Bulletin du Librex, décembre 2015

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C e rcle du L ibre E xamen de l’Université libre de Br uxel les

N° 56 - DÉCEMBRE 2015

B U LLE TIN


• Editeur responsable Hamza Belakbir • Rédacteur en chef Galaad Wilgos • Couverture, maquette & mise en page Johan Metzger

Vous avez des choses à dire ? Un article, un projet, un coup de gueule ? Vous souhaitez répondre à un article ou y ajouter un complément ? Ou encore, vous vous sentez l’âme d’un journaliste, vous désirez faire partie du comité de rédaction ? N’hésitez pas ! Nos bulletins sont aussi faits pour ça ! Une adresse : librex@ulb.ac.be


édito La nouvelle mouture

du bulletin du Cercle du Libre Examen sort enfin des presses, et elle ne risque pas de vous décevoir. Voici maintenant quelques mois que nous dorlotons ce cher bébé, dont la maturation fut bien longue et cependant nécessaire. « Le trop grand empressement qu’on a de s’acquitter d’une obligation est une espèce d’ingratitude. » (La Rochefoucauld) Le temps a porté ses fruits – et quels fruits ! Plus de quatrevingt pages de pensées, de réflexions, de critiques et d’argumentations composent ce colossal bulletin aux relents de mook. Au moment où l’écriture perd de nombreuses batailles face à l’image, notre volonté de publier un tel pavé résonne comme une violente gifle au visage des industries de crétinisation des masses. En effet, notre Cercle s’est toujours targué d’empêcher de penser en rond, et cette mission n’a de sens qu’en ce qu’elle vise à toucher le plus de gens, afin que notre communauté politique ne soit pas gouvernée par la déraison et la manipulation. Pour cette raison, nous continuons de publier ce journal gratuitement et sans publicité, afin que

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notre liberté de ton ne soit jamais bridée par quelques sponsors amateurs de censure économique. Le recul de l’esprit critique n’est jamais une bonne chose pour un régime dont les fondations sont fermement ancrées dans l’idée que les Hommes sont capables de se diriger euxmême, sans l’aide d’un quelconque Dieu ou de son clergé. « Le sommeil de la raison engendre des monstres » disait le peintre Goya, et si la raison semble aujourd’hui bien trop souvent abstraite – voire le cache-sexe d’intérêts particuliers – c’est bien qu’il y a un problème. Nous postulons pour notre part qu’il n’y a d’individus libres que s’ils sont dotés d’une capacité critique, aptent à se remettre en cause et à remettre en question les lieux communs comme les dieux de leur société. La démocratie, en ce qu’elle désire le gouvernement des hommes, par les hommes et pour les hommes, serait irréalisable sans cette disposition toute particulière du citoyen à tout critiquer, des coutumes archaïques aux improbables injonctions religieuses formées par l’imagination fertile des hommes. Le recul de l’esprit critique demeure en cela tout autant symptôme que cause de l’état de crise que notre dossier tentera

d’analyser. La crise qui touche nos sociétés, nos cultures, voire notre civilisation, est une crise qui dépasse de loin le simple épisode économico-financier. La crise, qui au départ ne signifiait rien d’autre qu’un moment de rupture, de choix, est devenue dans le vocabulaire moderne un état perpétuel. De nombreux auteurs se sont penchés sur l’apparente crise permanente de l’Occident, avec plus ou moins de justesse. Le philosophe Cornélius Castoriadis parlait de « montée de l’insignifiance », et constatait l’évanescence du conflit social, dans une période où le conformisme généralisé s’accompagnait d’un nihilisme rendant tout insignifiant et d’une privatisation massive des individus – les citoyens ne se préoccupant plus de la sphère publique, de la politique et donc de la gestion de leur communauté. Le sociologue Zygmunt Bauman a dans cette même optique parlé de « société liquide », où un consumérisme devenu phénomène social aurait liquéfié de nombreuses sphères de l’existence humaine, transformant tout en objet de consommation et précarisant les relations qui composent la vie humaine.

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En amour comme au travail, l’échange marchand se substitue de plus en plus au règne du don, « roc de la morale éternelle » selon le sociologue Marcel Mauss, et la précarité règne : plus rien ne dure, tout est susceptible d’être flexibilisé, dynamisé, managé et, lorsque les intérêts ne sont plus rencontrés, la rupture est imminente. C’est la fameuse complainte du Progrès de Boris Vian, à laquelle emboîtait le pas la très cynique Laurence Parisot : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? ». La montée des inégalités, l’essoufflement de l’engagement, la transformation du monde en objet de consommation, les flux migratoires incontrôlés ou encore la crise alimentaire ne sont pas des phénomènes que l’on peut disjoindre. Pour cette raison nous avons décidé d’y consacrer un dossier entier, abordant des phénomènes aussi divers que la violence sociale, l’immigration ou le folklore de l’ULB. Face à un phénomène qui gangrène sans frein l’apathique corps social, il est de notre devoir devv réaffirmer quelques vieux principes qui ont fait la gloire des mouvements du passé. Face au psittacisme et à l’esprit moutonnier, osons critiquer ! Contre le repli sur sa maisonnée, son petit plaisir individuel et onaniste, osons-nous engager ! Et peut-être, alors, à la faveur d’une véritable crise, la rupture s’opérera, les choix seront faits, et la responsabilité des hommes sera enfin mise en jeu. En attendant, le Librex, loin d’être une avant-garde arrogante de l’esprit prétendument éclairé, continue son travail de sape culturel au sein de la société – enraciné dans celle-ci, et non la surplombant. En vous souhaitant une plaisante lecture de ce bulletin, } Galaad Wilgos Rédacteur en chef

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CUVÉE DU LIBREX

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DOSSIER : CRISES

• Discours de la St-V ‘15 - Hamza B. 08 • Colloque La Pensée et les Hommes Hamza B. 12 • France belle et forte - Galaad W. 14 • Petite société - Florian G. 15 • Librex par-ci par-là - Adam A. 19 • Université, portes fermées - Lucie P. 23 • Itv de Max Leroy - Galaad W. 26 • L’anticléricalisme - Saf-E. E. 29 • Entretien avec la revue Ballast - G.W. 31 • Lettre d’un européen - Michael S.

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« Déshabillons-les ! » - Nicolas S. Crise du laid - Victor N. Pourquoi tant de crises ? - Galaad W. Interview du Brigang - Olivier H. Immigration : Piège à cons - G.W. Folklore en danger - H.C. La mort de l’Etat social - P.N. Funèbre vision - H.C. Marchandisation de l’Être - P.N.

À VOIR, À LIRE

• Critiques du rédac’ chef - Galaad W. 82 • Much Loved - Hamza B. 84 ( NTV )


Président : Hamza Belakbir (Solvay) Vice-président : Adam Amir (Droit) Trésorier : Benjamin Dumont (Polytechnique)

29 ADMINS...

B U R E AU D U C ER C L E

Secrétaire Général : Florian Ghislain (Sciences)

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CVAF : Nicolas Solonakis Rédac Chef et Culture : Galaad Wilgos. Délégué Communication : Johan Metzger Déléguée Culture : Lucie Pousset Délégué Laïcité : Maxime Campus Délégué Vrij Onderzoek : Olivier Hamende Délégué Fêtes : Thomas Van de Leemput Délégué Gestion : Victor Nocent Déléguée Justice : Camille Lorgeoux Délégué Diversité Culturelle : Jimmy Ababio Délégué Minorité : Michael Sharghi Erd Moosa • Délégué Relations Extérieures : Maxime Ronsmans • Délégué Nature et Découverte : Thomas El Berkani • Déléguée Moyen-Orient : Yasmina Nejar 5

• Délégué ÉcoPol : Zac Bousnina • Trésorier-adjoint : Safae-Eddine Erouki • CIDL1 : Alexandre Donen • CIDL2 : Nolan Masure • Administrateur Solvay : Louis Brassine • Administrateur Archi : Doryan Kuschner • Administratrice Sciences : Morgane Rigaux • Administrateur Philo : Simon Fain • Administratrice : Mathilde Kalôm • Administratrice : Sophie Vangeertruyden • Administratrice : Marie Delcourt

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CUVÉE DU LIBREX

DISCOURS DE LA SAINT-VERHAEGEN 2015

Chers étudiants, chères

liberticide, et de l’autre un certain Eric Zemmour, qui étudiantes, appelle librement, monsieur le Bourgmestre, encore un grand merci pour sur la radio française, à bombarder Molenbeek. nous avoir accueilli. Entre, d’un côté, les messieurs les recteurs, mesdames les vice-rectrices, islamophobes qui scandent qu’il s’agit d’une messieurs les vice-recteurs, incompatibilité de l’Islam Mademoiselle l’adjointe avec la démocratie, et de du recteur aux affaires ceux qui sont dans le déni culturelles, en répétant que cela n’a Chers anciens, chères rien à voir avec l’Islam. anciennes, Ce n’est une surprise Camarades, pour personne : l’islam, comme toute idéologie Je pense que, d’ailleurs, doit être réformé, comme pour la plupart des et cet exercice doit être orateurs et des oratrices mené. Il l’est déjà, initié aujourd’hui, on avait tous une vague idée de ce dont par quelques intellectuels depuis plusieurs années et on allait vous parler, mais la cela doit continuer sous tragédie parisienne de ce vendredi a du façonner ces le regard des universités. Et il faut le savoir, toutes quelques mots, que nous les études de l’institut de sommes venus partager Sociologie de l’ULB, qui n’est avec vous en ce jour de pas une officine des Frères Saint-V. Musulmans, démontrent que Depuis les actes les croyants partisans d’un barbares du musée juif, islam moderne, bienveillant de Charlie Hebdo, de et universel constituent la l’Université de Garissa, et majorité écrasante des dernièrement du Bataclan, musulmanes belges. mais aussi en Afghanistan, Aujourd’hui, la en Irak, en Syrie, au Nigéria, démarche libre exaministe à Gaza comme à Tel– et je n’ai point pour Aviv, la peur se répand, les dérapages foisonnent et les ambition de vous l’apprendre –, consiste en experts autoproclamés du Moyen-Orient se multiplient. l’exercice permanent de Entre, d’un côté, notre cher remise en question. Mais gouvernement qui perpétue soyons clairs, il faut de l’audace pour oser cet sa politique sécuritaire

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exercice. Je ne vais pas vous cacher que douze ans d’un cours d’éducation islamique rigoriste à l’école, donné par un enseignant qui est au libre examen ce que Charles Michel est aux promesses, ça ne peut qu’endoctriner. Ces douze années de supplice intellectuel ne sont pas faciles à déconstruire, je vous l’assure. Rassurez-vous, loin de moi l’idée de perpétuer le stéréotype des présidents narcissiques, mais je prends mon humble expérience pour vous dire que, quand on ne naît pas privilégié, quand on ne reçoit pas le libre examen dans le biberon, les divergences de nos parcours respectifs dépendent de paramètres infinitésimaux et je m’explique : j’aurais pu, et avec la même probabilité, être adepte de prêches haineux de quelques mosquées bruxelloises, et être sur le point de préparer mon départ en Syrie. Néanmoins, à la place, me voilà, sur ce pupitre, à prononcer ces quelques mots devant vous à l’hôtel de ville. Où veux-je en venir me diriez-vous ?


La radicalisation est un mal de notre société, un mal qui peut atteindre n’importe qui. Bien évidemment, le bourdieusien que je suis ne niera jamais le rôle que joue la ghettoïsation sociale, culturelle et ethnique de quelques quartiers du croissant pauvre de notre chère ville. Mais maintenant que nous, étudiantes et étudiants, anciennes et anciens, sommes devenus un public averti, éclairé – ou du moins nous considérant comme tels, ne devons-nous pas tenter de transposer l’exercice de remise en question, applicable jusque là aux idées, à un tout nouvel horizon ? A savoir nos différents privilèges respectifs ? Les privilèges de patrons par rapport aux travailleurs, des hommes par rapport aux femmes, nos privilèges d’hétéros par rapport aux homosexuels, les privilèges des Blancs par rapport aux Arabes, aux Juifs, aux Noirs ou aux Roms, etc. J’essaierai de résister à l’envie d’articuler l’entièreté mon discours autour du carnage qu’il y a lieu à Paris. Cependant pour rester dans le thème de la Saint-V quand même, à savoir #toutoublié, je ne peux qu’affirmer, à titre personnel, que non, je ne compte pas oublier de vous témoigner ici de ma fierté et de ma joie incommensurables d’avoir fait partie de la mobilisation

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exemplaire des étudiants et des autorités pour l’accueil digne des réfugiés. C’était un travail collectif et pleinement citoyen. Un travail où des étudiants et des étudiantes donnèrent une leçon de courage politique à nos dirigeants. Non, je ne compte pas non plus oublier de marquer mon soutien total et inconditionnel à mon homologue néerlandophone, ma très chère amie Julie dans son indignation légitime et honorable contre les autorités de son université après avoir osé coter la VUB en Bourse.

Monsieur le recteur : ne pensez-vous pas qu’il serait peut être temps de remettre en question le V de VUB ? Enfin, du moins si les créanciers sont d’accord ?... Cet énième pas vers la privatisation de l’enseignement est une honte pour nos valeurs, l’éducation est un droit démocratique et vous en faites une matière à spéculer. J’espère, et je suis sûr, que nos camarades de la VUB ne baisseront pas les bras et continueront leur lutte pour déposséder les traders de leur université. Et pour finir, comme vous avez dû le remarquer, après l’excellent coup de marketing de la saint-V de

2014, cette année encore, et sans même l’intervention des Anciens cette fois-ci, nous sortons encore deux médailles… Quel triste sort pour l’union linguistique des libres-penseurs bruxellois. Union plus que jamais nécessaire, surtout dans les temps qui courent, où les dérapages séparatistes et francophobes de nos amis de la N-VA ne cessent d’éclore, d’autres essaient de bâtir des ponts, notamment avec l’Alliance des Universités de Bruxelles. Oui, vous l’avez remarqué, je me permets de dire nos amis, parce que, manifestement, le folklore xénophobe du premier parti du nord ne semble pas déranger tant que ça les libéraux. Pour qui, et malheureusement y compris chez nos Anciens, les portefeuilles ministériels valent plus que les idéaux progressistes qu’ils prétendent défendre. Mais bon, une bonne Saint-V quand même !

} Hamza Belakbir Président

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Synthèse d’exposé lors du

60ème

anniversaire « Bonjour à toutes et tous, j’aimerais remercier d’abord la Pensée et les Hommes, pour m’avoir invité à participer à ce colloque spécial pour le 60ème anniversaire de l’association. Colloque autour de la pluralité des mouvances dans la laïcité. Je vais structurer mon intervention autour de deux axes, premièrement, il s’agira d’aborder l’utilité de la laïcité dans sa pluralité et ses modes opératoires. Ensuite, dans un deuxième temps, même si me revendiquant théoriquement de l’universalisme, je ne suis pas dupe, vu les conditions dans lesquelles le débat public est posé, mon profil n’est pas très anodin quant à l’audibilité qu’aurait mon discours, surtout sur cette question-là en particulier. » « Un très large consensus (à la belge) dans l’opinion publique et la classe politique progressiste semble s’être établi sur le double objectif de tout faire pour éviter le choc des civilisations et la stigmatisation tout en 8

La Pensée

de et les

Hommes

luttant contre l’extrémisme. La laïcité est vue, à juste titre, comme rempart contre la montée de la radicalisation religieuse qui génère ces frappes aveugles et meurtrières au profit d’un idéal salafiste djihadiste. Cette double préoccupation est moralement juste et dans

l’intérêt bien compris de la société belge : il serait injuste d’imputer à plusieurs millions de personnes le danger que représentent quelques centaines, il faut faire preuve de beaucoup de précaution afin de défaire la laïcité de toute suspicion stigmatisante; il faut surtout isoler ces derniers et éviter de les

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rendre attractifs.

Laïcité, rempart contre l’exclusion L’objectif est de mener une lutte inclusive pour avoir toutes les chances de gagner, j’y reviendrai plus tard quand j’essaierai d’aborder l’aspect stratégique de mon humble vision de la laïcité. D’abord, l’enseignement de celle-ci doit se faire dans une démarche de connaissance. Or des informations indiscutablement erronées circulent, je n’en citerai qu’une seule : le fait de dresser une corrélation positive entre l’arrivée de la laïcité et l’avancée en matière d’égalité HommeFemmes. » « France, exemple sacro-saint de beaucoup de militants laïques belges francophones, pendant un siècle, le suffrage dit universel a été exclusivement masculin, un retard sans équivalent dans les autres pays démocratiques, et en particulier les pays protestants.


Or la laïcité fut souvent invoquée pour refuser le droit de vote aux femmes, présentées comme soumises au clergé. Et balayons devant nos portes aussi, inutile de rappeler que même si le POB, avec César de Paepe et ses quatre compagnons ne furent pas très favorables à l’attribution du droit de vote aux femmes, celles-ci susceptibles de voter pour le PSC, ou comment les petits calculs politiques peuvent parfois conduire à trahir ses idéaux.

Et sans surprise aucune, des amis, profs de secondaire m’en font régulièrement part, on tombe sur un fort taux d’absentéisme. Ils demandent leur mutation dès qu’ils peuvent, ce qui rend la stabilité des équipes éducatives très difficile là où, selon moi, elle serait la plus nécessaire.

D’ailleurs j’en profite pour relayer le magnifique appel de Michel Claise au dernier colloque de La Pensée et les Hommes sur la Franc-maçonnerie dans les pays musulmans : Cher Jacques, à quand la Pensée et les Femmes ? L’école doit, ellemême, affronter ses faits désagréables. Beaucoup d’enseignants ont leur premier poste dans un établissement « difficile », dans une des communes du croissant pauvre de Bruxelles – pour parler de la réalité bruxelloise – pour la plupart issus des classes moyennes, ils reçoivent un choc culturel vu l’homogénéité ethnicoculturelle des élèves dans ces communes-ci. Le genre de communes où on tombe sur des élèves qui, pour caricaturer et aller vite, ne se sentent pas Charlie, voire qui trouvent que Charb et ses camarades méritaient ce qui leur est arrivé. 9

Authentiquement laïque, authentiquement musulman « Un exercice relativement plus difficile que celui qu’a entamé Nicolas vu le caractère récent de l’introduction du sécularisme dans les pensées populaires des musulmans belges comparé au judaïsme belge, et j’insiste sur le caractère populaire, qui se traduit ici, entendons nous bien : par majoritaire.

Autant les musulmans qui ont fait la démarche rationnelle de remettre en question le dogme intrinsèque à l’islam en tant que croyance sont malheureusement peu nombreux, ainsi que ceux qui peuvent être des ténors et porte paroles de cette remasterisation de l’équilibre instable entre d’un côté la pensée rationaliste libre exaministe et de l’autre, l’identité musulmane. » « Avant de commencer à parler de stratégie, essayons de trouver le plus grand dénominateur commun afin d’avancer dans ce que j’appellerai la sécularisation progressive des islamités belges. Cela consisterait en l’abandon du ton contestataire et agressif que peut prendre parfois (je dis bien parfois) certaines formes de la laïcité militante afin d’être inclusif, déjà dans un premier temps, en matière d’occasions d’échanges, comme celle d’aujourd’hui. En février passé, j’eus la chance de rassembler un millier de personnes dans un Janson en mettant l’islam belge au centre du questionnement, notamment avec Chemsi, l’islamologue français Rachid Benzine, disciple de Mohammed Arkoune ….. Et Malika Hamidi, directrice de l’European Muslim Network, présidé par Tariq Ramadan.

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Mea culpa, je sais que c’est carrément un blasphème dans quelques milieux que de citer Ramadan, mais disons nous les choses franchement, ce n’est pas en stigmatisant intellectuellement quelqu’un qu’on arrivera à faire en sorte qu’il gagne moins de terrain. Ce sectarisme qui s’adonne à un dressement de listes de personna non gratta est de plus en plus présent dans quelques milieux universitaires se revendiquant de la laïcité, et, en plus, il dessert drastiquement notre cause commune, à savoir : déconstruire l’argumentaire

que Tareq Al-Qaradawi ou l’imbécile Alain Soral, disparaisse au profit d’une vision plus commune.

de Ramadan auprès d’un maximum de jeunes belges. »

mémoire afin d’être plus pragmatique dans notre combat laïque. »

« Ensuite, sur un plan plutôt politique, il s’agirait aussi de réussir le défi de faire en sorte que la dualisation symbolique entre Occident et monde arabe, nourrie autant par les aficionados réactionnaires à la Zemmour, Onfray ou Finkelkraut que par les gourous obscurantistes tel

« Le but ultime de ce processus de sécularisation dont je vous parle étant d’arriver à ce que Franck Frégosi appelle l’islamité minimaliste.

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Et en situant les rapports qu’eurent les populations belges musulmanes avec la laïcité dans le temps, il est pertinent de mentionner que cette dernière fut historiquement un apport des pays dits « colonisateurs » pour les les BelgosMarocains ou d’un système militaire autoritaire, pour les Belgo-Turcs, cette mémoire restant un obstacle à leur appropriation intellectuelle mais surtout identitaire de la laïcité. Il faut être conscient de cette réalité de la

La sociologie de l’islam en Belgique conduit à évoquer la réalité d’une identification davantage

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socioculturelle à un islam minimaliste. Cet islam est plus souvent assumé comme héritage familial, historique qui s’impose aux individus. Il se manifeste alors ponctuellement par des pratiques à caractère festif comme l’observation symbolique ou partielle du jeûne, la participation aux soirées conviviales du Ramadan, aux fêtes d’Aid Al Fitr ou Aid AlAdha ou communément connue comme la fête du sacrifice et finalement par l’attribution de prénoms arabes aux enfants. C’est un type d’identification assez présent dans une partie de la « beurgeoisie ».

Suite aux travaux de la brillante sociologue ULBiste Corinne Torrekens, qui expliquait qu’initialement, elle s’attendait à observer deux profils : un profil dit « orthodoxe » qui respecte scrupuleusement tous les préceptes et un profil « social » qui s’adapte davantage en faisant fi de certains dogmes.


Suite aux travaux de la brillante sociologue ULBiste Corinne Torrekens, qui expliquait qu’initialement, elle s’attendait à observer deux profils : un profil dit « orthodoxe » qui respecte scrupuleusement tous les préceptes et un profil « social » qui s’adapte davantage en faisant fi de certains dogmes. En réalité, il s’avère qu’une part importante des Belges musulmans sondés pour cette étude est davantage dans ce qu’elle appelle le « bricolage religieux». C’està-dire que le jeune homme qui pratique le ramadan va par contre boire de l’alcool en dehors, que la jeune femme qui porte le voile ne fréquente pas la mosquée, etc.

qu’il existe une corrélation entre le sentiment d’être discriminé et l’intensité religieuse. Mais on se trouve alors face à la question de l’œuf ou de la poule, la question qui conclura ma contribution aux travaux d’aujourd’hui : Les personnes sont-elles plus discriminées parce qu’elles montrent une religiosité plus marquée ou développentelles une sorte d’hyper identification religieuse par réaction aux discriminations ?»

} Hamza Belakbir Président

Chacun se construit sa propre pratique. Ensuite, la diminution de la fréquentation régulière des mosquées et, surtout, le fait que l’imam n’apparaît plus du tout comme une référence dans la construction de la foi démontre une prise de distance par rapport à l’institution. A noter que le fait d’avoir un entourage (collègues, amis) plus hétérogène diminue l’intensité de la pratique (tout comme l’obtention d’un diplôme supérieur) et inversement, lorsque la majorité des amis sont musulmans ou issus du même groupe ethnique. Ses travaux ont conclu aussi 11

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LA FRANCE EST FORTE QUAND ELLE RÉSISTE, ET BELLE QUAND ELLE EST UNIVERSELLE

En ces jours noirs, pleins de désarroi, d’une tristesse rongée d’amertume et de colère, j’ai préféré publier cette peinture révolutionnaire plutôt que changer narcissiquement ma photo de profil. Parce qu’une France forte dans l’adversité, c’est une France libre, égalitaire et fraternelle – une et indivisible. Parce que le drapeau bleublanc-rouge est avant tout celui de la fille aînée de la Révolution, qu’il porte en lui un message universaliste, et qu’il n’est donc pas la petite propriété médiocre et arrogante des patriotards du dimanche – serviles quotidiennement, et soudainement chauvins comme pas deux, Français pure souche lorsqu’il s’agit de flageller leurs frères musulmans. Parce que s’il y a une guerre à faire, c’est celle que mène la liberté

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guidant le peuple, contre la barbarie double, contre le Janus de la barbarie : l’oppression intérieure, l’ennemi extérieur. La guerre, oui, mais juste. Intervenir à l’étranger comme ce qu’a déjà commencé à faire le gouvernement français, n’est qu’une réponse sotte et démesurée à la crise réelle qui a pu mener à cette boucherie. L’islamisme est un fait qui a sa propre existence, ses origines et ses buts extérieurs à l’Occident. Contrairement à ce que certains ont pu exprimer ici et là, l’Occident n’a pas à se sentir seul et unique responsable de ce qui lui advient : il y a quelque chose de pervers à déresponsabiliser totalement l’ennemi pour se construire soi-même, d’un même mouvement,

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en victime et bourreau. L’islamisme n’a pas attendu l’Occident pour se développer, il n’a pas attendu notre « perversion » non plus pour s’inspirer de tous nos travers et de toutes nos inventions (les nouvelles technologies en matière d’armement comme en matière de communication). Cependant, nos faiblesses sont ses forces, notre manque de liberté est son justificatif, notre manque d’égalité est son moteur, notre absence croissance de fraternité est son allié. Quand on vit sous surveillance, on vit opprimé, et un oppresseur aussi puissant peut tout aussi bien envoyer ses dominés à la guerre, sans leur aval, comme il peut avec la même autorité contrôler ses sujets par tous les moyens modernes existants.


Ainsi va de l’impérialisme occidental, à motifs intéressés, à légitimité nulle et à conséquences mortelles. On ne créé pas ainsi notre ennemi, mais on le renforce clairement. Et l’on ne fait plus que souiller ce beau mot de Liberté, car on ne libère personne à coups de bombes, et on n’est pas libres à coups d’écoutes téléphoniques et de caméras de surveillance. Rien ne justifie et ne justifiera les politiques belliqueuses, comme les politiques sécuritaires, encore moins la sécurité – qu’elle détruit en désordonnant la politique mondiale – ou la liberté – qui disparaît alors pour tous. Quand on creuse les inégalités et qu’on disloque les sociabilités diverses et variées, la décence commune, on créé un terreau fertile à la misère, et donc au fanatisme. La bourgeoisie elle-même le connaît, ce fanatisme : ce ne sont pas des hommes incultes et pauvres qui théorisent et financent le terrorisme islamiste, ce sont des grands intellectuels, formés dans de prestigieuses et coûteuses universités, ou de riches pétromonarques gavés d’or noir et de dollars. Qu’on se souvienne ainsi que si celui qui se fait exploser a quitté son quartier pourri pour trouver un nouveau combat, celui qui l’arme et l’endoctrine vit paisiblement derrière de lourdes protections militaro-financières.

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Quand on détruit la fraternité, quand il n’y a plus d’identités rassembleuses – que ce soit la patrie des droits de l’homme ou la classe ouvrière –, quand le racisme explose parce qu’il n’y a plus que des luttes horizontales, que la mondialisation nous met tous en concurrence à travers le monde et les frontières, la pseudo-Umma des terroristes religieux a un couloir béant où s’engouffrer et recruter ses militants sans repères. Et quand on oublie, enfin, la laïcité, c’est-à-dire le laos, le pouvoir populaire contre la loi religieuse, la politique séparée des diktats dogmatiques, l’autonomie des consciences face au grégarisme des multiples sectes intégristes, on empêche dès le début à l’enfant de développer des anticorps qui le préserveront plus tard de ce genre de maladies mentales. On créé et on maintient des adultes dans un état d’ouverture à ce genre d’idées, puis peutêtre un jour à ce genre de pratiques. } Galaad Wilgos Rédacteur en chef

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PETITE SOCIÉTÉ ... Le Soleil se couche, ne se relève pas. Des télévisions murmurent. Charlie brandit son stylo, reste planté là. Ces Temps ont drôle d’allure. Petite société. De l’Intérieur à l’Asile et la Migration Toujours ce même crissement. Celui de la plume trempée dans l’aversion Traçant des obstacles aux migrants. Parlant de solidarité, d’humanité Tout en hérissant leurs quotas. N’oubliez pas vos badges, frères réfugiés. Liberté ? Sa frontière est là ! Petite société. Les libertés se donnent et se reprennent. Mais le sang de ceux qui s’aiment Implique-t-il formule si puritaine ? Rangez donc vos anathèmes. Avec le vent mauvais, tournoie la Morano. La pâleur cadavérique S’invite comme teint de peau et d’idéaux. L’identité ? Ton cantique. Petite société. Toujours prêts à défendre chaque victime, Nous ferons pleuvoir de l’acier. Celui qui délivre et qui envenime. Des réfugiés ? Pas planifié... Et toi mon Europe, chevauchant maints taureaux, Le grain gâté est en serre. Tu as dû oublier ta fougue au bureau Craton. Un râle de libertaire. } Florian Ghislain Secrétaire Général

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LIBREX PAR-CI, LIBREX PAR-LÀ,

OU

« LA CRISE DU LIBRE EXAMEN » « Une Grenouille vit un Bœuf, Qui lui sembla de belle taille. Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse s’étend, et s’enfle et se travaille, Pour égaler l’animal en grosseur ; Disant : Regardez bien, ma sœur, Est-ce assez ? Dites-moi ? N’y suis-je point encore ? Nenni. M’y voici donc ? Point du tout. M’y voilà ? Vous n’en approchez point. La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs ; Tout petit Prince a des Ambassadeurs : Tout Marquis veut avoir des Pages. » La Fontaine

Ce fut la St-V, et comme le cycle de

l’année évoque les souvenirs, je me dis qu’il nous incombe un devoir de mémoire et d’apprentissage du passé. On a l’habitude de penser en de telles occasions que le passé doit être lointain, or c’est sur une St-V très proche de nous que j’ai choisi de me pencher.

Œcuménisme bien pensant À un débat tenu à l’ULB sur la Liberté d’Expression après les attaques de janvier sur Charlie Hebdo et sur l’Hyper Kasher, des représentants des différents cultes se sont réunis pour montrer qu’on pouvait se réunir, entre monothéistes (+ 1 athéiste) différents ! On a estimé que c’est comme cela que la représentation de la Société serait la plus

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parfaite. À l’ULB. Peut-être n’était-il pas anodin que les attaques avaient été aussi antisémites et perpétrées par des islamistes fanatiques (mais ce ne sont pas ceux-là qu’on a invité à débattre). Pourquoi la représentante catholique ? Sans doute dans un souci d’œcuménisme et d’inclusion, pour montrer qu’on est ouverts, à l’ULB. Tout le monde est donc inclus, tout le monde sauf les protestants, les bouddhistes, les rasta/pastafariens et autres oubliés de la bien pensance populaire qui nous rabâche encore avec les fameux « trois monothéismes », et qui s’amuse à les confondre. La bien pensance, dans ce cas, ce sont les ignares de la laïcité, présents en grand nombre parmi nous. Mais ce n’est pas tant les représentants communautaires qui nous ont le plus surpris.

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Non, car même si ceuxlà ont fait de leur mieux pour partager des opinions souvent plates, souvent banales, on ne peut pas leur reprocher leur pacifisme et leurs condamnations des attaques. C’est tout à fait salutaire que tout le monde soit d’accord au moins sur ces points-là. Tout le monde, ou du moins ceux que l’ULB a bien voulu inviter à « débattre ». Tout autre était notre étonnement à la vue, sur les annonces de la conférence tant attendue, du modérateur. Un modérateur est ce qu’il est : un intermédiaire. On ne lui demande pas d’être un diseur, ou un faiseur d’opinion, mais de permettre aux intervenants de discuter. Cependant, bien qu’il soit nécessaire que ce modérateur ait un certain niveau et une certaine tenue, pour garder le prestance d’un débat, et qu’il est souvent bénéfique qu’il ait aussi un certain charisme et une carrière derrière lui, il est préférable qu’il reste neutre, et qu’il ne se considère pas 16

comme un des intervenants, même s’il a toutes les qualités susmentionnées. Notre modérateur oublia cependant ces quelques règles de modestie. Car, sans doute conscient de manquer de crédibilité et de légitimité, c’est là une manière aisée de donner son avis sans qu’on le lui demande, et en la matière, c’est un abonné. On lui aurait partiellement pardonné si ce n’était pas lui-même qui avait été quelques semaines auparavant le commandeur d’une censure et de la source de la désolidarisation des instances officielles de l’ULB et de l’ACE (mais bien heureusement, uniquement de celles-ci) de la médaille de St-V, symbole au sein de notre Alma Mater de l’irrévérence et du second degré. Cet épisode est celui qui nous reste encore en travers de la gorge et qui restera dans la mémoire de chacun un moment infâme dans les chroniques de l’ULB et de sa fête des étudiants. Soulignons que la VUB en est sortie renforcée, car elle a choisi, avec son recteur, de ne pas sombrer dans

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cette chasse aux sorcières et d’embrasser ses étudiants au lieu de les diaboliser. Ce serait lui faire trop d’honneur (et ces quelques mots sont déjà bien trop) de dire que Cabu, Elsa, Charb, Honoré, Maris, Tignous et Wolinsky se seraient retournés dans leur tombe du fait qu’il prétende les défendre, eux, contre les agresseurs qui les ont tus. Car le terrorisme du Modérateur ne fut pas des moindres en cette St-V 2014, quand il menaça des étudiants de notre université de les tuer académiquement; une arme bien courageuse pour un défenseur de la Libre Pensée. Notre récompense fut son propre discours à l’hôtel de ville, le matin même de la St-V où, devant la fine fleur bruxelloise, il donna à tous matière à rire pour la journée, et mit pas mal de beau monde de bonne humeur par sa propre caricature.


e, tte rim e c à e t. s arrêt ur à l’instan u o v « Je nse , on Ce as légitime . m fonte. a ir la p D u t à s r s ver e ve la tien grand x, ces deux z Je ne e s s ieu ne a ur le m iras-tu ? Ni d’u o p , z tte te ta nte ? Reme nseur, ver mon co e C it ux he Maud -je ac ès dangere is a r u e. a r Ne s ssein t e plair t e e d d n u » ndre C’est ureux trepre n e e lh ’ a d tm Que ats son c li é taine d Les La Fon Mais cet épisode cynique n’est que le symptôme malheureux d’un mal plus étendu, d’une crise qui touche notre institution, mais pas seulement. C’est le mal d’une génération, même de plusieurs, car nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Bien qu’il ait toujours existé, le relativisme moral et culturel a pu se développer et se propager dans le climat propice du XXème siècle où, pour faire simple, il est le triste revers de la laïcisation de la société. En même temps que les hommes ont perdu les absolus moraux qui découlaient souvent du religieux, ils ont sombré dans un nihilisme libérateur, où tout leur était devenu permis, et surtout égal. Les psychoses liées à l’interdiction se sont renversées pour céder la place à celles de la démesure, et voilà que la révolution sexuelle obligea les hommes et les femmes à renoncer à leur Être, à leur individualité. Un nouveau

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culte émergea : celui du Grand Mélange des genres (et des liquides séminaux). Le Libre Examen ne fut pas épargné, et il reçut une nouvelle définition, que l’on pourrait résumer ainsi: « Le Libre Examen est le droit de dire n’importe quoi sans vraiment argumenter, ainsi que la prérogative de faire valoir une valeur comme Le Bien sous prétexte qu’on se cache derrière celui-ci. » Et voilà, finie la recherche de la Vérité, terminée la méthode scientifique, puisque TOUT se vaut. Il suffit de prononcer les mots « Libre Examen », et les esprits critiques s’adoucissent, les bons étudiants s’ouvrent naïvement aux propos les plus absurdes, car ils ont devant eux une personne qui raisonne « comme eux », n’est-ce pas ? Tout se vaut, et pourquoi pas aussi la religion ? Après tout, l’anticléricalisme de nos parents était un peu hystérique, et causé par leurs affects, et les sé-

minaristes pratiquent bien le Libre Examen, puisqu’ils le disent ! Pourquoi, de plus, combattre les fanatismes puisque nous n’avons rien de mieux à proposer ? Kant essaya d’établir une transcendance de la morale laïque, il fut accusé des pires choses par les post-modernes. C’est parce qu’à notre époque, il faut être ouvert, progressiste, et il faut surtout tout accepter, tout comprendre et tout justifier. Sinon, on est un vieux con puritain et obscurantiste

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Je ne serais d’ailleurs plus étonné si un jour proche, dans le Bulletin même de notre Cercle à la noble histoire, une âme perdue s’évertuait à défendre le cléricalisme contre les attaques que ce nouveau damné de la terre subirait de la part des laïcs… C’est cette absence de convictions généralisée qui encourage toutes les confusions et qui permet à des salauds d’envoyer nos jeunes en Syrie. C’est la même qui obligera par exemple d’aucuns à se plier à l’autorité de véritables vieux cons pour censurer une caricature créée par des étudiants en le faisant passer pour un combat humaniste, pour avoir ensuite l’insolence de se dire Charlie, sans n’y voir aucune contradiction.

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Il serait temps de rendre à l’ULB ses armes, de retrouver la fierté d’une vraie définition du Libre Examen, de faire une recherche digne de ce nom et d’être intransigeant sur nos valeurs. Il serait temps d’arrêter de se dire que parce que nous sommes étudiants, que nous sommes à l’ULB, et que nous venons peut-être d’une famille de résistants, nous ne serions pas soumis à l’obligation d’une démarche individuelle, d’une étude des textes philosophiques et politiques, d’un engagement intègre et d’un combat intérieur. Penser s’apprend. Comme tous les talents et les arts, on n’y excelle pas d’emblée dès la naissance. La réflexion est une qualité à mourir longuement et intelligemment, et nous pouvons toujours regarder

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autour de nous pour trouver les exemples des dégâts et du ridicule que peuvent causer une pensée inachevée, comme celle du Modérateur, pour nous convaincre de sortir de l’inertie, de l’anesthésie du cerveau dans laquelle nous sommes noyés, et nous mettre à l’œuvre. À l’œuvre, et j’entends par là un vrai travail : suer, s’efforcer, se construire. C’est maintenant que ça se fait. C’est maintenant car, comme disait Hillel, « Si pas maintenant, quand ? » Le’haïm, à la vie, au folklore, à Théo, et à nous, joyeux (mais-parfois-faut-êtresérieux) étudiants !

} Adam Amir Vice-Président


UNIVERSITÉ PORTES FERMÉES Avis aux étudiants, Voilà déjà plusieurs mois, ou plusieurs années, que tu parcours le campus dans un sens et dans l’autre pour te rendre en cours, boire un verre aux préfabriqués ou encore tenter de chercher une place dans une bibliothèque pleine à craquer. Mais est-ce que tu sais pourquoi tel ou tel auditoire s’appelle Janson ou Guillissen ? Astu remarqué les plaques commémoratives qui parsèment l’université ? T’es-tu déjà demandé ce que représentait cette stèle sur le square G ou même pourquoi ce square s’appelle ainsi ? Ou comment s’appelle le pont que tu empruntes pour te rendre au TD et d’où est tiré son nom ? Si tu as envie de découvrir tout cela et d’en savoir plus sur ton université, attends avec (im)patience la sortie d’un livret sur la Résistance à l’U.L.B. qui aura lieu le 19 avril prochain. Voici un avant-goût !

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Fermeture de l’Université libre de Bruxelles Le 10 mai 1940, la Belgique est attaquée par l’Allemagne nazie. Le jour même, les cours sont suspendus à l’Université libre de Bruxelles. Les étudiants non-engagés sous les armes se dirigent soit vers des centres d’incorporation, comme les Centres de Recrutement de l’Armée Belge, soit vers le centre du midi de la France, plus précisément dans les régions LanguedocRoussillon et Midi-Pyrénées, s’orientant vers des universités françaises. Certains professeurs suivent l’exode des étudiants et se regroupent principalement à Toulouse, où une commission interuniversitaire composée de professeurs de Bruxelles, Louvain et Liège est crée le 29 mai, et à Montpellier, où ils sont accueillis dans les facultés locales. Lorsque l’armistice est signé le 22 juin et que le maréchal Pétain arrive à la tête du gouvernement français, la communauté universitaire belge s’interroge à propos de la reprise des activités de l’Université libre de Bruxelles. La question de

l’avenir de l’institution est posée lors de la rencontre entre le professeur Smets et l’administrateur de l’Université Fernand Héger, qui envisagent de négocier une réforme universitaire avec les Allemands. Cette réforme de l’université implique que les professeurs doivent se limiter à leurs activités scientifiques et ne plus utiliser leur titre à des fins non-scientifiques ainsi qu’à la surveillance des associations étudiantes. Suite à l’occupation totale du pays et à la reddition belge sous l’ordre de Léopold III, les recteurs sont convoqués à Bruxelles par le secrétaire général du Ministère de l’Instruction publique. Un Conseil d’administration est alors réuni le 17 juin sous la présidence de Jean Servais. Les autorités académiques de toutes les universités belges décident le 20 juin de reprendre les cours et d’organiser deux sessions d’examens, l’une en septembre et l’autre en octobre. Cette dernière a finalement été prolongée jusqu’à la midécembre pour permettre aux étudiants rentrés tardivement en Belgique d’y participer.

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Cependant, la réouverture des universités ne se fait pas sans conditions. Une ordonnance du 18 juillet soumet les professeurs ayant quitté le territoire après le 10 mai à un examen de leurs activités politiques lors de leur absence. De plus, l’administration militaire allemande désire intégrer les universités belges dans l’ « Ordre nouveau ». Les universités de Gand et de Liège deviendraient des institutions régionales, respectivement pour la Flandre et pour la Wallonie. Louvain se spécialiserait en théologie et l’Université de Bruxelles – qui perd son caractère libre – serait le « germanischdeutsches Bollwerk gegen WestEuropa » (peut être traduit par : « un bastion de l’Ordre nouveau germanique contre l’esprit décadent de l’Europe occidentale »). En attendant l’application du plan nazi, l’administration militaire impose à l’Université de Bruxelles, fin octobre – début novembre 1940, la présence d’un Commissaire allemand, Walz, professeur à l’Université de Munich, chargé de la surveillance de la non-implication des professeurs et étudiants dans les activités 20

politiques, en réponse aux manifestations d’avantguerre contre l’idéologie nazie. L’autorité allemande publie le 1er novembre un communiqué stipulant qu’ « il est indispensable de prendre des mesures de précaution particulières, en vue d’effacer de l’Université tout ce qu’elle aurait de politique ». Le Conseil d’administration garde son autorité en matière de nomination des professeurs. Néanmoins, les décisions prises par l’Université sont soumises en

premier lieu au Commissaire Walz qui se réserve le droit de s’y opposer. Deux autres mesures, vis-àvis desquelles les autorités académiques se sont inclinées, sont prises à peu près simultanément. La première est la mise à disposition de professeursinvités allemands pour familiariser la jeunesse belge à la pensée allemande. La seconde est la résiliation des contrats entre l’Université et des entreprises

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juives, la révocation des enseignants juifs et de tous les professeurs ayant affirmé dans leur enseignement ou leurs écrits des sentiments hostiles à l’Allemagne. Le 13 novembre 1940, le recteur Van den Dungen est convoqué chez le secrétaire général du Ministère de l’Instruction publique, suite à la manifestation patriotique d’étudiants devant le soldat inconnu deux jours auparavant. Le lendemain, il est informé par le Commissaire que l’établissement serait fermé en cas de prochaine manifestation étudiante publique. Le 28 janvier 1941, le

Commissaire propose le germaniste Mackensen et l’historien Fritz Quicke pour remplacer les défunts professeurs Beckenhaupt et Laurent (cf. notice sur le patio du local 107 du bâtiment A de l’Université libre de Bruxelles). Dans une lettre du 30 janvier, le recteur s’oppose aux nominations de Mackensen et Quicke. Leur candidature est alors retirée par le Commissaire. Cependant, celui-ci revient avec une autre proposition pour le poste du professeur Laurent.


Afin de détourner l’Université de ses idées occidentales et d’instaurer au sein de l’institution une idéologie tournée vers l’Allemagne, le prochain but de l’occupant est de dédoubler l’U.L.B. selon des critères linguistiques (français et néerlandais) en remplaçant les professeurs suspendus par des Flamands. En réponse à cela, le recteur conteste la nomination définitive de professeurs dans les chaires vacantes. Avec l’arrivée d’un nouveau Commissaire, Ipsen, un nouvel objectif apparaît, celui d’accroître le pouvoir de l’État au sein de l’Université, jusqu’à ce qu’elle devienne une Université d’État. La liberté d’enseignement, principe fondateur de la constitution belge, serait alors supprimée. De plus, comme le Conseil d’administration est opposé aux mesures proposées par le Commissaire, celuici veut lui ôter tout pouvoir et les transférer au Bureau. Le recteur reçoit le 29 juillet un ultimatum imposant le transfert des pouvoirs du Conseil d’administration au Bureau sous peine de la suspension totale du Conseil

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et la reprise des pouvoirs par Ipsen. Près d’un mois après la date butoir, le Conseil accepte de déléguer ses fonctions au Bureau, pour la durée d’un an. Il accepte également les nominations proposées par l’occupant, précisant aux candidats que celles-ci ne seraient effectives que pour la durée de l’occupation.

cette suggestion et vote la suspension des cours. La réouverture de l’Université ne peut être envisagée que si le Conseil détient à nouveau le choix de son corps professoral et que les nominations émises par le gouvernement militaire ne sont pas effectives. L’U.L.B. ferme officiellement ses portes le 25 novembre 1941 à 10 heures. La nouvelle est annoncée simultanément aux élèves par les présidents de Faculté et aux autorités allemandes par le recteur. Les Allemands, pris au dépourvu par cette décision, interdisent aux enseignants de poursuivre leurs activités, quel que soit l’établissement.

Dans la perspective d’insertion de professeurs flamands favorables à l’idéologie nazie, trois professeurs sont nommés par le gouvernement militaire, le 22 novembre 1941, alors que le Commissaire Ipsen a reconnu qu’il incombe uniquement au Bureau de procéder à des nominations. Le lendemain, suite à ces nominations, le Bureau de l’Université se réunit d’urgence et propose la fermeture de l’institution. Le 24 novembre, le Conseil d’administration se rallie à

Les portes de l’Université resteront fermées jusqu’à la libération en dépit de l’occupation de ses locaux par l’occupant pendant près de trois ans. Les Welsh Gards et la Brigade Piron libèrent Bruxelles le 2 septembre 1944, permettant à l’Université de Bruxelles de rouvrir ses portes en arborant son caractère libre. } Lucie Pousset Déléguée Culture

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Orientation bibliographique

John BARTIER, Georges de VLAMYNCK et al., L’Université libre de Bruxelles, 1834-1959, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1960. Andrée DESPY-MEYER, Alain DIERKENS et Frank SCHEELINGS (éd.), 25 novembre 1941, L’Université de Bruxelles ferme ses portes, Archives de l’ULB, 1991. Chloé PIRSON et Lionel RIVIÈRE, La Faculté de Médecine de l’Université Libre de Bruxelles sous l’occupation, Collection « Musée de la Médecine », n°2, 2009. André UYTTEBROUCK et Andrée DESPY-MEYER (dir.), Les cent cinquante ans de l’Université Libre de Bruxelles (1834-1984), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1984.

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ENTRETIEN AVEC MAX

LEROY

AUTEUR, ESSAYISTE

Tu es l’auteur de plusieurs livres. L’un porte sur le poète Jean Senac, poète algérien proche d’Albert Camus. Pourquoi cette figure peu connue ? Parce qu’elle gagnerait à l’être davantage ! Mais je doute pouvoir y contribuer... Plus sérieusement : Sénac est un poète – mais cela ne suffit pas à le rendre digne d’intérêt (après tout, Houellebecq s’y essaie aussi) –, un écrivain (son récit autobiographique Ébauche du Père est, disons-le, superbe) et un militant politique. Aimeraitil ce mot ? Ne faisons pas p arler le mort qu’il est, parti trop tôt et dans des conditions qui demeurent, pour certains, assez incertaines. Il fut en tout cas un grand poète politique, un poète de la Cité, dans la veine des Maïakovski, des Desnos, des Char, des Laâbi ou des Aragon (les odes aux camps de rééducation soviétiques en moins, pour ce dernier). Sénac chemine entre deux eaux, deux feux : c’est un pied-noir qui lutte pour l’indépendance de l’Algérie – non pas en tant

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que français ou européen mais en tant que citoyen algérien, ce qui n’est pas un détail. Il ne fut pas le seul (songeons à Henri Maillot) mais il le fut trop, seul, dans cette aventure : au point de perdre l’amitié forte qui le liait à Camus. Le romancier – qui, on le sait, n’était pas indépendantiste (sans toutefois, gardons raison, être un laudateur zélé de la future OAS) – lui reprocha d’être un « égorgeur » : une bêtise, bien sûr. Sénac concevait l’écriture de la sorte : « Poésie et Résistance apparaissent comme les tranchants d’une même lame où l’homme inlassablement affûte sa dignité. Parce que la poésie ne se conçoit que dynamique, parce qu’elle est «écrite par tous», clé de contact grâce à laquelle la communauté se met en marche et s’exalte, elle est, dans ses fureurs comme dans sa transparence sereine, dans ses arcanes comme dans son impudeur, ouvertement résistante. Tant que l’individu sera atteint dans sa revendication de totale liberté, la poésie veillera aux avant-postes ou brandira ses torches. » Cela méritait que l’on secoue le

tapis pour voir les poussières qui s’y cachent, non ?

Un autre porte sur l’anarchiste Emma Goldman, figure de proue du mouvement libertaire. Peux-tu nous la présenter en quelques mots ? Goldman est une figure qui chérit les tensions : elle s’avance tour à tour féministe et nietzschéenne (ce qui, à lire Ecce homo, dissone quelque peu...), individualiste et communiste, anarchiste et (quelques mois seulement !) sympathisante bolchevik.

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Elle chemine entre deux pôles : Kropotkine et Stirner. Elle tente de rallier les contraires, d’articuler les antagonismes – qui, pour elle, n’en sont pas une fois qu’on les appréhende dialectiquement – pour rendre pensable et possible, sur le terrain, un socialisme libre – à la fois soucieux de l’égalité (économique et sociale) et de la liberté (individuelle). Le communisme libertaire, en somme. Ce qui la conduisit à s’opposer radicalement, après les avoir soutenus, comme je viens de le rappeler, aux instances soviétiques – c’est elle, aux côtés de son compagnon Alexandre Berkman, qui tenta une méditation entre le régime et les marins insurgés de Krondstdat [NDLR : Marins s’étant révolté contre le pouvoir centralisé des bolchéviks et pour la démocratie des soviets, écrasés dans le sang par Lénine et Trotsky en 1921]. On connaît la suite... Goldman renvoya dès lors dos-à-dos le fascisme et le totalitarisme soviétique et s’en alla en Espagne soutenir les formations libertaires de Durruti (elle connut à cette époque, et l’appuya en Angleterre, George Orwell). C’est une figure méconnue, à l’extérieur des cercles militants : il n’existait aucune biographie d’elle, en français. Raison qui me poussa, pendant trois ans, à travailler sur ce projet.

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Enfin, l’un de tes essais qui m’a le plus marqué est celui sur Nietzsche et l’anarchisme. A priori, il est difficile d’imaginer plus éloigné de l’anarchisme que Nietzsche, grand apologue de l’aristocratie, antimoderne radical et ennemi de la démocratie. Nietzsche était cependant beaucoup lu dans les cénacles ouvriers, et anarchistes en particulier. Comment expliques-tu ce paradoxe ? C’est justement ce paradoxe qui m’a intéressé. Pourquoi tant de libertaires furent-ils (et continuent parfois de l’être) des lecteurs, parfois fascinés, de Nietzsche ?

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Qui, comme tu le rappelles, n’était pas un socialiste ni un homme de gauche – loin s’en faut. À la lecture de l’œuvre complète du philosophe allemand, que j’ai recoupée avec les écrits de nombre d’anarchistes de sensibilité nietzschéenne (d’Italie, de Bolivie, d’Allemagne, etc.), sept lignes de force me sont clairement apparues – elles expliquent en grande partie les connivences et les alliances. La lutte contre le « pur esprit » ; une pensée résolument athée (pas d’arrière-mondes, pas de dieux) ; l’anticapitalisme ; l’éloge de la simplicité volontaire ; la détestation de l’État (ce fameux « monstre froid » tant honni de Nietzsche) ; un « ni-ni » qui renvoie dos à dos l’ordre et la soumission (ni obéir-ni gouverner, ni suivreni guider) ; la célébration de la vie, de l’énergie, de l’élan ; la prise en compte de la part poétique des existences. Un anarchiste nietzschéen fusionne les laves supposément ennemies : la révolte sociale se mêle à l’élan vital, le désir d’autonomie se lie à l’exigence individuelle, la haine du pouvoir se fond dans le mépris des foules et le rejet des religions se joint à la critique de l’idéalisme.


Quelle place accordes-tu au style de l’écriture ? A l’université, les sciences humaines font souvent l’apologie du style froid et désincarné, au nom d’une certaine vision de la neutralité axiologique. Doit-on écrire mal pour publier des essais ?

« les sciences humaines », la « théorie » et la « pensée ».

Je n’ai jamais mis les pieds dans une université ; je suis autodidacte – c’est en lisant, pêle-mêle, au fil des ans, que j’ai « appris » ce qu’était « écrire » (comme le piano, le oud ou les glacis à la peinture à l’huile, cela ne tombe pas du ciel). C’est un labeur ; il faut trimer un peu pour arriver à une phrase correcte. J’ai lu de manière boulimique, pour compenser ce manque d’instruction, sans doute, en passant d’un recueil de poésie à un essai d’économie, de mémoires à des écrits de philosophie politique. Ce désordre (et les lacunes qu’il entraîne) m’a rendu extrêmement peu soucieux des canons et des cadres en vigueur dans

Autrement, cela s’appelle de la rédaction – une suite de mots qui, paraît-il, forment une phrase qui ferait sens. Une grande partie des écrits universitaires me tombent des mains dès l’introduction. Ça ne danse pas, dirait Nietzsche ! La « neutralité », c’est une invention de journalistes pour faire croire qu’ils ne pensent pas comme ceux qui les rémunèrent ; je crois à la subjectivité, à la raison sensible. Prendre parti (autrement, vous êtes un dandy qui s’en lave les mains) tout en veillant scrupuleusement aux faits (autrement, vous êtes un bureaucrate d’ex-URSS ou un économiste en fonction sur le service public).

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C’est aussi une grande liberté. Une écriture, surtout en littérature (mais pourquoi, dès lors qu’il s’agirait d’analyser, de raisonner, d’articuler, faudrait-il cesser de considérer le langage et le verbe dans ce qu’il a de plus fécond ?), est une musique : ni plus, ni moins.

Des livres à conseiller à nos étudiants (littérature, philosophie, politique) ? Je peux te dire ce qui traîne autour de moi, à portée de vue, là, si tu veux.

Imperium de Lordon, Viva de Deville, Au-dessus du volcan de Lowry (que je n’ai pas encore ouvert),

Souvenirs d’un révolutionnaire de Gustave Lefrançais, Van Gogh, suicidé de la société de Artaud (dont je voulais relire quelques fragments) et Les écrits sur l’aliénation et la liberté de Fanon. } Galaad Wilgos Rédacteur en chef

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L’ANTICLÉRICALISME ET SA

NON-SUBVERSION

Aujourd’hui encore, il

suffit d’inviter un prêtre a débattre a l’ULB pour voir déferler des hordes de bouffeurs de curés, de femens et autres sextremistes, et ce, sans compter les autres énergumènes qui au nom de leur conception de l’anticléricalisme l’arroseront, l’insulteront, voire même l’empêcheront de s’exprimer, sous le seul prétexte que c’est un homme d’Eglise... belle conception de la liberté d’expression, du débat contradictoire, de l’ouverture d’esprit, et du libre examen...

Qu’est-ce que l’anticléricalisme ? Ne le nions pas, ce

concept a eu sa raison d’être. En effet, à une époque, l’Eglise avait une présence abusive dans l’appareil étatique, et comme souvent dans l’Histoire, l’abus a abouti à une révolte. Celle-ci fera perdre à l’Eglise l’essentiel de son influence, ne subsistant plus aujourd’hui qu’un vague reliquat moral n’ayant plus qu’un poids symbolique, dépourvu donc de l’effectivité du pouvoir de fait qu’elle avait encore il y a un peu plus d’un siècle... 26

Mais qu’est-ce que l’anticléricalisme ? C’est une opposition au pouvoir séculier de fait que l’Eglise avait à une certaine époque. Cela supposait donc une séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce qui est la définition même de la laïcité, raison pour laquelle ces concepts se sont souvent retrouvés liés. Il faut savoir que l’anticléricalisme n’a historiquement pas qu’un seul foyer social. Il y a eu par exemple un anticléricalisme ouvrier, dû notamment au fait que l’Eglise validait religieusement la position sociale du travailleur et donc sa pauvreté, se plaçant donc du côté du patronat ;

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un anticléricalisme bourgeois dont Voltaire est assez emblématique ; et un autre aristocratique, ces deux derniers étant inférieurs à l’Eglise dans sa vision moyenâgeuse de la société où les oratores étaient au sommet.


Anticléricalisme et Laïcité : mêmes objectifs ? Si dans une certaine mesure, ces concepts se recoupent en partie dans certains courants, il n’en demeure pas moins qu’ils sont clairement distincts : si la laïcité a certes pour objectif de veiller à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, elle n’a pas pour but d’empêcher l’Eglise d’exprimer sa pensée. Mais malheureusement, l’anticléricalisme a connu la même déviance que le concept de laïcité. Ayant initialement un but noble, il a été détourné

La Fable de Joha Nous concevons mal l’utilité de combattre un ennemi devenu inoffensif. Une petite fable traditionnelle illustre parfaitement notre pensée. Elle concerne un personnage propre au folklore du monde arabe : Joha. La voici. En revenant du champ de bataille, 4 hommes vantaient leurs exploits. « Moi, personne ne m’a touché, et j’ai tué 10

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de son objectif initial par certains qui, partant de l’idée de séparation de l’Eglise et de l’Etat, en sont arrivés à une conception de l’anticléricalisme où l’Eglise n’a plus le droit de s’exprimer, puis ont ensuite visé l’expression du fait religieux (ce qui est déjà incohérent si on tient compte du fait que l’une des raisons d’être de l’anticléricalisme est justement la liberté de conscience…), puis où l’Eglise n’a plus le droit d’exister, pour en arriver à la conception la plus extrémiste et la plus délirante de toutes, celle où la religion n’a plus le droit d’exister… tout ceci bien sûr au nom de la liberté

de conscience et donc de l’ouverture d’esprit… Nous ne nous expliquons pas les raisons pour lesquelles l’anticléricalisme a lui aussi connu la dérive antireligieuse qu’avait connue la laïcité. Sur ce point, il serait par ailleurs assez difficile de savoir lequel des deux courants a déteint sur l’autre.

hommes ! » dit le premier. Le second répondit: « moi, certains m’ont atteint de leurs lames, mais j’ai pris la vie de 20 de leurs soldats ! ». Le troisième, le plus blessé des 4, dit: « moi, ils m’ont tailladé le corps, mais j’ai semé la mort autour de moi ! J’ai tué au moins 30 de leurs guerriers ! ». Après un long moment de marche silencieuse, l’un des 3 demanda au quatrième homme, Joha: « et toi, qu’as-tu fait ? Conte-nous tes exploits sur le champ de bataille ! ». Il leur dit: «

moi, j’ai tranché la jambe d’un homme de plus de trois mètres. » les trois autres hommes se regardèrent entre eux, et aucun d’entre eux n’ayant accompli un tel exploit, ils poursuivirent leur marche silencieuse, un peu gênés. Après un moment de réflexion, l’un des trois demanda à Joha: « mais pourquoi t’es-tu contenté de lui trancher la jambe? Pourquoi ne lui as-tu donc pas tranché la tête? », ce à quoi Joha répondit « parce que quelqu’un d’autre l’avait déjà fait. ».

Il est crucial que les défenseurs de ces combats ne perdent pas de vue leurs buts initiaux et leur raison d’être : en s’éparpillant et en réinterprétant sans cesse ces concepts, on arrive à des objectifs sans rapports avec les buts initiaux, opposés entre eux, voire pire : opposés à leurs buts initiaux…

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En quoi cette histoire illustreelle notre propos? Notre monde est un champ de bataille sur lequel ont lieu de multiples combats valant la peine d’être menés, incarnés métaphoriquement dans ce conte par les soldats de l’armée ennemie. Ce ne sont donc pas les causes à défendre et les injustices devant lesquelles s’indigner et auxquelles s’opposer qui manquent. Pourquoi choisir un combat déjà gagné? Pourquoi « trancher la jambe d’un colosse décapité » ? Pourquoi ne pas affronter un véritable adversaire ?... Vu la faiblesse factuelle de l’Eglise aujourd’hui, quel

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sens cela a-t-il, non plus de combattre son influence, puisque elle est inexistante, mais de la persécuter de la sorte? « On ne frappe pas un ennemi à terre ou dans le dos, c’est là bien un acte couard et lâche »! Elle n’est plus en mesure d’abuser d’un quelconque pouvoir, puisque elle n’en a plus… L’anticléricalisme a de ce fait perdu une grosse partie de sa raison d’être, et les plus virulents des anticléricaux, de l’être de manière aussi radicale. Quel sens cela a-t-il de dire qu’on est en guerre contre un ennemi déjà mort ou qui n’existe plus ?... il est certes facile de battre un cadavre, mais c’est loin d’être

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honorable et sans utilité… En conclusion, nous pouvons dire que, si à une époque affronter Georges Foreman ou Casus Clay était en effet quelque chose d’extrêmement courageux, voir même de téméraire, tabasser à coups de battes deux vieillards en chaise roulante atteints de parkinson, c’est un peu comme trancher la jambe d’un colosse décapité : en plus d’être inutile, c’est d’une lâcheté sans nom… } Safae-Eddine Erouki Trésorier-adjoint


AVEC LA

ENTRETIEN

REVUE BALLAST

Pouvez-vous nous présenter le projet Ballast ? Plus qu’un « projet », c’est un collectif éditorial. Une revue, pour l’instant, et une collection de livres prochainement. La première se construit au fil des bonnes volontés qui rejoignent nos pages. Néanmoins, l’aventure part d’un constat commun : ceux qui savent que ce monde ne tourne pas rond s’écharpent sur des détails – au risque de dégoûter les autres, peut-être moins sûrs d’eux, moins « militants », moins « théoriciens », de les rejoindre. La compétition des « radicalités » se donne parfois en spectacle au détriment, osons les grands mots, du « salut commun » ! L’histoire émancipatrice et révolutionnaire grouille pourtant de figures, de récits et de luttes à même de rassembler – nous en déterrerons certaines pour les mettre au service du présent, qui n’est qu’un avenir en attente. Notre « slogan », si l’on peut dire, faute de mieux, résume cela : tenir tête (aux puissants, aux importants, aux « décideurs » de l’air du temps et aux poudrés – à la caste, en un mot 29

–, parce que la politique doit toujours rester l’affaire d’un « nous » contre un « eux »), fédérer (les rétifs, les obliques, les indociles du quotidien et les poils à gratter qui s’ignorent, parce que ceux que l’on vient de nommer, à et qui l’on doit tenir tête, se ravissent de nos divisions) et amorcer (de nouvelles perspectives d’affranchissement, à l’échelle – dérisoire – qui est la nôtre, parce que la seule désignation des maux cède souvent « au pessimisme de la raison » – à laquelle, nous opposons avec Antonio Gramsci et Romain Rolland, le fameux « optimisme de la volonté »).

Les revues ne font souvent pas long feu, surtout à gauche, et je sais qu’il y eut quelques déboires pour le lancement du premier numéro. Vous avez désormais pour maison d’édition ADEN, un éditeur belge. Comment abordez-vous l’avenir ? Un mot, anecdotique, sur lesdites déboires : la revue devait être lancée par un éditeur libertaire mais ce dernier (avec qui nous entretenons toujours d’excellentes relations) a finalement estimé que la ligne de ce premier numéro – qui annonçait la couleur des suivants – ne correspondait pas à celle qu’il défend depuis bien des années à présent.

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Nous avions à cœur de donner à lire des courants divers, composites, voire parfaitement contradictoires (à notre image, à celle des gens) : de l’anarchisme au communisme de partis, du zapatisme aux formes les plus acérées du réformisme. Une pluralité au cœur de Ballast, mais un cœur qui ne battait pas assez noir pour nos camarades. Cela s’entend ; nous avons donc publié le premier numéro seul, en auto-édition, avant de rencontrer les éditions ADEN (ancrée, quant à elle, dans la tradition communiste) et de décider, d’un commun coup de cœur, d’avancer ensemble. Les réalités de l’édition politique sont assez simples : sans subventions (publiques ou privées) ni mécénat ou publicité, les initiatives militantes demeurent plus que précaires. Paradoxalement, notre pérennité doit beaucoup à l’un de nos principes fondateurs : celui de la non-professionnalisation. Nous n’avons jamais songé un instant, en la créant, à gagner de l’argent avec cette revue. Tout le monde donne de son temps – qui, bien sûr, ne se compte pas – pour rendre l’aventure possible. Un groupe d’environ quarante personnes l’anime ainsi ; la conséquence est évidente : Ballast ne vit que d’une motivation collective à produire des contenus politiques originaux, en dehors des lignes éditoriales corsetées, des hiérarchies étouffantes et des cadres de la 30

presse traditionnelle (ou militante !). Mais nuançons tout de suite en saluant la confiance des éditions ADEN – qui gèrent, sans non plus courir sur l’or, l’impression et la diffusion en librairie –, sans laquelle la version papier n’aurait pu perdurer. En un mot, l’avenir, c’est ce que nous en ferons.

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Qu’est-ce qui différence la version papier de la version virtuelle ? Les deux se tiennent, main dans la main mais sans jamais se marcher dessus, et correspondent à deux temporalités différentes. Le site Internet permet une liberté de formats et contenus : des entretiens courts ou fleuves, des portraits à grands traits et d’autres plus méticuleux, des rebonds à vif sur l’actualité politique, économique et culturelle, ou, à l’inverse, des dérives au long cours, des carnets de route en passant par des chroniques de livres. La version papier, de par sa matérialité, se fiche du calendrier et des impératifs du temps présent : c’est un objet conçu comme un tout cohérent, structuré autour d’un fil rouge, presque narratif, de la première à la dernière page. Quelque part entre le livre et le journal – avec un souci certain de l’image, du trait. La dimension littéraire et poétique de notre démarche s’y affiche bien plus volontiers, papier oblige. On peut y revenir, sauter des pages, l’oublier dans sa voiture pour le reprendre dans son lit puis l’annoter dans la marge : chacun est invité à y piocher là où ses affects le portent. } Galaad Wilgos Rédacteur en chef


D’UN

LETTRE

JEUNE EUROPÉEN Salut à toi Europe, Salut à toi chose informe. Continent, union, conseil, valeurs partagées. Qui es-tu ? Je ne connais pas la réponse, mais ce que je sais c’est que tu me suis depuis ma naissance. Tu es là, présente partout où je vais. Primo dans ma ville, quartiers européens, écoles européennes, bars européens. Ensuite dans mes voyages par l’effacement des frontières. La famille belge bloquée à l’entrée de l’Allemagne n’est plus qu’une histoire à conter au soir de Noel. Mais

tu représentes certainement plus, tant ton nom apparaît dans les actualités. Chaque jour, les journalistes décrivent tes réactions et tes prises de position. Tu es in ma chère Europe. On parle de toi partout, on part de partout pour toi, toi qui parle pour tous, mais qui n’est pas parfaite… Beaucoup de gens affirment que tu n’es rien, à

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l’exclusion des technocrates parvenus engouffrant des millions d’euros chaque année, que tu es le Satan victime des lobbys tuant dans l’œuf le renouveau des grandes nations européennes, que tu ne symbolises rien. Je tiens à t’offrir une autopsie, chère Europe, premièrement de tes forces qui te permettront d’être à la hauteur de ce que tu représente. Ensuite tes manques et absences, en espérant qu’un peu d’honnêteté t’aidera à gommer ces mauvaises manières, afin de te retrouver polie, belle comme le jour.

mets. Avec toi, tous serons comblés : végans, carnivores, végétariens, tout le monde en a pour son compte. Petite liste nonexhaustive pour prouver que nous savons manger de par chez nous. Bon appétit dans les 24 langues officielles

Par cette lettre, telle une bouteille à la mer lancée par Robinson Crusoé, déprimé d’être seul en un jeudi quelconque, je te montre mon agacement mais aussi l’attachement que je te porte et qui me murmure que tu es capable de changer.

salonu, metin-chausse de haecht, falafel, fondant au chocolat, tarte de chez Francoise, snack saint denis, pasteis de nata, tortilla de pata,currywurst, mozzarala, sauce poivre, sauce moutarde, oiseau sans tête, vol au vent-vidés, chopska salata, Smorrebrof, foie gras,

Si nous commençons par tes forces, débutons par la gastronomie. Dans ce domaine, chère Europe, tu nous gratifies de nombreux

Waterzooi, cordon-bleu, broccoli, compote de pommes, croquettes, mousse au chocolat, fish and chips, guinness, goulash, kürtőskalács, wienner schnitzel, kôdel, super bock, franzyskaner, canneloni, roccita, chorizo, bacalhau, master chef, Noma, rakejw, doner

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fondue bourguignonne, gouda, camembert, craquelin, irish stew, tiramisu, maatjes, bagels, parmesan, le bruxellois, la semaine de la gastronomie, escalope milanaise. Mais parlons aussi des penseurs, des compositeurs, des rois et reines, des peintres, des poètes. Parlons des sportifs. Des monuments culturels, des belles places, des vestiges. Des espaces verts et des belles montagnes, des plages magnifiques, des étendues remplies de lavande ou de fermes, des climats différents, des langues différentes, des peuples différents. Ainsi de Belgrade à Dublin en passant par Lisbonne, nous sommes différents. Vingt-quatre langues sont reconnues par l’Union Européenne. Qui dit que seul l’anglais permet de communiquer ? Plus de cinq cents millions peuplent les vingt-huit états membres. Et dans chaque pays, chaque ville, un dynamisme incroyable. Cela me frappe lors des mes voyages. Ainsi à chaque fois j’ai droit à mon lot de surprises : des beaux bâtiments, une bière bon marché, des vagues énormes, un multi-confessionnalisme incroyable et passionnant, une culture millénaire. Quel plaisir de revenir avec, toujours, le même sentiment

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dans mes bagages. Le sentiment d’une Europe, non pas constituée d’un peuple européen, mais composée de peuples magnifiques et forts, qui peuvent – s’ils le veulent – s’unir d’une façon plus forte. Tu es donc forte chère Europe mais alors quel est le souci? Comment se faitil que, comme la majorité de mes amis – progressistes pour la plupart – tu ne signifies que si peu de choses. La question est importante, car tu as tout pour être un part de notre identité. Tu as tout pour le devenir, en es-tu simplement prête aujourd’hui ? Peux-tu revêtir la robe dorée d’une grande dame et exporter une vision démocratique et un système politique basé sur la prééminence du droit et de la liberté ? Les dernières actualités prouvent que je dois peutêtre prendre mon mal en patience. J’ai honte de nous voir charmer Ankara pour qu’ils accueillent plus de réfugiés. Sommesnous lâches à ce point? Prôner cette solution par peur devant une opinion publique européenne qui cache son racisme derrière un argument de manque de place et d’argent, oui c’est lâche. Laisser Ankara mener les négociations, car c’est bien elle qui – déjà peuplée de plus de deux millions de réfugiés – va accepter de voir grossir ces rangs de misérables, oui c’est lâche. Laisser ces

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pays de l’Est dicter leur lois et refuser une répartition équitable. Oui c’est lâche. Qui es-tu donc pour être lâche à ce point ? Fondée en 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier a eu dès le début un caractère ambigu. Elle devait être une puissance politique pour certains, économique pour d’autres. Malgré les aspirations différentes des pays fondateurs, nous sommes devenus la première puissance commerciale du monde. Notre poids économique dans le monde est prépondérant. Nous sommes incontestablement les plus forts dans ce domaine. Malheureusement, chère Union, politiquement parlant c’est là que le bât blesse. La fierté laisse place à la discordance et la honte. Mais comment t’imagines-tu, chère Union, dans le monde de demain? Quel reflet veux-tu apercevoir dans les vitres du Berlaymont ? Moi, je crois en une Union Européenne humaine, démocratique qui s’exporte à travers le monde avec abnégation et surtout avec en ligne de fond « démocratie, état de droit ».


Chaque pays a ses limites et ses tabous. Il y a peu, autour d’une bière, j’éntendais un camarade dire « ils ne sont pas prêts » . Pas prêt pour quoi ? La démocratie ? Répondre à l’affirmative serait une insulte aux libyens, aux syriens, aux Bahreïniens qui se sont battus et se battent chaque jour pour plus de démocratie et de liberté. Pour la sécularisation ? Chaque peuple a sa propre « khat e khermez » . Associer démocratie et pouvoir non sécularisé, du moins à un niveau moindre que ce qu’on connaît de par chez nous, est possible. La religion n’est pas forcément opposée à la démocratie. Il convient de tempérer pour un temps nos aspirations « égalitaires extrêmes » et sécularisées. A ceux qui pensent le contraire je pose la question. A quelle occasion les femmes ont-elles obtenu le droit de vote. Combien de temps a-t-il fallu pour voir consacré le suffrage universel ? Nous avons eu droit à notre processus, dénieront-nous à ces peuples le leur ? Il est possible d’exporter notre vision de la démocratie, tout en la modérant avec le socle culturel qui est le leur et qu’il est impératif de respecter. Deux possibilités : soit nous passons outre la ligne rouge de ces populations, ce qui nous rappellerait nos heures sombres. Le temps de la colonisation est révolu, on n’impose plus

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contre la volonté du peuple. Soit, derrière un intellectualisme puritain, nous prenons un ton condescendant envers ces peuples en refusant d’intervenir, prenant pour argument une pseudo-arriération culturelle. Phrase type d’une telle pensée : « ils ont besoin d’un peu de temps encore pour croquer cette pomme sacrée qu’est la démocratie ». Et cela je le refuse. Parlons de la diplomatie, parlons de l’État de droit, parlons d’une justice indépendante, parlons d’éducation, parlons d’un pluralisme médiatique. Je suis convaincu qu’un interventionnisme positif est possible. Malheureusement certains avancent sans arrêts les méfais d’un interventionnisme occidental. Ils prônent un retrait total. Leur maxime préférée « mêlons-nous de nos affaire et laissons ces peuples s’autogérer ». Je réfute cette idée. Bien sûr des erreurs ont été faites, bien sûr des exemples confirment qu’envoyer des soldats détruire un pays, sa population et ses infrastructures pour ensuite fuir comme un lâche quand le poids des morts et de l’opinion publique devient trop fort, est honteux.

Européenne permettent de concilier chacune des khat e khermez qui existent parmi nous. Nous devons agir ensemble pour faire de l’Union européenne ce que ses valeurs et sa puissance commerciale lui permettrait de devenir : une grande puissance politique pour le XXIème qui s’annonce explosif. A tous ceux qui vivent avec des œillères en prônant un désengagement des grandes puissances, je rétorque : qui va donc équilibrer les relations entre les états ? L’ONU ? On voit son incompétence actuelle avec la crise syrienne. Les Etats-Unis ? Après ses nombreux conflits accompagnés de ces blessures conséquentes on voit bien la politique de désengagement des Etats-Unis. Il y a trois ans, Obama définissait comme ligne rouge l’utilisation d’armes chimique par Bachar Al-Assad contre sa population civile. Or malgré les atrocités commises par Al-Assad, aucune intervention de grande envergure ne fut programmée pour l’instant.

J’aspire à cette Union Européenne qui voit en son sein des peuples s’unir dans une vision commune. Nous sommes tous différents, mais les valeurs honorables qui fondent notre Union

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Pourquoi un policier ? Parce que notre siècle s’avère pour le moins explosif. Réfléchissez en lisant, vous trouverez sûrement cinq noms de guerre depuis le début du millénaire. Pensez au commerce des armes, qui a augmenté de 50% entre 2001 et 2014 . Pensez au premier ministre japonais Shinzo Abe, qui sous pression des Américains a fait passer en force treize lois qui permettent au Japon d’intervenir militairement en-dehors de son territoire. Ces lois violent l’article 9 de la Constitution japonaise de 1946, par lequel le Japon renonce à jamais à la guerre. Pensez à la montée d’un nationalisme hindou qui s’est emparé des pouvoirs en Inde, un pays doté de la puissance nucléaire. Pensez aux tensions communautaires ou religieuses exacerbées de par le monde. Pensez aux termes « dernière guerre mondiale » pour mentionner la seconde guerre mondiale. Veuillez m’excuser de mon pessimiste, mais comment peut-on croire encore que le sacro-saint « plus jamais ça » tient encore aujourd’hui ? Le « à nouveau encore » est plus proche qu’on le pense. Je suis d’avis d’une Onu plus puissante, avec peutêtre un remaniement de son fonctionnement pour éviter les blocages, car la situation actuelle est risible et l’inefficience actuelle dramatique. 34

Chère Union Européenne, tirons des conclusions de l’inaction actuelle de l’Onu, tirons des conclusions des désolations laissées par les GIs derrière eux, tirons des conclusions de la poudrière qu’est devenu le monde actuel. Je nous crois capables de faire la part des choses, d’exporter la démocratie, la liberté et la prééminence du droit pacifiquement, mais – si la situation l’exige – de tout aussi bien faire face et défendre nos valeurs et nos convictions de toutes nos forces. « Entre la lâcheté et la violence, je choisirai toujours la violence », je remercie Mahatma Gandhi d’avoir donné, quatre-vingt ans avant mon article, un sens à ma pensée. Un ami m’a dit que la défense des misères étrangères est l’apanage des hommes de gauche, qui ferment alors les yeux devant les misères nationales. À cette phrase je n’ai qu’une réponse : la misère est la misère, pourquoi la différencier pourquoi l’échelonner ? Je me reconnais dans la misère des peuples primo opprimés par de sombres dictateurs et secundo réfugiés dans nos pays. Cette situation m’attriste au point de me pousser à m’engager, moi membre de la génération où il n’est plus possible de s’engager. Pour conclure cet article, je tiens à affirmer qu’il

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n’est point un appel à une intervention militaire européenne, mais bien à un appel à un Europe ne fuyant pas ses responsabilités, une Europe consciente de la situation politique mondiale actuelle et future. Une Europe qui prend des décisions dans lesquelles je peux me retrouver, en qui je pourrai reconnaitre les valeurs qui semblent lui coller à la peau. Pour moi c’est l’exportation de la démocratie, l’exportation de l’état de droit et de sa prééminence, l’exportation de la liberté. Ou rien. C’est intangible et non négociable. Une Europe qui prendrait rendez-vous avec son destin, pour enfin nous rendre fiers. Si un jour, chère Europe, tu tiens ce rôle, je fais la promesse solennelle de me déclarer Belge, Iranien et… Européen. } Michael Shargi Erd Moosa Délégué minorité


DOSSIER : CRISES

SOCIÉTÉ EN CRISE, PATRONS SANS CHEMISE

Le décolleté d’un col blanc Virés. Voilà ce qu’il est advenu de 2900 travailleurs de la compagnie Air France. Licenciés, sans autre forme de procès, malgré les nombreuses réformes qu’ils avaient acceptées depuis plusieurs années – charges de travail alourdies, horaires flexibilisés, modération des hausses de salaires… Ces sacrifices douloureux, tant sur le plan personnel que financier, les salariés d’Air France y avaient consenti parce que la direction les avait présentés comme des garanties du « sauvetage » de leurs emplois, comme on sauve une espèce en voie d’extinction. Mais quand les syndicats se sont opposés au nouveau plan d’économies qui prévoyait des restrictions sur les congés et un allongement des durées de travail, l’affaire fut vite entendue par les employeurs. Comble du mépris, c’est par voie de presse que les salariés ont appris la nouvelle de leur prochain limogeage... Mais déjà que la pilule passait mal auprès des bagagistes, 35

« DÉSHABILLONS-LES ! »

hôtesses, agents de sécurité, techniciens, ouvriers, pilotes et employés administratifs qui se retrouveraient bientôt sur la route glorieuse de Pôle Emploi, il a fallu que les membres du conseil d’Administration d’Air France, interpellés par des travailleurs en colère, les ignorent superbement... La

suite, vous la connaissez : bousculades, invectives, et mise en déroute de quelques officiels, s’achevant par l’effeuillage non-consenti de l’infortuné Directeur des Ressources Humaines, lequel termina lamentablement sa course, la chemise en lambeaux, en escaladant les grillages à l’aide de deux vigiles,

exposant ainsi aux caméras le spectacle peu ragoûtant de son torse flasque. La scène est, en soi, plus cocasse que choquante. Mais l’ordre médiatique, les élites françaises et toute la bonne société ont visiblement peu apprécié de voir l’un « des leurs » être ainsi mis à poil, et expérimenter au sens propre ce que tant de travailleurs vivent (et vivront) au sens figuré, de façon autrement plus traumatisante. Dans les médias audiovisuels, on assista alors à un défilé de bureaucrates cravatés venus étaler leur indignation sur les tous les plateaux télé de l’hexagone : notables, ministres, politiciens de gauche à droite, larbins du patronat, tous nous ont soudainement joué leur numéro de vierge effar(c)ouchée, sans oublier les cohortes de journaleux jamais en reste pour servir la soupe aux puissants, et les croûtons aux misérables. À la télé, dans les journaux, le crachat sur syndicalistes s’érigeait en nouveau sport national.

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C’est ainsi que, dans les médias télévisuels, on vit toute une clique de privilégiés apporter leur soutien – prévisible – au patronat. On les a entendu « regretter » les violences commises contre le DRH d’Air France, « condamner» l’atteinte portée à sa dignité physique, « déplorer » les débordements et, bien entendu, « compatir » au sort des salariés licenciés… Mais on se voyait surtout livrer le spectacle consternant de ces présentatrices fardées et montées sur Louboutin dont les yeux écarquillés s’interrogeaient – une fois n’est pas coutume – sur le pourquoi de cette petite échauffourée, d’un air de tombées de la dernière averse. Qu’une foule puisse se comporter autrement que leurs publics téléguidés par les chauffeurs de salle semblait être, pour elles, une découverte renversante. Quant à ces torche-culs, qu’on ose encore à peine appeler journaux, on y allait tout aussi gaiement : du Parisien qui rapportait sans le plus petit début de critique les craintes du MEDEF concernant les répercussions de l’événement sur « l’image de la France », au Guardian qui titrait « Air France : la faute aux syndicats », la jauge de l’indécence plafonnait dans tous les compteurs.

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Le paradis est en Allemagne Air France n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres. Dans chaque cas de licenciements massifs, l’argument est toujours le même : dans un monde où les frontières économiques ont été démantelées, le mot d’ordre est l’adaptation. Si, une entreprise – par exemple EasyJet – fait assumer à ses employés une charge de travail 15% plus importante que ses concurrents, ceux-ci perdent inévitablement en compétitivité, et donc en recettes. Les salariés des autres firmes (Air France, pour l’exemple) ont donc le choix : s’adapter pour faire face à la concurrence, ou voir leurs emplois supprimés. Partout, dans les médias, de la bouche des responsables politiques ou d’ « experts » de circonstance, l’opinion publique est bombardée de la même pédagogie gouvernementale : pour éviter les pertes d’emplois, il faut «réformer » le marché du travail. Traduction : il faut faire « comme les autres ». Parce

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que, voyez-vous, « les autres » ont toujours tout mieux compris. Si un pays est « en retard » sur la marche des réformes « indispensables », s’il est le seul à pratiquer une certaine politique, c’est qu’il

a forcément tort, la majorité ayant toujours raison… Combien de fois n’a-ton pas entendu tel ou tel député, tel ou tel économiste du sérail, vanter les mérites du « modèle allemand », grâce auquel nos voisins surfent sur un taux de chômage de 5% seulement, quand il atteint 8,5% en Belgique et 10,5% en France? Mais combien expliqueront le véritable coût social du modèle allemand ?


Combien diront qu’il est après tout, que le comployé, à prendre le risque surtout dû à des salaires promis désuet obtenu de d’embarquer dans le prodescendant jusqu’à 350 haute lutte par des ouvriers chain convoi de travailleurs euros par mois pour les aux revendications féroces remerciés. emplois non-qualifiés, sur la et aux mœurs Néandertaprolifération épidémique liennes ; trop sentimentaux des mini-jobs, sur une presquand ils considèrent que D’où une adaptation de cirsion insoutenable des dela vie privée, les temps de constance de la maxime de mandeurs d’emplois qui se pause, les loisirs, les congés, Confucius pour décrire les doivent d’accepter à peu les avantages en nature,… relations au travail dans le près n’importe quelle offre etc. ne sont pas des quancapitalisme contemporain en dépit de leur niveau de tités négligeables. L’origine : quand le salarié montre le formation, sous peine de de l’affaire Air France réside Code du Travail, le patron se voir retirer les allocations bien là : dans une volonté lui montre la porte… L’exde chômage ? Que vaut du patronat et de l’actionploitation dans le travail ou un taux de chômage aussi nariat de la compagnie la liberté dans le chômage, faible si le travail ne permet d’accroître ses profits sur le tel est le choix que laissent pas de vivre dignement ? La dos d’une nouvelle déténos sociétés à leurs classes plupart de ceux qui vantent rioration des conditions de ouvrières. le modèle allemand outravail des salariés. blient plus souvent qu’à De quoi nous rappeler la leur tour de mentionner ces Cette revendication paterrifiante actualité de ces quelques détails. Par ignotronale est un des ressorts lignes écrites par Marx en rance, par malhonnêteté, majeur de la crise actuelle plein XIXème siècle lorsqu’il ou parce que le sort des ; faire valoir ses droits, s’y affirmait, avec une ironie classes laborieuses leur est, opposer d’une quelconque mordante : en fin de compte, indifféfaçon, revient, pour l’emrent. Mais ça, ils ne peuvent « Il est évident que le travailleur n’est rien autre pas le dire au 20h de TF1 ou chose, sa vie durant, que force de travail et qu’en sur les ondes de BFM… conséquence tout son temps disponible est, de droit et « Faisons comme ailleurs – Allemagne, Angleterre, Autriche – et le chômage baissera », voilà la rengaine de nos gouvernants. La conclusion de cette logique est implacable : si les entreprises licencient ou délocalisent, c’est la faute au modèle social, et donc à ceux qui veillent à le préserver : les syndicats. Trop attachés qu’ils sont à ces utopies puériles que constituent la redistribution des richesses et la cotisation sociale ; trop « rigides » face aux réformes proposées du Code du Travail qui n’est jamais, 37

naturellement, temps de travail appartenant au capital et à la capitalisation. Du temps pour l’éducation, pour le développement intellectuel, pour l’accomplissement de fonctions sociales, pour les relations avec parents et amis, pour le libre jeu des forces du corps et de l’esprit, même pour la célébration du dimanche, et ce dans le pays des sanctificateurs du dimanche, pure niaiserie ! Mais, dans sa passion aveugle et démesurée, dans sa gloutonnerie de travail extra, le capital dépasse non seulement les limites morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail. (…) Il vole le temps qui devrait être destiné à respirer l’air libre et à jouir de la lumière du soleil. Il lésine sur le temps des repas et l’incorpore, toutes les fois qu’il le peut, au procès même de la production.(…) Le capital ne s’inquiète point de la durée de la force de travail. Ce qui l’intéresse uniquement, c’est le maximum qui peut en être dépensé dans une journée » BULLETIN DU CERCLE DU LIBRE EXAMEN | DÉC. 2015 | N°56


Conséquences locales d’un système global

de l’adaptation. Si nos pays subissent une telle pression à calquer leur conception du travail sur celle pratiquée ailleurs, s’ils ont tant de mal à maintenir leurs traditions Les partis politiques, les de protection sociale, c’est médias et même une parce qu’ils se sont ôtés grande part de l’opinion les moyens de contrôler publique sont ainsi les capitaux. Si les pouvoirs prisonniers d’une vision du publics sont à ce point monde rabâchée par les propagandistes des intérêts soumis aux volontés des entreprises, c’est parce des grandes entreprises qu’ils ont en permanence ou de la pensée unique à faire face à la menace libérale. La faute est au travailleur, au syndicat, mais de délocalisation ou de licenciements massifs. jamais aux actionnaires. Non pas que les partis Jamais il n’est question de au pouvoir s’inquiètent l’avidité actionnariale, du tant du sort promis aux versement de dividendes salariés licenciés, mais faramineux même dans ces situations se payent des entreprises qui, comme cher sur plan électoral… Air France, licencient à la Mais si cette menace de grosse louche. Jamais non délocalisation est à ce point plus il n’est question des prégnante, c’est parce ravages du libre-échange que des règles de droit le et de la mondialisation. Le permettent. Jusqu’en 1986 cas d’Air France est plus – la préhistoire, pour nos parlant qu’un autre. «Au Medef, on est très actif pour chères têtes blondes –, les vendre la France », déclarait entreprises qui souhaitaient un représentant du patronat délocaliser avaient l’obligation de demander au journal Le Parisien . « l’aval du ministère de Vendre la France », voilà la l’économie. Lequel, sur logique du grand patronat, base d’une étude de suivie par le gouvernement l’impact de la délocalisation Valls-Hollande. Vendre sur l’économie nationale, un pays, une culture, des répondait positivement institutions, une conception ou, comme c’était le des rapports au travail, un terroir,… comme on vend la cas le plus souvent, dernière innovation de chez négativement. L’Etat Apple, telle est leur logique. pouvait ainsi, purement et « Pourquoi vendre la France simplement, interdire à une entreprise de délocaliser, plutôt qu’en protéger le modèle ? », est la question à et la menacer de pénalités tellement lourdes si elle cent mille euros… s’y livrait malgré tout que C’est en effet le l’avantage économique de grand non-dit du discours l’opération en était réduit 38

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à néant. Cela, il pouvait le faire parce qu’il existait une disposition simple et néanmoins centrale : le contrôle des capitaux. Mais ça, c’était avant. Avant qu’en 1986, sous la pression des grandes entreprises et de leurs lobbys féroces, l’Acte Unique Européen organise le principe de la « libre circulation des capitaux », qui sera entériné 6 ans plus tard dans le traité de Maastricht en 1992. Pas de quoi s’étonner, dès lors, que les gouvernements, même de gauche, se couchent aussi facilement devant les revendications des multinationales. Pas de quoi être surpris, non plus, que l’on ait tant de peine à taxer davantage les grandes fortunes et les profits des grandes entreprises, car la libéralisation des flux de capitaux leur a ouvert le monde comme un gigantesque supermarché où celles-ci n’ont qu’à se balader sans le moindre compte à rendre pour choisir quel pays leur permettra le mieux de faire fructifier leurs milliards… La seule politique économique possible dans ce cadre est de savoir comment « attirer » des détenteurs de capitaux : aussi vrai qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, c’est donc à quel pays écartera le mieux les jambes pour accueillir le plus chaleureusement les « investisseurs »…


Mais évidemment, ce traitement aux petits oignons réservé aux multinationales et aux grandes fortunes engendre de lourdes pertes pour les recettes de l’Etat, qui se trouvent compensées en surtaxant les salariés ainsi que les petites et moyennes entreprises… Malgré leur gravité, la pire escroquerie de cet état de fait n’est même pas le holdup réalisé sur les finances publiques et sur le dos des salariés ; c’est l’escroquerie intellectuelle qui consiste à dire que cette situation est inéluctable, inévitable. La crise sociale et économique serait donc, comme un ouragan ou une sécheresse, le produit de forces incontrôlables et s’abattant de façon aléatoire. La réalité est tout autre. S’il a été décidé d’abolir le contrôle des capitaux – non seulement en Europe, mais aussi visà-vis du reste du monde – c’est parce qu’une poignée d’hommes, réunis autour d’une table, ont conçu et rédigé cette disposition qui a ensuite été insérée dans le traité fondateur de l’Union Européenne telle qu’elle est aujourd’hui – le traité de 39

Maastricht –, qui a ensuite été ratifié par les Etats. C’est donc une décision humaine, politique, sur laquelle ont pesé à la fois l’idéologie quasi-religieuse de la construction européenne et les forces financières qui y trouvaient leur intérêt. C’est, en d’autres termes, un rapport de forces, et non une évolution spontanée ou naturelle. La libéralisation des flux de capitaux n’est,

Cette vision selon laquelle cette mondialisation néo-libérale, qui n’est que l’autre nom de la crise, serait inévitable et que la bonne politique consiste à s’y adapter, on la retrouve sous la plume de tous les éditorialistes des grands médias, dans la bouche des responsables politiques libéraux (de gauche comme de droite), et de tous les prétendus experts labellisés par les gouvernements : les Attali, les Minc, les Joffrin, les Giesbert, les Moscovici, et tant d’autres… La pseudo-stratégie de tous ces gens, c’est celle d’une lente capitulation face aux pressions de la concurrence déloyale imici aussi, qu’un exemple. posée par le libre-échange. Nous pourrions parler de Au bout de la route qu’ils l’interdiction posée aux Etats tracent, il y a la réduction d’emprunter la monnaie à des travailleurs d’Europe leur banque centrale, des en nouveaux esclaves privatisations à la chaîne, – charge de travail acouverture totale des crues, horaires étendus et « frontières, délocalisation de flexibles », pression permala production dans les pays nente, rémunération stricdu Tiers-Monde… Toutes tement encadrée. Surtout, ces mesures concrètes ne pas chercher à changer appartiennent à une le réel, mais l’accepter tel seule et même logique, la qu’il est… ou plutôt tel qu’il mondialisation néo-libérale. a été changé par d’autres : Un concept aux contours voilà leur devise. flous, mais aux réalités tristement tangibles. BULLETIN DU CERCLE DU LIBRE EXAMEN | DÉC. 2015 | N°56


« La politique du fait accompli et la gestion de pénurie, telle est leur ambition. » Leur cap, c’est l’alignement sur les choix politiques des puissants. La concession permanente est leur méthode, le libéralisme leur religion, et l’Europe leur fétiche. Confortablement assis derrière leur micro, à leur bureau, dans leur cabinet, ils récitent le catéchisme néolibéral au fil des ondes et des articles : « rationalisation » de la production, « flexibilité », restrictions budgétaires,… voilà leur prêche. Mais ils ne payent pas, eux, le prix de leurs recommandations scélérates qui, appliquées scrupuleusement par tous les dociles DRH, jettent dans la misère des milliers de travailleurs ou les rendent taillables et corvéables à merci. Les grasses fiches de paye de ces « faiseurs d’opinion » ou de ces « décideurs » sont celles de l’indifférence, de la complaisance et de l’opportunisme. Ils ne sont pas « violents », eux ; ils 40

prônent le « dialogue social », eux. Non, ils ne sont pas violents, pas physiquement en tout cas. Ils ne sont, comme les DRH, qu’une soupape qui transmet la violence de celui qui l’exerce à ceux qui la subissent.

D’une violence l’autre, ou l’indignation à géométrie variable

C’était en effet le grand mot des éditions consacrées à l’affaire : « Air France » rimait avec « violence », à tel point que la chemise arrachée du DRH rendait presque invisible la gravité de la purge sociale à laquelle on avait affaire. C’est vrai, arracher un vêtement n’est pas un acte bienveillant, mais en matière de violence, il reste pour le moins dérisoire, comparé à celle infligée aux 2900 individus mis sur le carreau. Eh oui Mesdames

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et Messieurs, bienvenue dans l’enfer du prolétariat. Ici, pas de petits fours ni de garden-party, oubliés la bienséance et le fairplay. Ici, c’est la jungle, le terrain de jeu ou s’exerce une violence sociale inouïe, aux ravages savamment camouflés par les éléments de langage des experts en communication. Vous n’aimez pas les licenciements massifs pour cause de délocalisation au Bangladesh ou d’exploitation sans vergogne de maind’œuvre immigrée ? Réjouissezvous : les docteurs en langue de bois vous offrent les « restructurations compétitives » et les « plans sociaux ». Et dans « plan social », il y a « social »… comme dans « sécurité sociale » ; c’est donc forcément inoffensif. Et voilà le travail : à peine le temps de lire ça dans votre journal du matin, que la suppression de milliers d’emplois et la condamnation de centaines de foyers à la misère vous passe dans la glotte aussi facilement qu’une chouquette. La première violence, c’est bien celle-là : la dénaturation des mots.


La seule logique à comprendre est la suivante : la violence est légitime quand c’est le pouvoir qui l’exerce. Point final. Et quand de franches exagérations indignent trop l’opinion, on démettra quelques flics de base de leurs fonctions pour quelques mois, ou on les enverra faire la circulation sur un carrefour du centreville pendant le congé de Noël. Mais des exclusions pures et simples ou des sanctions judiciaires effectives, on peut toujours en attendre. La violence, quand elle vient des civils en revanche, est toujours ramenée à la figure détestable du petit caïd de quartier, du braqueur, du voleur à la tire, du vandale de bas-étage, voire du terroriste… Manifestants, criminels… quelle différence ? Tous des délinquants pour le regard astigmate d’une justice boiteuse, impitoyable avec certains et incroyablement laxiste avec d’autres. Et puis il y a l’école. Et toute la niaiserie d’une pédagogie qui inculque aux enfants la rengaine selon laquelle « la violence ne résout rien », quand toute l’Histoire humaine démontre précisément l’inverse : on n’a jamais si bien résolu qu’à coups de haches, d’épées, ou de canonnades. C’est d’une vérité désarmante : la mitraille et le fracas des armes sont toujours

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plus écoutés qu’un diplomate. C’est vrai des rapports entre nations ou empires, comme ça l’est des rapports de classe : jamais les gueux n’ont autant obtenu de droits et de libertés qu’en allant secouer quelques seigneurs vautrés dans l’opulence de leurs châteaux quand tous les paysans environnants crevaient la faim ; jamais les insurgés au bonnet Phrygien de 1789 – les lointains précurseurs des bonnets rouges bretons – n’ont autant fait avancer la révolution qu’en baladant quelques têtes d’aristocrates au bout d’une pique dans les rues de Paris ; jamais les travailleurs n’ont autant fait progresser leurs conditions de travail et leur statut qu’en occupant des usines et en séquestrant des patrons. Voilà ce qu’enseigne l’expérience de l’Histoire. Le propre de la civilisation, ce n’est pas la négation de la violence, mais sa domestication. Mais au lieu de ça, la société est aujourd’hui pétrie d’un pacifisme béat qui ruisselle de partout et engendre une schizophrénie collective. Délinquants mis à part, la plupart de nos concitoyens condamnent dans la vie réelle une violence qu’ils idolâtrent dans Sin City ou GTA. Les mêmes qui se délectent de la violence parfois outrancière de certains films, sont les premiers à s’indigner que des travailleurs poussés

à bout en viennent à malmener leurs supérieurs. Ceux-là dégustent le chaos et la sauvagerie devant leur petit écran – le cul enfoncé dans leur canapé Ikea en s’empiffrant de cacahuètes ou de Nachos – mais se gardent bien de bouleverser l’ordre social dans la vie réelle. Le rapport de notre société à la violence est un rapport de lâches : il y a la violence, presque devenue banale pour tout le monde, du gangster de banlieue, de la petite frappe et du dealer de coin de rue, qui sévit dans une impunité quasi-totale pour cause de prisons surpeuplées et dont la société ne sait pas quoi faire; il y a la violence des forces de l’ordre, toujours légitime par définition et contre laquelle trop peu de voix s’élèvent ; et puis il y a la violence qui fait tâche, la violence « pas swag », la violence qui scandalise dans les dîners de bourgeois, celle du salarié en colère, que l’on prie de faire son boulot comme on lui demande, en fermant sa gueule. Encore un exemple du fait que « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », comme disait Camus.

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Mais l’injustice du traitement de la violence n’est pas seulement dûe à la nécrose mentale de notre presse ou à sa complaisance avec le pouvoir. C’est aussi la conséquence du statut paradoxal de la violence en occident aujourd’hui : quand quelques flics enivrés par l’uniforme qui les distingue à peine de la première vermine venue se mettent à molester des manifestants pacifistes, l’opinion publique s’en balance comme de la première tétine de Justin Bieber, ou presque. Mais ces manifestants viendraient-ils à rendre les coups, qu’ils se verraient aussitôt cloués au pilori et désignés à la vindicte. Que faire, dans ces cas d’abus manifestes, de la légitime défense reconnue par la Loi ? Pas grand-chose.

au peuple, que le déshabillage devienne, comme la tarte à la crème, la première conséquence de décisions trop souvent prises à la légère ou de propos trop souvent désinvoltes. Il y a peu de chances que cela rende soudain les élites plus soucieuses des intérêts des travailleurs que de ceux des puissances d’argent, mais c’est un premier pas pour faire descendre de leur piédestal ceux qui méprisent d’une main les pauvres qu’ils ont créés de l’autre. } Nicolas Solonakis Comité de Vigilance Antifasciste

« Tout ce qui est excessif est insignifiant », disait Talleyrand. L’indignation des élites face à l’affaire de la chemise doit donc être prise pour ce qu’elle est : une réaction démesurée, hypocrite, et une solidarité de classe. Que les travailleurs ne culpabilisent surtout pas, mais qu’au contraire ils récidivent. Qu’ils déshabillent. Déshabillons-les, non seulement les DRH qui exécutent mais aussi les patrons qui commanditent. Déshabillons les administrateurs, les responsables politiques et les experts qui cautionnent ou provoquent les licenciements lucratifs. Puisqu’ils ne rendent plus aucun compte 42

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CRISE DU

LAID

Tout d’abord qu’est-ce qu’une crise ? Si on en croit le Centre

National de Ressources Textuelles et Lexicales, ce serait un « nœud de l’action dramatique, caractérisé par un conflit intense entre les passions, qui doit conduire au dénouement. » Dans la crise qui concerne mon article, nul doute que les passions soient déchainées, loin de là… Cette fameuse crise du lait, d’où vient-elle et pourquoi nous casse-t-on les pieds avec ça ? Les agriculteurs ne pourraient-ils pas juste produire moins de lait ? La réponse n’est malheureusement pas aussi simple car si les producteurs de lait arrivent à des quantités si astronomiques de lait, qu’ils n’arrivent plus à les vendre sans pertes, c’est à cause de décisions et de mesures prises il y a plus longtemps et qui débouchent sur la situation que nous connaissons aujourd’hui.

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Quelle est cette situation ? En Belgique, les petites fermes perdent petit à petit leurs quotas laitiers au profit de méga structures qui les centralisent tous. Aujourd’hui, un litre de lait coûte plus cher à produire qu’à vendre. Le problème est que si l’agriculteur tient à sa vache, il ne peut pas faire autrement que tirer son lait et s’il tient à sa ferme il n’a pas d’autre choix que de tenir à ses vaches. Tout cela a démarré avec une politique d’expansion des fermages qui avait pour but d’augmenter les rendements d’une ferme, donc de travailler au gros, et de normaliser tous les travaux de la ferme pour en faire des fermes dites « conventionnelles ». Cependant une ferme n’en est pas une autre et voilà que tout le monde se met à faire de la culture mixte et de l’élevage de bovins laitiers pour rentrer dans les normes. Une fois rentré dans l’engrenage, une seule solution : continuer la course à l’accroissement pour continuer de recevoir les subsides et aides nécessaires en ces temps de crises. Pour que cela soit possible, étant

donné que le paysage agricole est relativement saturé, les petites fermes doivent disparaître au profit des grosses. Ces mêmes grosses qui continuent de jouer le jeu de l’agriculture conventionnelle et qui produisent donc des hectos et des hectos de lait… « Get big or get out », comme l’a si bien mentionné Earl L. Butz. Malheureusement ce jeu du conventionnel avait un prix, qui était celui de rentrer dans une affiliation d’entreprises qui vendent le lait et autres produits dérivés (finie donc la vente directe en grande partie) afin de garantir une hygiène, une conformité, et autres normes que l’Agence fédéralae pour la sécurité de la chaîne alimentaire (l’AFSCA) apprécie particulièrement.

Résultat Les agriculteurs ne décident plus du prix de leur lait mais sont tenus par des lois du marché qui dictent le prix au litre de ce « précieux » liquide blanc sans vraiment tenir compte des réalités du terrain.

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Les grandes structures savent garder la tête hors de l’eau car leur voix a un poids dans les décisions mais les petites structures en pâtissent et doivent mettre les clefs sous la porte.

reprise en main des fermes, une dislocation des trop grandes structures et une sortie des chaines conventionnelles, c’est à se demander ce vers quoi nous tendons !

C’est donc un gros bordel que nous avons là et si nous ne tendons pas vers une

Si vous avez l’impression que je vous rabâche les oreilles, demandez-vous ce que

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vous faites pour changer ça et si la réponse est rien, il faudra hélas encore écrire ce genre d’articles cent fois. Vâchement vôtre, } Victor Nocent Délégué Gestion


} Galaad Wilgos Rédacteur en chef La crise... Comment échapper au règne de ce mot ? Peu de termes ont été autant utilisés, employés, instrumentalisés, abusés ces dernières décennies. Tout semble subir tôt ou tard une forme de crise, et rien n’échappe à son emprise. Crise de la dette, crise de l’Etat-providence, crise financière, crise économique... Mais aussi crise des migrants, crise des réfugiés, crise écologique, crise de la représentation, crise de la démocratie, crise de la culture, crise civilisationnelle, etc. Même le folklore de l’ULB a sa propre « crise » ! En 1984 – hasard malheureux –, la chaîne française Antenne 2 (ancêtre de France 2) diffusait une émission qui fera grand bruit : Vive la crise. Sur un décor de film d’entreprise, l’ancienne coqueluche de Marcel Carné et du Salaire de la peur, le chanteur Yves Montand, présentait avec hargne et autorité les nouvelles idées du néolibéralisme. Vive la crise accompagnait alors le tournant libéral de François Mittérand, avec l’émergence croissante d’un imaginaire néolibéral : réussite individuelle, mythe du self-made man qui réussit héroïquement par sa pure volonté, individualisme

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Pourquoi tant de crises ? concurrentiel, valorisation outrancière des valeurs dites entrepreneuriales, justifications moralisantes des mesures prises par le gouvernement d’alors (libéralisation des marchés, privatisation des grandes entreprises publiques, réductions de la protection sociale, etc.). C’était l’époque de Bernard Tapie, de l’essor du Front National reaganien et du « grand bond en arrière » (Serge Halimi) de nombreux pays passés à droite. L’objectif était simple : rendre la crise excitante, gérer cette dernière afin que le peuple français sorte de ses craintes par rapport à son avenir . Mais la question demeure : peut-on gérer une crise ?

La crise ? Quelle crise ? Retour obligatoire du côté des Grecs anciens, d’où nous vient le terme de crise. Si l’on se fie au Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales de Montpellier, le mot a une racine indoeuropéenne qui signifiait « trier », « séparer deux objets d’ensembles confondus » (comme dans l’adage « séparer le bon grain de l’ivraie »). Les mots critère et critiques partagent la

même racine : il s’agissait bien de signifier ce que l’on appellerait aujourd’hui « discriminer », à savoir distinguer pour mieux séparer – passer au crible, donc aussi juger, décider, choisir. L’étymologie nous vient du latin crisis, lui-même venant du grec ancien krisis. Chez les Grecs anciens, la crise signifiait ainsi une rupture, un moment de choix radical ouvrant une nouvelle ère, un nouvel ordre. La crise n’était donc pas une période longue, une évolution lente, une situation à « gérer » ou à atténuer, mais bien le moment du choix entre diverses possibilités. Bien au contraire, « “Gérer la crise” est d’un certain point de vue une contradiction dans les termes. On ne gère pas le tourment, le trouble; on s’efforce d’éviter qu’il se produise, d’en minimiser les effets ou de rétablir l’ordre ». Edgar Morin, quant à lui, affirme que « c’est le moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes ». Aujourd’hui, la crise est un processus perpétuel, intemporel, dont nous ne savons généralement pas les causes, et dont nous observons, impuissants, les conséquences.

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Il fut un temps où la crise provoquait des débâcles, des guerres ou des révolutions, mais ce temps semble révolu. Passé un certain stade, nos sociétés se sont enfoncées dans des cycles de crise, la crise passant finalement du moment exceptionnel à l’événement banal, voire à la situation normale... Les marxistes parlaient en leur temps de crises cycliques du capitalisme, ce dernier devant à chaque fois subir une crise pour se réparer et ensuite recommencer de plus belle. Mais nous sommes à l’évidence allés plus loin : le capitalisme est entré dans une phase de crise permanente, incapable de s’auto-limiter ou de se réparer. « L’expansion de la production dans les pays capitalistes [au début du XXe siècle] allait se heurter à un marché de plus en plus restreint. On en a une image claire lorsqu’on voit que depuis 1913, cependant que la production de produits manufacturés ne cesse d’augmenter, les exportations et importations de ces mêmes produits restent stationnaires lorsqu’elles ne reculent pas. Une nouvelle crise de surproduction devenait dès lors inévitable. Elle explosa 46

en 1929 avec une violence sans précédent dans la longue histoire des crises capitalistes, et l’on peut la définir comme étant à la fois la dernière des crises cycliques classiques et l’entrée dans la période de crise permanente du régime capitaliste qui, depuis, n’a plus su retrouver

crise touche de nombreuses autres sphères de nos sociétés. Ce qui permettait dans le passé aux sociétés occidentales de survivre et se reproduire – voire évoluer et progresser – était en grande partie l’existence de conflits majeurs en leur sein. Le conflit est mère de toute démocratie vivante (et l’Athènes antique était réputée pour être, non pas une cité consensuelle et ordonnée mais bien une cité agonistique, où la rivalité est centrale mais ne nuit pas au bon

un équilibre, même limité et temporaire ». La crise économique et financière ressemble désormais a une ligne qui borne notre horizon, lointaine, inatteignable et cependant limitant notre vue. Nous y sommes engouffrés, avec l’impression de se débattre dans un sable mouvant où chaque geste nous rapproche désespérément du fond. Qu’importent les mesures prises par les gouvernants, les hommes politiques ou les techniciens, rien ne change. D’ailleurs, ne dit-on pas que les choses changent pour que rien ne change ? Il n’est cependant pas anodin qu’au même moment la

fonctionnement de la vie communautaire et politique). Le conflit politique en était l’un des principaux moteurs, et c’était aussi celui-ci qui permettait à une crise de se résoudre. C’était bien parce qu’il existait d’amples mouvements politiques, des luttes entre eux, mais aussi d’intenses débats d’idées, des conflits artistiques entre diverses écoles, de la critique, de la critique, et encore de la critique, que les sociétés occidentales ont pu aller si loin dans leur développement civilisationnel et dans l’invention de nouvelles formes culturelles, politiques, philosophiques et sociales.

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Pour citer Machiavel, « Dans toute République, il y a deux partis : celui des grands et celui du peuple ; et toutes les lois favorables à la liberté ne naissent que de leur opposition. [...] les bonnes lois [...] sont sont le fruit de ces agitations que la plupart condamnent si inconsidérément ». Et Montesquieu lui emboîtait le pas : « toutes les fois qu’on verra tout le monde tranquille dans un Etat qui se donne le nom de république, on peut être assuré que la liberté n’y est pas ». Aujourd’hui, le conflit est mal vu. Mieux vaut ce fameux « calme plat du despotisme » (Camilles Desmoulins) plutôt que les rixes, les querelles ou les oppositions frontales. Le consensus est valorisé à outrance dans la pensée dominante, particulièrement dans une nation aussi peu politique que la Belgique. La violence, quand elle se révèle au grand jour notamment par l’intermédiaire des luttes sociales, est une calamité que nos amis bourgeois, éternels adeptes de l’existence paisible et de la politique du marchand de sable, décrient avec scandale. Le conformisme, comportemental comme idéologique, n’est certes pas valorisé, mais il est avalisé dans les faits. Il y a autant de conformistes du statu-quo, que de moutons de la rebellitude – ces fameux mutins de Panurge 47

chers à Philippe Muray. Dans les domaines de l’art règne le fameux adage « de gustibus et coloribus non disputandum ». On ne discute pas des goûts et des couleurs, donc on ne critique rien, et on ne fait certainement pas de hiérarchie. La lutte contre « toutes les discriminations » a été tellement loin qu’elle a été jusqu’à s’opposer à la discrimination inhérente au travail critique, et il est de plus en plus difficile d’émettre l’idée qu’un Marc Lévy ne vaut pas un Balzac, ou que le dernier single de la dernière pop star fabriquée par les industries culturelles ne vaut pas un solo de Miles Davis, une symphonie de Beethoven ou un concerto d’Aranjuez. Hannah Arendt parlait à ce titre de « crise de la culture ». Elle constatait ainsi la transformation progressive de toutes les créations culturelles en objets de consommation, à savoir des créations qui se consomment

immédiatement et ne durent pas – là où une oeuvre d’art créé une durée transcendant l’artiste, possède une certaine permanence, créant par là un monde. Les oeuvres d’art sont créées pour le monde, car elles dépassent la simple sphère vitale et utilitaire des objets de consommation, ou du divertissement, lui-même éphémère. « La culture concerne les objets et est un phénomène du monde ; le loisir concerne les gens et est un phénomène de la vie ». Cette transformation des objets culturels en objets de consommation nuit à la pérennité du monde, car ce dernier, qui engendre la civilisation, ne peut survivre à une obsolescence programmée de tout ce qui le constitue. Si tout disparaît avant la fin d’une vie d’un homme, ce dernier n’est plus capable de s’inscrire dans une réalité qui le dépasse – et tout devient artifice, ersatz, objet.

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L’utilitarisme est en cela nuisible à tout ce qui permet à l’homme d’être plus qu’une simple bête animale. Ces réflexions ne sont pas anodines dans un contexte politique. On oublie souvent que le goût est en grande partie quelque chose de politique. Guy Debord avait cette formule choc à ce propos : « Pour l’électeur qui conduit lui-même sa voiture et regarde la télévision, aucune sorte de goût n’a plus aucune sorte d’importance : c’est pourquoi on peut lui faire manger Findus ou voter Fabius, avaler Fabius ou élire Findus. » L’esthétique a un rapport réel avec la politique parce qu’à l’instar de celle-ci, elle n’a pas de rapport avec la vérité. Elle ne contraint pas comme un théorème ou une équation contraint la pensée, elle agit par la persuasion. Pourquoi faut-il discuter des goûts et des couleurs ? Outre le simple attrait que tout le monde a de partager ses goûts avec d’autres – et l’on voit bien comment cela créé aussi, d’une certaine manière, un monde en commun, une confraternité entre ces personnes – il s’agit aussi de (ré)concilier les phénomènes évidents et objectifs de la beauté avec sa part subjective et personnelle. Remettre ainsi en jeu le goût par le débat, et donc permettre une évolution, un changement,

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des retours sur soi et surtout la formation de valeurs permettant d’en affiner l’acuité. « En esthétique, non moins que dans les jugements politiques, une décision est prise, et, bien que cette décision soit toujours déterminée par une certaine subjectivité, du simple fait que chaque personne occupe une place à elle d’où elle regarde et juge le monde, elle tient aussi au fait que le monde lui-même est un datum objectif, quelque chose de commun pour tous ses habitants. L’activité du goût décide comment voir et étendre ce monde, indépendamment de l’utilité et des intérêts du monde, indépendamment de l’utilité et des intérêts vitaux qu’il a pour nous, décide de ce que les hommes verront et y entendront. » Déconstruire pour mieux détruire Si les goûts et les couleurs ne se discutent pas, où est l’intérêt finalement de discuter – et surtout comment arriver à distinguer le Beau, le Bon et le Vrai ? En effet, l’idée que les goûts et les couleurs ne se discutent pas est une idée qui nie finalement l’idée du commun, et de l’objectivité d’un monde extérieur à soi. De là à finalement considérer que tout se vaut, il n’y a qu’un pas, que d’aucuns dans le passé ont d’ailleurs franchi : les maîtres déconstructeurs n’ont pas toujours brillé

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par leurs choix politiques . La déconstruction de l’idée de vérité, de beau, de nature humaine, de raison, etc. Toutes ces déconstructions ont été principalement faites par les penseurs « postmodernes », qu’outre-Atlantique on appelle « French theory » (Derrida, Foucault, Deleuze, Guattari principalement). Mais ces génies ont enfanté des monstres, et la déconstruction a été tellement loin qu’elle s’est soudainement transformée en destruction de tout. Valorisant une forme d’instabilité permanente, les déconstructeurs se sont mis à voir de « l’essentialisme » dans tout ce qui pouvait donner l’apparence d’une certaine fixité, d’une certaine stabilité ou d’une totalité close – et non fluide ou diffuse. En langage clair, de l’identité nationale à l’identité de classe, en passant par le sexe, la langue, ou les valeurs, le risque de verser dans l’essentialisme devient récurrent, voire perpétuel. A partir du moment où l’on cherche à établir des cloisons – entre le sain d’esprit et le fou, l’enfant et l’adulte, l’être humain et le règne animal – le soupçon de verser dans l’essentialisme point très vite le bout de son nez. Est valorisé ce qui est trans-, ce qui est liquide, ce qui est pluriel et multiple.


Définir devient un acte conservateur, voire réactionnaire ; Derrida ne définira jamais clairement, en cohérence avec sa pensée, son concept de déconstruction. L’idée même de forger un concept, une catégorie, se révèle compliquée dans un tel cadre. En outre, à tout déconstruire afin d’abattre les dominations omniprésentes – car, comme l’affirmait Foucault, le pouvoir est partout et s’insère dans toutes les parcelles de l’existence humaine – les déconstructeurs en sont venus à favoriser le morcellement infini des luttes. L’handicapé devra lutter contre la domination des valides, les Corses contre celle des Français, les homosexuels contre celle des hétérosexuels, les vegans contre celle des carnivores, etc. Derrida inventa d’ailleurs le concept pompeux de « carno-phallogocentrisme », à savoir la domination des hommes sur les animaux en raison du primat de la parole et de la raison dans le cadre d’une société dite « phallocratique » (NDLR : dominée par les hommes). Hélas, au terme de cette démolition en règle de tout ce qui est susceptible de provoquer une forme de domination, le déconstructionnisme 49

a aussi enlevé toutes les armes critiques dont disposaient auparavant les classes opprimées, exploitées – on disait dans le temps aliénées. En mettant la focale sur les marginalités, les « bizarres » (queer en anglais), la majorité de la population a progressivement perdu de l’intérêt aux yeux de ces nouveaux intellectuels et militants de la gauche radicale. La classe ouvrière ne sent plus très bon dans les

cénacles radicaux, puisqu’elle n’est pas très « queer », « gender fluid » ou « cyborg », et représente un mode de vie antinomique aux valeurs de ces chers gauchistes chics. Les classes populaires, ce sont aussi des Blancs, des hommes et des carnivores : tout est dit. Et étant majoritaires, ils ne peuvent qu’être dans une position de domination, la minorité faisant l’objet d’un fantasme de protection plus

ou moins virulent. Le think tank Terra Nova proche du Parti Socialiste français avait de ce fait pris cette logique en la menant jusqu’à sa conclusion logique : abandonner la classe ouvrière, trop « conservatrice », au profit des minorités sociales (femmes, minorités ethniques et religieuses, minorités sexuelles, étudiants,...) . Néanmoins, cela va plus loin. En segmentant les luttes, ce déconstructionnisme a condamné les exploités à des divisions insolubles. Comment créer des objectifs communs, des luttes communes, si finalement la classe ouvrière est une invention, si elle est elle-même composée de dominants, si le pouvoir est partout – et donc nulle part – et si la norme est forcément détestable ? L’universel devient quelque chose de réservé à une poignée de dominants « mâles, Blancs, hétéros », et il n’y a plus rien qui unit qui que ce soit, qui transcende les divisions, hormis éventuellement une communauté de souffrances sur laquelle il est impossible de bâtir un mouvement.

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« Si rien d’autre ne compte dans la représentation que je me fais de mes limitations hormis les multiples coupes verticales qui me traversent, et si je me refuse à les rassembler sous une bannière commune, alors quid du combat social ? Supposons par exemple une femme, bretonne, âgée et handicapée. Selon le cadre de pensée de l’intersectionnalité, elle se situe à la croisée d’au moins trois dominations : celle qui nie sa singularité régionale ; celle qui nie sa capacité à bien vivre malgré sa vieillesse (on appellera cela, dans les milieux militants, de l’âgisme) ; celle qui lui refuse une vie bonne en fonction de son handicap (une nouvelle domination : le validisme). Au plus près d’elle-même, cette femme-là est dominée selon des lignes différentes. Or, au-delà de ceci, il s’agit d’une femme. Mais si jamais elle s’avisait de lutter sous la bannière des «femmes», les «féministes» queer (on saisit pourquoi j’utilise des guillemets) pourraient rétorquer qu’elle se reterritorialiserait (pour paraphraser Deleuze et Guattari) sur une essence, adoptant donc le discours du pouvoir dominant. Il s’agit là d’un héritage de la pensée de Judith Butler diluée dans des milieux comme le «féminisme» queer » . On oublie très souvent que la posture hyper-relativiste très à la 50

mode aujourd’hui, qui consiste à dire que tout se vaut, qu’il est interdit de juger des pratiques culturelles d’un groupe particulier ou d’affirmer que certaines choses sont meilleures que d’autres, s’enracine en grande partie dans ces pensées. Le déconstructionnisme postmoderne a en effet été très loin dans la mise au pas de concepts tels que celui de vérité, de raison, d’universel ou de nature humaine. En réaction aux poncifs de la modernité et des Lumières – le progrès techno-scientifique améliorera la condition humaine ; l’universalisme comme moyen d’imposer la culture occidentale ; la raison abstraite, instrumentale et devant vaincre toutes les passions, toutes les irrationalités ; etc. – il a été jusqu’à promouvoir une forme de nihilisme dangereux, jetant le bébé occidental avec l’eau du bain de sa domination et justifiant de nombreuses injustices au nom de la diversité culturelle ou de l’anti-impérialisme. Tout ceci n’est pas que raisonnement abstrait de philosophe, les résultats sont là tous les jours. Comment expliquer sinon cette cour allemande qui a autorisé un homme à battre sa femme sous prétexte d’un prescrit de droit islamique, ces accommodements « raisonnables » au Canada qui vont jusqu’à givrer des vitres pour cacher

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les sportives du regard de juifs orthodoxes, ces intellectuels qui justifient l’excision au nom des coutumes culturelles ou qui considèrent que l’homosexualité est un impérialisme occidental, etc. ? « Nous sommes devant une collection de demi-vérités perverties en stratagèmes d’évasion. L femmes a valeur du «postmodernisme» comme théorie est qu’il reflète servilement et donc fidèlement les tendances dominantes. Sa misère est qu’il n’en fournit qu’une simple rationalisation derrière un apologétique, qui se veut sophistiquée et n’est que l’expression du conformisme et de la banalité. Se concoctant agréablement avec les bavardages à la mode sur le «pluralisme» et le «respect de la différence», il aboutit à la glorification de l’éclectisme, au recouvrement de la stérilité, à la généralisation du principe «n’importe quoi va», que Feyerabend a si opportunément proclamé dans un autre domaine. Aucun doute que la conformité, la stérilité et la banalité, le n’importe quoi, sont les traits caractéristiques de la période.


Le « postmodernisme », l’idéologie qui la décore avec un «complément solennel de justification», présente le cas le plus récent d’intellectuels qui abandonnent leur fonction critique et adhèrent avec enthousiasme à ce qui est là, simplement parce que c’est là. Le «postmodernisme», comme tendance historique effective et comme théorie, est assurément la négation du modernisme. » (Cornélius Castoriadis)

Lutter contre le capitalisme, lutter pour la vie Les domaines de l’Homme à vivre une « crise » sont nombreux. Nous pensons que cette multiplication des foyers de dysfonctionnement peut en grande partie s’expliquer par ces phénomènes dont notre modernité tardive a porté les logiques jusqu’à leur paroxysme : le progrès technoscientifique dérégulé, le recul de la communauté, la perte de lien social, la dissolution des identités, le désenchantement du monde et la transformation de tout en marchandises au profit d’un individu rationnel guidé par son intérêt bien compris. L’amour en est un bel exemple. Selon Denis de Rougemont , l’Occident a toujours été parcouru par une division en deux types

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d’amours : l’amour-mariage, d’origine chrétienne et occidentale, et l’amourpassion, d’origine orientale, amenée chez nous par les troubadours puis recomposé par l’amour courtois (Tristan et Iseult). Hélas, ces deux formes d’amour ont été complètement dévoyées par le système actuel, gangrené par les publicités, l’extension du domaine de la lutte aux partenaires affectifs et sexuels et les nouveaux moyens de rencontres via les nouvelles technologies. L’amour-mariage subit les assauts de la publicité qui, récupérant les critiques libertaires, font de celuici une sorte de retour mollasson et désenchanté à la raison. Aidé en cela par la pressurisation croissante du travail, il ne devient plus que ce lieu d’ennuis où les individus composant le couple n’arrivent plus à s’accomplir – l’amusement étant réservé à l’extérieur, et les corvées comme les tâches responsables à la vie de couple. L’amour-passion, quant à lui, se calque de plus en plus sur le modèle de la publicité – tout en étant instrumentalisé par celui-ci comme argument de vente –, et se voit réinvesti d’une nouvelle mission : réenchanter un monde hostile et rationalisé. « Prenons le cas de l’amourpassion. Imagine-t-on un peuple d’amoureux en transe, n’ayant en tête que leur amour impossible, n’écoutant

rien, n’admettant aucune contrainte, ne faisant rien d’autres que d’aimer, jusqu’à en mourir ? Car c’est cela, la véritable Passion : un défi lancé à la mort ! À la place on ne voit qu’une mise en avant d’un état amoureux approximatif et fade. Quant à l’amourmariage, si réellement il était choisi, on aurait des gens d’une grande maturité affective, c’està-dire capable d’assumer leur folie et de vivre pleinement les crises qui les traversent, comme celles qui parcourent la collectivité, conscients des ressources extraordinaires de chacun, affrontant les défis extraordinaires que représente l’éducation d’un enfant... Autant dire que les structures actuelles ne tiendraient pas longtemps... À la place on a un appel à se ranger après les folies de jeunesse, et à s’investir dans le quotidien, sans faire de vague. »

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La sociologue Eva Illouz , à l’aide de réflexions philosophiques mais aussi d’études et d’entretiens, l’a montré : la phobie de l’engagement est désormais un trouble social majeur – en particulier aux Etats-Unis. Face à la multiplication des partenaires et des relations possibles, face aussi à Internet, « technologie du choix rationnel » et à l’individualisme contemporain valorisant plus que tout « l’autonomie individuelle », les individus ont de plus en plus de mal à s’installer dans un couple stable. Désemparés, n’ayant plus les repères traditionnels qu’étaient ceux de la coutume et du genre, ils sont conviés au banquet de frustrations qui leur est proposé par ce nouvel Univers du chiffre. Selon l’auteure, les sciences (psychanalyse, neurosciences, évolutionnisme) ont participé de cette rationalisation radicale de l’amour, faisant de la souffrance amoureuse une pathologie issue d’immaturité ou de mauvaise connaissance de soi, et transformant l’amour en simple outil de la perpétuation des espèces, en vulgaire processus neurochimique. Et un certain féminisme, niant la complexité des rapports genrés, aurait démystifié l’amour au profit d’une sorte d’égalitarisme abstrait et radical. Il est impossible 52

d’aborder de manière exhaustive les dégâts causés par le capitalisme sur tout ce qui compose notre existence. La sexualité elle-même se trouve menacée par de tels processus, la pornographie et le puritanisme – les deux faces d’une

même pièce – venant détruire toute forme d’érotisme, toute jouissance sexuelle. Au Japon, la difficulté d’aborder l’Autre et le remplacement de l’humain par la machine font d’ailleurs de cette nation le pays où on fait le moins l’amour dans le monde. Peut-être ces constats sont-ils trop romantiques aux yeux des amateurs de masturbations chiffrées et de graphiques empiriques tracés dans le ciel des idées, mais nous pensons pour notre part qu’il n’y a de saveurs dans la vie humaine qu’en ce que ces phénomènes

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irrationnels, passionnels et charnels sont encore capables d’être réalisés au sein de la société. Combattre le capitalisme, réactiver les luttes sociales, recréer du lien, c’est certes sans doute enfourcher une monture tragique afin d’aller combattre des moulins, mais c’est aussi combattre pour conserver cela, et renouer avec une longue tradition subversive qui, des philosophes des Lumières aux libertins du XVIIe siècle en passant par les mouvements ouvriers du XIXe, ont fait ce qu’il y a de plus beau dans ce que l’on a coutume d’appeler la civilisation occidentale. Contre l’emprise technologique, qui nous connecte à tous tout en nous isolant de tous, au recul de la participation politique, en passant par la dictature de la paperasserie créée par la bureaucratie, les psychopathologies (burnout, dépressions, Troubles Déficitaires de l’Attention, etc.) soignées à l’aide d’une flopée de drogues, la montée des incivilités, etc. Seuls le réinvestissement de la sphère publique combinée à la recréation de communautés peuvent réellement opposer une réelle résistance. Et cela n’a de sens qu’en une réappropriation de ce fameux amour actif du beau et de la sagesse que vantait Périclès, qui fonde nos sens, nos goûts et donc notre esprit critique.


INTERVIEW DU

BRIGANG

Depuis que je suis bleu,

on m’a toujours parlé du Brigang en termes négatifs. Sans jamais vraiment me donner de raisons valables, si ce n’est qu’il est composé d’ « incapables légèrement attardés ». Quand ils se sont mis à faire un baptême, ça a donc fait un certain tollé. Néanmoins, je trouve qu’une initiative qui consiste à créer quelque chose de neuf, qui se démarque de ce qui se fait folkloriquement sur l’ULB est louable en soi. De plus, l’attitude des autres à l’égard du Brigang ne me semblait pas particulièrement libre-exaministe : préjugés et rumeurs entretenant un climat particulièrement hostile à leur égard. J’ai donc estimé que le Cercle du Libre Examen, qui est aussi – faut-il le rappeler ? – un cercle folklorique, se devait de donner la parole au Brigang, afin que ses membres puissent avoir l’occasion de se décrire eux-mêmes et d’expliquer ce qui les a poussés à

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créer une nouvelle structure baptismale parmi la constellation que compte déjà la Capitale. Ceci s’inscrit assez bien dans le thème de ce

Sabri : Je m’appelle Princesse Pompom, baptisé Psycho et président de baptême du Brigang. Amaury : Baptisé 2010 en Psycho également, un des 3 fondateurs du Brigang.

Coline : Baptisée Youpie du Cercle de Droit et présidente de cercle du Brigang. [NDLR : on notera que les deux autres fondateurs ont bulletin sur la Crise car en un visiblement déserté leurs sens, cette interview pourrait rangs depuis lors.] déboucher sur des pistes de réflexion quant à la « Le Brigang, pourquoi, Crise du Folklore » actuelle, quand, comment ? qui, soit dit en passant, est à mon sens plus une crise S : Ca a démarré il y a six d’identité avec les autorités ans. Et nous n’avons pas qu’autre chose. débarqué en disant « Salut, on fait un baptême »… Non, ça a démarré par un délire de bleus (ce que beaucoup de gens nous reprochent), et plus précisément par une mission bleue lors de la Librex : Tout d’abord, bleusaille CdS, en 2010.

Voilà donc les propos que j’ai recueillis de Sabri, Amaury et Coline, avec l’aide de Johan Metzger.

pourriez-vous vous présenter ?

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Le but de la mission était d’avoir une carte de réduction dans un bar du Cimetière qui s’appelait le Brigand (ce bar n’existe plus). Le délire des trois protagonistes consistait donc à créer une carte de membre d’un cercle dénommé « Brigang » afin d’obtenir la carte de réduction du bar.

clair. Tout fonctionne par notre groupe Facebook. A : En comptant large, c’est peut-être même une centaine de personnes qui sont membres (NDLR : comprendre « intéressés de près ou de loin par la chose »).

A : D’ailleurs, si les comitards CdS 2010 sont chauds, ils ont toujours droit à une bière gratuite au Brigang. (rires)

à ce moment-là qu’on a commencé à faire une bleusaille, mais il faut signaler qu’elle était réfléchie depuis plus d’un an. Les pennes étaient même déjà prêtes (on a aussi fait des pennes pour nos membres déjà baptisés dans d’autres cercles) : on avait vraiment réfléchi à faire une bleusaille qui puisse pérenniser le Brigang.

Ceci étant, la raison Pour la plupart, ce sont des principale de cette bleubaptisés. saille Brigang, c’était d’arriver à ouvrir le baptême aux S : Et donc voilà, de fil en C : Il faut signaler que nos écoles qui n’en ont pas. Ca aiguille, on a commencé à membres non-baptisés ne vient de notre expérience introniser des gens. participent absolument pas : si nous sommes baptisés au baptême. à l’ULB, nous avons fait nos études ailleurs, dans des A la base, combien Qu’avez-vous comme écoles où il n’y a pas de étiez-vous ? statut juridique ? baptême. Il n’empêche qu’on souhaitait être bapA : Trois, vu que Sabry est tisés : on a alors opté pour arrivé un peu après. Ce sont S : Nous sommes une assol’ULB afin de ne pas tomber deux co-bleus du CdS qui ciation de fait, vu qu’on ne sur des comités « loufoques sont venus me trouver et qui brasse ni assez d’argent ni m’ont demandé un coup assez de membres que pour », comme il y en a beaucoup dans l’ACS . de main : après quelques devoir devenir une ASBL. Et soirées arrosées, on a comça responsabilise les gens, Le Brigang, c’est vraiment mencé à introniser des gens vu que les responsabilités dans l’optique d’ouvrir le pour rire, et de fil en aiguille, sont personnelles. folklore à ceux qui n’ont pas c’est devenu un peu plus l’opportunité de s’y initier sérieux. Quand avez-vous comdans leur école. S : On a fini par être septante membres… Par contre, on n’a pas de listing

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mencé à faire un baptême ?

S : L’année dernière ! C’est

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Comment vous faitesvous connaître des facultés où il n’y pas de baptême ? Vous n’avez pas les moyens des cercles folkloriques de l’ULB, qui eux ont l’opportunité d’organiser des descentes d’auditoires dès les premiers jours de cours… S : C’est en effet un peu délicat, parce que dans le supérieur, les écoles ne reconnaissent pas toujours les cercles qui leur sont rattachés. A : Et à l’ULB, c’est assez particulier, ils sont très protectionnistes du folklore. Il n’y a pas que les cercles, l’ULB elle-même le protège assez fort. En revanche, dans les hautes écoles, ce n’est absolument pas comme ça. C : Par exemple, à l’EPHEC, je me suis ramenée une fois avec un pull de cercle, et on m’a demandé de rentrer chez moi me changer : ça a compté pour une absence non justifiée... S : On se fait donc connaître principalement par le bouche à oreille, et par le biais d’affiches placardées dans des arrêts de bus, dans des endroits proches des écoles où il n’y a pas de baptême. On ne va jamais mettre d’affiches dans les facultés qui organisent

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déjà quelque chose : les gens ont peur que, parce que nous ne sommes pas reliés à un type d’études, on aille « voler » des bleus aux autres cercles. C’est complètement faux ! Certes, l’année passée, deux personnes qui étudient l’architecture à l’ULB ont été baptisées chez nous, mais on leur a d’abord demandé si elles ne voulaient pas faire leur bleusaille au CARé . Après voilà, c’est le Brigang qui a été choisi.

on a gardé cette optique. D’ailleurs, on procède au jugement, comme dans la plupart des cercles pennés. Autre exemple, lors de notre descente en ville, on passe par les monuments importants de l’histoire de la Belgique et de la libre pensée. Donc en gros des monuments qui ont un intérêt historique, mais qui permettent aussi de poser des questions. Pour revenir à la bleusaille, vu que le comité de baptême vient de cercles différents, on a C : Ils avaient déjà essayé tous notre petite touche à au CARé et n’ont pas trouvé apporter. ça nickel : c’est leur avis, pas le nôtre ! Ils ont préféré S : Chacun a mis sa pierre continuer ça chez nous, on à l’édifice, et c’est ce qui n’allait pas le leur interdire. donne ce folklore particulier Mais vraiment, on les dirige : il y a des bouts de Philo, d’abord vers leur propre des bouts de Psycho, faculté. de bout de l’ECAM, des bouts de Droit, des bouts En quoi vos activités d’Hermès , des bouts de de baptême sont-elles De Fré... Je ne dirais pas que le fond du baptême différentes ? Avez-vous diffère complètement de une philosophie par celui d’un baptême ulbiste, rapport au baptême parce que le message qui n’est pas la même est quasiment le même qu’ici ? Quel est votre : libre examen, refus de folklore ? Je comprends l’argument d’autorité, etc. Il y a aussi un petit laïus qui est la volonté de pérenniser fait devant le bâtiment A sur votre groupe, mais la franc-maçonnerie et la j’imagine que vous symbolique.

n’avez pas simplement reproduit les baptêmes C : Nous sommes donc que vous avez vécus… fortement influencés par

C : On s’est basé sur le principe que la penne est quand même un symbole libre exaministe. On trouvait ça très intéressant, donc

les baptêmes ACE, mais en aucun cas nous n’essayons de faire comme eux.

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Où ont lieu vos activités en général ? S : Un peu partout dans Bruxelles. On fait ça dans des locaux familiers : garages, bars, etc. On a notamment un local qu’on partage avec une brasserie, et on devrait conclure un accord avec une maison de jeunes. Et quand on n’a pas de local à disposition, c’est au Bois de la Cambre, au Cinquantenaire. A : On fait aussi pas mal de délégations afin de voir ce qu’il se passe ailleurs : Alma, Louvain-la-Neuve, etc. C : Mais jamais de nudité quand on est à l’extérieur ! S: L’année passée, on a fait notre baptême en plein milieu du Bois de la Cambre parce qu’on n’avait pas de local. C’était donc assez reculé et les membres baptisés faisaient écran, du coup on ne voyait vraiment rien de l’extérieur : c’était assez contrôlé.

Peut-on avoir une idée du nombre de membres de votre comité de 56

baptême ? tisé au Brigang, se dise « S : On est cinq comitards de baptême.

Et combien de bleus ? A : Cette année, pas beaucoup. On en a eu six à un moment, mais on a fini avec une seule bleuette . S : Certains sont partis le continuer dans leur cercle facultaire, d’autres ont simplement arrêté. À la première activité, avant de démarrer la bleusaille, on organise un petit « questions-réponses » où les comitards répondent à toutes les

mais en fait, personne ne m’accepte maintenant… ». S’ils ont envie de faire ça dans un cercle très reconnu, comme Solvay, on ne va évidemment pas les retenir.

Comment les valeurs de solidarité et autres ontelles pu être transmises à la bleuette si elle a fait son baptême toute seule ? S : C’est une question qu’on se pose aussi. Ceci dit, on ne peut pas lui imposer d’arrêter son baptême juste parce qu’elle est toute seule. C : Puis elle a eu des contacts avec les autres bleus, avant qu’ils arrêtent. A : Elle a aussi eu une activité avec les bleus Hermès.

questions que les futurs bleus ont envie de leur poser. Tout est « normal » à ce moment-là, c’est seulement après qu’on leur demande de ne plus nous regarder dans les yeux. C : On les met notamment en garde sur le fait que le Brigang est un cercle fort critiqué : on n’a pas envie qu’un bleu, une fois bap-

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S : Mais effectivement, l’égalité, la solidarité, c’est compliqué à transmettre lorsqu’il n’y a qu’une seule personne. Au final, nos assistants – ceux qui veulent devenir comitards l’année prochaine, grosso modo le comité de cercle – l’ont bien aidée, donc le message est probablement passé malgré tout.


D’ailleurs, en parlant de ces assistants : on refuse de donner une toge à une personne qui vient tout juste d’être baptisée, en ce compris une toge ouverte.

Avez-vous un comité de je trouve ça bien. Un autre cercle ? Combien y’a-t- reproche qu’on peut faire, il de postes ? c’est que le baptême est là

S : Oui oui, on a un comité de cercle ! Il y a notamment le bureau, le Vieux-ArCet aspect fort critiqué, chives,... Grosso modo une voire décrié de votre dizaine de postes.

organisme, vous le vivez comment ? C : Vu qu’on ne se prend C : Je pense que se faire connaître d’une manière ou d’une autre, positivement ou négativement, c’est mieux que d’être méconnu. Maintenant, on est connu, c’est déjà bien, ça me fait plaisir. A : Ceci dit, il y a des membres qui partent du Brigang parce que peu importe ce qu’ils disent et la façon dont ils se défendent, les gens les jugent par rapport à cette appartenance. Moi, j’ai pris le pli, et je n’y accorde plus d’attention. S : Moi aussi… Par contre, ce qui continue à me froisser, c’est le fait que certaines personnes viennent saboter nos activités. A : J’ai du mal à comprendre ces gens… Mais il y en a aussi qui nous critiquent alors qu’ils n’ont rien à nous envier. Par exemple, l’ACS n’a toujours pas de local de baptême alors leurs baptêmes commencent dans deux jours. Le nôtre est réservé depuis juin…

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pas très au sérieux, ces titres n’ont pas beaucoup d’importance.

plus pour les comitards que pour les bleus. C : Et quand des comitards font des excès, il n’y a pas assez de sanctions. Puis les tournées, qui sont faites uniquement pour les comitards.

S : Débarquer en tant que bleu dans une tournée, ça n’est pas une partie de plaisir ! On dit que l’ACE contrôle les cercles : elle est surtout là pour mettre des amendes et dire que c’est sale, mais elle n’est pas là pour protéger les bleus d’un quelconque dérapage, alors que c’est son boulot.

A : Un comité, c’est surtout un groupe de gens. Du coup, personne ne va jamais être élu à un poste si personne ne le connaît : on veille à ce que tout le monde ait des liens. Toutes les tâches sont partagées à peu près entre tout le monde. Nos réunions de deVous avez une charte briefing sont assez courtes et folklorique ? bonne ambiance. Soit c’est « ça a été », « ça n’a pas été », soit « bon, bah là, on a A : Oui, et elle se rapproche beaucoup de celle de l’ULB. merdé ». C’est un mixte entre CureL’année prochaine, ghem et l’ULB en fait.

vous recommencez ?

C : Oui ! Mais on fera plus de publicité, histoire d’avoir plus de bleus. Mais oui, bien sûr, on continue.

Vous parlez beaucoup du Cercle Brigang, mais vous organisez quoi ?

A : On organise des événements ouverts, sauf qu’ils Que pensez-vous du ne sont plus publics parce folklore ulbiste ? qu’on a eu pas mal de problèmes auparavant. C : Tous ces évènements S : Je trouve que le folklore ulbiste remonte d’une pente sont publiés dans le groupe glissante sur laquelle il s’était Facebook du Brigang. S : Et chaque membre peut engagé : devenir de plus inviter d’autres personnes. en plus trash. Quand j’apprends que le CdS et la Phi- Notre évènement de l’année, c’est notre week-end. lo ont retiré leur rallye-café, BULLETIN DU CERCLE DU LIBRE EXAMEN | DÉC. 2015 | N°56


Le Brigang en trois mots facilement entendre sur ? le campus. Qu’on ne s’y Décomplexé, envie, fraternel.

Conclusion On le voit, la création du Brigang ne répond pas à la problématique « nous voulons proposer quelque chose d’autre parce que ce qui se fait ne convient pas », mais plutôt à « nous voulons proposer à d’autres personnes ». Il ne faut pas oublier qu’on a recueilli ici uniquement l’argumentaire pro-Brigang. Certains auront d’autres avis à faire valoir, profondément opposés à celui-ci. Cependant, ces arguments se font plus

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méprenne pas, je ne me veux en aucun cas le grand défenseur du Brigang – je me pose notamment des questions quant à sa pérennité –, je voulais juste écouter des gens qui n’avaient, à mon sens, que trop peu raconté leur histoire. Certains ne voudront pas entendre les critiques ici émises, en raison des personnes qui les font. On ne pourra néanmoins pas nier que les tournées, par exemple, sont des événements qui polarisent la communauté folklorique. Si le folklore se transforme, petit à petit, sous l’impulsion de certaines personnes

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et sous la pression des autorités, il reste des problématiques à aborder et des sujets à débattre. Gageons que nous aurons le courage d’y penser et, le cas échéant, de mettre en place les transformations nécessaires. J’eus préféré que la volonté de développer une bleusaille alternative surgisse d’un profond malaise avec ce qui se fait ou se faisait, mais il n’en est rien. Le Librex, souvent ami et critique du folklore, répondra peut-être un jour à cette interrogation.

} Olivier Hamende Délégué Vrij Onderzoek


IMMIGRATION

PIÈGE À CONS ? Certains sujets de société

aujourd’hui sentent mauvais. Du moins, à en croire les réactions qu’ils suscitent, car les exclamations outrées ou exagérées leur donnent bien souvent l’aspect d’une sorte de fumier pestilentiel à ne pas approcher de trop près sous peine d’en porter l’odeur nauséabonde. L’immigration fait partie de ceux-ci... Phénomène épineux, douloureux, et qui englobe une série d’autres phénomènes plus ou moins encastrés, l’immigration est surtout complètement prisonnière du vieillissant clivage gauche-droite. Les caricatures se font face et se renvoient chacune les traits grossis de l’autre ; une bataille d’idée sur la question entre la gauche et la droite s’apparentant plus à un combat de guignols qu’à un débat cohérent et rationnel. Au final, mieux vaudrait en rire, s’il ne s’agissait d’un sujet si crucial. Le sujet hélas frappe ainsi les esprits, en imposant des dichotomies rigides qui empêchent de réellement répondre aux problèmes actuels mais permettent en revanche l’admonestation ou la diabolisation : comme il s’agirait d’être « pour » ou contre » la famille, « pour » ou « contre » la

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sécurité, etc. Il faudrait se positionner « pour » ou « contre » l’immigration ». Corset d’un autre âge, l’on est alors sommé d’adhérer aux dogmes d’un des deux camps sous peine d’être qualifié par les uns de fasciste/ réac/xénophobe/..., ou par les autres de naïf/bien pensant/bobo/... Comme le rappelait déjà en son temps Christopher Lasch, « La vieille querelle droite-gauche a épuisé sa capacité à clarifier les problèmes et à fournir une carte fiable de la réalité. Dans certains secteurs, l’idée même de la réalité est mise en cause, peutêtre parce que les classes qui détiennent la parole habitent un monde artificiel dans lequel des simulations de la réalité remplacent la réalité proprement dite. En tout cas, les idéologies, de droite comme de gauche, sont à présent tellement rigidifiées que les idées nouvelles ne font que peu d’impression sur leurs partisans » . En effet, la gauche fonctionne à l’apologie déconnectée du réel ; elle est libérale dans tout son spectre, avec les uns vantant les mérites de la diversité et les autres son caractère révolutionnaire

– nous y reviendrons. Comment ne pas voir ainsi un lien d’affinité entre le NPA qui proclame que « l’immigration est notre richesse » et Jacques Attali qui dit chez Taddéi de manière beaucoup plus cynique que les immigrés « rapportent plus qu’ils ne coûtent » ? Ou l’étrange complicité, toujours chez Taddeï, entre Besancenot le postier trotskyste et Felix Marquardt le riche entrepreneur appelant les jeunes français à quitter la France pour travailler ailleurs ? Face à cette gauche unilatéralement immigrationniste, une droite brutale s’occupe du spectacle xénophobe. Féroce sur l’étranger sans pécule et refusant même l’hospitalité, du Front National voulant interdire l’aide médicale d’État aux gesticulations anti-roms du gouvernement Sarkozy, cette droite ne voudrait plus d’immigrés au même moment où le capitalisme qu’elle défend ravage les pays étrangers, ouvre les frontières économiques et permet tant l’immigration d’une main d’oeuvre peu chère que l’émigration fiscale des dominants.

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Rappelons que Platon luimême, malgré sa haine de la démocratie, déclarait que « n’accueillir aucun visiteur et n’aller jamais soi-même à l’étranger est d’abord absolument impossible et paraîtrait aux yeux des autres hommes comme un trait de sauvagerie et de manque de sociabilité. On s’attirerait le nom ignominieux de «bannisseurs d’étrangers» comme on dit, et l’on aurait des manières arrogantes aux yeux du monde ». Cette droite, insoucieuse de l’accueil décent des réfugiés, désirant ériger des murs à l’américaine face à l’afflux d’immigrés, est non seulement sauvage, mais elle est aussi hypocrite : elle ne remettra jamais en cause la libre-circulation des gros porte-feuilles à travers le monde – injuste et catastrophique pour l’environnement – et encore moins l’exploitation mondialisée du capitalisme. C’est contre cela qu’une vision socialiste révolutionnaire et décroissante peut proposer de nouvelles idées, 60

de nouvelles alternatives, de nouvelles solutions. Sortir de ce carcan, c’est donc sortir de l’opposition grotesque entre une gauche angélique et une droite barbare. C’est surtout opérer une critique, non pas de l’immigration, mais de l’immigrationnisme, au profit d’un projet de société libre, égalitaire et fraternelle. L’immigrationnisme, c’est-à-dire l’idéolo-

gie valorisant le phénomène migratoire, a selon nous été de tous temps l’ennemi des classes populaires. Depuis la migration locale désastreuse si bien illustrée par le récit des Raisins de la colère, au rapport ultralibéral de Jacques Attali pour Sarkozy prônant plus d’immigration, tout indique que le capitalisme ne peut fonctionner sans une main d’oeuvre mobile, malléable et mal payée. Pompidou ne disait-il pas en 1963 que « L’immigration est

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un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale » ? Encore aujourd’hui, nous savons que la COP21 emploie des ouvriers venus de l’Europe de l’Est, payés bien moins que les ouvriers Français... L’immigration est depuis très longtemps un moyen de faire pression vers le bas sur les revenus, mais aussi un moyen de briser les luttes populaires à l’aide d’une population déracinée et donc dépolitisée. Face à cette gauche unilatéralement immigrationniste, une droite brutale s’occupe du spectacle xénophobe.


Féroce sur l’étranger sans pécule et refusant même l’hospitalité, du Front National voulant interdire l’aide médicale d’État aux gesticulations anti-roms du gouvernement Sarkozy, cette droite ne voudrait plus d’immigrés au même moment où le capitalisme qu’elle défend ravage les pays étrangers, ouvre les frontières économiques et permet tant l’immigration d’une main d’oeuvre peu chère que l’émigration fiscale des dominants. Rappelons que Platon luimême, malgré sa haine de la démocratie, déclarait que « n’accueillir aucun visiteur et n’aller jamais soi-même à l’étranger est d’abord absolument impossible et paraîtrait aux yeux des autres hommes comme un trait de sauvagerie et de manque de sociabilité. On s’attirerait le nom ignominieux de «bannisseurs d’étrangers» comme on dit, et l’on aurait des manières arrogantes aux yeux du monde ». Cette droite, insoucieuse de l’accueil décent des réfugiés, désirant ériger des murs à l’américaine face à l’afflux d’immigrés, est non seulement sauvage, mais elle est aussi hypocrite : elle ne remettra jamais en cause la libre-circulation des gros portefeuilles à travers le monde – injuste et catastrophique pour l’environnement – et encore moins l’exploitation mondialisée du capitalisme.

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C’est contre cela qu’une vision socialiste révolutionnaire et décroissante peut proposer de nouvelles idées, de nouvelles alternatives, de nouvelles solutions. Sortir de ce carcan, c’est donc sortir de l’opposition grotesque entre une gauche angélique et une droite barbare. C’est surtout opérer une critique, non pas de l’immigration, mais de l’immigrationnisme, au profit d’un projet de société libre, égalitaire et fraternelle. L’immigrationnisme, c’est-à-dire l’idéologie valorisant le phénomène migratoire, a selon nous été de tous temps l’ennemi des classes populaires. Depuis la migration locale désastreuse si bien illustrée par le récit des Raisins de la colère, au rapport ultralibéral de Jacques Attali pour Sarkozy prônant plus d’immigration, tout indique que le capitalisme ne peut fonctionner sans une main d’oeuvre mobile, malléable et mal payée. Pompidou ne disait-il pas en 1963 que

L’immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ? Encore aujourd’hui, nous savons que la COP21 emploie des ouvriers venus

de l’Europe de l’Est, payés bien moins que les ouvriers Français... L’immigration est depuis très longtemps un moyen de faire pression vers le bas sur les revenus, mais aussi un moyen de briser les luttes populaires à l’aide d’une population déracinée et donc dépolitisée.

L’immigration comme armée de réserve La France a été de tout temps un pays d’immigration. Mais étrangement, elle ne prit pas tout de suite part aux phénomènes migratoires du XIXe siècle. Certes, la Révolution de 1789 avait permis de faire disparaître l’Ancien Régime et au passage tous les freins au développement national du capitalisme – jusqu’à créer une surface plane dénuée de tout particularisme ou protectionnisme local ; par ailleurs, la France était au début du XIXe siècle la puissance européenne majeure, avec une paysannerie propriétaire et prospère. Sa révolution industrielle fut tardive (avant la première guerre mondiale, plus de 55% de la population vivait en campagne, contre 40 en Allemagne et 22 en Grande-Bretagne), son exode rural lent, et ses élites rentières et économes.

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Quand elle fit son « bond en avant » de fin de siècle, elle eut cependant besoin d’une main d’oeuvre immigrée assez importante ; le grand patronat se plaignait ainsi de ces travailleurs des champs, quittant leur travail industriel pour aller s’occuper de leur champ. Héritant d’une mentalité précapitaliste, ces ouvriers ruraux étaient particulièrement résistants face aux nouvelles méthodes de travail de la grande industrie, et rechignait à se faire employer pour diverses tâches pénibles comme travailler à la mine – dont les bénéfices allaient, faut-il le rappeler, aux capitalistes. La bourgeoisie eut tôt fait de trouver un moyen pour briser ces oppositions latentes : elle eut ainsi recourt à l’immigration. Comme l’illustre la situation du canton de Longwy, « Dans ces années 1880, le canton de Longwy comprenait déjà près de 30 % de travailleurs étrangers, plus de 7 000. Avec l’ouverture de nouveaux gisements de minerai de fer, les besoins s’accrurent. Comme les ouvriers issus des familles paysannes proches ne donnaient pas toute satisfaction, car ils étaient fortement absentéistes, quittant souvent l’usine lors des travaux des champs, les maîtres de forges allèrent recruter directement en Italie. La France terre d’accueil logea ces travailleurs immigrés 62

dans des baraquements infects autour des puits... » . La France persistera durant tout le XXe siècle pour rattraper son retard, combler les demandes de travailleurs et freiner les revendications sociales, en ayant recours d’abord aux Belges et aux Italiens ; ensuite aux Polonais, Espagnols et Portugais ; enfin, après la deuxième guerre mondiale, aux travailleurs issus du Maghreb (Maroc, puis Algérie). En d’autres mots, l’immigration dans une société capitaliste est avant tout d’origine patronale. Ce sont les grands patrons et propriétaires qui organisent tout pour faire arriver de la main d’oeuvre étrangère dans un pays en plein essor économique. En Amérique et dans les colonies européennes, l’on avait ce que l’on appelait les « coolies », travailleurs quasiesclaves généralement pris de force à la Chine, l’Inde ou l’Océanie, qui étaient employés pour turbiner dans les champs de coton, les mines et les chemins de fer du XIXe siècle. En France, suite à la deuxième guerre mondiale, les grandes entreprises privées envoyaient littéralement des camions dans les colonies afin d’affréter les futurs forçats. Mais c’est au XIXe siècle avec notamment Marx et Engels que l’on trouve les premières critiques révolutionnaires de l’immigrationnisme. En

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effet, ils emploient tous les deux le concept d’armée de réserve pour désigner l’existence d’une masse de sans-emplois permettant aux détenteurs du capital de ne pas augmenter les salaires et de menacer au passage ceux qui ont la chance de disposer d’un travail. Il s’agirait d’une masse créée par le capitalisme lui-même, via notamment la croissance de la productivité permise par le progrès technique – rendant la main d’oeuvre moins utile – et l’exploitation toujours plus intense des prolétaires : « Pendant les périodes de stagnation et d’activité moyenne, l’armée de réserve industrielle pèse sur l’armée active, pour en refréner les prétentions pendant la période de surproduction et de haute prospérité ». (Le Capital). Marx explique alors que l’entrée des immigrées (remplaçant « un yankee par trois Chinois »), comme du reste celle des enfants ou des femmes dans le marché de travail, permet de gonfler cette armée de réserve et d’ainsi accentuer la concurrence, les immigrés sans-emplois acceptant des salaires moindre que la main d’oeuvre locale plus productive et mieux organisée, et pesant donc négativement sur leur salaire. Engels, quant à lui, pointe du doigt la situation de la classe ouvrière anglaise devant faire face à un afflux de travailleurs venus d’Irlande.


Allant jusqu’à mettre en cause les moeurs frustes de travailleurs irlandais, les rendant plus aptes à supporter une condition précaire (et donc à ne pas en réclamer une meilleure), il explique : « C’est contre un concurrent de ce genre que doit lutter le travailleur anglais, contre un concurrent occupant le barreau de l’échelle le plus bas qui puisse exister dans un pays civilisé et qui, précisément pour cette raison, se contente d’un salaire inférieur à celui de n’importe quel autre travailleur. C’est pourquoi le salaire du travailleur anglais, dans tous les secteurs où l’Irlandais peut le concurrencer, ne fait que baisser constamment et il ne saurait en être autre¬ment » (La situation de la classe laborieuse en Angleterre). Marx rajoute, juste avant de montrer la stratégie bourgeoise cherchant à opposer les prolétaires anglais aux prolétaires irlandais : « A cause de la concentration croissante de la propriété de la terre, l’Irlande envoie son surplus de population vers le marché du travail anglais, et fait baisser ainsi les salaires, et dégrade la condition morale et matérielle de la classe ouvrière anglaise. » (Lettre à S. Meyer et A. Vogt du 9 avril 1870). Cette intuition marxiste n’a cessé de montrer ses preuves jusqu’à aujourd’hui. Un rapport 63

de 2009 émanant du très modéré Conseil d’Analyse Economique (CAE) l’a prouvé encore une fois : l’immigration contribue à la baisse des salaires. Non seulement il affirme que l’idée d’une pénurie de main d’oeuvre obligeant à aller chercher ailleurs n’a pas de sens en période de chômage, mais en outre il montre qu’il faudrait au contraire améliorer les salaires des emplois moins qualifiés afin de les rendre plus attractifs. Par ailleurs, il cite des chiffres précis de l’impact sur les salaires : « «Atlonji et Card [deux économistes] trouvent qu’une hausse de la proportion d’immigrés d’un point de pourcentage réduit le salaire de 1,2%» (page 37) «Hunt [une autre économiste] trouve qu’une hausse de la proportion de rapatriés d’un point de pourcentage a réduit le salaire d’environ 0,8%» » Dans une même optique contemporaine, des intellectuels notamment proches du géographe David Harvey montrent comment le capitalisme emploie l’immigration comme moyen de se préserver des crises qu’il créé lui-même : « les surplus de capital et les pénuries de main d’oeuvre sont résolues par les mouvement de capitaux vers les zones de surplus de main d’oeuvre ayant une organisation du travail faible, ou en important de la main d’oeuvre pas chère dans les

centres du développement capitaliste » . Comme dans le passé, la (semi-)périphérie alimente le centre. Les migrations, d’abord locales et bien souvent provoquées par le libre-échange entre nos industries et des pays à production agricole vivrière, s’étendent vers nos propres pays, à la suite de mouvements provoqués par le marché.

On va bouger bouger ! Socio-économiquement parlant, l’immigration est globalement un fléau à la fois pour les peuples qui la reçoivent et ceux qui la subissent. Peu choisissent réellement de s’exiler de leur patrie, perdant au passage les éléments qui donnent saveur à la vie : habitudes, amitiés, famille, traditions, paysages, communauté, etc. Alors pourquoi ce décalage entre le vécu désastreux et tragique, et l’application factuelle et consensuelle d’une immigration de masse ? Outre les intérêts évidents qui entrent en jeu – passeurs, mafias, grands patrons et politiciens cyniques – un autre symptôme de l’époque explique cet aveuglement par rapport au réel problème de l’immigration.

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En effet, la pensée unique aujourd’hui se caractérise par un éloge tout azymut de la « mobilité ». Il faut bouger pour bouger, voyager pour voyager, se mouvoir pour être en mouvement, et ne jamais s’enraciner quelque part : la fixité est le démon des postmodernes. Cette idéologie, que Pierre-André Taguieff avait nommé le « bougisme », irrigue désormais l’imaginaire général. « Dans cette utopie fondée sur le culte du mouvement pour le mouvement, l’accélération de la mobilité, de la vitesse et de la flexibilité dans tous les domaines se substitue aux fins telles que la liberté ou la justice qui, dans la classique religion du Progrès, devaient se réaliser indéfiniment dans l’Histoire [...] La marche exaltante de l’humanité perfectible vers sa perfection finale s’est transformée en une fuite en avant aveugle » . Les réformes de modernisation cherchent ainsi à conformer tous à ce mode de vie nomade, mobile et déracinés ; certes, les étudiants sont bercés par le grand rêve d’Erasmus, mais ce dernier est l’arbre qui cache la forêt des misères que cela provoque. Les chercheurs doivent de plus en plus travailler à l’étranger pour valoriser leur CV et trouver un travail, les diplômés au chômage sont forcés de migrer dans d’autres pays européens afin d’en sortir, et les travailleurs sont de plus 64

en plus obligés à accepter des offres éloignées du domicile de travail, le droit européen permettant une circulation toujours croissante des travailleurs à travers le continent – au mépris du droit social et des vies privées brisées. « Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. » disait Jean Giraudoux. Ce sont les grands d’aujourd’hui qui se chargent de valoriser ce train de vie dans tous les canaux de propagande dont ils disposent, au mépris des catastrophes qui en résultent. Leur mode de vie est un fin en soi pour eux, et tous ceux qui n’y adhèrent pas ou n’arrivent pas à le suivre sont relégués au rang de nouveaux parias. Le sociologue Zygmunt Bauman parlait ainsi d’élites mondialisées. Celles-ci se caractériseraient par un rapport à l’espace et au temps complètement nouveau : elles n’ont jamais le temps (le temps n’est-il pas de l’argent ?), et ne connaissent pas l’espace du fait qu’elles se déplacent sur le globe terrestre en étant indifférentes aux frontières. Phénomène propre à toute aristocratie – se déplacer sur de longues distances a toujours été l’apanage des puissants –, il a été aujourd’hui accéléré par le progrès des moyens de déplacement et de communication. « Ce qui sert de distinction entre

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ceux qui sont «en haut» et ceux qui sont «en bas» de la société de consommation, c’est leur degré de mobilité – c’est-à-dire leur liberté de choisir l’endroit où ils veulent être.[...] Ceux qui se trouvent «en haut» sont heureux du moment qu’ils peuvent voyager librement dans la vie, et qu’ils peuvent choisir les destinations uniquement selon les plaisirs qu’elles promettent. Ceux qui sont «en bas» sont régulièrement chassés des endroits où ils seraient contents de demeurer ». Cette jet-set mange son croissant à Paris le matin et déguste des nouilles à Shanghaï à midi – ou mange son croissant à Shanghaï et ses nouilles à Paris. Et la lutte des classes prend ainsi bien souvent l’aspect d’une confrontation entre cette élite déterritorialisée à la vie dynamique et l’immense majorité des gens forcés de subir la stagnation, la barbarie et l’archaïsme d’une vie sédentaire. C’est dans ce cadavre imaginaire que l’immigrationnisme s’enracine et développe ses bactéries saprophages. La mobilité étant un objectif en soi, le migrant, l’exilé, le réfugié, ne sont plus des victimes d’un système obligeant les plus démunis à tout quitter pour survivre : ce sont des archétypes du modèle de vie idéal, une sorte de tzigane à col blanc.


Ce que le philosophe JeanClaude Michéa appelait la « gauche kérosène » l’affirme éhontément, et nul besoin d’aller touiller la marmite infecte des oeuvres de Jacques Attali pour en subir les effluves corsées : l’extrême-gauche universitaire s’en charge allègrement. Deleuze, dont l’héritage quelque peu caricaturé s’est perpétué dans le gauchisme universitaire, faisait l’éloge pseudo-romantique du nomadisme ; Badiou le maoïste croyait que les sanspapiers, tournés vers l’avenir et « acteurs homogènes » de la mondialisation, allaient remplacer le vieux prolétariat français ayant abandonné toute perspective révolutionnaire ; mais ce sont les penseurs de l’Empire Toni Negri et Michael Hardt qui ont fait à ce jour l’éloge le plus flamboyant des immigrés ballotés par la mondialisation. En effet, dans une logique typiquement marxiste orthodoxe, les créations nouvelles du capitalisme doivent être vues selon eux comme des moyens de libération et de sortie du capitalisme : ainsi des coopérations issues d’Internet, de l’économie de l’information et du travail immatériel, dont les méfaits capitalistes ne cessent de s’aggraver. Ainsi, dès lors, des « monstrueuses migrations déclenchées par la misère globale, en 65

ce début du XXIe siècle » , décrites comme autant de mouvements autonomes, « nomades » et riches en portée émancipatrice – ce paradigme les conduisant, à l’instar d’un Michel Foucault, à voir dans la révolution islamiste iranienne « la première révolution postmoderniste » (sic) marquant un « puissant rejet du marché mondial » (re-sic). Ceci suscitera une réponse cinglante de l’intellectuel marxien Robert Kurz : « Dans les conditions de la concurrence universelle, les migrations ne sont rien d’autre qu’un moment de plus de celle-ci, ou sa continuation par d’autres moyens ; en soi, migrer n’est pas plus émancipateur que de rester chez soi, et le sujet «nomade» de la valorisation n’est pas d’avantage enclin à la critique et à la révolte que le sujet sédentaire. Aussi longtemps que des hommes quitteront leurs proches et iront, même au risque de leur vie, chercher du travail ailleurs – pour à la fin être broyée par la moulinette du capitalisme –, ils ne seront pas plus porteurs d’émancipation que les autovalorisateurs postmodernes de l’Occident : ils n’en constituent que la variante misérable » .

Ralentir et s’enraciner On l’aura compris, la « movlangue » (Taguieff) fait des ravages et détruit toute possibilité de contester les déplacements effrénés des élites mondialisées comme de leurs victimes. Une société socialiste, décroissante, ne pourrait pourtant coexister avec des migrations massives et des voyages intempestifs. Ceuxci sont dangereux pour l’environnement : ils polluent à outrance l’atmosphère, ravagent les écosystèmes en urbanisant et bétonisant à tout crin, et folklorisent les cultures locales au profit du tourisme de masse. Mais l’immigrationnisme empêche aussi à terme toute forme de lien social solide, de caractères et de types humains aptes à mettre en place une société décente. En effet, la décence commune si chère à Orwell se développe au travers de liens sociaux forts, propices à la reconnaissance de l’autre et à l’apprentissage des valeurs de don, de partage et d’amitié – cette philia des Grecs qui était la base de toute communauté et qui, selon eux, était le pire ennemi de la tyrannie.

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Seul l’enracinement dans un contexte local, où les habitudes et la connaissance des habitants ne subissent pas une précarité constante due aux ruptures et abandons successifs, permet aux individus de se retrouver dans un collectif, d’attacher de l’importance aux autres donc à terme de faire preuve d’amour comme de solidarité : un requin n’a pas de racine et évolue dans un contexte liquide. Mais un mode de vie nomade n’est pas apte à créer non plus le type humain capable de s’occuper des affaires publiques, de faire preuve d’amour de la démocratie. Le touriste, comme l’exilé, est l’antithèse du citoyen. Il faut habiter une cité pour vouloir en gérer les affaires publiques, s’intéresser à son devenir et éventuellement la défendre les armes à la main contre le tyran ou l’envahisseur. L’itinérant préférera changer d’endroit, comme les aristocrates fuyant la Révolution, et comme les grands bourgeois fuyant l’impôt. Bernanos notait avec ironie : « Aller vite? Mais aller où? Comme cela vous importe peu, imbéciles! Dans le moment même 66

où vous lisez ces deux mots: Aller vite, j’ai beau vous traiter d’imbéciles, vous ne me suivez plus. Déjà votre regard vacille, prend l’expression vague et têtue de l’enfant vicieux pressé de retourner à sa rêverie solitaire... «Le café au lait à Paris, l’apéritif à Chandernagor et le dîner à San Francisco», vous vous rendez compte!... ». Et il continuait : « Que fuyezvous donc ainsi, imbéciles? Hélas! c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun

de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau... On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. Hélas! la liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles ! »

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Seul un ralentissement et un enracinement universels permettraient de sortir de la dictature du profit, de la privatisation des consciences, du vide spirituel et de la mobilisation constante de tous contre tous. L’immigré subit tous les jours ce chaos remuant, et il gagnerait bien plus à ce que nous aidions son pays d’origine à être indépendant du Marché capitaliste et de l’Occident – afin qu’il puisse y vivre – plutôt qu’à chanter tel un Lalanne en rut quelques chansons niaises plaidant pour l’ouverture totale des frontières. L’hospitalité est un premier pas, nécessaire et bienveillant, mais la solidarité internationale et la révolution socialiste décroissante demeurent indépassables. Elles passeront par l’enracinement et la lenteur.

} Galaad Wilgos Rédacteur en chef


MAYDAY, MAYDAY :

FOLKLORE EN DANGER Cette bleusaille 2015

était sympa, bon enfant, raisonnable … Vraiment ?! Un comitard qui s’ « amuse » avec un bleu en le prenant pour un chien en lançant un bout de bois que ce dernier a dû rapporter une dizaine de fois dans la bouche (la gueule ?) lors du Pique-Nique. Un autre togé qui, derrière le bar de la Jefke, s’ennuyant sûrement à son propre TD, trouve amusant de lancer des gobelets à moitié pleins dans la figure de trois de ses bleus, accoudés comme des malheureux de l’autre côté du bar. Des comitardes qui s’acharnent lors de la Commune sur une bleuette, en sous-vêtements, car celle-ci tente désespérément de cacher ce qui lui reste de pudeur et de dignité. Une comitarde de cercle qui outrepasse son rôle de plume en gueulant sur des bleus qui ne font pas partie de son cercle, sans qu’aucun membre du comité de baptême du cercle en question ne réagisse. Des bleus, à poil et frigorifiés, recevant des seaux d’eau froide lors d’une acti alors qu’il fait à peine trois degrés à l’extérieur.

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Quel est le message à retenir dans tout cela ? L’autodérision ? Il semblerait que tout le monde n’ait pas la même définition du mot… Quelle est la raison de cette constante course à l’humiliation et au trash? N’y a-t’il vraiment pas d’autres types d’activités pour occuper les bleus et leur apprendre ce qu’est le folklore ? Combien de bleus finissent chaque année leur baptême en n’ayant rien retenu de plus que des mots, insignifiants à leurs yeux, tel que « Verhaegen », « Résistance » ou « Librepensée » ? Il serait temps de changer notre conception du baptême. Jouer avec la santé des bleus et leur faire bouffer de la merde à chaque acti n’est pas nécessaire pour faire un « bon » baptême. À cela, certains et certaines rétorqueront avec véhémence que tout le monde est passé par là et que, de ce fait, il est normal que les suivants subissent ce genre de bizutages (car oui, que tu le veuilles ou non, certaines activités – tous cercles confondus – se rapprochent plus d’un bizutage militaire soviétique que d’un parcours initiatique censé guider les

bleus, nouveaux étudiants pour la plupart, dans ce monde inconnu qu’est l’Université). Rares sont les activités ayant pour but l’apprentissage du folklore estudiantin. C’est bien dommage, d’autant plus que, comme mentionné cidessus, l’écrasante majorité des bleus, et ce depuis pas mal d’années, termine sa bleusaille sans avoir compris grand-chose au folklore. Mais le pire, c’est que quand un bleu curieux tente de changer la donne en essayant d’en savoir plus sur ce même folklore, la réponse qui revient trop fréquemment est « ça ne te regarde pas encore ». À toi, cher bleu et chère bleuette nouvellement baptisés, sache que ton opinion ne compte pas dans le folklore. La prochaine fois que quelqu’un te dira cela, passe ton chemin car des conneries pareilles ne valent pas la peine d’être écoutées. Bien entendu, l’avis de personnes baptisées avant toi peut parfois s’avérer plus constructif que le tien, et ce de par leur plus grande expérience dans la vie étudiante académique ou folklorique.

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Néanmoins, dire « amen » à chacune de leur phrase n’amènera rien de bon. Forge-toi ton propre avis, examine ce que l’on te donne pour vrai et prend ton courage à deux mains en osant remettre certaines choses en question. N’hésite donc pas à proposer de nouveaux concepts de soirées, à valoriser les conférences organisées par ton cercle, … À toi, cher poil et chère plume, si désireux de porter ce bout de tissu si célèbre au sein de la communauté folklorique étudiante et que l’on nomme « toge » : saistu qu’il existe de multiples manières de se faire remarquer pour avoir le privilège de la porter, autrement qu’en ornant ta penne de pléthore d’insignes dont une grande partie ne reflète en rien ta personnalité, en terminant la plupart de tes TD ivre mort et échoué sur la baleine , en « faisant tes preuves » en gueulant sur des bleus, ou encore en beuglant sur tous les toits que tu es folklo parce que la visière de ta penne est cassée ? Il est par exemple 68

possible de montrer que tu es raisonnable en étant capable de rentrer chez toi après une soirée ou une tournée, sur deux pattes comme un vrai bipède et non comme un chien boiteux, tout en ayant passé un chouette moment. Prends ton rôle de poil ou de plume à cœur en

aidant les bleus au lieu de les trasher, ou en t’intéressant au folklore (non, pas ce folklore fait de litres d’houblon, de gerbe et d’humiliation ; ce folklore fait de conférences, de chants et d’Histoire). Surtout, fais-le avant tout pour toi-même et non pour « marquer » des points. À toi, cher comitard et chère comitarde, ayant

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un réel penchant pour le copinage lors des élections de toge. Tout le monde se doute qu’un comité de baptême doit être un minimum soudé et s’entendre ; il semble de ce fait évident de choisir ses amis. Néanmoins, ne trouves-tu pas enrichissant de prendre des personnes qui, à première vue, ne partagent pas les mêmes centres d’intérêts que toi mais dont les atouts – la possession du BEPS, une certaine expérience dans le scoutisme,… – pourraient s’avérer fort utiles en acti ? Quand, en acti, on peine à trouver un comitard ayant des notions de secourisme pour assister un bleu qui fait un malaise ou qui s’est ouvert un membre, il y a de quoi rester perplexe … Il en va de même quand des bleus doivent rester gueule en terre, vingt minutes durant, parce que leurs comitards n’ont pas d’idées d’occupation entre deux stands et sont trop saouls pour se creuser les méninges.


Oui, les poils et plumes sont là pour vous épauler mais gardez quand même à l’esprit qu’être togés, ce n’est pas juste balancer du café sur les bleus, signer des carnets et se buter vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Être togé implique un grand investissement dont une préparation complète et responsable des activités, ainsi qu’un « enseignement » à transmettre aux bleus. Cela, certains ont tendance à l’oublier. À toi cher fossile, critiquant un folklore que tu ne connais que de l’extérieur. La grande majorité des baptisés peut concevoir que la vue d’une bande de joyeux lurons/gros veaux, nus comme des vers sous un bout de tissu dégoulinant de pisse et de bière, ou de bleus « bizarrement tondus » et vêtus de T-Shirt sentant à des mètres la charogne, est quelque peu bizarre. Ayant vu cela, donc, il serait légitime que tu penses que le folklore, au final, est un concept très inconsistant. Permets-moi cependant de te demander si tu as déjà participé à au moins une activité de baptême en tant que bleu. Si ce n’est pas le cas cela signifie, d’une part, que personne 69

ne t’a obligé à commencer une bleusaille, et que d’autre part, comme on le répète régulièrement aux jeunes enfants, on est en droit de te demander comment tu peux ne pas aimer quelque chose sans l’avoir essayé. Nous, baptisés, respectons ton choix de non-participation au baptême.

pour commémorer, ensemble, la fondation de notre Alma Mater. En guise de conclusion (parce qu’il faut bien terminer ce torchon) : agissons chacun de notre côté pour un folklore plus responsable, plus tolérant et plus réfléchi. Hélas, aucune solution miracle n’existe, qu’on se le dise tout de suite. Mais ne perdons pas de vue que ce sont les petits ruisseaux qui font les grands fleuves.

} Le Huard Cancanier

Toutefois, en contre-partie, nous te demandons de bien vouloir respecter le nôtre et de nous laisser vaquer à nos activités. En outre, sache qu’aux dernières nouvelles, aucun nonbaptisé n’a été lynché en tournée, à la Jefke ou en cantus ; tu es donc, si tu ne l’avais toujours pas compris depuis ton entrée à l’unif, le bienvenue à une kyrielle d’activités dont les tournées, soirées, Thé Dansants, conférences, et surtout la Saint-Verhaegen BULLETIN DU CERCLE DU LIBRE EXAMEN | DÉC. 2015 | N°56


DE LA MORT DE L’ETAT-SOCIAL ET SES CONSÉQUENCES : QUAND LA VIOLENCE

POPULAIRE RÉPOND À LA VIOLENCE SOCIALE

Ce n’est plus un secret

pour personne : l’Etat-Social, protecteur du faible et du travailleur, vit ses dernières heures, et est voué à être sacrifié sur le sacro-saint autel du culte de ce néolibéralisme dérégulé, après quoi sa carcasse sera jetée dans la fosse aux chiens et oubliée de tous, comme s’il n’avait jamais existé…

Pourquoi la mort de l’Etat-Social ? Le motif principalement invoqué pour restreindre son effectivité dans un premier temps (et le réduire à néant ensuite) est son coût : dans la vision de ce libéralisme dérégulé, tous les frais réduisant les bénéfices nets du patronat et des actionnaires sont toujours caractérisés par ces mots : « trop élevés ». Il est vrai qu’il est onéreux, mais en quoi est-ce problématique ? Les rentrées étatiques ne permettent pas de le financer de la sorte. En même temps « si on pioche dans les mauvaises poches, il ne faut pas s’étonner de ne rien y trouver »… Il y a déjà là un premier problème identifié : l’impôt n’est pas prélevé

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équitablement . C’est un secret de polichinelles : en Belgique, une grosse entreprise paye moins d’impôts qu’une personne physique. Pour le dire plus concrètement, alors que certains d’entre vous et de vos parents se font littéralement tondre par l’impôt, certaines sociétés localisées notamment en Wallonie, dont les bénéfices se comptent en centaines de millions (voir en milliards…), paient moins de 700€ d’impôts… nous pourrions rationnellement en conclure que la Matrice a violemment dysfonctionné tant cette situation semble irréaliste… Mais nous ne sommes pas dans la Matrice… Et tout ceci est bien réel… Mais une chose nous turlupine plus encore : pourquoi parle-t-on d’un budget déficitaire pour l’Etat ? Ceci n’a aucun sens, l’Etat n’est pas une entreprise. Expliquons-nous. L’Etat a pour charge d’assurer le fonctionnement des voies de communication, d’entretenir une armée, d’assurer des soins de santé, de mettre en place un système éducatif etc… notons que toutes les

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branches à sa charge sont déficitaires par essence : il est strictement impossible de générer du profit dans des secteurs où il n’y a que des dépenses, cela tient du simple bon sens. Ce déséquilibre économique intrinsèque au fonctionnement d’un Etat est la raison d’être de l’impôt : assurer un certain « équilibre économique ». Cela n’a aucun sens d’exiger de l’Etat qu’il ait de manière autonome un budget en équilibre, voir rentable, comme on le fait aujourd’hui : l’Etat n’étant pas une entreprise, il est totalement incohérent d’attendre de lui qu’il soit géré et agisse comme tel… Alors de deux choses l’une : soit l’Etat prélève effectivement un impôt équitable, et donc certains paieront plus que d’autres, soit on lui refuse de se financer par l’impôt et on le traite comme un simple agent économique, mais dans ce cas il doit pouvoir agir comme tel : cela signifie qu’il aura le droit de concurrencer le secteur privé dans les domaines rentables comme ceux de l’énergie…


Bizarrement, les mêmes qui lui reprochent d’avoir un budget déficitaire crient au scandale dès qu’on évoque l’hypothèse d’avoir des entreprises nationales... pourquoi ?

Et ses conséquences… La manifestation Nous nous permettons ici une petite digression. Une manifestation étant censée être l’expression d’un mécontentement populaire, elle est par définition sujette à de probables débordements. Or nous constatons qu’aujourd’hui il n’en est rien. En effet, les manifestations ne sont plus que des sortes de fêtes, au cours desquelles les manifestants chantonnent leurs slogans, griffonnent quelques jeux de mots sur des bannières et des pancartes, sourient lorsque les journalistes leur demandent les raisons pour lesquelles ils manifestent,

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et au cours desquelles sont parfois même organisés des concerts et des barbecues… Où est l’expression du mécontentement populaire ? Où est l’expression de sa colère ? À l’époque

la simple idée que les travailleurs fassent grève faisait craindre le pire au Patronat. Aujourd’hui cela veut juste dire qu’il y aura des bouchons sur la route… Nous invitons les syndicats à réfléchir sur les raisons de ces changements et à veiller à ce que les manifestations retrouvent toute leur pertinence, faute de quoi elles sont vouées à disparaître, ou à être à ce point dénaturées qu’elles ne se différencieront plus d’un événement festif urbain.

Le prix de la Liberté et celui des acquis sociaux Machiavel l’avait déjà compris : on peut oppresser une population jusqu’à un

certain point sans qu’elle ne se soulève, mais il faut prendre garde à ne pas atteindre le point de rupture… faute de quoi l’Oppresseur y perdra, à coup sûr son Pouvoir, et très probablement sa vie…

Le prix des acquis sociaux est le même que celui de la Liberté : celui du Sang. L’Histoire l’a démontré : les principaux acquis sociaux n’ont pas été acquis autour d’une table en blablatant poliment autour d’un verre de café ou de jus d’orange et d’une gaufrette bon marché, mais suite à des émeutes, des révoltes, des pillages et des incendies… en un mot : par la Violence. On l’a encore vu l’année passée : alors que l’ampleur de la manifestation organisée par les syndicats aurait dû faire réagir les pouvoirs publics, ceux-ci ne se sont montrés réceptifs qu’au « saccage des dockers », dockers qui n’ont jamais endommagé qu’une trentaine de véhicules.

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Tout comme la Liberté et le Pouvoir, les acquis sociaux ne se quémandent pas : ils se prennent. N’oublions pas que pour avoir ces acquis sociaux, beaucoup y ont laissé leurs vies, nous n’avons pas le droit d’abandonner ces acquis comme si de rien n’était, comme s’ils nous avaient simplement été accordés par l’Etat. « Les Morts se souviennent de notre Indifférence. Les Morts se souviennent de notre Silence. ». L’Etat était à la solde du Patronat, et manifestement, il l’est à nouveau. D’ailleurs ce libéralisme économique déshumanisé n’en est pas à son coup d’essai, et ne tente même plus de dissimuler sa laideur par le verbe : lorsque Delhaize a annoncé les licenciements massifs, la bourse ne l’at-elle pas récompensé en augmentant la valeur de ses actions ?... Et la simple locution « ressources humaines » n’est-elle pas la preuve que le travailleur n’est plus un individu, mais bien une « ressource », comme le sont le bois, l’eau, et les métaux ? N’est-il plus qu’un vulgaire maillon interchangeable sur une chaine de production de bénéfices ? On dit souvent que la relation patrontravailleur est la métaphore de l’esclavage… pour combien de temps encore ?

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Certains pensent que la loi sera gardienne des débordements. Nous pensons qu’il n’en sera rien : elle était déjà censée l’être à l’époque, et a plié face à la colère du peuple, comment croire qu’elle ne pliera pas de nouveau ?...

Conclusion En conclusion, pour que cesse la violence populaire, il faut d’abord que cesse la violence sociale… cela tient du simple sens commun. Mais il est également crucial que ce néo-libéralisme se ré-humanise : sa toute puissance économique de fait ne le protégera pas d’une colère populaire… et il sera pris au piège dans ce brasier social qu’il aura luimême allumé… Oui, l’Etat Social coûte cher. Mais la Paix Sociale a un coût. Et la Paix, « ce n’est pas l’absence de Conflits, c’est le Règne de la Justice »… Si la Masse Ouvrière ne respire que l’injustice, il est illusoire de croire qu’elle restera calme… nous terminerons par cette citation, parfaite métaphore de notre propos : « Le feu ne peut subsister qu’en absorbant l’air, et il devient d’autant plus violent qu’il en absorbe davantage ».

} Le Phoenix Noir

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FUNÈBRE VISION Comment décrire ? Quels mots prendre ? Tout à l’heure, nous avons traversé Meaux encore figé dans l’immobilité et le silence, Meaux avec ses bateaux-lavoirs coulés dans la Marne et son pont détruit. Puis, nous avons pris la route de Soissons et gravi la côte qui nous élevait sur le plateau du nord … Et alors, subitement, comme si un rideau de théâtre s’était levé devant nous, le champ de bataille nous est apparu dans toute son horreur. Des cadavres allemands, ici, sur le bord de la route, là dans les ravins et les champs, des cadavres noirâtres, verdâtres, décomposés, autour desquels sous le soleil de septembre, bourdonnent des essaims de mouches ; des cadavres d’hommes qui ont gardé des pauses étranges, les genoux pliés en l’air ou le bras appuyé au talus de la tranchée ; des cadavres de chevaux, plus douloureux encore que des cadavres d’hommes, avec des entrailles répandues sur le sol ; des cadavres qu’on recouvre de chaux ou de paille, de terre ou de sable, et qu’on calcine ou qu’on enterre. Une odeur effroyable, une odeur de charnier, monte de toute cette pourriture. Elle nous prend à la gorge, et pendant quatre heures, elle ne nous abandonnera pas. Au moment où je trace ces lignes, je la sens encore éparse autour de moi qui me fait chavirer le cœur. En vain le vent soufflant en rafales sur la plaine s’efforçait-il de balayer tout cela : il arrivait à chasser les tourbillons de fumée qui s’élevaient de tous ces tas brûlants ; mais il n’arrivait pas à chasser l’odeur de la mort. « Champ de bataille » ai-je dit plus haut. Non, pas champ de bataille, mais champ de carnage. Car les cadavres ce n’est rien. En ce moment, j’ai déjà oublié leurs centaines de figures grimaçantes et leurs attitudes contorsionnées. Mais ce que je n’oublierai jamais, c’est la ruine des choses, c’est le saccage abominable des chaumières, c’est le pillage des maisons …

Lettres de René Jacob à son épouse Lucie, 1915.

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René trouva la mort l’année suivante sur le front de Verdun. L’an passé, alors que tu tournais ou que tu comatais après un enfermement, plusieurs commémorations avaient lieu un peu partout dans nos régions.

Sais-tu ce que l’on commémorait ? On célébrait le macabre centenaire de la Première Guerre mondiale. L’intérêt des commémorations était de rendre hommage à tous ces hommes – militaires de carrière, artisans, paysans, étudiants, professeurs, … – morts pour des idéaux qui les dépassaient. Sans oublier, bien entendu, les

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nombreux civils innocents – dont des femmes et des enfants – fusillés ou victimes de bombardements. Ce fut une guerre d’une extrême brutalité durant laquelle des générations entières de jeunes gens – parfois à peine majeurs – issus des pays de la Triple-Entente ou de la Triple-Alliance, ont été fauchées par les mitrailleuses. Cette guerre engendra pour la première fois, un impressionnant nombre de gueules cassées. Des milliers de soldats devinrent fous en raison du bruit monstrueux de la guerre, des insupportables secousses d’obus ou de la crainte quasi permanente des gazs. Si tout cela ne t’est pas familier, je te suggère qu’au lieu de

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glander à longueur de journées sur Facebook, Snapchat ou autres débilités modernes, informe-toi ! Nous voici en 2015, soit cent ans après la première année de la Grande Guerre. Il est encore temps de te rattraper en ayant une petite pensée pour tous ceux morts suite à une charge vouée d’avance à l’échec, fusillés parce que « franc-tireurs », tués parce qu’un artilleur a déversé une pluie d’obus sur leur village ou morts à la suite d’une longue et pénible agonie sur le « no man’s land ».

} Le Huard Cancanier


DE LA RÉIFICATION DE L’ÊTRE ET DE SA MARCHANDISATION La Réification de l’Être

est un processus en cours de réalisation qui étrangement, alors qu’il nous concerne tous, suscite peu de réactions. Nous ne nous expliquons pas cette inaction. Peut-être que la plupart d’entre nous n’en sont pas tout à fait conscients. Il y a bien eu quelques cas d’indignation, mais toujours qualifiés autrement que par cette locution, comme ce fut le cas lorsque dans les années septante des féministes avaient crié au scandale en plein défilé de miss en scandant « la femme n’est pas un objet ». Dans son principe, c’est loin d’être un phénomène récent, l’humanité ayant déjà connu l’esclavage. La nouveauté tient plutôt à sa perfidie, à sa volonté de dissimuler son ignominie par le Verbe, allant parfois même jusqu’à employer un vocabulaire oxymorique visà-vis de son essence. Mais par quelles voies l’Être est-il réifié ?

Par l’Economie

Par la Publicité

Comme souvent, l’Economie est l’initiatrice, c’est à elle que profite ce processus, ou plus précisément, a ses acteurs les plus influents. D’un certain point de vue, on peut définir l’Economie comme étant la Réification de certains Êtres par d’Autres. Des locutions telles que celles de « ressources humaines » comptent parmi les preuves les plus flagrantes de sa Volonté réificatrice : ne parle-t-on pas habituellement de ressources naturelles ? L’Être serait-il considéré comme une vulgaire ressource, dont le destin se résume à servir de combustible au moteur de la toutepuissante Economie? Il est assez surprenant de constater que la plupart des gens acceptent leur sort sans opposer la moindre résistance, tel un troupeau de moutons se dirigeant vers l’abattoir... pourtant, « il suffit parfois d’un peu de sable dans un mécanisme pour l’enrayer… ».

C’est l’un des aspects les plus pervers du processus, particulièrement pour les femmes. Une petite anecdote nous permettra de nous expliquer. Il y a quelques mois, nous avons vu une affiche publicitaire pour une montre de la marque « Esprit » (si notre mémoire ne défaille pas). Elle était torse nue, un bras replié sur ses seins, l’autre arborant une montre. Il y a là une incohérence incommensurable : la femme est censée être l’Être, occupant la place d’élément principal dans cette relation, et la montre est censée être un objet destiné à la mettre en valeur, n’ayant donc que le statut de simple accessoire, ce qui est logique, puisque la montre est censée être l’élément de parure. Or nous constatons qu’il n’en est rien : ici, c’est la montre qui est l’élément principal, la femme étant réduite à être l’élément de parure d’un accessoire, puisque c’est elle qui met la montre en valeur. En définitive, elle n’est donc plus que la parure de la parure, soit l’accessoire de l’accessoire.

Nous reviendrons sur d’autres considérations économiques plus tard, ces dernières nécessitant selon nous d’autres précisions.

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Ce schéma-type se répète dans la plupart des publicités, où la femme est systématiquement nue ou presque, que ce soit pour du shampoing ou des yaourts, et qui sait, peut-être bientôt pour des détergents de toilettes... elle est également souvent réduite à un simple objet de désir charnel, que ce soit pour des parfums ou encore lorsqu’on la voit couchée sur le capot d’une nouvelle voiture. Ce statut ne semble pas déranger plus que ça celles qui se revendiquent comme étant les plus ardentes défenderesses de ces Nouveaux Féminismes, plus communément appelées « chiennes de garde »... on peut donc en déduire qu’elles ne se considèrent pas comme les gardiennes de la dignité de la femme…

de payer un loyer et de vivre décemment, ce travailleur est libre : en effet, il était en mesure de choisir l’employeur qui le sous-paierait. Rappelons qu’au moins au temps de l’esclavage, les choses étaient plus claires : l’esclave n’avait pas de droit et le savait, et le maître veillait à ce que l’esclave soit nourri et logé. Bien que le raisonnement

Par le Verbe Étrangement, tout ce qui touche à la Réification de l’être est systématiquement rattaché au champ lexical de la Liberté. Ainsi le libéralisme qui a grandement favorisé ce processus a bien pour racine étymologique « liber ». Il semble en effet qu’au jour d’aujourd’hui on considère que dans un système où le travailleur puisse « choisir son employeur », qui le souspaiera de telle sorte qu’il ne sera pas en mesure

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puisse choquer, il est tout à fait cohérent : l’achat d’un esclave était un investissement, il était donc de l’intérêt du maître de le « conserver en bon état ». N’extrapolons toutefois pas ce propos : le traitement qui leur était réservé était inhumain, ce qui était logique vu qu’ils avaient été réifiés. C’est aussi au nom d’un

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libéralisme (au sens plutôt philosophique ici) aisément rattachable à l’existentialisme que l’on a invité « l’Être à se modifier », notamment par le biais de la chirurgie esthétique qui constitue la forme de réification physique de l’être la plus violente observée à ce jour, l’atteignant jusque dans sa chair et avec, la plupart du temps, l’Illusion de son consentement. Le Transhumanisme serait l’achèvement logique de ce processus de Réification : là, l’Être ne serait plus la métaphore d’un engrenage au service du profit, il le serait physiquement. L’Illusion de la Liberté et du Consentement est systématiquement mise en avant lorsque la question est posée à l’Elite Patronale : lorsque la question du traitement des hôtesses a été posée au patron de Ryanair, il a répondu que « les travailleurs peuvent partir quand ils veulent, l’esclavage c’est fini ». Si l’on comprend aisément la nécessité du côté politiquement correct d’un tel propos, on saisit mal son effectivité concrète et pragmatique : quel travailleur de base peut se permettre de quitter son travail sans avoir les ressources assurant sa survie sociale ?


Après tout, la nécessité d’un revenu économique n’est-elle pas la nouvelle chaîne de cet esclave des temps modernes qu’est le travailleur ?... Une fois l’Être réifié au nom de la Liberté, qu’est-ce qui l’empêchera d’être l’objet du Commerce, voire même à nouveau explicitement un esclave ? Poussons la perversion plus loin, qui peut le plus peut le moins : qu’est-ce qui empêcherait de fractionner la vente de l’Être, et donc de n’acheter que certains de ses organes ? Et puisqu’on peut « vendre du blé qui n’a pas même été semé », qu’est-ce qui empêcherait de vendre ou d’acheter les organes d’un être qui ne soit pas encore né ? En quoi les êtres ainsi

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constitués différeraient-ils du bétail ? Bien que tout ceci puisse paraître d’un alarmisme délirant, nous sommes déjà sur le Seuil des Portes de la Démence : des usines à bébés n’ontelles pas été démantelées en Afrique récemment ?.... S’il est possible de vendre des fœtus, qu’est-ce qui empêcherait de rétablir l’Esclavage au nom de l’Illusion de la Liberté ?...

introspection. Nous finirons tous dans la Machine, c’est une quasi-certitude. Mais nous avons un choix à faire : soit nous devenons Engrenages, soit nous devenons Grains de Sable…

} Le Phoenix Noir

Conséquences La Réification de l’Être n’est pas un processus récent. Il est crucial que nous soyons conscients qu’il est en cours, en ce moment-même. Mais ce n’est pas une raison pour se résigner. Que chacun se pose les bonnes questions, que chacun fasse une

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CRITIQUES

À VOIR, À LIRE

Marcel Moreau est un sauvage de la littérature. La liste de titres barbares qui jalonnent son oeuvre en témoigne : Quintes, La Pensée mongole, Bannière de bave, L’Ivre livre, Julie ou la dissolution, etc. C’est l’une des rares plumes belges dont le talent stylistique a pu se hisser au-dessus des résidents de l’Hexagone – et qui a été salué pour cela par des auteurs tels qu’Anaïs Nin, Jean Paulhan ou Simone de Beauvoir. Obsédé par la question de la femme, comme celle de l’irrationnel, sa prose est comme un vaste tourbillon de pulsions rythmées, tantôt sanglantes, tantôt lyriques ; son souffle est celui de l’extase, avec des expirations vengeresses et d’occasionnels relents morbides. Et c’est de mort qu’il est ici question dans cette brève et puissante nouvelle de Marcel Moreau, Noces de mort.

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DU RÉDAC’ CHEF Il s’agit d’un chefd’œuvre vespéral, viscéral, crépusculaire, passionné et moite de toutes les sueurs, de sang comme de sexe, que puisse faire ruisseler un si petit livre. Concentré de fièvre, c’est une soixantaine de pages sur un couple de condamnés à mort – l’homme pour meurtre, la femme par maladie – qui prend le chemin de la petite mort pour aller vers la grande, à deux, dans une furieuse et fusionnelle dernière étreinte. Ce chemin mystique sera l’occasion d’éprouver l’amour dans son absolu le plus total. Les deux protagonistes, dont l’identité abstraite se dévoile avec parcimonie au fil du récit, s’aiment d’autant plus qu’ils savent l’issue inéluctable... La mort pour eux sera dès lors la sublimation radicale de leur union ; le moyen d’une tension ultime où toutes les émotions seront exacerbées. Cette nouvelle est une boule de nerfs qui nous souffle et nous emporte avec elle, et je ne peux m’empêcher de vous en présenter un extrait, révélateur du talent de l’écrivain : « Et tout le voyage, nous l’avons pasés en caresses, en aveux, en

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tremblements. Nous prenions à peine le temps de nous connaître mieux. Des questions comme «Que faites-vous ? Où vivez-vous ? Aimez-vous la musique, la littérature, la peinture ?», nous ne les formulions qu’à demi, comme si nous avions su, de toute éternité, que nous partagions la même passion, incandescente, de la vie et des beautés de la vie. Et de la mort, et des séductions de la mort. Nous leur donnions des réponses balbutiantes, fiévreuses, parfois bâclées, pressées par l’essentiel, l’Amour, l’Amour, l’Amour. Je t’attends, ma divine, j’attends ta voix, ta peau, tes inflexions slaves, tes jambes inventives, tes façons débridées et tes façons pieuses, ton art de faire désordre et accord tout ensemble, tes doux mots insomniaques, ta mollissante bouche, tes mots d’avant la pudeur des mots, tes rires adultères, tes longs secrets humides, ta gorge déployée et ta gorge envahie, tes seins dont j’ai si soif, tes reins dont j’ai si faim, ton corps sans précédent... Reviens, reviens tellement plutôt que prévu que j’en serai de joie anéanti, à tes pieds prosterné, courbé sous ta grâce parfaite... Reviens... »


La France contre les robots, Georges Bernanos, éditions Le Castor Astral, 2009 Il est bon de revenir sur ce livre prophétique, merveilleusement écrit au vitriol. Bernanos fut cet écrivain acclamé, auteur du Journal d’un curé de campagne ou de Sous le soleil de Satan, ancien camelot du Roi devenu défenseur des Républicains espagnols puis résistant au nazisme. Moins connu est sans doute le grand pamphlétaire, celui qui sans cesse prit d’assaut le monde moderne, de sa jeunesse jusqu’à sa mort. Un héros ? Non point ! Comment oublier son apologie de l’antisémite Drumont ? Bernanos, en qui Camus voyait « un écrivain de race » et à qui Simone Weil, partie combattre le fascisme en Espagne, dédiait une lettre de remerciement pour sa critique du camp franquiste

(qu’il fit dans Les Grands Cimetières sous la lune), fut monarchiste et antisémite, oui. Mais Bernanos ne se résume pas à la somme de ses erreurs et de ses vices. Son christianisme fut avant

tout éthique chevaleresque et populisme radical – voire révolutionnaire. Ainsi, Bernanos dresse dans cet ouvrage un réquisitoire féroce contre la société qu’il sentait se profiler au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale. Une société où la Technique et la Machinerie, élevées au rang d’idoles modernes, se

Le Business est dans le pré, Aurélie Trouvé, Fayard, 2015 Lecture nécessaire pour tout militant écosocialiste, l’ouvrage d’Aurélie Trouvé, membre du collectif ATTAC – et par ailleurs candidate malheureuse à la direction

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voient octroyer une place tellement grande qu’elles semblent remplacer la liberté des hommes. Les hommes, lorsqu’ils y croient encore, ne savent même plus s’en servir... Capitalistes, fascistes ou marxistes, qu’importe, qu’ils la nient ou la revendiquent, ils ont tous oublié « sur le coin de la route » cette grande amie, si exigeante, de l’homme. Face aux « robots », au Progrès incontrôlé ; face, aussi, à l’esprit économique qui forme et est formé par l’« homme économique » – ses analyses augurant déjà la mondialisation techno-marchande et ses délocalisations –, Bernanos oppose l’esprit de la grande Révolution de 1789, « révolution de l’Homme, inspirée par une foi religieuse dans l’homme ». Un esprit animé d’idéal, apte à conjurer les « réalismes » en tout genre et à s’opposer frontalement au règne combiné du Marché, de l’État et de la Machine.

du FMI – est un passionnant essai, entre pamphlet et ouvrage didactique, qui revient sur la condition paysanne et les dégâts de l’agro-industrie. Le marxisme orthodoxe a durant longtemps négligé cette classe populaire rurale dont les vices furent fustigés par Marx lui-même.

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Tout y passe, donc : la concurrence déloyale des fermes à taille inhumaine (la plus connue dans l’Hexagone étant le projet d’une ferme aux « 1 000 vaches », chiffre presque banal dans un pays comme les États-Unis) ; le productivisme effréné dans lequel les agriculteurs sont poussés par le marché – et grâce entre autres au détricotage de la PAC par les eurolibéraux –, avec le gaspillage qui en résulte ; les grands syndicats bureaucratisés qui ne défendent plus de modèle

alternatif de production ; l’exploitation d’une main d’œuvre étrangère corvéable à merci ; le libreéchange, qui ravage les productions locales dans les pays moins industrialisés ; le « green-washing » du capitalisme, qui permet à certaines multinationales de se donner une image écologiste tout en continuant leur destruction de la nature et des hommes ; etc. Un livre documenté, nourri à la fois d’expériences pratiques et de réflexions théoriques. On lui reprochera cependant une

certaine modération, assez incompréhensible, dans ses solutions proposées — et notamment l’éternel appel à une Europe sociale, avec fiscalité homogénéisatrice, ainsi qu’une critique rapide des partisans du protectionnisme. Aucune réflexion sur la décroissance n’est présente non plus, ce qui semble indiquer que l’auteure pourrait se contenter éventuellement d’un capitalisme étatique régulé, sans aucune modification des comportements quotidiens des citoyens européens.

Lettres de Mademoiselle féminin. Une subversivité réelle S., éditions Gallimard, en des temps pré-soixante2015

eu le double déplaisir de me retrouver à côté d’un vieil homme étrange, à la respiration bruyante, et qui ne cessait de regarder sa braguette durant chaque scène de cul. « Certes, amour chéri, j’ai pensé à toi hier soir comme je pense tous les jours. Mais cette caresse solitaire ne calme pas mes sens aussi complètement que je le voudrais. Il me manque toujours son étreinte, mon cher amant, et rien ne peut pour moi l’égaler car tu sais trop bien me prendre et le seul contact de ta jeune chair sur ma croupe suffit déjà à faire naître en moi une ivresse délicieuse. [...]

Fascinante lecture : Lettres d’amour de Mademoiselle S. (19281930), publiées aux éditions Gallimard. Débridées, passionnées, déchirantes. Un ensemble de lettres d’une femme de l’époque, dont le ton et la crudité du vocabulaire sont comme un affront aux puritains et aux modernes arrogants qui semblent imaginer que la sexualité de mamy se résumait au missionnaire une fois tous les lustres, lumière éteinte et dans le silence. Il s’agit de la correspondance érotique d’une inconnue découverte grâce aux miracles du déménagement, avec l’intérêt de n’avoir pour une fois que le point de vue 80

huitards, une histoire de sexe et d’amour virulente, à savourer puis méditer après avoir visionné la profonde et pénétrante médiocrité du dernier film Love de Gaspar Noé, qui semble croire avoir réinventé la roue parce qu’il l’aurait filmée en mouvement avec une caméra 3D. Dix balles pour se faire gicler à la face, au sens propre comme au sens figuré, on peut se demander qui est réellement baisé dans l’histoire avec une telle vacuité scénaristique. En ce qui me concerne, j’ai

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Tokyo Sonata, Kiyoshi Kurosawa, 2008 Voici une magnifique découverte de Kiyoshi Kurosawa – l’autre Kurosawa, vivant et plus connu pour ses films fantastiques –, Tokyo sonata, un film tragi-comique, où les élans de burlesque (surtout vers la seconde moitié du film, où le rocambolesque frise parfois le n’importe quoi) font aussi la part belle aux moments de légèreté, de tension, de tristesse et de désespoir. Il a été présenté au festival de Cannes dans la section Un certain regard. Il s’agit d’une histoire de drame familial, cas classique dans le cinéma japonais. On y suit la lente chute aux enfers d’une famille de la classe moyenne japonaise, à la suite du licenciement du père. Touche potentiellement critique du réalisateur : on apprend au passage que son entreprise préfère embaucher des Chinois en Chine qui coutent trois fois moins chers que les employés japonais. Le père, pour tenter de garder la face dans une société corsetée par le qu’endira-t-on et le patriarcat, va d’abord vagabonder dans Tokyo en costumecravate, pour ensuite subir les diverses humiliations liées à la recherche d’un emploi et finir comme homme de ménage dans un centre commercial. Au même moment, le reste de la 81

famille se décompose, le fils ainé allant combattre dans l’armée américaine, le fils plus jeune devant cacher sa passion et son don pour le piano, et la mère laissée à l’abandon, incapable de nouer des liens avec tous et de faire tout tenir ensemble, vivant au détour d’une prise d’otage foireuse une brève aventure avec un cambrioleur raté. On entraperçoit au travers de cette fresque le récit plus

large du rafiot à la dérive qu’est devenu le Japon, victime terrible de la mondialisation, subissant de plein fouet ce capitalisme qui selon Marx et Engels « a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petitebourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste » et « déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent. » L’autorité du

père, devenue risible dans un monde où l’argent est devenue l’unique autorité et où la servilité larbine est de rigueur, n’est plus que prétexte à la moquerie. Les adultes semblent incapables de tenir debout, fantasmant le table rase, le recommencement irresponsable. Les enfants qui vivent au même moment cette médiocrité, ce manque total de sens et de sensibilité de la civilisation moderne, se trouvent des échappatoires, l’un dans une aventure fantasmée de soldat, l’autre dans la musique. Kurosawa nous illustre ainsi que la destruction de la famille, la perte d’autorité parentale, ne sont pas tant des actes d’autonomie, que le résultat d’un système devenu fou qui plonge tous dans un océan de monotonie conformiste, de soumission à l’autorité extérieure – du patron, du recruteur, de l’Etat –, de vide de sens et de conservatisme futile. Seul îlot d’espoir : celui du fils prodige, apte à sauver ses parents, dans une fin quelque peu incongrue dont la morale oscille entre optimisme artistique, rôle salvateur de la jeunesse et renaissance par le chemin de croix.

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MUCH LOVED : ATTENTAT CONTRE } Hamza Belakbir Président

Dans cet appartement

en plein Gueliz, Noha, Soukaïna et Randa dînent et s’éclatent en discutant de leurs mésaventures sexuelles, parsemant leurs répliques du jargon de la rue marocaine. Elles savent surtout rire à contrecœur, mais ça, c’est pour leur profession. Dans Much Loved, le film marocain censuré dans les salles du royaume*, l’humour est salutaire pour ces jeunes prostituées, un palliatif loin d’arrondir les angles d’un longmétrage dans lequel on va expérimenter le meilleur exercice de désacralisation que le cinéma marocain ait jamais connu. Depuis Ali Zaoua, le cinéma de Nabil Ayouch, – réalisateur franco-marocain – a l’habitude de délier les langues cousues de fil blanc. Il déstabilise l’image de vitrine touristique du Maroc dont dispose Marrakech, il en déchiquète la carte postale et nous plonge dans l’univers nocturne de la ville rouge. L’histoire débute par une soirée organisée dans une de ces villas gigantesques comme en ont les Tom Cruise, David Beckham et une poignée de princes pétro-dollaresques, où les

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LA PUDEUR MAROCAINE lamentations se murent. Nos bnat pimpées jusqu’aux orteils se joignent à d’autres devant un gratin de Saoudiens, maîtres d’une fête aussi orgiaque qu’humiliante durant laquelle les prétendantes s’enfiévrerent d’alcool et de lap dances. La mise en bouche de Nabil Ayouch annonce le ton d’une chronique en immersion, inspirée lors de l’écriture par les témoignages de dizaines de prostituée. Moins pour isoler sa fiction des poncifs du plus vieux métier du monde que pour parfaire un réalisme exempt de tout propos romantique ou misérabiliste. L’intérêt se trouve dans les errements à travers les moments de solitude de ces filles, qu’il a voulus portraiturer frontalement, sans concessions pour la frilosité des bons sentiments du conservatisme marocain. Le charme magnétique de ces actrices, parfaites suinte littéralement de l’écran. Durant tout le film, nous suivons donc le trio dans les méandres de la vie nocturne que mènent les prostituées marrakéchoise, entre rencards galants dans des restaurants étoilés, parties de jambes

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en l’air dans des camions de légumes sous l’égide de Noha la meneuse, elle-même bringuebalée entre un fils caché et un homme marié. Rencontrée plus tard dans un hôpital, Hlima, une merveille sortie de sa campagne, nous séduit par sa naïveté aussi hilarante que dramatique. Sans être politiquement féministe, le film montre que des péripéties de leurs quotidiens se dégage une amitié indéfectible dans l’adversité. D’elles, se dégage rapidement une empathie singulière issue de leur liberté, de leur humanité – cette beauté intérieure à l’origine du titre arabe « Zin Li Fik ». En-deçà d’une réalité plus rude, la violence symbolique du film s’articule autour du côté « marchandisation du sexe ». Les arrangements tournent vite à la roulette russe pour un corps meurtri par des coïts sans limites, filant le sang d’une fausse couche ou le coca spermicide. Point de pères ni de proxénètes pour soutenir ces victimes au pays de l’or rose, hormis la bienveillance d’un chauffeur, dont le taxi prend vite l’allure d’un fauteuil de psychanalyste où l’on vient décompresser.


La flatterie trahit leur témérité silencieuse face à la bestialité de quelques uns de leurs clients, en échange d’un coup de pute largement mérité. Autant le dire, nos héroïnes savent ce qu’elles font et surtout, pourquoi. Car derrière ce courage qui les submerge, elles assujettissent paradoxalement les hommes, au point d’inverser les rapports de domination avec lesquels joue très bien notre réalisateur, jouant à Robin des bois, en dépouillant les riches qu’elles aguichent pour subvenir aux besoins de leurs entourage respectif. Much Loved est donc un film entier, sur les femmes autant que sur l’hypocrisie. Celle d’un Royaume, bavard sur sa censure pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine », mais permissif envers une frange de son économie autorisant des familles pauvres à subsister par l’exploitation cupide de leur rejetons. En dépit des conséquences, car l’étreinte forcée de Noha contre son fils illégitime en dit long sur l’existence de ces enfants fantômes, ces enfants 83

qu’Aïcha Chenna* sauve depuis bientôt 25 ans. Que dire du mépris silencieux de la grand-mère, qui révèle en filigrane toute l’antinomie sociétale d’un pays de facto et d’apparence libre, mais toujours enchaîné par les interdits et le fondamentalisme ? Interprète des marginalisés et marginalisées, Ayouch aimerait en dire plus, dosant les réquisitoires sousjacents, comme l’omerta sur une pédophilie sans jurisprudence, ou

l’homosexualité à l’heure où Fès lave son lynchage contre le « présumé homosexuel » qui s’est fait amocher publiquement sans que la police intervienne. En levant le voile sur les bas-fonds d’un Maroc contemporain et, par extension, sur les tabous du Maroc, il brise le mur du silence et donne une leçon de courage politique et artistique à ses collègues marocains qui rattrapent leurs incompétences à coups de sitcoms ramadanesques aussi abrutissants les uns que les autres.

Prisonnier d’une guerre de tranchée ubuesque depuis la projection au festival de Cannes, le film subit le même sort que ses héroïnes, trahi par un vol de rushs qui ont fini sur la toile pour susciter l’amalgame et le taxer de pornographie. Il décrit si justement la prostitution qu’elle nous crève les yeux. La fatwa contre Ayouch et les menaces envers l’équipe n’empêcheront pas d’ouvrir le débat public avec un peuple privé de projections. N’en déplaise aux opposants religieux, aux patriotes aveugles ou à un ministre dont l’action politique jusqu’à maintenant fut de relooker Jennifer Lopez, suite à ses habits « osés » au festival Mawazine. Afin de conclure, j’ai voulu laisser des traces de ce film dans le bulletin du Libre Examen car il s’agit selon moi plus d’une simple censure comme on en a pu en voir à moult reprises dans le monde musulman. C’est un événement qui risque de marquer les mémoires de cette jeunesse marocaine qui, ayant de plus en plus accès à une information diverse et variée, représente une lueur d’espoir pour toutes celles et ceux qui, comme moi, aspirent à un éveil intellectuel désacralisant la trinité : Sexe-Religion-Politique.

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Félicitation aux vleckés de L’ODL - Ordre des Lumières ...

Ludovic Suttor-Sorel Président 2013-14

Samuel Fuks Président 2011-12

Rachel Mahij Trésorière 2013-14, Présidente de la CoCu

Galaad Wilgos Rédacteur en chef, VP 2013-15

Nelson Briou VP 2014-15

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Louis Bersini Président 2010-11

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Maxime Campus Délégué Laïcité


Merci à toutes et à tous pour cette fabuleuse

Nuit Théodore Verhaegen !

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C HA N T DE S É TU DIANT.E .S - LE S E ME U R Refrain.

Frère, lève ton verre, Et chante ta gaieté, La femme qui t’est chère, Et la Fraternité. A d’autres la sagesse, Nous t’aimons Vérité. Mais la seule maîtresse, Ah, c’est toi Liberté!

Semeurs vaillants du rêve, Du travail, du plaisir, C’est pour nous que se lève La moisson d’avenir; Ami de la science, Léger, insouciant, Et fou d’indépendance, Tel est l’étudiant!

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Aux rêves de notre âge, Larges, ambitieux, S’il était fait outrage, Gare à l’audacieux! Si on osait prétendre A mettre le holà, Liberté pour défendre Tes droits, nous serons là!

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Une aurore nouvelle Grandit à l’horizon; La Science immortelle Eclaire la Raison. Rome tremble et chancelle Devant la Vérité; Serrons-nous autour d’elle Contre la papauté !


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Peinture de Johan Metzger, déc. 2015 - d’apès la médaille de St-V ‘60.


F o r m u la ir e d’ a dh ésion a u C e r c le d u Libr e E x amen Nom : ........................................................................................ Prénom : ...................................................................... Adresse : ............................................................................................................................................ ........................................................................................................... CP : ........................... Commune : ............................................................. Téléphone : .................................................................................... Mail : ............................................................................................................................ Je m'inscris en tant que: ○ Etudiant.e Faculté : ......................................... Année : ..................... ○ Membre du corps enseignant, scientifique / Membre du personnel ○ Ancien.ne étudiant.e Faculté : ......................................... ○ Sympathisant.e Le libre examen implique le refus de tout argument d'autorité, notamment en matière scientifique, morale ou philosophique, la mise en question permanente des idées reçues, la réflexion critique, la recherche active, de l'émancipation de l'Homme à l'égard à toute forme de conditionnement, d'assujettissement, de discrimination. Par la présente je déclare adhérer au principe du Libre Examen et m'inscris comme membre du Cercle du Libre Examen de l’université Libre de Bruxelles. Date et signature : Cotisation étudiant.e : 1€ Cotisation non-étudiant.e : 5€ Cotisation de soutien : 15€ N° de compte : 001-0334321-38


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