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Ryo-Ryong Kim Mensonge élégant F renc h

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Mensonge élégant (우아한 거짓말) Changbi Publishing corp. / 2009 / 22 p. / ISBN 9788936456221 For further information, please visit: http://library.klti.or.kr/node/772

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Mensonge élégant Written by Kim Ryo-Ryong

Sommaire Accrochée au bout d’une vie en déclin Pluie de grêles Grand clown  me souffrante Cinq pelotes de fils scellées C’est ça la vie Pardon égaré Mensonge élégant Mots d’auteur

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Cheon-Ji, elle qui se voyait encore là demain, est morte aujourd’hui.

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Accrochée au bout d’une vie en déclin

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« Les différences entre les générations ? demanda la mère. C’est rien du tout ça, ma fille ! Un boulier contre une calculatrice, un télégramme contre un SMS ! » Pour demander à sa mère de lui offrir un lecteur MP3, il n’était pas plus inapproprié de la part de Cheon-Ji que de parler des différences existantes entre les générations. Pour autant, elle ne pouvait pas laisser tomber aussi facilement. Bien au contraire, au lieu de penser à abandonner, Cheon-Ji répliqua avec souplesse. « Tu sais très bien que ces différences ne sont pas négligeables, maman. Tu te comportes trop émotionnellement, le sais-tu ? -

Nous ne sommes pas là à débattre sur les effets négatifs d’un lecteur MP3 sur les

ados ! A moins que tu veuilles en débattre ? Laissons plutôt tomber cette histoire de différences entre les générations. Tu sais quoi ? Ce phénomène continuera tant que l’humanité survivra sur cette terre. -

C’est toi qui as commencé ! Tu t’emportais tellement !

-

Tu m’énerves vraiment, ma fille. Et toi ? Tu ne t’emportes peut-être pas ? « Toutes

mes copines en ont, mais pas moi, alors il me le faut » blablabla… Toi aussi, tu fais ton caprice ! -

Mais c’est mon cadeau d’anniversaire… », hésita Cheon-ji.


La gorge de Cheon-Ji se serra au mot « anniversaire » et à de tristes souvenirs lui étant liés refaisant surface. Cheon-ji décida alors d’arrêter de persister. Elle aurait voulu être gâtée sans faire d’histoires. Alors elle ne put continuer, cela suffisait. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Pourquoi demandes-tu ton cadeau d’anniversaire autant en avance ? Oui, oui… je te l’offrirai sans faute. Mais plus tard, pas ce mois-ci. La propriétaire a encore augmenté le loyer. -…» La mère regarda sa fille, déçue, en train de manger sans aucun bruit. Cheon-Ji n’avait jamais autant insisté même lorsqu’il s’agît de son téléphone portable qui était alors plus coûteux qu’un lecteur MP3. En ce temps-là, elle avait même dit que rien n’urgeait. D’ailleurs, lorsque sa grande sœur, Man-Ji, avait voulu un lecteur MP3, Cheon-Ji ne s’y était pas du tout intéressée. « Vous êtes vraiment graves, toutes les deux ! Achète-lui ce lecteur MP3, maman ! interrompit Man-Ji, qui était jusqu’à lors en train de manger silencieusement. -

Oui, je lui en achèterai un ! Mais pas ce mois-ci !

-

Si tu en as besoin, prend le mien en attendant.

-

Non, ça ira…

-

Qu’est-ce que vous êtes fatigantes, les filles ! Je vous laisse là, dit Man-Ji en se

levant. -

Tu pars déjà ? demanda la mère.

-

Oui, je dois partir plus tôt.

-

Attend-moi alors. Moi aussi, je dois partir plus tôt. »

Leur mère se pressa à finir son bol de riz avant de se lever d’un bond. « Ne sois pas trop déçue, ma fille chérie. C’est une dépense imprévue, tu comprends ? Mais je te l’achèterai plus tard, promis. Et pourras-tu faire la vaisselle ce soir ? Tu n’as pas de

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cours privés ce soir, n’est-ce pas ? Ta sœur va rentrer tard alors… » Man-Ji sortit la première. La mère continuait à parler à Cheon-Ji . « Ah, j’ai failli oublier. As-tu quelque chose, parmi tes tricots, pour couvrir un humidificateur ? Une de mes collègues m’a demandé et… -

-

Maman ! Tu ne viens pas ? Je m’en vais ! s’écria Man-Ji.

-

Oui, j’arrive ! Je t’ai dit de m’attendre ! Allez, à ce soir, ma chérie. »

Les pas pressés s’entendirent jusqu’à l’intérieur de l’appartement. Le loyer avait encore été augmenté. Rajouté à cela, la propriétaire avait même demandé à la mère de Cheon-Ji de respecter une date précise, car selon sa voyante, cette date était très spéciale. La mère de Cheon-Ji comprit aussitôt la manœuvre de la propriétaire qui voulait en réalité pouvoir percevoir son augmentation sans tarder. Il lui fallait donc trouver une solution pour faire face à cet alourdissement des dépenses. Et pour comble d’infortune, Cheon-Ji réclamait son cadeau d’anniversaire trois mois en avance. « La propriétaire aurait très bien pu retarder la date butoir, songea la mère. J’étais d’accord avec l’augmentation pourtant ! Seulement j’ai encore besoin de temps pour trouver une solution… Et le lecteur MP3 ? J’en achèterai un à ma petite fille quoiqu’il arrive ! On ne mourra pas de faim parce j’aurais dépensé de l’argent pour ça ! »

L’histoire du lecteur MP3 prit fin ce jour-là. Cheon-Ji s’était donnée la mort. Neuf ans après la mort de son mari, la mère perdait sa fille cadette. Elle n’avait même pas eu le temps d’acheter ce lecteur MP3… La propriétaire ne réclama plus l’augmentation. Au lieu de cela, elle demanda tout simplement à la mère de partir.

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Man-Ji ne comprenait aucunement. Mais pourquoi ? Sa petite sœur était une fille si gentille et si docile. A cause d’un lecteur MP3, tout simplement ? Non. La mère prenait toujours le temps avant d’acheter ce que demandaient ses filles. Cheon-Ji le savait très bien. Et elle n’était pas du genre enfant gâté à demander toujours plus sans penser au coût et à l’argent dépensé. Man-Ji était confuse. Qu’avait-il pu la pousser à prendre une si triste décision ? « Je remodèlerai la déco de ton bureau quand tu auras fini ton examen d’entrée au lycée, avait dit une fois Cheon-Ji. -

Pourquoi pas maintenant ?

-

Il faut éviter un changement brusque de ton environnement, sinon tu auras du mal à

te concentrer. -

Et toi-même ? Tu ne peux pas te remodeler ? », avait plaisanté Man-Ji.

Cheon-Ji s’était donc donnée un projet à réaliser bien plus tard, après l’examen d’entrée de sa sœur aînée. Malgré cela, elle s’était donnée la mort en s’étranglant avec ses fils de laine rouge. Personne n’aurait pu imaginer cela de la part de Cheon-Ji, une fille qui avait tant de buts et qui se projetait dans le lendemain.

« Ma… », dit la jeune professeur de coréen. Elle était sur le point d’appeler Man-Ji quand elle y renonça aussitôt. Heureusement ManJi ne le remarqua pas. Elle regardait droit devant elle sans bouger, pour laisser croire qu’elle regardait attentivement le tableau, mais son regard était trop profond. Le professeur voulait éviter Man-Ji, mais en vain. Cette jeune fille attirait toute l’attention de son professeur, tout autant que le bureau de Cheon-Ji, dans la classe 3 de cinquième, sur lequel est posé un panier de chrysanthèmes. Plus elle évitait Man-Ji, plus cette dernière l’attirait. En Man-Ji, elle voyait

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sa petite sœur Cheon-Ji. La jeune enseignante était le professeur principal de Cheon-Ji. La première affectation de sa carrière dans un collège commençait par le départ tragique d’une jeune élève.

* Le préjugé est souvent dangereux, et tout particulièrement lorsque celui-ci circule à cause de la mauvaise intention d’une personne. On examinera ici comment former et utiliser un tel néfaste jugement préconçu :

1. par une diffamation qui se base, pourtant, sur ce qui semble être à première vue un compliment : Remarque : on est plus sensible à une diffamation qu’à un compliment. Ex : « Elle est bonne à l’école. Mais tu sais quoi ? Qu’est-ce qu’elle est bête, cellelà ! » - base : être bonne à l’école - message que l’on saisit : être bête

2. par un rappel du passé peu glorieux qui pourrait éventuellement influencer le présent : Situation : Lorsque quelqu’un a rendu un bon travail qui mérite une bonne note. Ex : « Tu sais quoi ? Elle était nulle à l’école primaire ! »

 -

Ecrivez vos idées sur des effets négatifs d’un jugement préconçu :

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La jeune professeur repensa au travail que Cheon-Ji avait fourni sur le préjugé. Elle lui avait alors demandé de le présenter devant la classe, pensant que son travail, intéressant, méritait d’être partagé. Comme prévu, la réaction de la classe avait été très encourageante. Cheon-Ji fit une présentation sans faute. Cependant, la jeune femme avait rapidement regretté cette communication orale, car la raison pour laquelle la classe s’y était intéressée ne se trouvait pas dans le contenu en lui-même, mais dans la relation entre les deux élèves représentées dans cette histoire. La jeune femme serra fort son poing. Elle était loin d’être concentrée sur son cours. « On vous demande, parfois, de reconnaître des mots que l’on n’utilise plus aujourd’hui, continua la jeune femme, le mot « jorangbok » par exemple, souvent employé à l’époque de… - Driiiing driiiing », retentit la sonnerie sans que l’enseignante puisse finir sa phrase. Ce jour-là, elle n’avait pu finir son cours, pourtant préparé, à cause de son manque de concentration. « Rappelez-moi « joranbok » au début du prochain cours pour que je m’en souvienne, d’accord ? - Hahahahaha, rirent les élèves. - Bon, on s’arrête là. - Merci, madame ! » La jeune enseignante sortit hâtivement de la salle de classe. Une véritable évasion d’un lieu manquant terriblement d’air comme dans un tube à vide. « Madame ! », cria une élève derrière son dos. Ce tube à vide, petit au départ, prit tout à coup plus d’ampleur. La jeune femme identifia l’élève : c’était Man-Ji.

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« La fleur… dans votre classe… Pourrais-je aller m’en débarrasser maintenant ? demanda Man-Ji. - … - Il serait temps ! - Tu vas la prendre ? - Je la jette, oui. - Comme tu veux… » L’enseignante, arrêtée devant la fenêtre, prit une profonde inspiration. Le collège lui était devenu trop étouffant.

La classe 3 de cinquième. A l’entrée de Man-Ji dans la salle, toute la classe, qui s’apprêtait jusqu’alors à déjeuner dans un brouhaha, laissa place subitement à un silence total. Avant que ne reprenne le bavardage des jeunes adolescentes. Planait dans l’air la rumeur des voix basses, un bourdonnement qui se voulait anodin dont avaient conscience aussi bien Man-Ji que les autres filles… « Hé, prend vite ta soupe et laisse-moi la place ! Quoi, encore de la soupe au soja ?... » Des paroles vides de sens se propageaient dans l’air. Dans ce lieu, Man-Ji se sentit comme une totale étrangère.

Man-Ji stoppa ses pas brusquement devant un bureau utilisé en guise d’autel, au fond de la classe, sur lequel se trouvait un panier de chrysanthèmes. Ce bureau, écarté des autres, lui paraissait isolé. Man-Ji comprenait la situation, mais elle ne put s’empêcher de se sentir seule et contrariée. Oui, c’était injuste aux yeux de Man-Ji. « Vous en prenez soin ou vous l’avez abandonné ? dit Man-Ji. -

Man-Ji, c’est toi… »

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C’était Hwa-Yeon. Un jour, Man-Ji, accompagnée de Cheon-Ji, lui avait offert du porc frit au snack situé devant le collège. Man-Ji trouvait d’ailleurs étrange le fait de les voir si unies alors qu’elles étaient si différentes en apparence. Cheon-Ji était une fille assez grande tandis que son amie était toute petite. Le visage de Cheon-Ji était d’une forme ovale tandis que celui de Hwa-Yeon était plutôt rond. Cheon-Ji avait davantage tendance à se mettre à parler abondamment lorsqu’elle se retrouvait avec une seule personne, tandis que Hwa-Yeon était plus à son aise à communiquer devant un public. Man-Ji était aussi fière de voir sa petite sœur et son amie vêtues toutes les deux du même uniforme qu’elle. « Vous êtes très différentes, vous savez ? avait une fois demandé Man-Ji. - On dit que deux opposés peuvent mieux s’entendre que deux semblables ! répliqua HwaYeon en mettant un gros morceau de viande dans la bouche. - Ne serait-on plutôt pas attiré par une personne qui lui ressemble ? On dit qui se ressemblent s’assemblent. Enfin bref, je ne fréquente que les filles qui me ressemblent alors… - Mais pas nous ! N’est-ce pas, Cheon-Ji ? demanda Hwa-Yeon à son amie. -… - Dis, pourrait-on commander autre chose ? demanda Hwa-Yeon cette fois-ci à Man-Ji. - Non, je n’ai pas d’argent. »

Aux yeux de Man-Ji, Hwa-Yeon était une fille assez prévisible, et un peu enfantine aussi. Pour Man-Ji, elle était peut-être l’amie idéale pour sa petite sœur qui était, elle, réservée et sensible. « Bon, je te laisse…. » Man-Ji fit un bref signe d’au revoir à Hwa-Yeon et sortit de la classe. Le bouquet de chrysanthèmes était toujours frais.

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« Le parfum est trop fort… », dit Man-Ji d’une voix basse.

« Mais où étais-tu partie et sans rien me dire en plus ? J’ai pris ton plateau, ne suis-je pas gentille, franchement ? dit Mi-Ran en jetant un coup d’œil rapide sur le panier de chrysanthèmes. - Il était temps de s’en débarrasser… ça peut gâcher l’ambiance de sa classe, non ? - Comment oses-tu dire ça ? - Mais c’est la vérité. Hé, regarde-moi ce riz ! Tu me prends pour un cochon ou quoi ? » Man-Ji, sans répondre à Mi-Ran, mélangea le riz avec la soupe. « Tu sais, mon père est mort quand j’avais huit ans. Une nuit, il marchait à côté d’une pelleteuse qui s’est mise à bouger brusquement. Mon père a alors été frappé par le bras de l’engin. Tu vois, la partie qui ressemble au bras d’un robot. » Mi-Ran fut un peu gênée par cette histoire qu’elle jugea inappropriée. « Tu as dû être très choquée par cet accident… dit Mi-Ran. - Si j’en avais été témoin, oui je l’aurais été sans aucun doute. Mais j’ai entendu tout ça après. Je trouvais que les funérailles ressemblaient à un petit restaurant, avec le portrait de mon père en plus. Et j’y avais bien mangé, parait-il. - N’étais-tu pas triste ? Ou… - Enfin… je ne comprenais pas la situation, je pense. J’étais trop petite, tu comprends ? Par contre, Cheon-Ji avait beaucoup pleuré, ça je m’en souviens. Je me demande si elle avait comprit la situation ou pas. Plus le temps passe, plus ce souvenir m’est clair. Je me souviens même du visage de la femme qui aidait les employés du service funéraire, dit Man-Ji avant de continuer à boire la soupe sans mot dire. - Mange de tout ! Tu seras pénalisée si tu laisses les autres aliments.

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- Alors pourquoi tu en as pris autant pour moi ? - J’ai pensé à toi ! Tu aimes le poulet ! - Qui aimerait se régaler d’un poulet avec du chrysanthème de sa petite sœur à côté ? - Je ne savais pas que tu allais le prendre aujourd’hui ! Et tu m’as dit avoir bien mangé quand ton père était décédé ! Alors mange bien d’accord ? - Pff ! Maintenant que Cheon-Ji n’est plus là, c’est toi qui radotes ! » Man-Ji finit son plateau de déjeuner sans rien y laisser. Elle passa ensuite son après-midi chez l’infirmière de l’école, elle souffrait d’une mauvaise digestion.

« Je m’appelle Lee Cheon-Ji. » Le maître m’avait demandé de me présenter une nouvelle fois car on ne m’avait pas bien entendu. Je n’aimais pas me présenter. Je n’ai jamais rien eu à dire sur moi à un public. Et même si cela avait été le cas, je n’aurais jamais dit quoi que ce soit devant autant de monde. D’une maternelle à une autre, d’une école primaire à une autre… J’avais changé d’établissement plusieurs fois, mais la pire des choses, bien plus que de changer d’établissement, c’était la présentation. « Je m’appelle Lee Cheon-Ji. Et j’ai onze ans. - Nous aussi d’ailleurs ! C’est pour ça qu’on est dans la même classe ! », crièrent les camarades. Hwa-Yeon avait été la première personne à me parler. Etant une nouvelle dans la classe, j’avais certainement dû attirer sa curiosité. Chose qui n’était pas désagréable pour moi, non plus. Elle était gentille et avenante. En revanche, depuis que je fréquentais Hwa-Yeon, je perdais à tous les jeux. Hwa-Yeon faisait en sorte que je perde à n’importe quel jeu. Même les autres enfants suivaient cette manœuvre injuste de Hwa-Yeon.

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Une fois, nous avions joué à cache-cache ensemble, et je l’avais trouvée. Mais elle prétendait que je mentais. « Si, je t’ai découverte ! Alors tu as perdu, Hwa-Yeon. - Mais non, tu mens ! Hé, les filles, dites-moi la vérité ! Est-ce que j’ai été découverte ? - Non, Hwa-Yeon n’a pas été découverte ! Tu mens, Cheon-Ji », dirent les autre filles. Une nouvelle élève, tout nouvellement arrivée, n’avait pas le pouvoir ni le droit de rectifier des erreurs jusqu’à lors admises. Pleurer n’était pas une solution, non plus. Je le savais très bien. Mais je ne pouvais arrêter mes larmes. Parfois, les adultes s’en mêlaient. « Pourquoi avez-vous fait pleurer votre camarade ? demanda le maître. - Mais non, on n’a rien fait ! Elle a perdu alors elle pleure. Ce n’est pas notre faute ! » Elles étaient ignobles, malgré leurs visages d’ange. Un jour c’était : « Pourquoi a-t-elle perdu ? Parce qu’elle s’est trompée de règle ». Un autre : « Pourquoi a-t-elle perdu ? Parce que nous avons été meilleures »… Les filles étaient toujours « nous », et moi, je n’étais qu’« elle ». Et entre « nous » et « elle », il y avait Hwa-Yeon. « Les filles, on va faire comme si j’ai perdu. Ce n’est pas très grave, dit Hwa-Yeon. - T’as vu ce que t’as fait à Hwa-Yeon ? Nous ne voulons plus jouer avec toi, CheonJi ! »

Les filles jouaient avec moi quand je perdais, mais elles refusaient de jouer avec moi quand Hwa-Yeon perdait. Comment expliquer ce phénomène étrange ? J’étais incapable de l’expliquer. Et ça le reste encore même maintenant. Te souviens-tu maman ? Un jour je t’en avais parlé et tu m’avais répondu : « On me fait toujours perdre ! - Dis-leur que ce n’est pas juste. »

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Man-Ji… Toi aussi, te souviens-tu de ce que je t’avais dit et de ce que tu m’avais répondu ? « Mais on m’oblige à perdre… -

Alors, ne joue pas avec ces filles ! »

Alors avec qui je pouvais jouer à ton avis, grande sœur ? Depuis ce jour-là, j’avais décidé de ne plus rien dire ni à ma mère ni à ma sœur. En CM2, je n’étais plus dans la même classe que Hwa-Yeon. J’ai alors pu me faire de nouvelles copines. Ces nouvelles relations n’avaient malheureusement duré que deux semaines à peine. Hwa-Yeon venait passer sa récré dans ma classe. Elle commença à offrir des cadeaux à mes nouvelles copines. Une fois, elle amena sept crayons à papier. Elle en prenait quatre et donna trois à mes copines. Tout cela, devant moi. C’était sa façon de faire. « Pourquoi tu ne m’en donnes pas ? demandai-je. - Ah, je suis désolée. Mais il n’y a plus rien. » Elle s’était décidée, dès le départ, à ne pas m’en donner. Dans ce cas, elle n’aurait pas dû partager ses crayons devant moi. A cette époque-là, j’étais incapable de reprocher quoi que ce soit ou de répondre du tac au tac à Hwa-Yeon, elle qui prétendait avoir le droit de faire ce qu’elle voulait avec ce qu’elle avait. J’aurais dû me taire, tout simplement. Pourquoi lui avais-je demandé pour quelle raison elle ne partageait pas ses crayons avec moi ? J’en avais, et encore à présent, vraiment honte. « Tu ne trouves pas que Cheon-Ji est un peu louche ? Parce qu’elle n’a pas de père, peut-être… - Cheon-Ji n’a pas de père ? - Oui, il est mort quand elle était petite. On dit qu’il s’est suicidé. »

Une histoire avait ainsi été créée en ajoutant un morceau de mensonge à la vraie version. Hwa-Yeon était la première à déclencher des rumeurs invraisemblables me concernant.

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« Je ne veux plus te fréquenter. - Je suis désolée, Cheon-Ji. Je croyais que c’était vrai. Je suis vraiment désolée. » Hwa-Yeon avait le chic pour se trouver des excuses. Si bien que même lorsque les mensonges de Hwa-Yeon étaient découverts je me sentais tout autant blessée. Les mensonges se propageaient très rapidement, d’autres mensonges s’y rajoutant. A l’inverse, la vérité, pourtant fusse-t-elle découverte, ne circulait pas aussi vite. Au lieu de cela elle disparaissait même sans laisser de trace. Certaines filles répétaient encore aujourd’hui que mon père s’était suicidé. « On m’a dit que son père s’était suicidé », disait Hwa-Yeon. Et cette rumeur pour repartir de plus belle. « Une rumeur cache toujours une vérité ! », dirent les amies. Je devais alors prendre de la distance avec Hwa-Yeon, mais pas trop non plus afin de pouvoir me défendre lorsqu’elle en faisait réellement trop. J’avais parfaitement compris quelle personne était Hwa-Yeon. Malgré cela, je ne voulais pour autant pas m’éloigner complètement d’elle. Il me fallait me venger. Aussi cruelle que fusse cette idée, j’en avais conscience, je n’avais pas d’autre choix.

Au collège, Hwa-Yeon n’avait guère changé. La réaction des autres élèves, quant à elle, était bien différente de l’époque de l’école primaire. Les filles écoutaient Hwa-Yeon mais ne la prenaient pas au sérieux. Elles se rendaient compte elles-mêmes que Cheon-Ji n’avait pas l’air si sotte, et qu’elle n’était nullement impressionnée par les rumeurs circulant sur elle. Et, enfin, Cheon-Ji réagissait à la manœuvre des cadeaux, si machiavélique et pourtant si enfantine.

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« Tu ne penses pas que t’en fais un peu trop pour offrir quelque chose ? Pense un peu à la personne qui reçoit ton cadeau. Ne serait-elle pas un peu gênée par un geste si exagéré ? », lui reprocha Cheon-Ji. Mais les filles étaient plus généreuses avec Hwa-Yeon, qui paraissait innocente, presque même simplette, qu’avec Cheon-Ji qui était, elle, sensible et minutieuse. Aussi, les commérages engendrés par Hwa-Yeon mettaient du piment à la vie monotone et ennuyeuse des filles du collège. « Arrête de la critiquer, Cheon-Ji. Ç a arrive, parfois, de se tromper », disaient les filles. Doit-on laisser faire quand une personne se trompe ? Est-ce bien de laisser une telle chose arriver ? Cheon-Ji ne pouvait faire autrement que rire jaune. Ce débat sur le préjugé, lors d’un cours de coréen au début du second semestre, était alors une bonne occasion pour Cheon-Ji pour s’exprimer. « Les petites paroles, insouciantes à ses débuts, deviennent ensuite cruelles lorsqu’elles prennent de l’ampleur, jusqu’à pouvoir tuer une personne. Laquelle d’entre vous pourrait devenir un futur assassin ? Sur ce, merci », avait dit Cheon-Ji. Ce petit discours, qui était tout particulièrement destiné à une personne, était un signe du suicide à venir, un avertissement sans pitié. Hwa-Yeon sentit la sueur froide glissée dans son dos. Les camarades lui jetèrent des coups d’œil furtifs. Elle ne pouvait donc pas essuyer la transpiration suintant sur son visage. Après le cours, Hwa-Yeon alla à la rencontre de Cheon-Ji. « C’était intéressant, ton exposition, dit Hwa-Yeon. - Merci », répondit Cheon-Ji. Pas mal… pensa Hwa-Yeon avec un sourire aux lèvres. Cheon-Ji cherchait toujours la justice. Elle a toujours été droite. Pour Hwa-Yeon, Cheon-Ji était devenue étouffante. Elle en avait plus qu’assez de cette fille.

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Hwa-Yeon pensa que cette relation artificielle, dans laquelle le gagnant a toujours été elle, arrivait enfin à sa fin. Cheon-Ji, qui était du genre à éviter la dispute, supportait tout. Il était alors si facile pour Hwa-Yeon d’en faire son souffre-douleur. Pour la jeune fille, une tête de turc connue de tout le monde n’était pas si intéressante. Elle devait alors créer une nouvelle victime. Cheon-Ji devait devenir cette nouvelle tête de turc sans que cela ne se remarque, avant de la laisser tomber ! Oui, cela aurait été plus intéressant. Mais Cheon-Ji ne tombait pas dans le piège. Hwa-Yeon voyait ses manœuvres, qui étaient à deux doigts d’atteindre leur but, se solder par un échec les unes après les autres. Tous ces plans tombaient à l’eau. Hwa-Yeon commençait à sentir perdre son avantage à cause de ses échecs. Et elle en avait peur. « N’était-ce pas un peu trop, les mots futur assassin ? demanda Hwa-Yeon. - J’aurais dû dire l’assassin confirmé alors ! dit Cheon-Ji. - N’importe quoi ! Ah, laissons tomber tout ça. Bye ! » Et Cheon-Ji mourut. Cette histoire de tête de turc devait cesser. Hwa-Yeon, elle, sentit bien au contraire que cette histoire ne faisait que commencer. Elle pensa que tout était à cause du panier de chrysanthèmes posé sur l’ancien bureau de Cheon-Ji. Par ailleurs, ce bureau à lui seul rappelait Cheon-Ji, alors que dire avec la présence des chrysanthèmes ? Hwa-Yeon eut la chair de poule, sans aucune raison.

« Penses-tu toujours que j’ai rompu avec toi parce que tu étais au chômage ? cria la mère avant de rajouter. Il y a plus d’un million de chômeurs dans cette société et blablabla et blablabla… on entend que ça à la télé, oui ! Et toi, tu profites de ce problème de chômage. Mais détrompes-toi, mon pauvre, tu n’es qu’un vaurien qui n’a jamais voulu travailler. Faire confiance en qui ? Toi ? Tu plaisantes ou quoi ? Quel

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imbécile, celui-là. Tu sais quoi ? A cause de vauriens comme toi, les autres réels braves gens qui sont au chômage sont aussi critiqués ! - Ecoute, maman de Cheon-Ji… J’ai beaucoup réfléchi et… - Hé, ne prononce pas le nom de ma fille ! Tu ne le mérites pas ! » Sur cela, la mère éteignit son portable. « Qu’est-ce que tu peux être impolie au téléphone, maman. Qui était-ce ?» Man-Ji, qui venait de rentrer, regarda sa mère, hors d’elle, enragée. « Personne. Dépêches-toi de faire tes cartons. Il faut qu’on vide l’appartement avant demain midi. - As-tu déjà trouvé un nouvel appart ? Où est-il ? - Là, un peu plus haut, dans la résidence Tchowon. - Pas mal. Je me change et reviens. - Non, reste dans ta chambre et choisis ce que tu dois prendre. Le reste, on jette. - Pourquoi pas faire venir les déménageurs ? », demanda Man-Ji en rentrant dans sa chambre. « Parce qu’il n’y a pas grand-chose à prendre. On va tout jeter, je t’ai dit. » La mère prit un cadre de photo posé sur une commode. C’était une photo de famille, la mère et ses deux filles. « Je voulais t’acheter un bel appareil qui pouvait même lire des vidéos. Ce n’est pas bien de partir en nous laissant seules… » pensa la mère. La mère contempla longtemps sa fille cadette sur la photo. Elles avaient pris cette photo, l’an passé, dans un studio le jour d’anniversaire de Cheon-Ji. Elle avait beaucoup insisté pour le faire prétendant que tout le monde en faisait de même. Même Man-Ji, d’habitude indifférente, joua le jeu pour sa petite sœur. Dans la photo, Cheon-Ji souriait en montrant toutes ses dents comme à son habitude, et Man-Ji regardait droit devant, le visage figé.

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La mère éclata en sanglots. Elle essaya de les avaler mais ses sanglots fuyaient de sa bouche. Elle était contente, tout simplement, d’avoir une photo de famille. Elle ignorait à cette époque-là combien le regard de Cheon-Ji paraissait si triste. Cheon-Ji souriait dans cette photo, mais il aurait suffit d’y ajouter une goûte d’eau pour croire qu’elle pleurait. Le visage de Man-Ji, si indifférent, paraissait plus tranquille que celui de Cheon-Ji. « Ç a va, maman ? demanda Man-Ji, devant la porte de sa chambre. - Oui, bien sûr… », répondit la mère en essuyant ses larmes tombées sur le cadre. La douleur de cette mère qui a perdu son enfant était si profonde que ses larmes, dont le magma bouillait dans ses entrailles, transpercèrent ses yeux pour couler. Ces larmes ne furent ni consolées et n’étaient non plus consolables. Man-Ji ne pouvait pas comprendre à cent pour cent les larmes de sa mère. Tout du moins, elle pensa qu’il valait mieux la laisser seule pour le moment. Alors elle la laissa tranquille. Man-Ji, de nouveau dans sa chambre auparavant partagée avec sa petite soeur, jetait son regard partout. Cela faisait exactement un mois que Cheon-Ji était morte. Son bureau, son ordinateur, son ventilateur, et le plateau de jeux de go. Man-Ji souffrait à l’idée de devoir jeter toutes les affaires de sa petite sœur. Et elle souffrait plus encore à l’idée de les garder et de les regarder tous les jours. Man-ji tira le dernier tiroir dans lequel Cheon-Ji mettait ses bricoles. Ses aiguilles à tricoter en bambou, ses crochets, ses aiguilles de broderie, une grosse pelote de fil de laine rouge, ses ciseaux, sa petite scie, son morceau de crayon… Man-Ji prit la petite scie. Dziii dziii dziiii. La petite scie se souvenait de sa maîtresse. Cheon-Ji disait qu’elle allait remodeler le bureau de Man-ji quand elle aurait eut passé son concours d’entrée au lycée. Peut-être, Cheon-Ji aurait utilisé cette scie pour le faire. « Pourquoi es-tu partie si tôt, se dit Man-Ji. Tu avais beaucoup de projets, pourtant… »

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Man-Ji redéposa d’un geste rapide la scie dans le tiroir et se tourna. La mère ne devait pas voir les larmes de Man-Ji. Sa mère ne se tenait heureusement pas à la porte.

Man-Ji et sa mère se débarrassèrent des meubles ainsi que des affaires lourdes, en y apposant les stickers distribués par la mairie du quartier. Nonobstant le tri fait et malgré sa trentaine de mètres carrés, l’appartement était amplement garni. Man-Ji trouvait qu’il ne laissait aucune place à la vie privée, qu’il était comme observé de toutes parts en permanence. La mère, quant à elle, comparait le lieu à un cabinet de toilettes d’un arrêt de car, car sombre, humide et sale. Man-Ji alla retrouver sa mère au balcon. « Dis, maman, demanda Man-Ji en montrant à sa mère un humidificateur. Où pourraisje mettre ça ? - On va réfléchir plus tard, répondit la mère. On nettoie d’abord. Par contre, c’est quoi cette puanteur ? - Peut-être que quelqu’un a caché de la merde sur le balcon ? - Surveille ton langage, jeune fille ! » La mère et Man-Ji regardèrent leur balcon. Etant fermé, celui-ci servait de local de chauffage. Derrière les tuyaux se trouvait un carton moisi. « Man-Ji, amène-moi un sac poubelle. », dit la mère en entrant dans le balcon avec un balai et une pelle à manche longue. Man-Ji s’exécuta après avoir posé l’humidificateur au sol. « Kyaaaaah », hurla la mère. La mère, se sauvant du balcon à toutes jambes, fit une véritable course à obstacles en sautant par-dessus les affaires jonchant le sol de l’appartement, avant de pénétrer le couloir de l’étage. La vitesse de propagation de l’électricité dans le cuivre est d’environ 30 mille km

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par seconde, c’est un fait, mais la mère fut tout aussi rapide aux yeux de Man-Ji ! Cette dernière, suivant sa mère, sortit également de l’appartement. « Quoi ? demanda Man-Ji, en serrant fort le sac poubelle dans sa main sure qu’elle pourrait régler tous les problèmes. Qu’est-ce qu’il t’arrive, maman ? - Des rats ! Il y a un tas de petits rats dans le carton ! Et quand j’ai ouvert doucement le carton, un rat géant est sorti ! Uaaaaaah, que faire ? - C’est dégoûtant ! Mais comment on va s’en débarrasser ? demanda Man-Ji à sa mère en lui tendant le sac poubelle. - Qu’est-ce qui se passe ici ? », questionna une voix d’homme. Un homme sortit de l’appartement collé à celui de Man-Ji. Le voisin avait les cheveux longs jusqu’aux épaules, une raie partageant sa chevelure pilepoil au beau milieu, comme si elle eut été faite avec l’aide d’une règle. « Waouh ! Etes-vous rocker, monsieur ? demanda Man-Ji. - Euh, non… Je prépare un concours de fonctionnaire. - Ah bon... on emménage aujourd’hui», dit Man-Ji indifféremment. Le style de ce voisin ne correspondait aucunement à la profession souhaitée. Aux yeux de Man-Ji, il n’inspirait pas du tout confiance. « J’ai entendu un cri. - Oui, il y a des rats dans notre balcon, dit Man-Ji. Et les pompiers ? Pensez-vous qu’on pourrait les appeler pour ça ? » Man-Ji posa une question qui lui semblait un peu sotte d’autant plus qu’elle en connaissait déjà la réponse. « Je m’en charge », dit le cinquante-cinquante, visiblement déterminé. La mère, ravie de l’entendre, lui tendit le ballai. Man-Ji, pensant qu’il n’était finalement pas si nul, lui donna un sac poubelle.

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« Merci beaucoup. J’ai laissé la pelle dans le balcon, dit la mère. - D’accord. » Le cinquante-cinquante entra sur le balcon sans hésiter une seule seconde. « Il était dans quel carton ? - Derrière les tuyaux de chauffage, celui qui a de la moisissure ! - Très bien ! », cria le cinquante-cinquante en refermant la porte coulissante du balcon. Ce geste était pour prévenir toute intrusion des rats dans le salon. Le mouvement du cinquante-cinquante, qui reflétait sur la baie vitrée semi opaque, inspirait plutôt confiance. Badaboum, boum, boum! « Uaaaaaaaaaaaaaaaah » La lumière était plus rapide que l’électron, disait-on ! Le cinquante-cinquante était visiblement plus rapide que la mère, mais il aurait fallu obtenir une vidéo pour en avoir le cœur net. La mère et Man-Ji s’adossèrent rapidement au mur pour éviter le cinquantecinquante qui courrait les cheveux et le sac poubelle au vent. « Alors ? Avez-vous réussi à les attraper ? demanda la mère. - J’étais prêt à retirer le carton. Et là, j’ai vu un rat immense, un vrai big rat ! Bon, je suis navré, tenez », répondit le cinquante-cinquante en tendant le sac poubelle à Man-Ji. Ensuite, il se mit rapidement à l’abri dans son appartement. « C’est quoi, cet homme avec sa coupe ridicule ? Je lui arracherai ses cheveux en cinquante-cinquante la prochaine fois que je le croise ! Hé, l’homme-femme ! Vous avez failli casser la baie vitrée ! », cria la mère en fusillant du regard la porte fermée du voisin. « Que faire alors, maman ? demanda Man-Ji. Si on appelait le concierge ? - Il va venir nous aider sans rien demander en échange, penses-tu ? Il faut que j’aille lui acheter au moins un paquet de cigarette. Attend-moi ici. »

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La mère partit avec son portefeuille. Quelques minutes plus tard, elle était de retour, accompagnée du concierge. Man-Ji jeta un coup d’œil au paquet de cigarette dans la poche de la chemise du concierge, qui ne paraissait pas neuf. Le concierge sortit assez rapidement du balcon avec le sac poubelle noir dans lequel il avait enfoui le carton moisi en question. Ce fut vraiment rapide. « Je ne vois pas le gros. Dites-moi quand vous l’aurez vu », dit le concierge avant de partir comme si rien ne se fut passé. « Pff, il n’attrape pas le gros rat malgré les dix mille wons que je lui ai donnés ! rouspéta la mère. Il n’a pris que les petits ! Même moi, j’aurais pu le faire. - Le gros rat est toujours dans la maison ? Ç a me dégoûte ! dit Man-Ji. - On va vaporiser de l’insecticide. - Ç a tue les rats aussi ? demanda Man-Ji. - Il tuera au moins les poux du rat ! » Man-Ji n’avait pas le choix. Elle entra à l’intérieur de l’appartement sans broncher. Il y avait des excréments de rat à l’intérieur du placard et aussi à l’endroit où le précédent locataire plaçait son réfrigérateur. « Même si l’ancien locataire était bien âgé, il aurait pu nettoyer un peu, maugréa la mère. Ah là là, ça pue trop ici. Par contre, comment ce rat est entré ici ? Par la fenêtre du balcon, peut-être ? - Je sens que je ne vais pas tarder à fuguer d’ici ! dit Man-Ji. - Et moi, je sens que je ne vais pas utiliser mes jours de repos », répliqua la mère. La mère et Man-Ji se mirent à ranger leurs affaires en prenant garde au rat qui pouvait surgir de nulle part.

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Elles cassèrent le petit mur qui séparait la chambre du coin cuisine pour avoir une pièce plus grande. Si Cheon-Ji était là, elle aurait collé un joli papier peint sur le mur pour le rafraîchir. Elle aurait bien évidemment resserré la porte du placard, à moitié tombante. De même, elle aurait mieux placé les meubles pour gagner de l’espace. « Elle tient de son père », disait souvent la mère en voyant sa fille cadette bricoler. Ce compliment était dédié au sens artistique de sa fille. Avant la naissance de Man-Ji, le père était sculpteur. Il travaillait le bois qu’il ramassait dans la montagne. Il œuvrait dans une serre, laquelle servait aussi de maison, située en bas d’une colline. Lorsque Man-Ji fut née, il dut changer de métier. Il se fit alors embauché dans une usine, un fabricant d’éponge vaisselle bio. La seule personne capable de comprendre le monde artistique profond du père était sa femme. Le reste du monde ne le comprenait pas. Le jeune couple se trouvait alors dans une situation précaire et le père devait travailler. Malheureusement aucune œuvre du père, qui pourtant devait témoigner de sa qualité artistique, ne resta chez Man-Ji. « C’est à cause du vernis de mauvaise qualité ! Toutes ses œuvres ont séché et se sont cassées. Toutes… », expliquait la mère à ses filles. Le compliment de la mère adressé à Cheon-Ji pouvait alors être compris comme une critique, car au vu des efforts fournis le résultat n’était pas si pertinent. La mère jeta un coup d’œil sur les affaires de Cheon-Ji que sa grande sœur avait récupérées dans l’ancien appartement. « Pourquoi as-tu pris tout cela ? - Comme ça. Qui sait, ça va servir à quelque chose. - Tu ne sais même pas tricoter, pourtant… - Mais si ! Je ne suis pas très habille mais je sais faire. Par contre, on n’a pas fait ce déménagement un peu précipitamment ?

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- C’est ce que la propriétaire voulait. - C’est cela, la raison ? C’est tout ? - Elle n’aurait pas dû me parler comme ça. Si elle me demande gentiment de partir, je ne partirai pas ? Au contraire ! D’où elle traite ma fille de porte-malheur ? Espèce de vieille sorcière, va ! On a bien fait de partir ! Est-ce que t’as fini de ranger ? On va 25

manger un bout. » La mère épousseta ses fesses en se levant. Man-Ji suivit aussitôt sa mère qui sortit la première. La mère et la fille pénétrèrent dans le ‘Bosingak’, un restaurant chinois du quartier. « Bonjour ! dit la propriétaire du restaurant. - Bonjour ! Deux jajangmyeon1 et un porc aigre-doux, s’il vous plait. » La mère prit les navets marinés servis avant les plats. « Après le déménagement, il n’y a rien de mieux qu’un bol de jajangmyeon ! dit la mère. - Tu ne vas pas encore déménager exprès pour manger du jajangmyeon, j’espère ! Au fait, comment ça se fait que tu n’aies pas pu encore acheter ton chez toi ? - Alors là ! Voilà maintenant que ma propre fille me critique ! Sache qu’à chaque fois je me suis sentie prête à acquérir un

bien, le prix de l’immobilier s’est mis à

augmenter. Et puis, pour mes filles chéries, je devais sans cesse payer des cours privés, sans pour autant obtenir des résultats visibles… - Bon, je retire ce que j’ai dit ! Mange, maman. » 1

Jajangmyeon est un plat très apprécié en Corée. Ce sont des nouilles

agrémentées d'une sauce soja incluant du caramel, des oignons, de la viande et des légumes.


La mère mélangea frénétiquement les nouilles avec la sauce. « Tu me blesses d’abord avec ta question et puis tu cherches à me la faire oublier ? Bon, d’accord si tu veux. Mais souviens-toi que l’on peut faire vraiment du mal à quelqu’un uniquement avec des paroles. Tu penses que dire « je retire ce que je dis » règle tout ? Mais la blessure ? Que vas-tu faire de la blessure que tu as laissée ? » La mère, ensuite, prit des nouilles. « Je pense que Cheon-Ji tenait de toi. Toutes les deux, vous cherchez toujours la petite bête pour argumenter, dit Man-Ji. - Bien sûr qu’elle tenait de moi ! C’est mon bébé alors de qui elle pouvait tenir ? - Tu es en forme aujourd’hui. C’est grâce à notre nouvel appartement ? Il te plait ? - Tu penses qu’il me plait, vraiment ? Cheon-Ji n’est pas ma seule fille. Et toi ? Je dois m’occuper de toi aussi. Pour cela, je dois toujours être en forme. - Et si je meurs aussi ? demanda Man-Ji. - Eh bien, je vais bien vivre, toute seule et en forme ! » Le propriétaire posa une assiette de porc à la sauce aigre-douce sur la table avant de s’éclipser dans la cuisine. « Pourquoi il a mis la sauce sur les fritures ? », maugréa Man-Ji.

Bam ! Hwa-Yeon s’introduisit rapidement dans les toilettes publiques pour fuir la mère et la sœur de Cheon-Ji. Mère et fille dégageaient quelque chose qui rappelait Cheon-Ji. Elles n’étaient que deux, mais Hwa-Yeon avait la sensation qu’elles étaient trois. Planquée derrière la porte des toilettes, elle craignait que l’une ou l’autre était collée de l’autre côté. Le simple son d’une fuite d’eau la faisait frémir… Hwa-Yeon avait l’impression que ce bruit indiquait sa cachette.

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Pourquoi sont-elles ici ? se demanda Hwa-Yeon.

Le souvenir lié à Cheon-Ji n’était guère joyeux pour Hwa-Yeon. Elle ne voulait ni être une amie proche de Cheon-Ji ni la laisser être amie avec les autres. En tout cas, Hwa-Yeon voulut, à un moment donné, arrêter cette relation avec Cheon-Ji. Puis, faire comme si elle était bienveillante envers Cheon-Ji en disant aux autres que celle-ci n’était pas si nulle, était un jeu bien intéressant pour Hwa-Yeon. Un jeu qui la mettait en valeur. Parallèlement, sans se faire remarquer pour autant, dire souvent que Cheon-Ji était une fille bizarre et en faire une souffre-douleur était distrayant pour Hwa-Yeon. Le fait de casser du sucre sur le dos de quelqu’un était tout à fait compréhensible à son âge, prétendait Hwa-Yeon pour se défendre. Pour Cheon-Ji, les manœuvres détestables de Hwa-Yeon étaient comme un rhume contre lequel elle ne parvenait pas à résister. Cette petite maladie semblait si anodine que personne ne trouvait à s’en méfier. Néanmoins, à la laisser traîner si longtemps pouvait être dangereux au contraire. Oui, c’était comme un rhume. Et vivre avec pendant trois années… Hwa-Yeon n’était pas vraiment à l’aise avec Cheon-Ji car cette dernière se souvenait de tout ce qu’elle avait fait auparavant. Puis cette Cheon-Ji s’était donnée la mort. Dans les débuts, Hwa-Yeon se sentit libérée comme si elle avait réussi à se dégager d’un rôt qui datait de trois ans. Mais là, elle n’était plus libre. Au contraire, elle sentait comme un gaz pourri gonfler dans son corps. Hwa-Yeon sortit des toilettes et entra dans la salle du restaurant. « Maman, j’ai besoin de vingt mille wons. Il fallait acheter un cadeau d’anniversaire pour une amie et j’ai oublié de te le dire ce matin. » La mère de Hwa-Yeon sortit l’argent de la caisse du restaurant.

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« J’aurais bien aimé être à ta place, dit la mère de Hwa-Yeon. Tu demandes de l’argent sans arrêt tantôt pour sortir tantôt pour offrir quelque chose. Et moi, je t’en donne à chaque fois ! » La mère de Hwa-Yeon commença à mettre du navet mariné dans des récipients en plastique pour la livraison. Hwa-Yeon, sans dire un mot, sortit du restaurant de ses parents.

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Pluie de grêles

Un lecteur MP3. Le nombre de chansons que Cheon-Ji écoutait ne dépassait jamais cinq. Qui plus est la taille de ces cinq chansons était minime. De ce fait, Cheon-Ji les avait téléchargées dans son téléphone portable. Elle était différente de sa grande sœur qui, à chaque nouvelle chanson sortie, téléchargeait tout ce qu’elle trouvait. Malgré le peu d’intérêt que portait Cheon-Ji à l’acquisition d’une grosse quantité de chansons, elle avait insisté auprès de sa mère pour qu’elle lui offre un lecteur MP3. Ça aurait pu être pris pour un caprice partagé par les autres filles de son âge, mais Cheon-Ji était différente. Alors son comportement ne pouvait être insignifiant. « Tu écoutes au moins toutes les chansons que tu as téléchargées ? demanda Cheon-Ji à sa sœur. - Il vaut mieux en avoir beaucoup, répondit Man-Ji. Comme ça, je les écoute selon mon humeur. - As-tu une centaine ou deux cents humeurs différents ? - Je pourrais bien en avoir des milliers si mon lecteur MP3 me le permettait. - Combien as-tu d’humeur qui te motivent à travailler ? - Aucune ! D’ailleurs, la natation, la danse, quelque soit le sport, etc., il y a beaucoup de choses à faire dans la vie. Et il vaut mieux motiver les enfants pour qu’ils fassent les choses qu’ils aiment ! Regarde-nous, on doit être en compétition avec d’autres qui ont les études inscrites dans leur ADN. Ne trouves-tu pas cela injuste, ma sœur ? - Tu crois quoi, ma sœur ? C’est comme ça.

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- Te prends-tu pour une porte-parole du ministère de l’éducation ? - Mais tu es bonne à l’école. Pourquoi dis-tu cela ? - Peu importe ! J’ai sommeil… Dors bien. » Les souvenirs de Cheon-Ji surgirent d’un coup. Man-Ji sortit les affaires de sa petite sœur et les mit dans une boîte. Elle trouva un stylo qu’elle avait donné à Cheon-Ji quand elle était en CM1. Lorsqu’on tirait une petite tirette sur le stylo, un papier sur lequel était imprimé la table de multiplication sortait. Man-Ji avait reçu ce stylo publicitaire devant un institut de cours privé. Man-Ji tira la table de multiplication.

On peut bien trouver un purificateur d’air, alors pourquoi pas un purificateur du cœur ?

Cette phrase fut écrite sur la table de multiplication. A l’écriture, Man-Ji nota que la phrase n’avait pas été écrite lorsque Cheon-Ji était en CM1, mais plutôt quand elle était en sixième voire plus tard. Au collège tout au moins. La grande sœur se fit également la remarque qu’en aucun cas Cheon-Ji n’aurait écrit cette phrase juste pour s’amuser, sans arrière-pensée. Elle était à la fois suffisamment mûre pour rester positive, et trop sérieuse pour devenir négative.

« Ne serais-tu pas un peu trop parfaite ? Tu m’étouffes, ma sœur. Oui, je suis étouffée ! Appelle les pompiers ! » Man-Ji, quand elle était fatiguée de sa sœur, évitait la conversation de cette manière. Un purificateur du cœur… songea Man-Ji. Man-Ji remit le stylo dans la boîte. Et cette fois-ci, elle prit une pelote de laine rouge, celle que Cheon-Ji lui avait donnée en disant qu’elle pourrait en tricoter quelque chose. Le visage pale de Cheon-Ji se reflétait sur la pelote rouge.

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N’as-tu pas pensé à maman ni à moi ? pensa Man-Ji. Tu n’aurais pas dû… Man-Ji remit ensuite la pelote dans la boîte et la referma. « Man-Ji ! Tu rangeras ça tout à l’heure. On jette d’abord ce bureau. Il est finalement trop encombrant », dit la mère en parcourant du regard la chambre. Elle avait déjà fini de ranger les vaisselles. « Je travaillerai où alors ? demanda Man-Ji. - Je t’achèterai une table basse, répondit la mère. On aurait dû le jeter avant d’emménager. » La mère tira d’abord la planche du bureau. « Je prends la planche, et toi les tiroirs et la chaise. Suis-moi. - Quoi, tu jettes aussi la chaise ? - Oui, je t’ai dit que j’achèterai une table basse. Met les tiroirs sur la chaise, ce sera plus facile pour toi. » Man-Ji vérifia les tiroirs au cas où elle aurait oublié quelque chose avant de les poser sur la chaise. Il ne restait alors plus que l’étagère du bureau à jeter. « C’est trop lourd ! rouspéta la mère. On va mettre la planche sur la chaise. - Non, les tiroirs sont aussi lourds, maman. - Comment ça, lourds ? Ils sont vides pourtant ! » Man-Ji s’exécuta alors à la demande de sa mère, posa les tiroirs au sol et mit la planche sur la chaise. La planche posée sur les accoudoirs risquait de tomber à tout moment. La mère poussa la chaise en protégeant la planche. Man-Ji la suivit, les tiroirs dans les bras. « Fais attention maman, cria Man-Ji, quand tu tournes. La planche est trop lar… » Badaboum ! Avant même que Man-Ji eut fini sa phrase, la planche tomba par terre. « Qu’est-ce qui se passe ? »

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C’était le cinquante-cinquante, celui-là même qui avait perdu toute crédibilité devant ses voisines. « On allait jeter le bureau, répondit la mère, indifférente, en remettant la planche sur la chaise. - Si on posait les tiroirs sur la planche ? - C’est dangereux, dit la mère. - Est-ce qu’il y a quelque chose que je pourrais faire ? demanda le cinquante-cinquante. - Rien. Par contre, vous pouvez nous laisser la place ? » Le cinquante-cinquante, un peu gêné, laissa alors la place à ses voisines. Man-Ji essaya tout de même de poser les tiroirs sur la planche avant de les retirer aussitôt. « Ce n’est pas facile de garder un équilibre, dit Man-Ji. Monsieur, pouvez-vous me prendre la vitre du bureau posée à côté du réfrigérateur ? On la jette aussi maman, non ? - On reviendra la chercher, répondit la mère. - Je la prends, ne vous inquiétez pas. » Le cinquante-cinquante entra d’un pas rapide dans l’appartement de Man-Ji. « Pourquoi as-tu laissé entrer cet homme, reprocha la mère d’une voix basse. On ne le connaît pas bien ! - Il n’a pas l’air méchant. Et il y a rien de précieux chez nous. - Il faut toujours se méfier de l’apparence. En revanche, c’est quoi cette coupe ? As-tu vu sa raie ? Quelle précision, alors ! On dirait qu’il la faite avec une règle. » Le cinquante-cinquante réapparut avec la vitre. « On y va alors ? demanda le cinquante-cinquante. - On y va alors », répondit la mère en reprenant les paroles de cinquante-cinquante. La mère mena le cortège en poussant la chaise sur laquelle fut posée la planche. Man-Ji la suivit avec ses tiroirs, et le cinquante-cinquante avec la vitre fermant le cortège.

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« Tu t’appelles comment ? demanda le cinquante-cinquante à Man-Ji. - Man-Ji, Lee Man-Ji, répondit Man-Ji. - Man-Ji ? C’est un beau prénom. Mais on peut s’en moquer facilement quand on en décide… - Et vous, monsieur ? - Chu Sang-Bak. - Quoi ? Uaaaaaaaah, cria Man-Ji, surprise, en se tournant. Mais pourquoi vous collez votre visage sur la vitre ? Vous m’avez fait une de ses peurs ! - Quand on colle bien le visage sur la vitre, ça ne glisse pas. - Vous pouvez prendre un peu de distance avec moi ? Ah là là, il est bizarre. - Man-Ji ! cria la mère. Peux-tu faire moins de bruit, s’il te plait ? » Le cortège passa par le couloir étroit de l’immeuble, puis sortit pour rejoindre le parking. Le cinquante-cinquante rattrapa Man-Ji. « Dites, votre prénom est Chu-Sang et le nom de famille Bak ? Ou le nom de famille est Chu, le prénom Sang-Bak ? demanda Man-Ji. - Mon nom de famille est Chu. Et mon prénom Sang-Bak. On dit toujours le nom de famille d’abord en Corée, à ce que je sache. - Mais votre prénom n’est composé que de noms de familles… » Tout le monde fut rassemblé devant la loge. La mère négocia avec le concierge pour le prix du sticker à coller sur les meubles à jeter. Pour la vitre c’était gratuit. En revanche, pour la planche et les tiroirs, les stickers coûtèrent trois mille wons respectivement. Le total montait donc à six mille wons. Cependant, pour la mère, étant donné que la planche et les tiroirs composaient un seul et même bureau, le prix pouvait être divisé par deux et ainsi descendre à trois mille wons. A cela, le concierge ne l’entendait pas de la même manière car

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selon lui l’encombrement qu’imposaient autant la planche que les tiroirs méritaient d’être comptabilisé ainsi. « Mais Monsieur, interrompit le cinquante-cinquante, vous m’avez fait payer cinq mille wons pour deux tiroirs, pourtant moins gros que les leurs ! » Le visage de la mère se figea. « Vous avez vu ? Normalement, c’est plus cher. Ce n’est pas moi qui décide tout ça, vous comprenez », dit le concierge. La mère tendit alors six mille wons au concierge. « Viens, Man-Ji. Et vous, Monsieur le voisin, faites en sorte de vous faire rembourser des deux mille wons pris de trop ! » A ce moment-là, Hwa-Yeon passa devant la loge. « Hwa-Yeon, c’est toi ? demanda Man-Ji. - Ah, Man-Ji… Qu’est-ce que tu fais là ? - On a emménagé ici. Et toi ? Tu fais quoi ici ? » Le visage de Hwa-Yeon devint tout pâle. « Ah, c’est la fille du ‘Bosingak’, reconnut le concierge en voyant Hwa-Yeon. - Le restaurant chinois ? C’est chez toi ? - Oui… et j’habite dans cette résidence aussi, l’immeuble 106. - Waouh ! L’immeuble où il n’y a que des grands appartements ! Nous, on est au 102. Maman, c’est Hwa-Yeon, une amie de Cheon-Ji. - Bonjour, Hwa-Yeon. On se croisera souvent ici. Mais là, on doit te laisser parce qu’on n’a pas encore fini d’emménager. - Oui, au revoir, Madame. »

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La mère et Man-Ji rentrèrent chez elles en laissant derrière elle leur voisin, resté à l’extérieur avec le concierge. Sa plainte concernant le prix du sticker n’était toujours pas acceptée.

Rentrée chez elle, Hwa-Yeon était dans tous ses états. La famille de Cheon-Ji venait d’emménager dans sa résidence ! La famille de Cheon-Ji, sans Cheon-Ji, n’était vraiment pas la bienvenue. Hwa-Yeon se leva d’un bond du canapé et but un grand verre d’eau d’une seule traite. Man-Ji pensait que Hwa-Yeon était la meilleure amie de sa petite sœur. Alors, il suffisait de se comporter ainsi. Quelque chose chagrinait cependant Hwa-Yeon. C’était au sujet du contrat d’amitié signé avec Cheon-Ji. « Nous sommes désormais au collège ! Alors on s’offrira un cadeau d’anniversaire un peu spécial, cette année ! dit Hwa-Yeon. - Quoi, par exemple ? demanda Cheon-Ji. - Je veux un lecteur MP3. Et je t’offrirai un appareil photo numérique. Tu n’en as pas, non ? - Je n’en ai pas besoin. Et c’est cher pour rien. Et toi, tu as déjà un lecteur MP3 ! - Pourquoi ne pas en avoir deux ? Il y a pas mal de lecteurs MP3 et d’appareils numériques avec un prix abordable sur Internet. - Explique-moi déjà pourquoi je dois faire ce genre de pacte avec toi. - J’ai beaucoup réfléchi après avoir entendu ta présentation sur le préjugé. Je suis vraiment désolée si je t’ai fait du mal. Et pour faire signifier le pardon, j’aimerais recevoir un cadeau venant de toi. » Les excuses de Hwa-Yeon, si prévisibles et si vides de sens, étaient toujours accompagnées d’une arrière-pensée. Malgré cela Cheon-Ji, connaissant parfaitement Hwa-

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Yeon, accepta sa demande. « On verra bien jusqu’où t’es prête à aller », pensa Cheon-Ji. Ces deux filles signèrent le contrat et prient un exemplaire chacune. « Que faites-vous ? demanda une amie. - C’est un contrat d’amitié ! répondit Hwa-Yeon. - Quoi ? Même un écolier ne penserait pas à faire une chose aussi enfantine ! - Et alors ? répliqua Hwa-Yeon. On est deux amies tellement proches !» Hwa-Yeon devait convaincre ses amies que le contenu de la présentation de Cheon-Ji lors du cours de coréen n’avait rien à voir avec elle-même. Le contrat d’amitié, quant à lui, fut déchiré et jeté dans la cuvette des toilettes aussitôt que Hwa-Yeon eut apprit la mort de Cheon-Ji. Elle pensa alors que sa relation avec Cheon-Ji avait pris fin ce jour-là, lorsque les morceaux de papier furent aspirés par la chasse d’eau. Devais-tu vraiment tout révéler devant la classe ? pensa Hwa-Yeon. Cheon-Ji était toujours dans les dix premiers de la classe. Il était malgré tout difficile pour Cheon-Ji de donner l’impression, avec son classement, qu’elle était très forte à l’école. Ses notes, qui étaient plutôt bonnes, ne correspondaient pourtant pas à son apparent désintéressement total pour les études. Si bien que les autres filles pensaient que Cheon-Ji pouvait bien mieux faire et peut-être même devenir première de la classe, si elle s’était décidée à réellement travailler. Cheon-Ji était connue pour avoir été une fille à préférer les romans aux manuels scolaires. « Il est intéressant ce roman ? - Oui, répondit Cheon-Ji. Et je le lis parce qu’il n’est pas encore conseillé par l’école. Quand je suis obligée d’en lire un, le charme du roman disparaît ! »

Hwa-Yeon n’aimait pas les filles qui avaient toujours de bonnes notes, et encore moins Cheon-Ji, car cette dernière avait l’air de ne rien faire mais avait toujours de meilleures notes

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qu’elle. Hwa-Yeon se souvenait encore de Cheon-Ji, à l’école primaire, lorsque celle-ci pleurait suite à des mauvais mots qu’elle lui lançait. Mais au collège, Cheon-Ji n’était plus la même. Et lorsque Cheon-Ji jeta un jour un regard froid à Hwa-Yeon, cette dernière prit peur sans comprendre. Cheon-Ji l’avait regardée comme si Hwa-Yeon était un insecte dégoûtant. Hwa-Yeon aurait dû tout arrêter lorsqu’elle avait commencé à sentir ce regard méprisant. Elle aurait dû renoncer à tout cela dès lors qu’elle avait commencé à comprendre le changement opéré chez Cheon-Ji. Et maintenant que Cheon-Ji n’était plus là, c’était au tour de la famille de prendre le relais et de commencer à l’étrangler.

« Qu’est-ce que tu fais avec toutes ces ordures ? » demanda Man-Ji à Mi-Ran, qui allait ranger les deux trombones trouvés on ne savait où. En effet, Mi-Ran ramassait tout ce qu’elle trouvait dans la salle : gomme, punaise et même règle cassée. « Les femmes entassent les appareils comme la machine à pain ou le grille-pain dans le débarras, dit Mi-Ran. Mais tu sais quoi ? Elles ne les utiliseront jamais. Par contre, ce genre de petites bricoles, on en a toujours besoin ! - Je te respecte, mon amie ! Tu es la reine du bricolage ! - Oui, je sais », rit Mi-Ran. Man-Ji se leva d’un bond. « Où vas-tu ? demanda Mi-Ran - Je vais voir Hwa-Yeon. » Man-Ji devait lui parler car, excepté sa famille, Hwa-Yeon était la personne la plus proche de Cheon-Ji. La petite sœur ne pouvait pas être du genre à se donner la mort sur une simple impulsion. Elle avait dû y réfléchir depuis longtemps. Man-Ji se refusait de se donner une excuse routinière pour la mort de sa petite sœur, du genre ‘c’est la société qui a tué ma petite sœur…’ Les autres pouvaient critiquer cette société

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qui avait tué une vie innocente, mais Man-Ji avait la sensation d’avoir été une grande sœur imbécile incapable d’arrêter cet acte aussi cruel. Elle devait alors s’excuser auprès de sa petite sœur. Dire qu’elle était vraiment désolée était loin d’être suffisant. Cheon-Ji n’avait laissé ni testament, ni même un journal intime. Alors, trouver la vraie raison de la mort de Cheon-Ji était un devoir pour Man-Ji.

« Peut-on se voir au snack après les cours ? - Pourquoi donc ? demanda Hwa-Yeon. - Je voulais t’inviter puisque tu étais la meilleure amie de Cheon-Ji. - Je dois rester pour nettoyer la classe. - Prends ton temps. Je vais lire en t’attendant. - D’accord… » Man-Ji retourna à sa classe. Hwa-Yeon savait que les filles les regardaient depuis tout à l’heure. La visite de Man-Ji dans la classe de sa petite sœur décédée attirait l’attention de tous. Cependant, Man-Ji partit sans rien faire, à part une petite conversation avec Hwa-Yeon. Aussitôt qu’elle fut partie, les filles commencèrent à en discuter. « C’était bien la grande sœur de Cheon-Ji, n’est-ce pas ? Pourquoi est-elle venue ici ? - C’est peut-être à cause de Kim Hwa-Yeon ! Elle l’a tellement fait souffrir ! - Tu crois ? - Bien sûr ! Tu n’as pas vu la tête qu’a fait Hwa-Yeon ? Elle était terrifiée ! - C’est vrai… J’ai entendu parler de ce qu’elle avait fait à Cheon-Ji. Une fois, elle l’avait invitée à son anniversaire mais elle lui a donné une mauvaise heure. Alors,

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quand Cheon-Ji est arrivée, il ne restait que quelques miettes. Hwa-Yeon l’avait fait exprès ! Elle a vraiment été méchante avec Cheon-Ji. - Quelle saleté, celle-là ! »

Mi-Ju ne put étouffer son étonnement en entendant cette histoire qui datait pourtant. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis cet incident. Alors pourquoi n’avait-elle rien dit à Hwa-Yeon bien qu’étant témoin de cette injustice envers Cheon-Ji ? Oui, Mi-Ju était bien présente à cet anniversaire, et elle savait parfaitement que Cheon-Ji était arrivée en retard à cause de Hwa-Yeon. Mais elle ne dit rien et se contenta de se taire comme auparavant. « Mi-Ju ! Tu étais dans la même école que Hwa-Yeon. - Oui. - Dis, Cheon-Ji était toujours sa victime alors ? Pourtant, Cheon-Ji se fichait pas mal de Hwa-Yeon au collège. Je ne comprends rien. - Tout le monde savait que Hwa-Yeon disait du mal de Cheon-Ji. Mais Cheon-Ji ellemême ne le savait pas. - Que des rumeurs… - Ma grand-mère a dit que heureusement Cheon-Ji n’était pas un garçon ! Vous vous rendez compte ? Alors une fille peut mourir mais pas un garçon ? - Ç a ne va pas, non ? » Les filles firent la grimace en se plaignant. « La voilà ! Hwa-Yeon est de retour ! », dit une fille. Au retour de Hwa-Yeon, les filles se mirent à rire faisant comme si de rien n’était, comme si elles discutaient d’une chose amusante. Ces rires, artificiels et ne laissant apercevoir aucune gaieté, s’estompèrent et disparurent en l’absence de raison valable. « Eh bien, je vais faire mon devoir.

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- C’est vrai ! Je ne l’ai pas encore fait ! » Le comportement des filles fut très maladroit. Hwa-Yeon trouva que ces filles étaient comme elle il y a quelques temps.

« Oh non ! Encore un travail d’équipe ? J’en ai vraiment marre. - Tu n’as qu’à demander à Cheon-Ji de le faire. Elle m’énerve, elle ! - Ne fais pas attention. Et moi non plus, je n’aime pas cette fille. - La voilà, Cheon-Ji est de retour ! »

Hwa-Yeon disait du mal sur Cheon-Ji, et désormais, ce furent les autres filles qui firent exactement la même chose. Elles allaient imaginer des choses, puis le commérage sur HwaYeon allait se propager, comme ce fut le cas pour Cheon-Ji. Hwa-Yeon n’avait pas tort d’y penser. Les filles commencèrent à parler sur elle. De faux témoins firent même leur apparition pour appuyer des rumeurs fabriquées de toutes pièces. Et ces rumeurs circulaient très rapidement.

Le nettoyage de la classe était sur le point de se terminer lorsque Hwa-Yeon commença à s’angoisser. Elle devait rejoindre Man-Ji qui l’attendait dehors. Si Man-Ji se posait la question ‘pourquoi’, et qu’elle voulait connaître la vraie raison de l’acte de sa petite sœur, Hwa-Yeon, quant à elle, se demandait ce qu’elle avait fait de mal. Elle cherchait à l’évidence à éviter de s’incomber toute responsabilité dans ses actes passés. Hwa-Yeon détestait tant Cheon-Ji qu’elle passait son temps à la maudire ou à la piéger. Est-ce pour autant qu’elle devait se donner la mort ? Et Yuri alors ? Le souffre-douleur attitré de la classe que tout le monde ridiculisait ?

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« C’est toi qui avait dit que le père de Cheon-Ji s’était suicidé ! », avait dit Mi-Ju. Elle parlait à Hwa-Yeon tout en mettant la chaise sur la table. Bam ! Tellement choquée, Hwa-Yeon ne put lui répondre quoi que ce soit. Ce ne fut pas une simple question pour connaître si cette rumeur venait vraiment de Hwa-Yeon. C’était plutôt une confirmation. « Comment ça ? Je n’ai jamais dit cela ! répliqua Hwa-Yeon après avoir repris ses esprits. - Le jour de ton anniversaire ! Quand tu as fait la fête dans ton restaurant. Tu as dit devant tout le monde que le père de Cheon-Ji s’était suicidé. » Les filles qui étaient en train de nettoyer le couloir s’approchèrent de Hwa-Yeon et de MiJu. Hwa-Yeon déglutit sa salive. Auparavant, les filles se seraient intéressées plus au contenu de la rumeur qu’à son origine, mais depuis la mort de Cheon-Ji, on cherchait à en connaître les causes ainsi que le responsable. Les filles se concentrèrent alors sur le qui et le pourquoi. Cheon-Ji n’était évidemment plus là pour se défendre et rectifier les paroles de Hwa-Yeon. Cette dernière avait d’ailleurs de plus en plus de mal à mentir. Depuis sa mort, Cheon-Ji était devenue plus vivante que jamais car toutes les attentions s’étaient tournées vers elle. Le visage de Hwa-Yeon devint toute pâle. « Tu nous avait bien dit qu’à cause du suicide de son père, Cheon-Ji était toujours sombre ! dit Mi-Ju. - Ah bon ? J’ai dit cela ? Je ne me souviens pas très bien puisque moi-même, j’ai entendu ça quelque part. - Ma sœur est dans la même classe que celle de Cheon-Ji, rajouta Mi-Ju. Et elle, elle m’a dit que le père de Cheon-Ji était mort dans un accident ! - Quoi ? Raconte-nous alors », dirent les filles.

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Hwa-Yeon fusilla Mi-Ju du regard. Mi-Ju, peu impressionnée par ce regard, rit trouvant Hwa-Yeon si ridicule.

Le jour de l’anniversaire de Hwa-Yeon quelques temps auparavant. « Se suicider en laissant sa femme et ses filles, vous vous rendez compte ? C’est pour cette raison que Cheon-Ji semble si ténébreuse. » Hwa-Yeon racontait cette histoire de soi-disant suicide à qui voulait l’entendre tout en faisant mine de s’inquiéter pour Cheon-Ji, alors qu’en réalité elle les maudissait, elle et son père. Ensuite, elle éclatait de rire en attendant l’écho des filles comme pour obtenir la confirmation de toutes. Ce rire était aussi cruel que ce qu’elle avait dit sur la famille de Cheon-Ji. C’était à ce moment-là que Cheon-Ji arriva. « Oh ! Je t’ai dit quinze heures ? Je suis vraiment désolée, Cheon-Ji, dit Hwa-Yeon en faisant semblant d’être sincère. - Ce n’est pas grave. Bon anniversaire. - Maman ! Elle vient d’arriver. Peux-tu lui préparer un jajangmyeon ? » Quelle générosité hypocrite ! pensa à ce moment-là Mi-Ju. Intérieurement, elle se mit dans une rage noire en observant la manœuvre de Hwa-Yeon. Et Cheon-Ji restait malgré cette honte publique ! Les filles, quant à elles, se rassurèrent en se disant que Cheon-Ji pouvait au moins manger du jajangmyeon. En réalité, c’était une fausse invitation. Qui peut donner une mauvaise heure quand on invite quelqu’un ? Pas à plusieurs personnes, mais à une seule, et à sa soi-disant meilleure amie qui plus est ? Et pourquoi ? Même les parents de Hwa-Yeon paraissaient étranges aux yeux de Mi-Ju. Ils auraient bien pu lui donner un peu de viande tout de même ! Un jajangmyeon ? Pourquoi pas, mais une préparation améliorée pour la meilleure amie de leur

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fille aurait été plus adéquat. Cette festivité fut un anniversaire gênant pour Mi-Ju. Depuis ce jour, Mi-Ju avait prit ses distances avec Hwa-Yeon.

« Tu étais vraiment cruelle quand tu parlais du père de Cheon-Ji. Tu as raconté cette histoire comme si elle était bien plaisante », dit Mi-Ju. 43 Le printemps suivant l’anniversaire de Hwa-Yeon, Mi-Ju perdit sa mère. Cette dernière était malade depuis fort longtemps et souffrait terriblement. Si bien que, parfois, Mi-Ju se surprenait à souhaiter même la mort de sa mère. Qui plus est, l’état de santé de celle-ci ne permettait pas à la jeune fille d’inviter ses amis chez elle. Un peu plus tard, lorsque fut venu le temps de faire ses adieux à sa mère, Mi-Ju pria de tout son cœur pour que sa mère puisse, au contraire, vivre encore un peu plus, et rester auprès d’elle. Les regrets de Mi-Ju, bien qu’énormes, ne vinrent que trop. Hwa-Yeon était vraiment méchante, pensa Mi-Ju. Comment pouvait-elle plaisanter avec la mort du père de Cheon-Ji ? Egalement, les parents de Hwa-Yeon étaient cruels, ils laissaient leur fille raconter des bobards. Mi-Ju sortit de la classe. Les filles la suivirent.

Les traces du passé commençaient à être découvertes par les filles. Ces filles qui plaisantaient avec Hwa-Yeon auparavant devenaient alors les témoins de ce qui s’était passé. Hwa-Yeon comprit enfin qu’elle se trouvait dans une impasse. « Si je disais vérité ? Tout se passera bien », pensa Hwa-Yeon. Il valait mieux recommencer à zéro. Elle ne pouvait pas s'hasarder en ignorant ce qui allait lui arriver. Cheon-Ji n’était jamais devenue la souffre-douleur de la classe malgré tout ! HwaYeon ne l’avait jamais frappée et, encore moins, mis en ligne une vidéo exhibant la


souffrance de Cheon-Ji. Ajouté à sa réflexion, Hwa-Yeon se dit également qu’au pire elle jouait un peu avec Cheon-Ji. Après avoir pris une profonde inspiration, Hwa-Yeon pénétra dans le snack. « Man-Ji ! dit Hwa-Yeon. - Oui, assied-toi. Tu dois avoir faim, dit Man-Ji. - Oui, un peu. » Man-Ji commanda deux plats. « Ne te sens-tu pas un peu seule sans ma sœur ? demanda Man-Ji en posant les couverts. -… - Je ne savais pas que tu vivais dans notre résidence. » Hwa-Yeon sourit sans répondre. « Tout le monde a son lecteur MP3 en ce moment, n’est-ce pas ? - On peut dire ça, répondit Hwa-Yeon. Certaines des filles ne le prennent pas sur elles puisque le portable suffit. Sinon, on peut y ajouter une carte mémoire pour les chansons. Cheon-Ji aussi d’ailleurs ne prenait que son portable. - Oui, je sais. Mais un jour, elle a demandé à ma mère de lui en acheter un nouveau modèle. - Ah, peut-être pour notre échange de cadeaux ? Pourtant, on s’est mises d’accord de s’acheter que des occasions… - Echange de cadeaux ? - Oui. Nos anniversaires tombent presque en même temps. Alors en guise de cadeau d’anniversaire, elle devait me donner un lecteur MP3 et moi, un appareil photo numérique pour Cheon-Ji. - Vous n’avez pas besoin de ce genre de chose ! - Mais on peut en trouver pas cher sur Internet.

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- Il y a toujours une raison quand ce n’est pas cher. Une fois, j’ai acheté un lecteur MP3 d’occasion. Mais la batterie a lâché trop rapidement. Je devais le connecter sur mon ordinateur. En fait, ça ne servait à rien. Alors n’achète pas d’occasions à bas prix. - Oui, mais on avait décidé de le faire… Même on le perd, ce n’est pas si grave alors. - Vous étiez toutes les deux très enfantines ! » Les plats commandés arrivèrent. « Bon appétit, Man-Ji », dit Hwa-Yeon. Man-Ji regarda la meilleure amie de sa petite sœur. L’endroit et les plats furent les mêmes que la dernière fois. A la différence que Cheon-Ji était absente. « On dirait que Cheon-Ji t’appréciait beaucoup vu qu’elle voulait t’acheter un nouveau modèle, dit Man-Ji. - Je n’ai rien dit à Cheon-Ji mais moi aussi, je voulais lui en acheter un très beau modèle. Si je le lui avait dit dés le début, elle aurait été gênée. C’est pour ça que j’avais parlé d’un appareil d’occasion sur Internet. - Pourquoi voulais-tu lui acheter un nouveau modèle ? - Pour me faire pardonnée. Je lui ai fait beaucoup de mal avant. Comme on est au collège, je voulais tout recommencer. En plus, Cheon-Ji ne fait pas de fête d’anniversaire. Alors je voulais lui offrir un joli cadeau. » Une fête d’anniversaire. Les deux sœurs n’avaient jamais fêté leur anniversaire avec des amis. Un peu d’argent de poche et un gâteau acheté par la mère en rentrant de son boulot suffisaient. Ce n’était en aucun cas du fait d’un problème d’argent. La raison principale se trouvait ailleurs. Les deux sœurs, à cause des fréquents déménagements, n’avaient pas autant d’amis à inviter. Et la petite sœur qui n’aura plus jamais l’occasion de fêter son anniversaire avec ses amis… « Hahaha ! Qu’est-ce que tu as fait de mal à Cheon-Ji ? demanda Man-Ji.

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- Eh bien, casser du sucre dans son dos… quelque chose comme cela. - Ah… - Elle m’énervait de temps en temps surtout quand elle se prenait pour une grande sœur. - Oui, je vois. Même avec moi, elle se prenait de temps en temps pour ma grande sœur. » Une larme tomba sur la joue de Hwa-Yeon. Elle prit rapidement un mouchoir et l’essuya. Ce fut une larme non calculée. Une larme incontrôlable… Hwa-Yeon se sentit accusée par quelqu’un, mais elle ignorait qui. « Non, pas ça… », pensa Hwa-Yeon. « C’est ça l’amitié… Tu pleures plus que moi pour Cheon-Ji. Par contre, ce n’était pas bien d’embêter ma petite sœur. » Man-Ji reposa sa fourchette sur la table en renonçant de manger. Hwa-Yeon posa également la sienne en prétextant ne plus avoir faim.

« Man-Ji ! cria la mère, le petit déjeuner est prêt ! - Ne pourrait-on pas le sauter de temps en temps ? - Tu peux le sauter peut-être, toi qui es assise toute la journée. Mais pas moi qui dois bouger sans arrêt. Je dois exposer des produits et faire cuire le tofu pour la dégustation… Sans manger, je ne peux pas résister. Le respect aux clients ? Pfff ! Avant de chercher à respecter les clients, il faut prendre soin de ses employés ! - Tu ne peux pas faire la dégustation assise ? - As-tu déjà vu un stand de dégustation d’un supermarché avec des chaises ? - C’est vrai qu’il y a tellement de monde… - Je ne demande même pas une chaise. J’aimerais au moins avoir un mur pour m’adosser un peu.

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- Tu vas avoir mal au dos. - Mon moment préféré est la pause pipi. Je peux m’asseoir un peu, tu vois ? Depuis quelques temps, on a mis la chaise à la caisse. Ah là là, j’envie les caissières. Mais elles ne s’assoient pas pour autant… elles sont un peu gênées, je pense. - En revanche, tu me dis de prendre le petit déjeuner pour tenir la journée. Mais franchement, il n’y a pas grand-chose à manger. - Mais c’est toi qui voulais le sauter, je te signale. Et regarde, tu as le riz, la soupe, le kimchi, et même un ragoût ! Sois heureuse de ne pas avoir à sauter un repas. Quand j’étais petite, je n’avais vraiment rien à manger. - Tu ne vois pas les filles de mon âge qui vont souvent au restaurant ? Toi, tu sautais le repas quand tu étais petite, moi, je dois me contenter de manger ça ! - Arrête ton caprice. » La mère donna un coup de paume sur la table. « C’est un peu hors sujet… mais on dit qu’un enfant mort, on l’ensevelit dans le cœur des parents. Mais toi, tu as l’air tellement en forme… As-tu tout oublié ? - L’ensevelir dans le cœur ? Non, on ne peut pas l’ensevelir. Même en y mettant du ciment et je ne sais quoi dessus pour que tout soit solidifié ! On a beau essayer de l’ensevelir, l’enfant ressurgit à chaque fois. C’est ça voir son enfant mourir. On ne peut pas l’ensevelir puisqu’on est désolé, qu’on est contrarié, qu’on a pitié de lui et je ne sais quoi encore… » La mère prit une bonne cuillerée de riz et le mâcha énergiquement. « Pff, on dit qu’une femme qui n’a pas de chance avec son homme n’en a pas non plus avec son enfant… c’est bien juste. - Tu sais quoi, maman ? Un enfant qui n’a pas de chance avec ses parents… ne l’a pas non plus avec ses amis. »

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Man-Ji posa sa cuillère et courut dans la chambre. « Viens manger, tout de suite ! - Mange bien maman. Tu en as besoin ! Le riz power ! » Man-Ji prit son sac à dos et alla vers l’entrée en cachette. « Maman, j’y vais ! - Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir une fille comme elle ! »

La mère ouvra le réfrigérateur, assise toujours à la même place sans bouger.

La mort de Cheon-Ji était un problème compliqué à gérer pour le collège. Il pouvait fort probablement être accusé de laxisme, et avoir la réputation d’un établissement enfermant des problèmes de violence et de souffre-douleur. Même si Cheon-Ji ne fut pas décédée à l’école, le collège devait mener une enquête sur cette triste nouvelle. La professeur principale de Cheon-Ji décida, elle également, à en savoir davantage sur la mort de son élève.

Le lendemain des funérailles de Cheon-Ji, la jeune enseignante appela Hwa-Yeon. « J’ai entendu dire que tu étais sa meilleure amie depuis l’école primaire. Tu dois être triste… - On était amis depuis l’école primaire, oui. Mais on n’était pas les deux meilleures amies, répondit Hwa-Yeon. - Ah bon ? Pourtant, les autres filles le croient. - C’est Cheon-Ji qui disait cela aux filles. J’ai été gentille avec tout le monde. Et Cheon-Ji, elle pensait que je ne l’étais qu’avec elle. À vrai dire, j’étais un peu mal à l’aise avec elle. Je l’ai donc même évitée… Mais elle n’a rien vu. »

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Ce fut la réaction d’une adolescente avec un mélange d’angoisse, d’inquiétude et de plainte. De cette réaction inattendue de la part de Hwa-Yeon, la jeune femme entrevoyait même une franchise glaciale. Elle n’essayait même pas de faire semblant d’avoir de la pitié pour Cheon-Ji parce qu’elle était morte. « Pourquoi ne lui as-tu pas dit franchement ? - Cheon-Ji était tellement innocente que j’avais peur de la blesser. » La jeune femme pensa à Cheon-Ji qui lisait beaucoup. Elle tricotait parfois pendant les récréations. Cheon-Ji ne montrait pas un spécial intérêt pour les cours mais les notait minutieusement. Elle ne faisait non plus partie d’un groupe de filles en particulier mais c’était une fille tout à fait normale qui aimait rire. « Y avait-il des filles qui l’embêtaient beaucoup, peut-être même lui faisaient-elles violence ? - Non. Les filles violentes ne cherchent pas à embêter une fille comme Cheon-Ji, toujours calme et bonne à l’école. Vous connaissez Su-Gyeong de la classe 2. Elle est très connue pour être une fille à ne rien faire à l’école, pourtant elle avait l’air d’être assez proche avec Cheon-Ji. Une fois, j’ai vu Cheon-Ji prêter ses habits de sport à SuGyeong. - Je vois. Par contre, ce n’est pas toi qui étais proche de Su-Gyeong ? » Le visage de Hwa-Yeon se figea. « Non, pas du tout. Elle s’est faite invitée, une fois, à mon anniversaire. On avait une amie commune. Je ne pouvais pas la chasser non plus de ma fête. Depuis, on se dit bonjour, c’est tout. - Peut-être se sont-elles connues lors de ta fête, n’est-ce pas ? - Je n’en sais rien. »

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La jeune enseignante remarqua le regard troublant de Hwa-Yeon. La version de cette dernière ne s’accordait pas avec celle de Su-Gyeong. Deux jours auparavant, l’enseignante avait fait savoir la triste nouvelle sur le sort de Cheon-Ji, en expliquant que c’était un accident, mais les filles avaient compris que Cheon-Ji s’était suicidée. Dans ces entre faits, la jeune enseignante passa devant sa classe après avoir quitté la salle des professeurs. Su-Gyeong était devant cette salle fermée. La jeune femme reconnut aussitôt la jeune adolescente à problèmes. « Qu’est-ce qui t’amène ici ? demanda la professeur. - Euh… en fait… ça… » Su-Gyeong tendit l’uniforme de sport de Cheon-Ji à l’enseignante. Si cela avait été pour une autre élève, l’enseignante l’aurait immédiatement pris pour le lui rendre, mais il s’agissait du survêtement de Cheon-Ji. Celui que Su-Gyeong avait emprunté.

FIN

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