L'architecture par et pour les femmes

Page 1

L’ARCHITECTURE

PAR ET POUR LES FEMMES

Mémoire de master en architecture 2020-2021 École Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val de Seine École Polytechnique de Milan

Luana Jouin

Sous la direction de Laurent Gaissad



L’ARCHITECTURE

PAR ET POUR LES FEMMES

Mémoire de master en architecture 2020-2021 École Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val de Seine École Polytechnique de Milan Architecture - Built environments - Interiors Luana Jouin Sous la direction de Laurent Gaissad



REMERCIEMENTS

Je débute ce mémoire en exprimant ma gratitude. Un grand merci à Laurent Gaissad, encadrant de ce mémoire, pour sa bienveillance, ses conseils avisés, sa culture et son esprit. À mes ami·es et ma famille pour leur soutien et notamment à Margaux et ma maman qui m’ont particulièrement soutenue, aidée dans mes recherches, participé aux relectures et écouté mes doutes et mes questionnements. À Laure, pour sa bienveillance, sa générosité et son aide. À Alex pour sa présence et ses encouragements quotidiens. À toutes les personnes qui ont partagé avec moi leurs savoirs et qui ont étoffé le contenu de ce mémoire, que ce soit mes ami·es, les personnes enquêtées, mes enseignant·es et notamment Laurent Beaudouin, un de mes encadrants de PFE, qui m’a fourni de nombreuses références et qui participe à révéler les femmes architectes peu connues. Merci à mes trois enseignants de PFE, Laurent Beaudouin, Cyrille Faivre-Aublin et Stefano Tropea qui m’ont tous soutenue dans le choix du sujet de ce mémoire et ont fait preuve d’une grande écoute et de précieux conseils. Merci à toutes les femmes qui m’ont, de près où de loin, inspirée dans mes projets en architecture et à celles qui mettent en avant d’autres femmes.



NOTES

Ce mémoire utilisera l’écriture inclusive afin d’éviter la primauté d’un genre sur l’autre ou d’être discriminant. « L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des deux sexes. » Manuel d’écriture inclusive, 2019 Des termes neutres seront privilégiés et le point médian « · » sera utilisé de manière raisonnée. Des mots masculins et féminins pourront parfois être regroupés. Ils et elles : Iels Tous et toutes : Toustes / Tous·tes Diplômés et diplômées : Diplômé·es Cette méthode d’écriture est en corrélation avec l’intention de ce mémoire qui est de redonner une visibilité aux femmes. Elle fait débat mais elle est, selon moi, essentielle. Les mots suivis d’une astérisque « * » peuvent être retrouvés dans le lexique et sont classés de manière alphabétique.


SOMMAIRE

REMERCIEMENTS...................................... 3 NOTES............................................................. 5 PRÉAMBULE................................................. 10 INTRODUCTION......................................... 14 CADRAGE THÉORIQUE....................................................... 14 BIAIS COGNITIFS................................................................... 17 MÉTHODOLOGIE................................................................... 22

PAR LES FEMMES ARCHITECTES..... 26 DE L’APPRENTISSAGE À LA RÉALISATION.............................................. 30 Références.............................................................................. 30 à qui s’identifier ?............................................................ 34 Produire en tant que femme.................................. 40

LE NOM QU’ON RETIENT....................... 46 Créer avec.............................................................................. 47 Qui tire la couverture de la scène médiatique ?......................................................................... 54 8


PAR ET POUR L’ESPACE DES FEMMES..................... 59 L’INFLUENCE DU GENRE SUR LA CONCEPTION............................................. 65 Capacité d’empathie......................................................... 66 La requalification des espaces comme outil d’émancipation................................. 72 Interrogations sur FORME ET figure............... 78

L’ARCHITECTURE PAS SEULEMENT PAR LES ARCHITECTES..................................... 81

Le pouvoir de la maîtresse d’ouvrage........... 82 Réappropriation de lieux normés..................... 89

CONCLUSION............................................. 97 LEXIQUE...................................................... 102 TABLE DES ILLUSTRATIONS................ 105 BIBLIOGRAPHIE....................................... 107 ANNEXES....................................................... 111 9




PRÉAMBULE

L’écriture du mémoire, dans mon cursus d’étudiante en architecture, est l’aboutissement de cinq années d’études riches en découvertes ne s’arrêtant pas au domaine architectural. Ce n’est pas une fin en soi, mais cela revêt assez d’importance pour moi afin de ne pas considérer cet exercice comme une simple obligation universitaire à laquelle je me dois de répondre. Le mémoire est un moyen de lier mes études et les convictions personnelles qui m’animent profondément. M’identifiant moimême comme femme cisgenre* et étant consciente des différences faites entre les personnes perçues comme féminines et celles perçues comme masculines, il m’était important de traiter des questions de genre, de patriarcat, de rapports de pouvoir et leurs conséquences dans le milieu dans lequel j’évolue et je me destine à évoluer, à la fois personnellement et professionnellement. Au cours de mes études, une phrase m’a marquée : l’architecture (ou la ville) est faite par les hommes et pour les hommes. En l’entendant, une multitude de questions se sont soulevées et j’ai su que c’était le point de départ de mes réflexions. J’avais envie de parler d’architecture et des rapports entre acteur·trices de ce milieu. Il m’intéressait de me pencher sur la présence et la contribution des femmes architectes dans le microcosme architectural. 12


Souvenir Noël 2019. Je reçois un gros bouquin intitulé Je ne suis pas une femme architecte, je suis architecte. Le titre m’interpelle immédiatement et je me demande quelle est la différence entre le fait d’être une femme architecte et d’être architecte tout court. En commençant à feuilleter l’ouvrage, qui rend hommage à de nombreux projets réalisés par des femmes, je suis choquée de constater que certaines références célèbrissimes qu’on nous a présentées comme l’œuvre d’un homme architecte cachent en réalité le travail d’une femme. Mon questionnement initial s’oriente davantage à la lumière de ce souvenir. Dans cette architecture qu’on dit faite « par et pour les hommes », je me demande pourquoi les femmes architectes sont invisibilisées et quelle est la réelle teneur de leur travail. En faisant une brève rétrospective de mon parcours universitaire et en y réfléchissant davantage, je me rends compte que j’ai un nombre réduit de références féminines, trop réduit à mon goût. En repartant de cette phrase de départ qui dit que l’architecture est faite par les hommes et pour les hommes, je m’interroge sur la signification d’une architecture faite par les femmes et pour les femmes. Je souhaite, par le biais de l’écriture de ce mémoire, célébrer les femmes qui ont participé et qui participent à l’architecture. Je souhaite les découvrir et les révéler à moi-même en élargissant mes connaissances. Écrire sur les femmes architectes ou les femmes qui contribuent à produire de l’architecture me permet de contrebalancer les savoirs qu’on m’a transmis en découvrant et mettant à l’honneur leurs histoires et leurs travaux. 13



« Si je devais écrire un livre pour communiquer ce que je pense déjà, avant d’avoir commencé à écrire, je n’aurais jamais le courage de l’entreprendre. Je ne l’écris que parce que je ne sais pas encore exactement quoi penser de cette chose que je voudrais tant penser. (...) Je suis un expérimentateur en ce sens que j’écris pour me changer moi-même et ne plus penser la même chose qu’auparavant ». Michel Foucault, Dits et écrits, 1978

15


INTRODUCTION

CADRAGE THÉORIQUE Le monde de l’architecture est vaste, et les sujets d’intérêts auxquels un·e étudiant·e peut réfléchir dans le cadre de l’écriture de son mémoire sont infinis. Parmi eux, ceux dont on parle moins méritent tout autant - voire plus - d’être abordés. C’est notamment le cas du lien entre l’architecture et les thématiques du genre, qui sera le point de départ des réflexions et recherches entreprises dans ce mémoire. Le genre est un concept qui a été théorisé dans les années 80 par Joan W. Scott, expliquant que le genre est une « façon première de signifier les rapports de pouvoir ». Il est défini comme « un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/ féminin) » Bereni & al. p.10 Les normes que le genre induit sont intégrées dans toutes les sphères de nos sociétés et régissent aussi bien nos actions que nos pensées, de manière consciente ou inconsciente. Elles génèrent des rapports de pouvoir profitant principalement à une catégorie de la population, les hommes blancs, cisgenres*, hétérosexuels, et valides*. 16


Il est intéressant de réfléchir à ce que ces normes et rapports de pouvoir font sur nos corps et nos esprits. Premièrement, afin de prendre conscience de leur existence, deuxièmement, afin de mieux comprendre le système dans lequel nous évoluons et troisièmement, afin de les questionner et les mettre en perspective. Cette remise en question demande une prise de recul et une déconstruction des automatismes, une réflexion sur les normes établies qu’on n’apprend pas toujours à regarder différemment. Notre société repose sur un système patriarcal, étymologiquement lié au patriarche, au père, au masculin. « Le patriarcat se définit comme une culture fondée sur la binarité et la hiérarchie des genres, un cadre ou une lunette qui : 1. Nous pousse à percevoir certaines compétences humaines comme « masculines » ou « féminines » et nous enjoint à favoriser ce qui relève du masculin. 2. Élève certains hommes à un rang supérieur à celui d’autres hommes, et tous les hommes au-dessus des femmes. 3. Impose une scission entre l’individu et le collectif, de sorte que les hommes ont leur identité propre, tandis que les femmes sont idéalement sans individualité propre et désintéressées. Les femmes se tournent ainsi vers les autres afin de nouer des relations qui servent subrepticement à répondre aux besoins des hommes. » Carol Gilligan, Pourquoi le patriarcat ?, 2019, p.14

Il est important de noter que ce système qui profite aux hommes ne leur est pas bénéfique pour autant. En effet, Carol Gilligan ajoute qu’il est « intrinsèquement nuisible aux hommes comme aux femmes, parce qu’il oblige les hommes à agir comme s’ils n’avaient pas - ou n’avaient pas même besoin - de rapport avec autrui, et les femmes 17


à se comporter comme si on leur niait l’existence ou la nécessité d’avoir une identité propre ». Si la société patriarcale est la forme de société la plus répandue sur notre planète, elle n’est pourtant pas universelle. Les sociétés pré-patriarcales étaient des sociétés matriarcales1. D’ailleurs, encore aujourd’hui en subsistent certaines, notamment en Asie de l’Est et du Sud, en Amérique du Nord et du Sud ou bien en Afrique. Attention toutefois à ne pas considérer ces sociétés comme l’exact opposé du système patriarcal, où le matriarcat serait la domination des femmes sur les hommes. Ces sociétés sont basées sur une égalité profonde et totale, et ne reposent pas sur un schéma pyramidal de domination plaçant les hommes au sommet. Les mères sont au centre de ces sociétés car leurs valeurs sont maternelles - elles sont au centre, mais pas à leur tête. C’est un système horizontal. On y trouve des valeurs de care (traduisible par « prendre soin de »), de réciprocité, d’entraide, de paix, etc. Ces sociétés sont également matrilinéaires et matrilocales2. Dans notre système binaire où la norme s’articule uniquement autour de deux genres, l’homme et la femme, on opère des distinctions. Ces deux entités sont différentes en sexe, mais ce qu’elles sont intrinsèquement relève plutôt de la construction d’un personnage, d’un archétype, d’une norme. Nous naissons et grandissons en étant influencé·es par notre sexe, tant l’idée de ce qu’est un homme et ce qu’est une femme est différent et déjà décidé. Nous assignons des qualités et des rôles à 1  Goettner-Abendroth, H. (2020). Les sociétés matriarcales : Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde. Des femmes. 2  La matrilinéarité est un mode de filiation qui privilégie l’ascendance maternelle (nom, héritage, privilèges, ...). La matrilocalité est le fait, pour un couple marié, de résider là où vit la mère de l’épouse.

18


l’un·e et à l’autre avant même qu’iels soient né·es. Les vêtements seront bleus pour les garçons et roses pour les filles. Les premiers jeux seront des camions de pompiers pour les uns et des poupons et des cuisinières pour les unes. Pour caricaturer, les garçons sont programmés à être dans l’action, forts et à combattre le feu, et les filles à faire la cuisine et s’occuper des enfants. Chaque génération reproduit les codes de la précédente et nos esprits sont en quelque sorte formatés à ces idées.

*

BIAIS COGNITIFS

Nos jugements sont altérés par nos schémas de pensée, influencé·es tout au long de notre vie par le cadre au sein duquel nous évoluons. Ces biais cognitifs influencent nos choix et nos jugements quotidiens. La théorie des biais cognitifs est développée au début des années 70 par Amos Tversky et Daniel Kahneman, et 250 sont référencés. L’étude de ces biais cognitifs permet de les utiliser de façon stratégique afin d’influencer nos choix. Il est intéressant de remarquer ce qui forge ces biais cognitifs. Comme nous l’avons dit plus haut, nous assignons des rôles à un genre. La femme est très souvent décrite comme fragile et à protéger. Elle est rattachée à son rôle de mère procréatrice, 19


quand bien même elle n’a pas d’enfants. Son pouvoir d’enfanter est parfois vu comme un poids dans le monde professionnel, car cela implique de devoir faire passer sa vie personnelle avant sa carrière, puisqu’il est souvent attendu d’elle qu’elle s’occupe de ses enfants. Cette idée remonte à une époque où le schéma du couple était fondé sur le modèle de l’homme qui travaille et s’occupe des apports financiers et la femme qui s’occupe de la maison et des enfants. Ce type de structure familiale reposant sur le couple est dit famille nucléaire : un père, une mère, des enfants. Ce schéma, majoritairement répandu dans notre société, est mise en avant par Lacan, qu’il considère être la famille idéale. Aujourd’hui, même si l’on a dépassé l’idée du père de famille et de la mère au foyer, la gestion de la famille repose toujours plus sur la femme que sur l’homme, bien que celle-ci travaille également3. Nous sommes également habitué·es à voir des figures masculines mises en valeur, aussi bien dans les exploits historiques que dans l’art ou le sport. Nous apprenons l’Histoire avec les hommes au premier plan. Vainqueurs de batailles, explorateurs, colonisateurs, créateurs, … les femmes sont reléguées au second plan, dans l’ombre. Pourtant, leur présence était bien réelle et de nombreuses recherches et découvertes montrent qu’elles n’ont pas toujours eu le rôle qu’on leur donne4, notamment pour des rôles aujourd’hui considérés comme appartenant au domaine de l’homme, du viril ou du masculin.

3  « Selon l’Insee, en 2010, les femmes prenaient en charge 64% des tâches domestiques et 71% des tâches parentales au sein des foyers. En 1985, ces taux s’élevaient respectivement à 69% et 80%. » (L’Express, 2017) En 25 ans, les chiffres ont très peu évolué. 4  Thomas, M. Chez les chasseurs-cueilleurs, les femmes s’attaquaient aussi au gros gibier. Libération.

20


Parmi les biais cognitifs que l’on recense, on retrouve ceux liés à la personnalité. Cela va notamment être le conformisme ou la tendance à croire ce que la majorité pense, c’est à dire à suivre un avis s’il est détenu par un nombre important de personnes. La société dans laquelle nous nous construisons mettant majoritairement en avant le pouvoir masculin, il est logique que nous ayons intégré certains codes comme étant la norme. Ce système normatif patriarcal s’installe dans toutes les strates de la société, et le monde de l’architecture n’y échappe pas ; que ce soit dans la sphère professionnelle ou universitaire, mais aussi à travers nos manières de penser et concevoir les espaces privés comme publics. Le point de départ de ce mémoire part d’un constat personnel que j’ai souhaité approfondir : malgré leur présence numérique importante, les femmes architectes sont moins représentées que les hommes, aussi bien au cours de mes études que dans la profession et jusque dans la sphère médiatique. La question de la présence des femmes me touche directement puisque je suis une femme et que je me destine à être architecte. On parle depuis quelques années d’une féminisation de la profession. En France, le nombre de femmes inscrites à l’Ordre des architectes atteint 30,7% en 2019, contre 16,6% vingt ans plus tôt5. À l’école, elles sont majoritaires avec plus de 60% d’étudiantes. Cette différence de représentation est donc déjà notable. Il est d’ailleurs nécessaire de rappeler que les femmes n’ont pas toujours eu accès à la profession d’architecte. 5  Conseil national de l’Ordre des architectes. (2020). Archigraphie.

21


Ces évolutions vers une égalité numérique ne signifient pas pour autant une égalité à tous les niveaux. D’une manière générale, on remarque que ce sont les hommes qui sont majoritairement sur le devant de la scène architecturale, et ce dès l’apprentissage en école d’architecture : les figures majeures qu’on nous enseigne sont majoritairement masculines, toutes époques confondues. Les femmes sont effacées dans l’ombre de leurs silhouettes. Toutefois, en creusant un peu, on découvre leur présence et leur travail. Elles sont bel et bien faiseuses d’architecture, nombreuses, douées, mais effacées. Dès lors, il est intéressant de se demander qu’est-ce qu’une architecture par et pour les femmes ? Qu’en est-il à l’échelle de l’exercice de la fonction d’architecte, mais aussi à l’échelle de la production architecturale ? Les rapports de pouvoir, dans la discipline de l’architecture, qu’ils soient conscients ou inconscients, sont plus qu’intéressants à traiter : ils sont essentiels. Essentiels pour comprendre les normes qui régissent cette discipline, essentiels pour révéler une autre facette de la réalité et de l’Histoire. Ce mémoire tente d’observer l’architecture sous un prisme féminin, tant dans l’« être » que dans le « faire ».

22



MÉTHODOLOGIE Lors de l’écriture de ce mémoire, j’ai mobilisé plusieurs moyens. Mes recherches se basent sur un corpus de textes relatifs aux questions de genre, d’histoire, d’architecture et d’espaces créés par des femmes, ainsi que sur des conférences en ligne, des posts sur des réseaux sociaux ou encore des podcasts. Je me suis aussi intéressée à des réflexions alternatives sur l’espace et l’architecture telles que les théories queer6 qui proposent une vision inclusive de nos modes de conception afin d’élargir mon champ de connaissances au-delà d’une pensée uniquement tournée vers les femmes. Être féministe, selon moi, c’est adopter une position intersectionnelle* et défendre toutes les catégories de personnes dominées par le patriarcat7. 6  «Espace de remise en question et d’imminence, c’est-à-dire un espace continuellement en processus de réalisation et de construction face à l’hétéronormativité, de même qu’envers des normes prescriptives plus larges. Cette vision appelle à penser au-delà d’une politique de concentration spatiale de lieux physiques LGBT, afin de remettre en question la société hétérosexiste dans une diversité de lieux, de promouvoir une idée de la communauté basée sur la prémisse que « nous sommes partout » (Davis: 293). En ce sens, l’espace queer est parfois compris comme étant toute architecture étrange ou différente (Adams, 2010b: 82), en lien avec la définition de queer d’Halperin (1995: 63). Pour un groupe de géographes travaillant avec Doreen Massey (Bassda), l’espace queer est un espace fluide et subversif, un lieu de liberté et de multiplicité. Pour eux, l’espace queer n’est pas seulement une courtepointe de catégories, mais aussi une qualité changeant la profondeur de chaque catégorie; l’identité devient la somme d’une multitude de catégories. Cette approche positionne donc l’espace queer comme étant performatif, comme étant construit à travers le temps, non seulement dans l’espace physique, mais aussi dans l’intersubjectivité des relations. [...] La théorie de l’espace queer propose donc de tenir compte du genre, de l’origine ethnoculturelle, de la classe sociale, de la sexualité, etc., afin de comprendre comment l’espace est appréhendé; l’identité en relation avec l’architecture n’est pas seulement une question d’identité de l’utilisateur ou du concepteur, mais de performances répétées. » Vallerand, Regards Queer sur l’architecture, 2016 7  Il existe une multiplicité de féminismes. Vous pouvez découvrir quel·le

24


Ce mémoire vient s’appuyer sur d’autres mémoires écrits par des femmes et traitant de féminismes et d’architecture qui m’ont inspirée, instruite et confortée dans ma démarche. Je pense notamment à Des béguinages à l’architecture féministe d’Apolline Vranken, Sex in the City de Camille Kervella et à La construction de la femme architecte dans un environnement d’hommes de Laure Manissadjian. À cela viennent s’ajouter des entretiens téléphoniques avec des femmes concernées par ces questions, qu’elles soient architectes, maîtresses d’œuvre ou bien usagères des lieux étudiés, mais également des conversations informelles tenues au cours de mes études. Dans le premier cas, je m’appuie sur une grille d’entretien qu’il est possible de consulter en annexe de ce mémoire. Lorsque les personnes enquêtées sont citées, leurs propos sont retranscrits de l’oral vers l’écrit mots pour mots afin de rester fidèle à leur discours. Mon parcours, mes expériences personnelles et mon vécu entrent en compte dans l’écriture de ce mémoire. Ils m’ont poussé à étudier ce sujet, et je partagerai à quelques reprises certains de mes propres souvenirs. Au gré de ma scolarité, de mes recherches et de mes rencontres, j’ai pu découvrir le travail fantastique de nombreuses femmes. Leurs portraits viendront à leur tour ponctuer ce mémoire. J’écris ce mémoire « depuis mon point de vue situé de femme blanche hétérosexuelle valide*, étudiante en master 2 d’architecture à l’école Paris Val de Seine » Laure Manissadjian, Construction de la femme architecte dans un environnement d’hommes, 2021

féministe vous êtes en répondant à un test en ligne à l’adresse suivante : https://www.tdg.ch/_external/interactive_wch/tdg/2019/feminisme/index. html

25


PLAUTILLA BRICCI 1616-1705

ARCHITECTE, PEINTRESSE

Plautilla est l’une des rares femmes architectes italiennes de son époque. Elle grandit à Rome dans un milieu artistique, son père étant peintre et dessinateur. Elle bénéficie de l’amitié de ce dernier avec le peintre le Cavalier d’Arpino pour intégrer son académie et étudier la peinture. On ne sait pas vraiment comment elle a eu accès à la fonction d’architecte.

Son œuvre la plus connue est la Villa Benedetta. Le commanditaire est l’abbé Benedetti. Elle est caractérisée par sa façade sur rue semblant être taillée dans la roche, qui soutenait jadis un large corps d’habitation. Elle était surnommée vascello (vaisseau) pour ses deux fanions érigés en toiture,faisant penser à un navire.


Le client est l’abbé Benedetti, quelqu’un d’ « ambigu, courtisan, agité et infatigable, homme-lige du cardinal de Mazarin ». « Invasif au point d’imposer à l’architecte la modification radicale de son projet, il ôta à Plautilla la maîtrise du chantier, pour la confier à un personnage beaucoup plus falot : son propre frère, Basilio. Et c’est pour cette raison qu’il omit sciemment le nom de Plautilla dans la paternité de SON œuvre. La simple comparaison des élévations initialement prévues par Plautilla, avec les élévations du bâtiment achevé, témoigne de cette dépossession dont fut victime cette femme architecte de la Rome baroque ». « Son projet originel était élégant, sobre et s’harmonisait tout à fait avec l’esthétique des villas du Janicule. Mais l’abbé, obsédé par sa culture de « naïf » voulut en faire une architecture bavarde et oiseuse. Il déposséda l’architettrice de son projet et en confia la responsabilité à un personnage médiocre, Basilio Bricci. Certes Plautilla obtint un lot de consolation avec la chapelle de Saint-Louis des Français, mais le ressort de sa créativité fut à jamais brisé. Première véritable femme architecte de la Rome baroque, elle succombait sous la suffisance masculine d’un abbé courtisan et d’un frère cadet obséquieux et intriguant. » T. Verdier, La villa Benedetta et la difficile carrière de Plautilla Bricci, femme architecte dans la Rome du XVIIe siècle, 2018

Elle employait le terme « architettrice », une version féminine du mot architecte qui s’utilise en général dans sa version masculine « architetto » pour les deux genres. Aujourd’hui, le terme « architettrice » ou « architetta » est utilisé par certaines femmes architectes, mais pas encore par toutes.


L’ARCHITECTURE

PAR LES FEMMES ARCHITECTES

Les figures féminines sont sous représentées dans l’histoire en général, et particulièrement dans les domaines qui touchent à l’art. Que ce soit dans la peinture, la musique, la sculpture et bien entendu l’architecture, la présence des hommes est plus importante. Cette différence peut être directement liée à l’accès à la profession, qui a été longtemps interdite aux femmes et qui impliquait une présence numérique moindre, mais elle peut aussi être liée à une invisibilisation de leur œuvre. Cette dernière est présente à plusieurs niveaux : on la retrouve dès le moment de l’apprentissage avec une majorité de références d’architectes masculins jusque dans les médias. Avant de parler du par et pour les femmes, il me faut revenir sur cette phrase de départ : l’architecture est faite par et pour les hommes. Dans son mémoire intitulé La construction de la femme architecte, Laure Manissadjian retrace l’histoire de la profession d’architecte depuis les premiers architectes du roi et l’émergence de cette figure masculine, passant notamment par la représentation du corps d’homme valide comme norme de dimensionnement des espaces : L’homme de Vitruve de Léonard de Vinci ou bien le Modulor de Le Corbusier. 28


« Nous voyons ainsi comment de l’observation subjective d’un corps donné, la théorie s’érige en représentation objective du corps humain et créé une règle de représentation à suivre : la norme. Cette norme donne à voir une vision du monde unique et universelle qui se traduit dans l’architecture, matériellement par le dessin, et de manière abstraite à travers les discours sur l’espace. Cette norme étant par ailleurs masculine, ne peut être neutre puisque représentant une certaine part de la population et non sa totalité. » p.26 29


Elle s’appuie aussi sur la vision objective de la ville selon le groupe d’architectes Archigram qui, en 1972, énonce que « la ville est un organisme logeant l’homme, fait par l’homme, pour l’homme. » « Notons que dans le texte, le terme « man » - traduit par « homme » - est différencié du terme « human ». Alors que le début du texte parle de l’humain, les mentions suivantes se font avec l’utilisation exclusive du terme « homme », au masculin. » p.29 La véritable féminisation de l’architecture arrive plus tardivement dans les années 70 et implique que la fonction d’architecte a été majoritairement détenue par les hommes tout au long de l’histoire. En plus de détenir la fonction, ils en détiennent l’image. Le mot architecte est épicène* et pourtant, encore aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, on se représente l’architecte plutôt comme une figure masculine. En France, Julia Morgan est la première femme à intégrer la section Architecture de l’École des Beaux Arts (ENSBA) en 1898. C’est la principale formation publique en architecture. Elle est d’origine américaine et est déjà diplômée de l’université de Berkeley. L’École Spéciale d’Architecture (ESA), est la première école qui ouvre ses portes aux femmes : Laura White, également d’origine américaine, l’intègre en 1883. « Avant 1900 et l’ouverture officielle de la section Architecture des Beaux-Arts aux étudiantes, l’administration centrale de l’École nationale des Beaux-Arts craint que la présence de femmes en son sein ne dévalorise la formation. Julia Morgan, est la première femme admise dans cette section, en 1898, de manière tout à fait exceptionnelle. Elle passe l’examen d’entrée 30


deux fois avant d’être admise et relate plus tard la difficulté pour une femme, qui plus est étrangère, d’entrer au sein de cette prestigieuse école. Au tournant du 20ème siècle, malgré les réticences encore nombreuses de l’administration, l’École des Beaux-Arts ouvre ses portes d’abord à des femmes d’origine étrangère, diplômées dans leur pays d’origine. Ces pionnières arrivent en France de pays souvent en avance en termes d’ouverture des formations professionnelles aux femmes. Elles ont persisté et ont ainsi permis d’initier l’ouverture de la formation d’architecte aux étudiantes. »8 L’architecte est un homme qui bâtit pour l’homme. Cette hypothèse vient, d’une part, effacer les femmes architectes qui existent et produisent, et d’autre part, toutes les femmes qui vivent dans les espaces construits par ces architectes. Comment cette vision de la ville, qui vient effacer la moitié de la population humaine, peut-elle être juste ? Les femmes qui produisent de l’architecture sont évidemment impactées par cette vision masculiniste. La question d’une architecture « par les femmes » peut déjà se poser sous le prisme de l’exercice de la fonction d’architecte.

8  Dominey, É. (2020). Architectes pionnières — Première partie : La France — Article & Visite virtuelle. Le Cercle Guimard.

31


DE L’APPRENTISSAGE À LA RÉALISATION

Références… Dès l’apprentissage, au moment de la transmission du « savoir architectural », nous sommes influencé·es par ce que l’on nous montre, remontre, apprend, réapprend. Il est intéressant de s’interroger sur ce qui nous est donné à voir et ce qui nous inspire. Quelles sont les figures qu’on nous présente le plus ? Est-ce qu’elles nous aident à nous projeter dans notre future carrière d’architecte ? Que ce soit lors de cours théoriques, historiques, ou bien en projet, les références masculines sont majoritaires. Par exemple, en cours de projet, il nous est souvent demandé de commencer le semestre en analysant la construction d’un·e célèbre architecte parmi une liste que notre professeur nous fournit. La grande majorité des ouvrages sont des références d’architectes masculins. De mémoire, l’une des seules femmes qu’il nous a été donnée en référence est Lina Bo Bardi (1914-1992), architecte italienne naturalisée brésilienne avec sa Maison de verre de 1951 ou le Musée d’Art de Sao Paulo (MASP) de 1968. Il y a aussi eu les logements Le Liégat de Renée Gailhoustet à Ivry-sur-Seine construits dans les années 70, bien que cette référence était donnée dans le contexte de l’analyse du site du projet qui se trouvait lui-même à Ivry-sur-Seine. Déjà, je remarquais une disparité de genre dans les architectes qu’on nous présentait. 32


Josephin Ritschel, Casa de Vidro, 2016

33


On nous répète souvent qu’il faut étudier les grandes œuvres des architectes afin d’en comprendre leurs qualités et pouvoir, à notre tour, en extraire leur essence et en appliquer les principes dans nos propres projets : la clarté du plan, l’articulation des différentes fonctions du programme, la qualité des ouvertures et la maitrise de la lumière, le dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, le rapport au sol, au ciel, au site, la structure et la matérialité … Ces qualités spatiales ne sont pas, en principe, genrées. Cependant, elles proviennent de bâtiments principalement faits par des hommes. On nous parle même des « pères de l’architecture ». Il est intéressant de se demander ce que cela peut générer comme biais inconscient auprès des étudiant·es. Si les « maisons savantes » qu’on nous propose d’étudier sont uniquement des maisons faites par des hommes, cela nous amène-t-il à penser que les femmes n’en produisent pas ? Le savant, le génie, est-il un domaine uniquement masculin ? La question est évidemment rhétorique, l’intelligence des femmes n’est pas moindre. Cependant, il est possible de se dire que le peu de références féminines renforce l’image de l’architecte en tant qu’homme, et qui plus est, de l’homme en tant qu’architecte génial. Dans le même temps, nos professeur·es de projet sont majoritairement des hommes. Il y a ici une corrélation entre l’homme qui enseigne et les références enseignées. Rétrospectivement, j’ai pu compter le nombre de professeur·es qui m’ont enseigné le projet architectural. Si je compte uniquement les professeur·es principau·ales, j’ai eu un total de 20 professeur·es. Parmi elleux, 15 hommes et 5 femmes. Ces chiffres représentent mon parcours personnel et varieront d’un·e étudiant·e à un·e autre, mais on peut les comparer au nombre d’enseignant·es en TPCAU à l’ENSAPVS, sigle pour « théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine ». Iels sont au nombre de 107, 34


avec 76 hommes et 31 femmes. À l’ENSAPVS, il y a donc 71% d’hommes qui enseignent dans ce champ disciplinaire, contre 29% de femmes. On peut remarquer la relative proximité avec la proportion de professeur·es que j’ai eu, ce qui confirme une grande majorité d’hommes enseignant le projet au sein de l’école. D’ailleurs, il est intéressant de noter que ces chiffres sont proches de la proportion d’hommes et de femmes inscrit·es à l’Ordre des architectes. La majorité de références masculines et la majorité d’hommes nous les transmettant nous amènent à nous questionner sur le rapport entre les étudiant·es et les modèles auxquels iels s’identifient. Si, dès l’apprentissage, nous avons un nombre réduit de figures d’architectes et d’enseignantes féminines, cela ne peut-il pas avoir un impact sur notre carrière et notre évolution professionnelle ?

35


à qui s’identifier ? « Je ne me rappelle pas vraiment qu’on m’ait donné des références de femmes, non… En fait je les ai découvertes parce que je lisais beaucoup. Et quand j’ai vu qu’il y avait des femmes qui faisaient vraiment des choses extraordinaires quoi, ça m’a vraiment fait plaisir » - Une architecte Quand on est une femme et qu’on est amenée à devenir architecte, on est confrontée à un nombre réduit de figures féminines. Les figures sont majoritairement des hommes et l’architecte est, dans l’imaginaire commun, un personnage hypermasculin. Lorsqu’on se construit personnellement, on est forcément influencé·es par les représentations et ce qui nous ressemble (genre, ethnicité, milieu social, …). Cela peut nous inspirer et nous permettre de s’imaginer ce à quoi on peut aspirer devenir. Le fait d’avoir un nombre restreint de références de femmes architectes et peu d’enseignantes a, inconsciemment ou pas, un impact sur comment nous pouvons nous projeter dans le futur. La présence et le partage de parcours ou de personnes similaires à nous-même contribuent à notre évolution et au fait de croire en ses capacités et ses chances d’accéder à telle fonction, tel projet, telle opportunité professionnelle, … À l’inverse, l’absence de modèles est un frein à cette même capacité à se projeter dans des rôles que nos prédécesseur·es n’ont pas eu. Dans une étude consacrée aux mœurs de socialisation des étudiant·es en médecine de Columbia, le sociologue Robert King Merton introduit la notion de « role model » - rôle modèle, le 36


définissant comme « une personne dont le comportement, l’exemple ou le succès est ou peut être une stimulation pour d’autres personnes ». Le rôle modèle est utilisé par certain·es féministes pour insister sur le manque de modèles féminins en général. Souvenir J’ai effectué ma première année de Master d’architecture à l’École Polytechnique de Milan. Là-bas, au sein même du campus, j’ai assisté à des cours d’italien. Lors d’un cours où l’exercice était de conjuguer au futur, la professeure m’a demandé de dire ce que je serai lorsque je serai diplômée : « sara un’architetta » (je serai une architecte). À cela, elle m’a rétorqué qu’on disait « un’architetto » - en italien, la terminaison en « o » représente le masculin singulier et la terminaison en « a » le féminin singulier. La place qu’occupait le masculin m’a immédiatement frappée, et j’étais presque offensée de ne pas pouvoir m’accorder au féminin. Après quelques recherches, j’ai découvert que ce changement de voyelle faisait débat dans le milieu avec des avis divergents, parmi les hommes mais aussi parmi les femmes, étonnamment. C’est en 2017 que l’Ordre des architectes a pour la première fois autorisé l’accord au féminin à la suite de la demande de l’architecte Silvia Vitali. Cette terminaison en « a » est en partie une provocation afin de rendre visible les femmes architectes, mais c’est également un moyen aux femmes de s’identifier à des figures féminines. Cette question des références me fait réfléchir sur la façon de faire le projet. Par les analyses et le redessin de projets connus, on est capables d’appréhender des qualités architecturales. Quand 37


on cherche à utiliser un certain matériau, dessiner un certain élément, on finit par avoir facilement tendance à aller regarder ce qui a déjà été fait. Bien souvent, je n’arrive pas à m’ôter de la tête les projets que j’ai regardés, et j’ai l’impression de ne plus pouvoir penser par moi-même car je ne pense plus qu’à la solution de tel·le architecte. Cependant, lors de mon premier semestre en école d’architecture, mon professeur de projet ne nous a donné qu’une seule référence - et cette référence n’avait pas de rapport avec le projet, il souhaitait simplement nous faire partager un travail qu’il trouvait remarquable, celui de la Mosquée de Bait Ur Rouf de Marina Tabassum. Il nous laissait volontairement nous tromper pour mieux nous expliquer les défauts de notre proposition en se basant sur des critères objectifs (lumière, vues, parcours, simplicité, …) sans jamais nous renvoyer à des références. À ce moment-là, je pensais naïvement qu’il suffisait d’être doué·e pour évoluer dans le monde de l’architecture. À part la question des salaires moins élevés, je ne me disais pas que mon genre pourrait interférer dans mon avenir professionnel. C’est dans la suite de mon parcours que je me questionnerai davantage sur ma future place en tant que femme architecte.

38


Souvenir Quelques années après être entrée à l’école, j’entends parler de Charlotte Perriand. Cette architecte et designer a activement participé à l’œuvre de Le Corbusier. Celui que l’on m’avait présenté comme l’Architecte des architectes n’était donc pas seul auteur de ses productions. J’avais comme l’impression que Perriand était cachée et effacée par l’importance que l’on donnait à cet homme. Et pourquoi n’entendais-je parler d’elle que maintenant ?

39


MARINA TABASSUM 1968ARCHITECTE, ENSEIGNANTE

Elle naît au Bengladesh, y grandit et obtient son diplôme d’architecture à l’Université d’Ingénierie et de Technologie en 1994. Elle co-fonde URBANA en 1995 avec Kashef Chowdhury. En 2005, elle fonde sa propre agence : Marina Tabassum Archtitects. En 2016, elle remporte le prix Aga Khan d’architecture pour la Mosquée de Bait ur Rouf (Dacca, 2012). Cet édifice, sans dôme ni minaret, est somptueux. Elle utilise la lumière naturelle comme un véritable matériau à l’aide d’éclairages zénithaux pour révéler les aspérités et la chaleur des briques rouges, conférant à l’endroit un caractère mystique, hors de l’espace et du temps. La disposition ajourée des briques permet une ventilation naturelle dans l’édifice. Le budget limité, reposant sur des donations de la communauté, a conduit à l’emploi de matériaux et de main d’œuvre locaux·ales. Son talent lui permet d’être la conceptrice d’un lieu de culte, où les femmes ne se rendent traditionnellement pas, et peu souvent faits par elles.


En 2020, le magasine Prospect la classe 3ème meilleure penseuse (« greatest thinker ») à l’ère de la Covid-19. La première est KK Shailaja, ministre de la santé du Kerala et la deuxième est Jacinda Ardern, première ministre de la Nouvelle Zélande. Sur les 10 premiers, 7 sont des femmes. « À l’avant-garde de la création de bâtiments en harmonie avec leur environnement naturel, cette architecte bangladaise relève également les défis de conception posés par ce que nous faisons collectivement à la planète. » Prospect, The world’s top 50 thinkers for the Covid-19 age, 2020 (traduction libre)

« At the forefront of creating buildings in tune with their natural environments, this Bangladeshi architect is also embracing the design challenges posed by what we are collectively doing to the planet .»

Intérieur de la mosquée de Bait ur Rouf, Dacca © MARINA TABASSUM ARCHITECTS


Produire en tant que femme

Le manque de figures fortes peut influer sur la place qu’on nous donne, mais aussi la place qu’on se donne. Dans l’exercice de la profession d’architecte, notre genre n’influence pas seulement l’idée qu’on se fait de l’architecte en tant que figure, mais il influence aussi notre production. L’architecture par les femmes pose la question du quoi ? Qu’est-ce que les femmes produisent, pourquoi ? Si l’on revient aux débuts du mouvement moderniste et aux femmes qui en ont fait partie, on peut citer deux architectes relativement connues : Charlotte Perriand et Eileen Gray. Il est intéressant de constater que ces femmes ont aussi la casquette de designer, et elles ont une production plus vaste en matière de mobilier, de décoration d’intérieur, de peinture ou de lieux temporaires que dans l’architecture pure. Elles se sont vues réaliser des projets architecturaux, mais en moindre mesure. La diversification des métiers de l’architecture permet des réalisations variées, mais il faut noter que ces productions touchent au domaine de l’éphémère, du remplaçable, du mobile. Les hommes, eux, produisent des bâtiments : cela touche au domaine du solide, du sérieux, de l’immobile. Le type de projet qu’un·e architecte réalise a une signification sous-jacente, explicable par le contexte socio-politique de l’époque à laquelle iel produit. Ici, nous nous trouvons au début du XXème siècle, période relativement sexiste. Il n’est alors pas incohérent d’avoir cette différence entre ce que produisent les hommes et les femmes. 42


Aujourd’hui, les femmes architectes sont bien plus impliquées dans une production pérenne, même si l’on peut toujours noter différents obstacles à leur exercice liés à leur genre. Le rôle de la mère est le plus marquant. Bien que toutes les femmes ne soient pas des mères, il semblerait que ce rôle leur confère une certaine étiquette. « Des grands bâtiments de pouvoir. Des grands stades. Des grands parlements. Construits par des femmes, il n’y en a pas. Dans le monde entier. Les femmes accèdent - et pour avoir fait le jury des Femmes architectes9 et d’avoir participé - je me suis rendue compte que la majorité des femmes des nouvelles générations accèdent au logement, facilement. Accèdent aux équipements de la petite enfance, facilement. Accèdent aux écoles, pas trop compliqué. Mais au-delà, c’est beaucoup plus compliqué. Et en fait c’est pas si simple, c’est pas si évident que ça. Et le problème c’est que c’est parfois facile et tentant de se cantonner à ça, parce que quelque part il peut y avoir du travail, il peut y avoir des choses, mais elles ne réalisent pas nécessairement que quelque part elles n’accèdent pas aux projets plus importants, aux projets qui pourraient les faire reconnaitre d’une autre façon. »10 On peut noter que du côté de l’accès à la commande, les projets auxquels elles participent sont le plus souvent des programmes intimement liés à la figure de la mère et de la femme au foyer et démontrent que l’image de la femme a un impact sur les types de projets réalisés par les femmes - quand bien même ces der9  Prix français visant à révéler le travail de femmes architectes 10  Propos tenus par Odile Decq dans le documentaire intitulé « Femme architecte » réalisé par Thierry Mercadal (2018)

43


nières ne seraient pas mères. Il est intéressant de s’apercevoir que les projets en relation avec des instances de pouvoir ne sont pas réalisés par des femmes. Les lieux de pouvoir sont faits par les hommes et pour les hommes, et correspondent évidemment au système patriarcal qui repose sur une domination masculine. L’architecture « par les femmes » est donc, d’une part, limitée en terme de diversité de projets. « Ça il faudrait vraiment faire une étude. C’est à dire il faudrait vraiment regarder, en réponse à ces concours, à ces appels d’offres, combien de femmes ont candidaté, parce qu’il y a énormément de femmes - ça c’est dans les concours, mais aussi dans les concours pour devenir enseignant - qui s’autocensurent. C’est à dire, on a fait le même travail pour l’enseignement, et on s’est rendu compte que dans certaines écoles, notamment Val de Seine, mais aussi Marne, on a des chiffres qui démontrent qu’il y avait beaucoup moins de femmes qui postulaient dans l’enseignement du projet parce qu’elle savent que ce sont des écoles assez machistes où les femmes ne seront pas recrutées. Donc voilà : elles vont postuler à Belleville, elles vont postuler, j’en sais rien moi, à Versailles, etc. Mais, à Marne, alors très peu, et à Val de Seine c’est à peu près le même scénario. Et ça on a vraiment ressorti des chiffres, alors voilà, parce qu’en ce moment on travaille là dessus, mais effectivement il faudrait qu’on fasse le même travail pour les concours d’architecture et les appels d’offres. » Une enseignante chercheuse Le statut professionnel est également un marqueur important : les postes principalement occupés par des femmes sont des postes de salariées. Il y a moins de femmes qui exercent en pro44


fession libérale. En 2018, sur les 100 agences d’architecture les plus importantes en termes de chiffre d’affaires dans le monde, 3 étaient dirigées par des femmes11. Le moindre accès à des postes à responsabilités n’est pas forcément dû à un blocage de la part des supérieurs hiérarchiques, mais les femmes elles-mêmes ne prennent pas forcément la décision de s’inscrire à l’Ordre des architectes ou de viser des postes à responsabilité. « Au niveau de l’avancement de la carrière : on parle de plafond de verre et une consœur parle même de plafond de béton - parce qu’il est bien bien bétonné. Comment notre genre… des choses très bêtes hein ! Comme je vous le disais , les femmes ont aussi intériorisé l’idée de devoir faire plus pour la même reconnaissance, donc le genre impacte aussi la reconnaissance du travail des femmes. » Une enseignante chercheuse L’inscription à l’Ordre est un choix et, dans certains cas, le choix est de ne pas s’inscrire. Lors de mes entretiens, une architecte me raconte : « je me suis inscrite à l’Ordre il y a seulement 3 ans parce que je trouvais l’institution trop misogyne ». Cela montre une autre face de la pièce : le fait de ne pas s’inscrire à l’Ordre était ici un acte militant, une manière de se dresser contre une instance qui ne nous convient pas. Bien évidemment, le rôle de mère peut aussi avoir un impact direct sur l’exercice de son métier et on n’y échappe pas en architecture. Parfois, le fait d’avoir un enfant peut être vu comme un handicap pour l’entreprise : grossesse et congé maternité qui 11  Conseil national de l’Ordre des architectes. (2020). Archigraphie.

45


signifient absence prolongée, charge mentale* du couple qui repose davantage sur la femme, etc. dans un milieu où la culture de la charrette - ou culture du projet - règne encore beaucoup et où le·a salarié·e se plonge corps et âme dans son travail, il peut être difficile d’allier vie personnelle et vie professionnelle et nombre de femmes font face à des choix opposant carrière et vie familiale. Dans les chiffres qu’on peut retenir dans l’Archigraphie 2020 réalisée par le Conseil National de l’Ordre des Architectes, 43% des femmes architectes estiment avoir été pénalisées professionnellement par le fait d’avoir des enfants, contre 8% des hommes. Cette implication est parfois exacerbée pour les femmes qui, consciemment ou inconsciemment, se doivent de faire leur preuves et travailler davantage que leurs pairs masculins pour arriver au même niveau de reconnaissance. Il y a une sorte de syndrome qui pousse les femmes à se surpasser pour justifier qu’elles n’ont pas volé leur place.

46


Being an architect and a mother at the office of Almut Grüntuch-Ernst © Edgar Rodtmann

47


LE NOM QU’ON RETIENT

Le nom qu’on retient et qu’on promeut, est dans l’Histoire, généralement masculin. Dans les manuels scolaires, les femmes sont plutôt absentes. Une recherche récente du centre Hubertine Auclert (centre francilien pour l’égalité femmes-hommes) révélait que, dans les manuels de seconde, il y avait seulement 2% de biographie de femmes célèbres12. Les femmes sont invisibilisées à toutes époques, et ce dès la Grèce antique. « La tradition antique elle-même a largement privé les femmes de la part du kléos (gloire, renommée) qui leur revenait. Dans leur introduction les auteures rappellent le constat effectué déjà en 2009 par J. Oulhen : dans la seule prosopographie attique, les femmes représentent un dixième seulement des noms enregistrés par le LGPN (Lexicon of Greek Personal Names). D’autre part, l’historiographie récente a assez mal traité la présence des femmes dans les sources. Alors qu’elles ont été oubliées, pas ou mal identifiées, ou encore, de manière caricaturale, assimilées presque systématiquement à des courtisanes, leur présence dans les sources et dans les sociétés grecque et romaine mérite pour le moins d’être réévaluée, grâce notamment aux outils intellectuels façonnés par plusieurs décennies de gender studies. »13

12  Centre Hubertine Auclert. (2011). Manuels de seconde et de CA P : l’histoire des femmes sous silence 13  Pernin, I. (2017). Dossier « Laisser son nom : Femmes et actes de mémoire dans les sociétés anciennes ». Clio. Femmes, Genre, Histoire

48


Au-delà d’un ancrage dans le temps, on se rend compte aussi que l’invisibilisation est présente dans toutes les disciplines et notamment les disciplines liées à l’art : musique, peinture, sculpture, … le domaine de l’architecture n’y échappe pas, comme on l’a vu précédemment. L’invisibilité des femmes en architecture n’est pas seulement liée au manque de références partagées ou aux rôles qu’on leur incombe, mais parfois pour le simple fait qu’elles produisent dans un monde d’hommes, avec des hommes, médiatisé par des hommes.

Créer avec Faire entendre sa voix et son avis n’est pas toujours simple. Dans ce milieu encore très masculin et patriarcal, nombreuses sont celles qui racontent les fois où, durant des discussions entre collègues, on leur a coupé la parole ou on les a décrédibilisées. Le fait, pour une femme, d’avoir un homme qui lui explique quelque chose qu’elle sait déjà, dans un domaine qu’elle maitrise, est une chose assez courante. C’est ce que l’on appelle le mansplaining* (contraction de « man » et de « explaining ») et qui se définit par « l’acte d’expliquer quelque chose à quelqu’un d’une manière qui suggère qu’iel est stupide ; utilisé notamment quand un homme explique quelque chose à une femme qu’elle comprend déjà »14. 14  D’après la définition du Dictionary of Cambridge, traduction libre

49


Cette explication est souvent donnée de manière paternaliste et condescendante, et cette expression est reprise par de nombreuses féministes pour signifier leur lassitude quant au manque de reconnaissance de leurs compétences. Souvenir Lors d’une récente soutenance, je présente un projet dont le programme est un refuge pour femmes. Je présente aussi le thème de mon mémoire et j’en explique les grandes lignes. Le jury est composé d’une douzaine d’architectes, dont seulement deux femmes. Je dirais que la plupart ont entre 45 et 60 ans. Un des architectes du jury - architecte assez connu en France et enseignant dans une autre ENSA, me dit peu ou prou qu’il ne comprend pas l’utilité d’un tel mémoire parlant des femmes architectes et de leur place au sein de la profession, puisque selon lui 1) il y a plus de filles de que de garçons dans les écoles, que 2) il y a plein de « nanas » qui montent leur agence et enfin 3) il n’a jamais ni proféré ni entendu quelconque propos sexiste de toute sa carrière. Je n’ai pas eu besoin de répondre à cela, puisqu’une des membres du jury - architecte et professeure en TPCAU à l’ENSAPVS - lui a tout de suite rétorqué : « alors là [prénom] je t’arrête tout de suite, si tu savais le nombre de fois, surtout au début de ma carrière, où on m’a coupé la parole pendant des réunions, ou alors quand je m’opposais à une idée et que je n’étais pas d’accord, on me disait gentiment qu’on allait régler ça autour d’un café ou d’un déjeuner pour que je me calme ! » Elle a continué en lui rappelant quelques chiffres ou informations qui montraient bel et bien que les femmes pouvaient subir des rapports de 50


domination qui menaient à leur invisibilisation et à leur décrédibilisation. Personnellement, je dois dire que j’ai adoré ce moment. J’ai senti tellement de force et de conviction émaner de cette professeure dont les paroles transcendaient la salle et j’étais fière qu’elle prenne la parole. Elle m’a inspirée et donné du courage. Lui, par ses remarques, au lieu de me faire remettre en question la validité de mon sujet, m’a au contraire confortée dans l’idée que le sujet dont je parlais n’était pas encore épuisé et qu’il y avait encore du chemin à faire. Encore de trop nombreux d’architectes influents ne se rendent pas compte de cette réalité objective, qui est ici le manque de présence féminine dans les représentations en architecture. Certes, depuis 2018, on compte 50% de femmes parmi les nouveaux·elles inscrit·es à l’Ordre des architectes (chiffres d’Archigraphie 2020), mais ce chiffre ne signifie pas une égalité à tous les niveaux. Dénoncer de manière factuelle l’invisibilisation des femmes n’est pas une manière de diminuer l’importance du travail des hommes et de les blâmer personnellement pour ça. Il s’agit d’abord, simplement, d’accepter qu’il y ait une différence entre femmes et hommes induite par le système dans lequel nous sommes et qui perdure depuis bien plus longtemps que nos propres existences. Se rendre compte des différences et accepter de les voir est un premier pas vers une égalité.

51


« Nous [comprendre ici : les personnes qui s’intéressent aux questions de genre et de patriarcat] qui travaillons sur ce sujet, des fois, on oublie qu’il y a des gens qui ne s’en rendent pas compte. On pense que ces mécanismes qu’on identifie, tout le monde les connait parce que c’est tellement évident et intériorisé en fait, c’est tellement normal, c’est tellement banal qu’une femme fasse plus pour être reconnue. Après on dit ‘pourquoi les femmes font plus ?’. Pourquoi est-ce qu’elles écrivent tous les comptes rendus à la fin d’une réunion ? Un compte rendu prend en moyenne trois heures d’écriture, de correction, etc. Et après pourquoi elles n’avancent pas dans leurs carrières ? Ben bien sur si elle va se taper 10 comptes rendus par semestre, comment veux-tu qu’elle avance dans sa carrière ? Si les hommes se mettaient à les rédiger les comptes rendus, peut être que les femmes avanceraient dans leur carrière. Peut être qu’elles le construiraient le grand musée. » Une enseignante chercheuse Il semble toutefois qu’aujourd’hui, l’opposition à l’avis des femmes de manière directe et consciente arrive de moins en moins souvent, en corrélation avec un changement de génération et de mentalité. De plus, la déconstruction des normes patriarcales et la conscientisation de ces dernières permet aux femmes d’oser s’imposer. C’est la notion d’empowerment*, qui ne trouve pas de réelle traduction équivalente en français. « Pour les féministes de DAWN, le renforcement du pouvoir des femmes ne passe pas uniquement par l’autonomie économique et la satisfaction des besoins fondamentaux des femmes – ceux qui touchent à la survie – mais par une transformation radicale des structures économiques, politiques, légales et sociales qui perpétuent la domination selon le sexe mais aussi l’origine 52


ethnique et la classe, et empêchent la satisfaction de leurs besoins stratégiques – ceux qui ont trait à l’établissement de relations égalitaires dans la société. »15 Créer avec des hommes, ce n’est pas qu’une simple question de discussions avec des collègues. C’est aussi occuper des postes de salariat et être sous l’autorité hiérarchique, le plus souvent, d’hommes. Cela implique une participation à des projets - à des degrés d’implication différents - qui ne mentionneront pas notre nom. C’est aussi, parfois, un duo qui prend la forme d’un couple et qu’il est intéressant d’observer. D’une part, au moment de l’essor du mouvement moderne, de nombreuses femmes ont pu accéder à des projets d’envergure grâce au couple qu’elles formaient. Je pense ici à Ray et Charles Eames, à Denise Scott Brown et Robert Venturi, à Lina Bo Bardi et Pietro Maria Bardi ou encore à Eileen Gray et Jean Badovici. Elles ont su tirer l’avantage de leur faiblesse, à savoir le fait d’être une femme - possiblement de manière inconsciente. Seules, elles n’auraient pas forcément pu avoir accès à des projets d’envergure. Elles ont su prouver qu’elles étaient d’aussi compétentes créatrices que leurs pairs masculins. Toutefois, être et paraître sont deux choses différentes. Quand bien même leur rôle était important, elles se sont souvent retrouvées dans l’ombre de l’homme avec qui elles travaillaient, notamment au travers des médias.

15  Calvès, A. (2009). « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement. Revue Tiers Monde

53


ADRIENNE GORSKA 1899-1969 ARCHITECTE, DESIGNER

Adrianna Górska°, polonaise, née en 1899 à Moscou, émigre en 1919 avec sa famille à Paris, où elle étudie avec Robert Mallet-Stevens à l’École Spéciale d’Architecture dont elle sort diplômée en 1924. En 1929, elle conçoit un appartement et un atelier pour sa sœur, la peintre Tamara de Lempicka, dans l’immeuble construit par Robert Mallet Stevens, au 7 rue Méchain. Elle donne des conseils à Eileen Gray, qui se forme grâce à elle, à son futur métier d’architecte. Elle travaille également en 1930 avec sa compatriote la peintre, sculptrice et décoratrice Sarah Lipska sur la rénovation d’une ferme à Rambouillet pour Barbara Harrison (intérieur aujourd’hui détruit). Adrienne Górska entre ensuite dans l’agence Molinié et Nicod, où elle rencontre l’architecte Pierre de Montaut, qu’elle épouse vers 1934. Ils se font connaître pour les nombreux cinémas qu’ils conçoivent, entre autre, pour le groupe Cinéac.

Son oeuvre, considérable, est aujourd’hui presque entièrement détruite. Texte tiré d’une publication de la page Facebook de Laurent Beaudouin °


Studio, Adrienne Gorska architect, Paris 1934

Immeuble du Normandie - 1932-1936 - 1-5, rue Lord Byron, Paris «Une des rares oeuvres d’Adrienne Gorska et Pierre de Montaut qui n’ai pas été totalement détruite. Les menuiseries à guillotine sont de Jean Prouvé.» ©Laurent Beaudouin


Qui tire la couverture de la scène médiatique ?

En 2014, pour la promotion d’un documentaire sur les britanniques qui construisent le monde, The Brits who Built the Modern World, la BBC retire volontairement Patty Hopkins, co-fondatrice de Hopkins Architects, d’une photo (ci-contre). Son mari, Michael Hopkins, lui, est présent aux cotés d’autres architectes comme Norman Foster et Richard Rogers. La photo a bien évidemment fait scandale et la BBC a justifié ce choix de différentes raisons assez peu convaincantes. Cet exemple me permet d’introduire ce paragraphe de manière directe mais évocatrice pour montrer la façon dont les médias maîtrisent la réalité et peuvent réécrire l’histoire. Qualifié comme quatrième pouvoir, le pouvoir de l’information est fondamental et essentiel car il est un contre-pouvoir face aux trois pouvoirs de l’Etat : exécutif, législatif et judiciaire. Il permet de diversifier les savoirs, divertir, éduquer ou encore informer des situations actuelles, politiques, économiques ou sociales. Toutefois, la maîtrise de la transmission de l’information peut mener les médias à manipuler, transformer ou cacher certains faits. Leur rôle dans l’écriture de l’histoire est important en ce qu’ils peuvent, consciemment ou inconsciemment, omettre de relater.

56


57


Encore aujourd’hui, des cas d’invisibilisation des femmes par les médias persistent, dénotant un sexisme systémique* encore intégré. Un exemple récent est celui de la communication autour de l’œuvre éphémère et posthume de Jeanne Claude et Christo, l’empaquetage de l’Arc de Triomphe qui s’est déroulé du 18 septembre au 3 octobre 2021. Le hashtag de l’événement qui circulait sur les médias, dont le Centre Pompidou, était #christoparis. Une multitude d’articles de presse attribuent l’œuvre à Christo sans mentionner Jeanne-Claude, qui était pourtant son binôme et prenait entièrement part à la vision artistique du duo. Des internautes se sont soulevé·es face à cette invisibilisation médiatique afin de rétablir la juste vérité16. « Dans son essai, ‘Sexism and the Star System in Architecture’, présenté pour la première fois en 1973, Denise Scott Brown décrit cette atteinte portée aux femmes comme une conséquence claire du sexisme dans le milieu universitaire et professionnel. L’ironie est que derrière ce système actuel, que les femmes soient employées au sein d’une grande agence ou des ‘stars’ au sommet d’une profession, elle se voient rarement attribuer la paternité [ou maternité ? Le terme paternité pour parler d’une œuvre est intéressante car il montre encore une fois le pouvoir patriarcal] de l’ouvrage; elles sont opprimées par le fait d’être des femmes » Álvarez, E. (2017, mars 8). The Invisible Women : How female architects were erased from history. Architectural Review - traduction libre

Le choix médiatique de favoriser la mise en avant du genre masculin est intimement lié au patriarcat et au boys club. Les hommes mettent naturellement d’autres hommes en avant. 16  Brugvin, M. (2021). Le triomphe de Christo et l’effacement de JeanneClaude. i-D. https://i-d.vice.com/fr/article/88ny94/le-triomphe-de-christoet-leffacement-de-jeanne-claude

58


Un boys club17 c’est : - Une organisation qui traditionnellement exclut les femmes et est contrôlée par des hommes. - Un groupe d’hommes âgés et fortunés qui détiennent un pouvoir politique. - Un groupe de personnes en position de pouvoir qui se servent de ce pouvoir pour leur propre bénéfice, et le plus souvent indirectement. En Angleterre, le good old boys club est un réseau d’hommes issus des écoles privées de garçons, ces boys qui après avoir reçu leur diplôme deviennent les old boys. - Une expression qui renvoie au souhait de préserver les élites. Comme on dit : « Ce n’est pas ce que vous savez qui compte, c’est qui vous connaissez. » Le boys club est un groupe serré d’amis-hommes qui se protègent entre eux.

Dans le milieu de l’architecture, cela est assez flagrant au niveau des récompenses attribuées. Le Pritzker Price est un prix décerné aux architectes depuis 1979 et vise à honorer un ou des architectes qui, par leur œuvre, démontrent des qualités telles que leur talent, leur engagement et leur vision qui ont grandement contribué à l’humanité par l’architecture. La première femme à recevoir ce prix est Zaha Hadid en 2004, soit 25 ans après la création du prix.

17  Définition de M. Delvaux issue de son livre Le Boys Club (2019, p.25)

59


Cette première récompense féminine arrive bien tardivement dans l’histoire du prix, qui, par le passé aurait pourtant pu récompenser des femmes. Je pense ici à l’exemple du lauréat de 1991, Robert Venturi. Sa femme et partenaire depuis 22 ans à ce moment là, en plus d’être son associée officielle depuis 1989, Denise Scott Brown, ne reçoit pas le prix aux côtés de son mari. Pourtant, elle a élaboré un grand nombre de projets avec Venturi. Lui-même fera la demande au comité du Pritzker Price afin que leurs deux personnes soient récompensées, mais l’institution refusera, prétextant ne pouvoir discerner le prix qu’à un·e seule d’entre elleux. Une pétition sera lancée en 2013 pour que Denise Scott Brown reçoive ce prix18. Aujourd’hui, parmi les lauréat·es du Pritzker Price, on compte finalement des groupes de plusieurs architectes mais également davantage de femmes. Pour nuancer ces propos, la sous-représentation des femmes n’est pas forcément liée à un facteur externe. On peut remarquer que les femmes architectes écrivent relativement moins sur leurs œuvres que leurs homologues masculins. « Il y a aussi le fait que les femmes [architectes] écrivent beaucoup moins que les hommes [architectes]. Ils écrivent beaucoup sur leurs projets, font des monographies, etc. Les femmes elles sont plus discrètes. Gae Aulenti a fait tout l’aménagement intérieur du Musée d’Orsay au début des années 80 et il y a très peu d’écrits, juste des comptes-rendus de chantier. Pareil, il n’y a 18  change.org (2013) The Pritzker Architecture Prize Committee: Recognize Denise Scott Brown for her work in Robert Venturi’s 1991 Prize, https://www.change.org/p/the-pritzker-architecture-prize-committee-recognize-denise-scott-brown-for-her-work-in-robert-venturi-s-1991-prize?signed=true

60


qu’un seul écrit d’Eileen Gray sur sa Villa et il a été écrit à deux avec Jean Badovici19. » Une maîtresse d’œuvre et d’ouvrage La nette ascendance des représentations masculines n’est donc pas forcément liée à un monopole au niveau de la production en elle-même. On se rend compte ici que les femmes sont et ont été là, mais volontairement ou involontairement laissées sur le banc de touche, dans l’ombre. Ce ne sont pas réellement les hommes qui tirent la couverture (médiatique), mais plutôt le patriarcat qui les borde avec celle-ci. À la lumière de ce fait, il me parait primordial de se renseigner et de s’interroger sur la contribution des femmes à la conception de nos espaces. D’une part, pour leur rendre hommage et prendre le parti d’inverser la tendance en choisissant de se documenter volontairement sur des travaux, écrits ou construits, récents ou plus anciens, d’architectes talentueuses qui ont participé à l’évolution de l’architecture et des espaces où nous vivons. D’autre part pour s’intéresser aux caractéristiques des espaces qu’elles génèrent.

19  Publication dans la revue L’Architecture Savante en 1929, E.1027 Maison en bord de mer, par Eileen Gray et Jean Badovici. On y trouve quelques pages de dialogues, des dessins et des photographies.

61


Gae Aulenti, Aménagement intérieur du musée d’Orsay, coupe transversale, aquarelle, 1982

62


Vue extérieure de la Villa E-1027 (plus d’informations dans l’index) © Manuel Bougot, 2021

63


MINNETTE DE SILVA 1918-1998 Minnette de Silva est la première architecte moderniste du Sri Lanka et la première femme asiatique à devenir Associée de l’Institut Royal des architectes britanniques. Elle monta son agence dans sa maison familiale à Saint George au Sri Lanka, et à cette époque c’est une des deux seules femmes dans le monde à pratiquer l’architecture en son nom propre. Elle construit tous types d’édifices : cottages, villas ou immeubles de logements. Son architecture moderniste est en harmonie avec le paysage et l’artisanat traditionnel. Malheureusement, le manque de confiance des commanditaires envers le travail d’une femme joua en sa défaveur, et peu à peu, elle eut de moins en moins de contrats. Finalement, elle mourra seule, endettée, isolée. Ses réalisations sont aujourd’hui, pour la plupart, dans un mauvais état de conservation voire à l’abandon. « I was dismissed because I am a woman. I was never taken seriously for my work »


Maison Asoka Amarasinghe, Colombo, 1954 Maison Karunaratne, Kandy, 1954 © Ellen Dissanayake : « Minnette de Silva: Pioneer of Modern Architecture in Sri Lanka »

« L’image frappante et peu connue de l’architecte moderniste srilankaise Minette de Silva apparaissant vêtue d’un sari, assise au premier plan de la première réunion d’après-guerre des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM) à Bridgewater dans le Somerset en 1947, avec Le Corbusier peu discret à l’arrière-plan, rappelle combien l’histoire populaire est un récit sélectif dans lequel être une femme en architecture, revient à être à la marge. » Hall, J. (2019). Je ne suis pas une femme architecte : Je suis architecte. Phaidon, p.8

corbu

minnette



PAR ET POUR

L’ESPACE DES FEMMES

« L’architecture n’est en rien une toile de fond neutre par rapport aux pratiques sociales discriminatoires, elle fait en réalité partie de l’appareil culturel qui établit et maintient des différenciations de genre. Le genre est pour ainsi dire ‘inscrit dans l’espace’. Les articulations architecturales sont à la base de différenciations de genre alors que les hiérarchies de genre sont à la base de l’architecture. » Heynen, H. (2007) L’inscription du genre dans l’architecture

L’intérêt du sujet du par et pour est aussi de parler de spatialité. Il questionne l’influence que peut avoir notre genre sur notre conception architecturale et notre manière de traiter les relations entre les espaces ou entre les habitant·es de ces mêmes espaces. En tant que femme, comment concevoir et vivre un lieu ? La conception peut-elle être genrée ? 67


L’INFLUENCE DU GENRE SUR LA CONCEPTION

S’intéresser à la manière dont se construisent les femmes dans la société patriarcale m’interroge sur les conséquences que cette situation peut avoir dans leur écriture de l’espace. Il est intéressant de se demander si leur manière de penser l’espace est différente du fait de leur genre et de tout ce que cela implique. Je pense notamment à l’impact que peut avoir leur place au sein de la société. C’est également questionner le rapport entre forme architecturale et qualités liées aux stéréotypes de genre, à la féminité et à ce à quoi on s’attend quand c’est une femme qui créé.

Capacité d’empathie EMPATHIE, substantif XXe siècle. Composé du préfixe grec em-, de en, « dans », et de -pathie, d’après sympathie. Capacité de s’identifier à autrui, d’éprouver ce qu’il éprouve20 Faire de l’architecture, c’est faire pour autrui. La conception d’un lieu est en relation directe avec l’empathie puisque l’on ne créé 20  Définition du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales

68


pas des coquilles vides. L’architecture n’est elle pas la création un lieu pour des gens ? Afin de pouvoir dessiner des lieux de vie, il est indispensable de penser à ses usager·ères. On doit être capable de réfléchir aux habitus* de ces dernier·ères et se mettre à leur place pour pouvoir les intégrer dans la conception. Cette empathie est forcément influencée par notre propre vécu et nos propres conceptions de ce qu’est vivre un lieu. Pouvoir se mettre à la place de, c’est parfois la capacité de projeter nos propres expériences sur les besoins que génère un lieu. Pour les personnes qui font déjà partie d’une minorité, cette capacité à faire preuve d’empathie facilite la compréhension des problématiques et des besoins d’autres minorités (ethnique, genre, validité, âge …). Lors de la conception, le fait de penser aux autres (care for) peut générer des espaces plus riches et complexes du fait des différences de chacun.e. L’hypothèse soulevée ici est que les femmes, en tant que minorité, sont davantage capables de faire preuve d’empathie pour concevoir des espaces inclusifs. Ces problématiques sont évidemment nombreuses et peuvent être liées à de nombreux facteurs. Par exemple, créer un espace inclusif, c’est penser au déplacement et à la mobilité. Une personne valide et non-valide ne se déplacent pas de la même manière. Les espaces devant répondre à certaines normes pour être praticables, par exemple par des fauteuils roulants, vont prendre une certaine dimension (par exemple, couloirs assez larges pour permettre aux fauteuils de circuler).

69


Souvenirs Concernant l’intégration des normes PMR, il m’est arrivé à plusieurs reprises de me heurter à la vision patriarcale du dimensionnement des espaces pour l’homme valide (l’homme de Vitruve, le Modulor) auprès de certains professeurs. Je me souviens, dans plusieurs projets, d’avoir eu à cœur de concevoir un parcours architectural qui serait le même pour tous·tes (avec notamment l’utilisation de rampes pour entrer dans le bâtiment) et qu’on m’ait conseillé d’oublier ce facteur, de faire une rampe à 12% au lieu de 6% et de mettre un ascenseur au bout pour les gens qui ne peuvent pas monter. Certes, passer de 6% à 12% permet d’avoir une longueur de rampe beaucoup plus courte, mais elle ne sera jamais accessible à tous·tes et par conséquent, non inclusive. Je me suis, la plupart du temps, résignée à dessiner des rampes à 12% par facilité et rapidité dans la conception du projet, mais une part de moi culpabilise d’avoir abouti des projets dont certains éléments ne sont accessibles qu’aux corps aux « proportions idéales » remis en question plus haut dans ce mémoire.

Toujours concernant les déplacements, il est important de penser aux flux et aux différentes personnes qui traversent les espaces de circulation. Qui va occuper cet espace, le partager ? Quelles rencontres mon dessin génère ? Ces rencontres sont-elles à favoriser ou à éviter ? Dans certains cas, notamment dans des lieux pour des personnes fragiles, il est nécessaire de penser aux flux pour permettre à des personnes de ne pas se croiser, d’emprunter un chemin différent. 70


71


« Il y a quand même, sans vouloir essentialiser les femmes - il y a des femmes aussi qui sont en quête de pouvoir etc. - mais il y a quand même certains points que je commence à faire ressortir qui sont peut être plus présents lorsque justement c’est un travail ensemble, justement la collaboration, c’est quelque chose qui est beaucoup plus acquis... le prendre soin, on va un peu tomber dans les clichés du moment mais - parce que tout ce qui relève de la charge mentale de la femme trouve des facilités dans les projets. C’est à dire, vu que, par exemple quand on travaille sur l’espace public, on se rend compte que les hommes sont présents dans l’espace public, que les femmes aussi sont très très présentes mais qu’elles passent dans l’espace public, elles n’ont jamais le temps de se poser sur un banc, c’est parce que ce sont elles qui font les courses, ce sont elles qui accompagnent et ramènent les enfants de l’école, ce sont elles qui s’occupent des grands-parents, ce sont elles qui se rendent aux rendez-vous médicaux, etc. etc. Et donc, on se rend compte que quand des femmes font par exemple une opération de logement, elles vont essayer de faire en sorte que tous ces services là soient, quelque part, le plus possible dans l’opération parce qu’elles savent à quel point ça complexifie la journée. » - Une enseignante chercheuse C’est aussi avoir la capacité de soulager la charge mentale (pesant le plus souvent sur les femmes) en créant des espaces pour les enfants dans les lieux publics. On y dépose le ou les enfant·s pour pouvoir faire ce qu’on a à faire sans avoir besoin, en même temps, de gérer une crise, une couche à changer, un biberon à donner. L’empathie, c’est aussi avoir le souci du détail. C’est répondre à l’avance à des besoins physiques et psychologiques. Dans les bâtiments que nous pratiquons, souvent faits par des hommes, des 72


choses importantes peuvent être oubliées car elles ne les touchent pas personnellement, ou bien que ce sont des sujets typiquement évités, tabous, cachés. C’est par exemple le cas de l’hygiène féminine et des menstruations. Une architecte enquêtée me raconte : « Lorsqu’on a dessiné les toilettes de ce bâtiment, on a mis des lave-mains dans chaque toilettes parce qu’il faut penser aux femmes qui utilisent la coupe menstruelle » Une maîtresse d’œuvre et d’ouvrage Ce sont ces petits détails qui peuvent montrer qui pense aux espaces. Par contre, pour dessiner les espaces nurserie pour changer les bébés dans les toilettes des restaurants, des trains ou des aires d’autoroute, c’est apparemment simple : ils sont tous dans les toilettes des femmes. Ce cas montre d’une part que le poids de la charge mentale et du travail maternel qui repose sur la mère, et d’autre part révèle que les architectes n’ont pas su faire preuve d’empathie : les pères, célibataires ou non, qui veulent changer leur bébé doivent se rendre dans les toilettes des femmes. Cette question des toilettes est d’ailleurs intéressante : c’est le débat de la mixité ou non mixité. Cette question est abordée par des chercheurs à l’Université de Gand, Kurt Van Hautegem et Wouter Rogiest, qui se sont intéressés à la file d’attente dans les toilettes de festivals : la non-mixité génère des temps d’attentes différents entre femmes et hommes. Au delà de ce constat, la non mixité des toilettes reflète la distinction binaire des genres au sein du système patriarcal : il y a l’homme et la femme. Quid des personnes trans et intersexes ? À la porte de quels toilettes se reconnaissent-iels ? Les toilettes genrées et non mixtes ne peuvent pas être inclusives. 73


« C’est notre capacité à communiquer nos sentiments personnels et à capter ceux des autres, celle-là même nous permettant ainsi de soigner les fractures dans la connexion, qui menace les structures hiérarchiques. Le maintien ou la justification de l’inégalité est moins en péril par certains états émotionnels comme l’empathie ou la compassion à l’égard des souffrances ou de l’humanité d’autrui. Tant que les personnes situées en bas de la pyramide demeurent capables d’exprimer leurs émotions, et que les personnes situées au sommet de la hiérarchie sont capables de ressentir de l’empathie, nous sommes inévitablement attirés par la réparation des ruptures de toutes sortes causées par la hiérarchie » (Gilligan C., 2019) p.23 Faire preuve d’empathie, c’est avoir le pouvoir d’agir sur la structure spatiale et sociale d’un lieu. C’est être maître·sse des codes et des normes et de pouvoir les perpétuer, les rompre, les faire évoluer. Le dessin peut être, pour les femmes, un outil d’émancipation.

74



La requalification des espaces comme outil d’émancipation Hilde Heynen, dans son ouvrage intitulé L’inscription du genre dans l’architecture (2007) opère un parallèle entre architecture et genre. Elle commence par parler de la distinction que fait la culture occidentale entre espaces à connotation « masculine » et espaces à connotation « féminine ». « C’est dans l’Angleterre du XIXe siècle, dans l’idéologie victorienne des « sphères séparées » (Wolff, 1990) que la différenciation de genre est la plus affirmée. Cette idéologie bourgeoise considère l’ordre « naturel » comme une donnée des plus évidentes : les hommes sont très différents des femmes, chacun a sa propre nature et fonctionne en conséquence de façon particulière. » « Cette idéologie se matérialisa spatialement dans les demeures cossues de la bourgeoisie et de la haute société londoniennes qui, suivant un modèle donné, prévoyaient une séparation entre pièces prévues pour les femmes et celles réservées aux hommes (Olsen, 1986, p. 137-152). Le domaine de l’homme se trouvait en général au rez-de-chaussée, à proximité de l’espace public ; il abritait une bibliothèque, un fumoir, une chambre de billard, une chambre à coucher et une garde-robe. Quant à la femme, elle disposait, au premier étage, d’un salon, d’un boudoir et d’une chambre à coucher. » Ici, la spatialité du logis est totalement influencée par la pensée de la différence. Ces codes spatiaux se sont vu bousculés par le dessin, influençant les codes sociaux. 76


Les architectes sont capables de changer nos manières d’habiter par l’espace qu’iels produisent, et c’est notamment le cas de Charlotte Perriand, qui va innover en dessinant des cuisines ouvertes sur le salon. C’est elle qui dessine la cuisine ouverte de la Cité Radieuse de Marseille en 1949.

Cuisine de l’appartement n°50, Cité Radieuse, Marseille © Site internet Cité Radieuse Marseille

77


Ce geste n’est pas anodin : il est chargé de sens. Le Corbusier dira «  La femme sera heureuse si son mari est heureux. Le sourire des femmes est un don des dieux. Et une cuisine bien faite vaut la paix au foyer. Alors, faites donc de la cuisine le lieu du sourire féminin, et que ce sourire rayonne sur l’homme et les enfants présents autour de ce sourire.  ». Je ne suis pas sûre que cette vision sexiste soit réellement ce que Perriand cherchait à faire, qui ne dit pas tout à fait la même chose : « la ménagère constitue le centre du foyer et ne doit pas être reléguée à ses tâches, elle doit pouvoir communiquer avec sa famille et ses amis. ». Ici, elle révèle le personnage de la femme ménagère, enfermée dans sa cuisine et relie les femmes à la vie sociale du reste de la famille. Elle requalifie les espaces, mais aussi les fonctions des personnes qui utilisent ces espaces. J’y vois un acte féministe, une rébellion discrète. Ces femmes architectes, dont l’accès à certains types de bâtiments et projets est limité, sont pourtant capables de produire de nouvelles manières d’habiter au sein des espaces qu’elles peuvent concevoir. La conception permet de modifier l’espace social. Ce choix n’est pas simplement une manière de créer un espace plus généreux ou plus lumineux, mais c’est surtout un moyen de sortir les femmes de l’ombre. C’est un acte féministe voire politique qui revendique la place et le statut de la femme dans le logement. Pour autant, la qualification de l’espace n’est pas qu’une question d’architecte. C’est l’affaire de toutes les femmes qui vivent ces lieux, peu importe leur diplôme ou leur statut social.

78



Interrogations sur Forme et figure Plus tôt dans le mémoire sont évoqués les stéréotypes de genre et l’image qu’on a des femmes et des hommes. C’est d’un côté la femme douce, sensuelle et l’objectivation de son corps et de ses formes. D’un autre côté, c’est cette image de l’homme sérieux, rigide, dur, viril. Ces caractéristiques peuvent être retranscrites dans la forme architecturale et, dès lors, être assimilées à l’idée d’une féminité ou d’une masculinité. Cette forme est-elle nécessairement liée au genre de l’architecte qui dessine, ou au genre pour qui iel conçoit ? « La figure est la transcription abstraite simplifiée, par des codes graphiques utilisant points, lignes, plans (ou un pliage en maquette), des éléments générateurs d’un espace architectural. Ce sont les lignes de force d’un site, d’un projet, d’un édifice, d’un espace générateur. C’est un outil de représentation à la fois analytique (car il dégage des lignes et plans qui ne sont pas toujours visibles tels quels dans l’édifice) et synthétique (car il simplifie, ramène à quelques éléments basiques, générateurs). C’est un outil de conception spatiale (synthèse) et d’analyse à la fois. Il permet de hiérarchiser, de définir les lignes de force d’un projet. Il a à voir avec la notion philosophique de diagramme telle que l’utilisent Deleuze, Foucault, Gilles Châtelet, Simondon… Et puis, ne pas oublier que figure, ‘figura’, veut dire ce qui identifie un visage, un regard… ce qui nous regarde…» Cyrille Faivre-Aublin

80


Sur le post instagram publié par @cesphrasesdarchi, on lit « vous faites un projet pour les femmes mais votre bâtiment est d’une masculinité forte ! ». Je me demande ce que ce professeur de projet de l’ENSAP Lille a voulu dire par là. Premièrement, c’est vraiment ici la dichotomie entre sexe et genre qu’il faut remettre en perspective et en question. Que notre sexe biologique soit masculin ou féminin : • On n’est pas forcément cisgenre (on ne se retrouve pas forcément dans le genre associé à nos caractéristiques génétiques ou même dans un genre particulier) • On ne correspond pas forcément aux stéréotypes de genre associés à ce qui est masculin ou féminin (comportements, attributs, vêtements, etc.) • Notre corps nous appartient et nous en disposons comme on l’entend Les formes architecturales que nous dessinons résultent d’une sensibilité, d’une manière d’appréhender les caractéristiques spécifiques du site du projet, les espaces intérieurs et extérieurs, le jeu des articulations entre espaces servants et espaces servis21, la relation entre espace et structure, etc. mais aussi d’un programme à respecter. Tous ces critères tangibles influencent la forme architecturale. Un édifice qui, dans sa forme, correspondrait aux caractéristiques féminines ou masculines est-il la résultante du genre de son auteur.trice ? 21  Hiérarchisation des espaces, notamment développée par Louis I. Kahn. Espaces servis = espaces de vie (salon, salle à manger, bureaux). Espaces servants = fonctionnels (circulations, escaliers, toilettes, rangements)

81


Oscar Niemeyer (1996) Musée d’Art Contemporain, Niterói , Brésil

Lina Bo Bardi (1947) MASP, São Paulo, Brésil

82


Sur la page ci-contre, on retrouve deux célèbres édifices. Tous deux sont des musées situés au Brésil. La forme architecturale, elle, est bien différente entre l’un et l’autre. L’un des deux est tout en courbes et en légèreté, accueillant grâce à sa rampe telle un ruban nous invitant à entrer ; l’autre est un portique évocant la force, la gravité, l’inatteignable par son soulèvement et la discrétion de son accès. L’un des deux a été dessiné par une femme ; l’autre, par un homme. Évidemment, vous le savez déjà, le bâtiment de courbes est celui d’un homme, Oscar Niemeyer, et le portique est celui d’une femme, Lina Bo Bardi. L’architecture de Niemeyer est la poésie des courbes et il ne cache pas son amour pour les femmes - ou plutôt leur corps, qu’il objectivise régulièrement. « C’est la courbe libre et sensuelle qui m’attire, la courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays ou dans le corps d’une femme. »22 Bo Bardi fût contactée pour réaliser le MASP, qui devrait répondre à une condition : ne pas obstruer le paysage vers la ville en contrebas. Son souhait était que l’espace du Musée appartienne à la ville et ses habitant·es. « Non seulement le musée rend la même quantité d’espace public qu’il emprunte, mais il embrasse la notion radicale qu’un musée peut à la fois exposer la culture et servir de scène à l’endroit où il a été créé. » (Langdon, 2018) Par cet exemple montrant deux ouvrages dont la figure évoque l’idée cliché de la féminité et de la masculinité, on se rend compte que le fait d’être une femme ou un homme ne signifie pas qu’on va produire des dessins nous ressemblant - ou plutôt, ressemblant aux stéréotypes de genre. 22  Boyer, G. (2020). Oscar Niemeyer, père de l’architecture moderne et poète de la courbe. Connaissance des Arts

83


L’ARCHITECTURE

PAS SEULEMENT PAR LES ARCHITECTES

L’influence des femmes dans la conception architecturale n’est pas seulement réservée aux professionnelles du métier. La personne commanditaire d’un bâtiment a également une influence sur l’architecte et l’architecture. Être maîtresse d’ouvrage, c’est aussi pouvoir influencer les codes architecturaux. Je m’appuierai sur l’ouvrage d’Alice Friedman Women and the making of the modern House pour en parler. L’influence sur la conception, au-delà des relations directes entre clientes et architectes, peut aussi intervenir de manière informelle, hors du cadre d’un projet. On remarque que des groupes de femmes se réapproprient des espaces normés pour créer de nouveaux lieux, pour elles, en marge du système.

Le pouvoir de la maîtresse d’ouvrage Les rapports entre architectes et client·es ne sont pas toujours faciles lorsqu’il s’agit de mener à bien un projet. La vision qu’a l’un·e rentre parfois en confrontation avec l’autre et il faut savoir composer. Lorsqu’il s’agit d’un architecte et d’une cliente, les rapports qu’iels entretiennent ne peuvent-ils pas être influencés par le patriarcat ? 84


Alice Friedman, dans son ouvrage Women and the making of the modern House (2006) retrace l’histoire de 5 maîtresses d’ouvrage sous le prisme de leur influence sur l’architecture, au travers de 5 maisons iconiques. Ces 5 maisons sont les suivantes : • • • • •

Hollyhock House - Frank Lloyd Wright, 1921 Constance Perkins House - Richard Neutra, 1955 Truus Schröder House -Gerrit Rietveld, 1924 Edith Farnsworth House - Ludwig Mies van der Rohe, 1951 Vanna Venturi House - Robert Venturi, 1964 « En se concentrant sur leur propre foyer, les clientes cherchaient non seulement à créer un changement, mais aussi à participer à un processus créatif. Il semble donc être clair que l’intérêt particulier des femmes pour le domaine domestique au cours de ce siècle ne provenait d’aucune qualité essentielle intrinsèque au fait d’être une femme, mais était plutôt une réponse aux rôles sociaux genrés de la culture dans laquelle elles vivaient. »23

Dans les prochaines pages, je dresserai les grandes lignes de l’influence de ces femmes sur la conception et le résultat de chaque maison24. 23  « By focusing on their own homes, women clients sought not only to implement change but also to participate in a creative process. Thus it should be clear that women’s special concern for the domestic realm in this century did not com from any essential quality in themselves as women, but was rather a response to the gendered social roles of the culture in which they lived. » p. 28 24  Les prochaines notes de bas de page mentionnant un numéro de page se réfèrent à l’ouvrage de Friedman introduit dans ce chapitre.

85


ALINE BARNSDALL ET LA HOLLYCOCK HOUSE Frank Lloyd Wright, 1919-1921, Los Angeles, USA

"Barnsdall’s feminism and her unwillingness to conform to convention are key factors both in the history of Olive Hill and in the design of Hollycock House"

Ce projet fut guidé par l’amour de la nature et l’engagement profond pour le théâtre en tant qu’art et forme d’éducation de Barnsdall25. Elle souhaite un bâtiment et un jardin sous forme de parc artistique, haut lieu de célébration du théatre. Son influence existe à plusieurs niveaux : • Le programme : activités non conventionnelles pour une famille non conventionnelle • Une personnalité excentrique : a joué sur l’interprétation de la demande qu’elle a formulé à Wright • Un certain leadership : a affecté la réponse de tous les artistes qui travaillaient avec elle sur le projet26. Durant tout le projet, conflits et oppositions régnaient. Pour ne citer qu’un exemple, Wright proposait une maison toute blanche, et elle ne la voulait surtout pas blanche. Ici, c’est la forte personnalité de cette femme qui orientera les décisions de l’architecte. Sans son leadership, la maison aurait été toute autre. 25 p.37 26 p.47

86


TRUUS SCHRÖDER ET LA MAISON SCHRÖDER Gerrit Rietveld, 1923-1924, Utrecht, Pays-Bas

Cette maison qui se détache du voisinage aux maisons de briques sombres, souvent comparée à un tableau de Mondrian, est la première maison construite de Rietveld. Mrs. Schröder est une jeune veuve avec trois enfants. Elle a une vision complexe, particulière mais précise de la famille dans le monde moderne et au sein de sa maison. L’ambivalence de la personnalité de la maison lui donne un caractère ludique et espiègle d’un côté, mais discipliné et moraliste de l’autre27. La maison est à l’image du corps humain en tant qu’organisme vivant, faisant preuve d’adaptabilité. Le mobilier architectectonique est à taille d’adulte et d’enfant et les parois sont modulables, créant de nouveaux espaces en fonction des activités ou du moment de la journée. L’osmose qu’il y a entre eux est une opportunité pour laisser libre cours à leur créativité, en marge des codes sociaux et architecturaux traditionnels. Leur idée est de guider le corps et l’esprit vers des mouvements et des pensées plus clair·es et naturel·lles.28 27 p.66 28  « to guide body and mind toward clearer and more natural actions and thoughts» p.68

87


EDITH FARNSWORTH ET LA MAISON FARNSWORTH Ludwig Mies van der Rohe, 1945-1951, Plano, Illinois, USA

Edith F arnsworth est une docteure - célibataire29 - vivant à Chicago. Elle souhaite un très bon dessin pour un week-end peu coûteux pour une personne célibataire correspondant à mes goûts et préoccupations30. Elle attend de l’architecte qu’il respecte sa vision claire et précise. Le manque d’opportunités de travail en cette période d’après-guerre et le style minimaliste de Mies lui offrent peu de contrats. Il voit chez Mrs. Farnsworth une femme fortunée prête à fermer les yeux sur le budget en faveur de ses propres aspirations et rêves d’architecte31. Cet aspect révèle une toute autre facette de l’histoire de la conception de cette maison, qui implique a priori une relation amoureuse entre les deux32, une amitié tout au moins, et beaucoup de temps passé ensemble. Finalement, son admiration pour Mies et sa confiance en lui, ainsi qu’une certaine difficulté à comprendre les plans de l’architecte finiront par la laisser lui donner les rênes du projet. 29  Ce détail prend une signification en conclusion de ce chapitre. 30  « a really fine [design] solution for an inexpensive week-end retreat for a single person of my tastes and pre-occupations » p.128 31 p.128 32  Cette rumeur n’est pas confirmée dans les mémoires de Mies Van der Rohe. p. 133-134

88


CONSTANCE PERKIN’S HOUSE Richard Neutra, 1952-55, Pasadena, California, USA Constance Perkins est une professeure d’art à l’Occidental College. Le dessin et la construction de sa maison sont pour elle, jeune quarantenaire, le premier véritable acte d’indépendance33. Elle souhaite une petite maison d’où elle puisse vivre et travailler, mais où elle peut aussi s’amuser. Elle fait appel à Richard Neutra qu’elle connait déjà par le biais de l’université. Il se consacrera au projet et à Perkins de manière dévouée, utilisant cette commande comme un cas pratique pour ses théories sur la conception. Neutra avait pour habitude de demander à ses client·es une autobiographie ainsi qu’une liste des choses qu’iels aimaient et n’aimaient pas. Perkins remplit cette demande volontiers, et à l’instar de sa maison, c’est un petit bijou : soigneusement conçue, précise, lyrique par endroits. Il y est précisément décrit les expériences et les émotions qui l’ont conduite à ce moment présent et à sa décision de construire34. Elle sut exprimer tous ses besoins de manière détaillée mais sut aussi respecter la créativité de Neutra : « I want you to feel complete freedom within my financial limitations in your designing. » 33  p. 172 34  « Like her house, it is a litte gem : carefully crafted, precise, lyrical in places. In it she works hard to describe the experiences and emotions that brought her to the present moment and to her decision to build » p. 174

89


VANNA VENTURI HOUSE Robert Venturi, 1961-64, Chestnut Hill, Pennsylvania, USA

Ici, la cliente a une position particulière : il s’agit de la mère de Venturi, Vanna Venturi - veuve, fervente féministe aux fortes valeurs sociales. Ayant un goût prononcé pour le mobilier et la mode, elle souhaite une maison où elle pourra disposer des antiquités et les meubles acquis au cours de sa vie. Pour l’architecte, cette petite maison est un terrain d’expérimentation, de recherche, d’écriture et de conception.35 Le programme est complexe. Il s’articule autour des besoins particuliers de Vanna, desquels découleront des allers-retours permanents entre elle et son fils dans le processus de conception. Leur lien et leur confiance mutuelle ainsi que leur bonne entente leur conférèrent un outil d’expérimentation mais aussi une relative tolérance aux envies de l’un·e et de l’autre. Vanna Venturi était la figure centrale de son fils lors de la conception de la maison : c’était tendrement conçu pour refléter ses intérêts et répondre à ses besoins36 35 p.189 36  « Vanna Venturi was the central figure in her son’s conception of the house: it was lovingly designed to reflect her interests and to meet her needs » p. 204

90


Ce que ce type d’ouvrage apporte, c’est une remise en question des références, de l’architecte et de son image de génie créateur tout-puissant. Il montre que finalement, les édifices des architectes cachent une autre réalité : la pensée créatrice n’est pas le fruit d’une seule personne. Ici, on voit bien l’importance que prennent ces femmes dans le processus de conception des espaces. En outre, elles font partie intégrante de la finalité du projet. « Du côté de l’architecte, il y a la reconnaissance de la vision et du vécu de la cliente, et, tout aussi important, du côté de la cliente, l’affirmation que l’architecte remplisse non seulement les critères fonctionnels du programme mais l’enrichisse et l’améliore par le dessin »37 Si l’on compare ces femmes, un détail commun à toutes est présent dans chaque projet. Barnsdall est contre l’institution du mariage, Schröder est veuve, Vanna Venturi aussi, Farnsworth ne s’est jamais mariée et Perkins est célibataire. Aucune d’entre elles ne partage sa vie avec un homme. À cette époque, de nombreux clichés découlent du célibat : personne frustrée, instable mentalement, ... Une femme non mariée est vue comme quelqu’un qui a tellement échoué à comprendre le rôle de la femme, qu’elle n’a même pas obtenu le prérequis du mariage qui est d’avoir une maison.38 Ces visions ancrées et genrées des rôles s’inscrivent dans une époque particulière et un endroit particulier (ici, les maisons 37  « On the architect’s side, there is an acknowledgment of the client’s vision and experience, and, equally important, on the client’s side, an affirmation that the architect not only satisfies the fonctionnal requirements of the program but adds to and enhences it through design.» p.228 38  « who had failed so seriously in her understanding of a woman’s role that she hadn’t even established the marriage prerequisite of having a home » p.132

91


datent d’entre 1919 et 1964 et sont aux États-Unis - une seule aux Pays-Bas). Viennent s’y ajouter la personnalité et les valeurs propres à chaque cliente et chaque architecte. Ici, ce qui m’intéresse n’est pas de savoir pourquoi elles sont seules, mais plutôt en quoi l’absence d’un mari a pu être un facteur leur permettant de participer à la conception de leur maison. On peut émettre l’hypothèse que si elles avaient été en couple ou mariées, leurs visions et leurs vécus n’auraient pas eu autant d’importance. Encore une fois, il faut se rappeler que ces projets se situent à une époque différente : on peut imaginer que l’époux aurait eu davantage de poids dans les décisions, et que c’est par lui que l’architecte serait passé pour communiquer. L’opportunité de participer à l’architecture dont ces femmes ont bénéficié est remarquable, mais en lien direct avec leur statut social. Elles pouvaient se permettre d’avoir cette position parce qu’elles étaient financièrement confortables. À l’inverse, lorsque l’on n’a pas un statut social nous permettant de communiquer directement avec un·e architecte, il est quand même possible d’être une femme et de générer des spatialités. C’est notamment le cas d’espaces normés qu’on vient se réapproprier en y greffant de nouvelles pratiques, de nouveaux modes d’habiter et de nouveaux modes de penser.

92


Réappropriation de lieux normés Les lieux normés, résultant de la pensée masculine, ne sont pas seulement occupés par des hommes. Reprendre en main ces espaces, se les approprier, c’est toucher à la spatialité et l’architecture. Celles qui vivent ces espaces et qui décident de les transformer ne sont pas nécessairement architectes. Des femmes, qui créent pour des femmes, dans des lieux pour les hommes. Cette réappropriation est souvent une réponse au système de domination car la plupart des espaces pour les femmes sont en réponse aux violences de la société envers elles et montrent une véritable capacité d’adaptation. Ce type de lieu a des racines anciennes. C’est par exemple le cas des béguinages39 en Belgique. Au XIIIème siècle, apparait le mouvement béguinal : un mouvement religieux de femmes émancipées et autonomes qui s’installent en ville, en communauté. « Volontairement ou non, elles ont eu un pouvoir physique et politique dans et sur la ville » (Vranken, 2017, p.108). Quand bien même elles sont religieuses, elles ne prêtent pas les serments de pauvreté, chasteté et obéissance. Certaines béguines sont riches et accueillent des groupes de béguines plus pauvres au sein même de leurs habitations. Elles sont également vouées aux œuvres sociales (aidaient les pauvres, soignaient les malades, ...). L’organisation spatiale répond aux besoins de ces femmes. Elles vivent généralement dans de grands corps d’habitation fonction39  A. Vranken, Des béguinages à l’architecture féministe, 2017 : elle développe ici un mémoire très riche qui vient en partie révéler le mouvement béguinal

93


nant comme des propres villes miniatures. Tout est fait pour leur autonomie et pour répondre à leur nécessité d’émancipation à l’aune d’une époque contraignante pour les femmes en quête de liberté. Un exemple plus récent est celui des Babayagas40, à Montreuil. Sa créatrice est Thérèse Clerc (9fev1927-16fev2016). Issue d’un milieu bourgeois, mariée à 20 ans, ses convictions féministes se révéleront lors des évènements de mai 68 et elle militera pour l’avortement et la contraception. Elle créé la maison des Babayagas : « un habitat et un projet de vie sociale participatifs ». Cette aventure trouve son fondement dans le combat porté par les Babayagas sur la question du vieillissement et sur les dynamiques sociales à l’oeuvre. Il s’agit pour le collectif de faire vivre un lieu dans la ville et pour la ville, largement destiné aux femmes. De cette double volonté d’avoir un lieu de vie et un espace de rencontre et de militance, est né un programme architectural qui associe logements et espaces collectifs. « La maison des Babayagas se compose d’un immeuble comportant 25 logements sociaux, 21 pour les Babayagas et 4 pour des jeunes de moins de 30 ans. Elle dispose de deux salles réservées aux activités collectives ainsi que de trois jardins ». Deux lieux, deux époques différentes, et pourtant la nécessité de fuir le système oppressif patriarcal est toujours présente. Les hommes eux, ont leur boys club. La différence entre ces lieux est marquante : pour les hommes, il s’agit d’un espace positif de rencontres et d’activités, tandis que pour les femmes, il s’agit d’un espace de refuge. 40  Larrocca, Nous vieillirons ensemble - La Saga des Babayagas, 2014, film documentaire

94


"Le dict des trois dames de Paris", vers 1320 • ©Watriquet de Couvin

De gauche à droite : Carmen, Marie-Christine et Flora, habitantes de la Maison des Babayagas de Montreuil (Seine-Saint-Denis). © Léa Crespi pour Télérama

95


« Alice Coffin le dit vraiment très bien - elle est tellement mal comprise cette femme c’est vraiment dommage - elle a dit ‘moi je veux effacer les hommes’. Alors bien sûr tous les médias ont dit ‘elle veut tuer les hommes nanana’ non ! Ce qu’elle essaie de dire, elle dit ‘moi dans ma vie, j’ai tellement étudié des auteurs masculins, écouté de la musique d’homme, nanana, que je voulais essayer de voir, si je pouvais en tant que femme penser différemment parce que j’aurais d’autres critères d’analyse et de normes dans ma tête. Donc je vais commencer à lire que des femmes, écouter de la musique que de femmes. Donc c’est très beau ce qu’elle dit. Elle dit juste que ‘il y a un système tellement fort et j’essaie de m’en extraire’. Ça ne veut pas dire que je vais aller tuer les hommes. Elle ne parle pas des hommes, elle parle du système patriarcal. Et je trouve ça très juste et très intéressant de se dire ‘ok, comment est-ce que je réfléchirais différemment ?’ » Une enseignante chercheuse

Le constat d’avoir des lieux créés spontanément par des groupes de femmes parce qu’aucune instance politique ne s’est souciée du besoin qu’elles ont à guérir est terrible. Grâce à de tels lieux, cependant, les femmes sont en situation d’empowerment. Ils sont aujourd’hui essentiels, car au delà de reprendre sa place au sein de la société, on prend place à l’échelle du bâtiment, et donc à l’échelle de la ville. Dans le même temps, on voit arriver quelques changements réjouissants. 96


En 2020, la Cité audacieuse voit le jour. C’est un espace de co-working pour des associations féministes qui se situe dans une ancienne école de garçon, à l’initiative de la ville de Paris. Ce lieu est dédié à l’égalité femmes-hommes et aux droits des femmes et est ouvert à toutes et à tous. C’est le collectif d’architectes féministes MéMO (Mouvement pour l’Équité dans la Maitrise d’Œuvre) qui s’est occupé de la transformation des lieux. Ces femmes architectes qui ont créé pour des femmes ont pensé en conséquence. Une attention particulière a été apportée aux questions d’hygiène, de sécurité et de confort. À la différence des projets précédents, ce lieu n’est pas une réponse directe aux violences ou l’exclusion faites aux femmes. Bien qu’il accueille des associations féministes qui répondent à l’inégalité femmes-hommes et aux violences faites aux femmes, c’est un véritable espace de travail, de rencontres. Dans le sixième arrondissement, une ancienne école de garçon, au cœur de Paris et proche du Sénat : ce lieu, en plus de ses qualités spatiales internes, occupe une place géographique symbolique. Que des projets comme celui-ci voient le jour est essentiel, d’autant plus quand ils sont à l’initiative de l’État. Ils ouvrent le champ des possibles en matière de programme architectural et de symbolique, vers des lieux inclusifs et audacieux.

97



CONCLUSION

L’architecture n’est pas qu’une affaire d’hommes. Les femmes sont bel et bien présentes et influentes dans cette profession. Elles ont influencé les espaces tels qu’on les connait aujourd’hui et continuent de créer de nouveaux modes d’habiter. La quantité de femmes médiatisées n’est finalement qu’une infime part de leur réelle présence. L’apport des femmes architectes à l’architecture et leur contribution à son évolution est indéniable. Les disparités entre femmes et hommes persistent tout de même et il est important de mettre en avant les espaces faits par et pour des femmes pour honorer leur travail. Ces espaces ont souvent des qualités intrinsèquement liées au fait d’avoir été créés par des femmes et il est essentiel, à mon avis, de s’inspirer de ces femmes pour à notre tour, réfléchir aux normes sociales et politiques qui influent directement la structure spatiale. C’est aussi être capable de créer des espaces inclusifs et faire preuve d’empathie pour permettre à toutes et tous, aussi différent·es qu’iels soient, de vivre l’espace de la meilleure des manières. Ces questions d’espace social et de système matriarcal m’intéressent tout particulièrement. L’écriture de ce mémoire m’a fait les découvrir et j’aimerais en apprendre davantage. Il serait intéressant de comparer l’organisation spatiale et sociale des sociétés matriarcales et de les opposer aux structures sociales et spatiales des sociétés patriarcales décrites ici. Cela pourrait être un travail 99


de terrain, afin d’être au plus près de la réalité de ces organisations. L’architecture par et pour les femmes ou par et pour les hommes invite à réfléchir de manière plus approfondie sur la question de l’appropriation des espaces publics et privés et de leur utilisation différenciée selon les sexes. Dans une dimension urbaine et sociale, où la ville et l’espace public sont la scène ouverte des inégalités de genre, s’intéresser à ses acteur·trices nous permet de vérifier les inégalités qui résultent du patriarcat. Dans La ville par et pour les hommes, Yves Raibaud nous apprend que le pourcentage des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent à 75% aux garçons. Sur les places publiques, les personnes qui s’y arrêtent et les occupent sont plutôt des hommes, tandis que les femmes les traversent. De nombreux lieux « pour femmes » sont d’ailleurs des réactions au système de domination patriarcale et un moyen de trouver une place : des structures, parfois informelles, qui répondent à la violence faite aux femmes par l’empathie et la protection. Quels sont les lieux dédiés aux femmes qui ne sont pas liés à la violence, ou en réponse à celle-ci ? Penser un lieu inclusif, faire preuve d’empathie, caring about, … lorsque les femmes créent, leurs espaces se teintent des qualités et des valeurs que prônent les sociétés matriarcales : la réciprocité, l’entraide, la communication non violente, la paix, le care. Ces lieux s’apparentent à des safe spaces*, ou espaces sécurisés. Ils offrent un refuge pour des communautés de personnes minoritaires reposant sur l’écoute sans jugement, sans oppression et sur l’entraide. 100


« Moi ce que j’ai expliqué à des collègues qui me sortaient un peu le même genre d’argument que ton prof masculin [voir Souvenir p.48], je leur ai dit ‘ce dont vous vous rendez pas compte, c’est qu’aujourd’hui les femmes s’en rendent compte’. Les jeunes en tout cas, celles qui ont ton âge, elles s’en rendent compte. Moi à mon époque quand un prof nous faisait une remarque sur notre manière de nous habiller, sur notre manière de parler, un commentaire positif, on trouvait ça sympa. Aujourd’hui, ça passe plus. Moi aujourd’hui si un membre du jury fait un commentaire à une de mes étudiantes - sur ses vêtements pas sur son projet bien sur, je lui demande de fermer sa gueule (rires). » Une enseignante chercheuse Il est important d’apporter une nuance à mes propos, puisque tous les hommes ne sont pas directeurs d’agence et toutes les femmes ne sont pas salariées. Il s’agit ici de parler d’un sexisme systémique* et d’une misogynie intégrée au sein du milieu de l’architecture. Toutes les femmes ne sont pas impactées de la même manière par le patriarcat. Plusieurs facteurs entrent en compte : cela peutêtre le milieu social (comme pour Minnette De Silva, dont la famille était riche et influente au Sri Lanka) ou les relations personnelles et professionnelles comme des amitiés ou des relations amoureuses. Certaines femmes sont parfois elles aussi en quête de pouvoir et de notoriété. Parmi tous ces aspects, il est important de retenir que nous sommes capables de reprendre en main le cours de l’Histoire, 101


aussi bien passée, présente et future. Il n’appartient qu’à chacun·e d’entre nous de contribuer à l’architecture par et pour les femmes, en participant à révéler les femmes architectes, citer leurs travaux, partager leurs références, apprendre de leur manière de concevoir les espaces, etc. C’est aussi être capable de mettre en œuvre des actions à des échelles différentes contre les discriminations. Cela peut être le fait d’expliquer à son ou à sa collègue qui vient de faire une blague sexiste, raciste ou homophobe, en quoi ce qu’iel vient de dire est problématique ou de prendre la défense d’une personne qui vient d’être discriminée devant nous. À l’ENSA Paris Val de Seine, en 2021, un collectif d’étudiant·es ont créé Réagir PVS (réagir et protéger contre les violences sexistes et sexuelles). Leurs objectifs sont d’orienter et soutenir les victimes, communiquer et informer les étudiant·es au sein de l’école, et d’agir ensemble en proposant différents supports destinés à une prise de conscience. « Ne nous libérez pas, on s’en charge »41 De nombreux autres collectifs œuvrant dans le domaine urbain et architectural ont vu le jour ces dernières années et participent activement à un rééquilibre de l’information en mettant à l’honneur le travail des femmes. Pour n’en citer que quelques uns, il y a les associations féministes qui organisent des journées du matrimoine (en réponse aux journées du patrimoine) comme le collectif MéMO, mais également l’Architecture qui dégenre créé par Apolline Vranken, « une plateforme qui questionne l’ordre 41  Titre d’un ouvrage Ne nous libérez pas, on s’en charge : Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours (PAVARD et al., 2020)

102


dominant, construit l’égalité, édifie l’optimisme. »42 Les réseaux sociaux constituent une plateforme où circulent de nombreuses ressources permettant de mettre en avant la conception par les femmes, moyen de contrebalancer la puissance médiatique mettant majoritairement des hommes en avant. Je crois en une génération montante en architecture qui réussira à continuer de s’affranchir des systèmes de dominations dans nos espaces en proposant des solutions alternatives aux schémas que nous apprenons et connaissons. Il faut continuer à transmettre, partager et mettre en avant des œuvres de femmes. Il n’est plus question de faire comme si elles n’avaient pas existé, ne nous avaient pas influencé·es. Le passé c’est le passé, mais le futur est entre nos mains et nous participons à son écriture. Il est temps d’écrire.

42  Page Facebook L’Architecture qui dégenre

103


LEXIQUE

Cisgenre : « Se dit d’un individu dont l’identité de genre est en accord avec son sexe (celui qu’indique son état civil) » , définition de linternaute (en ligne) Épicène : « Qui a la même forme au masculin et au féminin », cf. Dupré Lex. 1972 Charge mentale : « Travail de gestion, d’organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence » Nicole Brais Féminisme : « Mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique; doctrine, idéologie correspondante » définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (en ligne) Habitus : « Manière d’être d’un individu, liée à un groupe social et se manifestant dans son apparence physique (vêtements, maintien…) » - Dictionnaire Le Robert (en ligne) 104


Féminisme intersectionnel : « Il existe une multitude d’oppressions simultanées qui viennent s’ajouter à celle du patriarcat, comme la classe sociale, la religion, la couleur de peau, le handicap ou encore l’orientation sexuelle. Selon la théorie intersectionnelle, les femmes noires, maghrébines, ou asiatiques par exemple, seraient «racisées», un terme qui indique qu’elles subissent non seulement le sexisme mais aussi le racisme. [Pour moi] le féminisme doit s’adapter à cette réalité et combattre simultanément ces discriminations sans chercher à les hiérarchiser. » Cécile Denayrouse et Marianne Grosjean, https://www.tdg.ch/_external/interactive_wch/tdg/2019/feminisme/intersectionnel.html Intersexe : « Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins », définition de l’UNFE Patriarcat : « Type d’organisation sociale où l’autorité domestique et l’autorité politique sont exercées par les hommes chefs de famille » définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (en ligne) Safe spaces : Issus des groupes marginalisés et militants, espaces sécuritaires se voulant être des lieux exempts d’oppression et de jugement entre les membres d’une communauté. Julie Levasseur, Démystifier les « safe spaces », 2017, Montréal Campus 105


Sexisme : « Attitude discriminatoire fondée sur le sexe » finition Larousse (en ligne) Systémique : « Relatif à un système dans son ensemble » Définition le Robert (en ligne)

On parle notamment de racisme systémique, qui « désigne l’ensemble de la structure sociétale composée d’institutions, de lois et de politiques qui maintiennent un système d’inégalités qui privilégie et opprime différents groupes dans la société selon la « race » qui leur est attribuée. Ces inégalités confèrent des privilèges aux personnes blanches et portent atteinte aux droits des personnes noires, racisées et autochtones. » Définition d’Amnistie Internationale

Valide : « Qui est en bonne santé, capable de travail. » définition Larousse (en ligne) Le terme valide s’utilise ici en opposition aux personnes dites non-valides, ou invalides : « En parlant d’une personne du point de vue de son intégrité corporelle et psychique [… ] Qui n’est pas valide; qui est rendu, de manière plus ou moins durable, inapte à mener une vie active, en particulier une vie professionnelle normale du fait d’une blessure, d’un accident, d’une maladie ou de l’âge. » définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (en ligne)

106


TABLE DES ILLUSTRATIONS

Couverture Collage - Fait par l’auteure Publication instagram « Architecte, c’est un métier d’hommes » @cesphrasesdarchi

p.9

p.24 Photo de la Villa Benedetta Extrait du livre de C. Benocci, M. Fagiolo (2016) Gianicolo: il colle “aureo” della cultura internazionale, della sacralità e della memoria, Artemide, Roma 2016, cds p.25 Peinture de Plautilla Bricci Collage d’une partie de la couverture du livre L’architettrice de Melania G. Mazzucco, 2019. Le Modulor Dessin de Le Corbusier

p.27

Femme à la manière du Modulor de Le Corbusier Cad Modulor People - Toffu

p. 29

Illustration de la Maison de Verre de Lina Bo Bardi Josephin Ritschel, Casa de Vidro, 2016

p.31

p. 38 Dessin de Marina Tabassum Fait par l’auteure, d’après une photo de Sounak Das (2012) 107


Photo de la Mosquée de Bait ur Rouf p.39 Intérieur de la mosquée de Bait ur Rouf, Dacca © MARINA TABASSUM ARCHITECTS Photo d’un groupe d’architectes (noir&blanc) p.45 Being an architect and a mother at the office of Almut Grüntuch-Ernst. © Edgar Rodtmann (for DAM – Deutsches Architekturmuseum). Dessin d’Adrienne Gorska Fait par l’auteure, d’après une photo anonyme de 1920

p.52

Photo du Studio de Tamara Lempicka Adrienne Gorska, architect, Paris 1934

p.52

Photos de l’immeuble du Normandie © Laurent Beaudouin

p.52

Photoshop de Patty Hopkins p.55 Photo prise à l’exposition RIBA + photoshop de la BBC http://www.architectsjournal.co.uk/news/bbc-slammedfor-bias-after-patty-hopkins-is-sidelined-in-tv-show Aquarelle du Musée p.60 Gae Aulenti, Aménagement intérieur du musée d’Orsay, coupe transversale, aquarelle, 1982 Vue extérieure de la Villa E-1027 p.61 « Vue extérieure de la villa E-1027 conçue par Eileen Gray et Jean Badovici à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes). Au-dessus de la villa, les unités de camping réalisées par Le Corbusier (1955-1957), le restaurant L’Etoile 108


de mer ouvert par Thomas Rebutato en 1949, et le Cabanon de Le Corbusier (1952) » Le Monde © Manuel Bougot, 2021 Dessin de Minnette De Silva p.62 Fait par l’auteure, d’après une photo de PAP, « Minnette de Silva and politician George de Silva at the 1948 World Congress of Intellectuals in Defence of Peace » Maison Asoka Amarasinghe, Colombo, 1954 © Ellen Dissanayake, Orientations, 1982

p.63

Maison Karunaratne, Kandy, 1954 p.63 Salle à manger regardant l’étude au niveau intermédiaire, photo anonyme, début des années 50 Photo « de classe » - Minnette De Silva p.63 CIAM VI, Bridgwater (1947). Minnette de Silva (assise, en sari) y représentait Ceylan et l’Inde. Publication instagram p.69 « Oh c’est une accroche de sac à main ? [...] » @cesphrasesdarchi Publication instagram « Ta cuisine est mal dessinée [...] » @cesphrasesdarchi

p.73

Cuisine de l’appartement n° 50, Cité Radieuse, Mar- p.75 seille Site internet Cité Radieuse Marseille, https://citeradieuse-marseille.com/lieux-decouvrir/ 109


Publication instagram p.77 « Vous faites un projet pour les femmes mais votre bâtiment est d’une masculinité forte ! » @cesphrasesdarchi Photo du Musée de Niteroi de Niemeyer p.80 Zulluh, L. (s. d.). Oscar Niemeyer, Musée d’Art Contemporain de Niterói, Brésil. https://www.atribunarj.com.br/ museu-de-arte-contemporanea-de-niteroi-celebra-24anos-de-fundacao/ Photo du MASP de Lina Bo Bardi p.80 MASP (Museum of Art of São Paulo), 1968, https:// www.repubblica.it/cultura/2021/03/09/news/biennale_architettura_il_leone_d_oro_alla_memoria_a_lina_bo_bardi-291072009/ Hollycock House - FLW p.84 Hollyhock House exterior © Joshua White - https://www. discoverlosangeles.com/fr/la-hollyhock-house-de-franklloyd-wright-lhistoire-dune-icône-de-los-angeles Maison de Constance Perkins - Neutra p.85 Crédits non mentionnés : https://cornelljournalofarchitecture.cornell.edu/issue/issue-11/glossophobia Maison Schröder - Rietveld p.86 Crédits non mentionnés : https://franckgintrand. com/2017/09/06/les-20-plus-celebres-maisons-darchitectes-construites-de-1910-a-1928-lentree-dans-la-modernite/ 110


Maison Farnsworth - MVDR p.87 © YORGOS EFTHYMIADIS https://divisare.com/projects/397743-ludwig-mies-vander-rohe-yorgos-efthymiadis-farnsworth-house Vanna Venturi House - R. Venturi p.88 © Matt Wargo https://archive.curbed.com/2016/11/17/13666216/vanna-venturi-house-tour-denise-scott-brown-robert-venturi «Le dict des trois dames de Paris» vers 1320 © Watriquet de Couvin

p.93

Habitantes - maison des Babayagas © Léa Crespi pour Télérama

p.93

Illustration Déboussolée, Faite par l’auteure - illustration réalisée à la tablette graphique, interprétation d’après photo

Cette illustration est issue de mon travail de PFE qui traite d’un lieu pour les femmes à Firminy. Le programme est en deux parties s’articulant entre un lieu commun et culturel de partage, d’apprentissage, d’apaisement et un lieu d’habitation.

111


BIBLIOGRAPHIE

Tri par ordre alphabétique par nom de l’auteur·trice ÁLVAREZ, E. (2017, mars 8). The Invisible Women : How female architects were erased from history. Architectural Review. https://www.architectural-review.com/essays/the-invisible-women-how-female-architects-were-erased-from-history AMNISTIE INTERNATIONALE. Racisme systémique. (s. d.). https://amnistie.ca/campagnes/racisme-systemique BOYER, G. (2020). Oscar Niemeyer, père de l’architecture moderne et poète de la courbe. Connaissance des Arts. https:// www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/architecture/oscar-niemeyer-ou-leloge-de-la-courbe-1110584/ BRUGVIN, M. (2021, septembre 21). Le triomphe de Christo et l’effacement de Jeanne-Claude. i-D. https://i-d.vice.com/ fr/article/88ny94/le-triomphe-de-christo-et-leffacement-dejeanne-claude CALVÈS, A.-E. (2009). « Empowerment » : Généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement. Revue Tiers Monde, 200(4), 735‑749. Cairn.info. https://doi. org/10.3917/rtm.200.0735 CENTRE HUBERTINE AUCLERT. (2011). Manuels de seconde et de CAP : l’histoire des femmes sous silence. CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES. (2020). Archigraphie. 112


CITÉ RADIEUSE MARSEILLE. Un concept - Le Corbusier, une équipe dans la modernité. (s. d.). https://citeradieuse-marseille.com/la-cite-radieuse/concept/ CRINÒ, L. (2021). Lina Bo Bardi, la regina dell’architettura riscoperta dalla Biennale di Venezia - La Repubblica. https://www. repubblica.it/cultura/2021/03/09/news/biennale_architettura_il_leone_d_oro_alla_memoria_a_lina_bo_bardi-291072009/ DADOUR, S. (2018, décembre 11). Genre et espace : Une table-ronde entre professionnel.le.s - D’architectures. https:// www.darchitectures.com/genre-et-espace-une-table-rondeentre-professionnel-le-a4326.html DELVAUX, M. (2019). Le boys club. Les éditions du remue-ménage. https://www.editions-rm.ca/livres/le-boys-club/ DIVISARE, (2018). Gae Aulenti Architetti Associati, Musée d’Orsay. https://divisare.com/projects/383538-gae-aulenti-architetti-associati-mariano-de-angelis-musee-d-orsay DOMINEY, É. (2020). Architectes pionnières - Première partie : La France — Article & Visite virtuelle. Le Cercle Guimard. https://www.lecercleguimard.fr/fr/architectes-pionnieres-partie-i-la-france-article-visite-virtuelle/ FLEURY, A. (2009). L’espace public. La Découverte. https:// journals.openedition.org/cybergeo/23242 FRIEDMAN, A. T. (1998). Women and the Making of the Modern House : A Social and Architectural History. Yale University Press. 113


GILLIGAN, C., & Snider, N. (s. d.). Pourquoi le patriarcat ? Flammarion Paris. GOETTNER-ABENDROTH, H. (2020). Les sociétés matriarcales : Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde. Des femmes. GOURARIER, M. (2016). Sociorama—Séducteurs de rues. Casterman. GRAY, E., & BADOVICI, J. (1929). E.1027 Maison en bord de mer. L’Architecture vivante. HALL, J. (2019). Je ne suis pas une femme architecte : Je suis architecte. Phaidon. https://books.google.fr/books?id=TuWkywEACAAJ HÉRITIER, F. (1996). Masculin/Féminin : La pensée de la différence. Odile Jacob. HEYNEN, H. (2007). L’inscription du genre dans l’architecture. Perspective. Actualité en histoire de l’art, 4, 693‑708. https://doi. org/10.4000/perspective.3575 HUGHES. (1996). La place du travail de terrain dans les sciences sociales. Le regard sociologique. LANGDON, D. (2018, octobre 28). AD Classics : São Paulo Museum of Art (MASP) / Lina Bo Bardi. ArchDaily. https:// www.archdaily.com/537063/ad-classics-sao-paulo-museum-ofart-masp-lina-bo-bardi 114


LAPEYRE, N. (2004). Les femmes architectes : Entre créativité et gestion de la quotidienneté. Empan, 53(1), 48‑55. Cairn.info. https://doi.org/10.3917/empa.053.0048 LARROCHELLE, J.-J. (2013, avril 12). Denise Scott Brown, le Pritzker, vingt ans après. Le Monde.fr. https://www.lemonde. fr/culture/article/2013/04/12/denise-scott-brown-le-pritzkervingt-ans-apres_3158630_3246.html LEVASSEUR, J. (2017, mars 15). Démystifier les « safe spaces ». Montréal Campus. https://montrealcampus.ca/2017/03/15/demystifier-les-safe-spaces/ LEXPRESS.FR. La « charge mentale », le syndrome des femmes épuisées « d’avoir à penser à tout ». (2017, mai 10). //lexpansion. lexpress.frhttps://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-chargementale-le-syndrome-des-femmes-epuisees-d-avoir-a-pensera-tout_1906874.html MANISSADJIAN, L. (2021). La construction de la femme architecte dans un environnement d’hommes. MAURIN, L. (2018). Comprendre les inégalités. Observatoire des inégalités. MERCADAL, T. (2018). Femme architecte. MOTS-CLÉS. (2019). Manuel d’écriture inclusive. PAVARD, B., ROCHEFORT, F., & ZANCARINI-FOURNEL, M. (2020). Ne nous libérez pas, on s’en charge : Une his115


toire des féminismes de 1789 à nos jours. La Découverte. https:// www.editionsladecouverte.fr/ne_nous_liberez_pas_on_s_en_ charge-9782348055614 PERNIN, I. (2017). Dossier « Laisser son nom : Femmes et actes de mémoire dans les sociétés anciennes ». Clio. Femmes, Genre, Histoire, 45, 309‑311. https://journals.openedition.org/ clio/13605 PINTO, S. (2018, décembre 14). Minnette de Silva : The brilliant female architect forgotten by history. The Guardian. https:// www.theguardian.com/cities/2018/dec/14/minnette-de-silva-the-brilliant-female-architect-forgotten-by-history PROSPECT. (2020). The world’s top 50 thinkers for the Covid-19 age. https://www.prospectmagazine.co.uk/content/ uploads/2020/09/PWTT20.pdf REVILLARD, A. (2008). Fiche technique servant de support à la réalisation de l’entretien demandé dans le cadre du TD d’initiation à l’investigation empirique - Licence 1 Sociologie et science politique, Université Paris Nord Villetaneuse. SWHITALLA, U. (2021). Women in architecture : Past, present, and Future. THOMAS, M. (s. d.). Chez les chasseurs-cueilleurs, les femmes s’attaquaient aussi au gros gibier. Libération. https://www.liberation.fr/planete/2020/11/05/chez-les-chasseurs-cueilleurs-lesfemmes-s-attaquaient-aussi-au-gros-gibier_1804703/

116


UNESCO - Cours universitaire sur la théorie du genre. - http:// www.unesco.org/new/fileadmin/ MULTIMEDIA/HQ/BSP/ GENDER/PDF/L1final_01.pdf UNFE. (s. d.). Intersexe : Note d’information. VERDIER, T. (2018). La villa Benedetta et la difficile carrière de Plautilla Bricci, femme architecte dans la Rome du XVIIe siècle. Livraisons de l’histoire de l’architecture, 35, 41‑56. https://doi. org/10.4000/lha.924 WAITE, R. (2014, mars 5). BBC slammed for ‘bias’ after Patty Hopkins is sidelined in TV show. The Architects’ Journal. http:// www.architectsjournal.co.uk/news/bbc-slammed-for-bias-after-patty-hopkins-is-sidelined-in-tv-show ZULLUH, L. (s. d.). Oscar Niemeyer, Musée d’Art Contemporain de Niterói, Brésil. https://www.atribunarj.com.br/museude-arte-contemporanea-de-niteroi-celebra-24-anos-de-fundacao/ @cesphrasesdarchi (compte instagram) @architecturequidegenre (compte instagram) @Laurent Baudouin (page facebook)

Architecte, enseignant TPCAU à l’ENSAPVS

Quel·le féministe êtes vous ? https://www.tdg.ch/_external/interactive_wch/tdg/2019/feminisme/index.html 117


ANNEXES

Grille d’entretien Mode : téléphonique Durée moyenne : 1 heure Je me suis appuyée sur les Fiches Techniques d’Anne Revillard qu’on peut retrouver sur son blog annerevillard.com. PRÉSENTATION • Pouvez-vous me résumer votre parcours universitaire et professionnel ? • Comment en êtes vous arrivée à entreprendre des recherches liant genre et architecture ? • Sous le prisme du genre, quel regard portez vous sur votre parcours ? INVISIBILISATION • Avez-vous déjà connu des situations où vous avez personnellement vécu une forme d’invisibilisation ? Si oui, avez-vous un ou plusieurs exemples ? • Selon vous, comment l’image de ce qu’est une femme peut impacter la femme architecte ?

118


PAR ET POUR LES FEMMES : du point de vue de la carrière • Lorsque l’on est une femme architecte, comment notre genre peut-il impacter notre carrière ? • Avez-vous déjà ressenti personnellement une différence liée à votre genre lors de votre carrière ? Avez-vous un ou plusieurs exemples ? • Lorsque les femmes sont représentées, médiatisées, exposées, comment ? • Comment ou pour quelles raisons certaines se démarquent-elles ? • Comment peut-on, en tant que femme, trouver sa place au sein d’un environnement masculin ? • Avez-vous des exemples de femmes architectes dont le travail a été invisibilisé et que vous aimeriez partager ? PAR ET POUR LES FEMMES : du point de vue de la spatialité • Y a-t-il souvent des appels à projets pour des lieux pour des femmes ? • Avez-vous des exemples de lieux faits par et pour des femmes, récents ou anciens, architecturaux ou informels ? • Les lieux créés par des femmes ont-ils des qualités inhérentes au fait d’avoir été créés par elles (et non pas par des hommes) ? • Pensez-vous qu’il existe une architecture ou des spatialités genrées ? Les femmes produisent-elles différemment que les hommes ? • Y a-t-il des sujets ou questions que je n’ai pas abordé et dont vous aimeriez parler / qui vous semblent important de souligner ? 119





Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.