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ITINÉRAIRES

ITINÉRAIRES

Dans les livres d’histoire que nous avons feuilletés, l’inchangé de la Bastide était son jour de marché : immuable mardi matin. Mardi, les voitures s’écartent de la place de la République et les stands fleurissent. Impossible donc de passer à côté de ce temps de vie collective.

Nous étalons notre Sauveterre de papier. A notre stand, on s’interroge à partir des cartes : quels sont vos itinéraires réguliers ? Par quel endroit passez-vous si vous êtes à pied et que le soleil est au rendez-vous ? Quel devenir imaginez-vous pour ce lieu ?

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Nous renseignons les cartes et distribuons notre journal de résidence. Plongées au cœur de la vie sauveterrienne, nous devenons les oreilles des rêves des habitants pour leur ville. Les mardis matins passant, nous nous détachons de la carte pour donner toute leur place à ces prescriptions spontanées : un « mur des prérogatives sauveterriennes » grandit à chaque fin de marché dans notre local.

Jean-Michel est Sauveterrien « presque » de naissance.

Arrivé à Sauveterre en 1967, à l’âge de trois ans, il y est toujours.

Il habite actuellement à quatre maisons plus loin du 31 de la rue Saubotte où il a passé toute son enfance.

Bien que grisonnant, il n’est pas encore trop âgé. Il porte des lunettes en écaille et peut-être de star.

par Annie et Léhéna

« Mes points d’arrêts sont des points de rencontre, de rendez-vous »

La maison d’enfance de Jean-Michel lui appartient toujours un peu puisque sa sœur y vit encore.

Sur le petit rebord de cette maison, il jouait aux petites voitures avec son copain qui habitait à la station.

Juste avant cette maison, il y avait une boulangerie qui avait appartenu à la famille Ferry, mais elle n’existait déjà plus lorsqu’il était enfant. Seule l’enseigne que l’on voit toujours actuellement subsistait.

En face, se trouvaient deux forges. L’une, spécialisée dans les charpentes métalliques, a fabriqué l’ancien préau de l’école.

par Danielle et Héliane

Sauveterre ne se meurt pas : je vois de nouvelles habitations ou l’agrandissement de la cave coopérative. Sauveterre a la chance de vivre de la terre et peut ainsi tenir.

« On achetait des grilles de loto à l’entrée, on jouait avec du maïs, les pros jouaient avec des aimants, mais nous, on jouait avec du maïs. C’était rigolo, on jetait des maïs à travers la salle, si on en recevait sur la grille, c’était perdu. […] On jouait pendant deux heures. Des lots à la ligne, il y en avait plein. Des lots au carton, il y en avait plein. A l’époque, c’était les gens qui ramenaient les lots : un coq, un jambon ou un jeu. Beaucoup de nourriture était à gagner, c’était les paysans qui ramenaient ça. Voilà comment ça se passait. On faisait des dizaines de parties. Je crois que cela existe encore. La salle était remplie de monde. »

La mémoire tâtonne et se déplie au fur et à mesure que Julien parcourt son territoire d’enfant.

La maison d’un copain d’autrefois, une « petite rue qui descend » ou simplement un repère mémoriel commun comme l’ancien cinéma de la rue Saint-Romain. Les noms officiels s’effacent, laissant toute place à la précision des souvenirs.

Julien est parti, est revenu, revient, repart. Il est un enfant du pays attaché à cette maison familiale située à 1km du centre de Sauveterre au cœur des vignes cultivées par son père. Le nom de Saint-Léger ne se pose pas entre ses mots, mais nous le comprenons : nous y sommes en récit.

Nous avons souhaité un outil simple, humain et palpable pour aller à la rencontre des Sauveterriennes et des Sauveterriens. L’idée d’un journal, éloignée du numérique peu approprié pour ce territoire, affirmait l’importance du recours aux mots propre à la démarche de notre résidence.

Cette feuille A3 se déplie quand on souhaite lire. Quatre rubriques rythment le journal :

• L’entretien : un dialogue avec un habitant sur son vécu au sein de Sauveterre, ses pratiques et ses désirs.

• L’article : quelques lignes pour suivre les avancées de la résidence.

• L’agenda : une invitation à nos différents rendez-vous (marché, ateliers, permanence dans notre local, temps forts collectifs).

• Le courrier des lecteurs : une incitation aux intéressés à se saisir de ce journal pour communiquer avec les autres habitants.

• Une carte : au verso, révèle les tracés effectués par les habitants lors du marché.

Par un chemin un peu sinueux, nous allons nous rendre, depuis cette antenne, à la zone d’activité économique qui est au pied de cette colline, là où se trouvent une trentaine d’entreprises.

« Nous voyons des forêts, des oiseaux sur les fils et là, un très bon vignoble situé sur des terrains argileux qui produisent des vins très capiteux, un excellent cru de Sauveterre. C’est un point élevé, typique et renommé. L’antenne localisée sur ce point géologique caractéristique à côté d’une jolie propriété habitée par l’épouse d’un général 4 étoiles qui a pris sa retraite à Sauveterre. Il était un éminent habitant ! Vous pouvez constater que les vignes sont jeunes, ce vignoble est entretenu, il a été planté deux ans auparavant. Et regardez, à perte de vue, ce paysage s’étend tout autour. Sauveterre n’est pas loin. Cet endroit s’appelle les Gays. »

Claude et Héliane sont voisins du local de résidence ; la rue, située entre les deux trottoirs est notre lieu privilégié de discussion. Sauveterre occupe leurs pensées : des pigeons agaçants à l’histoire des lavoirs, rien n’échappe à leur curiosité. Impliqués dans la vie locale, Claude et Héliane n’ont pu passer à côté de la frénésie des vins qui y règne.

Ils sont venus, elle de Bordeaux, lui de Blasimon, implanter leur laboratoire d’œnologie dans « ce petit centre qui permettait de rayonner aux alentours » en 1966. Leur entreprise s’étend jusque dans leur maison où verres, carafes et souvenirs sont omniprésents.

Nous allons partir du bar des Arcades, passer devant la gendarmerie, puis tourner à droite pour descendre en direction de la Vignague. Nous remonterons au lieu-dit Bouey, nous tournerons au Grand-Ferrand pour revenir en bas par Candale, puis nous remonterons par le Petit-Ferrand, ensuite...

« Vous voulez marcher là, madame, il y a un trou. Vous appelez ça, des trottoirs, vous ?

Là, nous arrivons chez moi. Nous prenons un chemin de drainage, perpendiculaire à la rue des anciens AFFN. Alors, là, j’ai le poulailler, les poules et le coq sont à l’intérieur. Regardez, ça c’est des tamaris, des petits arbres. C’est la Résidence de la petite Bastide avec 25 logements.Nous sommes rue Edouard 1er, vous montez, en haut vous rattrapez la route de la Réole. J’habite ici depuis 8 ans. Je suis un peu le concierge. C’est la maison du bon

Dieu [...]

Là, c’est des enfants de la résidence qui m’ont dessiné. La petite était assise là et m’a dessiné. Le portrait de Jojo ! »

Chaque jour, Joël quitte la Résidence de la petite Bastide pour avaler les kilomètres à grandes enjambées. Il évite les vagues des trottoirs et, comme la Vignague, file au plus bas : les voies carrossables sont ses chemins pédestres.

Chez lui, il remplace sa casquette noire par un chapeau de cow-boy et rit des différents rôles qu’il peut endosser : blagueur, concierge à ses heures ou historien local, Joël aime rendre service et raconter Sauveterre.

Chaque jour, Joël, la voix qui porte, l’accent saillant et l’humour aux lèvres, s’attable au bar des Arcades. Un œil posé sur la place, il rêve d’une halle au toit recouvert de panneaux solaires.

ATELIER avec les agents municipaux

Dans le cadre de notre démarche de recherche-action, un temps de travail avec les agents municipaux, au cœur de la gestion de la ville, était primordial. Les agents administratifs, ainsi que ceux des services techniques, se sont rendus à notre local pour participer à des ateliers élaborés en fonction de leurs compétences.

Au programme, tri des prescriptions définies par les habitants et collecte des idées des agents pour l’avenir de la ville.

4 grands thèmes regroupant l’ensemble de la récolte ont été identifiés :

• Embellissement

• Voirie

• Services

• Propreté

L’axe « Culture » a été ajouté à la suite de la table-ronde que nous avons organisée. Les agents ont identifié, par la suite, sur les cartes de Sauveterre, les endroits en lien avec les thématiques.

Nous commençons à apercevoir des panneaux « Sifflez palombière ».

S’il y a un vol de palombes, les chasseurs ne répondent pas et donc il ne faut pas bouger. Nous arrivons bientôt à la cabane, vous allez voir leur installation très complexe avec différentes ficelles que les chasseurs tirent pour faire battre les ailes des appelants et attirer les palombes.

« Ici, nous pouvons croiser des chasseurs de faisans, de perdreaux, des battues aux sangliers et aux chevreuils. Ou des cueilleurs de champignons. Le bolet noir, le cèpe de Bordeaux, est mon préféré : il a la tête bien noire, bien ronde et la jambe bien ronde aussi, c’est très parfumé. Les oronges, c’est délicieux également, mais il ne faut pas se tromper : certains sont, hélas, fatals.

Les châtaigniers se meurent par le chancre et la sécheresse : malheureusement, je n’ai presque plus de châtaignes à ramasser. Nous rencontrons rarement du monde en dehors des périodes de chasse. »

Sauveterrienne, oui, depuis sa naissance. Laurence quitte le bourg, lui préfère la campagne, mais apprécie de changer d’univers en quelques coups de pédales, belles enjambées ou tours de volant.

La pluie n’arrête pas son plaisir. Vêtue d’une cape, elle se rend à la palombière familiale, passant par le « chemin de Napoléon » à quelques pas de Saint-Léger. À l’affût des chasseurs environnants, Laurence ramasse quelques châtaignes, des champignons ou identifie les arbres.

Saint-Romain, Saint-Léger, Le Puch : en démarrant par la piste cyclable « Roger Lapébie », nous allons passer dans ces trois anciennes communes annexées à Sauveterre pour y voir les églises, le lavoir de Saint-Romain et le moulin à Saint-Léger.

« L’église est ouverte. Je n’y suis pas entrée depuis la restauration, il y a environ deux ans : ils ont refait le plafond qui menaçait de s’effondrer, repeint les murs et enlevé l’autel.

Je vais en tenue de jardin à l’ESAT à deux pas de là : je me balade dans les serres et j’achète ce qui me manque. Les 3/4 de nos plants, nos fleurs viennent de cet endroit. Un artisan-menuisier s’est installé à côté. Dans le petit bourg, il y a seulement une dizaine d’habitants, mais beaucoup de services. »

Lilou, très impliquée dans l’association de vélos « entre-deux-voies », est toujours partante pour faire un petit tour sur un deux-roues. Elle organise des virées sur les pistes cyclables de la région, qui, contrairement à ce que nous pourrions imaginer, ne sont pas plates ! À Piquereau, hameau de Saint-Léger rattaché à Sauveterre, se trouve sa maison, entourée de pousses, accueillante et pleine de vie comme Lilou. Son mari, Dan, est invisible : d’octobre à novembre, il est atteint de la « maladie bleue »1 !

1 La « maladie bleue », répandue dans la région, se définit par le désir irrépressible de chasser la palombe et donc de vivre deux mois dans une petite cabane perchée dans les arbres.

ATELIER avec la médiathèque, avec la RPA

En lien avec la Médiathèque ou la RPA1, nous avons intégré les habitants qui le souhaitaient au processus de fabrication du recueil des itinéraires.

Notre envie était de mettre en avant, en vue d’une table-ronde, quelques éléments clés de chaque itinéraire que nous avions arpenté, guidées par les Sauveterriennes et les Sauveterriens. Pour ce faire, nous devions, en atelier, sélectionner et agencer les données recueillies : choisir les photographies à présenter, dessiner le trajet ponctué de points d’arrêt sur la carte de Sauveterre, écrire de courts textes dressant le portrait de l’arpenteur ou présentant un lieu de son itinéraire à partir des enregistrements...

Lors de ces ateliers, nous sommes allés plus loin qu’une simple compilation : chaque participant a ajouté ses propres références au recueil des itinéraires. Vous trouverez deux des textes produits à la page 13 de cette publication.

lecture du texte écrit en atelier pour un des points d'arrêt©soplo prérogative sauveterrienne tracer l'itinéraire sur la carte©soplo écrire à partir des photographies©soplo

Je vais vous amener sur le trajet des balades que je fais tous les jours. Nous allons partir à la Médiathèque, faire le tour vers la cave, remonter sur le chemin de ronde près de l’ancien super U pour revenir ensuite au château d’eau.

« Je fais le tour des jardins par le chemin de ronde : c’est une balade plus longue qu’en passant par les petites rues. Vous voyez ce grand jardin avec ces jolis rosiers : ils sont magnifiques. En bordure de route, je ramasse des "belles de nuit" ou des "belles de jour". Elles se ferment la nuit et s’ouvrent le jour ou inversement. Il y en a partout : une jaune, une rose ou d’autres couleurs proches. Vous ramassez les graines, vous les semez et cela pousse comme du chiendent... Maintenant, nous arrivons à l’arrêt de bus où je vais souvent pour me rendre à Bordeaux. »

Françoise pratique la marche à pied et participe aux animations proposées par la ville : aux jeux de cartes ou au tricot, elle préfère le loto. Chaque jour, Françoise fait son petit tour : elle ne s’aventure pas jusqu’à la piste cyclable, mais parcourt, entre un cours d’informatique à la Médiathèque et une séance à la CDC , le chemin de ronde. Françoise rêve du développement des moyens de locomotion collectif. Une piétonne, on l’a dit, à l’affût des occasions de laisser ses pantoufles à la maison.

Nous allons découvrir la Bastide, des manières de déambuler à travers ses petites rues, ses petits chemins. Je vous propose un trajet découverte comme je l’ai fait quand je suis arrivée ici.

« Cette vue que nous avons de l’ensemble de la Bastide avec un parking plein... regardez Libourne, regardez de nombreuses Bastides où le stationnement ne se fait pas au cœur de ville, nous perdons les possibilités de découvrir celle de Sauveterre. Beaucoup de lieux sont repérables, mais ne sont pas indiqués : l’église, si nous nous trouvons ici, nous ne la voyons pas. Ce n’est pas fléché : on ne va pas nous emmener sur des points précis. Au niveau de l’architecture, il ne faut pas regarder en l’air ! Il y a un réel besoin de rénover des façades avec leurs balcons en fer forgé qui sont fabuleuses. »

Déambuler, découvrir et apprécier. Ce sont les trois mots que nous dit Monique au début de son itinéraire. Férue d’architecture, elle vient souvent dans les rues de Sauveterre déambuler au gré de ses envies. Par exemple, en faisant un petit détour pour admirer le colombage d’une maison qui lui rappelle la Normandie dont elle est originaire.

Elle habite à quelques kilomètres en plein cœur des vignes. Elle vient le mardi pour le marché, au besoin chez le libraire ou le pharmacien, mais aussi pour faire le tour de la Bastide avec ses amis normands. Arrivée au mois de septembre deux ans auparavant, elle fait des découvertes à chaque promenade !

L’itinéraire que je fais très régulièrement, plusieurs fois par semaine, du centre-bourg vers chez moi, Saint-Léger, ma famille.

Beaucoup de souvenirs, mon enfance, ma jeunesse, ma vie et des projets pour le coin, pourquoi pas ?

« Au bout du chemin, cette famille est la seule qui soit restée : toutes les autres sont parties. De l’autre côté, ces maisons sont devenues des gîtes. Il manque son âme à Saint-Léger. Nous sommes sur Sauveterre maintenant. Ici, c’est fini... Je ne peux pas ouvrir l’église parce que je n’ai pas réussi à obtenir la clé. Quelqu’un venait l’ouvrir matin et soir, mais des carreaux de Gironde ont été volés. Elle est toute petite, cette église, il n’y a plus que le chœur. À l’époque, il y avait une messe tous les dimanches. Nous, enfants, il y avait une dame qui allait tous les jours sonner midi. On montait et on allait s’amuser en se pendant à la corde. »

Annie différencie encore, comme beaucoup, Sauveterre de Saint-Léger, même si les deux communes ont fusionné en 1965. Aujourd’hui, elle s’est installée dans une maison facile à vivre en haut de Sauveterre, à proximité de toutes les commodités, sur le chemin de ronde intramuros. Annie est partie de Saint-Léger, village de ses parents, grands-parents, arrière-grandsparents, s’installer ici pour la retraite. Mais, quand elle dit « chez moi », Annie parle de Saint-Léger : tant de souvenirs y vivent encore. Les fêtes de village, les enfants transportés en brouette pour aller à l’école quand la Vignague débordait... Annie a la mémoire précise et son témoignage est précieux.

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