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INTRODUCTION
«À l’époque, on appelait ça pop music… ». Plus loin dans ces pages, le dessinateur Jean Solé se souvient des circonstances dans lesquelles il a conçu une histoire fondatrice pour la BD française, Magical Mistery Pop. Neuf pages publiées dans Pilote en 1972, bourrées de passion et de rock stars avec, dès le départ, les Beatles, découverts à l’Olympia en 1964 alors que la « Beatlemania » n’avait pas encore envahi la France. En 1972, Internet était encore dans les limbes de l’histoire et les références d’albums s’échangeaient chez les disquaires ou dans la presse spécialisée comme des secrets d’initiés de moins en moins confidentiels. Ces neuf pages, dont plusieurs sont exposées dans Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son, ont montré combien le rock et ses hérauts étaient un sujet graphique. Elles ont occasionné un choc à quantité de lecteurs dont, à Roanne, près de Lyon, un adolescent nommé Serge Clerc, bientôt au cœur de la scène BD rock révélée par la revue Métal Hurlant, pépinière également représentée dans l’exposition. Au début des années 70, Mandryka, Druillet, Moebius, Gotlib ou Solé, donc, tous écoutaient du rock ou de la pop anglo-saxonne. Tous avaient le sentiment que musique et bande dessinée avançaient en parallèle, se nourrissant l’une l’autre. C’est des États-Unis que l’impulsion initiale est partie avec la rencontre des rockers révolutionnaires et des auteurs de BD underground. Lancé en Californie, ce mouvement a petit à petit quitté les frontières américaines pour produire un écho en Europe et ailleurs. Aidée par la lecture de Rock & Folk, guidée par les « rock critic » Philippe Paringaux et Alain Dister, la nouvelle génération de dessinateurs français a capté la nouvelle vibration, vécu une révélation en lisant le Zap Comix de Crumb ou en posant sur la platine Cheap Thrills de Big Brother and the Holding Company. À leur tour, les frenchies ont été saisis par l’énergie et ont compris, instinctivement, que le rock et la pop étaient la bande son rêvée de leurs ambitions et les alliés de leur art contestataire.
Près de quatre décennies après Magical Mistery Pop, la dessinatrice Magali Le Huche a publié le roman graphique Nowherer Girl. Elle y raconte comment, lorsqu’elle est au collège, l’écoute obsessionnelle d’un groupe de rock lui permet d’oublier la peur panique qu’elle éprouve lorsqu’elle doit aller à l’école. Quel groupe ? Les Beatles, décidément intemporels, désormais personnages secondaires d’un récit autobiographique. Cette évolution et cette continuité, c’est ce que raconte l’exposition Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son. Alors que le rock se teinte sans cesse de nouvelles couleurs, en se frottant à la soul, au punk, au hip-hop ou à l’électro, la BD dansant au rythme de la pop n’en finit pas, non plus, de se multiplier, touchant à l’intime, au reportage, à la biographie pure ou au documentaire. Ce qui était naturel mais nouveau à la fin des années 1960 est désormais solidement établi et, aux premières approches plus directes et parodiques, ont succédé les angles de plus en plus personnels de Nine Antico, Charles Berberian, Joe Sacco, Luz ou Jean-Christophe Menu. Reste un point commun entre les générations de dessinateurs : l’envie de faire exploser le cadre de leurs planches afin d’exprimer leur fascination pour la musique.
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Vincent Brunner, Co-commissaire d’exposition
CAN YOU FEEL MY HEARTBEAT?
En 1960, le rock américain est au point mort. Miné par les décès de Buddy Holly et d’Eddie Cochran, trahi par le King en roue libre depuis son retour de l’armée, abandonné par Little Richard pour Dieu, déserté par Bill Haley et Gene Vincent pour l’Europe, délaissé pour la Country par Jerry Lee Lewis ou Carl Perkins. Les derniers soldats sont condamnés tel Chuck Berry ou boudés par le public comme Bo Diddley. Les années Kennedy qui commencent sont joyeuses, insouciantes, la musique en est son reflet. La Pop des teenage idols prend le pouvoir, la uptown-soul monte en ville, le son des girls groups rayonne sur les ondes A.M. et la surf-music gagne les fondus de la planche.
Les Beatles en déclencheurs
Deux événements brisent cette douce atmosphère. L’assassinat du jeune président Kennedy le 22 novembre 1963 stupéfait le monde. Son successeur, Lyndon B. Johnson hérite d’une situation internationale tendue et doit renforcer considérablement sa présence militaire au Viêt-Nam. Il envoie ainsi des dizaines de milliers de jeunes appelés se battre pour une raison politique dont ils ignorent les causes. Dès 1965, alors que la conscription s’accélère, la désobéissance prend, pour nombre d’entre eux, une forme déterminée. À la recherche d’une liberté totale, ils refusent le « draft » et « l’American way of life », pour mener une vie en parallèle, en phase avec le combat pour les droits civiques et la lutte pour défendre les femmes et toutes les minorités raciales ou sexuelles. Ces jeunes veulent imposer une culture différente, une contre-culture. Musicalement, les Beatles vont les aider. Débarqués en février 1964 pour leurs premiers pas en Amérique, les
Fab Four provoquent en quelques semaines, grâce à trois passages dans la grande émission de variétés le Ed Sullivan Show, un raz de marée inédit. Ils trustent toutes les places d’honneur du « Billboard », ringardisant la quasi-totalité des pop-stars américaines en place. L’avenir du rock ne viendra pas d’Amérique mais des îles Britanniques !
Et le LSD en catalyseur
L’orgueilleuse Amérique ne tarde pas à réagir en inventant des formes musicales inédites, des structures sonores bientôt déclarées psychédéliques, en lien avec une nouvelle drogue aux effets hallucinogènes : le LSD. L’acide lysergique diéthylamide 25, substance tirée de l’ergot de seigle, est champignon hallucinogène dont les propriétés sont développées en laboratoire depuis 1938 par le chimiste suisse Albert Hoffman. Cette drogue se répand rapidement parmi les jeunes musiciens bohèmes, surtout en Californie, un État à la pointe de la rébellion, que ce soit au sein des campus universitaires de Berkeley ou des quartiers branchés comme celui de Haight-Ashbury souvent rétifs à toute autorité. Ce ne sont pas les groupes pop américains qui œuvrent pour une nouvelle vie, une nouvelle musique. Elvis ou les Beach Boys dans leur période surf ne sont pas crédibles, seul Bob Dylan de par ses textes,