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Su-youn Jung La fille moustique F renc h
Book Information
La fille moustique (모기소녀) SAMTOH Publishing corp. / 2013 / 47 p. / ISBN 9788946416963 For further information, please visit: http://library.klti.or.kr/node/772
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La fille moustique Written by Jung Su-youn, Illustrated by Kim Yu-jin
1. Les vacances d'été
–
Yurie !
Elle fait semblant de ne rien entendre. –
Yurie !!
Elle se mord la lèvre inférieure. Elle sent ses jambes trembler. Elle se renfrogne malgré elle. Deux profondes lignes verticales se dessinent entre ses sourcils comme si quelqu'un les avait tracées au crayon noir. –
Y-U-R-I-E !!!
Plus la voix devient aiguë, plus Yurie remue les doigts rapidement. Et elle se dit : « Encore un peu, encore un peu... » Dans quelques instants, elle partira à l'aventure pour un monde qu'elle ne connaît pas. Elle brûle d'impatience et de curiosité pour découvrir ce nouvel univers qui s'étendra bientôt devant elle. Les paumes de ses mains deviennent moites. En même temps, le danger de mort s'approche. – Pas question de mourir, pense-t-elle, j'ai fait tant d'efforts pour arriver jusqu'ici ! Mais ce qui devait arriver arrive. Boum ! Ce que Yurie déteste le plus au monde, c'est qu'on donne un coup de pied à la porte sans frapper et qu’on entre dans sa chambre pour crier : « Yurie ! À table ! » Le cri de la grand-mère lui fait perdre le rythme et ses doigts finissent par glisser des
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touches de la console de jeux. Driiing. GAME OVER. – Mais noon, Mamie ! – Quoi donc ? – Je suis morte à cause de toi ! – Qu'est-ce que tu racontes ? Yurie tombe à la renverse et se roule la tête sur l’oreiller. Ses cheveux frisés déjà en désordre s’ébouriffent comme un rosier grimpant. Brisant le silence qu'elles avaient maintenu jusque-là, les cigales se mettent soudain à pousser des cris stridents comme pour l'irriter. « J'ai encore échoué. » Yurie a passé ces trois derniers jours à tenter de franchir l'épreuve. Elle a essayé de mourir et de revivre à plusieurs reprises, mais en vain : elle n'a jamais réussi à franchir cette étape. La réussite semblait pourtant à portée de main... Elle se sent toujours provoquée par ce genre de défi. Une fois la console en main, elle ne la quitte plus, comme si la machine était attachée à ses doigts avec un adhésif surpuissant. Et pas seulement aux doigts, mais aussi aux yeux, au cerveau, et même à l'âme. – Dépêche-toi ! Prends vite ton petit-déjeuner, puis va suivre tes cours à l'institut. – J'ai pas envie de manger ! – Pourquoi donc ? Si tu ne manges pas, tu ne pourras pas te concentrer en cours. Yurie se redresse d'un bond. Elle tâtonne à la recherche de quelque chose sur son bureau où règne le plus grand désordre. – Sais-tu que tes parents travaillent dur pour te payer tes cours ? Et te voilà avec ce gadget dès le matin...! Enfin, ce qu'elle cherchait si ardemment se présente à sa vue : des bouchons de cire de couleur orange. Elle se bouche les oreilles à l’insu de sa grand-mère. Cette dernière
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continue de grommeler en faisant le lit de Yurie, mais tout cela sonne aux oreilles de la gamine comme un bourdonnement d'abeilles. Elle sort de sa chambre en laissant sa grand-mère gronder toute seule. Des condiments, une soupe et un bol de riz l'attendent, mais elle avance la main vers le paquet de bananes qui se trouve au coin de la table. Sa grand-mère ne tarde pas à la rejoindre et à bougonner. Il semble qu'elle demande à la fillette pourquoi elle prend une banane et pas du riz. Yurie s'affale sur une chaise et pèle la banane qu’elle avale en un clin d’oeil. Le fruit est insipide. Elle le prend par simple habitude. Elle jette la peau sur la table et se dirige vers la salle de bain. Même pendant les vacances d'été, rien ne change si ce n’est qu'elle va prendre des cours privés au lieu d'aller à l'école. Les cours ne commençant qu’à dix heures, elle peut faire la grasse matinée. Le mauvais côté, c'est qu'elle ne peut pas voir ses parents partir au travail et qu'elle doit commencer la journée avec les ronchonnements de sa grand-mère. Elle ôte les bouchons de ses oreilles et commence à se laver le visage. Elle se dit qu'après les cours elle ira à une échoppe avec Jieun – elle habite l'appartement au-dessous de chez elle – pour prendre un goûter. À ce moment-là, elle se souvient de ce que sa copine lui a dit la veille, toute contente : « Demain, je pars avec ma famille pour un voyage de quatre jours. Nous allons jouer dans l'eau dans une vallée. C'est fatigant, les vacances ! » Yurie sait très bien que, lorsque Jieun veut se vanter de quelque chose, elle fait toujours comme s'il s'agissait d’une chose sans importance. Bip. Le signal d'arrivée d'un SMS. Elle sort son téléphone mobile de la poche de son pantalon.
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Tu es debout, Yurie ? Je t'appelle dans 10 minutes.
C'est maman. En poussant un soupir profond, elle regagne sa chambre. Elle se change et va enfiler ses chaussures dans l'entrée de l'appartement sans même jeter un regard sur la table que sa grand-mère a dressée pour elle. Celle-ci la suit jusqu'à la porte et lui tend un sac de plastique noir. – Pour le cas où tu aurais faim. L'air renfrogné, la fille jette un coup d'œil dedans : il y a une boulette de riz préparée probablement au dernier moment, une banane et une petite bouteille de jus de tomate, le favori de Yurie. – Je n'ai pas besoin de manger... – Mais si. Sauter un repas est mauvais pour la santé. La gentillesse de sa grand-mère pèse plutôt lourd, mais elle prend le sac sans rien ajouter. Se sentant gênée, elle donne de petits coups de pied dans la porte d'entrée pour l'ouvrir. – À tout à l'heure !
La rue résonne du chant des cigales. – Ç a fait trop de bruit ! Ç a ne sert à rien de crier comme ça ! Elle marmonne encore quand un claquement de portière se fait entendre sur le parking. Des voix familières aussi. – Papa, on dort dans une cabane en forêt ce soir ? C'est Jieun. Yurie se cache rapidement derrière un grand arbre où une cigale pousse des stridulations perçantes. Plus elle s'approche, plus la bestiole fait de bruit. La famille de sa
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copine se prépare à partir en voyage. Le père de Jieun charge une grande glacière dans le coffre, la mère aide Jihun – le petit frère de Jieun – à monter dans la voiture. Jieun est habillée d'une belle robe bleu ciel que Yurie n'a jamais vue, avec en plus un chapeau de paille à large bord. Elle est fort jolie. Yurie penche la tête pour vérifier sa propre tenue : un vieux t-shirt ivoire taché horizontalement de rouge à cause de la sauce qu'elle a versée la veille, un short en jean tout froissé qu'elle porte tous les jours. Et le sac plastique noir à la main complète sa tenue. Aux yeux de Yurie, son amie semble avoir, du jour au lendemain, quitté ce monde pour un autre. – Bien sûr que oui ! répond le père. Tu ne peux même pas imaginer comme il est beau, le paysage devant la cabane. Tu ne seras pas déçue ! Tout en riant, il ferme le coffre en le faisant claquer. Yurie se serait volontiers cachée dedans. Elle n'est pas partie en vacances d'été ni l'année précédente, ni l'année d'avant. La voiture de la famille de Jieun s’éloigne et la fillette sort de l'ombre sous l'arbre. Elle reste là, le regard fixé sur l'arrière de la berline noire qui s'éloigne. Comment est donc la cabane où la famille de sa copine va passer la nuit ? Comment est le paysage qui se déploie devant ? Quel genre de poissons trouve-t-on dans la vallée ? Toutes ces questions lui font soudain venir les larmes aux yeux. – À quoi ça sert d'être en vacances ? Moi, je n’ai nulle part où aller… Après avoir vu la famille de Jieun partir en voyage, elle sent ses pieds peser plus lourd que des pierres. En retenant ses larmes, elle regarde le sac plastique noir que sa grand-mère lui a donné. Même s'il ne contient ni pastèque ni viande comme la glacière de Jieun, il y a de quoi manger pour une personne. Elle a du temps car il suffit de sauter les cours, elle a l'argent de poche que son père lui a donné et une carte de transport dans son porte-monnaie : elle a tout ce qu’il faut pour partir en vacances. Alors, pourquoi ne pas partir, même si elle est toute
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seule ? – J'y vais ! Je pars toute seule ! Le ventre en avant, elle marche à grands pas. Elle lance les pieds si vigoureusement qu’ils font jaillir la terre entre les pavés. Les cris des cigales, qui résonnaient comme des moqueries tout à l'heure, semblent désormais conforter Yurie dans sa décision. Elle franchit la petite porte du complexe résidentiel devant laquelle elle est censée prendre la navette de l'institut privé, et elle continue en direction du boulevard. Le dos des personnes alignées au bord de la rue s'offre à la vue. Un arrêt de bus.
2. Une métamorphose inattendue
L'heure de pointe est déjà passée, il y a peu de monde dans le bus. Yurie s'assied juste à côté de la porte de derrière pour pouvoir descendre là où il lui plaira. Tendue, elle avale sa salive, mais l'idée de pouvoir partir seule en vacances l'amuse beaucoup. À sa gauche, un homme d’âge moyen regarde par la fenêtre, des écouteurs aux oreilles. Il n'a pas l'air méchant, mais elle se sent un peu mal à l'aise. Driidriidriiing. Le téléphone de Yurie sonne. – Ce doit être maman ! Elle s'éclaircit la voix avant de répondre à voix basse. – Allô ! – C'est maman, Yurie. Tu es partie de la maison ? – Je suis dans le bus. – Dans la navette ?
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– Oui. – Très bien, ma chérie. Tu n'es pas en retard. Bonne journée ! À l'écoute de la voix affectueuse, elle se sent un peu coupable. Mais heureusement, il semble qu'elle ait réussi à tromper sa mère qui, d'habitude, sait si bien lire dans ses pensées. En rangeant son portable dans son sac, elle jette un regard furtif à sa gauche. L'homme garde toujours les yeux fixés sur la fenêtre. Elle décide de cesser de se méfier de lui. Elle a déjà parcouru la distance de deux ou trois arrêts, elle n'est jamais allée si loin. Elle regarde dehors : le paysage file. Le bus passe par des lieux qu'elle ne connaît pas, mais ils se ressemblent tous. L'excitation du début se calme petit à petit et le sommeil commence à la gagner. L'homme aux écouteurs est descendu quelques arrêts plus tôt. Deux femmes bavardent en vantant les qualités de leurs enfants. Elles parlent si bruyamment que Yurie regrette d'avoir oublié ses bouchons d'oreilles chez elle. Les bavardes descendent, un vieux couple prend leur place, et Yurie se met à somnoler.
– Hé ! Quelqu'un lui secoue l'épaule. Elle sursaute et le sac plastique qu'elle gardait sur ses genoux tombe par terre. Elle lève les yeux et voit un homme de grande taille devant elle. Ce doit être le conducteur du bus. – C'est le terminus. Descends. – D'accord... fait-elle en ramassant le sac plastique. – Tu es venue seule jusqu'ici ? – Oui... – Tu t'es endormie. Tu as raté ton arrêt ? Veux-tu que j'appelle ta maman ? La proposition du conducteur la réveille complètement.
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– Non, merci ! Ma grand-mère habite dans ce quartier ! crie-t-elle en se précipitant. Cette sortie la condamne à mentir sans arrêt. Elle quitte le terminus, puis découvre un petit village plein d'immeubles de bas étages et de magasins. Elle ajuste son sac sur l'épaule et commence à marcher d’un pas vif comme si sa grand-mère habitait vraiment dans ce village. À l'entrée du village, elle voit des serres couvertes de plastique. Dans l'eau des rizières, les pousses de riz grandissent. Après les rizières se trouve un champ de maïs. Les rues sont désertes. De rares voitures passent de temps à autre. Chaque fois, Yurie se retourne pour vérifier si ce n'est pas la berline du père de Jieun, mais personne ne la salue en baissant la vitre. Le soleil est déjà haut, l'asphalte est de plus en plus chaud. Elle a faim. C'est un peu triste comme vacances. Elle cherche un endroit pour prendre son déjeuner, mais il n'y a ni cabane ni banc. Soudain, un picotement sur son avant-bras gauche. Un moustique ! – Ah non ! Je suis déjà suffisamment énervée ! Les moustiques se nourrissent de sang humain ! Il faut les tuer tous ! De la main droite grand ouverte, elle s’apprête à attaquer l'insecte avec des mouvements aussi précautionneux que ceux d'un serpent à cinq têtes. Elle garde sa main tout près de son ventre pour que le moustique n’en aperçoive pas l'ombre. Puis elle compte tout bas : « Cinq, quatre, trois, deux, un ! » Et elle frappe. – Je l'ai eu ! Imaginant l'insecte mort collé à la paume de sa main, elle éprouve un inexplicable plaisir. La même sensation que celle qu’elle ressent lorsqu'elle vainc le roi des ténèbres de son jeu vidéo ! Elle ouvre sa main avec détermination. – Tiens ! Il n'est pas là ! Je croyais l’avoir eu... À cet instant, les aboiements rauques d’un chien retentissent. Elle lève la tête,
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étonnée. Le bruit vient d'une maisonnette à deux étages au bord de la route : il y a un chien enchaîné dans la cour. Un grand plaqueminier se dresse devant la maison sans portail. Plus elle s'approche, plus le chien aboie férocement. Yurie a brusquement peur. Elle risque de faire face à de grandes difficultés si le propriétaire de la maison la découvre. Cela ne servira rien de dire que sa grand-mère vit dans les environs. Elle hâte le pas. Le chien ne cesse de hurler dans son dos tandis qu’elle s'éloigne. Un sentier qui se dirige vers la forêt apparaît devant elle. Sans regarder derrière, Yurie se met à courir le long du chemin dans l’espoir que le chien s’arrêtera d'aboyer. Elle a peur que quelqu'un la rattrape. – Haaa haaa !... Combien de temps a-t-elle couru ? Un rayon de soleil filtre à travers l'épaisseur des feuilles touffues des arbres. Elle regarde enfin prudemment en arrière. Personne. Elle est toute seule sur le sentier forestier. – Pfiou... Elle entre dans la forêt. Elle compte y prendre son déjeuner et terminer ainsi ses vacances d'été. À cet instant, quelque chose de brillant attire son attention de l'autre côté du sentier. – Tiens ! Qu'est-ce que c'est ? Des couleurs – rouge, jaune, orange, violet... – ondulent joliment. Fascinée, la petite fille s'enfonce plus avant dans la forêt. Bientôt, il n’y a plus d’arbres alignés de chaque côté du chemin, elle est arrivée aux confins d'un vaste terrain vague tout plat. – Wouah ! Elle a poussé un cri d'admiration malgré elle. Fleurissent là des roses sauvages, des pourpiers à grandes fleurs, des œillets, des balsamines, des tournesols et bien d’autres fleurs dont Yurie ignore le nom. Des herbes vertes qui poussent entre les fleurs aux couleurs
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somptueuses lui chatouillent les chevilles à chaque pas. Des papillons et abeilles voltigent paisiblement. Une odeur parfumée et sucrée lui saisit les narines. Elle se promène parmi les fleurs comme en dansant, complètement charmée par le paysage qu'elle voit pour la première fois de sa vie. Paf ! Voici qu’elle s'est cognée le genou contre quelque chose de dur. – Aïe, ça fait mal ! En se frottant le genou, elle découvre un gros caillou au milieu du champ. Si gros qu'il lui arrive à la taille. Sur ses flancs, des pétales de balsamine de couleur rouge vif. Pendant de nombreuses années, la pluie et le vent ont creusé des trous et les pétales rouges y flottent sur l'eau retenue dans les cavités. Yurie oublie sa douleur et fixe son regard sur les pétales, puis souffle dessus. Des vaguelettes scintillent sous les rayons de soleil et les pétales errent ici et là comme des voiliers. Quelques instants plus tard, lassée de ce « jeu des voiliers », elle prend une autre direction et s’enfonce plus profondément dans le vaste champ de fleurs. Soudain, une petite maison au bout du champ se présente à sa vue. Une jolie maisonnette comme dans un conte de fées. À l’exception de la porte d'entrée, elle est entièrement tapissée de lierre où vient s’entrelacer tout un écheveau de fleurs blanches. On dirait une maison verte parsemée d'étoiles blanches. De plus près, elle découvre qu'il s'agit d'une cabane en bois. – Est-ce dans une maison de ce type que Jieun dormira ? Elle s'approche de la cabane et tend l'oreille à la fenêtre. Aucun bruit ne vient de l'intérieur. Ce doit être la maison de campagne de gens qui ont bon cœur et aiment la nature. Apparemment, ils ne sont pas encore arrivés. C'est un endroit idéal pour passer les vacances d'été. – Pour m’offrir de vraies vacances, je vais prendre mon déjeuner dans cette cabane.
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Elle s'avance vers la porte d'entrée. – ... y’a quelqu'un ? crie-t-elle, mais personne ne répond. Elle s'arme de courage pour tourner la poignée. Criiii. Contre toute attente, la porte s'ouvre facilement. Seul un rayon de soleil doré qui s'infiltre par la porte traverse la pénombre. Des poussières dansent comme des fées dans le rai de lumière. Bien que toute petite, la maison comprend une cuisine, une salle de bains et un salon. Sur le fauteuil vert émeraude de la salle de séjour, une couverture bien rangée a été posée. Elle s'introduit dans la cabane avec précaution. Elle fait un pas. Rien ne se passe. Encore un pas. Toujours rien. Elle est rassurée. Elle décide de prendre son déjeuner ici puis de rentrer chez elle. Ses vacances d'été auront été beaucoup plus belles et intéressantes que celles de Jieun. Elle s'assied posément dans le fauteuil. Rien ne se passe. Elle regarde de tous les côtés puis sort la banane de son sac plastique. Elle la pèle avec soin et happe une bouchée. Le parfum du fruit lui remplit la bouche. – Oh, que c'est bon ! Elle en a déjà mangé une plus tôt dans la matinée, mais celle-ci est bien meilleure. Elle savoure chaque bouchée tout en regardant le beau jardin par la porte ouverte. L'arôme des fleurs apporté par le vent se répand à l’intérieur. Tout lui plaît à ravir. Elle sort la boulette de riz. Lorsqu'elle applique son attention à ôter le film qui l’enrobe, elle sent une piqûre sur son avant-bras. – Non ! Encore un moustique ! L'insecte, sans savoir que le regard de Yurie est fixé sur lui, suce son sang, son éperon enfoncé dans l'avant-bras de la fillette. Dans quelques instants, la piqûre gonflera et
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démangera. Dans cette forêt où elle était au comble de la joie, seule cette petite bestiole vient troubler la fête. – Je n'ai pas envie de gâcher mes précieuses vacances à cause de toi. Les paupières mi-closes, elle lève la main en fusillant le moustique du regard. Cette fois-ci, elle est sûre d'elle-même : elle ne le laissera pas échapper. – Cinq, quatre, trois, deux, un ! Pan ! Elle l'a eu. Elle ouvre sa main gauche : il y a une marque de sang au milieu de sa paume. Ou plutôt, elle croit l’avoir vue. – Noooon ! Un cri aigu se fait entendre. Ou plutôt, qu’elle a cru entendre. – Euh ? Qui c'est ? Elle lève la tête, intriguée. Ou plutôt, elle essaie de lever la tête. – Je ne peux... pas... bouger. Elle cligne des paupières. Elle ne se sent pas bien. Ou plutôt, elle croit qu'elle ne se sent pas bien. Elle a un vertige. – C'est étrange, trop étrange, répète-t-elle à plusieurs reprises. Pour la première fois de sa vie, quelque chose de gigantesque semble l’envahir tout entière. Si ce n'est pas un rêve, c'est quelque chose de très étrange. Criii. Une main invisible ferme la porte de la cabane petit à petit. Une étrange ombre noire danse dans la maison submergée par l'obscurité. Soudain, la peur la saisit. Elle voudrait crier, demander ce qui se passe, qui est là, mais elle ne peut prononcer un seul mot. Elle plonge dans un immense trou noir.
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C’est ainsi que Yurie s'est évaporée dans une cabane au milieu de la forêt.
3. Une caverne mouvante
13 Dès qu'elle reprend conscience, Yurie se rend compte qu'elle se tient au milieu d’une immense place publique où elle n'est jamais venue. Une vision floue, une odeur qu'elle ne connaît pas, un parfum à la fois sucré et fétide... toutes ces sensations lui sont étrangères. Elle secoue violemment la tête de gauche et de droite. Soudain, elle découvre quelque chose qui vacille au bout de ses lèvres. Comme si elle tenait une paille à la bouche et la tournait en tous sens. – Où suis-je ? Qu'est-ce qui est arrivé à mes lèvres ? Elle n'y comprend rien. Elle n'est plus dans la petite cabane où elle mangeait sa boulette de riz. Elle se trouve sur une place publique, plus grande que la place de l'hôtel de ville où elle est allée une fois ou que le stade de baseball de Jamsil. Elle a envie de frotter ses yeux pour s’éclaircir la vue, mais elle ne peut car ses membres sont aussi raides que des branches. Elle a du mal à bouger. Tout d'un coup, elle sent une odeur forte et stimulante. Une odeur qui lui excite l'appétit. Instinctivement, elle commence à mâchouiller. À cet instant, un étrange objet, géant, s'approche d’elle lentement. Elle écarquille les yeux pour mieux voir. Même si elle ne voit toujours pas clairement, sa vision semble s'être déjà beaucoup améliorée. L'objet mouvant est incomparablement plus grand qu'un géant ou qu’un monstre comme on en voit dans les films. C'est comme si un bâtiment, un gratte-ciel ou une montagne se déplaçaient.
– Ç a va ? As-tu repris conscience ? Et l'objet parle ! D'une voix de femme ! Quelque temps après, un spectacle incroyable se déploie devant elle : deux yeux horriblement grands la fixent. La chose cligne des yeux, des yeux qu’elle a aussi grands que l’énorme rocher qu'elle a vu un jour à la télévision. – Aaaaah ! C'est un monstre ! Les yeux-rocs clignent de nouveau. – Va-t'en, monstre ! Elle agite les bras et les jambes en criant de toutes ses forces. Son corps s'’envole doucement dans les airs. Des ailes ? Des ailes ! Elle sent des ailes remuer dans son dos. Elle regarde la place grise en bas. Elle s'éloigne petit à petit de la terre. Pour échapper à cette situation, elle bat des ailes au hasard et monte de plus en plus haut. Zzzzz. Au même instant, un manteau noir aussi grand qu'une maison s'avance au-dessus de sa tête. Elle n'a pas eu le temps de s'enfuir, elle est enfermée dedans. Obscurité de tous côtés. Elle s’élance de toutes ses forces contre le mur qui n'est autre qu’un manteau, elle virevolte, mais tous ses efforts sont vains. Le manteau, ou plutôt cette caverne, est à la fois mou et solide, et dégage une agréable tiédeur. Tout d'un coup, la grotte bien chaude commence à bouger tout doucement. Yurie perd l'équilibre et tombe par terre. Elle sent l'humidité du sol moelleux et lisse. Au bout d'un moment, la caverne s'arrête. Des filets de lumière filtrent par des fentes. Yurie marche à quatre pattes dans la direction de la lumière et observe l'extérieur. Elle voit l'immense place. La caverne dans laquelle elle est enfermée flotte au-dessus du centre de la place publique. – Mon Dieu... une caverne qui flotte en l'air !
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– Ma petite, il est dangereux de t'envoler si brusquement. C'est la voix du monstre féminin. Yurie tourne la tête vers la source du son. Les deux yeux monstrueux la fixent toujours en clignant. – Toutes sortes de dangers nous guettent dans ce monde. Il faut faire attention, sinon tu finiras par te laisser prendre dans une toile d'araignée ou être dévorée. – Mais enfin ! Me laisser prendre dans une toile d'araignée ? De quoi parlez-vous ? – Pfffouh... Oui, tu auras du mal à accepter. Après avoir poussé un grand soupir, le monstre continue d'un ton calme mais ferme. – Tu viens de devenir un moustique. – C'est absurde. Je suis une petite fille. Je m'appelle Park Yurie, je suis le numéro 17 de la classe 4 de la troisième année de l'école primaire de Jihyang. J'habite l'appartement 1307 du bâtiment 112 du complexe résidentiel Mona. J'y vis avec ma mère, mon père et ma grand-mère. Je ne dis que la vérité ! – Je sais bien que tu ne mens pas. Malheureusement, je ne mens pas non plus. Tu étais une petite fille, mais maintenant tu es devenue un moustique. Yurie en reste bouche bée. Elle a tué tant de moustiques jusqu'à présent, mais elle ne s'est jamais métamorphosée en insecte, même dans ses rêves. Elle ne peut accepter le fait qu'elle soit devenue cette bestiole méchante et moche qui se nourrit du sang des humains. – C'est un rêve... C'est un cauchemar... vraiment horrible !
4. Un couple douteux
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– Non, ce n'est pas un rêve. C'est la réalité. À peine le monstre féminin a-t-il achevé, la caverne immense commence à descendre avec la rapidité de la foudre comme un ascenseur à grande vitesse. Yurie a pris le sol humide à pleine main pour ne pas faire une chute. Quelque temps après, la grotte s’ouvre et Yurie voit le ciel. Elle regarde tout autour d'elle. Au même instant, nouvelle frayeur : un autre monstre l'observe de haut. – Au début, moi aussi je croyais que tout n'était qu'un rêve. Le nouveau venu a parlé à voix basse sur un ton maussade en cillant. Cette fois-ci, c'est un mâle. Yurie le regarde attentivement. – Heu... Aaaaah ! Un cafard ! Elle a l'impression que son cœur se dégonfle comme un ballon en caoutchouc. Elle est tellement nerveuse qu'elle a du mal à battre des ailes à sa guise. – Ne... ne t'approche pas de moi. Non ! Elle a eu du mal à pousser ce cri, tout en tremblant de tous ses membres. Malgré son avertissement, l'insecte s'approche d'elle et lui adresse la parole comme pour se moquer d'elle. – Salut ! Elle en a déjà tué plusieurs à l'aide d'une pantoufle ou d'un insecticide sur lequel il était écrit : EXTERMINATION TOTALE, mais c'est la toute première fois qu'un cafard la salue. Malgré son regard effrayant, terrifiant, il paraît gentil, contrairement à ce qu’elle craignait. Les deux yeux oblongs et noirs brillent comme les portes d'un réfrigérateur, le corps d'une couleur encore plus foncée que les yeux est recouvert d’une paire d'ailes aussi dures qu'un bouclier d'acier. Ses six pattes semblent aussi grosses et fortes que des battes de baseball. Sur sa tête se dresse une paire d'antennes tellement épaisses et longues qu'il serait possible de tirer une armoire avec elles. Ses dents placées près de la mâchoire scintillent
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d'une façon menaçante, mais ses lèvres dessinent une courbe comme s'il souriait. – Ne t'inquiète pas. Je ne te ferai pas de mal. Une voix douce et calme, qui jure avec l'apparence physique horrible. La femme monstre parle de nouveau. – Comment fait-on alors, chéri ? A-t-elle bien dit « chéri » ? Abasourdie, Yurie lève les yeux vers l'insecte. Le regard de ce dernier quitte le visage de la fille pour se tourner plus haut. – Nous avons de gros ennuis. – Je crois que cette petite s'est perdue. Les jambes de la gamine ne la portent plus, elle s'écroule par terre. Par « cette petite », ils ont dû vouloir parler de Yurie ! Elle décide de sortir de cet endroit étrange tout de suite. En essayant désespérément de se remettre debout sur ses jambes toutes tremblantes, elle demande prudemment : – Excusez-moi de vous déranger. Il faut que je m'en aille. Mes parents doivent m'attendre à la maison... La conversation entre les deux monstres cesse aussitôt. La femelle déglutit. En dépit de sa vision floue, la petite fille perçoit tous les moindres mouvements de ses voisins comme lorsqu’ils avalent leur salive, se caressent les cheveux ou essuient la sueur de leur front. Peu après, le cafard commence à parler : – Tu auras du mal à l'accepter, mais tu es un moustique. Même si tu rentres chez toi, personne ne n'accueillera à bras ouverts. À la place du moustique que tu as tué tout à l'heure dans cette maison.... Consternée, la fillette demande d'un ton désespéré : – Voulez-vous dire que je suis devenue un moustique parce que j'en ai tué un ?
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– Oui, c'est cela. Les ailes de Yurie se mettent à frémir. – C'est absurde ! On tue les moustiques sans jamais réfléchir ! Le cafard pousse un grand soupir. – L'été dernier, ma femme et moi sommes venus ici nous abriter de la pluie lors d'un 18
trekking, et nous avons tué un caf... – Ç a suffit ! Yurie pousse des cris en secouant violemment la tête. Le ton sérieux de la blatte lui donne le frisson. Cette histoire plus absurde qu'un rêve semble de plus en plus réelle. Par où commencer pour remettre les choses à leur place ? Elle n'en a pas la moindre idée. Si seulement elle pouvait remonter le temps ! Ce matin, elle a tué le temps en jouant aux jeux vidéo dans son lit. Mais soudain, tout cela lui paraît appartenir à un passé lointain, même avant sa naissance. – Je veux rentrer chez moi ! Je vais rentrer ! Elle se laisse crouler à terre et se met à pleurer à chaudes larmes en secouant ses antennes.
Dans la cabane obscure, assise dans un fauteuil, une dame portant des vêtements miteux regarde en silence un moustique et une blatte sur sa paume, l'air triste.
5. Sucer le sang
É puisée d'avoir pleuré, Yurie lève la tête et demande sans trop d'enthousiasme : – Où suis-je alors ? La dame répond : – Tu es sur la paume de ma main. En passant par la colline dans la forêt, je t'ai vue te diriger vers cette maison. Je t'ai suivie éperdument en souhaitant que tu n'entres pas... Yurie demeure bouche bée en pensant : « Si seulement elle m'avait chassée en me jetant des cris... » Elle est pleine de ressentiment à l'égard de tous. Elle en veut au monde entier. – Tu dois avoir faim, dit la dame. La petite fille ne répond pas. Depuis un moment, une bonne odeur remplit la cabane, mais elle n'est pas d'humeur à manger quoi que ce soit. – Tiens, sers-toi. Elle ne sait même pas quoi manger. Elle voudrait tout simplement mourir. Mourir de faim pourrait être une bonne idée. – Mieux vaut mourir que de vivre comme un moustique. – Tu pourras facilement trouver un vaisseau sanguin là où tu es. Le mot « vaisseau sanguin » lui hérisse les poils. – Me suggérez-vous de sucer votre sang ? – Oui. Cela ne me dérange pas. Prends-en autant que tu veux. Tu devrais reprendre des forces pour redevenir une petite fille. Les yeux de Yurie brillent : – Y a-t-il donc un moyen pour redevenir un être humain ? Le cafard qui la regardait en silence, répond : – Oui. Il faut tout de même passer plusieurs épreuves, mais nous allons t'aider. Moi aussi, je veux redevenir un homme le plus vite possible. Unissons nos forces.
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Yurie ajuste ses six pattes pour se mettre debout. Elle désire se débarrasser immédiatement de ce corps sale pour retrouver le sien. Le problème, c'est qu'elle n'a jamais pensé que le sang était bon. Malgré son hésitation, son ventre commence à gargouiller. Elle a mal à l'estomac comme si quelqu'un le grattait du bout de l'ongle lorsque le cafard renchérit : – Les moustiques se nourrissent de nectar d'habitude, mais quand une femelle est enceinte... La fillette crie en sursautant. – Enceinte ? Elle a le cœur barbouillé et se sent nauséeuse. – Chéri, parlons-en plus tard. Il faut d'abord te rassasier. À ces mots, Yurie serre les poings. Quand elle jette un coup d'œil vers le bas, elle voit plusieurs grosses lignes qui palpitent. Les vaisseaux sanguins de la main de la dame. Depuis quand la main des hommes est-elle devenue si immense et si large ? Elle s'étonne de ce qu'elle voit et rampe de long en large sur la paume qui s'étend comme un tapis. Sous les rides creuses de la paume semblable à un sol crevassé coule un sang vigoureux. – Il faut bien vivre ! Que je redevienne moi-même ! Elle avance pas à pas de toute sa force. Après avoir erré çà et là sur la paume, elle atteint enfin une colline devant elle. C'est le poignet de la dame. Arrivée au sommet, elle aperçoit plusieurs vaisseaux sanguins gros et distincts qui se déploient sous ses pattes. Elle choisit le plus proche. Son instinct lui dit que c'est un bon choix. Elle soulève son long bec. La pointe est couverte de poils clairsemés. – Imaginons que c'est un jus délicieux. Oui, comme si je mettais la paille dans le jus de tomate que j'ai apporté. Yurie concentre ses forces sur sa paille-trompe. Elle la plante d'un coup dans la peau.
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Mais en vain. Elle la retire pour répéter le mouvement à plusieurs reprises avant de piquer là où le vaisseau sanguin lui semble le plus visible. – Oh ! Enfin, elle suce un jus délicieux qui lui remplit aussitôt la bouche. Du jus cent fois, non, mille fois plus savoureux que le jus de tomate lui pénètre dans le corps. 21
– C'est bon ! Elle crache sa salive. Personne ne le lui a appris, mais elle sait très bien qu'il faut injecter de la salive pour que ce délicieux sang ne se coagule pas. Le poignet de la dame ne tarde pas à devenir rouge et à enfler. La piqûre commence à démanger, mais elle ne la gratte pas. Elle observe en silence le festin dont a joui l'insecte.
Au même moment, un intrus qui s'est infiltré secrètement dans la cabane descend le long du mur.
6. L'enfant libellule inattendu
– Hmmm, je n'ai plus faim. En se caressant son ventre bien rempli, Yurie grimpe sur l'épaule de la dame et se redresse pour faciliter la digestion. La petite fille, le cafard et sa femme sont restés muets pendant tout ce temps. La cabane est calme et paisible, comme si de rien n'était. Après s’être reposée, la petite fille retrouve un peu de sa bonne humeur et ouvre la
bouche. – Que dois-je faire pour redevenir une fille ? Dois-je aller quelque part ? Y a-t-il un moyen ? Elle pose plusieurs questions d'affilée comme si elle soufflait des bulles de savon en direction du couple. – Quand tu rencontreras la reine, dit le cafard, tu sauras. – Oui, tout ira bien, acquiesce son épouse. – La reine doit être quelqu'un de très bien ! On y va ? dit Yurie, tout sourire. Elle est tellement excitée qu'elle en oublie le conseil de la dame et prend son envolée. Elle virevolte en l'air. – Je veux y aller tout de suite pour redevenir une fille. Peu importe si j'ai un visage tout noir ou les cheveux crépus, ou bien si on ne m'offre pas de nouvelle robe. Je suis prête à faire n’importe quoi pour retrouver mon apparence humaine ! Au même instant, une griffe aiguë l’agrippe violemment par le ventre. – Pfeuh ! Tu ne vas aller nulle part ! – Aïeeee ! Le cafard était sur le point d'entrer dans une petite bouteille de verre et sa femme s’efforçait de la maintenir immobile. Ni l'un ni l'autre ne portait attention à Yurie. – Au secours ! s'écrie-t-elle. Elle sent sa poitrine et son ventre se serrer. Un instant plus tard, l'intrus a mis la tête de la fillette entre ses dents pointues. – Aaaaah ! Non ! Ne me dévore pas ! Je suis une fille humaine ! crie-t-elle en rassemblant toutes ses forces. – Quelle idiotie ! Tu es un moustique délicieux et non pas une fille humaine ! Les humains, c’est fade et sans saveur. Le mot « humain » me fait perdre l'appétit.
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C'est le garçon libellule qui est entré dans la pièce par la fenêtre et a écouté secrètement la conversation de Yurie avec le couple. – Petit gredin ! Lâche-la tout de suite ! s'écrie la dame. – Tiens, tiens ! Une femme humaine qui parle la langue des insectes ! Pas mal ! dit le garçon avec un sourire moqueur. – É coute, mange-moi plutôt. Je suis plus gros qu'elle. É pargne-la, s'il te plaît, hurle le cafard en penchant la tête hors de l'embouchure de la bouteille. – Mais que racontes-tu, chéri ? dit sa femme. – Je ne peux la laisser mourir comme ça ! répond-il. – Calmez-vous un peu ! C'est moi qui décide. Pourquoi vous disputer ? Je ne mange que des insectes bien frais qui volent avec des ailes. Ceux qui rampent au sol ne sentent pas bon ! Ha ha ! – Laisse-la tranquille, je te prie. Des moustiques, il y en a partout ! – Pourquoi donc ? Celui-ci est-il différent des autres ? Parce qu'il est possédé par une âme de fille humaine ? C'est du délire ! Allez, il est temps de goûter au moustique à l'âme humaine ! Sur ce, la libellule fait semblant d'ouvrir toute grande sa bouche et de la refermer. – Noooon ! Yurie a crié en secouant ses six pattes. Pour elle, c'est déjà un choc de se voir devenir un moustique. Maintenant qu'elle se retrouve dans la bouche d'une libellule, elle se sent mal. L’insecte prend tout son temps pour voler ça et là dans la pièce tout en remuant les mâchoires comme s’il allait croquer le cou de la fille d'un instant à l'autre. – S'il vous plaît, Monsieur, écoutez-moi. Nous étions sur le point de partir en voyage. C'est trop atroce d'être dévorée avant même de faire un pas, vous ne trouvez pas ? Yurie est désespérée. Elle n'a jamais imaginé qu'un jour elle devrait supplier une
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libellule de lui laisser la vie sauve ! L'insecte ne dit pas un mot. Mais la pression qu’elle ressent est devenue un peu moins forte. – Au fait, j'ai tout entendu depuis tout à l'heure. La libellule continue sur un ton ironique, toujours en volant : – Et j'ai trouvé absurde ce que vous avez raconté. Vous seriez des humains, c'est ça ? Et vous partiez pour redevenir humains, non ? – Oui, alors arrête tes bêtises et lâche-la, s'il te plaît. – Dans ce cas, permets-moi de me joindre à vous. Ç a doit être amusant, ce voyage. Je m'ennuyais un peu ces jours-ci. – C'est hors de question. De toute façon, tu ne peux pas devenir humain. Avant même que la dame ait fini, la libellule a serré plus fortement la tête de Yurie. – Aïeeee ! Yurie a poussé un cri perçant. – Promets-moi de m'emmener et je te lâche, dit l'insecte volant. Yurie pense qu'une libellule, ce n’est vraiment pas fréquentable. – D'accord. On y va ensemble ! répond la dame à contrecœur. – Promis ? Alors, tu nous conduiras. Je vais guider cette stupide fille moustique. – Je n'ai pas besoin de guide ! Je peux voler toute seule. Lâche-moi ! – Sois sage, idiote ! Tu serais déjà dans mon ventre si je n'étais pas gentil avec toi.
Avec à la main la bouteille dans laquelle se trouve le cafard, la dame se dirige vers la maison des abeilles, au fond de la montagne. La libellule qui tient fermement le moustique la suit.
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7. Le collier de vie
Le garçon libellule a une technique de vol extraordinaire. Il sait se déplacer habilement dans toutes les directions à l'aide de légers mouvements. Il prend son essor pour observer les environs en vol stationnaire. Yurie a l'impression d'être à bord d'un hélicoptère comme dans un film. Certes, elle a des ailes, mais elle aurait beau essayer, jamais elle ne parviendrait à voler comme la libellule. La dame avance. Elle se fraye un passage entre les branches et les feuilles dans une forêt où n’existe aucun sentier. Vue de haut, elle a enfin l’apparence d’un être humain. Yurie ne s’en était pas aperçu lorsqu'elle voyait en elle une immense montagne, mais la dame a l'air sale. Ses vêtements sont en lambeaux, ses cheveux en broussailles, son visage est noir comme celui de quelqu'un qui ne s'est pas lavé depuis des mois. – Ç a me fatigue de faire le conducteur d’un moustique au lieu de le dévorer, dit le garçon en se renfrognant, probablement à cause de la douleur de ses bras. – C'est toi qui as pris l'initiative. Personne ne te l'a demandé, répond Yurie, l’air pincé. – Ah bon ? À peine a-t-il dit ces mots que le corps de Yurie est projeté en l'air. Puis, brusquement, elle dégringole. – Aaaaaah ! É perdue, elle se laisse aller au gré du vent, sans même pouvoir battre des ailes. Le garçon a simplement étendu les bras qui tenaient Yurie. La libellule volait si vite que les ailes de la fille ne pouvaient s’adapter au vent. La libellule se tient au-dessus d’elle qui est en train
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de rouler dans les airs comme si elle faisait des acrobaties. Surgissant comme un éclair, elle attrape Yurie, cette fois-ci au rebours du sens du vent. – Aaaah ! Voler à l'envers, ça donne le vertige et la nausée. – Hé, petite ! Fais donc attention à ce que tu dis, d’accord ? dit le garçon-libellule sur 26
un ton sévère. Yurie a les yeux qui tournent. – Tiens ! On y est ! s'exclame le garçon en regardant en bas. Sur ces mots, il amorce un virage en descente. – Aaaaaaaaaah ! La fille moustique qui déteste les attractions comme les montagnes russes –
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lui donnent le mal de cœur – ne peut s'empêcher de crier à cause de la vitesse de la chute. Au sol, la dame échange des paroles avec une abeille qui garde un air assez froid, mais Yurie ne comprend pas un seul mot. Les yeux fixés sur la fillette en proie au vertige, la demoiselle abeille demande : – Alors, c'est elle ? – Oui. Tout s'est passé tout récemment. Je vous la confie, fait la dame. L'abeille jette un regard plein de compassion sur Yurie. La fille ne sait pas si c'est parce qu'elle a été métamorphosée en insecte ou parce qu'elle était entre les mains d'une libellule, l'ennemi naturel des moustiques. – Suivez-moi.
Au fur et à mesure que Yurie s'approche de leur nid, les abeilles apparaissent l'une après l'autre. Lorsqu'elle arrive juste sous le nid, le ciel est entièrement couvert d'insectes. Sans prêter aucune attention à Yurie et à sa compagnie, les abeilles s'occupent chacune à sa
tâche, transportant le miel ou réparant la maison. Le bruit produit par le battement des ailes retentit dans la forêt. La demoiselle qui a guidé la dame s'est retournée pour dire à haute voix : – Attendez un instant dans l'ombre de cet arbre. Puis elle disparaît dans un des nombreux trous du nid suspendu à une branche. – Allez, asseyons-nous et reposons-nous un peu, propose la dame. Elle dépose la bouteille de verre avec précaution. Tout en déposant Yurie sur l’épaule de la dame, la libellule marmonne : – Mais elle est super lourde ! Tu devrais maigrir un peu. Assise sur l'épaule confortable de la dame, la fillette peut enfin prendre un peu de repos. La femme du cafard s'est assise sous l'arbre tout en faisant attention à ne pas la laisser tomber. Sorti de la bouteille mal aérée, son mari fait des exercices sur les genoux de la dame en comptant le rythme. Un vent frais souffle sur la forêt. – Alors, établissons le plan de l'opération, dit tout à coup le cafard. Yurie écarquille les yeux et demande : – Le plan de l'opération ? – Oh, ça devient de plus en plus intéressant ! intervient la libellule. – La reine des abeilles ne te donnerait pas facilement le collier de vie. – Un collier ? – Ah, tu n'as pas encore vu le mien. Approche-toi. Tu verras quelque chose d'étincelant entre ma tête et mon corps. Yurie prend son élan et, de l'épaule de la dame, elle saute sur ses genoux. Elle examine attentivement le cou du cafard. La libellule qui l'a suivie le regarde aussi à la dérobée. Effectivement, le cou de l'insecte est cerné de petites perles dont chacune est remplie
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d'un liquide. – C'est ce qu'on appelle le collier de vie. Nous sommes ici pour demander à la reine de t'en donner un. Pour te débarrasser de la malédiction de la cabane, il faut que tu remplisses toutes les cent perles du collier, puis que tu les fasses fondre et boive le liquide obtenu. – Comment vais-je pouvoir remplir les perles ? La fille a posé la question d'un air distrait, comme si elle rêvait. Une voix de femme, grave et majestueuse, s'est fait entendre depuis l'intérieur de la souche d'un gros arbre qui se trouve derrière la dame. – Sauve les vies ! Stupéfaite, Yurie tourne la tête. Le son est venu d’un trou sous le grand arbre. Il a résonné comme dans un tuyau. De puissants battements d'ailes ne tardent pas à se faire entendre au pied de l'arbre et la reine apparaît, assise solennellement sur un trône doré. Fait de miel, le siège est porté par la garde composée de mâles. À côté du trône, de nombreux gardiens escortent sa Majesté. – Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus, dit la reine au couple de cafards. Sa voix qui retentit comme le son d’une cloche sonne de façon encore plus mystérieuse. – Oui. Un an s'est écoulé depuis notre dernière entrevue. Comment allez-vous ? demande le cafard en inclinant la tête en signe de respect. Yurie aurait voulu lever la tête pour mieux regarder la reine, mais, manquant de courage, elle se contente de fixer les yeux sur l'herbe couverte de rosée à ses pieds. – Vous avez déjà rempli un grand nombre de perles, poursuit la reine en jetant un regard sur le cafard. – Oui. Il ne m’en reste qu’une quinzaine à remplir. Je vous dois tout, Majesté.
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– Non. Je n'ai fait que fabriquer le collier pour vous. Vous deux avez fait beaucoup d'efforts. Ah, bonjour, Madame. Le trou est tellement petit que la femme du cafard ne peut y passer la tête. – Majesté. – Vous avez fait un long chemin. Allez, prenez un thé au miel. Cela vous réconfortera. Quatre abeilles se présentent avec quatre tasses de thé. La taille de chacune est parfaitement adaptée à chaque hôte : la plus grande pour la dame, la deuxième pour le cafard, la troisième pour la libellule et la plus petite pour Yurie. C’est une toute petite abeille qui pose la tasse d'une main tremblante devant la fillette. Le récipient est rempli de thé au miel fumant. Mal à l’aise devant la reine, le petit insecte a l'air troublé. – Merci, chuchote Yurie. L’abeille esquisse un sourire en guise de réponse avant de disparaître à tire d’aile. Yurie plonge sa longue paille dans la tasse et boit le thé. Elle sent une saveur douce et sucrée lui remplir la bouche. – Que c'est bon ! s’exclame-t-elle, séduite par le goût du thé au miel qu'elle découvre pour la première fois. Quand elle réalise que tout le monde la regarde, elle rougit. – C'est très bien de t'exprimer quand tu goûtes quelque chose de délicieux. Avec un sourire aimable, la reine boit son thé dans une tasse d'or. – Donc, tu étais une fille humaine ? – Euh, oui. La petite fille peut enfin l'observer de près. Sous le trône doré, les gardiens forment trois couches. Il lui faut lever la tête le plus haut possible pour voir la reine. À côté de son siège se tient l'abeille à l'air froid, celle qui a guidé Yurie et sa compagnie.
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– Approche-toi, ordonne cette dernière. La fillette fait quelques pas hésitants vers elle. – Tu as fait périr une vie, dit la reine soudain. – Pardon ? – N'est-ce pas vrai ? – Euh, si... Mais c'est lui qui a d'abord sucé mon sang... – Je te demande alors, à ton avis, qu'est-ce que c'est qu'une vie ? – Euh, une vie c’est... Brûlante d'impatience, Yurie s'est retournée. À cause de la lumière qui entre par le trou, la tête de la dame, le corps rond du cafard et les ailes oblongues de la libellule lui apparaissent comme des ombres noires. Elle a l’impression d’être seule devant un juge. – Une vie, c'est... vivant, n'est-ce pas ? répond-elle d'une voix presque inaudible. – Je te pose une autre question : est-ce une faute impardonnable de faire tout son possible pour vivre ? – Euh... c'est... Un moustique, euh, un moustique peut transmettre des maladies, c’est sale, il pique, ça démange... Elle a envie de pleurer. Elle est prise d'une peur soudaine : si elle gâte tout avec ses réponses ? si elle ne peut jamais redevenir une petite fille ? Elle prie la reine en joignant les deux mains. – Tout ce que je veux, c'est redevenir moi-même. D'un ton glacial, la reine des abeilles parle de nouveau sans prêter attention à la réponse de la fille : – Je te pose une dernière question. Yurie déglutit sa salive. – Explique-moi pourquoi je devrais te donner le collier de vie. Si ta réponse me
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satisfait, tu auras le collier. Sinon tu ne l'auras jamais. Sa tête se vide de toute pensée. – La raison pour laquelle je dois redevenir une fille humaine...? Elle sent une sueur froide glisser dans son dos. Elle n'y a jamais pensé. Il est tout naturel pour elle de redevenir une fille puisqu'elle l'a toujours été. Si elle répond : « Je ne tuerai plus jamais de moustiques » ou « Je respecterai tous les êtres vivants », est-ce que ce sera convaincant ? Les bras croisés, l'air arrogant, le garçon libellule lance en bâillant : – Tu mets trop de temps à répondre ! Vas-y, raconte n'importe quoi, ce que tu veux ! Ne prends pas cet air abattu, je meurs d'ennui. L'assistante de la reine le foudroie du regard, mais il fait semblant de ne pas s'en apercevoir. – Toi, reste tranquille, gronde la dame. Yurie pousse un grand soupir. Son regard croise celui d’une abeille mâle en face d'elle. Il aide à soutenir la partie inférieure du trône doré. Ses jambes tremblent sous le poids du siège. – Est-il content de vivre comme cela ? En le voyant, Yurie pense à sa famille. Sa grand-mère s'occupe d'elle depuis qu'elle est toute petite : elle fait la cuisine et la lessive, nettoie la maison pour elle, la baigne. Quant à ses parents, ils travaillent dur de l'aube jusqu'à la nuit. Ils font de leur mieux comme le mâle qui se sacrifie pour la reine. La main chaude de sa grand-mère qui lui caresse les cheveux, le parfum de sa mère quand elle la prend dans ses bras, la barbe de son père qui lui chatouille les joues quand il l'embrasse… À la seule idée d'être séparée de tout cela, Yurie a la gorge serrée. – Je suis venue dans cette forêt pour passer les vacances d'été toute seule.
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À ces mots, le gardien mâle incline la tête, l’air interrogateur. – J'en avais marre de tout. De ma grand-mère qui n'arrête pas de me faire des remarques, de mes parents toujours trop occupés, de ma copine qui part en voyage... Yurie reprend son souffle. Tout à coup, elle se sent si lamentable qu'elle a envie de fondre en larmes. Il y a peu, elle pensait : « Que tout ce qui me fatigue disparaisse à jamais ! Ma console de jeux vidéo me suffit ! » Mais à présent, elle ne pense même plus aux jeux. – Maintenant, je regrette d'avoir envié Jieun en cachette sans l'avoir saluée, de ne pas avoir remercié ma grand-mère de m'avoir préparé le déjeuner, et d'avoir eu honte du sac plastique noir. Et j'ai menti à mes parents... Je veux absolument redevenir la fille humaine que j'étais pour les remercier, leur demander pardon, leur dire que je les aime... Il lui est impossible de continuer. L'émotion lui contracte la gorge. Elle croit enfin pouvoir comprendre la raison pour laquelle elle doit redevenir une petite fille. À cet instant, quelqu'un commence à pleurer comme une Madeleine. – Bouuuh… É bahie, Yurie lève la tête : la reine des abeilles pleure à chaudes larmes. Son assistante lui tend immédiatement un mouchoir fait de feuilles d'arbre finement coupées. Les larmes coulent de ses yeux immenses à grands flots. Elle a beau les essuyer avec le mouchoir, il lui est impossible de les retenir. – Snif ! Oui, je te... je te comprends. Bouuuuh… La reine s'enfonce dans son trône sans pouvoir continuer. Les larmes ne cessent de tomber sur la tête des mâles qui se tiennent sous les pieds de la souveraine. – Promets-moi de redevenir une petite fille... et d’ouvrir ton cœur à tes parents et tes amis. Snif ! Il faut dire ce qu'on veut dire... L'occasion ne se présente pas toujours... Moi... je n'ai pas pu... Bouuuuh ! Yurie est tout étourdie par cette réaction. Elle ne se doutait absolument pas que la
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reine éclaterait en sanglots à cause de ses paroles. Elle reste muette, frappée de stupeur. Au même moment, la petite abeille qui lui a apporté le thé au miel revient vers elle. Elle tient un collier de petites perles transparentes, quasiment invisibles. Yurie affiche un grand sourire. En lui passant le collier autour du cou, l'abeille chuchote : – Félicitations ! Je savais qu’on vous donnerait un collier. Si vous sauvez cent vies et remplissez toutes les perles puis les faites fondre aux rayons du soleil et buvez le liquide obtenu, vous redeviendrez humaine. Bonne chance ! Sur ces mots, la timide abeille disparaît en rougissant. Les abeilles mâles alignées sur trois rangs pour soutenir le trône doré de la reine se redressent lentement et étendent leurs ailes. La reine pleure toujours. – Bouuuh ! Que la chance soit avec toi... à l'avenir... Snif ! Aussitôt, les abeilles prennent leur envol toutes en même temps. Elles battent des ailes si fort que Yurie, propulsée en l’air, est chassée par le trou de l'arbre. Quand elle ouvre les yeux, elle voit le cafard qui se tient la tête en bas, les pattes en l’air. – Félicitations, Yurie ! dit-il en l’aidant à se relever avec ses longues et solides antennes. La dame se réjouit en applaudissant : – Il te suffit maintenant de remplir les perles. Seul le garçon libellule ironise, comme d'habitude : – Quand même, elle n'a pas besoin de pleurer comme ça ! Je ne m’attendais pas à ça ! – Tu as réussi, Yurie ! Allez, en route pour de vrai, cette fois-ci ! s'écrie la dame en ignorant la libellule. Yurie se rend compte que la voix de la dame tremblote un peu, pleine d'espoir. Maintenant, elle voudrait savoir ce qu’a dit le cafard pour convaincre la reine.
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– Ont-ils laissé leur famille chez eux ? se demande-t-elle. Mais elle ne leur pose pas la question.
8. Le passé de la reine des abeilles
Lorsque la reine regagne sa chambre et s'allonge sur le lit, les deux valets de chambre qui se tiennent à son chevet commencent à l'éventer avec de grandes feuilles. – Je suis fatiguée. Laissez-moi seule. À cet ordre, ils sortent de la pièce en silence. Seule dans la chambre, la reine lève les yeux au plafond. Chaque fois qu'un homme transformé en insecte vient la voir, la culpabilité et la nostalgie l'envahissent. Toc, toc ! Quelqu'un frappe. La porte s'ouvre et son assistante entre. – Je vous ai apporté une bougie parfumée à la fleur de chrysanthème, dit-elle en déposant la bougie d'un geste délicat à côté du lit de la reine. L'odeur subtile du chrysanthème se répand dans la pièce. – Pensiez-vous à votre fille ? demande la demoiselle abeille en passant une serviette chaude sur le front de la reine. – Je pense à elle toujours. Il n'est pas un seul jour où je n'ai pensé à elle. – Vous m'avez dit qu'elle était toute petite, n'est-ce pas ? – Elle venait d'avoir trois ans. – Je suis sincèrement désolée pour elle. Je vous demande pardon au nom de toutes les
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abeilles. – N'en dis pas plus. C'est moi qui dois m'excuser... La reine ferme les yeux. Chaque fois qu'elle fabrique un collier pour les maudits, elle évoque son passé à son corps défendant. Le seul fait d'y penser lui fait mal au cœur, mais elle n'y peut rien. Une marée de souvenirs afflue. 35 Le couple vivait heureux avec leur petite fille sans avoir rien à envier à personne. Le fait d'avoir son mari et sa fille à ses côtés suffisait parfaitement à son bonheur quand, avant d’être reine des abeilles, elle était encore un être humain, une femme. Surtout, l'enfant était un trésor pour ses parents. Ayant décidé de vivre à la campagne en élevant des abeilles, les époux ont construit une petite cabane dans une forêt. Ils ont planté un lierre près du mur pour se protéger de la chaleur en été et du froid en hiver. Le mari cultivait avec soin toutes sortes de fleurs afin de faire le plus beau jardin du monde pour leur fille. Un jour, le malheur est entré dans leur vie. Cette année-là, la récolte fut si abondante que le couple dut travailler sans arrêt. Vêtus d'une combinaison de protection, de gants et de bottes de caoutchouc, et couverts d'un voile de tulle de la tête aux pieds, ils ont récolté le miel. Ils étaient complètement absorbés dans leur travail quand ils entendirent leur fille pleurer. Stupéfaits, ils découvrirent leur enfant, qui, réveillé, était venu à leur rencontre, recouvert d'abeilles en colère. – Noooon ! Abandonnant les récipients de miel, ils se précipitèrent à son secours. Ils essayèrent de chasser les abeilles du corps de la fillette, mais en vain. – Aïe ! Maman ! Le père prit l'enfant dans ses bras pour l’immerger dans l'étang. Alors, les abeilles se
dispersèrent, mais la fillette éclata en sanglots, comme foudroyée. Une semaine plus tard, l'enfant rendait son dernier souffle, tuée par le venin. Et ce n'est pas tout. Le lendemain de la mort de l’enfant, le mari est devenu étrange. Enfermé dans la cabane toute la journée, il maudissait les abeilles comme un fou. Puis il s’est mis à les tuer de manière cruelle, en arrachant les ailes, en retirant l'aiguillon, en tranchant la tête puis la taille... Et il souriait en faisant cela. Comme un diable. – Arrête, chéri, s'il te plaît ! – Je vais tuer toutes les abeilles du monde. Pour venger notre fille ! La femme quitta la cabane, ne supportant plus son époux. Lorsqu'elle revint quelque temps après, elle découvrit la maison remplie d’abeilles mortes. – Chéri, chéri ! Elle fouilla la cabane transformée en tombe d'abeilles, mais il n’y avait aucune trace de présence humaine. Zzzzzz. Intriguée par ce bruit soudain, elle jeta un coup d'œil derrière elle : une reine des abeilles aussi grosse qu'un pouce s'approchait d'elle, son dard dressé. – Pars ! Va-t'en ! Elle criait en agitant la main. Zzzzz. Zzzzz. Rendue plus furieuse, l'abeille se ruait sur elle de nouveau. La femme jetait des regards de tous côtés pour trouver quelque chose qui lui permette de chasser l'insecte. Un gros livre attira son attention. À ce moment-là, l'abeille se posa sur la table et la femme l'écrasa à l'aide du livre. Craaac. Elle entendit le corps de l’insecte se broyer. Ou plutôt, elle crut l'entendre. Alors, elle
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fut happée dans un immense trou noir. – Aaaaah ! Son mari apparut devant ses yeux. – Chérie, merci d'être venu me chercher. Et désolé. J'ai tué tant d’êtres vivants que notre belle maison est frappée d'une terrible malédiction. Elle voulut lui parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. – Fais cent perles de miel durci que tu te mettras autour du cou. C'est le collier de vie. Une vie pour une perle. Quand tu auras rempli toutes les perles, tu redeviendras humaine. N'oublie pas ! Je vais rejoindre notre fille. Je t'aime, chérie.
– N'est-il pas temps pour vous de redevenir humaine ? demanda l’assistante pour encourager la reine. – Non, répondit-elle. J'appartiens désormais à ce monde. Ce qui compte pour moi, c'est de mener ma vie ici et non pas de retourner dans le monde des humains. C'est sans doute mon destin.
18. Fais flotter le bateau !
– Tu as enfin repris conscience ! Dès que Yurie a ouvert les yeux, le garçon coccinelle s'est précipité sur elle. – Euh... Où suis-je ? – Idiote, gronde le garçon libellule, pourquoi te mêles-tu de tout sans réfléchir ?
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– Ne t'inquiète pas, dit la coccinelle. Nous sommes à l'abri. Dans ce jardinet, il y a beaucoup de fleurs de grande taille qui nous cachent. On ne nous voit pas ! – Un jardinet ? Yurie songe ce beau champ de fleurs qui l'a séduite et conduite à la cabane. – Tu as quand même de la chance dans ton malheur, dit le garçon libellule. On te croyait morte. – C'est lui qui t'a attrapée alors que tu tombais quand tu as été frappée par une terrible arme géante, c’est lui qui t'a amenée ici. – Une terrible arme géante ? se demande Yurie. Ah, il parle de la main de Maman. Elle se souvient qu'elle s'était évanouie, frappée de la main de sa mère. Que sa propre mère essaie de la tuer sans la reconnaître, ça lui fait terriblement mal. Elle a mal au ventre aussi, juste en dessous du cœur. Quelque chose de plus petit et plus pointu qu'une épine de rose lui perce le ventre et elle a l'impression d’avoir un ballon dans le ventre près d’exploser d'un moment à l'autre. – Ah, je ne me sens pas bien... J'ai trop mal au ventre. L'enfant coccinelle s'approche d'elle et appuie sur le ventre de la fille avec sa petite main frêle. – Où as-tu mal ? Ici ? – Non, plus en bas. – Ici ? – Non. – Alors ici ? – Aïeeee ! Yurie a hurlé de douleur. Assis à côté d'elle, le garçon libellule sursaute. – Elle va pondre !
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– Quoi ? – Mon Dieu ! Encore une autre épreuve ! La coccinelle commence à bouger dans tous les sens en pliant et dépliant ses ailes. – C'est une catastrophe ! Tiens, où et comment vas-tu pondre tes œufs ? Il faut que tu te prépares. – Euh... Je n’ai pas la moindre idée… – Comment ça ? La coccinelle en reste bouche bée. – Tu dois savoir d'instinct... – Yurie n'est pas un moustique, répond le garçon libellule calmement à la place de la fille. – Quoi ? La coccinelle ouvre des yeux encore plus grands. – Si elle n'est pas un moustique, alors qu'est-ce qu'elle est ? – On en reparlera plus tard... Tout d'abord, il faut faire flotter le bateau ! – Que racontes-tu ? – Il est vrai que je suis un hurluberlu, je sais au moins d'où vient ma nourriture. – Tu es génial ! Tu sais tout ! – Par ici ! La libellule guide Yurie. Les mains sur son ventre endolori, elle s'envole tant bien que mal dans la direction indiquée par le garçon. Jusqu'à présent, elle ne s'est jamais intéressée à la vie des moustiques, elle n'avait pas besoin de savoir comment ils pondent. Le garçon libellule est désormais la seule personne sur qui elle puisse compter. Il la conduit à l'étang qui se trouve sur la grande roche : c'est en fait une flaque d'eau formée par la pluie. Les pétales de fleurs rouges y flottent comme des bateaux.
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– D'abord, installe-toi à la surface de l'eau. Yurie atterrit dans l'ombre d'un bateau-pétale au milieu de l'étang. Exposée au soleil, l’eau est tiède. – Concentre-toi et écoute-moi bien, Yurie. Une fois, parti à la chasse, j'ai vu une femelle moustique pondre. Sur la surface de l'eau, elle a... En souhaitant que ce qu'il raconte soit vrai, la fille attend la suite. – … fait flotter un bateau. – Mais... tu ne racontes que des sottises depuis tout à l'heure ! proteste-t-elle. – Faisons-lui confiance ! À cet instant, un œuf ovale tombe dans la flaque en faisant jaillir quelques gouttelettes d'eau. – Hmmm... c'est curieux ! s’exclame l'enfant coccinelle, surpris. Yurie n’y voit plus clair, son ventre semble prêt à éclater. – Que tout cela se termine vite ! supplie-t-elle. Mais... ce n'est pas fini ! – Bien sûr que non, réplique le garçon libellule comme pour se moquer de la naïveté de la fillette. Les moustiques sont différents des hommes. Ils n'accouchent pas d’un seul œuf en une fois. Allez, fais attention à ce que les œufs dessinent la forme d'un bateau pour qu'ils puissent flotter sur l'eau, sinon ils finiront tous par sombrer. Yurie reprend ses esprits. Ce ne sont pas ses bébés à elle, mais elle ne peut les laisser se noyer. Elle se rappelle les bateaux qu'elle connaît : le bateau de plaisance sur le fleuve Han, les voiliers qu'elle a vus à la télévision, le paquebot du film Titanic... Petit à petit, elle pousse de toutes ses forces. – Un, deux, trois, quatre... La coccinelle commence à compter les œufs en battant maladroitement de ses ailes. – Quatre-vingt-un, quatre-vingt-deux, quatre-vingt-trois... Waouh ! Les moustiques
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pondent tant d'œufs ! – Pas mal, celle-là ! fait le garçon libellule. – ...quatre-vingt-dix-huit, quatre-vingt-dix-neuf, cent ! La fille reprend son souffle en attendant. – C'est fini ? se demande-t-elle. Après cent, la coccinelle a arrêté de compter. Au bout d'un bon moment, un vent frais souffle de la montagne. Au même instant, le bateau blanc formé par les œufs de moustique se met à bouger poussé par l'arrière. – Ç a y est, murmure la libellule. – Il flotte, le bateau... Assise distraitement, Yurie dit tout bas en regardant les œufs qui flottent à la surface de l'étang. – Super ! Tu as réussi ! On a réussi ! crie la coccinelle tout excitée. Une lueur traverse les yeux du garçon libellule : les perles du collier de Yurie sont devenues rouges en un clin d'œil. Déconcerté, il appelle la fille, les yeux fixés sur le collier : – Yurie... Yurie, épuisée, lève la tête. – ...oui ? – Ton collier... Elle sent son cou s'alourdir petit à petit. Le garçon s'approche d'elle pour observer le collier de plus près : il n'y a plus une seule perle transparente. Toutes luisent, remplies de liquide rouge. – Regarde, Yurie, toutes les perles sont maintenant complètement remplies. – Vraiment ? – C'est sans doute parce que tu as donné la vie aux œufs en pondant.
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– Le collier ? demande la coccinelle, intriguée. Euh, c'est vrai ! Tu as un joli collier autour du cou ! Soudain, le garçon libellule a envie du collier. – Si je l'ai, se dit-il, je pourrai devenir un vrai garçon.
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19. Le voleur du collier
Le cœur de Yurie déborde d'émotion. – Je vais pouvoir enfin redevenir moi-même ! Elle se sent fière d'être parvenue jusque-là. Nulle autre épreuve ne saurait être aussi difficile, aussi dure, aussi dangereuse que celle-ci. Si elle peut redevenir humaine, elle sera heureuse comme si le monde entier lui appartenait. Elle a hâte de retrouver son apparence humaine et de sauter au cou de sa mère. – Allez, viens ici ! Je vais t'aider à détacher le collier, propose la libellule avec un doux sourire. Si tu traînes comme ça, tu seras dévorée par un oiseau ou une mante, et tout ce que tu as fait, tu l’auras fait en vain. Yurie devient nerveuse en l'écoutant. – D'accord. S'il te plaît. – Tu vas devenir un être humain ? demande l'enfant coccinelle. Je suis vraiment étonné ! Et c'est toi qui l'as assistée... Libellule, tu es extraordinaire... Des mots qui agacent le garçon libellule. – Tais-toi ! Tu m'empêches de me concentrer.
Avalant sa salive, Yurie lui tend son cou. Lorsque les griffes crochues de l'insecte accrochent le collier, tous trois retiennent leur souffle. Le garçon libellule retire le collier du cou de Yurie. – Voilà, c'est fait... Et tout en disant cela d'un ton indifférent, il se dit en lui-même : « Je le vole, je le vole pas, je le vole, je le vole pas... » Yurie sent le poids du collier disparaître de son cou. À l'idée de retrouver enfin son apparence humaine, son cœur se met à battre. Elle se dit : « Il me suffit de faire fondre le collier aux rayons du soleil et de boire le liquide obtenu... » À ce moment, le garçon la regarde d'un œil noir. Il tire la patte à laquelle est accroché le collier et il s'envole. Stupéfaite, Yurie demeure bouche bée. La coccinelle non plus ne comprend pas. Yurie, le cœur battant, crie : – Arrête, reviens tout de suite ! – Peuh ! Crois-tu donc que je t'ai suivie partout pour t'aider ? Mon seul objectif, c'était de me procurer ce collier. – Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu n'es pas humain ! – Non, je ne suis pas humain. Mais ma mère l'était. Dès mon enfance, j’ai rêvé de devenir un garçon humain. Je veux vivre en tant qu'être humain, ne serait-ce qu'un instant. Tu as déjà vécu une vie de fille. Alors, laisse-moi ce collier ! – Mais non, tu manques de logique ! crie l'enfant coccinelle. Ce n'est pas un comportement digne de toi ! – Tu n'en sais rien ! s'insurge le garçon. C'est ma vraie nature. Yurie prend son envol pour le rattraper, mais il est plus agile qu'elle. Il lui échappe à une vitesse incroyable. – Non !
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Elle le pourchasse en vain. Elle hurle en furie contre l'insecte qui s'éloigne de plus en plus. – Tu t'en vas vraiment ? Mais non ! Il s'est complètement évaporé. On ne le voit plus. – Reviens ! Je te prie ! – Attends-moi ici ! dit la coccinelle en prenant son envol avec vigueur. Je reviendrai avec lui. Reste un instant ici dans le bateau-pétale ! La coccinelle s'envole dans la direction où le voleur a disparu. Avec sa technique maladroite et ses ailes malhabiles, elle perd de l’altitude. Cependant, elle parvient à suivre la libellule en dessinant une parabole. C’est à peine si Yurie a entendu ce qu’on vient de lui dire, elle effondre sur le pétale. – Il a disparu... Elle ne peut croire qu'on lui ait volé son collier sous ses yeux. Qui aurait pu imaginer que la libellule – en qui elle avait toute confiance – levés au ciel,
lui déroberait son collier ? Les yeux
elle murmure : « Ce doit être une blague... Une bêtise, comme d'habitude. Il
reviendra, il reviendra sûrement... »
20. Seras-tu heureux ?
Assis sur la branche d'un frêne près de la vallée où il a passé son enfance, le garçon libellule balance le collier rouge. Dès le moment où il a surpris la conversation entre la fille moustique et le cafard
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dans la cabane, il a attendu cet instant. Il n'a jamais oublié son rêve de devenir humain comme sa mère. En examinant chacune des perles rouges qui brillent, il murmure : – On dit que la mère et le fils se ressemblent. Si ma mère était humaine, moi aussi je pourrais le devenir… Mais pourquoi donc ai-je le cœur si lourd ? Qu'est-ce donc que ce collier...? Il entend quelqu'un s'avancer derrière lui. – Te voilà ! C'est l'enfant coccinelle. – Tu m'as fait peur ! J'ai failli laisser échapper le collier ! Alors que la coccinelle s'approche de lui, le garçon libellule s'envole, serrant fort le collier. La coccinelle l'interpelle : – Ne t'en vas pas ! Je suis trop fatigué pour te poursuivre. Le garçon libellule se pose sur une autre branche du frêne sans pourtant relâcher sa vigilance. La coccinelle pourrait user d'une ruse et tenter une attaque-surprise. Il s'assure de garder une distance suffisante pour pouvoir prendre la fuite en cas de besoin. – Comment as-tu fait pour me trouver ? demande-t-il d’un ton hargneux. – Pfiouu ! Tu as toujours le collier. Tant mieux ! La libellule cache discrètement le collier derrière son dos. – Ne te mêle pas de ça. Ç a ne te concerne pas. – Je veux dire tout simplement que c'est tant mieux. – De quoi parles-tu ? Le garçon ne comprend toujours pas ce que la coccinelle a en tête. – La fille moustique et moi, nous ne pouvons pas te vaincre par la force. – C'est vrai. – En venant jusqu'ici, je me suis dit : « S'il a déjà dévoré le collier, tout est perdu.
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Mais s'il est en train de réfléchir, ça veut dire qu'il y a encore de l'espoir. » Et te voilà plongé dans tes pensées... Tu n'es pas une méchante libellule. J'avais raison. – Peuh ! Tu penses pouvoir me persuader de rendre le collier avec tous ces compliments ? – Pourquoi n'as-tu donc pas bu le liquide dès que tu l'as eu ? – C'est que... Il ne peut continuer. – C'est que tu as éprouvé du remords. Tu regrettes de l'avoir volé à la fille moustique. – Hé, veux-tu vraiment qu'elle redevienne humaine ? Une fois qu'elle aura retrouvé son apparence, elle nous oubliera pour jouir de la vie. Elle ne nous fréquentera plus, elle ne nous prêtera aucune attention. – Mais toi ! – Moi ? – Tu es amoureux d'elle ! – Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? – Ha ha ! Tu as envie de la voir souvent, tu ne veux pas qu'elle s'en aille... Ç a veut dire que tu l'aimes ! – Mais non ! Le garçon libellule, tout effronté qu’il est, rougit de honte. – Regarde-moi ça ! Tu rougis ! – Tais-toi, sinon je te noie dans l’eau au fond de la vallée ! – Si je t'ai suivi jusqu'ici, c'est pour toi, pas pour elle. Ce disant, la coccinelle essuie la sueur de son front. – Pour moi ? – Tu sais que je t'aime bien. J'enviais depuis longtemps les libellules qui volent haut
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dans le ciel. La libellule toussote, intriguée. – Hem hem ! – Après t'avoir rencontré, j'ai été convaincu que tu étais le garçon libellule le plus sympa, le plus extraordinaire. Et je me suis fait cette promesse : même si je ne peux jamais voler aussi bien que toi, je prendrai exemple sur toi et vivrai en aidant les autres, juste comme toi. Le garçon libellule a la gorge sèche. – Vivre comme moi ? Comme un voleur ? – Si tu bois le liquide dans le collier et deviens humain, ton rêve se réalisera. Mais tu ne pourras pas être heureux, jamais, jusqu'au dernier jour de ta vie. Tu te sentiras coupable de ce que tu as fait à la fille moustique. Et moi aussi, je serai très déçu. Car celui que j'ai pris comme modèle n'était en fait qu'un voleur. – ... – Dis-moi, une telle vie... pourrait-elle te rendre heureux ?
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