Une production littéraire en adéquation avec le programme de la classe de seconde, option art plastique « Le plus beau sentiment que l'on puisse éprouver, c'est le sens du mystère. Il est la source de tout art véritable, de toute science. » Einstein A la source, l'émotion: Lequel d'entre de nous n'a pas ressenti le choc de la beauté ou la force de l'émotion face à un tableau qui soudainement capture notre regard? Qui n'a cherché à percer le mystère de cette attirance, de cet éblouissement face à une perfection qui nous interpelle si profondément? Il semblerait que là réside la source du roman de Tracy Chevalier, La jeune fille à la perle: vouloir percer le lien qui unit l'artiste et son modèle, pénétrer les arcanes de la création... N'y-a-t-il pas là, dans l'étude de cet ouvrage, matière à piquer la curiosité d'élèves ayant choisi l'option art plastique? De la fiction au réel: Parmi les objets d'étude du programme de la classe de seconde figure 'le récit, roman et nouvelle ». Dans ce cadre, au sein de la seconde 3, un projet culturel a été initié de concert avec le professeur d'art plastique afin de tisser un lien étroit entre ces deux enseignements. En ce sens, diverses activités et sorties pédagogiques ont été mises en œuvre: expositions du printemps de septembre ou musées parisiens lors d'un voyage scolaire à Paris. Du côté de l'exploration littéraire, des extraits de romans ont été étudiés, tels l'œuvre de Zola, notamment celui où le tableau présenté au salon des refusés provoque l'hilarité et les quolibets des visiteurs... Ainsi, les élèves ont pu glisser de la littérature à la peinture, de la fiction au réel, en observant eux-mêmes au Musée d'Orsay la toile de Manet, Déjeuner sur l'herbe, devenue Plein air dans le roman, ainsi que le portrait de Zola effectué par cet artiste en remerciement de son soutien. Un regard tout aussi attentif a été accordé à la toile de Vermeer, protagoniste du roman de Tracy Chevalier, La dentelière exposée au Louvre. Vers l'acte créatif: Nourris de cette double approche culturelle et confrontés aux outils de l'analyse littéraire du récit, les élèves ont pu s'inscrire dans une démarche didactique fondée sur une première sensibilisation, puis une analyse plus rigoureuse et une imprégnation qui a permis de parvenir au stade de la création, véritable investissement des savoirs et savoirfaire acquis dans le cadre du cours de français. Les élèves ont alors choisi un tableau auquel ils étaient particulièrement sensibles, comme point de départ d'une histoire centrée sur le rapport artiste modèle et toile. « Peut-être me direz-vous: "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?" Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis? »
Baudelaire n'exprime-t-il pas ainsi tout l'intérêt de cette écriture pour des élèves adolescents en quête d'identité? 42
Ainsi sont nées ces nouvelles, fruits de l'imagination de ces élèves, mais aussi d'un travail en amont, gage d'une appropriation des techniques narratives étudiées. Ainsi ce recueil a-t-il pris forme et corps, grâce à l'aide précieuse des responsables du réseau informatique du lycée, à l'équipe administrative et de direction, tous chaleureusement remerciés. Le professeur : Madame Delfau.
Sommaire • THE SKULL Charlotte Assi Illustration: Andy Warhol, The skull et Marilyn ………………………………………………………………………………………… ……p.4 • JE ME SOUVIENS Delphine Leduc, Roxanne Mazars et Ophélia Baya Illustration: Monet, La femme à l'ombrelle ………………………………………………………………………………………… …………p.6
• LES EPOUX ARNOLFINI Audrey Leduc, Anne-Sophie Van de Weghe et Sarah Benticha Illustration: Joannes Van Eyck, Les époux Arnolfini ……………………………………………………………………………………….p. 8
• L'INCONNUE DE L'EVENING LOUNGE Aurélie Paesa Illustration: Brent Lynch, Evening Lounge ………………………………………………………………………………………… …………p.12 42
• REVERIE Juliette Neuville, Sophie Gaïti et Karine Boutry Illustration: J, Brull Vinyoles, Rêverie ………………………………………………………………………………………… ………………p.14
• DOUBLE FACETTE Audrey Grison Illustration : Roy Lichtenstein, M-Maybe ………………………………………………………………………………………… …………p.16
• LES IRIS Malicka Ferrari Illustration : J, Brull Vinyoles, Rêverie ………………………………………………………………………………………… ……….…p.19 • HOLLYWOOD LEGEND Sonia Burger et Loriane Cabaret Illustration: Andy Warhol, Marilyn …………………………………………….……………………………………………… ………………..p.21 • NO SWIMMING Théo Coutanceau Illustration: Norman Rockwell, No swimming ……………………………………………………………………………………………p .22
• MON FRERE IRWIN Oriana Marini Illustration: Greuze, L'enfant à la colombe …………………………………………………………………………………………… ….p.24
• LISE OU LA JEUNE BOHEMIENNE Meggy Tisserand Illustration: Auguste Renoir, Lise ou la jeune bohémienne 42
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• L'OEUVRE D'UN INSTANT Marie Sanchez et Laura Da Costa Illustration : T, Couto, L'œuvre d'un instant …………………………………………………………………………………………… …p.34
• L'HOMME DU SILENCE Ilan Athouel Illustration: RCB, L'homme du silence …………………………………………………………………………………………… ……..…p.36
• LE TEMERAIRE Thomas Duffort Illustration : William Turner, Le téméraire …………………………………………………………………………………………… …p.38
• LA FIN D'UNE MOSAÏQUE Salwa Hariki Illustration : La fin d'une mosaïque …………………………………………………………………………………………… ……………p.40
• LA OU TOUT SE FOND ET SE CONFOND Léa Bouillet Illustration : G. Klimt, Le Baiser …………………………………………………………………………………………… ………………p.41
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The skull - « Lève la tête, non pas autant, légèrement, voilà...Ouvre la bouche, non, souris! PAR-FAIT! » Chaque jour, pendant deux ans, c'était la même chose, pour parvenir à retrouver la même pose. Et à chaque fois cela prenait environ une heure. Marilyn ne remarquait pas à quel point celui-ci la dévorait du regard, « c'est un peintre il sait ce qu'il fait. » se disait-elle à chaque séance. Leur intimité se renforçait ainsi jour après jour; de temps en temps ils allaient manger ensemble à Madison Square, une autre fois ils sortaient ensemble au cinéma, parfois ils se baladaient des après-midis entiers dans Center Park... Andy Warhol tombait chaque jour un peu plus amoureux de son plus beau modèle. - « Ding dong! Andy? Tu es là? J'ai une nouvelle à t'annoncer! Ouvre-moi! - Marilyn! Comment vas-tu? - Bien et toi? Demanda-t-elle avec un soupçon de gêne dans la voix. - Ca peut aller, j'étais en train de faire les retouches de ton tableau, il sera fini dans environ quatre semaines... - Justement j'ai quelque chose à te demander, ça me gêne mais c'est vraiment important. - Dis-moi, qu'est-ce que je peux faire pour toi? Questionne-t-il avec un sourire jusqu'aux oreilles. - Nous aurions besoin du tableau, mais plus tôt, dans trois semaines ça serait possible? Je peux même venir ce week-end si c'est nécessaire. Le peintre change alors totalement d'attitude: - Qui est ce « nous » et pourquoi veux-tu le tableau en avance?! interrogea-til en fronçant les sourcils. - Andy, je ne sais pas si je peux te le dire maintenant... Soit, je préfère te mettre au courant: je vais me marier, et on a besoin du tableau pour le mettre dans la salle de réception... Le mariage est dans trois semaines. 42
- Ah... Mais tu sais un tableau ça ne se finit pas comme ça... Tu le connais depuis quand? - Depuis trois mois. - C'est bizarre je ne me souviens pas de toi me parlant de lui... - Ne te vexe pas, tu resteras toujours un grand ami pour moi!
- Ce n'est pas cette relation que j'espérais entre nous deux. -S'il te plaît Andy, ne me fait pas ça... - Que veux-tu que je te dise? Oui je vais essayer de le faire à temps... Mais ne me presse pas! - D'accord ne t'inquiète pas, veux-tu que je vienne ce week end? - Oui. A treize heures trente ici. - J'y serai... −A samedi » dit-il en fermant la porte sans laisser à son amie le temps de lui répondre. Derrière cette porte, Marylin remonta dans sa voiture, avec un profond dépit, qui la rongea jusqu'à ce fameux samedi. Les deux amis étaient tous deux dans le même état en attendant ce jour là, désespérés, se demandant s'ils allaient pouvoir être comme avant, toujours aussi complices. Le samedi tant attendu arriva, Marilyn était en avance, ne voulant pas déranger Andy dans son travail. Elle s'assit donc sur le banc devant l'entrée, sans savoir que le peintre l'observait de la fenêtre de la cuisine, il ne disait rien, ne bougeait pas, il la fixait, et elle ne s'en rendait pas compte, elle vérifiait sa montre à chaque minute. Ca ne serait plus jamais comme avant. Leur relation était devenue sans aucun intérêt, le seul intérêt étant la peinture. Même celle-ci était ternie, la joie et la bonne humeur qui l'imprégnaient avaient disparus. Marilyn essayait d'être compréhensive avec le peintre, mais rien ne le réconfortait. Il se contentait de mélanger les couleurs, et de les appliquer sur la toile, tapissée de coups de pinceaux roses, violents et agressifs. Le sourire de Marilyn, qui au début était naturel sur le tableau, prenait de jour en jour un air artificiel. Un air artificiel qui ne lui allait pas, certes, Andy le savait, mais « c'est ce qu'il est » pensait-il. Le grand jour était venu. Marilyn arriva chez son peintre, qui avait terminé les retouches dans la nuit. Elle sonna, il ouvrit. Il lui tendit le tableau emballé dans un drap noir, sans même regarder son plus beau modèle. Elle le saisit, ne le découvrit pas et s'enfuit, après avoir embrassé la joue de celui qu'elle considérait comme son meilleur ami trois semaines auparavant. Andy retourna dans son atelier et considéra l'homme, attaché et bâillonné sur une chaise: 42
- « Alors Tom? C'est vrai, je dois l'avouer Marilyn est magnifique... Je l'aime bien, beaucoup même. Elle est... comment dirais-je, fantastique, éblouissante. Oui, c'est ça: EBLOUISSANTE. Mais il fallait qu'un imbécile, évidemment beau et riche comme toi, vienne tout gâcher. » Andy sortit alors un revolver et le plaqua contre la poitrine de l'homme, terrifié, pour ensuite presser la détente. Cette scène Andy ne l'oublia pas, ce sang mélangé à la peinture blanche donna un rose bonbon, pour l'ombre du crâne. Un jaune or pour celui-ci afin de symboliser la lumière du feu qui brûlait dans son cœur; du blanc pour la table représentant le vide qui l'anéantissait; un vert olive pour le fond teinté d'une étrange amertume; et pour finir des touches de noir dans les orbites du crâne emplies de haine. Pendant ce temps là, Marilyn arrivée à la mairie se retourna et demanda à sa mère: - « Maman, ne pourrais-tu pas aller voir ce que fait Tom s'il te plaît? »
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Je me souviens...
En 1926, lors d'une après midi de printemps, une vieille femme était assise sur un banc, portant le deuil de son défunt mari enterré une heure auparavant, pleurant toutes les larmes de son corps, lorsqu'une voix grinçante dit : - « Ma chère Camille, je regrette la mort de votre mari, c'en est fini de tous ces tableaux vous représentant qui manquaient singulièrement d'inspiration ! Dire qu'il n'aura même pas eu l'honneur de pouvoir représenter une belle femme, une vraie, en l'occurrence moi. Je suis d'une telle grâce, d’un si grand beauté, d'une telle élégance... qu'hélas vous ne pourrez jamais égaler! Vraiment, il est parti trop tôt! J'en suis tellement vexée que j'oublie toute politesse: toutes mes condoléances, madame, toutes mes condoléances. Il se fait tard, je dois prendre le thé, au revoir madame Monet ! »
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Elle partit. Camille murmura en pleurant : - « Cette femme ne cessera jamais d'être méchante, même le jour de la mort de mon mari. Mon cher époux, sans toi le monde n'est plus pareil, il me paraît si exaspérant. » Elle se remit à pleurer à chaudes larmes lorsqu'un jeune homme arriva, s'assit auprès d'elle, l'enlaça avec amour pour la soutenir dans sa tristesse et il lui dit : - « Il n'aurait pas voulu vous voir dans cet état si désespéré. Rappelezvous... Rappelez-vous de notre tableau, dans les jardins de Giverny. Oh ! Rappelez-vous de ces journées merveilleuses à ses côtés ! - Oui mon fils, je m'en souviens un peu mais, je n'ai plus que des vagues souvenirs je suis si veille murmura-t-elle. - Alors venez, il faut que vous vous souveniez, en mémoire de père. Je sais qu'il ne voudrait pas qu'on oublie ces journées pendant lesquelles il a peint ce tableau, nous représentant. » Il se leva, prit la main de sa mère et l'emmena vers les jardins de Giverny. Il la fit traverser une allée magnifique bordée de cerisiers japonais que les branches, aux fleurs épanouies, recouvraient comme une voûte aux couleurs d'un rose éclatant. A l'entrée d'une porte composée de verdure, ils virent une vaste plaine tapissée de fleurs d'un jaune vif, noyée dans l'herbe verdoyante. La femme se mit à genoux, caressa l'herbe de ses mains tremblantes puis respira à pleins poumons l'odeur de l'herbe pour la garder à jamais dans sa mémoire. Un sourire apparut sur ses lèvres et elle dit: - « Oui, je me rappelle de ces moments de plaisir et de tranquillité. Lorsqu'on était à Argenteuil, un beau jour de printemps, le soleil brillait de mille éclats cachés par de légers nuages. Il m'avait représentée avec une ombrelle d'un vert sombre, habillée d'une robe fluide dont le vent épousait mes formes. Mon visage apparut très doux dans ce tableau à peine esquissé par quelques coups de pinceaux. Ma silhouette se détachait à contre jour dans une atmosphère bleutée dont il déposait les couleurs d'une tendre façon. Elle resta un instant rêveur, puis reprit : - « Je ressens encore cette immense joie qui m'envahit lorsque j'ai su qu'il m'avait représentée, il voulut me peindre avec un chapeau couleur blé et un vêtement de couleur similaire à ma robe. Ainsi il fixa à jamais l'harmonie qui régnait dans notre chère famille. » Elle tomba à genoux, figure pieuse d'une émotion retrouvée. Au quai d'Orsay, Madame Bouchbé, face à ses élèves, tourna le dos à la 42
toile en achevant sa lecture et déclara : - « Ce sujet de rédaction vous a vraiment inspiré, mais de toutes ces histoires, celle-ci est de loin la meilleure. »
Les époux Arnolfini Par une belle après-midi de Juillet, Madame Arnolfini convia ses amis à prendre le thé. Il faisait très beau ce jour-là, les oiseaux chantaient, le vent était doux et l'herbe bien verte, c'était une journée idéale pour annoncer une grande nouvelle. En ce milieu d'après midi, les jeunes femmes arrivèrent et s'installèrent à la terrasse du jardin. Parmi elles, se trouvait Madame de Chaudron de Courcelle, sa meilleure amie. La journée fût riche en rires et 42
commérages, toutes paraissaient ravies de se trouver là. Soudain, Gisèle se leva. Ses amies parurent légèrement surprises, personne ne parla, toutes la regardèrent. Elle prit la parole : - « Mes amies, tout d'abord je tenais à vous remercier de vous être jointes à moi, afin de partager cet agréable moment. Si je vous ai réunies ici en cette belle après midi, c'est que j'ai une grande nouvelle à vous annoncer. Je ne vous l'ai pas dite plus tôt car j'attendais d'en être sûre, mais voilà, j'attends un enfant. » Les jeunes femmes ouvrirent grands leurs yeux et éclatèrent de joie. Chacune la félicita avec entrain. Mais Sidonie, autrement dit Madame de Chaudron de Courcelle, remarqua que son amie ne paraissait pas si enchantée que cela. Celle-ci s'absenta en prétextant aller chercher quelques gourmandises à la cuisine. Sidonie la suivit. Elle la trouva, un mouchoir à la main, les yeux rouges et légèrement mouillés. Elle lui demanda ce qui n'allait pas mais Gisèle lui répondit simplement que c'était l'émotion. Plusieurs semaines passèrent, et Madame de Chaudron de Courcelle, trouvait que le moral de son amie était au beau fixe et ne l'avait plus jamais revue depuis cette après midi d'été, avec les larmes aux yeux. Le ventre de cette dernière s'était arrondi cela la rendait plus belle que jamais, ce qui plaisait énormément à son mari Pierre Arnolfini, qui attendait cet enfant depuis tellement longtemps. Le soir de Noël, les époux Arnolfini dînaient en tête à tête autour d'un copieux repas. La table était généreusement garnie de plats appétissants et de diverses victuailles. Toutes sortes de mets délicieux, tels que la dinde aux marrons, les pommes duchesses, la bûche, dégageaient une odeur caractéristique des réveillons de Noël. Ce soir-là, Gisèle habillée de sa plus belle robe, resplendissait au milieu de la pièce. Celle-ci était ample, d'une couleur vert émeraude, le pan légèrement relevé au niveau de la ceinture, épousait parfaitement les formes arrondies de son ventre. Le repas se termina dans la bonne humeur et vint le moment de l'échange des cadeaux. C'est alors que Pierre annonça à son épouse que cette année elle ne trouverait pas le sien au pied du sapin. Il lui expliqua alors que pour marquer l'attente de cet heureux événement, il prévoyait de faire venir un peintre afin de faire un tableau de leur couple en souvenir de cette première grossesse. Elle fût ravie d'apprendre cette nouvelle. Gisèle, cloîtrée dans sa chambre, se préparait afin d'être la plus belle possible lors de la séance de peinture lorsque quelqu'un frappa à la porte; son mari étant occupé, elle se hâta d'aller ouvrir. Le peintre Jan van Eyck se tenait sur le seuil de la porte un chevalet et son matériel de peinture sous le bras. Lorsque leurs regards se croisèrent, un malaise s'installa entre eux. Un long moment se passa sans qu'aucun d'eux ne prononcent mot. -" Ah Monsieur Jan van Eyck! Pile à l'heure ! Je vois que l'on peut compter sur vous ! s'exclama Pierre en arrivant derrière elle. J'ai tout installé dans la
chambre, nous pouvons commencer. - Oui ... Bien ...Bien sur Monsieur, balbutia le peintre mal à l'aise. - Suivez -moi je vous prie." Pierre ouvrit la marche pour les mener jusqu'à la chambre ou il avait prévu de se faire peindre, suivi de près par son épouse et Jan van Eyck. Ils arrivèrent dans la chambre, Jan van Eyck déposa son matériel dans un coin afin d'en faire le tour. La pièce éclairée par la lumière du soleil, n'était ni trop petite, ni trop grande. Le rouge flamboyant du lit jouait parfaitement avec la couleur beige des murs. Rufus, le chien de Gisèle, qui les avaient suivis gaiement, entra dans la chambre et s'installa entre les époux. -" Rufus, s'écria Pierre, sors d'ici immédiatement ! Gisèle ma chère, voulezvous bien le conduire dehors ? - Si je puis me permettre, Monsieur Arnolfini, votre chien peut faire partie du tableau. - Oui, quelle bonne idée ! Qu'en pensez-vous Pierre ? s'écria Gisèle. - Pourquoi pas, si cela peut vous faire plaisir," lui répondit son mari. Le peintre commença à sortir tout ce dont il allait avoir besoin, sa peinture, ses pinceaux, sa toile et toutes sortes d'outils puis il installa son chevalet. -" Je pense que vous devriez vous tenir debout, au milieu de la chambre, main dans la main avec votre chien entre vous ", conseilla Jan van Eyck à Pierre et Gisèle. Les époux s'exécutèrent mais Gisèle paraissait fortement mal à l'aise. -" Détendez-vous ma chère, ce n'est qu'un tableau ! - Peut-être que Madame, préférerez être assise ? - Non ça ira. Je vous remercie." lui répondit-elle. Au fil du temps, des formes vagues apparurent peu à peu sur la toile. On pouvait y reconnaître les époux, une plus petite tâche à leur pied représentait Rufus, une autre au plafond le lustre, et pour finir un rond sur le mur représentant le miroir qui se trouvait juste en face de lui. Une après-midi où Gisèle avait invité Madame de Chaudron de Courcelle, Pierre passa devant la cuisine où elles se trouvaient et crut entendre son épouse pleurer mais n'y fit pas attention, sûrement des soucis de grossesse qu'elle confie à son amie pensa-t-il. Chaque jour le peintre revenait pour continuer son travail. Les époux Arnolfini n'avaient encore pu l'apercevoir car ils préféraient attendre que celle-ci soit achevée. Maintenant, on y distinguait clairement Monsieur Arnolfini et le reste de la pièce mais l'apparence de Madame Arnolfini restait bien floue. Plus les dernières rondeurs du ventre de Gisèle prenaient forme, plus le malaise entre elle est le peintre grandissait. Pendant une séance habituelle, Pierre se rendit compte qu'un détail lui avait alors échappé jusqu'à présent. En effet, il venait de remarquer que le peintre n'avait jamais regardé Gisèle, et se demandait alors comment celui-ci
pouvait peindre son portrait sans même avoir observé le visage de cette dernière. Cette nuit-là, n'arrivant pas à dormir préoccupé par tout cela, Pierre prit la décision d'aller lui même jeter un coup d'œil à la toile. Il descendit les escaliers en essayant de faire le moins de bruit possible afin de ne pas réveiller Gisèle. Arrivé dans la chambre qui servait d'atelier, il souleva délicatement le drap qui recouvrait le tableau avec une certaine appréhension. Il vit alors à la place du corps de son épouse une large tache floue. Etant donné que le tableau paraissait pratiquement achevé alors que les moindres détails du reste de l'œuvre semblaient atteindre la perfection, Pierre fut légèrement choqué de voir cette tâche occuper la place de son épouse. Le lendemain matin, avant la séance, il attendit l'arrivée de Jan van Eyck afin de lui avouer qu'il avait regardé la toile et de lui faire part de son inquiétude. - "Monsieur Jan van Eyck, je vous attendais ! Ma femme n'est pas encore prête, venez je voudrais vous parlez seul à seul." Surpris, le peintre suivit Monsieur Arnolfini dans l'atelier. - "Tout d’abord il faut que je vous avoue quelque chose … - Je vous écoute monsieur, répondit le peintre quelque peu surpris. - Croyez-moi, la tentation a été la plus forte, car cette nuit j’ai soulevé le drap qui recouvre la toile. J’y ai jeté un bref coup d’œil et je me suis aperçu que mon épouse restait encore très floue alors que le reste du tableau est incroyablement bien détaillé. Comment cela se fait-il ? - Oh, euh ...et bien …dit le peintre qui paraissait soudain mal à l'aise, c’est fort simple. Votre femme étant enceinte je comptais la faire en dernier afin de lui accorder toute mon attention et mettre le plus grand soin dans ce passage délicat. Comprenez-vous? - Bien entendu ! Comment n’y avais-je pas pensé ! Enfin, passons. Attendez-moi ici, je vais aller voir si Gisèle est enfin prête." Pierre Arnolfini laissa le peintre dans l’atelier et partit chercher son épouse. Celle-ci était à l’étage, assise à sa coiffeuse arrangeant ses cheveux. Il lui dit que Jan Van Eyck les attendait en bas, dans l’atelier, Gisèle attrapa Rufus et suivit son mari. Les dernières séances se passèrent calmement et comme l'avait dit Jan van Eyck il peignit Madame Arnolfini avec le plus grand soin comme s'il la connaissait dans les moindres détails. Le tableau était à présent achevé. Chaque particularité de la pièce, aussi minime qu’elle soit, était visible sur la surface gondolée de la toile , qui n’était pas tout à fait sèche. On y reconnaissait Pierre tenant la main de sa chère et tendre Gisèle et à leur pied, leur fidèle compagnon, Rufus. On y voyait aussi le lustre au plafond, les sandales de Gisèle dormant sur le sol, la fenêtre entrouverte filtrant la lumière, le miroir accroché au mur et le lit d’un rouge flamboyant. Le tableau frôlait la perfection et son créateur pouvait en être fier. Les époux Arnolfini n’avaient encore pu le contempler. La nuit tombante, le peintre se rendit alors dans le salon où il rencontra
Monsieur Arnolfini. Celui-ci lui fit signe de s’asseoir. Ce que fit le peintre. Après un long moment de silence, Jan van Eyck parla le premier. - "Voilà Monsieur, le tableau est achevé. Les dernières retouches ne sont pas encore sèches, aussi vous demanderai-je de ne pas y mettre vos doigts afin de ne pas y laisser de traces. J’aurais également aimé parler avec Madame si vous me l’autorisez. - Oui bien sûr, elle est sur la terrasse, me semble t-il. Mais ne vous attardez pas trop, elle est fatiguée en ce moment. - Bien sûr, je comprends, je ne la dérangerai qu'un instant." Sur ce, le peintre se leva, tournant le dos à Pierre, sortit de la pièce et se dirigea vers la terrasse. La curiosité est un vilain défaut, avait-on déjà dit à Pierre Arnolfini, mais cela était plus fort que lui, il profita donc de l'absence du peintre pour aller jeter un coup d'œil à la toile achevée pour laquelle il avait passé tant d'heures avec des fourmis dans les jambes. Arrivé dans la pièce où elle se trouvait, il souleva le drap et la découvrit. Il la trouva magnifique, les détails étaient sublimes. Il était vraiment heureux de se voir main dans la main avec son épouse sur une toile. Il la scruta dans ses moindres détails, de son chien Rufus qui semblait avoir le poil plus soyeux que d'habitude jusqu'au reflet de lumière sur le chandelier lorsqu'il aperçut un détail surprenant. Dans le miroir au fond de la pièce on pouvait voir que le peintre avait peint son reflet, le problème étant qu'il s'était peint entre les deux époux comme pour créer un obstacle. L'expression de Monsieur Arnolfini changea alors soudainement, le bonheur qu'il ressentait quelques secondes plus tôt avait laissé place à de la colère. Il regarda par la fenêtre pour voir ce que faisait le peintre avec son épouse, il les vit assis sur un banc bordant le petit bois, son épouse en larmes et le peintre à ses côtés les mains sur son ventre. C'est alors qu'une rage intense s'empara de Pierre, il sortit de la pièce prenant le premier objet à sa portée et se rendit dans le jardin. Il fit un détour par l'arrière de la maison et se retrouva dans le petit bois. Il se cacha derrière un arbre; de là, il pouvait voir le peintre et son épouse de dos toujours assis sur le banc. Son visage était déformé par la colère. Le lendemain matin, on retrouva les corps inanimés du peintre Jan van Eyck et de Madame Gisèle Arnolfini, chacun d'eux ayant reçu plusieurs coups de couteau. Pierre Arnolfini avait compris pourquoi son épouse avait été si distante avec lui neuf mois plus tôt et pourquoi le peintre avait tant eu de mal à peindre les formes de son épouse. Pierre Arnolfini avait compris que le créateur de l'oeuvre n'avait pas seulement donné vie au tableau...
L’inconnue de l’Evening Lounge Vingt et une heure trente, à l’Evening Lounge. Seul, assis à une table à l’abri des regards, Brent Lynch, talentueux peintre de la banlieue New Yorkaise, cherchait l’inspiration dans l’ambiance jazzy de ce bar réputé plutôt chic. Il venait ici tous les soirs depuis sa sortie de la prestigieuse université de Princeton. Etant assez aisé financièrement, il ne se souciait pas de son avenir professionnel mais préférait s’asseoir là, à la table qui se trouvait près du bar, une table dans l’obscurité où il pouvait voir tout le monde, mais ou personne ne pouvait le voir. Il n’était pas ici pour la renommée de ces cocktails ou pour l’arôme pointu de son café, mais il aimait examiner la solitude des riches traders venant passer une soirée en tête à tête avec leur bouteille de Jack Daniel’s, mais aussi l’allure des ravissantes rédactrices en chef, parfaites jusqu’au bout des ongles, venues jusqu’ici accompagnées de
leur MacBook Air afin d’apprécier un moment de calme et de sérénité.
Jusqu’à présent, il ne trouvait son inspiration qu’ici. C’était certain, il différait en cela avec les autres peintres de son entourage, amis de la nature, cent pour cent écolos, ne se nourrissant que de nourriture certifiée « Agriculture Biologique ». Lui, il aimait le jazz, les femmes, les cigarettes et Andy Warhol mais ce qu’il appréciait par-dessus tout, c’était d’être assis là, dans ce bar, un carnet et un crayon entre les doigts, entrain de regarder ces gens, riches, mais seuls. Le fait d’être là, les regarder sans être vu, lui donnait la sensation de savoir tout sur tout, de les connaître intimement sans leur avoir jamais parlé. Epiant les moindres faits et gestes de chaque forçat de travail, il avait réussi à réinventer à chacun d’eux, de la pointe de son crayon, une nouvelle vie, sûrement plus belle. Cependant, un soir d’une journée banale, «Elle» entra. Son regard fût attiré par cette jeune femme au teint légèrement hâlé, à la taille fine, vêtue d’une robe noire et d’un châle déposé sur ses fines épaules. Ses cheveux bruns contrastaient avec la clarté de ses yeux verts. Mais le plus beau restait son sourire, lorsqu’elle commanda un Gin-fizz au barman. Celui-ci fit chavirer le cœur de l’artiste. Elle n’était pas comme les autres, elle dégageait un charme jusqu’à présent jamais égalé par n’importe quelle femme qui entra dans ce refuge des âmes dépassées par le travail. Il resta là, les yeux fixés sur elle, essayant de s’imaginer les raisons pour lesquelles elle se trouvait ici. Pendant près d’une heure, il l’accompagna du regard dans la dégustation de sa boisson. Pour la première fois, il fit abstraction du reste ne se concentrant que sur cette indescriptible beauté. Sur son calepin, il redessina à l’identique les courbes parfaites de la jeune femme, prenant soin de n’oublier aucun détail. Pour la première fois, il n’ajouta aucun artifice, n’essaya en aucun cas de déformer la réalité, car Elle, il la voyait comme l’incarnation de la perfection. C’est alors que le déchirement arriva. Son verre vide, elle paya son dû au barman et se leva. Elle balaya la salle du regard, et se dirigea vers la porte. Le cœur de Brent se mit à battre la chamade, « Elle » prit la poignée de la porte, la tira vers elle, et comme si elle entendait le cœur de l’artiste, elle se retourna, lança un regard dans l’obscurité, comme si elle savait qu’il était là, comme si elle l’avait vu. Le bruit de ses talons raisonna dans la tête de Brent comme le son étourdissant d’un marteau piqueur. L’image de cette femme ne le quitta plus une seconde. Dès lors, il ne la revît plus. Brent n’arrivait plus à reprendre les esquisses des protagonistes de l’Evening Lounge, il passait juste ses soirées, ses nuits, à redessiner la silhouette de celle qui était devenue sa muse. Il
l’espérait tous les soirs… En rentrant dans son sinistre loft, il avait installé, au milieu de son salon une toile sur laquelle il avait retranscrit l’exacte réplique de sa déesse. Elle était peinte, de dos, gardant tout son mystère. Qui était-elle ? Pourquoi s’était-elle retournée ? L’avait-elle vu ? Tant de questions lui parvinrent à l’esprit sans jamais pouvoir y répondre. Il restait donc là, pendant des heures, la contemplant et se demandant s’il la reverrait un jour…
Rêverie Un soir de pleine lune, où l'air était frais, elle se promenait dans une sombre forêt quand elle aperçut au loin le reflet de la lune sur l'eau claire d'un
lac. Elle s'approchait pas à pas pour admirer la beauté de ce paysage. Elle n'avait que le silence pour compagnie et le faible cri d'une chouette. Sur la berge d'en face, de mystérieuses jeunes femmes dansaient en formant une ronde, main dans la main. On aurait dit des anges tout droit descendus du ciel. La luminosité de la lune se reflétait sur leurs fines robes soyeuses et brillantes. Elle remarqua un rocher au bord du lac et la tentation de s'y asseoir pour les observer secrètement l'envahit. Après quelques hésitations, elle se posa discrètement sur la douce mousse de la pierre, c'est alors que des perles salées commencèrent à rouler sur ses joues. La froideur de la nuit lui transperça la nuque et elle eut un petit frisson qui la fit sursauter. Le souvenir de cette année 1890...
Elle habitait alors au château de Kerguelem non loin du lac Lunaire, bordé de saules pleureurs qui plongeaient leurs longues branches dans le lac. Ce château appartenait alors à la famille Vinyoles, dont le comte était un peintre de renom, Joan Vinyoles. La jeune fille avait alors été engagée comme servante; tous les jours, elle s'appliquait à entretenir la maison, à laver les draps, le sol, les carreaux, à faire la cuisine... Mais jamais elle n'avait vu le peintre. Jamais il ne se montrait devant elle. C’était à croire qu'il l'évitait. Mais elle ne s'en plaignait pas, elle faisait son travail sans protester et jamais elle n'avait eu à recevoir les réprimandes de ses maîtres. Ce qu'elle ne savait pas par contre, et qu'elle découvrit quelques années plus tard, c'est que le peintre, bien au contraire, ne l'ignorait pas. En effet, il la trouvait très jolie et rêvait d'en faire son modèle. Joan avait remarqué que tous les soirs, aux premières lueurs de la lune, la jeune servante allait se promener au bord du lac où elle restait de longues heures assise sur un rocher à contempler le paysage. La beauté de la jeune femme était tellement fascinante pour le peintre qu'il en restait muet et consacrait sa nuit à retracer les courbes enivrantes de cet ange. Toutes les nuits donc, il allait lui aussi au bord du lac avec son chevalet sous le bras ainsi que sa palette et ses pinceaux à la main pour la peindre en cachette et chaque touche d'huile qu'il plaçait sur la toile l'emportait dans un sentiment d'hypnose. Au bout d'un an, son service chez les Vinyoles toucha à sa fin et elle partit sans regret et sans savoir qu' elle avait été pendant une année, le modèle du peintre. Quelques mois après son départ, elle fut prise au service de la famille De la Feuilleuret, une noble lignée de Bretagne. Ses nouveaux maîtres étaient
des passionnés d'œuvres d'art, donc elle découvrit au fur et à mesure qu'elle parcourait les pièces de la villa, tous les tableaux qu'ils possédaient. Puis, quand elle dut dépoussiérer la chambre de sa jeune maîtresse, elle parcourut du regard la série de peintures accrochées au mur face au lit et l'un d'eux attira son attention. En effet, celui-ci représentait une femme, mince, assise sur un vieux rocher regardant au loin. Il faisait sombre et l'on pouvait voir la jeune femme seulement grâce aux doux rayons de lune. Le paysage en arrière-plan ne lui parut pas inconnu: un lac, dans les tons bleus et gris sombres s'étendait sur les trois quarts de l'œuvre; un saule pleureur se découvrait devant la jeune fille et cachait une grande partie de la lune. Au loin, elle aperçut alors d'étranges danseuses qui évoluaient gaiement sur le rivage. Elle eut un sursaut et son cœur s'accéléra quand elle s'aperçut que ce paysage, c’était le sien. Enfin, celui qu'elle avait admiré pendant ces longues et apaisantes nuits chez son ancien maître, le peintre Vinyoles. Et la jeune femme au premier plan, c’était elle.
Double facette
C’était encore une journée ensoleillée, pendant laquelle je devais passer ma journée dans de prestigieux studios de photographes, appelés à vendre mes photos aux quatre coins du globe. Ces journées-là, je les détestais car au fond de moi, je m’ennuyais, la lumière étant artificielle, ce n'était pas celle de la vraie vie. Les yeux rivés sur l’objectif, je souriais et je luisais, mais je n’étais pas moi…Oh non, vraiment plus moi. Depuis que mon meilleur ami photographe s’était suicidé, durant certaines journées, une mélancolie profonde me hantait. Je lui en voulais d’être parti, de m’avoir quittée au sommet. J’avais envie de tourner la page mais je n’en avais point le courage. - « Say my name, say my name… » Mon portable sonna soudain pendant ma pause déjeuner. Qui cela pouvait-il bien être ? James Brett? Le peintre de renom, issu du pop art, un mouvement des années soixante! A vrai dire, je me demandais pourquoi un peintre comme lui me sollicitait! - « Bonjour Lily. C’est James Brett au téléphone. −Bonjour
James. Que me vaut cet honneur ?
- En fait, je voulais vous proposer de participer à un projet valorisant le droit des femmes. Pour cela, je dois peindre plusieurs portraits de femmes, et j’avais pensé notamment au vôtre. −Ecoutez,
votre proposition est plutôt alléchante! Est-ce que l’on peut se rencontrer ? Je suis disponible à partir de 19 H ;
- Très bien, passez chez moi, à mon atelier près de la plage de Long Island . - Aucun problème ! A demain soir et merci encore. - Au revoir. » Le lendemain 19H, arrivée au studio du photographe J. Brett. Je descendis de la limousine. Un large portail en acier s’ouvrit devant moi. Je pénétrai dans une allée entourée d’un jardin aux couleurs exotiques et aux formes exacerbées. Devant l’entrée, je sonnai et la porte s’ouvrit: aussitôt, j’entrevis la mer à travers une magnifique baie vitrée, qui me donna l'illusion de marcher sur l’eau. James m’accueillit chaleureusement et me fit visiter sa maison ou plutôt son bijou. Enfin, nous sommes entrés dans l’atelier et là, stupéfaction, la pièce était vide, les murs blancs, pratiquement sans ouverture sur l’extérieur. Le mobilier se composait uniquement d’un tabouret et d’un chevalet. James me demanda de m’asseoir afin de commencer le croquis, mais j’étais bien trop agitée pour prendre la pose.
- « Mais James, comment fais-tu ? Je veux dire la lumière, les décors, les costumes... Où est tout ton matériel ? - Mon matériel ?! Ah Lily, tu me fais bien rire. Les shootings photo que tu as pu faire n’ont rien avoir avec la peinture d’une toile ! Seules l’imagination et la créativité comptent. Décris-moi ton appartement à un moment précis de la journée. - D’accord, je vais essayer. Hier soir, vers 21H, j’écoutais la dernière chanson de Kylie Minogue. J’avais ouvert la fenêtre d'où on pouvait voir les buildings de New York City s’illuminer comme un arc-en-ciel. Je me souviens avoir eu froid à cause du courant d’air, d’ailleurs je commençais à être décoiffée ! Je portais une robe bleue marine, un blouson et des gants blancs. - Je pense avoir assez de renseignements. Bon maintenant j’ai besoin que tu restes assise pendant une bonne heure. Tu es prête? - Je suis prête. - Parfait. Commençons! » Quelques semaines plus tard, notre travail fût enfin terminé et le résultat était fabuleux. Il avait su capter en moi l’émotion qu’aucune photo n’était arrivée à trouver. L’inauguration de l’exposition de Brett était imminente et je dois dire que toutes les femmes choisies étaient sublimes. C’était un travail de professionnel, à l'image de celui de mon meilleur ami décédé. Cette collaboration m’a donc amenée à réfléchir sur beaucoup de choses et je pensais à mettre fin à ma carrière de mannequin qui ne me satisfaisait plus. J’étais arrivée au sommet, maintenant, il était temps pour moi de partir avec dignité. J’annoncerais mon départ à la fin de l’exposition. Le grand jour était arrivé ! J’allais annoncer ma fin de carrière au monde entier à l’occasion de l’exposition de Brett. Evidemment, je n’avais toujours pas choisi mes vêtements : ma petite robe noire Gucci ou ma robe à volants Chanel ? Pour les chaussures, je mis celles de Jimmy Choo, noires avec des strass sur la fermeture, sans oublier ma pochette Marc Jacob argentée.
−«
Dring, dring ! » C’est le chauffeur de ma limousine, je devais y aller!
- « Tout ce monde! » pensai-je. D’un côté, je devais m’en douter, un peintre comme James Brett, il n’y en avait pas deux ! Dans la salle, je pris un cocktail, histoire de me détendre. Plusieurs personnalités vinrent me saluer et complimenter le portrait que Brett avait fait de moi. Le buffet touchait à sa fin, place au discours... C’est James qui commença en expliquant pourquoi il tenait tant à faire
cette campagne pour le droit des femmes et en remerciant celles qui avaient été ses muses, moi y compris. Soudain, j’entendis mon nom : c’était à mon tour de faire un discours. Je me dirigeai vers le podium. La foule avait les yeux rivés sur moi. Je m’apprêtais à faire quelque chose que je risquais de regretter mais je me lançai. Cette décision, je l’avais mûrement réfléchie. - « Bonsoir mesdames et messieurs, je voudrais tout d’abord louer le fabuleux travail de James Brett qui a su retranscrire sur des toiles les expressions les plus intimes de ces femmes tellement différentes. James Brett a un don que nul autre peintre n’a, à ma connaissance, celui de percer le cœur des femmes. Il a su percer le mien, et pour cela, je le remercie. » Toutes les femmes présentes se mirent à applaudir, si longtemps que je n’arrivais plus à reprendre la parole. - « Comme tout le monde le sait, il y a quelques mois, j’ai perdu un de mes
plus fidèles collaborateurs et amis, le célèbre Tom Wild. C’est pourquoi j’ai ressenti le besoin de m’investir dans une campagne pour le droit des femmes, de participer activement à une cause, en mettant mon physique au service du bien. Cependant, je dois vous avouer que ma vie professionnelle ne me satisfait plus. Je pense avoir tout donné, le meilleur de moi-même. Pour moi cette collaboration est le point final… de ma vie artistique et de ma vie tout court, car rien de plus beau que ce qui émane de ce tableau ne saurait advenir. L'art sera le garant de cette éternelle beauté, car regardez ces portraits... » Je marquais une pause et repris: - « Seules les femmes qui ont droit à la beauté sont reconnues, élues, toutes les autres n'ont que celui de se tapir dans l'ombre. Seul ce droit m'échoit à présent, celui de l'éternelle obscurité qui baigne ces inconnues mais aussi à présent mon ami... Seule la peinture est source d'éternelle lumière. » En prononçant ces ultimes paroles, je glissai ma main dans ma pochette et délicatement, sortis une arme de ma pochette... Dernier flash: un trou rouge à la tempe.
Les iris Lui : - « Allongé contre toi, à cet instant précis ou je sens ton cœur battre, lentement, mais il bat, j'en suis sûr, je sais qu'il ne peut rien nous arriver. Nous sommes deux, contre le monde. Nous sommes deux, pour la vie, pour l'amour. Tu frissonnes, le vent est frais, comme tu es belle! Tu dors, mais tu souris, de ce léger sourire d'ange que toi seule sait arborer. Ce sourire qui me réchauffe et me rassure. Ce sourire que tu ne cesses d'avoir, même dans les pires moments de ta vie. Ce sourire, tu l'as mis en bouclier, tu te caches derrière lui. Mais moi, moi je sais. Combien de temps cela fait-il? Depuis combien de temps sommes-nous dehors? Je ne sais plus. Le temps s'est arrêté ce soir. Le lac ne bouge plus, le saule-pleureur nous abrite et nous protège comme il l'a si souvent fait
autrefois. Tu te souviens, mon ange, c'est ici que nous nous sommes rencontrés la première fois. Peut-on appeler cela un coup de foudre? Non ! Une si belle évidence, toi, moi, et c'est tout. Comme ce soir, le temps s’était arrêté. Et tout a commencé. Sans vraiment s'être déclaré, l'amour était là. Tu te souviens mon ange, de tous les billets que je te faisais passer, rien de plus qu'un iris, toi seule comprenais. Jour après jour nous nous sommes vus, en cachette de ton père, cela nous faisait rire...je sais qu'il m'a accepté maintenant. Mon ange, te souviens-tu du jour où tu m'as demandé de te peindre? Je t'avais envoyé un iris « 10 heures au lac ». Tu étais là, plus belle que jamais. Tes longs cheveux roux mettaient encore plus en valeur tes yeux verts aux mille reflets. Cette image de toi, je ne l'oublierai jamais. Tu souriais mon ange lorsque tu me l'as annoncé : - « Je vais mourir ». Trois mots chuchotés et qui m'ont fait pleurer. Et tu me l'as demandé, mon ange, je voulais seulement que tu restes avec moi... Ici, devant ce lac, sous ce saule-pleureur à côté de nos iris. Tu voulais que je fixe tes traits dans ce décor. Mais à cet instant, où je te sens contre moi, je n'ai plus peur de te perdre. Et ce tableau, je le ferai, pour nous, j'immortaliserai ce moment où je t'ai vue m'attendre. Je t'ai longuement observée, mon ange, ce soir. La maladie t'a affaiblie, tu es pâle et sembles si fragile dans cette robe blanche. Tu as gardé le regard dans le vague si longtemps, mon ange, à quoi pensais-tu? »
Elle : - « Comment t'expliquer ce qui se passe? Ma vie, aurai-je un jour le courage de te l'avouer, avant qu'il ne soit trop tard...si je n'en ai pas la force, pardonne moi... Oui, pardonne moi Ma vie, mais t'annoncer ma mort prochaine t'avait tant bouleversé, comment aurai-je pu te dire... Comment t'avouer que malgré la fatigue et la maladie... Comment t'annoncer que bien que la mort me guette... je porte la vie... Tout est fini...ma vie, prends-la, je te la donne pour ton tableau. »
Lui : - « Que tu es belle mon ange. Tes cheveux réunis en un chignon dont pas un cheveu ne dépasse, si parfaits. Les traits de ton visages si doux, si parfaits. Tes mains, si fines. Ta peau si blanche, mon ange... Mon ange parfait... Ton cœur ralentit, la vie te quitte...Déjà... Ici, contre moi, je le sens, tu me quittes. Une larme perle sur tes joues si pâles, et tu souris...
Tout est fini ... Mon ange, mais à jamais désormais tu souris... »
* HOLLYWOOD LEGEND * Dans les années 60, Andy Warhol, peintre renommé, peignit un tableau façon pop art de Marilyn Monroe. Cette femme occupa une grande place dans sa vie, il fit ce tableau pour lui rendre hommage, en ressassant à l'infini les souvenirs qu'ils avaient partagés... Pendant l'été 1946, Andy Warhol fut convié à une exposition d'œuvres d'art dont Marilyn était le sujet. Ce fut à cette occasion qu'il la rencontra pour la première fois. Ils ressentirent tous les deux quelque chose l'un pour l'autre, un sentiment fort et inexplicable. Marilyn l'invita à une de ses soirées qui eut lieu le soir même. Andy accepta l'invitation et partit avec elle. Cette soirée fut une des plus belles de sa vie, pleine de couleurs, de musique, de paillettes, une soirée Hollywoodienne... C'est en se souvenant de cette soirée qu'il éclaboussa son tableau de multiples couleurs. Le lendemain Andy, ne pensait qu'à elle, elle occupait chacune de ses pensées, et n'avait qu'une seule envie, la revoir... Le jour suivant, il la recroisa à la sortie d'un hôtel. Il alla la saluer et l'invita à dîner. Il lui déclara ses sentiments. Elle lui fit comprendre que c’était réciproque. Ils rentrèrent chacun
chez eux à la fin de cette formidable soirée. Le lendemain matin, Andy lut dans les journaux que Marilyn était morte. Il se réfugia dans son atelier et contempla le tableau de Marilyn empli de couleurs qu'il trouva tout à coup trop pâles. Il le reproduisit alors plusieurs fois avec différentes couleurs sans regarder celles qu’il utilisait. Il n'a jamais cherché à savoir pourquoi ou comment elle était morte. Il entendit des rumeurs comme quoi elle s'était suicidée c'est pour cette raison qu'il n'a pas voulu savoir. Il préféra à sa façon, la ressusciter en la reproduisant à l'infini ...
No swimming
Jeudi 19 septembre 1951, voilà une journée de plus où je rode perplexe autour du lac des Essarts, vide à cette époque. A droite à gauche, toujours rien si ce n'est cette vaste étendue d'eau ornée de cette autre forêt dense. Quel beau rêve que d'être garde forestier, et pourtant je reste à errer jour après jour au bord du lac cherchant inlassablement un intrus à intercepter... Chaque soir, lorsque je retournais dans mon «cabanon », j'avais pour habitude de peindre, peindre tout et n'importe quoi, mais peindre, m'évadant
ainsi de cette monotonie quotidienne et infinie. Mais ce dernier mois, plus rien... Pas le moindre soupçon d'inspiration. J'avais beau chercher encore et encore, rien ne me venait. Je me tournais alors vers mes vieilles toiles qui ornaient, les murs de la pièce. A droite, je me souvins en voyant mon premier tableau de ce jour où je m'étais fait attaquer par une laie protégeant ses petits, pris de panique j'avais plongé dans l'eau, la laie restant sur la rive. J'avais gardé un tel souvenir de cet épisode que je n'avais guère mis plus de deux mois à finir ce tableau représentant la laie se cabrant de rage au bord de l'eau devançant ses trois marcassins et vociférant des cris sur-aigus.
Quelques tableaux plus loin, je me souvins de la fois où j'avais peint cette bicoque abandonnée sur le lac et qui avait mis quelques semaines à sombrer au fond du lac. Encore un peu plus loin, je vis mon dernier tableau, celui que j'aime le moins... Il est à la fois si simple et si froid. Il représente le panneau indiquant « NO SWIMMING » planté en inclinaison sur un petit bosquet d'herbe au milieu de la berge. La peinture rouge commençant à s'effacer, on distinguait à peine les lettres sur cette pancarte reflétant l'injonction.
Ce soir là, je suis allé me coucher de bonne heure, exténué, et laissant défiler dans ma tête tous mes vieux tableaux, je m'endormis ainsi comme un enfant... Le lendemain matin je fus réveillé par un aboiement, j'ouvris alors un œil, la lumière était intense, j'avais sans doute oublié l'heure et beaucoup trop dormi. Je sautai alors dans mes bottes, enfilai ma veste et ma casquette, sortis en courant et là, bouche bée, je vis trois enfants d'une dizaine d'années accompagnés d'un chien, tous trois en train de s'éclabousser à grandes eaux. Pris au dépourvu, je contempla cette agitation niaisement durant cinq grandes minutes, tant j'étais surpris de voir ce lac d'ordinaire à la surface si lisse, baignant dans tant d'activité.
Soudain lorsque les trois mômes me virent, ils prirent alors leurs habits à la hâte et partirent à toutes jambes, leur chien slalomant entre leurs pieds. L'un des trois garçons, le plus rondelet, avait du mal à suivre, lorsqu'il trébucha au pied du panneau avant de repartir de plus belle. Paralysé de surprise, je ne bougeai alors pas d'un centimètre jusqu'à ce que les trois enfants ne furent plus que des ombres lointaines.
C'est alors que l'idée me vint, j'allais reprendre mon tableau « No swimming » pour y rajouter les trois enfants et leur chien... Je mis trois mois durant lesquels, chaque soir, je travaillais des heures entières pour finir mon tableau. J'ornais mon tableau d'un somptueux cadre en or, et l'accrochai en tête de mon lit. En une matinée, ces trois « garnements » m'avaient fourni assez d'inspiration pour bien longtemps...
Mon frère Irwin.
Nous nous tenions très fort la main ce jour-là, ma sœur Isaline et moi, pour ne pas nous perdre dans cette foule qui envahissait la place du marché. Cette affluence était sans doute due à la baisse des prix de la viande en ce premier jour du printemps. Nous, nous nous dirigions vers l'étal de fruits et légumes, impatientes de rentrer à la maison et de commencer la préparation d'un gros gâteau pour l'anniversaire de notre frère aîné. Irwin fêtait ses 18 ans, ce jour-là et toute la famille était un peu excitée. On se dépêchait d'acheter quelques fruits pour orner le gâteau. Nous quittâmes d'un pas décidé la place du marché. Arrivées à la maison, nous avons fait le trajet jusqu'à la cuisine sur la pointe des pieds, l'oreille attentive, de peur que notre frère soit déjà rentré. Notre oncle l'avait réveillé à l'aube pour l'emmener choisir un cadeau, ceci n'étant bien entendu qu'une diversion pour l'attirer loin de cette demeure en fête. Personne ici, personne là, tout le monde rassemblé autour des poêles, des fourneaux et des décorations. Dehors, ils avaient mis bout à bout, deux grandes tables et les avaient recouvertes d'une grande nappe blanche. Mes tantes mettaient le couvert. Je m'éclipsais quelques instants loin de tout ce brouhaha collectif, cherchant partout notre père. Je finis par le trouver au bord de la rivière, en train de peindre. - « Tu n'as toujours pas fini? Le questionnais-je. - Ha ma petite Ellyn ! Viens voir cela ! » Je m'approchais alors et regardais ce qu'il pointait du doigt. - « Il n'y a rien à voir... Je le fixais alors, lui. - Regarde la couleur de l'eau... " En effet, je regardais tour à tour l'eau puis celle sur le tableau. En effet, elle était devenue d'un bleu plus vif encore. Je compris alors pourquoi il peignait à la dernière minute ce tableau qu'il allait offrir à mon frère; mon frère a toujours aimé cette rivière depuis que nous sommes enfants et mon père ne voulait pas qu'il l'oublie une fois qu'il aurait quitté la maison, quand ce moment serait venu il voulait alors faire en sorte que cette rivière, il puisse l'admirer chaque jour. Je lui souriais et il sut alors que j'avais compris. Je l'embrassais sur le front et repartis m'atteler à la tâche pour que tout soit vite fini. Quelques heures plus tard, je finissais de décorer le gâteau avec les fruits que nous avions achetés au marché, quand j'entendis des pas dans l'entrée. Je me dépêchais d'aller voir si ce n'était pas mon frère et notre oncle qui revenaient. Personne, il n'y avait personne dans l'entrée, bizarre... Je me suis dis que mon imagination me jouait des tours à cause de l'excitation de la fête. Je retournais à la cuisine, mais avant d'avoir pu entrer je me suis retrouvée tirée en arrière par le bas et une main se plaqua contre ma bouche. On me tirait un peu plus loin dans le couloir. - « J'en étais sûr ! Me chuchota une voix à l'oreille. - Irwin ! Criais-je. » Il me remit immédiatement la main sur la bouche.
- « Chuut ! Ils vont t'entendre ! - Mais qu'est-ce que tu fais là, où est l'oncle Garry ? - Devant la maison pour ne pas montrer que nous sommes rentrés, tu le connais il n'a pas pu tenir sa langue ! » Il rigolait tout seul tandis que je rougissais de honte et de tristesse à l'idée de savoir que la surprise tombait à l'eau à cause d'un oncle un peu trop bavard. Me voyant déçue, mon frère me dit : - « Ne boude pas, ce n'est pas si grave... - Si ! Ça l'est pour nous, nous voulions vraiment te faire une belle surprise. - Tu sais, je peux toujours faire semblant, je suis un très bon acteur. Allez, tu ne diras pas que je le sais et personne ne se doutera de rien. » J'acquiesçais pendant qu'il me fixait toujours. Cela me gênait et je me dépêchais de retourner à la cuisine en lui lançant par dessus mon épaule: - « Va te cacher, si quelqu'un d'autre te voit, ça va tout gâcher ! » Il s'exécuta et monta l'escalier sans faire de bruit jusque dans la chambre. Deux heures passèrent avant que tout soit terminé et l'heure de la grande surprise arriva enfin. Irwin ma raconta plus tard qu'il était passé par la fenêtre de la chambre pour ressortir de la maison et rejoindre notre oncle sans passer par la porte d'entrée et sans risquer de se faire voir. Ils entrèrent donc tous les deux, mon frère un peu devant l'oncle Garry. Nous étions disposés de façon à ce qu'il nous voit tous en même temps dans le jardin, il passa la porte et nous criâmes en cœur: - « Bon anniversaiiiire ! » Ses yeux s'ouvrirent en grand, un large sourire orna son visage. Dans sa comédie, il ajouta même une petite larme quasiment invisible qui coula sur sa joue. A part moi, je ne savais pas si quelqu'un d'autre l'avait vu. Il me regarda alors, avec son sourire immense et un regard que je ne lui avais jamais vu. Il s'approcha de nous, notre père, ma sœur et moi pour nous serrer dans ses bras... Isaline ne put retenir ses larmes, elle, qui était très sensible. Mon père fit un pas sur le côté et laissa apparaître un drap blanc sous lequel était dissimulé le tableau. Irwin tendit la main et le retira. En voyant l'œuvre de notre père, ses yeux se mirent à briller, je voyais bien là que ce n'était plus de la comédie et qu'il était vraiment heureux. Mon père et lui se serrèrent encore une fois dans les bras et on entendit une voix dire: - « Allez Irwin ! Viens souffler tes bougies ! » Ceci fait, des tonnes d'applaudissement se firent entendre, on ne se serait pas cru en famille mais plutôt sur la place publique le jour du défilé du carnaval ! Nous étions à peine une quarantaine de personnes mais j'avais l'impression que nous étions plus de cent, tout ça pour l'anniversaire de mon frère chéri. Ma sœur Isaline me demanda si on allait faire la même chose pour son anniversaire et le mien l'an prochain. Je lui répondis que je ne savais pas pour le mien mais que pour le sien je ferai tout mon possible pour qu'il soit aussi magnifique que celui-ci.
Cela faisait plus d'un mois que la fête avait eu lieu et le calme était revenu dans notre maisonnée. Il y avait tout de même quelque chose qui avait changé, je ne savais pas quoi et cela me tourmentait. Pendant plus d'une semaine je réfléchissais, regardant attentivement tous les gestes de ma famille, j'observais aussi parfois le ciel, assise au bord de la rivière. Je m'amusais en même temps à chercher des formes dans les nuages comme quand nous étions enfants, Irwin, Isaline et moi. Cette fois là encore, j'étais restée trop longtemps au bord de la rivière et Irwin était venu me chercher. ' « Tiens, je vois un écureuil, dit-il avant que je ne sente sa présence derrière moi. - Moi je vois une colombe qui sort d'un chapeau, dis-je à mon tour. » Il s'était assis à coté de moi et nous rigolions pendant presque une demiheure comme cela. Je pouvais alors remarquer que ses cheveux roux avaient poussé depuis son anniversaire. Je le trouvais vraiment beau depuis toujours, mais à présent il était devenu un homme bien plus mature et intelligent qu'auparavant. Je lui demandais: - « Tu vas bientôt te marier? - Quoi ? Hum... Pourquoi dis-tu ça? » Il semblait vraiment étonné, alors je m'expliquais: - « Oui, avec la fille des Gourtier, je vous ai vus l'autre soir devant la maison. » En effet, cette jeune fille d'un an de moins que lui, l'invitait souvent à des soirées chez ses parents, ses amis, ou même aux bals du village. Elle s'intéressait à mon frère depuis à peu près deux ans. Ils s'étaient rencontrés lors du mariage de sa sœur, où nous étions invités. Il répondit un peu troublé: " Ha... Non enfin, oui peut être. C'est elle qui m'a amené à faire ça, je crois que... - Que tu lui plais ? " Je finissais sa phrase car je voyais qu'il était gêné et qu'il voulait en finir avec cette conversation au plus vite. Ne t'inquiète pas je ne dirai rien à personne sur ce baiser si tu veux. » Il sourit alors, avec ce même sourire que lors de la fête et il avait aussi le même regard, un regard doux et plein de remerciements. Le soir, Isaline me questionna en insistant sur ce dont nous avions parlé quand nous étions au bord de la rivière avec Irwin – ma sœur et moi dormions dans la même chambre – je ne savais alors que lui répondre repensant sans cesse au regard d'Irwin. Je rougissais soudain et Isaline me demanda alors : - « Qu'est-ce que tu as Ellyn? Tu es toute rouge, tu te sens mal? - Non, non ça va ne t'inquiète pas je vais bien, j'ai juste... » Je m'arrêtais alors ne sachant que dire, ne comprenant pas. Isaline, voyant que je n'étais pas dans mon état normal, ne me posa plus de questions, me
fit une bise sur la joue encore rosie et partit se coucher dans son lit de l'autre côté de la chambre. Cette nuit-là, j'ai rêvé d'un nuage immense qui arrivait au dessus de notre maison au milieu de la campagne. Poussé par un souffle de vent intense, il se faufilait par la porte, se glissait dans ma chambre dans un grand fracas et m'emmenait loin, loin de tout, de ma famille, de mon père, de ma sœur, et à mon grand désespoir, d'Irwin... Pourquoi est-ce lui la dernière personne que j'ai aperçue dans ce rêve ? Pourquoi ses yeux et les miens étaient-ils si tristes et emplis de larmes? Je décidais de ne plus y penser car cela me faisait mal, mon cœur se serrait dans ma poitrine et j'eus comme une étrange envie de vomir, suivie de l'envie de me blottir dans ses bras, comme s'il n'était déjà plus là, que nous avions été séparé cette nuit. Tout cela n'était qu'un mauvais rêve, même plus encore et je ne trouve pas les mots pour le définir. Ne plus y penser, c'est la seule solution pour ne plus avoir mal. Le lendemain, tout était flou, je ne me souvenais que de quelques bribes parties de ce rêve, cela me soulageait. Le printemps était maintenant proche de l'été et la chaleur nous avait tous surpris. Nous décidâmes alors d'aller tous les trois - Irwin, Isaline et moi- un après-midi de liberté, nous baigner dans la rivière près du petit bois. Nous avions choisi cet endroit assez reculé de la maison, près de notre « cachette secrète » comme nous l'appelions étant enfants. Nous aimions ce petit coin, bien au frais sous le grand pin, avec cette rivière bleue qui coulait calmement vers le village voisin. Ayant enlevé nos chaussures et relevé le bas de nos robes, Isaline et moi sautions à pieds joints dans l'eau fraîche, éclaboussant notre frère et éclatant de rire. Par la suite, il se vengea bien. Nous nous sommes ensuite séchés avec les rayons du soleil qui passait au travers des branches. Nous étions seuls tous les deux, Isaline était partie ramasser quelques fruits rouges dans le petit bois pour notre quatre-heures. Nous observions encore le ciel, comme toujours quand nous nous retrouvions tous les deux. Soudain, un oiseau passa devant les nuages, d'habitude, nous n'y faisions pas attention mais là, il s'agissait d'un tout autre oiseau que ceux que l'on voit dans cette région, un oiseau qui n'avait rien à faire ici en liberté. C'était une colombe. Mon frère m'expliqua qu'elle devait s'être échappée d'un cirque pas très loin. Je n'arrivais plus à détacher mon regard d'elle, je la trouvais si majestueuse, si délicate dans ses mouvements. Irwin était aussi attentif à tous ses mouvements. A un moment, elle semblait descendre vers nous pour nous saluer et, l'instant d'après elle était déjà loin, bien haut dans le ciel. Puis elle fini par se poser sur un branche dans l'arbre, juste au dessus de nous. Irwin se releva très lentement, au passage je reçus quelques gouttes de ses cheveux encore humides, elles étaient froides, plus froides que l'eau de la rivière et je sursautais. Mon mouvement brusque fit fuir la colombe et mon frère eut un air triste, comme s'il n'avait pas pu sauver la princesse qu'il aimait tant. Je m'en suis voulu à cet instant-là.
Après cela, Isaline revint et – elle m'a raconté cela plus tard – elle nous trouva endormis appuyés contre le tronc de l'arbre, la tête d'Irwin sur mon épaule, souriant en rêvant.
L'été arriva enfin. Un matin, alors que je me lavais le visage avec de l'eau du puis, j'eus comme un flash, une idée me traversa, puis elle se concrétisa et j'en étais sûre, j'avais trouvé ce qui avait changé, ce que je ne trouvais pas, la chose que je cherchais depuis si longtemps... C'était le regard d'Irwin quand nous étions ensemble. Il était plus intense, plus fort. Je m'en suis aperçu à ce moment, car j'en avais rêvé, j'avais fait ce rêve plusieurs fois déjà, mais je n'avais pas focalisé ma vision sur son regard. C'était certain, Irwin, mon frère adoré, avait un regard m'apaisait et me donnait des frissons chaque fois qu'il posait les yeux sur moi. Je voulus en faire encore une fois l'expérience. Je descendais donc l'escalier pour aller dans la cuisine, il était déjà là, avec notre père, en train de prendre son petit déjeuner. Notre sœur devait encore dormir, et elle resterait couchée jusqu'au début de l'après-midi. Je m'assis donc en face d'Irwin; c'était nos places respectives et nous y tenions tandis que notre père était en bout de table. Nous commencions à discuter: - « Alors, tu as bien dormi Ellyn ? Me questionna mon père. - Oui, très bien, j'ai fait un très joli rêve. » Je me sentais alors rosir quand Irwin, l'air intéressé et curieux posa son regard sur moi avec un grand sourire qui semblait vouloir dire, raconte-le moi. - « Hé bien... » Ma gorge se noua un peu et j'eus le souffle coupé. - « Ça ne va pas? Si, si, ça va, je réfléchissais. Pour tout vous dire, j'ai rêvé de toi Irwin. » Un silence s'introduit dans la conversation. Je n'osais pas lever les yeux et regarder Irwin. Il baissait la tête, l'air un peu gêné sans doute, je l'imaginais en train de rougir un peu, l'air heureux. Non ! Pourquoi, pourquoi à cet instant là, ai-je voulu qu'il soit heureux ? Mon cœur battait la chamade, je savais ce que cela voulait dire, mais je n'osais encore l'admettre. Mon père sourit et ajouta: - « Hé bien hé bien... Vous passez tellement de temps ensemble avec Isaline que tu en rêves même la nuit. » Nous avons eu un rire embarrassé et la conversation dévia sur un autre sujet. Je n'ai pas revu Irwin de toute la journée, Isaline l'avait vu avant qu'il ne parte et il lui avait demandé de nous dire qu'il était parti voir un ami dans un des villages voisins et qu'il ne reviendrait pas avant le soir. Nous profitions de son absence avec Isaline pour nous plonger dans des activités plus féminines que celles que nous avions l'habitude de pratiquer avec notre frère comme la broderie de napperons pour la table, un bon coup
de ménage dans les pièces et un gros repas bien garni pour le soir. Notre père fût très étonné quand il vit tout ce que nous avions préparé et se demandait même s'il n'avait pas oublié qu'il y avait une fête, un mariage ou un anniversaire ce jour. Nous l'assurâmes qu'il n'y avait rien et que ce n'était que par pur plaisir que nous faisions cela, il parut soulagé de ne pas avoir la mémoire qui lui jouait des tours. Ce n'est que le soir qu'Irwin réapparut. Il était assez tard et la nuit commençait à tomber. Je me tenais debout au bord de la rivière car l'herbe étant devenue froide je ne pouvais m'y allonger. Je regardais le reflet de la lune dans l'eau quand j'entendis des pas derrière moi. Persuadée que cela aurait pu être Isaline qui venait me chercher, je ne me retournais pas et attendais qu'elle m'interpelle. Mais là, rien... Pas un mot, juste un souffle chaud dans mon cou, une main tiède sur ma hanche et un bras qui passait par dessous mon épaule, la main tendue vers l'avant, une colombe dans la paume. Je sursautais en ouvrant de grands yeux, étonnée, je me retournais alors. Irwin était là, il était revenu et il tenait l'oiseau dans sa main, toujours avec ce merveilleux sourire que j'aimais tant, il me dit: - « Tiens, elle est pour toi, tu la reconnais ? - C'est, c'est la colombe que... ? » Je ne finissais pas ma phrase, il m'avait déjà prise dans ses bras. Mon cœur se mit à battre la chamade, je ne pensais plus à rien, son corps chaud me réchauffait, son souffle dans ma nuque et mon oreille me donnait des frissons mais je ne voulais pour rien au monde me détacher de ses bras, si grands, tout comme ses mains qui se posaient sur ma taille, tout comme ses épaules larges contre lesquelles je me sentais en sécurité. La colombe, à présent dans l'herbe vint lui frôler la cheville, je fis un pas en arrière me dégageant malgré moi de cette étreinte. - « Qu'est-ce qu'il y a? Demanda Irwin. - Je... Heu... Nous... Nous de devrions pas, on ne peut pas c'est... » Je m'arrêtais alors, son regard fixait le mien encore une fois, je ne pus me retenir plus longtemps et lui non plus apparemment, car il m'avait déjà reprise dans ses bras et m'embrassait. Ce fut un baiser si long, si doux, si... Nous savions tous deux qu'il ne fallait pas, que nous étions frère et sœur mais pourtant, sans même se l'être dit, nous nous aimions depuis longtemps. Pourquoi nous en sommes-nous aperçus maintenant ? Nous ne savions pas, mais nous savions une chose, si quelqu'un apprenait l'existence de ce genre de relation entre nous deux - un frère et une sœur - nous serions dans une situation bien compliquée. Nous nous enlacions encore, je ne savais plus depuis combien de temps, j'avais perdu toute notion de temps, quand soudain, nous entendîmes un craquement dans l'herbe suivi d'un mouvement de tissus. Isaline était là, et elle nous observait depuis je ne sais combien de temps, debout, les yeux
grands ouverts, une main sur sa bouche, tandis que l'autre tremblait. D'effroi peut être, ou de peur... La peur de se rendre compte que ce qu'elle avait vu était vraiment arrivé, d'admettre cette réalité. Un inceste dans la famille, comment aurait-elle pu accepter cela? Trop dur à porter sans doute... Elle restait là, sans bouger, puis sursauta comme si elle venait juste de voir qu'on la regardait, recula de trois pas, très lentement, puis se mit à courir vers la maison. Nous savions alors qu'elle était partie tout raconter à notre père, depuis notre plus petite enfance, elle nous dénonçait toujours quand nous faisions des bêtises, quand nous cassions quelque chose, ou quand nous montions le plus haut possible dans le grand chêne sans prendre en compte l'interdiction de notre père; Irwin me prit alors par la main, et m'entraîna dans la direction empruntée par Isaline, je compris alors ce qu'il avait en tête, ce qu'il voulait faire. Il voulait tout avouer, ne plus cacher notre amour, cela ne faisait même pas une heure que nous en avions pris nous-mêmes conscience mais si nous avions tout nié à cet instant-là, ils l'auraient tous découvert un jour ou l'autre. Nous croisâmes Isaline qui sortait de l'atelier de peinture de notre père, l'air toujours aussi surpris mais on y voyait à présent comme une satisfaction d'avoir fait le bon choix et d'avoir pris le dessus sur nous, elle avait la tête haute en passant à nos côtés. Nous tenant toujours la main, nous nous présentâmes devant notre père, les yeux fixés droit devant, ne montrant aucune culpabilité devant notre acte. Il restait là, devant nous, un pinceau à la main. Nos mains se serraient de plus en plus à chaque seconde. Notre père finit par demander sans détour : - « Est-ce qu'Isaline vient de m'apprendre est vrai ? Êtes-vous tombés amoureux l'un de l'autre? » Surpris de cette question si directe, Irwin déclara: −« OUI ! En effet nous nous aimons. Nous n'avions en aucun cas l'intention de le cacher à quiconque mais nous en avons pris conscience nous-mêmes il n'y a même une heure de cela. Je sais que dans notre cas en tant que frère et... »
Mon père l'interrompit: - « N'en dis pas plus mon fils, je ne vous reproche rien et je ne juge pas mes enfants. » Irwin tourna la tête vers moi au même moment où j'esquivais le même geste en sa direction. Mes yeux se remplirent de larmes et Irwin passa sa main autour de mes épaules. Ces larmes n'étaient pas des larmes de tristesse, mais plutôt une réaction de soulagement même si rien encore n'était vraiment clair dans les propos de notre père. Ce dernier posa alors le pinceau qu'il tenait toujours, contourna son chevalet, prit place sur la chaise derrière le bureau placé sur le long mur en face de la porte et nous fit signe de nous
approcher. Il joignit les mains et expliqua: - « Mes enfants, vous savez, je vous aime tant, je vous aime tous de la même manière depuis votre plus jeune âge. Je ne fais aucune différence et aucune préférence entre vous. Je me suis pourtant aperçu de cela il y a quelque temps, le jour de ton quinzième anniversaire Ellyn. J'ai remarqué que le regard d'Irwin envers toi avait quelque peu changé. J'en fus troublé au départ, mais cette information, que j'avais oubliée tellement je vous aime, m'est revenue à l'esprit. » Irwin et moi ouvrions de grands yeux impatients: - « Père, ne nous faites pas attendre comme cela, dites-nous ce que vous avez en tête, déclarais-je alors. - Hé bien, voyez vous, il marqua une petite pose puis reprit, Ellyn, je t'aime autant que ton frère et ta soeur, c'est pour cela que je voulais effacer cette idée de ma tête mais... il marqua un autre temps de pose qui apparemment énerva Irwin puisque je sentis sa main serrer mon épaule. Ellyn, tu n'es pas ma fille. » Mes yeux s'ouvrirent en grand, la main d'Irwin se serra tellement qu'il me fit mal mais je n'y prêtais aucune attention, je voulais d'avantage d'informations. - « Co-comment-ça ? demandais-je tandis que d'autres larmes me montaient aux yeux. - Hé bien... Un an après la naissance d'Irwin, tandis que ma femme était encore de ce monde, nous t'avons trouvée, toi, petite fille, abandonnée dans un panier au bord de la route. Nous avons décidé de te recueillir et de t'adopter en expliquant simplement que tu étais notre fille. La famille n'a pas posé de question car à l'époque nous avions coupé les ponts pour nous isoler dans la campagne reculée du pays. Plus de nouvelle de nous depuis plusieurs années, cette nouvelle naissance n'était pas une si grande surprise que ça. Peu de temps après, votre mère est retombée enceinte et c'est là qu'Isaline est née. Nous sommes ensuite revenus nous installer dans notre campagne natale pour nous rapprocher de nos familles et amis. » Nous ne savions que dire Irwin et moi, nous restions muets et Père ajouta: - « Je me doutais qu'il se passerait quelque chose entre vous deux, je ne sais pas très bien pourquoi, mais c'est ce que votre mère a annoncé sur son lit de mort. Vous vous aimez, mais ce n'est pas grave, il n'y a aucune raison de ne pas vous laisser éprouver de tels sentiments dans de telles circonstances ! » Mes larmes se sont alors mises à couler, Irwin me prit dans ses bras et m'embrassa. Notre père, le sourire aux lèvres sortit de la pièce et rappela Isaline pour tout lui raconter. Quelques temps après, nous nous mariâmes un jour d'été. Et Père offrit à Irwin une toile qu'il avait peinte il n'y a pas si longtemps. C'était un portrait de moi, celui pour lequel je posais quelque après-midi où je n'avais rien à faire. Mon père l'avait peint, aidée de notre soeur Isaline, qui s'initiait à la peinture. Il avait juste rajouté un détail, un être en plus dans ce tableau: la colombe. Celle qu'Irwin m'avait offerte et qui était à présent toujours avec
moi, comme un animal de compagnie.
Lise ou la jeune bohémienne Les habitants de Séville étaient très accueillants et généreux. Voilà trois semaines que j'errais dans cette ville et je parlais déjà très bien la langue. D'après la boulangère de la petite avenue, on parlait beaucoup de moi, on me surnommait même « l'Etranger ». Je n'étais qu'un vieux peintre de Paris, nommé Auguste, qui avait quitté son entourage et sa vie pour s'éloigner de ces personnes hypocrites intéressées par une seule chose, mes tableaux. J'avais envie d'une nouvelle vie... Une nouvelle vie dans un nouvel endroit, pour rencontrer de nouvelles personnes à qui mon visage et mes toiles étaient totalement inconnues. Un beau jour, je me promenais sur la grande place de Seville, la place des Bohémiennes. Comme son nom l'indiquait, cette place était occupée très souvent par un petit groupe de jeunes gitanes. Certaines jouaient des instruments comme la guitare, d'autres dansaient sur un rythme enjoué. J'ignorais cette danse. Quatre jeunes filles animaient la place. Elles avaient de longs cheveux bruns et ondulés. Je les observais,
mais mon regard se posait toujours sur l'une d'entre-elles. Je voulais tourner la tête, mais mes yeux ne la quittaient plus. Elle était d'une beauté extrême. Elles portaient de belles boucles d'oreilles en or qui luisaient au soleil et portait une robe blanche avec des rayures rouges, très évasée. Celle-ci était tâchée, et par endroit on pouvait apercevoir quelques trous ou déchirures, mais par ses mouvements fluides et sa grâce, la jeune fille redonnait à cette robe toute sa beauté et son élégance. Elle dansait encore et encore, tel un papillon évanescent. Sa robe virevoltait et parfois elle me souriait. En quelques instants je me retrouvais dans un deuxième monde, plus rien n'existait autour de moi. Quel beau visage... Plus tard, alors qu'elle allait se mettre à l'écart pour boire un peu et se reposer, je décidais d'aller lui parler : - « Vous dansez divinement bien. Mais quelle est cette danse ? » - « Je vous remercie Monsieur. Vous n'est pas du pays n'est ce pas ? » - « En effet, je viens de France, de Paris, la capitale. » - « Moi, je ne suis jamais allée en France. Cette danse, c'est du flamenco, une danse andalouse ! » - « Alors j'aime beaucoup le flamenco, plus particulièrement quand c'est vous qui le dansez. » - « Ah... Merci beaucoup. Je...je dois partir à présent. A bientôt peut-être ! » Elle s'éloignait à l'opposé de la place lorsque j'eus une idée soudaine : - « Ne partez pas ! Enfin si ! Mais non ! Pourquoi ne pas venir me rejoindre en fin de journée près du Guadalquivir ? S'il vous plait... Il... il faut absolument que je vous demande une chose. −« C'est absolument impossible. » Soudain mon sourire s'effaça, elle réagit aussitôt et me dit alors qu'elle viendrait me rejoindre dans une heure. Je me rendis chez moi, récupérais mes pinceaux, peintures et toiles. Oui, pour la première fois depuis des années, j'avais envie... Envie de repeindre. Une frénésie intense s'empara de moi, j'exultais en espérant qu'elle accepte de poser pour moi. J'allais au bord du fleuve, qui, à cette heure-ci était désert. Je préparais encore mon matériel lorsqu'elle me surprit: - « Monsieur, me voici... Que me voulez vous ? Je ne dispose pas de beaucoup de temps. » Elle s'approcha alors de mon chevalet et m'interrogea : - « Mais.., Mais c'est une toile ? Vous peignez ? Vous êtes peintre ? » Demanda-t-elle très étonnée. - « A ce jour, je ne le suis pas ou plutôt je ne le suis plus. » Il lui expliqua sa vie d'artiste et les raisons pour lesquelles il s'était exilé ici. - « En vous voyant, je n'avais pas imaginé que vous étiez le peintre le plus connu de ce siècle dans votre pays! Mais que me voulez-vous alors ?
- « Laissez-moi peindre votre portrait. » - « Mon portrait ? Mais pourquoi ? » disait-elle surprise. - « Je vous ai longuement observée cette après-midi sur la place quand vous dansiez et ... » Elle lui coupa la parole : - « Effectivement je l'ai très bien remarqué ! » dit-elle en souriant. - « Et je... je... comment vous dire... Vous m'avez redonné l'envie de peindre. Mais de vous peindre vous. Vous m'avez restitué l'imagination, l'inspiration que je retrouve aujourd'hui depuis des années. » - « Oh je ne peux pas figurer dans une de vos toiles. Non... non... je ne suis qu'une bohémienne qui n'a rien à faire sur vos tableaux ! » −« Non, vous n'êtes pas qu'une bohémienne, vous êtes le fruit de ma nouvelle inspiration. Cela me tient vraiment à cœur. Et puis, je peux vous payer pour poser pour moi ! »
- « Je ne veux pas de votre argent ! Si j'accepte, vous me laisserez tranquille ? « OH OUI OUI OUI, je ferai ce que vous voudrez ! On commence maintenant ! » - « Maintenant ?!! » −« Maintenant. Plus vite on commence, plus vite je vous laisserai ! » Elle avait l'air désorientée face à ma proposition inattendue et ne savait pas dans quoi elle se lançait, mais elle accepta. Comme elle ne voulait pas poser devant les gens de la ville qui passaient par là, nous nous rendîmes alors dans la cour de l'immeuble où j'habitais. Elle était très fleurie et lumineuse. Ici, personne ne passait. Je réfléchis à la scène de ma future toile et je la fis s'asseoir un peu partout jusqu'à ce que je trouve un endroit qui me plaise. Elle était assise dans un fauteuil en osier situé devant un long buisson de fleurs. Ses mains boudinées étaient posées sur ses genoux. Ses longs cheveux bouclés lui tombaient sur les épaules. Ses cheveux étaient retenus par un fin bandeau rouge dont le nœud tombait sur le côté. Il était assorti à la seule robe à rayures rouges et blanches qu'elle possédait. Elle avait gardé ses anneaux d'or aux oreilles. Elle souriait ingénument, certes, mais son sourire était charmant. Mais au fur et à mesure des journées, je sentais l'ennui sur son visage et l'envie de partir danser, l'envie de se libérer. Je faisais comme si je n'avais rien remarqué car je ne pouvais pas me permettre de la laisser faire autre chose au risque de perdre cette expression sur son visage. Voilà déjà un mois qu'elle posait pour moi assise sur une chaise pas très confortable. La peinture prenait forme. Mais ce n'était pas encore fini. Un jour, elle se leva en criant : −« Je n'en peux plus ! Vous n'avez aucune pitié ! J'en ai assez de rester assise bêtement à regarder dans le vide ! Vous ne me laissez aucune liberté ! Finissez donc votre tableau sans moi ! »
En un clin d’œil, elle avait disparu; Je n'eus pas le temps de la rattraper ni de lui dire quoi que ce soit. Sa réaction m'avait surpris. Les jours passèrent, elle ne revenait pas et je ne la voyais plus danser sur la place. Ma toile était restée là inachevée... Je la contemplais tous les jours, incapable de la finir sans elle. Un matin, alors que je me rendais sur la place, j'interrogeai discrètement une des autres jeunes filles qui dansaient avec elle. −« Lise ? Et bien elle est partie ! Personne ne sait où elle est passée ! » Elle était partie... Je ne savais où... Je décidais alors de revenir à Paris. Aujourd'hui, voilà déjà un an que j'avais repris ma vie parisienne. Je parle tout seul devant mon miroir en attendant ma nouvelle femme de ménage, laissant mon esprit vagabonder vers Séville., Lise. C'était son prénom. Tout me ramenait là bas, tout cela était de ma faute... J'avais été égoïste. J'avais fait souffrir une aussi belle jeune fille par caprice de peintre. Elle m'avait redonné tellement d'espoir en ma peinture que j'en avais oublié sa personne... Mais comment l'oublier ? Que vais-je faire du tableau ? Le garder en souvenir peut-être... Soudain la porte s'ouvrit et grinça, une silhouette se profila dans l'obscurité de l'entrée et apparut dans la lumière, une robe à rayures rouges et blanches, surmontée de longs cheveux retenus par un fin bandeau rouge dont le nœud tombait sur le côté...
L’homme du silence Dans le rustre désert du Sahara, un homme surgit d’une terrible tempête de sable. Il court, il est assoiffé, cet homme est poursuivi, c’est sûrement un évadé de la légendaire prison cachée des Templiers du Sahara. Après une longue poursuite, l’homme tomba dans un des nombreux pièges qui me servent à kidnapper et à piller le peu de touristes qui osent s’aventurer sur mon territoire. Cet homme n’avait pas un sou. Après m’avoir supplié de ne pas le remettre aux gardes, pour la prime qui aurait été versée, il s’évanouit, mais ce qu’il ne savait pas, c’est que moi aussi j’étais recherché pour d’indénombrables délits, du plus anodin au plus inimaginable, mais bon, je ne lui ai rien dit pour tirer un maximum de choses de lui. A son réveil, il se mit à me poser des questions sur l’endroit souterrain où je vivais. Il me demanda, si je connaissais la légende de « L’homme du silence », mais ce qu’il ne savait pas c’est que cette légende vivante, c’était moi. Je lui ai dit que j’en avais entendu parler mais que c’était sûrement une légende créée afin d’effrayer les archéologues qui voudraient s’aventurer sur ces terres pour trouver cette fameuse prison cachée des Templiers du Sahara; et inventée aussi pour provoquer la peur d’être détroussé! Il m’expliqua alors que ça faisait plus de deux cent trente ans qu’il était emprisonné, et cela depuis son plus jeune âge. Il faisait partie d’ une bande qui avait trouvé la prison, et qui voulait la détruire pour délivrer toute leur famille emprisonnée pour avoir tué des hommes très haut placés pour des raisons que personne ne connaissait . A la suite de son conte à dormir debout, je lui ai demandé ce qu’il comptait faire pour m’empêcher de le remettre en prison, et il me dit : −« Je peux vous peindre. » Je répliquais aussitôt : - « Ha! ha! ha! . Une peinture de moi, pff ! Mais en quoi ça m'intéresserait? »
Je lui fis croire que j’ allais le ramener à la prison , lorsqu’ il me dit : - « Mais, écoutez s’ il vous plait, je vous dis que ça vaut le coup » - « Ha bon ! Et en quoi, puis-je savoir? » - « Ma peinture est magique, c’ est un pouvoir ou un don, je ne sais pas mais c’ est bien réel, moi-même j’ en suis la preuve vivante, je me suis peint grâce à un miroir avec ce pinceau, et voilà que je suis toujours en vie. J’ai maintenant deux cent quarante ans, et tout cela grâce à ma peinture, j’ai aussi peint mes quatre amis qui me servaient de complices pour sauver nos familles respectives. »
- « Et, ils sont où ces amis? » - « Ben, justement, il y a une sorte de malédiction, enfin, si on peut dire, car si votre portrait est détruit par le feu, alors vous mourez. Il se trouve que mes amis et moi avions caché séparément les portraits que j’avais réalisés dans la prison, mais j'ignorais encore que s'ils étaient brûlés cela signifiait la mort inéluctable du modèle. C’ est après avoir vu mes quatre amis mourir brusquement, à la suite d’ un feu de bois des gardiens, que je me suis douté de quelque chose, donc en allant voir dans leur cachette respective si la cause de leur mort était les tableaux, je ne découvris rien, plus aucun tableau ; disparus, envolés.. En fumée... En revenant sur mes pas, je vis les restes des portraits brûlés par les gardes, et c’est là que j’ai compris. » Même si je ne croyais pas à son histoire, je ne pouvais refuser un billet pour l'éternité... - « D’ accord, alors tu fais mon portrait, et tu pourras te cacher ici jusqu’à ce que les gardes aient stoppé les recherches, puis tu sors de ce pays, sinon c’est la prison pour le reste de l’éternité, à moins qu’ils ne trouvent ton portrait. » - « Il n'y a aucun risque, et pour ce qui est du portrait je vous le fais, mais il faut que vous hisser sur un animal pour que le sortilège fonctionne... enfin d’ après ce que j’ai pu constater! » - « Soit, je grimpe donc sur ce dromadaire, allez, hop! C’est parti, commence! » - « D’ accord, ne bougez surtout pas ! » Après quatre longues heures, il avait fini. Et il me cria : - « Ca y est, j’ai fini, vous pouvez descendre! » - « Ok! Maintenant, éloignez vous du tabl… » Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase que l’homme tomba raide mort. Et ses derniers quatre mots furent chuchotés en un seul soupir, sur un ton de déception: - « Ils l’ont trouvé!» C’est après cela que j’ai compris qu’il ne m’avait pas menti, et que son histoire était belle et bien réelle. Depuis, je suis toujours là, moi l’homme du silence, vêtu de bleu, le prince du désert. Alors prenez garde, tant que mon tableau vivra, je serai ici, à attendre de nouveaux touristes, plus aucune prison n’existe au Sahara à présent, alors prenez garde à ma violence, à mon insensibilité, et ne venez jamais sur mon territoire! -« Ha! Ha! Ha! » Dorénavant ne vous y aventurez plus, car, si vous n’avez pas une bonne raison pour rester en vie, je vous tuerai, ou je vous réduirai en esclavage, et croyez moi ceci est encore pire que la mort!
L'œuvre d'un instant. Ce tableau, ce tableau... Ce tableau-là me transportait. Au début, mon regard ne se posa sur lui qu'une seconde puis, cette seconde devint une éternité. Je crois que je ne peux réellement pas expliquer pourquoi j'ai ressenti cela, parce que, ressentir, c'est bien beau mais exprimer une telle attirance m'est impossible. Je vais vous raconter ce qu'il s'est exactement passé... Je venais d'emménager dans la région. Célibataire, roux, binoclard... Un gars typique. Je n'avais pas encore vidé tous les cartons que je suis allé au musée. La vérité c'est que je sortais de la banque et que je l'ai vu, ce musée, alors j'ai voulu me changer les idées. A l'entrée, il y avait un vigile, il ne clignait jamais des yeux, il ne bougeait pas d'un pouce: une statue. A l'intérieur il y avait du monde, je me faufilai donc parmi la foule. Au milieu un homme peignait, il tenait son pinceau du bout des doigts. Et, son regard était... Il était vide, c'était comme si il n'était pas là, il était absent. Quelques minutes passèrent dans le silence presque total. Son tableau terminé, l'artiste se leva, salua d'un bref signe de la main puis partit sous les
applaudissements. Les gens regardèrent l'œuvre puis partirent continuer leur visite des lieux. Deux ou trois vigiles veillaient sur le tableau. Je m'approchai doucement et je vis ce splendide tableau.
Au premier plan, on pouvait apercevoir un sentier parsemé de cailloux, sa terre sèche et claire semblait luire au soleil. Le ciel était d'un bleu éclatant avec quelques nuages blancs par-ci, par-là. Le vert de la pelouse si apaisant et en même tant si attirant me donnait envie de plonger à l'intérieur de cette vaste étendue. Quelques arbres, frêles, timides nous donnaient l'impression d'une nature en pleine renaissance mais pourtant si marquée par le temps. Apparaissait alors au deuxième plan, une forêt de pins si dense qu'on l'aurait comparée à un tapis recouvrant le pied de la montagne. Elle, la montagne, ses mélanges de blanc, gris et bleu, si majestueuse qu'elle nous inspire le respect et le silence. Tant d'émotions dans une seule peinture! J'étais le seul à être resté planté là, devant le chevalet, devant la toile. Soudain, je perçus quelques mots: - « Non! Jamais nous n'afficherons ça ici. Ce tableau ne vaut rien. Personne ne peut en vouloir. Je le mettrai aux enchères la semaine prochaine et vous verrez, vous aurez la preuve de la médiocrité de cette peinture! En attendant, je le mettrai dans un coin peu fréquenté de cet établissement mais ne prenez pas ça comme un compliment! ». L'homme me bouscula, s'empara de l'œuvre et s'en alla. Je décidai donc de rentrer chez moi pour terminer le déballage de mes cartons. Le lendemain, je ne pus m'empêcher d'aller admirer à nouveau ce chefd’œuvre; puis le lendemain et le surlendemain... Tous les jours, je restais planté pendant des heures, à scruter la moindre petite touche de peinture qui apportait au tableau toute sa beauté. Le cinquième jour, alors que j'allais au musée comme à mon habitude, la peinture n'était plus à sa place. J'aperçus le conservateur et lui demandai où était le tableau. J'appris que ce dernier était aux enchères dans une salle à proximité du musée, je décidai alors de m'y rendre. Il n'y avait que peu de personnes mais les enchères étaient montées jusqu'à cinquante mille euros. J'entendis: - « cinquante mille une fois, cinquante mille deux fois, cinquante mille tr... ». J'intervins: - « Noooooooooon! Soixante-dix mille! Je le prends pour soixante-dix mille! ». Il y eut un long silence puis: −« Soixante-dix mille une fois, soixante-dix mille deux fois, soixante-dix mille trois fois, adjugé vendu! ».
Je n'en revenais pas, je venais de tout perdre en l'espace d'une seconde. Pour m'en sortir, je dus vendre mon nouvel appartement, quelques meubles et retourner vivre chez ma mère. Celle-ci tenta tant bien que mal de me convaincre de vendre le tableau, mais je ne pus me décider. Alors que les mois et les années passaient, je ne parvenais pas à remonter la pente. J'essayais par tous les moyens de rassembler la somme dépensée pour la peinture qui, elle, était toujours aussi radieuse. A force d'efforts et de patience, la chance me sourit enfin; je me mis à jouer au loto jusqu'à obtenir un ticket gagnant d'une valeur de treize millions d'euros ! Ma vie fut changée du tout au tout. Je m'installai en ville avec mon tableau qui, malgré les ennuis qu'il m'avait apportés, resta ma seule et ma plus grande source d'admiration et d'inspiration.
Le téméraire Nous étions à la fin du printemps de l’année 1858. Il faisait gris, il pleuvait. Les nuages dans le ciel bas, semblaient faire une course folle vers un point inconnu. On entendait le bruit des vagues immenses de l’océan qui s’écrasaient contre la falaise. A ce déchaînement de la nature s’opposait le calme de cette grande chambre réchauffée par un grand feu dans la cheminée de marbre. Assis, tout petit, lui qui avait été grand, dans un fauteuil rouge, près de la grande fenêtre, Guy, la tête légèrement penchée sur la droite, regardait de ses yeux gris et tristes le spectacle de la nature. Il avait aujourd’hui quarante ans. Il se sentait vieux, faible, inutile. Il ne pouvait plus quitter sa chambre tout seul. Il devait appeler sa servante et amie Béatrice pour qu’elle l’aide à se déplacer. Qu’il était loin le temps où il courait partout avec ses bons vieux amis, Jerry, John, Pete ! Il redressa sa tête et ses yeux vides se posèrent au dessus de la commode qui se trouvait en face de lui. Là, il avait fait accrocher ce fameux tableau que ses trois amis lui avaient offert voilà dix ans. Souvent il l’admirait et retrouvait un peu de joie. En ce jour de Mars où William était particulièrement triste, ses yeux se posèrent donc sur le tableau et
son esprit fît un bond de vingt ans en arrière. Les couleurs du tableau contrastaient avec le gris extérieur de la nature. Il admirait le coucher du soleil, la mer calme, le ciel jaune et lumineux, les deux bateaux qui semblaient glisser doucement sur l’eau. Les souvenirs de William affluèrent à cent à l’heure. Son corps pratiquement inerte parut s’animer. Un sourire apparût sur son visage déjà ridé. Il se revit préparer ses quatre malles, il y a maintenant vingt et un ans. Il lui semblait entendre les rires et les plaisanteries de ses trois amis avec qui il allait partir à la découverte du nouveau monde. Une semaine leur avait suffit pour les préparatifs. Et, en ce jour du 18 juillet 1837, ils se présentèrent tous les quatre ans pour l’embarquement sur le bateau « Le Téméraire » vers ce monde inconnu. La traversée devait durer un mois. Leur joie et leur excitation étaient immenses. Ils ne tenaient pas en place, visitant l’immense bateau, plaisantant avec les uns et les autres, jouant au Dame, s’allongeant des heures entières sur le pont en échangeant leurs impressions de voyage et en faisant des projets sur ce qu’il feraient quand ils seraient arrivés là-bas. Sur le bateau, ce n’était que fêtes, dîners. Il y avait de belles dames qui étaient sensibles au charme de William. Il est vrai qu’il était très séduisant, grand, brun, les yeux gris tirant sur le bleu, les dents parfaites. Durant la traversée, ils contemplaient souvent le coucher du soleil sur l’océan. Le soleil colorait le ciel et l’eau d’un jaune or. Ils étaient bien, heureux d’être ensemble. Un soir, William et ses amis s'installèrent au restaurant principal du bateau. C’était un grand restaurant éclairé par une centaine de lustres en cristal. La vaisselle était en porcelaine blanche, les couverts en argent. Sur chaque table se trouvait un bouquet de fleurs. Le regard de William fut attiré par la petite servante qui s'affairait Elle portait un robe droite, noire avec un tablier blanc. Ses cheveux blonds étaient relevés en chignon. Selon William, elle devait avoir dix-sept ans. Lorsqu’elle s'approchait, elle semblait toute timide et n’osait pas les regarder. Alors qu’elle apportait le dessert, William lui demanda : - « Vous travaillez depuis longtemps sur ce bateau, mademoiselle ? » D’une toute petite voix, elle lui répondit que cela faisait deux ans qu’elle avait quitté Brest et ses parents pour gagner sa vie et qu’elle avait embarqué à bord du Téméraire pour être servante. - « Mon Dieu ! Vous entendez les amis, mademoiselle vient de Brest comme nous! » S’adressant de nouveau à elle: - « Mademoiselle, si vous le voulez, nous pourrions parler ensemble de Brest après votre service. Mais au fait comment vous vous appelez ? Moi c’est William, le grand blond en face c’est Jerry, à ma droite le petit brun c’est Pete et à ma gauche le rouquin c’est John. - Moi, c’est Béatrice. Bonne soirée Messieurs, à plus tard peut-être. » Et Béatrice s’éloigna vers une autre table. Les quatre amis restèrent encore un moment à table à plaisanter avant de rejoindre chacun leur cabine pour la nuit. Le lendemain alors que William admirait l’Océan, il devait être quatre heures de l’après-midi, il faisait chaud, le soleil brillait, il entendit une petite voix charmante: - « Bonjour monsieur William, comment allez-vous aujourd'hui ? - Ah bonjour Béatrice, très bien et vous ? Vous êtes de repos? - Oui..., oui pour deux heures. - Seriez-vous disponible demain au dîner ? » Béatrice se troubla: - « On m'a donné congé justement, pour quelle raison ? - Je souhaiterais vous inviter à dîner, voulez-vous ? » Béatrice se mordillant les lèvres, répondit timidement: - « Je serais ravie de me joindre à vous. » Tous les deux réjouis à l'idée de ce rendez-vous à venir, se turent et continuèrent à contempler le large l'un prés de l'autre. Se rappelant que Béatrice venait, tout comme lui, de Brest, William se mit à questionner la jeune femme au sujet de la vie qu'elle menait là-bas. Et, au fur et à mesure qu'ils échangeaient leurs souvenirs, ils se rendirent compte que leurs familles demeuraient à deux rues l'une de l'autre. Ils se quittèrent, heureux frappés par cette jolie coïncidence. Seul, William se précipita dans la cabine de ses amis pour leur raconter la discussion qu'il avait eue avec Béatrice. - « Eh ! Les amis, la charmante Béatrice a accepté mon invitation à dîner demain. Et vous ne devinerez jamais, sa famille est employée comme domestique tout prêt de la demeure de mes parents ! Quel plaisir de dîner en compagnie d'une si jolie fille !" - « Quel chanceux tu fais !» Répondirent en chœur ses trois compagnons. Le soir venu, William se prépara longuement. Il ajusta soigneusement le gilet de son smoking, cira longuement ses mocassins et lustra méticuleusement sa belle chevelure noire. Son cœur s'emballait à l'idée de revoir Béatrice pour qui il ressentait des sentiments confus. De son côté, Béatrice soigna sa toilette. Elle passa une robe en soir rouge qu'elle avait héritée de sa mère. Pour l'occasion, elle lâcha ses longs cheveux blonds qui formaient une cascade de lumière. Elle se sentait bien près de William et nourrissait l'espoir qu'il accepte de se lier d'amitié avec elle. William attendait impatiemment Béatrice à la table qu'il avait retenue. Tout d'un coup l'orage éclata. Coups de tonnerre, vent violent, trombes d'eau s'abattirent sur le bateau.
William et Béatrice sortirent de la salle de restaurant et allèrent sur le pont pour voir ce qui se passait. C'est alors que dans un grand craquement le mât du bateau se cassa. William, qui avait vu le danger, eut juste de pousser Béatrice contre le bastingage afin qu'elle ne soit pas blessée. Malheureusement, lui n'eut pas cette chance et une partie du mât s'écrasa sur son dos. Hommes, femmes, tous solidaires essayèrent de dégager William. Mais, ils se rendirent rapidement compte que le mât lui avait brisé la colonne vertébrale. Il n'était plus conscient. La douleur l'avait plongé dans le coma. Alors que l'équipage s'occupait de William, Béatrice s'affairait à préparer une chaloupe de secours afin de ramener William vers la France pour y être soigné. Alors Jerry, John et Pete transportèrent William à bord, suivis de Béatrice. Arès des heures et des heures de rame, épuisés les hommes s'arrêtèrent un moment pour reprendre leur souffle. Personne ne parlait, mais tous pensaient que leur voyage n'avait été que de courte durée. Ils ramèrent encore, toute la nuit et vers midi ils atteignirent afin les côtes de Brest. Quand, William s'éveilla enfin, il était allongé sur le lit d'hôpital paralysé et ses trois compagnons, ainsi que Béatrice étaient assis au pied de son lit. De petits coups frappés à la porte tirèrent William de ses pensées. C'était Béatrice qui devait lui amener son thé et ses médicaments. - « Oui, Béatrice, entrez. » Et sa fidèle servante, un peu vieillie, entra doucement, un plateau dans les mains. Sa vie monotone reprenait... sous l'éclairage du " dernier voyage du Téméraire " de Joseph Mallord William Turner.
La fin d'une mosaïque Grand-mère, une vieille dame âgée de 79 ans m’a raconté une histoire lorsque j'étais enfant. Ce récit date d'il y a très longtemps, quand mon oncle et mon père n'étaient encore que des enfants et que mon grand père était encore parmi nous .Tout ceci se passe durant l'hiver, au Maroc bien sûr, le pays où je suis née. Mes grands parents, des gens assez aisés, cherchaient une maison pour en faire un lieu de vacances. Leur première maison fut à Tanger, une ville du Nord, mais ils n'y sont pas restés longtemps à cause du changement de l'environnement : des bidonvilles s’étaient installés non loin de là. Alors mes grands parents sont partis en quête, cette fois-ci, d'une maison sur la plage. Vers le mois de décembre, mon grand père, étant le patron du loto, eut l'information d'un lotissement à Restinga. Ils partirent visiter le terrain, c’était une plage, certes banale, aucune maison n'était encore construite .N'étant pas encore complètement sous le charme, ils s'apprêtaient à partir, quand tout à coup, un dauphin ! Oui, un dauphin (ce qui est très rare au
Maroc et en bord de mer) est venu faire sa petite fanfare, un spectacle qui a beaucoup plu à mes grands parents. Donc éblouis et croyant au destin, mes grands-parents ont finalement acheté le terrain et construit une maison. Cette maison était grande, et dans la salle à manger trônait une mosaïque, elle ornait le mur, elle faisait deux mètres de long sur un mètre de large et cette mosaïque représentait LE fameux dauphin : il était bleu clair avec des ombres en bleu foncé, le fond était jaune cassé et la bordure de l'œuvre était noire. D'où ma curiosité renforcée par le fait que ce récit m'avait été raconté par ma grand-mère. J'ai toujours été fascinée par cette histoire, ne sachant pas si elle était vraie, mais y croyant quand même de tout mon cœur. J'ai grandi en ayant passé mes vacances là-bas, mais cette maison appartenant à mon père, il pouvait en faire ce qu'il en voulait. A l'âge, de douze ans, mon père vendit la maison à des espagnols, j'ai été très triste de laisser derrière moi autant de souvenirs et cette mosaïque qui, je le savais bien, n'avait aucune importance pour les acheteurs. Le plus triste fut que je me rendis compte que je ne pourrais jamais raconter cette histoire à mes petits enfants car j'ai été la dernière a en avoir entendu parler et à l'avoir vue, et jamais je n'accepterai de mourir sans la transmettre. Aussi, mot après mot, je la graverai sur le papier, j'inscrirai chaque parcelle de cette histoire sur chaque carreau de la feuille, j’émaillerai chaque souvenir de la couleur chaude des plages de Restinga, jusqu'à dessiner sur le sable de la parole cette mosaïque et projeter son écho mémorial d'une légende familiale jusqu'à la dernière représentante de notre lignée .
Là où tout se fond et se confond Je me hâtais de rentrer chez moi ; sa vision emplissait encore tout mon corps alors parcouru de frissons… Elle paraissait si délicate… pleine de grâce et de légèreté…La vue de son visage, ses traits si fins, sa bouche et ses joues rouges dans ce paysage d’un blanc immaculé avait fait jaillir en moi une flamme brûlante…Pourtant, ses yeux d’un noir de jais lui donnaient l’air tourmenté, inquiète… triste même… Ma pensée s’interrompit lorsqu’un passant dans la rue me demanda l’heure. En guise de réponse, je bafouillais quelques mots inaudibles, encore tout étourdi par l’image d’une telle perfection.
L’homme passa son chemin.
La vision de la jeune femme était toujours intacte dans mon esprit ; pourtant, il m’était extrêmement difficile de la retranscrire sur la toile posée là, immobile sur le chevalet. Les couleurs aussi étaient prêtes. L’ocre serait la dominante du tableau. L’ocre est la couleur qui réchauffe et embaume le cœur d’un doux parfum d’été ; le soleil est ocre. Le soleil de ma journée c’était Elle. Je dûs m’y reprendre à trois fois ; n’étant jamais tout à fait satisfait du résultat… Ses cheveux étaient d’un brun presque roux, ses mains longues et fines ; quant à son vêtement, principalement dans des tons or, il était parsemé de multiples ronds colorés. Je la visualisais si bien pourtant ! Pourquoi son air, l’expression de sa figure restaient-ils impalpables ?... Sans doute parce qu’il m’était impossible de définir ce que ressentait cette jeune fille… Je parvins finalement, au prix de nombreuses retouches, à retranscrire sur la toile l’image de tant de beauté, de délicatesse, en somme l’image de cette femme. J’observais alors attentivement le résultat d’un tel labeur et notais que son regard avait quelque chose d’insaisissable, quelque chose qui m’échappait… tout comme cela avait été le cas dans la réalité… J’allais me coucher, pensif, espérant naïvement que les réponses à toutes mes interrogations m’apparaîtraient dès le lendemain.
Je me levais tôt, allais dans mon atelier et m’abandonnais à la contemplation du tableau. C’est alors qu’en y regardant de plus près, il me sembla que la jeune fille souriait légèrement. Certes, c’était un détail presque imperceptible… peut-être même le fruit de mon imagination mais… non, je ne rêvais pas ! L’expression neutre du visage et les yeux noirs de la demoiselle avaient changé pour un regard plus doux et un visage plus apaisé, moins tourmenté… Une semaine exactement s’état écoulée depuis que j’avais aperçu ce si beau visage au détour d’une petite rue de Baumgarten. Aujourd’hui, je l’ai revue. Une semaine plus tard, jour pour jour, au même endroit. Comme un rendez-vous. Timidement, je suis allé vers Elle. Nous avons fait connaissance. Elle s’appelle Emilie Flöge. Elle aime beaucoup la peinture. Autour de nous il neigeait, pourtant nous n’avions pas froid… Demain, Emilie passera à l’atelier ; Elle voudrait voir mes tableaux. Au cours de notre conversation, j’avais crû voir, l’espace d’un instant, dans le reflet d’une vitrine, Emilie se laisser sensiblement aller contre mon épaule… Mon cœur, alors, s’était emballé et, fébrilement, mes bras l’avaient doucement étreinte…
Tout à l’heure, dans mon atelier, j’ai ajouté un personnage au tableau… un homme enlaçant tendrement la jeune fille… Emilie a vu la peinture. Elle s’est alors complètement laissée glisser dans mes bras, totalement abandonnée à mes baisers.