Typographie et cinema

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Sauf mention contraire, les illustrations contenues dans ce livre ont été redessinées à partir de photogrammes originaux, en tentant de retrouver la typographie utilisée. Toutes les marques et images appartiennent à leurs propriétaires respectifs.

Collection dirigée par David Rault © Atelier Perrousseaux éditeur, 2015 www.perrousseaux.com www.adverbum.fr isbn 978-2-911220-97-5 Reproduction interdite


LIONEL ORIENT DUTRIEUX

LA TYPOGRAPHIE

AU CINÉMA ESTHÉTIQUE DU TEXTE À L’ÉCRAN

préface de michel chion avant-propos de jérôme lasserre


Caractéristiques et rôles

du flux textuel Les termes média, signal, flux, multimédia et multisignaux définis, nous pouvons maintenant aborder le flux textuel. Ce flux se caractérise par l’atemporalité et la linéarité, deux concepts expliqués dans ce chapitre. Ses rôles seront ensuite analysés.

L’écrit est atemporel La première caractéristique de l’écrit est qu’il défie le temps. Robert Escarpit explique que l’écrit « est la rencontre de deux langages, un langage phonique et un langage de trace »92. La permanence est la qualité principale du texte, puisqu’il utilise un système de trace, écrit-il plus loin93. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les mots n’étaient jusqu’alors qu’une transcription d’un langage oral. La lecture se faisait toujours à haute voix94. « Avec l’apparition de l’imprimerie, l’œil put accélérer son mouvement pendant que la voix s’effaçait »95, permettant la lecture silencieuse. Atemporel, l’écrit nous permet, aujourd’hui encore, de lire des écrits vieux de plusieurs siècles. Capter le réel par l’écrit ne se fait pas sans perte. Friedrich Kittler remarque que pour enregistrer les séquences sonores parlées, « la littérature est tenue de les contraindre dans un système de 26 lettres, excluant de ce fait tout bruit »96. Un texte est donc une simplification, une perte nécessaire, autorisant une communication visuelle. William Ivins a mis en évidence la nature extrêmement sélective de l’écriture : « Chaque son que nous entendons lorsque nous écoutons quelqu’un parler représente simplement un élément d’une catégorie

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étendue de sons que nous avons convenu symboliquement de tenir pour identiques en dépit de leurs différences réelles. »97 Nous prononçons en effet les mots de différentes manières et avec différents accents sans compromettre leur compréhension. Marshall McLuhan ajoute que « notre alphabet se distingue avant tout par sa capacité de dissocier non seulement l’image et le son, mais aussi la sonorité des lettres et leur signification, dans la mesure où les lettres et les sons qu’elles représentent sont dénués de signification propre »98. Lorsqu’il écrit à côté d’une pipe « ceci n’est pas une pipe », René Magritte, dans La trahison des images (1928), traduit la dichotomie entre les mots et ce qu’ils représentent. Toutefois, si l’écriture subit un préjudice lors de son transcodage de l’oral au scriptural, la typographie est une tentative de restaurer potentiellement les particularités perdues. Dans le film de Raoul Walsh The Thief of Bagdad (1924), on peut lire dans les étoiles « Happiness must be earned » (« Le bonheur se mérite »). Le proverbe, en tant que texte, se présente comme immuable, et sa forme, étoilée, reconstitue la magie de l’énonciation. L’objectivité impersonnelle et mécanique de la typographie est significative. Elle dispose l’écrit sur la page et l’écran avec la rigueur d’une machine. Elle n’a rien d’humain, par opposition à l’écriture manuscrite. Dans une séquence de 2001, A Space Odyssey (1968), Stanley Kubrick utilise le flux textuel pour mettre en scène un meurtre muet. N’étant plus contrôlable, l’ordinateur assassine via des mentions écrites. Empruntant la caractéristique atemporelle du texte, Kubrick renforce ainsi la puissance immatérielle et omnisciente de l’ordinateur HAL 9000 par l’usage du flux textuel. Jean-Luc Godard dira : « Pour moi, les images c’est la vie et les textes, c’est la mort. »99 Mis à part son rôle de sous-titrage, l’écrit fonctionne donc hors du temps. Cet effet est accentué lorsque le texte est séparé de l’image. C’est le cas des génériques sur fond noir. Le texte se dissocie du flot

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Aphorisme étoilé au début du film de Raoul Walsh The Thief of Bagdad (1924). © Douglas Fairbanks Pictures

La mort des membres de l’équipage est signifiée par des mentions textuelles impersonnelles dans 2001: A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968). Caractère : Univers 67 Bold Condensed (Adrian Frutiger,1956). © Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)

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audiovisuel et commente le film, sa diégèse100, ou l’identifie. Le titre est alors supplétif à l’œuvre filmique. Certains cinéastes considèrent même que le film se situe uniquement entre le générique de début et le générique de fin, faisant l’impasse sur l’expérience du spectateur – qui, lui, aura perçu l’ensemble de l’emballage cinématographique. Mais c’est aussi reconnaître un aspect temporel: le texte est généralement ajouté à la fin du processus de production. Il n’a donc pas le même statut que l’œuvre, car il prend son origine dans un autre espace-temps. Le texte a, dès lors, conscience de l’image qu’elle présente ; l’inverse n’étant pas certain. Lorsque l’écrit ne sert plus à retranscrire les dialogues, il acquiert la solennité d’une proclamation, rapporte Michel Chion101. Ainsi, la phrase par laquelle débute Goodfellas (Martin Scorsese, 1990), « This film is based on a true story » (« Ce film est basé sur une histoire vraie »), conditionne notre vision. Notre culture tend à attribuer de l’importance à l’écrit, d’où son usage parcimonieux pour baliser les situations spatiotemporelles. Georges Sadoul avait remarqué qu’un mot imprimé ne produit pas exactement le même effet que le mot prononcé102. Dans Das Cabinet des Dr. Caligari (Robert Wiene, 1920), les occurrences textuelles « Du mußt Caligari werden! » (« Tu dois devenir Caligari ») encerclent et tourmentent le savant. Dans Django Unchained (Quentin Tarantino, 2012), c’est un ancrage textuel qui situe l’action en 1858. Par ailleurs, on ne s’étonnera pas que, dans la diégèse de ce film, la vie des personnages dépende d’un mandat d’arrêt, c’est-à-dire de l’écrit. Ces exemples montrent que l’écrit est un moyen d’affirmation, de coercition, voire d’omnipotence. Il transcende l’homme, car il se situe à un niveau supérieur ou différent. Cette caractéristique influence considérablement notre perception de l’écrit au cinéma.

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Le rôle indexical est également prédominant dans les bandes-annonces. Trois phrases introduisent le film promotionnel du remake de Psycho (Gus Van Sant, 1998)174 : « This is the FACE of Norman Bates » ; « This is the MIND of Norman Bates » ; « Discover the world of Norman Bates. » Le texte qualifie l’image et l’image confirme le texte. En 1960, le trailer de Psycho débutait par une introduction semblable : « The fabulous Mr. Alfred Hitchcock is about to escort you on a tour of the location of his new motion picture, Psycho. » Quant à Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994), il est présenté au piano : « Miramax Films is proud to present one of the most celebrated pictures of the year, the winner of the 1994 Palme D’Or, the Best Picture of the Cannes Film Festival. » Trois tirs de balle viendront clôturer cette entame prétentieuse. Certaines mentions écrites doivent également figurer au générique, sur les affiches et autres supports afin d’identifier et catégoriser le film. Le système de classification volontaire de la Motion Picture Association of America requiert notamment une mention habituellement placée à la fin des crédits et au début des bandes-annonces. En Belgique, les DVD bénéficient de mentions écrites donnant un statut au film175. Par ailleurs, en France, la représentation cinématographique est subordonnée à l’obtention d’un visa d’exploitation176. En vue d’une diffusion publique, tout film, français ou étranger, de court ou long métrage, ainsi que toute bande-annonce, doivent être présentés préalablement à une commission de classification177. La mention du visa doit être indiquée dans le générique. De la même manière, un brevet « Dogma 95 » figure au début de Festen (Thomas Vinterberg, 1998).

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Rôle connotatif Enfin, le texte est aussi une image. Si l’écrit a apporté l’immortalité au discours oral, il lui a aussi ajouté nombre de connotations. La forme du texte, c’est-à-dire sa typographie, ancre l’écrit dans une histoire, une époque et dans un contexte culturel et social. On parle de connotation lorsque la typographie véhicule un sens secondaire au sens premier du texte. La connotation dépend du contexte : un caractère aura un sens différent en fonction de son emplacement, de sa taille, de sa couleur et des autres caractères environnants. « La lettre sert non seulement à la lecture, mais provoque chez le lecteur des réactions rythmiques ; elle exprime une idée, contribue à créer l’ambiance, donne les nuances »178, explique JeanClaude Siegrist. « Dans un monde où la communication est menée sur plusieurs niveaux, la typographie – les style, taille et couleur – est une des manières par laquelle nous véhiculons une “signification” ajoutée »179, observe Shaughnessy. Le choix d’une typographie spécifique annonce le contenu du film. Cela est particulièrement manifeste dans les films de genre. Ainsi, la science-fiction présente généralement des titrages dans un rapport de contigüité en référence au monstre ou à la catastrophe qu’elle annonce. Le choix d’une typographie place le film dans une continuité esthétique. Au tout début du cinématographe, les titres n’étaient pas particulièrement originaux, explique Adam Duncan Harris : « Un même caractère pouvait être utilisé pour introduire un film fantastique ou une comédie. »180 Les styles de caractères vont progressivement être associés à des genres de film : « Le public verra d’imposants caractères victoriens introduire les Westerns, des lettres mélangées et décalées au début des comédies et des arabesques annoncer les romances. Les titreurs réalisèrent qu’un générique communique bien plus que le simple titre du film. »181 L’organisation du travail ayant été rationalisée, elle a eu pour effet de confiner les studios dans des genres cinématographiques. Les caractères typographiques furent

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Consolidated Film Industries a créé le générique de Terrified (Lew Landers, 1963) en traduisant visuellement la signification du titre par le choix d’un caractère anguleux. © Bern-Field Productions

Utilisées de films en films, certaines typographies deviennent inséparables du genre qu’elles représentent à l’instar des caractères à empattement rectangulaire pour les westerns comme, ici, dans Fort Apache (John Ford, 1948). © Argosy Pictures

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dès lors naturellement associés à des genres comme le western, le mélodrame ou la comédie. Les caractères calligraphiés seront synonymes de romances et les polices ludiques seront signes de comédies. Les films d’horreur ont, ainsi, particulièrement excellé dans les typographies ensanglantées et les westerns dans les caractères égyptiens à empattements quadrangulaires. Mais les relations entre caractères et genres semblent être le fruit du hasard : il n’y a pas eu, à notre connaissance, de règles spécifiques à ce propos, sinon du bon sens. « Bien que ces polices de caractères propres à Hollywood étaient appropriées et communicatives, la question de la relation à l’écran entre le mot et l’image ne se posait pas »182, explique Emily King. En effet, ce qui était important pour les studios, c’était que le public puisse saisir le genre du film en un clin d’œil. Ainsi, la calligraphie est une trace, celle d’une personnalité, par exemple, à l’instar de la signature de Zorro qui atteste du passage du justicier masqué. La typographie peut également ressembler à son référent : le titre du film Iron Man (Jon Favreau, 2008) est forgé du même fer composant l’armure du héros. Le caractère du documentaire Capitalism: A Love Story (Michael Moore, 2009) est instable et anguleux et connote de cette manière l’humour et la cupidité. Par le penché des caractères, le titre du film Back to the Future (Robert Zemeckis, 1985) traduit visuellement le sens des mots. Enfin, E.T.: The Extra-Terrestrial (Steven Spielberg, 1982) semble avoir été dessiné à la craie par un enfant, ce qui connote la gentillesse de l’enfance : le caractère véhicule l’idée que l’alien n’est pas agressif. À l’inverse, le caractère globuleux de Mars Attacks! (Tim Burton, 1996) ne présage rien de bon. La graphiste Sarah Hyndman explique que les designers ont l’habitude de jouer sur les associations et les relations que nous effectuons de manière quotidienne entre un contexte et une typographie particulière. Une fonte peut ainsi correspondre au mot, dans le but d’en faire directement comprendre le sens, ou peut lui apporter une signification supplémentaire, voire en altérer l’idée initiale183.

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La typographie sur grand écran Les choix et les contraintes L’art de choisir la bonne typographie dépend de nombreux paramètres qui sont parfois subjectifs : « Pour choisir une fonte, les graphistes prennent en considération l’histoire des polices de caractères, leurs connotations actuelles, ainsi que leurs qualités formelles »201, explique Ellen Lupton. Des collections de milliers de familles de caractères sont disponibles, en plus des caractères dessinés chaque jour pour des projets spécifiques. Le calligraphe belge Georges Antoine a travaillé depuis la fin des années 1920 jusqu’en 1986, date de sa mort, sur des intertitres de films muets, puis des génériques pour le cinéma et la télévision202. Il dessinait les lettres à la plume, sur carton, mais aussi, de plus en plus, sur cellophane, ce qui permettait de varier les arrière-plans. Le travail était rapide, car la création du générique est généralement la dernière étape, précipitée, de la chaîne de fabrication d’un film. Les erreurs étaient courantes, tels les noms manquants ou mal orthographiés. Pour le cinéma, le choix typographique s’effectuait avec le réalisateur. Pour la télévision, Georges Antoine choisissait lui-même les caractères, sur la base du contenu et du ton du film. Comme le dessin était manuel, il avait la possibilité d’adapter la forme des lettres pour mieux révéler le programme à venir. Historiquement, la création d’un générique se résumait à filmer des cartons en prise de vue réelle. « La plupart des techniques de

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Titres de génériques dessinés par Georges Antoine pour la RTB (télévision belge) : Les Soviétiques (Philippe Dasnoy et Jean Antoine, 1966), Arts Hebdo (1975), Tiré à part : Sing Sing (Pierre Manuel et Paul Roland, 1968) et Chine immémoriale (Jean Antoine, 1979). © Sonuma

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Titre du générique de Topkapi (Jules Dassin, 1964), par Jacqueline et Jean Fouchet. © Filmways Pictures

Ben-Hur (William Wyler, 1959), conçu sur plaque de verre par Pacific Title & Art Studio. © Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)

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Le caractère Trajan est un des plus utilisés au cinéma. Il est inspiré des inscriptions relevées sur une colonne érigée en 113 par l’empereur romain éponyme.

Pour éviter de chercher une police particulière pour un film, il est toujours possible d’utiliser le caractère Trajan. Créé en 1989 par Carol Twombly, celui-ci est inspiré des inscriptions relevées sur la colonne Trajane de Rome. La symbolique qu’il impose est forte, solennelle, dramatique même218. Il ne se compose qu’en capitales. Il est l’un les plus utilisés dans l’univers du cinéma. On le retrouve sur les affiches de Apollo 13 (1995), Minority Report (2002), Flags of Our Fathers (2006), I Am Legend (2007), etc. Même s’ils n’en font pas l’usage sur les affiches, certains films voient leur DVD typographié en Trajan tel celui de Hotel Rwanda (Terry George, 2004). L’usage abusif de ce caractère ne traduit pas simplement un manque d’originalité. Pour le professeur David Lewis, les consommateurs ont une préférence pour les produits familiers219 ; en utilisant une fonte commune, les producteurs tenteraient donc de ne pas froisser le public. C’est peut-être aussi parce que de nombreux longs métrages utilisent un mélange des genres et rechignent à être catégorisés220. Rodolphe Banchet, de Monotype Imaging, explique que c’est un choix simultanément élégant et paresseux. Élégant, parce que cette famille de caractères incarne un sentiment d’intemporalité et de classicisme ; paresseux, parce qu’il fait partie, depuis plusieurs années, des polices de base des logiciels [de mise en page] Adobe. Si bien que tout designer qui a ces logiciels sur son ordinateur a déjà cette police installée et disponible dans ses menus221.

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Mettre en mouvement des caractères, c’est bouleverser le cadre, auparavant statique, et les relations entre ses éléments constitutifs. Ainsi, le générique de Pulp Fiction (1994) affiche un titre plein cadre avant de le réduire progressivement via un traveling arrière. Les noms des acteurs se superposent successivement au titre qui continue à se faire de plus en plus petit. La différence de taille entre le titre, en mouvement, et les noms des acteurs, pourtant statiques, tend à modifier le statut des acteurs. Le dernier nom affiché, Bruce Willis, bénéficie d’une disposition plus avantageuse que celui de John Travolta, pourtant premier de la liste. La taille des caractères ne change pas ni leur disposition dans le cadre, mais l’interaction entre les noms et le titre, en arrière-plan, crée une distinction significative entre chaque occurrence. La typographie a, depuis longtemps, été utilisée de manière démonstrative. Au début de La grève (1925), Sergei M. Eisenstein indique par un intertitre que « Tout est calme ». Soudain, un second carton montre un « Ho » (« Mais ») en grandes lettres, la lettre H s’animant dans le O avant un fondu enchaîné vers l’image suivante. Par une « expression graphique »239 dira Dziga Vertov, c’est-à-dire le choix d’un caractère, d’une taille et, parfois, d’un effet visuel, les intertitres bénéficient de larges possibilités symboliques et sémantiques. Michel Marie montre que dans le film Octobre (1928), Serguei Eisenstein mobilise tous les paramètres du code typographique : « type de caractères, corps, épaisseur, ainsi que la composition graphique (disposition des lettres dans le cadre) et rythmique (variation sur la taille des lettres d’un carton à l’autre). »240

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Mouvement en travelling arrière du titre de Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994). Fontes : Aachen Bold (Colin Brignall, 1969) pour Letraset et Friz Quadrata (Ernst Friz and Victor Caruso, 1965) pour Visual Graphics Corporation. © Miramax

Carton animé dans La grève (Sergei M. Eisenstein, 1925). © Goskino

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Un intertitre du film L’Aurore (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau présente une typographie en mouvement : « Ne pourrais-tu pas la noyer ? » © Fox Film Corporation

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Certains films présentent du texte animé. Dans Faust (Friedrich Wilhelm Murnau, 1926), l’emphase finale sur le mot « Liebe » figure l’amour triomphant. Dans L’Aurore du même réalisateur (1927), le texte coule de visu et renforce de cette manière un moment important du dialogue : « Ne pourrais-tu pas la noyer ? » Le mouvement typographique du mot drowned ne laisse aucun doute sur l’horreur que cela implique. Quant à l’entame de Star Wars (George Lucas, 1977), débutant par « A long time ago in a galaxy far, far away… », puis fuyant vers l’infini, elle prépare le spectateur à un voyage dont les proportions n’ont rien de comparable sur Terre241.

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Pour 2001: A Space Odyssey, le caractère Gill Sans (Eric Gill, 1928) est utilisé pour le générique et la fonte Futura Bold (Paul Renner, 1927) pour les affiches. © Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)

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Ainsi, affiches et génériques diffèrent couramment : « L’affiche de cinéma n’est pas toujours l’exact reflet du film qu’elle présente »291, raconte Emily King. Ainsi, l’affiche du film Dr. Strangelove (Stanley Kubrick, 1964), dessinée par Tomi Ungerer, bénéficie d’un caractère plus visible que celui du générique. Parfois, à l’instar du film The Man With the Golden Arm, un designer se charge d’imaginer tant l’affiche que le générique. S’il en voit la nécessité, il choisira des caractères adaptés à chaque support. Sur une affiche, un titre gagne à créer une force d’attraction comparable à une marque ; sur l’écran, il gagne à s’insérer dans le flot cinématographique. Ce sont deux intentions différentes. Le choix d’une typographie a des répercussions sur un nombre important de supports et de médias : génériques, bandes-annonces, cartons de vitrines (séries de photographies tirées du film appelées aussi lobby-cards ou front of house cards), affiches, bande originale du film, supports physiques, teasers, ventes jumelées, jeux vidéos, etc. Certaines fontes sont plus indiquées que d’autres en fonction des usages. Ainsi, dans le cas de 2001: A Space Odyssey (1968), il fut utilisé deux caractères différents : Gill Sans pour le générique et Futura pour les affiches. Dans le monde de l’édition, une logique commerciale suppose que chaque cible ait sa propre sensibilité292. Les éditeurs ont donc tendance à varier les couvertures en fonction des pays et des publics. Toutefois, le livre est un loisir individuel, voire intime, alors que le cinéma est un divertissement collectif. Le matériel publicitaire d’un film bénéficiera davantage d’une certaine unité là où les livres gagnent à être au plus proche des sensibilités particulières de leur lectorat. Toutefois, les éditions DVD et de VOD respectent rarement la ligne graphique des films, en usant de visuels parfois très différents des affiches cinéma293. Jean-François Camilleri fait amende honorable : « Le distributeur du DVD a, en sa possession, les résultats du film en salles lorsqu’il effectue sa communication. Il peut donc ajuster le tir et modifier ce qu’il lui semble ne pas avoir fonctionné lors de la sortie salles ou garder ce qui a marché. De plus, le public

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a été en contact avec un premier visuel six mois plus tôt et il peut être intéressant de faire évoluer l’image du film lors de sa seconde vie en DVD. C’est donner au consommateur une vision nouvelle, légèrement différente. »294  Les suites, ou séquelles, font ipso facto un usage plus important du merchandising et des ventes jumelées, car les personnages sont présents sur une plus longue période. Inévitablement, les séries et les feuilletons montrent une cohérence graphique plus stable comme Star Wars, Indiana Jones, The Godfather, Toy Story ou Harry Potter. Ils doivent être identifiés comme faisant partie d’un tout. Les ventes de DVD sont potentiellement plus profitables, car chaque épisode bénéficie de la publicité des nouveaux titres. Ainsi, la série des James Bond est basée sur un élément introduit par Maurice Binder dans le premier film, Dr. No (Terence Young, 1962) : la séquence du canon de révolver, où l’agent secret, visé par l’arme, se retourne et tire vers les spectateurs, faisant ainsi couler du sang sur l’écran. Ce cercle est l’un des éléments visuels les plus reconnaissables de la franchise. Il renvoie, par synecdoque, à la lettre o du dangereux Dr. Julius No. En ce qui concerne l’affiche, elle présente un fusil associé aux numéros 007 de l’agent secret, le chiffre 7 devenant la poignée d’une arme à feu et associant typographiquement le personnage à son autorisation de tuer. Enfin, terminons par le commencement : les logos des firmes de production. Ils font bien évidemment partie du film et constituent un moyen de différenciation, en créant une unité dans la multitude des produits multimédias. Pour ne pas en filmer à chaque nouvelle sortie, ces animations parfois complexes furent reproduites sur des négatifs et accolées au début de chaque film produit par la firme295.  Ils certifient la qualité d’une expérience cinématographique qui se destine à être renouvelée mais, nous l’avons vu, avec un produit à chaque fois unique : « Les logos étaient associés à un répertoire d’attentes particulier, façonné par la dynamique concurrentielle et

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le style des maisons de production du système des studios. »296 Aujourd’hui, ces logos n’ont plus d’autre signification que de vendre du grand divertissement. S’ils adaptent leurs formes pour se fondre dans la diégèse du film, c’est pour mieux faire partie du spectacle et en acquérir l’aura. Le gigantesque monolithe de la 20th Century Fox a été peint en 1933 par Emil Kosa Jr. puis redessiné par Rocky Longo de Pacific Title. Il est lié à un son, la Fanfare Fox, composée par Alfred Newman297. Typographiquement, ils représentent le summum de la grandiloquence, avec des textes en trois dimensions, lumineux et aux reflets dorés. Aborder le texte au cinéma, c’est le replacer dans un contexte : une expérience temporelle cadrée et composée de multiples signaux en interaction. Le dessin des caractères a la capacité d’influencer radicalement la perception du texte, mais aussi des images et des sons. Dépassant les limites de l’écran, la typographie participe tant à la forme qu’au fond du message filmique. Elle offre aux réalisateurs et designers un champ de possibilités fascinant.

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lIste de titres de films

& leurs typographies Les pages suivantes rassemblent une sélection de titres de films classiques, tirés de leur générique, en regard du nom du caractère utilisé, de son dessinateur et de sa date de création, lorsque ceux-ci ont pu être identifiés. Elle témoigne de la richesse des utilisations typographiques, quels que soient les époques et les genres. Cette identification est sujette à caution, vu la diversité des variantes. Le nom du réalisateur et la date de sortie du film sont indiqués en italique.

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Trade Gothic — Jackson Burke (1948) Sidney Lumet (1957)

Gill Sans — Eric Gill (1928) Stanley Kubrick (1968)

Univers 57 Cond. — Adrian Frutiger (1957) Joshua Oppenheimer (2012)

Bodoni — Giambattista Bodoni (1798) Martin Scorsese (1993)

Helvetica — Max Miedinger (1957) Ridley Scott (1979)

Lettrage, auteur inconnu Federico Fellini (1973)

Papyrus — Chris Costello (1982) James Cameron (2009)

Antique Olive — Roger Excoffon (1962) François Truffaut (1968)

Lettrage, auteur inconnu Terrence Malick (1973)

Garamond — Claude Garamont (1530) Albert Lamorisse (1956)

Lettrage, auteur inconnu Josef von Sternberg (1930)

Bodoni — Giambattista Bodoni (1798) V. De Sica, F. Fellini, etc. (1962)

Kennerley — Frederic W. Goudy (1911) Arthur Penn (1967)

Vendôme — F. Ganeau & R. Excoffon (1952) Jean-Luc Godard (1960)

Caslon — William Caslon (1722) Ang Lee (2005)

Information Breitfett — Friedrich Karl Sallwey (1958) Peter Yates (1968)

Akzidenz-Grotesk — Günter G. Lange (1896) Paul Greengrass (2013)

Lettrage, auteur inconnu Jacques Becker (1952)

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table des matières

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Préface, avant-propos, Introduction 4 La typographie, de la page à l’écran Les mots et les images La photographie et le cinéma Hors de la page

12 17 19 22

Le signal textuel 26 Média et signal 26 Interactions 30 Caractéristiques et rôles du flux textuel L’écrit est atemporel L’écrit est linéaire Rôle transcodique Rôle séquentiel Rôle nominatif Rôle indexical Rôle connotatif

34 34 39 43 49 55 60 65

La typographie sur grand écran Les choix et les contraintes Diégese et exactitude Mouvements

76 76 86 89

Le contexte externe L’art du générique Publicité, affiches et bandes-annonces Concurrence et cohérence

98 98 103 107

Liste de titres de films & leurs typographies 114 Notes 122 Bibliographie Livres Articles Sites web

144 144 149 156

Remerciements 157

159


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