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KATHIE
WERQUIN-WATTEBLED
Chaque mois, Alexandra CarrazCeselli, fondatrice de L’Equipe des Lyonnes — un réseau de plus de 1800 membres qui encourage les femmes à prendre place dans le débat public — nous propose de découvrir une Lyonnaise au parcours remarquable, invitée du « Café des Lyonnes ». Ce mois-ci, nous allons à la rencontre de Kathie WerquinWattebled, la première femme à Lyon à occuper le poste de directrice régionale de la Banque de France.
ACC : Pensez-vous être une femme engagée ?
KWB : Effectivement, je suis une femme engagée, et je considère d’ailleurs que c’est la qualité première d’un collaborateur. C’est ce que je regarde en priorité dans mes recrutements. Finalement, les autres compétences peuvent s’acquérir, mais l’engagement, c’est ce qui fait la différence. C’est primordial car lorsqu’on est engagé, on pense que l’on peut faire évoluer les choses et on est dans l’action. C’est ce qui fait pétiller les yeux le matin en allant au travail, c’est ce qui fait que l’on ne compte pas ses heures, on ne sent plus la fatigue et on s’engage totalement dans un projet.
Comment cela se concrétise-t-il chez vous ?
Bien sûr d’abord dans mon travail, mais je m’engage aussi beaucoup dans le management. J’essaie toujours de faire en sorte, lorsque je pilote des équipes, de me poser la question de savoir comment ils vont être meilleurs avec moi que sans moi. Cela passe par mon engagement, par le modèle que je peux donner à mes équipes en termes de management. En externe, je m’engage aussi dans plusieurs d’associations, parce que là aussi j’ai cette croyance forte que je peux apporter ma petite pierre à l’édifice, qu’en croisant mes compétences avec d’autres, on peut vraiment faire « 1+1=3 » savoir ce que je ferais si je n’avais pas peur. Et cela fonctionne très bien. D’ailleurs quand je vois certains collaborateurs hésiter quand je leur propose un poste, je leur pose la question de savoir de quoi ils ont peur ? Et souvent, on découvre que ce sont les peurs et les pensées limitantes qui entraînent les hésitations.
La place des femmes est-elle une question à laquelle vous pensez lorsque vous faites vos recrutements ?
Objectivement, je ne fais pas de différence. C’est vrai que lorsque je recrute quelqu’un, ce que je vois d’abord ce sont les compétences, le savoir-être, l’envie de travailler, l’envie que l’on me donne d’être recruté, et c’est a posteriori que je réalise que j’ai plutôt recruté un homme ou une femme.
Vous êtes la première femme à occuper le poste de directrice régionale de la Banque de France en Auvergne-Rhône-Alpes ; cela signifie-t-il qu’aujourd’hui encore peu de femmes accèdent à des postes à responsabilité dans le secteur de la banque ?
Alors je n’ai pas de statistique sur l’ensemble du secteur financier, en revanche je peux parler d’une maison que je connais bien — la Banque de France — puisque notre Gouverneur est très engagé sur le sujet pour faire bouger les choses. Lorsque l’on regarde les statistiques de DG/DGA/Directeurs régionaux, adjoints, directeurs départementaux, nous visons aujourd’hui les 35%, et nous sommes à 33%, ce qui est déjà une bonne performance, même si nous ne sommes pas encore à 50/50. En même temps, il faut laisser un peu de temps pour faire évoluer les équipes, car en toute logique, on ne devient pas DG ou DGA à 25 ans.
Que manque-t-il aux femmes pour réussir ? Pourquoi sontelles si peu nombreuses ? Elles ne manquent de rien du tout, il suffit de regarder les résultats des femmes lorsqu’elles sortent des écoles : elles sont souvent plus brillantes, elles ont de meilleures notes que les hommes. Elles manquent simplement de « role models », d’images. Aujourd’hui, ce qui nous pénalise c’est notre passé. L’image que nous avons d’un banquier, c’est celle d’un homme, plutôt quinqua, en costume, pas très rock n’roll, idem pour d’autres professions -par exemple je n’ai jamais vu un électricien qui était une femme, cela veut dire que si je suis une jeune fille, je vais avoir du mal à me projeter dans une profession pour laquelle je manque de modèle.
Pour progresser dans le milieu de la banque, il n’y a selon vous, pas de freins, pas de plafond de verre ? Non, il n’y a honnêtement aucun frein. La période est plutôt faste d’ailleurs pour les femmes, avec un taux de chômage très bas, et des problématiques de recrutement qui font que si je suis un chef d’entreprise, j’ai besoin de monde, j’ai besoin de recruter, et je vais rechercher des compétences, pas un questionnement homme/femme. Donc aujourd’hui il ne faut pas avoir peur, il faut y aller.
Quand vous étiez petite, rêviez-vous d’être banquière ?
Quand j’étais petite, je voulais être avocate. Après j’ai fait science-po, et j’ai eu la chance de croiser un économiste de la Banque de France qui a vu mon appétence pour les sujets liés à l’économie et qui m’a dit : « Pourquoi ne pas rentrer à la Banque de France ? ». Et là encore, c’est un message à retenir : quand le train passe, il ne faut pas le rater, il faut y aller. Il ne faut pas réfléchir ni se poser trop de questions. Il faut faire confiance.
Comment accède-t-on aux postes de la Banque de France ?
J’ai passé un concours d’adjoint de direction ; on rentre cadre sur un bon positionnement en tant que chef de service. Ensuite j’ai fait beaucoup de mobilités, qui aussi une passion chez moi : Strasbourg, Dijon, Chambéry, Brest, Afrique du Sud, Paris, Lille, puis Lyon maintenant. Toujours à la Banque de France, en exerçant plein de métiers différents : RH, analyse financière, suivi de dossiers de surendettements...
Et vous, vous n’avez jamais eu peur ?
En tous cas, quand j’ai peur, je fais ce travail et je me pose la question, au moment de prendre la parole ou de prendre une décision.
Observez-vous une différence entre homme et femme quand vous proposez des postes ou des avancements à des collaborateurs ? Effectivement, nous avons souvent moins de femmes qui candidatent sur des postes à responsabilité et nous devons souvent aller les chercher. Et je constate que parfois les hommes candidatent, sans toujours cocher beaucoup de cases des attendus pour le poste, mais ils n’ont pas peur, tandis que les femmes sont souvent plus peureuses et nous flèchent tout ce qu’elles ne savent pas bien faire, elles veulent souvent être plus parfaites. Et ça, évidemment, c’est un frein, puisque lorsque l’on change de poste, on passe d’un poste confort, à de l’inconfort, avec des choses à apprendre. Donc elles se lancent moins facilement.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent s’engager dans ce secteur ? Je me suis toujours posé la question suivante, quand on m’a proposé un poste : « qu’est-ce que je ferais si je n’avais pas peur ? » Parce que souvent la peur n’est pas toujours bonne conseillère, en tous cas pour les femmes, elle reste un frein, et fait partie des pensées limitantes que l’on peut avoir. Donc c’est vraiment de se mettre dans la posture de
Si vous aviez une baguette magique, quelle mesure prendriez-vous pour permettre aux femmes d’être plus engagées dans la société ? Objectivement, il faut voir les choses de manière positive, nous sommes dans un pays où on a beaucoup de chance, où on a fait beaucoup de choses pour les femmes. Il ne faut pas du tout être parano, on peut tout faire quand on est une femme, il n’y a plus de frein. En revanche, on manque peut-être de role models, même s’il ne faut pas retenir que les role models extraordinaires et exceptionnels sur papier glacé – à l’exemple de Delphine Ernotte, Michèle Obama, Christine Lagarde, au risque de rendre les projections inatteignables. Donc, je pense que l’on doit sur-jouer les postes de femmes à responsabilités ou plus modestes, et on doit multiplier les roles models, et pas seulement les têtes d’affiches.
> Retrouvez cet entretien dans son intégralité sur la chaîne « L’équipe des Lyonnes »