MENÉS PAR LE BOUT DU NEZ L’art et la manière dont les odeurs influencent nos comportements au quotidien
Lorraine Follain Diplômes 2017
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MENÉS PAR LE BOUT DU NEZ L’art et la manière dont les odeurs influencent nos comportements au quotidien
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Lorraine Follain Mémoire de fin d’études sous la direction d’Antoine Dufeu Strate - École de Design
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Quels sont les enjeux sociaux des odeurs au XXIème siècle ?
29
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59 Sommes-nous en train de perdre le contrôle de notre odorat ?
Quels sont les stratagèmes du marketing olfactif ?
Les odeurs séduisent, guérissent, trahissent
II. FAUT-IL SE MÉFIER DE L'USAGE QUE L'ON FAIT AUJOURD'HUI DES ODEURS ?
Cartographie des différentes odeurs
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Les odeurs s’imposent à nous et nous renvoient à notre animalité
I. L'ODORAT, UN SENS SUBTIL ET MYSTÉRIEUX
INTRODUCTION
SOMMAIRE
4 69
47
39
99
109
141
143
Crédits images
137
Glossaire
Remerciements
123
117
115
Entretiens
Bibliographie
ANNEXES
CONCLUSION
Vers une société olfactive
81 91
Apprendre à éduquer son nez La technologie au service de l’odorat
III. PEUT-ON ENCORE REPRENDRE LE POUVOIR SUR NOTRE ODORAT ?
5
79
6
IN TRO DUC TION
7
8
INTRODUCTION
“Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs1” Süskind, Patrick, Le parfum, 1986
Qu’est ce qu’une odeur ? Pourquoi sent-on ? Est-il possible de captu-
rer une odeur comme on peut photographier un paysage ? Pourquoi les odeurs
nous influencent-elles tant, et, surtout, comment les enseignes s’en servent-elles
pour créer un impact chez le consommateur et le manipuler à son insu ? Les odeurs, substances invisibles et volatiles, naturelles ou artificielles, repoussantes
ou attirantes, sont autant d’émanations qui nous permettent d’appréhender nos agissements au quotidien. Sens primaire, l’odorat était initialement utilisé pour
pouvoir chasser et s’informer et était de ce fait directement lié à une fonction de survie. On le considère parfois à tort, de nos jours, comme ayant une fonction futile et uniquement liée au plaisir. Il est très souvent dévalorisé et placé au der-
nier plan, derrière la vue, mais aussi l’ouïe, le toucher et le goût. Dans son livre
La Philosophie de l’Odorat, Chantal Jaquet définit même notre nez de « terra incognita2 », bien qu’on désigne généralement une évidence par ce qui se voit
comme un nez au milieu d’un visage. En effet, le nez s’y trouve au centre. Il a toujours été là, et devrait y rester pour encore un bon moment. Et pourtant, il est bien souvent oublié et nous le retrouvons systématiquement au dernier rang
de la hiérarchie sensorielle; c’est à se demander parfois si l’homme ne pourrait
1 SÜSKIND, Patrick, Das Parfum, Die Geschichte eines Mörders (en français : Le Parfum, Histoire d’un meurtrier), ed. Librairie Artère Fayard, Paris, 1986, p.140. 2
D’après le dictionnaire Larousse, « terra incognita » signifie en latin « terre inconnue ».
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pas s’en tenir à ses quatre collègues ; rares sont les philosophes et scientifiques qui s’y sont penchés, préférant souvent s’intéresser à la vue et l’ouïe. De ce
fait, nous avons aujourd’hui tous appris à vivre sans vraiment nous demander le pourquoi du comment de ce sens. Notre nez a ainsi longtemps été méprisé, considéré comme « le plus médiocre de nos sens3 » par Aristote, « un sens ingrat4 » par Kant. Hegel également, le jugeait comme un sens qui ne permet « ni la
vraie connaissance du monde, ni la vraie connaissance de soi5 ». On parlait alors
d’un sens trompeur; en qui la confiance était quasiment inexistante, et n’importe quel témoignage olfactif était suspect puisque nous sentons et ressentons tous
les choses différemment. Alors que l’on plaindrait un sourd ou un aveugle, une personne atteinte d’anosmie6 ne suscite presque aucune peine, si ce n’est qu’elle
ferait même rire la foule, et on en voit l’exemple dans Le Nez de Gogol, roman
dans lequel le Major Kovaliov se réveille un matin sans son nez, et devient alors une curiosité pour tous les villageois7. Cette dépréciation explique donc en partie
le fait que la science se soit peut investie sur la compréhension de notre odorat, et que nous ayons aujourd’hui des connaissances assez faibles le concernant, para-
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doxalement à d’autres sens, notamment la vue. Et pourtant, l’odorat est un sens
primordial et époustouflant à bien des égards. Il s’agit du sens qui possède la
mémoire la plus directe, car les odeurs, une fois détectées atteignent directement le cerveau limbique, siège de nos émotions, qui traite les informations de ma-
nière très primaire, et procure de ce fait les sensations les plus directes, et les plus
intenses. Il constitue ainsi un sens à part entière, au même titre que la vue, l’ouïe,
le goût ou le toucher. Les odeurs ont donc un pouvoir enivrant sur nos cerveaux, et sur nos comportements : parfums, arômes et fragrances agrémentent nos plat,
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ARISTOTE, Parva Naturalia, (en français : Petits traités d’histoire naturelle) ed. René Mugnier, 1953. 4
KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, ed. Librairie Ladrange, Paris, 1863.
5
HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, Volume I, ed. Flammarion, Paris, 1979.
6
D’après le dictionnaire Larousse, l’anosmie est la perte totale de l’odorat.
7
GOGOL, Nicolaï, Le Nez, ed. Gallimard, Paris, 1836.
parent nos corps, décorent nos lieux de vie, et viennent très souvent influencer
nos agissements. Elles savent envoûter, charmer, apaiser, assainir ou distraire notre nez, mais aussi nous manipuler.
Nous avons choisi d’aborder l’odorat car, en plus d’être un sens vi-
tal, c’est aussi un moyen de communication, tant chez les animaux que chez
l’homme, qui reste encore aujourd’hui assez méconnu. Le sujet de ce mémoire, l’odeur, est ici mis en tension avec l’objet que nous avons choisi : la manipula-
tion. En effet, nous souhaitions comprendre pourquoi, dans la société occidentale dans laquelle nous vivons actuellement, les odeurs sont de plus en plus utilisées via de nombreux stratagèmes marketing pour nous influencer, et modifier nos comportements. Il nous a paru intéressant de soulever cette question, en abor-
dant autant le côté physiologique des odeurs que son ancrage dans nos sociétés
modernes. Il s’agit également d’un sens qui détient un vrai rôle à jouer dans un
monde où les âges, les sexes, les cultures se mélangent, et présente un réel enjeu
social aujourd’hui. Après diverses recherches et lectures, nous avons considéré que les odeurs méritaient largement d’être traitées dans le cadre de ce mémoire. De la justification, c’est-à-dire ce business des odeurs qui nous bride, à la direc-
tion, qui est la reprise du contrôle sur notre propre odorat, nous avons rencontré certains éléments favorables, qui replacent notre odorat à sa juste valeur, par ses
vertus thérapeutiques notamment, mais également des éléments défavorables, comprenant une grande dépendance à l’image, au visuel, et à une méfiance de la part de beaucoup quant aux odeurs. Cet état des lieux a fait émerger différentes interrogations, dont la question initiale de ce mémoire qui est la suivante : Comment les odeurs manipulent-elles les comportements humains ?
Pour tenter de répondre à cette problématique, nous avons effectué
diverses recherches littéraires autour de notre sujet, les odeurs, et de notre objet,
la manipulation. Les principales sont La Philosophie de l’Odorat8, de Chantal
Jaquet, véritable bible nécessaire à quiconque souhaiterait se documenter sur
8
JAQUET, Chantal, La Philosophie de l’Odorat, ed. PUF, Paris, 2010.
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notre odorat, Le Parfum9, de Patrick Süskind, roman à renommée internationale portant sur la société et les odeurs en France au XVIIIème siècle, Odeurs et Émo-
tions10, de Benoist Schaal, Camille Ferdenzi et Olivia Wathelet, qui nous a per-
mis de comprendre ce lien étroit entre senteurs et affect, et enfin Manipulations Olfactives11, dans lequel Catherine Bouvet enquête avec subtilité sur les odeurs
qui accompagnent notre quotidien. Nous avons également puisé de précieuses informations dans, pour citer les plus pertinents, Le Nez12, première revue olfac-
tive et riche espace d’expression illustré par divers intervenants (scientifiques,
parfumeurs, journalistes, photographes, écrivains…), ainsi que certains extraits et interviews du documentaire L’Odorat13, réalisé avec poésie et inventivité par
Kim Nguyen. Enfin, nous avons eu la chance de rencontrer Christine Nagel, le nouveau nez et créatrice des parfums de la maison Hermès, et Richard Pfister,
oenologue parfumeur suisse. Riches de toutes ces données, nous avons élaboré le plan suivant.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux fonctions et spé-
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cificités de l’odorat. S’il est aujourd’hui assez méconnu, longtemps jugé comme capable de nous tromper, c’est également le seul sens qui ait un lien direct avec l’hypothalamus, qui génère les processus émotifs. Les odeurs déclenchent immédiatement en nous de vives émotions, qui nous replongent dans des univers peuplés de souvenirs, et de ce fait viennent influencer nos comportements.
Nous aborderons, dans une deuxième partie, l’aspect commercial
des odeurs. Qu’elles nous fassent agir de façon positive, négative, nous rendent joyeux ou mélancolique, nous sommes toutefois fréquemment manipulées mal-
9 SÜSKIND, Patrick, Das Parfum, Die Geschichte eines Mörders (en français : Le Parfum, Histoire d’un meurtrier), ed. Librairie Artère Fayard, Paris, 1986. 10 SCHAAL, Benoist et FERDENZI, Camille, Odeurs et Émotions, ed. EUD, Dijon, 2013. 11
BOUVET, Catherine, Manipulations olfactives, ed. Payot & Rivages, Paris, 2013.
12
Revue olfactive Le Nez, numéro #1, ed. Contrepoint, Paris, 2016.
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NGUYEN, Kim, L’Odorat, 2015.
gré nous par la société dans laquelle nous vivons, qui se joue parfois de nous et
de notre nez. Diffuseurs de pain frais devant une boulangerie, odeurs apaisantes dans les entreprises… Les stratégies du marketing olfactif sont diverses et variées. Si les odeurs nous séduisent et nous excitent, elles nous incitent aussi à
consommer. Le marketing sensoriel s’est emparé de notre odorat, et il n’est de
ce fait pas toujours facile d’en garder le contrôle. De même, la confiance que
nous avons en notre nez, souvent moindre, nous pousse à nous fier au visuel, à ce que l’on voit.
Enfin, nous étudierons les différents moyens mis en place pour nous
faire prendre, ou reprendre conscience de la subtilité, et de l’importance de l’odorat, un sens qui est finalement tout aussi précieux que la vue, le toucher,
l’ouïe ou le goût. Nous nous intéresserons aux différents métiers qui font appel à l’olfaction, de l’oenologue au parfumeur, en observant la manière dont les odeurs y sont éduquées, ainsi que les différentes expressions artistiques qui travaillent à mieux les introduire dans nos modes de vie.
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I. L'ODORAT, UN SENS SUBTIL ET MYSTÉRIEUX
A
Les odeurs s’imposent à nous et nous renvoient à notre animalité
B
Cartographie des différentes odeurs
C
Quels sont les enjeux sociaux des odeurs au XXIème siècle ?
15
Si
l'odorat
a
longtemps
eu
mauvaise
réputation, accusé d'être un sens inférieur, trop primitif ou instinctif, il joue cependant un rôle très important dans l'histoire de
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l'homme. Nous tenterons de comprendre la subtilité de ce sens, et de répondre aux questions suivantes : Pourquoi déclenche-til en nous des émotions si fortes, et comment influence-t-il nos attitudes et réactions ?
A. LES ODEURS S'IMPOSENT À NOUS ET NOUS RENVOIENT À NOTRE ANIMALITÉ. Notre nez est avant tout un organe vital, puisque pour vivre nous de-
vons respirer, et que pour respirer, nous en avons besoin. L’odorat est de ce fait un sens essentiel et surtout indispensable à notre bon fonctionnement. C’est également le sens en connexion la plus directe avec notre cerveau, et plus précisément le cerveau limbique, siège de nos émotions.
POURQUOI ET COMMENT SENT-ON ? Pour commencer, il nous faut déjà définir ce qu’est une odeur. Comme
l’explique Gabriel Lepousez, neurobiologiste à l’Institut Pasteur et spécialiste de
la perception sensorielle et de la plasticité du cerveau, il s’agit d’ une molécule volatile qui passe en phase vapeur dans l’air et qui arrive à la muqueuse olfactive qui se trouve en haut du sinus, au niveau de nos yeux1. Cette muqueuse
contient des neurones olfactifs qui vont détecter les molécules volatiles. Les mo-
lécules peuvent venir directement de notre nez (lorsque l’on sent un parfum, par
exemple), mais également par notre bouche. Lorsque l’on mâche un aliment, au contact de notre salive, des éléments volatiles vont se former et remonter chatouiller cette muqueuse olfactive, et c’est d’ailleurs en grande partie grâce à
l’odorat que nous apprécions les arômes des aliments. Cela s’appelle le principe
de rétro-olfaction2. Il y a donc deux voies d’accès au système olfactif : la voie or-
1 LEPOUSEZ, Gabriel, dans le podcast Comment l’odorat agit-il sur nos émotions, Science
Publique, Itunes, 2016. 2
BOUVET, Catherine, Manipulation olfactives, Payot & Rivages, Paris, 2013, p.19.
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thonasale, au niveau du nez, et la voie rétronasale, au niveau de la bouche. C’est pourquoi nous associons très souvent l’odorat et le goût, deux sens différents mais finalement très proches.
Une odeur, en outre, constitue trois étapes. D’abord, il faut qu’il y ait
une molécule qui soit odorante, et volatile. Cette molécule est propre à l’envi-
ronnement. Ensuite, il faut qu’il y ait un système qui soit capable de détecter cet
arôme, c’est cette muqueuse olfactive, et, enfin, il faut un système qui permette d’intégrer le signal capté par ce détecteur, c’est-à-dire notre cerveau. En effet, les molécules volatiles, extrêmement nombreuses, lorsqu’elles sont au contact de
notre muqueuse olfactive, vont activer des récepteurs olfactifs au niveau de notre
cerveau. « Les récepteurs olfactifs sont des formes de serrure qui vont détecter la présence d’une clé, la clé étant une molécule olfactive3 », nous affirme Gabriel
Lepousez. Ces récepteurs sont connectés avec des neurones ; chaque neurone olfactif exprime un récepteur olfactif. Chez l’homme, nous avons 400 récepteurs différents. Étant donné qu’une molécule olfactive est composée de plusieurs « clés », c’est-à-dire qu’une odeur représente en fait une combinaison de molé-
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cules olfactives, et ces 400 récepteurs nous permettent donc de comprendre environ mille milliards d’odeurs. Si l’on compare cela à notre perception visuelle par exemple, c’est assez vertigineux : nous avons seulement trois récepteurs visuels
pour reconnaître les couleurs ( un pour le bleu, un pour le vert, un pour le rouge),
et avec ces trois récepteurs, nous détectons déjà environ un million de couleurs.
Nous n’en avons pas conscience, mais, si nous avons l’impression d’avoir l’oeil bien plus précis que notre nez, nous pouvons en fait déceler bien plus d’odeurs différentes que de couleurs.
Mais, si l’homme est capable de reconnaître autant d’odeurs, il est
intéressant de voir que certains animaux ont l’odorat bien plus développé. Re-
gardons chez certains rongeurs comme la souris par exemple, qui a une vie plutôt nocturne : elle a plus de mille récepteurs olfactifs. Sa palette de lecture des
odeurs est donc extrêmement grande; elle peut se déplacer en suivant unique-
ment son odorat. De nombreux animaux, comme la souris, vivent donc avec
3
Ibid.
les odeurs, pour beaucoup de fonctions de leur vie. Comme Gabriel Lepousez
l’explique, lorsque l’on regarde l’évolution du cerveau, le sens olfactif est le premier qu’à développé l’animal pour interagir avec son milieu. L’odorat est ainsi finalement le sens le plus vestigial, et le plus primaire que l’on ait, sur lequel se
sont ensuite bâtis d’autres sens. En effet, ce système de détection des senteurs est
connecté au système limbique, qui est le système de traitement de l’information le plus primaire de notre cerveau. Le lien entre humain et animal prend alors ici
tout son sens, et nous pouvons d’ailleurs faire le rapprochement avec certaines expressions de la langue française, comme par exemple « avoir du flair », qui
signifie avoir de l’instinct. On peut se demander si finalement cette expression ne serait à prendre au sens propre, puisque le flair est l’odorat de l’animal.
Les odeurs sont très présentes dans notre quotidien, et, si nous pou-
vons sentir de manière très consciente, en rapprochant nos narines d’une fleur par
exemple, il s’avère que c’est également très souvent inconsciemment qu’elles agissent sur nous. Comment se fait-il que nous n’ayons pas conscience de toutes les odeurs qui nous entourent ?
UN ACTE SOUVENT INCONSCIENT. « De tous les sens, l’odorat est celui qui me frappe le plus. Comment l’odeur, le goût, se font-ils parfum, comment nos nerfs se font-ils nuances, interprètes subtiles, sublimes de ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas, ne s’écrit pas avec des mots ? L’odeur serait comme une âme, immatérielle4 ». Marcel Hanoun, cinéaste et écrivain.
« Vivre, c’est respirer. Et respirer, c’est sentir5 », peut-on lire en in-
4 HANOUN, Marcel, cinéaste et écrivain, cité sur le site http ://experience.nezlefilm.com, 2015 [consulté le 10 Septembre 2016]. 5
Revue olfactive Le Nez, numéro #1, ed. Contrepoint, Paris, 2016, p.7.
19
troduction de la revue Le Nez. En effet, sentir est obligatoire. Il s’agit d’une action vitale puisque pour vivre nous avons tous besoin de respirer, et donc, d’aspirer des molécules par le nez. C’est un acte qui s’impose donc à nous, que nous le souhaitions ou non. Lorsque nous ne voulons pas voir, nous fermons nos yeux, de même que nous nous bouchons les oreilles si nous ne voulons pas
entendre. Lorsque nous arrivons quelque part, à moins que l’odeur soit très puissante, qu’elle nous attire ou nous repousse, la plupart du temps nous n’y prêtons pas attention. Tout comme on peut voir sans regarder ou entendre sans écouter, il nous arrive se sentir sans humer. Il s’agit alors d’un acte inconscient. Dans
le documentaire L’Odorat de Kim Nguyen, Chris Hatfield, astronaute, raconte l’odeur du retour sur Terre :
« L’environnement dans une navette spatiale, parce qu’il doit être rigoureusement contrôlé et filtré, n’a pas vraiment d’odeur. L’oxygène et l’azote sont également filtrés. Il n’y a alors pas vraiment de hasard au niveau des odeurs dans un vaisseau. Mais lorsque l’on revient sur Terre, plus on approche de la planète et ce que jusqu’à l’atterrissage, les odeurs dominantes, les odeurs
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naturelles de la Terre commencent à s’infiltrer dans la navette. Au début, par la valve de pression, puis par la suite quand les techniciens sur terre ouvrent la grande valve en avant et l’écoutille, le monde déferle par cette porte qu’ils viennent d’ouvrir. On voit la lumière de la Terre, on voit les visages souriants des gens. Et pour la première fois depuis des mois, on sent la planète. On sent la nature de la planète. Ces odeurs que notre nez habituellement ne perçoit pas et qui passent inaperçues. On sent les foins qui sèchent du Kazakhstan, on sent la richesse des odeurs de la terre qui s’y trouvent, des vers de terre, la poussière, les odeurs fondamentales qui persistent en trame de fond du monde qui nous entoure. Soudainement elles envahissent tous nos sens et on devient hyper-sensible. C’est le rappel ultime que l’on est de retour à la maison6 ».
6
HATFIELD, Chris, astronaute, dont les propos ont été recueillis dans le cadre du tournage du film L’Odorat, de Kim Nguyen, 2015.
Ce qui est intéressant ici est de voir que si certaines odeurs passent
généralement totalement inaperçues auprès de notre nez, dès qu’on en perd l’habitude, et qu’elles deviennent des odeurs presque « méconnues », nous sommes
beaucoup plus conscient de ces mêmes odeurs lorsqu’elles réapparaissent. L’odeur de la Terre, puisqu’on la sent tous les jours, ne nous interpelle pas. Elle est une odeur quotidienne, une odeur qui n’a pas d’odeur, pourrait-on dire. Mais,
dans une situation où nous en serions totalement privés pendant plusieurs jours,
nous y serions beaucoup plus attentifs à notre retour. Cet exemple est aussi va-
lable pour les différentes cultures ; si nous nous rendons dans un souk marocain, la plupart d’entre nous sommes étonnés, surpris, enivrés par les odeurs de mar-
ché, de cuir, de chameaux et épices. Nous n’avons pas l’habitude de sentir ces
odeurs dans notre quotidien. Mais après quelques jours, semaines ou mois, notre nez va s’y habituer et l’odeur ne nous choquera plus du tout, si bien que nous
serions alors plus surpris de l’odeur d’un marché français, que nous n’aurions pas senti depuis un moment.
Si nous poussons cette pensée plus loin, nous pouvons aller jusqu’à
dire qu’une odeur, plus qu’un ensemble de molécules volatiles, est un ressenti. C’est ce que l’on ressent lorsque l’on se trouve quelque part et que l’on ins-
pire profondément. Une odeur, ce peut être un lieu, un moment, une personne. Prenons l’exemple d’une situation précise : un soir sur place d’un village en
montagne, à l’approche des fêtes. Si nous fermons les yeux et laissons notre nez nous guider, nous allons sentir l’odeur du froid, provoqué par la neige, l’odeur
des sapins, l’odeur de raclette des restaurants, l’odeur du feu de bois, et peut être bien l’odeur de la personne qui se trouve à nos côtés. C’est ce mélange d’odeur,
que l’on sent inconsciemment en général, consciemment si l’on s’y concentre, qui va créer un souvenir, une réminiscence.
Si nous sentons inconsciemment la plupart des odeurs qui nous en-
tourent, comment ces dernières parviennent-elles à nous faire revivre des souve-
nirs oubliés de notre passé, et surtout provoquer en nous ces émotions si fortes ?
21
SENTIR ET RESSENTIR. Bien que chaque être humain soit ressemblant, et, d’une certaine ma-
nière, fait de la même façon, nos comportements face aux odeurs sont complè-
tement différents, non seulement parce que nous ressentons les choses différemment, mais aussi parce que ces odeurs sont liés à des souvenirs souvent très
personnels, qui nous permettent de ressentir des émotions diverses. De ce fait, notre nez reste assez difficile à décrypter, et l’odorat un sens bien subjectif. Un
parfum, par exemple, va être ressenti d’une façon totalement différente entre
deux personnes, en fonction de leur vécu. L’odorat est un sens extrêmement intime et sensible, avec le toucher. C’est un sens abstrait, en tout cas beaucoup plus que la vue par exemple. Il est facile de décrire un objet, une forme ou une
couleur, alors qu’exprimer une fragrance se révèle être un exercice assez compliqué, même en abusant de comparaisons et métaphores. Et pourtant, physiologiquement parlant, notre nez est partout plus ou moins le même.
« Une muqueuse olfactive de deux ou trois centimètres carrés, composée de
22
quelque trois cent cinquante récepteurs et située sur les parois latérales et médianes du toit de la cavité nasale7 », explique Jean-Didier Vincent, neurobiologiste et académicien. « Lors de ce qu’on appelle le flairage, les molécules odorantes contenues dans l’air traversent la couche de mucus qui tapisse la surface interne des fosses nasales, puis entrent en contact avec ces fameux récepteurs situés dans la muqueuse olfactive. Un signal est alors envoyé par les neurones sensoriels au bulbe olfactif, qui le traite et permet au cerveau limbique, centre des émotions, de reconnaître l’information “odeur” traitée comme bonne ou mauvaise8 », poursuit-il.
7
VINCENT, Jean-Didier, neurobiologiste et académicien, cité dans le magazine Psychologies, Décembre 2008, p.9. 8
Ibid.
Alors que l’odeur est la même, notre cerveau ne va pas traiter l’in-
formation de la même manière, et ce à cause de nos souvenirs olfactifs. Yvette Moretti, parfumeuse renommée dont le métier est d’imaginer des parfums sur
mesure qui nous permettent de trouver notre propre identité olfactive, assure que
« le parfum, c’est le lien le plus fort avec l’émotion9 ». Elle affirme également
que « seul le parfum est capable de nous faire voyager dans le temps, de nous
rappeler les émois de nos 15 ans ». C’est parce que le parfum s’inscrit dans notre mémoire et qu’il nous rappelle des souvenirs qu’il nous permet de vivre des sensations aussi fortes. D’après la philosophe Dominique Paquet, « Un parfum nous
émeut parce qu’on l’a déjà senti. Il prend sa place dans l’univers des odeurs que l’on crée dès sa naissance. Nous retenons d’abord l’odeur de notre mère, puis, au fil des années, celle de l’herbe, des gâteaux, du papier, de l’encre… Mille odeurs qui vont dessiner un immense répertoire olfactif dans lequel nous puisons sans cesse10 ». Cela signifierait qu’il suffit alors de re-sentir une même senteur pour
ressentir à nouveau l’émotion qui lui est liée. Une sorte de madeleine de Proust11,
qui déclenche automatique ce sentiment de réminiscence. Il s’agit d’une réaction assez subjective et toujours compliquée à analyser. Jean-Didier Vincent explique
que « les voies de l’olfaction ne sont pas connectées avec les centres du langage12 ». En effet, il est souvent difficile de mettre des mots sur ces émotions réveillées simplement en sentant une odeur.
Ainsi, le lien entre une fragrance et un souvenir du passé peut être
consciente comme inconsciente, et réveille souvent en nous des émotions fortes.
9
MORETTI, Yvette, parfumeur, citée dans le magazine Psychologies, Décembre 2008, p.6.
10 PAQUET, Dominique, actrice, écrivain et philosophe, citée dans le magazine Psychologies, Décembre 2008, p.7. 11 On qualifie généralement de Madeleine de Proust tout phénomène déclencheur d’une impression de réminiscence. Ce terme vient du roman de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu dans Du côté de chez Swann, Grasset, Paris, 1913. 12
VINCENT, Jean-Didier, neurobiologiste et académicien, cité dans le magazine Psychologies, Décembre 2008, p.9.
23
Mais notre inconscient perçoit également des phéromones émises par l’homme, molécules qui ne sont pas des odeurs à proprement parler, qui nous attirent vers
l’autre. Ces molécules agissent comme un élément de communication entre deux êtres : peut-on alors faire un lien entre odeurs et désir amoureux ?
LE SENS PRIVILÉGIÉ DE L'AFFECT ET DU DÉSIR. D’après Benoist Schaal, biologiste au CNRS, l’homme et tous les
mammifères sont capables de reconnaître des informations à partir de l’odeur
corporelles de ses « congénères », qui peuvent nous en apprendre sur leur ap-
partenance sexuelle, sa classe d’âge, son groupe social, son état physiologique et émotionnel, sur leur santé, régime alimentaire, et bien d’autres13. Une étude en
laboratoire lui a permis de démontrer qu’une personne pouvait définir le genre
d’une autre à partir de l’odeur de sa main, dans 80% des cas. Il se pourrait même que nous soyons aptes à détecter notre partenaire idéal dans un but de reproduc-
24
tion. C’est d’ailleurs de cette manière que de nombreux animaux trouvent leur partenaire sexuel. Nous émettons des odeurs corporelles qui portent un mes-
sage génétique, qui nous rend tous unique. Alors, aurait-on son conjoint dans les gènes ?
Les phéromones, ces substances chimiques comparables aux hor-
mones, émises par la plupart des animaux et certains végétaux, agissent comme des « messagers entre les individus d’une même espèce, transmettant aux autres individus des informations qui jouent un rôle dans l’attraction sexuelle notamment14 ». Et ces phéromones, il semblerait que nous soyons à même de les détec-
ter grâce à notre odorat. En effet, il existerait un nerf crânien, souvent absent des
13 SCHAAL, Benoist et FERDENZI, Camille, Odeurs et Émotions, ed. EUD, Dijon, 2013,
p. 63. 14
D’après la définition des phéromones par le site internet http ://dictionnaire.sensagent. leparisien.fr [consulté le 3 Octobre 2016].
dictionnaires anatomiques, que l’on appelle « nerf terminal », et qui jouerait un
rôle essentiel dans notre corps puisqu’il est responsable de l’attraction sexuelle subliminale. D’après Douglas Fields, ce nerf serait sensible aux phéromones, et transmettrait à notre cerveau des « signaux subconscients15». Douglas Fields di-
rige la section Développement du système nerveux et plasticité à l’Institut Amé-
ricain de la santé de l’enfant et du développement de l’homme, aux États-Unis. Il suppose que, de la même manière qu’un cheval inspirerait profondément pour
renifler les phéromones d’une jument en chaleur, nous utilisons également notre
odorat, de manière inconsciente, pour sélectionner un partenaire, à moindre mesure, évidemment. Selon Raphaëlle Chaix, chercheuse en éco-anthropologie et
ethnobiologie au Musée National d’Histoire Naturelle, « les gènes du complexe majeur d’histocompatibilité (ou CMH), la partie du génome impliquée dans la réponse immunitaire, pourraient jouer un rôle dans la recherche du conjoint16 ».
En d’autres termes, ces gènes nous permettraient de distinguer l’intrusion de molécules étrangères dans notre organisme, de manière à ce que notre système
immunitaire les attaque. Certaines études ont insinué que certains d’entre nous seraient à même de reconnaître une personne présentant des gènes du CMH différents des siens.
Grâce à une étude17 menée en 1990 par le biologiste Claus Dedekind,
de l’Université d’Edimbourg montrant que les femmes préféraient l’odeur d’un maillot porté par des hommes qui avaient des gènes du CMH différents du leur,
et une autre étude18 menée en 1997 par Carole Ober, généticienne à l’Université
de Chicago où il a été observé que les personnes évitaient généralement les rap-
ports sexuels avec une personne ayant des gènes du CMH proches de ceux de
15 FIELD, Douglas, directeur de la section Développement du système nerveux et plasticité à l’Institut Américain de la santé de l’enfant et du développement de l’homme, USA. 16 CHAIX, Raphaëlle, chercheuse, citée dans Manipulations olfactives, ed. Payot & Rivages, Paris, 2013, p. 55. 17 Étude menée en 1990 par le biologiste Claus Dedekind, de l’Université d’Edimbourg, relayée dans Manipulations olfactives, par Catherine Bouvet, op. cit., p. 61. 18
Étude menée en 1997 par Carole Ober, généticienne à l’Université de Chicago, relayée dans Manipulations olfactives, par Catherine Bouvet, op. cit., p. 61.
25
leurs mères, nous pouvons supposer que nous nous dirigeons généralement vers des personnes ayant des gènes du CMH différent du nôtre. D’un point de vue médical, c’est une bonne nouvelle : s’accoupler avec une personne présentant
des gènes du CMH éloignés du nôtre permettrait à l’enfant d’avoir un système immunitaire plus fort.
Le rôle des phéromones est de transporter l’information génétique.
C’est donc par notre odorat que nous pouvons détecter les gènes du CMH de
notre partenaire. Selon Benoist Schaal, il ne faut pas pour autant confondre
odeurs corporelles et phéromones19. Effectivement, les odeurs corporelles
contiennent des informations sur notre état, notre humeur, notre personnalité, et nos habitudes (alimentaires, hygiéniques…), alors que les phéromones sont
de l’ordre du génétique. D’après Nadine Grefeille, psychiatre et sexologue, « il
ne peux pas y avoir de bonne entente sexuelle s’il n’y a pas une bonne entente olfactive. Parce que, dans la sexualité, on est tout le temps obligés de se servir de l’odorat. Quand on embrasse, il faut bien qu’on respire ! Donc on va obligatoirement sentir l’odeur de l’autre et dans le contact de rapprochement, obliga-
26
toirement, on est en perception des odeurs… Cela ne peut être autrement !20 ».
En outre, elle affirme qu’il ne peut pas y avoir de comportement amoureux si les sens ne sont pas présents, notamment l’odorat, qui d’après elle rythmerait une relation sexuelle.
Il est vrai que l’odeur rapproche, ou du moins donne l’impression
d’une proximité avec l’autre. Nicolas Gyégen, enseignant-chercheur en psycho-
logie sociale à l’Université de Bretagne-Sud nous le prouve avec une expérience réalisée dans la rue, en s’inspirant des fameuses publicités de parfums où l’on
voit un homme s’accroupir pour ramasser un objet qu’une femme a laissé tom-
ber, humer son odeur et tomber sous son charme. Il a souhaité vérifier cet effet en réalisant la même expérience. Certaines femmes n’étaient pas parfumées,
d’autres portaient un parfum de luxe. Il a constaté que lorsque la femme était
19 20
SCHAAL, Benoist et FERDENZI, Camille, op. cit., p. 18.
GREFEILLE, Nadine, psychiatre et sexologue, citée par Catherine Bouvet dans Manipulations olfactives, op. cit., p. 64.
parfumée, les hommes étaient bien plus nombreux à l’interpeller. Il explique que l’odeur « renforce la sensation de proximité avec une personne. Lorsqu’un individu qui laisse tomber un objet se trouve à 5 mètres de nous, il est relative-
ment éloigné physiquement, et l’on peut être tenté de ne pas réagir. Mais si l’on sent son parfum, tout se passe comme si nous le percevions plus près21 ». Nous
pouvons ainsi affirmer que l’odeur rapproche, ou du moins donne un sentiment de proximité, de contact. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’odorat est le
sens le plus ancien et le plus primaire, ce qui lui vaut son statut de sens privilégié du désir. C’est un sens de l’ordre de l’intime, particulièrement présent dans les rapports amoureux, et indispensable dans le rapport à l’autre.
Cependant, le fait que chaque personne sente et ressente chaque odeur
différemment le rend non seulement très subjectif, mais rend également les odeurs presque impossibles à placer dans des cases distinctes. Ainsi, nous pou-
vons nous demander comment classer les senteurs, et suivant quelle perception ?
27
21 GYÉGEN, Nicolas, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Bretagne-Sud, cité par Catherine Bouvet dans Manipulations olfactives, op. cit., p.68.
28
B. Cartographie des différentes odeurs Âcre, agréable, agressif, aigre, amer, ammonical, aromatique, cam-
phré, capiteux, chaud, délicat, délicieux, désagréable, doux, divine, écoeurant, enivrant, entêtant, exquis, fade, fauve, fétide, fin, fort, frais, fugace, infect, léger,
méphitique, mauvaise, musqué, nauséabond, odoriférant, pénétrant, persistant, pestilentiel, piquant, pisseuse, poivrée, pimenté, puant, puissant, rance, repoussant, suave, subtil, sucré, suffocant, sulfureux, tenace, velouté… Il existe un bon
nombre d’adverbes pour parler d’une odeur. Nous pourrions établir mille paradoxes, entre une odeur chaude ou froide, apaisante ou stressante, bonne ou
mauvaise, légère ou forte… Mais il se révèle en fait assez difficile de les classer.
Afin de leur permettre de diversifier et trier les odeurs, les biologistes ont dû
faire confiance à leur perception des senteurs, bien que très subjectives. Ils ont
alors imaginé qu’une odeur représente une combinaison de différentes « qualités olfactives fondamentales ». Il a donc fallu trier les odeurs, et de nombreuses classifications en sont nées, sans qu’aucune ne réussisse vraiment à s’imposer.
Nous avons essayé de comprendre l’évolution de la perception des odeurs à
travers les siècles, et différencier quelques types de senteurs, contraires mais aussi communes, comme la différence entre une odeur qui nous attire, ou nous repousse. ou en étudiant comment les odeurs naturelles en sont venues à être reprises chimiquement pour les recréer de manière artificielles. Quelles sont les différentes problématiques liées aux différentes perceptions des odeurs ?
ÉVOLUTION DE LA PERCEPTION DES ODEURS Revenons quelques siècles en arrière, afin de remarquer l’évolution de
notre perception des odeurs à travers le temps. Vers l’an 1000, on commence à se
29
regrouper dans les villes, lieux on l’on produit alors le plus de déchets. On s’en
désiste alors de toutes les sortes : les ordures, excréments, carcasses d’animaux en tout genre sont jetées dans les rues, les rivières. Il régnait ainsi des odeurs
pestilentielles dans les villes, d’autant plus que les rues étaient en terre, souvent
boueuses, mélangées au sang des abattoirs, urines, excréments, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les nobles se déplaçaient uniquement à cheval ou en fiacre. Dans les maisons se mêlaient odeurs fauves d’hommes et de bêtes, odeurs de la paille au sol, souvent pourrie, ainsi que les odeurs de nourriture, viande, suspen-
dues un peu partout - de quoi déranger notre nez éduqué des temps modernes. Et pourtant, à l’époque, les habitants appréciaient ce genre de senteur !
Si l’on regarde un peu plus tard, au XVIIème siècle, le roi Louis XIV
était un roi bien sale. Bien qu’il soit toujours plutôt représenté à son avantage, grand, beau et gracieux, il n’en était pas pour autant une homme propre, et se soulageait sans problèmes aux quatre coins du Château de Versailles, ou der-
rière les rideaux et les portes du palais, ce qui en faisait le lieu le plus puant du royaume à l’époque. De même, il ne se lavait pas, ou que très peu, puisqu’à
30
l’époque les bains étaient désignés comme « dangereux » par la médecine. Louis
XIV dégageait donc une odeur nauséabonde tout au long de sa vie, ce qui n’était pas facile à supporter pour son entourage, qui admettait qu’il ne sentait pas bon. Le fait est, tout de même, qu’ils parvenaient à vivre, ou survivre, au royaume des mauvaises odeurs, bien que tous aspergés de parfum. Finalement, l’odeur autre-
fois n’était pas quelque chose de si important, et mauvaise ou bonne, là n’était pas vraiment le problème et on vivait très bien sans s’intéresser aux effluves du
quotidien. Notre nez a ainsi longtemps été maudit. Il était jugé trompeur, et laid.
La vue était alors considérée comme le sens le plus intellectuel, le plus rationnel. Il est vrai qu’il est plus facile de se fier à ses yeux, ou à ses oreilles,
qu’à son nez. « Je ne crois que ce que je vois22 », disait Saint Thomas. Il est effectivement difficile de prouver quoique ce soit par notre odorat, d’où sa répu-
tation de sens « trompeur ». On peut photographier, enregistrer, mais impossible de capturer une odeur. Jacques-Henri Lartigue disait même qu’il était « triste de
22
Se comporter comme Saint Thomas signifie ne croire que ce que l’on voit.
ne pouvoir photographier les odeurs. J’aurai voulu, hier, photographier celles
de l’armoire à épicerie de Grand-mère23 » dans Mémoires sans Mémoire. La malédiction qui pesait sur l’odorat explique donc le faible investissement que
lui devait la science. Ce n’est qu’autour des années 1880-90 que les disciplines
comme la chimie, l’anthropologie, ou même le marketing commencent à étudier les mécanismes humains en lien avec la perception des odeurs. Aujourd’hui, nous pourrions dire que nous vivons dans une époque aseptisée, où les odeurs
« naturelles » n’ont plus le droit d’être. Il faut se laver au savon parfumé pour
ne pas laisser apparaître notre odeur corporelle, mettre du déodorant pour cacher toute trace olfactive de transpiration, se parfumer avant de sortir, et malheur à celui qui aura l’audace de sortir avec son odeur naturelle en guise de parfum.
Il existe toutefois des odeurs, qui, naturellement, nous attirent ou nous
repoussent. D’où vient la distinction, et quand sommes-nous à même de savoir si
une odeur nous plaît ou déplaît, si elle est synonyme de plaisir, ou de déplaisir ?
ODEURS ATTIRANTES OU REPOUSSANTES À quel moment notre cerveau traite-t-il l’information olfactive
de « bonne » ou « mauvaise » ? Pourquoi certaines senteurs nous séduisent-elles
quand d’autres nous dégoutent ? Une poubelle sent-elle mauvais car nos yeux la reconnaissent ou tout simplement à cause de son odeur ?
Prenons par exemple le durian, un fruit qui provient de l’Asie du Sud-
Est, délicieux, et qui pourtant dégage une odeur si puissante, et si puante, qu’il en vient même à être interdit dans certains marchés ou lieux publics. Si les viet-
namiens adorent cette odeur, qu’ils trouvent appétissante, les européens ont eux beaucoup plus de mal. On peut également retourner l’idée dans l’autre sens,
avec le camembert ou autres fromages forts dont beaucoup d’entre nous raf-
23
LARTIGUE, Jacques-Henri, Mémoires sans Mémoire, ed. Laffont, Paris, 1975.
31
folent alors que leur odeur n’est pas la bienvenue dans de nombreuses cultures, asiatiques, ou américaines. Ces différences nous prouvent une fois de plus que
l’odeur est propre à la subjectivité, et que notre culture et notre mode de vie influent beaucoup sur notre perception.
Il existe néanmoins quelques « vérités » : Il y a plus d’une trentaine
d’année, Jacob Steiner, de l’Université de Jérusalem, a montré que « les nou-
veau-nés de moins de 12 heures manifestent des mimiques de rejet envers les
odeurs de poisson et d’oeufs pourris24 ». Il existe en fait des odeurs acquises, et
des odeurs innées. L’odeur d’une pomme est un bon exemple d’odeur acquise. Nous avons appris qu’une pomme est une « bonne » odeur, que son goût n’est pas déplaisant. L’odeur d’un cadavre en putréfaction est une odeur innée : si nous n’en avons jamais senti avant, nous allons tout de même savoir, dès la pre-
mière fois que nous nous retrouvons face à cette odeur, qu’il s’agit de quelque chose de « mauvais ». Cela signifierait alors qu’une odeur nous plaît ou nous
déplaît en fonction de la manière dont nous avons été éduqués, et le souvenir
associé à cette odeur. Mais en ce qui concerne les odeurs innées, c’est plus com-
32
pliqué. À quel moment notre cerveau sait-il faire la différence ?
« Ce qui est fabuleux, c’est qu’il n’y a pas de mauvaise odeur. On a
tous une odeur qui va nous ramener à un événement précis. Si je vous fais sentir
une odeur de l’excrément, c’est une mauvaise odeur, on va dire. Sauf que, si la personne se souvient de son cheval en balade, ou d’une ferme avec sa grandmère, bon ben ça deviendra une bonne odeur 25» affirme Patty Canac, olfactothé-
rapeuthe lors d’une entrevue réalisée dans le cadre du tournage du film L’Odo-
rat. Si certaines odeurs sont jugées comme repoussantes pour beaucoup d’entre nous, elles peuvent effectivement rappeler de bons souvenirs à d’autres. Alors
notre jugement des odeurs serait en fait uniquement lié à notre passé, à notre
mémoire ? De même, une odeur qui n’est pas forcément mauvaise au premier
24 STEINER, Jacob, Université de Jérusalem, cité par Benoist Schaal et Maryse Delaunay-El Allam dans la revue Cerveau & Psycho, n°21, Avril 2015, p.59. 25 CANAC, Patty, olfactothérapeuthe, dont les propos ont été recueillis dans le cadre du tournage du film L’Odorat, de Kim Nguyen, 2015.
abord peut devenir détestable pour certains. Par exemple, Juliette Schrameck, directrice des ventes et acquisitions internationales chez Mk2 confie à la revue
Le Nez « Je déteste l’odeur du chlore qui me rappelle d’horribles souvenirs de cours de piscine avec ma classe : se déshabiller devant tout le monde, avoir froid, l’agression de l’eau et des regards… Dès qu’il y a un plan de piscine dans un film, j’ai l’impression de la sentir26 ». Une équipe de chercheurs israéliens du
Weizmann Institute of Science se sont penchés sur la question, et il semblerait qu’il existe des zones spécialisées dans notre nez qui soient capables de distinguer et définir des odeurs, de bonne ou mauvaise. Bien que les termes « bon »
et « mauvais » soient très subjectifs, notre jugement n’appartenant qu’à nous,
il existe tout de même des odeurs de danger par exemple, de poison, de gaz, de pourriture… Qu’on nomme ici comme « mauvaises ».
Des chercheurs ont posé des sondes électroniques sur le nez d’environ
80 personnes. Ces sondes permettent de comprendre la réponse des neurorécep-
teurs, lorsqu’ils détectent des odeurs. On leur à ensuite fait sentir des senteurs, plaisantes ou déplaisantes, selon des critères généraux, adoptés dans la plupart des cultures. Par ailleurs, l’équipe de chercheurs a analysé chaque senteur afin
de réunir toutes les substances odorantes qui les composent. Chaque senteur originale a ensuite été humée par les volontaires. Les résultats, publiés dans le magazine Nature Neurosciences ont montré que dans l’épithélium nasal, qui a
pour rôle de capter un message de nature chimique (les odeurs), de le coder et
de le traduire en un message perceptible et compréhensible par notre système nerveux, existent des zones spécialisées dans la reconnaissance d’odeur. Chaque
zone est alors capable de distinguer si l’odeur sentie est agressive ou apaisante, c’est-à-dire bonne ou mauvaise. Cela signifie que notre sentiment vis-à-vis d’une
odeur n’est pas seulement personnel mais est inné dans notre système nerveux. Les expériences de notre vie, dont nous n’avons pas forcément conscience, ont un impact sur la perception des odeurs. Si l’on suit le raisonnement de ces chercheurs, nous avons donc deux moyens de mémoriser les odeurs : par notre cer-
26
SCHRAMECK, Juliette, directrice des ventes et acquisitions internationales chez Mk2 , citée dans revue olfactive Le Nez, numéro #1, ed. Contrepoint, Paris, 2016, p.10.
33
veau, mais aussi par les neurones présents dans l’épithélium nasal.
Cependant, il s’agit de recherches qui n’ont pas forcément abouti à de
solutions réelles, et la question « bonne ou mauvaise odeur » reste encore une
énigme pour la plupart d’entre nous. Par ailleurs, on observe que, dans le milieu
de la parfumerie par exemple, certaines odeurs sont plus appréciées que d’autres, il y a des senteurs qui font l’unanimité ou presque, des senteurs à la mode. Le basilic27, par exemple, en fait partie : probablement parce qu’il s’agit d’une odeur
qui suggère à tous des bons souvenirs, c’est une odeur qui rappelle les vacances, le soleil et l’air méditerranéen, ou encore la sauce pesto avec laquelle nous aro-
matisons nos plats de pâtes. Plusieurs parfumeurs se sont d’ailleurs appropriés
cette odeurs pour créer des parfums de renom : nous pouvons par exemple citer L’eau de L’artisan, imaginée en 1993 par Olivia Giacobetti pour l’Artisan par-
fumeur, ou encore plus récemment la bougie At the Barber’s chez Cire Trudon, créée en 2014 par Louise Turner. Mais comment ces magiciens ont-ils réussi à
capturer les odeurs de la nature pour en faire aujourd’hui ce qui est devenu un élément essentiel de notre quotidien, les parfums ?
34 DES ODEURS NATURELLES AUX ODEURS ARTIFICIELLES Il convient de se poser la question de la naissance des parfums ar-
tificiels. Une senteur, un parfum, est à l’origine une « substance aromatique d’origine végétale, animale ou synthétique28 », un dérivé du latin per fume,
qui signifie « par la fumée ». Aujourd’hui le parfum est un produit populaire,
indispensable pour beaucoup d’entre nous, et très présent dans le commerce. Mais pourquoi a-t-on eu besoin de recréer chimiquement des odeurs, et surtout,
comment ? L’utilisation des premiers parfums remonte à l’époque de l’Egypte ancienne, précisément en Mésopotamie. Il était à cette période fabriqué à base de
matières brutes et utilisé sous de nombreuses formes, diverses et variées : huiles
27
Revue olfactive Le Nez, numéro #1, ed. Contrepoint, Paris, 2016, p.22-23.
28
D’après la définition du dictionnaire Reverso.
essentielle, encens, baumes… On s’en servait généralement comme un cadeau à la religion, à Dieu, comme c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, dans cer-
tains pays d’Asie par exemple où les encens servent généralement d’offrandes
aux dieux. Mais déjà à l’époque, les égyptiens tiraient partie de ces odeurs enivrantes pour se démarquer, pour séduire. Il s’est alors créé un commerce au-
tour du parfum, très vite adopté par certaines civilisations grecques et romaines.
Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, la fabrication de ces fragrances est restée simple
et brute, jusqu’à ce que les Croisés, revenus d’Orient, rapportent de l’alcool éthylique, qui permettait de faire tenir l’odeur en restant neutre, c’est à dire sans diffuser d’odeur particulière. Vont alors naître l’eau de rose et les boules de parfum, également appelées « pommes de senteur », qu’on utilisait aussi à des fins
médicales car à en croire les croyances de l’époque, elles auraient des pouvoirs assainissant.
Le parfum prend ainsi de plus en plus d’importance, et devient sy-
nonyme de noblesse et de sensualité. Au XIVème siècle, pour séduire le jeune roi de Pologne, la reine Elizabeth de Hongrie fit fabriquer la fameuse «eau de
Hongrie», mélange de fleur d’oranger, de rose, de mélisse, de citron et surtout
de romarin. Ce fut la première préparation alcoolique connue. De plus en plus,
les odeurs viennent tapisser les palais, châteaux, demeures princières. Au XVIème
siècle, avec l’invention de l’imprimerie, les formules d’eaux parfumées circulent et se transmettent entre les pays, pour parfumer les corps, les maisons, les vê-
tements. En France, la ville de Grasse connaît une prospérité importante, et le
parfum envahit alors Versailles, où on l’utilise de plus en plus, au détriment de l’hygiène, pour masquer toute odeur qui n’est pas la bienvenue. C’est au XIXème siècle que débarquent les première odeurs de synthèse, c’est-à-dire la
copie des senteurs brutes. Il s’agit de parfum beaucoup moins chers à fabriquer
et donc beaucoup plus accessibles à toute la population, et non plus uniquement à l’aristocratie. C’est Aimée Guerlain qui crée en 1889 le premier parfum de
synthèse, grâce aux progrès de la chimie. Commence alors une vraie révolution dans le monde des fragrances. C’est la parfumerie moderne que nous connais-
sons aujourd’hui : les parfums sont devenus un élément à part entière de notre quotidien, même si chaque culture, chaque pays a ses habitudes, et une vision et une perception bien différentes des odeurs.
Le débat synthèse/naturel est tout de même aujourd’hui bien pré-
35
sent, et beaucoup d’entre nous ont tendance à penser qu’une odeur naturelle est
plus vraie, et plus agréable. Cependant d’après Mathilde Laurent, parfumeuse chez Cartier, « la synthèse peut donner l’illusion du naturel, produire une note
charnelle, maternelle, envoûtante29 ». Elle a récemment créé le parfum L’Heure
Perdue30, dont elle revendique le caractère 100 % synthétique. Elle a pour cela
choisi de travailler la vanilline, le composant principal de l’arôme de vanille. Il s’agit d’un aldéhyde que l’on retrouve également dans les yaourts, glaces ou
même gauffres. Selon la créatrice, on ne peut pas réduire la beauté à la nature, mais la synthèse pure peut être tout aussi poétique, et créer les mêmes sensa-
tions. Nous connaissons finalement bien plus la vanilline que le réel arôme de
la vanille, puisque nous y avons été habitués depuis notre enfance, et sa senteur nous rappelle plus de souvenirs que la nature elle-même.
On s’aperçoit ainsi qu’il est finalement impossible de classer les
odeurs en catégories strictes, puisqu’il y aura toujours certaines molécules qui
n’entreront dans aucune d’entre elles. Certaines fragrances seront plus appré-
36
ciées à une certaine époque, ou dans un certain pays, en fonction des coutumes,
des croyances, du passé de chacun. Il n’y a donc pas de réelle frontière entre chaque. Cependant, chaque culture a ses habitudes, et donc des odeurs bien par-
ticulières et propres à elles. Au XXIème siècle, les odeurs commencent à prendre
une place plus importantes dans nos sociétés et y représentent des enjeux particuliers : quels sont-ils ?
29
LAURENT, Mathilde, parfumeuse chez Cartier, dont les propos ont été recueillis par Sarah Bouasse dans le cadre d’un entretien pour la revue olfactive Le Nez, numéro #1, ed. Contrepoint, Paris, 2016, p.62. 30
Eau de parfum L’Heure Perdue, Cartier, 2016.
37
38
C. Quels sont les enjeux sociaux des odeurs au XXIème siècle ? L’odorat est non seulement une expérience biologique et psycholo-
gique, mais est aussi un phénomène social et culturel. La perception des odeurs diffère entre les pays, les cultures, les âges, ou les genres. Comment les différentes cultures appréhendent-elles l’odorat ?
UN PHÉNOMÈNE CULTUREL Notre perception des odeurs varie d’une culture à l’autre. Il peut s’agir
de différences ethniques, géographiques, historiques - différences qui nous for-
ment et nous apprennent à apprécier les odeurs différemment, en fonction de
nos souvenirs, de nos habitudes. Dans certaines cultures, on s’aperçoit que le monde des odeurs est bien plus important que pour d’autres. Les pays très occi-
dentalisés, par exemple, ont tendance à vouloir éviter les « mauvaises » odeurs,
à les masquer grâce à d’autres odeurs artificielles, alors que d’autres cultures, plus rurales, vont se caractériser par un environnement olfactif plus riche, où les senteurs y sont plus naturelles.
Pour le peuple Ongee, par exemple, qui réside sur les îles Andaman,
dans le golfe du Bengale entre l’Inde et la Birmanie, l’univers et tout ce qui s’y
trouve est défini par l’odorat. Il est au cœur de leur vie quotidienne. Leur calendrier, par exemple, est basé sur les odeurs de fleurs qui entrent en floraison à
différents moments de l’année. Chaque saison a été nommée d’après une odeur particulière, et leur identité est également construite autour de différents par-
fums. Ils se saluent par l’expression « Konyune onorange-tanka ? » qui signifie « Comment va votre nez ? ». Si la personne répond qu’il ou elle se sent chargé
39
d’odeur, la personne qui l’a salué doit inspirer profondément pour enlever une
partie de l’excès de l’odeur, alors que si la personne saluée se sent peu chargée d’énergie odorante, il est poli de fournir une certaine odeur supplémentaire en
soufflant sur lui. Les odeurs sont donc chez le peuple Ongee une réelle ma-
nière de s’identifier. D’ailleurs, à tel point que pour se désigner eux-mêmes, ils touchent leur bout du nez. En étudiant cette tribu, Constance Classen, dans
Ways of Sensing, affirme que l’on peut naturellement associer odeur, respiration et vie31. Bien sûr, le peuple Ongee a une vision du monde très particulière, que
la plupart du reste du monde ne partage pas; mais il est intéressant de voir que les senteurs peuvent constituer un réel moyen de pensée et moyen d’expression. Une étude menée par Christelle Chrea, postdoctorante à l’Université
de Genève, et Dominique Valentin, chercheuse en psychologie au Centre Européen des Sciences du Goût, a permis de révéler une vraie différenciation concernant la perception des odeurs de différentes cultures. Elles ont évalué l’environ-
nement olfactif quotidien d’un étudiant français à Dijon, d’un étudiant américain à Dallas et d’un étudiant vietnamien à Hô Chi Minh-Ville. Elles leur ont tout
40
d’abord demandé à chacun de décrire les odeurs lorsqu’ils se rendaient à l’Université le matin. L’étudiant français parle d’odeur de viennoiseries provenant de
la boulangerie, et de pots d’échappement. L’étudiant américain raconte qu’il est toujours en voiture, dans laquelle il a placé un diffuseur d’odeur à la pomme-can-
nelle, qui est toujours là. Pour l’étudiant vietnamien, les odeurs principales sont
celles du pho, soupe traditionnelle vietnamienne. Parce que ces trois étudiants ne sont pas habitués au mêmes odeurs dans leur quotidien, ils ne sont donc pas
sensibles de la même manière face aux différentes senteurs. Les différences sont également très importantes dans certains espaces qui reflètent des habitudes ali-
mentaires comme les marchés. Si, en France, on va y trouver beaucoup plus
d’odeurs de légumes et fruits, au Vietnam, l’odeur que l’on ressent le plus est
celle de poisson, viande et épices. Le pays d’où l’on vient nous conditionne, et
on remarque ici que lorsqu’on se retrouve dans un univers olfactif qui n’est pas
31
CLASSEN, Constance, Ways of Sensing — Understanding the Senses In Society, ed. Routledge, United Kingdom, 2013, p.24.
le notre, nous pouvons vite être un peu déstabilisés ; parfois séduits, parfois re-
poussés. Les habitudes en matière d’hygiène, également, participent à la création de notre « environnement olfactif ». En France et aux Etats-Unis, l’étude montre qu’environ deux tiers des étudiants affirment utiliser souvent du parfum, alors
qu’au Vietnam la même proportion déclare n’en porter pratiquement jamais. De
même pour les parfums d’ambiance : 90 % des étudiants français et américains en utilisent, contre à peine 50 % de vietnamiens.
Il semblerait que l’on apprécie plus une odeur lorsqu’elle est familière.
Théories qui prennent sens avec de nombreux exemples évoqués, des habitudes
alimentaires aux odeurs d’une ville, d’un mode de vie. Mais si les « coutumes olfactives » diffèrent en fonction des pays et des cultures, nous pouvons nous
interroger sur la variation de leur perception selon les genres : les hommes et les femmes on-ils le même ressenti face aux odeurs ?
DES DIFFÉRENCES LIÉES AU GENRE. Si « les odeurs n’ont pas de sexe32 », comme le dit Jacques Cavalier, la
distinction des odeurs, elle, serait différente entre les hommes et les femmes, et il semblerait que chaque genre ait ses préférences en matières d’odeurs.
On entend souvent dire que les femmes auraient un odorat plus dé-
veloppé. Une sensibilité qui serait liée aux changements hormonaux. Pour s’en
assurer, les créateurs du blog Odeurs & Parfum ont réalisé un sondage dans
lequel ils ont demandé à une soixantaine de personnes, rencontrées dans la rue,
de reconnaître certaines odeurs. D’après les résultats, ils ont constaté que bien plus de femmes ont deviné quelles étaient ces odeurs (environ 65 % des femmes
contre 35 % des hommes). D’après eux, cela explique donc la « fameuse théorie de l’évolution », c’est-à-dire que si l’on regarde chez les animaux, bien que les
32
Jacques Cavalier, parfumeur français.
41
hommes utilisent leur odorat pour chasser, les femmes en font une tout autre utilité, et l’utilisent pour retrouver leurs petits, où chez les vivipares l’endroit ou
elle a pondu ses oeufs. Il s’agirait alors d’un héritage biologique, mais bien sûr,
ce sondage reste à une échelle très réduite et il ne s’agit que de suppositions. Une
étude plus sérieuse, menée par l’Université fédérale de Rio de Janeiro au Brésil, publiée dans le journal Plos One a indiqué que la partie du cerveau féminin dé-
diée aux odeurs est 40 % à 50 % plus grande que chez l’homme33. Ont été exami-
nées 7 cerveaux masculins et 11 cerveaux féminins chez des personnes décédées après 55 ans. D’après un article de i24News, chaîne d’actualité internationale, « la différence de sensibilité olfactive entre les hommes et les femmes, un des
aspects du diphormisme entre les sexes, pourrait avoir des incidences psychologiques et comportementales dans les domaines du plaisir et des liens sociaux34 ».
Nous avons pu observer à travers la première partie de ce mémoire que
les odeurs sont des molécules volatiles relativement bien caractérisées, possédant
des caractéristiques physiques et chimiques bien particulières qui leur permettent
42
d’être détectées par notre nez, et dotées de la capacité d’interagir avec des neuro récepteurs à l’intérieur de celui-ci. Parce que nous associons naturellement les odeurs que nous sentons à des souvenirs, nous les percevons chacun différemment,
et, de ce fait, cet aspect rend les odeurs, et donc l’odorat très intime, et subjectif. La subtilité des odeurs réside en grande partie dans le fait que, par leur connexion directe avec nos émotions, elles soient capables de modifier notre humeur, nos réactions et les choix que nous faisons, la plupart du temps sans même que nous en ayons conscience. Par conséquent, notre comportement et nos habitudes sont lar-
gement influencées par les effluves qui nous entourent au quotidien, et les experts du marketing l’ont bien compris. Cela signifie-t-il que nous devons rester sur nos gardes quant à l’utilisation des odeurs aujourd’hui ?
33
Selon la chaîne d’actualité internationale i24News, http ://www.i24news.tv/fr/actu/ technologie/50336-141109-les-femmes-ont-un-sens-de-l-odorat-plus-developpe-que-leshommes-c-est-prouve, Novembre 2014 [consulté le 5 Octobre 2016].
34
Ibid.
43
44
LA MADELEINE DE PROUST
45
46
II. FAUT-IL SE MÉFIER DE L'USAGE QUE L'ON FAIT AUJOURD'HUI DES ODEURS ? A
Les odeurs séduisent, guérissent, trahissent
B
Quels sont les stratagèmes du marketing olfactif ?
C
Sommes-nous en train de perdre le contrôle de notre odorat ?
47
NOUS ÉTUDIERONS DANS CETTE DEUXIÈME PARTIE PEUVENT
COMMENT NOUS
LES
ODEURS,
SÉDUIRE
ET
QUI NOUS
GUÉRIR, SONT AUSSI CAPABLES DE NOUS TRAHIR.
NOUS
ABORDERONS
AINSI
LES
NOMBREUX STRATAGÈMES UTILISÉS PAR LES
48 48
ENTREPRISES POUR S'EMPARER DE NOTRE SENS, JUSQU'À PARFOIS NOUS FAIRE PERDRE LA
CONFIANCE
QUE
NOUS
ACCORDONS
À NOTRE NEZ, ET NOUS DÉPOSSÉDER DE NOTRE ASSURANCE OLFACTIVE. SERIONSNOUS " MENÉS PAR LE BOUT DU NEZ " ?
A. LES ODEURS SÉDUISENT, GUÉRISSENT, TRAHISSENT. S’il est vrai que certaines odeurs nous séduisent, qu’il s’agisse des
phéromones humains, odeurs corporelles, odeurs naturelles de plantes, de plats ou encore senteurs artificielles concoctées par les parfumeurs, les odeurs sont aussi capables de nous soigner. En effet, les spécialistes ont de plus en
plus recours à l’olfactothérapie ou l’aromathérapie pour nous guérir. Mais
les odeurs peuvent aussi nous trahir : parce qu’elles influencent nos attitudes, nous avons parfois tendance à les suivre inconsciemment, et agir malgré nous.
SÉDUCTION ET OLFACTION. La séduction est une forme de manipulation, et exploite tous nos sens,
ou presque. La vue, parce qu’il faut se sublimer, se rendre plus beau, l’ouïe, en cherchant à avoir une voix irrésistible, le toucher, manifesté par notre abus de
cires et de crèmes en tout genre. Mais la séduction passe aussi par l’olfaction : pour séduire, nous vouons une véritable lutte à toutes nos odeurs corporelles par
le biais de déodorants et antitranspirants, et, surtout, nous nous parfumons. Par
cet artifice, nous cherchons à nous doter d’une aura olfactive, nous identifier,
nous créer une personnalité, qui est, d’ailleurs, souvent influencée par la mode. Bien qu’à l’origine un parfum ait pour but de déterminer une réelle identité, nous cherchons souvent avant tout un parfum qui plaira aux autres, car il est « une composante de notre arsenal de séduction1 ».
Le terme de « séduction » est d’ailleurs très utilisé dans le business des
odeurs, de la parfumerie. De nombreuses publicités jouent sur cet aspect pour
1
BOUVET, Catherine, Manipulations olfactives, op. cit., p.164.
49
nous faire consommer, représentant généralement des femmes ou des hommes au physique de rêve, la plupart du temps dénudés. Sensualité et sexualité sont les maîtres mots de ces spots publicitaires. On peut par exemple citer celui du
parfum Shalimar2 de Guerlain, sorti en 2009, qui d’ailleurs profite déjà de l’aura
sexuelle et provocatrice de Serge Gainsbourg en illustrant sa chanson, ou Ricci Ricci3 de Nina Ricci où la séduction devient un jeu. On y voit une actrice co-
quine, libérée et pleine de charme. Mais pourquoi le lien entre séduction, et le
parfum, les odeurs, est-il si fort ? D’après Marcel LeFever, maître parfumeur, le mystère réside dans la provenance même des éléments d’une fragrance.
« Fondamentalement, le parfum se confond avec l’attrait sexuel des fleurs ou, dans le cas de la civette et du musc, des animaux. Extrait des glandes reproductrices des plantes et des animaux, le parfum est l’odeur de la création, un signe spectaculairement adressé à nos sens des pouvoirs régénérateurs de la Terre — un message d’espoir et un message de plaisir4 ».
50
Il affirme également qu’il y a un lien entre « le guerrier zoulou qui se
couvrait le corps de graisse de lion » et la femme d’aujourd’hui qui se parfume
de quelques gouttes de parfum onéreux. En effet, selon lui, l’approche est la même puisqu’il s’agit là de s’approprier les « pouvoirs de séduction » du lion,
roi de la jungle, ou de la sensualité irrésistible des fleurs. Le parfum devient finalement comme un intermédiaire « magique » par lequel on vient usurper les
pouvoirs sexuels d’une odeur plaisante comme celle de la fleur, par exemple. Le parfumeur « opère dans un domaine qui est à la fois profondément primitif et excessivement exalté5 », reprend Marcel LeFever. En effet, nous avons vu
que l’odorat est le sens le plus primaire et c’est sans doute pourquoi humains et animaux sont immédiatement séduits par une odeur qu’ils jugent très agréable.
2
GUERLAIN, Jacques, pour Shalimar, 1925 — Spot publicitaire réalisé en 2009.
3
Nina Ricci, Ricci Ricci, 2009.
4
LEFEVER, Marcel, maître parfumeur, cité dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.34.
5
Ibid.
D’après l’une des définition de la séduction, il s’agit de « détourner
du droit chemin, du bien, du devoir6 ». En effet, l’Église assimile le parfum au péché, et la puanteur à la sainteté7. Le parfum, et plus généralement les odeurs
sont d’une certaine façon une invitation à la « licence sexuelle ». Les odeurs sont
ainsi très liées avec l’attirance, et le monde de la parfumerie l’a bien compris et en profite au maximum pour vendre leurs fragrances.
Mais les odeurs ont bien d’autres pouvoirs, et parmi eux, celui de nous
soigner, et certains thérapeutes utilisent toute sorte de senteurs pour guérir leurs patients. Peut-on vraiment avoir recours aux odeurs pour aller mieux ?
SE SOIGNER GRÂCE AUX ODEURS ? Le plaisir que nous ressentons au contact d’odeurs agréables, son rap-
port à nos émotions, et son influence sur nos agissements ont guidé certaines professions paramédicales à se pencher sur le sujet, et en sont nés quelques nou-
veaux métiers. Plusieurs professions s’inspirant de l’olfactothérapie utilisent aujourd’hui les odeurs pour nous faire aller mieux.
Patty Canac anime des ateliers olfactifs au service de neurologie de
l’hôpital de Garches, qui permettent de libérer les patients atteints de trauma-
tisme crâniens de leur abattement physique, et psychique. Certains cancers,
Alzheimer, anorexie ou autisme peuvent également être soignés, pour certains, par les odeurs. Elle forme ces personnes qui souhaitent exploiter l’univers des odeurs dans leurs thérapies8. Dans Manipulations Olfactives, Patty Canac ré-
sume le témoignage de patients qui ont eu recours aux odeurs pour se soigner.
6
Définition de la séduction par le site http ://www.cnrtl.com [consulté le 8 Octobre 2016].
7
LEFEVER, Marcel, maître parfumeur cité dans la revue Le Nez, #1, op. cit., p.35.
8
CANAC, Patty, olfactothérapeute, cité par Catherine Bouvet dans Manipulations olfactives, Payot & Rivages, Paris, 2013, p.102.
51
« À dix-neuf ans, Frédéric adorait le rugby, le tir à la carabine, les amis, toutes les sucreries mais surtout le chewing-gum à la menthe. Il en mâchonnait à longueur de journée, selon sa mère, qui passe beaucoup de temps avec lui, allongé à l’hôpital depuis trois mois. Depuis son traumatisme crânien, son corps est plongé dans le silence et l’immobilité. Au moment où l’aromatologue lui présente une languette de papier imprégnée d’une odeur de menthe, ses narines se mettent à frémir, ses yeux bougent, son regard se pose sur la main tenant la languette de papier, regarde le mur puis regarde le médecin qui lui sourit. À son tour, Frédéric esquisse une mimique souriante. L’odeur quotidienne de ses chewing-gums à la menthe l’a sorti de sa prostration. Ce ‘‘choc’’, c’est comme un premier contact. Avec ce ‘‘réveil’’, une nouvelle phase de rééducation va pouvoir commencer pour Frédéric9 ».
Les odeurs étant inscrites au plus profond de nous, elles nous aident
à nous remémorer un passé souvent oublié. Ce genre de thérapie permet alors
52
aux patients de retrouver de nouveau du plaisir, des sensations agréables, dans
un cadre où la notion de bonheur n’est pas toujours présente. Si l’on pense tout de suite à l’hôpital, c’est également le cas en prison, lieu dans lequel on peut avoir l’impression que nos sens s’éloignent peu à peu. « Quand il n’y a plus de sens, il n’y a plus de plaisir. Si l’odorat, qui reste le plus primaire des cinq sens, revient, alors peu à peu, chaque chose reprendre son sens10 », déclare Marie-Thé-
rèse Esneault, aromacologue, qui, depuis quelques années, travaille à l’Hôpital du Centre Pénitentiaire de Fresnes, dans le Val-de Marnes. Son métier consiste à permettre aux détenus de réapprendre à parler, à s’ouvrir au monde qui les
entoure, et par ce biais de sortie de « l’horreur » de la prison qui les maintient
silencieux, et malheureux. En les invitant dans une cellule qu’elle a aménagé,
9
Ibid, p.71.
10 ESNEAULT, Marie-Thérèse, aromacologue, Hôpital du Centre Pénitentiaire de Fresnes.
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac pour le magazine Psychologies, Juillet 2009, p.18.
proposant une bibliothèque olfactive de quatre-vingt-dix senteurs (pin, menthe, lait maternel, fleurs, etc) imaginée à l’aide d’une parfumeuse, elle aspire à leur
donner l’illusion du dehors. Lors de sa première séance, l’un des détenus souhai-
tait sentir une odeur de mer : « Je suis breton, l’odeur du sel me manquait. Tout de suite, ça a été très fort. J’ai revu plein de paysages, de gens, je me sentais là-
bas. C’était magique, y’a pas d’autres mots11 ». En sentant des odeurs auxquelles
nous sommes habituées, que nous connaissons, nous nous sentons bien, en sé-
curité, dans un environnement au caractère familier. C’est à ce moment là que la thérapeute essaie de creuser et d’aider le patient à aller au-delà de ses sensations. Bien que certains médecins montrent des réticences, cette technique est admise, le but étant avant tout de soulager le patient.
Les odeurs peuvent par ailleurs aider à supporter un soin, comme lors
d’un acte médical. Chez les enfants notamment, qui redoutent une intervention médicale, certains hôpitaux utilisent les odeurs pour aider l’enfant à surmon-
ter cette épreuve. Yves Meymat, pédiatre et anésthésiste, donne l’exemple des
masques de gaz anesthésiants12. Les enfants peuvent choisir le parfum (menthe, fraise, etc) qui sera diffusé dans le masque avant le gaz anesthésiant pour les apaiser. Selon Lise Bartoli, psychologue clinicienne et hypnothérapeute13, les
odeurs peuvent également être utilisées dans le cadre de séances d’hypnoses,
pour inviter le patient à se transporter « dans un lieu de bien-être, imaginaire ou réel ». Les odeurs relaxent et provoquent un certain état de bien être chez le sujet, qui sera par la suite plus à même de supporter une opération, ou autre intervention.
On peut également utiliser les aspects des huiles essentielles pour
nous relaxer : il s’agit de l’aromathérapie, une médecine dite « douce ». Pour
11 Propos d’un détenu du Centre Pénitentiaire de Fresnes recueillis par Anne-Laure Gannac, op. cit., p.19. 12
MEYMAT, Yves, anésthétiste et pédiatre au CHU de Bordeaux, dans la Revue olfactive Le Nez, numéro #1. op. cit., p.62. 13
Lise Bartoli, psychologue clinicienne et hypnothérapeute, dans la Revue olfactive Le Nez, numéro #1. op. cit., p.63.
53
obtenir ces huiles, la plante (fleur, écorce, fruit…) est distillée à la vapeur d’eau. La substance qui en sort a une action bénéfique sur la santé, mentale et physique. Selon Dominique Baudoux, l’aromathérapie est « l’activité et toutes les
activités tant psychologiques, émotionnelles que physiques que toutes essences
de plantes distillées généreraient grâce à leur emploi14 ». Les huiles essentielles
sont également couramment employées pour adoucir le quotidien : on s’en sert pour parfumer notre environnement, aromatiser les soins cosmétiques, voire nos produits d’entretien.
Mais si les odeurs peuvent guérir, elles permettent également de pré-
venir certaines maladies. C’est le cas d’un projet imaginé en 2013 par deux étudiants africains, qui vise à lutter contre les moustiques, et plus précisément les maladies qu’ils véhiculent, grâce à un savon qui les éloigner et tue leur larves15
- un projet récompensé par l’Université de Berkeley, en Californie. Quelques
mois plus tard, deux chercheurs américains ont créé un patch qui, une fois contre la peau, libère un cocktail d’odeurs qui sature les récepteurs des moustiques et les empêchent de trouver leur proie16. Il s’agit d’initiatives honorables, puisque,
54
rappelons le, les moustiques sont vecteurs de maladies mortelles, notamment du paludisme, responsable chaque année d’environ 600 000 décès17.
Alors que les odeurs peuvent avoir un effet bénéfique sur notre santé
ainsi que notre bien être, l’odorat est toutefois un sens sur lequel nous admettons avoir quelques doutes. Il nous est souvent difficile de nous y fier, mais cela signi-
fie-t-il pour autant que nous devons rester sur nos gardes vis-à-vis de notre nez ?
14 BAUDOUX, Dominique pharmacien et aromatologue, dans la Revue olfactive Le Nez, numéro #1. op. cit. 15 Faso Soap, projet de Moctar Dembélé, originaire du Burkina Faso, et Gérard Niyondiko,
né au Burundi, étudiants à l’Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement de Ouagadougou (Burkina Faso), avril 2013. 16 Initiative de l’entreprise ieCrowd, 2013, relayée par le site http ://www.slate.fr/ [consulté le 15 Octobre 2016]. 17
Selon le site Global Voices, https ://fr.globalvoices.org, 2015 [consulté le 15 Octobre 2016].
NOTRE NEZ, UN ORGANE TROMPEUR. L’odorat est un sens perfide. C’est un sens pour lequel nous avons peu
de confiance, et nous privilégions aisément nos yeux ou nos oreilles pour s’as-
surer de la réalité d’un fait. Pourquoi sommes-nous si infidèles vis-à-vis de notre nez, et surtout, pourquoi avons nous du mal à croire à sa fiabilité ?
Selon Chantal Jaquet, l’odorat « apparaît comme un sens plus trom-
peur que les autres, de sorte que la question de sa véracité se pose avec plus
d’acuité 18 ». Nous avons du mal à nous fier à notre nez car il existe des milliers
d’odeurs, dont une grande majorité auxquelles nous n’avons pas été éduqués, et il est de ce fait difficile d’identifier parfaitement ce que l’on sent. De même, nous
avons tendance à préférer une odeur connue, et, selon un vieil adage19 disant
que chacun trouve bonne l’odeur de son ordure, l’origine d’une odeur flouterait notre perception. En effet, lorsqu’une odeur paraît provenir de l’autre, elle nous
repousse plus facilement que lorsqu’elle vient de nous, alors que dans le cas contraire, lorsque ladite odeur émane de nous, elle ne nous déplaît pas. Nous pré-
férons d’ailleurs généralement l’odeur de nos draps, puisqu’ils sont imprégnés
de « notre » odeur. Ainsi, la provenance d’une odeur interfère dans la façon dont nous la percevons, ce qui en fait un sens d’autant plus subjectif.
D’autre part, la non fiabilité de notre odorat réside dans le fait que
nous ayons constamment besoin de prouver ce que l’on sent en ayant recours à un autre sens, notamment la vue. Si nous sentons dans la cuisine l’odeur d’un
plat, d’un poisson par exemple, nous aurons sans doute besoin de nous appro-
cher du four et d’y regarder à travers la paroi pour pouvoir affirmer qu’il s’agit bien d’un poisson. Notre odorat seul ne nous permet pas de nous en assurer. Ce
phénomène réside également dans le fait que nombre d’odeurs se ressemblent entre elles, comme par l’exemple l’odeur d’oeuf pourri et l’odeur du souffre, très
similaires. Comme nous l’avons dit auparavant, il existe un très grand nombre
18
JAQUET, Chantal, La Philosophie de l’Odorat, op. cit., p. 28.
19
Selon l’adage des latins repris par Érasme.
55
d’odeurs, et n’ayant pas été habitués à toutes, nous ne sommes pas à même de toutes pouvoir les décrypter.
Et au delà de décrypter une odeur, il est encore plus difficile de la
nommer. Nous usons et abusons de métaphores, essayant de la comparer à une
autre, plus connue de tous. Notre langage contient en effet peu de termes pour
décrire les odeurs, et selon Freud20, ce rejet de l’odorat proviendrait du fait de
la verticalisation de l’individu humain : en effet, à l’origine, l’homme était plus près du sol et avait donc besoin de son odorat pour se repérer, mais en se redressant, il a favorisé d’autres sens comme la vision et l’ouïe.
Faut-il alors n’accorder aucun crédit à notre odorat ? Nous pouvons
nous poser la question. Paradoxalement, bien que nous ayons peu confiance en
notre odorat, il est indéniable que nous sommes largement influencés par les
odeurs qui nous entourent. De nombreuses professions basées sur ce phénomène
ont vu le jour au cours de ces dernières années, notamment autour du marketing olfactif.
56
20
FREUD, Sigmund, Malaise dans la civilisation, ed. Points Paris, 2010, pp.230-242.
57
58
B. Quels sont les stratagèmes du marketing olfactif ? C’est à partir des années 1990 que le marketing olfactif prend de l’am-
pleur dans notre société occidentale. Alors qu’on parle d’un sens en marge de
la logique, irrationnel ou ambigu, on voit paradoxalement apparaître diverses
applications marketing ; tout devient support olfactif. On se parfume soi-même, son environnement, sa voiture, les poubelles, les couches pour bébé, les mouchoirs, les journaux et même les billets de banque. Nous sommes menés « par
le bout du nez » dans un bon nombre de situation, particulièrement sur un aspect commercial. Le rôle des odeurs dans le processus de perception d’un produit est de plus en plus grand dans notre société, et nous dépossède peu à peu d’un sens
qui nous est plus qu’indispensable. Comment les marketeurs utilisent-ils notre odorat pour vendre ?
59 VENDRE GRÂCE AUX ODEURS. Les entreprises ont bien compris que les odeurs influaient sur nos
comportements et s’en servent aujourd’hui, souvent à notre insu, pour nous faire acheter toute sorte de biens. Dans la société occidentale, les odeurs sont aujourd’hui partout, bien que nous n’en ayant pas toujours conscience.
Le marketing sensoriel est une technique qui permet à l’entreprise de
solliciter tous nos sens lors d’un acte d’achat. Le but est de séduire le consom-
mateur, en influençant favorablement son attitude vis à vis d’un produit ou d’un
point de vente. En effet, l’atmosphère est très liée au comportement d’achat : si je me sens bien dans un lieu, j’ai plus facilement envie d’acheter. Dans notre lieu d’habitation, beaucoup d’entre nous ont pris l’habitude « d’odoriser » leur appartement ou leur maison, à l’aide de bougies, fleurs, encens ou tout simple-
ment parfum d’ambiance, pour s’y sentir mieux. Le principe est le même dans
les espaces publics ou commerciaux. Grâce aux odeurs, le client se sent bien, il est apaisé, souhaite rester plus longtemps dans la boutique, et va ainsi être plus
apte à acheter. Le marketing olfactif a vu le jour autour des années 1950, comme le rapporte Catherine Bouvet dans Manipulations Olfactives21. A cette époque, aux Etats-Unis, la marque Procter & Gamble22 effectue un test, en proposant
dans ses magasins trois bas nylons quasiment identiques, mais en diffusant sur
chacun une senteur différente : fruitée, florale, et odeur naturelle du nylon. Les
résultats de cette expérience ont montré que la plupart des personnes avaient une préférence pour le bas présentant une odeur fruitée, mais justifiait son choix sur la taille ou la forme de celui-ci. Il s’agit bien là d’une preuve que nous avons
du mal à admettre que notre nez nous a guidé, et que c’est un acte tout à fait inconscient. Depuis, de nombreuses entreprises utilisent de plus en plus ce stratagème pour vendre leurs produits.
Dans Le Parfum de Patrick Süskind23, l’histoire de Jean-Baptiste Gre-
nouille, bien que romanesque, témoigne de la manipulation des individus par l’odeur. A la fin du roman, le personnage principal, condamné à mort, se par-
60
fume à l’aide d’une fragrance qu’il a créé à partir des cheveux et vêtements de
Laure, une femme sage et innocente, et tout le monde pense alors qu’il est lui
même naïf et innocent. Il est effectivement aujourd’hui établi que les odeurs ont un vrai impact sur nos comportements, le processus olfactif influe vérita-
blement sur l’affect, lors de l’achat du consommateur. Depuis les années 1970,
diverses recherches ont montré que beaucoup d’achats ne sont pas uniquement explicables par le fait que l’on achète un produit de manière rationnelle, sans
être influencé par nos sensations. C’est-à-dire que l’affectif et que le cognitif sont liés, et tout aussi importants l’un que l’autre, comme l’expliquent Robert
21
BOUVET, Catherine, Manipulations olfactives, op. cit., p.170.
22
Procter & Gamble est une multinationale américaine spécialisée dans les biens de consommation courante (hygiène et produits de beauté). 23
SÜSKIND, Patrick, Das Parfum, op. cit.
B. Zajonc et Hazel Markus dans Le Journal du Consommateur24. Nous pouvons
prendre l’exemple des marques de lessive, qui, grâce à une odeur de « propre »,
donnent l’image d’un produit sain, naturel, anti-bactérien. Le consommateur va
allier l’affectif et le cognitif et ainsi associer la lessive à un produit véritable, et va considérer que l’odeur fait partie intégrante de la qualité du produit, de la même manière que nous associons par exemple une odeur de cuir à un produit de maroquinerie de qualité.
Le fait d’utiliser l’olfaction pour vendre sert de deux manière : d’une
part, à changer l’attitude du consommateur vis-à-vis d’un lieu ou d’un produit,
et d’autre part à renforcer l’image de sa marque, en utilisant une signature ol-
factive, ou logo olfactif. Plusieurs recherches ont démontré que le client était plus à l’aise lorsqu’une odeur dite « agréable » était diffusée dans un espace. Par exemple, selon un article de Psychologie & Marketing, l’utilisation des machines dans les casinos diffusant une odeur d’ambiance aurait augmenté de 45%25. De
même, une étude menée par Eric Spangenberg26 a permis de montré que la per-
ception du temps passé quelque part peut être modifié par les odeurs, et qu’un
consommateur aura l’impression d’y avoir passé moins de temps si l’odeur lui
était agréable. Nicolas Guéguen explique également qu’une odeur peut pousser un client d’un restaurant à consommer plus. Il a réalisé une expérience qui a
démontré qu’en diffuant une odeur citronnée dans une pizzeria, bien que n’ayant plus faim, les clients avaient tout de mêmee tendance à commander un dessert.
Si les odeurs exercent des effets tant psychologiques que physiolo-
giques sur l’individu, il nous paraît donc probable qu’elles puissent également influencer le comportement du consommateur à l’intérieur d’un point de vente.
24
ZAJONC, Robert et MARKUS, Hazel, Affective and cognitive factors in preferences, Jounal of consumer research, vol. 9, ed. Oxford University Press, Oxford,, 1982, pp.123131. 25 26
HIRSCH, Alan, Psychology & Marketing, n°7, Wiley Periodicals, USA, 1995, p.85.
SPANGENBERG, Eric, étude relayée par le journal Recherche et application en marketing, ed. AFM, Paris, 1996.
61
Plus précisément, les différentes senteurs que nous pouvons déceler à l’intérieur d’un magasin participent, entre autres, à l’élaboration d’une atmosphère susceptible d’engendrer des réactions spécifiques au moment de l’achat. De plus en plus de marques utilisent également le pouvoir olfactif pour crédibiliser leur marque et leur image : comment parviennent-elles à communiquer grâce aux odeurs ?
LES MARQUES ET LEUR SIGNATURE OLFACTIVE. Afin de stimuler et fidéliser leur clients, on voit apparaître chez les
entreprises des logo olfactifs ou encore « logolf » pour les plus initiés. Leur
objectif est alors de s’approprier une signature olfactive afin de créer une réelle harmonie avec les produits vendus, et rendre le lieu plus impactant aux yeux des consommateurs.
62
Dans le film de Cyrille Gerhardt, intitulé L’importance des odeurs —
Le marketing olfactif se répand27, Jean-Charles Sommerard, artisan parfumeur,
compose des signatures olfactives pour de nombreuses marques. Il explique que selon lui, parfumer un espace revient à créer une atmosphère, ajouter un « su-
plément d’âme » à un lieu. Vincent Lehrer, propriétaire de La Cristallerie de Riquewihr28, en Alsace, explique que dans sa boutique, il voulait tout faire pour
que le client se sente bien, et pour cela, il fallait solliciter les sens de ce dernier.
Cela passe par le visuel, en créant un bel endroit, ou les produits sont bien expo-
sés, par le son, en proposant de la musique classique et douce, mais également par les odeurs, en diffusant une senteur créée à l’image de la marque. Selon lui,
27
GERHARDT, Cyrille, L’importance des odeurs — Le marketing olfactif se répand, 2016, disponible sur le site https ://www.youtube.com/watch?v=PxGL4dQh_io [consulté le 17 Octobre 2016]. 28
La Cristallerie de Riquewihr est située au 12 Rue du Général de Gaulle, à Riquewihr, en Alsace. Propos recueillis par Cyrille Gerhardt dans le cadre de son documentaire L’importance des odeurs — Le marketing olfactif se répand, op. cit.
ces éléments permettent aux clients d’être reposés, de se sentir bien, et, à long
terme, de favoriser l’acte d’achat. Mais l’idée est aussi de créer une cohérence entre la marque et ce qu’elle vend. Nous pouvons par exemple citer la marque BMW, qui diffuse la fragrance de leur logolf — créé par la société Midiscom29
— dans leurs concessions et leurs voitures, ou Le Crédit Agricole, dont la senteur est signée Emosens30, qui figure comme la première banque dotée d’une
signature olfactive. Le concept va même plus loin, et en 2013, la ville de Lyon a
imaginé avec Emosens une fragrance propre à la ville : Love Lyon. Cette odeur est aujourd’hui en flacon, en vente dans la boutique du Pavillon du Tourisme, et diffusée dans quelques sites touristiques de la ville (hotels, musées, etc). Sur le
page internet officielle de Lyon, on peut lire « Les touristes et les Lyonnais pour-
ront ainsi associer leurs souvenirs à cette fragrance, grâce à un univers olfactif original31 ». S’agit-il alors surtout d’une technique de vente, ou simplement une
manière de donner du caractère à un lieu ? Où est la distinction ?
Emmanuelle Perl, directrice du marketing chez Nature et Décou-
vertes, pionnier en matière de signature olfactive, affirme que « l’odeur de cèdre
fait partie intégrante de notre identité, comme le bruit de nos fontaines d’eau. Ce n’est pas du tout pour vendre plus, juste pour recréer une oasis de nature dans
la ville. Nous sommes loin d’une stratégie commerciale32 ». Cependant, il n’en
reste pas moins que l’idée est tout de même d’influencer et d’encourager l’achat. Bien qu’il soit compliqué d’évaluer l’impact des diffuseurs d’odeurs
dans les enseignes sur leur chiffre d’affaire, une enquête menée en 2009 réalisée par l’institut de sondage BVA et citée dans un article33 du magazine Le Parisien
29
Midiscom est le leader français en terme de de communication polysensorielle.
30
Emosens est un acteur incontournable en matière de diffusion olfactive et de marketing sensoriel en général. 31
Page Internet de la ville de Lyon, http ://www.lyon.fr/actualite/tourisme/lovely-lyon. html, Juillet 2013 [consulté le 17 Octobre 2016].
32 ‘Ces odeurs qui nous font acheter’, journal Le Parisien, Janvier 2013, disponible sur le site http ://www.leparisien.fr/ [consulté le 17 Octobre 2016]. 33
Ibid.
63
en 2013 nous révélait que « l’animation olfactive d’un rayon dope les achats d’impulsion, à hauteur de 38% ». Depuis 2009, le marketing olfactif s’est cependant bien développé.
Nous pouvons ainsi affirmer que la diffusion d’odeurs dans un espace
de vente, ou sur un produit, a à priori des chances d’augmenter la vente. Mais ce
processus représente tout de même un coût élevé, et présente des limites : si le parfum diffusé est jugé désagréable pour le consommateur, il n’y remettra sûre-
ment pas les pieds ; de même si le parfum est trop puissant, trop présent, ce qui peut en plus nuire aux employés34. Dans son article au nom évocateur, Marketing
olfactif ou all factice ?, Dominique Beaulieu affirme qu’il ne faut pas utiliser le
marketing olfactif de façon abusive : « le skaï se met à sentir le cuir, le surimi le crabe. Le pin des Landes finira sans doute pour les générations montantes par
évoquer davantage la cuvette des toilettes que les forêts du Sud-Ouest35 ». En
France, certaines pratiques sont même interdites, comme la diffusion d’odeurs de pain chaud devant une boulangerie ou d’odeur de fruits mûrs devant un rayon
où ils ne le sont pas : le consommateur ne doit pas être trompé à son insu36 : il
64
faut donc utiliser les arômes sans excès, et de manière prudente.
Si l’idée de départ de ces signatures olfactives est de créer une conni-
vence dans un lieu avec le client, et renforcer l’image de la marque, on peut toutefois se poser la question de la frontière entre le « se sentir bien », et le mar-
keting pur. Il est parfois difficile à admettre pour une marque que le but est avant tout de vendre, mais c’est pourtant ce que le marketing olfactif laisse à penser. Le parfum, lui aussi, est très, ou trop souvent marqueté, et nous en venons même à l’acheter sans vraiment le comprendre. Comment les marques de parfumerie s’y
34
EHRICHMANN, Rotton, ‘L’influence des stimuli olfactifs sur le comportement du consommateur : Un état des recherches’, Recherches et applications en marketing, op. cit.
35
BEAULIEU, Dominique, Marketing olfactif ou all factice ?, 2001, article disponible sur le site http ://www.e-marketing.fr/ [consulté le 17 Octobre 2016].
36
HAAS, Gérar, L’odeur, un instrument invisible du marketing difficile à protéger, Décisions marketing, n°30, ed. EMS, Paris, 2003.
prennent-elles, et en quoi cela peut-il prêter au débat ?
LE PARFUM COMME UN PRODUIT MARKETING. Alors que l’on utilise diverses senteurs pour vendre toute sorte de pro-
duits, le parfum, « l’odeur en flacon », constitue également à lui tout seule un marketing, qui peut parfois le priver de sa poésie naturelle. Est-ce que le marke-
ting ne mentirait il pas un peu aux consommateurs aujourd’hui ?
La parfumerie a longtemps, et continue encore d’ailleurs à vendre des
matières premières que nous ne connaissons pas forcément, parce qu’elles sont
censées véhiculer des images d’exotisme, d’amour, de poésie, de voyage, etc.
Ces marques ne parlent par d’art ou de beauté du parfum mais axent leurs ventes sur des valeurs plus superficielles, des arguments perçus comme mensongers pour certains. Mathilde Laurent, parfumeuse de la maison Cartier, s’intéresse à
une parfumerie plus artistique, plus intelligente, et sans compromis. Selon elle, on commence tout juste à parler de vrais ingrédients en parfumerie :
« Quand Guerlain a lancé ses Aqua Allegoria37, c’était une gorgée
d’eau fraîche dans le désert. Les gens nous disaient ‘‘Enfin des parfums qui sentent ce qu’ils revendiquent ! La rose sent la rose, l’herbe sent l’herbe…’’. Et ça, pour eux, c’était nouveau. Parce qu’avant, ils avaient la sensation qu’on les baladait un peu : le pavot bleu, c’est intéressant, mais personne ne peut savoir ce que ça sent. Donc c’est un peu une manière de vendre une odeur que personne ne peut vérifier… Le fait que les ingrédients débarquent dans les discours a un peu contrebalancé la tendance précédente qui consistait à raconter absolument n’importe quoi sur le parfum38 ».
37 38
Guerlain, Aqua Allegoria, 1999.
LAURENT, Mathilde, parfumeuse de la maison Cartier, citée dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.44.
65
Elle dénonce également une réelle négligence chez les jeunes consom-
mateurs vis à vis de la parfumerie. Ils ont, pour beaucoup, pris l’habitude de porter du parfum comme ils porteraient un vulgaire déodorant, en changent, se
l’échangent, et n’y portent aucun réel intérêt. Cependant, d’après la créatrice, « on préfèrera toujours un discours sincère, artistique, émotionnel et enrichis-
sant, qui permet d’accéder à un niveau supérieur de découverte ou d’érudition, plutôt qu’un argumentaire de vente débilitant, mal établi, qui ne repose sur rien39 ». Effectivement, les publicités de parfums que nous connaissons, souvent
basés sur des thèmes tels que la séduction, le mystère ou la sauvagerie, nous
laissent souvent à penser à un univers autour du parfum qui n’est pourtant pas ce que nous humons. Le lien entre la senteur et la publicité est souvent brouillée et nous empêche de poser un regard objectif sur le parfum en question.
De plus, de nombreux consommateurs seront plus facilement attirés
par l’égérie d’une marque de parfumerie, ou la publicité d’une autre. Notre oeil étant sollicité de partout, nous délaissons notre odorat pour se focaliser sur des
éléments visuels ou auditifs. Prenons l’exemple du spot de télévision du parfum
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Miss Dior, de la maison Dior, sorti en 201540. Il met en scène l’actrice Natalie Portman, le jour de son mariage. Hésitante à l’approche de l’autel, on la voit
s’excuser auprès de son père et s’enfuir en courant, enlever ses talons aiguilles
et sa robe de mariée pour finalement se retrouver au milieu de falaises, monter dans un hélicoptère et retrouver son amant en traversant Paris. En musique de
fond, Pièce of my Heart de Janis Joplin41. Cette publicité nous laisse à penser
qu’il s’agit d’un parfum léger, teinté de liberté. Le consommateur, aveuglé par
cette musique aux tintements rock, ces images du ciel de Paris, ou en apercevant Natalie Portman, aura probablement l’impression qu’en portant ce parfum, il se
mettra dans la peau de l’actrice, vivra le même genre de sensation. Il va donc être
influencé à acheter ce parfum, avant même de l’avoir testé. Son attitude changera peut être face à sa senteur, mais il est inévitable qu’il aura été prédisposé, à la
39
Ibid, p.46.
40
Spot TV de la marque Dior pour Miss Dior, 2015.
41
JOPLIN, Janis, Piece of my Heart, 1967.
vue du spot publicitaire, à une réaction particulière. Nous pouvons de ce fait
nous demander si nous achetons un parfum pour ce qu’il sent, ou pour l’image que la marque souhaite véhiculer à travers lui ; les marketeurs sont très doués
et parviennent facilement à nous faire croire à tout et n’importe quoi, au point que nous ne sommes plus vraiment maître de nos choix en ce qui concerne les odeurs.
Parce que l’odorat est un sens très subjectif, qui nous influence sou-
vent sans que nous nous en rendions totalement compte, beaucoup d’entreprises en jouent et les utilisent, à bon ou mauvais escient, pour nous manipuler et favo-
riser l’acte d’achat. Manipulés par les odeurs, ou manipulés de manière à ne plus suivre notre odorat, deux approches différentes mais qui nous prouvent que nous
ne y fions pas assez, et qu’il y a un réel manque de confiance de l’homme envers son nez. Serions-nous peu à peu privés de notre pouvoir olfactif ?
67
68
C. SOMMES-NOUS EN TRAIN DE PERDRE LE CONTRÔLE DE NOTRE ODORAT ? Nous avons observé une réelle dépréciation de notre odorat, au profit
d’autres sens, notamment la vue. Pourquoi avons-nous si peu confiance en notre nez ?
LA SUPRÉMATIE DU VISUEL. Dès notre plus jeune âge, nous sommes soumis aux odeurs. Nous per-
cevons d’ailleurs les odeurs avant même de pouvoir distinguer les sons ou les
couleurs. Et pourtant, nous dévalorisons sans cesse notre odorat pour se référer à la vision. Pourquoi le visuel perdure comme étant le sens prédominant ?
Comme nous l’avons déjà évoqué, selon Freud, l’homme a abandonné
son lien à l’olfactif lorsqu’il s’est levé, pour privilégier d’autres sens comme la
vue ou l’ouïe. Nous avons ainsi appris à vivre en laissant ce sens de côté, si bien que nous n’avons pratiquement pas de vocabulaire pour parler des odeurs. Il
devient alors difficile, voire impossible, de « montrer » une odeur, de la décrire, d’en parler, comme on pourrait le faire avec une image ou un son. Lorsqu’il s’agit de décrire quelques chose de visuel, nous adoptons un langage corres-
pondant, nous parlons de tailles, de formes, de couleurs. Nous pouvons même dessiner. De même, lorsqu’il s’agit d’un bruit, nous pouvons le comparer à d’autres, nous pouvons le mimer avec notre bouche, essayer de le reproduire. Mais lorsqu’il s’agit d’une odeur, cela devient beaucoup plus compliqué. Nous
n’avons ni les outils nécessaires pour les évoquer, ni le langage approprié. Et la difficulté s’accentue lorsqu’il s’agit de plusieurs odeurs mélangées pour n’en
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former qu’une. Si l’on peut à la limite décrire une odeur d’orange comme su-
crée, fraîche, semblable au pamplemousse ou au citron, on aura sans doute plus de mal à décrire l’odeur d’un lieu ou d’un moment, mêlant différentes senteurs
bien particulières. Cependant, certains auteurs ont su relever le défi, à l’instar d’Aragon ou de Patrick Süskind, qui, dans son ouvrage Le Parfum, dépeint avec
un talent particulier, dès les premières lignes du roman, les odeurs de Paris au XVIIIème siècle :
« Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre42 ».
Si, comme Süskind, certains romanciers accomplissent la prouesse de
70
nous décrire des odeurs, et nous permettent alors d’appréhender l’environne-
ment du roman sous un angle plus pointu, le problème de langage est néanmoins présent. D’après Jay Gottfried, il résiderait dans le fait que les odeurs commu-
niquent directement avec notre cerveau limbique, contrairement aux autre sens,
et les informations arriveraient donc « brutes », non transformée et donc moins affinées que pour la vue ou l’ouïe43. Asifa Majid avance une raison différente,
et considère que ce problème serait lié au langage que nous employons44. Lors
d’une étude, publiée en Janvier 2014, elle a rencontré des populations d’Asie du Sud-Est qui possède un vocabulaire très riche pour les odeurs, et les nomment à partir de leur source — On peut d’ailleurs citer la population Ongee, que nous
42
SÜSKIND, Patrick, Das Parfum, Die Geschichte eines Mörders, op. cit., p.5.
43
GOTTFRIED, Jay, psychologue à l’Université Northwestern, cité dans l’article What’s Up With That : Why Are Smells So Difficult to Describe in Words? sur le site https ://www. wired.com, 2014 [consulté le 20 octobre 2016]. 44
MAJID, Asifa, professeur de langue, op. cit.
avons déjà mentionné en première partie. Dans cette expérience, on a demandé à dix américains, et dix personnes parlant le « jehai » de décrire quelques couleurs
et odeurs. Les américains ont eu moins de mal à nommer les couleurs, alors que
les malaisiens, parlant le jehai, s’en sont mieux sortis. On peut alors en déduire que ce manque de langage viendrait, en grande partie, du fait que nous n’avons pas calibré notre cerveau pour être capable de décrire olfactivement ce que nous
sentons, et nous avons de ce fait beaucoup plus de mal à nous en remettre à notre
odorat, et que nous favorisons le visuel qui possède un langage extrêmement riche.
De par cette prédominance du visuel, nous nous focalisons davantage
sur ce que nous voyions et non ce que nous sentons. Sommes-nous alors en train de totalement délaisser notre odorat ?
UNE CONFIANCE QUI SE PERD. Nous avons remarqué qu’aujourd’hui, nous sommes plus enclin à
nous fier à notre oeil qu’à notre nez : très souvent, nous apprécions davantage le beau, que le « sentir bon ». Mais notre manque de confiance en notre odorat s’explique pas d’autres raisons.
Le visuel est proéminent dans la plupart des situations. Lors de l’achat
d’un parfum, par exemple, et il s’agit là d’une expérience personnelle récente, si
la senteur nous plaît, nous favorisons tout de même son packaging. Et si nous allons plus loin, ce que nous allons sentir va être influencé par ce que nous voyons.
Si l’on met la même fragrance dans deux flacons différents, l’un à l’esthétique plutôt agréable et l’autre moins, il y a fort à parier que nous auront l’impression que le premier possède une odeur plus attirante.
Il existe toutefois d’autres raisons qui nous amènent à dévaloriser
notre odorat, d’autres influences. Une expérience citée dans un article du site de
Radio-Canada s’intéressant au monde des odeurs nous montre que nous sommes
facilement capables de ne pas croire en ce que nous sentons. Dans cette étude, deux groupes de volontaires ont été placés dans deux salles différentes, dans les-
71
quelles on leur a annoncé qu’une odeur y serait diffusée pendant vingt minutes, en variant la concentration de celle-ci, mais en réalité, la concentration serait la
même tout au long de ces l’expérience. Lors de tests, l’odeur avait été évaluée comme « neutre » par les spécialistes. Au premier groupe, on a indiqué que
l’odeur était agréable, alors que le second groupe pensait qu’il s’agissait d’une
odeur nauséabonde - alors que l’odeur était exactement la même dans les deux
pièces. A intervalle réguliers, les volontaires avaient pour consigne d’indiquer la façon dont ils percevaient l’odeur et sa concentration. Le premier groupe a
qualifié l’odeur d’agréable, de « très faible en général, avec une intensité qui
tendait même à diminuer ». Le second groupe, à qui l’on avait dit qu’il s’agirait
d’une odeur désagréable, l’ont bien perçue comme tel, ont indiqué que l’odeur était de plus en plus forte, et ont même éprouvé des malaises45. Cette étude fait
ressortir un réel manque de confiance envers notre sens olfactif, et montre que
nos expériences passées ainsi que l’attitude que nos adoptons face à une nouvelle odeur, nos aprioris, influencent fortement nos réactions.
Ce phénomène est d’autant plus étonnant de que chez les animaux,
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l’odorat est primordial et leur permet de chasser, de trouver un partenaire sexuel ou encore de se repérer dans l’espace, et on donc une confiance « aveugle » en
leur flair. D’ailleurs, ne dit-on pas « avoir du flair » lorsque l’on parle d’instinct ?
Si nous avons encore du mal à consciemment laisser notre odorat nous guider,
nous pouvons cependant admettre que notre nez nous permet bien souvent de reconnaître une situation de danger, comme un plat qui serait en train de brûler dans un four, ou une odeur de gaz dans la voiture. Lorsqu’une odeur est étrangère et qu’elle ne nous rappelle rien de normal, d’habituel, nous avons effecti-
vement tendance à penser « danger », et malgré notre doute vis-à-vis de notre odorat, il nous aide pourtant à éviter de nombreuses catastrophes au quotidien.
Ainsi, nous dévalorisons sans cesse notre odorat alors qu’il peut se
porter nécéssaire dans de nombreuses situations, notamment celles de danger :
45 Étude citée dans un article du site de Radio-Canada, https ://ici.radio-canada.ca [consul-
té le 5 Octobre 2016].
Les personnes atteint de déficiences olfactives s’en rendent bien compte, et nous
pourrions nous questionner sur la façon dont il aborde leur quotidien, sans ou presque sans odeurs.
ÉTUDE DES DIFFÉRENTES PATHOLOGIES OLFACTIVES. La perte de l’odorat peut devenir un vrai frein dans la vie de tous les
jours. Si notre odorat peut nous faire connaître un danger, comme un plat qui brûle ou une fuite de gaz, c’est aussi le sens qui nous met en appétit, et plus largement, guide beaucoup de nos sensations.
Patty Canac vient en aide à certaines personnes qui ont perdu l’odorat.
Cette pathologie, l’anosmie, désigne la perte totale de l’odorat. Elle survient parfois à la suite d’un choc psychologique, ou un endommagement su système
olfactif. Lorsque celle-ci est partielle, on parle d’hyposmie46, et peut également être due à un accident ou un traumatisme. La dysomie ou la parosmie, comme l’explique Catherine Bouvet47, indique une distorsion du sens olfactif. La per-
sonne sentira une odeur différente de la réalité. Il existe aussi un syndrome appe-
lé fantosmie, ou fantosmania, qui signifie que le sujet sent une odeur persistante, qui ne part pas — une odeur « imaginaire ». Le Dr Mattes48 s’intéresse au pro-
cessus de dégradation de la mémoire du goût avec l’âge, et a observé que plus nous vieillissons, plus nos sensations olfactives s’atténuent et que les nuances disparaissent au fur et à mesure.
Par ailleurs, on observe que pour certaines personnes qui ont été trau-
matisées, à la suite d’un viol par exemple, la mémoire peut devenir « sourde ».
Le sujet, lorsqu’il sera face à une odeur lui rappelant son agresseur, ne sentira plus, et se retrouvera complètement angoissé — Il s’agit d’un sentiment totale-
46
D’après la définition du dictionnaire Larousse.
47
BOUVET, Catherine, Manipulations olfactives, op. cit., p.27.
48
Le Dr Mattes travaille au Monell Chemical Senses Center de Philadelphie, aux EtatsUnis. Il s’est notamment penché sur les troubles de l’olfaction.
73
ment inconscient. Le trouble de l’olfaction est une pathologie bien réelle, bien
que certains patients hésitent à s’en plaindre. Ces personnes là sont beaucoup plus sujettes aux accidents domestiques. Selon une étude du Dr Daniel Santos,
relayée par le site Le Journal Santé, « sur 445 patients et sur dix-huit ans, 37%
de ceux qui souffraient d’anosmie ont été confrontés à un accident domestique, contre 19% pour les personnes sans trouble olfactif49 ». Sans odorat, il est ef-
fectivement plus compliqué de savoir qu’un plat est en train de brûler, ou de reconnaître un problème de gaz dans son appartement. Cuisiner devient égale-
ment une tâche bien compliqué puisque le goût et l’odorat sont très liés, et qu’il
devient presque impossible de reconnaître une saveur sans odorat. La vie sociale et sexuelle peut être elle aussi perturbée. Comme l’explique Bernard Perroud,
président d’honneur de l’association SOS Anosmie, et lui même anosmique,
la dépression peut très vite s’installer, ainsi que l’isolement. Heureusement, il existe des traitements : Une étude publiée par des chercheurs américains dans
Nature Neuroscience a montré que s’entraîner permet de rétablir ou d’améliorer les capacités olfactives50.
74
49
Le Dr Daniel Santos est oto-rhino-laryngologiste à Owings Mills, dans le Maryland. Étude relayée sur le site http ://lejournalsanté.com, 2004 [consulté le 8 Octobre 2016]. 50 Expérience publiée dans le magazine Nature Neuroscience, faite sur des rats ayant perdu tout ou une partie de leur odorat.
75
76
L'ODEUR COMME PRODUIT MARKETING
77
78
III. PEUT-ON ENCORE REPRENDRE LE POUVOIR SUR NOTRE ODORAT ? A
Apprendre à éduquer son nez
B
La technologie au service de l’odorat
C
Vers une société olfactive
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L'humain est-il condamné à évoluer avec un sens " déficient " ? Nous avons, certes, un certain mal à avoir confiance en notre odorat, mais il ne s'agit pas pour autant d'une fatalité. De plus en plus, nous voyons réapparaître
80 80
les odeurs au centre de notre quotidien. De multiples domaines, de l'éducation à la santé, en passant par le marketing et la culture, s'appliquent à réintégrer l'odorat dans nos modes de vies. La première étape est d'abord l'apprentissage : peut-on apprendre à sentir ?
A. APPRENDRE À ÉDUQUER SON NEZ. De même que l’on apprend à lire ou à écrire, connaître le
fonctionnement de notre odorat passe par l’initiation. Pourquoi l’apprentissage
des odeurs, et plus largement des sens, ne figure-t-il pas dans nos cahiers d’école ? Serait-ce possible d’imaginer un cours sur l’odorat ?
UNE FAIBLESSE CULTIVÉE. Pour connaître, il faut apprendre. Il y a bien sûr des domaines où
l’apprentissage n’est pas toujours nécéssaire, et notre quotidien nous suffit pour
comprendre mais très souvent, nous avons besoin d’être initiés. Et l’initiation aux odeurs manque à l’appel.
La soi-disant faiblesse que l’on accorde à l’odorat tient effectivement
surtout à un manque de culture, et non pas à une défaillance anatomique. Selon Chantal Jaquet, nos sens sont plus ou moins « dans la même situation native1 » :
c’est-à-dire que nos organes, sans les avoir exercés, ne sont pas développés, et c’est en grandissant, et en en faisant usage qu’ils vont se former peu à peu. Mais
elle explique cependant qu’ « exercer les sens n’est pas seulement en faire usage, c’est apprendre à bien juger par eux2 ». Dans Émile, Rousseau affirme que ce que nous savons faire, nous l’avons forcément appris3. En outre, l’éducation de
nos sens et plus particulièrement de l’odorat n’étant pas ou peu présente dans
1
JAQUET, Chantal, La Philosophie de l’Odorat, op. cit., p.28.
2
Ibid.
3
ROUSSEAU, Jaques, Émile, vol II, Flammarion, Paris, 1762, p.167.
81
notre société, notre esprit ne peut pas se développer intégralement. Il ajoute que
« nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux4 ».
Il privilégie ici deux sens que sont la vue et le toucher, et ne mentionne pas
l’odorat. S’il admet que le nez de l’homme est capable d’atteindre une subtilité particulière, il estime cependant qu’il ne voit pas un grand intérêt à le cultiver.
Sa négligence envers l’odorat nous amène à nous poser une question : l’odorat
est-il déterminé par sa culture ou déterminant pour sa culture ? Chantal Jaquet
accentue cette idée dans sa Philosophie de l’Odorat en considérant que « les deux processus semblent imbriqués par un permanent mouvement de va-et-vient5 ».
En effet, si Rousseau affirme que l’odorat n’est pas utile à notre culture
et à notre développement, il reconnaît qu’il est cependant déterminé par sa culture. Selon Hirac Gurden, directeur de recherche en neurosciences au Centre National de la Recherche Scientifique, nous manquons d’entraînement quant à l’identification et la description verbale d’une odeur, et ce parce que notre système olfactif est « à l’origine conçu pour répondre à des besoin vitaux6 » :
L’homme, il y a des milliers d’années, vivait à l’égal des animaux. Il utilisait
82
son odorat pour « déterminer des informations vitales », et n’avait pas vraiment
l’utilité de verbaliser ce qu’il sentait. Le temps ayant fait son oeuvre, nous
n’avons finalement pas tant évolué puisqu’il existe encore très peu de termes
pour décrire une odeur. Nous en revenons à la même question : ce langage n’existe-t-il pas car nous n’avons pas éduqué notre odorat, ou est-ce que nous
n’éduquons pas notre odorat car il n’existe par de langage olfactif ? Il s’agit, en quelque sorte, d’un cercle vicieux.
4
Ibid.
5
JAQUET, Chantal, La Philosophie de l’Odorat, op. cit.0, p.30.
6
GURDEN, Hirac, Itinéraire d’une odeur, dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.83.
Hirac Gurden considère tout de même qu’avec « un peu d’éducation
et d’exercice, nous pouvons (…) développer notre sens olfactif et profiter de
l’immense diversité des odeurs qui nous entourent7 ». Avons-nous alors besoin d’un apprentissage formel ou informel ? Où et comment apprendre à sentir ?
ÉVEIL OLFACTIF. « L’enfance a ses odeurs8 »
Jean Cocteau, Portrait-souvenirs, 1935
Mis à part l’apprentissage intensif que suivent certains professionnels
tels que les nez, parfumeurs ou même cuisiniers, il n’existe aujourd’hui par de cours de l’odeur, d’instruction olfactive à l’école. Mais cependant, un apprentissage plus informel est possible.
Avant même notre naissance, nous sommes soumis au sens olfactif,
indispensable à notre survie. Au delà du simple fait de respirer, notre nez nous
permet de détecter des centaines d’émanations volatiles qui nous donnent des
informations précieuses, tant sur un potentiel danger, ou sur « l’altérité ou
la familiarité d’un lieu ou d’un être vivant9 », selon Juliette Faliu. En outre,
l’enfant, in utero, est déjà capable de sentir, et de ce fait semblerait exprimer dès
sa naissance des préférences olfactives liées à ses souvenirs en tant que foetus. Une étude menée par Benoist Schaal et Maryse Delaunay-El Allam, relayée dans
le magazine Cerveau & Psycho, a d’ailleurs démontré qu’un nouveau né, trois
jours après sa naissance, est plus attiré l’odeur du liquide amniotique durant
7
Ibid.
8
COCTEAU, Jean, Portraits-souvenirs, Grasset, Paris, 1935.
9 FALIU,
Juliette, Une éducation sur la touche, dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.90.
83
lequel il s’est développé, que celle d’un autre foetus10. L’expérience prénatale
va ainsi influencer les préférences de l’enfant. De même, les aliments absorbés
par la mère durant sa grossesse sont généralement plus aptes à plaire à l’enfant, comme l’indique une étude de Jacob Steiner, de l’Université de Jérusalem, dans
laquelle des nouveaux-nés de moins de 12 heures, n’ayant encore rien ingéré
depuis leur naissance, ont été exposés à différents arômes, et ont été largement attirés par les arômes appréciés par la mère, et dégoutés par les arômes qu’elle n’appréciait pas11. Jacob Steiner admet cependant qu’il peut également s’agir
d’un acceptabilité naturelle de certains aliments par le cerveau néonatal, ou d’une préférence génétiquement déterminée.
Si les préférences olfactives sont d’ores et déjà présentes chez les
jeunes enfants, et qu’ils expriment des réactions liées au contexte néonatal face aux odeurs dès leur plus âge, les premières années de leur vie sont elles aussi décisives concernant l’apprentissage olfactif. D’après Benoist Schaal et Maryse Delaunay-El Allam, « il suffit qu’une odeur soit présente pour qu’elle devienne familière12 ». Une étude d’Egon Köster, de l’Université d’Utrecht (Pays-Bas)
84
en témoigne : l’expérience consistait à interroger un groupe d’adultes qui avaient été nourris, étant bébés, avec un lait artificiel aromatisé à la vanille, ainsi qu’un autre groupe nourri au sein. On leur a fait goûter deux types de ketchup,
parfaitement identiques, à l’exception que l’un d’entre eux était très légèrement parfumé à la vanille (taux de concentration de 0,5g/kg). Le groupe de personnes
ayant été nourri au lait parfumé a naturellement été attiré par le second type de
ketchup, et le groupe ayant été nourri au sein a exprimé une préférence envers le
ketchup normal13. Cette étude révèle ainsi que, des souvenirs olfactifs associés
10 SCHAAL, Benoist et DELAUNAY-EL ALLAM, Maryse, Le monde des odeurs, Cerveau & Psycho #21, 2007, p.48. 11
Étude menée par Jacob Steiner en 1974, Université de Jérusalem, citée dans la revue Cerveau & Psycho n°21, op. cit.
12 13
SCHAAL, Benoist et DELAUNAY-EL ALLAM, Maryse, op. cit., p.46.
Étude menée par Egon Köster, chercheur en Psychologie Expérimentale à l’Université d’Utrecht, en 1999, et relayée dans Le monde des odeurs, op. cit., p.49.
à la petite enfance, résultent des préférences en matière odeurs qui sont assez
marquées. Par ailleurs, d’après Simon Chu et John Downes, de l’Université de Liverpool, les odeurs nous renvoient très généralement à des souvenirs associés
à la période d’âge 6-10 ans14. Marcel Proust a d’ailleurs 6 ans lorsqu’il trempe
une madeleine dans son thé chez sa tante Léonie, souvenir dont il se souviendra encore parfaitement, bien des années après15.
La petit enfance semble ainsi être la plus propice à notre éducation des
odeurs. Nous allons, à cette période, être confrontés à toutes sortes d’habitudes olfactives, et, par notre environnement, différencier notre perception. Selon
Catherine Bouvet, cela commence par les gestes quotidiens : certains vont par exemple se laver les mains avec un savon de Marseille lorsque d’autres utiliseront un gel parfumé. Il en est de même pour les habitudes alimentaires, et,
plus globalement, de notre mode de vie : un enfant ayant grandit à la campagne sera plus sensible aux odeurs de nature contrairement au citadin16. Il convient
ainsi d’être dès le plus jeune âge attentif aux odeurs qui nous entourent puisque
ce sont elles qui vont nous guider tout au long de notre vie. Comme l’explique Catherine Bouvet, « Cette éducation nous procure certaines compétences ou
références qui nous permettent, ensuite, d’interpréter les odeur, grâce à notre prisme émotionnel personnel : notre nez et son expérience17 ».
Si une éducation des odeurs est possible, il n’existe aujourd’hui pas
de réelle instruction. Ce manque tranche avec les études intensives que suivent différentes professions. Quels sont ces métiers où l’on ne jure que par son nez ?
14
CHU, Simon, et John Downes, chercheurs à l’Université de Liverpool, dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.87.
15 PROUST, Marcel, À
Paris, 1913.
la recherche du temps perdu dans Du côté de chez Swann, Grasset,
16
BOUVET, Catherine, Manipulations olfactives, Payot & Rivages, Paris, 2013, p.30.
17
Ibid.
85
LES MÉTIERS DE L'ODORAT. Il existe peu de personnes dont la profession exige un nez
particulièrement aiguisé : manipuler de manière quotidienne et sans faute un
organe jugé si trompeur n’est pas donné à tous, et il s’agit là d’un talent bien
particulier. Cependant, certains individus ont l’art de travailler les odeurs avec perfection.
Les métiers de l’industrie du parfum, à savoir, tout d’abord, les nez,
parfumeurs, mais également toutes les équipes créatives qui y sont associées, n’ont pas forcément de langage proprement approprié aux odeurs, mais on s’en approche parfois. Dans la revue Le Nez #1, Delphine de Swardt recense quelques
expressions propres à eux : « Cette note est trop verte », « Cette molécule fait
pétiller le jus », « Le départ n’est pas assez fusant », « l’accord manque de
verticalité »… Parfois, ils vont même jusqu’à utiliser des anglicismes, tant la langue française ne leur permet pas d’exprimer leur sensation : « le top est un
86
peu harsh » ou encore « l’effet sur peau n’est pas assez clean18 ». Lorsque
l’on manipule les odeurs tous les jours, il faut créer un univers et un langage approprié. L’apprentissage intensif suivi par ces professionnels leur inculque l’identification des senteurs, à les nommer, à les classer, et il s’agit bien d’une
éducation à part entière. Nous avons rencontré Christine Nagel, directrice de la
création olfactive de la Maison Hermès, qui nous explique la manière dont elle décrit les odeurs :
18
DE SWARDT, Delphine, professeur de communication, chargée de communication chez IFF et conteuse parfum, dans la revue Le Nez #1, op. cit. p.87.
« Je parle beaucoup de textures, de couleurs, je fais beaucoup de
parallèles. Je fais des analogies avec des choses existantes, mais étonnamment, le métier qui pour moi est le plus proche, au niveau discours, c’est les gemmologues. Lorsqu’ils parlent de leur pierre
précieuse, ils parlent de profondeur de couleur, ils parlent de texture, il y a des mots qui sont assez proches19 ».
Néanmoins, si l’on a parfois tendance à penser directement aux corps
de métier rattachés aux parfums, d’autres professions demandent une grande maîtrise de l’odorat. C’est le cas des oenologues ou des cuisiniers, comme par exemple Richard Pfister, avec qui nous avons eu la chance de nous entretenir,
ingénieur en œnologie et viticulture de formation, mais également parfumeur. Il a récemment publié un livre intitulé Les Parfums du Vin, dans lequel il parle de
toutes ces odeurs que l’on retrouve dans les différents vins. « Nous apprenons, pas toutes les molécules, mais une bonne partie d’entre elles, pour pouvoir maîtriser et comprendre chaque odeur20 », nous confie-t-il, avant d’ajouter
« Cette façon d’approcher les molécules m’a apporté énormément (…), elle me permet d’être beaucoup plus précis ». De nombreuses odeurs effectivement sont
extrêmement similaires, parce qu’elles partagent un bon nombre de molécules; c’est le cas, par exemple, de la rose et du lychee.
Ces entretiens nous ont permis d’appréhender d’une manière plus
objective les différents métiers de l’odorat, notamment la façon dont sont
nommées les odeurs, le plus souvent en faisant des analogies avec d’autres
sens, comme la vue ou le toucher. Ces professions nécessitent d’avoir un nez particulièrement aiguisé, et un immense répertoire olfactif, une mémoire. Peut-
on alors se servir de la technologie pour imiter ce nez humain, et aller plus loin encore dans la reconnaissance des odeurs ?
19
Entretien avec Christine Nagel, directrice de parfumerie de la Maison Hermès, voir dans Annexes. 20
PFISTER, Richard, Les Parfums du Vin, ed. Delachaux et Niestlé, Lonay, Suisse, 2015.
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88
LE NEZ COMME OUTIL PROFESSIONNEL
89
90
B. LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE L'ODORAT. Si le nez humain est assez bien conçu, et, comme nous venons de
l’observer, capable de détecter et mémoriser des milliers d’odeurs avec un peu
d’éducation, de nombreux chercheurs souhaitent cependant passer à une vitesse
supérieure, en créant de nouveaux appareils qui sont en mesure de détecter de manière plus efficaces les odeurs qui nous entourent.
LE NEZ ÉLECTRONIQUE. Dans le monde entier, des scientifiques cherchent à mettre au point
de nouvelles machines capables de détecter toutes sortes d’odeurs : explosifs ou drogues, par exemple, afin de remplacer les chiens renifleurs, qui sont
aujourd’hui le moyen le plus fiable pour reconnaître ces odeurs, mais présentent tout de même certains inconvénients, en terme de coût, ou même d’éducation.
La lutte contre le terrorisme étant devenu un enjeu majeur dans notre
société, il devient indispensable de s’armer d’un maximum de dispositifs. Le Laboratoire Capteurs Diamant21 (LCD), situé au Commissariat à l’énergie
atomique et aux énergies alternatives (CEA) a élaboré un système s’inspirant
du nez humain afin de détecter d’un meilleure manière ces odeurs, et de lutter plus durablement contre le transport de composés dangereux et illicites. Ce
travail s’inscrit dans le cadre du projet collaboratif Sniffer22, qui a pour objectif
21
Le Laboratoire Capteurs Diamant (LCD) est situé au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
22
Projet collaboratif Sniffer, expliqué sur le site http ://www.sniffer-project.eu [consulté le 3 Novembre 2016].
91
le développement de biocapteurs permettant de ne plus avoir recours aux chiens policier pour ce genre de pratique.
Lez nez électroniques permettent également de mesure la qualité de
l’air. On parle alors d’olfactométrie23. En Europe, on s’appuie sur la norme NF EN
13725 afin de calculer la concentration d’une odeur. On a généralement recours à un jury de nez humains représentant la population afin de connaître, d’après
Éléonore de Bonneval, journaliste, « le facteur de dilution qu’il faut appliquer au mélange odorant pour rapporter son odeur au niveau du seuil de détection24 ».
Ce seuil est établi lorsque 50% du jury perçoit une molécule odorante. Selon la
journaliste, 70% des plaintes liées à la qualité de l’air aujourd’hui proviennent des odeurs, émises par les stations d’épuration, abattoirs, entrepôts, décharges… Jean-Michel Turmel, directeur commercial d’Odotech25, affirme être de plus en
plus sollicité, car cette nuisance olfactive touche de plus en plus de personnes, causée notamment par le développement de l’urbanisation qui se rapproche des
zones industrielles. Odotech utilise des « nez électroniques » afin de mesurer ces nuisances et leur impact environnemental.
92
Chez les industriels, l’utilisation de ces appareils est aussi parfois
utile, comme chez Coca-Cola ou Danone par exemple, qui font intervenir des
personnes bien réelles pour goûter les bouchons de leurs bouteilles, après avoir été bouillis dans de l’eau, et juger de l’acceptabilité de leur goût, et odeur. De la
même manière, on a parfois recours aux nez humains pour juger de la conformité de plats, boissons, ou produits cosmétiques. Le problème, c’est qu’il s’agit d’une
tâche compliquée pour l’homme, et c’est pourquoi, peu à peu, ils sont remplacés par des machines permettant de faire ce travail plus précisément. Selon Sylvain Morel, directeur Europe d’Alpha MOS, une entreprise toulousaine qui développe des nez électroniques, « la faculté est d’enregistrer une empreinte olfactive sous
23
L’olfactométrie désigne la mesure des odeurs, selon le dictionnaire Larousse.
24 DE 25
BONNEVAL, Éléonore, journaliste, dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.20.
TURMEL, Jean-Michel, directeur commercial d’Odotech, « société de technologie environnementale se spécialisant dans le suivi des odeurs, des contaminants gazeux et des poussières », dans la revue Le Nez #1, op. cit., p.21.
forme de signature électronique, comme une empreinte digitale26 ». Cet appareil permet de se souvenir après plusieurs années d’une odeur exacte, alors que l’humain ne dispose pas de cette faculté absolue.
Enfin, les nez électroniques pourraient également aider à prévenir de
maladies. Le professeur Hossan Haick27 travaille depuis 2006 sur Nanose, qui
permettrait, via l’haleine d’un patient, de détecter une maladie jusqu’à 15 ans
avant les premiers symptômes. Il a d’ores et déjà effectué des tests sur plus de
5000 sujets, et a relevé 23 affections qui pourraient être dépistées. Il va par ailleurs bientôt lancer Sniffphone, un nez électronique mobile, qui, connecté à notre téléphone, permettra à notre médecin traitant d’avoir de manière instantanée les
résultats de nos analyse ; deux projets très liés, et dans une continuité finalement assez logique.
Si l’on verra bientôt apparaître de plus en plus de sytèmes
technologiques permettant de remplacer le flair d’un chien, ou le nez humain,
pourrons nous également, dans un futur proche, aller encore plus loin et imaginer la possibilité de s’envoyer des odeurs ?
LES ODEURS À DISTANCE. Nous voyions de plus en plus apparaître la dimension olfactive dans
nos modes de vie. Réveils émettant une odeur, notifications et textos parfumés…
Les objets de notre quotidien accueillent peu à peu un nouvelle capacité, celle de diffuser des odeurs.
26
MOREL, Sylvain, directeur Europe d’Alpha MOS, une entreprise toulousaine qui développe des nez électroniques, dans la revue Le Nez #1, op. cit. 27
HAICK, Hossan, professeur à l’Institut israélien de technologie, dans la revue Le Nez #1, op. cit.
93
En 2015, Guillaume Rolland, 19 ans, lycéen, et Ivan Skybyk, 30 ans,
de l’Ecole des Mines d’Alès et MBA Boston ont créé Sensorwake28, le premier
« réveil olfactif ». Cherchant à imaginer une nouvelle façon d’être réveillés le
matin, plus douce, moins agressive, l’idée d’utiliser les odeurs est venue de manière naturelle. Le projet a été sélectionné à la Google Science Fair29 qui
leur a permis son développement. Les deux créateurs ont décidé de s’associer
avec Givaudan, l’un des leaders en terme de création olfactive. Ensemble, ils ont sélectionné une palette d’odeurs, qui sont représentées sous formes de capsules, plates, que l’on glisse dans son réveil. Une seule capsule peut durer 30 réveils. Les odeurs existantes aujourd’hui sont celle du bord de mer, du
croissant, pain grillé, expresso, chocolat et herbe coupée, des parfums stimulants et généralement jugés agréables.
Ce projet pourrait être la continuité de Scentee, un système imaginé en
2013 par la société japonaise CatPerf. Il s’agit un accessoire pour smartphone, qui permet d’odoriser nos sms, ou notifications. Ce plug-in diffuse cinq odeurs différentes : Rose, fraise, café, lavande et romarin, grâce à une application qui
94
transforme les notifications en odeurs. Selon son créateur, Koki Tsubouchi30, on
peut parler d’une nouvelle manière de communiquer. Ils s’agit pourtant d’un
système dont l’utilisation peut vite devenir limitée : d’une part, l’accessoire n’étant pas si fin, le smartphone devient difficilement transportable, impossible
à glisser dans une poche. De plus, il faut le recharger assez régulièrement, puisqu’une cartouche permet environ cent diffusions. Enfin, le choix de parfums reste encore assez restreint, même s’il s’agit tout de même d’une idée qui a de l’avenir.
28
Sensorwake est un réveil olfactif créé en mai 2015 par Guillaume Rolland, lycéen, et Ivan Skybyk, de l’Ecole des Mines d’Alès et MBA Boston. 29 Disponible sur le site https ://www.googlesciencefair.com/fr/ [consulté le 10 Octobre 2016]. 30
TSUBOUCHI, Koki, Co-founder of Scentee Inc., http ://www.asianentrepreneur.org, Mai 2014 [consulté le 1 Novembre 2016].
La dernière technologie en date, c’est l’O-Phone, imaginé par la
start-up Vapor Communications31. Dans une vidéo32 postée par l’entreprise,
David Edwards33 nous explique le fonctionnement de l’O-Phone. L’idée est de
permettre de s’envoyer des odeurs, liées à des images. Si c’est un objet à lui seul, il fonctionne cependant à l’aide d’un smartphone. Lors que nous prenons une photo d’un café par exemple, nous allons avoir la possibilité de l’associer aux
notes olfactives qu’il contient, et ainsi l’envoyer à une personne disposant du
même appareil, qui pourra sentir exactement la même odeur. L’O-Phone ne peut donc pas capturer les odeurs à proprement parler; c’est l’utilisateur, à l’aide d’un
« clavier olfactif », qui va recréer la senteur humée. D’après les mots de David
Edwards, « On dit qu’une image vaut mille mots ; Désormais, une senteur vaut mille images 34». Depuis, le projet a évolué et a été rebaptisé Cyrano, en 2016.
Mobile et donc portable, il permet de traduire plus d’odeurs et plus complexes.
Finalement, la principale barrière que peut rencontrer Cyrano n’est
pas technique, mais plutôt biologique et culturelle. David Edwards, à l’origine du projet, est réaliste malgré son enthousiasme vis-à-vis des progrès autour
de l’olfaction. La plupart des personnes admettent que de leur point de vue, le parfum passe après la vue et le son, et de ce fait, par exemple, une très grande
proportion ne peut pas détecter le parfum de noix de coco du tout. Parmi ceux qui peuvent, certains savent que c’est la noix de coco, mais l’associent plus facilement avec un poulet au curry, plutôt que des vacances à la plage. D’autres,
en sentant cette odeur, sont même incapables de la nommer. L’énorme diversité de perception des odeurs, combinée avec l’analphabétisme olfactif présent dans notre société, rend n’importe quelle forme de communication olfactive difficile.
31
Vapor Communications est une entreprise technologique dont les bureaux sont situés à Cambridge (Massachusetts) et Paris (France). 32
Vidéo diffusée sur la chaîne Youtube de Vapor Communications, accessible sur le lien http ://www.youtube.com/watch?v=vIxzqMU9UrE, 2014 [consulté le 1 Novembre 2016]. 33 EDWARDS, David Andrew, né
le 6 avril 19611, est un ingénieur chimiste, professeur de génie biomédical à l’université Harvard aux États-Unis, et écrivain. 34
Originellement en anglais : « We say a picture is worth a thousand words ; Now, a scent is worth a thousand pictures », David Edwards.
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David Edwards ne renonce pas pour autant. Selon lui, Cyrano est un cheval de Troie, une façon d’explorer un nouvel univers, en somme, celui de l’olfaction. Il
espère ainsi construire le vocabulaire sensoriel et la conscience. « Tout de suite,
personne ne se réveille à 3h du matin en se disant ‘‘ j’ai envie d’envoyer un message parfumé ’’. Mais un jour, ça arrivera35 », ajoute-t-il.
David Edwards n’est pas le seul à croire en l’olfactif. Le XXIème siècle
accepter de laisser une chance à ce sens, souvent délaissé malgré lui. De plus
en plus de domaines s’y intéressent, lui assurant un avenir prometteur. L’odorat serait-il le « sens du futur » ?
96
35
Propos de David A. Edwards recueillis par le journaliste Nicola Twilley pour le journal The New Yorker, Avril 2016.
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C. VERS UNE SOCIÉTÉ OLFACTIVE. Dès 2003, Annick Le Guerer, anthropologue et philosophe, spécialiste
des odeurs, consacrait un article dans le magazine Libération à l’odorat, comme
le sens du futur36. Plus de dix ans après, nous pouvons toujours affirmer que les
odeurs ont effectivement un bel avenir.
LES ODEURS POUR AMÉLIORER NOTRE QUOTIDIEN. On retrouve aujourd’hui les odeurs dans divers domaines. Dans la
santé, pas le biais de thérapies olfactives, qui permettent de soigner différentes sortes de maladie, à l’aide de nez électroniques pouvant même détecter certains cancers, dans le milieu du marketing, en ayant recours à toutes sortes de
stratagèmes olfactifs, ou encore dans l’éducation ou la culture. Dans certains cas, les odeurs sont là pour nous manipuler, mais elles sont également parfois présentes pour nous aider, et rendre notre quotidien plus agréable.
L’un des problèmes majeurs lié aux odeurs que nous rencontrons au
quotidien est celui des villes. Odeurs de pots d’échappement, égouts, pollution, déchets, sont autant de désagréments auxquels nous devons faire face tous les
jours. Et pourtant, ces villes possèdent également des odeurs surprenantes et
agréables, et c’est ce que le projet SmellyMaps, pensé en 2015 par Daniele
Quercia, un informaticien de l’université de Turin, a mis en avant. Avec l’aide de 7 volontaires, il a cartographié les différents paysages olfactifs de grandes
36
LE GUÉRER, Annick, L’odorat, sens du futur, Libération, Novembre 2003.
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villes européennes37, et a ainsi permis de donner une image plus positives des
odeurs des villes. Ce projet nous rappelle celui de Kate McLean, en 2011, dont
la démarche était similaire38. Son projet, dont la dimension est plus artistique
que sociologique selon elle, vise à faire prendre conscience de l’importance des
odeurs. Elle a cartographié la ville de Paris, entre autres : « Des gens m’ont dit
qu’ils ne sortiront jamais plus de la même façon », se réjouit l’artiste. Ils ne
vont pas être à la recherche de ces odeurs, mais ils vont juste prendre conscience
du fait qu’ils doivent faire fonctionner leur odorat tout le temps39 ». Elle ajoute : « Il est beau de voir des gens profiter de l’expérience de l’odorat et de penser consciemment à ce sujet ».
Si ces projets permettent de mettre en avant les bonnes odeurs des
villes, il n’aident cependant pas à pallier à celles qui sont plus dérangeantes, à
l’instar de la RATP par exemple, qui diffuse dans les rames de métro des parfums visant à cacher les mauvaises odeurs pour les voyageurs. Des parfums sont
également piégés dans de minuscules billes invisibles à l’oeil nu, qui explosent
sous les pieds des passants et délivrent une senteur plus agréable. Cependant,
100
Anne Garrot, travaillant au département Environnement et sécurité de la RATP estime qu’on ne peut pas totalement supprimer les odeurs du métro, car les usagers « attendent la présence de certaines puanteurs liées au matériel, qui font
partie de l’identité du métro ». En effet, nous avons parfois tendance à préférer
l’odeur naturelle d’un lieu, qui nous donne confiance en son bon fonctionnement. Nous voyons ainsi se développer de plus en plus de projets qui ont
pour objectifs d’améliorer notre quotidien via l’odorat, une première étape pour
permettre à ce sens de retrouver sa place, méritée. Toutefois, la principale limite que rencontrent les odeurs est notre manque de vocabulaire pour les nommer.
37 Le projet SmellyMaps est disponible sur le site http ://goodcitylife.org/smellymaps/index.html. 38
MC LEAN, Kate, designer et cartographe écossaise.
39 MC LEAN, Kate, Paris sent le miel, Journal Marie-Claire, archives 2013, disponible sur
http ://www.marieclaire.fr/ [consulté le 6 Novembre 2016].
UN LANGAGE POUR LES ODEURS ? Bien qu’il existe aujourd’hui quelques cultures où l’odorat possède
un véritable langage comme nous l’avons observé précédemment, dans notre société occidentale, la plupart d’entre nous n’utilise pas de vocabulaire précis pour décrire les odeurs que nous sentons.
En 2000, Dans son Anthropologie d’un savoir-faire sensoriel, Joël
Candau affirmait que « le langage des odeurs est en voie d’être sérieusement exploré40 ». Selon lui, les odeurs sont difficiles à nommer aujourd’hui car notre
« mise en mémoire des sensations olfactives » est trop abstraite et relève bien plus de l’affectif que du cognitif. Contrairement à la description des couleurs,
par exemple, les odeurs ne détiennent pas de lexique stable, et il peut nous être compliqué de décrypter et comprendre ce que l’on sent, d’où le tip of the nos
phenomenon d’ailleurs, qui est l’équivalent anglais et olfactif du « mot sur le bout
de la langue ». Les odeurs, invisibles, éphémères, et parfois même subliminales nous échappent, et nous empêchent de les décrire. Joël ajoute : « L’hypothèse
implicite est alors que le contenu cognitif des information olfactives serait de
nos jours négligé dans les sociétés modernes, où seule conterait leur dimension affective et motivationnelle ».
Et pourtant, certains métiers, comme celui de parfumeur, d’oenologue
ou même de cuisinier, ainsi que des civilisations tels que les Ongee41 ont su créer un dialecte propre à l’odeur. De la même manière que les inuits ont plus
de cinquante mots pour décrire la neige42, lorsque nous en possédons moins
de dix, le contexte dans lequel on vit nous pousse à imaginer de nouveaux termes afin de différencier les différents éléments qui nous entourent. Si les
parfumeurs identifient une fragrance en mentionnant le nom des ingrédient qui y
40 CANDAU, Joël, Mémoire et expériences olfactives, Anthropologie d’un savoir-faire sensoriel, PUF, Paris, 2000, p.161. 41
Il s’agit d’une tribu d’indigènes venant des îles Andaman.
42 STECKLEY, John, White Lies about the Inuit, University of Toronto Press (UTP), 2007.
101
sont présents, Antigone Schilling, journaliste, estime qu’ « il serait parfois plus judicieux de tenter de décrire des sensations, d’essayer d’évoquer des notions
plus abstraites (odeur de repassage, terre mouillée...). Le langage manque parfois cruellement de mots43 ».
Sissel Tolaas, artiste norvégienne, a elle aussi constaté que le langage
dédié eux odeurs était très léger par rapport au visuel et aux sons. Elle a alors
imaginé composé 6700 odeurs, The Smell Archive, dont son nées un dialecte, le nasalo. Selon l’artiste, associer un mot à une odeur permettrait une meilleure mémorisation de celle-ci, et pouvait même en modifier la perception. Ainsi,
« Dado » représente une odeur de feuilles mortes, « Fre » une rue mouillée après une journée de soleil, et « Woolgrou » l’odeur de l’herbe sauvage, pour
ne citer que quelques exemples. Bien que ces termes puissent représenter une certaine méfiance de la part de certains, et nous pourrions nous poser la question
de l’intérêt d’un tel système, cette initiative représente tout de même un premier pas dans la réintégration de l’odorat dans notre société.
102
A l’instar de cette Sissel Tolaas, nous pouvons observer un réel effort
de la part de certains à réinsérer l’odorat parmi les autres sens. Si cette initiative peut passer par la création d’un langage, de nombreux artistes cherchent également à traduire l’odeurs dans de multiples disciplines. Quels sont les moyens qu’ils utilisent ?
EXPRESSIONS ARTISTIQUES DE L'ODEUR. Dans cette société ou le visuel prime indéniablement, nous observons
malgré tout un redressement de l’olfactif, qui semble prendre de plus en plus d’importance. Expositions, projets et installations artistiques autour des odeurs se multiplient, les traduisant en diverses sensations.
43 SCHILLING, Antigone, journaliste, plusieurs fois distinguée par le Prix Jasmin, Nasalo,
sur Slate, Avril 2014, disponible sur http ://www.slate.fr [consulté le 11 Novembre 2016].
Les odeurs sont parfois exploitées comme l’objet de projets artistiques,
aussi bien qu’en tant que complément d’oeuvres. Certains artistes, comme par exemple Frederik Duerinck avec There’s something in the air44, invitent le visiteur
à voir l’odorat comme un sens qui se place au-dessus de l’interprétation visuelle. Cette installation date d’avril 2015, et permettrait de revivre par les derniers
moments de quatre personnalités ayant marqué les époques : John Fitzgerald Kennedy, Lady Di, Mouammar Kadhafi et Whitney Houston. La démarche de
Frederik Duerinck était d’utiliser l’olfaction pour raconter une histoire, et voir
comment elle pouvait être utilisée dans la communication. « Nous souhaitions examiner les manières dont les odeurs peuvent être utilisées pour raconter une histoire45 », explique-t-il.
De même, Julie C. Fortier, artiste québécoise, s’imprègne du monde
des odeurs pour réalisation des oeuvres autour des notions d’éphémère, de la mémoire, du vide. La Chasse46, sa plus récente oeuvre, est composée de 80 000
touches à parfums, exprimant trois odeurs différentes, qui sont celle de l’herbe fraîchement coupée, celle du pelage d’un animal, et la reconstitution de l’odeur de sang. Sa démarche permet de recréer un paysage abstrait, celui de la chasse,
uniquement grâce à notre nez — Une démarche intéressante que l’on pourrait tout de même qualifier d’étrange, et qui rejoint le travail d’autres artistes olfactifs
tels que Maki Ueada, Boris Raux ou encore Anicka Yi. Nous pouvons également citer l’exposition Art of Scent, installée en Novembre 2012 au Museum of Art
and Design, à New York : une retrospective de douze classiques de la parfumerie, imaginés entre 1889 et 2012, où les odeurs étaient ainsi mises à l’honneur, et tout le décor imaginé autour de l’odorat.
Par ailleurs, l’art olfactif est aujourd’hui également utilisé comme
44 DUERINCK, Frederik, There’s something in the air, dans Sense of Smell, un projet de co-création et de recherche de l’Université de Sciences Appliquées de AVANS aux PaysBas, Avril 2015. 45 46
DUERINCK, Frederik, revue olfactive Le Nez #1, op. cit., p.13.
FORTIER, Julie, La Chasse, installation olfactive in situ — 80 000 touches à parfum, 2014.
103
moyen d’action purement marketing. La marque Chanel a par exemple proposé
une expérience olfactive autour d’Eau Première, une version contemporaine de son mythique parfum Chanel n°5, cette année à New York, dans une boutique éphémère appelée In a New Light. Cette installation présentait un parcours de quelques minutes uniquement, dans lequel le visiteur est guidé par ses sens, et qui
se termine par l’olfaction. Directement liées à la mémoire, les odeurs permettaient ici à la marque de revenir sur son histoire, son passé. De la même manière, ce
type d’installation sert également à animer un lieu, rendre une expérience client plus interactive, comme dans la galerie de la marque Illuminium Frangrance, à Londres, qui a collaboré avec l’architecte italien Antonio Cardillo afin
d’imaginer un parcours olfactif autour des différents parfums qu’elle propose. Le lieu, pratiquement vide, est habité par ces fragrances, qui lui donnent vie.
Si nous avons l’habitude de percevoir les odeurs dans des espaces
cloisonnés, nous observons avec le temps un élargissement des domaines d’application, et la dimension olfactive semble gagner de plus en plus d’ampleur,
104
d’intérêt, et parvient peu à peu à regagner sa place dans nos modes de vie.
105
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LES ODEURS POUR SOIGNER
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CON CLU SION
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CONCLUSION
Lorsque nous avons choisi de nous intéresser aux monde des odeurs, le
sujet nous paraissait très abstrait, et peut être trop subjectif pour laisser apparaître un réel enjeu au sein de notre société. Très vite, après diverses recherches, nous
avons compris que les odeurs représentaient en réalité un élément indispensable
de notre quotidien, figurant à juste titre parmi les quatre autres sens de l’être humain. Sentir est d’abord une action vitale, puisque nous ne pouvons pas vivre sans respirer, et que la respiration passe entre autres par la voie nasale. Mais
il s’agit également d’un acte intime, qui nous rapproche de nos émotions, et
évoque des souvenirs particulièrement forts. De par le lien entre notre odorat et notre cerveau limbique, directement lié à notre affect, les odeurs que nous
sentons au quotidien ont une influence bien particulière sur nos comportements et nos réactions. C’est un sens qui nous permet de sentir mais aussi de ressentir
; d’appréhender certaines situations, qu’elles soient positives ou négatives, en nous faisant saliver avant un repas ou nous permettant d’éviter un danger par exemple, en nous attirant ou en nous repoussant. Si nous percevons tous les
odeurs de manière différentes, elles nous guident bien plus souvent que nous le pensons, consciemment ou inconsciemment.
Cette influence qu’ont les odeurs sur nos comportements pourrait
toutefois nous laisser penser que nous sommes menés par le bout du nez. La deuxième partie de ce mémoire nous a permis d’aborder un autre aspect de
l’odorat : si elle est parfois utilisée à bon escient, comme en olfactothérapie par exemple, qui regroupe un ensemble de disciplines médicales permettant de
soigner par les odeurs, cette influence constitue aussi très souvent une stratégie marketing. En diffusant des senteurs dans leurs enseignes, de nombreux
marqueteurs nous poussent à l’acte d’achat en maniant subtilement notre odorat,
111
la plupart du temps à notre insu. On peut alors parler de manipulation, dans
laquelle le consommateur devient presque un pantin, se laissant involontairement guider par son nez. De même, il existe aujourd’hui une réelle suprématie du
visuel, et nous avons souvent bien plus confiance en notre vue qu’en notre odorat. De ce fait, nous modifions parfois notre perception d’une odeur en fonction de ce que nous voyions, dans la parfumerie par exemple, où l’image de marque prend souvent le pas sur la fragrance en elle-même. L’odorat est un sens
qui peut être trompeur, et le contrôle que nous exerçons sur lui est très souvent mis à l’épreuve.
Nous avons exploré, en troisième partie de ce mémoire, les différents
domaines dans lesquels on s’intéresse à l’odorat, où l’on cherche à le réintégrer à nos modes de vies. En premier lieux viennent les professions tournées
vers l’odorat, et nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec Christine Nagel, créatrice parfumeur de la Maison Hermès, ainsi que Richard Pfister,
oenologue et parfumeur, qui ont su nous en apprendre davantage sur le rôle des odeurs dans leur métier mais aussi et surtout dans notre société. Nous avons
112
également observé une grande avancée en matière de technologie : de nombreux chercheurs travaillent à imaginer des nez électroniques, c’est-à-dire de nouveaux processus et machines ayant la capacité de détecter toutes sortes d’odeurs, et de les mémoriser aussi bien, sinon mieux, que le nez humain. Enfin, nous nous
sommes intéressés à une toute autre dimension qu’est celle de l’art, discipline dans laquelle l’odorat est peu à peu réintroduit, exploité, et qui lui permet de retrouver une certaine dignité. Le Musée du Parfum ouvrira par ailleurs ses
portes en Décembre 2016, à Paris, signe supplémentaire d’un réel effort et désir de redonner aux fragrances, et plus largement à l’odorat, une place significative dans une société dans laquelle il a été trop longtemps délaissé.
Ces découvertes ont fait émerger trois problématiques liées à
l’influence des odeurs, qui nous ont permis de formuler différentes quêtes. Le
premier point est celui du manque d’éducation, et de langage. Il n’existe pas de
sémantique de l’odorat ; d’une part parce qu’il s’agit d’un sens qui s’applique à des molécules invisibles, intangibles, abstraites, sur lesquelles il est souvent
difficile de mettre des mots, d’autre part car, comme nous l’a expliqué Richard
Pfister lors de notre entretien, de nombreuses odeurs contiennent des molécules
olfactives très semblables, et de ce fait, notre nez a parfois du mal à faire la
distinction. En outre, cette absence de lexique olfactif provient d’une carence éducative ; Les odeurs n’étant pas à proprement parler inculquées dès le plus jeune âge, paradoxalement aux sons, ou aux images par exemple, nous n’avons
pas les moyens de les appréhender et de les reconnaître pour leur approprier de réels termes. Christine Nagel affirmait d’ailleurs, lorsque nous l’avons
questionnée sur la question, que « c’est un sens qui n’est pas assez travaillé
». Cette première réflexion a fait ressortir la problématique qui est la suivante : Comment, en tant que designer, puis-je rendre conscients les plus jeunes de leur odorat ?
La deuxième problématique qui est apparue est celle de la suprématie
du visuel. Nous vivons aujourd’hui dans un monde chargé d’images, de couleurs,
de formes, qui monopolisent notre attention, au détriment des odeurs. Cette supériorité se remarque d’autant plus dans le monde de la parfumerie : la marque, l’égérie, la publicité, ou le flacon sont autant d’éléments visuels qui dissuadent
un consommateur du principal : la fragrance en elle-même. La confiance que
nous accordons à notre odorat est de ce fait bridée, notre attention se porte essentiellement sur ce que nous voyons et la place des odeurs disparaît peu à
peu. Ce flux d’images permanent nous conduit à penser que notre société est
finalement exclusivement portée sur l’apparence des choses qui nous entourent ; ce qui a mené à la question : Comment, en tant que designer, puis-je donner à l'odorat une place prépondérante dans un univers chargé de stimuli visuels ?
Dans une approche similaire, nous sommes enfin intéressés à la
capacité des odeurs à nous transporter, dans le temps ou dans l’espace. Au
delà de sentir, notre nez nous permet de ressentir, un lieu, un moment, une atmosphère précise. Lorsque l’on parle de voyage aujourd’hui, nous pensons aux images, aux couleurs, aux visages, et, seulement très rarement, aux odeurs. C’est
pourtant un élément qui fait partie intégrante du voyage : nombreux sont ceux qui, en arrivant dans un lieu qui ne leur est pas familier, ferment les yeux pour
sentir les effluves qui l’entourent. Les odeurs constituent en effet une manière de pouvoir être transporté, de nous évader, sans bouger. Il s’en dégage ainsi une
poésie, une certaine magie, autour d’une molécule pourtant discrète, invisible, et volatile. Ce constat nous a conduit à la problématique suivante : Comment, en tant que designer, puis-je faire voyager par l'odeur ?
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AN NE XES BIBLIOGRAPHIE ENTETIENS GLOSSAIRE REMERCIEMENTS CRÉDITS IMAGES
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BIBLIOGRAPHIE
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121
122
ENTRETIENS Richard Pfister, oenologue parfumeur,
& Christine Nagel, Parfumeur et
Directrice de la Création et du
Patrimoine olfactif de la Maison Hermès
123
RICHARD PFISTER, OENOLOGUE PARFUMEUR 20 OCT 2016 Lorraine Follain : Pouvez-vous
nous expliquer en quelques mots votre parcours ?
Richard Pfister Je suis né dans
une famille de vignerons, donc j’ai toujours baigné dans le domaine du vin. Mon père aimait bien
124 124
la dégustation donc il nous a
rapidement entraînés par rapport à ça. En grandissant j’ai fais une
école d’ingénieur en oenologie,
puis à la fin de mes études, ma thèse
d’ingénieur portait sur les relations entre les entraînements des créateurs parfumeurs et ceux des oenologues,
pour vois si l’on pouvait adapter ceux des oenologues en fonction de la parfumerie. C’est un peu là
que tout a démarré : j’ai d’abord créé une classification des odeurs
issues de la parfumerie, puis des
méthodes d’entraînement. Je suis ensuite parti vinifier à l’étranger,
notamment en Espagne, puis à la
suite d’un accident, je ne pouvais
plus travailler donc je suis revenu. Un parfumeur avec qui j’étais en
contact m’a alors proposé de venir travailler chez lui, je suis resté
là pendant 7 ans, j’y ai appris le métier, j’ai participé à la création de
parfums. J’ai par la suite eu envie de revenir dans le domaine du vin, et cela fait maintenant environ 6
que je suis là-dedans, pour essayer d’appliquer
des
méthodologies
d’améliorer
l’odeur
différentes, et réfléchir aux manières des
vins,
naturellement. Je fais également pas mal de conférences dans les différents pays viticoles.
LF : En quoi votre formation en
parfumerie a-t-elle modifié votre approche de l’œnologie ?
RP : En parfumerie, bien qu’on
parle peu de ça auprès du public, on
s’entraîne
énormément
sur
les molécules. N’importe quelle odeur est composée de différentes molécules; l’odeur de rose, par exemple, est composée de plus d’une centaine de molécules. Nous
apprenons, pas toutes les molécules, mais une bonne partie d’entre elles, pour pouvoir maîtriser et
comprendre chaque odeur. Cette
façon d’approcher les molécules
certaines odeurs qui sont de toute
du vin, parce qu’elle me permet
notamment les odeurs boisées,
d’autres
pas
rapidement. Donc si vous avez un
lychee, ou de poivre, mais de savoir
par vinification vous lui apportez
derrières celles-ci. Quand on sent
copeaux, ce qui se fait de plus en
de Gewurztraminer, certains vont
pouvoir apporter une nouvelle
celle de la rose, et il s’agit pourtant
l’odeur défectueuse. Votre vin
Donc finalement, le fait de connaître
complexité, il ne sera jamais un
beaucoup mieux comprendre les
cacher la mauvaise odeur.
m’a apporté énormément au niveau
manière dominantes dans les vins,
d’être beaucoup plus précis que
c’est pour cela qu’on les sent assez
seulement de parler de rose, de
vin qui a de légers défauts, et que
quelles sont les molécules qui sont
plus de notes boisées, avec des
un vin, prenons par exemple un vin
plus dans certains pays, vous allez
sentir l’odeur de lychee, d’autres
odeur qui va cacher l’autre —
exactement de la même molécule.
ne va pas forcément gagner en
ces
grand vin, par contre vous allez
professionnels,
molécules
me
et
permet
de
autres dégustateurs.
LF : Cela signifie-t-il qu’une grande partie des molécules olfactives sont en fait très similaires ?
RP : Oui, tout à fait. C’est un petit
LF : Possédez-vous un langage
olfactif, une manière de nommer les odeurs du vin ?
RP : Disons qu’entre professionnels
on va de toute façon mieux se
peu la base de mon livre : Entre un
comprendre, mais c’est vrai qu’il
y a des molécules en commun, alors
d’ailleurs pour ça que j’ai débuté
narcisse et de la sueur de cheval, il
y a un gros travail à faire. C’est
que ça paraît très surprenant.
dans ce milieu, pour créer une
LF : Y-a-t’il des odeurs trompeuses
un peu commun, que ce soit pour
classification d’odeurs, un langage
en oenologie ?
les professionnels ou les amateurs.
RP : Oui, prenons le bois par
très précis, ce serait de parler
exemple.
Certaines
molécules,
Maintenant, le seul moyen d’être uniquement de molécules.
125 125
LF : Ces molécules sont toutes nommées ?
RP : Oui, elles sont toutes nommées
mais ce sont des noms chimiques,
vous qu’il faudrait l’éduquer dès le
plus jeune âge, à l’instar d’autres sens comme la vue et l’ouïe ?
donc pas du tout poétiques ni
RP : 100% d’accord, vraiment.
la plupart des gens, et même les
notre mère, c’est le premier sens
intéressants à connaître. D’ailleurs,
professionnels ne les connaissent pas, mis à part pour les défauts : en oenologie, on les connaît. Mais les
odeurs positives, assez rarement, alors qu’il peut y en avoir plusieurs centaines dans un même vin. Le seul
moyen d’être ultra précis serait donc
de parler seulement de molécules,
126
nous avons peu confiance, pensez-
mais ce n’est pas réaliste. Donc
il y a un langage qui j’essaie de
rendre un peu commun, et d’autres aussi le font d’ailleurs, mais il y a
encore du travail, d’autant plus qu’il y a beaucoup de termes qui sont inappropriés. Dans le domaine du
parfum, il y a un meilleur travail qui a été fait, mais en me plongeant là
dedans — c’est intéressant d’être oenologue puis d’avoir un autre
regard — je me suis rendu compte qu’il y a aussi quand même une
certaine approximation chez les parfumeurs, même s’ils sont plus précis, ça c’est clair.
LF : L’odorat est un sens auquel
Lorsque l’on sort du ventre de
qui interagit. On va la reconnaître par les odeurs. Au niveau de la vie,
on est pas encore assez performant, puis on sait crier mais on ne sait pas
entendre, enfin disons qu’on ne sait
pas analyser ce que l’on entend.
Donc l’olfaction est très importante, d’autant plus qu’après lorsqu’on
peut commencer à bouger on est à quatre pattes, on a le nez au ras du
sol, on sent énormément de choses, on met nos mains dans pleins de trucs
qui peuvent paraître pas forcément ragoûtants pour les autres, mais voilà, on a pas d’interdit, on prend tout. Puis en grandissant, on se lève, on utilise tous les autres sens,
et petit à petit l’olfaction régresse
et c’est dommage. Donc oui, avoir une éducation à ce moment-là, ça
marche très bien. Personnellement, j’ai un petit de 15 mois, et je m’amuse beaucoup, rien qu’à son
âge c’est très impressionnant de voir l’intérêt qu’ils ont par rapport
à l’olfaction. Je pense qu’il faudrait
aller plus loin. LF : Et enfin, quel est votre plus fort souvenir olfactif ?
RP : C’est en relation avec cet
accident donc je vous ai parlé : j’ai
été éloigné de la production de vin pendant plusieurs années, et à chaque fois qu’avaient lieux les vendanges,
quand je passais près d’une cave, je sentais l’odeur du raisin qui est pressé, et ça me procurait des
émotions assez incroyables, c’est là
que je me suis dis que je continuerais dans la parfumerie, mais que dans
le fond je voulais vraiment revenir dans le domaine du vin. Je pense que
cette odeur, un peu végétale du raisin
qu’on presse, pour moi ça représente vraiment énormément.
LF : Aujourd’hui, vous continuez à lier ces deux métiers que sont la parfumerie et l’oenologie ?
RP : Oui. Plutôt orienté vin, mais je m’adapte aussi sur d’autres produits, comme
le
thé
notamment…
Tout ce qui a des odeurs, mais
principalement le vin, ça c’est sur. Avec une approche de parfumeur.
127 127
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CHRISTINE NAGEL, PARFUMEUR ET DIRECTRICE DE LA CRÉATION ET DU PATRIMOINE OLFACTIF DE LA MAISON HERMÈS 07 NOV 2016
très vite eu envie de travailler dans
Lorraine Follain : Quel a été votre
Alberto Morillas, qui faisait sentir
parcours avant d’arriver dans la Maison Hermès ?
Christine Nagel : Ce qu’on peut dire, pour schématiser, c’est que ma carrière se sépare en trois moments forts : le premier moment est
celui de la recherche, en Suisse, le deuxième moment est celui de mon
arrivée à Paris et de ma rencontre avec les différents créateurs, et le troisième moment, c’est mon
arrivée chez Hermès, en tant que parfumeur maison. En fait, j’ai fais
de la chimie organique, j’ai arrêté avant la fin de mes études, et j’ai
un laboratoire de recherche. J’en
ai cherché un, et une société, qui
s’appelle Firmenich m’a offert un poste en recherche, et j’étais très contente, parce qu’il y avait un
Prix Nobel qui y avait travaillé, et c’était quelque chose qui me
plaisait beaucoup. Donc j’ai intégré Firmenich dans les laboratoires de
recherche, et là j’ai découvert le
métier de parfumeur. J’ai dis « je
veux faire parfumeur » dès que j’ai découvert ce métier, car en fait, mon
premier souvenir, c’est lorsque j’ai
vu un parfumeur, en l’occurence sur ses bras, à des femmes à la réception de chez Firmenich, des
parfums. Et je voyais le bonheur,
les gens discutaient, ça me semblait tellement émotionnel, je me disais « je veux faire ce métier ». Quand
j’ai postulé, on m’a dit non. « Parce
que vous êtes un femme », « parce que vous allez avoir des enfants »,
« parce que vous n’êtes pas la fille d’un parfumeur », « parce que vous
ne venez pas du sérail », « parce que vous ne venez pas de Grasse », ou «
parce que vous avez fait Chimie »…
À l’époque, le cursus c’était plutôt d’avoir fait Sciences Eco, ou des
études de marketing… Il n’y avait
pas encore d’école de parfumeur.
Sicile ? Parce que chacune de ces
ça très injuste, et l’ironie du sort
différentes, et cela demande une
Lorsque l’on m’a dit ça, j’ai trouvé c’est qu’aujourd’hui, on demande faire Chimie pour entrer à l’ISIPCA,
et il n’y a que des filles, il n’y a plus de garçons : C’est un métier qui
a changé de sexe. Comme on m’a dit « non » mais comme je voulais quand même devenir parfumeur, j’avais
la
possibilité
de
faire
quelque chose d’un peu particulier,
qui était de… Comment expliquer ça. Un parfumeur, il a une page
blanche, une idée dans la tête, et il écrit une formule, et crée un parfum.
Ce qu’on m’a proposé moi, c’était de sentir un parfum, et de retrouver
la formule. Aujourd’hui, cela se fait avec de magnifiques machines que
l’on appelle des spectres de masse,
mais quand j’ai commencé, c’était au nez. C’était un métier qui était extrêmement technique, pas du tout créatif, mais très formateur. Quand
vous sentez un parfum frais, une cologne par exemple, vous vous
dîtes « il y a des notes espéridées,
est-ce que c’est un citron, est-ce que c’est une bergamote, est-ce que
c’est une orange, ou une mandarine », mais une fois que vous optez
pour la mandarine, est-ce qu’elle vient d’Israël, de Californie, ou de
mandarines a des propriétés un peu dextérité assez forte, donc je l’ai fais — je pense que l’on est que trois ou
quatre parfumeurs à avoir eu cette formation. J’ai appris à l’envers en fait, en décomposant le parfum, ce qui donne une façon de travailler un peu différente.
Mais étant toujours très têtue, j’avais toujours envie de devenir
parfumeur, alors j’ai quitté cette jolie société qu’est Firmenich, parce
que d’autres ont accepté de me prendre et de me former. Mon rêve était de venir travailler à Paris, et
un jour, une société qui s’appelait Quest est venue me voir et m’a proposé de venir travailler à Paris,
donc je suis partie, avec mon mari et mes enfants. Comme nous sommes
suisses nous ne faisions pas partie
de la communauté européenne, mon mari ne travaillait pas, il a
repris des études, et lorsque j’ai commencé à travailler, je me suis
dit : « tu es complètement folle, tu as quitté ton pays, tes amis, tes
habitudes, tes médecins, enfin tout
ce que tu avais, tu es folle d’être
partie ». Les parfumeurs qui avaient mon âge avaient déjà une belle carrière derrière eux, et les jeunes
129 129
n’avaient pas de famille à gérer.
maisons, dont pour Jo Malone, une
n’étant absolument pas de nature
avec eux car j’avais une liberté
J’ai déprimé une semaine, mais dépressive, puis j’ai dit « arrête de
voir les choses comme ça, tu as vingt ans d’expérience, et tu as la même fraîcheur qu’un jeune parfumeur,
donc quelque part, tu es toute seule
dans ton créneau, tous les autres
sont différents, alors vas-y, fonce ». Et j’ai bien fait. Arrivée à Paris,
j’ai rencontré plein de créateurs
différents, et là c’est extrêmement intéressant, parce que ces créateurs sont des gens brillants, qui ont fait des choses incroyables dans leur
130
vie, qui ont surtout créé une marque, donc un univers, et chaque fois que j’avais un projet pour ces personnes
là, c’était comme — quand j’étais petite, ma mère me lisait des livres
d’images, et si c’était une histoire de monstre, j’était un monstre, si
c’était une histoire de princesse, j’étais une princesse — il y a ce
côté très « je plonge dans l’histoire et je m’en imbibe de cette histoire ». Quand John Galliano vous ouvre
son univers, c’est pas le même que celui de Narcisso Rodriguez, ni que Dolce & Gabbana, qu’Armani ou
Cartier, mais c’est assez merveilleux de pouvoir le faire. J’ai donc
commencé à travailler pour pleins de
maison anglaise. J’ai adoré travailler totale, c’était très irrévérencieux et
ils ont voulu choisir un parfumeur qui était le moins anglais de la
Terre, en l’occurrence moi, et j’ai
eu beaucoup de bonheur à travailler pour cette maison.
Puis, les années faisant, l’expérience faisant, je me suis demandé ce que
je voulais vraiment faire de ma vie,
maintenant que je travaillais avec toutes ces belles marques, quel
était vraiment mon rêve ? En me posant la question, je me suis mise à l’évidence que mon rêve était de travailler pour la Maison Hermès. Je
voulais être parfumeur maison, mais
il n’y avait qu’une seule maison
qui m’intéressait, bien qu’ayant été contactée par Dior ou d’autres maisons, la Maison Hermès. On
ne demande pas « j’aimerais bien
venir travailler chez vous », et vous pouvez imaginer que le jour
où l’on m’a proposé de prendre la
succession de Jean-Claude Ellena, ça a été un très grand jour pour moi,
car c’était un rêve qui se réalisait. J’ai donc intégré cette maison qui
est merveilleuse, parce que c’est une maison qui a une histoire, dont
je peux puiser les traditions — j’ai
un terrain de jeu incroyable pour
regarder, on apprendrait beaucoup
gens que j’aime, alors je suis
car ce qu’on met sur sa peau,
travailler. Et je travaille avec des contente.
LF : Pensez-vous qu’aujourd’hui
une majorité de personnes achète un parfum davantage pour l’image qu’il
renvoie,
sa
marque,
publicité, que pour son odeur ?
sa
CN : Alors, je pense qu’une cliente
ou un client est influencé par la communication, par le flacon, et
par l’odeur. Oui, il est influencé
pour acheter son parfum, mais le ré-achat ne se fait que pour l’odeur. C’est-à-dire que le succès d’un
parfum, c’est son ré-achat, c’est la continuité. Il n’y a que le parfum qui peut fidéliser, et pas un flacon.
Cela étant, je n’ai pas fait l’enquête, y-a-t’il un flacon très moche, avec
une communication très moche elle aussi, et qui marche très bien ? Cela peut être intéressant à observer. Je
pense qu’en règle générale, il y a quand même une adéquation, une
plus sur eux, sur leur personnalité, c’est de l’ordre de l’intime et de
l’émotion, et je pense qu’il y a des milliers de femmes, qui dans leur salle de bain, ont toutes les
nouveautés, les grands parfums,
etc, et qui mettent des vieux nanards, ou qui font des mélanges, et qui le disent pas tellement. Parce
que ce qu’on met sur sa peau, c’est quand même quelque chose avec lequel on est bien, et je pense que pour une majorité de personnes,
on est influencé par ce qui se dit, ce qui se fait, ce qui est écrit, et
bien sûr il y a les médias. Mais le ré-achat c’est le parfum, et puis
c’est aussi pour cette raison qu’il y a des femmes qui continuent de mettre des Aromatics Elixir, alors
qu’il n’y a plus de communication dessus, qui continuent à porter ces
parfums. C’est vraiment le parfum qui fait que l’on reste fidèle, c’est le pouvoir de l’odeur.
cohérence du tout qui peut toucher.
LF : Selon vous, l’odeur peut
c’est que ça, c’est la réaction
fonction de son packaging ?
Après, il y a un autre phénomène, d’aujourd’hui, la réaction première. Mais, si on se donnait la peine de sentir les gens au lieu de les
sembler différente au client, en
CN : Malheureusement, je pense
que oui. Parce que je pense qu’une
131
jeune femme qui voit la publicité
tous sont pareils, et quelque part,
porter Black Opium parce qu’il y
comme la Maison Hermès , on a des
de Black Opium, elle aura envie de
a quelque chose d’irrévérencieux, parce que la musique emmène… Oui, je pense que ça influence. Mais en même temps, ça influence
tellement que tout le monde peut sentir la même chose ! Pourquoi y-a-
t-il eu tellement de succès des notes
gourmandes ? Alors, d’accord, c’est
responsabilités ! Si on a du succès
avec Galop, avec des notes signées, je pense qu’on va peut être pouvoir casser un peu ces notes très sucrées.
LF : À quoi compareriez-vous un parfum ?
régressif, mais il y a un moment où
CN : Comme c’est de l’ordre de
— bon, la première c’était Angel
message aromatique, à quiconque
une maison a fait un grand succès qui a fait un grand succès des notes sucrées — mais, si on revient plus
132 132
je pense que dans des maisons
proche de nous, on a eu les fruités
avec J’Adore, et puis après tout à coup nous sommes arrivés sur des notes gustatives comme La Vie Est Belle, et ils ont tellement fait de
matraquage là dessus qu’il y a eu
un nombre de personnes incroyable qui l’ont porté,. Cette note est très
puissante donc les gens l’ont senti dans la rue… Après il y a un effet
boule de neige, et malheureusement, quand moi je travaillais de l’autre côté, dans des grandes maisons
comme L’Oréal, on me demandait de faire du testeur, et si on met du
l’intime, je pense que ça peut être un
ne vous aurait pas aperçu, c’est une
façon de signaler qui on est, de dire des choses sur soi, et je pense que c’est presque plus des mots. Si les
gens prenaient la peine de nous sentir, comme je le disais tout à l’heure, on apprendrait plus. Donc
pour moi, autant on peut suivre la
mode, acheter des accessoires à la mode, autant un parfum, lorsqu’on
le met sur sa peau, on ne met réellement que quelque chose dans
lequel on est bien. Donc je pense
qu’un parfum, c’est plus un message qui nous décrit, quelque chose sur nous.
caramel c’est testeur parce que les
LF : Est-ce qu’aujourd’hui, il est
a un espèce de cercle vicieux, où
quelle
gens aiment bien. Donc après, il y
possible de reproduire n’importe odeur
de
manière
synthétique ?
l’autre. Si aujourd’hui, un créateur
« synthétique », je préfère parler
lin naturel, du coton ou de la soie
CN : Alors, déjà, je bannis le mot de synthèse, parce que lorsqu’on
utilise le mot « synthétique », on
a du péjoratif, alors que derrière le
mot « synthèse », il y a la recherche. Et il y a beaucoup de recherche sur
les nouvelles molécules. Je pense
qu’on peut presque tout refaire,
de mode ne pouvait utiliser que du
sauvage, il n’aurait pas les rendus,
le toucher, les volumes qu’il a. C’est une question de savoir-faire, comment est-ce qu’on arrive à
utiliser ces matières… L’art, c’est le mélange, quoi.
mais on aura des textures, des
LF : Vous êtes amenée à manipuler
On a pas forcément les même
possédez-vous un langage propre à
volumes, des choses différentes. profondeurs. Je vous explique : la
plus belle vanille synthétique, la
des centaines d’odeurs au quotidien, votre profession pour les nommer ?
vanilline, donnera la sensation de
CN : Oui, tout à fait. C’est un
quand on travaille avec une vanille
un langage de la profession, après,
vanille, de gâteau de vanille, mais naturelle, c’est comme si vous
sentiez une gousse de vanille. On a
presque quelque chose d’alcoolisé, quelque chose de plus profond.
Donc, on peut reproduire beaucoup de choses par la synthèse, mais c’est comme si on devait reproduire une
voix : est-ce qu’on peut reproduire la voix humaine parfaitement ? Je
crois qu’il manquera toujours ces
fêlures, ces cassures, ces petites choses qui font qu’il y a des choses
qui ont de la vie, et d’autres qui en
ont moins. Maintenant, je pense
que la parfumerie d’aujourd’hui ne peut pas se passer ni de l’un, ni de
langage qui est assez imagé. Il y a
souvent, on décrit les odeurs par rapport à notre vécu, donc ça peut
être un langage assez personnel.
Moi, je parle beaucoup de texture, de couleurs, je fais beaucoup de
parallèles. Je fais des analogies avec des choses existantes, mais étonnamment, le métier qui pour
moi est le plus proche, au niveau
discours, c’est les gemmologues. Lorsqu’ils parlent de leur pierre précieuse, ils parlent de profondeur
de couleur, ils parlent de texture, il y a des mots qui sont assez proches, j’étais assez étonnée. Mais quand
je vous dis qu’un parfum sent vert,
133 133
c’est difficile pour vous de savoir ce
qui n’est pas assez travaillé. Pas
m’indique tout de suite dans quelle
pour devenir plus sensible, plus
que ça veut dire mais pour moi, ça famille olfactive on est, et ce n’est
pas forcément la couleur verte, ce n’est pas l’odeur de la salade, c’est un galbanum. Quand on dit qu’une
note est raide…On utilise beaucoup d’adjectifs aussi qui sont en rapport avec le toucher, la couleur.
LF : L’odorat est un sens souvent
dévalorisé et jugé trop primaire.
Pensez-vous qu’il ait une place au moins aussi importante que les autres sens ?
134
Bien sûr. Je pense que si on se
donnait la peine d’éduquer les
enfants, dès leur plus jeune âge et de travailler leur nez comme on
leur apprend à écouter la musique, à dessiner, à regarder les choses,
je pense simplement qu’on en
ferait pas tous des parfumeurs… mais le nez est presque le seul sens
qui est laissé un peu à l’abandon. Si on l’entrainait un petit peu,
je pense qu’on donnerait à ces
enfants plus de plaisir de manger… Parce que c’est un sens qui met les autres sens en éveil aussi !
Pour moi c’est complémentaire. Malheureusement, c’est un sens
pour
devenir
parfumeur,
juste
réceptif…
LF : Enfin, quel est votre plus fort souvenir olfactif ?
CN : Quand je fais des formules, j’écris des choses. J’imagine des
odeurs, et puis parfois, si je suis
surprise, c’est là que j’ai un choc.
Ça peut être une erreur, ça peut être
une overdose de quelque chose, et là je me dis wow, ça me surprend.
Donc les chocs sont souvent
lorsque je suis surprise d’un accord que j’ai créé. Je suis toujours en
attente d’être surprise et j’espère être surprise jusqu’à la fin de mes
jours par ce que je fais. Mais mon
plus grand choc olfactif… J’en ai eu pleins ! Chaque fois que je fais des parfums, je sais qu’ils sont
bons. Mais parfois, je sais que c’est vraiment bien. Alors je suis peut
être la seule à le penser, mais parfois je sais. C’est pas prétentieux, parce que j’ai besoin d’avoir, autour de
moi des gens qui réagissent, qui sont positifs à ça.
En fait, mon vrai choc olfactif, c’est
quand je me promène dans la rue, et que je croise une femme ou un
homme qui porte un parfum que j’ai créé. Au moment où la personne
me croise, je sens l’effluve, et la première chose c’est que je me pose
la question. Je me dis « mais, estce que c’est bien ça », et puis il y a toujours le doute quand même, one
st jamais sûr à 100 %. Donc en fait j’ai un affreux travers de parfumeur,
je me retourne, je dépasse la personne, donc je la sens encore une
fois en passant, et si c’est confirmé,
je me retourne, je me retrouve face à la personne, et je reprends mon chemin. Mais en fait, je veux voir
son visage, parce que, ce qui est très
étonnant et très émouvant dans ce
métier, c’est que la personne quand je vais la voir face à moi, je sais que ce ne sera peut être jamais un ou
une de mes amis, mais ce qu’elle ne
sait pas, c’est qu’elle porte sur elle
un bout de mes tripes. C’est qu’elle porte sur elle quelque chose que j’ai
fait avec mon âme, et qu’en fait elle est bien là dedans. Et quelque part, un bout de ce que je fais procure du plaisir, et c’est très émouvant.
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GLOSSAIRE D’après le Dictionnaire
et l’Encyclopédie Larousse
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Anosmie n.f
Cerveau limbique
L’anosmie, qui n’affecte parfois
situées dans la région médiane et
Perte totale ou partielle de l’odorat. que certaines odeurs, passe
volontiers inaperçue du patient ou est prise pour un trouble du goût.
Appareil Olfactif Ensemble des structures
anatomiques qui assurent l’olfaction.
Âpre adj, du latin asper Qui produit une sensation
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Ensemble de structures cérébrales profonde du cerveau, jouant un rôle majeur dans la mémoire et
les émotions, de même que dans
l’élaboration des comportements.
Composition n.f., du latin
compositio
Proportion et nature des éléments
qui entrent dans un corps, un tout.
Diffusion n.f., du latin diffusio
désagréable à l’oreille, au goût.
Transport de matière résultant de la
Aromathérapie n.f
mouvements aléatoires dus à des
Thérapeutique par ingestion,
massage du corps ou inhalation d’huiles essentielles végétales ou d’essences aromatiques.
migration des atomes à la suite de différences de température ou de concentration.
Distillation n.f., du latin
L’aromathérapie est une branche
médiéval distillatio
maladies par des produits dérivés
séparation des constituants d’un
de la phytothérapie, traitement des des plantes.
Action de distiller ; procédé de mélange par ébullition.
Aromatique adj, du latin
Effluve n.m., du latin effluvium
De la nature des aromates ; qui
des êtres vivants, des fleurs, des
aromaticus
exhale une odeur agréable.
Émanation s’exhalant du corps aliments, etc.
Arôme n.m, du latin aroma
Enfleurage n.m.
divers produits naturels.
par contact avec un corps gras.
Principes odorants émanant de
Extraction des parfums des fleurs
Hémianosmie n.f.
Marketing olfactif
qui est la perception et la
à utiliser les odeurs à des fins
Perte d'un seul côté de l'odorat, reconnaissance des odeurs.
Stratégie marketing consistant commerciales.
Huile essentielle
Nez n.m., du latin nasus
extrait de plantes.
tiers moyen de la hauteur de la face
Composé aromatique et volatil
Hyperosmie n.f.
Trouble qui se traduit par une
augmentation de la sensibilité de
Organe formant une saillie sur le
et constituant la partie initiale des voies respiratoires.
Odeur n.f.
l'odorat.
Émanation propre à un corps
Hypothalamus n.m.
ou par un être animé grâce à des
Structure du système nerveux
central, située sur la face ventrale de l'encéphale.
pouvant être perçue par l’homme organes particuliers et avec des
impressions diverses (agréable, désagréable, indifférente).
Influence n.f., du latin médié-
Olfactothérapie n.f.
Action, généralement continue,
utilise les odeurs de certaines
val influentia
qu’exerce quelque chose sur
quelque chose ou sur quelqu’un.
Invisible invisibilis
adj., du bas latin
Qui n'est pas perceptible par la vue.
Manipulation n.f.
Action d’orienter la conduite de quelqu’un, d’un groupe dans le
sens qu’on désire et sans qu’ils s’en rendent compte.
Méthode psycho-énergétique qui huiles essentielles.
Phéromone n.f.
Substance chimique, qui, émise
à dose infime par un animal dans le milieu extérieur, provoque
chez un congénère des réactions comportementales spécifiques.
Sillage n.m.
Odeur laissée derrière soi par un parfum.
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REMERCIEMENTS MERCI à
Flore Garcin-Marrou, pour sa patience et ses précieux conseils,
MERCI à Antoine Dufeu,
pour son implication dans l'écriture de ce mémoire,
MERCI à Christine Nagel et Richard Pfister pour avoir accepté de répondre à
mes questions,
Enfin, MERCI à ma famille et à mes proches pour leur écoute et leur soutien.
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CRÉDITS IMAGES LORRAINE FOLLAIN
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Diplômes 2017 Lorraine FOLLAIN
« Menés par le bout du nez » ou L’influence des odeurs Nous avons choisi d’aborder l’odorat car, en plus d’être un sens vital, c’est aussi un moyen de communication, tant chez les animaux que chez l’homme, qui reste encore aujourd’hui assez méconnu. Le sujet de ce mémoire, l’odeur, est ici mis en tension avec l’objet que nous avons choisi : la manipulation. En effet, nous souhaitions comprendre pourquoi, dans la société occidentale dans laquelle nous vivons actuellement, les odeurs sont de plus en plus utilisées via de nombreux stratagèmes marketing pour nous influencer, et modifier nos comportements. Il nous a paru intéressant de soulever cette question, en abordant autant le côté physiologique des odeurs que son ancrage dans nos sociétés modernes. Il s’agit également d’un sens qui détient un vrai rôle à jouer dans un monde où les âges, les sexes, les cultures se mélangent, et présente un réel enjeu social aujourd’hui. Après diverses recherches et lectures, nous avons considéré que les odeurs méritaient largement d’être traitées dans le cadre de ce mémoire. De la justification, c’est-à-dire ce business des odeurs qui nous bride, à la direction, qui est la reprise du contrôle sur notre propre odorat, nous avons rencontré certains éléments favorables, qui replacent notre odorat à sa juste valeur, par ses vertus thérapeutiques notamment, mais également des éléments défavorables, comprenant une grande dépendance à l’image, au visuel, et à une méfiance de la part de beaucoup quant aux odeurs. Cet état des lieux a fait émerger différentes interrogations, dont la question initiale de ce mémoire qui est la suivante : Comment les odeurs manipulent-elles les comportements humains ?
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