Made in L.A.

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made in L.A.



SOMMAIRE Introduction.......................................................................................... p.6

La Métamorphose de Narcisse.............................................................. p.10 De Llano del Rio à Lana del Rey...................................................... p.12 Fake me I’m famous......................................................................... p.14

Less Than Ego...................................................................................... p.18 The Big Nowhere.............................................................................. p.20 Disparaître ici.................................................................................. p.23

Lost Angeles.......................................................................................... p.24 Highway to Hell............................................................................... p.26 No Joy, Division............................................................................... p.27

Conclusion............................................................................................ p.28

Références, Crédits............................................................................... p.30

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Je tiens à remercier Philippe Besson qui a accepté de me recontrer au début de ma démarche. Nous avons ensemble évoqué différents aspects de Los Angeles. Cette ville qu’il connaît bien, pour y vivre poncutellement, et pour l’installer en trame de plusieurs de ces romans.

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introduction

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Si l’on retourne ne serait-ce que deux années en arrière, pour moi, Los Angeles incarnait typiquement la ville américaine vitrine d’un «lifestyle» mondialisé, jouissant du même intérêt culturel qu’un quelconque Disneyland, et d’une authenticité qui n’avait d’égal que les décors de célèbres plateaux de tournage qu’elle accueillait. Bimbos décolorées, surfeurs écervelés du côté de Venice, starlettes et minets adulés dans leurs villas de Beverly Hills, au mauvais gout propre à ces nouveaux riches, et autres stars plus ou moins fameuses dans les bars branchés et les luxueuses boutiques de West Hollywood, à la rencontre «fortuite» des paparazzis. Le tout ponctué deci-delà de quelques prostitués, dealers et petites frappes dans les quartiers défavorisés. Toute cette population endémique du sud de la Californie perpétuant une tradition du «cool» et de l’apparence, représentait pour moi, au fond, un certain exotisme... Mais que je ne pouvais m’empêcher de dénigrer. Cette ville n’avait alors dans mon esprit strictement aucun intérêt, si ce n’est allait y faire la fête, plus tard, lors d’un trip extravagant et décadent à travers les villes mythiques des États-Unis. Quelques jours dans la très respectable New York, pour justifier l’aspect culturel d’un tel voyage, et puis partir m’encanailler sur le strip de Vegas, pour terminer au Chateau Marmont avec quelques blondasses et rockers oubliés, comme un Kerouac, un peu futile. Car au fond c’est ce que je suis, un peu prétentieux, mais aussi, très futile. Puis je me suis rappelé de mes lectures, de Bret Easton Ellis, James Ellroy, Rayond Chandler… L.A. n’était d’un coup plus si stérile, elle était un personnage protéiforme. Puis on m’a parlé de Reyner Banham, alors je l’ai lu, relu Bret Easton Ellis, James Ellroy, mais d’autres aussi, Philippe Besson, Octavia Butler, puis j’ai revu Blade Runner et Californication. Le spectre du pueblo s’élargissait encore. Véritable lieu d’une révolution de la pensée et des moeurs, elle précédait alors une nouvelle

définition du monde. Loin d’être idéale, derrière son beau sourire charmeur, Los Angeles dissimulait la dégénérescence des classes moyennes. Puis évidemment il y avait les Cases Study Houses, les Eames, Neutra et Lautner. Le soleil de la Californie brillait dès lors sur mon coeur. Aujourd’hui mon esprit empli de subversion, de vice et d’ironie, semble faire corps avec ma vision fantasmée de Los Angeles. Si elle peut passer outre l’estime de nombreux commentateurs de l’architecture d’aujourd’hui, cette effervescence, poudre aux yeux pour certains, est pour moi loin d’être vaine. Derrière cette usine à rêves, là où les milliers de piscines en plein désert décrivent l’opulence et l’égoïsme de ces touaregs en costumes Band Of Outsiders et robes Prada, là où les immenses terrains sont emprunts de désolation, sous des freeways couvert de Range Rovers, L.A. dessine et incarne le mirage de sa propre folie. Los Angeles représente donc un rêve pour certain, mais aussi un cauchemar pour d’autres. La demi-mesure n’a pas droit de citer chez les anges. Pour chacun elle est un cliché. La simple évocation de son nom installe chez quiconque un imaginaire particulier, palmiers, échangeurs, drive-in, milkshakes, freeways, surfs, pollution, boutiques de luxe et vanité. Dans cette ville vitrine, où tout le monde se prépare des heures durant devant un miroir, où l’on sculpte son corps parfait quotidiennement lors de son cours privé de pilate, personne ne regarde jamais personne. À Los Angeles, rien ne rassemble naturellement, sinon le soir venu, lors des sorties dans les clubs branchés ou sur les tapis des soirées «privées». À force d’institutionnaliser le cool, L.A. est devenue la capitale du désenchantement et à tant vouloir briller, même le soleil semble la blaser.

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Certains s’étonnent de mon intérêt pour cette ville que d’aucun ne semble considérer comme objet d’étude pertinent pour un étudiant en architecture, me conseillant de me tourner vers une «vraie ville construite» comme New York, Chicago, ou Paris. La lecture que j’en ai semble au contraire donner un intérêt tout particulier, quand il s’agit de parler de la représentation de la ville. Si il est vrai que dans une vision simpliste et primaire, son architecture plutôt ordinaire, à l’exception de certains building de Downtown et de certaines très belles villas modernistes (dont le fameux catalogue du programme des Case Study Houses) et contemporaines, Los Angeles peut sembler être une ville de la non-architecture, voir une non-ville, son fonctionnement et sa configuration sont cependant porteurs des fantasmes les plus variés. Pour reprendre Mike Davis, «Los Angeles est une ville qui ne se prête guère à la planification ou à l’aménagement, mais qui s’offre sans limite au faiseurs d’images»1. À l’image des héros qu’elle supporte, elle est un personnage, sexy, névrosé, excessif, violent, désabusé, obsédé. Sa configuration en fait un narrateur de première ordre et les ambiances qu’elle dégage n’ont d’équivalents que dans la variété de fictions qu’elle voit naître.

J’ai cherché à mettre en relation les nombreux ouvrages sociologiques et urbains traitant de cette ville, avec les clichés que l’on peut en avoir. Ma démarche s‘appuie sur l’exploration de la fiction made in L.A., que ce soit au travers de la littérature et du cinéma. C’est en partant du parcours d’un personnage fictif, dans sa vie et dans cette ville que je tenterai d’identifier et de comprendre trois aspects qui me paraissent indissociables du mythe L.A. Comment Los Angeles est-elle devenue le temple ultime de la société de consommation ? Pourquoi, alors qu’elle constitue la deuxième métropole des États-Unis, cette ville est l’endroit de la vacuité et de la solitude ? Quels sont les raisons qui ont fait de L.A. la terre promise du style noir ?

Bienvenue à L.A. Dream Factory.

«There’s a feeling I get when I look to the west»

Led Zeppelin

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la mĂŠtamorphose de Narcisse

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Dès qu’il entrait chez lui, tout ralentissait, sa vie reprenait son cours. Comme si il n’avait jamais cessé d’être ce type de Chino, qui s’ouvre une Corona en se jetant sur le canapé. Mais sa maison était maintenant une immense villa à Bel Air, son canapé venait d’Italie, et le backyard aménagé par un paysagiste, était planté des essences les plus parfumées de la Californie, et d’ailleurs. Sa piscine surplombait la vallée et ses lumières, et désormais tout Hollywood foulait le granite de son deck lors des soirées qu’il organisait, tout le monde était là pour se montrer, mais personne ne regardait autre chose que son reflet dans les baies vitrées. Il avait été remarqué lors d’un casting par un producteur connu pour son gout pour les jeunes ephebes un peu voyou. Évidemment, dans la cité des anges, personne n’a vraiment de sexe, ou plutôt, tout le monde à la sexualité que l’on attendra de lui. Il s’est donc comporté en parfait petit ange, il a eu son premier rôle dans une série télévisée pour adolescent, puis d’autres rôles au cinéma. À 27 ans, il était encore plus beau qu’il ne l’était quand il en avait 21 et il gagnait désormais en un jour ce qu’il gagnait en une année à cette époque. Sur les hauteurs les rues sont calmes, les maisons propres, et souvent vides. Sur les hauteurs les gens sont beaux et bien dessinés, comme leurs voitures. Sur les hauteurs les palmiers sont trop haut comme les égos, et dès que le vent souffle tout le monde guette celui qui tombera en premier. Sur les hauteurs, la ville n’est qu’une rumeur. Finalement son nouveau mode de vie semblait lui coller parfaitement à la peau. Dans sa Ferrari, il roulait sur Sunset, au niveau du Whiskey a Go Go, il remarqua que l’affiche de son dernier blockbuster avait laissé la place au très attendu Back from the life. Sur le panneau d’à côté, une fille dansait à côté d’un iPad. p.11


DE LLANO DEL RIO2 A LANA DEL REY «Nous parlâmes d’abord du temps, puis je leur demandais ce qu’ils pensaient de Los Angeles, ville sans limites, dévoreuse de désert, d’arbres de Joshua, de 1er Mai, et qui rêve de s’étendre à l’infini. L’un de mes nouveaux compañeros de Llano répondit que L.A. était déjà partout, Il l’avait vue chaque soir à San Salvador dans les innombrables rediffusions de séries comme I Love Lucy ou Starsky et Hutch.»3

Los Angeles, le star system, la culture populaire, les palmiers, les belles voitures et les jolies filles, les grosses maisons et les soirées qui font rêver. Le rêve américain, si il existe, prend vie à L.A. Tout les espoirs y sont permis, toutes les wannabe starlettes pensent que leurs faveurs les propulseront, ici, sur les collines chic. C’est dans ce décors idyllique que L.A. a construit son propre mythe. Los Angeles fascine autant qu’elle répugne. Mais pourquoi ici, pourquoi cela ? Si il est facile de comprendre la diaspora d’une population en quête d’un climat idéal, à la croisée de l’océan, de la vallée et des collines, attiré par un style de vie charmant et délibérément léger, l’intérêt porté par certains acteurs de l’intelligentsia made in USA peut paraître plus singulière dans la ville où les salles de sport ont progressivement remplacées les librairies. Mais si le style intello à L.A. peut prêter à rire, il n’en est pas moins fondé. Car en effet, l’avènement de Los Angeles n’est finalement peut être pas exclusivement du aux différents lobbys dont les perspectives mercantiles auraient permis de créer une ville à l’image de leur folie. Ainsi le groupe d’Arroyo, mené par l’illustre Charles Fletcher Lummis, à la fin du XIXème siècle, illustre parfaitement cet engouement d’une élite intellectuelle pour la Californie du sud et ses terres fertiles pleines de promesses. Dès lors, leur mythologie néo-missionnaire commence à s’établir sur la côte ouest. C’est le début des haciendas, de cette nouvelle architecture, pittoresque quoique pas vraiment authentique. Cet ancien camarade de classe de Roosevelt développe avec ses amis, p.12

écrivains, journalistes, un certain esthétisme emplit du souvenir idéalisé d’une époque radieuse, d’oranger, de bougainvilliers, de palmiers et de balcon en fer forgé, le nouvel exutoire du pouvoir WASP. Plus tard, John Entenza, accompagné du couple Eames, de Neutra, de Koenig et d’autres architectes plus ou moins confirmés du milieu du XXème siècle installent leurs Case Study Houses dans le paysage californien. Cette réponse à la crise du logement de l’après guerre s’installe aussi comme le nouveau panneau publicitaire d’un mode de vie, vendu par une masse dominante au peuple comme nouvel idéal de vie, symbole de la force technologique et industrielle de la nation. À vrai dire, à Los Angeles, on ne croule pas sous le poids de l’histoire, pas d’Haussmann, pas de Sullivan, alors cette histoire, on se l’invente. Chacun y va de son fantasme, ou de son intérêt, chacun ajoute sa touche. Si bien qu’elle est devenue un patchwork d’ersatz architecturaux.


«Au fond, ce n’est rien d’autre qu’un gigantesque puzzle. On assemble les pièces et ça finit par faire une ville. Mais aucune des pièces ne ressemble à l’autre. Je ne sais pas par quel miracle elles s’emboîtent, mais je vous assure, elles s’emboîtent. Parfois, tout de même, il faut forcer un peu.»4

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FAKE ME I’M FAMOUS

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C’est donc successivement que différentes vagues d’intellectuels et écrivains ont investis Los Angeles. Si certains ont été séduis par le prosélytisme d’Hollywood, se voyant catalogué de vendus et de prostitués du star système, d’autres ont su installer certains éléments devenus indissociables du style made in L.A. Je ne parle pas des fictions qui sont fabriquées dans cette ville, mais de celles qui y prennent place, où Los Angeles devient aussi importante que les héros sexy ou torturés qui la peuplent. Par conséquent, comme elle s’est offerte aux architectes en quête d’une nouvelle légende dont ils seraient les instigateurs, Los Angeles s’offre aux écrivains, aux faiseurs d’images, comme une toile vierge, où les fantasmes les plus variés sont ici possibles. Puis les intellectuels sont passé à l’arrière. Toujours maitres des rouages et de l’image, certes. Mais les héros qu’ils créaient ce sont incarnées dans les «humains» qui les interprétaient, meilleurs VRP du rêve américain, avec leurs corps et leurs visages parfaits, l’amalgame entre fiction et réel c’est confirmé. Los Angeles est devenue l’étendard factice de ce monde idéal, un décor publicitaire globalisé. Elle a alors créée son mythe, elle est devenue le Vatican de la consumer society. Les célébrités sont devenus les apôtres de cette grande religion cathodique, célébrant le culte de la personnalité, de la réussite matérielle et de la mondialisation. Telle

une orde de Narcisses contemplant leur reflet sur des milliards d’écrans de télé, d’iPad et dans les playlists de poche, à travers le monde, Los Angeles et ses disciples se reproduisent à l’infini. Les panneaux publicitaires se substituent à l’architecture, vendants des voitures, du soda, des séries TV. L’individu est mis au même niveau que le produit de consommation. La ville entière est un produit. Dans cette société Warholienne où chacun aspire à son quart d’heure de gloire, Los Angeles clame le triomphe de l’image sur la réalité. Chacun peut espérer à son tours s’inventer sa propre légende dans cette ville du fantasme. Mais Los Angeles reste un mirage, et les réminiscences du réelle ne disparaissent jamais.


«I love Los Angeles. I love Hollywood. They’re beautiful. Everybody’s plastic, but I love plastic. I want to be plastic.» Andy Warhol

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«No one even knows how hard was life. Now I’m in L.A. and it’s paradise»

Lana del Rey

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less than ego

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Depuis bientôt deux semaines, il ne dormait quasiment plus. Il était constamment branché sur MTV, devant son iPad ou sur son nouvel écran 3D. Il se faisait bronzer au bord de sa piscine. La ville se taisait. Son monde se taisait. Quand il sortait de chez lui, il suivait Chalon road vers West Sunset. Graduellement le bruit de la ville naissait. Du calme de sa villa, il arriva à l’agitation de West Hollywood. Les palmiers rythmaient sa promenade. Sur un freeway bruyant, il fillait vers le désert. Malgré le moteur de sa 360 Modena qui tournait à plein régime, il entendait encore la musique diffusé. Un reprise de Johnny and Mary, originalement interprété par Palmer en 80, par un groupe à la mode et utilisé dans le dernier spot d’Opening Ceremony. Il roulait à fond, tournait en rond dans le désert. Puis il rentrait chez lui. Ce n’était plus une Corona, mais 3 vodka lime, avant d’appeler O, son dealer. Pour ne pas se retrouver seul, pour ne pas lutter contre la nuit, il improvisait des soirées, toujours plus bruyantes et plus sinistres que les précédentes. La population avait changée. Ou du moins l’ambiance était altérée. Les lendemains étaient chaque jours plus minables. Le calme des hauteurs devenait intenable. Zigzaguer dans les collines. Quitter Bel Air et ses manoirs, puis s’étouffer dans le canyon formé par les buildings de Wilshire Boulevard. Repasser vers Downtown et ses skyscrapers, remonter par Hollywood Freeway, en surplombant des baraques pourries. Direction «WeHo», ralentir sur Sunset, boire un verre au Marmont. Acheter une lampe vers La Cienega. Beverly Hills, puis de retour à Bel Air. Dès qu’il sortait des grandes artères le calme était incroyable, en cinq mètre tout changé, l’ambiance, le paysage, le bruit... Il ne savait plus où il était. Comme son parcours dans cette ville, sa vie n’avait plus rien de logique. p.19


THE BIG NOWHERE À L.A. on passe son temps seul dans sa voiture, et si elle est la deuxième métropole des États-Unis, sorti des grands axes ou de Downtown, la ville et la civilisation semblent disparaître. Hormis quelques joggers, personne ne se promène dans les rues. Si bien que toute présence semble alors suspecte. Dans cette ville à l’échelle de la voiture, il est facile et inévitable pour un individu, de se perdre. Face à ce torrent d’informations, de flux routiers et commerciaux, comment retrouver un sens ? Ce monstre urbain, rempli d’échangeurs en béton, étalé sur plus de 70 kilomètre de long, qui effrayerait n’importe quel touriste trop peu téméraire, est étrangement une ville de la langueur, où sous réserves de troubles psychiques et d’un intérêt prononcé pour tout types de stupéfiants, la vie est douce. Agréable. Légère. Facile. p.20

Rouler sur un freeway dans un cabriolet, en écoutant la ritournelle du bonheur, les cheveux dans le vent, le soleil caresse notre peau. On ne pense alors plus à rien, qu’à rouler tout droit, vers l’océan. Cette image d’Epinal de la dolce vita version Thelma et Louise est à Los Angeles une réalité. Cette ville se prête à l’errance et au road movie, par sa forme mais aussi par son fond. La voiture est un élément central du lifestyle, et les routes qui découpent L.A. créent des rythmes et des ambiances renouvelables à l’infini.


Quitter la vallée sur un boulevard animé par une ligne de bâtiments «inarchitecturaux», qualifié par les enseignes de clubs, de sex-shop, de boutique de luxe ou pourries, l’expression reste la même. Déambuler sur les routes sinueuses des collines comme dans un film de David Lynch, ou rouler sur Beverly Drive où les palmiers rythme notre parcours comme la pop diffusée à la radio. Se promener à L.A. en voiture ou à pieds, dans tel ou tel quartier, c’est déjà raconter une histoire.

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“I could hear everything, together with the hum of my hotel neon. I never felt sadder in my life. LA is the loneliest and most brutal of American cities; New York gets godawful cold in the winter but there’s a feeling of wacky comradeship somewhere in some streets. LA is a jungle.” Jack Kerouac, On The Road

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DISPARAÎTRE ICI

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“I come to a red light, tempted to go through it, then stop once I see a billboard sign that I don’t remember seeing and I look up at it. All it says is ‘Disappear Here’ and even though it’s probably an ad for some resort, it still freaks me out a little and I step on the gas really hard and the car screeches as I leave the light.” Bret Easton Ellis, Less Than Zero

Los Angeles, la ville de l’apparence ? Si tout les projecteurs éclairent cette façade, qu’en est-il du fond, existe-t-il ? Le Pueblo, c’était un désert, des indiens, de l’air, du ciel, du soleil, beaucoup d’air, des arbres de Joshua, quelques haciendas, et des courants d’air... La ville de l’apparence cacherait-elle la ville du vide ? Que ce soit dans Less Than Zero, de Bret Easton Ellis, Somewhere, de Sofia Coppola, et dans de nombreuses autres fictions, il est toujours question du sentiment de solitude, dans une ville où rien ne rassemble. Cette sempiternelle lassitude, quand plus rien ne nous rappelle que l’on est un humain et que tout nous ramène au niveau de produit. Même au sommet de la gloire, personne n’est à l’abri de vivre l’expérience du désenchantement. Se sentir seul à L.A. semble être un passage obligé, comme regretter le soleil lorsque l’on vit à Paris. Si l’on passe notre temps en représentation dans cette société du ramdam et du miroir, aucune autre ville n’est autant porteuse de cet isolement, de cette idée de désert social et de vacuité de l’existence. A tel point que l’on pourrait très bien disparaître ici sans que personne ne s’en rende compte. C’est donc dans cette ambiance évanescente que l’on peut voir évoluer quelques héros fordiens, que plus rien

ne semble rattacher à la vie, si ce n’est un spleen agrémenté d’une langueur. Bercé dans les routes sinueuses des collines, agressé par les néons des enseignes commerciales de la ville, hypnotisé par le rythme inquiétant des palmiers, de Beverly Hills à Venice, un parcours dans Los Angeles est un récit en soi. La ville du vide semble devenir le seul agrément, le seul piment dans ces vies pleine de désolation. Dans le temple de la consommation, à tout avoir, il ne manque alors qu’une chose : avoir quelque chose à perdre. Alors il faut essayer de convaincre, que l’on s‘amuse, mais sans jamais oublier qu’au final, à Los Angeles, rien n’est vrai. «Disparaître ici» semble alors l’alternative à «vivre ici». Peut être que par cette formule, il s’agit de prendre le contre pied de ce vide spatiale. La dématérialisation, la disparition apparaît comme la solution pour pouvoir exister face à ce néant.

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lost angeles

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Depuis quelque temps, son téléphone se manifestait de nouveau plus régulièrement. À la phase de l’entrain c’est vite substituée celle de l’angoisse. Ce n’était plus son agent, plus ses amis, plus ses conquêtes... C’était une voix inquiétante. Parfois elle coupait dès qu’il effleurait l’écran de son iPhone, mais généralement, cette voix proférait des menaces. Peut être était-ce un des vautours qui parasitaient les dernières soirées, un fan un peu faible, le mec d’une ex-conquête, un acteur jaloux... Il n’en savait rien. Il avait aussi remarqué cette vieille Ford, un peu pourrie, souvent stationnée dans son allée. Autant dire qu’une voiture de ce genre à Bel Air ne passe pas innaperçue et dérange... Il l’a vu un soir en rentrant du Roxy, elle est apparue les feux en veilleuse, sur Stradella Road puis arrétée au niveau de Vicenza Way. Le lendemain matin, elle était parkée en face de chez lui. À Los Angeles, les soupirants au rêve américain sont légions, et prêt à tout. Dès que l’un d’eux goûte au succés, aussi infime soit-il, les charognards ne sont jamais bien loin. Ses parents l’ont mis à la porte quand il avait 17 ans. Il a cessé de fréquenter ses anciens amis quand il a commencé à être connu. Toutes ces relations pouvaient être compromettantes. Elles l’avaient toujours été. Il se sentait à l’abri de ces troubles fête. Il les avait oublié. Mais depuis ces évenements, tous réapparaissés. Sont passé refaisait surface. Sa réussite était sans aucun doute à la source de ces nouveaux tracas. Et comme une mise en abyme des rôles qu’il interpretait, il se retrouvait à la vie comme à la scène, traqué par un sociopathe...

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HIGHWAY TO HELL «Si elle est devenue l’expression même de la taylorisation de l’intelligence et de sa soumission sans résistance à la logique du capital, Los Angeles est également le sol fertile où ont germé les critiques les plus incisives de la culture du capitalisme avancé [...] L’exemple le plus remarquable en est tout ce qui, en littérature et au cinéma, appartient au genre «noir», extraordinaire synthèse de réalisme impitoyable à l’américaine, d’expressionnisme allemand et de marxisme existentialiste, entièrement voué à démasquer cette ville de lumière et de péché (Welles) qu’est Los Angeles.»6

La crise de 1929 attire donc les écrivains réalistes de l’époque. Le rêve américain tourne au cauchemar et ce derniers trouvent en L.A. le pain béni nécessaire à la dénonciation du système... En utilisant les classes moyennes, frappées de plein fouet par cette crise, ils établissent le style “noir”. Dans cette société wellsienne où l’ont figure littéralement une ville à plusieurs niveaux, géographiques, certes, mais surtout social, les inégalités n’ont rarement été aussi flagrantes. Dès lors les discrets, les silencieux, les parias, les loosers, les outsiders, en gros, tout les laissés pour compte du système de consommation deviennent les victimes où les bourreaux du capitalisme. Mais le fait social ayant propulsé les bien heureux au summum peut aussi être la cause d’autres effets pervers pour les dénonciateurs de ce système. La distanciation, la paranoïa qu’elle peut engendrer, et la convoitise qu’elle suscite sont autant d’éléments capables de transformer les héros d’Hollywood en Bad Lieutenant. Si bien que dans ces fictions noires tout le monde devient le suspect idéal.

On peut aussi voir dans cette vision pessimiste de Los Angeles et d’Hollywood, le propre échec ou la déception de ces mêmes auteurs, attirés par la ville lumière, et qui ce sont brulés les ailes. Une bonne partie d’entre eux, venus à L.A. pour alimenter cette Dream Factory, sont devenus les victimes de la Nightmare Company. Raymond Chandler, James Cain, William Faulkner, qui ont été les forçats du synopsis à la grande époque d’Hollywood, sont avant tout allé a L.A. attiré par l’appât du gain. Nombre d’entre eux ont pris leur revanche par l’écriture. Ainsi Joseph Kessel publie en 1936 Hollywood ville mirage. Francis Scott Fitzgerald a commencé à écrire Le Dernier Nabab, charge mélancolique contre la machine à broyer, avant de mourir sans l’avoir terminé, en 1940.

«Arrosés de whisky et de dollars, torturés par l’idée fixe, les auteurs deviennent des maniaques de la trouvaille, des damnés que le producteur retourne sur le gril.»

JosephKessel, Hollywood Ville Mirage

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NO JOY, DIVISION Blade Runner installe chez le grand public une vision d’anticipation dystopique de Los Angeles et du système capitaliste. Les spéculations sur le futur font de la sombre imagerie du film le stade terminal de la cité des anges. Chez Mike Davis, cette vision échoue à «s’attaquer au vrai Los Angeles, à ses grandes plaines sans fins, et se limite à une vision hypertrophié d’un Downtown Art Déco». En ce sens, ce film représente plus le fantôme des rêveries du passé que le futur de la ville. Mais dans cette fantaisie, persiste l’idée vendue par Metropolis et 1984 de la ville à plusieurs niveaux. Une ville basse, populaire, où s’agite une masse ouvrière, à la merci d’une ville haute, dirigeante, bourgeoise et machiavélique. Cette ville intelligente surveille en permanence ses sujets. Elle devient dans ce cas, réellement un élément actif du film, en tant que police, milice et incarne physiquement les forces de l’ordre. «Vous ne pouvez pas contrevenir à la loi, si vous savez que Big Brother vous regarde.» Concrètement, ce phénomène s’illustre par l’érosion de la frontière entre architecture et maintiens de l’ordre. On constate l’implication toujours plus grande de LAPD dans les projets d’aménagements urbains. On assiste là à une transposition de la fiction dans la réalité, à un moindre degré.

p.27


conclusion

Los Angeles, Dream Factory... Si c’est quelle laisse croire, la vérité serait-elle légèrement biaisée. Pas si sur, si l’on conçoit l’idée même du rêve, qui n’est fondée sur rien de matérielle. En clamant qu’elle n’est exclusivement fantasme, Los Angeles nous lance au visage sa vérité, l’artifice. Considérons plutôt Los Angeles pour ce qu’elle est. On comprend aisément que la ville du cinéma ne peut évoluer autrement qu’en créant son propre décors. Que celui-ci s’étend sur toute la ville et contamine toutes les activités. Que sa principale vocation est de vendre au monde entier les vertus du capitalisme avancé.

p.28

Alors voilà, elle apparaît comme une prostituée, fausse et vénale. Elle tapine pour le compte de cette affreuse mère macrelle, la société de consommation. Elle lui ramène un tas de clients, prêt à tout pour croquer un bout. Les mécaniques sont nettement moins sexy que l’enveloppe. Des autoroutes tentaculaires qui étranglent tout ses organes, des échangeurs en béton, monstrueux, qui feraient passer Fritz Lang pour un petit rigolo. Tout ce qui est visible, elle le soigne et le met en avant, mais le reste, ce qui ne fonctionne plus très bien, elle le cache. Parfois ce mal resurgit, comme en 1992, incapable de panser ses plaies, c’est la septicémie qui l’accable. Et puis n’oublions pas qu’elle repose sur des bases ô combien fragiles, que le Big One plane au dessus d’elle comme une épée de Damoclesse.


Mais dès que l’on accepte les règles du jeu, Los Angeles devient une ville du plaisir, et non du vice. Elle représente effectivement la terre promise des rêveurs. Ici, tout est possible, dès lors qu’on sait que tout est faux. Et face à l’existence, la ville disparaît, ici même, alors qu’elle nous accueille. On se promène avec douceur, bercé par le rythme de la vie. On embrasse le ciel, le soleil nous caresse. On roule sur les routes sinueuses en grimpant dans les collines, et là, après quelques miles, miracle, elle nous apparaît : L.A. VILLE MIRAGE.

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références/crédits 1 - DAVIS M., 1997, Ombres et Lumières, in City of Quartz, Los Angeles, Capitale du Futur, p. 23, La Découverte, Paris

2 - Llano del Rio est une société utopique fondée en 1915 dans le désert de Mojave, par Job Harriman, prétendant à la mairie de Los Angeles 3 - DAVIS M., 1997, Retour vers le futur, in City of Quartz, Los Angeles, Capitale du Futur, p. 15, La Découverte, Paris 4 - BESSON P., 2007, Un Homme Accidentel, p.16, Julliard, Paris 5 - «Disparaître ici» est une phrase récurrente du premier roman de Bret Easton Ellis, Less Than Zero, en 1985. Il y décrit la lassitude d’un jeune nanti des beaux quartiers de L.A. de retour pour les vacances de Noel. Cette phrase est reprise dans la suite de ce roman Imperial Bedrooms, en 2010. 6 - DAVIS M., 1997, Retour vers le futur, in City of Quartz, Los Angeles, Capitale du Futur, p. 19, La Découverte, Paris

couverture et p.8, photos tirées du magazine Fast n°3, Juin-Juillet-Aout 2011 p.3.4.6. internet p.10 David Hockney, Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), 1971 p.13 Chateau Marmont vu depuis Sunset Boulevard p.16 Slim Aarons, Pantz Pool p.18 Sofia Coppola, Somewhere p.20.21 Andrew Bush, série Drive p.24 David Lynch, Lost Highway p.27 Ridley Scott, Blade Runner

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«À Los Angeles où elle serait venue se dissoudre, s’étirer à l’extrème ou encore se déliter, mais non se supprimer, l’idée, l’image de la ville.» Jean Luc Nanty La Ville au Loin

Louis Rambert encadré par Elke Mittmann ENSAV - 2012


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