Réhabilitation passive en zone rurale. Antonymie ou possible perspective ?

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Réhabilitation Passive en zone rurale

Antonymie ou possible perspective ?

GUAIS Louise

sous la direction de Aline BARLET Mémoire de Master

Architecture, Ingénierie, Environnement et Ville Durable

2017-2018


REMERCIEMENTS Pour la réalisation de ce mémoire, je souhaite avant tout remercier Mme. Aline Barlet, d’avoir été ma tutrice mais surtout d’avoir été à l’écoute, disponible et d’avoir pris le temps de me conseiller, de me guider dans mes choix. Je souhaite également remercier vivement toutes les personnes qui se sont intéressées à ce sujet et qui m’ont aidé, de près ou de loin, dans l’écriture de ce mémoire ainsi que pour le temps et les précieux renseignements qu’ils m’ont accordés. Bonne lecture!

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« Au lieu de traiter la nature comme un objet dont il est possible de disposer techniquement, on peut aller à sa rencontre comme à celle d’un partenaire dans une interaction possible. On peut rechercher la nature fraternelle au lieu de la nature exploitée. » [J. Habermas, 1968, La technique et la science comme « idéologie »]

« Une société qui survit en créant des besoins artificiels pour produire efficacement des biens de consommation inutiles ne paraît pas susceptible de répondre à long terme aux défis posés par la dégradation de notre environnement. » « Il est de la responsabilité de tous de veiller à ce que les nouveaux moyens de diffusion de l’information se traduisent par un enrichissement, et non un appauvrissement du patrimoine culturel mondial. » [P. Joliot-Curie, biologiste et scientifique]

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LEXIQUE ACH : Changement d’air par heure ADEME : Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie ANAH : Agence Nationale de l’habitat AVAP : Aire de Valorisation de l’Architecture et de Patrimoine BBC : Bâtiment Basse Consommation CAUE : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement CEPHEUS : Cost Efficient Passive Houses as EUropean Standards CSTB : Centre Scientifique et Technique du Bâtiment FN.CAUE : Fédération Nationale des CAUE HQE : Haute Qualité Environnementale PHPP : Passive House Planning Package, outil logiciel de conception de bâtiments passifs PLU : Plan Local d’Urbanisme RGE : Reconnus Garants de l’Environnement RSE : Responsabilité Sociale des Entreprises RT : Règlementations Thermiques UR.CAUE : Union Régionale des CAUE ZPPAUP : Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager

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LEXIQUE

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INTRODUCTION

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I / L’architecture en milieu rural

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A. Du Passif « obligé » ou « intuitif » rural au Moderne rurbain

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1. Le rapport aux terres des anciens bâtiments ruraux

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2. La notion de confort « intuitif » dans l’ancien bâti rural

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Le confort : un droit garanti par la technique ?

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Les ruraux et l’architecture

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L’architecture rurale et le confort

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3. La mondialisation des économies et des progrès techniques

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L’industrialisation et l’Après-Guerre : un exode « inversé »

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L’influence « urbaine » : une société numérisée et homogénéisée ?

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L’influence « urbaine » : une architecture standardisée ?

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4. Le retour aux sources : la réhabilitation en campagne

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Les attraits reconnus de la campagne

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La réhabilitation comme dynamique de transition écologique

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B. La maison passive : une architecture adaptée aux zones rurales ? 1. La logique du passif

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La maison passive : définition

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Le confort du passif : vers une meilleure performance énergétique

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Les outils matériels et techniques indispensables à la démarche passive

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2. La conception architecturale passive

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Le développement durable

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Le confort induit par la conception architecturale

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Un exemple de mise en œuvre d’architecture passive d’un point de vue de la conception

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3. Les enjeux de construire (réhabiliter) écologique en milieu rural

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Des enjeux environnementaux partagés par tous

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Les difficultés et les possibles solutions à l’adaptabilité passive en zone rurale

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II / La transition écologique pour et par tous dans un déjà-là A. La sensibilisation des habitants des zones rurales

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1. Les outils de conseil et de communication

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LES CAUE : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement

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Les « architectes conseils », un point d’ancrage du durable en zone rurale

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Quelles limites et quels obstacles aujourd’hui ?

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2. Vers une (re-)valorisation d’un patrimoine local ?

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L’implication des institutions pour la transition écologique en architecture

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Evolution des pratiques architecturales : de nouveaux champs à investir

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B. Deux réalités mises en œuvre aujourd’hui

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1. Deux niveaux de mise en œuvre de la démarche passive

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En amont du projet : le corps de ferme en Mayenne

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Pendant la conception : la maison rurale en Deux-Sèvres

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2. La conservation d’un patrimoine local à l’origine du projet e

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La Moisière (en Mayenne), une configuration spatiale du XIX siècle

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La Mouline (dans les Deux-Sèvres), un habitat isolé en zone protégée

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3. Une conception architecturale pluridisciplinaire

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La Moisière (en Mayenne), des savoir-faire pour un projet

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La Mouline (dans les Deux-Sèvres), une conception intégrée

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C. Le passif, trop compliqué pour les campagnes ?

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Une empreinte écologique et une rentabilité économique encore incertaines

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Une alternative à la maison passive en zone rurale : l’auto-construction

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CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

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INTRODUCTION Depuis la pénurie énergétique datant des crises pétrolières des années 1973 et 1979, les modes de vie ont considérablement évolué. Aujourd’hui, la société connaît une crise similaire composée des mêmes caractéristiques de carence énergétique, qui n’a de cesse de s’accroître. Mais cette pénurie s’accompagne aussi d’une crise environnementale sans précédent. Les sociétés contemporaines, basées sur un système capitaliste issu notamment du modèle occidental ont vu une consommation de masse guider les façons de vivre l’espace. L’activité de l’homme a impacté irréversiblement les écosystèmes et induit cette tendance actuelle de diminution des ressources. Du fait du changement climatique, l’équilibre des milieux environnementaux, économiques, sociaux et culturels du territoire s’est vu perturbé. L’homme se doit dorénavant de tendre vers une diminution de la production des gaz à effet de serre et d’amoindrir son impact sur le climat en réduisant sa dépendance aux énergies fossiles. D’une « défense » de l’environnement d’antan, l’actuel contexte, et c’est incontestable, place les enjeux environnementaux au cœur des préoccupations. Cela s’est traduit par un nouveau marché qu’est celui du développement durable. La conscience collective d’un territoire limité spatialement, la planète, et limité dans le temps, le temps d’une vie, est aujourd’hui acquise. De cette prise de conscience sous-tend néanmoins une échelle d’action individuelle qui jouera un rôle prépondérant dans une démarche écologique globale. En réponse à ces problématiques écologiques présentes depuis plus de cinquante ans maintenant, sont nées de nouvelles formes de penser l’économie qui tentent d’améliorer notre rapport au monde dans nos modes de consommer. L’économie circulaire en est un exemple (Fig.1) : « L’Economie circulaire est une alternative à l’économie dominante dite « linéaire » qui contribue à l’épuisement des ressources et à la dégradation de l’environnement. »1

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BRETEAU Pierre, VAUDANO Maxime. (2018). « Déchets, recyclage, réutilisation : qu’est-ce que l’économie circulaire ? », Le Monde, 23 avril mis à jour le 7 mai.

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Fig.1 : Différence entre économie linéaire et économie circulaire. BRETEAU Pierre, VAUDANO Maxime. (2018). « Déchets, recyclage, réutilisation : qu’est-ce que l’économie circulaire ? », Le Monde, 23 avril mis à jour le 7 mai.

Cette économie circulaire agit à tous les niveaux du cycle de consommation. En amont, il s’agit de réduire notre consommation en diminuant la quantité de matières premières nécessaires à la fabrication de nos produits. Pendant, il faut augmenter la durée de vie des produits pour concevoir des matériaux plus durables et plus réparables. En aval, il est impératif de recycler les déchets, de les transformer pour de nouvelles productions. Le développement durable a également affecté les politiques du territoire pour un traitement plus respectueux de l’environnement, notamment avec la politique de l’eau (à l’échelle des sous-bassins versants) ou bien encore la politique de récolte et de traitement des déchets (à l’échelle du département) par exemple. L’architecture a évolué en parallèle de tous ces bouleversements économiques, politiques et de surcroît socioculturels. L’action menée par les architectes ne se 12 |


limite plus simplement qu’à la création de l’objet bâti, elle s’étend désormais à la fabrication de l’espace vécu, partagé, toujours dans une approche plus globale et respectueuse de l’écologie. En effet, la part du bâtiment dans le réchauffement climatique constitue 46% de la consommation d’énergie et 25% des émissions de gaz à effet de serre.2 Il va de soi que l’architecture joue un rôle considérable dans cette logique de développement durable et doit adapter ses modes de concevoir. L’habitat dit passif est né de cette conscience écologique, comme alternative à l’architecture classique consommatrice d’énergie fossile. Habitat écologique plus performant en terme de consommation énergétique qui se veut quasi nulle, il appelle à concevoir et construire dans un plus grand respect environnemental en faisant appel aux énergies renouvelables entre autres. Cependant, a-t-il toutes les cartes en main pour répondre au mieux à ce manque de ressources ? Est-il adaptable, accessible par tout un chacun ? Nous verrons que les techniques développées aujourd’hui sont encore à perfectionner, d’une part pour rendre la maison passive plus abordable et d’autre part pour réduire encore davantage les impacts sur l’environnement. La conscience collective dont nous parlions touche aujourd’hui toute la population, qu’elle soit urbaine ou rurale. Pour autant, les deux milieux sont bien différents, tant par leur politique de territoire, leur dynamique économique connexe, que par leur mode de vivre ce territoire. Les zones rurales se sentent-elles tout autant concernées aujourd’hui ? Comment répondent-elles à cette crise écologique ? Les normes et politiques urbaines des zones en marge sont-elles alors assez ambitieuses ? Ces territoires sont dits interdépendants3, c’est-à-dire non isolés d’un point de vue institutionnel, politique. Il existe un réseau décisionnel polycentrique autour duquel s’organisent les projets communs. Cependant, cette rationalisation des pouvoirs publics n’a-t-elle pas des répercussions négatives sur les territoires les plus isolés, comme le souligne le Théorème de la décentralisation de Oates ?

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NAMIAS Olivier. (2008). « A la recherche de la maison écologique », D’Architectures n°174, juinjuillet, Dossier p.59 3 BONNET Frédéric. (2016). Aménager les territoires ruraux et périurbains. Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, janvier, p.19

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« L’offre décentralisée d’un service public local est plus efficace, à coûts d’information donnés, qu’une offre centralisée car elle permet la prise en compte des disparités locales de préférence concernant les services publics locaux »4 En campagne, il persiste une part prépondérante du territoire non bâti. Aujourd’hui, et ce depuis la fin de l’exode rural, les zones rurales sont de nouveau de plus en plus convoitées. Elles sont riches de ressources et d’usages, « ressources essentielles » 5 à tous, urbains comme ruraux. Les terres agricoles présentes en majorité prodigue l’alimentation de la société. L’énergie renouvelable née de la pénurie des énergies fossiles, est, elle aussi, produite notamment grâce aux forêts, à la biomasse en général, grâce aussi au réseau hydraulique et aux vastes surfaces « libres » exposées au vent. La biodiversité assurée par les sites naturels abondants offre un accès simplifié aux matières premières. Pour autant, ces campagnes ne sont pas l’envers des villes telles qu’elles pouvaient être perçues auparavant, mais possèdent bien leur propre attractivité. Les zones rurales ont leur capacité d’action propre sans qu’elles excluent pour autant le phénomène de globalisation qui les encadre. Elles s’inscrivent dans la géographie et l’histoire économique et culturelle de notre territoire, elles font donc partie intégrante du patrimoine. Le patrimoine rural, vaste richesse du territoire, est aussi une des variables à considérer aujourd’hui dans le cadre de cette révolution écologique. Comment concilier respect et conservation (ou réhabilitation) du patrimoine et développement durable ? La réhabilitation et le rafraîchissement des constructions traditionnelles en perdition -miroir d’une architecture riche, d’une culture territoriale et d’un savoirfaire local- prennent sens lorsque nous composons avec la nature qui leur est largement connexe. En effet, l’association de l’ancien (patrimoine) et du nouveau (architecture écologique) questionne le lien entre environnement et architecture, celle-ci qui se doit d’être en cohérence avec son territoire (architecture in situ). La tradition ne peut-elle pas être en quelque sorte l’enrichissement de demain ? La

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DERYCKE Pierre-Henri, Guy GILBERT. (1998). Économie publique locale, Economica, Paris. BONNET Frédéric. (2016). Aménager les territoires ruraux et périurbains. Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, janvier, p.19 5

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disparition de l’architecture traditionnelle n’entraînerait-t-elle pas la fin du rayonnement de la culture immatérielle qui lui reste intimement liée ? De nos jours dans les campagnes, les constructions neuves, semblables d’un territoire à l’autre et consommatrices de sol sont de plus en plus présentes au dépend d’anciennes maisons rurales abandonnées à leur sort. « L’habitat souffre également des faiblesses récurrentes. La réhabilitation est encore insuffisante, notamment faute d’un soutien assez prononcé aux opérations d’animation. »6 Malheureusement, la maîtrise d’œuvre (les architectes notamment) et l’ingénierie sont nettement moins disponibles à proximité immédiate que dans les villes. Nous nous devons de répondre à une problématique, dans certains territoires français qui le constatent, de dualité : richesse culturelle et pauvreté matérielle. Le respect des zones vertes, des éléments vernaculaires du patrimoine rural passent par la réhabilitation de ces bâtisses anciennes. Et, du fait du développement durable, cette réhabilitation doit pouvoir se confondre avec les problématiques architecturales contemporaines. La réhabilitation d’un existant et l’architecture écologique sont-elles alors compatibles ? Nous constatons aujourd’hui que la maison passive se prête davantage aux maisons neuves et sont encore très peu répandues en France, tant en zone urbaine qu’en zone rurale. Si toutefois elle est davantage plébiscitée en ville, est-elle totalement absente des zones rurales ? Y existe-t-il une demande de passif ? Est-il possible d’allier passif et réhabilitation dans les cas d’anciennes maisons rurales ? Pour répondre aux besoins sociétaux des milieux ruraux tout en protégeant un environnement toujours plus fragilisé par l’activité humaine, il est urgent, dès à présent, de s’ouvrir à de nouvelles réflexions architecturales qui mettent en adéquation urbanisme rural et architecture locale durable pour tous et par tous. En reconsidérant les déjà-là, en les adaptant aux attentes environnementales et aux techniques locales, nous pouvons peut-être « faire mieux » avec les outils à disposition. 6

DATAR. (2003). Quelle France rurale pour 2020 ? Contribution à une nouvelle politique de développement rural durable. Rapport au Premier ministre, La Documentation Française, p.29

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Comment normaliser la mise en œuvre d’une architecture écologique passive dans la réhabilitation des maisons anciennes en milieu rural ? Pour tâcher d’éclaircir ces questionnements, nous nous attacherons, dans une première partie, à faire un état des lieux de ce que représente la maison rurale dite traditionnelle et de ce qui définit la maison passive, architecture écologique durable. Dans un premier temps, la maison rurale, miroir d’une richesse culturelle et paysagère forte au cœur d’une dynamique durable, sera étudiée au travers de son évolution dans son contexte historique, économique, territorial et paysager. Ensuite, nous nous pencherons sur sa transposition à l’architecture passive qu’induit le développement durable et sur l’importance de la réhabilitation en campagne aujourd’hui. Dans un deuxième temps, nous définirons l’architecture écologique par les fondements de la logique passive et sa philosophie d’économie d’énergie dans un nouveau marché qu’est le développement durable. Puis nous questionnerons l’éventuelle adaptabilité des constructions passives dans la réhabilitation de maisons anciennes. Dans une seconde partie, nous chercherons à lister les possibles leviers utiles à la normalisation des rénovations passives en campagne en étudiant les outils de diffusion de la démarche architecturale passive auprès des habitants puis en analysant deux exemples de réhabilitation écologique mis en œuvre. Tout d’abord, nous listerons les actuelles institutions dédiées au conseil, à la communication des enjeux architecturaux ainsi que leur stratégie de médiation. Puis nous appréhenderons leur degré d’implication, financière notamment, pour la valorisation du patrimoine sous condition de la transition écologique. Ensuite, au travers de deux projets de réhabilitation qui tendent vers le passif en zone rurale, nous examinerons les moyens de mises en œuvre du passif aujourd’hui et les difficultés rencontrées par les maîtrises d’ouvrage. Pour finir, nous reviendrons sur les obstacles à la réhabilitation passive en zone rurale en explorant de possibles alternatives d’architectures écologiques proposées.

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I / L’architecture en milieu rural

A l’heure où le monde se tourne de nouveau vers la nature, vers un respect de l’environnement et de ses ressources, nous pouvons constater une incohérence dans le traitement des bâtiments anciens, souvent laissés à l’abandon à la fois dans nos manières de vivre, de consommer, de nous déplacer, de bâtir... En zone rurale, le foncier étant nettement moins coûteux qu’en zone urbaine –c’est un fait-, l’offre de nouvelles constructions individuelles s’accroît de manière constante. Ces nouvelles formes d’habiter, davantage standardisées et normées, constituent l’envers du décor d’un désir toujours plus intense de s’installer en campagne. Il est vrai que la proposition de « maisons neuves » attire à moindre coût et qu’il est aujourd’hui plus intéressant de faire table rase du passé. Mais là est l’enjeu actuel. Dans les zones les plus reculées où la demande reste plus faible et que le foncier demeure très peu cher, la logique de retour aux sources voudrait qu’il s’en suive une mise en valeur et une protection du bâti existant. La pérennité des matériaux, le confort, la mondialisation, l’unification des techniques de construction insufflés par le mode de vie d’aujourd’hui n’homogénéisent-ils pas d’une certaine façon les constructions en zone rurale ? Quels aspects sensibles, culturels, techniques définissent « l’architecture rurale » ? De cette identité architecturale rurale transparaît une identité culturelle propre à chaque région. Les constructions, habitats, matériaux traditionnels forts de sens ethnologiques, artistiques, culturels de ces coins reculés ont tendance à disparaitre. Le processus de construction se doit alors d’être considéré à petite échelle, de retourner à l’essentiel, au travers du circuit court et du travail des matériaux locaux. Un des grands défis d’aujourd’hui est de reconsidérer l’existant, les déjà-là, à travers nos approches modernes, nos matériaux contemporains et ainsi conserver ces espaces non bâtis si propres et chers aux zones rurales. La richesse du patrimoine rural se traduit en effet par ces zones creuses, végétalisées, protégées ou non et qui doivent servir les projets, de par leur apport énergétique et le confort de vie qui les accompagne. Il est important de préserver et/ou d’adapter les techniques plus vernaculaires, de continuer à travailler les matériaux locaux en adaptant les architectures existantes aux nouvelles attentes notamment écologiques et économiques. 17 |


A. Du Passif « obligé » ou « intuitif » rural au Moderne rurbain

La maison typique rurale voit son évolution bouleversée par tant de départs et d’arrivées de populations variées, avec des modes de vie différents. Elle est alors modifiée directement dans son aménagement, ses fonctions et ses usages. Au fil du temps, elle est vécue et donc impactée dans ses fondements par les différents milieux sociaux et corps de métiers qui l’habitent au quotidien. Sans omettre les dimensions sociopolitiques, éthiques, historiques, l’approche anthropologique et l’approche technique de l’analyse sont indissociables pour rendre compte de l’évolution toute entière de la maison rurale. Nous nous attacherons donc à appréhender son évolution à travers les aspects constructifs en parallèle des modes de vie, des circonstances historiques, économiques et politiques qui l’ont traversée. Nous nous cantonnerons à l’étude de l’architecture rurale de type maison d’habitation, en tout cas à l’échelle du privé, qu’elle soit corps de ferme ou ancienne bâtisse. Les maisons rurales issues de la période post-Trente Glorieuses (1970) ne nous intéressent pas dans ce cas précis.

1. Le rapport aux terres des anciens bâtiments ruraux

La spontanéité, la malléabilité des matériaux et de la construction d’une maison rurale s’inscrivent dans un milieu social, culturel, climatique bien défini qui détermine l’identité du territoire. Ces aspects sensibles, et/ou culturels définissent « l’architecture rurale ». Chaque région, département de France lui confère une identité culturelle forte et unique. Les anciens bâtiments ruraux, tels que les corps de ferme notamment, sont des constructions empreintes de leur rapport au territoire : leur lien à la nature voire au paysage est net dans le système constructif d’une part et dans la démarche réflexive de l’organisation spatiale d’autre part. 18 |


Depuis toujours, l’architecture rurale se fond presque dans son paysage immédiat. « La Théorie du déterminisme environnemental est une des plus vieilles explications de la différence culturelle »7. Autrement dit, tous les facteurs environnementaux qui induisent la forme, l’orientation, les usages d’une construction, en font une architecture unique qui se rattache à son milieu. D’après François Ruegg, ethnologue, nous pouvons « considérer deux étapes dans l’histoire de l’architecture rurale et/ou populaire : un stade primitif *…+ et un stade évolué »8. Le stade primitif des maisons rurales s’illustre aujourd’hui par des formes de bâtiments secondaires ou temporaires tandis que le stade évolué se traduit par des maisons paysannes typiques, différenciées par des cultures variées. Nous distinguons alors deux types de facteurs identitaires des maisons rurales. Les « facteurs déterminants » d’une part ; que sont le climat, la mise en œuvre de la construction, les matériaux utilisés, la forme et les techniques mises en place, induisent une analyse stricte de la forme architecturale. Les « facteurs modifiants » d’autre part, sont le miroir d’une manière de vivre, d’une culture et de modes d’imaginer l’architecture, qui est beaucoup plus sensible et variable à mesure que les habitants ne la vivent. La maison rurale est avant tout l’expression entière et noble du rapport entre la matière, le milieu physiquement concret qu’est le paysage et la culture d’un milieu humain, plus fragile et impalpable. Amos Rapoport9 estime la maison traditionnelle ou vernaculaire porteuse d’une tradition régulatrice où le respect de la nature et de l’environnement bâti prend tout son sens. Pour comprendre l’habitat, il faut d’abord passer par l’analyse de l’habiter.

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RUEGG François. (2011). La Maison Paysanne. Histoire d’un mythe. Infolio, « Archigraphy Poche », janvier, p.148 8 Ibid., p.57-58 9 RAPOPORT Amos. (1972). Pour une anthropologie de la maison. Dunod, « Aspects de l’urbanisme », Paris, 207 p.

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2. La notion de confort « intuitif » dans l’ancien bâti rural

Comme nous avons pu le dire auparavant, la maison rurale ancienne est avant tout une architecture dépendante de son environnement indirect, à savoir les usages privés et les pratiques professionnelles, ainsi que de son environnement naturel direct, le site dans lequel elle s’implante. Si l’on étudie davantage les pratiques architecturales rurales mises en place dans le passé, qu’observerions-nous dans son rapport à la terre et au respect de l’environnement ? François Ruegg enseigne l’anthropologie de l’environnement construit et de l’imaginaire. Il pose le constat suivant : « Ainsi parle-t-on aussi volontiers d’habitat primitif, sous-entendu rural par opposition à un habitat urbain civilisé ou du moins, doté de facilités techniques, réunies sous le nom de confort. »10 Il constate alors que dans le passé, il y avait opposition entre sociétés primitives et sociétés civilisées ; ces dernières sont davantage appelées développées ou modernes11 aujourd’hui. Dès lors, dans les esprits, l’habitat se percevait de deux manières ; L’habitat rural, d’abord perçu comme primitif, avec des bâtiments rustiques secondaires guidés par les besoins élémentaires, est ensuite devenu évolué à mesure que la maison paysanne ne s’est attachée à se distinguer des autres par la culture et son rapport à la terre. L’habitat urbain, dit civilisé, est vu comme un habitat plus évolué où les progrès techniques servent le confort et bien-être. De ces observations, deux questions en ressortent. Dans quelle mesure le confort dépend-il de la technique ? Et de fait, la maison rurale ne proposait-elle assurément pas des espaces empreints de confort ?

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RUEGG François. (2011). La Maison Paysanne. Histoire d’un mythe. Infolio, « Archigraphy Poche », janvier, p.32 11 Ibid.

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Le confort : un droit garanti par la technique ?

Aujourd’hui, la notion de confort en architecture est une question fondamentale à l’élaboration d’un projet d’habitation qu’il soit en zone rurale ou en zone urbaine d’ailleurs. Le confort de vie passe avant tout par le confort dans l’espace et dans son appréhension : « on se sent bien dans cette maison ». Cela passe par toute sorte d’apports quotidiens inconscients tels que l’ensoleillement ou la chaleur de vie qui règne dans le lieu mais également par des apports techniques, issus de la révolution industrielle. Cette préoccupation bien d’aujourd’hui n’était elle pas déjà prise en compte auparavant ? Dans quelle mesure conditionnait-elle l’architecture rurale ? D’un confort du luxe12 réservé aux quelques privilégiés dotés d’une grande richesse, nous sommes passés à une notion du confort plus technique qui a imposé alors des réseaux tels que le tout-à-l’égout, les raccordements au gaz et à l’électricité, le chauffage etc. « La définition du confort passant ainsi de réconfort à bien-être matériel »13. C’est à l’Après-guerre, pendant les Trente Glorieuses, que le confort devient surtout synonyme de gain de temps et d’efforts. Cela s’accompagne aussi d’un accès courant à l’hygiène et toute autre amélioration du niveau de vie. Dans son évolution constante, le confort devient, d’après le sociologue Olivier Le Goff, un « mode de production de la modernité », un instrument de contrôle social qui s’attache dorénavant à gérer l’inconfort plutôt que créer un bien-être : « Le confort minimum »14. Dans les années 90, les pays industrialisés européens connaissent un ralentissement économique. En effet, la consommation de masse de produits issus de l’industrialisation s’amenuise progressivement après l’engouement certain pour la modernisation d’après-guerre. La démocratisation voire popularisation des nouvelles technologies en France conduit la population rurale a un nouveau rapport au monde (Fig.2). 12

GOUBERT Jean-Pierre. (1988). Du luxe au confort. Belin, « Modernites Xixe-Xxe », Paris, novembre, 192 p. 13 LE GOFF Olivier. (1994). L’invention du confort, Naissance d’une forme sociale. Presses universitaires de Lyon, Lyon, septembre, p.203 14 Ibid.

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Fig.2 : La technologie comme nouveau rapport au monde, un confort inconfortable ? VIARD Jean, Pascal LEMAITRE (illustrateur). (2016). C’est quoi la campagne ? Entretiens avec Emile. Editions de l’Aube, « Les grands entretiens » série Les grands entretiens d’Emile, Paris, janvier, p.38

C’est alors que la notion de confort se reprécise au travers d’une approche plus primitive. Aujourd’hui, les besoins de l’homme comme le réconfort, la convivialité, le bien-être physique –qui caractérisent l’homme en son être profond- posent de nouvelles bases à l’appréhension du confort dans l’architecture.

Les ruraux et l’architecture

Bien que le travail des architectes est déjà bien présent dans le paysage français depuis des siècles, les architectes ne sont pour autant pas démocratisés au point d’être appelés à travailler pour des paysans15 en zone rurale.

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Nom que l’on donnait aux habitants de la campagne qui travaillaient la terre, agriculteurs ou cultivateurs, définition du dictionnaire en ligne Larousse

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Les maisons d’habitation en campagne, bien souvent des corps de ferme ou longères attenantes à une activité agricole, étaient conçues sans architecte. Aussi peut-on les qualifier d’architecture ? Architecture : nom féminin 1 – Art, science et technique de la construction, de la restauration, de l’aménagement des édifices. 2 – Principe d’organisation d’un ensemble, agencement, structure16 Si l’on en croit la définition première du mot, nous ne pouvons alors nier que ces anciennes bâtisses construites des mains de ceux qui l’habitaient sont bien des architectures. François Ruegg définit cela par la notion de génie paysan17. Autrement dit, être capable d’Art sans être formé professionnellement ou académiquement au préalable et sans faire appel à un professionnel comme un architecte.

L’architecture rurale et le confort

Les habitants des zones rurales avaient et ont toujours une très forte relation au site et portent une attention toute particulière aux interactions avec le proche territoire. Les architectures étaient donc instinctivement conçues pour répondre directement et pragmatiquement aux besoins professionnels, existentiels et aux besoins de confort. Elles étaient conditionnées aussi par la restriction budgétaire et donc l’utilisation de matériaux locaux et d’une main d’œuvre de proximité. Cette architecture quasi spontanée mais réfléchie à travers tous ces critères permet d’identifier ce qu’est l’architecture rurale à mon sens. Il existe un réel héritage de l’ancienne tradition rurale agricole. Les habitations se sont développées en intégrant certains principes du développement durable tels que l’adaptation aux conditions climatiques, au milieu dans lequel elles s’inscrivent. La préservation, ou l’utilisation à bon escient, des ressources naturelles et locales répondent aussi à une logique spatiale du travail de la terre dans une architecture presque innocente face à son environnement. 16

Définition du CNRTL, dictionnaire en ligne RUEGG François. (2011). La Maison Paysanne. Histoire d’un mythe. Infolio, « Archigraphy Poche », janvier, p.34 17

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Si l’on considère le confort de ces anciennes maisons rurales comme notion dépendante de la technique telle qu’elle est décrite par Le Goff et précisée précédemment, l’architecture rurale n’est assurément pas celle qui propose un bien-être matériel notable. En revanche si le confort est perçu au travers de la dimension durable et considérant les besoins primaires de l’homme, que sont dans ce cas, le bien-être physique, alors on estime assez nettement ces architectures rurales comme confortables. Nous aurions presque tendance à penser qu’elles pourraient inspirer l’architecture écologique d’aujourd’hui parce qu’adaptées à leur milieu et respectueuse de ce dernier.

3. La mondialisation des économies et des progrès techniques

L’industrialisation et l’Après-Guerre : un exode « inversé »

Au milieu du XIXe siècle, la population rurale arrive à son apogée. En revanche, en parallèle de cette croissance, le nombre d’agriculteurs ne cesse de baisser ; après la dynamique d’industrialisation, l’agriculture gagne en productivité et les rendements sont plus importants, les effectifs nécessaires sont donc de plus en plus faibles. C’est au XXe siècle que l’on observe une évolution majeure dans la démographie rurale en France, les habitants migrent vers les villes, principalement la population agricole : c’est l’exode rural (Fig.3). Les populations aspirent à un confort de vie supérieur, qu’ils estiment trouver davantage dans les zones urbaines. L’offre culturelle, sociale est en effet plus présente dans les zones denses en population. A cette époque, le développement dans tous les domaines (techniques, scientifiques, industriels etc.) est facilité dans les villes. La mondialisation de l’économie a entraîné indirectement une diminution considérable de la viabilité des économies locales et une baisse des écosystèmes. Cependant, se sont mises en place une mobilité de masse, une stratégie de production moderne, chimique et commerciale que les Gaullistes se sont attachés à développer. La décohabitation entre habitants des zones rurales et habitants des zones urbaines ne cesse de creuser l’écart de développement des deux entités. 24 |


e

Fig.3 : L’exode rural, un déracinement culturel et social au XX s. http://dr.niide.over-blog.com/2014/11/liberte-individuelle-et-responsabilite-collective.html

On observe alors au milieu des années 1970 un changement des mentalités qui commence à s’opérer : les familles réévaluent à la hausse la qualité et le confort de vie proposés par les zones rurales. Un mouvement paysan s’immisce dans la société -Les chemises vertes- et refuse le mode de vie inspiré par le modernisme et le capitalisme de la société moderne. Dans les années qui suivent la révolution sociale de 1968, une nouvelle catégorie sociale naît, que nous nommerons les « rurbains », gens de la ville qui vont s’installer progressivement en campagne. Ce retour des citadins vers les campagnes, ex-ruraux ou non, est appelé l’exode urbain en référence à l’épisode inversé du XXe siècle. Un nouvel équilibre social se met alors en place, la province jusque là perçue comme archaïque change petit à petit de visage aux yeux des habitants des villes, malgré la domination persistante des zones urbaines. Ce n’est que dans les années 1990 que la tendance s’est réellement inversée.

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L’influence « urbaine » : une société numérisée et homogénéisée ?

Dans la majeure partie des cas en France, les communes très rurales s’inscrivent dans un réseau de villes dites villes moyennes, qui, elles-mêmes, sont sous l’influence directe des grandes villes ou métropoles. Cette organisation du territoire hiérarchise les actions menées, et est basée sur une redistribution des compétences par un découpage du territoire : le conseil régional, le conseil départemental et le bloc communal. Chaque pôle a un rôle bien défini en fonction des actions menées. De ce fait, les petites communes ou bourgs sont devenus le point d’accueil de l’étalement urbain des grandes villes. Il existe toutefois encore des « espaces interstitiels » qui ne s’appuient que sur des regroupements intercommunaux et qui ne sont pas directement influencés par les métropoles. Cela reste cependant très minoritaire. Ainsi, depuis la fin du XIXe siècle, les communes mutualisent leurs moyens : que ce soit dans le domaine de transports, de la gestion de l’eau, ou bien de l’électricité… C’est aujourd’hui devenu un automatisme dans la politique du territoire français. Malgré cela, les identités territoriales sont belles et bien toujours présentes. Sontelles néanmoins codifiées à l’image des zones urbaines influentes ? D’un point de vue purement identitaire et culturel, la France a su garder une certaine variété architecturale en fonction des régions. De même, les habitudes de langages et d’usages sont restées relativement distinctes d’un département à l’autre. Pour autant, l’industrialisation et la politique commune du territoire français a généré des mises en œuvre et des techniques architecturales homogènes dans tout le pays. En découle alors dans tous les domaines, une production de série marquée directement par le modèle industriel. Jean Viard, dans son ouvrage C’est quoi la campagne ?, parle d’une « culture médiatique et urbaine [qui] a « absorbé » la campagne ». « On est tous urbains, en réalité. » 18 dit-il (Fig.4).

18

VIARD Jean, Pascal LEMAITRE (illustrateur). (2016). C’est quoi la campagne ? Entretiens avec Emile. Editions de l’Aube, « Les grands entretiens » série Les grands entretiens d’Emile, Paris, janvier, p.10

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Aujourd’hui, nous nous trouvons tous dans une dynamique insufflée par les villes, du point de vue de l’économie, du travail, de la culture et même au-delà, du point de vue de nos modes de vie. Depuis la création de l’ordinateur et la démocratisation d’internet, les relations entre les individus ont été totalement bouleversées. Aujourd’hui, autant virtuels que directs, ces liens sociaux sont les mêmes dans les zones rurales et excentrées qu’en zone urbaine. Nous pouvons même aller jusqu’à dire que le lien virtuel domine parfois le lien physique. La génération actuelle a dû s’adapter à ces nouvelles technologies et, par conséquent, recréer voire réinventer les liens interpersonnels préétablis auparavant. D’autant plus que ce tissage virtuel et ces moyens qui jalonnent une nouvelle société numérique n’ont pas encore livré toutes leurs capacités. Seul l’avenir pourra écrire l’histoire virtuelle encore inconnue à l’instant t.

Fig.4 : Le lien virtuel, une culture médiatique commune à tous les territoires. VIARD Jean, Pascal LEMAITRE (illustrateur). (2016). C’est quoi la campagne ? Entretiens avec Emile. Editions de l’Aube, « Les grands entretiens » série Les grands entretiens d’Emile, Paris, janvier, p.35

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L’influence « urbaine » : une architecture standardisée ?

Ce qui était une affirmation avérée autrefois, une population rurale enclavée et peu ouverte à la culture au sens large du terme, est donc perturbée par la mondialisation des savoirs et des liens sociaux. De surcroît, l’architecture vernaculaire forte d’une identité propre est elle aussi re-questionnée par la facilitation des techniques de construction et de pensée de l’architecture. En zone rurale de nos jours, le foncier est bien plus accessible que dans les grandes villes ou métropoles de par leur propension à attirer l’activité professionnelle surtout, qui de fait créent des richesses plus importantes. Avec la restructuration des moyens de transport dans tout le territoire et la mobilité nettement facilitée, les zones rurales connaissent néanmoins un nouvel attrait depuis les années 1990. L’urbanisation rapide des zones plus rurales qui ont dû répondre à une demande soudaine, a entraîné une production de logements peu maîtrisée, souvent standardisés et déconnectés du contexte historique et territorial. « En lien avec la demande, la forme dominante du lotissement pavillonnaire peu dense *…+ continu[e] de prévaloir, ne cessant d’uniformiser les paysages et contribuant ainsi à altérer la diversité et l’identité des paysages »19 Le phénomène de métropolisation qui va de paire avec celui de la mondialisation impacte inévitablement les minorités : les agglomérations qui regroupent plusieurs petites communes rurales influent sur les décisions communales et donc directement sur la forme des habitats ruraux. C’est pourquoi le moderne rurbain pose question aujourd’hui : la vacance des centres bourgs constitue un réel danger quand des maisons quasi toutes identiques sortent de terre en périphérie des villages et que l’économie locale s’affaiblit en marge de ce mode d’habiter.

19

Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature. (2011). Aménager durablement les petites communes : Écoquartiers en milieu rural ? CERTU, « Dossiers du Certu », août, p.8

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4. Le retour aux sources : la réhabilitation en campagne

Faire table rase du passé pour reconstruire de nouveau au détriment des architectures préexistantes laissées à l’abandon, est-ce pourtant la solution ? Jusque là, le paysage français a su se renouveler tout en conservant son patrimoine dans sa grande majorité. Aujourd’hui et particulièrement à l’heure de nouvelles problématiques liées au respect de l’environnement et à l’écologie, il est impératif de s’interroger sur les architectures de demain et notamment sur leur adaptation à la protection et la conservation des espaces vides, verts notamment, non-exploités par l’homme. Nombreuses sont les architectures anciennes, abîmées par le temps qui ne sont plus exploitées ou habitées. Ce sont, d’après moi, ces bâtisses qu’il est important de reconsidérer en les adaptant au mode de vie actuel tout en respectant leur richesse patrimoniale. « Avant de s’étendre, il est important de s’assurer que toutes les possibilités offertes par le patrimoine existant ont été exploitées. »20 Le bâti antérieur aux années 1970 est le plus urgent à réhabiliter aujourd’hui. Il est vrai que le manque d’isolation notamment a conduit à l’utilisation d’outils supplémentaires tels que le chauffage, la climatisation par exemple. La conception standardisée, presque à la chaîne, des maisons individuelles a également entraîné une surconsommation de lumière artificielle et une surproduction d’énergie globale. Tous ces systèmes ont été mis en place pour contrebalancer le manque de confort naturel ou « intuitif » de ces habitations. Outre la préservation et la transmission d’un patrimoine rural riche, la réhabilitation des maisons rurales répond directement aux questionnements contemporains que sont : . le développement durable, . les économies d’énergie, . la lutte contre l’étalement urbain, . conserver un certain confort et une identité architecturale et territoriale.

20

Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature. (2011). Aménager durablement les petites communes : Écoquartiers en milieu rural ? CERTU, « Dossiers du Certu », août, p.25

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Cette prise de conscience autour de la question du développement durable entraîne inévitablement des pratiques nouvelles. Il s’agit alors de produire des projets ancrés dans le paysage immédiat, dans le territoire, en tenant compte des ces questions fondamentales d’aujourd’hui.

Les attraits reconnus de la campagne

La société rurale d’aujourd’hui est très différente de la société paysanne d’autrefois, elle est plus mixte. Les intérêts à habiter en campagne sont multiples : la population aspire, encore et toujours, à un confort de vie plus important. De nos jours, le foncier des zones rurales reste moins cher que celui des zones urbaines ou périurbaines, le déplacement en voiture est nettement facilité et le cadre de vie se veut plus calme et proche de la nature : autant d’aspects non négligeables qui continuent d’attirer de plus en plus de monde de tous horizons. Les zones rurales sont alors de plus en plus convoitées pour y habiter au quotidien. Le renouveau démographique dans les zones rurales se juxtapose à un retour à un mode de vie plus naturel, en symbiose avec le rapport à la terre. Dans un sens plus large, aujourd’hui, l’exode urbain a engendré un mélange des cultures, une humanité comme réunifiée –les habitants des campagnes qui y vivent depuis toujours et les habitants des zones urbaines qui sont venus y vivre-. « Cette idée qu’il fallait être les uns à côté des autres, densément rassemblés, pour bénéficier de la culture, c’est une idée qui est périmée. »21 La notion du vivre ensemble a évolué en même temps que les modes de vie se sont homogénéisés à l’échelle d’un territoire bien plus vaste. La frontière villecampagne s’est petit à petit atténuée dans le même temps que la mondialisation et l’industrialisation ont rassemblé les populations. La distinction entre les ruraux et les urbains est donc également re-questionnée, la campagne bénéficiant tout autant, ou quasi intégralement, du confort de vie moderne que la ville.

21

VIARD Jean, Pascal LEMAITRE (illustrateur). (2016). C’est quoi la campagne ? Entretiens avec Emile. Editions de l’Aube, « Les grands entretiens » série Les grands entretiens d’Emile, Paris, janvier, p.37

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Les mouvements de retour à la campagne, portés principalement par une volonté de rupture avec le rythme de vie effréné des villes, conduisent ces nouveaux habitants à intégrer des aspects de la culture rurale dans leur mode de vie. Aussi apparaissent de nouvelles formes d’habiter la campagne, de nouveaux usages regroupant des habitudes de vie à la fois urbaines et rurales. L’exploitation des terres comme autoproduction de ressources primaires devient par exemple un attrait fort de la campagne. Il est important de cultiver son jardin et de produire des fruits et légumes pour sa consommation personnelle et domestique. La vie de quartier qui se retrouvait autrefois dans un bourg de campagne attire également les gens qui se sentent seuls face à une échelle urbaine trop étendue : tout le monde se connaît, échange, partage ses savoirs et ses actions et s’entre-aide au sein du village. Ce récent mélange des cultures apporte alors un nouveau souffle à ces zones autrefois excentrées. Les débats sont davantage porteurs de sens et les spécificités de chacun se confondent pour plus de richesse culturelle. Cédric Deguillaume, maraîcher au cœur du Massif des Monédières, exprime cette nouvelle forme d’habiter la campagne par le terme de « néorurale »22, inspirée par la culture rurale mais conservant le confort d’habiter urbain. La campagne et ses atouts incontestables font d’elle aujourd’hui la cible de la modernité, ce qu’a pu connaître la ville il y a quelques années dans une moindre mesure bien-sûr. Toutefois, il est important d’anticiper les dangers et d’y répondre au mieux en garantissant la pérennité de ces attraits.

La réhabilitation comme dynamique de transition écologique

Comment préserver la richesse de la « ruralité » ? Quels éléments architecturaux faut-il conserver pour respecter l’identité du bâti ? La réhabilitation, par définition, se distingue de la reconversion (ou restructuration) qui consiste en un changement de programme du bâti. Réhabiliter signifie remettre 22

GUILLOT Xavier, Collectif. (2011). Espace rural & Projet Spatial : Vol.2, Vers un nouveau pacte villecampagne ? PU Saint-Etienne, Ecole nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne, novembre, p.152

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en état, au goût du jour un bâtiment qui s’implante dans un existant. C’est un travail d’adaptation de la construction dans son environnement, en perpétuelle évolution. Forte d’un patrimoine riche, la France se décompose, à une plus petite échelle, en de petites régions caractéristiques, qui se distinguent par des formes architecturales plus ou moins variées dites vernaculaires. En sachant cela et en composant avec la nouvelle dynamique éco-responsable actuelle, il s’agit avant tout de repenser nos modes de développement dans la construction. En zone rurale, il y a une plus grande richesse des ressources naturelles, matérielles et énergétiques qu’en milieu urbain et minéral. De plus, au-delà de ces avantages que connaît la campagne, nombreuses sont les constructions laissées vacantes en raison du départ des habitants vers la ville, où les emplois affluent davantage. Ce constat légitime la réhabilitation : la pénurie mondiale des ressources étant incontestable (Fig.5), repenser les déjà-là devient une préoccupation capitale.

Fig.5 : Evolution des ressources, de la population et des ressources par habitants. http://www.testadepibou.com/pages/Evolutions_interactions.html

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Se pose par conséquent la question d’aller vers un développement durable plus local tout en adaptant le contexte actuel aux côtés écologiques intuitifs d’autrefois. Il ne s’agit pas de faire un pastiche mais de recouper les deux périodes : protéger et mettre en valeur le patrimoine en respectant l’écosystème et en gardant tout le confort moderne. C’est en effet à la question plus générale de la sauvegarde du patrimoine qu’est liée la naissance de la réhabilitation de l’architecture rurale. Il va de soi que la dynamique durable contemporaine ne peut se détacher de cet héritage : il s’agit de composer entre la préservation des richesses d’autrefois et la technique environnementale aujourd’hui développée. Aujourd’hui, l’observation faite par deux architectes de la Drôme, Stéphanie FROBERT (L’Office) et Matthieu CORNET (Texus)23, est telle que les Mairies des petites communes souhaitent davantage valoriser le patrimoine local. Ils ont, avec l’expérience, acquis une certaine connaissance des savoir-faire locaux et des attendus de la maîtrise d’ouvrage. D’après eux, l’écologie au sens large et l’architecture rurale locale sont tout à fait compatibles. Il faut savoir concevoir en fonction des savoir-faire existants, être conciliant par rapport aux politiques locales rurales, mais aussi savoir adapter l’architecture à ces techniques locales à disposition et au développement durable.

23

FROBERT Stéphanie (L’Office), Matthieu CORNET (Texus), architectes HMONP dans la Drôme. (2018). Les architectes de campagne, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 12 mars.

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B. La maison passive : une architecture adaptée aux zones rurales ?

Alors que de nombreux débats apparaissent sur nos manières de vivre, quel rôle joue l’architecture dans la dynamique du durable ? Le secteur du bâtiment est tout de même responsable de plus d’un quart des émissions de CO2, il est donc plus que concerné par ces nouveaux enjeux. Le processus de conception architecturale et l’utilisation des énergies ont évolué dans les années 1960-70, à la suite des grandes crises pétrolières, lorsque les premières énergies solaires sont apparues. Depuis, des alternatives aux énergies fossiles ont été étudiées dans le domaine de la construction. Plusieurs réponses au développement durable émergent dans le domaine de la construction comme par exemple la maison passive ou la maison autonome. Les deux formes d’habiter sont bien différentes mais se rejoignent sur la diminution de l’impact humain sur l’environnement. La maison passive, apparue dans les années 1980, découle de ces diverses recherches et y répond par une consommation d’énergie très faible : sa consommation énergétique globale représente à peu près 10 à 20 % de la consommation énergétique d’une maison classique. Elle base sa conception sur ses performances énergétiques remarquables. La maison autonome, elle, pousse la démarche jusqu’à une totale autonomie dans son cycle de vie, elle produit ses énergies et a ses propres réseaux de gestion (eaux usées / eaux propres, chauffage (au bois), électricité, eau chaude). Nous nous intéresserons ici au label passif, une architecture écologique de très basse consommation énergétique. Cette notion de passif est relativement récente et il est pour l’instant difficile d’émettre un jugement normé sur cette réponse aux problèmes d’ordres environnementaux. L’exigence de ce label est telle qu’elle restreint sa facilité de mise en place : le coût de la construction est élevé en raison de la rareté de main d’œuvre qualifiée et des matériaux ou autres appareillages spécifiques exigibles. La durée de vie d’une maison passive n’est pas encore tout à fait visible non plus, nous ne pouvons affirmer une bonne tenue dans le temps. Pour autant, les coûts élevés à la fabrication n’entachent pas le confort de vie intérieur et l’économie d’énergie quotidienne de ces constructions (et donc un amortissement financier rapide). 34 |


L’engouement pour le bien-vivre de la campagne pousse à se questionner sur la place de ces nouvelles architectures écologiques en zone rurale. Comme le constatent certains architectes qui y travaillent, l’architecture rurale typique et l’intégrité environnementale ne sont pas des paramètres incompatibles. Est-ce pour autant une solution adéquate à la mise en valeur du patrimoine rural ? Est-ce une solution adaptée aux mesures de réhabilitation des anciennes bâtisses rurales, forte d’un esthétisme architectural particulier ?

1. La logique du passif

La maison passive : définition

La maison passive est un concept qui nous vient d’Allemagne. Le PassivHaus Institut, qui lui a donné son nom, l’a mise en place afin de poursuivre la dynamique durable instaurée après la pénurie énergétique des années 1970.

Fig.6 : Label passif http://www.lamaisonpassive.fr/labellisation-batiment-passif-ou-enerphit/

La maison passive est par définition une maison qui ne consomme pas ou très peu d’énergie (Fig.7). Pour obtenir ce label, la construction se doit de suivre quelques critères bien précis : - Ses besoins en énergie de chauffage doivent être inférieurs ou égaux à 15 kWh/m² par an ; - Ses besoins en énergie primaire doivent être inférieurs ou égaux à 120 kWh/m² par an dont moins de 55 kWh pour sa production d’électricité ;

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Pour les murs, les plafonds et les sols : le coefficient de transmission surfacique U doit être inférieur ou égal à 0,15 W/m².K ; Pour les vitrages et les châssis : le coefficient de transmission surfacique U doit être inférieur ou égal à 0,80 W/m².K ; Le taux de renouvellement de l’air doit être compris entre 0,3 et 0,6 ACH ; Son système de ventilation doit avoir un taux de récupération de chaleur supérieur ou égal à 75%.

Fig.7 : Diagramme de consommation d’énergie selon le type de maisons. http://florianstoffel.com/couts-et-financements/surcout-et-rentabilite-dune-maison-passive-160

Pour se faire, la conception de la maison doit se réfléchir au travers de plusieurs axes. Elle doit bénéficier d’un gain en énergie passive -c’est-à-dire en énergie gratuite- d’une part, d’un apport solaire généreux -les rayonnements solaires sont des apports externes- d’autre part, et enfin des apports internes -que sont la chaleur corporelle des usagers ainsi que des appareils électriques ou électroménagers de la maison-. Sa performance énergétique et donc sa conception s’appuient principalement sur l’attention portée à une très faible (voire nulle) déperdition thermique en hiver et une ventilation importante apportant un rafraîchissement l’été. 36 |


Le confort du passif : vers une meilleure performance énergétique

Dès lors que la démarche passive s’attache à travailler un angle technique de la construction, elle influe sur sa conception globale. La haute exigence en performances énergétiques que revendique la maison passive se penche sur plusieurs niveaux constructifs d’une architecture. Au-delà de sa consommation d’énergie très basse, la maison passive porte une attention toute particulière au confort de son usager, qui, lui aussi, devient un paramètre dans la réflexion technique du bâtiment.

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Son enveloppe et son ossature

Pour respecter les attentes de performances passives, il faut tout d’abord étudier en détail la composition de l’enveloppe et de l’ossature d’un bâtiment passif, à savoir celle des planchers, des toitures, des façades etc. : . Par rapport au facteur thermique : c’est-à-dire, connaître la composition des parois opaques. Pour ce faire, il faut calculer la résistance thermique R (m². °K/m²) ainsi que le coefficient de transmission surfacique U (W/m². °K) de chaque paroi. . Par rapport au facteur lumineux : c’est-à-dire savoir quelle quantité de lumière est directe et quelle quantité de lumière est diffuse. Le positionnement relatif des parois opaques, vitrées, la nature des ouvertures (ouvrantes ou fixes) permet d’en déduire un rapport surface de vitrage/surface utile suivant l’orientation, qui nous permet d’établir les gains de consommation d’énergie en terme d’électricité.

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Sa maîtrise de l’ensoleillement

De la même façon, la capacité énergétique passive (son comportement thermique et lumineux) dépend de l’ensoleillement. L’éclairement naturel de la construction définit le facteur lumière du jour et ainsi renseigne sur les gains thermiques en hiver, les apports solaires, et le confort d’été qui demande ou non des protections solaires. Les protections solaires peuvent être fixes ou mobiles, elles évitent les surchauffes pendant l’été.

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Ses ouvertures

Les ouvertures sont des points de faiblesse dans l’enveloppe d’une maison passive, leur positionnement doit être réfléchi et leur quantité limitée. Mais les fenêtres sont aussi des éléments de chauffage gratuit non négligeables. Le vitrage capte le rayonnement solaire ; si le choix de celui-ci est inapproprié alors les pertes de chaleur pourraient être supérieures aux gains. Pour un double ou triple vitrage, une partie des rayons solaires est réfléchie et renvoyée, une autre est absorbée et une autre est transmise à l’intérieur de l’habitacle24. Aujourd’hui, la technique permet de calibrer la quantité de rayonnement thermique stockée pour un bon confort de température et un bon éclairage naturel. Le double ou triple vitrage assure également une isolation thermique et acoustique si celui-ci est adapté.

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Son isolation et son étanchéité à l’air

L’isolation d’une maison concerne trois corps, les murs, les dalles (les plafonds et les planchers) et la toiture. L’épaisseur élevée de l’isolation en maison passive lutte contre les déperditions. Cette isolation doit être irréprochable et surtout continue, la peau isolante de la construction ne doit pas présenter de discontinuité et doit être totalement étanche. Les propriétés de chaque matériau isolant utilisé sont étudiées scrupuleusement. Le coefficient de transmission thermique U de ces matériaux indique leur degré de déperditions thermiques Au-delà du confort hygrothermique qu’assure l’isolation, elle garantie aussi un confort acoustique non négligeable qui contribue au bien-être de l’habitant. En outre, la construction passive bannit totalement les ponts thermiques (Fig.8) pour minimiser au maximum les échanges avec l’extérieur. Autrement dit, son étanchéité à l’air doit être totale (Fig.9). Les ponts thermiques sont les points faibles de l’isolation que l’on retrouve essentiellement dans les liaisons plancherfaçade ou bien encore vitrage-façade. Ces points de jonction, articulations entre chaque partie de la structure, sont les points sensibles potentiels.

24

CHAUVET Camille. (2009). Sous la direction de Christian MARENNE, Maisons passives et Architecture durable, Mémoire de Master 2, ENSAP, Bordeaux, p. 15

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Fig.8 : Localisation des ponts thermiques potentiels. https://www.moasteel.com/savoir_faire.php

Quatre règles sont à suivre pour une maison passive25 : . prévention : l’enveloppe doit être continue ; . pénétration : s’il y a interruption, il faut renforcer l’isolation à cet endroit ; . articulation : l’isolation doit être sans rupture ; . géométrie : angles obtus plutôt qu’aigus, ces derniers augmentent les dispersions de chaleur.

Fig.9 : Schéma de principe d’étanchéité à l’air. http://www.passenergie.fr/concept-passif/ 25

GUERRIAT Adeline. (2008). Maisons passives, principes et réalisations. L’Inédite, « Hommes Habitat Environnement », Paris, octobre, p.26

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Sa ventilation

L’air ambiant doit conserver une certaine température et un certain taux d’hygrométrie pour rester sain et confortable. Certes, la maison passive se doit d’être totalement hermétique, ce qui induit des apports de chaleur conséquents et donc un renouvellement de l’air régulier nécessaire. La ventilation naturelle est à privilégier en exploitant les gradients de température par le biais de sorties d’air produisant un effet de cheminée. Il faut donc favoriser la pénétration de l’air frais en rez-de-chaussée d’une maison et laisser s’échapper l’air chaud, naturellement moins dense, par le haut. Il existe pour cela des systèmes d’aération centralisés, ou bien il s’agit de gérer une autorégulation de l’air dans la conception. La nuit, le rafraîchissement de l’air intérieur est nécessaire au confort thermique afin de tempérer les apports de chaleur accumulés pendant la journée. Pour cela, il existe plusieurs moyens que sont : la ventilation naturelle en ouvrant les fenêtres notamment ; la ventilation mécanique à simple ou double flux ; le puits canadien. Pour la maison passive, le système de ventilation mécanique double flux avec échangeur thermique est privilégié (Fig.10). Le principe revient à injecter de l’air sain grâce à des filtres dans les gaines et à rejeter l’air vicié à l’extérieur de l’habitacle. L’air neuf est impulsé dans les pièces « sèches » comme le séjour ou les chambres tandis que l’air vicié est expulsé par les pièces « humides » telles que la cuisine ou la salle bain, là où l’air est le plus pollué. Par ailleurs, l’échangeur thermique chauffe l’air entrant et diminue ainsi les besoins en chauffage. Ce système de ventilation permet d’éviter tout problème d’humidité, de condensation ou d’allergies.

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Fig.10 : Système de ventilation double flux avec échangeur thermique. http://www.vmc-double-flux.solutions/vmc-double-flux/4588055487

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Son inertie thermique

L’inertie d’un bâtiment est son pouvoir de cumuler la chaleur sur une surface suffisamment grande et compact à savoir ses parois. Plus son inertie est élevée, plus sa capacité à emmagasiner la chaleur et la restituer est grande (Fig.11).

Fig.11 : Température des parois d’une construction passive (rouge) et d’une construction traditionnelle (vert). http://construction.senova.fr/conseil-technique-juridique-reglementaire-fiscal-financier/commentameliorer-son-confort-dete-linertie-et-le-dephasage/

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Sa compacité

Les déperditions thermiques s’effectuent principalement par l’enveloppe du bâtiment. Plus le rapport surface/volume (ou bien plancher/enveloppe) est important, plus les déperditions sont grandes. C’est le principe de conduction et convection thermique. La conduction, propagation de la chaleur *…+ à travers les corps conducteurs26 et la convection, transport de chaleur par déplacement de matière27 traduisent un phénomène de transfert thermique provoqué par une différence de température entre deux milieux. Autrement dit, la maison passive privilégie des surfaces au sol maximales pour des surfaces d’enveloppe minimales. En parallèle de ces caractéristiques techniques, la maison passive s’appuie sur deux stratégies, celle du chaud en hiver, celle du froid en été (Fig.12). La stratégie du chaud permet de capter la chaleur du rayonnement solaire ; la stocker dans la masse bâtie ; la conserver par l’isolation, en cherchant à minimiser la surface de déperditions thermiques tout en maximisant l’enveloppe ; la redistribuer dans le bâtiment au moment où le besoin se fait sentir. La stratégie du froid permet de se protéger du rayonnement solaire et des apports de chaleur par des protections solaires naturelles (la végétation saisonnière) ou artificielles ; minimiser les apports internes en évitant une surchauffe des locaux par les occupants ou leurs équipements ; dissiper la chaleur en excès et refroidir naturellement le bâti par une ventilation réfléchie et naturelle entre des pièces communicantes par exemple.

Fig.12 : Stratégies du chaud et du froid d’une maison passive. http://www.coeck.be/fr/producten/bouw/karakteristiek/thermische-inertie/ 26 27

Définition du CNRTL, dictionnaire en ligne Ibid.

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Les outils matériels et techniques indispensables à la démarche passive

Quels sont alors les différents processus aidant à l’élaboration d’un projet passif ? Au-delà des calculs mathématiques et de l’approche technique des performances énergétiques d’un bâtiment, la maison passive en appelle à connaître les outils qui répondent à cette demande technique. Cette architecture écologique passive a très souvent recourt aux énergies renouvelables pour assurer une performance énergétique optimale. Par définition, la maison passive se veut indépendante de système de chauffage et autres équipements supplémentaires nécessaires au confort de vie. Cependant, il est toutefois nécessaire pour le confort d’hiver d’installer des systèmes de chauffage complémentaires, d’appoints, moins consommateurs d’énergie que le chauffage centralisé. Les panneaux solaires intégrés en structure ou en toiture par exemple sont fréquemment utilisés. L’eau chaude sanitaire, elle, est chauffée dans la plupart des cas de maisons passives par des capteurs solaires tels que les panneaux solaires. Le choix des matériaux est également décisif pour parfaire les performances d’un bâtiment. Ils jouent un rôle primaire, que ce soit dans la conception d’un bâtiment ou dans ses performances. Les matériaux bio-sourcés sont privilégiés : issus directement de la nature, ils sont renouvelables, ce sont des ressources qui peuvent potentiellement être réutilisées, une fois leur cycle de vie dans un bâtiment achevé. Dans un contexte où les ressources ne cessent de s’amoindrir, l’enjeu est de se reconvertir vers l’utilisation de matériaux plus anciens, plus durables comme par exemple le remplissage en torchis terre-paille ou bien encore, l’utilisation de matériaux agro-sourcés comme les filières locales de chanvre. La conjugaison du bois et de la paille est aussi un exemple utilisé pour une isolation confortable et efficace. Il est essentiel que la conception croisée soit à la source du projet. La maison passive suivant des règles techniques strictes, ses concepteurs, autrement dit la maîtrise d’œuvre ou/et les architectes entre autres, doivent posséder les compétences en la matière. Certaines règles fondamentales de la production durable sont à intégrer presque instinctivement. Il y a nécessité à assimiler des

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savoir-faire propres à cette forme de conception et savoir échanger avec des professionnels référents de chaque discipline. D’après Jonathan Dawson, la « conception d’implantations humaines à faible impact sur l’environnement »28 appréhende la question aux travers de deux approches. Premièrement, une approche « low-tech » qui consiste à alléger l’emploi des énergies fossiles, diminuer les besoins d’usages et en somme les coûts de mise en œuvre, simplifier et rationaliser la conception au maximum, et augmenter l’utilisation de matériaux locaux et/ou recyclés qui soient durables. Deuxièmement, une approche « high-tech » qui importe les technologies écologiques, plus scientifiques, bien que pour l’instant leur prix reste plus élevé.

2. La conception architecturale passive

Le développement durable

Le terme de développement durable recoupe en fait diverses définitions. Cette notion, issue d’un constat postérieur aux crises pétrolières notamment, reste floue pour la majeure partie de la population rurale. Quelles sont réellement les attentes découlant du développement durable ? Et par quoi se définit cette étiquette ? En fonction des corps de métiers ou des catégories sociales, nous remarquons que ce terme englobe de nombreuses interprétations divergentes. Cependant, il existe une concordance dans les discours pour ce qui est de la finalité objective de cette notion. Les dires29 convergent vers une prise en compte certaine des problèmes environnementaux qui surgissent aujourd’hui.

28

DAWSON Jonathan. (2010). Les Écovillages : Laboratoires de modes de vie éco-responsables. Editions Yves Michel, « Ecologie », octobre, p.76 29 Enquête auprès d’habitants et d’architectes des zones rurales.

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Il existe alors trois principes fondamentaux du développement durables que sont : . La rentabilité économique . Le bénéfice social, culturel et la cohésion sociale . L’équilibre de l’environnement 30

Fig.13 : Le développement durable. VAUCELL Sandrine, géographe. (2017), Acteurs publics et compétences dans une république décentralisée, conférence dans le cadre de l’optionnel Architecture, Ingénierie, Environnement et Ville Durable à l’ENSAP, Bordeaux, 19 octobre.

Ces trois axes majeurs (Fig.13) qui fondent notre société ne peuvent manquer à la réflexion d’un projet architectural, sans quoi il omettrait des principes certains du bien vivre. L’Ordre des architectes a établi sa propre définition du développement durable au travers de quatre valeurs fondatrices, qui rejoignent tout à fait les trois axes énoncés ci-avant.

30

DUMENIL Georges. (2014). « Vous avez dit « transition » ? », Maisons paysannes de France Patrimoine rural n°194, décembre, Editorial p.1

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. Enrichissement de l’expression culturelle et du développement local . Equité, intégration sociale et solidarité entre les communautés humaines . Eco-efficience, intégrité environnementale par le respect des écosystèmes par la gestion des ressources . Economie et performance collective 31 De cette notion de développement durable ont alors découlé des règlementations normées de l’architecture, des lois posant les objectifs à atteindre. En France, le label HQE (Haute Qualité Environnementale pour la préservation des ressources naturelles et la satisfaction d’exigences de confort, de santé et de qualité de vie des usagers) pose les grands principes de l’architecture écologique (Fig.14).

Fig.14 : Tableau récapitulatif des quatorze cibles du label HQE. CHAUVET Camille. (2009). Sous la direction de Christian MARENNE, Maisons passives et Architecture durable, Mémoire de Master 2, ENSAP, Bordeaux, p.6

31

Conseil National de l’Ordre des architectes. (2010). Charte d’engagement des architectes « Pour une architecture responsable », [document électronique], mars, 2 p.

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Une fois ces axes posés, il s’agit de composer avec absolument toutes les variables pour répondre au mieux aux questions du développement durable. Un projet de développement durable passe, d’après Nicolas MICHELIN, par une conception dite intégrée32 soit une conception globale, pluridisciplinaire mêlant architectes (pour le bâti), paysagistes (pour le vivant), ingénieurs (pour la technique) et artistes (pour la poésie), chacun possédant une spécificité propre. Cet échange constant entre chaque discipline concède au projet architectural la bonne prise en compte des problématiques d’aujourd’hui dans leur intégralité.

Le confort induit par la conception architecturale

Comme démontré précédemment, la maison passive n’est pas un « type » d’architecture mais bien une variable à prendre en considération dans le processus global de conception d’un projet. Les performances énergétiques d’une maison passive découlent du comportement de celle-ci. Le processus de conception architecturale se répercute alors explicitement sur la forme architecturale que prend le projet, passif de surcroît. Nous avons pu aborder le confort d’une maison passive d’un point de vue purement technique au travers de différents calculs de performances énergétiques. Comme le sous-entend Nicolas Michelin dans sa notion de conception intégrée, c’est aussi et surtout dans le processus de réflexion et de conception que se joue le choix de construire passif. L’homme est maintenant au cœur de la réflexion d’un projet architectural, la maison passive y répond en limitant les impacts négatifs sur ce dernier. Le confort intervient lorsqu’il permet à l’usager, inconsciemment, de se sentir bien et de vivre dans un environnement sain. Avant même de se pencher sur les capacités techniques des matériaux ou des appareillages mis en œuvre, la configuration spatiale et la logique organisationnelle globale confèrent déjà un confort à la construction. La temporalité de la construction –que nous définissons par le programme, les besoins, les usages, et les modes d’occupation des habitants-, a de tout temps été le fondement d’un projet d’architecture. C’est d’autant plus vrai que dans un projet 32

MICHELIN Nicolas. (2006). Avis, Propos sur l’architecture, la ville, l’environnement. Archibooks – Sautereau, Paris, p.109

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passif, l’homme est au cœur de la réflexion et le confort de ce dernier en est l’aboutissement. La logique passive fait coïncider les modes de vie de l’usager, déterminant une organisation spatiale propre à chacun, et la performance énergétique technique architecturée. Le site dans lequel est implanté le projet est une des variables fondamentales de la conception (Fig.15). Tout d’abord, la situation géographique du lieu détermine le climat dans lequel on s’implante et de fait, il induit un traitement à part entière du projet. La température extérieure, la température des sols, la végétation ainsi que la pluviométrie varient en fonction du climat, qui lui-même fluctue au rythme des saisons. La symbiose entre le projet architectural et son dialogue avec le comportement climatique est un élément capital à la performance énergétique passive.

Fig.15 : Objectifs de la conception architecturale. SEMIDOR Catherine. (2012), Assurer le confort hygrothermique dans le bâtiment, une nécessaire relation avec le site, Cours de S1 à l’ENSAP, Bordeaux, septembre.

Ensuite, la situation géographique impose une orientation relative entre autres à l’exposition solaire (Fig.16). La démarche passive met en avant la non-utilisation de système « accessoires » tels que le chauffage ou la climatisation dans la mesure du possible. L’orientation des pièces de vie est préconisée au Sud pour capter un maximum de soleil, pour sa lumière directe et donc moins de gaspillage 48 |


d’électricité dans la journée d’une part, pour sa chaleur afin de ne pas compenser en chauffage d’autre part. Les chambres et autres pièces annexes nécessitent une exposition moindre et sont plutôt orientées Nord. Par conséquent, l’emplacement des ouvertures ainsi que des protections solaires éventuelles résultent de l’étude de l’ensoleillement ou de l’irradiation solaire.

Fig.16 : Orientation souhaitée d’une maison bioclimatique. https://www.e-rt2012.fr/explications/conception/explication-architecture-bioclimatique/

Le site possède une certaine morphologie, une topographie qu’il faut également considérer dans le processus de conception. Les techniques constructives diffèrent et s’adaptent à la pente, lorsqu’elle existe par exemple ou bien à l’altitude. L’exposition au vent, variant selon l’altitude, le bâti ou la végétation existante, est tout aussi décisive dans le choix du concept de projet. La maison passive possède une ventilation naturelle qui assainit l’intérieur pour un meilleur confort hygrothermique. Le rafraîchissement et le chauffage naturels appliqués dans les bâtiments passifs en font leur singularité. Encore une fois, tous ces paramètres sont à analyser conjointement dans le processus de conception d’une maison passive. Les besoins en chauffage, la ventilation varient selon la fréquentation des bâtiments, l’usage des locaux. Et inversement, le volume, ses dimensions, son orientation influent sur les besoins énergétiques assurant le tout confort. 49 |


Un exemple de mise en œuvre d’architecture passive d’un point de vue de la conception33

Toute réalisation architecturale se doit d’être en rapport plus ou moins étroit avec l’environnement auquel elle appartient : c’est le fondement d’une architecture bioclimatique. La construction de maison ci-après (Fig.17) est un exemple parfait de maison bioclimatique passive, suivant spécifiquement une réflexion conceptuelle et programmatique, au travers d’aspects techniques qui invitent le confort au cœur du projet.

Fig.17 : La maison bioclimatique de Pierre Lavigne, à Die dans la Drôme. http://www.lamaisonecologique.com/lme/sommaire-lme/construire-101-bijou-bioclimatique/

Coût de construction : 1850 € / m² 10 mois de construction Novembre 2013 34 33

LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobre-novembre, Construire p.14 à 19 34 Ibid., p.14

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Pierre LAVIGNE, ingénieur et physicien de formation, devient enseignant-chercheur en bioclimatisme après le choc pétrolier de 1973, en parallèle de l’émergence des économies d’énergie dans la construction. « « L’architecture bioclimatique, c’est un pléonasme » *…+ L’architecture, fatalement climatique, n’existe que s’il y a contrainte et le climat en est une à laquelle on n’échappe pas. »35 Ayant un goût prononcé pour l’architecture depuis toujours, il construit au cours de sa vie plusieurs maisons. C’est alors qu’il entreprend la conception de ce « bijou bioclimatique », qui deviendra finalement sa propre habitation par la suite. L’expert s’entoure d’artisans éco-responsables, charpentiers, L’ECO LEGS, entreprise tenue par Lionel BRETON & Laurent OYARZABAL. L’un est spécialisé en ossature bois et l’autre dans l’utilisation de la ouate de cellulose. Leur choix de travail s’oriente assez rapidement vers un partenariat exclusif avec des fournisseurs français. Son but premier est de construire sain procurant à ses occupants d’agréables sensations de chaleur et de confort. Il a entamé sa démarche sur le constat suivant, il fera en sorte de le contredire dans sa conception : Nous avons créé « « […] des béquilles nommées chauffage, climatisation… Sous nos climats tempérés, un bâtiment devrait être simplement équipé de dispositifs « de secours », des petits poêles, par exemple. » »36 Pour ce faire, l’enveloppe de la construction est en ossature bois et son isolation en ouate de cellulose, de 30 à 40cm d’épaisseur. Les murs de refend sont en moellons, « c’est un matériau qui peut apporter une inertie bon marché et rapide à mettre en œuvre »37 (Fig.18). Les dalles sont en béton sur polystyrène extrudé sur blocage gravier pour les fondations. Ces matériaux ont l’avantage non négligeable d’assurer une grande inertie thermique au sein de la maison.

35

LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobre-novembre, Construire p.14 36 Ibid. 37 Ibid., p.16

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Fig.18 : Enveloppe en ossature bois, parement intérieur en contreplaqué et murs de refend en moellons peints. © LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobrenovembre, Construire p.16

Dans sa conception, il n’a pas posé d’ouvertures à l’ouest et très peu à l’est. Au nord, il a choisi d’ouvrir légèrement pour créer une sur-ventilation nocturne l’été. La façade sud en revanche, est composée d’une immense surface vitrée qui fonde son système de captation de la lumière et de la chaleur pendant les périodes froides. La particularité de cette construction se trouve entre autres dans l’agencement du séjour qu’il nomme « séjour serre » faisant office de tampon thermique. « L’étage est chauffé grâce à l’effet thermosiphon : l’air chaud du « séjour serre », passant par une fente en son sommet, monte naturellement à l’étage où il se refroidit. Il redescend vers le « séjour serre », par simple fait de différence de densité *…+. Le cycle de thermosiphon permet de distribuer, tant qu’il y a du soleil, la chaleur née dans le « séjour serre » vers les autres pièces de la maison. »38 La surface vitrée du séjour serre s’adapte aux besoins de confort de l’occupant. Un volet, commandé par des sondes thermiques, vient se refermer en cas de

38

LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobre-novembre, Construire p.17

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déséquilibre des températures entre les différentes pièces de vie. Le salon devient alors un espace tampon qui réduit les pertes thermiques (Fig.19).

Fig.19 : Séjour serre, qui s’adapte aux températures intérieures grâce à des volets. © LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobrenovembre, Construire p.17

Pour répondre au mieux aux attentes de dépenses énergétiques quasi nulles, Pierre Lavigne insiste sur la réflexion en plan et en volume de sa construction. Une des germes du projet tient en sa forme compacte, de petits volumes qui se juxtaposent pour créer un tout plus économique et moins consommateur d’énergies. Bien évidemment, l’étanchéité à l’air est absolument irréprochable, il utilise pour compenser le manque d’air, une VMC double flux avec échangeur thermique pour assurer la ventilation de sa maison. P. Lavigne avertit son auditoire sur ces derniers mots : « Plus une maison est passive, plus il faut être actif… »39 Cet exemple montre bien que concevoir une maison passive et y vivre requièrent une vision globale, une posture, une manière d’habiter, en adéquation avec les enjeux du développement durable. 39

LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobre-novembre, Construire p.19

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3. Les enjeux de construire (réhabiliter) écologique en milieu rural

Fig.20 : Approche triangulaire d’une maison écologique et bioclimatique. SEMIDOR Catherine. (2012), Assurer le confort hygrothermique dans le bâtiment, une nécessaire relation avec le site, Cours de S1 à l’ENSAP, Bordeaux, septembre.

Des enjeux environnementaux partagés par tous

Historiquement, dès mai 1968, la population reconsidère déjà les avantages matériels apportés par la révolution industrielle et la démocratisation des technologies. L’avancée entamée depuis le début du siècle commence alors à être critiquée. De fait il y a, à cette période, un retour à un mode de vie repensé, plus sain et plus naturel. Dans un rapport plus équilibré entre nature et évolutions techniques, des maisons bioclimatiques et solaires40 commencent à voir le jour à cette période charnière. L’utilisation de matériaux bruts à disposition est mise à profit, notamment dans la réhabilitation des bâtis ruraux inhabités depuis la fin de la Seconde Guerre. 40

DUMENIL Georges. (2014). « Vous avez dit « transition » ? », Maisons paysannes de France Patrimoine rural n°194, décembre, Editorial p.1.

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Aujourd’hui, l’importance de construire (ou reconstruire) durablement est équivalente en zone rurale ou zone urbaine. La question du respect de l’environnement est la même pour tous, nous pratiquons et vivons en effet tous la même Terre. L’empreinte de l’homme, dans les années qui viennent, se devra d’être plus « discrète », moins écrasante au regard de l’environnement. En revanche, les leviers pour appréhender la transition écologique dans ces deux milieux, rural et urbain, sont bien distincts. « Ce qui demeure, c’est que les gens des villes et gens des campagnes sont absolument convaincus qu’ils vivent très différemment et qu’ils n’ont pas les mêmes centres d’intérêt. […] ce n’est pas vrai »41 « [Il faut] maintenant inventer un monde moins obsédé par la croissance, plus écologique, où les relations, la création, le respect de la nature primeront sur la production. »42 Le Grenelle de l’Environnement, la ville durable ou encore la construction dite basse consommation sont-elles des notions uniquement destinées aux grandes agglomérations ? Le monde rural d’aujourd’hui est à distinguer du monde rural agricole d’autrefois. Son économie et sa population se sont nettement diversifiées. Il y a eu depuis un renouveau démographique de par notamment l’évolution des activités professionnelles mais aussi des aspirations à un confort de vie moderne similaire à celui des villes. D’après le Grenelle de l’Environnement, tous les logements neufs d’habitat collectif et individuel devront être garantis passifs ou à énergie positive d’ici à 2020. Cette loi ambitionne aussi une diminution des déperditions thermiques d’environ 35% pour les rénovations de bâtiments existants. Dans l’état actuel des choses, les faits sont loin de correspondre aux attentes de la politique du développement durable. La mise en place de ce principe doit passer avant tout par un changement des mentalités, d’un point politique peut-être mais surtout à l’échelle de chaque individu dans sa prise de conscience des enjeux environnementaux et sociétaux.

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VIARD Jean, Pascal LEMAITRE (illustrateur). (2016). C’est quoi la campagne ? Entretiens avec Emile. Editions de l’Aube, « Les grands entretiens » série Les grands entretiens d’Emile, Paris, janvier, p.9 42 Ibid., p.73

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Les difficultés et les possibles solutions à l’adaptabilité passive en zone rurale

Frédéric Bonnet, dans son ouvrage Aménager les territoires ruraux et péri-urbains, prône la systématisation des constructions passives pour toute réhabilitation et la restructuration des bâtis vacants en déperdition. Il préconise de travailler en réseau, à proximité –le travail dit en circuit court- et d'améliorer les liens entre recherche, artisanat et industrie en renforçant le dialogue architectes-ingénieurs notamment. Pour ce faire, il faut, d’après lui, « mobiliser les filières constructives locales autour des projets de réhabilitation »43 dans le but de préserver l’espace naturel et de valoriser le patrimoine. La spécialisation des savoir-faire locaux et la mise en relation apprentissage conception - sphère politique locale, promulgueraient des avantages directs comme une redynamisation de l’économie locale et des ressources à moindres coûts. « Seules des politiques publiques fortes, bien lisibles, peuvent attirer les opérateurs, contribuer à fiabiliser les opérations »44 Une des solutions à ces freins en zone rurale est baptisée « Expérimentation ajustable » par Frédéric Bonnet. L’accès et la sensibilisation des projets durables et ruraux seraient facilités par des normes moindres, avec plus de visibilité. Aujourd’hui, le constat est tel que la main d’œuvre qualifiée à ces techniques passives est limitée dans ces milieux reculés de France et la centralisation des pouvoirs publics favorise la concentration des entreprises en milieu urbain. Même si, nous nous devons de nuancer, les milieux ruraux sont décentralisés mais polarisés, et donc ce principe de forces publiques se redistribue petit à petit dans le territoire. Nous pouvons conclure que les contraintes majeures à l’expansion de cette démarche sont multiples. Le budget élevé qu’impose ce type de construction reste à priori un frein pour un grand nombre d’habitants des zones rurales. Les aides au

43

BONNET Frédéric. (2016). Aménager les territoires ruraux et périurbains. Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, janvier, p.79 44 Ibid., p.76

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financement existent-elles bel et bien ? La visibilité de ces financements est-elle aussi limitée ? Ce nouveau mode d’habiter impose aussi et surtout une adaptation du mode de vie. Vivre et arpenter un bâtiment passif demande une attitude positive. Il faut savoir adapter l’espace et les usages pour que le comportement (de l’ordre de l’action fondée sur nos actes) soit en adéquation avec l’attitude (posture fondée sur notre expérience mise en contexte). Les principaux enjeux des campagnes aujourd’hui consistent en la préservation des fonciers agricoles et naturels, du patrimoine riche de sens, tout en conservant un certain dynamisme économique. Le dialogue entre mobilité, accessibilité, politiques locales et savoir-faire restent encore à vérifier pour répondre aux attentes du développement durable et de la transition écologique.

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II / La transition écologique pour et par tous dans un déjà-là

Dans un contexte de pollution croissante et d’empreinte humaine de plus en plus imposante, la sensibilisation mondiale au réchauffement climatique devient capitale dans tous les domaines, notamment en architecture. La dynamique de développement durable, assimilée par la majorité des français aujourd’hui, n’est pour autant pas encore tout à fait adoptée dans les modes de vie et les techniques constructives. Tout au moins, elle n’est pas encore systématisée. L’architecture passive, née de ces problématiques environnementales, intéresse-telle alors les particuliers qui souhaitent construire ou réhabiliter ? Cette logique passive, encore peu connue et peu maîtrisée, répond directement aux enjeux architecturaux existants en zones rurales. Existe-t-il alors un intérêt général dans l’esprit des gens des campagnes pour l’architecture écologique ? Les problématiques du développement durable induisent une systématisation des systèmes constructifs respectueux de la transition écologique pour tous et par tous. Aussi faut-il reconsidérer les déjà-là et les adapter aux techniques locales et aux attentes environnementales tout en sensibilisant les gens autour de cette question. La demande existe-t-elle dans le milieu rural ? L’offre en architecture est-t-elle assez conséquente aujourd’hui pour y répondre ? Ces méthodes de construction sont-elles accessibles ? Si oui, dans quelle mesure et quels types de mises en œuvre sont proposés? Dans cette seconde partie, un état des lieux de ce qui existe aujourd’hui en termes de sensibilisation à l’architecture écologique en zone rurale et l’identification des obstacles à sa mise en œuvre seront présentés afin de dégager d’éventuels possibles : culturels, sociaux, budgétaires notamment. Le but de cette étude, à terme, est de comprendre comment tendre au maximum vers une architecture « propre » pour tous et de suivre un protocole de mise en œuvre facilité et transparent. Dans un premier temps, nous verrons quels sont les moyens de communication et de sensibilisation des populations rurales autour de la question de l’architecture écologique passive. Dans un deuxième temps, nous étudierons deux exemples de mise en œuvre de réhabilitations écologiques dans deux zones rurales distinctes.

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Enfin, nous réfléchirons aux alternatives existantes aux questionnements soulevés précédemment. Notre démarche prospective s’appuie principalement sur des entretiens ou questionnaires avec différents protagonistes (se référer aux annexes n°2; 3; 4; 5). Nous sommes allés interroger les institutions de conseil d’abord, le CAUE de la Mayenne et le CAUE des Deux-Sèvres45, pour comprendre comment est reléguée l’information et quelle place occupe l’architecture écologique dans le conseil aux particuliers habitant en zone rurale. Ensuite, nous avons pu discuter avec la maîtrise d’œuvre46, architecte d’un des projets présentés en exemple, afin d’analyser son rôle et ses actions dans un projet qui tend vers le passif. Puis, nous avons pris contact avec la maîtrise d’ouvrage47 de chacun des deux projets pris en exemple, le but étant de savoir quels ont été leurs objectifs initiaux dans le choix d’une architecture passive, et quels en sont les avantages, les inconvénients, les obstacles rencontrés. Finalement, nous avons questionné les habitants des zones rurales en général48, premières cibles de cette étude, sur la question de l’architecture écologique et plus précisément la maison passive.

A. La sensibilisation des habitants des zones rurales

Comment amener cette architecture « durable » et respectueuse de l’environnement en zone rurale ? Comment rendre accessibles les moyens de construire durable ? Il est vrai que l’architecture passive est encore trop peu développée dans tout le territoire tant en zone urbaine –quoi que plus présente45

Propos recueillis par Louise Guais auprès de Benoît Desvaux, Directeur du CAUE de Laval (53), entretien datant du 12.04.2018 et auprès de Delphine Page, Directrice du CAUE de Niort (79), entretien téléphonique datant du 11.04.2018 46 Propos recueillis par Louise Guais auprès de Claire Archimbaud, architecte HMONP à Brioux-surBoutonne (79), en charge du projet « La Mouline », entretien téléphonique datant du 06.04.2018 47 Propos recueillis par Louise Guais auprès de la maîtrise d’ouvrage des deux projets de réhabilitation la Moisière (53), la Mouline (79), échange de mails. 48 Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France (Eure (27) / Finistère (29) / Mayenne (53) / Meuse (55)), du 09 au 15 avril 2018

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qu’en zone rurale. Pour mieux comprendre, nous allons étudier la diffusion ou communication des informations fournies auprès des habitants. Savoir sensibiliser les populations à cette question des nouvelles architectures écologiques telles que la maison passive est sans aucun doute le point d’orgue de la propagation du durable, sans pour autant omettre de sauvegarder le patrimoine. Les deux ne sont-ils pas finalement compatibles comme le questionne Georges Duménil, président de Maisons Paysannes de France : « Faut-il sacrifier sur l’autel de l’idéologie mal maîtrisée des siècles de traditions culturelles qui ont conféré à nos provinces, à nos villages, une variété et une qualité environnementale exceptionnelle ? » 49

1. Les outils de conseil et de communication

Malgré le programme européen CEPHEUS (Cost Efficient Passive Houses as EUropean Standards) de 2002 qui promeut la construction de logements confortables avec des charges énergétiques négligeables, la France est nettement en retard sur l’Europe en ce qui concerne la construction de maisons passives. Pourtant, elle a développé un réseau de conseils en architecture organisé suivant le système de découpage du territoire. Il est possible de s’informer sur des questions architecturales auprès d’institutions dédiées à l’information et au conseil. Les zones rurales sont des territoires à « taille humaine ». Nous dira-t-on, le dialogue est facilité dans les très petites communes, les habitants se connaissent en effet davantage que dans une masse urbaine. Les échanges sont donc potentiellement plus simples entre habitants et élus par exemple. Pour autant, la diffusion des informations y est-elle opérante ?

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DUMENIL Georges. (2014). « Vous avez dit « transition » ? », Maisons paysannes de France Patrimoine rural n°194, décembre, Editorial p.1.

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LES CAUE : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement

Les CAUE ont été créés en 1977, institués par la loi sur l’Architecture du 3 janvier de cette même année50. Ces conseils par département sont en fait des associations qui permettent à tout le monde d’avoir accès au conseil gratuit sur toutes les questions d’architecture, d’urbanisme et d’environnement. Ce sont en quelque sorte des relais pluridisciplinaires auprès desquels les gens qui ne sont pas du métier peuvent se renseigner. Le CAUE assure en somme une mission de service public, son fonctionnement diffère légèrement en fonction des départements ou régions. Les CAUE agissent à l’échelle départementale mais peuvent être réunis en une Union Régionale des CAUE (UR.CAUE) régie, elle, par une organisation nationale qu’est la Fédération Nationale (FN.CAUE). La mutualisation des ressources et des techniques contribue à une meilleure efficacité dans les missions (Fig.21).

er

92 CAUE au 1 janvier 2017 ¾ des CAUE agissant dans une UR 1 200 professionnels au service du territoire 51 2 116 administrateurs Fig.21 : Carte des CAUE sur le territoire français. FN des CAUE. (2017). CAUE, Repères et Chiffres clés, [document électronique], juin, p.8

50 51

Rubrique « Qu’est-ce qu’un CAUE », http://www.fncaue.com/quest-ce-qu-un-caue/ FN des CAUE. (2017). CAUE, Repères et Chiffres clés, [document électronique], juin, p.8

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Ces associations, présidées par un élu local, sont financées par : - une part de la taxe départementale sur les permis de construire payée par le contribuable ; - des cotisations et subventions des collectivités territoriales ainsi que des partenariats. D’après les enquêtes menées52, nous pouvons définir le Conseil selon trois niveaux de qualification que sont : un travail en amont de la conception d’un projet ; pas de création venant des conseillers qui ne font pas de maîtrise d’œuvre ; une stratégie du long terme pour comprendre et se projeter dans les enjeux d’un projet. Le CAUE intervient donc en amont de la maîtrise d’œuvre auprès de la maîtrise d’ouvrage. Il s’agit avant tout d’un accompagnement du choix du site, du programme, des matériaux etc... pour définir les besoins et une certaine qualité du cadre de vie. Il accompagne et aide au travail avec des professionnels adaptés à la demande. Le conseil essaie de mener au meilleur projet possible en examinant toutes ses conditions d’émergence et sa viabilité. De plus, Le CAUE porte un engagement militant à la fois pédagogique et prospectif auprès des populations rurales et urbaines. Il s’engage à conduire un cadre exemplaire de projet, dans la gestion d’argent public ou privé, ainsi que dans la qualité d’usage et de fonctionnement après livraison. La posture du conseiller diffère selon qu’il fait face à un particulier, à un élu d’une collectivité locale ou bien encore à un jeune enfant. Toutes les actions menées sont destinées à ces trois cibles aux points de vue et interrogations différents et une approche adaptée est proposée pour chacune de ces actions. Les professionnels travaillant au sein de ce conseil ont un rôle de médiateur/ d’experts notamment sur les conseils aux financements. Dans l’aide aux communes par exemple, il faut avoir un certain pragmatisme budgétaire et réglementaire et une connaissance de l’archi-urbanisme pointu. Encore une fois, le conseil s’adapte à l’interlocuteur et se veut orienté. Aujourd’hui, les CAUE portent leur engagement majeur sur le développement durable. Le E, acronyme d’« Environnement », peut également être la première 52

Propos recueillis par Louise Guais auprès de Benoît Desvaux, Directeur du CAUE de Laval (53), entretien datant du 12.04.2018 et auprès de Delphine Page, Directrice du CAUE de Niort (79), entretien téléphonique datant du 11.04.2018

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lettre du mot « Energie », tout aussi indispensable à la réflexion de la fabrication de ce qui nous entoure, tant dans le paysage bâti que dans le paysage non bâti. Ce conseil a un rôle capital dans la transmission des renseignements relatifs à l’écologie. Le CAUE répond également aux enjeux actuels du développement durable en s’attachant à proposer des formations, à informer et à sensibiliser pour une démocratisation de l’architecture, une meilleure gestion des ressources naturelles et une économie d’énergie croissante. Mais qu’en est-il réellement de leurs actions pour l’architecture écologique ? Est-il si évident d’obtenir du conseil en matière de rénovation en maison passive dans les zones rurales ? Comme dit précédemment, le CAUE a pour objectif d’aider les particuliers à appréhender les nouvelles problématiques environnementales. Encore faut-il aujourd’hui que la demande existe... Comme nous avons pu le constater dans la première partie, la réhabilitation des anciennes bâtisses des milieux ruraux est une des solutions à la conservation et valorisation du patrimoine local ainsi qu’une alternative à la surconsommation des ressources naturelles en nette baisse. Cependant, la réalité du marché rural est telle que nous constatons un très faible intérêt pour cette démarche de réhabilitation écologique. En Mayenne (53), le CAUE estime de 5 à 10%53 la part des réhabilitations écologiques d’anciennes maisons rurales dans son activité de conseil contre environ 10% seulement pour le CAUE des Deux-Sèvres (79)54. Pour ces deux départements déjà très ruraux, en moyenne 90% des habitants demandeurs de conseils viennent des zones rurales ; c’est-à-dire des petites villes ou bourgs qui jalonnent le territoire. Contrairement aux idées reçues, d’après Elodie Vouillon, architecte urbaniste et directrice du CAUE de Gironde, c’est aussi le cas en Gironde55 où la majorité des particuliers qui veulent s’informer viennent des zones plus rurales. La Gironde est un département dynamique qui s’organise principalement autour de la ville de Bordeaux. Même si la métropole influe sur les alentours, les premiers ciblés restent

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Propos recueillis par Louise Guais auprès de Benoît Desvaux, Directeur du CAUE de Laval (53), entretien datant du 12.04.2018 54 Propos recueillis par Louise Guais auprès de Delphine Page, Directrice du CAUE de Niort (79), entretien téléphonique datant du 11.04.2018 55 VOUILLON Elodie, architecte urbaniste et directrice du CAUE de Gironde. (2018). Le CAUE en Gironde, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 06 mars.

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ces habitants excentrés, des campagnes, qui se sentent perdus dans la production de l’environnement à vivre. Malgré l’implantation des CAUE en grande majorité dans les chefs-lieux des départements, la demande provient des zones plus reculées. Malheureusement, nous pouvons observer que l’architecture écologique ne pose pas forcément question auprès de ces populations. Mais alors comment l’information est-elle diffusée jusque dans ces territoires ? Les CAUE mettent en place des permanences en mairie qui organisent des rencontres entre conseillers et maitrise d’ouvrage. Les Communes du département sont le premier relais d’informations des actions du CAUE à travers l’affichage ou l’organisation de réunions d’informations et de discussions. D’autre part, chaque CAUE tient un site internet où y sont relayés leur activité, leurs publications, les renseignements relatifs au conseil ou leurs interventions à la radio locale par exemple. Sur les deux graphiques suivants (Fig.22), nous constatons que la majorité des CAUE en France aménagent avant tout des rendez-vous culturels et informent lors de salons thématiques. L’autre grande part de leur activité sur le terrain est l’action pédagogique auprès du jeune public en milieu scolaire. Quant à la communication des actions et des informations par le biais de publications, le pourcentage de CAUE actifs est moindre. Hors actions menées sur le terrain, la production de plaquettes et l’organisation d’expositions restent cependant les deux principales sources de transmission des informations.

Fig.22 : Actions du CAUE, son implication sur le terrain et la diffusion des informations. FN des CAUE. (2017). CAUE, Repères et Chiffres clés, [document électronique], juin, p.6

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Au travers de nos entretiens56, nous nous sommes aperçus que la priorité des CAUE était bel et bien de faire valoir davantage la rénovation thermique et architecturale des bâtiments anciens en vue d’une mise en valeur du patrimoine local. Simplement, dans les faits, il est encore difficile d’accompagner et d’informer si la demande ou la curiosité ne sont pas présentes. De plus, dans les zones rurales étudiées57, les conseillers y travaillant sont amenés à exercer à la fois une activité au Conseil et une activité professionnelle d’architecte en agence. Leur temps est partagé entre l’architecture et le CAUE ; il a donc été difficile pour moi de décrocher des temps d’échange tant leur agenda est chargé. L’approche écologique de l’architecture en matière de rénovation, en zone rurale, que les CAUE dispensent est riche et complète et tout à fait en adéquation avec les enjeux actuels et notamment ceux de la démarche passive. Toutefois, et sans parler d’architecture écologique, il y a un réel manque dans la communication des actions menées et même dans la diffusion de l’existence d’une telle institution dans le territoire : plus de la moitié des gens interrogés ne savent pas du tout ce qu’est le CAUE (Fig.23).

Fig.23 : Résultat de l’étude menée auprès des habitants des zones rurales. Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018 56

Propos recueillis par Louise Guais auprès de Benoît Desvaux, Directeur du CAUE de Laval (53), entretien datant du 12.04.2018 et auprès de Delphine Page, Directrice du CAUE de Niort (79), entretien téléphonique datant du 11.04.2018 57 La Mayenne (53), les Deux-Sèvres (79)

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Les « architectes conseils », un point d’ancrage du durable en zone rurale

L’architecte dit « architecte conseil » est tout d’abord un des professionnels qui assure le renseignement au sein des CAUE. Il est parfois accompagné de paysagistes, urbanistes, conseillers énergie etc… Il reste le premier acteur à guider les candidats à la construction. Dans la lignée de l’engagement que porte le CAUE, son rôle se cantonne au conseil et à la discussion pour une qualité architecturale optimale. Il n’a absolument pas le droit de faire de la maîtrise d’œuvre : pas de dessin, pas d’idées formelles. Le propre de la mission de conseiller est justement de rediriger les demandeurs vers les maîtrises d’œuvre, artisans ou entreprises compétents. Stéphanie Frobert58, qui tient son agence d’architecture L’Office dans le département rural de la Drôme, tient des permanences de conseil en parallèle de son activité d’architecte : 50 % de son temps, elle conseille, 50 % elle conçoit. Pour elle, les enjeux sont d’abord écologiques, politiques et territoriaux. « Tous les partenaires sont friands d’une expertise d’un architecte »59. Tant dans le domaine du privé que du public, il s’agit d’éclairer la maitrise d’ouvrage. Les consultations régulières qu’elle pratique lui ont permis d’acquérir un certain nombre de compétences relatives au secteur où elle travaille. Aussi, elle est aujourd’hui en capacité de collaborer avec des corps de métier variés afin de proposer une architecture plus adaptée. La médiation, qui est au cœur de son rôle de conseillère architecte, diffuse les qualités de vie et d’usage des constructions attendues à cette nouvelle ère de la transition écologique. Les CAUE informent, forment et sensibilisent. Qu’en est-il alors des architectes qui ont choisi de s’implanter en zone rurale mais qui ne travaillent pas comme architecte conseil ? Pour Claire Archimbaud60, il n’y a pas de doute, l’architecte a essentiellement un rôle de conseiller, c’est une caractéristique primaire du métier. Qu’il travaille en grande ville ou en zone rurale, c’est d’abord un accompagnateur dans la production du cadre bâti.

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FROBERT Stéphanie (L’Office), architecte HMONP dans la Drôme. (2018). Les architectes de campagne, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 12 mars. 59 Ibid. 60 Architecte HMONP à Brioux sur Boutonne (79)

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Et elle insiste, l’architecte en zone rurale crée « l’envie d’architecture » autour de lui et génère cette sensibilité au développement durable. Sans quoi l’activité dans le domaine de la construction architecturale écologique n’émergera pas. « Même si techniquement je n’ai pas encore toutes les cartes en main, il est de mon devoir de sensibiliser les gens à l’architecture écologique ».61 En témoignent les premiers concernés. La quasi-totalité (85%)62 des habitants des zones rurales interrogés au sujet des architectures écologiques pensent avoir absolument besoin de conseils en la matière. Au final, ils ont tous conscience d’en avoir besoin (Fig.24).

Fig.24 : Résultat de l’étude menée auprès des habitants des zones rurales. Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018

Même si exercer en milieu rural demande des sacrifices comme notamment beaucoup de trajets au quotidien, c’est aussi une grande richesse de pouvoir se confronter à la réalité du marché rural qui se veut toujours moins cher. Claire Archimbaud est convaincue qu’il est essentiel de savoir adapter son discours, son vocabulaire en fonction des échanges et de créer un lien d’adhésion avec la 61

Propos recueillis par Louise Guais auprès de Claire Archimbaud, architecte HMONP à Brioux-surBoutonne (79), entretien téléphonique datant du 06.04.2018 62 Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018

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maitrise d’ouvrage. L’architecte se doit de connaître les lois et règlementations en vigueur, de maîtriser l’emboîtement d’échelles du fonctionnement des collectivités locales et territoriales ainsi que leur hiérarchie afin de renseigner au mieux. Le lien peut être un moyen suffisant d’attraction. En cela, Stéphanie Frobert se qualifie elle-même d’« architecte locale »63 aux pratiques très territorialisées. Pour asseoir ses compétences, elle nuance toutefois : « Il faut cultiver la connaissance et la curiosité des autres territoires, être ouvert sur l’ailleurs »64. Le travail d’équipe est intrinsèque à la conception durable, Nicolas Michelin65 en témoigne. Dans les faits et d’après les enquêtes réalisées, les architectes sont convaincus de ce besoin de coproduire tout en restant dans une pratique très territorialisée : le respect du patrimoine et de l’environnement étant des préoccupations bien actuelles.

Quelles limites et quels obstacles aujourd’hui ?

Aujourd’hui, en France, l’économie est régie autour du principe de la libre concurrence. Un ensemble de législations et de règlementations vise à garantir le respect du principe de liberté du commerce et de l’industrie : c’est le libre marché. Dans le domaine de l’architecture, un architecte est dans l’obligation de faire appel à plusieurs entreprises pour un même marché afin de garantir des prix concurrentiels et donc de permettre à la maîtrise d’ouvrage d’avoir le choix. Cette loi de l’offre et de la demande est simple : plus il y a de demandes, plus l’offre est grande, plus les prix baissent. En ce qui concerne la demande de maisons passives en zone rurale, elle est encore trop rare. En conséquence, l’offre professionnelle qui maîtrise la démarche passive ne se développe pas suffisamment. Les entreprises et/ou artisans qui ont les

63

FROBERT Stéphanie (L’Office), Matthieu CORNET (Texus), architectes HMONP dans la Drôme. (2018). Les architectes de campagne, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 12 mars. 64 Ibid. 65 MICHELIN Nicolas. (2006). Avis, Propos sur l’architecture, la ville, l’environnement. Archibooks – Sautereau, Paris, 115 p.

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compétences techniques de cette logique constructive sont peu nombreux dans les milieux ruraux. D’autre part, les avis des habitants des zones rurales sur ce qu’est une maison passive, sont partagés (Fig.25). Une petite majorité des gens que nous avons pu interroger ne savent absolument pas ce que cela veut dire. Pour la plupart des gens qui en connaissent quelques notions, soit l’idée d’une maison passive reste floue et se résume à la non-nécessité de chauffage, soit la notion de maison autonome vient se greffer à leur définition du passif et fausse alors la réelle signification de cette démarche.

Fig.25 : Résultat de l’étude menée auprès des habitants des zones rurales. Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018

D’où proviennent les connaissances des personnes au fait de la démarche passive ? Selon l’enquête que nous avons réalisée66 : . Pour l’un d’eux, son emploi comme responsable qualité dans la plasturgie lui vient de ses études dans le chauffage et la climatisation, il a donc grandement abordé ces aspects de la construction. . Un autre, directeur d’une Fromagerie en zone rurale, s’attache au quotidien à faire que son usine soit la plus passive possible en suivant la démarche RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) : dans la même dynamique que l’architecture passive répond aux problématiques du développement durable, la

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Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018

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RSE regroupe l’ensemble des pratiques mises en œuvre pour répondre aux grands principes du développement durable. . Une dame, qui travaille en Mairie aux Services techniques du pôle urbanisme d’une petite commune de 7300 habitants, nous a parlé d’un reportage sur France 5 qui abordait cette notion de maison passive au travers des énergies renouvelables et des alternatives au chauffage. Aucun, sur les 28 personnes rencontrées, ne nous a parlé du CAUE comme source d’information ou de communication à ce sujet. Nous pouvons alors constater que le manque de connaissances sur ces nouvelles architectures par les habitants des milieux ruraux est tel que même les acteurs principaux de la diffusion d’information ne sont pas connus ou reconnus. Par ailleurs, de la même façon que l’on rationnalise les réseaux dans le territoire, il serait presque indispensable de concevoir la maison rurale voire l’architecture au sens large, à travers une approche multi-pluri-disciplinaire. Un architecte se doit de travailler en concomitance avec des ingénieurs, des paysagistes, des urbanistes, des artisans etc. Tous les acteurs d’un projet sont à impliquer de la même façon face aux enjeux majeurs que sont la transition écologique et le respect patrimonial du territoire rural. Multiplier les savoir-faire pour un seul et même projet permet de répondre aux mieux aux problématiques actuelles. Malheureusement, dans les faits, peu de projets ont un budget suffisant pour permettre des croisements de savoir-faire : on manque parfois, pour les projets de petite ampleur, de moyens financiers. L’idée est d’arriver à faire ensemble en amont pour atteindre une cohésion dans un projet. Cet équilibre est encore à trouver. En outre, les architectes évoquent quelques inconvénients à exercer en zone rurale. Le fait d’être seul face aux réglementations et toutes ses institutions requiert une certaine connaissance du sujet et des prises de risques dans les prises de décisions. Cet aspect constitue également un frein à la diffusion de ces nouvelles architectures en zone rurale. D’autant plus qu’aujourd’hui, il n’existe pas de formation spécifique dédiée aux activités de conseil, de médiation pour les architectes67. 67

Matthieu CORNET (Texus), architecte HMONP dans la Drôme. (2018). Les architectes de campagne, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 12 mars.

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2. Vers une (re-)valorisation d’un patrimoine local ?

L’implication des institutions pour la transition écologique en architecture

La prise de conscience de la surconsommation d’énergie dans le secteur du bâtiment a pris effet il y a maintenant quelques années. En France, l’Etat ne propose pas directement d’aides financières relatives à la performance énergétique. En revanche, les régions et collectivités locales prennent le relais et accordent des soutiens financiers pour la construction de bâtiments passifs ou aux propriétaires qui souhaitent adapter les performances énergétiques de bâtiments (qu’ils soient neufs ou à réhabiliter). Ces aides et subventions ont donc été mises en place dans une dynamique de transition écologique et de développement durable pour concorder avec les règlementations de la RT 2012. Présentées comme des primes à l’encouragement, elles ont vocation à encourager les adaptations énergétiques des bâtiments afin de répondre aux nouvelles règlementations en vigueur. Ces aides sont recensées sur le site de l’Association Effinergie 68 entre autres. Depuis 2005, un Crédit d’Impôt pour la Transition Energétique (CITE) est accordé pour l’installation d’équipements (uniquement labellisés) induisant une baisse notoire de la consommation d’énergie dans un logement neuf ou ancien à rénover. Ce crédit d’impôt revient à une déduction sur l’impôt sur le revenu. L’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) et l’ANAH (Agence NAtionale de l’Habitat) se sont aussi appuyées sur cette méthode de crédits d’impôts dans leur système d’aides aux particuliers. Il y a pourtant bien une limite à ce service de crédit. Les bénéficiaires doivent investir dans un équipement tout en étant dans l’incertitude de se faire un jour rembourser. Une fois l’équipement installé, il faut parfois attendre jusqu’à deux ans pour prouver l’efficience du matériel sans pour autant être sûr que l’économie d’énergie sera réelle.

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BOULANGER Vincent, VYE Julien. (2016). « La maison du 21 siècle : passive et positive », La Maison Ecologique n°93, juin-juillet, Dossier p.38

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En plus de ce crédit d’impôt, le Grenelle de l’Environnement a instauré d’autres programmes pour aider aux financements de projets (Fig.26). Jusqu’au 31 décembre 2018, il existe par exemple un éco-prêt à taux zéro, sans condition de ressources. De même, la TVA à taux réduit permet de passer de 10 %, taux habituellement appliqué aux travaux de rénovation, à 5,5 % pour des travaux d’amélioration de performance énergétique. Le programme Habiter mieux Sérénité de l’ANAH est un accompagnement conseil et offre des aides financières lorsque les travaux prévus sont capables d’apporter un gain énergétique d’au moins 25%. Depuis peu, l’ANAH a également mis en place le programme Habiter mieux Agilité, une aide pouvant atteindre jusqu’à 10 000 € dans le remplacement du mode de chauffage, l’isolation des combles ou des murs.

Fig.26 : Tableau récapitulatif des aides proposées et de leur possible cumul. ADEME. (2018). Aides Financières 2018, Pour des travaux de rénovation énergétique des logements existants, [document électronique], Clés pour agir, janvier, p.30

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Pour la plupart, ces aides sont calculées en fonction des revenus et avis d’imposition des demandeurs mais parfois, ces primes Energie sont sans limite de revenu et dépendent de l’âge du logement à rénover ou des travaux à effectuer. Les aides ne sont attribuées que si le maître d’ouvrage choisit de travailler avec une entreprise, labellisée de surcroît. Tout choix de travailler ou rénover en autoconstruction empêche l’accès à ces aides. Les professionnels qui interviennent dans le cas d’une prime Energie sont dits « RGE », Reconnus Garants de l’Environnement pour toute rénovation énergétique. Pour l’Etat, cela permet de maîtriser les coûts et la qualité de la mise en œuvre tout en professionnalisant la filière de rénovation énergétique dans le bâtiment. Malgré les nombreuses aides proposées, la rénovation énergétique reste très compliquée pour les particuliers. En effet, chaque type de travaux (le remplacement de la chaudière ou du système de chauffage, l’isolation etc.) a un label associé et de ce fait, un label correspond à une aide différentielle. Le panel trop vaste de ces aides empêche la visibilité des programmes mis en œuvre. D’autant plus que ces aides ne prennent en compte que l’équipement et non la rénovation complète d’une maison. La maison passive, qui répond en tout point à la RT 2012, demande à la maitrise d’ouvrage un investissement élevé dans la construction et dans l’achat des matériaux mais également dans ses équipements énergétiques tels que les panneaux solaires notamment. Cependant, les actuelles subventions concernent en grande majorité des systèmes de chaudière ou chauffage de l’eau sanitaire. Le propre de la maison passive est justement d’éviter tout système de chauffage dans la conception du projet. Pour ce qui est des autres équipements aux performances énergétiques accrues, « [les aides] sont trop faibles pour inciter les gens à construire vert. Elles sont vite plafonnées quand il s’agit de construire une maison passive »69. Il y a là une contradiction entre un désir d’encourager à construire (ou réhabiliter) plus propre et pousser à concevoir en suivant le standard passif ; et ces aides proposées, limitées aux équipements, qui ne sont pas en adéquation avec la démarche passive. 69

KAROLYI Elisabeth. (2009). « Les clés de la maison passive », Architecture à vivre n°46, janvierfévrier, Dossier p.106

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Evolution des pratiques architecturales : de nouveaux champs à investir Présentement, à l’heure du fait soi-même et de l’engouement pour le « bio » hérité de la période hippie et révolutionnaire des années 1960, nous remarquons un retour à ces modes de penser. Il y a, dans la production en générale, une relocalisation de l’économie. Les liens entre producteurs et acheteurs sont plus directs et s’acheminent vers une totale suppression des intermédiaires pour plus de transparence sur la production et la qualité des produits et une rémunération plus adéquate des producteurs locaux. Dans le domaine de l’architecture et de la construction, les pratiques vont de plus en plus dans ce sens. Un effort s’opère dans la baisse de l’utilisation des transports de matériaux, dans la transmission des savoir-faire propres à chaque région appliqués aux techniques constructives employées. Le projet fait sens avec et pour le territoire à l’aide d’engagements bénévoles et d’une démarche participative grandissants. Cette évolution manifeste de l’économie qui s’apparente à un retour à une attitude presque ancienne, plus locale, suit la tendance conduite par le développement durable et il s’agit de l’intégrer et de l’amplifier. A la question « pensez-vous qu’il est important de construire / réhabiliter écologique aujourd’hui ? », 90 % des gens interrogés répondent « oui absolument ».70 L’engouement au développement durable et la considération du patrimoine sont donc bien présents. (Se référer à l’annexe n°6 : Les enjeux à la réhabilitation écologique d’après les habitants ruraux). Dans le même temps, en parallèle de ce retour à la petite échelle, la territorialisation rationnalisée de la France entraîne une diminution du nombre des services publics et une centralisation des pouvoirs publics dans les grands pôles. L’emboîtement d’échelles entre les agglomérations urbaines et les communes rurales est pourtant essentiel au bon fonctionnement du territoire. Les communautés de communes permettent aux plus petites communes de se dynamiser. Comment réussir à associer économie locale et politique nationale ? De même, comment rationnaliser l’architecture écologique à l’échelle nationale en préservant chaque terroir local ?

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Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018

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De nouvelles perspectives s’ouvrent aujourd’hui, les rapports entre maitrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage changent71 et cela malgré les (ou grâce aux) règlementations accrues qui complexifient le métier d’architecte. Sans doute est-il essentiel de continuer à élargir les échanges auprès des plus jeunes, des habitants, pour démocratiser l’architecture écologique, économique notamment. La dimension énergétique qui prend à partie tous les champs de recherche pousse à aller au-delà d’une tentation à l’hyperspécialisation observée : de nos jours, un diplôme n’est plus suffisant pour travailler, il faut se spécialiser et se réorienter de nouveau. Mais le pluridisciplinaire est grandement à valoriser.

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Propos recueillis par Louise Guais auprès de Claire Archimbaud, architecte HMONP à Brioux-surBoutonne (79), entretien téléphonique datant du 06.04.2018

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B. Deux réalités mises en œuvre aujourd’hui

Afin de mieux comprendre la réalité du marché des maisons passives en zone rurale, nous avons choisi d’étudier deux projets de réhabilitation d’anciennes bâtisses rurales traditionnelles françaises, chacun porté par le souhait initial de s’approcher au plus près du label passif. Les deux exemples de réhabilitation choisis se situent dans deux zones rurales bien distinctes à la fois dans leur fonctionnement administratif d’une part et dans leur rapport à l’architecture locale, en somme, leur identité culturelle d’autre part. Au travers d’entretiens, de rencontres, de travail sur le terrain et d’analyse pragmatique de la conception architecturale, nous allons éclaircir les motivations des maîtrises d’œuvre à se diriger vers le passif, leur démarche constructive ainsi que les difficultés et les freins à ces rénovations écologiques.

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La Moisière : Réhabilitation d’un ancien corps de Ferme 53950 LA CHAPELLE-ANTHENAISE

Fig.27 : Plan de situation du projet de La Moisière, en Mayenne (53). Sources : Google Maps

Ce premier exemple de réhabilitation se situe en Mayenne, au cœur des Pays de la Loire (Fig.27). Ce département est le moins peuplé de cette région avec seulement trois villes de plus de 10 000 habitants dont Laval, le chef-lieu. Après l’exode rural marqué du XXe siècle, l’économie mayennaise se réoriente surtout dans la production laitière et l’agro-alimentaire. Sur tout le territoire, seuls 7,9 % correspondent à de l’espace urbanisé contre 79,0 % 72 à des espaces agricoles. Le reste est composé de forêts ou autres bocages naturels. Au carrefour des routes reliant la Bretagne à Paris et la Normandie à la LoireAtlantique, c’est un territoire à enjeux, comme la préservation de son patrimoine local et de ses richesses en ressources naturelles. Le projet étudié s’implante à quelques kilomètres de Laval, dans un ancien corps de ferme composé de quatre bâtiments. Seulement l’un d’entre eux est réhabilité en maison d’habitation. Cette ferme n’a plus été en activité ni habitée depuis 10 ans avant que les nouveaux propriétaires n’arrivent pour la rénover. Le programme souhaité dans ce projet se définit par une rénovation de l’un des bâtiments existants ainsi que d’une extension agrandissant la surface habitable. 72

COLLECTIF. (2009). Le contexte Mayennais, [document électronique], Préfecture de la Mayenne, p.6

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La Mouline : Rénovation et extension d’une ancienne longère 79370 CELLES-SUR-BELLE

Fig.28 : Plan de situation du projet de La Mouline, en Deux-Sèvres (79). Sources : Google Maps

Ce deuxième exemple se trouve aux confins des Deux-Sèvres, département de l’ancienne région Poitou-Charentes aujourd’hui appelée Nouvelle Aquitaine (Fig.28). Ce département moyennement peuplé ne compte que cinq villes de plus de 10 000 habitants, en revanche, le réseau de villes moyennes est nettement plus important qu’en Mayenne par exemple. On compte un peu plus de la moitié de la population comme urbaine. Ce territoire est pourtant à 88 % 73 composé de terres agricoles, principalement des terres d’élevage ou des prairies. Les Deux-Sèvres, à la croisée de villes moyennes actives économiquement et démographiquement telles que Niort, Poitiers et Angoulême, se caractérise par une architecture typique de vieilles pierres et un patrimoine riche. Le projet étudié se situe à quelques kilomètres de Melle, ville moyenne du département et s’implante dans le lieu-dit de La Mouline, rattaché à la commune de Celles-sur-Belle. Celles-sur-Belle a récemment décidé de lancer une étude d’AVAP74 (Aire de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine) qui se substitue à l’étude des ZPPAUP (Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager). 73

Chiffes de l’INSEE ANTAK – architectes du Patrimoine. (2014). Rapport de présentation des objectifs de l’AVAP, Diagnostic architectural, patrimonial et environnemental, [document électronique], Commune de Celles-sur-Belle, Deux-Sèvres, 163 p. 74

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Cette demande a été approuvée le 12 juillet 2016. En conséquence, la commune et les territoires annexes sont concernés par cette démarche de mise en valeur du patrimoine qui intègre également les objectifs du développement durable. Le programme souhaité dans ce projet atypique se définit par une rénovation de l’existant afin d’y installer les pièces de vie principales et par une extension. Lors de mon stage de Master 1, ce projet m’a été confié en tout début de conception et j’ai pu appréhender la question du passif en rénovation au travers d’une approche très concrète. Aujourd’hui, ce projet n’a pas encore vu le jour, les travaux ont seulement débuté.

1. Deux niveaux de mise en œuvre de la démarche passive

En amont du projet : le corps de ferme en Mayenne

La particularité de ce projet tient dans son déroulé de mise en œuvre. La maîtrise d’ouvrage, qui se trouve être aussi maîtrise d’œuvre de métier (non architecte) voulait dans un premier temps réhabiliter ce corps de ferme en maison passive. Elle a alors entrepris des recherches concernant ce label et tout ce que cela implique en termes d’architecture et d’investissements financiers. Très rapidement, les propriétaires se sont confrontés aux nombreuses contraintes que cela implique et se sont ravisés sur une architecture écologique, respectueuse de son patrimoine, de son environnement qui reste toutefois dans une logique de développement durable, respectant ainsi les standards exigés par la RT 2012. Pour ce faire, ils se sont dirigés vers des associations variées qui guident l’achat d’équipements énergétiques durables, qui aident à leur financement ou tout simplement qui conseillent en fonction des besoins du projet.

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En Mayenne, Synergies et SOliHA75 (Solidaires pour l’Habitat) sont deux associations qui ont vocation à « encourager la prise de conscience des acteurs locaux *…+ de l’urgence d’agir face au contexte climatique. » 76 Conventionnées à l’ADEME, elles prennent le relais dans ce département rural des moyens de conseil, d’accompagnement des acteurs de la production du bâti avec un espace Info Energie qui leur est dédié.

Pendant la conception : la maison rurale en Deux-Sèvres

La force de ce projet a sans doute été sa conception croisée entre plusieurs corps de métiers et de concepteurs. Tout au long de la conception, les attentes passives, même abandonnées à cause de grandes difficultés, ont guidé le dessin du projet (Fig.29), le choix des matériaux, la mise en œuvre, et la réhabilitation de l’existant. Cela n’a pas empêché tous les acteurs du projet de s’attacher à suivre les exigences de ce type d’architecture écologique.

Fig.29 : Image de synthèse du projet – Réhabilitation de La Mouline. Claire Archimbaud Architecte, 2018

75 76

https://www.soliha.fr/grand-public/rehabilitation-accompagnee-particuliers/ http://www.synergies53.fr/maitrise_energetique_association_sa-raison-d-etre.phtml

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Le processus de conception s’est donc vu guidé par la démarche passive et la réponse aux problématiques de développement durable. Dans ce cas précis, c’est la maîtrise d’ouvrage qui est à l’origine de la demande de la démarche passive. L’extension prévue ne devait pas dépasser une certaine surface habitable (60 m²) d’après le PLU (Plan Local d’Urbanisme), alors que le programme souhaité était très demandeur d’espace et ambitieux. En effet, la surface de la dépendance en contrebas est aussi prise en compte dans la surface habitée existante et l’exigence est telle que l’extension ne doit pas dépasser un tiers de la surface existante, soit un tiers de 180 m². La maison traditionnelle existante n’est pas vraiment baignée de lumière en raison de son exposition est-ouest et du fait qu’elle soit légèrement en contrebas de la route adjacente. Il a donc été difficile d’inclure dans le projet une lumière directe, apport naturel de chaleur dans la maison passive, tout en conservant la façade sud initiale. La dépendance, qui se trouve un peu plus bas dans la vallée, voulait être conservée par les clients. Il a donc fallu trouver une solution pour l’inclure dans le projet, et structurellement et dans l’organisation spatiale. Le nivellement existant de la parcelle (Fig.30) a été exploité de façon à créer des espaces distincts mais ouverts, qui permettent un apport de lumière suffisamment conséquent. Toutefois, cette pente a empêché une compacité totale de la maison, caractéristique fondamentale de la maison passive pour une bonne inertie thermique et donc un confort maximum.

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Fig.30 : Plan topographique de l’existant. Philippe PACAUD, Géomètre-Expert, avril 2017

Les principales évolutions dans ce projet, l’extension neuve totalement passive mise à part, ont été nombreuses pour tendre vers les performances énergétiques suffisantes et pour proposer un espace de vie confortable. Le travail sur la charpente et la couverture (Fig.31) a été indispensable au réaménagement de l’espace de vie principal. Un nouveau chevron porteur et de nouvelles pannes sont mis en place pour ouvrir le grand mur central existant. Premièrement la toiture est entièrement refaite pour une enveloppe parfaitement étanche à l’air. Deuxièmement, cela permet d’ouvrir un grand espace de vie sur une large ouverture orientée Sud et limiter l’utilisation de chauffage.

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Fig.31 : Schémas d’intention, Travail sur la couverture. Louise Guais, juin 2017

Au travers de croquis, de l’analyse du site, de plans et coupes, d’une maquette, de manipulations de la matière, de croisements d’idées avec différents protagonistes, la complexité du site -ses dépendances en pierres, ses différences de niveaux de dalles, sa végétation- et la complexité du label passif ont été au mieux intégrées dans la conception de ce projet de réhabilitation tout en ne parvenant pas totalement à atteindre l’exigence passive.

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2. La conservation d’un patrimoine local à l’origine du projet

La Moisière (en Mayenne), une configuration spatiale du XIXe siècle Le plus ancien des quatre bâtiments qui composent la ferme date de la seconde moitié du XIXe siècle. Celui qui est réhabilité en maison d’habitation est un peu plus récent et date du début des années 1900 (Fig.32). Ce dernier a été étendu de part et d’autre par deux petites annexes en parpaings qui datent toutes deux des années 1970. La bâtisse principale est en vieilles pierres, ses murs font 80 centimètres d’épaisseurs.

Fig.32 : Photo de la façade Sud du bâtiment principal à réhabiliter. © Maîtrise d’ouvrage, juin 2013

Dans cette zone de la Mayenne, le PLU autorise une extension d’une surface maximale à hauteur de 50 % de la surface existante. La maîtrise d’ouvrage a souhaité conserver au maximum les atouts de l’ancien et ses proportions tout en incluant des aspects plus modernes de confort thermique, de performance énergétique et d’esthétisme. La configuration de la maison existante est typique de ces années 1900 à savoir qu’elle observe des différences de niveaux entre les pièces qui ne facilitent pas la

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distribution globale des usages ; des hauteurs sous plafond qui diffèrent entre les pièces, 3 mètres pour le salon existant et 2,50 mètres dans la cuisine. Sans pour autant altérer l’esthétique du corps de ferme typique mayennais, la maitrise d’ouvrage tenait à rationnaliser la distribution des espaces et optimiser les performances énergétiques. Pour ce faire, elle a choisi d’encaisser la dalle de 50 cm pour égaliser le niveau du rez-de-chaussée et ainsi homogénéiser le sol fini. L’étage, lui, a été totalement détruit et refait à neuf, permettant d’obtenir une hauteur sous plafond correcte pour chaque niveau et une ventilation naturelle plus efficiente. De même, sans toucher aux murs porteurs existants, l’organisation spatiale interne a été repensée entièrement pour exposer les pièces de vie telles que le séjour et sa terrasse au Sud (Fig.33). Ainsi les occupants peuvent profiter d’un confort d’éclairage optimal et cela assure également un chauffage naturel tout au long de l’année.

Fig.33 : Photo du projet réalisé, séjour et terrasse orientés au Sud. © Maîtrise d’ouvrage, septembre 2015

La conservation des murs en pierre est primordiale à la maîtrise d’ouvrage pour leur souhait de préservation du patrimoine local. Elle permet aussi, lorsque c’est utilisé à bon escient, de fournir une bonne inertie à la maison. Cependant, cela constitue une contrainte majeure dans la conception architecturale, avec laquelle il faut composer au mieux. Pour ce faire, les murs en pierre ont été totalement retravaillés côté sud avec des ouvertures agrandies (une grande baie toute hauteur 86 |


a été installée permettant l’entrée de la lumière), restaurés puis isolés par l’intérieur, les pierres apparentes intérieures disparaissant inévitablement. Dans ce travail complexe d’une conception passive, ou dans ce cas, qui essaie de s’en approcher, la valorisation et le respect des éléments architecturaux vernaculaires peuvent s’essouffler dès lors qu’ils ne sont pas en adéquation avec l’économie maximale d’énergie dans leur forme, leur matérialité, leur orientation ou bien même leur adaptabilité rigide.

La Mouline (dans les Deux-Sèvres), un habitat isolé en zone protégée

Cette commande est d’autant plus intéressante qu’il s’agit de faire tendre le projet le plus possible vers la maison passive tout en conservant au maximum l’existant. Dans la logique de cette démarche du respect du patrimoine de la commune de Celles-sur-Belle, le projet s’inscrit en pleine zone naturelle protégée, Natura 2000, les bâtiments existants se trouvant dans un secteur d’habitat isolé en zone naturelle protégée77. La parcelle est entourée d’espaces boisés classés et est composée d’éléments du petit patrimoine, à prendre en compte dans la conception du projet. Cette maison ancienne en pierres se situe dans un petit village en surplomb de la vallée, située en haut d’un cours d’eau. La parcelle est particulièrement pentue depuis le point haut, implantation de la maison, et le point le plus bas qu’est le cours d’eau. Ce secteur est alors soumis au risque inondation, étant donné que la Belle, petit cours d’eau, est susceptible de sortir de son lit en cas de crue importante. De plus, le chemin d’accès à la maison est inscrit au PDIPR (Plan Départemental des Itinéraires de Promenades et de Randonnées) qui garantit l’état et la continuité des chemins ruraux et il est donc difficile d’accès par les transporteurs, entreprises acteurs à part entière du projet (Fig.34).

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Commune de Celles-sur-Belle. (2012). PLU, Zonage 1/5000, pièce n°4.1 Nord, [document électronique], juin.

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Fig.34 : Parcelle de la Mouline d’après le PLU Commune de Celles-sur-Belle. (2012). PLU, Zonage 1/5000, pièce n°4.1 Nord, [document électronique], juin, extrait de plan

Du fait d’un terrain en zone protégée, il existe des contraintes environnementales strictes et des contraintes constructives par rapport aux façades d’abord, et à la hauteur du bâti ensuite. Toutes ces règlementations, inscrites dans le PLU local induisent une conception tout à fait unique. Par rapport à l’alignement de la voie, le bâtiment projeté peut s’aligner avec la bâtisse existante ou bien prendre 5 mètres de recul par rapport à celui-ci. La hauteur du bâti projeté ne peut dépasser les 4,5 mètres à partir du point le plus bas de l’implantation de l’existant. Si toutefois le projet comprenait un garage, ce dernier ne devrait pas excéder les 30m² supplémentaires et se trouver à moins de 20 mètres de l’implantation de l’existant.

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Encore une fois, la ligne directrice du projet est de ne pas entacher le lieu, il s’agit de s’insérer au plus dans l’environnement et dans ce paysage protégé. La réhabilitation avait pour objectif premier de respecter l’habitat traditionnel (Fig.35).

Fig.35 : Photo de l’existant en façade Ouest. © Louise Guais, avril 2017

Bien évidemment, la transformation de cette maison en habitat voulant tendre vers le passif a néanmoins impliqué certaines concessions quant à la préservation de tous les aspects vernaculaires de la construction d’un côté, mais aussi quant au strict respect des attentes passives. Toutes ces différentes variables qui rentrent en ligne de compte sont difficiles à conjuguer dans un projet passif. Le PLU limitant nettement la marge de manœuvre dans le projet ainsi que le souhait absolu de respecter l’âme du lieu ont eu raison du label passif, trop exigeant pour un cas de réhabilitation comme celui-ci. Sans pour autant abandonner l’idée d’une maison passive, la maîtrise d’ouvrage a choisi de ne pas se faire labelliser mais a toutefois tout mis en œuvre pour améliorer les performances énergétiques du projet.

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3. Une conception architecturale pluridisciplinaire

La Moisière (en Mayenne), des savoir-faire pour un projet

Dans cet exemple de réhabilitation, la maîtrise d’œuvre n’a pas fait appel à un architecte. En revanche, le propriétaire étant lui-même maître d’œuvre a su concevoir le projet dans une démarche globale et locale. La collaboration de différents corps de métiers vient nourrir le projet à la fois par les techniques constructives locales apportées par chaque artisan appelé, mais aussi par une démarche participative. Le flux des ressources est, dans la mesure du possible, resté interne à la localité, ce que l’on pourra qualifier de circuit court. Un circuit court est une relation transparente entre plusieurs acteurs de l’économie obéissant à 4 critères incontournables : - la création de liens sociaux et de coopération, - l’équité dans les échanges financiers, - une approche participative, - une logique pédagogique.78 En ce qui concerne le travail de la charpente, le propriétaire a fait appel à un charpentier de Laval, qui l’a totalement refaite à neuf pour une meilleure étanchéité à l’air et une isolation thermique accrue. Les extérieurs ont été dessinés par un paysagiste local également, dans un respect de l’esprit des corps de ferme, avec une cour centrale et des cheminements qui desservent les différents bâtiments. Comme dit précédemment, la maîtrise d’ouvrage a très rapidement abandonné l’acquisition du label passif en raison des contraintes spatiales et financières surtout. Mais elle a poursuivi dans une optique écologique en concevant, avec les moyens à disposition, une maison respectueuse de son environnement. Pour aboutir cette idée de l’architecture écologique, le projet est scindé en deux entités, reliées entre elles par un sas en verre (Fig.36). La maîtrise d’ouvrage, qui de nouveau a dynamisé l’économie locale, a fait appel à un professionnel pour la poser. Cette verrière, qui fait office d’espace tampon entre l’extension et le séjour, 78

Définition d’après le Labo de L’économie Sociale et Solidaire (ESS)

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facilite la ventilation de l’habitation et apporte aussi de la lumière intelligemment à l’aide des protections solaires qui y sont intégrées.

Fig.36 : Photo de la façade Nord du projet réalisé, deux entités liées par un sas vitré. © Maîtrise d’ouvrage, septembre 2015

Pour cette extension (Fig.37), les menuisiers ont posé des parois à ossature bois, isolées en laine de bois, matériau léger avec une bonne inertie thermique. En toiture ont été installés des toits plats végétalisés au Nord comme au Sud qui assurent une température intérieure constante et confortable.

Fig.37 : Photo de la façade Sud du projet réalisé, extension avec toit végétalisé. © Maîtrise d’ouvrage, septembre 2015

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La Mouline (dans les Deux-Sèvres), une conception intégrée79

En raison de la situation topographique particulière de l’ancienne longère, un rendez-vous à la Mairie de Celles-sur-Belle a été organisé entre l’architecte et la responsable du pôle urbanisme pour discuter du règlement du PLU propre à cette parcelle. Cette réunion a permis à l’architecte d’avoir toutes les connaissances exactes de ce qui lui est permis de faire dans les modifications. Un géomètre est également intervenu pour proposer à l’architecte un relevé de terrain juste et précis. En parallèle du travail avec l’architecte, la maîtrise d’ouvrage a également fait appel à l’Atelier K, architectes d’intérieur et Scénographes ayant leur agence sur Paris. Ce choix « pas très local », exception faite à la règle du circuit court, est dû aux origines de ces architectes d’intérieurs qui viennent de cette même région et qui connaissaient déjà la maîtrise d’ouvrage. C’est d’autant plus enrichissant que cela implique de travailler à une autre échelle d’architecture qui s’attarde sur le mode de vie et les usages des clients au quotidien. Il s’est organisé plusieurs rendez-vous avec l’Atelier K, où se sont déroulés des échanges d’idées. Le souhait de la maison « la plus passive possible » est le fil conducteur du projet. Une rencontre avec un ingénieur du bâtiment spécialisé dans les maisons passives a alors également été de mise afin, une nouvelle fois, de travailler en concomitance pour faire évoluer le projet vers cette question de la durabilité. Les recommandations pour une maison passive sur de l’existant sont très complexes et nombreuses. Le souhait de conserver l’âme et les matériaux du déjà-là complique considérablement la réhabilitation en passif. Dans l’idéal, les murs doivent être isolés entièrement et il est difficile de conserver à la fois les pierres apparentes en extérieur et en intérieur et de gagner de l’espace au sol. Il a donc été plus facile d’appliquer ces règlementations à l’extension, neuve et donc tout à fait adaptable. Ces rencontres et ce travail de groupe ont enrichi la réhabilitation tant sur le plan écologique et confortable du projet que sur le plan de la conception purement 79

MICHELIN Nicolas. (2006). Avis, Propos sur l’architecture, la ville, l’environnement. Archibooks – Sautereau, Paris, 115 p.109

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architecturale. Les échéances régulières des réunions avec les quatre protagonistes du projet, que sont l’architecte HMONP, l’ingénieur dans le bâtiment, les architectes d’intérieur et la maîtrise d’ouvrage, ont permis d’atteindre au maximum les attentes de départ.

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C. Le passif, trop compliqué pour les campagnes ?

Comme montré précédemment, ces réhabilitations sont des exemples parfaits pour montrer les difficultés à rénover passif. Il n’est pas impossible de le faire et d’atteindre les performances énergétiques d’une maison passive neuve mais il s’agit de rénovations souvent très lourdes et très coûteuses. Malgré le fait que l’institut Passivhaus80 ait décidé d’adapter et de baisser son niveau d’exigence aux réhabilitations en créant le label Enerphit81 en 2013 (les besoins en chauffage et l’étanchéité à l’air sont moins drastiques), il est encore rare de savoir conjuguer un total respect patrimonial au label passif (Fig.38). Fig.38 : Label passif en rénovation http://www.lamaisonpassive.fr/labellisation-batiment-passif-ou-enerphit/

Aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises compétentes en matière de techniques constructives locales dans les zones rurales. Le territoire rural possède des compétences riches et un savoir-faire propre. Aussi faut-il savoir orienter les projets en fonction de ces techniques connues et des nouvelles orientations durables. Dans ces territoires à fort potentiel architectural, le danger majeur est de se laisser manger par la force du patrimoine. Il arrive que la protection du patrimoine et la conservation de l’architecture vernaculaire l’emporte sur la prise en compte de la conception passive et durable. Certaines règlementations inhibent le processus de conception passive : il est indispensable de savoir s’adapter et de jongler entre les techniques constructives et la prise en compte du patrimoine local dans la pensée architecturale. Inversement, il ne faut pas non plus construire passif au détriment du patrimoine. Encore une fois, il s’agit de construire autrement en priorisant les actions de l’homme sur l’environnement bâti.

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Institut, implanté en d’Allemagne, qui a donné son nom au concept de maison passive. e BOULANGER Vincent, VYE Julien. (2016). « La maison du 21 siècle : passive et positive », La Maison Ecologique n°93, juin-juillet, Dossier p.36 81

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Une empreinte écologique et une rentabilité économique encore incertaines

Les préconçus sur les bâtiments passifs ou même écologiques sont encore très présents en France ; ils sont considérés comme des bâtiments inaccessibles, trop techniques, trop chers et qui nécessitent des équipements pour l’instant mal perçus et peu répandus. Ce qui est avéré à l’heure actuelle, c’est que la maison passive, bien qu’en symbiose avec son proche environnement dans sa conception et dans sa faible consommation en énergie, a un poids en énergie grise beaucoup plus lourd que dans une construction classique (Fig.39). L’énergie grise (renouvelable ou non) correspond à l’énergie nécessaire à la fabrication des matériaux, leur élimination en fin de vie mais également à l’énergie indispensable à la construction et déconstruction du bâtiment passif82. Autrement dit, l’utilisation de matériaux en grande quantité, le coût du transport et tout autre variable de coût de production d’une maison passive constitue le point noir de cette démarche.

Fig.39 : Rapport énergie grise/énergie d’exploitation en fonction du type d’habitat. http://www.lamaisonpassive.be/preliminaires 82

CHAUVET Camille. (2009). Sous la direction de Christian MARENNE, Maisons passives et Architecture durable, Mémoire de Master 2, ENSAP, Bordeaux, p.49

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Jean-Christophe Visier, directeur du département Energie, Santé, Environnement du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) se questionne sur le devenir de ce label passif. « La question en discussion est de savoir jusqu’où sera relevée l’exigence de performance énergétique »83 La prochaine règlementation thermique de 2020 devrait aborder deux niveaux de performance énergétique distincts : la consommation d’énergie primaire (comme c’est déjà le cas dans la RT 2012) d’une part ; la production d’énergie grise calculée selon le cycle de vie du bâtiment d’autre part84. En parallèle de ces questionnements d’impacts environnementaux sur le long terme, la maison passive induit l’utilisation d’équipements et de matériaux chers à l’achat, dont on ne sait pas encore si leur pérennité est avérée. Les panneaux photovoltaïques par exemple ont une durée de vie relativement courte d’environ 15 ans : à peine rentabilisés financièrement, il s’agit déjà de les changer. La question est de savoir si la démarche globale du passif se suffit à elle-même quant à son confort de vie et ses économies d’énergie au quotidien. L’adaptabilité et la flexibilité de ce processus dans le temps seront donc à l’avenir une préoccupation majeure de cette réponse au développement durable.

Une alternative à la maison passive en zone rurale : l’auto-construction

Nous avons pu constater que les difficultés à réhabiliter des anciennes maisons rurales en maisons passives sont multiples. Le label se montre trop exigeant à l’égard de l’existant et les aides aux financements associés sont encore maigres et mal adaptées. D’autant plus que les savoir-faire locaux, bien que savants, ne répondent pas nécessairement aux attendus du label passif. Est-ce alors la seule réponse architecturale possible aux problématiques environnementales dans ces zones rurales ? Comment améliorer son habitat d’un

83

e

BOULANGER Vincent, VYE Julien. (2016). « La maison du 21 siècle : passive et positive », La Maison Ecologique n°93, juin-juillet, Dossier p.38 84 Ibid.

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point de vue du confort de vie tout en préservant son milieu et en perfectionnant ses performances énergétiques ? Aujourd’hui, il existe, dans la famille des architectures écologiques, des architectures alternatives à la maison passive. Certes moins performantes énergétiquement, elles suggèrent des procédés de construction nouveaux, plus adaptables, moins coûteux qui pour autant vont dans le sens du respect de la planète. L’auto-construction en est un exemple. Aucun label ne qualifie ce type de construction, c’est davantage un état d’esprit de démarche constructive dictée par un budget restreint dédié aux travaux ; un engouement pour le fait « soi-même » dans un contexte de standardisation des habitats ; une sollicitation locale des ressources et de la main d’œuvre. Cela nécessite dès lors des ressources humaines à mobiliser et un accompagnement-conseil pour assurer l’ingénierie du projet. « Des solutions spécifiques sont à trouver qui gagneront à être « locales », même en partie : de la même façon que chaque culture constructive mettait en œuvre, de façon économe, une palette de matériaux dont la diversité était à la mesure de la disponibilité des matériaux accessibles sur le terroir, les solutions à imaginer doivent se fonder sur cette même logique de disponibilité locale, quand bien même celle-ci serait à reconstruire ou à réinventer. »85

85

PUCA. (2013). Amélioration énergétique du patrimoine rural : quelles parts et perspectives pour l’auto-réhabilitation, [document électronique], PREB4T, « Appel à propositions de recherche évaluative et exploratoire », juillet, p.2

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Fig.40 : La ferme auto-rénovée de Laurent Avril, dans le Haut-Forez. http://www.lamaisonecologique.com/lme/sommaire-lme/renover-96-eco-renover-a-moins-de-500-epar-metre-carre/

Coût de construction : 495 € / m² 3 ans d’auto-rénovation Avril 201586 L’exemple d’éco-rénovation en auto-construction que nous allons détailler ci-après est un concentré de techniques traditionnelles, d’emploi (ou réemploi) de matériaux naturels et locaux et de confort thermique dans un habitat vernaculaire. Cette ferme d’architecture traditionnelle du Haut-Forez (Fig.40) est perchée sur un plateau à 1000 mètres d’altitude au Nord du Massif Central. Elle n’a dorénavant de traditionnel que son apparence extérieure. Les propriétaires se sont attachés à faire revivre ces murs en s’appropriant l’espace et en conservant tous ses atouts.

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HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.24 à 29.

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. Le réemploi Dans quasiment toutes les pièces, le propriétaire des lieux s’est appliqué à ne rien jeter de la démolition. Le bois, récupéré de l’ancienne charpente trop fragile, a servi au façonnage des menuiseries, de l’ameublement, à l’ébénisterie du solivage et des cloisons, des placards et même de l’escalier (Fig.41). Une fois sciée et rabotée, l’ancienne charpente a recouvert de nouvelles fonctions dans un « souci profond de respecter le travail des précédentes générations qui ont façonné ce lieu. »87 Dans ce cas de figure, l’économie en termes de coût est non négligeable. L’énergie grise produite, grand défaut de la maison passive, est ici quasi nulle. Le propriétaire a aussi « récupér[é] un hauban de son voilier pour suspendre la poutre porteuse du plancher de l’étage directement à la panne faitière, à l’aplomb de la ferme neuve installée par le charpentier ! »88 (Fig.42).

Fig.41 : La vieille charpente est réemployée dans les menuiseries et l’ébénisterie. Fig.42 : Un hauban d’acier suspend le plancher de l’étage à la panne faitière. © HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.29

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HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.25 88 Ibid. p.28

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. Assurer l’étanchéité et éviter l’humidité Cette ferme date de 1904. A cette époque, bien que bio-climatique par son confort « intuitif », ce bâti n’utilisaient pas de barrières anti-capillarité au niveau des soubassements. Les maçonneries et revêtements de sol en chaux et en terre permettaient, par capillarité, d’évacuer l’humidité en pied de mur. Le propriétaire a choisi de reprendre cette technique ancienne et pour l’améliorer, il y a associé un drainage conséquent en hérisson de pouzzolane car la dalle n’est pas ferraillée. La pouzzolane a l’avantage d’être « un matériau local, bon marché, *…+ isolant [et] aussi léger »89. . Une isolation performante par l’intérieur Les murs extérieurs d’origine, en pierres, ont été conservés, isolés par l’intérieur et enduits à la terre ou à la chaux aérienne. Le chaux-chanvre banché a été choisi car il a une inertie hygrothermique compatible avec un poêle de masse. Les autres murs ont été solidifiés par une ossature bois, isolés par deux couches croisées de laine de bois, supportant des plaques de parement en fermacell90. Dans l’ancien poulailler, semi-enterré et donc très humide, les murs ont été doublés en carreaux de briques et isolés avec du liège. Les isolants choisis sont encore une fois naturels comme le chaux-chanvre, la fibre de bois ou encore le liège. Plus respectueux de l’environnement, ils sont aussi plus performants. . Une ventilation naturelle Le souhait a été de conserver une ventilation naturelle, sans équipement mécanisé, comme pensé à l’origine de la maison. Le traitement de l’isolation a permis ce système économique et écologique.

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HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.27 90 Le fermacell est un matériau composé à 80 % de plâtre et 20 % de cellulose, http://www.materiauxnaturels.fr/dossier-ecologie/materiaux-ecologiques/29-panneau-de-fermacell.html

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. Un poêle de masse comme unique chauffage Avec une bonne isolation, une orientation judicieuse de ses pièces de vie et dans une logique d’économie d’énergie, le propriétaire a choisi le poêle de masse pour chauffer toute la maison. Il l’a auto-construit en briques réfractaires habillées de briques de terre crue (Fig.43). Cela maintient, en hiver, une température autour de 20°C toute la journée tandis que la cuisinière à bois assure le chauffage d’intersaison.

Fig.43 : Le poêle de masse auto-construit en brique de terre. © HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.27

Au travers de ces exemples d’architectures écologiques passives ou non, nous avons pu observer que la logique du développement durable est bel et bien entamée à tous points de vue dans les milieux ruraux. Malgré les obstacles de diffusion des informations, un coût élevé de construction, ou bien encore un savoirfaire passif trop absent, des alternatives aux architectures « classiques » émergent et prennent le pas sur la réflexion architecturale contemporaine.

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CONCLUSION Depuis toujours, comme le dit Le Corbusier en 1926, « La maison fait le paysage. Il y a là comme une vérité éternelle. Une maison se dresse exacte, comme la marée qui monte est exacte. Les maisons, les sites, les cultures sont un, comme la tête et le corps. »91 Il est vrai que si la maison rurale s’est vue attribuer une image d’habitat primitif, il n’empêche qu’elle a, même dans son évolution, contribué à la richesse du patrimoine d’une part, mais surtout elle a su prendre en considération son environnement avec lequel le dialogue était à la fois spatial et anthropique. Dès lors, la maison rurale se trouve au cœur des problématiques d’habiter aujourd’hui. Dorénavant, rendre l’habitat plus conforme aux désirs actuels de confort thermique devient la priorité, une obsession émerge alors : faire durable ! En réponse à ces problématiques, la maison passive apparaît comme nouvelle manière de construire durable. Contrairement à une maison « prototype », la maison passive se conçoit, se vit avec comme objectif une diminution notoire de la consommation énergétique globale quasi nulle. Si nous lui reconnaissons une forte rentabilité énergétique au cours du temps, elle induit néanmoins un fort investissement à la construction, tout en ne sachant pas ce qu’il adviendra à l’avenir. Il convient de tenir compte du faible recul que nous avons sur la maison passive et son processus de vieillissement. La durée de vie des matériaux et équipements plébiscités par le passif est encore incertaine. Cela fait maintenant vingt ans que la démarche passive existe pourtant aujourd’hui, nous en sommes encore à un stade expérimental et peu connu. L’urgence environnementale dans laquelle nous nous trouvons accélère le processus de création des nouvelles architectures écologiques. Inévitablement, le processus passif présente des faiblesses qu’il faut savoir corriger, sa production trop importante d’énergie grise par exemple, mais appelle également à prendre une certaine distance avec toutes ces nouvelles technologies. « Le dogmatisme avec lequel on énonce les caractéristiques de ce nouvel habitat éco-technologique est d’autant plus stupéfiant que les recherches dans

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LE CORBUSIER. (1926). Almanach d’architecture moderne, « L’esprit nouveau ».

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le domaine ne font que commencer et que toutes les solutions sont encore envisageables. »92 L’élaboration permanente de nouveaux équipements, de nouvelles techniques passives montre bien que la démarche n’en est qu’à ses prémisses et qu’il s’agit dès à présent d’étudier sa flexibilité, son adaptabilité et sa dégradation dans le temps pour appréhender les problèmes soulevés aujourd’hui. En zone rurale, les freins à l’expansion de la réhabilitation d’anciennes maisons traditionnelles en constructions passives sont multiples. Aujourd’hui, le marché du passif n’est pas suffisamment développé. Le manque de communication de l’information sur cette architecture nouvelle pèse sur l’intérêt général des habitants pour l’architecture durable. Les réglementations strictes et difficilement applicables à la réhabilitation inhibent également la volonté de se lancer : la course à la certification des artisans et de tous les matériaux du passif, limite le champ des possibles. De plus, les aides financières attribuées à la mise en œuvre sont à ce jour, trop faibles et inappropriées. Une demande faible entraînant une offre moindre, la main d’œuvre compétente, labellisée et spécialisée se fait rare et les architectes, acteurs primordiaux dans la fabrication de notre espace futur, n’ont pas nécessairement les connaissances techniques adaptées. Un des principaux obstacles à la démocratisation du standard passif aujourd’hui est de l’ordre du psychologique : relativement récent, les peu renseignés sont encore plein d’aprioris. Par ailleurs, dans l’état actuel des choses, la construction passive privilégie le neuf au travers de son label déjà, de ses exigences mais aussi au travers des informations relayées. La réhabilitation passive, encore trop complexe d’un point de vue de sa mise en œuvre, est bien plus rare, bien que tout autant (si ce n’est plus) concernée par les enjeux environnementaux. Le milieu rural, au cœur d’une dynamique nouvelle, a bien conscience des objectifs actuels du développement durable. Les habitants ruraux sont concernés par le réchauffement climatique mais mal renseignés et peu entourés. Pour réponse,

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NAMIAS Olivier. (2008). « A la recherche de la maison écologique », D’Architectures n°174, juinjuillet, Dossier p.60

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Frédéric Bonnet appelle à une « expérimentation ajustable »93, des normes moindres qui faciliterait l’accès et la sensibilisation des projets durables en milieu rural. A l’avenir, il s’agit de diffuser davantage la culture architecturale dans un contexte écologique sensible, de promouvoir toutes sortes d’architectures respectueuses de son environnement et de son patrimoine, en mobilisant les populations autour de ces questions citoyennes pour débattre de la fabrication du territoire. Il existe déjà des modes de penser et de faire alternatifs, qui permettent les réhabilitations écologiques et réinventent le domaine de la construction. L’auto construction, par exemple, invite à l’implication citoyenne, à valoriser une économie locale au travers du circuit court, et à travailler avec les ressourceries de matériaux dans une logique de réemploi et une augmentation des flux des ressources internes à la « communauté ». La maison autonome est aussi un exemple de réponse au développement durable. Elle produit son électricité, chauffe son eau. Mais l’autonomie énergétique, vers laquelle les habitations autonomes tendent, pose la question de la gestion des ressources surproduites et donc perdues. En définitive, la variété des réponses architecturales aux questions du développement durable et de la transition énergétique montre qu’il est encore tôt pour affirmer avoir solutionné les impacts du bâti sur notre climat. Cela demande avant tout une évolution des modes de penser et de vivre, des modes de consommation et de production que seul l’homme peut influencer. Aujourd’hui, cela requiert un investissement personnel de la part de la maîtrise d’ouvrage qui se doit d’être un acteur participatif en raison du manque d’informations et d’un manque de moyens certains. Une dynamique s’est d’ores et déjà mise en marche mais elle ne prendra force que si elle se généralise et se systématise : tous les paramètres doivent évoluer en simultanée. Au-delà de systématiser ce standard passif dans la réhabilitation de maisons rurales, il s’agit avant tout de trouver un juste équilibre entre héritage, besoins modernes et problématiques environnementales. Les solutions d’aujourd’hui ne sont-elles pas le problème de demain ?

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BONNET Frédéric. (2016). Aménager les territoires ruraux et périurbains. Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, janvier, p.79

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Documents institutionnels ADEME. (2018). Aides Financières 2018, Pour des travaux de rénovation énergétique des logements existants, [document électronique], Clés pour agir, janvier, 40p. http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-aidesfinancieres-renovation-habitat-2018.pdf ANTAK – architectes du Patrimoine. (2014). Rapport de présentation des objectifs de l’AVAP, Diagnostic architectural, patrimonial et environnemental, [document électronique], Commune de Celles-sur-Belle, Deux-Sèvres, 163p. http://www.nouvelle-aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/cellessur-belle_avap_web_cle283187.pdf COLLECTIF. (2009). Le contexte Mayennais, [document électronique], Préfecture de la Mayenne, 15p. http://www.mayenne.gouv.fr/content/download/6444/41810/file/3_contexte_ma yennais.pdf Commune de Celles-sur-Belle. (2012). PLU, Zonage 1/5000, pièce n°4.1 Nord, [document électronique], juin. http://www.ville-celles-sur-belle.com/www.ville-celles-sur-belle.com/imagepages/pdf/zonage_sud1_5000.pdf Conseil National de l’Ordre des architectes. (2010). Charte d’engagement des architectes « Pour une architecture responsable », [document électronique], mars, 2p. https://www.architectes.org/sites/default/files/fichiers/auto-liens-casses/CNOADD-Charte-version_2010.pdf FN des CAUE. (2017). CAUE, Repères et Chiffres clés, [document électronique], juin, 8p. http://www.fncaue.com/wpcontent/uploads/2017/06/Reperes_Chiffres_Cles_Ed_2017.pdf

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PUCA. (2013). Amélioration énergétique du patrimoine rural : quelles parts et perspectives pour l’auto-réhabilitation, [document électronique], PREB4T, « Appel à propositions de recherche évaluative et exploratoire », juillet, 16p. http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/consultation_autorehab-2.pdf

Articles de périodiques et journaux BOULANGER Vincent, VYE Julien. (2016). « La maison du 21e siècle : passive et positive », La Maison Ecologique n°93, juin-juillet, Dossier p.28 à 39. BRETEAU Pierre, VAUDANO Maxime. (2018). « Déchets, recyclage, réutilisation : qu’est-ce que l’économie circulaire ? », Le Monde, 23 avril mis à jour le 7 mai. DUMENIL Georges. (2014). « Vous avez dit « transition » ? », Maisons paysannes de France - Patrimoine rural n°194, décembre, Editorial p.1. DUMENIL Georges. (2015). « Projet de loi « transition énergétique pour une croissance verte » : ne pas sacrifier le patrimoine ! », Maisons paysannes de France - Patrimoine rural n°195, mars, p.38-39. HEITZ Philippe. (2017). « Eco-rénover à moins de 500 € par mètre carré », La Maison Ecologique n°96, décembre-janvier, Rénover p.24 à 29. KAROLYI Elisabeth. (2009). « Les clés de la maison passive », Architecture à vivre n°46, janvier-février, Dossier p.102 à 147. LAINVILLE Ivan. (2017). « Un bijou bioclimatique », La Maison Ecologique n°101, octobre-novembre, Construire p.14 à 19. NAMIAS Olivier. (2008). « A la recherche de la maison écologique », D’Architectures n°174, juin-juillet, Dossier p.59 à 73.

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Cours et conférences FROBERT Stéphanie (L’Office), Matthieu CORNET (Texus), architectes HMONP dans la Drôme. (2018). Les architectes de campagne, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 12 mars. SEMIDOR Catherine. (2012), Assurer le confort hygrothermique dans le bâtiment, une nécessaire relation avec le site, Cours de S1 à l’ENSAP, Bordeaux, septembre. VAUCELL Sandrine, géographe. (2017), Acteurs publics et compétences dans une république décentralisée, conférence dans le cadre de l’optionnel Architecture, Ingénierie, Environnement et Ville Durable à l’ENSAP, Bordeaux, 19 octobre. VOUILLON Elodie, architecte urbaniste et directrice du CAUE de Gironde. (2018). Le CAUE en Gironde, conférence dans le cadre de l’enseignement PPP à L’ENSAP, Bordeaux, 06 mars.

Travaux d’étudiants CHAUVET Camille. (2009). Sous la direction de Christian MARENNE, Maisons passives et Architecture durable, Mémoire de Master 2, ENSAP, Bordeaux, 86p. GUILLON DEVERNAY Baptiste. (2013). Sous la direction de Jean-Marie BILLA, La conception passive en France, sa technique & son intérêt économique et environnemental potentiel au XXIe siècle, Mémoire de Master 2, ENSAP, Bordeaux, 64p.

Sites Internet BAZED (Conception de bâtiments zéro déchet) http://www.bazed.fr/ CNRTL, dictionnaire en ligne http://www.cnrtl.fr/definition/

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Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement http://www.fncaue.com/particuliers-caue-aide/ http://www.caue79.fr/ https://www.caue53.com/ Google Maps https://www.google.fr/maps Insee https://www.insee.fr/fr/statistiques/1908461 La Maison Passive http://www.lamaisonpassive.fr/ Larousse https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/paysan_paysanne/58832 Le Labo de L’économie Sociale et Solidaire (ESS) http://www.lelabo-ess.org/+-circuits-courts-90-+.html Matériaux-naturels http://www.materiaux-naturels.fr/dossier-ecologie/materiaux-ecologiques/29panneau-de-fermacell.html Ordre des Architectes https://www.architectes.org/actualites/nouvelle-charte-d-engagement-desarchitectes-pour-une-architecture-responsable SOLiHA – Solidaires pour l’Habitat. Fédération issue de la fusion des Mouvements PACT et Habitat&Développement https://www.soliha.fr/ Synergies http://www.synergies53.fr/maitrise_energetique_association_sa-raison-detre.phtml Terre et Avenir http://terreetavenir.com/comment-construire-une-maison-passive/ 112 |


ANNEXES Annexe n°1 : Quelques labels et réglementation thermique utilisés en France

Sources : BOULANGER Vincent, VYE Julien. (2016). « La maison du 21e siècle : passive et positive », La Maison Ecologique n°93, juin-juillet, p.33 113 |


. Grille d’entretiens La place du passif dans l’architecture rurale dans l’accompagnement du particulier et dans sa communication en campagne. Annexe n°2 : La maitrise d’ouvrage Propos recueillis par Louise Guais auprès de la maitrise d’ouvrage des deux projets de réhabilitation la Moisière (53), la Mouline (79), échange de mails.

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Annexe n°3 : La maitrise d’œuvre Propos recueillis par Louise Guais auprès de Claire Archimbaud, architecte HMONP à Brioux-sur-Boutonne (79), entretien téléphonique datant du 06.04.2018

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Annexe n°4 : Les institutions de Conseil – les CAUE Propos recueillis par Louise Guais auprès de Benoît Desvaux, Directeur du CAUE de Laval (53), entretien datant du 12.04.2018 et auprès de Delphine Page, Directrice du CAUE de Niort (79), entretien téléphonique datant du 11.04.2018

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Annexe n°5 : Les habitants des zones rurales Enquête menée par Louise Guais auprès de 28 personnes, habitants de zones rurales diverses en France, du 09 au 15 avril 2018 Eure (27) / Finistère (29) / Mayenne (53) / Meuse (55)

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Annexe n°6 : Les enjeux à la réhabilitation écologique d’après les habitants ruraux Le terme de développement durable est apparu plusieurs fois dans les discours. En vue des réponses énumérées ci-dessous, nous constatons une réelle prise de conscience des problématiques architecturales actuelles chez les habitants ruraux. . ENERGIES ET RESSOURCES Transition énergétique Economiser / Préserver l'énergie Réduction de la consommation Disponibilité d’une énergie propre Economiser / Protéger les ressources naturelles Gestion des ressources planétaires qui s’épuisent Arrêter le gaspillage Choix judicieux des matériaux Utiliser des matériaux de notre environnement (paille pour isolation)

. ENVIRONNEMENT ET ECOLOGIE Réchauffement climatique Enjeux écologique et environnemental Préserver / Protéger / Penser à notre planète Protection du climat environnemental Préservation / Respect de l’environnement Réduire la pollution Utiliser des matériaux qui n'entrainent pas d'autres pertes (la déforestation) Eviter l'utilisation de matériaux polluants Vivre de façon plus écologique

. CONFORT Santé publique Bien-être Préservation de la planète pour les générations futures

. PATRIMOINE Préserver l'histoire des lieux Conserver le patrimoine historique Utiliser des structures déjà existantes et ainsi éviter de les laisser à l'abandon Profiter des structures existantes pour ne pas dénaturer notre environnement Harmonisation et valorisation du patrimoine local voire historique

. ECONOMIE Coût Enjeu économique (vrai gain au quotidien) Économie financière

. INNOVATION ET TECHNIQUE Utiliser les nouvelles technologies optimisées dans l'écologie Architecture innovante

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