rem koolhaas et le modernisme

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« Pourquoi avoir un esprit, sinon pour en faire à sa tête ? » Dostoïevski cité par Rem Koolhaas Rem Koolhaas, Introduction de New York Délire, éd. Le Chêne, Paris, 1978, p.9.

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MERCI A Mes parents, Gilles Ragot, Xavier Calderon, Claire Parin, Antonio Brucculeri, La Hochschule Liechtenstein, L’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION REM KOOLHAAS AUJOURD’HUI LA DECENNIE DECISIVE : 1968-1978 UNE LIGNEE D’ARCHITECTES UNE REPETITION DIFFERENTE AVANT REM KOOLHAAS, LE CORBUSIER

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REM KOOLHAAS E T LE CORBUSIE R : DES ARCHITE CTES SI DIFFERENTS ? DES SIMILITUDES DANS LES DEUX CARRIERES DEUX MANIFESTES FEDERATEURS CINQ POINTS COMME SYNTHESE DES DEUX DOCTRINES DEUX VILLAS EMBLEMATIQUES COMME ILLUSTRATION DES 5 POINTS DEUX ARCHITECTES NON-CONFORMISTES

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REM KOOLHAAS : LES RELATIONS ENTRE TENUES AVEC LE MODE RNISME LES CLINS D’ŒIL DES VILLAS LES METHODES DE CONCEPTION LES EXPERIENCES MODERNES LES MODES DE COMMUNICATION LE REJET DE L’URBANISME DES CIAM

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CONCLUSION ARCHITECTURE ET EVOLUTION

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CORPUS D’ETUDE

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INTRODUCTION

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REM KOOLHAAS AUJOURD’HUI

COMBAT Rem Koolhaas1 est certainement l’architecte le plus influent de la scène architecturale mondiale actuelle. Chacune de ses apparitions, de ses publications, chacun de ses projets déclenche à la fois une forme d’engouement, pour ne pas dire de fanatisme, et une vive critique. Il est à la tête de l’Office for Metropolitan Architecture2, une « agence internationale de premier plan dans la pratique de l'architecture, de l'urbanisme, et de l'analyse culturelle »3. Il est également à la tête de l’AMO, la branche conceptuelle de l’OMA qui explore des territoires au-delà de l’architecture en se focalisant sur des développements sociaux, économiques, et technologiques. Ainsi, ses projets, ses publications et ses conférences lui permettent de mener, avec une approche critique, un combat contre le régime du Y€$ et de l’espace limité, un combat contre la belle forme et les bâtiments iconiques. « La critique architecturale classique tend à conclure toute étude d’un projet de l’OMA soit en louant de manière générique l’intelligence de son travail, son attention renouvelée pour la ville, sa réanimation remarquée des responsabilités sociales endormies ou sa manière néomoderne d’éviter les excès formels, de ses schémas réducteurs caricaturaux ou de ses constructions à bas prix, voire laides. Chacun de ces jugements trouve sa confirmation dans un projet de l’OMA, mais aucun ne parvient à saisir pourquoi l’architecture de Koolhaas est aujourd’hui devenue l’architecture la plus discutée et la plus influente dans le monde »4, Véronique Patteeuw, 2004.

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Rem Koolhaas est un architecte né en 1944 à Rotterdam. L’Office for Metropolitan Architecture est une agence d’architecture internationale basée à Rotterdam et dont le sigle est OMA. Détail amusant, le terme oma signifie grand-mère ou mamie en néerlandais et en Allemand. 3 Traduction personnelle de “OMA is a leading international partnership practicing architecture, urbanism, and cultural analysis”, citation tirée du site Internet de l’OMA: http://www.oma.nl/ 4 Véronique Patteeuw, citation tirée de Qu’est-ce que l’OMA – À propos de Rem Koolhaas et de l’Office for Metropolitan Architecture, Paris, Editions du Moniteur, 2004. 2

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CONGESTION L’observation de l’architecture des gratte-ciels de Manhattan du premier tiers du XXe siècle comme paradigme de la « culture de congestion » et comme base d’une culture moderne désirable est le point de départ du travail de Rem Koolhaas dans les années soixante-dix. Il défend alors la dimension urbaine de l’architecture. Le livre New York Délire publié en 1978, est écrit à la suite de cette observation et nous dévoile le récit de l'architecte héro capable de condenser, de modeler, et de célébrer un urbanisme métropolitain extrêmement allusif. AVANT-GARDE Rem Koolhaas est avant tout un architecte profondément ancré à son époque. Il apprécie le monde dans lequel il vit, mais garde constamment une distance critique suffisamment grande pour ne pas devenir protagoniste des situations et des phénomènes qu’il étudie dans ses publications. En mettant de côté toute forme de jugement ou d’apriori, il peut comprendre et apprécier le monde dans sa réalité. Sa Pensée est motivée par une forte croyance moderniste comme condensateur social, économique et formel, et par la nostalgie accablante de la radicalité disparue des avant-gardes du début du XXe siècle. Il considère l’architecte comme un créateur de mythes qui aurait aujourd’hui perdu toute crédibilité. Il doit redevenir quelqu’un de sérieux, grâce à la théorie, pour pouvoir écrire et dessiner le mythe de la ville de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Rem Koolhaas essaye donc d’être un architecte sérieux puisque la théorie anime ses projets. Cependant, il ne revendique l’appartenance à aucun mouvement et garde toujours une distance critique face à ses références et à ses propres projets. Il veut éviter le bon goût et ses projets ont “suffisamment de cohérences internes et de références externes pour produire du sens”5. « La notion de goût n’a d’ailleurs aucun sens, comme le démontrent les emprunts que Koolhaas et Zenghelis font constamment à des vocabulaires modernes sans force expressive mais le recours au Moderne n’est cependant pas gratuit et signifie que pour l’OMA ce mouvement est loin d’avoir tout dit, que les cultures de masse et celles de la congestion, l’artificiel et le superficiel sont, aujourd’hui plus que jamais, au centre de la réflexion. Koolhaas l’avait fort bien compris, lui qui prédisait dans son New York Délire que l’architecture contemporaine serait violente, vulgaire, riche, neuve et commune »6, Aaron Betski, 2004.

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Aaron Betski, Rem Koolhaas : le feu de Manhattan dans l'iceberg du modernisme, article du livre de Véronique Patteeuw, Qu’est-ce que l’OMA – À propos de Rem Koolhaas et de l’Office for Metropolitan Architecture, Paris, Editions du Moniteur, 2004. 6 Ibidem.

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SIGNATURE Si la recherche du bon goût ne trouve aucun fondement dans l’architecture de l’OMA, la collecte obsessionnelle de données statistiques vise quant à elle à enraciner son architecture dans l'analyse et le pronostic et non plus dans la forme. Il justifie d’ailleurs souvent ses projets en s’appuyant sur des statistiques. Cette méthode de projet permet à Rem Koolhaas de créer une architecture qui relève à la fois de la marque déposée et de la signature critique. Aaron Betski remarque cependant à travers la confidence de l’un des employés de l’OMA, que depuis quelque temps, les architectes de l’agence semblent «obsédés par la création de formes amusantes »7. Il se demande alors : « Rem Koolhaas est-il devenu un architecte classique qui ne fait "que" concevoir des silhouettes identifiables? »8. Question à laquelle il répond en expliquant qu’avec Rem Koolhaas, « l'architecture n'est plus qu'une simple question de construction, mais de concentration de données en une forme qui soit à la fois suffisamment imaginaire (moderniste) et séduisante (manhattanisme) pour devenir mythique. Il a libéré l'architecture du lieu, de son créateur, et même de la matérialité, sans la laisser disparaître dans le néant. »9

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Aaron Betski, Rem Koolhaas : le feu de Manhattan dans l'iceberg du modernisme, article du livre de Véronique Patteeuw, Qu’est-ce que l’OMA – À propos de Rem Koolhaas et de l’Office for Metropolitan Architecture, Paris, Editions du Moniteur, 2004. 8 Ibidem. 9 Ibidem.

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LA DECENNIE DE CISIVE : 1968-1978

MAI 68 Les années soixante annoncent des changements sociétaux profonds qui bouleversent entre autres les façons de penser et de pratiquer l’architecture… Ces changements sont essentiellement liés à la mort des piliers du modernisme10, aux contestations de l’architecture radicale, aux faiblesses de la reconstruction, au systématisme d’un modernisme devenu orthodoxe et guidé par des règles rationalistes… La génération du Team X, d’Oswald Mathias Ungers et des précurseurs du postmodernisme qui précède celle de Rem Koolhaas réfléchit au devenir de l’architecture, font des recherches, écrivent des livres et expérimentent de nouvelles manières d’enseigner l’architecture. JOURNALISME En sortant du lycée à 18 ans (1963), Rem Koolhaas commence à travailler pour le Haagse Post, un journal hollandais équivalant le journal français Libération. Il occupe un poste de journaliste qui lui permet d’aborder de nombreux domaines comme l’art, le sport, la sociologie, la politique ou encore l’architecture. Durant la période où il est journaliste, il interviewe des architectes dont Le Corbusier, un visionnaire hollandais des années vingt du nom de Wijdeveld et encore Constant. Il s’occupe également de la maquette du journal, une activité qui selon lui aujourd’hui, avec du recul, est assez similaire à celle de l’architecte : il faut considérer une surface dans laquelle le montage de séquences, d’épisodes variés et indépendants crée un scénario... Parallèlement à son travail au journal, Rem Koolhaas collabore, joue et écrit des scénarios avec son ami de Lycée devenu cinéaste Rene Daalder… “In a Script you have to link various episodes together, you have to generate suspense and you have to assemble things – through editing, for example. It’s exactly the same in architecture. Architects also put together spatial episodes to make sequences.”11 Rem Koolhaas, 2006. 10

Le Corbusier, Mies Van Der Rohe et Gropius, porte-paroles du Modernisme issu des années vingt décèdent dans les années soixante. Rem Koolhaas dans « Evil can also be beautiful », entretien accordé à la revue allemande Spiegel et conduit par les éditeurs Matthias Matussek and Joachim Kronsbein, 27 Mars, 2006 (Lien: www.spiegel.de/international/spiegel/0,1518,408748,00.html.) 11

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En 1968, Rem Koolhaas voyage en Europe. Il se rend à Paris en mai en pleine révolte étudiante, puis à Prague pendant l’été alors que les troupes du pacte de Varsovie envahissent la ville pour calmer les élans libertaires du réformateur Alexander Dubcek. Les rêves d’architecture de Rem Koolhaas refont surface et il décide de partir étudier l’architecture à l’AA School de Londres. Son départ est motivé par l’envie d’apprendre l’anglais, une envie de finir ses études le plus rapidement possible12, et un besoin de changer d’horizons… Ses débuts à l’AA School sont traumatisants car il ne s’attend pas du tout au type d’enseignement qu’il reçoit dont la ligne directrice engage les étudiants à ne pas se soucier de l’architecture et à s’ouvrir l’esprit. Rem Koolhaas avait choisi d’étudier l’architecture pour dessiner et apprendre les outils de l’architecte. Ses professeurs lui conseillent donc à plusieurs reprises de changer d’école, pour une école plus conventionnelle. EXODUS Lorsque Rem Koolhaas intègre l’école, Peter Cook13 dirige la cinquième année et fait régner sur l’école « la terreur flower power »14. Seulement quelques semaines après l’entrée à l’école, le même Peter Cook le surnomme de « fasciste ennuyeux »15 pour la seule raison qu’il voulait apprendre à faire des projets, à faire des lignes droites, à utiliser des outils conventionnels… « Vue rétrospectivement, cette situation fut enrichissante : on profite mieux d’un enseignement avec lequel on n’est pas en sympathie : cela oblige à avoir de bons réflexes. Isolé, il faut sans cesse défendre ses positions. »16, RK, 1985. L’atmosphère très libre de l’école, du fait de la proximité entre les élèves et les professeurs, autorise le débat, et permet très vite à Rem Koolhaas de s’affirmer. Il s’intéresse très tôt au travail de Superstudio qui venait de publier le Monument Continu, un projet qui l’intrigue, le fascine, et lui rappelle en quelque sorte le rationalisme de Leonidov. Il contacte l’agence et les invite à l’école pour un cycle de conférences. « (…) How impressed I was by the work, optimistic about “easy” architecture »17, RK, 1970. 12

Les études d’architecture durent 5 ans à l’AA school de Londres contre 9 ans aux Pays-Bas. Architecte britannique né en 1936, diplômé de l’AA School de Londres en 1960 et membre fondateur du collectif Archigram. 14 Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. 15 Ibidem. 16 Ibidem. 17 Rem Koolhaas dans une lettre de 1970 destinée à Archizoom. Information tirée du livre de Roberto Gargiani, Rem Koolhaas | OMA: The Construction of Merveilles, Essays In Architecture, EPFL Press, Distribué par Routledge, 2008, traduit de l’italien par Stephen Piccolo. 13

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En deuxième année de l’AA school, Rem Koolhaas étudie un bâtiment existant de son choix, le redessine et le présente. Il choisit le mur de Berlin. Cela crée, bien entendu, une polémique lors de la correction de Charles Jencks, Alvin Boyarski, et Peter Cook. Les intérêts divergent et Koolhaas sent qu’il devrait partir. « J ‘ai en tout cas, fait en sorte d’échapper à la cinquième et dernière année d’étude pour éviter la confrontation terrible que Peter Cook m’avait promise, en obtenant une bourse Harkness qui m’a permis d’aller deux ans aux Etats-Unis. »18, RK, 1985. Aux Etats-Unis, il rencontre Elia Zenghelis, qui lui a rendu la vie à l’école beaucoup plus facile. Le professeur et l’étudiant aux tempéraments différents (Elia Zenghelis se décourage lorsque Rem Koolhaas s’obstine) ont comme point commun de ne pas être d’accord avec ce qui se passe autour d’eux. Ils aiment l’architecture qui n’est pas au goût du jour dans ces années qui suivent mai 68. Leur collaboration va donner naissance au projet Exodus, réponse à un concours lancé en 1972 par la revue italienne Casabella et dont le sujet était : « la ville comme environnement signifiant ». Exodus est le fruit de la mise en commun de la fascination de Koolhaas pour le mur de Berlin, de sa vision de la ville comme une enclave où les habitants deviendraient les prisonniers volontaires de l’architecture, et de la vision de ville-forteresse de Elia Zenghelis. Le professeur est tellement motivé par le projet qu’il aide même son étudiant à le finir. Le projet consiste en un territoire linéaire qui traverse Londres, délimité par deux murs parallèles, continus et rectilignes, lui-même divisé en huit carrés, huit séquences qui développent des scénarii différents et constituent un script. Le projet se veut de créer un désir métropolitain intense qui génère un exode loin de la ville historique qui sera progressivement réduite à l’état de ruines. Le titre « Exodus ou les prisonniers volontaires de l’architecture » est explicite, tout aussi radical que le projet et les modes de représentation utilisés qui s’inspirent du travail de Richard Hamilton, d’Archigram et de Superstudio. « Son (Exodus) histoire se développait à partir de l’idée que Londres était une cité sousdéveloppée : que l’on y construise l’idéal métropolitain dans toute son intensité primordiale, et les habitants y immigreraient, créant un véritable exode… Sa présentation est très contrastée mêlait des fragments architecturaux et des collages exprimant la vie moderne. »19, RK, 1985.

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Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. Ibidem.

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MANHATTAN Rem Koolhaas s’installe dans un premier temps non pas à New York mais à Ithaca, une ville bête et typiquement américaine d’après lui. Il rejoint l’université Cornell où Oswald Mathias Ungers dirige le département de l’architecture et donne des séminaires sur la métropole de Berlin, les autoroutes, les parcs, les grands ensembles… Autant de domaines qui intéressent Rem Koolhaas. Colin Rowe enseigne également dans cette université où il s’oppose aux théories d’O-M Ungers bien que les deux hommes soient d’accord sur de nombreux points dont le collage. Cette situation place Rem Koolhaas du côté de O-M Ungers. Il reproche au modernisme de Colin Rowe une amputation complète de son programme social comme le prouve cette citation tirée du livre Collage City que ce dernier écrit à la même époque : « Ainsi nous pourrions jouir de l’esthétique de l’utopie sans souffrir du désagrément de l’utopie politique. »20 « J ‘avais déjà la vague idée de faire quelque chose sur New York. J’avais observé que cette ville était le seul exemple d’architecture du XXe siècle qui enthousiasmait tout le monde, tout en n’ayant jamais été pris au sérieux par aucun historien. J’avais envie de rectifier cela »21, RK, 1985. Rem Koolhaas s’installe à New York au bout d’un an, et suit les conseils de Kenneth Frampton en allant travailler pour l’Institute for Architecture and urban Studies. Il commence ainsi ses recherches pour le futur New York Délire dans un bureau qui donne directement sur l’Empire State Building. C’est dans cet institut qu’il fait la rencontre de Peter Eisenman, un collègue avec qui il devient rapidement ami. Rem Koolhaas apprend beaucoup de lui et avoue qu’il a « beaucoup profité de l’observation des tactiques qu’il avait développées pour rester ’au sommet’ .»22. Ses premières recherches sur New York s’accompagnent très rapidement de projets manifestes qu’il développe avec Elia Zenghelis dont La Ville du globe captif

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en

1972. Ces projets sont en quelque sorte des manifestes intuitifs de l’essence de Manhattan. Il commence également à collectionner les cartes postales et autres documents touristiques de New York avec sa femme Madelon Vriesendorp, dans le dessein de chercher ailleurs que dans les circuits de recherche officiels, le véritable sens de son architecture. Il comprend très vite que l’intérêt essentiel de New York réside dans le fait que cette ville avait été une sorte de terrain d’exploration de la manière dont l’artificiel pouvait remplacer la réalité, un intérêt 20

Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. Ibidem. 22 Ibidem. 23 La Ville du globe captif, projet de 1972, publié dans New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.294. 21

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qu’il rapproche de celui des constructivistes de l’Union Soviétique. Cette exploration de l’artificiel caractéristique de la vie métropolitaine moderne avait connu à New York dans les années trente des expériences concrètes. Les problèmes similaires que connaissent l’Europe et les Etats-Unis dans les années trente se résolvent de deux façons différentes : l’Europe produit des manifestes sans réalités, alors que les Etats-Unis produisent des réalités sans manifestes. Sa recherche s’oriente alors sur la définition des principes qui ont animé l’évolution de Manhattan, ainsi que l’architecture qui en résulte : une architecture moderne n’appartenant pas au mouvement moderne. OMA Depuis le projet Exodus, Rem Koolhaas et Elia Zenghelis ont l’idée de créer une agence ensemble. Cette idée prend forme en 1975 où ils créent l’Office for Metropolitan Architecture avec leurs compagnes respectives, les deux peintres Madelon Vriesendorp et Zoe Zenghelis. L’objectif de l’OMA est alors de définir de nouveaux types de relations possibles entre l’architecture et la situation culturelle contemporaine. Les premières réflexions théoriques de l’OMA se focalisent sur la ville de New York en créant des projets utopiques, des phénomènes architecturaux assidûment intégrés à la grille Manhattanienne. Ces projets illustrent la définition naissante du Manhattanisme qui fédère l’OMA. En effet Rem Koolhaas et Elia Zenghelis voient d’abord le Manhattanisme comme un mélange permissif de mouvements en «-isme» tels que le futurisme, l’expressionnisme, le surréalisme, le dadaïsme, le fascisme, le marxisme, le modernisme, etc. En d’autres termes, ils considèrent le Manhattanisme comme un mouvement qui est l’opposé et l’homologue du Mouvement Moderne Européen, dont les préceptes stricts et monomaniaques refusent une évolution nécessaire au combat de l’agonie qu’ils ont générée. Le Manhattanisme est au contraire un mouvement démocratique qui traite de l’anxiété métropolitaine. RETOUR Rem Koolhaas aurait pu rester aux Etats-Unis et édifier des gratte-ciels, mais il décide de rentrer en Europe, où se développaient encore les manifestations tardives d’un rationalisme réducteur issu du Mouvement Moderne des années vingt. Il considère alors le vieux continent comme un terrain d’investigations plus intéressant que celui des Etats-Unis où il n’y a plus aucune raison de se battre pour la modernité. Il devient professeur à l’AA school de Londres en 1977, ce qui lui laisse le temps de continuer ses recherches, d’écrire et de publier le livre New York Délire un an plus tard. Ce dernier est un manifeste rétroactif de New York

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qui défend le concept de « culture de congestion » et les vertus de la métropole, tout en suggérant les possibilités multiples de la dimension urbaine de l’architecture par sa grandeur et son instabilité programmatique… « Je l’ai écrit pour combler un vide, pour me donner une sorte de justification, de fondement, parce qu’à cette époque, vraiment, il était difficile de considérer cette profession d’architecte comme respectable à cause de tous ces modernistes séniles… »24 RK, 1985. Une fois fini et publié Rem Koolhaas se détache rapidement du manifeste qu’il a écrit pour ne pas en devenir le porte-parole. Ses projets n’ont pas à illustrer systématiquement les préceptes du Manhattanisme qu’il a lui-même défini. La seule illustration littérale de ces préceptes se trouve dans le projet du Parc de la Villette (1982) dont le but était d’incarner une nouvelle définition de la culture de congestion.

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Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985.

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UNE LIGNEE D’ARCHITE CTES

ÉPOQUE L’architecture, selon Christian Nobert-Schulz, est la conjoncture de paradigmes, de systèmes de pensée et de systèmes de construction. Chaque époque développe une architecture dans laquelle elle se reconnaît : l'éternel et les Egyptiens, le polythéisme et les Grecs, l'impérialisme et les Romains, la répression et les Paléochrétiens, la libération et le Roman, le médiéval et le gothique, la science et la Renaissance, la libération et le maniérisme, le despotisme et le Baroque, les révolutions et les Lumières, le Colonialisme et l'industrialisation, l'ajustement et le Fonctionnalisme, le réajustement et le Modernisme, l'internationalisation et le régionalisme critique, la décadence moderne et le Post-modernisme, l'historicisme et le Manhattanisme, le consumérisme et l’architecture de l’icône. PARADIGME La relation entre la complexité d'une architecture et ses coûts, ainsi que la relation entre le type de pouvoir en place et la société qu'elle dirige sont des paramètres qui varient d'une époque et d'un mouvement à l'autre. Ils sont déterminants pour que l'architecture soit en phase avec le paradigme qui l'a au départ engendré. Un déphasage annonce alors un changement profond. Identifier les paramètres déclencheurs d’un changement de paradigmes est donc essentiel au développement de l’argumentaire d’un architecte qui propose une vision critique, voire une nouvelle architecture. Les principes qu’il va alors pourvoir mettre en place sont soit implicites soit explicites. Implicites, ils sont dans l’esprit du temps. Explicites, ils sont théoriques et revendiqués. Cependant, qu’ils soient implicites ou explicites, les principes ne sont ni éternels ni universels : ils sont précaires. Les théories de l’architecture émanent de conjonctures liées à un paradigme en perdition ou en devenir.

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VISION À travers l'histoire de l'architecture, des architectes s'efforcent de concevoir, d'imaginer des villes, des modes de vie, des architectures innovantes qui du point de vue théorique tentent d'améliorer le monde qui les entoure. Boullée, Schinkel, Constant, Leonidov, Wright, Garnier, Le Corbusier, Mies Van Der Rohe, Kahn, Friedman, Rossi, Superstudio, Archizoom, Archigram, ou encore Rem Koolhaas, à différents degrés et avec leurs propres logiques et leurs propres méthodes basées sur leur critique personnelle de la société qui les entoure, ont souvent argumenté leurs projets construits avec leurs projets non construits. La créativité de ces architectes réside alors dans leurs capacités à développer des visions critiques issues d’un bilan de la situation présente. Rem Koolhaas dénonce la complaisance d'une génération d'architectes qui a entraîné un rejet du rôle de l'architecte comme agent du changement et du progrès. REPRESENTATION Les architectes ou groupes d'architectes ayant contribué à l'évolution de la théorie de l'architecture, (et plus généralement des moeurs) ont d'abord et avant tout un propos, un point de vue sur la société. Ils peuvent en plus de l'écrire, l'illustrer par de multiples techniques. L'architecte à l'avantage de posséder de nombreuses techniques de représentation qu'il doit pouvoir exploiter et explorer au maximum pour faire passer ses messages. Il y a alors un processus de projet très intéressant qui se met en place et qui consiste à choisir une situation, l'observer, la critiquer, et enfin la projeter dans le futur avec un mode de représentation permettant d'appuyer le propos. Ce mode de représentation peut faire référence à des architectes, des artistes, ou à une époque, par ses techniques et ses outils.

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UNE REPE TITION DIFFERENTE

MORT En 1977, Charles Jencks déclare : « l’architecture moderne souffrait d’élitisme. Le postmodernisme tente de dépasser cet élitisme non pas en le rejetant, mais plutôt en orientant le langage architectural dans une pluralité de directions : celle du vernaculaire, de la tradition, ou de l’argot commercial de la rue »25. Il continue en affirmant : « l’architecture moderne est morte à Saint-Louis, Missouri, le quinze Juillet 1972 à quinze heures trente-deux (ou à peu près) »26. Le postmodernisme s’impose alors comme la contestation officielle du modernisme et se décompose dans de multiples variations. C’est encore le mouvement le plus influent dans la production architecturale actuelle. Rem Koolhaas et l’OMA ne se reconnaissent pas dans la mouvance postmoderne et commencent à créer dans les années soixante-dix, une architecture qui prend racine dans les différentes avant-gardes du début du XXe siècle. « J’ai horreur de cette fatalité qui conduit chaque génération à contredire la précédente » 27, Rem Koolhaas, 1985. REDECOUVERTE Rem Koolhaas s’est mis à développer une architecture face au mépris du postmodernisme envers ce qui existe déjà, notamment grâce à la découverte du Manhattanisme. Il prend comme modèle Manhattan, puisqu’elle représente à ses yeux un idéal de modernité non-achevé et non-théorisé. Son objectif a été (et est) de l’adapter, de le continuer et même de l’améliorer. Encore une fois, Il garde toujours un certain recul face à ses propres références, ce qui lui permet de rester critique. Selon Kenneth Frampton, l’OMA est l’une des agences de la néo-avant-garde qui dans la continuité des Five de New York (Eisenman, Hejduk, Graves, Gwathmey et Meier) s’est mise à puiser « dans les ferments idéologiques des avant-gardes du début du XXe siècle (…) Cherchant à atteindre ce que Roland Barthes nommait ‘une répétition différente’ »28. 25

Charles Jencks, cit. tirée de l’introduction du livre The Language of Post-Modern Architecture, Charles Jencks, éd. Rizzoli, 1977. Ibidem. 27 Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. 28 Kenneth Frampton, L'Architecture Moderne, Une histoire critique, Edition française, Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.331. 26

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« Nous avons souvent vérifié cette loi qui dit que c’est sur les poubelles de l’histoire que traînent les idées les plus riches : les plus discréditées sur le plan du bon goût, les plus innovantes sur le plan du contenu. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Par exemple, pour les idées défendues par le team X ou Archigram qui sont apparemment complètement dépassées si on les juge formellement, mais qui ont pourtant très précisément mis à nu les problèmes qui ont surgis en leurs temps. »29 Rem Koolhaas, 1985. L’architecture de l’OMA mélange à la fois et principalement Manhattanisme, Suprématisme, Surréalisme et Modernisme. Elle cherche à appartenir à son époque en répétant les choses différemment, en repartant sur des bases solides. Ces influences sont revendiquées et sont plutôt claires. On connaît l’intérêt que représente pour Rem Koolhaas le Manhattanisme et l’architecte Wallace Harrison, le suprématisme et l’architecte Ivan Leonidov ainsi que le Surréalisme et l’artiste Salvador Dali. Cependant à qui Rem Koolhaas fait-il référence lorsqu’il parle de Modernisme ? La réponse est loin d’être claire et il préfère brouiller les pistes. « Mies, bien sûr, de préférence à Le Corbusier ; Leonidov, très loin devant Gropius. »30, R.K, 1985. “I do not respect Mies, I love Mies. I have studied Mies, excavated Mies. I have even cleaned Mies. Because I do not revere Mies I’m at odds with his admirer”31, RK, 2004. Rem Koolhaas s’identifie à Mies Van Der Rohe à qui il a plusieurs fois rendu hommage, mais pas un seul mot à propos de Le Corbusier. Pourtant, il semble y avoir beaucoup plus de ressemblances entre les deux architectes, que cela soit sur le plan de la carrière qu’ils ont mené ou sur leur façon d’aborder l’architecture et ses méthodes. Il n’est alors pas étonnant que Jeffrey Kipnis, dans l’article Recent Koolhaas32 surnomme Rem Koolhaas le « Le Corbusier de notre époque ».

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Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. Ibidem. Rem Koolhaas, cit. Content, AMOMA / Rem Koolhaas / &&& : Simon Brown, Jon Link, Köln, éd. Taschen, 2004, p.182. Article publié dans OMA/Rem Koolhaas – 1992-1996, El Croquis, n°79, 1996.

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AVANT REM KOOLHAAS, LE CORBUSIER

CONTRADICTION L’une des caractéristiques fondamentales qui distingue le travail de Le Corbusier de la majorité des autres architectes modernes est la fréquence avec laquelle il se réfère à la tradition architecturale et aux exemples de bâtiments anciens qu’il apprécie. Les éléments qu’il peut tirer de ses références deviennent un leitmotiv constant dans son travail. “One of the feature that distinguishes Le Corbusier’s work from the majority of modern architects is the frequency with wich he refers to the architectural tradition and examples of previous buildings…The modification and contradiction of traditional works is a constant leitmotiv in his work”33, Alan Colquhun, 1978. Dans ses concepts architecturaux, Rem Koolhaas confronte et fait dialoguer des concepts anciens et contemporains qu’il détourne et assemble dans un seul projet qui instaure de nouvelles relations. Il aime l’idée de pouvoir maintenir dans les projets qu’il développe, des concepts ou des idées contradictoires qui vont leur apporter une instabilité voulue et souhaitable. La citation ci-dessous de F. Scott Fitzgerald appliquée par Rem Koolhaas à R.Hood dans New York Délire pourrait également très bien être appliquée à lui-même. “The test of a first-rate intelligence is the ability to hold two opposite ideas in the mind at the same time, and still retain the ability to Function” 34, RK, 1978.

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Alan Colquhun dans le livre Meaning and changes in architecture publié en 1978. Rem Koolhaas, cit. tirée de Delirious New York, New York, Oxford University Press,1978.

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FILIATION On remarque une émergence progressive des références au modernisme dans les projets européens de l’OMA après le projet du parc de la Villette, trop Manhattanien pour Paris. L’OMA va insuffler à son architecture des éléments de vocabulaires architecturaux modernes mais aussi des méthodes de projets visant à introduire en Europe une nouvelle modernité augmentée par la culture de congestion du Manhattanisme. Rem Koolhaas est un architecte qui a aujourd’hui une influence sur la scène architecturale proche de celle que le Corbusier a pu avoir à son époque. Les carrières des deux architectes présentent d’ailleurs des similitudes, dont une pratique tardive de l’architecture et un besoin incessant de théoriser leur pensée. Bien que l’on puisse établir de nombreux points communs dans leurs carrières, dans leurs façons de travailler et d’aborder l’architecture, les deux architectes ne sont pas de la même génération. Cette différence pourrait placer Rem Koolhaas dans le rôle de l’élève ou du suiveur, ce qui ne lui plait guère. De plus, la comparaison entre les deux hommes n’a aucun sens, s’ils ne sont pas replacés dans le contexte historique dans lequel ils ont évolué. Une simple comparaison de leur architecture sur le plan du vocabulaire architectural n’est pas suffisante. Dans un entretien35, Rem Koolhaas reste silencieux lorsqu’on lui demande ce que représente Le Corbusier à ses yeux… Trop de questions lui ont déjà été posées à ce sujet semble-t-il… La réponse est au final assez peu importante… Ce qui nous intéresse ici est la raison pour laquelle on lui pose tant la question… La première partie mettra en parallèle, d’une manière anachronique, les deux carrières des architectes pour comprendre leur façon d’aborder l’architecture, de la théorie à la pratique. La deuxième partie tentera d’analyser les types de relations qu’entretient Rem Koolhaas avec le modernisme, et plus précisément avec le modernisme Corbuséen.

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Entretien de Rem Koolhaas publié à la fin de AMOMA / Rem Koolhaas II – 1996-2007, El Croquis, n°134-135, 2007.

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REM KOOLHAAS ET LE CORBUSIER : DES ARCHITECTES SI DIFFERENTS ?

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DES SIMILITUDES DANS LES DEUX CARRIERES.

NAISSANCE Avant de développer les points communs des carrières de Le Corbusier et de Rem Koolhaas, on peut noter, et ceci est troublant pour deux architectes qui se battront toute leur vie pour la modernité, qu’ils naissent et grandissent dans deux villes nouvelles, reconstruites entièrement suite à des catastrophes majeures. Le Corbusier vient au monde à la Chaux-de-Fonds en 1887, une ville industrielle quadrillée et très rationnelle, qui fut reconstruite entièrement en 1867 après un terrible incendie. La nouvelle ville se veut moderne pour pouvoir répondre à tous les besoins modernes de ses habitants. Rem Koolhaas quant à lui vient au monde à Rotterdam en 1944, alors que la ville est entièrement détruite suite aux terribles bombardements de la seconde guerre mondiale. « Mes parents habitaient au bord du cratère qui avait remplacé le centre après les bombardements… Mon grand-père était architecte et de trois à six ans, j’allais, comme une sorte de rituel, tous les dimanches à son bureau faire des dessins. » 36 Rem Koolhaas, 1985. Le Corbusier et Rem Koolhaas sont issues de familles cultivées et sensibles aux arts. Le premier est le fils d’un artisan d’art, spécialisé dans l’horlogerie, et d’une musicienne. Le deuxième est le fils d’un journaliste devenu écrivain et d’une scénographe, elle-même fille d’architecte. Les deux hommes suivent dans un premier temps la voie ouverte par leurs pères respectifs. Ainsi, Le Corbusier apprend le métier de graveur-émailleur de montre, et Rem Koolhaas devient journaliste en sortant du Lycée.

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Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985.

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VOYAGE Les deux hommes commencent à étudier l’architecture, domaine dans lequel ils se réorientent, après quelques années de pratique de leur premier métier. Ce domaine va rapidement les passionner. Étudier l’architecture les conduit rapidement à voyager. Ces voyages sont essentiels à leurs cursus et vont profondément marquer leurs esprits. Le Corbusier, formé par Charles L’Eplattenier à la Chaux-De-Fonds, voyage autour de la Méditerranée et notamment en Italie, en Grèce, dans certains pays du Moyen-Orient et multiplie les expériences professionnelles en Europe. Il rencontre J.Hoffman à Vienne en 1908, puis travaille six mois chez Auguste Perret à Paris et aussi chez Peter Behrens à Berlin. Rem Koolhaas part aux Etats-Unis pendant son cursus et il découvre New York, la métropole extraordinaire aux gratte-ciels fascinants. Le Chrysler Building, Le Rockfeller Center, ou encore le Downtown Athletic club lui provoquent un grand émerveillement, émerveillement que connaît également Le Corbusier lorsqu’il découvre la Pizza Dei Miraculo de Pise, l’Acropole d’Athènes, ou encore la Chartreuse d’Emma en Toscane. Les premières années de la carrière de Le Corbusier, comme celles de Rem Koolhaas, sont très riches en rencontres, en expériences professionnelles, et en voyages… Ils s’investissent beaucoup dans leurs recherches et leur travail. Entre 1905 et 1915, Le Corbusier réalise plusieurs villas vernaculaires en Suisse lorsqu’il rentre de ses différents voyages. Deux éléments importants vont cependant le propulser sur la scène médiatique. Le premier est technique et est la création du schéma Domino en 1916 avec son ami d’enfance, l’ingénieur Max Dubois. Le deuxième est théorique et est la participation intense à la revue l’Esprit Nouveau entre 1920 et 1925 avec l’artiste peintre Amédée Ozenfant. Le livre Vers Une Architecture qui sort en 1923 est d’ailleurs une compilation d’articles parus auparavant dans la revue. REFERENCE Les deux architectes, lors de leur voyage initiatique vont attacher leur attention sur des architectures et des détails de ces architectures qu’ils jugent magnifiques et (ou) extrêmement intelligents. La découverte de ces trésors cachés, dont la radicalité, la typologie, ou le mode de vie qu’ils proposent inspire nombre de leurs futurs projets. En 1909, Le Corbusier retourne à la Chauds-De-Fonds et esquisse une école d’art qui est le « premier exemple dans lequel Le Corbusier réinterprète un type connu pour l’adapter à un programme entièrement nouveau. De telles variations typologiques à partir de références spatiales et

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idéologiques feront ensuite partie intégrante de sa méthode de conception »37. Ses œuvres sont alors souvent chargées de plusieurs références. Parmi ses références, La Chartreuse d’Ema reste marquée dans son esprit comme une communauté vivante qui devient son modèle social, une image d’harmonie qu’il convoque à de nombreuses reprises dans ces projets de logement dont l’immeuble villa et l’unité d’habitation. Dans une lettre qu’il écrit à ses parents à la suite de la découverte du couvent, il déclare : « j’ai trouvé la solution de la maison ouvrière type unique ». La Chartreuse représente à ses yeux un modèle organisationnel et typologique intéressant à réinterpréter pour le logement du plus grand nombre avec des services partagés. Il ira jusqu’à reprendre des détails de la porte d’entrée comme le passe-plat dans l’unité d’habitation de Marseille. La chartreuse lui renvoie un idéal du collectif au service de l’épanouissement individuel. Avec la Chartreuse d’Ema, « une aspiration humaine authentique est comblée : le silence, la solitude ; mais aussi le commerce (le contact quotidien) avec les mortels »38. D’autres références sont également convoquées dans certains de ses projets comme la Piazza Dei Miraculo de Pise, dont l’assemblage des volumes simples sur son plateau de verdure offre un dialogue aux spatialités très riches. « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » 39 Le Corbusier, 1923. La référence qui le marque certainement le plus est l’Acropole d’Athènes, pour laquelle il voue une fascination quasi-religieuse. Lorsqu’il la visite pour la première fois lors de son « Voyage d’Orient » en 1911, il y reste 21 jours durant lesquels il la dessine et la photographie sous tous les angles. “L’oeil humain, dans ses investigations, tourne toujours”40 Le Corbusier, 1923. L’Acropole d’Athènes déclenche chez lui beaucoup d’interrogations. Dans ses carnets de 1915, il note des questions comme : « l’Acropole qui est une œuvre d’adaptation, d’appropriation est-elle construite sur une idée génératrice ? –Plan…Etc renseigner. »41.

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Kenneth Frampton, dans L'Architecture Moderne, Une histoire critique, Edition française, Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.150. 38 Le Corbusier cité par Kenneth Frampton dans L'Architecture Moderne, Une histoire critique, Edition française, Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p. 150. 39 Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.16. 40 Le Corbusier, cite par Jacques Lucan dans le livre Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.362. 41 Le Corbusier, Carnets – Volume I, 1914-1948, Paris-New York, 1981, “Carnets A2-1915”.

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Il découvre alors la force et l’impact que le plan, dans sa liberté, peut avoir sur la perception que l’on a de l’espace. Cette idée selon laquelle le parcours n’est plus subordonnée à la disposition axiale de l’architecture l’amène à introduire la problématique du plan libre et l’idée de promenade architecturale. Il pense que le mouvement dynamique est entraîné par la dissymétrie. “Les fausses équerres ont fourni des vues riches et mouvementée; les masses asymétriques des édifices créent un rythme intense”42, Le Corbusier, 1923. En 1982, lorsque Rem Koolhaas et l’OMA rendent le concours pour le parc de la Villette à Paris, ils comparent l’organisation en plan du parc qu’ils ont créé à la coupe du Down Town Athletic Club de Manhattan. L’utilisation de cette coupe illustre leur idée d’introduire la complexité et l’instabilité programmatique, caractéristique du Manhattanisme en plein cœur de l’Europe. Symbole de la « culture de congestion » à son insu, le Down Town Athletic Club, dessiné par les architectes Starret & Van Vleck en 1931, est véritablement le bâtiment qui va inspirer les 5 points du Bigness que Rem Koolhaas publiera dans le livre S,M,L,XL en 1995. “Avec le Down Town Athletic Club, le Gratte-ciel est utilisé comme un condensateur social constructiviste: une machine à engendrer et à intensifier les modes de rapports humains les plus désirables.”43 Rem Koolhaas, 1978. Bien que le Down Town Athletic Club représente de manière iconique le concept de « culture de congestion » et de « Bigness », Rem Koolhaas s’inspire également d’autres exemples qui illustrent les différents aspects du Manhattanisme. Par exemple, le Rockfeller Center illustre l’idée de bâtiment-archipel, le Radio City Music Hall illustre l’extravagance des spectacles toujours plus hallucinants de New York, et l’Empire State Building illustre l’apogée d’une typologie qui a évolué très vite : le gratte-ciel.

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Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.31 Rem Koolhaas dans New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.152. 43

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COLLECTE Les deux architectes collectent sans arrêt énormément d’informations. Rem Koolhaas a gardé sa curiosité et ses réflexes de journaliste qui l’incitent constamment à l’investigation. Celles-ci lui permettent de comprendre ce qui se passe autour de lui, de justifier ses projets et plus généralement sa pensée. Le Corbusier est également journaliste et investigateur en raison de sa participation active à l’écriture de l’Esprit Nouveau. Il dessine beaucoup de croquis, prend beaucoup de photos qui lui servent à illustrer la plupart de ses propos. Il les garde tous méticuleusement et constitue ses propres archives. Il décide très tôt de tout conserver et cela en devient même obsessionnel. Un jour, il ramasse un coquillage sur la plage et le numérote : il se trouve aujourd’hui à la Fondation Le Corbusier. Un autre jour, il dessine des croquis avec Jean Prouvé ; ce dernier jette la plupart des croquis qu’il effectue alors que le Corbusier les signe, les date, et les classe. Il conserve tout car il sait qu’il est important, depuis le début. Ses archives permettent aujourd’hui aux historiens de reconstituer toute sa vie jusqu’aux moindres détails (même ses factures de laverie, de téléphone…). Alors que Le Corbusier conserve tous les croquis et les photos qu’il fait pendant ses premiers voyages autour de la Méditerranée et qui lui serviront à illustrer Vers Une Architecture, Rem Koolhaas collectionne toutes les cartes postales de New York qu’il peut récupérer (presque 10.000 cartes postales) en vue de la préparation de l’iconographie de New York Délire. THEORIE En résumé, La découverte de trésors cachés de l’architecture et la remise en question de ce qu’est l’architecture est le point de départ du travail de Le Corbusier et de Rem Koolhaas. Le Corbusier s’inspire de ce qui n’est pas considéré comme de l’architecture au sens académique du terme et Rem Koolhaas s’inspire d’une architecture moderne n’appartenant pas au mouvement moderne. Ce point de départ les pousse à investiguer, à écrire et à partager avec le plus grand nombre leur découverte. Entamer leur carrière par l’écriture les introduit à la profession par la théorie.

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DEUX MANIFESTES FE DERATEURS

MANIFESTE Le Corbusier et Rem Koolhaas se font connaître en tant qu’architecte non pas grâce à des bâtiments qu’ils construisent, mais grâce à des livres. Le premier est Vers Une architecture44, écrit par Le Corbusier et publié en 1923 ; Le deuxième est New York Délire45, écrit par Rem Koolhaas et publié en 1978. Ces deux livres sont considérés comme les deux manifestes, les deux doctrines les plus influentes dans le débat architectural du XXe siècle. Ils ne traitent pas du même sujet, mais ils ont été écrits pour combler un vide du débat architectural de leur époque. Ils ont servi aux deux architectes de fondement théorique et d’argumentaire justifié face à ceux qu’ils combattent. Dans les deux cas, ils rejètent un système existant dont ils ne sont pas les seuls critiques mais ils rejètent aussi son alternative qu’ils jugent inadaptée et insuffisante. Le premier, Le Corbusier, combat l’académisme et la composition classique inadaptés au monde moderne tout en refusant le style Art Nouveau. Le deuxième, Rem Koolhaas, combat le modernisme vidé de son essence et ses dérives rationalistes, tout en refusant un post-modernisme trop simpliste.

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Vers une Architecture, Le Corbusier, Paris, éd. Crès et Cie, 1923. Réedition : Paris, Flammarion, 1995. New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan,Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002. Edition originale : Delirious New York, New York, Oxford University Press,1978. 45

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PUBLICATION Les deux architectes considèrent l’écriture comme aussi (voire plus) importante que leurs bâtiments construits. L’écriture leur permet de justifier et de donner une profondeur théorique à leur architecture. Les publications permettent de synthétiser leur pensée et de la fixer dans le temps. Elles permettent de faire exister de la même manière des bâtiments construits, non construits et utopiques en les associant à un raisonnement théorique construit. Ainsi il n’y a ni échec, ni succès, seulement de l’architecture. Cependant les publications des deux architectes ne les renferment pas dans un raisonnement duquel il ne pourrait plus s’échapper et ils savent très bien s’en détacher lorsqu’ils en ont besoin. Elles lancent des débats, appuient des points de vue qui leur permettent d’avancer. DOCTRINE Les travaux de le Corbusier et Rem Koolhaas sont souvent des essais ou des manifestes qui deviennent polémiques puisqu’ils appuient un point de vue subjectif. Ils leur permettent de prendre des décisions et d’exprimer leur point du vue d’une manière radicale au travers de leur architecture. Leurs doctrines sont formées d’un ensemble de « préceptes » dont on ne sait pas forcément justifier la pertinence sinon par conviction et par intuition. Ces préceptes et la hiérarchie qui leur sont assignés forment un système de pensée et de valeurs à partir desquelles on peut juger leur architecture. Au contraire, une théorie est formée de « concepts ». Une théorie ne peut pas permettre de juger du bien ou du mal : elle rend compte de ce qui est, elle explique les causes et peut montrer en quoi une architecture est plus ou moins cohérente. DIRECTION Paru en 1923, Vers Une Architecture est fondé autour de deux concepts à la fois paradoxaux et complémentaires. Le premier est « le besoin impératif de satisfaire des exigences fonctionnelles pas des formes empiriques. »46 et le deuxième est « le recours à des éléments abstraits pour toucher les sens et nourrir l’esprit »47. Le livre est donc construit autour d’idées récurrentes qui appuient ces deux concepts. Le Corbusier combat l’académisme avec lequel il veut rompre. La modernité doit combattre les idées reçues et l’idée classique de composition. Elle doit pouvoir permettre de dépasser les savoirs établis pour répondre à des 46

Kenneth Frampton à propos du livre Vers Une architecture, dans L'Architecture Moderne, Une histoire critique,Kenneth Frampton, Londres, éd. Thames & Hudson, 1980, édition revue en 1985 et 1992. Edition française : Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.152. 47 Ibidem, p.152.

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questions contemporaines. Les architectes doivent trouver les meilleures solutions possibles en utilisant le moins de moyens possible. Ceci est notamment devenu possible grâce à l’industrialisation et au développement de la préfabrication qui ont encouragé le rationalisme. Ce dernier guide en partie les actes de Le Corbusier même s’il sait s’en détacher si nécessaire. En effet il ne cherche pas l’expression d’un langage rationaliste contrairement à Auguste Perret qui affiche la structure en façade pour ne pas faire mentir l’architecture. Il utilise plutôt la structure comme un outil de conception lui permettant de développer un langage plastique libre de toute contrainte structurelle. Le développement d’une architecture moderne est avant tout destiné à améliorer les conditions de vie de l’homme moderne vivant dans une société moderne. Ainsi l’architecte doit appliquer ces nouveaux acquis à la question prioritaire du logement. “L’architecture est l’un des plus urgents besoins de l’Homme, puisque la maison a toujours été indispensable et premier outil qu’il se soit forgé”48, Le Corbusier, 1923. Le Corbusier titre son chapitre introductif « l’esthétique de l’ingénieur » non pas pour faire l’apologie de l’esthétique des monuments d’art (l’architecture ne doit pas lui ressembler) mais pour expliquer une nouvelle façon d’aborder le projet. Il souhaite que l’architecte s’inspire de la démarche optimiste de l’ingénieur prêt à relever des défis et qui arrive à répondre à une question précise grâce à une logique cartésienne guidée par le calcul, l’économie et la rationalisation. “Les ingénieurs sont sains et virils, actifs et utiles, moraux et joyeux. Les architectes sont désenchantés et inoccupés, hâbleurs ou moroses.”49, Le Corbusier, 1923. Vers Une Architecture veut définir une nouvelle méthode de projet pour pouvoir réaliser des logements adaptés à la société moderne. C’est donc une œuvre de rupture dont le champ sémantique est relatif au changement : remplacer, nettoyer, purger, tabula rasa… “On jette, on remplace”50 Le Corbusier, 1923.

48 49 50

Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.5 Ibidem, p.6 Ibidem, p.6

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Le Corbusier établit des diagnostics qui placent la notion d’harmonie au centre du problème. L’harmonie, ce mot académique qui relate l’équilibre, la symétrie forte et la tripartition doit être redéfini comme relative à la justesse du calcul et de la réponse qui en découle, à la justesse du raisonnement et de sa démonstration. “Le diagnostic est clair. Les ingénieurs font de l’architecture, car ils emploient le calcul issu des lois de la nature, et leurs oeuvres nous font sentir l’HARMONIE”51, Le Corbusier, 1923. Le livre mélange constamment le registre technique, social, et plastique et passe de l’un à l’autre de manière à les rendre indissociable. L’un sans l’autre ils ne fonctionnent pas. Le Corbusier pense que l’architecture moderne, pour satisfaire pleinement les désirs et les besoins de l’homme et de la communauté des hommes doit être abordée par une approche plastique que le fonctionnalisme et le rationalisme ne développent pas assez. L’architecture est d’abord d’ordre plastique. “C’est que l’architecture, qui est chose d’émotion plastique, doit, dans son domaine, COMMENCER PAR LE COMMENCEMENT AUSSI, et EMPLOYER LES ELEMENTS SUSCEPTIBLES DE FRAPPER NOS SENS, DE COMBLER NOS DESIRS VISUELS” 52, Le Corbusier, 1923. Les trois rappels aux architectes redéfinissent les notions essentielles que sont le volume, la surface et le plan. Le plan est la troisième notion à être abordée. Il est cependant le moteur du projet, il est générateur. Entre 1920 et 1932, Le Corbusier comprimera assez systématiquement ses plans dans des formes pures. Ainsi le volume (simple) et la surface (lisse) sont des éléments établis du projet, alors que le plan est la variable, le plan est libre. Le prisme pur, la surface lisse, la rythmique, et la répétition engendrent la beauté, alors que le plan doit répondre à des questions fonctionnelles. La simplicité apparente de l’enveloppe contraste avec la richesse et la complexité du plan. Le Corbusier critique donc l’architecture américaine dont les tours aux structures d’acier pures recouvertes d’ornements en pierre inutiles ont des plans typiques aux spatialités d’une relative pauvreté.

51 52

Ibidem, p.7 Ibidem, p.7

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Le Corbusier veut nous ouvrir les yeux sur le monde moderne et ce qu’il est capable de produire, pour pouvoir définir de nouvelles méthodes pour l’architecte. Ces nouvelles méthodes induisent un abandon des styles au profit d’autres sources d’inspiration qu’offre le monde moderne comme les machines. “Notre époque fixe chaque jour son style. Il est là sous nos yeux. Des yeux qui ne voient pas.”53 Le Corbusier, 1923. Étant fasciné par les machines, non pas par leurs formes mais par les méthodes desquelles elles découlent, il observe les paquebots, les avions et les autos. Ces machines doivent nous permettre d’ouvrir les yeux sur le monde moderne qui nous entoure (discours que tiennent plus tard les postmodernes par rapport à la culture POP). Nous pouvons voir les paquebots comme d’énormes constructions de manière à considérer la maison comme une « machine à habiter ». Nous pouvons voir l’avion comme un système abstrait résultant de l’observation de la nature de manière à nous poser véritablement la question du logement grâce à l’abstraction rendue possible par le schéma Domino. Ainsi Le schéma Domino est à la maison ce que le châssis est à la voiture : une structure essentielle, précise et industrialisée qui permet toute liberté formelle de l’enveloppe. Le Corbusier donne une nouvelle définition de l’architecture. Cependant Vers une architecture se veut d’éduquer l’architecte et le client à l’architecture moderne. Pour cela, il doit utiliser des références lui permettant d’appuyer son propos. Il commence par utiliser une planche d’Auguste Choisy expliquant le plan de l’Acropole d’Athènes dont le plan antinomique est constitué de pièces symétriques qui semblent être disposés d’une façon aléatoire. Il lui permet d’introduire l’idée que «le plan est générateur »54, que «le plan est la base »55, et que «le plan porte en lui-même un rythme primaire déterminé »56. Le Corbusier distingue alors trois grands rythmes dans l’histoire de l’architecture. Il y a d’abord la symétrie bilatérale des Egyptiens, il y a ensuite la symétrie pittoresque (ou optique) des Grecques, et il y a enfin la symétrie centrale des Byzantins.

53 54 55 56

Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.78. Ibidem, p.33. Ibidem, p.36. Ibidem, p.37.

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“ Le rythme est un équilibre procédant de symétries simples ou complexes ou procédant de compensations savantes. Le rythme est une équation: égalisation (symétrie, répétition) (temples égyptiens, hindous); compensation (contrastes) (acropole d’Athènes); modulation (développement) (Sainte-Sophie)”57, Le Corbusier, L’Esprit Nouveau n°4. Puisque l’on a « perdu le sens du plan depuis cent ans »58, Le Corbusier propose de réfléchir à un rythme qui répondrait aux enjeux de la modernité. La modernité nécessite de nouveaux rythmes, de nouveaux plans. Elle nécessite des plans de maisons, mais aussi des plans de villes. Fixer de nouvelles bases et étudier le plan sont des conditions essentielles au développement de la notion de « plan libre ». Le Corbusier défend les idées que portent l’Acropole d’Athènes et la villa Adriana qu’il définit comme « la première grande ordonnance occidentale »59. Elles sont pour lui un modèle de composition, puisqu’elles résultent d’idées et de principes qui ont conduit à l’élaboration de règles et d’un langage. Malgré les vives critiques qu’il émet face à l’architecture romaine, il admire le jeux complexe d’ombres et de lumière qui anime les façades de leurs bâtiments et admet le fait qu’ils aient été « de grands entrepreneurs »60. « Ils construisaient des châssis superbes, mais ils dessinaient des carrosseries déplorables. »61, Le Corbusier, 1923. « La leçon de Rome est pour les sages, ceux qui savent et peuvent apprécier, ceux qui peuvent résister, qui peuvent contrôler. Rome est la perdition de ceux qui ne savent pas beaucoup. Mettre dans Rome des étudiants architectes, c’est les meurtrir pour la vie. Le grand prix de Rome et la villa Médicis sont le cancer de l’architecture française. »62 Le Corbusier, 1923. Le Corbusier pense que l’on peut éviter la révolution et le chaos social par l’architecture. Les architectes doivent se concentrer sur la question de l’habitat pour le plus grand nombre qui est négligée avant la première guerre mondiale et dans l’entre-deux-guerres en France. En effet, le taux de mortalité en France en raison de l’insalubrité des villes est le plus élevé d’Europe. Malgré cela, entre 1919 et 1925, seulement 18.000 logements sont construits en 57

Le Corbusier cité par Jacques Lucan dans le livre Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.367. 58 Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.38. 59 Ibidem, p.126. 60 Ibidem, p.127. 61 Ibidem, p.126. 62 Ibidem, p.140.

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France, contre 800.000 en Allemagne, ou encore 150.000 en Belgique. Ce tel décalage est l’une des raison qui explique la radicalité du discours de Le Corbusier. « On peut éviter la révolution. »63 Le Corbusier, 1923. Dans les années vingt, la question de l’habitat moderne en France est traitée de trois façons distinctes. La première est formelle (Mallet-Stevens), la deuxième est technique (low-tech, usage du métal, préfabrication lourde), et la troisième est sociale (Tony Garnier et la cité industrielle). Le Corbusier tentera de traiter la question du logement moderne en englobant les aspects formels, techniques et sociaux auxquels il associe un nouveau mode de vie. Dans ses projets, il mélange les registres et crée un nouveau langage dont les origines sont l’utilisation de ses propres références et l’utilisation du Schéma Domino qui autorise le développement des 5 points d’une architecture moderne. DELIRE Paru en 1978, New York Délire est un manifeste rétroactif pour Manhattan qui a nécessité cinq ans d’investigations. Selon Rem Koolhaas, Manhattan est « une montagne d’évidences sans manifeste »64. Manhattan est un territoire occupé par des « mutations architecturales »65 comme Central Park ou les gratte-ciel, par des « fragments utopiques »66 comme le Rockfeller Center ou le bâtiment des nations unies, et par « des phénomènes irrationnels »67 comme le Radio City Music Hall. Manhattan est un territoire en évolution continue dans lequel « chacun de ses bloc est formé de strates d’architectures fantômes »68 qui reflètent un désir collectif des new-yorkais de rechercher une architecture capable de combler tous les besoins et les envies d’un mode de vie métropolitain. « Manhattan a toujours inspiré à ses spectateurs une extase devant l’architecture »69, Rem Koolhaas, 1978.

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Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.38. New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.9. 65 Ibidem, p.9. 66 Ibidem, p.9. 67 Ibidem, p.9. 68 Ibidem, p.9. 69 Ibidem, p.10. 64

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Manhattan est d’après Rem Koolhaas le seul modèle urbain qui a suscité un tel engouement vis-à-vis du public. Il permet le développement d’une architecture ambitieuse et populaire qui a complètement été ignorée par les historiens et occultée par la profession architecturale. Manhattan est le paradigme de l’architecture de l’hyperdensité, le seul urbanisme qui se fonde sur la misère et le stress de la condition métropolitaine. « Comme urbanisme, le manhattanisme est la seule idéologie qui se soit nourrie dès le départ de la splendeur et de la misère de la condition métropolitaine – l’hyperdensité – sans jamais cesser de croire en elle comme seul fondement d’une culture moderne souhaitable. L’architecture de Manhattan est le paradigme de l’exploitation de la densité. »70 Rem Koolhaas, 1978. New York Délire décrit un Manhattan idéal. La ville actuelle est le résultat de compromis et de réalisations imparfaites. Cependant, en considérant seulement les épisodes qui ont fait ressortir le plan avec le plus de conviction, ce livre peut être un contrepoint aux critiques de New York qui considère la ville comme une ville en perpétuel état de crise. « Un plan ne prédit pas les fissures qui apparaîtront par la suite ; il décrit un état idéal que l’on peut seulement tenter d’approcher »71 Rem Koolhaas, 1978. Le livre est construit en blocs comme la trame de Manhattan. Coney Island, le Gratte-ciel, le Rockfeller Center et les Européens (Dali et Le Corbusier) sont les quatre premiers blocs qui retracent l’évolution de la doctrine implicite du Manhattanisme qui a réussi, dans le premier tiers du XXe siècle, à entraîner son territoire «aussi loin du naturel qu’il était humainement possible»72. Le cinquième bloc est une suite de projets illustrant la doctrine explicite du Manhattanisme définie par Rem Koolhaas auparavant. « À travers l’image de ce Manhattan, ce livre se veut être un plan pour une culture de congestion. »73, Rem Koolhaas, 1978. Rem Koolhaas se considère comme le nègre de Manhattan. Il écrit la théorie d’un urbanisme qui dans l‘euphorie de son développement n’a jamais été formulée. Cet urbanisme est porté 70

New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.11. 71 Ibidem, p.13. 72 Ibidem, p.11. 73 Ibidem, p.10.

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par l’ambition conjointe d’architectes, d’ingénieurs, et de promoteurs qui doivent répondre très rapidement aux attentes d’une grande densité de population contenue sur un territoire restreint, et par la vitesse de la prolifération de la technologie qui se substitue à toute réalité naturelle. Le Manhattanisme génère des expériences synthétiques compressées et des sensations artificielles accélérées pour satisfaire toujours plus les masses de la métropole de telle sorte que la ville devienne un « laboratoire de l’inconscient collectif »74. Rem Koolhaas cherche donc à comprendre les conditions selon lesquelles l’architecture urbaine peut générer des lieux artificiels où la vie puisse s’épanouir. Il considère malgré tout New York comme la scène finale de la civilisation occidentale. New York Délire est donc conduit comme une investigation polémique. Il établit que New York est le produit d’un mouvement informulé, le Manhattanisme, dont le programme était tellement outrageant que pour le réaliser il aurait été impossible de le déclarer ouvertement. “La métropole exige et mérite une architecture spécifique, qui soit capable d’exploiter les possibilités offertes par la condition métropolitaine et de donner une nouvelle dimension à la tradition encore toute récente de la culture de congestion.”75 Rem Koolhaas, 1978. Rem Koolhaas élabore son investigation autour de deux analogies. La première analogie associe les expériences extravagantes conduites à Coney Island aux résultats concrets obtenus à Manhattan. En effet, Le terreau fertile de Manhattan a été le Coney Island de la fin du XIXe siècle. L’île est alors l’outil d’expressions et d’expérimentations des fantasmes de toute une société. Véritable laboratoire expérimental de Manhattan, Coney Island, se régénère très vite pour toujours offrir des attractions et même des univers de plus en plus extraordinaires au public. Certains épisodes de Coney Island nous prouvent la fascination et la croyance de la population métropolitaine en la technologie dans l’amélioration des modes de vie, et même plus dans l’exploration d’un monde artificiel qui serait plus agréable que le monde naturel. La « vache »76 est une machine étudiée et construite pour satisfaire la soif intarissable d’un million de personnes avec un lait d’une très grande qualité. La « baignade »77 est autorisée sur l’île 24h sur 24 grâce à l’électricité et à l’éclairage artificiel. L’ « équitation »78 devient une activité démocratique et non plus élitiste grâce à l’hippodrome mécanique. Enfin les

74

cit. de Rem Koolhaas (OMA) dans la revue Lotus international, 1976, n°11 Rem Koolhaas. Thèse développée dans New York Délire. (1978) 76 New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.35. 77 Ibidem, p.35 78 Ibidem, p.37 75

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« tonneaux de l’amour »79 pallient la solitude et à l’aliénation engendrée par la métropole en faisant se rencontrer des hommes et des femmes au gré du hasard de la machine. Tous ces services techniques fantaisistes et compensatoires sont devenus, grâce à la technologie, des substituts supérieurs à la réalité naturelle épuisée par la densité des consommateurs. Les concepts d’instabilité programmatique, de complexité, d’hyperdensité et congestion en incubation à Coney Island prennent vie dans la grille de Manhattan avec l’utopie du gratte-ciel. Toujours plus hauts80, les gratte-ciels permettent une multiplication infinie des sols dans lesquels tout devient possible. Les gratte-ciel renferment dans leurs enveloppes austères81, les fantaisies de la vie métropolitaine. Coney Island, puis Manhattan offrent donc un urbanisme fondamentalement étrange par rapport aux modèles précédents, un urbanisme où la réalité alternative est inventée et planifiée, et non plus accidentelle et arbitraire. La deuxième analogie de New York Délire analyse les réactions diamétralement opposées de Dali et de Le Corbusier face à leur découverte de Manhattan à la même époque. Les deux parties qui composent cette analogie ont été les premières parties du livre à avoir été écrites. Elles constituent la véritable ligne conductrice du raisonnement de Rem Koolhaas qui voit en Le Corbusier un fossoyeur de Manhattan. En effet, par l’utilisation de la psychanalyse et de la méthode paranoïaque critique82, il analyse et essaye de comprendre le comportement messianique de Le Corbusier envers Manhattan. Alors que Dali voit New York comme une image de sa propre gloire, comme une ville surréaliste dans laquelle il n’a plus aucun impact, Le Corbusier voit New York comme une grossière erreur urbaine, que lui seul, grâce aux précepts de la modernité pourrait corriger. Il esquisse d’ailleurs des modèles alternatifs, des « anti-Manhattan » où abondent l’air, le soleil et la verdure. Il concrétisera son modèle alternatif dans le projet de la Ville radieuse83. L’hyperdensité est contestable, bien sûr, mais elle est une condition indispensable à la culture de congestion qui est l’essence même de Manhattan. L’hyperdensité fait de chaque gratte-ciel un « Exodus vertical » qui malgré sa hauteur est agréable. En émettant des doutes sur la qualité de vie de New York, Le Corbusier introduit progressivement les précepts du modernisme européen au cœur de Manhattan. La première introduction des précepts du modernisme européen apparaît dans les jardins suspendus du dixième étage du Rockfeller Center conçu par Raymond Hood, qui sont une traduction manhattanienne de la théorie des toits-jardin de Le Corbusier. Cette 79 80 81 82 83

Ibidem, p.35 Ibidem, p.25, paragraphe “Ascenseur” Ibidem, p.100, paragraphe “Lobotomie” Ibidem, p.235, paragraphe “Méthode” Ibidem, p.259, paragraphe “Siamoises”

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influence du modernisme provenant d’Europe, ajoutée à la disparition des principaux protagonistes de la construction du Manhattan du premier tiers du XXe siècle (sans laisser de traces théoriques), ont inévitablement conduit à la mort du Manhattanisme. Tout le travail de Rem Koolhaas a donc été de retrouver et de formuler les règles qui ont formé les qualités de New York avant la stérilisation Moderne. New York Délire est une recherche expérimentale qui ne propose pas d’instrumentation particulière mais qui émet et soutient une hypothèse où la congestion est une nécessité de la vie urbaine et un facteur de qualité urbaine, une hypothèse fondamentalement opposée aux théories urbaines de Le Corbusier. Dans cette optique, le livre cherche à démontrer les capacités qu’ont l’urbanisme et l’architecture de Manhattan à gérer la congestion, à la poétiser, et à la rendre viable. Dans l’appendice, Rem Koolhaas présente une « conclusion-fiction », une suite de projets architecturaux qui illustrent le manhattanisme comme une théorie consciente. Rem Koolhaas aurait d’ailleurs souhaité supprimer cette dernière partie à l’occasion de la deuxième édition du livre. Ce souhait est certainement dû au fait qu’il veuille prendre du recul face aux théories du Manhattanisme, pour ne pas être considéré seulement comme un porte-parole. Elle est peut-être aussi due au fait qu’en illustrant une théorie par des projets personnels dans un livre, il adopte les mêmes méthodes que Le Corbusier dans Vers Une Architecture. Cependant, cet appendice est conservé et parmi les projets présentés, le cas de Leonidov et de la légende de la piscine84 est certainement l’essai qui représente le plus ce que Rem Koolhaas fera dans le futur, c’est-à-dire développer une architecture purement basée sur l’interprétation des programmes sans se soucier des formes qui en résultent. « (the floatting swimming pool is) the purest demonstration of what I wanted to do with architecture: a project that was purely program and almost without form, that could coexist well with any other type of architecture…»85 Rem Koolhaas. Proche de la forme d’un bloc de la grille de Manhattan, la piscine flottante imaginée par Rem Koolhaas dérive dans l’océan à la recherche des autres blocs de Manhattan. Pour aller à New York, les architectes sauveteurs qui habitent la piscine doivent nager dans la direction opposée de celle dans laquelle ils se dirigent. Ils vont vers l’inconnu en fixant leur point de départ, ils regardent derrière eux pour voir devant. Le bassin est bordé de deux épais murs 84

Ibidem, p.307, essai “La légende de la piscine”, 1977. Rem Koolhaas cite par Roberto Gargiani dans Rem Koolhaas | OMA: The Construction of Merveilles, Roberto Gargiani, Essays In Architecture, EPFL Press, Distribué par Routledge, 2008, traduit de l’italien par Stephen Piccolo, p.43 85

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sur les côtés, et de deux boîtes carrés aux extrémités. Ce dispositif architectural est d’ailleurs assez proche de celui du projet Exodus (et sera repris plus tard dans la villa Dell’Ava). En utilisant la forme rectangulaire, Rem Koolhaas affirme déjà le bien-fondé d’une architecture sans qualité, d’une architecture ennuyeuse contre la prolifération du formalisme postmoderne. Le projet confirme également le fait que pour Rem Koolhaas, l’architecture est avant tout narrative. « Lorsque rem Koolhaas définissait la “culture de congestion” dans New York Délire, il regardait derrière lui pour voir devant: il dévoilait la stratégie de l’hybridité radicale, souvent inconsciente, présente dans l’exploration psychologique du Surréalisme, mais aussi dans le modernisme normative de l’architecture d’entreprise américaine du milieu du siècle. Dans ses propres projets, Koolhaas développait, accélérait et affinait l’éthos hybride, insufflant de la vie dans cette stratégie grâce à un programme de recherché urbaine et architecturale agressif. L’image de la radicalité de ces projets dérivés (de l’OMA) ne suffit pas à dissimuler la nostalgie accablante d’une radicalité disparue. »86 Sarah Whiting, 2004. ÉVOLUTION Les deux architectes, bien qu’ils soient extrêmement critiques vis-à-vis de l’époque dans laquelle ils vivent pensent que l’architecture peut éviter la révolution, que l’architecte est un sauveur. Ils sont à la fois alarmistes, en soutenant un discours radical visant à faire évoluer les mœurs, et optimistes, en soutenant la thèse que le monde moderne qui nous entoure nous offre la possibilité d’améliorer nos conditions de vie. « Des villes entières sont à construire, à reconstruire, en vue d’un confort minimum, dont le manque prolongé pourrait faire osciller l’équilibre des sociétés. La société est instable, se fissurant sous un état de choses bouleversé depuis cinquante années de progrès qui ont plus change la face du monde que les six siècles précédents. »87 Le Corbusier, 1923.

86

Sarah whiting, going public, dans hunch, n°6/7, 2003, tire du livre Qu’est-ce que l’OMA – A propos de Rem Koolhaas et de l’Office for Metropolitan Architecture, Véronique Patteeuw, Paris, Editions du Moniteur, 2004 87 Le Corbusier, Vers une Architecture, Paris, éd. Crès et Cie, 1923, p.79.

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« Les architectes de Manhattan ont réussi leurs miracles en se complaisant dans une inconscience délibérée ; il appartient maintenant à l’architecture de la fin du XXe siècle d’assumer ouvertement les prétentions et les réalisations extravagantes et mégalomaniaques de la métropole. »88 Rem Koolhaas, 1978. Rem Koolhaas, sans réclamer de rupture nette avec l’architecture qui le précède contrairement à Le Corbusier, est guidé par un optimisme: « celui de toujours vouloir renouer avec “le vrai feu de la modernité”: offrir aujourd’hui un établissement aux programmes futures. »89.

88

Rem Koolhaas dans la conclusion-fiction de New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet. Réédition en format réduit : Marseille, éd. Parenthèses, 2002, p.293. 89 Jacques Lucan, Avant-propose du livre OMA – Rem Koolhaas – Pour Un e Culture De Congestion , Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990, p.7

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CINQ POINTS COMME SYNTHESE DES DEUX DOCTRINES.

LISTE Le Corbusier et Rem Koolhaas prennent du recul par rapport à leurs livres respectifs, puis construisent, enseignent, donnent des conférences, continuent d’écrire, et synthétisent leurs pensées en points. Comme des recettes de cuisine prêtes à être appliquées par n’importe quel architecte, ces listes de cinq points sont des outils de communication redoutablement efficaces et pédagogiques, qui peuvent cependant se retourner contre eux et les suivre tout au long de leur carrière. Elles permettent néanmoins de comprendre et de retenir rapidement leurs doctrines. Avant-gardistes, Les deux architectes sauront volontiers se détacher de ces points si nécessaire puisqu’ils sont le résumé de leurs observations, de leurs constructions, et de leurs écrits, à une époque donnée.

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MODERNITE Vers Une Architecture exprime la volonté de Le Corbusier d’inventer une esthétique nouvelle, de développer une architecture moderne pour un homme moderne, au regard du monde dans lequel il vit. Le point de départ des cinq points est certainement la découverte de la structure Domino qui a constitué la base structurelle de la plupart de son travail entre 1920 et 1935. Cette structure permet le développement de maisons d’un nouveau type, mais aussi de villes d’un nouveau type. La structure Domino permet à Le Corbusier de concrétiser son idée de « villes pilotis » inspirées de la « rue future » d’Eugène Hénard imaginée en 1910. “L’architecture a laissé au cours des âges des systèmes purs”90 Le Corbusier. Le Corbusier cherche, à travers la découverte de la structure Domino, un système d’architecture ayant à faire avec un système constructif intelligent et rationnel, un système constructif pur qui illustrera la modernité. Chaque époque a su définir son architecture avec des systèmes purs, de la hutte jusqu’aux gratte-ciels nord-américains, en passant par les hangars à dirigeable. Auguste Perret partage le même point de vue que Le Corbusier mais il l’exprimera différemment dans son architecture. “À chaque architecture est attaché un mode de structure. Ce système comporte la création d’un jeu harmonieux de formes réalisant un phénomène plastique entier”91, Auguste Perret. La structure Domino est avant tout réalisable grâce aux progrès techniques de la construction en béton armé du début du XXe siècle. Le béton armé permet à la structure d’être extrêmement fine et flexible avec des planchers à la surface et à la sous-face lisse. Ces planchers sont soutenus par des poteaux fins (de section carrée ou circulaire) régulièrement disposés en grille. Cette structure générique que Le Corbusier compare à un squelette est ensuite enveloppée par une fine peau qui sépare l’intérieur de l’extérieur et occupée par des organes disposés librement qui permettent au bâtiment de répondre aux fonctions qui lui sont réclamées.

90

Le Corbusier, cité par Jacques Lucan dans Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.369. 91 Auguste Perret, cité par Jacque Lucan dans Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.370.

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Cette structure moderne libère Le Corbusier de toutes les contraintes structurelles de l’architecture en pierre ou en brique dont l’architecte était prisonnier auparavant et qui lui imposait des murs porteurs, des voûtes, et des nervures… Au contraire, la structure Domino permet à l’architecte d’organiser ses plans et ses façades d’une façon très libre. Elle révolutionne l’architecture. Dans un premier temps, « Le ciment armé fait révolution dans l’histoire de la fenêtre »92 car puisqu’elle n’est plus soumise aux contraintes de la façade en maçonnerie qui lui imposait une relative verticalité, elle peut largement s’agrandir et même devenir horizontale. Dans un deuxième temps, « le béton armé apporte le toit plat et révolutionne l’usage de la maison »93 car puisque le toit est un plancher comme les autres, l’ajout d’une charpente pour couronner l’édifice n’est plus nécessaire et le toit devient une terrasse. Enfin, dans un troisième temps « Le ciment armé nous donne les pilotis »94 qui autorisent l’architecture à s’élever du sol, à s’adapter sur n’importe quel site, et à fluidifier les déplacements des piétons. Ces trois éléments sont préalables à ce que Le Corbusier qualifie «d’infinies et extraordinaires richesses d’un plan nouveau»95. Il ne l’appelle pas encore plan libre. Les prémisses des cinq points d’une « architecture moderne » apparaissent pour la première fois dans l’expérimentation des maisons Citrohan. En Effet, certaines de ses variantes sont déjà posées sur des pilotis. Cependant aucune d’entre elles n’est construite jusqu’à la réalisation de deux maisons du type Citrohan que Le Corbusier réalise en 1927 à Stuttgart à l’occasion de l’exposition du Weissenhof qui se présente comme un quartier expérimental d’architecture moderne. Cette exposition est une occasion idéale pour Le Corbusier de publier l’énoncé de ses « cinq points d’une architecture moderne »96. Cet énoncé lui permet, sans aucune prétention, d’établir un système architectural cohérent qui libère l’architecte des règles que lui imposait l’architecture de pierre ou de brique traditionnelle. Dans l’Article “Où en est l’architecture?” publié dans la revue L’architecture vivante, Le Corbusier synthétise dans un premier temps ses conceptions en six points, et non en cinq. Le toit-jardin rend à la nature l’emprise de la maison; les pilotis libèrent le sol; la fenêtre en longueur apporte de la lumière; le plan libre élimine les murs porteurs; la façade libre libère la façade de la structure; enfin la suppression de la corniche est synonyme de 92

Le Corbusier, cité par Jacques Lucan dans Compo sition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.370. 93 Ibidem. 94 Ibidem. 95 Ibidem. 96 Le Corbusier publie les « cinq points d’une architecture moderne » pour la première fois à l’occasion du Weissenhofsiedlung de Stuttgart en 1927.

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l’élimination d’un élément proéminent de l’architecture classique. Ce dernier point disparaîtra vite de la liste bien que: « (…) Du point de vue esthétique, admettre que la corniche doive être supprimée, c’est apporter un élément capital à la rédaction d’un nouveau code de l’architecture. »97 (Petite attaque à destination de Perret). Les cinq premiers points (ainsi que le sixième) appuient le fait que Le Corbusier est bien à la recherche d’un nouveau langage de l’architecture. Les cinq points d’une « architecture moderne » sont donnés par Le Corbusier comme des principes fondateurs bien qu’il ne précise pas s’ils sont constructifs, fonctionnels ou esthétiques. Aussi, il n’impose pas de plan type, mais des éléments-type qui autorisent un nombre infini de combinaisons. Les “éléments-type de la maison (les lettres de l’alphabet) (…) Permettent de constituer des ensembles, des maisons (les mots faits avec des lettres) ayant entre eux une affinité foncière, élémentaire et, par conséquent, ayant entre eux un style commun”98. Le Corbusier ne s’impose également pas de plan type et expérimente dans ses projets toute forme de composition qu’il résumera et illustrera dans la planche des quatre compositions publiée dans le livre Une maison, un palais. Les 5 points d’une “architecture moderne” seront publiés un peu plus tard, officiellement dans cet ordre : 1- les pilotis, 2- les toits-jardins, 3- le plan libre, 4- la fenêtre en longueur, 5- la façade libre. Le Corbusier prône une liberté absolue du plan et le plan libre est certainement le point le plus récurrent dans son travail. Il lui donne l’occasion de rappeler en quoi l’architecture moderne a réussi à se libérer des contraintes du « plan paralysé » des bâtiments en maçonnerie. « Je vous rappelle ce “plan paralysé” de la maison de Pierre et ceci à quoi nous sommes arrivés avec la maison de fer ou de ciment armé: -Plan libre -Façade libre -Ossature indépendante -Fenêtre en longueur ou pan de verre -Pilotis -Toit jardin -Et l’intérieur muni de “casiers” et débarrassé de l’encombrement des meubles. »99, Le Corbusier, 1930.

97

Le Corbusier, cité par Jacques Lucan dans Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.370. 98 Le Corbusier, « la signification de la cité-jardin du Weissenhof à Stuttgartt », Architecture, vivante, printemps et été 1928, p.10. 99 Le Corbusier, dans Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, 1930, p.123.

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ÉNORMITE New York Délire exprime la Volonté de Rem Koolhaas de faire exister le Manhattanisme aux yeux des historiens comme un mouvement aussi important que le modernisme européen des années 20. Ainsi, il développe, écrit et publie l’énoncé des 5 points du BIGNESS, dont la principale inspiration est le Down Town Athletic Club. Dans ce bâtiment, l’architecture se détache de l’urbanisme pour créer ses propres mondes intérieurs. Il est la conclusion d’une série d’expériences new-yorkaises antérieures et une illustration concrète du théorème de 1909. L’énoncé des cinq points du Bigness est un manifeste de 1994 publié dans le livre SMLXL paru en 1995. Rem Koolhaas considère ce livre comme « un roman sur l'architecture » et une « accumulation d'essais, de manifestes, de notes de journal, de contes de fées, de récits de voyages, un cycle de méditations sur la ville, contemporaine… ». En seulement 4 essais que sont Typical Plan (1993), Bigness, or the problem of large (1994), Last Apples (1993) et the generic city (1994), Rem Koolhaas soulève les principes d’une nouvelle théorie de l’architecture qui impliquent la question du plan, de la taille du projet, du rôle de la structure, et du statut de la mégalopole contemporaine. Le manifeste Bigness, or the problem of large remet en cause la notion d’échelle en architecture. Il est écrit à la suite d’une série de grands projets entamée par l’OMA en 1989 dont la Très Grande Bibliothèque de France, le Zentrum fur Kunst und Medientechnologie et le Congrexpo de Lille qui est la première infiltration concrète des précepts du manhattanisme en Europe. D’après Rem Koolhaas, le gratte-ciel tel qu’il est pensé dans le Manhattan du premier tiers du XXe siècle, est la seule typologie capable de répondre aux programmes contemporains, puisqu’elle autorise et permet les superpositions, les empilements, et les montages. Les gratte-ciel, et donc plus généralement les très grands bâtiments, représentent une économie de projet: ils sont l’expression architecturale des paradigmes du XXe siècle. Ils symbolisent une véritable rupture avec l’architecture telle qu’elle a été pensée jusqu’alors. Au-delà du fait qu’ils représentent un bouleversement de la notion d’échelle et de composition, Ils permettent « hybridation - proximités - frictions - Chevauchement superposition (…) tous moyens de montage inventés au début du siècle pour organiser les relations entre des parties indépendantes »100. Ils sont en quelque sorte des variantes radicales 100

Rem Koolhaas, “bigness or the problem of large”, Domus, Milan, n°764, octobre 1994, repris dans O.M.A Rem Koolhaas et Bruce Mau, S,M,L,XL, pp.506-507

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des bâtiments issus du fonctionnalisme européen (dans sa définition courante et non dans son approche biologique) de la même époque. En exploitant une architecture basée sur une absence d’articulations spatiales (mais mécaniques) entre des programmes extrêmement variés, voire incompatibles, ils rendent inutile l’expression de leurs fonctions sur leurs façades. Ils créent une limite franche qui sépare le monde extérieur du monde intérieur et Ils n’ont plus besoins de la ville pour les mettre en scène. Les cinq points du BIGNESS qui résultent de ce raisonnement sont : 1- l’autonomie, 2- L’ascenseur, 3- La lobotomie, 4- L’amoralité, et 5- Fuck context. « 1- Au-delà d'une certaine masse critique, un bâtiment devient un GRAND Bâtiment (a BIG Building). Une telle masse ne peut plus être contrôlée par un seul geste architectural, ou même par aucune combinaison de gestes architecturaux. Cette impossibilité déclenche l'autonomie de ses parties, ce qui est différent d'une fragmentation : les parties restent soumises à l'ensemble. 2- L'ascenseur - avec ses capacités d'établir des relations mécaniques plutôt qu'architecturales et les inventions qui lui sont liées rendent nul et non-avenu le répertoire classique de l'architecture. Les problèmes de composition, d'échelle, de proportion, de détail sont maintenant hypothétiques. L’art de l'architecture est inutile dans BIGNESS. 3- Dans BIGNESS, la distance entre le coeur (core) et l'enveloppe (envelope) augmente au point que la façade ne peut plus rien révéler de ce qui se passe à l'intérieur. L'attente "humaniste" d'honnêteté est condamnée; l'architecture intérieure et l'architecture extérieure deviennent des projets indépendants, l'une est liée à l'instabilité des demandes programmatiques et iconographiques, l'autre - agent de désinformation - offre à la ville l'apparente stabilité d'un objet. Là où l'architecture révèle, BIGNESS rend perplexe; d'une addition de certitudes BIGNESS fait de la ville une accumulation de mystères. Ce que vous voyez n'est plus ce que vous trouvez. 4- A cause uniquement de leur taille, de tels bâtiments se situent dans un domaine amoral (amoral), au-delà du bien et du mal. Leur impact est indépendant de leur qualité. 5- Ensembles, toutes ces ruptures - par rapport à l'échelle, à la composition architecturale, par rapport à la tradition, à la transparence, à l'éthique - impliquent la rupture finale la plus radicale : BIGNESS ne fait plus partie d'aucun tissu (tissue). Il existe; au plus, il coexiste. Son présupposé est fuck context. »101 Rem Koolhaas, 1994.

101

Ibidem, pp.495-516, traduit de l’anglais par Jacques Lucan.

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DEUX VILLAS EMBLEMATIQUES COMME ILLUSTRATION DES CINQ POINTS.

SPLENDEUR Le Corbusier et Rem Koolhaas illustrent leurs cinq points dans deux villas expérimentales hors-normes : la villa Savoye et la villa Lemoine. Les moyens mis en œuvre dans la réalisation de ces deux villas sont exceptionnels. Construites toutes deux pour de riches clients amateurs d’art, elles sont des chef-d’œuvres de l’architecture. Elles ont toutes deux été largement médiatisées et symbolisent l’avant-garde de l’époque à laquelle elles ont été conçues.

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PROMENADE La villa Savoye, située à Poissy, est achevée en 1931 et est la conclusion d’une décennie fertile pour Le Corbusier et l’architecture moderne. Elle est conçue et construite après la publication des 5 points d’une architecture moderne. Elle en est l’illustration littérale. La villa Savoye est comparable à la Villa Rotonda de Palladio. Selon Kenneth Frampton, « son plan presque carré, avec un rez-de-chaussée en partie elliptique et la rampe centrale, peut être lu comme une métaphore complexe du plan central bi-axial de la Rotonda. Ici s’arrête cependant la similitude »102. Dans le livre Précision, Le Corbusier revendique le classicisme de la villa Savoye : «Les habitants, venus ici parce que cette campagne agreste était belle avec sa vie de campagne, ils la contempleront, maintenant intacte, du haut de leur jardin-suspendu ou des quatre faces de leurs fenêtres en longueur. Leur vie domestique sera insérée dans un rêve virgilien»103. La villa se situe sur un tapis de verdure au centre d’un grand terrain entouré d’arbres. Cette situation lui permet d’être observée de l’extérieur comme un prisme à base carrée délicatement posée sur ses pilotis. De l’intérieur, les fenêtres en longueurs qui ceinturent la maison autorisent un contact visuel permanent avec la nature qui entoure la maison. PLATE-FORME La villa Lemoine, située à Floirac, est achevée en 1998 après plusieurs années de conceptions et de chantier. Rem Koolhaas commence à la dessiner en 1994 juste avant la publication de SMLXL et sait qu’avec cette villa, il a l’opportunité d’illustrer ses théories. Si Le Corbusier revendique le classicisme de la Villa Savoye, Rem Koolhaas ne cache pas non plus le modernisme de la Villa Lemoine. La villa Lemoine se place dans la lignée de la Villa Rotonda et de la villa Savoye. Le terrain sur lequel Rem Koolhaas construit la villa Lemoine est exceptionnel. Sur les hauteurs des coteaux de la rive droite de Bordeaux, le terrain bénéficie d’une vue panoramique sur la vallée de la Garonne et la façade des quais du XVIIIe siècle. La villa Savoye bénéficie également, à l’origine, d’un terrain qui s’ouvre largement sur un paysage exceptionnel. Le terrain originel était considérablement plus grand que celui que l’on connaît 102

Kenneth Frampton à propos de la villa Savoye, cit. L'Architec ture Mod erne, Une histoire critique, Kenneth Frampton, édition française, Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.185 103 Le Corbusier, cité par Kenneth Frampton dans L'Arc hitecture Moderne, U ne histoire critique , édition française, Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.185

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actuellement. Il allait jusqu’au bord des coteaux qui dominent la vallée de la Seine. La villa Savoye domine la vallée de la Seine et son ascension conduit à des vues exceptionnelles, comme celles de la villa Lemoine sur la vallée de la Garonne. Les deux villas développent la même stratégie. Elles sont constituées de trois strates superposées. Les trois strates de la villa Savoye (technique, maison avec patio, solarium) sont reliées spatialement par un système de rampes qui crée une promenade. Les trois strates de la villa Lemoine sont trois « maisons » indépendantes et connectées par une plateforme de 3 par 3,5 mètres montée sur vérin qui devient le cœur de la maison. La raison pour laquelle la plateforme est au centre est que Rem Koolhaas a dû imaginer une maison pour un couple dont le mari, handicapé, souhaitait une maison capable de le libérer de son handicap. Tout ce dont le mari a besoin est placé autour de cet ascenseur (livres, oeuvres d'art, vin) et le mouvement de l'ascenseur change constamment l'architecture de la maison. Les premières esquisses de Rem Koolhaas montrent un prisme à plan carré monté sur des pilotis, comme la villa Savoye. Deux solutions contradictoires sont alors examinées à la suite de ces esquisses. La première est de superposer des strates différentes comme pour la villa Dell’Ava. La deuxième est de créer une rampe facilitant l’accès au fauteuil roulant. Cette contradiction mène à l’expérimentation d’un espace entre-deux qui va paradoxalement créer une maison horizontale organisée verticalement. Le remplacement de la rampe par la plateforme va affirmer la séparation des trois niveaux. La version finale est surnommée la « maison à patio ». La maison a 3 niveaux qui déterminent différentes conditions de vie : creuse dans des caves artificielles, illimitée au niveau du jardin, flottante dans la boîte. Les 3 niveaux sont séparés en deux secteurs pour obtenir deux unités distinctes et indépendantes (deux salles de bain et deux accès) dans la boîte flottante : la partie des enfants et la partie des parents.

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DEUX ARCHITE CTES NON-CONFORMISTES

CYCLE Les deux architectes se forment et évoluent à l’écart de deux grands cycles d’activité d’avantgarde architecturale en Europe : Le Bauhaus (1920-1930) et La Modernité Française (19801990). Ils sont à l’écart puisqu’ils n’adhèrent pas à ces mouvements : ils préfèrent rester indépendants. Cependant leurs idéaux ne sont pas étrangers à ceux de ces deux mouvements et Ils développent, comme deux électrons libres, une pensée libre de toute contrainte. En participant à de nombreux concours, ils confrontent leurs projets, et donc leurs théories à celles des mouvements majeurs de leur époque. « Il y a certains détails qui poussent à l’identification du concours du Palais des Soviets de 1931 à Moscou avec le concours de Jussieu à Paris. Ce sont là deux concours ratés qui ouvrent une phase de recul intellectuel. Depuis la moitié du XIXème siècle, les historiens ont signalé trois grands cycles d’activité d’avant-garde architecturale en Europe: En 1850, c’était l’Art & Crafts en Angleterre; En 1920, le Bauhaus en Allemagne; En 1980, le modernisme Français. (…) L’évolution de ces deux cycles modernistes suggère l’existence d’un lien commun qui ferait que l’un ne soit pas la reprise de l’autre mais la manifestation, sous d’autres usages et d’autres apparences de la pensée architecturale en Europe. Le premier cycle s’est passé en Allemagne, le deuxième en France. (…) Réviser l’analyse du modernisme sous un angle opposé à celui du refoulement du plaisir. C’est par ailleurs sous ce prisme que les jeunes architectes des années 80 ont bouleversé les dogmes de la génération précédente.” 104, Marco Tabet, 1996.

104

Marcot Tabet dans l’épilogue engage de La Terrifiante Beauté de la Beauté, Neutralisme et Abstraction dans l’Architecture de J.Nouvel et R.Koolhaas, Marco Tabet, Paris, éd. Sens & Tonka, Mars 1996, p.110.

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Le projet du Palais des Soviets conçu par Le Corbusier à Moscou en 1930 est le concours qui clos la période Bauhaus. Le projet de la Bibliothèque de Jussieu conçu par Rem Koolhaas à Paris en 1992 est le concours qui clos la période Modernité Française. Rem Koolhaas gagne en notoriété et en crédibilité avec des projets de concours radicaux relatifs à ce modernisme français des années quatre-vingt (introduit par le projet du Centre Georges Pompidou et les grands projets mitterrandiens) : Le Parc de la Villette, La Très Grande Bibliothèque de France, et bien sûr la Bibliothèque de Jussieu. Aucun d’entre eux n’est construit et Rem Koolhaas garde une certaine rancune envers la France. EXPLORATION Les deux architectes suivent une méthode commune qui consiste en des aller-retour systématiques entre la pratique du projet et la théorie. Leurs projets traduisent leurs théories, et inversement, ce qui ne leur permet pas d’éviter les contradictions. Ces contradictions enrichissent le développement de leur pensée mais aussi le débat architectural. Les deux architectes ne sont en aucun cas des opportunistes sur le plan de leurs idées architecturales et urbaines, ils ne font pas de compromis. Ils sont des laborantins à la recherche de clients capable de concrétiser leurs expériences. En effet, en s’inscrivant dans une démarche de recherche et d’expérimentation les projets des deux architectes reflètent une certaine idée de la modernité. Par définition, la modernité évolue sans cesse (notamment en fonction de la technologie), et ne repose pas sur des acquis ou des préjugés : elle est anti-académique. Si la modernité est anti-académique, elle vise également à l’universalité, et prend alors une dimension internationale. Le Corbusier est d’ailleurs le premier architecte à diversifier autant la pratique de l’architecture, à véritablement s’internationaliser, à exporter ses théories de l’architecture et son discours sur la société. D’après lui, la société moderne est internationale et pourrait définir une architecture à laquelle chacun s’identifierait, une architecture abstraite et épurée de tout signe communautaire distinctif qui permettrait à la société de s’épanouir pleinement dans le confort de la vie moderne. Il définit les bases d’une architecture qui paraît universelle dans un contexte de mondialisation naissante. Rem Koolhaas ne tient pas ce discours salvateur, mais constate qu’aujourd’hui, à travers le monde, le processus de métropolisation est largement enclenché et que quelque soit le pays ou la culture, les métropoles ont les mêmes besoins, les mêmes qualités et les mêmes maux. Bien que ce processus de métropolisation stagne en Europe aux Etats-Unis ou au Japon, il est amplifié et complètement incontrôlable dans la plupart des pays en voie de développement. Rem Koolhaas s’est intéressé à ce processus dans des villes d’Afrique et d’Asie de la même

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manière que pour New York auparavant, c’est-à-dire en menant des investigations polémiques qui visent encore une fois à justifier la culture de congestion. Ces métropoles constituent un terreau fertile au développement d’une architecture moderne radicale qui ne saurait trouver sa place dans les pays occidentaux. Dans son architecture, Rem Koolhaas entretient une certaine tradition moderne qui consiste en l’exploration de nouvelles formes et de nouveaux concepts, tout en se servant d’éléments standard, de matériaux modernes, et de systèmes de structure novateurs. Ses projets se particularisent souvent par un décryptage précis du site. Ils sont des systèmes architecturaux qui s’insèrent dans des systèmes urbains existants et non des formes qui s’insèrent dans un ensemble de formes existantes. Ainsi, cette vision du contexte permet à Rem Koolhaas de créer une architecture à la fois libre et légitime. « Je pense que nous (OMA) utilisons les données du contexte avec une telle intensité qu’il en dérive une espèce de légitimité qui sera vraiment perceptible même au niveau instinctif, des simples amateurs ou passants »105, Rem Koolhaas, 1985.

105

Rem Koolhaas dans OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985.

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REM KOOLHAAS : LES RELATIONS ENTRETENUES AVEC LE MODERNISME

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LES CLINS D’ŒIL DES VILLAS.

ÉVIDENCE Rem Koolhaas parle très peu de ses villas, comme si elles étaient juste évidentes. Cependant elles sont essentielles à l’évolution et à l’illustration de ses théories. Elles sont des exercices de style, des projets plus libres que les commandes publiques où l’intimité du dialogue entretenu entre le client, l’architecte et l’ingénieur permet l’expérimentation de visions chimériques. De plus ces villas ont été imaginées par Rem Koolhaas à la demande de ses clients qui lui ont donc laissé une très grande marge de manœuvre dans le mode de vie qu’elles allaient leur proposer. Ce sont des villas d’exception, destinées à quelques clients amateurs d’architecture, en quête d’une maison qui propose un mode vie complètement original. Dans Le livre S,M,L,XL, 120 pages sont consacrées aux deux villas avec patio, au projet de logement Nexus et à la villa Dell’Ava. Ces pages rapportent de nombreuses anecdotes amusantes relatives aux processus de projet, mais aucune déclaration n’est faite sur ce qu’est la maison et ce qui pourrait s’y passer à l’intérieur. Dans le dictionnaire satirique qui parcourt l’ensemble du livre il n’y a pas de définition pour maison (house), villa ou habitat (housing). Koolhaas ne s’exprime pas personnellement sur les théories qui animent ses villas, et préfère penser qu’elles parlent d’elles-mêmes. La maison est avant tout pour lui un endroit pour “vivre en secret”. « le “discours” porte sur l’architecture publique, sur la façon dont l’urbanisme et l’architecture fonctionnent socialement, sur la position du concepteur et sur le processus de conception comme pratique intellectuelle, créatrice et sociale »106 Bart Verscaffel à propos de Rem Koolhaas, 2004.

106

Bart Verscaffel, L’éthique de survie de Rem Koolhaas: les premières maisons de l’OMA, article du livre de Véronique Patteeuw, Qu’es t-ce que l’OMA – A propos de Re m Koolhaas et de l’Office for Metropolitan Architecture, Paris, Editions du Moniteur, 2004

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METAPHORE La villa Dell’Ava, située à Saint-Cloud, est la première villa construite par Rem Koolhaas en France. Elle est le résultat de l’ambition conjointe de l’architecte et de ses clients, un couple dont le mari est M. Boudet qui n’est autre que le rédacteur en chef de la revue AMC le Moniteur. La villa porte le nom de jeune fille plus onirique de sa femme : Dell’Ava. Le projet est très ambitieux, le client veut une maison qui soit un chef-d’œuvre pour un budget relativement modeste. Il est exigeant quant au choix de l’architecte et après plusieurs hésitations, il décide de confier la tâche à Rem Koolhaas, et lui écrit : « vous êtes notre dernière chance »107. Le terrain destiné à recevoir la villa, malgré son étroitesse et sa forte pente, se trouve dans un quartier résidentiel huppé (Av. Clodoald, dans un quartier pittoresque de villas du XIXe et XXe siècle) et dévoile de superbes vues sur le bois de Boulogne et la Tour Eiffel. « (..) I could have been irritated by the fact that the house is precisely on the axis of the Tour Eiffel. But it was also a unique opportunity to be in an intimate situation, swimming almost naked and, at the same time, in touch with the scale of a great metropolis (…). I did everything possible to prevent this moment from becoming the apotheosis of the house. The House is not a corridor that leads to this sublime event »108, Rem Koolhaas, 1995. Entreprit en 1985 et livré en 1991, le projet est complexe et Rem Koolhaas doit faire face à deux contradictions. La première est liée à la taille du terrain comparée à la taille de la maison désirée par les clients : le site est petit mais la maison est grande. Il s’astreint à avoir la plus petite empreinte sur le site en répartissant le programme sur trois niveaux et paradoxalement il élargit les espaces de la maison au rez-de-chaussée. En effet, la parcelle est entourée de grands murs en pierres, qui constituent déjà une sorte d’intérieur. En plaçant une maison de verre dans un petit rectangle qui représente l’emprise minimum qu’il peut avoir sur le terrain, il crée une première limite physique, mais crée dans le même temps une continuité visuelle qui s’arrête aux limites du terrain, « là où les autres commencent »109. La position centrale de la maison divise le terrain étroit en trois bandes dans le sens de la longueur. La bande centrale contient évidemment la base de la maison, la bande de gauche 107

Rem Koolhaas, traduction personnelle de “you are our last chance.” Cit. tirée de S,M,L,XL, Small, Medium, Large, Extra-large, OMA, Rem Koolhaas, Bruce Mau, Jennifer Sigler (dir.), Rotterdam, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, p.133. 108 Rem Koolhaas, tirée de l’interview dans Villa Dell’Ava, vidéo de Richard Copans et Alain Guiheux, Paris, Centre G.Pompidou. 109 Rem Koolhaas, traduction personnelle de “the real house ends at the walls, where the ‘others’ begin”, cit. tirée de S,M,L,XL, Small, Medium, Large, Extra-large, OMA, Rem Koolhaas, Bruce Mau, Jennifer Sigler (dir.), Rotterdam, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, p.134.

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un jardin, et la bande de droite une allée pavée qui mène au garage sous-terrain. La deuxième contradiction réside dans le fait que les clients veulent à la fois une maison en verre pour profiter largement de leur jardin et une piscine sur le toit pour observer la tour Eiffel en nageant. Rem Koolhaas doit trouver une solution pour pouvoir faire tenir une piscine au-dessus d’une maison en verre. Cette deuxième contradiction conduit l’architecte à imaginer un système de structure qui permettrait à la partie haute de la maison de flotter. En plus de la piscine, la partie haute accueille l’espace du couple et celui de leur fille. Elle est donc également divisée en trois bandes disposées dans la direction opposée de celles qui résultent de la première contradiction. La longue et étroite piscine est bordée à ses extrémités par deux boîtes saillantes en porte-à-faux : la boîte donnant sur le jardin est réservée au couple et la boîte donnant sur la rue est destinée a leur fille. L’intelligence de la structure est essentielle au succès de la villa. Pour donner l’illusion que les boîtes et la piscine flottent au-dessus de la maison en verre, il imagine avec son ingénieur Mac Mimram une structure en béton armé astucieuse et complexe. La piscine repose sur une rangée de poteaux cylindriques équilibrée par deux piliers en L et par un mur en béton armé qui soutient également en partie la boîte réservée à la fille des clients. Cette boîte en béton armé est soutenue d’un côté par le mur et de l’autre par seize longs et minces poteaux d’acier dont certains sont en fait seulement des tuyaux de plomberie. Ces pilotis semblent être disposés aléatoirement et donnent l’effet d’une forêt qui sert au processus d’entrée de la maison par un chemin tortueux. Côté jardin, la deuxième boîte en béton repose également sur une structure barycentrique composée de poteaux situés dans l’alignement de ceux qui portent la piscine et par une demi-poutre placée en dessous du plafond. Le grand porte-à-faux au-dessus du Jardin est contrebalancé par deux poteauxtirants. Ce système fait directement échos aux peintures de Dali et notamment au tableau Le Sommeil110 où de minces béquilles soutiennent un visage endormi qui menace de s’effondrer à tout moment. Rem Koolhaas organise la villa en trois strates superposées distinctes, comme un avant-goût de la villa Lemoine. Il développe déjà le même système constitué d’une base semi-enterrée, d’une série de boîtes flottantes, et d’un entre-deux complètement ouvert et libéré de la structure. Il répartit le programme de la villa à ses deux extrémités, la partie centrale étant majoritairement dédiée aux circulations. Cette bipolarité permet aux deux parties de la 110

Sleep - El sueño - Le Sommeil, Salvador Dali, 1937, huile sur toile, 51 x 78 cm, Collection privée.

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maison, destinées d’une part au couple et d’autre part à leur fille, d’être indépendantes. La partie centrale accueille une rampe placée entre l’immense baie vitrée percée dans le grand mur en béton et la paroi-meuble en bois qui en plus de cacher la série de poteaux alignés contient des espaces de rangement. L’utilisation de la rampe comme circulation verticale invitant à la promenade et de la paroi-meuble comme signe de la suppression des meubles traditionnels de la maison est un emprunt évident aux villas de Le Corbusier. La base est enterrée et contient l’entrée, les services, une archive de livre, des espaces techniques et un petit studio éclairé zénithalement par des étroits panneaux de verres pouvant être ouverts au niveau du Jardin. La façade de cette base en dalles de schiste gris renforce cet aspect de piédestal monumental. Les dalles ont des formes irrégulières comme les murs d’entourages bruts de la villa. La base et la partie suspendue compressent un intermédiaire continu ou un entre-deux bordé de verre : La maison en verre. Les vues depuis la maison de verre permettent d’apprécier pleinement la conséquence du pincement des murs d’entourage qui créent des perspectives inattendues. Différents degrés de transparence sont autorisés par le jeu des divers dispositifs de fermeture et de contrôle de la lumière naturelle. (rideaux, panneaux de verre opaque, panneaux d’acier perforé, tiges de bambous plantées à l’extérieur…). Le mur courbe de la cuisine est formé de deux épaisseurs de polycarbonate alvéolaire qui lui aussi filtre la lumière et bloque les vues. Avec sa forme organique, la cuisine fait elle aussi, fortement référence aux principes de composition des pièces d’eau de Le Corbusier. Les deux boîtes de la partie suspendue sont composées d’une chambre, d’un bureau et d’une salle de bain derrière laquelle se trouve l’escalier. Elles sont parallèles et décalées, pour qu’elles profitent toutes deux de la vue sur Paris et sur le Jardin. Elles sont percées de bandeaux corbuséens à l’exception d’une large ouverture carrée dans la partie de la fille. Cette dernière est recouverte d’une tôle ondulée argentée alors que celle des parents est recouverte de tôles ondulées cuivrées. La villa confirme le fait que les matériaux comme la tôle ondulée ou le polycarbonate deviennent prépondérants dans le travail de l’OMA. Les différents bardages renforcent la division des unités, et donnent l’impression que la villa est « un hybride entre une machine, un avion et une cabane »111. Le piédestal en pierre, la maison de verre, le mur en béton armé, la rampe, les boîtes en métal, et la piscine suspendue sont en quelque sorte les éléments constituant un Cadavre Exquis, en ensemble porteur de métaphores à vocations narratives et symboliques qui 111

Propos traduits de l’anglais et recueillis dans Rem Koolhaas | OMA: The Construction of Merveilles, Roberto Gargiani, Essays In Architecture, EPFL Press, Distribué par Routledge, 2008, traduit de l’italien par Stephen Piccolo.

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transcendant le programme de la villa. Ainsi Rem Koolhaas transforme les désirs de ses clients (indépendance des parties de la maison et piscine sur le toit) en des intentions métaphoriques personnelles (la Floatting Swimming Pool, Le mur de Berlin, les villas de Le Corbusier, les tableaux de Dali…). INAUGURATION Pour l’inauguration de la villa, Rem Koolhaas imagine des scénarios qu’il développe avec le photographe Hans Werlemann. Ils se servent de photographies comme outil de représentation de substitution aux peintures surréalistes de Madelon Vriesendorp pour nourrir la villa de métaphores qui subliment l’apparente banalité néo-moderne de la villa. Quand une girafe est apportée dans le Jardin, la minceur des poteaux qui soutiennent la boîte de la fille semblent fragiles comme les « béquilles » des tableaux de Dali. Aussi cette girafe est-elle une référence au tableau de Christophe Wood, qui peignait en 1930, un zèbre sur le toit terrasse de la villa Savoye ? certainement… Une autre série de photographies montre l’équipe de Koolhaas vêtue de maillots de bains et de bonnets, faisant des échauffements au bord de la piscine et prête à plonger, avec Paris en arrière-plan. Elle est constituée des architectes sauveteur du mythe de la Floatting Swimming Pool, prête à repartir avec leur piscine amarrée pour un temps à St Cloud, pour une autre dérive, vers la métropole. SUSPENSION La Villa Dell’Ava a servi de préambule à la villa Lemoine, qui ira beaucoup plus loin dans l’aboutissement de ses concepts architecturaux. Rem Koolhaas reçoit la commande de cette dernière en pleine écriture du livre S,M,L,XL. L’occasion est trop belle pour qu’il se permette de décliner l’offre. Le terrain destiné à recevoir la maison est exceptionnel et les clients ont la volonté de se lancer dans une entreprise architecturale toute aussi exceptionnelle. Ce projet offre l’opportunité à Rem Koolhaas de réaliser sa propre villa Savoye, c’est-à-dire de pouvoir traduire en architecture les paradigmes de son époque. Le contexte dans lequel il va réaliser cette villa l’affranchit de beaucoup de contraintes auxquelles il avait dû faire face dans le projet de la Villa Dell’Ava. Le terrain est plus grand et moins contraignant (Le bâtiment ne peut dépasser neuf mètres et ne peut pas avoir de couleurs qui le rendrait visible depuis la vallée), et le budget est plus large (bien que Rem Koolhaas ait été obligé d’utiliser les bénéfices d’autres projets de l’OMA pour arriver à faire aboutir la villa Lemoine). L’exercice est différent, plus abstrait et plus radical, comme celui de la villa Savoye, qui a permis à Le

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Corbusier d’exprimer son architecture d’une façon plus libre que dans le projet de la villa La Roche-Jeanneret. Encore une fois, le parallèle entre Le Corbusier et Rem Koolhaas est frappant puisque la commande de la villa Lemoine (1994) arrive à une période de la carrière de Rem Koolhaas similaire à celle de Le Corbusier lorsqu’il reçoit celle de la villa Savoye (1928). Le premier manifeste est écrit : Vers une Architecture (1923) et New York Délire (1978) ; les premières expériences de maisons construites sont achevées : la villa La RocheJeanneret (1925) et la Villa Dell’Ava (1991) ; et la synthétisation de leur doctrine est tout juste dévoilée : les cinq points pour « une architecture moderne » (1927) et les cinq points du Bigness (1994). Rem Koolhaas est conscient que cette villa, dans le contexte dans laquelle il la conçoit, le rapproche encore une fois un peu plus de Le Corbusier. D’ailleurs, il est intéressant de rappeler que ses premières esquisses de la villa Lemoine montrent un prisme à base carrée perché sur des pilotis. Cependant la villa Lemoine doit être plus qu’une simple réinterprétation de la Villa Savoye. Cette dernière est trop simple selon lui et il doit s’écarter le plus possible de son schéma. C’est en posant son prisme corbuséen sur une colline artificielle qui conditionne le parcours dans la maison que l’idée de superposition lui vient à l’esprit. Cette superposition le conduit à élaborer un schéma de maison horizontale organisée verticalement. Il garde en tête le fait que la maison doit être entièrement accessible à son client qui se déplace en chaise roulante et développe un principe de plateforme montée sur vérin qui relie toutes les strates de la maison tout en les désolidarisant un peu plus. Chaque strate développe son propre univers : la cave, la boîte, et le vide intermédiaire. “Rem Koolhaas phones me. As usual the voice is urgent, full of convictions and ambitions, the language poised beautifully on extreme polarities. He has an unusual request, to make a villa in Bordeaux ‘fly’.”112 Cecil Balmond, 2002. Pour permettre à chaque strate de se développer indépendamment, Rem Koolhaas doit encore une fois faire « flotter » la boîte qui constitue la partie la plus haute de la maison. Il est primordial que le vide intermédiaire compressé entre la cavité et la boîte soit totalement illimité et ouvert sur le paysage offert par le site. Rem Koolhaas ne peut pas se permettre la présence de pilotis. Cependant la gravité est un tirant qui oblige l’architecte à poser son architecture sur des points d’appuis. C’est à ce moment précis du projet que la collaboration 112

Cecil Balmond, cit. tirée de Informal, Cecil Balmond with Jannuzzi Smith, ed. Prestel, 2002, p. 21.

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entre Rem Koolhaas et son ingénieur Cecil Balmond va définir une nouvelle vision de la structure. En effet, La masse en lévitation n’est pas un thème nouveau en architecture. La réponse usuelle qui consiste à poser la boîte sur des pilotis n’est plus satisfaisante et la recherche peut aller plus loin. Rem Koolhaas se refuse toute complaisance envers le paradigme de la “table” qui impose une certaine acceptation de la symétrie statique (Cecil Balmond illustre de principe de “table” avec des projets comme le Parthénon et la Villa Savoye). Deux mouvements permettent à la structure de la villa Lemoine de casser la symétrie: un mouvement en plan qui déplace les poteaux en dehors de la limite du plan et un mouvement en coupe qui alterne appuis et suspensions. Rem Koolhaas et Cecil Balmond développent une structure innovante qui exprime le doute, le mystère, et l’instabilité en réaction à la solidité et à la certitude exprimées par des structures rationnelles. “Cecil has, almost single-handedly shifted the ground in engineering - a domain where the earth moves very rarely- and therefore enabled architecture to be imagined differently”113 Rem Koolhaas, à propos de Cecil Balmond, 2002. HOMMAGE La collaboration intense avec Cecil Balmond permet à Rem Koolhaas de configurer des éléments de structure basés sur ses propres figures métaphoriques. Ainsi, les cinq points du Bigness (1- l’autonomie, 2- L’ascenseur, 3- La lobotomie, 4- L’amoralité, et 5- Fuck context) sont remarquablement illustrés dans une synthèse abstraite, où le programme et la structure sont unifiés dans un système d’une très grande liberté. Plus qu’un simple clin d’œil au modernisme, la villa Lemoine est un hommage au modernisme ; elle est une véritable réinterprétation des expériences architecturales modernes introduites par Le Corbusier dans la villa Savoye, auxquelles Rem Koolhaas a su ajouter un degré de complexité relatif à la culture de congestion.

113

Rem Koolhaas à propos de Cecil Balmond, cit. tirée de la preface de Informal, Cecil Balmond with Jannuzzi Smith, ed. Prestel, 2002, p.9.

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LES METHODES DE CONCEPTION :

DETOURNEMENT Alors que l’architecture moderne invente et explore les notions de plan libre et de continuité horizontale des espaces, Rem Koolhaas exploite l’impossibilité par la liberté totale de la coupe. En réinvestissant la coupe, Il définit une architecture basée sur la discontinuité des espaces horizontaux permise par l’ascenseur. Il reprend ainsi les concepts de superposition et d’absence d’articulation du Manhattanisme. Ils lui permettent d’élaborer, à partir des années quatre-vingt, une architecture à la fois fluide et rigide, une architecture stable et indéterminée. “It was around 1987 that… this coincidence of external and internal confidence, allowed us to relate – not formally but ideologically and conceptually- to our earlier work, mostly to the research and the fields of interest explored in Delirious New York”114, Rem Koolhaas, 1991.

114

Rem Koolhaas, dans “finding freedoms” interview avec Alejandro Zaera, El Croquis 53, Fev-Mars 1992, p.7-8, conversation de 1991

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La série de projets de l’été 1989 (TGB, Zeebrugge, ZKF), représente un tournant essentiel dans la production architecturale de l’OMA. C’est une période où Rem Koolhaas cesse de se définir par ce en quoi il est contre pour pouvoir se libérer de ses propres faiblesses, et particulièrement son attitude envers la forme. Ainsi, à partir de cette date, en mélangeant ses références manhattaniennes et européennes, il libère son architecture de ses aprioris et lui donne une dimension poétique faite de métaphores, qui constitue une alternative à la rationalité et à l’objectivité supposée de l’architecture issue du mouvement moderne. Il le détourne pour mieux se l’approprier. D’abord il introduit dans ses projets les notions de congestion, d’hyperdensité, auxquelles il ajoute la notion d’instabilité programmatique. Cette dernière implique la lobotomie qui a deux conséquences. La première est l’absence de connections logiques entre l’intérieur du bâtiment et la peau. La deuxième est la superposition de différents mondes dans une seule structure. Il agrémente ainsi les concepts corbuséens (tirés de la structure Domino et des cinq points) de la congestion relative à la vie métropolitaine. Paradoxalement, Rem Koolhaas utilise exactement les mêmes méthodes de conception que Le Corbusier lorsqu’il combine invention et détournement de concepts comme moteur du projet. Dans un entretien, il souligne d’ailleurs que la « redéfinition est un concept certainement plus intéressant que l’expérimentation »115. “La Kunsthal de OMA peut également être interprétée en des termes différents de ceux du postmodernisme. Elle n’est alors plus tant la fusion inédite entre la Nationalgalerie de Mies Van Der Rohe, le musée à Croissance illimitée de Le Corbusier et un bâtiment de Parking, ou un répercussion des idées de Koolhaas sur la ville mais avant tout un bâtiment intéressant du fait de l’intrigante variété des expériences spatiales”116, Hans Ibelings, 2003. Quelques concepts reviennent d’une manière récurrente dans les projets de l’OMA. Le premier est le concept de lobotomie développé sous différentes formes dans des projets comme le Zeebrugge Terminal, le Congrexpo de Lille, la Très Grande bibliothèque de France, La Casa De Musica, ou encore la bibliothèque publique de Seattle. Ces deux derniers, bien qu’ils n’aient pas de forme géométrique régulière, ont une unité dans leur volume et leur enveloppe. D’une manière générale, le concept de lobotomie, tel que le définit Rem Koolhaas dans New York Délire, est associé aux bâtiments de grande taille. Il induit une rupture complète entre l’intérieur et l’extérieur, qui peut être amplifiée par la neutralité de 115 116

Rem Koolhaas, dans “The day after” conversation avec A.Zaera, El Croquis 53+79, 1998 p47 Hans Ibelings dans SUPERMODERNISME, L’architecture à l’ère de la globalisation, Hans Ibelings. Ed. Hazan, Paris, 2003, p.134.

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l’enveloppe. Le deuxième est le concept des libertés superposées (ou de coupe libre) réinterprété dans le ZKF et la bibliothèque de Jussieu. « Il y a une radicalité, une froide recherche de sublime chez cet architecte (Rem Koolhaas) qui pousse assez loin le refus du confort intellectuel et célèbre la « beauté terrifiante » du vingtième siècle. Dans son oeuvre construite, dans ce qu’elle témoigne de culture moderne, dans ce qu’elle véhicule de fragments de Mies, Leonidov ou Le Corbusier (ou, plus communément, de la joyeuse bande dessinée des années cinquante) réduits à l’essentiel et réemployés à d’autres intentions, déstabilisés, on peut lire comme une volonté de conclure l’itinéraire architectural du siècle, d’en retenir certaines images parmi les plus saisissantes et de les faire basculer vers d’autres émotions, d’autres significations, nécessairement moins naïves (de même que tout basculerait vers autre chose, qu’il n’y aurait pas vraiment lieu de prévoir, qu’il serait en tout cas vain de prétendre structurer et organiser). »117, François Chaslin, 2001. STRUCTURE Les systèmes de structure des bâtiments de l’OMA sont souvent des systèmes générateurs de l’architecture. Rem Koolhaas utilise réellement la structure, non pas comme une contrainte avec laquelle il faut s’accommoder mais comme un outil de conception essentiel à la réussite du projet. En effet, une structure innovante et intelligente est capable de générer une nouvelle architecture. Ainsi Rem Koolhaas et son complice et ingénieur Cecil Balmond explorent toutes les possibilités du concept « Vierendeel ». Ce raisonnement est au final très inspiré de celui de Le Corbusier lorsqu’il disait que « les techniques sont l’assiette même du lyrisme, elles ouvrent un nouveau cycle de l’architecture. »118 et plus généralement de celui de toute la pensée rationaliste qui prend racine au XIXe siècle et se développe au XXe siècle. Le travail de Rem Koolhaas et de son ingénieur Cecil Balmond s’inscrit dans cette continuité. Ils sont constamment à la recherche d’une architecture issue des dernières innovations techniques. Dans l’essai Last Apples119, Rem Koolhaas revient sur le rôle et l’impact de la structure et des services dans l’architecture de grande taille. En effet, en raison de la gravité, plus un bâtiment est haut, plus l’organisation des étages les plus hauts déterminent l’organisation des étages les 117

Extrait de François Chaslin, Deux conversations avec Rem Koolhaas et caetera, édition sens&tonka, 2001, pp.175-176 Le Corbusier, Oeuvre Complète, Willy Boesiger, Le Corbusier, Œuvres complètes, 8 tomes, Zürich, éd. D'architecture Artemis, 1991, volume 1, p.129. 119 Rem Koolhaas, cit. tirée de l’essais Last Apples, dans S,M,L,XL, Small, Medium, Large, Extra-large, OMA, Rem Koolhaas, Bruce Mau, Jennifer Sigler (dir.), Rotterdam, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, p.663 118

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plus bas. Cela signifie donc que tous les bâtiments hauts ont une liberté relativement réduite là où elle devrait être nécessaire, c’est-à-dire au rez-de-chaussée. Par ailleurs, plus un bâtiment est profond, plus il dépend d’artifices comme l’air conditionné et la lumière artificielle. Ces artifices nécessitent de nombreux tuyaux et conduits, qui sont souvent cachés dans les faux plafonds. Ainsi les plafonds sont remplis de conduits, de fils, de réseaux, de détecteurs de fumée… Les étages ne sont donc plus simplement séparés par une simple dalle de béton mais par un épais sandwich technique. La coupe devient alors « une sorte de zèbre conceptuel »120, une alternance de zones accessibles à l’homme et de zones inaccessibles réservées à l’acheminement des artifices. Par conséquent, plus un bâtiment est techniquement sophistiqué, plus il est sensé être confortable. Or il l’est moins puisque les zones inaccessibles s’agrandissent au détriment des espaces dédiés à l’usager : les bandes noires et les bandes blanches s’égalisent. « Idealism vs. Philistinism : the section becomes battlefield ; white and black compete for outright domination »121, Rem Koolhaas, 1995. La série de projets de l’été 1989 oblige Rem Koolhaas à reconsidérer ce que doit être la structure de grands bâtiments. Il regarde d’abord Le Centre Georges Pompidou comme une référence pour développer des concepts de poutres habitables, des poutres en treillis également appelées poutres Vierendeel, qui l’amènent au concept « Vierendeel ». Cecil Balmond collabore activement au processus de projet et se met alors à la recherche de solutions, pour élaborer un catalogue de poutres habitables, qui permettrait à Rem Koolhaas d’explorer un grand nombre de solutions. Ce dernier a une grande estime pour Cecil Balmond, qui est selon lui est l’ingénieur qui a été capable de « renverser une certaine tradition cartésienne de la stabilité »122 pour conduire l’ingénierie dans des territoires plus expérimentaux et plus émotionnels. Ainsi Rem Koolhaas pense que « si jamais l’architecture veut évoluer au-delà du statut ornemental qui l’anime actuellement, c’est par la pensée de Cecil Balmond et d’autres qui offrent un nouveau sérieux et de nouveaux plaisirs. »123

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Ibidem, p.664, traduction personnelle de “a kind of conceptual zebra”. Ibidem p.664. 122 Rem Koolhaas, à propos de Cecil Balmond dans la préface de Informal, Cecil Balmond with Jannuzzi Smith, ed. Prestel, 2002, p.9, (traduction personnelle). 123 Rem Koolhaas, à propos de Cecil Balmond dans la préface de Informal, Cecil Balmond with Jannuzzi Smith, ed. Prestel, 2002, p.9, (traduction personnelle). 121

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“the simultaneous work in the summer of 1989 on these three competitions forced us to explore the potential of building big in Europe, with repercussions equally architectural and technical. (…). The work became a joint campaign to explore these freedoms for architecture and engineering, to reconquer the section, to adress our shared discomfort with services as the sprawling coils of a proliferating unconscious, to abolish the single grandiose solutiun integrating structure and services. I twas also, more secretly, a search for ways to make buildings that would look completely different : for genuine newness”124, Rem Koolhaas, 1995. ORGANISME Le Corbusier, en choisissant d’utiliser les principes de la structure Domino, libère l’architecture de son plan. Elle facilite la création d’un plan libre, elle est le squelette qui permet à l’organisme de se développer librement. Cet organisme est composé d’un ensemble de gaines, de parois courbes ou d’escaliers sans lesquels l’architecture ne vit pas. Le Corbusier rejette l’architecture de la pièce à quatre murs, pour adopter de nouvelles méthodes de conception. “Puis ces poteaux ont quitté les angles des pièces, sont demeurés tranquillement au milieu des pièces, ils constituent d’excellents radiateurs supplémentaires. Les escaliers sont devenus des organes libres, et., etc. Partout des organes se sont caractérisés, sont devenus libres les uns à l’égard des autres.” “ Un jour nous avons remarqué que la maison pouvait être comme l’auto : une enveloppe simple contenant à l’état de liberté des organes libres infiniment multiples.”125, Le Corbusier, dans « Où en est l’architecture ? ». Le Corbusier imagine donc le bâtiment comme un organisme qui peut se développer de deux façons distinctes. Premièrement, il peut se développer librement dans l’espace : le bâtiment qui en résulte est un agglomérat de formes indépendantes (des cellules), reliées entre elles pour des raisons fonctionnelles (faire fonctionner l’organisme). Deuxièmement, l’organisme peut être un volume pur dans lequel les organes s’agencent librement. C’est exactement en confrontant ces deux types d’organismes que Rem Koolhaas va justifier son projet pour la Très Grande Bibliothèque de France. En effet alors que le premier est typiquement post-moderne, le deuxième est manhattanien. Les organes sont cachés, ils ne 124

Rem Koolhaas, cit. tirée de l’essai Last Apples, dans S,M,L,XL, Small, Medium, Large, Extra-large, OMA, Rem Koolhaas, Bruce Mau, Jennifer Sigler (dir.), Rotterdam, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, p.667-668. 125 Le Corbusier, “Où en est l’architecture?”, cite par Jacques Lucan dans Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p.373.

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sont pas en contact direct avec l’extérieur. La stabilité apparente de l’extérieure cache en fait une très grande complexité interne. La Très Grande Bibliothèque de France est en effet une boîte dense d’informations, dans laquelle se développe librement des organes, des vides d’informations. COMPOSITION En 1930, dans le livre Précision, Le Corbusier procède à une classification de ses maisons en quatre types, quatre compositions, car selon lui, la maison moderne ne possède pas qu’un seul type de plan. « Le premier type montre chaque organe surgissant à côté de son voisin, suivant une raison organique: le “dedans“ prend ses aises, et pousse le dehors qui forme des saillies diverses. » Ce principe au « genre plutôt facile » et « pittoresque » conduit à une composition illustrée par la villa La Roche-Jeanneret, qui peut être mise en parallèle avec la Villa Dell’Ava de Rem Koolhaas. Le second type explore la compression des organes à l’intérieur d’une enveloppe rigide, absolument pure. Ce deuxième type est au contraire « très difficile ». Il est développé dans le projet de la Villa Stein-De-Monzie qui est une démonstration que le prisme pur est l’affirmation d’une nouvelle architecture. Il est l’antithèse du premier type. En enfermant la complexité du plan libre dans un prisme pur tramé, il affirme la liberté des organes qui se détachent de la structure, les cloisons ne sont plus que des « membranes ». Ce deuxième type, encore une fois, est assez proche du concept de lobotomie de Rem Koolhaas basé sur une absence d’articulation entre l’intérieur et l’extérieur d’un bâtiment. Cependant, que cela soit pour la Villa Stein-De-Monzie ou pour d’autres projets de Rem Koolhaas répondant aux mêmes principes de composition, la volonté de désolidariser l’intérieur de l’enveloppe n’est jamais complètement poussée à son extrême. En effet, même si la façade doit cacher les activités et la complexité de l’intérieur, elle les suggère cependant toujours en partie dans les projets des deux architectes. Le troisième type, illustré par une villa de Le Corbusier en Tunisie, explore au maximum les possibilités de la façade libre, il est une composition très facile où toutes les libertés du plan sont autorisées. Enfin la quatrième composition est en quelque sorte, une synthèse de toutes les compositions. Elle est une forme pure qui renferme toutes les complexités du premier et du troisième type. Elle est illustrée par la villa Savoye.

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PROGRAMME Rem Koolhaas ne parle jamais d’espace, tout au plus il parle de vide. Ne pas parler d’espace lui évite la question de la composition et des articulations spatiales. Le discours sur l’espace des modernes comme Rietveld, Kahn ou Le Corbusier, est perçu par Rem Koolhaas comme une « intimidation professionnelle »126. Leurs propos sur l’espace sont souvent compliqués, angoissés, et alambiqués. Il développe dans plusieurs de ses projets une méthode visant à « définir un bâtiment en manipulant les absences de bâti. », ce qui lui permet de produire « des espaces absolument impossibles à imaginer comme des formes construites ». C’est une méthode qu’il expérimente pour la première fois dans la Très Grande Bibliothèque de France, avant de l’appliquer dans la Casa De Musica. « Parler de programme c’est banal, alors que parler d’espace c’est plus prestigieux. »127, Rem Koolhaas, 1985. Les projets de l’OMA ont une attitude souvent similaire vis-à-vis du programme, qui consiste en une lecture très approfondie de celui-ci, et de la modification de l’un de ses paramètres pour orienter le projet dans une nouvelle direction. Rem Koolhaas utilise cette méthode pour la Bibliothèque de Seattle ou le concept est engagé lorsqu’il modifie « la superposition des niveaux de l’immeuble de grande hauteur américain typique ». Il utilise la même méthode pour le Bibliothèque de Jussieu ou la modification des paramètres de superposition des niveaux du bâtiment, introduit une continuité générale des plans. D’ailleurs, Selon Rem Koolhaas, le projet architectural est non pas une composition mais une suite d’opérations induites par la décomposition et la relecture du programme. L’objectif de l’architecture, quelqu’en soit le langage, « semble être de donner une expression à des idées qui sont tout à fait abstraites »128.

126 127 128

Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. Ibidem. Ibidem.

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ECHELLE L’architecture moderne a profondément bouleversé la notion d’échelle en architecture. Cependant il n’y a jamais eu réellement de discours porté à ce sujet. Le Corbusier, même sans ne jamais l’avoir clairement expliqué, développait pourtant des stratégies et des méthodes de conception différentes selon la taille de ses projets. Il suffit pour cela d’observer son travail en le classant par ordre de grandeur, de ses meubles jusqu’aux bâtiments de la ville radieuse. Si ses meubles se soucient particulièrement du confort de l’usager, par leurs formes ergonomiques, leur délicatesse, et leurs matériaux, les immeubles de la ville radieuse souffrent d’une abstraction et d’une monumentalité qui écartent trop brutalement l’homme de son architecture. Selon Kenneth Frampton, cette théorie de l’échelle implicite provient de la théorie esthétique puriste qui développe un raisonnement où « plus la relation entre un homme et un objet est étroite, plus ce dernier doit refléter les contours de la forme humaine, autrement dit plus il doit se rapprocher, d’un point de vue ergonomique, de l’esthétique de l’ingénieur ; réciproquement, plus la relation est relâchée, plus l’objet doit tendre à l’abstraction – c’est-à-dire à l’architecture »129. Aussi, au-delà de la logique ergonomique, l’architecture de logement de grande taille illustrée par Le Corbusier avec des projets comme la barre continue, est un défi technique lancé à l’industrie auquel elle ne peut répondre que par la norme et la préfabrication. Rem Koolhaas, dans le livre S,M,L,XL classe les projets de l’OMA par taille en allant des plus petits (S) aux plus grands (XL). Il appuie donc la thèse que les projets développent des problématiques différentes selon leur taille. C’est un sujet qu’il aborde à la suite des trois grands projets de l’été 1989 qui ont constitué une rupture dans le processus de conception de l’OMA. Cette rupture a conduit Rem Koolhaas à écrire le manifeste Bigness dans lequel il développe l’idée qu’au-delà d’une certaine taille, un bâtiment ne répond à plus aucune loi de l’architecture telle qu’elle a été abordée jusqu’à aujourd’hui : elle échappe à son concepteur. Cette constatation n’empêche pas Rem Koolhaas, d’user de l’homothétie lorsqu’il adapte le concept de la maison Y2K à celui de la Casa De Musica.

129

Kenneth Frampton dans L'Architecture Moderne, Une histoire critique, Kenneth Frampton, Londres, éd. Thames & Hudson, 1980, édition revue en 1985 et 1992, Edition française : Paris, éd. Thames & Hudson, 2006, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel, p.178.

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LES EXPERIENCES MODERNES.

PROMENADE La disposition irrégulière des bâtiments de l’Acropole d’Athènes invitant ses visiteurs à une promenade aux spatialités riches déclenche chez Le Corbusier une envie et une nécessité de créer une architecture qui délivrerait toutes ses richesses par le déplacement. L’expérience de la promenade architecturale est adoptée très tôt dans la conception de ses villas qui vont véritablement être organisées autour d’un processus de procession. La villa La RocheJeanneret en est le premier exemple où lorsque l’on entre, « le spectacle architectural s’offre de suite au regard: on suit un itinéraire et les perspectives se développent avec une grande variété »130. La Villa Savoye en est l’apothéose. “ L’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied; c’est en marchant, en se déplaçant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture. (…) Dans cette maison-ci, il s’agit d’une véritable promenade architecturale, offrant des aspects constamment variés, inattendus, parfois étonnants.”131 Le Corbusier.

130 131

Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Oeuvre complète 1910-1929, op. cit., p.60. Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Oeuvre complète 1929-1934, Zurich, 1984, p.24.

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Dans certains bâtiments de l’OMA, Rem Koolhaas détourne le concept de promenade architecturale de Le Corbusier qui devient une « trajectoire ». Cette trajectoire permet à la ville de s’immiscer dans l’architecture d’une manière continue et elle transforme l’usager en un « flâneur baudelairien ». Elle permet l’élaboration d’un scénario constitué de séquences variées qui encore une fois, selon Rem Koolhaas, rapproche l’architecture au cinéma. Les projets de l’OMA qui sont indiscutablement organisés par une trajectoire sont entre autres la Très Grande Bibliothèque de France, la Bibliothèque de Jussieu, le Kunsthal, l’Hyperbuilding, et l’Ambassade des Pays-Bas de Berlin. “The internal systems and the techniques of cinema, particularly montage, have played the key role. It architecture there is a desire for continuity while cinema is, on the contrary, based on a system of systematic, intelligent ruptures. My affinity with this system of the rupture more that with the imaginarium of continuity constitutes the essence of my relationship with cinema”132, Rem Koolhaas. MASSE Le concept basique qui organise le cube de l’ambassade des Pays-Bas de Berlin est ce qu’appelle donc Rem Koolhaas une « trajectoire », qui se définit comme un chemin piéton, comme une continuité de l’espace de l’entrée qui serpente le long de tout le volume pour aboutir dans le café, sur le toit. Sur les dix niveaux du passage ascendant sont disposés les éléments du programmes. Le bâtiment emprunte à la fois les concepts du Raumplan d’Adolf Loos et ceux de la promenade architecturale de Le Corbusier qu’il détourne d’une manière significative. Dans les bâtiments de Le Corbusier, les rampes et les escaliers traversent des espaces voués à la contemplation, alors que dans l’ambassade, l’espace de la trajectoire devient l’espace majeur. En effet, toute l’organisation du programme de l’ambassade est dictée par la trajectoire. Rem Koolhaas utilise d’ailleurs de l’aluminium pour habiller à la fois le plafond, le plancher et les murs de la trajectoire pour lui donner une identité propre, un effet de conduit. Cette trajectoire est donc un conduit qui vient littéralement creuser le cube en verre de l’ambassade pour le desservir et séparer ses espaces. La trajectoire du projet de concours de la Très grande bibliothèque de France annonçait déjà ce type de trajectoire venant perturber un volume générique.

132

Rem Koolhaas, cit. tirée de AMOMA / Rem Koolhaas I – 1996-2006 – Delirious and more, El Croquis, n°131-132, 2006, p.55.

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"La bibliothèque est interprétée comme un bloc solide d'informations, un emmagasinage de toutes les formes de mémoire: livres, disques optiques, microfiches, ordinateurs... Dans ce bloc, les espaces publics sont définis comme des absences de bâti, vides creusés dans le massif d'information. Elles se présentent comme de multiples embryons - flottant dans le magasinage chacun doté d'un placenta technologique singulier... Puisqu'elles ont été définies comme des creux, la spatialité des bibliothèques individuelles peut être explorée selon leur logique inhérente, indépendamment l'une de l'autre, de l'enveloppe externe et des contraintes habituelles de l'architecture, même des lois de la gravité."133 Rem Koolhaas ITINERAIRE La promenade architecturale sur laquelle est fondé le concept de la bibliothèque de Jussieu est un peu différente. Elle est conçue comme un « itinéraire continu » dans lequel le visiteur est amené à flâner entre les livres, à circuler librement dans le flux d’informations. Le bâtiment est d’abord imaginé comme une sorte de conclusion du réseau constitué par la trame du Campus de Jussieu dans lequel il s’installe. Le parvis de la bibliothèque s’invite dans le bâtiment, se tort et se plie pour former un empilement de plateformes associées. Ainsi 35% de la surface du projet est inclinée (entre 2% et 4%) et accueille des parties du programme que la rampe va transcender. Cette grande plateforme continue repose sur une structure très simple inspirée de la structure Domino de Le Corbusier qui implique selon Rem Koolhaas une reformulation de la question du Plan Libre et de la stratification en étages. Ici, ils sont transformés en une ascension continue. Les architectes modernes avaient déjà considérablement bouleversé les approches de l’espace en le décloisonnant et en abandonnant les notions traditionnelles de partition, mais Rem Koolhaas, en s’appuyant sur ces acquis, va jusqu’à éclater la notion de niveau, libérant ainsi la coupe. Le projet mélange donc lignes droites (grilles) et lignes courbes (planchers) : il utilise une grille stricte pour soutenir toute une surface complexe qui se déploie dans un vide contenu. “La rampe me fascine parce qu’elle autorise la continuité. Se rendre d’un étage à un autre est quelque chose de très banal et la rampe permet d’établir des conditions spatiales plus floues.”134 Rem Koolhaas, 1999.

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Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA-Rem Koolhaas. Six projets, Paris-Rome, Institut français d'architecture / Éditions Carte Segrete, Patrice Goulet (dir.),1990, p. 295) 134 Rem Koolhaas cité par Alain Orlandini dans LA VILLETTE 1971-1995, HISTOIRES DE PROJETS, Alain Orlandini, somogy editions d’art, Paris, 1999.

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AUTOSUFFISANCE Plus qu’un simple bâtiment, l’Hyperbuilding est véritablement une ville à laquelle il devient impossible de dissocier l’architecture. Conçu en 1996 pour la ville de Bangkok en Thaïlande, l’Hyperbuilding est imaginé dans une ville subissant un assaut rapide et récent de la modernité : il n’aurait aucune crédibilité en Europe ou aux Etats-Unis. L’Hyperbuilding expérimente une nouvelle typologie ambitieuse et visionnaire qui combine hyperdensité et haute technologie à un degré de simplicité élémentaire tout en contrastant avec l’environnement vierge dans lequel il s’implante. Après le terrible tremblement de terre de Kobe en 1995, le secteur privé Japonais mène une investigation épaulée par des architectes pour créer des scénarios dans lesquels une large partie de la population serait amenée à vivre en dehors de la ville sinistrée. Rem Koolhaas a été commissionné avec d’autres architectes pour imaginer le mode de vie possible dans un bâtiment d’un kilomètre de haut avec une population de 120.000 personnes. Lorsque Le Corbusier explique le concept de son unité d’habitation, ses diagrammes montrent l’efficacité de la densification comparée à l’éparpillement. En les comparant, il arrive à prouver qu’en plus de coûter moins cher à la communauté en infrastructure, son modèle permet le développement d’un mode de vie agréable et tourné vers la nature. Rem Koolhaas conduit ce concept de densité à son apogée avec l’Hyperbuilding, et en quelque sorte, cherche à réintroniser des concepts modernes que la société contemporaine refoule. En regardant les avantages de vivre dans une structure hyperdense, on remarque qu’en plus de bénéficier des plaisirs d’une vie totalement piétonne, de la proximité de tous les services et commodités publiques, de la réduction des temps de transports, d’une énergie renouvelable, chaque habitant bénéficie d’une vue exceptionnelle sur le paysage. Comme l’Hyperbuilding s’attache à la ville existante grâce à de longues tentacules qui rejoignent les axes principaux de la ville de Bangkok, il n’est pas condamné à l’isolement. Le projet peut se développer au-dessus d’un terrain vierge et paradoxalement l’occupation du territoire lui permet de rester préservé. Pour la première fois, la modernité est synonyme de préservation d’une nature vierge. L'Hyperbuilding est donc une ville contenue autosuffisante de 120.000 habitants pouvant accueillir jusqu’à 200.000 occupants sans être pour autant déconnectée de la ville de Bangkok. Il accueille, dans une surface totale de 5.000.000 m2, tous les programmes nécessaires au bon fonctionnement d’une ville : hôpitaux, commodités, industries, logements, écoles… Le bâtiment est pensé comme une métaphore de la ville qui pourrait atteindre la variété et la complexité qui caractérisent la condition urbaine. Ainsi l’Hyperbuilding est un

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véritable réseau constitué d’une collection variée de moyens de transport. Il y a d’abord les quatre boulevards en diagonale équipés de voitures câblées qui connectent le réseau interne du bâtiment à celui de la ville. Il y a ensuite les six rues verticales situées dans les tours avec des ascenseurs lents et rapides. Il y a enfin, encore une fois, une longue promenade piétonne de douze kilomètres, qui parcourt tout le bâtiment, du sol au sommet, en s’arrêtant par la large plateforme, véritable point central de l’assemblage. L’Hyperbuilding est au final, un ensemble de bâtiments longs et minces, assemblés dans un ensemble qui lui assure une grande cohérence. Tous les éléments qui le constituent deviennent dépendants les uns des autres que cela soit sur le plan technique, architectural, programmatique, et urbain.

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LES MODES DE COMMUNICATION.

LIVRES Rem Koolhaas fait partie des architectes qui utilisent les publications, et donc l’écriture comme un outil de communication essentiel à la pratique de l’architecture. Avec l’AMO, l’homologue théorique de l’OMA, Rem Koolhaas explore des champs théoriques qui ne se limitent pas seulement à l’architecture (médias, politique, sociologie, les énergies renouvelables, la technologie, la mode, le graphisme), et notamment par le biais de publications. Les principes de “Grozstadt” et de “générique” sont les précurseurs du projet de recherche AMO. Le premier, Grozstadt est l’analogue européen de la métropole américaine Metropolis et le deuxième, générique est une réaction contre la surproduction actuelle d’icônes et un encouragement pour la création de bâtiments radicalement neutres. À sa création, l’AMO avait l’ambition de développer sa propre revue, qui aurait pu être perçue comme une réincarnation de la revue l’Esprit Nouveau de Le Corbusier et Amédée Ozenfant. Avant même de construire un bâtiment, Rem Koolhaas s’est déjà fait remarqué par une œuvre théorique originale en 1978 : New York Délire. Comme l’urbanisme de Manhattan fondé sur une grille spéculative qui permet l’érection de bâtiments renfermant des univers autonomes, l’œuvre écrite de Rem Koolhaas est composée de publications aux formats variés qui développent chacune un concept éditorial appuyant le discours tenu. “Lorsque j'écris, je m'autorise à prendre toutes les libertés. L'écriture est une expérimentation et peut adopter toutes sortes de tonalités. Je peux être sérieux, innocent, romantique, obsessionnel, ironique...”135 Rem Koolhaas, 2010.

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Rem Koolhaas, cit. tirée de « Il faut cesser d'embaumer les villes », Article publié le 05 Septembre 2010 dans le journal Le Monde, Propos recueillis Frédéric Edelmann.

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Rem Koolhaas a jusqu’à aujourd’hui publié seize livres ou revues. Les plus signifiants, à ses yeux, sont New York Délire, SMLXL, Content, et Post-occupency. Ces quatre publications, bien qu’elles ne soient pas pensées comme des éléments propices à l’élaboration d’une Œuvre Complète comme celle de Le Corbusier, constituent un véritable fil rouge dans la carrière de Rem Koolhaas. L’écriture est pour lui, vraiment importante puisqu’elle est la seule zone dans laquelle il est véritablement libre et seul responsable. L’écriture est une activité qui se fait seul contrairement à l’architecture qui se fait en équipe ; elle permet donc à Rem Koolhaas de se retrouver et de ne pas se perdre dans le groupe. Il n’évite donc pas les contradictions, il les cultive même, que cela soit dans ses propos ou dans les formats choisis. Il est assez amusant de noter que Rem Koolhaas, encore aujourd’hui, ne se considère pas comme un architecte à part entière et que Le Corbusier, sur son passeport, se déclarait « homme de lettres » étant donné son activité journalistique pour la revue l’Esprit Nouveau. Un peu plus de quinze ans après la publication de New York Délire, il sort le livre S,M,L,XL en 1995. Le livre, au format proche de celui d’un dictionnaire ou d’une bible, a trois ambitions. La première est de donner aux projets non-construits le même statut que les projets construits : il n’y a ainsi ni échec, ni succès. La deuxième est de soulever la question de l’échelle en classant ses projets par leur taille. La troisième est de créer une trame qui révèle le contexte exact dans lequel les projets ont été produits. S,M,L,XL est donc une monographie constituée de fragments rassemblés par un dictionnaire que Rem Koolhaas définit comme un pamphlet et qui parcourt l’ensemble du livre. Un peu moins de dix ans après S,M,L,XL, en 2004, Rem Koolhaas sort son successeur : Content. Cette fois-ci le livre n’organise plus les projets par leur taille mais par leur situation géographique. Ainsi le livre est organisé d’est en ouest et se présente dans un format hybride entre le livre et le magazine. Il est conçu en parallèle de l’exposition Content présentée à la Nationalgalerie de Berlin en 2004. Le livre, qui est plus qu’un simple catalogue d’exposition, explique les raisons pour lesquelles Rem Koolhaas a tourné le dos à l’Europe et à l’Amérique du Nord pour se concentrer sur des projets au Moyen-Orient et en Asie. Encore une fois, comme dans S,M,L,XL, il évoque très succinctement ses villas (dont la villa Lemoine) et préfère se focaliser sur les thèmes plus globaux de la métropole, de la modernité, de l’architecture et de son image... Enfin Postoccupency fait partie d’une série spéciale nommé Domus d’Autore développée par la revue Domus. Ce premier numéro de la série, écrit et édité par l’AMO - Rem Koolhaas, analyse le quotidien et la façon dont les usagers se sont appropriés quatre projets récents construits par l’OMA : l’ambassade des Pays-Bas de Berlin, le McCormick-Tribune Campus Center, la bibliothèque publique de Seattle, et la Casa de Musica. Il analyse et explique avec emphase

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comment les bâtiments sont reçus par ses usagers en réponse à la critique architecturale. Post-occupency permet à l’architecte de se défendre des accusations qui lui sont portées par la critique architecturale et qui par provocation, ne dissocie pas toujours le travail de Rem Koolhaas de tous les autres « architectes star » qu’il critique vivement. ŒUVRE Le Corbusier et Rem Koolhaas sont probablement les seuls architectes à véritablement considérer leurs publications comme partie intégrante de leur travail. Même si Rem Koolhaas contrairement à Le Corbusier ne cherche pas à constituer son œuvre complète, il publie de nombreuses publications relatives à son travail. Chacune d’entre elles développe un concept graphique et une ligne éditoriale différents, qui correspondent aux propos tenus. Chaque livre est donc une entreprise de longue haleine qui nécessite de longues recherches et de longues expérimentations. Au contraire les publications de le Corbusier semblent plus spontanées, il met moins de temps à les publier et opte pour de plus petits formats. Cependant il en publie beaucoup. Rem Koolhaas se demande encore aujourd’hui comment Le Corbusier a pu générer autant de cohérence, autant d’attention sur lui-même, tout étant si peu entouré : il faisait tout lui-même. Sa production est en effet très importante : 79 livres, catalogues et pamphlets, 511 articles, 55 numéros de revues édités, 28 numéros de l’esprit nouveau avec Ozenfant, 29 annonces, 13 films, 16 amateurs films, 25 programmes TV (la plupart perdus). PEINTURE En plus de l’écriture, Rem Koolhaas rétablit les peintures comme outil de communication de l’architecture. Elles illustrent la plupart des projets de l’OMA des années soixante-dix. Elles sont réalisées par l’artiste peintre et ex-femme de Rem Koolhaas : Madelon Vriesendorp. À ses débuts, L’OMA était composée, rappelons-le de Rem Koolhaas, Elia Zenghelis et de leurs deux compagnes peintres Zoe Zenghelis et Madelon Vriesendorp. Les peintures de l’OMA avaient une force de séduction que la production courante n’avait pas. Inspirées par le surréalisme et le constructivisme russe, elles sont particulièrement impopulaires à New York. Charles Jencks considère à l’époque les projets de l’OMA et leurs représentations particulièrement assommants. Cependant être impopulaire, n’était pas un problème pour Rem Koolhaas et Elia Zenghlis qui se complaisent à être dans l’opposition.

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« La présentation des projets joue un rôle capital, même au niveau théorique. Les dessins flous, quasi-romantiques, mythiques, et populaires de New York avaient servi en même temps à effacer les intentions théoriques et à séduire l’audience la plus large. »136 Rem Koolhaas, 1985. DIAGRAMME 137 En dépit de la peinture qui illustre les projets des années soixante-dix, l’OMA adopte et développe très tôt (à partir du projet du Parc de la Villette en 1982) des modes de représentation comme les diagrammes et les schémas qu’ils mettent en avant dans leur communication par rapport aux outils de représentation plus conventionnels comme le plan et la coupe. Ils apparaissent plus légitimes. En effet alors que les peintures illustrent des formes, les diagrammes et les schémas illustrent des stratégies, des systèmes, ce que sont avant tout les projets de l’OMA. Impersonnels, ces modes de représentations illustrent les méthodes de travail de l’OMA, c’est-à-dire un travail d’équipe basé essentiellement sur la discussion et la critique, et non sur le dessin. Ainsi pour chaque projet, l’agence se constitue un catalogue de solutions possibles qui reposent sur un raisonnement par l’absurde, elle fait un inventaire des solutions à éviter pour pouvoir définir la meilleure solution. « (Les simulations) permettent d’expliquer les choix possibles. Elles donnent également l’impression que nous n’imposons rien. Elles nous servent également d’exercices. Evidemment nous avons préalablement une idée de ce que nous voulons faire mais nous aimons, par une sorte de masochisme intellectuel, vérifier qu’en fait, n’importe quel autre concept pourrait aussi bien être utilisé »138, Elia Zenghelis, 1985. PROVOCATION Enfin le discours de Rem Koolhaas se construit autour de provocations qui lui assurent une couverture des médias avides de déclarations « chocs » et qui lui permettent de défendre des idées apparaissant évidentes. Certaines de ces provocations comme le célèbre « fuck context » dont Rem Koolhaas a encore aujourd’hui du mal à se détacher ont souvent mal été comprises et amalgamées essentiellement lorsqu’elles ont été retirées du contexte dans lequel elles ont été déclarées. Sans s’inspirer de Le Corbusier et en étant journaliste de formation, Rem Koolhaas connaît le pouvoir des provocations dans les médias. Le Corbusier

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Rem Koolhaas, cit. de OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. Cf. mémoire de Igor Duolé, La Représentation au Cœur du Processus de Projet – OMA, Rem Koolhaas (1978-2004), dir. Gilles Ragot, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux, Juin 2010. 138 Elia Zenghelis dans OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985. 137

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avait d’ailleurs fondé en partie sa notoriété et son aura sur des scandales, dont celui qu’avait provoqué le Plan Voisin pour Paris. Ce n’est d’ailleurs ni un hasard ni une maladresse si Rem Koolhaas commence sa conférence sur la France et la modernité dans le cadre des colloques internationaux sur le Grand Paris en Octobre 2009139 par la projection d’une image de la Ville Radieuse de Le Corbusier. BREVET L’idée du « Patent Office », autrement dit d’un bureau des brevets, fait partie de ces provocations ironiques que Rem Koolhaas aime considérer comme une blague, mais pas seulement. En effet, la question du brevet en architecture, remet en cause ce qu’est l’invention et la propriété intellectuelle en architecture, qui reste encore aujourd’hui le seul domaine qui ne sait profiter de l’économie de marché. Le Corbusier avait d’ailleurs déjà essayé à son époque de faire breveter son système de fenêtres en longueur (et Henri Sauvage sa typologie d’immeubles à gradins). Cependant, contrairement au brevet de Le Corbusier, les brevets de Rem Koolhaas ne visent pas la production d’un objet ou d’un élément d’architecture. Publiés dans Content, les quinze brevets de Rem Koolhaas et ses collaborateurs sont des simulations et des imitations de brevets qui résument avec des diagrammes et de courtes descriptions, certains concepts compositionnels des projets de l’OMA, en commençant par le système en bande de la Villette. Les autres brevets résument la plupart des concepts architecturaux comme « la stratégie du vide I & II » de Melun-Sénart et de la Très Grande Bibliothèque de France, les libertés superposées du ZKM, le gratte-ciel en boucle de la CCTV, la plate-forme à vérin de la villa Lemoine, ou encore les assemblages de bâtiments longs et fins de l’Hyperbuilding… L’idée même de brevet est de transformer les projets et les recherches avant-gardistes de l’OMA en des systèmes, en des mécanismes qui permettrait de combattre la belle forme et le bon goût en architecture. Fatigué par les théories formelles des post-modernes qui perdurent, et de toute une nouvelle génération d’architectes, Rem Koolhaas développe des projets générés uniquement par la réinterprétation de leurs programmes : il est intéressé par la fonction plus que part l’espace. Il cherche des réponses simples à des questions complexes, il cherche à concevoir une architecture relativement neutre et radicale en la communiquant d’une façon provocante.

139

L’Enjeu Capital(es), Rem Koolhaas, Paris, France, 2 Octobre 2009, Les rendez-vous du grand Paris – Colloque international d'architecture, Disponible sur : http://www.dailymotion.com/video/xaxxvq_rem-koolhaas-l-enjeu-capital-es_creation

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« L'architecture vous donne tellement de raison de rester modeste. »140 Rem Koolhaas, 2008. « Dans tout ce que je fais, et dans tout ce que je dis, il y a une part de rhétorique, de jeu et de provocation. Je prétends rarement à la parfaite objectivité. Mes analyses offrent une composante de manifeste, et toujours un mélange de réflexion rétroactive et de démarche prospective. Cela suppose que je ne sois ni particulièrement sévère ni pessimiste face à une profession à laquelle il revient, en effet, de comprendre la formation des villes, de l’analyser et de les transformer. Mais je suis convaincu de ce que l’urbanisme tel qu’il est pensé aujourd’hui n’est pas tenable, car il suppose des systèmes de maîtrise et de contrôle des phénomènes qui n’existent plus. »141, Rem Koolhaas, 2001.

140

Rem Koolhaas, traduction personnelle d’une Cit. tirée de l’entretien conduit Hans Ulrich Obrist dans le film “ Rem Koolhaas: A Kind of Architect”, dirigé par Markus Heidingsfelder, documentaire, 2008. 141 Rem Koolhaas, extrait de Deux conversations avec Rem Koolhaas et caetera, François Chaslin, édition sens&tonka, 2001.

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LE REJET DE L’URBANISME DES CIAM

ECHEC Rem Koolhaas rejette l’urbanisme simpliste des modernes. Il pense que la mission de l’architecte, aujourd’hui, est de réparer leurs erreurs. Il se demande d’ailleurs comment des architectes aussi talentueux que Mies Van Der Rohe ou Le Corbusier ont été capables de concevoir des maisons et plus généralement une architecture aux richesses spatiales extraordinaires, et concevoir des villes aux concepts relativement pauvres. « Ce qui me frappe (…) c’est l’extraordinaire décalage entre la perfection, l’aboutissement presque immédiat auxquels les architectes sont parvenus sur le plan architectural (prenez le pavillon de Barcelone de Mies, le Danteum de Terragni) et la simplicité, la raideur presque enfantine de leurs projets urbanistiques, comme si la complexité des parcours dont on disposait tout à coup à travers « le plan libre », comme si toute l’expérience de la fragmentation et ce qu’elle comportait de perspective, avaient échoué à s’investir dans le domaine des villes. »142, Rem Koolhaas, 1989. Pendant ses dix premières années de pratique, l’OMA s’est concentré sur les limites des villes et leurs banlieues. Rem Koolhaas imagine des scénarios dans lesquels il conserve l’existant, et donc des modèles modernes issus des théories des CIAM, dans lesquels il pourrait introduire des programmes qui semblent manquer. Il préserve et injecte de la congestion : Il propose une véritable reconquête architecturale des villes modernes.

142

Rem Koolhaas, cit. tirée de La grande ville et les périphéries, Entretien de Rem Koolhaas par Bruno Fortier, Architecture d’Aujourd’hui, n°262, Avril 1989, p.90.

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« La ville contemporaine, devrait à cet égard être une sorte de manifeste, d’hommage anticipé à une forme de modernité qui, référée aux villes passées, paraît sans qualités, mais dans laquelle je suis persuadé que l’on découvrira un jour, autant de gains que de pertes. (…) La ville que l’on connaît aujourd’hui, la ville avec laquelle il faut se débrouiller, serait plutôt faite de fragments, de bribes de modernité. »143, Rem Koolhaas, 1989. PRESERVATION La question de la préservation apparaît dans le discours de Rem Koolhaas à la suite du projet de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg en Russie en 2003. Il préfère le terme de préservation à celui de patrimoine, ce dernier étant doté d’une connotation devenue péjorative. Son discours vise à nous faire prendre conscience de l’importance de toute un pan de l’histoire qui a suivi la seconde guerre mondiale et qui a joué un rôle primordial dans l’évolution de nos villes jusqu’à aujourd’hui. Il pense qu’il serait dommage de vouloir effacer trop vite les cicatrices de l’après-guerre. Il n’attaque pas directement les organisations comme l’UNESCO qui ont un rôle essentiel dans la préservation des biens architecturaux les plus exceptionnels, mais critique le fait qu’elles se concentrent certainement un peu trop sur les centre-villes historiques, au point d’en oublier ce qui se passe autour. Rem Koolhaas défend l’idée que le patrimoine est aussi constitué de fragments urbain et d’architectures relativement banales voire neutres que la société voudrait aujourd’hui effacer en raison de l’image désuète qu’elles propagent. La question de la préservation n’est pas récente. Depuis Gutenberg, notre société crée de plus en plus d’inventions et connaît une évolution technologique exponentielle depuis les deux révolutions industrielles. Il y a deux lois essentielles à l’émergence de l’idée de préservation. La première date de 1790 des suites de la révolution politique française, la deuxième date de 1877 des suites de la révolution industrielle anglaise. Cette révolution politique et cette révolution industrielle questionnent pour la première fois la société sur ce qu'elle doit garder, ou transformer. La préservation est donc directement liée à la question de modernité, elle n’est pas un refus de celle-ci. La préservation des biens communs a connu des étapes successives: on préserve d'abord des monuments, puis des bâtiments, puis des bâtiments accompagnés de leurs environnements, puis des quartiers entiers, et enfin des paysages entiers. Nous préservons aujourd'hui de plus en plus d'éléments historiques quelque soit le symbole ou l'idéologie qu'ils représentent. Nous conservons des monuments anciens, des bâtiments religieux, des centres historiques, des maisons, des camps de 143

Rem Koolhaas dans La grande ville et les périphéries, Entretien de Rem Koolhaas par Bruno Fortier, Architecture d’Aujourd’hui, n°262, Avril 1989, p.90.

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concentration, des magasins, des usines, des attractions, des bureaux, des ponts, des maisons provisoires, des cimetières, des voies de chemins de fer, des casinos, des paysages, des autoroutes… Cependant nous ne pouvons faire face à une prolifération de l'architecture tout en préservant tout. Cette situation est explosive. Cela est en partie dû au fait qu’Il n'y a plus assez de recul, ce que nous préservons est de plus en plus récent. En 1880, les bâtiments de l'Antiquité étaient préservés (2000 ans), en 1900 des bâtiments de la renaissance (300 ans), en 1960, des bâtiments de l'entre-deux-guerres (20 ans)144. A titre d’exemple, La Villa Lemoine a été classée aux monuments historiques en 2002, soit à peine quatre ans après son achèvement… COMPLEMENT Le projet de reconquête de Bjilmeer par l’OMA, est une tentative pour sauver une architecture dessinée par le Team X et directement issue des théories des CIAM. Ce quartier d’Amsterdam est selon Rem Koolhaas « un peu comme du Le Corbusier, sans le talent, mais avec une doctrine impeccable. »145. Il est un des plus grand des grands ensembles des Pays-Bas. Les immeubles se vident, mais au final, les habitants restants trouvent beaucoup d’avantages à y vivre. Le quartier leur donne de la lumière, de l’espace et un véritable sentiment de liberté. Rem Koolhass décide alors de ne pas intervenir sur les logements mais de redonner une force au projet en y réinjectant du programme. Considérant d’une manière générale le projet des modernes comme non-achevé, il décide de le continuer. « Une doctrine architecturale est adoptée pour être inévitablement remplacée, quelques année plus tard, par la doctrine opposée: séquence négative où chaque génération ne peut que ridiculiser la précédente. L’effet de cette succession de oui-non-oui est anti-historique car elle réduit le discours architectural à une suite incompréhensible de phrases disjointes »146, Rem Koolhaas, 1985. L’expérience de Bjilmeer est donc une vive critique de l’urbanisme des CIAM et du team X que l’OMA tente de dépasser, pour aboutir à un consensus optimiste dans lequel leur intervention n’est pas en rupture, mais continue et se réapproprie les principes d’un modèle potentiellement en devenir. 144

Propos et chiffres, tirés de la conférence “On OMA’s work », Rem Koolhaas, Université de Beirut, Liban, Mai 2010, Disponible sur le site internet de Youtube. 145 Rem Koolhaas dans La grande ville et les périphéries, Entretien de Rem Koolhaas par Bruno Fortier, Architecture d’Aujourd’hui, n°262, Avril 1989, p.92. 146 Rem Koolhaas, cit. tirée de OMA , Of fice for Metropolitan Architecture , Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985.

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CONCLUSION

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ARCHITE CTURE ET EVOLUTION

YEUX En définissant la culture de congestion en 1978 dans New York Délire, Rem Koolhaas, « regardait derrière lui pour voir devant »147. En observant Manhattan, il découvre et analyse les stratégies inconscientes des gratte-ciel, de leur hybridité et de leur radicalité. Ainsi, ses projets au sein de l’OMA explorent ces stratégies, les adaptent, et les réinterprètent : ils sont profondément contemporains, mais ne cachent pas une certaine nostalgie des avant-gardes du début du XXe siècle. Rem Koolhaas se détache alors de ses contemporains qui ferment les yeux sur toute la période de l’après seconde guerre mondiale, et par conséquent sur la période moderne des années vingt et trente. Comme Robert Venturi lorsqu’il observe Las Vegas, Rem Koolhaas s’interdit de fermer les yeux devant les problèmes de la métropole contemporaine. Jacques Lucan le rappelle lorsqu’il écrit que Rem Koolhaas « stigmatise les « yeux qui ne voient pas » la dimension métropolitaine des phénomènes urbains contemporains. »148. « Voilà donc que la modernité se remettait en marche avec cet architecte (Rem Koolhaas) qui parle d’avant-garde sans parler d’art, de contenu sans parler de forme, qui ne transige pas devant la banalité, qui cherche des techniques nouvelles et fait ses projets en équipe. »149 Marco Tabet, 1996.

147

Voir citation de Sarah Whiting p.50 Jacques Lucan dans O MA – Rem Koolhaas – Pour Une Culture De Congestion, Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990. 149 Marco Tabet dans La Terrifiante Beauté de la Beauté, Neutralisme et Abstraction dans l’Architecture de J.Nouvel et R.Koolhaas, Marco Tabet, Paris, éd. Sens & Tonka, Mars 1996. 148

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SURF Rem Koolhaas n’ignore pas l’histoire et l’utilise pour nourrir son architecture, pour élargir ses horizons. Cependant ses instincts de journaliste (et d’architecte) lui permettent de constamment être à l’affût des « manifestations de ce que l’on nommera, pour reprendre les mots de Charles Baudelaire, « la vie moderne » »150. La logique rétroactive de Rem Koolhaas réside dans une exploration des possibilités de l’existant sans ignorer la « terrifiante beauté du XXe siècle »151 ce qui lui donne le rôle ambivalent d’archéologue et de « peintre de la vie moderne »152. Il est à la recherche d’une architecture d’une neutralité relative en réaction au mouvement postmoderne. L’architecture de l’OMA ne cherche pas à s’imposer dans des environnements urbains hétérogènes. Son architecture est synonyme de simplicité et paradoxalement de complexité. Elle ne délivre pas toute sa complexité immédiatement. Rem Koolhaas renoue ainsi avec une certaine idée de l’abstraction issue des recherches des architectes modernes, visant à la neutralité, et à l’expression d’une architecture impersonnelle. Rem Koolhaas dit d’ailleurs « accepter l’architecture moderne sans névrose »153. Il est vrai qu’il se place dans une continuité idéologique, et non dogmatique des modernes, seulement il se méfie des doctrines trop catégoriques comme celles de Le Corbusier (et surtout celles des CIAM). C’est certainement la raison la plus évidente pour laquelle il ne se réfère jamais à lui. “On ne s’étonnera pas si l’image de l’architecte qu’affectionne particulièrement Rem Koolhaas est celle d’un surfer sur la vague: la force et la direction de la vague sont incontrôlables: elle déferle; le surfeur peut seulement en exploitant celle-ci, la “maîtriser” pour choisir son chemin.”154, Jacques Lucan, 1990. La succession des doctrines d’urbanisme issues de mouvements de pensées qui se contredisent a créé un phénomène d‘instabilité qui, selon Rem Koolhaas, caractérise la vie moderne. Cette instabilité induit que l’architecture, pour être pérenne doit être flexible, elle doit permettre les modifications. Rem Koolhaas découvre cette architecture du « plan typique » dans les gratte-ciel de Manhattan. Ils englobent dans leur enveloppe austère, des

150

Dès 1990, Jacques Lucan définissait avec justesse le travail de l’OMA en 5 points : 1- la rétroaction / 2- la neutralité / 3- l’histoire poursuivie / 4- l’instabilité / 5- la congestion, Jacques Lucan dans OMA – Rem Koolhaas – Pour Une Culture De Congestion, Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990. 151 traduction personnelle de “The terrifying Beauty of the Twentieth Century”, titre d’un chapitre de S,M,L,XL, Small, Medium, Large, Extralarge, OMA, Rem Koolhaas, Bruce Mau, Jennifer Sigler (dir.),Rotterdam,010,Publishers/Monacelli Press, 1995. 152 Jacques Lucan dans OMA – Rem Koolhaas – Pour Une Culture De Congestion, Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990. 153 Ibidem, Rem Koolhaas cite par Jacques Lucan. 154 Ibidem.

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activités multiples, variées, et interchangeables que l’on ne saurait deviner depuis l’extérieur. Ils autorisent le développement de la culture de congestion. Cette culture de congestion est la véritable clé de voûte du travail de Rem Koolhaas. Dévoilée consciemment dans New York Délire, Rem Koolhaas la définit comme la culture du XXe siècle. « Tout ce qui appartient à la nature, par essence, est voué à la disparition. On naît, on meurt, on disparaît : seules les idées, l’art, l’artificiel semblent offrir quelques promesses de permanence. (…) Se demander si l’histoire de l’humanité, en toute logique, ne va pas vers la substitution de la nature par l’artificiel. »155 Elia Zenghelis, 1985. CHINE La globalisation, la crise économique, la métropolisation et la révolution écologique, la fracture sociale et la crise des banlieues, la révolution numérique et les nouveaux modes de représentation, sont autant d’éléments, de paramètres qui font que notre période est sur le point de connaître un tournant historique décisif. Selon Rem Koolhaas, le plus grand danger de notre époque est que les pays aux régimes les plus durs se développent beaucoup plus rapidement que les pays aux régimes démocratiques. Les Etats-Unis et l'Europe ont connu, dans le passé, une très forte urbanisation portée par une forte période de croissance, et guidée par des manifestes, des discours théoriques ambitieux. Aujourd’hui, dans le creux de la vague, les architectes européens construisent beaucoup, mais réfléchissent peu. Au contraire l'Asie prolifère et se construit dans une absence totale de manifeste. L'urbanisme est conduit par l'économie de marché. La ville et l'architecture ne se permettent plus de garder des espaces libres puisqu’ils sont peu rentables. Ces changements de paradigmes conduisent Rem Koolhaas à se tourner vers l’orient. Il a donc dans un premier temps, cherché à comprendre et à analyser la Chine avant d’y intervenir en tant qu’architecte. Ainsi lorsque Rem Koolhaas a la possibilité de choisir entre dessiner le siège de la télévision chinoise CCTV de Beijing et le nouveau World Trade Center de New York, il choisit le CCTV. La Chine avait l’ambition de créer une architecture forte et le désir d’imaginer une future évolution dans les médias alors que le nouveau WTC s’apparentait plus à un mémorial qu’à une véritable envie de prouver que le Manhattanisme pouvait être encore une fois aguichant. Le CCTV offrait la possibilité, pour la première fois, de créer un complexe de télévision compact en situation urbaine. Ce nouveau type de programme condensé permet à 155

Elia Zenghelis dans OMA, Office for Metropolitan Architecture, Architecture d’Aujourd’hui, n°238, Avril 1985.

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Rem Koolhaas d’imaginer une alternative aux idées classiques des bâtiments de grande hauteur. Le projet a deux ambitions à la fois politiques et structurelles. L’ambition politique est illustrée par la création d’une boucle symbolisant un bâtiment visitable et ouvert au public, un bâtiment qui ne cache pas la vérité. L’ambition structurelle est de prouver au monde entier que la Chine est aujourd’hui capable de projets ambitieux et novateurs que l’Europe et les Etats-Unis seraient incapables de produire. Le but de Rem Koolhaas, par son architecture, est de participer aux changements et à l’ouverture des médias chinois. Comme Le Corbusier lorsqu’il exporte son architecture en dehors de l’Europe, dans des pays capables et désireux de développer une architecture novatrice, Rem Koolhaas construit de plus en plus en Asie et au Moyen-Orient. Ces continents lui offre l’opportunité de développer une architecture radicale qui lui évite de faire des compromis. Rem Koolhaas s’amuse à remarquer que si dans le début des années soixante-dix, il a fortement été inspiré par l’avant-garde soviétique du début du XXe siècle, il construit aujourd’hui pour la télévision centrale de la République Populaire de Chine… « At the moment where most of the profession was obsessively focused on Ground Zero, we entered a competition to design the new headquarters of CCTV. We proposed a scheme of almost utopian purity – to integrate every element of TV making in a single entity. In any other commercial operations the studios would be built in a cheap area outside the city, the administrators might go to the business district, the creative people to the old or rehabilitated parts of town; they would never be together and would perpetually complain about each other. The possibility of creating a single, self-sustained entity inspired us to merge two skyscrapers into a loop, representing interconnectedness and intelligence moving through all its components. An explicit ambition of the building was to try to hasten the end of the skyscraper as a typology, to explode its increasingly vacuous nature, loss of program, and refuse the futile competition for height. Instead of the two separate towers of the WTC, there was now a single, integrated loop, where two towers merge. EPILOGUE. The initial attraction to/inspiration of architecture-triggered by communism 40 years ago – consummated under communism 40 years later! 27 August 03 » 156 Rem Koolhaas, 2004.

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Rem Koolhaas, A brief History of OMA, Content, AMOMA / Rem Koolhaas / &&& : Simon Brown, Jon Link (direction artistique), Köln, éd. Taschen, 2004, p.44.

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REPONSE Il est évident que Rem Koolhaas donne une seconde chance au modernisme. Il ne reprend pas littéralement les principes péremptoires qui l’ont mené à sa perte, ni même son vocabulaire architectural paralysant, mais en retire son essence, sa volonté de répondre aux besoins contemporains, et sa détermination dans son combat contre la forme et la composition. Il rend à la modernité son statut de mouvement expérimental en quête de nouveautés et qui refuse les aprioris ou les codes établis, qu’ils soient esthétiques, structurels, ou programmatiques. Que cela soit dans son architecture ou dans ses projets urbains, Rem Koolhaas, utilise et se réapproprie des principes et des méthodes modernes, qu’il peut détourner, combiner, ou encore transcender (grâce au progrès). Même s’il ne l’admet pas ouvertement, il reprend progressivement le flambeau et ravive « le vrai feu de la modernité »157 en le réadaptant, en l’agrémentant de la culture de congestion, et en lui donnant une dimension narrative relative aux avant-gardes du début du XXe siècle. Dans son combat contre les post-modernes, Rem Koolhaas affirme avec radicalité, dans ses projets, que l’architecture est une question de stratégie avant d’être une question de forme.

157

Jacques Lucan dans OMA – Rem Koolhaas – Pour Une Culture De Congestion, Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990.

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CORPUS D’ETUDE

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ICONOG RAPH IE (1) extrait du film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni, 1970 / (2) (4) (18) (22) (23) (24) (29) extrait de Rem Koolhaas | OMA: The Construction of Merveilles, Roberto Gargiani, Essays In Architecture, EPFL Press, Distribué par Routledge, 2008, traduit de l’italien par Stephen Piccolo / (3) (10) extrait de OMA – Rem Koolhaas – Pour Une Culture De Congestion, Jacques Lucan, Paris, Milan, éd. Electa Moniteur, 1990 / (5) (6) (7) (8) (15) (16) (38) extrait d’Internet / (9) extrait de The Language of Post-Modern Architecture, Charles Jencks, éd. Rizzoli, 1977 / (11) (12) extrait de Composition, non-composition, Architecture et théorie, XIXe – XXe siècles, Jacques Lucan, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009 / (13) (14) (17) (30) (35) (36) extrait de New York Délire: Un Manifeste Rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Paris, éd. Le Chêne, 1978, traduction de Catherine Collet / (19) extrait du site Internet de la Fondation Le Corbusier / (20) (21) extrait de Informal, Cecil Balmond with Jannuzzi Smith, ed. Prestel, 2002 / (25) Le Corbusier, Oeuvre Complète, Willy Boesiger, Le Corbusier, Œuvres complètes, 8 tomes, Zürich, éd. D'architecture Artemis, 1991 / (26) (27) extrait de Une maison, un palais, Le Corbusier / (28) (31) (32) (33) (34) extrait de AMOMA / Rem Koolhaas I – 1996-2006, El Croquis, n°131-132, 2006 / (37) extrait de Content, AMOMA / Rem Koolhaas / &&& : Simon Brown, Jon Link (direction artistique), Köln, éd. Taschen, 2004 / (39) extrait du site Internet de l’OMA.

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The Story Of The Pool Rem Koolhaas, projet manifeste, publié dans New York Délire, 1976.

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Villa Dell’Ava OMA, Saint-Cloud, France, maison, commande privée réalisée, 1984-1991.

Bijlmermeer Redevelopment OMA, Amsterdam, Pays-Bas, étude pour la ville d’Amsterdam, 1986.

Kunsthal

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Ville-Nouvelle Melun-Sénart OMA, Melun-Sénart, France, masterplan, concours de la ville de Lille, 1988.

Zeebrugge Sea Terminal OMA, Zeebrugge, Belgique, concours, premier prix, 1988-1989.

ZKM, Zentrum fur Kunst und Medientechnologie OMA, Karlsruhe, Allemagne, musée, projet annulé, 1992.

Très grande Bibliothèque

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Netherland Embassy

OMA, Berlin, Allemagne, bureaux, commande du ministère des affaires étrangères hollandais, realisé, 1997-2000.

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Casa da Musica OMA, Porto, Portugal, commande de la ville de Porto, réalisé, 2005.

CCTV

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PROJE TS DE LE CORBUSIER L’ossature standard « Dom-ino », pour exécution en grande série Le Corbusier et Max Dubois, non situé, 1916

Maison Canneel (ou Maison.X) Le Corbusier, Bruxelles, Belgique, non construit, 1929.

Maison la Roche-Jeanneret Le Corbusier, réalisé, Paris, France, 1923

Villa Savoye Le Corbusier, réalisé, Poissy, France, 1929-1931

Palais du Centrosoyus Le Corbusier, Moscou, URSS, concours, 1928-1935

Maison de M.Errazuris Le Corbusier, Chili, 1930.

Musée d’art contemporain Le Corbusier, Paris, France, 1931.

Plan « Voisin » Le Corbusier, Paris, France, 1922-1925-1929

Palais des Soviets

Le Corbusier, Moscou, URSS, 1931

Étude d’urbanisation en Amérique du Sud Le Corbusier, 1929

Proposition pour Manhattan Le Corbusier, New York, 1935

Plans pour les musées de la ville et de l’état Le Corbusier, Paris, France, 1935.

Musée à croissance illimitée

Le Corbusier, Philippeville, Afrique du Nord, 1939.

Unité d’habitation de grandeur conforme Le Corbusier, Marseille, France, 1947-1949.

Plan pour le quartier général de l’ONU Le Corbusier, concours, New York, U.S.A, 1947.

Palais des Congrès

Le Corbusier, Strasbourg, France, non construit, 1964.

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