Exposition photographique et vidĂŠo Lucie Jean et Olga Widmer
En mai 2004, chacune de notre côté et sans se connaître, nous avons photographié ou filmé des spectateurs qui naviguaient dans l’espace Son/Vidéo de la Bpi. Des raisons différentes nous avaient amenées dans ce lieu.
«C’est en rencontrant jour après jour ce public spécifique, au sein de l’espace Son/Vidéo, où j’ai pu travailler pendant quelques mois, en tant qu’agent d’accueil, que le projet d’une série de portraits photographiques s’est construit. J’ai d’abord remarqué certaines personnes, puis peu à peu, j’ai appris à les connaître à travers leurs attitudes, leurs expressions, et surtout leurs «habitudes». Certains viennent regarder un documentaire en particulier, d’autres écouter leur morceau favori, pour d’autres c’est peut-être juste être là : saluer et échanger quelques mots avec le personnel, serrer la pince à un ami que l’on croise ici quotidiennement. Les documents visuels et sonores qu’ils viennent enregistrer à l’accueil sont l’occasion d’un échange. Installée derrière ce bureau, je suis face à eux, je peux sentir leur caractère à leur manière d’être là, de me parler, de s’adresser aux autres, d’exprimer leur stress, leur sociabilité, leurs angoisses, leurs états d’âme. Retranscrire ce rapport frontal entre eux et moi, capter ces regards, ces éclats d’émotion, aux yeux fixés vers l’objectif, et afin de fixer une partie de leur histoire, d’en témoigner. Arracher leur image à ce temps suspendu que peut être cette solitude de l’écoute, du visionnage.» Lucie Jean
Présentation : rencontre
«Au fil de mes études, je suis venue régulièrement à l’espace vidéo pendant deux ans. Je voulais découvrir les différents styles de documentaires et les dispositifs de réalisation, tenter de capter les clés de cet art. Au fur et à mesure de mes allées et venues dans cet espace, le désir de connaître les personnes qui visionnent les mêmes films que moi est né. Chaque poste de visionnage étant séparé par un panneau, mes voisins spectateurs étaient toujours hors de mon champ de vision. Je n’osais pas regarder la personne à mes côtés ou en face de moi car contempler un visage dont le regard ne m’est pas adressé me donnait une sensation de voyeurisme. J’ai alors décidé d’apporter ma caméra, pour que le temps du tournage ces spectateurs deviennent visibles. Je m’étais également équipée d’un mini-disc pour enregistrer mes entretiens. Mes questions ont porté sur les films qu’ils viennent voir, la fréquence de leur venue et ce que le lieu leur apporte. En avril 2004, une autorisation de tournage m’a été délivrée et l’on m’informa du futur remaniement de l’espace vidéo. Cette échéance donna d’autres dimensions à mon travail.» Olga Widmer
Une bibliothèque publique représente bien plus à nos yeux qu’un simple lieu de lecture ou de divertissement. À l’heure où la valeur marchande est une des valeurs dominantes, sa gratuité lui confère une place d’exception. Son libre-accès permet à tout un chacun d’y venir le temps nécessaire à sa guise.
Le lieu Dans la bibliothèque Georges Pompidou se croisent de nombreux chemins, univers, histoires : un public hétérogène venu travailler, mais aussi rêver, dormir, discuter et se rencontrer. Un lieu se détachait de l’ensemble : l’espace Son/Vidéo. Comme un aquarium, il est clos par des vitres où nous sommes protégés du mouvement incessant de la bibliothèque. Dès nos premiers pas dans son allée centrale, entre les casiers de vidéodisques et les postes de lecteurs CD, les bibliothèques de cassettes U-matic et les cabines avec leurs postes quasi-ancestraux, une atmosphère particulière nous saisit. Parfois chaleureuse, parfois tellement électrique. Là, chacun suit un rituel bien précis : choisir son film, enregistrer sa place, s’installer, tapoter son code, chiffonner son ticket, mettre la cassette, souvent la même et enfin regarder son film et parfois jeter un coup d’oeil sur celui du voisin. Une série de gestes précis, répétés chaque fois, toujours en suivant un déroulement habituel.
À la source du projet
Les rencontres Dans l’espace vidéo nous avons découvert des parcours de vie très différents mais qui se rejoignaient tous par leur attachement à la bibliothèque et aux films qu’ils visionnaient. La fréquence et les motivations de leur venue confirmaient notre impression d’un lieu-refuge. Jacky et Paul regardent inlassablement des documentaires et reportages sur la guerre pour revoir et «prendre conscience» des conflits mondiaux et plus particulièrement ceux en Afrique et en Asie. L’espace vidéo est pour eux un refuge loin des violences de la rue et de la répression policière. Pour Rachid, qui «galère sur le plan logement» il peut rester au chaud et s’enivrer des films de musique des années quatre-vingt. Souvent après l’université, Jing se repose en regardant un documentaire sur des écrivains ou sur son héros, Napoléon.
Le dispositif est une citation de l’espace vidéo tel qu’il était lors de notre travail (l’espace ayant été depuis remanié) : celle-ci prendrait la forme d’un rectangle de quatre mètres sur cinq avec des murs en verre transparents pour y deviner les allées et venues à l’intérieur.
Les photographies Sur l’extérieur des parois, les photos des usagers seront exposées. Le visiteur découvrira d’abord des visages, sur lesquels il pourra déjà pressentir une multitude de récits de vie et d’histoires. Les prises de vue sont réalisées au pied, de derrière le bureau d’accueil. Mais elles ne respectent jamais tout à fait les mêmes cadrages, pour saisir à chaque fois de manière libre la vérité des personnes plus que le réalisme des détails. Le face à face est mis en relief par l’espace autour, reconnaissable mais rendu indistinct par la faible profondeur de champ. Les personnes rencontrées ont accepté le défi du portrait, au risque d’être saisies dans leur intimité, intensité. Chacune a sa propre manière de se présenter : le regard qui se perd au loin ou au contraire qui fixe celui du photographe, les mains qui serrent une cassette, ou se cachent dans les poches, le sourire qui s’offre, ou se refuse. Quelle que soit l’attitude, silencieuse ou expressive, elle «raconte». L’empreinte de la vie, de l’histoire, semble soudain rendue lisible l’espace d’un instant fugitif, saisi par l’appareil photographique.
Parcours et dispositif de l’exposition
Le film À l’intérieur, sur une table carrée entourée de bancs, seront installés quatre téléviseurs et magnétoscopes équipés chacun de deux casques. Le visiteur reprendra certaines habitudes propres aux vidéothèques. Il pourrait influer sur le cours de la lecture : rembobiner, avancer, arrêter, revoir... Le film, d’une durée de 25 minutes, présente huit portraits de spectateurs, montés l’un à la suite de l’autre. Les portraits de Jing, Monica, Rachid, Claudine, Paul et Jacky sont montés avec des sons et des images dissociés. Nous les découvrons à la recherche de leur cassette, puis installés devant leur poste à regarder leur documentaire. Sur ces images, des entretiens sont montés en voix-off. Chacun nous parle d’un documentaire en particulier et des raisons qui l’amènent dans ce lieu. Seuls Gérard et d’Emmanuel sont silencieux. La quasi-immobilité du spectateur a influé sur le rythme du montage. La durée des plans met en valeur les petits mouvements des lèvres, des yeux, des mains et dévoile avec tension le passage de l’immobilité au mouvement. Ces cadres captent l’intimité de chaque spectateur, mais aussi le va-et-vient qui s’opère dans le second plan. Le son amène à voyager dans l’esprit de ces personnes avec lesquelles nous sommes raccordés par les écouteurs. L’effet miroir entre le spectateur de l’espace vidéo et le visiteur de l’exposition questionne sur notre identité et sur nos goûts.
Espace extĂŠrieur : installation photo
Montage de l‘exposition (une proposition)
Espace intérieur : installation vidéo
Paul : « D’abord moi, comme je suis originaire d’Afrique et que là bas il y a toujours la guerre, alors moi ça m’intéresse de voir les films sur la guerre. Parce qu’ici il y a des films sur les vraies guerres, comme au Vietnam, en Chine ou en Afrique j’aime beaucoup voir ça. Car cela me donne des images claires sur ces guerres.»
Le film / Olga Widmer
Claudine : « Ah, le film que je regarde régulièrement c’est La Flaka. C’est un film chilien sur des femmes qui ont été victimes de Pinochet, et qui trente ans après essaient de retrouver leurs bourreaux.(...) C’est très touchant, il y a trois femmes qui discutent entre elles, pour comprendre leur propre histoire et les mécanismes de la torture. Comment la destruction existe quand on n’a pas de retour en arrière.(...) Il faut que la vérité se sache, donc on filme avant que tout se détruise, pour les générations suivantes. Et c’est en cela que c’est intéressant. »
Les photographies / Lucie Jean