Possibilités atroces Dessins de Philippe Vandenberg 'Le nègre se peint soi-même. Il peint aussi l'autre. Mais c'est pareil: l'autre n'est toujours que lui-même, l'autre est toujours moi-même.' i Les dessins de Philippe Vandenberg, dont je parle dans ce texte, ont été sélectionnés par l'artiste Berlinde De Bruyckere pour le livre d'art commun Philippe Vandenberg / Berlinde De Bruyckere. L'Innocence signifie: ne jamais éviter le pire.ii Ils furent créés en 1996, un moment de conversion pour Vandenberg aussi bien sur le plan personnel qu'artistique. C'était une période d'impulsion créatrice fiévreuse, dans laquelle son système de symboles devint de plus en plus autonome et concret et ceci d'une manière unique et authentique. Les dessins de torture et humiliation, de volupté, meurtre et mort sont d'une grande complexité. Ils peuvent être catalogués plus ou moins en quatre catégories: 1. dessins directement inspirés par des oeuvres religieuses existantes; 2. dessins qui peuvent référer totalement ou partiellement à un thème religieux; 3. dessins qui peuvent référer à une thématique religieuse, mais transposés clairement dans une réalité différente et à plusieurs niveaux; 4. dessins de comportement sexuel explicite où à première vue il n'est pas question de violence. Ce qui peut se ressentir de manière intuitive peut difficilement s'exprimer en termes exacts. Ainsi l'intention de ce texte n'est qu'une tentative pour situer ces dessins dans un contexte plus ample. I Le contexte De l'endoctrinement à l'interprétation personnelle Philippe Vandenberg - alors encore Vandenberghe - a grandi dans une Flandre avant tout catholique, souvent en colère. De sécularisation il n'était pas encore question en ce temps-là et "l'aggiornamento", la réforme de l'Eglise aux temps modernes n'était pas encore en cause. Bien que Philippe reçut une éducation catholique à l'école et fit aussi sa Première Communion et sa Communion Solennelle, c'est sans doute surtout arrivé par considération sociale. La famille Vandenberghe-Schamp était plutôt non cléricale que anticléricale. Son père fut le dernier bourgmestre de Sint-Denijs-Westrem, qui comptait alors 5.500 habitants, avant la fusion de cette commune avec Gand. Il était membre du PVVV, le parti libéral, dominé en ce temps-là par des libertins. Depuis l'enfance donc il y a eu chez Philippe certainement des divergences avec la doctrine catholique. Comme remarque sa seconde épouse Mieja D'hondt: " Pour lui il existait déjà une fissure, une distance qui l'autorisait à utiliser aisément les symboles catholiques et à les interpréter librement selon les besoins de son âme meurtrie." iii La représentation de l'univers catholique était omniprésente durant la jeunesse de Philippe: dans chaque maison on trouvait alors au moins quelques crucifix, images religieuses ou saintes, dans et autour des églises étaient érigés des crucifix et des statues de saints, dans chaque classe et même dans la cour d'appel on voyait au mur une effigie du crucifié... Vandenberg a vite découvert que ces icônes étaient devenues impuissantes. Chaque jour les media gagnaient en influence et importance, la société était tellement submergée d'images de toute sorte que le sens profond leur échappait. Tout comme dans le roman magique réaliste Malpertius de l'auteur flamand Jean Ray, iv un des livres favoris que Vandenberg lut au début des années septante, la croyance inébranlable et aveugle commença à diminuer et les icônes autrefois si rares et précieuses perdirent leur
puissance charismatique. Un tour de force de Vandenberg fut qu'il leur donna une définition toute nouvelle avec une signification universelle et humaine, de façon à ce que le spectateur soit obligé de regarder à nouveau, même avec répulsion. L'historien de l'art Aby Warburg (1866-1929) a entre autre étudié dans quelle mesure les antiques ont put sauver leur héritage culturel et psychologique au cours des siècles. Il étudia d'abord comment cet héritage archétypique se manifestait durant la renaissance en des figurations mythologiques et religieuses. Plus tard il étendit cette recherche à son propre temps.v Chez Vandenberg nous découvrons un sujet presque paradoxal: il sauvegarde l'héritage de façon formelle mais il la rend intemporelle. Tout comme certaines estampes de Goya ou d'Ensor ses dessins surpassent toute contrainte idéologique, doctrinaire et même historique. Il réduit tout thème a son origine, celle qui est en relation profonde et déchirante avec la condition humaine et dont sa problématique fait partie. 'Ecce Homo': voici l'homme, le genre humain, le monde que nous partageons tous... Il tente de bannir toute atrocité tangible dans une répétition syncopée. Personne ne pourra dire qu'il ne sera jamais confronté à ceci. Bien que le mot Dieu apparaît d'innombrables fois dans ses peintures, dessins et textes, Vandenberg lui-même se considérait comme un incroyant. Selon lui ce n'était pas possible qu'il y ait une puissance suprême et inconnue dans l'univers. Mais si jamais il existait un Dieu, alors c'en serait un qui ne s'occuperait pas du tout du genre humain, un Dieu totalement indifférent, jamais à joindre, jamais présent, peut-être une chimère collective? vi Ses dessins inspirés de la religion sont ainsi souvent un cri dans le désert, un hurlement provocateur afin d'attirer l'attention et la confirmation d'une entité supérieure existante ou non. Ce n'est point un règlement de compte brutal vis à vis d'une éducation religieuse, mais plutôt un cri poignant d'impuissance aussi bien individuel que collectif. Avant tout ils sont un règlement de compte avec une cruauté sans scrupules, une soif de destruction infinie, un aveuglement total dont seul le genre humain semble disposer avec certitude. Mort et érotisme Dans son essai les Larmes d'Eros (1961) Georges Bataille examine le lien entre la mort et l'érotisme.vii Son point de départ est que l'activité sexuelle simple tient une nuance différente de l'érotisme, qui porte en soi une sorte d'aspect 'diabolique' et dont seul l'homme dispose. Selon Bataille cette nuance 'diabolique' - un terme lié à l'angoisse qui porte son sens réel depuis le christianisme - de l'activité sexuelle humaine provient du lien étroit qui existe entre la mort et l'érotisme.viii Il tente de démontrer que déjà dans la grotte de Lascaux on peut retrouver telle connotation dans le dessin rupestre 'de L'homme à la tête d'oiseau' (env. 13.500 av. Chr.). Devant un bison éventré avec les intestins saillants un homme est couché par terre avec à coté de lui un oiseau sur un pieu et à ses pieds une lance brisée. Le chasseur (ou sjamane) vient de terrasser le bison, mais est tué lui-même. Ce qui est étrange c'est que le chasseur a une tête d'oiseau et son pénis est en érection.ix Grâce à un grand nombre d'exemples dans l'histoire de l'art Bataille démontre que des images de mort et de violence vont souvent de pair avec une atmosphère d'érotisme évidente. Horreur extrême et extase divine Un thème apparenté dans Les larmes d'Eros de Bataille est le pouvoir la capacité à la transcendance que l'on retrouve dans l'image horrible. La contemplation du plus répugnant peut conduire à une compréhension sublime.x Dans son atelier à Molenbeek Philippe Vandenberg conservait une reproduction encadrée qui est aussi à l'ordre du jour chez Bataille.xi Il s'agit d'une photo prise en 1905 à Bejing qui représente ce que le huitième art a jamais produit de plus terrifiant. On y voit l'exécution publique d'un meurtrier, condamné à la peine des 'cent pièces', une mort lente où la chair vive de l'accusé est coupée en morceaux.
Bataille découvrit l'image via le monumental Le traité de psychologie (1923-1924) de Georges Dumas, qui l'incorpora afin d'illustrer le terme 'horripilation': quand les cheveux se hérissent. xii Dumas fait également mention de la physionomie extatique du condamné. L'énigme du visage en extase a poursuivi Bataille, qui reçut un exemplaire de la photo en 1925, durant des années.xiii En 1938 durant une session de méditation il vint à la conclusion: 'Dans la violence de l'image il y a une capacité d'inversion infinie. ... Mon intention est d'illustrer un lien fondamental: celui de l'extase religieuse et de l'érotisme, plus spécialement le sadisme. ... Ce que je vis soudain, qui me glaça le sang mais en même temps me délivra, fut l'unité de ces contraires: l'extase divine comme l'opposé de l'horreur extrême.' xiv La conclusion de Bataille est en accord complet avec les 'conclusions dessinées' dans les dessins de Vandenberg sur le supplice de Saint Sébastien. L'expression de son visage offre des similitudes frappantes avec les traits extasiés du meurtrier traité de façon inhumaine. Le Marquis de Sade Les scènes de torture de Philippe Vandenberg donnent une impression d'explosion d'excès totalement incompréhensible. Dans un amalgame indivisible elles dépeignent une image de plaisir sadique et de soumission résignée, peut-être masochiste, d'aspiration fanatique à la destruction et de soif irrépressible de la mort, de grandeur extatique mais surtout de la plus profonde bassesse dont l'homme est capable. La possibilité la plus atroce est égale à la folie suprême. Lors de la rétrospective en 1999 au MuHKA (Musée d'Art Contemporain d'Anvers) consacrée aux oeuvres de Vandenberg des cinq dernières années, le personnel du musée ne supportait presque plus d'être confronté quotidiennement à cet univers sadomasochiste.xv Dans quel sens son oeuvre sidérante est-elle apparentée aux écrits fous du marquis de Sade? Y a t'il des similitudes entre les deux personnalités? Il est bien connu que De Sade est resté obsédé durant toute sa vie par une morbidité sans pareille, dont ses livres sont la preuve impitoyable. Pourtant son oeuvre est plus d'une fois ironique et même comique. Comme le remarque Georges Bataille dans Les larmes d'Eros: le marquis pouvait rire!xvi Ceux qui ont connu Philippe Vandenberg savent que lui aussi possédait un grand sens d'humour, parfois amer mais dans la plupart du temps généreux et relativisant. Dans les dessins de scènes de torture pourtant il n'y a pas de place pour l'ironie, le sujet est trop chargé, l'exorcisme rituel trop important, le besoin d'expression trop urgent. Suite à sa débauche le marquis de Sade (1740-1814) passa trente ans de sa vie en prison. Durant son incarcération solitaire il était tourmenté par des rêves persistants de cris terrifiants et des corps ensanglantés. Il ne pouvait supporter le régime intenable de la prison qu'en représentant dans sa fantaisie la vie humaine tout aussi insupportable.xvii Pendant qu'il était incarcéré à la Bastille, où la guillotine était montée dans le jardin intérieur, il entendait de sa cellule les cris épouvantables des accusés et il voyait comment les corps décapités étaient évacués. Les oeuvres de De Sade sont sans conteste en partie le résultat de ses aventures débridées, mais surtout sont-elles le produit de son imagination indomptable. Dans un isolement total et avec l'horreur toujours devant les yeux une fantaisie délirante était pour lui l'unique échappatoire. Chez Vandenberg nous retrouvons nous retrouvons une sorte de réaction psychologique semblable. Dans un interview avec Julien Vandevelde du rôle que joue le dessin dans sa vie , il dit entre autre: 'Pour moi dessiner plus encore que peindre est une sorte de soupape de sécurité, un tuyau d'échappement pour les moments d'amour intense, de colère, d'agression, de tendresse ... L'expression de cruauté est pour moi une sorte de résistance contre l'horreur qui me ronge. Si je peux exprimer cette horreur, je suis momentanément soulagé.'xviii
Il avait encore autre chose en commun avec De Sade: il était obsédé sexuellement et la cruauté psychique ne lui était point étrange, surtout dans sa relation avec les femmes. Dans une lettre il écrit: ' C'est uniquement par la cruauté que je me réconcilie avec moi-même, la cruauté qui remplit ma vie et l'amour sans issue.'xix Le va et vient continu entre une tendre complicité et un rejet impitoyable et têtu ont enfin rendu impossible toute relation amoureuse. Ceci forme en grande partie l'essence de sa vie dramatique. Terrassé par le regret et le repentir il essayait parfois de virer de cap mais en général il était impossible de faire marche arrière.xx Et ici réside justement la plus grande différence avec l'écrivain de Les 120 jours de Sodom: De Sade se refusait tout remords. Selon lui la république idéale consistait en une société athée, dans laquelle la débauche était approuvée et répondait à toutes les conditions qui garantissaient la naissance de citoyens vigoureux et vifs. Ceux-ci devaient être capables d'accepter le côté le plus noir de l'homme afin d'en tirer profit sans aucun remords. De Sade incite au mal, il prêche l'irresponsabilité humaine et la nécessité du crime.xxi Cette attitude nihiliste et fondamentalement immorale envers la vie, orientée uniquement sur l'assouvissement de toute passion humaine, même la plus extrême, se trouve fort éloignée du monde de Philippe Vandenbergh. Pour lui profiter de la misère d'autrui est impensable. Si jamais il pouvait être cruel, c'était surtout à cause du gouffre intérieur impitoyable, côtoyant parfois la folie aveugle. Tout obstacle, toute résistance devait céder pour la peinture, son unique et presque tangible maîtresse, qui en même temps était souvent la femme fatale arrogante. La où le dialogue du peintre avec sa toile initialement autorisait encore une nouvelle joie, au courant des années il glissa vers les profondeurs macabres de la nécromancie. Les scènes de torture ont un caractère purement diabolique, démoniaque. Elles sont le fruit d'une fantaisie démesurée, en dehors de tout entendement, mais en même temps la manifestation de nos craintes les plus profondes et les plus anciennes: ce à quoi personne n'ose penser ou en rejette l'idée frémissant d'horreur, il le confie au papier. En même temps il se rend bien compte que son dessin n'est qu'un dessin, une image qui est à peine capable de refléter l'horreur indescriptible de la vérité. Ainsi il écrit: 'Qu'est l'enfer de Bosch comparé aux images de reportage sur les massacres en Afrique? Qu'est la Guernica d'autre qu'une splendide peinture sur un fait divers effroyable, dont les images réelles étaient sans doute d'une horreur insoutenable (...)? C'est pourquoi je pense qu'il est pour ainsi dire insensé, même impossible de dépeindre "la réalité" en se basant sur la réalité. Mais peut être que cela est tout de même possible par un détour qui approche la réalité, la contourne, sans qu'elle me touche. D'ailleurs, l'horreur que je tente d'exprimer dans certaines oeuvres ont plus à voir avec des conflits intimes et personnels (...), qu'avec une compassion ou une générosité vis à vis de la "condition humaine". ' xxii Les dessins sont un voyage infernal, obsessif dans l'espace de la feuille de dessin, et ceci sans réserve ni embellissement. En dessinant le mal on le saisit, mis sur papier il perd tout pouvoir. Le dessin devient une image fétiche qui doit retenir provisoirement les démons, il doit offrir protection contre un monde extérieur menaçant et souvent inhumain. Picasso, dans une interview avec André Malraux, raconte qu'après sa première rencontre avec l'art de l'Afrique noire en 1906, tout ce qu'il créa se trouva sous le signe de l'exorcisme: 'Si nous prêtons une forme aux esprits, nous devenons indépendants. Les esprits, le subconscient (dont on ne parlait pas encore en ce temps-là), l'émotionnel, tout cela va de pair. C'est alors que j'ai compris pourquoi j'étais peintre. Les demoiselles d'Avignon ont été créées dans cette période, pas du tout à cause de la forme, mais parce que c'était mon premier tableau exorcisant, oui!' xxiii
II Les dessins
II. 1 Dessins directement inspirés par des oeuvres religieuses existantes Dans After the entombment of Christ - Caravaggio, 24 1996, une série de seize dessins selon La mise au tombeau de Caravaggio,25 la mort et l'adieu définitif du défunt sont centralisés. Dans la peinture de Caravaggio l'arrière plan sombre est remplacé par un paysage exotique. Ce qui frappe dans la répétition du dessin c'est que les gestes et la mimique des parents proches changent fort peu. Seul la figure du Christ décédé subit une métamorphose totale. La tête devient un crâne abîmé de façon effroyable, une tête de mort, un visage hideux tordu; le corps se convertit en carcasse. La où Caravaggio recherche encore un réalisme acceptable pour ses commettants, Philippe Vandenberg va jusqu'à la limite . Il représente ici la Mort irrévocable et impitoyable, il crie sa répulsion de la décomposition, l'impuissance humaine d'y changer quoi que ce soit. Celui qui, dans la peinture originale, observe attentivement les traits du visage du Christ porté au tombeau, remarquera sans doute une ressemblance avec les traits de Philippe Vandenberg. Tout comme Ensor et le vieux Picasso se représentaient eux-mêmes comme tête de mort, les dessins deviennent un miroir du propre désarroi révolté. Et en plus ces petits chiens, figurants séculaires dans tant de dessins et peintures. Autrefois ils étaient le symbole de fidélité et de droiture, mais combien de fois ne les voit-on pas en tant que spectateurs impassibles, qui se vautrent sans vergogne dans la scène? Ils sont témoins d'une action humaine sortant de l'ordinaire, ils regardent leurs maîtres effarés, ne sachant pas comment réagir.26 Si il y a quoi que ce soit de comique dans cette situation, cela se limite à un sourire compatissant, sachant que, malgré une entente vieille de mil ans, le fossé entre l'esprit humain et animal reste fondamentalement infranchissable. Ou comme le signala Leonard de Vinci: 'L'homme est véritablement le roi des animaux, en cruauté il les surpasse tous.' 27 Les séries de dessins, Après Le martyre de St. Erasme - Nicolas Poussin, 1996 et Après Le Martyre de St. Sébastien - Antonio Pollaiuolo, 1996 sont basés sur des scènes de torture de la tradition catholique: une série de neuf set inspirée sur Le Martyre de Saint Erasme de Nicolas Poussin,28 et une série de neuf sur Le Martyre de Saint Sébastien d'Antonio et Piero del Pollaiuolo. 29 A l'opposé des dessins de Vandenberg on ne retrouve point de suggestions à des sentiments de volupté sadiques ou masochistes explicites dans ses peintures d'origine. Fortifié par sa foi Saint Erasme supporte son martyre indescriptible avec un visage déterminé, à peine rancunier; ses bourreaux achèvent leur tâche lugubre avec une gravité toute professionnelle. La haine, la vengeance, le fanatisme d'avoir raison, mais aussi la crainte de perdre le pouvoir ou la suprématie idéologique sont les sentiments prédominants chez les tortionnaires. ( 'La haine, le premier né de l'angoisse, écrit Vandenberg.30) Dans la peinture de Pollaiuolo aussi les arbalétriers exécutent leur mission de manière machinale, impassibles. Saint Sébastien est une proie vulnérable et passive. Les yeux tournés vers le ciel il endure son calvaire, il ne laisse échapper aucun cri... Les dessins véhéments de Vandenberg sont tout à fait différents. dans une sorte de délire il ouvre tous les registres. Saint Erasme crie de douleur, les bourreaux remplissent leur boulot en riant. Dans un seul dessin le membre du bourreau est en érection, dans un autre celui du supplicié - comme humiliation suprême? Toute maîtrise de soi, toute conscience morale ont disparu. Tout comme dans quelques dessins d'Ensor le soleil apparaît entre les nuages sombres, parfois méprisant, presque irrité, ou bien pleurant. Le ciel est témoin mais n'intervient pas.
Dans le série selon Pollaiuolo nous découvrons une thématique semblable déconcertante et inquiétante. Dans certains dessins Sait Sébastien en extase tourne les yeux vers le ciel, dans d'autres, vaincu, il laisse tomber la tête. L'attitude d'origine, dans laquelle la victime est attachée à un arbre les bras liés sur le dos, a subi une métamorphose. L'arbre rabougri devient une croix en bois où il est attaché suspendu et les bras tendus. L'image de Saint Sébastien devient celle du Crucifié en mémoire de tous ceux qui au cours de l'histoire de l'humanité ont souffert ou doivent encore subir ce châtiment, non seulement physique mais aussi psychologique. En plus il y a ces connotations sexuelles énigmatiques. Le membre des arbalétriers est en érection dans certains dessins et celui du martyr dans tous les dessins et en plus il éjacule. Et dans un dessin, à l'arrière plan, on voit un couple qui copule comme une paire de chiens. II. 2 Dessins qui peuvent référer totalement ou partiellement à un thème religieux. L'iconographie de La dame aux lions, 1996, une série de huit dessins sur une femme en proie à un lion, réfère sans doute au conte biblique du prophète Daniel dans la cage aux lions ou les massacres dans les arènes romaines.31 Il est possible qu'ils se trouvent aussi en rapport avec le destin inconnu et inexorable, le pouvoir irrévocable et mystérieux de Moira (personnifié en tant que femme par Homère), auquel même les dieux étaient soumis.32 Dans quatre de ces dessins une femme nue est couchée dans l'herbe et, blessée ou déjà mutilée, elle est violée par un lion à sept queues.33 Dans le ciel nocturne la lune brille au premier quartier. La femme hurle, le lion est fou furieux. Dans un des dessins il nous regarde d'un air triste, perdu. Ces dessins-ci font partie du royaume des cauchemars, de la poésie la plus noire, du conte le plus sinistre. Ils sont si différents de La bohémienne endormie (1897) d'Henri Rousseau ('Le Douanier'),34 riche en couleur, naïf et poétique, où même la plaine lune rit; ils sont apparentés aux cannibales de Goya, le mysticisme de Blake, les visions macabres de Füssli, Doré et Redon.35 Dans ces quatre dessins nous sommes confrontés à une dualité alarmante. Le sort du lion, qui démontre clairement des caractéristiques anthropomorphiques, est aussi irrévocable que la destinée de la victime. S'il nous regarde dans un de ces dessins d'un air désarmé c'est comme s'il nous demande pardon. L'image entière peut être vue comme une sorte d'autoportrait de l'artiste, lui-même déchiré entre ses sentiments les plus extrêmes. Ses pensées, à un certain moment de sa vie, de destruction compulsive ( aussi vis à vis de soimême et de son oeuvre), le conduisent plus d'une fois dans une situation sans issue. En même temps auteur et victime, et le sachant fort bien, il n'est pas capable de résister à sa soif de destruction. Dans les derniers quatre dessins de la série une femme nue debout est attaquée par plusieurs lions. Thématiquement elles sont proches des quatre autres. Ce qui nous manque ici c'est le symbolisme sombre et poétique, ou le lien mystérieux avec l'univers du rêve. Les dessins pourraient être une simple illustration d'un incident dans une arène romaine, si la relation explicite entre la violence physique et sexuelle ne pouvait être située. II. 3 Dessins qui peuvent référer à une thématique religieuse, mais transposés clairement dans une réalité différente et à plusieurs niveaux Erotic Drawings / Indonesia, 1996, contient une série de quinze dessins où une femme nue ligotée est maltraitée et abusée de la façon la plus barbare. Avec en arrière-plan une location apparemment paradisiaque et exotique on nous sert une panoplie des aberrations les plus
extrêmes. Dans le seizième dessin, qui clôture cette série, un homme ligoté, avec ou contre son gré, est assouvi oralement. Ce tableau ressemble plus à un jeu sexuel qu'à une scène de torture. Le sens n'en est pas clair: il se peut que l'homme ligoté ne soit pas obligé à endurer la fellation mais que ce soit lui qui oblige la femme à l'assouvir... De toutes les séries celle-ci est la plus variée mais aussi la plus complexe et la plus confrontante. Dans les dessins inspirés par des oeuvres religieuses nous pouvons encore dans une certaine mesure retomber sur un contexte profondément humain. Dans les dessins avec les lions un symbolisme sombre mais non inaccessible nous permet de les regarder comme en rêve ou comme une poésie mélancolique. Tandis que dans les scènes avec la femme torturée nous assaillis par des images déconcertantes et fort choquantes, d'une crudité sans pareille dans l'histoire de l'art. Pour celui qui pourrait penser que ces dessins ont une arrière-pensée de choquer délibérément (en analogie avec par exemple l'enfer hollywoodien de McCarthy, les photos érotiques du paradis terrestre de Koons, le pseudo-érotisme commercial de Delvoye) il faut bien l'admettre: Philippe Vandenberg était un artiste qui ne mentait jamais! Ce qu'il créait était toujours imbibé de l'état dans lequel il se trouvait, aussi bien psychique que social et physique. Pas un cheveu sur sa tête n'y pense à choquer bon gré mal gré, ou à attirer une attention facile par le scandale ou la provocation. S'il a jamais voulu choquer quelqu'un, alors c'était en premier lieu lui-même. Ses dessins sont un rituel d'exorcisme afin d'expulser les démons qui hantent son âme et son esprit. De Sade, Goya et Vandenberg: ils sont réunis par la hantise de la souffrance excessive. Dans les dessins de la femme torturée nous pressentons une triple présence de l'artiste. Comme exorciste du mal il est le grand prêtre du rituel de la conjuration (c'est lui en fin de compte qui a fait le dessin). En plus il est aussi le participant qui, aussi bien bourreau que victime, subit l'exorcisation. Et en troisième lieu il est surtout le témoin enregistrant qui, en redoublant pour ainsi dire le dessin, dépose son témoignage préjudiciable sur les aspects les plus affreux de la race humaine. Ce monde est fort proche de celui de Louis-Ferdinand Céline, hautement admiré par Vandenberg. Céline pensait que la littérature avait dépassé la perversité humaine, que l'homme était toujours décrit de manière plus plaisante qu'il ne l'est en réalité. 'Noircir et se noircir' (aussi bien les autres que soi-même), est sa devise.36 Dans les dessins où la femme torturée est au centre, le symbolisme change continuellement, le religieux et le profane se réunissent en une hallucination caléidoscope. J'explique ici quelques motifs, qui reviennent sans cesse, afin de donner une idée jusqu'à quelle interprétation les dessins peuvent mener. Homme sur un rocher: cette figure qui fait penser à un personnage sur un tableau de 37 Goya, est le symbole de l'impuissance et du chagrin. Déchiré entre l'horreur et l'égoïsme il est une personnification de l'artiste désespéré et de ses tendances autodestructives. Ange: dans quelques dessins qui semblent représenter une vision nocturne, la femme torturée est fouettée par un ou deux anges. Il est possible qu'il s'agit d'un ange de la vengeance, mais une autre interprétation, qui correspond complètement à la psychologie de Vandenberg, serait: après le châtiment, l'expiation, l'ange apporte un soulagement, une rédemption temporaire dans une existence disloquée par des obsessions. L'innocence est de nouveau rachetée. A ce propos Vandenberg écrit en 2005: 'Le conflit me domine t'il, ou au contraire, est-ce moi qui provoque le conflit, puisque je peux seulement créer dans des situations de conflits? Le conflit, le traumatisme qui en résulte,l'agitation qui va de pair, et l'innocence qui doit être 'rachetée' sont autant de mères de l'oeuvre.'38 Avant, en 1997, il décrit sa bataille avec l'ange: 'La lutte avec L'Ange est un combat terrible puisque l'Ange change continuellement de visage: celui qui extermine, qui purifie, qui protège, qui punit et nous chasse du paradis, qui m'aime et m'aide, et aussi qui, en tant que gardien de Prometheus, grâce à ma peinture m'empêche d'échapper à ma 'condition humaine' qui m'écrase sur terre comme
un vulgaire cafard. En plus le moment le plus terrifiant où je me rends compte que l'Ange, insaisissable et surtout invincible, que je me dois de résister et de subir, est en moi-même, est moi-même (...).'39 Poisson: On rencontre aussi bien un homme que des anges avec un poisson dans les bras. Le motif de l'homme au poisson fut déjà souvent employé par Vandenberg au début des années quatre-vingt. Le poisson semble y servir de symbole pour le 'cadeau': cadeau de la nature à l'homme mais aussi le cadeau du pécheur à sa femme et sa progéniture. Le récepteur peut accepter le cadeau avec humilité mais il peut aussi le dévorer rageusement comme une bête irrationnelle. Le poisson est aussi le symbole du 'salut' ou de la 'grâce'. Florent Minne voyait le symbole du poisson comme une évolution associative du motif du phallus et expliquait que chez Vandenberg une forme plastique pouvait bien appeler une autre.40 Lorsqu'un jour je demandai à Philippe Vandenberg s'il existait un rapport entre son système de symboles et celui par exemple l'alchimie ou le tarot, il me raconta que les symboles dans ses dessins et peintures avaient surtout une signification individuelle, mais qu'ils pourraient prendre un caractère universel durant leur évolution. Souvent, surtout en dessinant, ils allaient mener une vie propre et parfois il n'en comprenait le sens profond que bien plus tard. Ils font partie du mystère du procès créatif.41 Animaux: il y a aussi bien des chiens témoins de scènes de torture, que des chiens qui attaquent la femme martyrisée. Dans le premier cas ils incarnent une innocence de noncompréhension, dans l'autre cas ils sont l'instrument irrationnel d'une barbarie sans scrupules. Plus loin nous voyons plusieurs fois un ou deux canards comme témoins, ou d'autres oiseaux aquatiques et une seule fois un petit singe. Le chien réfère aux chiens que son père élevait, le singe masturbant au singe que sa mère tenait dans une cage au salon. Nimbus: une seule fois l'homme qui est témoin de la scène de torture porte un nuage sur la tête. Ceci rappelle une déclaration de Vandenberg, qui se demandait, lorsqu'il était enfant, pourquoi lui n'était pas Dieu?42 A l'école il apprend qu'il existe un Dieu tout puissant, qui voit tout, qui sait tout, omniprésent et éternel, qui est surtout infiniment bon et juste. L'enfant se demande pourquoi Dieu n'intervient pas, vu sa bonté inépuisable et son omnipotence qui voit tout, mais aussi pourquoi Dieu seul possède cette omnipotence et voyance: où a t'il gagné cette supériorité et pourquoi suis-je moi sans défense vis à vis de la cruauté d'un monde qui est Sa création? Dans la logique de l'enfant endoctriné, qui ne comprend pas encore, cette question ne peut pas être considérée comme étant naïve. Croix: quelques fois la femme torturée n'est pas attachée à un arbre ou à des piliers, mais à une croix. La femme crie sa souffrance et sa solitude et en appelle au ciel: 'Eli, Eli lama sabachthani?' - 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-Vous quittée? Pourquoi avezVous permis que je sois remise à mes bourreaux? Pourquoi avez-Vous décidé que je devais rester? Le soleil et la lune: dans certains cas la scène se déroule sous un croissant de lune (une fois même trois croissants de lune), ce qui démontre le caractère visionnaire de ces dessins, ils font partie du monde du rêve, du cauchemar angoissant. D'autres dessins suggèrent un paysage ensoleillé, exotique, paradisiaque qui forme un contraste cinglant avec les scènes de torture choquantes. Ceci souligne que l'homme est chassé pour de bon hors du jardin d'Eden par sa cruauté sans scrupules. S'il existe des endroits paradisiaques sur terre, ils ne contiennent pas la garantie que la barbarie n'y aura pas lieu ou n'a pas déjà eu lieu. Dans son arrogance l'homme se croit maître du soleil et de la lune, des montagnes, des arbres et des mers et n'hésite pas à violer et exterminer sans merci ses congénères. Cactus: cette plante épineuse semble être un symbole sinistre du phallus et intensifie l'ambiance lugubre et menaçante des scènes de violence. II. 4
Dessins de comportement sexuel explicite où à première vue il n'est pas question de violence. Dans quatre dessins, qui sont aussi retenus sous Erotic Drawings / Indonesia, 1996, un homme est satisfait oralement par une femme. Ces dessins sont plutôt à leur place dans la tradition du dessin érotique. Dans deux de ceux-là l'homme est étendu et jouit. L'environ est paradisiaque et ne il semble pas être question de contrainte. Dans l'un des deux une paire de canards regarde étonnés ou surpris tandis que dans l'autre ils participent pleinement. Dans un des autres dessins l'ambiance est plus tendue, les amants ont les yeux fermés, le moment suprême - 'la petite mort' - est proche. Un canard en bas à gauche est le seul à garder les yeux ouverts et il fait un clin d'oeil espiègle au spectateur forcé au voyeurisme. L'humour dans ces dessins démontre que Vandenberg se tourne vers un ton plus ludique. Si nous ne connaissions point les autres dessins, nous les considérerions comme des illustrations malicieuses. Dans le quatrième croquis l'homme assouvi se tient debout. L'ambiance est plus menaçante, la relation plus complexe. A l'arrière plan figure une croix sur un tumulus. On nous démontre ici la brièveté de l'extase sexuelle: 'mementi mori', n'oubliez jamais que la mort vous attend. A nouveau le lien entre le désir et la mort est évoqué. Philippe Vandenberg et le dessin érotique: ce type de dessin est, en dehors de l'interprétation de ses obsessions, une forme de rébellion inlassable contre toute forme d'autorité morale. Tout comme au cours des années son cours de vie de plus en plus extrême ses dessins étaient en partie une revanche sur toutes les frustrations subies par une doctrine réactionnaire. 'Nous sommes tous des crucifiés' écrit-il.43 Non seulement l'homme devient-il plus d'une fois la victime de sa propre complexité, mais chacun de nous à un certain moment ou d'une certaine manière est abusé et donc humilié par les systèmes de pouvoir, idéologiques, politiques, économiques ou sociales. III Aspects techniques Tous les dessins ont été exécutés sur du fin papier esquisse à l'aide d'un simple crayon graphite. Ils semblent être souvent d'une simplicité trompeuse et par le spectateur superficiel ils sont parfois qualifiés comme étant rudimentaires, si non dégingandés. mais Philippe Vandenberg a largué toutes les normes préconçues, tout ballast inopportun et est arrivé à l'essentiel ce qui est fort rare dans l'univers du dessin. Dans une lettre de 1997 il écrit: 'Je dessine et je deviens le dessin et je me perds dans le dessin (...), je respire le dessin, rien ne peut me sauver que le dessin. (...) Au plus je m'éloigne - au plus inconnu, au plus effrayant, au plus merveilleux le vide de mes horizons - mon dessin devient plus simple et plus ample, plus parfait et encore plus spirituel. Le dessin devient le squelette de mes pensées, de mes sentiments, avec le plus banal et le plus simple crayon (N° 2, un bâtonnet entre mes doigts!) sur un papier bon marché et terne (90 gr/m² à porter un monde) griffonné hors de moi, hors de ma volonté, les lignes sillonnées, couchées, fauchées se tournent, se cassent, se caressent et érodent dans l'espace dans laquelle je les lâche.'44 On pourrait interpréter les dessins de Vandenberg comme le fruit d'une recherche fiévreuse de la délivrance. Comme emprisonné dans un cachot il étudie sans cesse toute route d'évasion, donc aussi les intérieures. Ses répétitions exorcisantes sont comme le grattement acharné du mortier d'entre les pierres, l'insistance avec laquelle il donne corps à ses obsessions est aussi forte que la pression de la lime qui doit percer le barreau. Le dessin le tient en vie, personnifie sa révolte, est sa seul défense. Sans le dessin il est condamné à dépérir vaincu. Par leur vélocité et leur franchise les dessins de Vandenberg démontrent souvent des similitudes frappantes de style avec les dessins à l'état d'ébauche de Rembrandt, appelé sa
'mère' par Vandenberg.45 La simplicité de moyens, la franchise, la spontanéité visionnaire et la précision, la capacité à distinguer l'essentiel du secondaire, le sens de la suggestion spatiale, la composition, le contraste, le rythme et la mise en place sont une poignée de ce que ces deux artistes ont en commun. Pourtant ce sont avant tout la force expressive transcendante, l'interprétation dynamique et la gestion des lignes, la tension intérieure - immortelle - du dessin qui les lient. Rembrandt est le dessinateur et le peintre du spirituel, de l'émotion, qui peut fixer le moment indivisible où l'esprit et l'âme se dévoilent. Nous voyons la même chose dans les dessins de Vandenberg: dans les interprétations de par exemple La mise au tombeau de Caravaggio il surpasse pour ainsi dire le maître en ce qui consiste l'enregistrement de l'état d'esprit des endeuillés. Dans chacun de ses dessins nous pouvons lire l'état psychologique du personnage que ce soit un homme ou un animal. Non seulement leur mimique trahit leur état d'âme mais aussi leur langage corporel. Sans la sincérité et la complicité émotionnelle que Rembrandt et Vandenberg partagent en premier lieu, ceci aurait été impossible à atteindre. IV Pour conclure: Vandenberg, une Céline de la peinture belge? Philippe Vandenberg, grand admirateur de Louis-Ferdinand Céline, a maintes choses en commun avec l'écrivain de Voyage au bout de la nuit.46 Lui aussi crée son propre mythe, plutôt par une confusion intérieure permanente que par mégarde. Tout comme à Céline (pseudonyme de Louis Destouches) une certaine forme de théâtralité ne lui est pas étrange, il a le besoin d'exagérer faits et détails, d'agrandir la réalité, de la transformer selon un délire apocalyptique propre et fiévreux. Toutes ses obsessions, sa rébellion outragée, son désespoir, sa rage mais aussi sa tendresse, sa douleur sans fin, amour et peine, il les y convertit en une certitude non moins réelle. Cette réalité, sa réalité, en dehors de toute catégorie, de tout courant, idéologie ou même civilisation, il la façonne, la réforme, la condense en une vérité supérieure dans laquelle l'émotion, la franchise et la lucidité ne font plus qu'un. Avec Céline il a en commun que sa vie est dominée par un sentiment inlassable de malchance, lui aussi est possédé par ce désir de destruction qui lui permet de fonctionner uniquement dans des périodes de crise, d'effondrement et de déclin. Tous les deux ils connaissent le sentiment tragique et persistant d'être fondamentalement délaissés. La réalité que Vandenberg nous offre dans les dessins montrés ci-dessous, est loin d'être agréable. Elle nous confronte aux cotés les plus sombres de l'existence humaine. Elle nous montre une réalité pour laquelle on préfère fermer les yeux ou regarder d'un autre côté. Pourtant une grande partie de la population terrestre est confrontée quotidiennement à cette réalité psychique ou physique. Dans cette optique l'oeuvre de Philippe Vandenberg peut se nommer unique. Je ne connais aucun artiste contemporain qui a témoigné avec autant de cohérence et de persévérance sur les aspects les plus alarmants de la condition humaine. Souvent d'ailleurs l'oeuvre de Vandenberg est jugée comme étant extrême. Lui-même écrit maintes fois que son soi-disant 'extrémisme artistique' tombe dans le néant quand on le compare avec les atrocités de la vie réelle, au fond ce ne sont que des images inoffensives... Qu'elles sont capables d'émouvoir le spectateur si profondément démontre à quel point elles sont fortes. Dans une période nous sommes inondés tous les jours par une 'information visuelle' toute prête on peut considérer que c'est un tourde force. Il semble que de nos jours l'homme est uniquement touché par des tactiques de choc. Tout comme l'exprime Céline: 'L'heure si triste apparaît toujours lorsque le Bonheur, cette confiance absurde et fantastique dans la vie, fait place dans le coeur humain à la Vérite.'47
NOTES
ii
Dans l'édition ‘Philippe Vandenberg/Berlinde De Bruyckere, Innocence is precisely: neverto avoid the worst, Skira Editore, Milano, 2012.’ Berlinde De Bruyckere combine des dessins de Philippe Vandenberg avec ses propres dessins. La sélection complète est ainsi incorporée. Vous trouvez un certain nombre de ces dessins à l'arrière du texte. Le livre a donné lieu à une exposition du même nom dans le Pont Museum des Arts Contemporains à Tilburg en 2012 et dans La Maison Rouge à Paris en 2014. iii
Entretien téléphonique avec Jacqueline Vandenberghe-Shamp, la mère de Philippe Vandenberg, le 14 janvier
2012; e-mail de Mieja D'hondt, le 13 janvier 2012, à Hélène Vandenberghe, fille de Philippe de son premier mariage avec Véronique D'Heygere. iv
De Malpertius, histoire d'une maison fantastique (1943) parut la traduction néerlandaise par Hubert Lampo en 1970. 5 Cfr e.a. Matthew Rampley, 'From symbol to allegory: Aby Warburg's theory of art', The Art Bulletin 79 n° 1, mars 1997.
vi
Entretiens avec Ph. Vandenberg. Georges Bataille, Les larmes d'Eros, Editions Jean-Jacques Pauvert, Paris 1961. 8 L'orgasme humain peut être décrit comme ' la petite mort', un terme venant du médecin français Ambroise Paré (1510-1590). 9 Voir aussi Annette Laming, Lascaux, Pelican Books/Penguin Books 1959, pp. 95-96, fig. 35. vii
x
Dans le tantrisme ce terme est connu depuis longtemps. Sur un lieu de la crémation certains adeptes accomplissent le rite 'savasana' durant la nuit. En méditant sur des cadavres le désir pour une réalité inchangée est aiguisé. Le yogi devient lui-même un bûcher où les fantasmes qui cloîtrent son esprit au monde chimérique des apparitions sont brûlés. Comparez. e.a. Ajit Mookerjee, Tantra Asana, Une voie de la réalisation du Soi, Editions du Soleil Noir, Paris 1971, p. 63. xi Les larmes d'Eros (voir note 7), pp.234, 237 et suiv. xii Georges Dumas (éd.), Le Traité de psychologie (1923-1924). Ceci fut le premier travail universel français sur la psychologie. Entre 1930 et 1949 Le nouveau traité de Psychologie parut avec 3.500 pages en plus que la première édition. Dumas décrit ici que l'expression du visage d'un homme martyrisé, vu l'état exceptionnel, tombe en dehors de toute explication. Là où le visage démontre des expressions familières pour des niveaux d'excitation moyenne, le psychologue se trouve ici devant un paradoxe inexplicable. Comparez e.a. avec Simon Elmer, The color of the Sacred, Georges Bataille and the Image of Sacrifice, The Sorcerer's Apprentice, Londres 2012, p.50 et suiv. xiii Le tableau dont disposait Bataille était la quatrième d'une série de cinq photos qui furent prises durant l'exécution. En 1932 la série complète serait incorporée dans la seconde partie du Le Nouveau Traité de psychologie de Dumas; xiv Les larmes d'Eros (voir note 7), p. 239, en cursif. xv Cette rumeur, qui m'était déjà venue à l'oreille lors de l'exposition au MuHKA, est certifiée dans un interview de Jean Braet avec les enfants de Philippe Vandenberg: 'Au nom du père' Knack, 23 novembre 2011. xvi Les larmes d'Eros (voir note 7), p.146 xvii Id., p. 150.
18
Een schilder is als Oedipus onderweg: reflecties van Philippe Vandenberg [Un peintre est comme Oedipe sur la route: réflexions de Philippe Vandenberg], un film de Julien Vandevelde publié sur dvd, Cavalier Seul, Gand 2005, chapitre 12. Regardez aussi http://www.youtube.com/watch?v=QQdx0Dh8A3c. 19
Lettre à C., Marseille-Nice, décembre 1997 / 2 janvier 1998.
20
Conversations avec Ph.Vandeberg; conversation avec Oana Cosug, l'artiste roumaine avec qui Vandenberg était marié de 2006 à 2008; conversation avec Hélène Vandenberghe. xviii xix xx xxi xxii xxiii