire le patrimoine de leurs grands pères et arrières grand pères, donc ça ne les dérangeait pas si il fallait le garder, et dans ce que nous avons fait, qui pourrait être un schéma de bâtiments, nous voulions juste démontrer qu’on pouvait construire autant sans détruire les usines, il aurait fallu prendre plus de hauteur mais il y a un parc en face, il y avait de l’espace pour le faire, là n’était pas le problème. Mais la mairie n’a jamais…c’est un mystère ! … Surtout que l’architecture qu’ils proposaient a toujours été très banale, c’est un architecture avec des petites boites de verre, qu’est ce que ça t’apporte de plus…tu peux la trouver n’importe où dans le monde, ça n’a aucun charme. Mais il y a comme un manque de sensibilité, un manque de capacité à réfléchir à…si on considère une roue comme ça, et il arrive un moment ou il fait faire telle chose, ils ne diront jamais ici il y a un petit obstacle qui va nous faire changer ceci, jamais. Donc par exemple le bâtiment de Can Ricart, qui en plus est un bâtiment intéressant non, la trame est
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comme ça, celle de l’ ‘ensanche’ est comme ça, à cause de la trame des canaux…et si tu le conserves ça donne un résultat très enrichissant, il y a une autre zone industrielle, ‘Palo Alto’, qui est municipale, cet endroit est une fondation, il y a une rue qui vient comme ça, et selon les plans, ils devaient ouvrir ici. Et il est arrivé un moment où quelqu’un a commencé à discuter avec ceux qui défendaient cette proposition que toutes les rues doivent se prolonger, bien sur on disait tous que les rues devaient être prolongées, mais c’était une idée générale, bien sur si tu te retrouves face à une pièce industrielle, eh bien tu la coupes comme quand Cerdà s’est retrouvé avec le bâtiment de l’université, il l’a coupé aussi. Ce qui est hallucinant c’est que ça ne s’arrête jamais, si la rue doit continuer, elle continue. Ca n’a pas d’importance si il y a une rue plus loin et que de toutes façons la rue est coupée par la rocade (les voies rapides) plus loin, parce que c’est le cas à Can Ricart, la rue est coupée un peu plus loin à cause du théâtre. Je veux dire la rue peut être coupée et reprendre à un autre endroit. C’est donc ce manque de flexibilité, ce peu de capacité à réfléchir, pas seulement selon ce que les habitants disent, ni selon les besoins, ni selon les traditions, c’est aussi une question d’actualiser ton bagage architectural en tant qu’architecte et urbaniste, on ne peut pas continuer à faire ce qu’on faisait il y a 30 ans…parce que les choses changent, parce que les critères ont changé, parce qu’il y a d’autres valeurs, parce que chaque époque a ses valeurs…le patrimoine historique, aujourd’hui il est comme ça, il y a cent ans il était différent, et dans cent ans il sera encore autre, c'est-à-dire que à chaque moment historique, enfin à chaque moment les besoins détermineront la valeur historique d’un bâtiment. Aujourd’hui l’industrie du 19ème siècle a une valeur historique pour les citoyens. Certainement elle n’avait pas cette valeur au début ou à la moitié du 20ème siècle, parce que c’était encore trop proche, mais cette tendance à ne garder que ‘la Pedrera’ ou d’autres bâtiments art nouveau, et détruire ce qui a rendu cela économiquement possible c’est garder seulement la moitié de l’histoire, c’est comme si on générait une espèce d’amnésie…ce n’est pas si fortuit, la mémoire qu’on efface ce n’est pas fortuit quand on l’efface, on efface la mémoire ouvrière, la mémoire conflictuelle comme on dit, d’ailleurs cette mémoire n’est pas forcément agréable pour les ouvriers eux-mêmes non plus. Mais c’est l’histoire de tous, et la majorité de la population vient de là. Forcément personne n’aime se souvenir de choses désagréables, si on peut appeler ça désagréable, moi je ne trouve pas. Mais si on ne s’en souvient pas, on le perd. L.: En plus d’effacer une mémoire, la conséquence est qu’on efface aussi un certain type de population non?
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Z.M.: Exactement. Je ne sais pas comment Manuel Andreu te l’a raconté, mais à un moment, quand ils discutaient avec le président du district de la Mairie, à propos des ateliers qu’il y ait dans Can Ricart, eh bien cet homme politique de gauche disait ‘Celui qui ne peut pas payer pour travailler à Barcelone n’a qu’à partir’. Ca c’est un dictateur non, et après la Mairie tient des discours de durabilité… Ils parlent de la ville proche, de la ville des personnes…qu’est ce qu’il y a de plus ‘ville des personnes’ que de pouvoir aller à pied à son travail, laisser ses enfants à l’école, ensuite aller à l’usine, revenir les chercher, rentrer avec eux chez soi… ça c’est impossible, les gens qui travaillaient là bas, en plus c’était une usine – je parle de ce cas parce que je le connais bien – et le type d’usine qu’il y avait, il y avait de tout, compatible avec une ville « propre », depuis des activités super artisanales à des activités technologiques, et maintenant tout ça a été perdu, je ne sais combien d’entreprises… ils n’y avaient jamais mis les pieds, le projet se fait en plan, c’est sur tu dessines un plan, et le plan, c’est rien, il n’y a personne sur le plan, il n’y a pas d’activités réelles, il n’y a rien de réel. C’est pourquoi la situation aujourd’hui est terrible pour beaucoup de raisons, parce que tout est compliqué, parce que… tu peux croire ou non que dans un an ce monde pourrait être amené à disparaître, tu le crois ou tu le crois pas, tu peux avoir confiance en ceux qui disent ça d’un point de vue scientifique, j’ai entendu à la radio qu’il y a cent ans on disait qu’il n’y aurait pas assez de nourriture pour toute la population de la planète et que finalement ça n’a pas eu lieu, et bien c’est relatif, parce qu’il y a beaucoup de gens qui meurent de faim, et beaucoup de gens qui mangent trop… mais bon finalement ça n’est pas arrivé parce que comme ça avait été annoncé il y a eu des changements, tu vois c’est ça, s’il n’y avait personne qui disait ‘attention le monde est en danger, nous n’allons pas continuer à construire des villes partout, et je ne sais quoi’, on continuerait à faire toujours tout pareil. Donc peut-être que si, enfin je croise les doigts, si les choses changent dans cent ans le monde sera toujours à sa place, ce n’est pas que ce qu’ils aient dit n’était pas sur, mais c’est parce qu’ils l’ont dit, et donc quelqu’un a commencé à se bouger pour faire changer les choses, non. Si on suit cette logique on dirait que tout peut changer, enfin pas changer, avancer, plus de développement. Tous les pays ont besoin de croissance économique. Après ils te disent que l’Espagne a eu seulement une croissance de 2%, mais bon si il n’y a pas eu de croissance de population, pourquoi a-t-on besoin de la croissance, tu vois l’économie…pourquoi faut-il accumuler…L’Argentine, L’Amérique Latine est en croissance, qu’est ce que ça veut dire ? C’est un mensonge, il n’y a pas eu de croissance, il y a une croissance sur la base de faire exploser les ressources naturelles, qui n’existeront plus dans quelques années, ils sont en train de tout bousiller, avec la biogénétique, le bio pétrole, avec les complexes hôteliers qu’il sont en train de construire. Mais il n’y a pas de croissance, c’est un mensonge, il y a de la croissance…même si ça implique que des gens meurent inévitablement. Et il y a des gens qui meurent de faim dans les campagnes. Il peut y ENSAPLV _ 2007 // 2008
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avoir de la croissance, ça n’a pas d’importance. C’est comme si toutes ces histoires, tous ces chiffres qu’on fait tout le temps, c’est l’effet de la distance, non ? C’est l’effet du projet, on projette à distance. Et je crois que d’un autre coté, il y a toute une publicité et des médias qui donnent de l’importance aux personnes, aux individus, comme s’ils étaient des consommateurs. Donc tout est moi, moi, moi… Et en plus tout est ‘moi’, mais là ou je vis, dans la ville ils ne me demandent pas mon avis. Comment ça se fait…Tout est projet mais ils me changent la rue sans rien me demander. Je veux dire que, je crois que même si on essaye de promouvoir cette idée de l’individuel, ça fait que les gens finissent par penser qu’ils n’ont aucun droit…ils sont consommateurs de ville, et n’ont pas à dire si ça leur plait ou pas. Il y a toute une logique que je ne comprends pas, ou peut être ils ne se rendent pas compte qu’au final ils appartiennent au même monde, ce sont les mêmes qui commandent les deux logiques, puis ensuite ils se rendent compte que même si avec la publicité il font de toi un protagoniste individuel, tu réclameras dans d’autres domaines, tu ne vas pas te satisfaire de choisir entre 20 chemises différentes. Tu voudras aussi pouvoir choisir si ta rue est rouge ou verte. Et étant donné tous les problèmes du monde, et la variété de population qu’il y a dans chaque endroit...c’est sur penser qu’on peut continuer à faire de l’urbanisme à distance et en croyant ‘je suis un dieu tout-puissant’...je crois qu’on est sur la mauvaise pente... En plus comme ils sont en train de faire un projet comme n’importe quel ville ‘Seine Rive Gauche’, Poblenou au final, ils construisent des choses tant homogènes, tu vois selon la ville où tu te places, c’est parfois difficile de maintenir cette homogénéité. Tu généres des fragments...et puis tu oublies...C’est aussi ce dont parle cet article de Joan Subirats de l’autre jour, qui compare les revenus selon les aires de Barcelone, c’est un rapport qui est sur le site de la mairie, et c’est assez préocupant, tu vois dan cette zone de Barcelone, le revenu moyen est de 143, ici 243 plus ou moins vers Turo Parc, et puis vers Trinitat Nova et cette autre zone là c’est 43...et cette différence a augmenté ces dernières années. A la mairie il y a un politicien qui s’appelle Ricard Gomà qui s’occupe des politiques sociales, et il fait beaucoup d’efforts pour essayer de minimiser tous les problèmes que générent les autres politiques, surtout la politique urbaine qui suppose beaucoup de personnes déplacées, beaucoup de gens qui n’ont pas de ressources, enfin beaucoup de ces changement productifs qui sont en train d’être crées, en supprimant du travail, toujours plus d’ordures... et il essaye de faire une politique sociale qui a un peu un rôle de parachute, mais quand ce n’est pas possible, et bien c’est une bombe...
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L.: Je suppose qu’en plus l’immigration vient s’ajouter à ce phénomène…mais j’ai l’impression qu’on n’en parle pas beaucoup ici…
Z.M.: Je crois que pour l’instant, comme l’immigration a pu rencontrer quelques brèches de postes de travail, il y a une nécessité de main d’œuvre…ce n’est pas un problème. Il y a probablement des conduites racistes qui je ne sais pas pourquoi sont plutôt bien ancrées, enfin c’est sur qu’il y a des quartiers ou il y a plus d’immigrants, forcément là il n’y a pas d’immigrants, mais…il existe des politiques d’éducation par exemple, il y a des politiques plus dirigée vers l’assistance aux immigrés. Le problème c’est quand une d’elles tombe, quelqu’un me demandait si là en haut à Ciutat Meridiana ça pouvait exploser, oui là c’est bien chargé…Mais bon personne considère que c’est à Barcelone. Ca c’est quelqu’un de la mairie qui me l’a dit, là c’est une bombe…bien sur tant qu’il y a du travail, tant que…c’est sur quand tu arrives tu acceptes les règles du jeu non, quand tu arrives dans un endroit, moi non plus je ne suis pas d’ici, quand tu arrives dans un endroit, tu acceptes…à moins que tu ne sois prétentieux, et que tu sois très désorienté, tu acceptes de jouer selon ENSAPLV _ 2007 // 2008
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des règles dans lesquelles tu es inférieur aux gens locaux, à moins qu’il ne t’aient demandé de venir parce que tu es un génie, parce que ce n’est pas vraiment las majorité des cas… ! Maintenant si avec le temps qui passe, tu ne changes pas de position, et que par exemple tu subis la ségrégation à cause de la couleur de ta peau, parce que c’est la chose la plus évidente, donc avec cette question de couleur de peau tu peux avoir peur de n’importe quel type de rejet. L.: Je change de sujet, j’ai entendu que le plan 22@ avait pour l’instant peu de succès, et qu’il n’y avait pas autant d’entreprises qui s’étaient installées par rapport à ce qui avait été prévu…comment penses tu que cela va évoluer dans le temps?
Z.M.: C’est clair maintenant, le problème c’est qu’on a beaucoup démoli avec le temps... Il y a beaucoup de logement, maintenant on a un problème, je ne sais pas si tu as vu ces jours ci il y avait “Meeting Point” ( salon du logement), et c’est ça.... tout d’un coup on se demande ‘aïe, qu’est-ce qu’on va faire de tous ces appartements?” Maintenant je ne sais pas si ils vont arriver à vendre les appartements. Il y a beaucoup de logements vacants. Après, les bureaux en location, je ne crois pas qu’il y en ait tant que ça non plus. Pour l’instant il y a eu un ‘business’ important de certaines entreprises comme Telefónica, qui par là sur la Gran Via possède un bâtiment très grand- là il y a Sants- et ils ont vendu ce bâtiment – je ne sais pas comment se serait résolué l’affaire s’ils ne l’avaient pas vendu – ils l’ont vendu à une entreprise qui fait je ne sais quoi, une entreprise qui va construire je ne sais combien de milliers d’appartements, et Telefonica se déplace ici, à coté du Forum, dans un bâtiment –ça a été paru dans El Pais, et dans El Mundo bien sur- que construit Barcelona Regional, qui est une de ces entreprises, comme je te disais avant... non seulement il n’y a pas de publications, mais en plus ce n’est pas juste la Mairie qui fait les choses, mais aussi Barcelona Regional, le ‘Consorci’, le Port de Barcelone... pour moi ce n’est pas encore clair ce que signifie chacune d’entre elles, ni qui est derrière, donc si moi je ne trouve pas ça clair j’imagine que c’est encore pire pour les gens ‘normaux’... parce que qui est derrière tout ça? C’est de l’argent public, mais il est geré de manière...c’est ça qu’on fait pour rendre la gestion plus souple. Les entreprises publiques, qui fonctionnent comme des entreprises privées, c’est sur elles doivent rendre la gestion plus souple, mais elles ne sont pas transparentes, elles n’ont pas de visage, il n’y a personne, c’est pour ça par exemple qu’avec le problème autour de L’AVE, qui est responsable...ben...personne, puisqu’il n’y a pas une seule figure politique, ni un seul responsable.... Donc Barcelona Regional construit ça, et Telefonica le loue. En théorie ce que font toutes les mairies et toutes les institutions publiques c’est : j’ai besoin d’une école, donc l’entreprise ‘x’ construit l’école, je l’utilise en tant que mairie et je lui paye un loyer. Cette entreprise pendant 50 ans sera une école. ENSAPLV _ 2007 // 2008
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Comme le terrain est public, eh bien cette entreprise récupère son argent et moi je garde l’école pendant 50 ans. Ca veut dire que la mairie ne débourse pas de grande quantité d’argent et en plus c’est détaxable, ce qui évite de mobiliser une trop grande quantité d’argent en une seule fois. Comment ils voient ça alors, qu’ils fassent un bâtiment pour Telefonica, en plus qu’ici il y a des affaires immobilières incroyables...que se passera-t-il, je ne sais pas... cette soif du gain qui fait que tout doit se savoir tout de suite, et vite... Parce que s’ils font ce type de ‘business’, qu’est ce qu’ils ont d’autre comme excuse non.... le plus incroyable c’est que personne ne fait le lien, c’est publié dans la section ‘économie’ de El Pais, personne ne les lit, enfin ceux qui le lisent ça leur parait bien... L.: Existe-t-il un groupe d’architectes à Barcelone qui travaillent sur le thème de la participation citoyenne? J’entends beaucoup parler des relations entre la mairie et les citoyens, mais peu entre les citoyens et les architectes. Z.M.: Il y en a peu. Il y a Arquitectos Sin Fronteras, eux si, surtout quand il y a des conflits. La personne qui a beaucoup travaillé là-dessus est Itziar Gonzales qui est maintenant à la mairie, elle a été célèbre grâce à ça. Mais maintenant je ne sais pas ce qu’il va se passer parce qu’elle est à la mairie en tant qu’indépendante, c'est-à-dire que le parti profite de son parcours, mais en réalité ils ne lui accordent pas beaucoup d’attention, je ne sais pas combien de temps ça va durer. Elle est à la mairie depuis mai, depuis les dernières élections. Mais j’ai déjà entendu plusieurs anecdotes … L.: Pourquoi font-ils tant de publicité si après la participation n’est pas réellement appliquée?
Z.M.: Parce qu’il leur reste l’idée de la participation, parce que par exemple, je ne sais pas si tu es allée voir cette page web de la mairie à propos du plan de participation, pour lequel il y a des panneaux dans la rue, ça ça leur fait des chiffres sur le nombre de personnes qui vont voir la page web, il y en aura peut être 10.000, 100.000, 200.000... ce n’est pas de la participation... parce qu’on n’y voit jamais ‘ces gens là disent ça’, ou ‘nous disons ça’, ça n’existe pas... et eux ils comptent comme de la participation n’importe quel type de session informative. Le problème est comment sont diffusées les choses et en plus la dépréciation qu’ils ont envers n’importe qui qui chercherait à se plaindre, et qui dit que ça ce n’est pas de la participation... Le seul processus participatif vraiment réel qui s’est fait ici a été Trinitat Nova, je ne sais pas si tu connais, eh bien ils ont fait un processus participatif - si tu veux venir au master dont je te parlais fin novembre il y aura l’architecte qui a travaillé avec eux. Ca faisait beaucoup d’années que les gens avaient des tubes qui passaient chez eux parce
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que les bâtiments s’effondraient, les gens préferaient avoir des poteaux chez eux pendant des années pour que ça tienne debout, pendant qu’ils pensaient leur quartier. Je crois que ça a été le seul et unique processus sérieux et complet, avec des réunions toutes les semaines dans quatre domaines de travail, urbanistique, économique, sociale et éducative, les habitants appelaient le technicien pour qu’il les aide, c’était des réunions tous les mercredis, des after hours à l’association d’habitants pour travailler sur les thèmes, et c’est le seul...parce que tous les autres, à Ciutat Vella, Santa Caterina, le quartier dans lequel je vis, la participation s’est limitée à des petits papiers affichés chez le boucher ou dans quelques boutiques...tu devais écrire ton nom, ton numero de carte d’identité, et la question que tu voulais poser pour qu’elle arrive jusqu’à une réunion plenière... ben moi je l’ai vu trop tard, quand c’était déjà passé, c’était la seule occasion, mais chez moi je n’ai reçu aucun papier – et je n’en reçois toujours pas maintenant. Et donc ils continuent à raconter des histoires, c’est sur il y a quelques habitants qui vont aux réunions de manière individuelle... combien de fois ont-ils fait des réunions avec les ‘personnes célèbres’ du quartier, je veux dire, des architectes, des artistes, blablabla... qui se sont réunis avec le conseiller municipal, qui pensait qu’ils seraient de son coté, avec toutes ces gens ‘fashion’ qui vivent ici...et puis il leur a sorti le plan directeur, tout le monde a commencé à critiquer, et ils n’ont plus jamais convoqué personne...Mais bon c’est l’addition non, une session de participation avec 100 personnes... Et quand tu fais une plaidoirie, qui est la façon dont tu peux participer non, les cas dont j’ai entendu parler, à chaque fois ils répondent avec la même lettre, la lettre standard : “ blablabla, merci beaucoup”, et après ils ne font rien. Ils n’incorporent aucune des propositions. Par exemple dans le cas de Can Ricart, selon la loi, les associations d’habitants reconnues compte sur une personne du service d’urbanisme de la mairie pour qu’il leur transmette l’information, les informations mises à jour sur le quartier. A Can Ricart, chaque fois que nous allions discuter d’un thème, ou que les gens allaient discuter d’un thème, le plan qu’on avait était toujours ancien...mais c’était le seul qu’ils nous donnaient, non? Nous ne pouvions pas avoir plus d’information que celle qu’ils nous donnaient. Donc ils disaient “ah non mais ça c’est déjà vieux, c’est plus comme ça”...bon alors comment c’est maintenant? C’est ce qu’il y a sur le site internet, ou c’est ce qu’ils nous ont donné? Comment va-t-on arriver à obtenir cette information? A partir de la, dans un processus de participation il y a forcément des échelons, des moments déterminés, que faire, comment le faire, pour qui, ouvrir le processus de débat, des processus qui vont aboutir à une éducation mutuelle. Mais ça ils ne s’en occupent pas parce qu’ils disent “c’est que quand on fait de la participation, les gens qui viennent disent seulement ‘je ne veux pas’” L’unique expérience de participation que j’ai connue, moi, qui n’est pas de la participation directe, ce sont des ateliers avec des femmes, pour parler de la ville comme si c’était des ateliers de ENSAPLV _ 2007 // 2008
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participation. Eh bien là on a mis en place une action réelle, que l’on obtient quand les gens participent, et quand ils voient que rien n’est fait ou qu’ils n’ont pas de réponse à ce qu’ils disent, eh bien ils arrêtent de participer. C’est clair, tu ne vas pas perdre ton temps, ça revient très cher de participer... Et en général, c’est rare que les gens remettent sur le tapis leurs questions personnelles, ‘dans ma rue’, ‘sur le pas de ma porte’. En général ils ont des lectures très...et encore plus de la part des femmes que des hommes, des lectures très transversales, qui englobent toute la ville, avec un sens commun incroyable... c’est sur les règles sont rigides, elles sont faites à distance, mais les règles ne sont pas un commandement, ce sont des hommes, elles ne sont pas des commandements de dieux, qui ne peuvent pas se toucher! Les loi c’est nous qui les faisons, donc elles peuvent changer, non, si la loi nous le permet, si c’est la règle, eh bien ça peut se changer, ont peut faire des règles qui tout en étant hiérarchiques, alternent avec des moments non-hiérarchiques. Parce que si tu as un plan général qui date des années 50 ou 60, qui disait ça ça va là, ça ça va ici, 30 ans après tu ne peux pas continuer à suivre ce plan parce que les choses ont changé...et même si tu gardes en tête ce plan, quand tu vas dans un quartier tu devrais pouvoir être capable de discuter avec ce quartier, parce que peut être qu’il a changé, donc pour voir ce qu’il s’y est passé, puis revenir au plan général, le changer, et revenir sur place.... Et puis quand tu fais un plan à l’échelle du quartier, il faut que tu changes encore d’échelle et que tu regardes... bon, que va – t-il se passer à ce croisement? Qui va marcher dans cette rue? Où vont vivre les gens? Où est ce que les enfants vont aller à l’école? En théorie la loi est parfaite et donc si tout va bien il y aura des écoles. Menteurs! Ils construisent du logement pour 8.000 personnes sans même construire une école. Et quelques années plus tard...”aïe...les gens n’ont pas d’endroit pour envoyer leur enfants à l’école...” C’est sur, si tu construis du logement c’est pour y mettre des familles jeunes, et c’est sur que certains d’entre eux auront des enfants...C’est comme si tout se découvrait... ‘ah là ça ne marche pas’... Ca n’a aucune logique. L.: Qu’est ce qui pourrait être changé pour que la participation citoyenne à Barcelone soit plus effective? Z.M.: C’est sur il doit y avoir une volonté de participation, une volonté des la part des techniciens d’écouter réellement. Que ça soit clair qu’il faille travailler transversalement, parce que ça non plus ça n’est pas le cas, les gens du département d’urbanisme n’écoutent personne, même pas un autre professionnel de la culture, du commerce, de l’éducation...ils n’écoutent pas... vraiment ils font un projet et ça leur est égal ce que dit le conseiller d’éducation... Donc c’est un programme politique qui veut que les gens parlent, un professionnel capable d’écouter ses collègues des autres secteurs, et d’écouter les gens, de ENSAPLV _ 2007 // 2008
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dialoguer, d’enseigner, d’apprendre, et c’est un processus qui prend plus de temps, et c’est pas juste “on va mettre une rue là et ...ah, il y a des logements...bon c’est pas grave...”. Et puis parcourir les sites, regarder : “ah là il y a des gens, qu’est ce qu’on fait”. Et ça sera sûrement plus compliqué... mais quand il n’y a pas... il peut y avoir des moments ponctuels lors desquels tu vas avoir besoin d’une politique urbaine rapide, des jeux olympiques, une catastrophe, ou une... justement il y a des bâtiments qui se sont effondrés à cause d’un problème de tunnel, et ils mettent énormément de temps à résoudre ça... Il peut y avoir des moment ponctuels dans les lesquels la rapidité a un sens, mais en temps normal, la rapidité ne vaut pas...et je crois que de moins en moins parce que dans un monde ou les gens commencent à être plus conscients de leurs droits, même si ils sont super individuels, les gens sont plus conscients que les professionnels des questions de durabilité en général, les gens sont plus conscients de la difficulté que présente le fait de devoir partager le ‘reproductif’ et le ‘productif”, les gens sont plus conscients de ce que ça veut dire être une personne âgée, et il y en a de plus en plus, et de plus en plus âgées, ce que ça veut dire être un enfant dans la ville, tout ça n’est pas pris en compte, parce qu’on continue à penser pour personne...et donc c’est tout ça qui doit changer, mais c’est comme changer des ‘puces’ ... ça va du politique qui ne peut pas travailler 4 ans, le plus hallucinant c’est qu’on a un parti politique qui est là depuis 20 ans, alors pourquoi il ne peut pas travailler dans la continuité... s’ils savent que c’est eux qui ont, et qui continueront à avoir la ville...Faites un effort, n’agissez pas avec autant d’insolence, non?
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ENTRETIEN AVEC FERNANDO PINDADO (TRADUIT DE L’ESPAGNOL), ‘SUBDIRECTOR GENERAL DE PARTICIPACIÓN EN EL ÁMBITO LOCAL’
[19.11.07]
L: Peux-tu m’expliquer en quoi consiste ton travail exactement?
F.P. : En Espagne, tu sais que nous avons les communes autonomes, c’est à dire en France vous avez les régions mais ce sont des régions qui ont peu de compétences, eh bien cette carte d’Espagne d’états autonomes est appliquée en Catalogne depuis 4 ans, le gouvernement catalan, la Generalitat, a décidé d’incorporer au programme du gouvernement tout une ligne d’action en relation avec la participation citoyenne. A cette époque, en 2003, nous étions la première commune autonome en Espagne à incorporer cette direction de travail à l’action gouvernementale. Maintenant il y a cinq communes autonomes en Espagne qui travaillent la dessus. Dans le cadre de cette orientation de la Generalitat de promotion d’un politique publique de participation, nous travaillons ici sur deux grands blocs. Le premier tient à voir avec les politiques propres à la Generalitat, en termes d’éducation, de transport, d’environnement, de culture, de santé, etc…, et ensuite le deuxième consiste en une relation directe avec les mairies, qui historiquement en Espagne et dans le reste de l’Europe, sont ceux qui ont le plus travaillé pour rapprocher l’action du gouvernement pour mettre en œuvre la démocratie, dans le sens à ce que les citoyens fassent partie du processus de prise de décisions de manière directe. Donc nous avons toute une ligne de soutien au monde local, c’est à dire les mairies, pour qu’elles puissent continuer, celles qui l’appliquaient déjà en améliorant ce qu’elles ont commencé, et celles qui ne l’appliquaient pas, qu’elles puissent l’incorporer. Et moi concrètement je suis responsable de cette ligne de soutien aux mairies, et je m’occupe aussi de certaines politiques concrètes que nous faisons dans le cadre de l’action de la Generalitat, nous sommes peu dans cet organisme, donc parfois nous devons être sur plusieurs choses à la fois, mais fondamentalement mon travail consiste à développer ces axes de soutien au monde local, au monde municipal, afin qu’il puisse être en condition d’améliorer ses capacités de participation.
L.: Quels sont les principaux acteurs de la participation à Barcelona?
F.P.: Les acteurs de la participation sont principalement, ou devraient être principalement les citoyens. Parce que la participation dans le fond, nous ne sommes pas en train de parler de participation comme quelque chose d’étranger ou d’exotique, la base de la participation se comprend dans un système démocratique. On ne peut pas parler de démocratie s’il n’y a pas ENSAPLV _ 2007 // 2008
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de participation. La valeur démocratie se base sur le règne du peuple. C’est pourquoi c’est le peuple qui élit le gouvernement. Notre Constitution, la votre, la majorité des constitutions européennes, disent que la souveraineté est née par le peuple, de là émanent les pouvoirs de bien-être. C'est-à-dire que c’est le peuple qui possède le droit de décider, il n’y a personne au dessus du peuple. Donc pour qu’il y ait participation, il faut qu’il y ait des citoyens et il faut qu’il y ait une capacité citoyenne à intervenir dans les affaires publiques. Le fait est que dans notre système politique, et je crois en général dans toute l’Europe, on a plus travaillé ce qu’on appelle la participation indirecte, la participation qui se fait au moyen de représentants, ce que certains appellent démocratie représentative. Et l’autre participation, celle qui permet de relier les gens à la communauté, aux affaires collectives de manière plus régulière, plus quotidienne, plus directe, a plus été laissée de coté. Concrètement, en Catalogne et à Barcelone, les acteurs principaux de la participation devraient être les citoyens, bien que la tendance des citoyens, malheureusement, n’est pas à s’incorporer aux processus de participation, sinon au contraire dans certaines situations de s’en détacher. Par exemple dans le domaine de la participation électorale, les niveaux de participation sont alarmants, et cela prouve que le système ne répond pas aux besoins des gens. Je crois que le vaccin, l’antidote, le médicament pour que ça ne se produise pas c’est justement plus de démocratie, une meilleure participation, c’est à dire plus de canaux qui permettent aux gens d’être plus actifs dans les processus de prises de décisions faits par les représentants et les institutions. Une erreur que l’on commet – je ne sais pas si c’est la question que tu voulais me poser- c’est de considérer que les principaux acteurs de la participation sont, soit seulement les gouvernements, soit seulement les associations. Et les gouvernements sont importants parce que les représentants du peuple en font partie, mais ce ne sont pas les acteurs principaux, ce sont les ‘chanteurs’ du peuple. D’autre part les associations sont très importantes parce que plus les citoyens sont organisés, plus ils ont la capacité à répondre à des problèmes, les débattre, de construire des solutions, les citoyens sont importants mais pas tous sont organisés, parce qu’ou ils ne veulent pas, ou ils ne savent pas, ou ils ne peuvent pas. Par conséquent nous ne devrions pas fermer la possibilité d’exercer ce droit citoyen, ou sinon ça serait comme si on imposait comme condition requise le fait d’appartenir à un type d’organisation. Bien qu’il faille encourager, et arriver à ce qu’ils aient plus de capacités, et plus d’autonomie pour améliorer leurs projets. Donc dans un lieu comme Barcelone, il y a la Generalitat et les mairies, ensuite les associations, et les citoyens. Ce seraient eux les grands acteurs du processus.
L.: Donc aujourd’hui, la seule participation citoyenne qu’il y a sur le plan individuel est de voter ?
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F.P.: A ce jour, la seule participation qu’ils ont est la démocratie, l’assurer, et en revanche il devrait exister d’autres espaces, il devrait exister la possibilité de débattre des interventions déterminées, il devrait exister la possibilité de soumettre, défendre des questions, soumettre les projets du gouvernement à une consultation populaire ou à un référendum, c'est-à-dire qu’il devrait y avoir d’autres cadres, c’est ce que font déjà quelques mairies, et dans certains cas la Generalitat, pour permettre qu’il y ait un contact plus direct. Un exemple qui a à voir avec la Generalitat, qui est la possibilité qu’un nombre déterminé de personnes, dans le cas de Barcelone le nombre s’élève à 50.000, puisse présenter une loi pour que le Parlement la discute. C’est ce qui s’appelle l’initiative législative populaire. Tu n’as pas besoin de faire partie d’une association, peut-être au mieux si tu fais partie d’une association tu as une meilleure capacité d’évaluation, mais tu peux envisager par exemple ‘je veux qu’en Catalogne il existe une loi régulant – par exemple une loi qui va être débattue bientôt- qui régule la situation des personnes souffrant de la maladie de la fybromialgie’. Eh bien dans ce cas il faudrait que tu rédiges une note expliquant ce que devrait être cette régulation, et après que tu ailles recueillir des signatures. Quand tu arrives à 50.000 signatures, tu le transmets au parlement de Catalogne, et c’est la chambre des représentants, là où sont tous les députés élus par le peuple, qui discutent la proposition citoyenne. C’est un mécanisme de participation qui existe, que tu peux exercer aujourd’hui. Dans la même lignée, ça existe dans de nombreuses mairies, avec moins de signatures requises, on peut proposer que soient rédigés différents règlements, que soient faits différents accords, ça existe déjà aujourd’hui. Le problème est que ça existe, mais pour l’instant ça a fait peu de parcours, il y a peu d’expériences, il faut aussi imaginer que c’est plus profond que ça n’en parait, mais nous sommes dans une situation très déficiente. Nous avons avancé quant à ce qui est de voter, nous savons où est le bureau de vote, où est l’urne, comment on met le bulletin…, on a déjà la pratique de ça. C’est une pratique légère parce qu’au fond la démocratie en Espagne n’a que 30 ans, non ?
L.: La plus grande critique des associations est que Barcelone réunit quasiment toutes les conditions pour que la participation soit effective, mais qu’il y a un manque de volonté politique. Comment cela pourrait-il évoluer ?
F.P.: Bien sur, la volonté, elle est seulement à l’intérieur de la personne, la volonté doit venir de toi. Je crois, c’est vrai de dire ‘pour qu’il y ait participation, il faut qu’il y ait la volonté politique, et il faut qu’il y ait des canaux, des moyens.’
L.: Mais bien qu’ils pourraient être améliorés, les canaux existent déjà, non?
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F.P.: Oui…si il y a des canaux, c’est parce qu’il y a une volonté politique. Donc si tu possèdes déjà les moyens d’exercer un droit, qu’est ce que tu fais? Tu le prends, voyons ce qu’on entend par volonté politique, parce que peut être que ce que les associations veulent dire par volonté politique, c’est qu’on prenne en compte ce qu’ils proposent…c’est sur que ce n’est pas pareil. En fait la participation c’est le fait que les gouvernement écoutent les gens, ça ne veut pas dire qu’ils doivent dire ‘amen’ à tout ce que les gens disent, parce que les gens peuvent dire des choses très contradictoires. ‘A’ et ‘pas-A’…Le processus de débat citoyen implique qu’il y ait un contraste d’opinions, et ça doit venir de la communauté. Mais on ne peut pas attendre du débat citoyen qu’il arrive forcément à des conclusions, à des consensuels, ça c’est très difficile. Par conséquent si on se réfère à la volonté politique comme le fait de dire oui ou non à ce que les gens proposent, c’est autre chose. Selon moi, la volonté politique c’est une volonté de vouloir développer les canaux, et une volonté de les utiliser. Et de leur donner la préférence. Si cette volonté politique n’existe pas, le droit à la participation en Espagne existe depuis que la Constitution a été approuvée en 1978, et il n’est pas utilisé, il n’a pas pu être utilisé parce qu’il n’y a pas les moyens pour l’utiliser. Dans certaines mairies il y a des mécanismes qui le permettent, mais au final ces moyens sont manipulés, on les utilise juste pour que ceux qui ont déjà la même opinion, donc c’est un système un peu perverti, non ? Une façon de provoquer la volonté politique est de poser l’agenda publique sur la table ainsi que l’importance de la démocratie, non pas de la participation, les valeurs de la démocratie. Le problème que l’on a en Espagne, je ne sais pas si c’est pareil en France, c’est que le système de valeurs politiques est au plus bas, il ne suffit pas qu’on proclame le mot démocratie, il faut agir. Imagine, ce sont des choses que j’ai déjà exposées plusieurs fois devant certaines associations. Si les associations, les partis politiques, et les syndicats ne sont pas transparents, ne donnent pas à leur affiliés l’information claire de la façon dont ils sont organisés, de la façon dont sont élues les structures de pouvoir, de la façon dont sont développés les programmes, des accords qu’ont les associations avec les institutions, si là il n’y a pas ce principe de transparence, comment peut-on demander cette transparence aux gouvernements, qu’ils informent, qu’ils comptent sur la base ? Si la valeur de la participation en tant que droit et attitude morale et éthique n’est pas intégrée dans la société, l’état n’aura aucun intérêt à être démocratique. Nous n’aurons pas cette valeur démocratique, ni des solutions démocratiques de qualité si nous n’avons pas une société démocratique de qualité, pour qu’il y ait cette volonté politique, il faut qu’il y ait une demande, il faut que la demande sociale soit formulée. Il y a une volonté politique claire, si tu regardes l’exemple des trains, tu sais comment sont les trains dans cette ville, non ? Parce qu’il y a une demande sociale on ne peut plus claire. Evidemment ils maudissent la ministre a cause de l’état des trains…il y a là une demande sociale…mais la demande de plus de transparence, de plus de liberté, de plus d’égalité, de plus de ENSAPLV _ 2007 // 2008
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participation, ça ne représente pas une demande construite, ce n’est pas une demande qui est intégrée par la société, et c’est cette demande que nous devons bâtir.
L.: Mais cette demande a existé avant, non?
F.P.: Cette demande a existé dans les années 70.
L.: Parce que j’ai entendu dire que la participation à Barcelona avait fait marche arrière, et que comparé aux années 80, même si les canaux n’existaient pas, maintenant il y a plus de canaux, mais…
F.P.: Ce qu’il y avait dans les années 80 c’était plus de mobilisation, plus de mouvements, plus d’organisation sociale. Franco est mort en 1975. En 1977 on faisait les premières élections générales, et en 79 les premières élections municipales. Pendant cette période, que les historiens ont appelé transition, la demande sociale était très forte. La demande de liberté en Catalogne en 1976, c’était des manifestations très importantes en février, liberté, amnistie, et surtout autonomie…et ça c’était organisé par les associations d’habitants, et c’était illégal. Là il y avait une effervescence. Quand le système démocratique s’est mis en place, la parole liberté, la parole démocratie était partout. Liberté, démocratie, droits citoyens, contrôle de l’action du gouvernement, des pouvoirs publics, tout ça était dans la rue. C’était une génération, ma génération, des gens qui avaient 20 ans, et bon maintenant on en a 50… Ni les associations, ni les partis politiques, ni les syndicats n’ont transmis ces valeurs aux citoyens. Aujourd’hui on ne parle plus de liberté. Les seuls qui parlent de liberté sont ceux de droite. Pour dire que la liberté c’est parce qu’on leur empêche de construire un supermarché, on ne parle pas de la souveraineté du peuple, de temps en temps on utilise le concept ‘peuple’ pour dire ‘droit à l’autodétermination’…Eh bien non, une chose est une vacherie que nous avons en Catalogne, et une autre est que nous soyons plus ou moins indépendants et plus ou moins autonomes. Mais nous ne parlons pas du peuple ni de la souveraineté, nous ne parlons pas de la souveraineté populaire. Il y a toute une série de valeurs qui ne sont pas sur la table. Donc ce qui a changé c’est le type de mouvements sociaux que promouvaient les différentes luttes des années 79, ça a changé. Il y a 20 ans, 30 ans, il y avait des mouvements revendicatifs pour arranger une rue, o pour demander une école, et automatiquement ça avait des répercussions politiques, parce qu’on n’était pas en démocratie. Maintenant, il y a la démocratie. Il y a encore des mouvements pour qu’il y ait plus d’écoles, mais il n’y a pas de mouvements pour qu’il y ait une meilleure qualité d’éducation. Il y a encore des mouvements pour qu’il y ait plus de feux rouges, et plus de rues, mais il n’y a pas de mouvements pour l’environnement, pour qu’il y ait moins de ENSAPLV _ 2007 // 2008
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consommation, pour les énergies durables. Nous n’avons pas sauté le pas entre la quantité et la qualité, ni en termes d’économie, ni en termes de revendications sociales, ni en termes de politique institutionnelle. Donc maintenant je crois que nous sommes dans un situation dans laquelle ou bien nous faisons ce pas, et les nouvelles générations, les jeunes, ce qui ont 20-25 ans, moins de 40 ans, s’incorporent à cette valeur de la démocratie, ou bien la démocratie est en crise. Par conséquent ce n’est pas qu’avant il y ait eu plus de canaux de participation, les canaux sont malheureusement les mêmes, on n’a pas avancé, ni plus ni moins, c’est juste que les canaux de participation, par exemple ceux de la mairie de Barcelone, sont des années 84-85, les premiers canaux. Ce sont les mêmes, avec un vocabulaire un peu amélioré si tu veux, mais la pratique est exactement pareille, à Barcelone, et dans les municipalités aux alentours de Barcelone, les règlements de participation, les organes de participation…Le problème c’est que la participation ce n’est pas une chose qui se fait parce que je la demande, mais parce que j’en ai envie. Et si je ne ressens pas que je fais partie d’une communauté, et que j’ai le droit, et j’ajouterais l’obligation, de m’impliquer dans la société, ça ne va pas bien. Et aujourd’hui on ne mise pas sur la démocratie de qualité.
L.: Ce changement représente un processus très lent, mais je suppose que pour que ça change réellement il faudrait que ça change d’un coup…
F.P.: Je crois que ce qui est important, c’est regarder en avant, je veux dire, vers quoi on regarde aujourd’hui ? Aujourd’hui nous regardons le système institutionnel, le système démocratique…eh bien non, aujourd’hui on ne fait pas attention à ça, on fait attention à si le pris de l’essence va augmenter, si les impôts vont augmenter, si le train va fonctionner ou pas. Donc si on ne fait pas attention à la politique, la politique présente des tendances qui s’éloignent de la démocratie, non ? Et la politique c’est une affaire citoyenne, ce n’est pas ce que font les partis politiques, c’est ce que font les personnes, en agissant ou en n’agissant pas, c'est-à-dire en étant actives, ou passives. Donc ce dont on a besoin c’est se tourner vers la citoyenneté, c'est-à-dire récupérer la valeur de la politique dans le bon sens du terme, et non pas dans le sens de politique de spectacle comme ce qu’en font les médias….et les différents leaders politiques…dans le sens du débat citoyen et pour incorporer ce débat à l’organisation même de la ville, des politiques publiques. Je veux dire que au sein des organisations sociales, les anciennes doivent s’actualiser, pour voir s’ils ne sont pas en train de faire la même chose qu’il y a 30 ans alors que le monde a changé, et les nouvelles qui apparaissent, mais qui ne sont pas bien visibles, elle doivent avoir plus de représentativité, parce qu’il y a une barrière entre elles et le gouvernement. Je connais peu d’associations présentes dans la vie municipale en Catalogne qui ne découlent pas de schémas des ENSAPLV _ 2007 // 2008
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années 70. Et en revanche la société n’a rien à voir avec celle des années 70. On a une nouvelle société, et une vieille politique. Donc comment doivent être ces organisations de l’an 2000, je n’en ai aucune idée. J’ai un certain âge, je ne me permettrais pas de te demander le tien, Internet, les medias, d’autres moyens de communication, d’autres formes de réunion, sont ce qui apparaitra, parce que je ne sais pas quelles vont-elles être. Pendant ce temps on dépense beaucoup de ressources (fonds) et d’énergie pour maintenir des schémas qui n’ont plus lieu d’être. Par conséquent c’est un processus lent, comme tous les processus, mais à la fois rapide parce que la vie sociale file de manière très rapide. Et ça serait négatif de penser qu’on peut continuer à fonctionner comme on fonctionnait dans les années 70, 80 et 90, pourtant il faut maintenir le même type de relations, ou interlocution. C’est un peu le problème de nombreux gouvernements et de nombreuses associations. Voici un exemple : il y a des municipalités en Catalogne et en Espagne qui ont essayé de promouvoir des processus de débats pour élaborer le budget, ce qui s’appelle budget participatif. Sais-tu qui, à de nombreuses occasions, était le principal ennemi, celui qui critiquait les plus ces processus ? Certaines associations…Et donc ils disaient, comment allez vous rassembler les citoyens dans une assemblée pour discuter le budget alors que nous sommes les représentants des citoyens ? Effectivement, vous êtes les représentants des citoyens, s’ils avaient voté pour vous, ce que vous êtes, c’est une association importante, significative, mais vous ne pouvez pas vous administrer une représentativité que vous n’avez pas, non ? Donc demander à ce que les gens viennent donner leur avis est dangereux, c’est dangereux parce que les gens ont le droit de donner leur avis. C’est sur que les gens seuls sont plus manipulables qu’une association, mais si l’association était intelligente, et qu’elle n’était pas enfermée dans un schéma fermé, elle irait chercher à capitaliser ses capacités et incorporer plus de gens dans l’association…et ça c’est quelque chose qui n’a pas lieu aujourd’hui. (...)
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ENTRETIEN AVEC MARTHA PELAYO (TRADUIT DE L’ESPAGNOL), ‘GROUPE DE PARTICIPATION’ ET COLLECTIFS, CCCB
[28.11.07]
Martha : On voulait que ce soit un document de travail pour les quartiers, qui leur serve pour se défendre, et pour dénoncer. Donc ce qu’on a fait c’est analyser, et nous l’avons présenté en tant que proposition d’outil de travail, et avec le peu de moyens dont nous disposons, nous avons fait un certain nombre de copies, et ensuite l’idée est que ce document soit disponible pour n’importe qui et que tout le monde puisse travailler dessus. C’est un travail de groupe pour lequel nous nous réunissons une fois par semaine depuis un an, nous sommes presque tous architectes, ou des gens qui travaillent dans l’éducation, des artistes, des anthropologues…C’est un groupe d’analyse de la participation, nous nous connaissions tous de mouvements d’habitants, d’Architectes Sans Frontières, de ‘Repensar Barcelona’, de différents quartiers, et donc le travail a été de voir que chaque quartier possédait pas mal de documentation qui pouvait nous servir. Pas seulement de défense et dénonciation, mais aussi de ce que la Mairie est en train de faire dans chaque quartier. Et donc, l’idée était celle-là, l’apporter dans les quartiers pour que ce soit débattu et qu’on continue à travailler. Leslie : Et pour l’instant ça marche bien? Parce que j’ai beaucoup entendu que le débat sur la ville est difficile à provoquer au sein des quartiers, et qu’il a du mal à avancer. M.: Oui, c’est sur. C’est aussi ça la difficulté. Ca dépend du moment, de chaque quartier, il ya des moments pendant lesquels ils sont plutôt inactifs parce qu’ils sont dans une situation ponctuelle, très compliquée, et donc ils s’impliquent plus, et d’autres quartiers où c’est le contraire. Mais en général ceux avec qui nous avons travaillé sont assez impliqués. Il faut voir aussi qu’avec les possibilités qu’ils ont, ils n’y arrivent pas…ils n’y arrivent pas, en plus débattre alors qu’ils sont toujours dans la lutte, dans le conflit, dans la résistance, au moment du débat ils n’ont plus de forces. C’est compliqué. Mais je crois que c’est intéressant. Nous aussi sommes très motivés pour débattre, et surtout générer de l’information parce que c’est surtout ça qui manque. Mais bon… L.: Et vous avez été en contact avec la Mairie pour faire ce travail?
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M.: Non, parce que l’idée c’est que ce soit un document pour les habitants. Nous ne prétendons pas que ce document soit lu par un technicien de la mairie…Ce qui est bizarre, c’est que ce travail que nous avons fait a surgit il y a un peu plus d’un an, et a été impulsé en grande partie par Itziar Gonzáles, la dirigeante de ‘Ciutat Vella’. Quand elle a commencé, elle a beaucoup collaboré avec nous. Elle avait arrêté de travailler à l’école d’architecture et était très impliqué dans les processus de voisinage. Et de façon volontaire, c'est-à-dire qu’elle a participé pour le cas de Can Ricart, elle était impliquée dans la Barceloneta, dans le Forat de la Vergonya, et elle était très disposée à proposer des choses, à affronter la mairie, et toujours dans les réunions…elle avait un coté plus stratégique et politique, parce qu’elle avait déjà l’intention de s’orienter vers ça, d’en faire quelque chose, comme un document important à présenter à l’administration, au moment des élections, à un moment important ou ça pouvait être pris en compte d’une façon ou d’une autre, et arriver à mobiliser politiquement parlant. Nous ne le voyons pas ainsi parce que nous avons une autre vision des processus, comme plus selon le rythme des gens, et puis au milieu elle a eu une opportunité, on lui a proposé de se présenter pour le poste de régisseuse, et bon, c’est ce que je disais, ça a été un peu un choc pour nous, un moment un peu compliqué. Parce qu’elle s’est présenté, et elle attendait un peu notre soutien, et comme nous ne croyons pas vraiment en l’administration, ça nous était un peu difficile…ça nous parait compliqué de voir comment elle va pouvoir vraiment agir. Ca fait partie du débat. Forcément maintenant nous communiquons beaucoup moins avec elle, parce qu’elle doit résoudre directement les conflits et être de l’autre coté, et puis le thème de l’administration ne cesse de ressortir, ce qu’elle peut faire, ce qu’elle ne peut pas faire…elle essaye de…en plus elle était un peu déçue, elle attendait plus de soutien de la part des collectifs avec lesquels elle avait travaillé, et puis maintenant c’est autre chose, des questions politiques…Mais d’un autre coté, aucun type de soutien administratif, au contraire…ce n’est pas que nous cherchions la confrontation…l’idée n’est pas de toujours dire que ce que fait la mairie est mal, mais plutôt exiger ce qu’il n’y a pas, qu’il n’y a pas de participation, qu’il n’y a pas de canaux réels de participation, et que ce qu’il y a nous parait totalement faux. Nous ne voyons pas ça réel, donc nous ne voyons pas l’intérêt d’être toujours contre la mairie, et contre ce qu’ils proposent, mais plutôt réellement l’analyser, d’un point de vue un peu plus professionnel, et dire ce qui ne va pas, dénoncer en quelque sorte. Ce que nous prétendons avec le manuel de participation c’est de faire en sorte que les gens soient mieux informés pour pouvoir exiger des minimums à la mairie, parce qu’une partie consiste en l’analyse des cas d’étude, et l’autre est un manuel de défense. Un manuel de défense, et comment nous aimerions que les gens participent. Parce que dans le groupe il y a des gens des quartiers aussi. Donc a partir de l’expérience et nous-mêmes en tant que techniciens indépendants, ça serait un peu
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quels minimums il devrait y avoir pour pouvoir parler de participation, parce que pour l’instant nous considérons que ce qu’il y a n’a rien à voir avec la participation.
L.: Je suppose qu’une fois que le minimum sera mis en place, l’objectif est d’arriver à travailler avec la mairie, non ? M.: C’est sur, arriver à un accord. Ce qu’il y a c’est que je vois ça compliqué, parce que nous n’espérons pas grand-chose de la réalité des actions du gouvernement, tu peux toujours t’attendre à la même chose, aux mêmes stratégies, aux mêmes façons d’agir, aux mêmes tromperies, nous avons du mal à voir ce qu’il y aura dans le futur…donc notre rôle est de diffuser, de rendre les choses plus visibles, et de continuer le travail en réseau. L.:Quel pourrait être le rôle de l’architecte et de l’urbaniste dans ces processus? Parce que j’ai l’impression qu’il y a peu d’architectes qui travaillent dans ce domaine. M.: Pour moi c’est un sujet basique. Ca me parait naturel, parce que ce n’est pas quelque chose qui s’enseigne. Le thème de la participation à Barcelone n’a jamais été quelque chose naturel, au contraire ça a toujours été à partir de conflits. Et je crois que par ailleurs, depuis l’académie on a jamais facilité ni le débat ni la critique à propos de ce qu’il se passe. Enfin jamais, non. Au mieux, pendant la transition politique, oui. C'est-à-dire il y a 30 et quelques années, parce que c’était un moment d’urgence pendant lequel tout s’est politisé. L’université s’est politisée, la rue s’est politisée…beaucoup de personnes ont commencé à bouger. Et les architectes avaient leur mot à dire et soutenaient très clairement les collectifs. Mais après, une fois qu’il y a eu une certaine stabilité économique on en est arrivé à un point où l’université ni proposait ni permettait un quelconque type de débat réel. Donc forcément si déjà au sein de l’enseignement et de la formation des architectes il n’y a pas de débat réel sur les gens qui composent la société, c’est peu probable que le débat ait lieu, le seul débat qu’il y a au sein de l’université est à propos des architectes ‘stars’ , et quelle est l’œuvre la plus…celle qui a le plus d’impact médiatique, la plus spectaculaire, tout ça, il n’y a pas de discours critique. Donc je crois que s’il n’y a pas de réelle volonté de critique au sein du corps d’enseignement eh bien il n’y aura pas d’évolution des architectes. Au sein de la stabilisation il y a peu de politisation. Mais le rôle, je crois, le rôle de l’architecte et de l’urbaniste est basique, d’une certaine façon. Je pense qu’il devrait y avoir cette réflexion critique de la part des architectes et urbanistes. Dans ce cas, cela correspondrait vraiment au rôle qu’il doit jouer dans la société. Et que son engagement soit social, et non simplement
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technique ou artistique, ou en fonction des opportunités d’emploi qui existent. Il devrait y avoir un changement total de modèle de planification urbaine. Le plan que tu m’as envoyé avec la question de si Barcelone est un modèle d’urbanisme, je pense que ça l’est, mais c’est un modèle très faible, parce que c’est un modèle d’urbanisme très fragmenté, un urbanisme en tant que projet urbain simplement, d’éléments architecturaux, de vitrine…en quelque sorte c’est un projet d’urbanisme si tu comptes faire de l’urbanisme entre guillemets. Mais si tu élargis l’urbanisme au tissu social, au tissu historique, aux relations économiques, politiques, dans ce cas le modèle urbain n’a aucune fondations, il n’a ni structure ni base solide. Il devrait y avoir cette conscience de ce qu’est réellement l’urbanisme, une vision beaucoup plus ample, qui pour l’instant n’existe pas. L.: Crois-tu que l’on puisse dire qu’il y a eu un processus participatif dans le quartier du Poblenou? M.: Non, parler de processus participatif dans le Poblenou, non…je suis sure qu’il n’y en a pas eu. Tu as beau le chercher, mais il n’y a pas eu de processus participatif, personne n’a jamais demandé à la société si elle croyait, ou considérait pertinent un projet 22@. Je crois qu’il n’a eu lieu d’aucune façon. Ce qu’il y a eu a été un processus de résistance civile, et un processus participatif, cette fois effectivement participatif, mais pour les entreprises. La plus grande critique que tu puisses faire du modèle Barcelone, c’est que le modèle Barcelone consiste en ce que la mairie pense et agisse comme une entreprise. Comme une entreprise qui participe avec d’autres entreprises. Par conséquent tu te rends compte que ceux qui décident, ceux qui en font partie sont les marchés privés. Mais la population, dans l’absolu je ne vois pas que les gens qui habitaient là aient été pris en considération, ni les activités qui se développaient là, ni la trame urbaine qu’il y avait, zéro ! Barcelone a besoin de se faire remarquer un peu dans l’union européenne d’une façon ou d’une autre, et on a choisit une façon qui vraiment n’a pas de fondations parce que parler de 22@ et d’un quartier des technologies alors que Barcelone n’a même pas une base de développement ni de recherche technologique, tu parles de quelque chose qui au final, n’est pas fondé. Et dont le futur n’est pas clair. Je ne vois claire ni la stratégie, ni l’opportunité, et je suis sure qu’il n’y a pas eu de processus participatif parce que ce n’était même pas obligatoire, ils avaient déjà pris leur décision depuis longtemps, et ils essayaient seulement…c’est comme je te disais, ils essayent de faire du ‘modèle Barcelone’ un modèle approuvé par la majorité, en commençant par dire que ‘nous sommes tous Barcelone’, et d’essayer d’intégrer tout le monde. Mais ça ne tient pas debout, si seules les entreprises, ou certains intérêts politiques, et surtout économiques sont représentés. A Barcelone, c’est surtout économique.
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L.: Et pour l’usine de Can Ricart ont été faites des propositions alternatives, comment cela a-t-il été écouté, ça a été présenté à la mairie? M.: Oui, le sujet Can Ricart…ça a représenté un travail assez important. De fait du coté académique il y a eu beaucoup de gens de différents domaines…enfin de personnalités, de chercheurs, qui se sont impliqués dans le sujet Can Ricart dans le but de sauvegarder le patrimoine industriel de la zone. Tu vois, parce que c’était un espace vivant, qui hébergeait une série d’activités considérées productives, ou qui avaient beaucoup de potentiel, beaucoup de vie commune, communautaire, et au final cet espace était menacé comme le reste du quartier Poblenou. Pour eux ça a été un espace symbolique de défense. Pourquoi ? Parce que c’était un espace qui au final était plutôt bien entretenu, assez complet, présentant un patrimoine industriel très intéressant, et donc de nombreux historiens, géographes, se sont consacrés à faire différentes recherches et soutenir différents collectifs, le collectif de ceux de l’industrie, les collectifs de propriétaires, de commerçants, qui avaient une structure sociale solide. Et enfin le travail qui en a résulté, je crois qu’il représente quelque chose d’assez fort, dans le sens ou l’idée était la protection, la protection des espaces d’un coté, sur le plan architectural. Pour ça on a fait une analyse assez profonde de la qualité architecturale du lieu. Et d’un autre coté la reconnaissance des relations, le thème social, de l’usage qu’on donnait à l’espace. Ca non plus, ni dans le gouvernement, ni dans l’académie, ni depuis l’architecture ni depuis l’urbanisme on reconnaît la valeur symbolique, la valeur de l’usage, la valeur de l’appropriation de l’espace de la part des habitants. C’était donc de pouvoir réellement argumenter d’une quelconque façon que cet espace ne représentait non seulement un véritable patrimoine historique, sinon que c’était aussi un patrimoine social, un patrimoine social de relations, d’activités, et puis l’implication de groupes d’artistes, culturels, qui disaient ‘pourquoi veulent-ils nous imposer un projet supposément culturo-technologique, si c’est déjà ce qui existe ?’ Et ça ils pouvaient le démontrer, au travers d’études faites par des gens de l’université, ou de professionnels qui y ont dédié beaucoup de temps, mais bon l’idée…actuellement…parce que moi le sujet Can Ricart je ne le connais pas si bien que ça, mais ce que j’en ai compris c’est que l’idée était d’atteindre au moins une reconnaissance légale, parce que le thème social ne sera jamais accepté, mais au niveau du patrimoine, pouvoir déclarer comme biens d’intérêt particulier tous les bâtiments qui composent l’usine de Can Ricart, et non seulement les quelques uns qui avaient été acceptés. Et ils ont obtenu certaines choses, au mieux un peu plus de qui avait été fixé au début. Pourquoi? Parce ce qu’il y a eu tout ce travail derrière. Mais c’est sur, dans ce cas convergent beaucoup d’intérêts, beaucoup de conflits, ils disaient qu’ils allaient
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conserver certaines choses alors qu’ils commençaient déjà à démolir d’autres parties de l’ensemble. Donc je crois que le travail du réseau de toutes les entités qui se sont impliquées dans le processus a été très important. Il y eu là beaucoup de travail de la part d’architectes, d’artistes, de ceux qui travaillaient là comme nau21, les gens de Hangar, les gens qui travaillaient dans les usines, l’académie…je crois que la proposition était forte et a réussi à aboutir à une discussion, chose que les gens d’autres quartiers n’arrivent pas à atteindre. Pourquoi ? Grâce au nombre de personnes, grâce aux contacts qu’avaient certaines personnes qui étaient là. Et même de cette façon, imagine, avec autant de force, ils n’ont pas réussi à obtenir tout ce qu’ils voulaient, ni à générer un débat réel, une participation réelle. L. : Je n’arrive pas à comprendre quel est l’intérêt de la mairie dans ce cas, encore moins s’il l’activité qui était présente était compatible avec le projet, quel est son intérêt ? M.: Je crois que le fait est que la mairie a déjà…le problème qui se pose avec un lieu, c’est quand il a déjà été hypothéqué par la mairie. La mairie avait déjà définit l’orientation du plan 22@. En quelque sorte elle avait donc déjà hypothéqué tout ce territoire à certaines entreprises, c’est ce que je te disais, à des entreprises privées qui soit dit en passant n’apporteront pas grand-chose à Barcelone en tant qu’espace dynamique et technologique, non. Mais ça tu ne peux pas le remettre en question, parce que Barcelone est complètement soumise à l’investissement privé. Et elle n’a pas été en position véritablement de valoriser cet investissement privé, ni de générer un débat réel à propos des industries ou entreprises qui vont s’installer. Ils avaient déjà un plan définit, et qu’ils ne peuvent pas se risquer, ils avaient déjà définit une stratégie, qui est celle du quartier des technologies, ils avaient parié la dessus, ils se sont engagés envers toutes les entreprises susceptibles de s’installer là, s’ils arrivent à ce que l’occupation soit telle qu’ils l’ont prévue…la capacité d’attraction des entreprises dédiées aux nouvelles technologies est très faible. Ca finira par se transformer en un quartier de logements de luxe, au mieux avec un quelconque type de thème culturel, comme ce qu’ils ont fait dans le quartier du Born, le Centre Historique, le quartier du Raval, et ça n’ira pas plus loin, et les entreprises qui vont venir s’installer seront de basse qualité, avec un faible potentiel dynamique et économique parce que ça sera…des ‘call centers’? C'est-à-dire pour ce qui est de la qualité, et véritablement la recherche, peu, et vu l’état actuel du marché je ne vois pas beaucoup d’opportunités. Je vois juste l’arrogance de la mairie à ne pas privilégier un peu la partie débat, le débat social, ni revenir en arrière, tu vois ? Elle ne l’a pas fait…
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L.: Ils auraient pu faire marche arrière? M.: Probablement…je suis sure que dans le cas de Can Ricart ils auraient pu faire marche arrière. L.: Ils ont détruit certains bâtiments de Can Ricart il y a quelques semaines… M.: Oui, en réalité, les arguments qu’ils avancent, le sujet qu’il y avait une occupation illégale, ou…Dans ce cas, nous autres du groupe de participation nous voyons toujours le thème des pouvoirs occultes. Les pouvoirs occultes, c’est ce que fait la mairie sans le dire à personne…tu vois, ils disent qu’ils font une chose mais d’un autre coté ils en font une autre. Et ces autres choses représentent des pouvoirs très forts, forts parce qu’ils impliquent l’intimidation,
la criminalisation des collectifs qui sont contre,
affrontements, mais
affrontements entre chaque représentant des collectifs, manipulation des associations d’habitants qu’ont pourrait appeler ‘légales’, ils font des pactes…c'est-à-dire les choses les plus sales et les plus…ça se voit, non ? Et ça ne se passe pas seulement la bas, mais dans tous les quartiers. Cette façon d’agir, je vois ça compliqué qu’ils la changent vraiment…Et tout se baserait sur une volonté politique, mais moi à Barcelone je la vois trop conditionnée par l’intervention privée. Ca fait longtemps que les associations d’habitants sont très limitées dans le sens ou…elles sont très institutionnalisées. Et donc si la mairie passe des accords avec des associations d’habitants relativement institutionnalisées, et ne considère pas les autres – groupes- comme interlocuteur, enfin le seul interlocuteur valable est l’association d’habitants, selon la loi, et ils décident quels interlocuteurs ils peuvent prendre en compte. Et ces interlocuteurs sont déjà totalement manipulés, ils reçoivent le soutien de la mairie et sont plutôt politisés, eh bien non… L.: Donc ils prétendent faire une nouvelle politique (de participation), mais ils gardent la même structure ? M.: Tout à fait, le niveau de participation…maintenant tu peux te rendre compte d’à quel point c’est absurde de dépenser des millions et des millions pour une consultation pour le PAM, ou tout ce qu’ils font dans le même style en pensant ‘oh nous allons faire participer les gens’, alors que c’est une tromperie, une tromperie dans le sens que…je ne sais pas…j’ai plusieurs théories sur le sujet. Mais c’est assez clair qu’ils demandent la participation massive de la population, alors qu’ils ne te garantissent rien de ce qu’ils vont faire de ces informations ou de cette participation, ils cachent bien leurs intentions, tu remplis un petit
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papier : ‘que voulez-vous, une Barcelone propre et avec des perspectives d’avenir, ou non ?’ C’est évident, qu’est ce que je vais choisir, dire que non ? Et en plus ils n’ont pas vraiment la possibilité d’analyser toute ces informations et de l’inclure…ils te disent qu’il y a un processus de consultation, de participation citoyenne – c’est d’ailleurs un peu absurde d’appeler ça comme ça- mais maintenant ils doivent avoir 10.000 papiers remplis, participations, et ensuite ils sont censés synthétiser tout ça en deux mois…En plus le seul endroit ou ça apparaît c’est le rapport, parce que ça apparaît dans le rapport, mais il n’y a aucun moyen de s’assurer de la façon dont ils vont relier ces propositions à la politique. C’est là ou il y a une faille. Pourquoi faire des processus participatifs s’ils ne vont pas affecter la réalité ? En fait ils n’ont pas d’instruments pour faire en sorte qu’une proposition soit réalisée. Je crois qu’ils n’ont pas confiance en la capacité de la population. Ils en ont une peur bleue. Et ça tu le ressens quand tu parles avec des gens de la mairie ou des techniciens de la mairie qui pensent que la population est folle…que si tu leur donnes la parole, ils vont…d’abord qu’ils ne savent pas participer, qu’ils n’ont pas cette culture de la participation, et qu’en plus ils vont donner des avis qui n’ont rien à voir avec la réalité, et ça pour moi ça reflète forcément un manque de confiance, parce que dans d’autres cas on a eu la preuve que c’était possible et complètement valide que les gens participent, si tu as le temps nécessaire pour connaître les gens, pour leur apporter la formation, pour leur apporter l’information nécessaire, pour faire des débats…les gens ne vont pas participer s’ils n’ont pas cette conscience, si ils n’ont pas le temps nécessaire, si ils n’ont pas accès à l’information réelle…et donc si ils n’ont pas l’information réelle, ce que ne leur procure pas la mairie, si tu leur occulte des informations, et qu’en plus tu ne crois pas en eux et que tu ne leur laisses pas le temps… parce que jusqu’ici les processus d’information font en sorte que tu te retrouves face à des allégations qui sont déjà vielles de 15 jours, et tu es censé le faire sans aucune connaissance du vocabulaire technique…à quoi faut-il s’attendre, un habitant normal à qui on n’envoie même pas un technicien pour lui expliquer…ou alors on lui envoie un technicien tout-puissant qui pense que cette personne ne sait pas et ne va pas comprendre… tout est pareil…c’est en grande partie le problème du temps. La mairie ne prend pas en compte le rythme des gens, ni des processus participatifs quand il lui prend d’en faire un. L.: Dans les années 80, avant d’être une volonté politique, la participation a eu lieu parce que c’était une volonté de la population, non ? M.: Pendant la transition ça a été très clair, compte tenu du fait que les quartiers manquaient de services et équipements basiques. Et ça a été un moment clef pendant
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lequel les gens se sont organisés, et en plus de faire une critique politique, ils demandaient d’abord des services en fonctions de besoins basiques. Alors, bien sur les associations d’habitant étaient très récentes, les gens étaient très politisés, et c’était des personnes jeunes. Ils avaient une force véritablement importante, comme je te disais, au final ça se rapporte toujours à une force de résistance et d’exigence en fonction de ce que la mairie ne pourvoie pas. Forcément ils ont remporté beaucoup, et ça venait de la base, les besoins venaient de la base. Et il y a aussi eu les premiers projets communautaires…je crois aussi que ça a été ainsi parce que les premiers gouvernements démocratiques n’étaient pas en mesure de tout résoudre, et ils avaient réellement confiance en ce que les gens pouvaient agir et formuler des propositions réelles, des besoins réels. Je crois qu’il y avait cette confiance… L.: Pourquoi ont-ils perdu cette confiance? M.: Pour de nombreuses raisons je crois. Pour de nombreuses raisons, parce que les leaders des mouvements sont maintenant au gouvernement, et ils se sont complètement laissés absorber par le système économique. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé…Mais je te dis, dès qu’il y a eu une stabilisation économique, le problème de manque de critique et le sujet ‘on n’a plus de besoins basiques’ a disparu, et les personnes les plus affectées sont les personnes âgées, qui n’ont pas vraiment de possibilités pour lutter, ou des jeunes, mais qui sont aussi dans la dynamique du travail précaire, qui en plus n’ont pas le temps, qui savent que c’est une situation très compliquée, et ils ont peu de temps pour se mobiliser, s’organiser, pour étudier, pour se réunir, c’est comme…c’est compliqué. L.: Ca se reflète aussi dans le problème du logement… M.: Absolument…encore une fois c’est la même chose, c’est le modèle Barcelone. C’est un modèle complètement destiné aux pouvoirs privés, et ce sont les pouvoirs privés qui décident du marché, donc à partir de là…Et puis ça a aussi à voir avec toutes les politiques de transformation urbaine. Parce que si ton destin en tant que ville est de devenir une destination touristique, tu as là une série d’implications qui ne tiennent pas debout. Parce que ce développement n’est pas basé sur un développement des technologies, c’est le secteur tertiaire. Par conséquent l’offre d’emplois réelle qui existe, même si elle est importante, tout est dans le secteur des services et hôtelier. Ce sont des emplois précaires. Et donc les gens qui travaillent dans les hôtels, les restaurants, qui pour la majorité sont des jeunes qui ont des emplois précaires, ne peuvent pas vivre dans le centre de Barcelone
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parce qu’ils ne peuvent pas payer le prix du logement qui s’y trouve, parce que le centre à été complètement réhabilité, pour devenir des logements de luxe ou des logements pour touristes, et il y a toute une population qui n’avait pas les moyens de payer qui a été expulsée. Et ils ont été repoussés vers l’extérieur de la ville, mais ils doivent continuer à venir travailler, faire les trajets, c’est une situation…on ressasse toujours le même problème… L.: Et que pourrait-il se passer si on continue ainsi? M.: Eh bien, il y existe aussi des mouvements, comme V de vivienda, qui essayent de mobiliser la population, ils ont réussi à ce que la mairie ait peur d’eux, mais bon, je suppose que ça dépend des moments, pour pouvoir faire pression, peut être maintenant comme le marché a commencé à baisser…je ne sais pas, il faudrait se trouver à un moment politique adéquat et à un moment économique aussi adéquat pour pouvoir réellement faire pression pour que les politiques de logement soient vraiment prises en compte. Pour ma part je crois que les moments où les mouvements sociaux ont eu un peu d’impact ont été ceux-ci, un moment politique de changement. Je crois que les cas de participation citoyenne qui peuvent fonctionner et dans lesquels on soutien la parole d’un mouvement de base, ou de propositions de base, se sont produits quand la mairie n’a pas de projet bien définit pour un espace territorial, comme à Trinitat Nova par exemple. Là ils n’avaient pas de projet clair, et ils n’avaient rien vendu… L.: Comment peut on prétendre faire un projet participatif si on a déjà un projet définit? M.: Le problème c’est de partir de la base des gens, d’une proposition citoyenne. La réhabilitation des logements était nécessaire, mais eux ils voulaient plus. Donc ils ont formulé cette proposition, et la mairie s’est dit ‘comme nous n’avons rien de mieux à offrir, nous pouvons accepter la proposition’. Forcément ça les arrangeait bien, parce qu’après ils ont pu se vanter d’avoir fait un super processus participatif, alors qu’en réalité c’était les gens, non ? C’est aussi beaucoup ce qui arrive…Et d’autres projets absurdes qu’ils avaient fait et pour lesquels ils ont pu faire marche arrière ont été pendant des moments politiques juste avant des élections. En 2002, il y a eu un moment électoral pendant lequel ils ont du arrêter plusieurs projets. Comme le projet de Lesseps par exemple. Pourquoi? Parce que c’était juste le moment pendant lequel les gens descendaient à la rue, et que pour des raisons politiques la mairie ne voulait pas perdre de votes dans des quartiers pas mal peuplés. Donc ils avaient déjà des projets, et ils disaient ‘bon d’accord, on va les revoir…’
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C’est donc dans ces moments là que tu peux le plus agir, mais ça reste compliqué. Parce qu’au final c’est la mairie qui décide si un projet est participatif, et s’ils vont impliquer les citoyens, et cette volonté dure le temps du mandat électoral. Et ensuite…il n’y a pas de continuité…Et pour ce qui est du rôle du technicien, c’est compliqué, par exemple il y a peu j’ai travaillé pour un projet de participation citoyenne, enfin ce qu’ils appelaient participation citoyenne, parce que nous les avons obligés à ne pas appeler ça comme ça, parce qu’en réalité c’était de la consultation…Ca ne pouvait pas être de la participation citoyenne, parce que ça a été un processus d’un mois, ça n’est pas de la participation citoyenne ça, tu ne peux jamais appeler participation citoyenne quelque chose qui dure moins d’un an. Parce que dans ce cas, tu n’essayes pas d’impliquer réellement toutes les personnes, et je crois que c’est pour ça que nous avons exigé qu’ils appellent ça consultation populaire. Maintenant, nous savons que ces sessions ne seront pas inaliénables, d’accord, dans ce cas qu’ils nous disent clairement qu’elles ne sont pas inaliénables, et qu’aux moins elles seront prises en compte… Parce que c’était un village, et nous avons vu avec les gens que c’était plus facile de travailler dans des villages, un peu plus facile, si la mairie est prête à affronter les entreprises privées ou l’initiative privée, mais c’est faisable. C’est plus faisable qu’à Barcelone, Barcelone est déjà trop vendue…Et ce que l’on peut vraiment remporter dans les petites municipalités c’est que la mairie s’implique réellement et considère les propositions citoyennes. C’est ce que nous leur avons dit. S’il existe une proposition forte et des arguments viables émanant des citoyens, tu t’engageras à vraiment la prendre en compte. Et toi en tant que techniciens, tu dois satisfaire ces accords, ça fait partie de tes responsabilités. Par ailleurs, nous avons exigé que toute l’information soit fournie aux citoyens. Ca fait partie tu travail du technicien. Forcément d’un coté tu te sens toujours manipulé, au final tu te sens manipulé, parce qu’ils nous faisaient faire un processus participatif pour définir les usages d’un équipement par exemple, alors qu’à coté ils avaient déjà fait une transaction pour que les terrains soient destinés à du logement…c'est-à-dire une transaction pour rentabiliser ces terrain mais qui était complètement spéculative. Ce qui préoccupait le plus les gens, les citoyens, c’était la destruction du territoire, et non les usages qu’allaient contenir en espace, ni le fait qu’on fasse des ateliers participatifs, en réalité ça leur est égal, ils étaient plus inquiets de ce qui était en train de se perdre au niveau territorial et écologique. Donc tu te dis qu’on t’a fais venir comme un pantin en te disant que tu devrais mener un processus participatif à propos d’usages…alors qu’en réalité le débat qui devrait avoir lieu porte sur la planification urbaine et les décision territoriales. Au final tu te sens utilisé, les gens ne sont pas bêtes, ils ne vont pas participer dans ces conditionslà…c’est comme donner un bonbon à un enfant, c’est faux, ils ne sont pas en train de décider quelque chose d’important, ils ne peuvent décider que des choses minimes. Donc ENSAPLV _ 2007 // 2008
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nous respections totalement les collectifs qui luttaient pour le territoire depuis des années et qui disaient : ‘nous ne participerons pas parce que c’est une farce !’ Nous avons essayé de travailler le mieux possible, pour qu’au travers de ça nous puissions arriver à exiger la protection d’autres espaces qui sont déjà…c'est-à-dire que ce qui est perdu est perdu, à partir de là, il faut que s’initie le débat pour protéger d’autres choses. Etant donné la situation, c’est le seul stimulant, tu sais, de dire ‘on va faire ce travail avec les gens’…Et puis il s’agissait aussi de créer du lien social, pour que plus de gens s’implique et participe. C’est pour ça que même si ça a des apparences de tromperie, il est toujours mieux de faire le processus participatif que de ne pas le faire. Mais si tu as vraiment la volonté d’impliquer les gens et de les informer réellement. Il ne s’agit pas juste de le faire parce que c’est une norme, parce que maintenant c’est obligatoire, si tu ne le fais pas consciencieusement ça n’en vaut pas la peine…Enfin, c’est souvent le même refrain…mais je crois que ton statut de technicien et professionnel te donne la capacité à obliger et faire pression, à informer les gens, et à être un véritable interlocuteur entre ce qu’ils disent et la mairie. Parce que c’est facile de se vendre et de dire oui à tout ce que dit la mairie, parce que le travail qu’il y a, non ? Et à Barcelone si le travail qu’il y a consiste à faire des projets urbains touristiques ou culturels, eh bien les gens l’acceptent parce que c’est comme ça, et donc personne ne le remet en question, il n’y a pas cette culture de remise en question… L.:J’avais entendu la critique que dans certaines opérations ce sont toujours les mêmes qui participent, et que ça posait problème parce qu’on arrivait pas à ce que tout le monde participe, que parfois il n’y avait qu’une seule association qui participait…comment est-il possible d’impliquer plus de gens ? M.: Pour moi c’est clair que c’est avec du temps, tu ne peux pas partir avec une vision défaitiste, ça me parait évident, je travaille avec 10 collectifs, et ce sont toujours les mêmes personnes…10 collectifs, entre autres ce qui ont crée ‘Repensar Barcelona’, ceux qui ont organisé l’atelier ‘Ciudad Cooperativa’, ceux qui étaient dans la ‘Plataforma contra la especulacion’, ceux du groupe de participation, au mieux, nous sommes en tout 20 personnes pour toute la ville, qu’est ce que tu veux ? C’est évident, ça montre bien qu’il y a un manque de participation réelle de la part d’autres personnes…en plus ce qui est étrange c’est que la majorité d’entre nous sommes étrangers, moi je suis mexicaine, un autre parmi ceux qui ont le plus travaillé est allemand, ou alors ce sont des gens qui ne sont pas Catalans, qui sont de Séville, ou d’autres endroits…donc là tu te demandes ‘où sont les Catalans ?’ Ils sont tellement absorbés par leur quotidien, et les architectes par-dessus tout, qui sont dans l’obsession de continuer leurs projets et de continuer à signer…Mais pour
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nous ce qui est clair c’est la question de vraiment y laisser le temps, parce que pour travailler et impliquer plus de gens tu as besoin de temps pour qu’ils te fassent confiance et qu’ils t’ouvrent la porte…et aussi qu’ils aient confiance en eux, parce que ça aussi c’est une chose qu’ils n’ont pas. Ce qu’on a vu dans différents quartiers c’est que beaucoup de gens, par exemple comme dans le quartier Bon Pastor…c’était tellement clair le mépris envers les personnes âgées….et d’ici quelques années la plupart des gens seront des personnes âgées, c'est-à-dire de plus de 60 ans, et en échange on leur rabâche que la transformation urbaine est nécessaire. Pourquoi ? Parce que le futur sera amélioré, que pour leurs enfants ça représente une amélioration. Pour quoi ? Tu es bête si tu ne profites pas des progrès de l’urbanisme, et tout ça…Donc les gens n’ont pas d’estime de soi, ils n’ont pas d’estime pour participer. Ils disent ‘qu’est ce que je vais bien pouvoir dire, si je ne sais rien, si je suis déjà vieux, si ce que je dis n’as pas d’importance ?’. Et ce sont des choses pour lesquelles…on ne te laisse pas le temps pour t’en approcher…les personnes âgées ont le temps de participer et tu peux leur expliquer, c’est une question de volonté, c’est une question de temps. Et une de nos préoccupations quant au thème de la participation c’est comment se rapprocher des gens qui ne sont pas inclus, des gens qui ne font pas partie de collectifs, des gens qui n’ont pas l’habitude de participer. Comment tu vas vers eux, parce qu’ils ne vont pas venir te voir spontanément. C’est sur qu’il y a un manque de culture de la participation, ce qu’il y a quant à la culture de participation est complètement démobilisateur, ce qu’ils font de la participation, au final les gens se demandent ‘et ça c’est quoi ?’, on ne leur donne pas l’information réelle, ni à propos de projets, ni à propos des programmes…Ce sont toujours des programmes décousus, qui n’ont pas de cohérence. Par exemple les gens de La Mina disaient ‘on fait énormément d’actions sociales et on dépense des quantités astronomiques d’argent pour des actions sociales, mais elles ne sont pas ordonnées, elles ne sont pas coordonnées, au contraire, elles sont complètement décousues, et on répète des efforts et des travaux qui ne mènent à rien.’ Ce sont des politiques sociales qui ne servent à rien. Ce dont ils ont besoin ce sont des politiques sociales qui auraient un lien entre elles, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le problème est que ce n’est pas une question qui intéresse la mairie…en général, au mieux on parle de la question de la ségrégation. Ca aussi ça se reflète dans la politique d’urbanisme. Tout est vu comme des morceaux, parce que c’est comme ça, que les gens qui sont dans ce quartier y restent, sans avoir la conscience des préoccupations au niveau global. Après ils pensent ‘ils sont en train de me transformer ça, mais moi je n’y peux rien, nous sommes peu’, alors qu’en réalité il se passe la même chose à d’autres endroits, et on répète des efforts qui pourraient se rassembler, mais ça n’intéresse pas le gouvernement. L.: En plus, souvent ce sont des opérations qui ont une influence sur l’ensemble de la ville… ENSAPLV _ 2007 // 2008
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M.: Oui, mais cette perception n’existe pas, parce que tout est perçu comme un système de quartiers semi-autonomes, dans lequel tu as ton centre commercial, ton marché, je ne sais pas quoi, il n’y a pas de perception globale de la ville, il n’y a même pas de stratégie du gouvernement qui engloberait une vision métropolitaine par exemple. C’est comme s’ils ne voulaient pas que…enfin pour ce qui les arrange, si, mais au niveau de la population et des quartiers, il n’y a pas de perspective métropolitaine. Il n’existe même pas d’entité d’organisation territoriale métropolitaine, alors qu’avant ça existait. Maintenant ça n’existe plus, c’est comme nier la réalité de la ville métropolitaine, et nier le fait que ce qu’il se passe à Barcelone affecte toutes les villes qui sont aux alentours. Et la dynamique qui a lieu ici se répète à Sabadell, elle se répète à Mataró, elle se répète à Terrassa, parce que c’est une question d’infrastructures et rien d’autre. Et en plus si tu y regardes de plus près sur le plan métropolitain, sur le plan de l’écologie, du développement durable… L.: Mais dans les discours officiels on entend parler de l’Aire Métropolitaine, non? M.: On peut en parler, mais le problème est que s’il n’y a pas véritablement d’entité qui en fasse la gestion ou qui le contrôle, tout ça ce sont des débats qui mènent à quoi ? S’il n’existe pas d’organe d’administration qui contrôle ça. Au final on est encore face au problème de ségrégation, et donc les gens qui sont à Sabadell ne savent pas à qui s’adresser pour un problème d’infrastructure qui va affecter toute la zone, par exemple ils vont construire cette route, pour laquelle il y a eu une manifestation il y a peu de temps, cette route qui relie toutes les villes moyennes par le ‘Vallès’, enfin, une route énorme qu’ils sont en train de construire…A qui vas-tu t’adresser ? Parce que si tu vas demander à la mairie ils te disent qu’ils n’ont rien à voir là dedans…donc il n’y a pas d’organisme avec lequel tu puisses débattre ou dialoguer…enfin ça c’est déjà un autre sujet… L.: Crois tu que le mouvement citoyen sois déjà suffisamment organisé pour faire face à l’administration, qu’ils aient suffisamment de poids? M.: Non…c’est ce que je te dis, parce qu’en plus…compte tenu des difficultés évidentes de la population à travailler collectivement, un manque d’auto estimes de certains groupes, et à cause du manque de pouvoir des associations d’habitants, les légales, les –disonsinstitutionnalisées. Bien sur c’est un sujet dont on peut débattre, parce que les associations d’habitants institutionnalisées croient que nous autres, en tant que collectifs, nous ne les respectons pas. Parfois on en arrive à traiter des cas ponctuels, et ils nous disent ‘vous ne
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respectez pas notre trajectoire, ou le rôle des associations d’habitants…’ Mais ce qui leur est bien clair c’est qu’ils leur manque une relève de génération, c'est-à-dire que ce sont des personnes âgées, ils n’ont pas beaucoup de capacités pour dynamiser les choses…tu as ces personnes âgées, qui ont besoin aussi de personnes plus jeunes pour donner une dynamique et proposer des stratégies plus créatives, parce que les expériences passées servent incontestablement, mais maintenant c’est une époque ou l’information a évolué, par exemple tu peux avoir des gens qui ont travaillé dans d’autres pays et qui en rapportent différentes stratégies d’action, ça aussi c’est une part du travail que nous faisons avec les autres collectifs, c’est rechercher des outils créatifs de participation. Parce que ce qu’il se passe dans beaucoup d’associations, c’est qu’ils en sont restés à des façons de faire super standardisées et provenant de la mairie, super institutionnalisées, comme une recette, tu sais ? C’est comme si tout…tout est formel, ce sont des formalités de ‘on a reçu ce formulaire, on nous a invité là, on va signer et lire la lettre…’ C’est fini le temps où les associations d’habitants descendaient à la rue…enfin ça ne se fait presque plus. Il manque la relève générationnelle parce qu’elles sont trop institutionnalisées, parce qu’elles ont déjà passé des accords très clairs, parce qu’elles sont entretenues pas la mairie. Et maintenant elles sont complètement affaiblies, et parfois ils ne veulent pas l’entendre, mais je crois qu’en réalités elles sont très affaiblies, et la question n’est pas si les collectifs sont contre les associations d’habitants, mais on devrait plutôt se soutenir les uns les autres. Parce que forcément les associations d’habitants doivent avoir une vision beaucoup plus large de chaque quartier, dans le sens où ils doivent pointer les nécessités éducatives, culturelles, sociales, si il manque une garderie, si il manque une école, si il manque…enfin des thèmes beaucoup plus…Que nous autres en tant que collectif nous ne pouvons survoler, si on veut arriver à générer des discours, lancer le débat, développer les outils nécessaires pour une action spécifique à un moment donné, par conséquent on doit collaborer, et je crois que c’est possible de collaborer…Mais bon, les associations d’habitants, qui sont maintenant fragilisées, qui ont adopté les façons de travailler de la mairie, elles se sont laissé porter par ça. Et forcément, le mouvement d’habitants alternatif n’a pas les mêmes ressources, donc ceux qui ont les moyens ne se bougent pas beaucoup, et les autres se retrouvent toujours confrontés à des questions…ça lui convient à la mairie qu’au final ce soit un affrontement entre association d’habitants légales et les alternatives. Qu’ils se battent entre eux, tu sais ? Et ce n’est pas plus mal que le conflit soit entre eux…Et ca convient a la mairie parce que ça leur permet encore de cacher leurs intentions…C’est dont le problème de nombreux quartiers, de la Barceloneta, de Bon Pastor, de Poblenou…on fait des accords sous la table, on donne des informations à certains et pas à d’autres, et forcément, ça crée des conflits internes. Ca c’est aussi passé comme ça à La Mina, ils ont cherché à faire monter les ENSAPLV _ 2007 // 2008
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conflits entre différents quartiers, eux ils ne prennent pas part au conflit, d’une façon ou d’une autre ils arrivent à ce que les conflits se développent entre les quartiers. Et comme ça ils peuvent dire ‘ eh bien, tout ceux de la Mina nous allons les déplacer à tel autre quartier’. L.: Quel est selon toi le sujet le plus important à débattre pour que la participation citoyenne à Barcelone puisse évoluer, pour qu’elle puisse être plus effective ? M.: Je crois que c’est ça, vraiment faire pression à la mairie pour qu’ils aient cette volonté politique, et qu’ils acquièrent cette confiance des citoyens, parce que le gouvernement n’a pas confiance en eux, et donc en aucun cas les citoyens n’auront confiance en les interventions municipales. On est complètement dans une situation de crise. Une crise de l’urbanisme, parce que j’ai l’impression que l’urbain ne tient pas debout, et une crise de la représentativité. Tant qu’il n’y aura pas réellement de mécanismes démocratiques de participation réelle, à n’importe quelle échelle, mais avec une information réelle, et si les citoyens n’exigent pas au gouvernement une participation réelle, et si non plus le gouvernement est disposé à… c’est un problème de volonté politique dans tous les sens du terme, et petit à petit on peut gagner du terrain. Et ça c’est le débat le plus important, que les gouvernements affichent clairement leurs intentions, et qu’ils soient disposés à accepter ces problèmes. Et puis surtout avoir des exigences minimum et que les quartiers…c’est un manque de temps, un manque de culture participative clairement, mais si on y donne le temps et que les techniciens qui sont supposés soutenir la population la soutiennent réellement, et qu’on fournit des informations réelles, on pourrait faire beaucoup, et on pourrait arriver à de véritables processus participatifs. Et il faudrait que le gouvernement arrête de craindre la population, qu’il ait confiance en ses capacités. Parce que ça représente beaucoup, la connaissance qu’a la population de ses propres nécessités, de ses propres…des choses qui peuvent être résolues, ce que la mairie ne peut pas savoir. C’est donc ça, il faut donner une valeur au savoir des habitants des quartiers, et il faut valoriser leurs besoins réels. A partir du moment où la mairie arrêtera d’agir comme une entreprise, et qu’elle verra que son rôle est véritablement de s’occuper de la population, le dialogue pourra avoir lieu. Mais tant qu’elle continue à agir comme une entreprise, un entreprise qui gère, qui proclame Barcelone comme ‘la meilleure boutique du monde’, ‘la ville des congrès et des salons’, ‘la ville du Forum’, ‘la ville de l’année Gaudi’…ça c’est le rôle d’une entreprise, qui doit chercher des investisseurs…et donc les besoins de la population n’ont pas leur place. J’imagine que pour la mairie, quand la population…enfin qu’ils acceptent que la population et le développement économique peuvent être liés, parce que ça je ne le vois pas, je ne vois pas les possibilités, ils ne montrent aucune créativité pour trouver des solutions, c’est
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complètement une question de volonté politique, une volonté politique de voir cette réalité. C’est une question de ne pas seulement prendre en compte les entreprises privées, et s’aligner sur les conditions des entreprises privées et du capital, du capitalisme tel qu’il est à l’heure actuelle, on pourrait arriver à un progrès économique. Si la population participe on pourrait aussi arriver à une évolution économique. C’est mettre tout ça en relation, relier population et progrès, et non seulement capital privé et progrès. Actuellement les accords qui sont faits sont des accords gouvernement-initiative privée, eh bien on pourrait aussi faire des accords gouvernement-initiative privée et population, avec la population toujours en première ligne. Je le dis de façon politique, mais si on y parvenait ça pourrait vraiment marche ? Et c’est là que c’est à la population d’avoir des exigences minimums, parce que ce n’est pas la municipalité qui le fera…
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