Interfaces architecturales : liens/liants entre la ville et ses micro-centralités

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INTERFACES ARCHITECTURALES Liens/liants entre la ville et ses micro-centralités Loreleï Peyrichou

ensaama DSAA Design Espace 2019



INTERFACES ARCHITECTURALES Liens/liants entre la ville et ses micro-centralités

Loreleï Peyrichou lorelei.pey@gmail.com Diplôme Supérieur des Arts Appliqués Mention Design d’Espace Session 2019



Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur Jean Christophe Valleran et Madame Catherine Collomb pour avoir accepté d’encadrer mon travail de recherche ainsi que pour m’avoir suivi et apporté leur aide et disponibilité. Je remercie l’agence PCA-STREAM pour m’avoir inspiré dans l’élaboration de ce sujet suite à nos échanges concernant le projet des Ardoines. Enfin, je tiens à remercier mes proches, pour leur relecture ainsi que leur soutien et leurs encouragements tout au long de mes études et de ce travail de recherche.



AVANT PROPOS

L’expérience de la ville qui m’a pourtant toujours été familière s’est modifiée au fur et à mesure de mes études en design d’espace. Mon regard ainsi que l’attention portée sur mon espace environnant quotidien m’ont permis d’observer des manières de « faire de la ville » aujourd’hui. En effet, au regard des nouveaux espaces que l’on voit fleurir un peu partout dans les grandes villes, on observe une volonté tant de la part des architectes et urbanistes, que de la part des collectivités, de vouloir créer des espaces de vie sur des sites qui n’étaient pas destinés à cela à l’origine. Notamment sur des sites auparavant laissés en marge, tels que des anciens sites industriels par exemple, créant alors une nouvelle vie au cœur de la ville. Les espaces sont alors reconnectés à des espaces de la ville et à leurs habitants. Cette approche s’est révélée déterminante dans mon travail de recherches. En effet la notion d’interfaces architecturales en tant que liant de micro-espaces à la ville, liant entre les fonctions et liant entre un bâtiment en marge et les habitants de la ville, m’a particulièrement intéressée dans le cadre d’une réflexion pour mon projet de diplôme autour de la création d’une nouvelle centralité à Vitry sur Seine, au sein des Halles des Ardoines. Depuis cinq ans, passer quotidiennement en RER devant ces Grandes Halles délaissées de la ville m’a donné envie d’en savoir un peu plus. La possibilité de pouvoir proposer un schéma, complémentaire aux réponses apportées par l’agence PCA, lauréats du concours EPSA-ORPA, s’est alors imposée à moi : reconnecter ce bâtiment à la ville et lui redonner vie. Le sujet du mémoire a permis d’établir une réflexion approfondie sur le moyen qui permettrait d’apporter une solution au projet. 7


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Sommaire

Introduction_____________________________________________ 1

La ville : espace physique, social et architectural___ 5 Définitions et typologies_________________________________ 5 Qu’est-ce que la ville ?__________________________________ 5 Une typologie formelle de la ville_________________________ 6 Fragmentation sociale et spatiale________________________12 Fragmentation sociale__________________________________12 Fragmentation spatiale__________________________________13 Fragmentation architecturale ____________________________18 Lieux devenus marginaux : un facteur de fragmentation __19 Qu’est-ce qu’un lieu en marge, un espace délaissé ?______19 La fragmentation de la ville causée par ces lieux___________20

Les micro-centralités : nouveaux centres au cœur de la ville_________________________________________25 Centre et centralité _____________________________________25 Qu’est ce qu’un centre ?_______________________________25 Les interactions immatérielles d’un centre_________________27 Espaces délaissés : un nouveau patrimoine, une nouvelle centralité__________________________________________________30 Réhabilitation d’un bâtiment_____________________________30 Redynamisation d’un site________________________________34 La notion de centralité toujours associée à la multifonctionnalité_____________________________________________________37

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Interface architecturale : lien entre la ville et le quartier, la fonction et l’usage, le passé et le présent__41 Interface architecturale : moyen de connexion physique, sociale et plastique______________________________________43 Connecter physiquement________________________________43 Connecter socialement__________________________________47 Connecter plastiquement, graphiquement_________________52 Interface architecturale : connecter le site à son histoire___56 L’interface peut-elle permettre au site d’évoluer dans le temps ?________________________________________________61 Conclusion______________________________________________67 Corpus_________________________________________________71

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INTRODUCTION

Aujourd’hui nous observons un renouvellement, un remaniement de la morphologie de certaines grandes villes, et notamment à l’échelle des quartiers. En effet, l’urbanisme n’est plus envisagé de la même manière et on privilégie la réhabilitation de l’existant, lié à des problématiques d’étalement urbain, et de densité. Les sites industriels, auparavant laissés en marge d’une vie citadine, de par la désindustrialisation, sont aujourd’hui considérés comme des parcelles à réintégrer à la ville. Une nouvelle typologie patrimoniale apparait alors, replaçant des ouvrages architecturaux tels que des anciens bâtiments industriels, des halles ferroviaires ou encore des anciennes zones portuaires, au cœur des réflexions des urbanistes et architectes. Ce remaniement permet alors d’insuffler une dynamique à des lieux parfois enclavés, à l’abandon et d’y proposer de nouveaux usages, en lien avec les besoins contemporains. « L’expression «ville éclatée» fait principalement référence au manque d’homogénéité de la morphologie et du paysage »1. En effet, à l’échelle urbaine sont observables différents paysages, ce qui conduit au terme de « ville éclatée ». L’étude anthropologique, pour sa part, décrit aujourd’hui la ville comme étant un « espace de diversité, de l’anonymat, de la fragmentation des lieux et des activités, de la rupture entre l’espace public et l’espace privé, de l’instabilité des relations, de la mobilité (résidentielle, professionnelle, loisirs...), de brassages sociaux multiples, de la faiblesse

1. GHORRA-GOBIN Cynthia, juillet 2006, La théorie du New Urbanism - Perspectives et enjeux, Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, Direction Générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la constriction, Centre de documentation de l’urbanisme, p.7. Disponible sur <http ://www.cdu.urbanisme.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/newurbanism_cle65d7e2.pdf>

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de la fonction intégratrice du territoire d’habiter2. » L’espace urbain est donc perçu comme un espace de discontinuité. De nouveaux schémas peuvent-ils alors tenter de réparer la ville à grande échelle, à une échelle plus petite ? S’inscrire dans des lieux mis à l’écart de la vie urbaine, permet de les reconnecter à la ville, de les inscrire dans une temporalité plus actuelle, et d’y proposer des usages répondant aux besoins d’aujourd’hui. La démarche de réinsertion de ces espaces pourrait permettre à plus grande échelle une restructuration moins fragmentée de la ville, et permettre de faire le lien d’un espace à l’autre. Des schémas vont alors être mis en place afin de pouvoir restructurer ces lieux et permettre de leur redonner une seconde vie. « En tant que discipline, l’architecture recèle le potentiel de doter les choses éphémères de formes concrètes3.» Ainsi, l’acte architectural intervenu sur le lieu en proposera une nouvelle écriture qui pourrait permettre une appropriation différente de l’espace par son usager et induire de nouveaux comportements. On parlera alors « d’interfaces architecturales ». Une interface est un plan ou surface de discontinuité formant une frontière commune à deux domaines aux propriétés différentes et unis par des rapports d’échanges et d’interactions réciproques. L’interface permet donc à la fois la différenciation et la réunion de deux entités. Elle permet de les lier, de créer de l’échange4, ce qui est recherché pour créer du lien dans la ville. Les changements seront notamment visibles sur le plan des circulations, d’une écriture globale du projet et sur les liens créés (liens sociaux, liens fonctionnels, liens historiques, etc). Mais cela ne peut être détaché de l’âme propre au lieu si l’on veut en livrer une part d’authenticité. Le lieu est donc soumis à deux échelles : celle de la ville à laquelle il est connecté, et à sa propre échelle. Ainsi qu’à deux temporalités : celle de sa vie antérieure, de ses anciens usages, et celle de sa nouvelle place dans la ville. Cette écriture de l’urbanisme, à l’échelle de la parcelle restreinte, engendre donc l’apparition de plusieurs centres au cœur de la ville, rendant visible un phénomène de « ville dans la ville ». A la manière d’une mise en abyme, des principes visibles à grande échelle (celle de la ville) y 2. ARRIF Abdelmajid - HAYOT Alain, Le territoire de la ville Les territoires dans la ville : Macro et micro frontières à Marseille, 1995, p.9 3. Traduit de l’anglais au français et tiré de HOLZER Barbara, Architectural interface : Space-ArchitectHumans,Disponible sur <http ://holzerkobler.com/process/architectural-interface-space-–-architect-–-humans> 4. D’après la définition d’« interface » du Larousse

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sont appliqués à une échelle microscopique (celle du quartier ou du bâtiment). Nous débuterons la réflexion autour de la notion de ville pour en dégager les problématiques autour des questionnements de fragmentation tant sur le plan spatial, que social ou encore architectural. De nouvelles formes de conceptions de l’urbanisme valorisant les espaces vacants et faisant apparaître de nouvelles centralités émergent alors. Nous poursuivrons la réflexion en nous focalisant sur ces nouvelles centralités, et sur leurs rapports, leurs liens aussi bien physiques, que sociaux avec la ville et ses habitants. La réflexion se portera autour de l’interface ville/quartier, quartier/bâtiment, fonction/usage ainsi qu’entre le passé et le présent. Finalement, il sera question d’interroger l’acte architectural en tant que liant, en tant qu’interface permettant de reconnecter physiquement, historiquement et socialement ces micro-centralités à la ville. La ville ne peut cependant pas uniquement se résumer à une approche physique car elle est aussi la traduction de l’organisation dans l’espace et dans le temps des hommes et de leurs activités dans un contexte donné. Il sera donc judicieux de se questionner sur la notion d’évolution de ces nouvelles centralités. Puisqu’elles s’inscrivent dans une histoire de la ville, comment à leur tour, peuvent-elles être amenées à évoluer ?

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La ville : espace physique, social et architectural

La ville : espace physique, social et architectural

DÉFINITIONS ET TYPOLOGIES Qu’est-ce que la ville ? « Qu’est ce qu’une ville ? La réponse est moins simple qu’il ne paraît. Suffit-il de se référer à deux critères, l’un démographique, l’autre économique ? On le fait encore communément. On considère la taille : telle agglomération, dit-on, bascule hors de la ruralité dès que le nombre de ses habitants dépasse un certain seuil - mais où situer précisément ce point critique ? On peut alors considèrer l’activité [...] cette double définition s’est solidement installée5. » D’après George Duby, historien français spécialiste du Moyen Age. Le mot ville vient du latin « villa6 ». En latin, la « ville », comme on l’entend au sens urbain, est plutôt désignée par le terme « urbs », qui signifie une ville avec son enceinte. Soit, la « cité » en Grèce nommée « polis ». En tant que telle, la ville se distingue alors du milieu qui l’environne par le simple fait d’exister dans le paysage. Elle est transition d’un milieu vers l’autre. La notion de polis peut donc se définir comme étant soit une donnée sociale et politique représentant le corps des citoyens, soit comme une donnée spatiale représentant un site qui noue une ville à son territoire. 5. DUBY George, Histoire de la France urbaine : La Ville médiévale des Carolingiens à la Renaissance, Editions Seuil, Paris,198, p. 11 6. Le terme « villa » désigne une exploitation agricole, une ferme, voire un ensemble d’habitations à la campagne permettant d’accueillir les ambassadeurs que l’on ne voulait ou pouvait recevoir en ville. La notion de l’activité au sein de cet espace y est donc importante.

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La ville est également un regroupement, une concentration de fonctions en un même lieu. Elles coexistent et s’influencent entre elles. En reprenant les termes de l’architecte Le Corbusier, on pourrait les nommer ainsi : habiter, travailler, circuler, se récréer7. L’architecte utilise ces termes, mais ils n’incluent pas toutes les caractéristiques fonctionnelles que la ville doit prendre en compte. En effet, au delà des fonctions résidentielles, économiques, de transports, de communication ainsi que culturelles (si l’on redéfinit les termes employés par Le Corbusier) il faut également prendre en compte les fonctions sociales et politiques puisqu’elles façonnent l’organisation de la ville et sont à l’origine même de la définition du mot « polis ». La ville est donc multiple. Elle est à la fois milieu physique et milieu humain, dans lequel se concentre une population qui organise son espace de vie selon les contraintes du paysage et en fonction de ses besoins et de ses activités. Mais également en fonction du contexte socio-politique. La ville est un milieu complexe qui ne peut pas se résumer uniquement en une approche physique car l’espace de la ville est tout d’abord la traduction et la représentation de l’organisation dans l’espace et dans le temps des Hommes et de leurs activités dans un contexte précis. Ce contexte peut être physique, climatologique, économique, politique, social ou encore culturel. L’approche de la ville ne peut donc être que diachronique. Pour en comprendre la morphologie, la typologie, les liens qui s’y sont créés et son histoire, il est nécessaire d’en connaître l’évolution. On peut la comparer à un écosystème qui interagit en permanence avec ses hôtes, c’est une entité vivante.

Une typologie formelle de la ville La ville, d’un point de vue formel, est un espace créé par la réunion et l’association de formes urbaines variées, traduisant chacune la conception de la vie en ville à un moment donné. Nous parlerons ici de trois typologies formelles observables et théorisées par Burgess, R. M. Hurd ainsi que celle d’Harris et Ullman8. Ces trois schémas nous permettront de dégager

7. D’après LE CORBUSIER, La Charte d’Athènes, 1933 8. Ces théories sont regroupées et tirées de l’ouvrage de BAILLY Antoine S., 1973, « Les théories de l’organisation de l’espace urbain ». In : L’Espace géographique, tome 2, n°2), pp. 81-93. Disponible sur <https ://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1973_num_2_2_1384>.

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les grands axes de conception spatiale de la ville et d’en faire ressortir les principaux problèmes. La théorie des zones concentriques ou modèle de Burgess

Ernest Burgess, sociologue urbain américain, formule cette théorie en 1925 ce qui contribuera à la fondation de l’école de Chicago. Le principe de ce schéma9, comme son nom l’indique, s’organise en anneaux autour d’un noyau urbain. L’aspect temporel y est donc présent, puisque la partie centrale est la partie la plus ancienne de la ville et le reste s’agrandit et se construit avec le temps. Le centre de la ville est le quartier des affaires, où la valeur foncière est la plus élevée, mais dans les pays européens, le modèle serait un peu différent puisque le centre serait plutôt occupé par le quartier historique. La densité y est tout de même particulièrement importante. Ce cœur est entouré d’une zone transitoire, où se mêlent petit à petit les utilisations résidentielles et commerciales.

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1 Centre des affaires 2 Zone de transition 3 Zone ouvrière 4 Zone résidentielle 5 Banlieue

Schéma du modèle des zones concentriques ou modèle de Burgess. Répartition dez zones en anneaux autour d’un noyeu urbain.

« Cette zone est considérée comme étant «en décomposition» en raison d’un grand nombre d’anciennes structures, car les bâtiments de la zone de transition étaient auparavant utilisés pour des usines […] Cette zone 9. Ce principe s’appuie sur les écrits de d’autres théoriciens, tels que Von Thünen.

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avait une forte densité de population lorsque les activités industrielles étaient à leur apogée. Ceux qui résidaient dans cette zone appartenaient au segment le plus pauvre et avaient les conditions de logement les plus basses10. » Cette zone de transition entraine alors une fracture entre le cœur et les cercles suivants. Plus on se trouve au centre, plus les anneaux sont organisés de manière à regrouper les populations par nationalité, par ordre d’arrivé et par richesse. A l’inverse, plus on se dirige vers la périphérie, plus les populations sont riches et mieux intégrées. Les espaces de chevauchement de ces zones engendrent la succession d’un mode d’habitat et le passage d’une catégorie sociale à une autre. Burgess a théorisé ce modèle afin de décrire le processus d’intégration des étrangers, mais le modèle est surtout ici à considérer d’un point de vue morphologique et social de la ville. Il reflète ce phénomène de seuil, de transition d’une zone à l’autre, ce qui au final crée une certaine forme de rupture. C’est surtout la notion de rente foncière qui explique ce découpage de l’espace urbain. La re-contextualisation de la théorie par le sociologue P. H. Chombart de Lauwe et le géographe P. George représente ce découpage en mettant l’accent sur les divisions d’un paysage urbain et la répartition des groupes sociaux. La ville reste donc un schéma d’organisation qui favorise le statut social, culturel de l’habitant et créé donc des frontières invisibles. La ville est donc d’une certaine manière espace de ségrégation et de fragmentation. De nouvelles « frontières », cette fois physiques, vont ensuite venir modifier le paysage urbain : les voies de transports. Ce nouveau paramètre à prendre en compte va lui même permettre de théoriser de nouveaux modèles. C’est par exemple le cas du modèle des secteurs.

10.Extrait de l’article Burgess model or concentric zone model (1925), publié en 2017 sur le site www. planningtank.com

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Le modèle des secteurs

Homer Hoyt, économiste américain, vérifie ainsi les concepts élaborés, dès le début du XXème siècle, par R. M. Hurd11 , également économiste américain. Cette théorie se fonde sur l’apparition des réseaux de transports dans la ville. En effet, les axes de transits rendraient alors les terrains alentours plus désirables et en accroîtraient leur valeur. La ville tend donc à se développer le long de ces axes. Homer Hoyt constate alors que des zones résidentielles qualitatives ont tendance à se développer le long des axes routiers et ferrés. Le secteur s’étend par la suite en direction de la périphérie. Ce phénomène est aujourd’hui assez ambivalent. On observe à la fois la situation inverse et celle théorisée. En effet, si l’on prend l’exemple de certaines villes de la région parisienne, beaucoup de parcelles se sont construites le long des voies de chemin de fer. Mais elles ne sont pourtant pas forcément très attractives puisqu’elles concernent majoritairement des sites industriels. On observe pourtant aujourd’hui une volonté de vouloir réintégrer ces parcelles à la vie de la ville, ce qui la rend alors moins fragmentée. Nous développerons cette idée par la suite.

A gauche : Le modèle des zones concentriques, modifié par la présence d’axes de transports. A droite : Les distorsions dues aux axes de transports sur la ville de Paris (chaîne de diffusion: Halbwachs/ George)

11.Dans HURD R. M., Principles of city land values. New-York, The record and guide, 1911.

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D’après les deux économistes américains, la ville n’est donc plus perçue de la même manière. Les zones « de qualité » tendent à se mêler un peu plus aux autres puisqu’elles s’étendent plus. La ville est alors toujours espace fragmenté dans le sens où il existe encore des espaces plus ou moins qualitatifs, mais ils sont plus transversaux, et moins enclavés. Ils semblent donc plus accessibles à toutes les populations, de part leur localisation dans la ville. Ce qui rend la ville toujours aussi scindée, n’est peut être plus sur le plan social ou morphologique mais sur le plan fonctionnel. En effet, on observe comme une « spécialisation » des zones. Autour des axes de transits, on observe notamment l’apparition de sites industriels, de parcs ou de commerces. La ville est donc bien organisée en « secteurs ». Le modèle des centres multiples

Ce modèle est développé par Harris et Ullman, géographes américains. Cette théorie apparait au moment où de grandes transformations ont lieu dans la morphologie des grandes villes américaines. Cela conduit à l’apparition de centres indépendants au cœur de la ville. Pour les géographes cela peut être expliqué au travers de facteurs. Tout d’abord, certaines activités nécessitent des aménagements particuliers et doivent donc avoir des zones « dédiées ». Par exemple les centres commerciaux; ils doivent être positionnés de manière à être le plus accessible aux autres zones dans la ville. Les activités semblables sont regroupées afin de bénéficier d’une cohésion économique. De même les activités moins attrayantes sont regroupées et positionnées plus à l’écart. Finalement ce schéma ressemble à la théorie des secteurs à la différence que l’organisation est réellement conçue en terme de centralités dispersées dans la ville. Le problème de ce schéma n’est pas le phénomène de regroupement des activités parce que celui ci semble assez cohérent. Mais la rupture est toujours belle et bien présente car on reconnait encore des zones plus attractives que d’autres et donc forcément des zones plus ou moins vivantes au sein de la ville. La morphologie et les fonctions de la ville évoluent et se renouvellent sans cesse au cours du temps. Une typologie formelle est donc difficile à définir puisqu’elle est en perpétuelle évolution. Liés à des facteurs comme le développement des moyens de transports ou en encore la désindustrialisation, les modèles urbains doivent s’adapter. Si le modèle des centres multiples est celui qui se rapproche le plus de ce que la ville 10


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est aujourd’hui, la principale question de l’urbanisme est de lier cette diffusion spatiale de fonctions auparavant réservée à la ville-centre, au reste de la ville. La ville est surtout une succession de modèles, d’écritures et de changements. D’après Christian de Portzamparc la ville a trois âges. La ville de l’âge I est la ville « historique », celle de l’âge II est celle de l’urbanisme moderne du XXème, qui a souvent modifié l’âge I. La ville de l’âge III est la ville d’aujourd’hui qui contient celle de l’âge I et celle de l’âge II. Elle est absolument hétérogène, réfractaire à tout modèle normatif, témoin d’un éclatement des codes12. La ville est donc un lieu de contraste, d’opposition, et parfois même de fragmentation.

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4 1

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7 5

6 9

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1 Centre des affaires 2 Commerce de gros et industries 3 Résidence des classes pauvres 4 Résidence des classes moyennes 5 Résidence des claisses aisées 6 Industries lourdes 7 Quartier d’affaires secondaires 8 Banlieue résidentielle 9 Banlieue industrielle

Schéma du modèle des centres multiples. Zones dédiées aux différentes activités et dispersées dans la ville.

12. LUCAN Jacques, juin 2012, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 208 p.

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FRAGMENTATION SOCIALE ET SPATIALE Dans la ville hétérogène, les parties coexistent chacune de leur côté. Ainsi, on observe un phénomène de repli. Premièrement au niveau spatial « observable dans les formes variées de fermetures et/ou de maîtrise de la distance dans la ville (murs, grilles, résidences fermées, zones-tampons) ». Deuxièmement dans les représentations collectives « dans l’abandon d’une vision commune de la ville comme espace d’intégration, de rencontre, et de convivialité13. » La ville n’apparait pas en tant qu’unité. La fragmentation est d’abord visible d’un point de vue morphologique donc à grande échelle mais également à d’autres niveaux.

Fragmentation sociale Le terme de fragmentation sociale est souvent assimilé à la ségrégation sociale, alors qu’il existe une différence entre les deux termes. En effet, en géographie et sociologie urbaine, le terme de ségrégation est utilisé pour évoquer les différences de distribution de groupes, de catégories ou toute sorte de collectifs dans l’espace urbain14. Le terme de fragmentation sociale quant à lui désigne l’action des différents groupes sociaux qui se répartissent les espaces de la ville tout en mettant en place des stratégies d’évitement créant alors un phénomène « d’entre soi ». On préférera alors peut être le terme de « sociable » plutôt que social. La fragmentation de la sociabilité serait alors la distanciation de l’échange entre les corps, un repli sur soi, une sorte d’individualisme. En effet, l’étude anthropologique décrit la ville comme espace de l’anonymat, du chacun chez soi. Cette perte de sociabilité au sein de la ville marque une distance et influence l’appréhension et l’expérience à la ville. « Lorsqu’une ville a une petite étendue, lorsque sa population est peu abondante, la facilité qu’ont ses habitants de parcourir toutes ses rues, la fréquence avec laquelle ils se voient les uns avec les autres, et avec laquelle ils sont en relation et s’entendent nommer réciproquement, pro-

13. Selon Jean-Baptiste Lanne, doctorant à l’Université Bordeaux Montaigne. 14. D’après FRANTZ David, La ségrégation : la division sociale de l’espace dans la reproduction des rapports sociaux, novembre 2011, sur le site halshs.archives-ouvertes.fr

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portionne, par soi-même, tous les moyens nécessaires pour une communication mutuelle […]15 » La citation relève le problème du lien entre la concentration de population, la proximité spatiale et la sociabilité. En effet, en prenant l’exemple d’une grande ville comme Paris, on ne peut pas nier totalement la présence de sociabilité. Il existe toujours le café du coin occupé par ses habitués, et les échanges y sont encore présents. A l’échelle macroscopique, du petit lieu convivial il existe encore ce genre d’interaction. Mais en ayant un regard à une échelle plus grande, à l’échelle urbaine, la distance entre les individus est beaucoup plus présente. « Si l’espace urbain, comme il a été dit ici, est l’espace de la densité, la densité peut conduire au sentiment d’anonymat.16 » La densité urbaine serait alors un facteur de distance sociale. En effet, si l’on prend encore l’exemple de Paris et que l’on considère des espaces publics denses, comme Châtelet les Halles ou le quartier de la Défense, on observe surtout une masse de citadins pressés, se croisant sans se parler. Apparaissent d’ailleurs aujourd’hui des tentatives de re-sociablisation de ces espaces au travers de mise en place d’événements (tournois de sport, ou encore festivals d’arts urbains). Ces événements permettent alors au citadin de s’arrêter, de prendre le temps et donc d’établir un contact avec l’autre. C’est donc par l’acte événementiel sur un vaste espace, en y créant une nouvelle temporalité que la sociabilité peut réapparaître. La rupture de cette sociabilité est donc étroitement liée à l’échelle de l’espace mais surtout à la temporalité de parcours qui y est proposé.

Fragmentation spatiale La fragmentation spatiale, d’un point de vue urbain et architectural désigne un phénomène physique visible dans l’espace. Elle correspond à une coupure, un scindement du tissu urbain. Cette cassure peut être due à la présence de voies de communication, de voies naturelles ou encore à l’abandon d’un espace. La résultante de ce phénomène est l’isolement de certains quartiers, ce qui conduit en globalité à la fragmentation spatiale 15.Manual de Buenos Ayres. Explicación del Plano Topográfico que manifiesta la distribución y nuevos nombres de las principales calles de esta Ciudad, Plazas, edificios públicos y Cuarteles. Con Agregación del sistema que se ha seguido en la nueva numeración. 1823, manuscrit anonyme, 1823. Première édition, avec préface et transcription paléographique de Jorge Ochoa de Eguileor, Buenos Aires, 1981, p. 19-21. Cité par Pilar González Bernaldo de Quirós dans Sociabilité urbaine, Hypothèses, 2009 16. Pilar González Bernaldo de Quirós, Sociabilité urbaine, Hypothèses, 2009

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de la ville qui peut alors entraîner une fragmentation sociale. La fragmentation spatiale peut donc être vue négativement, mais elle peut s’avérer aussi être seulement le constat d’une transition d’un espace à l’autre et participer donc de l’hétérogénéité de la ville. Comme vu précédemment au travers des modèles exposés, la fragmentation fonctionnelle est déjà visible dans certaines grandes villes. Ainsi on observe des zones dédiées aux activités commerciales, aux activités industrielles et aux logements. Cela engendre la « spécialisation » des espaces et donc crée un seuil, une transition entre les espaces sans forcément qu’il y ait une continuité. Si l’on prend l’exemple de la ville de Metz, on observe ce phénomène de fragmentation spatiale. Elle est due à plusieurs facteurs. La Moselle crée une sorte de frontière entre différents espaces au sein de la ville. Elle scinde la ville en plusieurs parties, qui, sont très différentes entre elles surtout d’un point de vue fonctionnel et architectural. Ainsi, L’île centrale où se situe le Temple Neuf paraît comme étant une entité à part, comme une petite ville dans la ville. Le centre historique, à proximité de l’île se rattache un peu à cet espace. On a donc une première zone qui regroupe des quartiers au paysage de la ville historique, où se regroupent les monuments et les petits commerces. Au nord de la ville, se regroupent les principaux campus universitaires. Les fonctions communes sont donc rassemblées en un même lieu, et c’est un espace qui est occupé par une population précise. De même, avec le quartier du Technopôle (numéro 13 sur la carte des quartiers), beaucoup d’entreprises y sont regroupées. Il y a donc ici une notion de franchissement invisible dans la ville. On observe ensuite plus l’apparition de « nouveaux quartiers » qui se construisent encore actuellement et qui marquent une réelle cassure avec le reste de la ville historique. Ce sont des espaces qui sont en reconversion et dont le paysage architectural va être modifié. C’est par exemple le cas du quartier de l’Amphithéâtre qui accueille depuis peu le musée Centre Pompidou-Metz. De nouvelles fonctions sont attribuées au site : grands centres commerciaux, pôle culturel, bureaux, etc. Ces nouveaux quartiers marquent une transition très forte d’un point de vue fonctionnel mais surtout dans leur écriture architecturale et vont venir crée un nouvelle dynamique au cœur de la ville. Cette rupture est donc étroitement liée à l’histoire de la ville. C’est son évolution dans le temps qui façonne son hétérogénéité et qui crée ce seuil des espaces entre eux. Cette temporalité exerce donc une écriture urbaine changeante dans la ville. C’est aussi en cela, qu’on observe une discontinuité dans l’écriture architecturale des villes.

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Les quartiers de la ville de Metz, une diversité paysagère Quartiers au paysage historique 2 Metz Les îles 4 Quartier Nouvelle-Ville 5 Quartier centre-ville 6 Quartier du Sablon

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Quartiers au paysage végétal 1 Metz Bellecroix 8 Quartier de Vallières-les-Bordes

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Quartiers au paysage résidentiel 10 Quartier de Magny 11 Quartier de la Grange-aux-Bois 14 Plantières-queuleu

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Quartier au paysage urbain (grands ensembles) 7 Quartier de Borny9 Quartier Metz-Patrotte Paysage industriel en reconversion 3 Metz Devant les Ponts

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Quartier générateur d’emploi (concentration des entreprises) 13 Quartier de Grigy-Technopôle Quartier en renouvelement, paysage à tendance mixte (bureaux, logements, commerces)

12 Quartier de l’Ampithéâtre

En haut : La fragmentation spatiale de Metz à travers les paysages de quartiers En bas : Zoom sur une fragmentation spatiale naturelle de la ville, la Moselle

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En haut : La Moselle, rupture spatiale du quartier historique de Metz En bas : Quartier de l’Amphithéâtre, un nouveau quartier en construction ©ANMA

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La ville : espace physique, social et architectural

En haut : Bâtiment Home, ZAC Masséna-Chevaleret, ©Hamonic + Masson & Associés En bas : Sation F, Halle Freyssinet, © 2018 FashionNetwork.com

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Fragmentation architecturale La ville est le reflet de son histoire tant à travers sa morphologie qu’à travers l’écriture architecturale de ses bâtiments. Elle est le reflet d’une époque, d’un savoir faire et de ses avancées techniques. Paris, longtemps considérée comme étant une ville musée, subit aujourd’hui des transformations marquant des discontinuités architecturales au cœur de la ville. Illustrons cette affirmation avec l’exemple du quartier Tolbiac-Chevaleret. Ce quartier est aujourd’hui en transformation totale. Le territoire est d’ores et déjà contrasté si on le considère à la grande échelle de Paris. L’écriture haussmanienne qui constitue l’identité principale architecturale de Paris dans la mémoire collective est déjà bien éloignée de ce que l’on trouve dans ce quartier. En effet, une rupture spatiale existait auparavant au sein de ce quartier de par la présence des voies de transports et d’un de ses bâtiments : la Halle Freyssinet. Cet ancien bâtiment ferroviaire, construit dans les années 1920 qui abritait jusqu’en 2006 les messageries de la gare d’Austerlitz, était depuis quelques années inexploité. Ce bâtiment, ainsi que plusieurs autres, créaient un ensemble d’architectures faisant de ce quartier un espace dédié à ses activités. Par la suite inexploités, ils sont devenus facteur de rupture spatiale. Ils sont finalement devenu le prétexte à étendre cette rupture spatiale et architecturale à plus grande échelle. C’est ce patrimoine ferroviaire qui a fait «naître» le quartier. Ainsi, a pu être construit un quartier nouveau, qui lui même entre en discontinuité avec Paris, mais qui dialogue de manière cohérente avec les bâtiments en son cœur . La ville est un tout dans lequel sont observables des parties. Que cela soit dans sa répartition sociale comme la Théorie de Burgess l’illustre, ou que cela soit au travers de l’interaction de ses habitants, sa répartition spatiale ou son écriture architecturale globale. La ville, en tant qu’entité vivante est diverse. Elle est amenée à évoluer et les usages autrefois présents en ville subissent eux aussi des mutations. Certains bâtiments alors autrefois exploités sont aujourd’hui des espaces laissés en marge. Ces constructions sont de plus en plus au cœur des problématiques et des politiques de réaménagement urbain, puisqu’ils peuvent eux-même constituer à la fois le problème et la solution face à la discontinuité et la non-connexion des espaces de la ville.

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La ville : espace physique, social et architectural

LIEUX DEVENUS MARGINAUX : UN FACTEUR DE FRAGMENTATION Qu’est-ce qu’un lieu en marge, un espace délaissé ? Un espace en marge se trouve à la périphérie ou à l’écart de quelque chose17. La notion de distance physique entre alors en jeu mais n’est pas l’unique facteur. Un espace vacant peut se trouver en plein milieu d’une ville et non pas à l’écart de celle ci; mais se trouver en marge car son utilisation originaire est trop éloignée des nouvelles fonctions et usages de la ville et donc il n’a plus d’utilité. L’espace est alors délaissé. Cela induit une temporalité passée. Le fait que le lieu ait eu une utilisation au préalable, qu’elle n’est plus et qu’éventuellement il pourrait de nouveau être utilisé. C’est donc la temporalité qui joue un rôle essentiel dans l’occupation ou la désertion de ces lieux. Les espaces délaissés apparaissent d’abord avec la désindustrialisation ou la délocalisation. En effet, la division des tâches de production a induit la fragmentation du tissu urbain. D’autre part, la pollution engendrée par l’industrie a conduite cette dernière à s’installer plus à l’écart de la ville. Elles se trouvent alors souvent en périphérie ou à proximité des voies de communication. Mais la ville tend aujourd’hui à s’étendre à sa périphérie. Les constructions nouvelles, se font à l’écart du centre historique comme on l’a vu avec l’exemple de la ville de Metz. Les espaces se retrouvent alors à proximité de la nouvelle ville, causant une rupture entre ses différents espaces. On parle aussi de friche. « Aujourd’hui, la friche désigne, dans les territoires urbains et ruraux, des tènements18 inutilisés, bâtis ou non bâtis. Son appellation se décline selon l’ancienne affectation de l’espace sur lequel elle se trouve, d’où les termes de friche agricole, de friche industrielle ou encore de friche militaire.19 » Ces sites sont aujourd’hui au cœur des poli17. Selon la définition de « en marge » donnée par le CNRTL 18. Ensemble de maisons qui se tiennent, de propriétés qui se touchent, définition de « tènement » donnée par le CNRTL : 19. Janin Claude et Andres Lauren, Les friches : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l’aménagement des territoires ? Annales de géographie, 2008/5, n°663, p.138

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tiques de réaménagement, car ils créent un cassure dans la morphologie et dans l’écriture de la ville à grande échelle. Il est donc nécessaire de les y réintégrer.

La fragmentation de la ville causée par ces lieux Si l’on prend l’exemple des Ardoines à Vitry sur Seine (le site du projet professionnel), le site reflète assez bien ce phénomène de cassure au sein de la ville. En effet, la commune étant traversée par la voie de chemin de fer du RER C, on observe deux parties constituant la ville. La partie Ouest de la ville où est regroupé la majorité des logements, des commerces et des institutions ainsi que la partie Est, bordée d’un côté par la voie de chemin de fer et de l’autre par la Seine. Cette seconde partie elle, est majoritairement industrielle. On y trouve de nombreuses industries, de nombreuses PME et PMI spécialisées dans les biotechnologies, ou encore le siège de l’agence d’essais ferroviaires de la SNCF. Il existe aujourd’hui des ponts pour relier la partie Est à la partie Ouest, mais cette liaison se fait majoritairement en voiture et constitue surtout un moyen de rejoindre les grands axes de circulation. Le site des Ardoines, sur lequel sont situées les Halles, est uniquement accessible par voie piétonne pour les personnes travaillant sur le lieu. Il est donc en retrait, en marge par rapport à la ville. De part sa géographie mais surtout de part la traversée du RER qui, par son tracé segmente la ville en deux parties. Le lieu est aujourd’hui partiellement occupé par des ateliers de maintenance, mais la majorité de la surface des bâtiments (et notamment les halles principales dont l’architecture est remarquable) est inexploitée et détachée de la ville. Une grande partie côté Seine est donc inaccessible pour les habitants de la ville alors qu’elle constitue un atout paysager. Le site créé donc un « obstacle » physique dans la ville. Le projet des Ardoines a pour objectif de transformer un site majoritairement industriel en une ville mixte, où activités productives et tertiaires, fonctions résidentielles et récréatives s’organisent autour d’une offre de qualité d’espaces publics et d’une mobilité démultipliée. L’espace sera donc « rendu » à la ville et à ses habitants. Il sera re-connecté et re-connec-

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La ville : espace physique, social et architectural

En haut : L’inaccessibilité à la Seine pour les habitants causée par la délimitation du site des Ardoines, zone aujourd’hui non ouverte au public. En bas : Les Halles principales, une architecture de béton.

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tera des espaces en marge et créera un nouveau centre attractif au cœur de la ville de Vitry sur Seine. Aujourd’hui on observe un phénomène qui tente de reformer du lien social et spatial au moyen de réinvestir des lieux en marge. Cela prend forme à travers des projets aux formes diverses et surtout qui s’inscrivent sur des temporalités différentes. En effet, le lieu peut être investi de manière pérenne comme c’est par exemple le cas avec le projet de Station F prenant place au cœur de la Halle Freyssinet. L’ancienne halle ferroviaire est aujourd’hui devenu lieu d’accueil du plus grand campus de startup au monde. Mais un lieu peut également accueillir de manière éphémère un projet. C’est par exemple le cas du projet des Grands Voisins. Au cœur de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le 14e arrondissement de Paris, le projet, initié par l’association Aurore en 2012 et soutenu par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris s’est installé au cours de l’acquisition du site par la Ville de Paris pour y développer un nouveau quartier de ville, avec la création de 600 logements. Les travaux du projet ne commençant qu’en 2017, le lieu a pu être utilisé le temps de la procédure. Au lieu de rester inutilisé, et sans vie au cœur de la ville de Paris, des associations s’y sont installées proposant alors de nouveaux usages au sein de ce bâtiment. Près de 2000 personnes y habitent et travaillent. Entre hébergement de personnes fragiles, occupation des locaux restants par des porteurs de projets associatifs, culturels et solidaires le projet des Grands Voisins est « un laboratoire urbain d’ampleur inédite.20 » On y trouve des espaces ouverts à tous (bars, restaurants, ateliers, etc). Le bâtiment est alors « rendu » à la ville et à ses habitants. Aujourd’hui la question ne concerne plus l’habitant seul qui tient à recréer du lien dans la ville. Les urbanistes et architectes, ainsi que les collectivités s’intéressent de plus en plus à ces lieux en marge et décident de les remettre au devant de la scène. Ils deviendront alors pôle attractif de la ville et redéfiniront de nouveaux centres.

20.D’après la description du projet sur le site Lesgrandsvoisins.org

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Les micro-centralités : nouveaux centres au cœur de la ville

En haut : Station F, un projet de réactivation pérenne ©Patrick Tourneboeuf En bas : L’ancien hôpital, une seconde vie générée par le projet des Grands Voisins.

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Les micro-centralités : nouveaux centres au cœur de la ville

Les micro-centralités : nouveaux centres au cœur de la ville CENTRE ET CENTRALITÉ Qu’est ce qu’un centre ? La notion de centre peut être entendue comme géométrique et induit une structuration et une organisation de l’espace. Mais cette notion est d’avantage le milieu et le point de convergence d’actions diverses. Il peut se définir comme étant « le lieu d’un organe vers lequel convergent ou duquel émanent les dispositions structurales ou fonctionnelles qui confèrent à cet organe son unité et qui conditionnent ses relations avec l’ensemble de l’organisme.21 » Et selon M. Roncayolo (1990) « la ville est une centralité en elle-même qui assure, par son existence et sa localisation, la rencontre et l’échange entre les hommes.22» La centralité est donc point de rencontre, d’échanges et de mouvements. En résumé, la centralité peut être définie selon deux critères. C’est à la fois un lieu de concentration des fonctions ainsi qu’un positionnement géographique, placé à distance égale des autres zones. La concentration des fonctions peut alors inclure une densité urbaine, des commerces, des équipements, des services et une desserte par les transports en commun. Quand on parle de centre dans un contexte urbain, on pense de manière assez directe au terme de centre-ville. En effet ce terme désigne le centre, le noyau et le cœur puisqu’il est le « départ » géométrique et géogra21. GASNIER A., Centralité urbaine et recomposition spatiale : L’exemple du Mans, Norois, 1991 22. Idem

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phique de ce qu’est la ville. Le centre-ville est, la plupart du temps, définit ainsi : « quartier au centre d’une ville, où se situe la plupart des monuments et commerces de la ville23 » ou encore « quartier central d’une ville, le plus animé ou le plus ancien.24 » Dans Le droit à la ville d’Henri Lefebvre, l’auteur utilise le terme de centralité pour décrire les centres des villes traditionnelles européennes concentrant les pouvoirs politiques et économiques ainsi que les nécessités de la vie citadine (commerces, écoles, culture, loisirs, services médicaux et administratifs). Dans l’article d’Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé25, les réflexions d’August Lösch sont exposées afin de compléter les caractéristiques de la centralité. En effet, cet espace est également influencé par un ensemble de facteurs : prix du foncier élevé, concentration des pouvoirs économiques et politiques, siège de la culture, etc. La centralité désigne donc une spatialité mêlant donc à la fois le social, l’économique et le politique. Comme nous l’avons vu précédemment, la morphologie des villes se modifie toujours au cours du temps. Aujourd’hui, le phénomène d’expansion des villes en direction des périphéries permet d’interroger le terme même de « centralité », qui ne correspond plus forcément au centre géométrique des villes. Il sera donc question ici de traiter le terme de centre, centralité au sens d’espaces représentant des polarités concurrentielles pour les centresvilles. Cela aura pour conséquence l’apparition de nouveaux schémas qui re-dessinent en profondeur les territoires et restructurent la vie urbaine. « Aujourd’hui, les habitants organisent alors leur quotidien, non pas à partir de la centralité — par définition matérialisée par la ville historique — telle que la définissait Lefebvre, mais à partir des centralités concrètes qui émergent un peu partout dans la société urbaine éparpillée.26 » La centralité peut également être perçue en s’affranchissant des seuls rapports de proximité et de distance physique. En effet, on peut la considérer en prenant en compte davantage les interactions immatérielles qui y ont lieu.

23. Définition de « centre-ville » donnée par Universalis.fr 24.Définition de « centre-ville » donnée par le Larousse 25. MARCHAL Hervé, STÉBÉ Jean Marc, 2013, « Repenser la centralité : L’exemple d’une ville moyenne française ». In : Sociologie et sociétés, Volume 45, Numéro 2, pp. 111–128. Disponible sur <https ://doi.org/10.7202/1023175ar> 26.Idem

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Les interactions immatérielles d’un centre Si la centralité est observable physiquement, elle induit également des effets immatériels, des phénomènes. Puisque le centre est concentration d’activités, il est le lieu de densité humaine, et de vie. Un centre se différencie donc notamment par son animation, sa temporalité, ainsi que par les comportements de ses usagers induit par la spatialité différente de celle de la ville à grande échelle. La densité des fonctions génère donc une vie plus animée. Puisque le centre propose des usages à la fois de « loisirs » (places publiques, restaurants, etc) et des usages de « nécessité » (commerces, institutions, services, etc), il est plus fréquenté que les autres quartiers. Il devient alors le lieu de rassemblement de populations diversifiées dans le sens où se côtoient des personnes qui viennent pour se détendre, pour se promener, pour se restaurer, effectuer des achats, ou pour chercher le service dont ils ont besoin. Si l’on prend l’exemple du quartier de la Défense, ce lieu peut être considéré comme un centre (un centre d’affaires pour être plus précis). Le quartier est majoritairement lieu de travail, mais par la présence du CNIT et du centre commercial des Quatre Temps, il favorise une « mixité » des usages et donc la mixité des populations présentes sur le site. On y trouve à la fois des travailleurs et des personnes venant profiter des autres fonctions du site comme des familles par exemple. La déambulation en ce lieu ne sera donc pas la même en fonction des usagers, car leur présence n’est pas justifiée de la même manière. Ainsi, une temporalité multiple va venir exister et façonner le lieu. On pourra en observer à différentes échelles. A l’échelle de l’individu tout d’abord. La temporalité de déambulation sera différente pour une personne qui travaille sur le lieu ou pour une personne qui vient s’y promener. Enfin, puisque la Défense est un quartier majoritairement occupé par des bureaux, la population ne sera pas la même en semaine et en week end, et donc l’occupation et la temporalité de déplacement sur le lieu seront différentes. Le phénomène d’occupation et de déplacement de l’Homme sera donc variant selon des facteurs liés au temps et au but. L’Esplanade étant uniquement accessible aux piétons, la déambulation, qu’elle soit d’une temporalité courte ou rapide est favorisée.

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Les caractéristiques physiques d’un centre engendrent donc des phénomènes et des comportements chez l’habitant. Ainsi, il « s’approprie » l’espace dans sa manière de l’appréhender. Il existe aujourd’hui un baromètre afin de questionner les souhaits du citoyen à propos des attentes qu’il a vis à vis d’un centre ville. Mais on pourrait étendre cette idée à la notion de centralité de manière plus générale. Commandé par l’association d’élus locaux et de parlementaires « Centre-Ville en Mouvement », ce baromètre est devenu un outil incontournable pour les élus. En matière d’aménagement des centres-villes, les habitants sondés ont formulé trois priorités : • la piétonisation des rues ; • les commerces alimentaires ; • et les transports en commun L’aménagement de nouvelles centralités se doit donc aujourd’hui de prendre en compte l’avis du citoyen afin de répondre au mieux à ses attentes. Il devient alors acteur dans l’élaboration des projets, et c’est également une caractéristique qui pourrait permettre de « limiter » en partie cette notion de fragmentation de la ville que nous avons évoquée auparavant (en tout cas d’un point de vue social, et en terme de sociabilité). De plus, l’aménagement de nouvelles zones centrales à la ville est synonyme de renouvellement urbain et non pas de « colonisation27 » comme l’explique Jacques Lucan28. Il est donc de plus en plus courant de voir ces nouvelles centralités s’installer sur des terrains déjà occupés ou sur lesquels ont été délocalisées les activités d’origine. Aujourd’hui on tente de tirer partie des zones délaissées, mises de côtés plutôt que de faire «table rase » du passé, autrement dit l’urbanisme ne veut plus démolir pour reconstruire mais bien reconsidérer un héritage patrimonial.

27. Le terme de colonisation est à comprendre dans le sens d’occupation d’un lieu, d’un territoire par l’extension de la propriété. Il peut être associé au terme « d’envahissement ». 28. LUCAN Jacques, juin 2012, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 208 p.

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Résultats du sondage CSA pour Centre-ville en mouvement, 2018.

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ESPACES DÉLAISSÉS : UN NOUVEAU PATRIMOINE, UNE NOUVELLE CENTRALITÉ Certaines centralités se développent donc en composant avec l’existant. L’enjeu est alors double. Il doit d’une part créer un nouveau cœur dans la ville et d’autre part réintégrer un espace qui était à l’écart de cette vie urbaine, par sa désaffectation ou encore par sa distance physique à la ville. Ainsi selon Albert Lévy, docteur en Etudes Urbaines et chercheur au CNRS « Les discontinuités urbaines signifient que les éléments d’une forme urbaine (les types bâtis dans un tissu urbain par exemple) ne trouvent leur sens qu’à l’intérieur d’une période morphologique donnée (mais une certaine évolution peut s’y produire sans bouleverser la forme), au-delà de cette période, avec la forme qui mute, ces éléments, soit perdent leur sens pour en adopter d’autres, soit disparaissent en se transformant totalement.29 » Liées à des modifications d’utilisation des territoires, certaines zones ou constructions se retrouvent inexploitées. La qualité architecturale ou l’histoire du lieu peuvent amener à reconsidérer ce patrimoine comme intéressant à conserver et à réhabiliter. Une mutation des fonctions engendre alors un nouveau rapport à ce site, qui, peut devenir alors lui même, nouvelle centralité de la ville. Nous allons, à travers des exemples considérer deux cas : celui de la conservation d’un bâtiment sur le site et de sa reconversion, puis la redynamisation d’un terrain sans construction.

Réhabilitation d’un bâtiment C’est par exemple le cas des Nefs de la Loire de l’île de Nantes. Vaste territoire insulaire encerclé par la Loire et situé face au centre historique de la ville, ce site était destiné à la production industrielle. En effet, les nefs, servaient de chaudronnerie pour les chantiers navals. A la suite de leur fermeture en 1987, le terrain est resté à l’abandon. C’est à partir de ce moment que la ville s’interroge sur la potentialité de cet espace. L’île de

29. LÉVY Albert, mars 2005, « Formes urbaines et significations : revisiter la morphologie urbaine ». In : Espaces et sociétés, Editions ERES, (n° 122), 240 pages, pp. 25-48, mise en ligne 01/11/2006. Disponible sur <https ://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2005-3.htm>

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En haut : Les Nefs de la Loire, état des lieux, avril 2006, ©AlexandreChemetoff. Au milieu : Après la réhabilitation du bâtiment ,Septembre 2008, ©Alexandre Chemetoff. En bas : La nouvelle vie au cœur des Halles, les Machines de l’île de Nantes, 2016.

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Nantes tout entière subit alors une opération de réaménagement tentant de lier à nouveau cet ancien site industriel à la ville historique. Les Halles s’inscrivant sur le territoire de restructuration de l’île deviennent un patrimoine à reconsidérer. Le bâtiment est alors désossé, déplombé pour n’en garder que sa structure métallique et exploiter ses atouts : sa structure, sa toiture translucide et ses grandes circulations traversantes. Elles deviennent alors un grand espace libre et ouvert, couvert, traversé par des rues publiques dans lesquelles viennent s’inscrire des programmes artistiques ayant un impact sur la ville entière. Aujourd’hui encore, les Nefs accueillent l’Atelier et la Galerie des Machines30, ainsi que certaines machineries comme l’éléphant créées par François Delarozière et Pierre Oréfice. Elles accueillent également la Fabrique (Tetrarc architectes), un pôle de création culturelle dédié aux arts émergents (musiques actuelles, arts numériques et autres pratiques artistiques). Les Nefs peuvent également être utilisées pour des spectacles, évènements associatifs, privatisations, etc. « Le volume ainsi dégagé génère une rencontre entre un espace public et des lieux d’expérimentation programmatiques et artistiques.31 » En effet, le choix d’un point de vue spatial, a été de prolonger l’espace urbain extérieur à l’intérieur même du bâtiment grâce à cette longue allée centrale. Les passerrelles crées en hauteur rejoignent visuellement toujours cette promenade centrale permettant une visibilté sur cette «rue» depuis laquelle se déroulent les festivités programmées au cœur des Nefs. La nouvelle écriture s’inscrit en cohérence avec le site, son histoire ainsi que son vocabulaire architectural comme on peut le voir par le réemploi formel visible sur les petites dépendances proposant des usages complémentaires (restauration, toilettes, etc). Aujourd’hui l’île de Nantes, et plus particulièrement le site des Nefs est une nouvelle centralité de la ville. Indépendante du cœur historique, elles constituent un pôle attractif à part entière au cœur duquel le site vit sa deuxième vie.

30. réalisée par Nicole Condordet et Patrick Bouchain architectes. 31. D’après les archives : 2005/2007, Les Nefs de la Loire, Nantes (44), Un parapluie urbain, sur le site www.alexandre-chemetoff.com

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Création de passerelles en hauteur afin de proposer des points de vue sur la «rue» centrale (en accord avec les festivités du lieu)

Grâce à ces passerelles, offrir une visibilité sur les ateliers, les «dessous» du lieu

Circulation principale Prolongation de la rue extérieure à l’intérieur du bâtiment

Réemploi de la même écriture architecturale pour l’ajout de nouveaux espaces

Les grands principes architecturaux des Nefs de Nantes permettant de réinsuffler une dynamique à un lieu autrefois délaissé.

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Redynamisation d’un site Le projet BLOX conçu par OMA et sa partenaire architecte Ellen van Loon, à Copenhague en 2018 est également un exemple de nouvelle centralité développée sur un site vacant. Cette fois ci le site n’était pas construit. L’implantation du nouveau bâtiment est donc particulière puisqu’elle concerne une zone du front de mer de la ville, jusqu’ici alors peu fréquentée. Le port intérieur de Copenhague est un ancien site industriel et militaire. L’emplacement abritait initialement un groupe de bâtiments de brasserie qui a brûlé dans les années 1960. Malgré sa proximité avec l’hyper centre32, le site était à l’abandon. L’enjeu ici était de désenclaver le lieu et de le redynamiser. Un autre défi important était de concevoir le projet avec cette principale contrainte du site : l’imposante artère routière l’isolant des quais. Le programme initié est alors le suivant : la création d’un bâtiment, nommé BLOX, avec le positionnement en son centre du DAC (Centre d’Architecture Danois). Afin de rendre le lieu plus attractif, diverses fonctions ont été mêlées à la programmation. Ainsi, le bâtiment abrite aussi des espaces d’exposition, des bureaux et des zones de co-working, un café, une librairie, un centre de fitness, un restaurant, vingt-deux appartements et un parking public souterrain. L’architecture du bâtiment est également conçue de manière à relier la ville et le port en créant de nouvelles voies à travers la ville et en permettant le franchissement de la route pour le piéton. Le bâtiment crée une nouvelle dynamique en connectant deux espaces autrefois détachés : la place Kierkegaard et la ville. Son volume, situé directement le long du port, façonne une place publique protégée par les bâtiments alentours et un front complémentaire à la place de la bibliothèque existante. « The ambition is for BLOX to become a magnet for urban life. A place where everybody is going to for lunch, to play with their kids or to enjoy the view of the harbour. New bridges and public squares turn the area into a key part of Copenhagen’s infrastructure, especially for pedestrians

32. Un hyper centre est l’équivalent d’un centre-ville dans le cas de grandes agglomérations. Souvent assimilé au centre historique, la plupart des activités qu’elles soient culturelles, commerciales, politiques ou administratives s’y concentrent.

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BLOX, le bâtiment, conçu comme un enjambement au dessus de la route, ©OMA

Schéma des nouvelles connections crées, ©OMA

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and cyclists. BLOX will bring life to a part of Copenhagen Harbour that has been deserted for years. 33» Le bâtiment « absorbe la vie de la ville ». Les circulations créées à travers l’architecture entraînent des interactions entre l’intérieur et l’extérieur, entre le bâtiment et la ville, reliant les différentes fonctions présentes à l’intérieur et autour de l’architecture. Elle est réellement pensée pour la déambulation et le passage d’un point à un autre. En cela, l’intervention permet déjà un dynamisme en son cœur puisque l’architecture incite au déplacement. L’ancienne aire de jeux est intégrée dans le nouveau bâtiment, en tant qu’espace public partiellement couvert et en terrasse, qui peut être transformé le soir en un cinéma de plein air faisant office de foyer public. Le lieu devient réellement un espace à vivre. Il a pour ambition, pour vocation de devenir nouveau centre. L’avenir permettra de juger comment les habitants de la ville accueilleront et s’approprieront ce nouveau bâtiment. Les nouvelles centralités qui apparaissent aujourd’hui, comme on a pu le voir à travers ces deux exemples, ont une tendance à proposer une diversité au niveau de la programmation. A une fonction principale viennent se greffer des fonctions complémentaires (espaces d’accueil événementiel, café, etc). L’acte de redynamisation de ces sites, laissés auparavant en marge, passe-t-il forcément par cette démultiplication des fonctions en un même lieu ?

33. «L’ambition est que BLOX devienne un pôle d’attraction pour la vie urbaine. Un endroit où tout le monde va déjeuner, jouer avec ses enfants ou profiter de la vue sur le port. Les nouveaux ponts et les places publiques font de la région un élément clé de l’infrastructure de Copenhague, en particulier pour les piétons et les cyclistes. BLOX donnera vie à une partie du port de Copenhague qui a été désertée pendant des années. » Sur le site de Blox, Architecture, design and new ideas, BLOX, www.blox. dk

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LA NOTION DE CENTRALITÉ TOUJOURS ASSOCIÉE À LA MULTIFONCTIONNALITÉ A travers les exemples que nous avons analysés, nous pouvons observer que l’application d’une diversité programmatique est de plus en plus courante dans la conception d’espaces urbains. En effet, les termes même de centre et de centralité amènent à ce type de programmation. Des fonctions de services, de loisirs, de logements, de bureaux ou encore de transports vont s’enchevêtrer puisque l’objectif est que l’usager trouve tout en un même endroit. Mais ce n’est pas pour autant qu’un espace fonctionne bien. Le terme de multi-fonctionnalité est omniprésent dans les propos des architectes, des urbanistes et des promoteurs immobiliers. En effet, cette manière de concevoir les espaces les intéressent tant dans leur spatialité puisqu’ils concentrent tout en un point que dans leur fiscalité (hausse du foncier à proximité de ces espaces, mise en commun de certaines ressources, etc). On synthétise tout en un même endroit, alors la demande et les prix sont grandissants. De nouveaux termes apparaissent alors pour désigner ces « nouveaux espaces » qui ne le sont pas réellement puisque l’idée des grands ensembles en est finalement l’ancêtre. Le terme de « mixed used building » en est un exemple mais il n’est pas plus que les Cités comportant les unités d’habitation pensées par Le Corbusier. Les fonctions s’influencent les unes entre les autres, mais ont finalement parfois du mal à cohabiter. Aujourd’hui, certains espaces urbains tentent de reproduire ces schémas, mais non plus à l’échelle unique du bâtiment, mais à l’échelle du quartier, du macrolot34. Ainsi, s’articule une offre de logements et de bureaux autour de centres commerciaux. Mais qu’est ce que finalement un espace où l’on trouve tout pour y vivre ? Ou plutôt des espaces tournés vers la consommation de masse ? Ces lieux, s’ils sont construits de toute part semblent parfois désincarnés, sans identité et histoire propre. Ils finissent surtout par tous se ressembler. A l’échelle 34. Le macrolot, spatialement, est une division parcellaire qui doit obligatoirement être autorisée par l’autorité compétente. Cette division abouti à la création d’un îlot qui sera ensuite réparti entre plusieurs entités (différents maîtres d’ouvrage, coordinateur, leader, etc) permettant de mener une opération de construction ou d’aménagement sur un tènement foncier unique mais formée de plusieurs entités.

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du macrolot, Jacques Lucan révèle les avantages de cette diversité mais également les principaux défauts. En effet, alors que les projets prônent la diversité, finalement la répétition des principes à l’échelle du quartier finissent par uniformiser le paysage architectural de la ville à grande échelle. « La mixité défendue par le macrolot finit par s’opposer à son corollaire, la diversité.35 » Ce qu’il faut alors prendre en compte au delà de l’aspect multifonctionnel, c’est la manière de retranscrire ces fonctions, de les lier, de les opposer. La manière d’écrire le projet d’un point de vue plastique. Pour que le lieu soit identitaire, il faut en considérer la localisation, ses utilisations, ses interactions, son histoire, etc. Si l’écriture architecturale de l’espace n’est que l’application du programme, alors la fragmentation des fonctions y sera visible. L’objectif de regroupement de ces divers usages en un même site, est de les faire justement cohabiter. La cohabitation passe donc par le lien entretenu entres ces différentes fonctions. L’intérêt de concevoir un projet de re-qualification urbaine à l’échelle du macrolot est de justement tout gérer de manière cohérente et homogène. Afin de créer une unité de la micro-centralité pour réussir à la lier à la ville. Mais l’unité ne doit pas prévaloir à tout prix si elle n’a pas de sens, ou si le sens n’est pas en accord avec les alentours. Ou si l’histoire du site d’implantation n’est pas prise en compte car c’est là qu’apparaissent des espaces impersonnels, sans charme et sans identité du lieu. L’intérêt est donc de réellement questionner l’identité de ce micro-espace urbain36 pour qu’il s’intègre à la ville. Il est donc nécessaire de penser l’acte architectural comme moyen réel de transition. Nous parlerons d’interface architecturale pour caractériser cette manière d’agir en lien. « L’interface » est visible à plusieurs échelles. A un niveau intra-urbain (celle du quartier) et à un niveau inter-urbain (entre le quartier et la ville). La relation entre ces deux échelles sera interessante à questionner car nous verrons que des principes visibles à l’échelle de 35. L’Architecture d’aujourd’hui, Mixité, réversibilité, diversité, dossier spécial sur les Mixités, décembre 2016, n°416, p.40-41 36. Un micro-espace urbain peut être défini comme étant un espace de la ville, restreint, à échelle réduite (à l’échelle du quartier par exemple) sur lequel seront visibles les transformations de la ville contemporaine par des interventions pensées et réalisées à petite échelle. Il peut permettre de démontrer des manières dont la micro-intervention urbaine pourrait ensuite être appliquée à plus grande échelle. Définition inspirée des propos de VACHON Geneviève Vachon, RIVARD Érick et BOULIANNE Alexandre, La micro-intervention pour comprendre, révéler et faire l’espace public, micro-interventions, Numéro 120, printemps 2015

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Les micro-centralités : nouveaux centres au cœur de la ville

la ville sont appliqués parfois à l’échelle du quartier. Alors comment le centre à grande échelle influence celui à petite échelle et inversement ? Et comment l’interface permet-elle de lier de manière cohérente le nouveau centre à la ville ?

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Interface architecturale : lien entre la ville et le quartier, la fonction et l’usage, le passé et le présent

Interface architecturale : lien entre la ville et le quartier, la fonction et l’usage, le passé et le présent Les architectes et urbanistes conçoivent spatialement et plastiquent la façon dont l’usager va circuler et vivre l’espace. L’usager l’accepte consciemment ou inconsciemment. La qualité d’un espace dépend justement de cette « acceptation intuitive37 » qu’en a l’usager. En effet, l’espace exerce une influence dans la vie quotidienne des personnes qui utilisent cet espace, mais la façon dont il est conçu influence également le ressenti que l’on a en ce lieu. En milieu urbain, c’est la composition des bâtiments, leur architecture, les places, les percées et la relation entre densité et ouverture qui déterminent une partie de l’expression des lieux. L’identité du lieu invite l’usager à le vivre de manière différente : rester, ou simplement passer. Ainsi l’espace, selon sa conception peut générer de l’interaction ou non, de l’exposition ou de l’isolement, des temps de pause ou non. « En tant que discipline, l’architecture recèle le potentiel de doter les choses éphémères de formes concrètes38.» La manière dont est conçu un espace va donc permettre d’objectiver physiquement des manières d’agir, des comportements et une appropriation de l’espace par l’usager. Le terme « d’interface architecturale » représente cette idée. Une interface est un plan ou surface de discontinuité formant une frontière commune à deux domaines aux propriétés différentes et unis par des rapports d’échanges et d’interactions réciproques. Ou encore la limite commune à 37. D’après HOLZER Barbara, Architectural interface : Space-Architect-Humans, Disponible sur <http :// holzerkobler.com/process/architectural-interface-space-–-architect-–-humans> 38. Traduit de l’anglais au français et tiré de HOLZER Barbara, Architectural interface : Space-ArchitectHumans,Disponible sur <http ://holzerkobler.com/process/architectural-interface-space-–-architect-–-humans>

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deux systèmes, permettant des échanges entre ceux-ci. L’interface permet donc à la fois la différenciation et la réunion de deux entités. Elle permet de les lier, de créer de l’échange39. Appliquée au domaine de l’architecture, on peut la considérer comme une écriture de l’espace permettant la transition ou encore le franchissement. La transition peut être visible d’un espace vers l’autre, d’un usage à l’autre, d’une temporalité à l’autre ou encore d’un usager à l’autre. C’est également le passage de la pensée conceptuelle à un résultat physique, concret. L’interface architecturale est donc le moyen de lier et d’unifier le lieu afin d’en faire un tout cohérent. On peut la retrouver sous différentes formes : elle peut être intervention plastique, principes constructifs, emplois de matériaux particuliers ou encore charte architecturale. On nommera donc « interface » le moyen d’écrire l’identité d’un lieu. Elle sera aussi le moyen de déterminer ce qui appartient ou non à ce lieu, elle en définira peut être les limites, la continuité, ou le lien (qu’il soit continu ou non) avec la ville. « Les lieux et les bâtiments qui créent un sentiment d’identité sont une composante essentielle de nos racines culturelles. Ils offrent des points de référence et d’ancrage dans un monde globalisé, en mutation constante40. » L’interface pourra donc générer ce sentiment de « repère ». Le sentiment qui fait que l’on sait où l’on se trouve, et que l’on comprend l’étendue d’un espace. Nous allons illustrer cela au travers d’exemples concrets qui questionneront les notions sur lesquelles une interface peut modifier la perception et l’appréhension à l’espace que l’usager en a.

39. D’après la définition d’« interface » du Larousse 40. Traduit de l’anglais au français et tiré de HOLZER Barbara, Architectural interface : Space-ArchitectHumans,Disponible sur <http ://holzerkobler.com/process/architectural-interface-space-–-architect-–-humans>

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Interface architecturale : lien entre la ville et le quartier, la fonction et l’usage, le passé et le présent

INTERFACE ARCHITECTURALE : MOYEN DE CONNEXION PHYSIQUE, SOCIALE ET PLASTIQUE La notion d’interface questionne dès le départ dans son sens même la limite, la frontière entre deux espaces. Si l’on cherche à unifier un lieu par l’interface architecturale c’est que l’espace d’origine présente des cassures, des ruptures. Ces ruptures, comme on l’a vu précédemment à l’échelle de la ville peuvent être d’origines différentes : spatiale, sociale ou bien historique. L’interface agit alors ici comme solution, moyen de « réparer » les défauts du site causé par son insertion à grande échelle dans la ville, mais à une échelle plus réduite.

Connecter physiquement La rupture la plus flagrante est la rupture physique puisque c’est celle qui isole réellement l’espace à celui plus global de la ville. Nous l’avons vu précédemment à travers des exemples de sites laissés en marge. Puisqu’ils sont aujourd’hui reconsidérés afin de devenir de nouveaux centres attractifs de la ville, on peut observer sur certains sites des « règles » mises en place afin de créer une cohérence spatiale. L’acte architectural va alors être travaillé de manière à induire réellement un changement dans la spatialité du lieu afin de le relier à la plus grande échelle. C’est par exemple le cas du projet BLOX/DAC situé à Copenhague. Le projet prend en compte la contrainte du site : il est traversé par une route. L’écriture du bâtiment s’articule donc tout autour de cet axe transversal. Afin de créer une circulation et une distribution des fonctions du bâtiment, l’architecture propose alors une répartition en « bloc » autour de la voie de transport. Ainsi une règle de volumétrie globale est donnée au bâtiment, et l’intérieur n’est que l’enchevêtrement de différents volumes qui agissent les uns sur les autres. Le musée est placé au centre du bâtiment afin de créer une circulation qui amène vers cet espace, et propose donc une traversée à travers la construction. La répartition des fonctions et l’emplacement du musée au centre permet de créer des circulations qui vont de part et d’autre du bâtiment, permettant de relier la ville, au bord de l’eau; espace autrefois délaissé. Ainsi, la question de la limite entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment est traitée en cherchant la porosité. On ne distingue pas forcément de 43


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frontière directe. Le principe de « rue » joignant l’extérieur à l’intérieur du bâtiment crée une frontière de part le simple fait qu’on entre ou sort du bâtiment. Mais le parcours est fait de sorte à ce qu’il n’y ait pas de rupture physique ou temporelle directe. On peut simplement traverser, franchir le bâtiment pour aller d’un point A à un point B, ou alors on peut y entrer, se promener à l’intérieur et se diriger vers les fonctions proposées. Le bâtiment permet donc de reconnecter les deux parties de la ville scindées par l’axe routier, et de proposer une traversée piétonne autrefois impossible. L’interface d’agencement des blocs ici recrée donc le lien entre ces deux espaces. C’est le questionnement autour de la circulation qui permet de créer l’identité du lieu et qui permet un lien entre la ville et le nouveau centre qu’est BLOX. C’est également le cas de ce projet, réalisé en Chine par l’architecte Liu Jiakun41. La région étant en total renouvellement, ce site est devenu l’un des principaux centres de la région. Le projet consiste donc en la création d’un équipement urbain multifonctionnel et attractif. Ce grand espace, propose des logements, des bureaux, des commerces, des espaces culturels, des espaces sportifs, etc. Mais comment réussir à inclure ce gros bloc sans en faire une entité coupée de la vie de la ville ? Le projet a donc été pensée comme une ville à échelle réduite prenant place dans une ville à plus grande échelle. Ainsi, une circulation tout autour du site est possible, la mettant en lien direct avec la ville. L’interface propose un jeu de rampes sur presque toute la longueur de l’équipement. Ces rampes peuvent être utilisées pour atteindre les étages supérieurs ou comme circuit pour faire du vélo ou du jogging. Ainsi, on observe une extension de la fonction urbaine à travers le site. La transition de l’espace « extérieur » (la ville) à l’espace « intérieur » (l’équipement) se fait sans seuil physique comme une porte, mais en prolongation de la fonction rue. L’usager peut alors passer de la ville à grande échelle, à la centralité nouvelle sans cassure physique. Une continuité est créée grâce à cette promenade. Un parcours au sein de l’infrastructure peut alors être considéré et intégré à l’échelle de la ville entière comme prenant place au sein de la trame urbaine toute entière, même si elle propose un schéma un peu particulier réparti sur plusieurs niveaux. L’interface ici permet donc de recréer du lien physique entre des espaces qui n’étaient pas reliés entre eux ou qui n’étaient pas insérés dans la trame de la ville. Elle permet également de tisser du lien social et une appropriation de l’espace par les habitants. 41. Jiakun Architects, West Village - Basis Yard, Chine, 2015

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BLOX, Le bâtiment, conçu comme un enjambement au dessus de la route, et centralisant toutes les circulations, ©OMA

Le principe de la composition de bloc dans une boîte, ©OMA

Schéma de mise en place du principe, ©OMA

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En haut : Projet West Village - Basis Yard, Chine, 2015, Coupe de l’organisation des rampes, équipement de liaison du site, ©JiakunArchitects Au milieu: L’infrastructure organisée en promenade urbaine autourd’espaces de rencontre sportifs et culturels, ©Jiakun Architects En bas: Les rampes, équipement dédié à la promenade et aux sports, ©Jiakun Architects 46


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Connecter socialement Au delà d’être le moyen de réconciliation physique d’espaces, l’interface peut également être une manière de les reconnecter à une vie sociale. En effet, l’écriture de places publiques par exemple permet de redonner de la vie à un lieu autrefois non utilisé par la ville. Le lieu devient alors une nouvelle centralité, où des interactions sociales se tissent. Cela peut même tendre à devenir un espace où les gens se retrouvent réellement, un espace de ralliement, un espace « repère » parce qu’il est facile à identifier. Reprenons l’exemple du projet BLOX/DAC à Copenhague. Le site, à proximité d’un axe autoroutier ne fait pas vraiment rêver, mais il permet pourtant un accès au quais et donc de créer des espaces à proximité de l’eau, qui n’étaient pas présents auparavant. L’interface prend ici en compte cet aspect social du projet et induit l’appropriation de ces espaces par l’usager. Cette appropriation est possible de par la présence de gradins proposant des assises et donc induisant une pause, ainsi que par la présence d’aire de jeux pour les enfants. La création de cet espace public accolé au bâtiment entre directement en écho avec celui-ci dans son écriture même, qui reprend le langage en blocs que l’on visualisait déjà au sein de l’architecture. L’interface peut, au delà de l’aspect formel, être programmatique. C’est à dire qu’elle est directement appliquée à la fonction du lieu. C’est par exemple le cas de l’opération Paris Plages. Chaque année, pendant l’été, la voie sur berge rive droite de la Seine ainsi que des sites annexes (la place de l’Hôtel de Ville, ou encore le bassin de la Villette) accueillent des activités sportives et ludiques dans un cadre reconstituant des bords de plage et offrant des espaces de détente aux usagers. La ville met alors en place des moyens architecturaux et scénographiques pour rendre ces espaces accessibles au public. Comme par exemple la création de ces bassins au bord du Canal St Martin. Les bassins sont conçus avec des profondeurs différentes, et des pontons permettant de passer de l’un à l’autre à pied. L’interface ici permet donc à la fois de mêler un élément naturel du site : la Seine, avec la nouvelles fonctions proposées : la nage, et les activités nautiques périphériques au bassin. L’interface est également ici le moyen de connection sociale puisqu’elle propose des rapports entre les usagers inhabituels et favorise alors l’échange. Les moyens utilisés par la ville sont très divers, il peut 47


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BLOX, Appropriation de l’espace public par les usagers à différentes temporalités, ©OMA

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En haut : Paris Plage, Édition 2017, Canal St Martin Au milieu: Paris Plage, Edition 2016, Quais de Seine En bas: Projection sur des bâtiments lors de la Fête des Lumières à Lyon, 2015. © CITIZENSIDE / GRÉGORY KAPRIÉLIAN

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s’agir de création de délimitation d’espaces avec du sable, de création de mobilier ou encore comme ici de création de nouveaux équipements permettant la baignade. Mais le principe de l’interface ici est surtout de créer la continuité du programme « Paris Plages » à travers plusieurs sites au cœur de la ville. C’est également le cas de l’évènement prenant place à Lyon chaque année en décembre : La Fête des Lumières. Les moyens employés ici sont moins diversifiés, il s’agit essentiellement de projection sur les bâtiments et monuments de la ville. Ainsi, ils ponctuent la ville et créent un véritable parcours, une promenade urbaine offrant à l’usager la possibilité de parcourir la ville d’une nouvelle manière. Cet évènement attire d’ailleurs un grand nombre de visiteurs chaque année et est un réel atout touristique et économique pour la ville. Proposer des usages d’appropriation du territoire pour l’usager est donc une solution qui permet de réinsuffler de la vie à un site. De plus, on parlait d’unité du site, mais une interface peut -elle proposer une diversité d’identité à la fois ? L’effet est-il alors le même ? A-t-on encore cette impression d’appartenance à un même site ? Et si une diversité est présente, que représente-t-elle ? A Copenhague, un autre projet urbain illustre ces questionnements. Le quartier Nørrebro abrite depuis 2012 une place publique et un parc urbain appelé Superkilen42. Divisé en trois zones, l’espace propose une succession de paysages très différents.La première aire est caractérisée par des couleurs vives. Elle est essentiellement consacrée aux sports, et a été conçue comme une extension de la salle de sport se trouvant à l’entrée du parc. La seconde place, en ciment cette fois est un lieu privilégiant essentiellement les rencontres. On y trouve des tables d’échecs, des barbecues, des aires de jeux, etc. Enfin, la troisième partie nommée Green Park est un espace végétalisé, proposant un parc au cœur de la ville. Le parti pris de ce projet était le suivant : rassembler du mobilier urbain d’une soixantaine de pays différents, et créer une diversité urbaine au cœur de la ville pour en imager la réelle diversité de ses habitants. Selon les propos de Topotek1 « Superkilen est une sorte de collection surréaliste de la diversité urbaine globale qui reflète en réalité la vraie nature du voisinage local – plutôt que de perpétuer une image pétrifiée d’un Danemark homogène. »

42. Créé par Superflex (un collectif d’artistes danois) , Bjarke Ingels Group (un cabinet d’architecture basé à Copenhague) et Topotek1(un cabinet de paysagisme et d’architecture allemand).

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Certes, les espaces sont devenus de réelles places publiques investies par les habitants, et sont devenus une nouvelle centralité à la ville. Mais visuellement, on peut tout de même se poser la question du lien à la ville et d’une cohérence d’écriture. Qu’est ce qui justifie réellement l’emploi de ces couleurs, ou pourquoi des différences de niveaux ont-elles été créées ? L’espace devient alors une sorte de « bizarrerie, étrangeté » dans la ville mais ne livre pas une part de « vérité », d’authenticité ou de cohérence par rapport au lieu. L’aspect plastique est important dans l’élaboration d’une interface architecturale, mais elle se doit d’être cohérente afin de créer une identité unifiante au lieu .

En haut : La répartition des différentes zones du projet, ©BIG architects En bas, de gauche à droite : Le carré rouge © Iwan Baan, Le marché noir © Torben Eskerod, Green Park © Mike Magnussen

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Connecter plastiquement, graphiquement L’interface peut également avoir un rôle signalétique et agir en repère afin de lier les différents éléments qui constituent le projet. Ainsi, l’aspect plastique, graphique peut avoir un intérêt et venir apporter un moyen à la fois d’unifier le lieu et un moyen de le reconnaitre. Mais comme on l’a vu précédemment, l’aspect plastique ou graphique ne peut être détaché du sens. Sinon l’acte architectural est gratuit, et alors comment se l’approprier et comment pourrait-t-il évoluer dans le temps ? La réalisation de Jakob et McFarlane sur les Docks de la Cité de la Mode et du Design à Paris est un exemple de ce qu’est l’application d’une charte architecturale afin de forger une identité forte à un lieu. Le bâtiment à structure en béton armé, accueillait au début du XXème siècle les Magasins Généraux, espaces de stockage des marchandises transitant vers la Gare d’Austerlitz. Inutilisé par la suite, le bâtiment est alors choisi pour accueillir une nouvelle programmation en son cœur le transformant en espace culturel : la Cité de la Mode et du Design. Accueillant de telles disciplines, l’acte architectural se doit d’être signifiant. Ainsi, les architectes conservent la structure en béton armé de l’ancien entrepôt et viennent y greffer une peau, nommée « plug-over ». Inspirée par le mouvement du fleuve, la greffe, en métal et verre sérigraphié, doit sa couleur verte aux reflets de l’eau43. Le bâtiment est alors visible, visuel et fait signe, mais plus que ça, il devient une entité à part entière. En effet, au delà de la greffe, sont pensées en complémentarité une signalétique et une charte graphique sur la communication des évènements. Le lieu, ses évènements, son identité forment un tout cohérent et uni, lui conférant un statut unique. Ainsi, le bâtiment, même s’il est clairement détaché des écritures architecturales alentours, possède sa place dans la ville. Il est un bâtiment attractif, ayant une vie en lien avec la ville de part la communication qui y sera éparpillée et de part l’image qu’il renvoie. La justification des architectes sur la couleur est sans doute discutable, mais ce qui est sûr, c’est que l’emploi de cette couleur à la fois sur la structure du bâtiment, pour la signalétique ainsi que sur la communication visuelle crée un sentiment d’unité et d’appartenance au site.

43. d’après les architectes

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En haut: La greffe architecturale de Jakob et McFarlane En bas : Une greffe permettant de lier les différents niveaux du bâtiment ,© Les Docks

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Ce qui peut cependant interroger sur cette réalisation est peut être le rapport à l’histoire du lieu. Même si les architectes ont conservé le bâtiment d’origine, en le laissant quand même assez visible; la nouvelle structure n’est pas une référence, ou un écho à l’histoire du bâtiment. On oublie alors peut être l’origine du lien, l’histoire de base qui ne se retrouve pas dans la nouvelle écriture proposée. L’intervention des architectes crée un tout cohérent mais on ne peut pas nier que l’aspect identitaire d’origine du site en lien avec l’histoire n’est pas pris en compte. Une interface architecturale, si elle est considérée en tant que liant, devrait également pouvoir prendre en compte l’ancienne fonction du site, et lier passé-présent. Sans réitérer, copier ou imiter le passé; il serait question de proposer une nouvelle écriture afin d’inscrire le site dans une temporalité actuelle.

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En haut et au milieu : L’interface à l’échelle de la signalétique, ©studio b-headroom En bas : L’identité visuelle de la Cité de la Mode et du Design, extension de l’interface à l’échelle de l’objet de communication © Hartlandvilla

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INTERFACE ARCHITECTURALE : CONNECTER LE SITE À SON HISTOIRE Si une architecture est choisie et conservée pour y inscrire un nouvelle programmation, c’est qu’elle présente un intérêt. Cet intérêt peut être de nature différente : il peut être en la localisation ou encore en l’intérêt architectural du bâtiment. Dans les deux cas, si le site est conservé : qu’il s’agisse d’une réhabilitation ou d’une restructuration ne présentant pas de démolition; c’est que l’on considère le patrimoine comme légitime. La part historique va donc de pair avec le lieu lui même. En inscrivant un projet actuel sur ce site, on ne peut donc nier l’existence de son histoire puisqu’elle fait partie de son identité. Si l’interface permet de relier le site à la ville, elle se doit alors également d’entrer en lien avec sa temporalité : à la fois celle passée, et celle actuelle. Ainsi, le site doit s’inscrire en dialogue avec son histoire passée, la ville actuelle, et les nouveaux enjeux et usages de la vie urbaine. C’est par exemple le cas de la ZAC Bercy à Paris. Ce quartier a subi une reconversion totale dans les années 1990, pour devenir aujourd’hui un pôle attractif de la ville. Il regroupe des logements, des équipements publics, un parc urbain et en son cœur un multiplex. L’intention ici était de rendre le quartier attractif et vivant tout en valorisant la mémoire du lieu. L’interface architecturale de Bercy Village réalisée par Valode et Pistre, prend clairement en compte l’histoire et l’ancienne fonction du lieu. Anciens chais, les bâtiments ont été restaurés, et conservés dans leur organisation initiale avec leurs matériaux d’origine. Et des constructions ont été ajoutées à leur périphérie, réutilisant un langage formel en écho à celui des chais d’origine mais en actualisant l’écriture avec des toitures plissées de zinc, des structures métalliques, du verre, et du bois. Les chais accueillent aujourd’hui des boutiques, des bars et restaurants livrant une nouvelle dynamique au site, sans perdre pour autant l’authenticité du lieu. L’interface prend en compte les circulations : la circulation centrale proposant la succession des chais d’origine, créant alors une rue commerçante à ciel ouvert. Mais aussi grâce aux circulations sur les côtés, induites par les « nouveaux chais » proposant parfois des espaces commerçants

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De haut en bas : Les chais abandonnés en 1989, Bercy Village aujourd’hui, Les nouveaux chais en périphérie de ceux existants © VALODE & PISTRE ARCHITECTES

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fermés, et parfois des ouvertures créant des passages couverts et guidant jusqu’à l’allée centrale. L’interface s’étend au delà du multiplex, gérant les transitions dans les hauteurs, les matériaux, etc. « Du quartier d’affaires au Jardin de la Mémoire, des cheminements transversaux guident les passants de la ville au village sans rupture44. » « Des petits entrepôts du début du siècle aux commerces nouveaux, les chais de Bercy Village composent avec le temps et le lieu dans une recherche d’authenticité : espace qui donne la mesure du temps et octroie aux passants le temps de mesurer l’espace45. » D’une autre manière, on pourra prendre l’exemple de Station F, autrement (et autrefois) appelée Halle Freyssinet. Le bâtiment en béton armé précontraint, a été réalisé entre 1927 et 1929 par l’ingénieur Eugène Freyssinet. Il est classé depuis 2012 à l’Inventaire des Monuments Historiques. Aujourd’hui, cette halle accueille Station F, le plus grand campus de startup au monde. Le bâtiment dispose de multiples espaces aux multiples fonctions (espace de travail, de réunion, de restauration, etc). Le nouvel usage attribué au bâtiment est donc très lointain de son ancienne fonction de halle de stockage ferroviaire, et s’inscrit pleinement dans une temporalité contemporaine, mettant en scène les nouvelles manières de travailler. Le projet a été réalisé par l’agence d’architecture WILMOTTE & ASSOCIÉS et le cabinet a revalorisé l’architecture existante en mettant en avant sa matérialité, le béton, ainsi qu’en conservant sa volumétrie existante (les 3 nefs). Il s’est surtout établi un dialogue avec l’histoire du lieu grâce à la nouvelle écriture architecturale. En effet, l’intervention repose sur un principe de containers, faisant directement référence à l’ancienne fonction d’entrepôt du lieu. L’interface agit ici différemment de ce qu’on a pu voir pour Bercy Village. Elle ne reprend pas une écriture architecturale déjà présente sur le site, mais réutilise et réemploie un langage formel qui évoque ce que l’espace accueillait sûrement à l’origine. Le container est ici destitué de sa fonction d’origine d’unité de stockage pour devenir lui même un espace servant la programmation actuelle. Les 44. D’après la fiche sur Bercy Village sur www.architopik.lemoniteur.fr, 03/02/2010 45. Idem

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De haut en bas : L’interface architecturale basée sur la volumétrie des nefs, l’écriture contemporaine du container et la traversée de passages publics, ©Patrick Tourneboeuf

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matériaux employés (le métal, le verre et le néon en tant que signalétique) pour créer le container, l’inscrivent dans une écriture contemporaine et ancrent le site dans un continuum qui ne le fige pas pour autant. L’intérêt finalement de conserver une partie de l’histoire du lieu, c’est de pouvoir inscrire un projet dans un rapport de temporalité. Ainsi, cela justifie mieux l’acte architectural. Au départ du projet, si l’on conserve une partie d’un site, c’est qu’il présente un intérêt. Ainsi, même si l’intervention architecturale est codifiée par les techniques, et les « modes » de l’époque à laquelle elle est réalisée, elle permet d’entrer en écho avec l’histoire passée. Et éventuellement de l’inscrire dans une temporalité future. L’interface aura alors un rôle de restitution de la mémoire, sans pour autant figer le site dans une vision passée.

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L’INTERFACE PEUT-ELLE PERMETTRE AU SITE D’ÉVOLUER DANS LE TEMPS ? Si l’interface peut permettre de lier passé et présent, peut-elle aussi s’inscrire dans une temporalité future ? Si l’on parlait avant de l’idée de ne pas figer un site dans sa conservation passée, il faut également prendre en compte la temporalité suivante. Le site sera amené à évoluer s’il est réellement connecté à la ville, car elle même sera amenée à évoluer. En effet, la ville a une possibilité de réécritures infinies. Elle est l’image d’un palimpseste : une stratification temporelle, spatiale et sociale46. Une succession d’époques, appliquant alors leurs modèles et leurs nouveaux usages. La ville « implique des logiques duales entre reproduction et anticipation (Roncayolo, 2002), entre permanence et substitution (Devillers, 1998) ou encore entre sédimentation et modernité (Masboungi, 2001)47. » La ville doit donc être considérée comme une accumulation, et une persistance de traces. Si on parle de sédimentation, on ne doit pourtant en aucun cas la penser dans son aspect figé. « Ce repérage des traces de l’histoire ne doit pas être synonyme d’un certain immobilisme : pour Bernard Huet, ces traces sont les assises dont les futurs projets tiendront compte. Cela permet d’allier à travers cette dynamique du projet recherchée, deux logiques urbaines, entre la préservation d’un passé et la projection de quelque chose de nouveau : ses traces doivent ainsi servir à la transformation de la ville (Ibid.) » L’idée du palimpseste est bien là, on doit composer avec le passé, sans le nier, mais sans non plus en être trop conservateur. Il doit permettre de poser les bases, mais de pouvoir évoluer avec dans une logique cohérente. L’interface architecturale comme liant historique doit donc faire le pont entre passé-présent-futur. Un moyen de lier, mais également d’évoluer afin de toujours recontextualiser un site, un bâtiment, un espace dans son époque. Le Centre Culturel El Born de Barcelone est un exemple de ce que pourrait être une interface architecturale permettant au lieu d’évoluer dans le temps. La Halle a été construite par l’architecte Josep Fontseré i Mestre de 1874 à 1876. Simple marché de quartier au départ, il est devenu en 46. MONGIN Olivier, 2005, La condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Éditions du Seuil, Paris 332 p. 47. WABAB, La ville palimpseste…Les logiques duales d’une ville stratifiée, 4 novembre 2016 Disponible sur <http ://masterurb.eklablog.com/la-ville-palimpseste-a127356058>

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1921 un marché central pour les fruits et les légumes. En 1971, le marché ferme et le lieu est choisi pour devenir un espace public qui accueillerait des évènements et festivités. Débutent alors des travaux de rénovation qui révèleront la découverte de ruines archéologiques sous les constructions. Les travaux sont alors interrompus, et la programmation du site est alors remise en question. Le site a alors imposé de lui même une redéfinition de ce qui devait y être fait, dans un soucis de conservation des ruines, et de volonté d’une transmission de cette richesse à la ville. La halle du marché (témoignage d’une période passée) est alors conservée ainsi que les ruines (témoignage d’une période plus ancienne), mais le bâtiment est alors conçu pour accueillir un centre culturel articulé autour des ruines. Ainsi, une part de la culture est rendue à la ville en la mettant en valeur par l’articulation d’une circulation en périphérie et une vue omniprésente sur les ruines. Le centre culturel est presque un site archéologique mais n’est finalement pas présenté comme tel sinon on finirait par faire de la ville une ville musée. Alors, on n’y toucherait plus, on ne pourrait plus rien y construire et au final la ville ne connaitrait pas de suite. Le lieu revit autour d’anciennes fonctions, de vies antérieures du site pour en proposer une nouvelle. Ici, c’est l’idée de conserver un échantillon et de créer, de composer avec et autour. « Ces traits sont présentés comme susceptibles de guider, non pas les formes du projet, mais son processus, ses temporalités propres, par opposition à une vision « générique ». Son rapport au temps étant mis en perspective, le site, tel un palimpseste, présente des valeurs encore actives à conforter, sinon révéler, par le projet48. » Ainsi, le site propose une vision transversale de ses usages, de ses fonctions et de son histoire. A Barcelone, le principe est imagé à proprement parlé à travers le site mais l’idée principale est de retenir et de questionner la réversibilité d’un lieu, en cohérence avec lui même. Il restera à voir comment cet espace évoluera dans le temps, et comment sa fonction actuelle pourra y laisser sa trace et se modifier avec les futurs fonctions. Le projet professionnel prenant place dans les Halles des Ardoines présente bien des points communs avec certains des exemples que nous avons cités et interrogés tout au long de ce mémoire. En se positionnant sur le site industriel des Ardoines, qui n’est pas encore accessible au public, le projet prend place sur un lieu en marge, qui tend à devenir un 48. ELEB-HARLÉ Nicole et BERTHIER Stéphane, 2007, « Construire la ville sur la ville : l’affaire d’une génération », In : Europan France 1988-2007 : Innover Dialoguer Réaliser (ouvrage collectif), Editions Jean Michel Place, Disponible sur <http ://www.mesostudio.com/enseignements_recherche/ construire_la_ville_sur_la_ville_l_affaire_d_une_generation.pdf>

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Les ruines au cœur de l’ancienne halle de marché forment aujourd’hui une plateforme autour de laquelle s’organisent les circulations du centre culturel El Born de Barcelone.

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espace de la nouvelle attractivité de la ville. Ce projet s’inscrit donc dans une vision d’envergure urbaine puisqu’il modifiera la vie globale de la ville. Du fait de la restructuration totale de ce quartier, il aura une influence à plus grande échelle sur la ville de Vitry sur Seine. Les Halles sont donc à prendre en considération en les intégrant à des échelles diverses : celle du nouveau quartier qui verra le jour à l’horizon 2025, mais également celle de la ville. La reconversion totale de cet ancien site industriel, en quartier de bureaux, de logements, de loisirs, complétée par une offre de transports, modifiera totalement le statut qu’il a actuellement dans la ville. Auparavant inaccessible aux Vitriots, il accueillera désormais un équipement urbain leur étant ouvert. Le questionnement autour de l’histoire passée du site, sa place actuelle dans la ville ainsi que son influence future seront donc à mettre en exergue afin de proposer une interface la plus cohérente et la plus signifiante par rapport au lieu.

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CONCLUSION

La ville sera donc toujours confrontée à cette problématique, à ce questionnement de l’inachèvement. Tout d’abord de par sa forme comme nous avons pu l’étudier à travers les différentes théories sur la morphologie urbaine. Les schémas organisationnels et morphologiques seront toujours au cœur du débat. Mais peut-on réellement générer des principes qui structureront les formes urbaines ? Les théories sont principalement issues de l’observation des villes, et donc tirées de ce qui est déjà existant. La planification d’une ville ne peut en aucun cas être totalement fidèle à des idées conceptuelles, puisqu’en tant qu’entité vivante, sa forme, ses fonctions, ses usages, ses habitants ne cesseront d’évoluer. Le contexte historique, politique, social et culturel influenceront la manière de penser la ville et la manière dont elle se formera. À grande échelle ainsi qu’à échelle plus restreinte, ce que nous avons interrogé tout au long de ce mémoire. Les problématiques de fragmentation au cœur de la ville seront-elles toujours visibles ? Si l’on considère que la ville est une entité vivante, les choses ne se modifieront pas de manière homogène. C’est l’organicité de la ville qui amènera tel ou tel espace à se modifier avant un autre. Ainsi, on observera jamais une homogénéité totale de la ville, cela serait absurde. Or, comme nous l’avons vu, la ville s’étend progressivement au cours de son évolution et de son histoire. Ainsi, les espaces possèdent des histoires, des identités différentes qui cohabitent les unes avec les autres au fur et à mesure que la ville se construit. La création de «villes nouvelles»1 1.Ville qui se construit peu à peu sur un emplacement auparavant peu ou pas habité et généralement en périphérie d’une grande ville déjà existante.

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dont l’objectif était finalement la recherche de cette homogénéité n’a fait qu’accentuer cet effet de fragmentation en créant une discontinuité avec la ville en périphérie. Les schémas qui tentent aujourd’hui de reconnecter certains espaces délaissés n’ont pas pour but l’uniformisation de la ville mais bien l’unification. Pourront-ils alors réparer réellement les problèmes de la ville ? Ils permettront sans doute de limiter les phénomènes de grande fracture urbaine. L’interface, en tant que liant de micro-espaces à la ville proposera une nouvelle manière d’appréhender la ville à petite échelle. L’usager, au sein de ces espaces vivra une expérience au site (puisqu’il n’était peut être pas accessible auparavant) ou bien une nouvelle expérience (puisque sa fonction, sa forme, etc ont changées). Ainsi, l’interface pourra tendre à uniformiser un espace plus petit, à en créer une certaine cohérence et une identité homogène, tout en le re-connectant à la ville, même s’il s’en détache historiquement, visuellement ou socialement. L’interface architecturale apparait donc comme le schéma de « réparation » de cette cassure des micro-espaces à la ville. Elle est le liant entre la ville et ses caractéristiques et un espace plus restreint et les siennes. Mais l’interface architecturale au final peut-elle être réellement associée à l’idée du schéma ? Puisqu’elle peut exister sous des formes très diverses : charte architecturale, création de places publiques, intervention plastiques, gestion des circulations et du rapport à l’histoire, etc, peut-elle être être réduite à une représentation simplifiée et fonctionnelle ? Finalement, ce qui permettrait de réparer les défauts de la ville à grande échelle sur des parcelles plus restreintes est de réellement considérer l’essence propre au lieu avant l’intervention d’un nouveau projet dessus. Ainsi, la nouvelle intervention prendrait tout son sens si elle apporte des solutions en écho avec une part de vérité du lieu. L’interface architecturale au delà de l’idée du schéma, permettrait réellement une remise en valeur d’un espace autrefois délaissé. En livrant peut être une partie d’authenticité du lieu liée à son histoire, mais surtout en redynamisant et en rendant à la ville un lieu qui n’était peut être pas accessible au public. L’interface, comme on l’a vu, pourra alors de manière signalétique, plastique, sociale ou programmatique proposée une nouvelle utilisation, une nouvelle appréhension au lieu. C’est par exemple le cas du site des Ardoines. Aujourd’hui inaccessible au public, le programme prévu au cœur des Halles va permettre de redonner vie à cet endroit. L’interface architecturale aura ici le rôle de liant de toutes

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cette diversité des programmes déjà répartis géographiquement sur le site. Elle permettra de questionner la manière d’inviter l’usager à entrer dans les nouveaux espaces et surtout la manière dont il passera de la ville à cette nouvelle centralité. Comment l’interface permettra-t-elle cette transition, ce franchissement de seuil ? De plus, la programmation étant très diverse (espaces de travail, espaces de loisirs, espaces de détente, etc), elle aura également un intérêt à cette échelle. Comment faire dialoguer les fonctions entre elles sans qu’elles se nuisent ? L’interface architecturale apparaitra ici en tant qu’atout réel à la programmation permettant de la compléter, de la lier et de la mettre en valeur.

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CORPUS

Ouvrages LUCAN Jacques, juin 2012, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 208 p. MONGIN Olivier, 2005, La condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Éditions du Seuil, Paris 332 p.

Périodiques L’Architecture d’aujourd’hui, Mixité, réversibilité, diversité, dossier spécial sur les Mixités, décembre 2016, n°416, 142 p.

Supports numériques BAILLY Antoine S., 1973, « Les théories de l’organisation de l’espace urbain ». In : L’Espace géographique, tome 2, n°2), pp. 81-93. Disponible sur <https ://www. persee.fr/doc/spgeo_00462497_1973_num_2_2_1384>.

ELEB-HARLÉ Nicole et BERTHIER Stéphane, 2007, « Construire la ville sur la ville : l’affaire d’une génération », In : Europan France 19882007 : Innover Dialoguer Réaliser (ouvrage collectif), Editions Jean Michel Place. Disponible sur <http :// www.mesostudio.com/ enseignements_recherche/ construire_la_ville_sur_ la_ville_l_affaire_d_ une_generation.pdf> GHORRA-GOBIN Cynthia, juillet 2006, La théorie du New Urbanism - Perspectives et enjeux, Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, Direction Générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la constriction, Centre de documentation de l’urbanisme, 61p. Disponible sur <http :// www.cdu.urbanisme. equipement.gouv.fr/IMG/pdf/ newurbanism_cle65d7e2.pdf>

LÉVY Albert, mars 2005, « Formes urbaines et significations : revisiter la morphologie urbaine ». In : Espaces et sociétés, Editions ERES, (n° 122), 240 pages, pp. 25-48, mise en ligne 01/11/2006. Disponible sur <https ://www.cairn. info/revue-espaces-etsocietes-2005-3.htm> MARCHAL Hervé, STÉBÉ Jean Marc, 2013, « Repenser la centralité : L’exemple d’une ville moyenne française ». In : Sociologie et sociétés, Volume 45, Numéro 2, pp. 111–128. Disponible sur <https ://doi. org/10.7202/1023175ar> WABAB, La ville palimpseste… Les logiques duales d’une ville stratifiée, 4 novembre 2016 Disponible sur <http ://masterurb. eklablog.com/la-villepalimpseste-a127356058>

HOLZER Barbara, Architectural interface : Space-Architect-Humans. Disponible sur <http :// holzerkobler.com/process/ architectural-interface-space–-architect-–-humans>

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L’étude anthropologique décrit aujourd’hui la ville comme étant un « espace de diversité, de l’anonymat, de la fragmentation des lieux et des activités, de la rupture entre l’espace public et l’espace privé, de l’instabilité des relations, de la mobilité […], de brassages sociaux multiples, de la faiblesse de la fonction intégratrice du territoire d’habiter1. » L’espace urbain est donc perçu comme un espace de discontinuité. Des schémas architecturaux tentent pourtant de réparer ces problèmes. C’est le cas de « l’interface architecturale ». L’interface permettrait à la fois la différenciation et la réunion de deux entités. Elle permet de les lier et de créer de l’échange, ce qui est recherché pour reformer du lien dans la ville. 1. ARRIF Abdelmajid - HAYOT Alain, Le territoire de la ville Les territoires dans la ville : Macro et micro frontières à Marseille, 1995, p.9


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