1997 fr lettre à l [m fi 647]

Page 1

Brief aan L. 13 december 1997

Genoteerd van scan print

Gand/Anvers, le 13 Décembre 1997

Cher L., Je t'écris ces quelques pages en pensant avec bonheur à la quand même belle amitié que nous lie déjà depuis mon enfance, les conversations que nous avons eues et aussi l'aide que dans des moments difficiles de mon imprévisible vie d'artiste tu ne m'as jamais refusée. La lutte avec l'Ange est une lutte tenible et non seulement parce que l'Ange change d'aspect sans cesse: l'exterminateur, le purificateur, celui qui protège, celui qui châtie et nous chasse du paradis, celui qui m'aime et m'aide et encore celui qui tel un gardien de Promethée m'empêche de m'échapper - grâce à ma peinture – à la/ma condition humaine qui m'écrase sur tere comme un misérable caffard. En plus, le moment le plus éffarant est celui oi je me rends compte que l'Ange - cet insaisissable - et surtout invincible que je ne peut éviter d'affronter et de subir, est en moi, est moi-même et que cette lutte incessante avec la peinture et mon obsession de par elle par tout moyen - fair reculer et en plus déplacer continuellement mes frontières, mes limites qui me coincent et m'étouffent, n'est en fait que la lutte avec moi-même et que moi-même suis l'obstacle majeur dans ma recherche de la lumière, de Dieu et de la raison de son absence. J'ai, disons, déjà derrière moi la jeunesse et ses combats que l'on veut alors surtout héroiques. La peinture ne m'a plus quitté un seul moment depuis que - étant enfant - je l'ai découverte comme tu le sais et aussi avec ton aide. J'ai travaillé, non, pas travaillé, je suis devenu la peinture, le dessin, je suis peintre, c'est non seulement mon sort, mais c'est l'unique voie, l'unique voyage, mon unique et seul 'moyen' (de survie) Je n'ai jamais peint 'beau', la belle peinture ne m'a jamais intéressé, je l'ai rejetée de prime abord. Pour moi, il n'existe pas de peinture heureuse, la grande peinture (et ici j'ose citer Bram Van Velde) a toujours quelque chose de désespéré, quelque chose d'effrayant et même de laideur. 'La vraie peinture va vers la laideur, vers l'affolement'. La peinture est pour moi un moyen, le moyen de rechercher, de capter et de montrer sous forme de métaphore, bien entendu, l"essentiel'. Est-ce la recherche d'une réponse? Je ne le crois pas, nous n'en sommes pas capables, mais c'est sûrement la création d'un métaphore de la réponse. D'ailleurs, tout art est métaphore (comme toute image de Dieu d'ailleurs), du théatre de Sophocle aux portraits de Rembrand, des cavernes de Lasceaux aux peintures de


Goya, les cruautés de Picasso, les élégants délires érotiques de Matisse jusqu'A même cette bonne vieille montagne St.-Victoire de maître Cézanne. Une métaphore sur quoi, pourquoi? Je ne le sais que vaguement: la honte de notre incapacité? Notre révolte contre et donc recherche de Dieu? La sublimation de notre errance? Que faire de la question: qui sommes nous et pourquoi - ayant reçu ce don, inouï des dieux c.a.d. la faculté de réfléchir et de créer - ne sommes nous pas capables de vaincre la mort et la misère des jours? Depuis 35 ans je n'ai cessé de ‘travailler’ là dessus: j'ai peint - d'abord comme il se 'doit' les femmes que j'ai aimées (et que j'aime encore mais que je ne peint plus sous cette forme). J'ai peint le désir dans sa splendeur énergétique et vitale. C'était une première approche de l'Ange et Dieu sait comme je les ai fréquemment approchées, les Anges Féminins. Puis j'ai peint la désintegration non seulement de ce que j'avais acquis, mais la désintégration de moi c.a.d. les combats (cfr. Delacroix: I'homme est les combats qu'il a menés), la crucifixion (nous sommes tous des crucifiés); le doute était apparu, l'angoisse et son envoutement - ils ne m'ont plus laché -; le doute est cruel, surtout celui sur des valeurs que l'on croit acquises, mais tu comprends vite que rien n'est jamais acquis (et ceci sauve l'artiste qui ôse se l'avouer). Il faut du courage, beaucoup de courage pour - inlassablement - détruire ce que I'on a construit (dans mon cas: peint) afin de renaître de ces cendres, ces ruines pour remonter plus haut, aller plus loin au dessus du ravin sur la corde raide, de toile en toile, de dessin en dessin et tout cela rongé par le doute ( la toile tiendra-t-elle, le dessin est-il véridique?), avec des chutes, de remontées lumineuses, des mensonges, des vanités mais aussi parfois de merveilleux moments ou je rattrape la peinture par la queu et où l'essentiel se trouve d portée de pinceaux. Je peins pour me protéger, conjurer mon mal de ne pouvoir accepter mon incapacité humaine (la concurrence avec Dieu, même étant artiste, est sans issue, d'ailleurs Dieu se détourne(rait) de moi en baillant!); et désespéré je peint pour me compléter, me rendre un avec ce que je ne peux nommer, mais qui pourrait être un métaphore pour la Divinité. Je suis un 'cultivateur du mystère'. L'homme devrait - bien au contraire de ce qu'il fait maintenant, aujourd'hui, dans sa vanité du rationel - non seulement accepter mais en plus cultiver le mystère; qu'est ce qui nous nourrit plus que justement le mystère, l'innomable, I'intouchable secret, cet océan sans limites sur lequel voguent sans 'savoir' vie, religion et art. Le mystère est le merveilleux; pourquoi l'approcher, l'analyser, le banaliser? Le réduire, c'est nous réduire, le rejeter, c'est nous perdre. Je cultive le mystère et mon rituel est l'image, l'imaginaire: vers où navigue le roi dans sa petite chaloupe? Que veut I'ours? Qui sont les lièvres? Que fait le bateau accroché dans les montagnes? Dieu se cache-t-il dans les nuages? L'amour est-il plus froid que la mort? Je le sais au fond de moi, mais ne peux l'expliquer ni pour moi même, ni pour les autres; je ne peux que le montrer par des images, des paraboles portées par la peinture. Le mystère me nourrit plus que la réponse, je suis très heureux que les réponses n'existent pas, car rien que l'idée qu'elles existeraient rendrait mon - notre existence - encore plus inacceptable.


Je me suis rendu compte que la force d'un tableau (et d'ailleurs la force de l'être humain en général) ne se situe pas dans son côte éclatant, vainqueur, héroïque, fulgurant, mais juste au contraire dans I'humble exposition de sa fragilité, dans ce que j'appellerais sa 'belle misère'. Manier sa fragilité comme source de création, de génie vital, demande un certain courage (pensons à Saint-François), mais cela porte en soi un envoûtement qui ne peut qu'être de grande force, de grande émerveillement. Rubens est sublime, non pas en peignant la rentrée de Catherine de Medici, ces toiles presque Hollywood-iennes du Louvre, mais surtout quand il peint son désir un peu trouble, un peu bavant du vieil ambassadeur amoureux qu'il fût pour la belle Hélène Fourment nue et bien en chair sous sa petite fourrure; ou Rembrandt quand il se peint sans gloire, mais écorché par la vie, ou encore les terribles et fragiles dessins d'Antonin Artaud dans son délire etc... Je crois que le vrai courage se situe là et aussi la vraie force (du peintre dans mon cas), dans l’âpre el le sublime de la fragilité. Saint-François était un artiste génial (conceptuel avant la lettre) ainsi que Jean de I'apocalypse, tandis que Saint-Paul n'était peut-être qu'un politicien illuminé, puissant, rusé et héroïque. Mes années de peinture et de dessin m'ont naturellement donné un énorme bagage, une presqu'assurance qui rendent la création encore plus compliquée, car toute assurance ici n'est qu'un piège. D'ailleurs ce que j'appellerais ici la peinture en soi, la peinture-peinture ne m'intéresse plus en premier lieu, ni le discours sur la façon. En fait, la peinture est - pour moi - un support, oui, une transposition pour la vision. Naturellement ce bagage me permet d'appliquer les 'règles du tableau', 'les lois' et d'essayer de les élargir à ma guise et surtout aux besoins du motif, de ‘pousser’ la toile, mais la vision, 'le thème' est devenu plus important que le motif et la peinture n'est plus que le wagon. Je ne crois d'ailleurs pas que le peintre choisit la toile, c'est l'invers: la peinture me choisit. Encore plus: elle m'oblige d lui courir après et sa course devient de plus en plus effrenée. J'ai du mal à la suivre (où ce tableau me mêne-t-il?) et je ne reconnais que lentement la toile qu'elle m'offre. Ma propre peinture me dépasse - et vu la parfaite solitude dans laquelle se trouve le peintre devant son oeuvre - j'ai besoin de temps, de beaucoup de temps pour me rendre compte du chemin qu'elle (la peinture) me montre et de pouvoir l'accepter. L'approche de la simplicité est un énorme labeur, je t'en assure, et la solitude du peintre est fondamontale et irrémédiable. Voila, L., les quelques pensées en marge du film de Tony. L'acte pictural est nuancé à I'infini et en fait nous ne sommes capables que d'en dire quelques grossièretés, enfin, laissons travailler le mystère... 'Want het schone is niets anders dan het juist nog door ons te verdragen begin der verschrikking en wij bewonderen het zo omdat het onaangedaan versmaadt ons te vernietigen...' C'est exactement cela, même en Flamand... Bien à toi, Philippe.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.