LES
PIERRES
DE
RODIN
DÉNUDER LA MATIÈRE DU SOCLE
RAPPORT DE PFE _ FÉVRIER 2019 sous la direction de pierre tisserand et adrien durrmeyer DE 4 : FAIRE École Nationale S u p é r i e u r e d’Architecture Paris - Val de Seine
madeleine de bellaing
LES
PIERRES
DE
RODIN
DÉNUDER LA MATIÈRE DU SOCLE
RAPPORT DE PFE _ FÉVRIER 2019 sous la direction de pierre tisserand et adrien durrmeyer DE 4 : FAIRE École Nationale S u p é r i e u r e d’Architecture Paris - Val de Seine
madeleine de bellaing
I _ L’ACROPOLE ET LA FOURMILIÈRE
9
la carte et le territoire
14
l’épaisseur de la surface
20
la possibilité d’une ville
36
une histoire paléo-industrielle
42
II _ LE TEMPS DU TERRITOIRE ET LE TEMPS DU PROMOTEUR
53
après l’été 2019
54
du processus évolutif de la ville à une architecture de l’évènement
61
la matière de la forme
66
III _ L’INVENTION D’UNE PRÉ-HISTOIRE
75
à la recherche des temps perdus: une exhumation de l’identité du lieu l’appropriation de l’espace et la mémoire des hommes
77
un passé sans les hommes
79
creuser en quête d’une origine
82
s’inscrire dans le paysage par des formes fondamentales
86
du côté des brillants: quelle est notre préhistoire?
95
la carrière: de la ressource au projet de territoire
99
111
IV _ SCULPTURE PSYCHOGÉOGRAPHIQUE ET PLASTIQUE MINÉRALE
113
la friche industrielle face à la ville
117
cahier de charges du projet
123
de la friche allusive à l’enclos de mémoire
130
lignes directrices un projet topographique
133
images emblématiques un tricot de bribes
156
identification aux référentiels dresser un décor pour raconter une histoire
162
de la matière du sol au détail d’architecture la stratification d’épaisseurs hétérogènes comme élément de composition
165
le sol de Rodin : entre le moulage et la sculpture
169
181
V
_
UNE
FORME
POUR
LA
VILLE
183
l’inutile existence de l’abacule isolé
185
préservation de l’espace ou dislocation de la ville ?
188
la fondation n’est pas un obstacle à l’évolution
191
la peau de Chagrin
193
la fin justifie les moyens ?
195
ce qu’il faut de terre à l’Homme
199
B
I
B
L
201
ANNEXES
I
O
G
R
A
P
H
I
E
8
L’ACROPOLE ET LA FOURMILIÈRE
9
Acropole : «L’acropole d'Athènes est un plateau rocheux calcaire s'élevant au centre de la ville
d'Athènes à laquelle elle a longtemps servi de citadelle, de l'Athènes antique à l'occupation 1. Wikipédia, «Acropole»
ottomane, ainsi que de sanctuaire religieux durant l'Antiquité.»
10
1
La
colline des Brillants a un nom
qui laisse imaginer un monde onirique et merveilleux. Et comme le découvris plus tard, c'est effectivement le cas.
La première fois que ce site attira mon attention fut lors d’une simple initiative de promenade familiale dans ma banlieue ouest-parisienne.
Promenade au cours de laquelle nous réussîmes à nous perdre dans un dédale de culs-de-sac
contenus dans un rayon de 200m autour de la maison de Rodin, sur les hauteurs de Meudon.
Celle-ci, qui avait été invisible pendant tout le trajet traversant les opérations immobilières
du bord de Seine des plus épaisses, se révéla
subitement, comme marquant le début d'un nouveau paysage.
Issy-lesMoulineaux, bord de Seine
11
fig.2 arrivée sur le plateau haut de Meudon
Perchée sur le plateau haut de la ville avec sa vue imprenable sur le val de Seine, la colline de Rodin est la figure de
proue d’un quartier
semé de maisons en meulière.
Le surprenant décalage entre ces deux paysages _ l'un récent, très urbain, fourmillant et à
la massivité impersonnelle, l'autre marquant le début d'un domaine peu dense aux grandes
emprises forestières _ semblait vouloir nous
faire croire avoir parcouru en quelques minutes un siècle et cent kilomètres. Mais
précisément,
mètres,
impossible
ce
de
parcours s'en
de
quelques
rappeler :
la
manière dont nous nous étions extraits de la ville dense était un mystère. Cette transition
opaque, je dus me forcer à l'observer lors de mes explorations successives afin de comprendre
pourquoi malgré mon habitude du site, ce lieu demeurait flou. 12
200 m
MEUDON, colline des Brillants, secteur Arnaudet 13
LA CARTE ET LE TERRITOIRE La
colline
des
Brillants
se
situe
dans le Val d’Arthelon, à Meudon, à la limite
d’Issy-les-Moulineaux et de Clamart. La ville
s’y déploie sur deux hauteurs. Et le site est juste à la pliure.
Une première zone longe la Seine à la cote 30
NGF. C'est un paysage majoritairement constitué
d'habitats collectifs récents, ayant peu à peu remplacé le bâti ancien au gré des remembrements
et est raccordé à Paris par la ligne RER C. La seconde se situe 65 mètres au dessus. Le tissu est celui resté celui d'antan, entre
hameaux et industries, de parcelles en longueur perpendiculaires à la pente et de maisons avec jardins. Ma première approche a été d’observer comment se faisait la transition de l'une à l'autre.
Le site a toutes les caractéristiques d'une porte d'entrée dans colline des Brillants :
D'une part, augmenté du jardin du domaine de Rodin qui lui est accolé, il est une première
annonce des entités urbaines plus aérées que celles du bas d'Issy et de Boulogne-Billancourt, notamment parce qu'il représente la première aire boisée avant la forêt de Meudon.
D'autre part, il se trouve à l'emplacement
stratégique permettant de relier le plateau bas
et le plateau haut de la ville, offrant des vues spectaculaires sur le val de Seine et Paris.
La topographie est un seuil entre les deux entités paysagères mais son traitement accentue 14
la fragmentation du territoire.
En effet, la ligne du RER parallèle à la rupture de pente qui s'opère à ce même endroit a conduit les
politiques
hasardeux.
urbaines
Ainsi,
le
à
site
des
traitements
s'inclue
à
une
ceinture de grandes emprises peu perméables
cachées derrière une rangée d'immeubles de 15 mètres de haut, formant ainsi une enceinte.
Les insertions perpendiculaires qui permettent de pénétrer cette enceinte sont au nombre de
trois : la rue du docteur Arnaudet, le chemin de St-Cloud et celui des Montquartiers.
Le site en friche, limité par la rue Arnaudet au
sud et traversé par le chemin de Saint-Cloud, est donc doublement le seuil de cette transition, pour le moment ni nette ni progressive.
Pour
comprendre les mécanismes qui justifient cet oubli ou cet abandon, je dû me confronter à
la matière physique de cette zone grise, dont l'observation en plan ne suffisait pas à éclairer le sens.
page suivante: Une morphologie urbaine résultante de 5 éléments essentiels LA TOPOGRAPHIE Du fait de sa topographie, la ville s’est construite par hameaux, parallèlement à la pente, longeant la Seine LE TISSU VIAIRE Cela se ressent particulièrement dans le dessin du tissu viaire, qui ne contribue pas à la mise en relation des différents quartiers (voies sinueuses au dénivelé trop important, impasses nombreuses) LE RÉSEAU D’INFRASTRUCTURE La ville est traversée par un réseau d’infrastructures qui accentue ses formes sans véritablement la desservir LE TISSU PARCELLAIRE Dans les interstices de ces formes on trouve un tissu parcellaire ancien aux ambiances variées (hameaux et industries) LES MUTATIONS ET GRANDES EMPRISES Celui-ci a tendance à disparaître face à la volonté de la ville de densifier l’habitat collectif qui nécessitent un terrassement des sols. Émergent alors de nouvelles grandes emprises, on assiste au démontage des friches et l’éradication du bâti ancien au profit de ZAC) LE SOUS-SOL La topographie du val d’Arthelon cache une autre ressource qui limite cette entreprise : la présence de carrières dans son sol.
15
1. TOPOGRAPHIE
4. TISSU PARCELLAIRE
2. TISSU VIAIRE
5. MUTATIONS ET GRANDES EMPRISES
3. RÉSEAU D’INFRASTRUCTURES
6. SOUS-SOLS
« une ceinture de grandes emprises peu perméables »
secteur Arnaudet
résidence des Montquartiers
Île Saint Germain
Île Seguin
maison de Rodin
18
Hôpital Percy
les Epinettes
ligne RER
cimetière d’Issy
ligne SNCF
19
fort d’Issy
entrée du chemin des Montquartiers
entrée du chemin de Saint Cloud
L’ÉPAISSEUR DE LA SURFACE 20
NGF 50
entrée de la rue du docteur Arnaudet
21
axonométrie du site en l’état actuel
Les
chemins
traversent
l’emprise
observée mais ne la desservent pas. Aussi,
pour en prendre la mesure, deux parcours indépendants
sont
envisageables :
par
l'intérieur, en s'aventurant sur le plateau embroussaillé ou en faisant le tour par l'extérieur.
DESSUS : morphologie, objets Directement après avoir passé l'arche de la
voie ferrée, un sentier pavé _ qui malgré
le fléchage « ateliers » ressemble plus à une impasse ou une voie privée qu'à une
invitation _ grimpe entre les grilles de
chantier. « Permis de démolir ». Et derrière cette pancarte se dressent les résidus des murs d'une fabrique en brique claire. Plus loin une cheminée rouge foncé émerge des
arbres. Voilà à peu près tout ce qu'on peu entrevoir de la friche depuis la route.
D'un point de vue morphologique, elle se
divise en 3 plateaux le long de l'axe de cette
allée
pavée.
Chacun
se
présente
comme un support sur lequel prennent place des hangars et des petits baraquements en
ciment, plus ou moins délabrés, posés dans l'espace trop peu structuré. À l'exception du premier plateau _ dont le vieux propriétaire résiste à l’expropriation_ l'intégralité du site appartient à la ville. Certaines 22
ci dessus: la ligne de RER
ci-contre: les restes de l’enceinte de la blanchisserie
23
constructions _ les moins obsolètes _ sont occupées par des artistes et artisans qui y ont installé leur atelier ainsi que par une entreprise de jardinage.
Ils louent les
locaux à la mairie en attendant qu'ils ne
soient détruits.«Pas avant quelques mois»,
espère l'un d'eux. Sur ce plateau, on se sent hors du temps, comme revenus à l'image
mentale qu'évoque la colline de l'époque de Rodin.
Arrivé en haut de la pente, on est face à
une esplanade cimentée, pour le coup tout
à fait inoccupée, à la hauteur de la voie ferrée, entourée d’une végétation de sousbois et limitée par un talus à pic.En effet, c'était un bien une impasse. Il faudra
sortir de la friche et en faire le tour pour rejoindre les chemins en contre-bas.
24
page précédente: premier plateau.
ci-contre: second plateau: Les vestiges des bâtiments industriels sont habités par des artisans
ci-dessous: troisième plateau en jachère
25
AUTOUR : contexte, épaisseur La facilité avec laquelle l'aménagement de
ces passages permet d'oublier l'existence de la friche est particulièrement frappante. Cette aire semble avoir été soustraite à l'espace de la ville. Pourtant visible en plan, la sinuosité du parcours et le masque ci-dessous: Dans le chemin des Montalets , une opération d’urbanisme datant des années 90 a conduit les aménageurs à aplanir le pied de la pente, révélant des entrées de carrières
qu'impose la végétation en jachère fait de la traversée de ces 6 hectares un non-lieu du trajet.
Les cheminements engravés dans la pente restent _ par le traitement qui en est
fait, bordés de talus et de murs en ciment _ hermétiques à leur contexte direct. Cependant,
d'altimétrie,
la
cette
troncature
différence
du
plateau
révèle dans son épaisseur les dessous de sa structure, insoupçonnable en surface.
Croquis in situ de l’individu peu avenant m’ayant une fois chassée de devant sa
porte. Il utilisait la carrière pour s’entrainer à tirer au pistolet.
dans
26
ci-dessus: vue sur le grand paysage depuis le troisième plateau
27
entrĂŠe du chemin de Saint Cloud
28
... Sous l’atelier de Rodin, quelques 8 kilomètres de galeries de craie
29
DESSOUS : structure, matière Les carrières de Meudon. C'est dans le chemin de Saint-Cloud que j'ai un jour rencontré Sirkob un habitué de cette tranchée, qui encapuchonné dans son sweat et bombe de peinture à la main s’apprêtait à faire disparaître sous un tracé de maître
les craquelures du mur en ciment bordant
le sentier. Par son intermédiaire, j'ai ensuite rencontré Christian.
Christian est cataphile et, comme tout cataphile, de
cette
l'un
des
société
rois
autoproclamés
souterraine.
Il
m’a
fait descendre avec lui dans ce royaume
des abysses. Cette expérience me permit de le découvrir physiquement et me rendit
alors ses richesses et sa fragilité réels.
Uniforme dans sa blancheur immaculée et dans sa géométrie romane, ses voûtes plein
cintre sculptées au pic et peignées à la main lui valent le surnom de la cathédrale
souterraine.Par contraste avec le chaos
de surface, de broussailles et d'objets presque
semés
au
hasard
et
laissés
à
l'abandon, l'ordre souterrain surprend. Cet espace monumental aléatoirement quadrillé
annonce une structure et une épaisseur pour
ce qui aurait pu être une simple surface, et
30
laisse
imaginer
comment
cette
zone
_ entourée de projets de ZAC _ a résisté aux nombreux de
urbain.
programmes
développement
31
32
33
34
35
LA POSSIBILITÉ D’UNE VILLE
Il
aurait
été
étrange
que
l’une
des
dernières grandes emprises dont l’espace puisse être optimisé en vue de densifier l’habitat collectif _ et qui plus est,
située à une articulation clé de la ville _ soit sortie indemne de la fièvre des projets d’aménagements fleurissant autour d’elle.
En réalité, cette emprise a régulièrement été soumise à des projets de ZAC. Tous les
10 ans, pour être exact, le temps que le sujet soit soulevé, discuté, et finalement
reporté. Il y eut ainsi la « ZAC Arnaudet » en 1981, puis les « Esplanades de Rodin » en 1990, les « Allées de Rodin » en 2000 et
plus récemment « Colline Rodin » en 2010. Ces projets furent tous bloqués par la
mobilisation des habitants et le classement des
galeries
d’intérêt
Ces
propositions
artistique en 1986.
scientifique
n’attendent
et
cependant
qu’une faille dans cette faible défense pour remplir les vides et terrasser le
sol. Or, non seulement boucher les galeries
réduirait à néant un patrimoine industriel
majeur, mais par ailleurs, l’argument d’une nécessaire stabilité de la surface par 36
Esplanades Rodin, 1990
Colline Rodin, 2010 Cobe Architectes illustrations: carriereetcollinerodin.fr
37
cette opération de comblement est invalide. Vincent
MAURY,
mécanique
expert
des
roches
international et
en
travaillant
spécifiquement sur le comportement de la
craie, est venu inspecter les carrières
en 2012. Il explique : « Les galeries
agissent comme de gigantesques drains : elles
empêchent
toute
mise
en
charge
hydraulique du versant dans son ensemble
du fait des écoulements (rabattements) même faibles qu’elles permettent. De ce fait elles contribuent à stabiliser tout le
versant. Remblayer et boucher les galeries
amènera à terme à bloquer ces écoulements, à faire monter la pression interstitielle dans le versant et dans les diaclases
(en particulier les piliers diaclases)
favorisant sa déstabilisation, avec des
conséquences pour toutes les installations de surface, y compris SNCF. »
1
En somme, la stabilité de la colline tient de de
son
l’équilibre galeries.
écosystème
géochimique
Les
et
injecter
du
système
détruirait
fragiliserait
les
infrastructures. Mais cette réponse a été
rapidement balayée. (voir article page suivante) Du point de vue des directives urbaines, la 1. http:// www.carrieresetcollinerodin.fr/
nature du sol est donc considérée comme un obstacle et un vecteur d’enclavement.
La ville serait-elle donc simplement une 38
affaire de surfaces, comme le suggéraient les
élus
en
ignorant
délibérément
la
présence de ces carrières? Jusqu’à présent, l’absence de développement urbain de ce quartier nous montre que ce choix le plonge dans une impasse.
La protection du territoire de surface face à des décisions politiques hâtives étant alors garanties par la fragilité des sous-sols percés de galeries, je me suis
quesionnée sur l’ampleur de l’espace urbain. Plutôt qu’un handicap, la matière du sol me
semblait être une composante de la ville profondément
identitaire.
Considérer
le
sol comme une matière plutôt que comme une
ligne invite à le penser non plus en plan mais dans un espace en trois dimensions,
dans lequel sont figées des vestiges des époques passées. Mais alors, où commence le récit de la formation d’une ville?
la ville et le sol support
la ville est le sol matière
39
Meudon le 28 janvier 2014
Le point sur la Colline Rodin ou « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage » Péril en la demeure ? Les fameux arrêtés de péril imminent sur les carrières de craie sont toujours en vigueur. Rappelons que le point de départ est une note de calcul de 2012 du bureau d'études géotechnique qui avait préparé les permis de construire délivrés témérairement en 2006. Elle a été commandée par l'agence foncière (l'EPF 92) qui en 2009 a racheté la plus grosse parcelle en vu de la réalisation d'un programme de construction. Elle a ensuite été soumise à l'avis technique d'un autre bureau d'études qui avait obtenu une mission exploratoire de la Ville et qui attendait des suites. La note et l'avis s'accordent pour préconiser une étude approfondie sur la stabilité des carrières. Ils ont en fait d'abord servi de fondement aux arrêtés de péril imminent, démarche administrative manichéenne qui, au titre de la sécurité publique, menace la conservation des carrières classées et le patrimoine des propriétaires privés visés individuellement par chacun des arrêtés. Il faut dire qu'entre temps la Ville s'était engagée à construire au moins 300 logements pour le Grand Paris, ce qui constitue la véritable menace pour la sécurité publique tant sont fragiles les couches superficielles de la colline.
Des avis techniques orientés, le rapport de Vincent Maury récusé L'enquête approfondie, menée sur les deniers de 5 des propriétaires privés par l'expert international Vincent Maury, spécialiste de la mécanique des roches originaire de Meudon qui était déjà intervenu lors du classement des carrières, a suivi scrupuleusement les spécifications des arrêtés. S'appuyant sur deux journées d'investigations précises dans les galeries concernées, l'auteur du rapport (qui a à son actif plus de 60 publications internationales sur la stabilité des mines et carrières souterraines, et le comportement de la craie) conclut que les carrières sont toujours en excellent état et ne font courir nul péril. Au passage, il démontre à mots couverts la légèreté de la note de calcul, qui partant d'une fausse donnée de terrain sous-estime grossièrement la charge à rupture de la craie lors de l'effondrement de galeries du voisinage en 1872, et l'orientation des avis techniques des deux bureaux d'études commandés par l'EPF 92. Le rapport a été récusé sans vergogne par l'auteur des arrêtés, notre bon maire, qui a lancé d'autres investigations aux frais des propriétaires, celles justement dont les bureaux d'études attendaient la commande. Un curieux désamour Il est curieux de constater que les maires qui se sont succédé à Meudon ont toujours eu un complexe vis-àvis des carrières Rodin, sans doute du fait qu’elles ont été classées en 1986 contre l’avis du maire d’alors. Il voulait les combler pour mieux construire dessus. Depuis, nos édiles ont toujours montré, de divers façons, leur désamour, alors qu’elles constituent un des joyaux de notre ville connu dans le monde entier (jusqu’en Australie, au Japon, en Afrique du Sud !).
VIVRE A MEUDON 19 rue Claude Dalsème 92190 MEUDON - agréée
40
Effacer le classement ? Ce dernier avatar est une offensive lourde : affirmer par la voie administrative que les carrières font courir un péril conduit logiquement à l'effacement de l'effet du classement, lui aussi administratif. Pour que la procédure soit plus efficace, le péril a même été prétendu imminent ! Il faut dire que le directeur de l'inspection générale des carrières (IGC), associée à la manoeuvre, s'est gardé de contrarier les bureaux d'études. Il a même pris prétexte de leurs écrits pour cesser (lâchement!) ses visites d'inspection, lui qui
Environnement le 8 avril 2005
1
surveille ces carrières depuis le premier coup de pioche il y a 140 ans et qui, comme il nous l'a écrit, n'a jamais décelé le moindre signe d'instabilité ! D'ailleurs en 2007 son prédécesseur envisageait au contraire la création d'une fondation pour les valoriser. A croire que ce service administratif de la Ville de Paris est aujourd'hui associé à l'effort exceptionnel de construction décidé en Ile de France. A la suite de quoi, le président du tribunal administratif, saisi par le maire de cette question de sécurité publique, a ouvert le parapluie et laissé un expert de son choix reproduire les préconisations des bureaux d'études et de l'IGC. Sans prendre le temps d'écouter les solides critiques des propriétaires, refusant même de jeter un œil à leurs galeries, il a conclu sous huit jours, quoiqu'on ait appris par 140 ans d'existence paisible, par 35 ans d'étude de projets immobiliers déraisonnables et il y a 20 ans par plusieurs missions de l'INERIS, organisme public de référence en matière de risques : il faut reprendre à zéro l'évaluation de la stabilité. Quant à l'imminence du péril, il verra plus tard ! Il en est résulté ces curieux arrêtés de péril imminent qui ne prescrivent pas de mesures d'urgence mais seulement des investigations et une protection contre les eaux. Et un autre arrêté qui interdit l'entrée des carrières à quiconque, y compris à leurs propriétaires, sauf pour l'exécution desdites mesures, sans se soucier le moins du monde du péril en surface, par exemple dans les sentiers ou le parc du musée, là où se situerait le risque majeur pour la sécurité publique. Des propriétaires se révoltent Des propriétaires au nombre de 5 se sont groupés pour défendre leurs intérêts et leur colline, avec l'aide initiale de notre association. Ils ont fait procéder à ladite évaluation puis, à titre conservatoire, ont déposé chacun un recours gracieux contre l'arrêté qui le visait. La Ville n'a pas répondu aux recours, sauf par l'accusé de réception réglementaire. Mais elle a récusé avec des motifs insignifiants, nous l'avons dit, les conclusions de Vincent Maury, tout en décidant de lancer à grands frais son propre programme d'investigations. Elle l'avait fait établir d'avance par les bureaux d'études qui, l'année d'avant, avaient aidé à semer l'idée du péril. On ne s'étonnera donc pas que ce programme ignore à son tour les conclusions de l'INERIS de 1993. Celles-ci en particulier délimitaient les quelques zones nécessitant des travaux. Il ne restait plus aux 5 propriétaires, enjoints de payer leur part du programme de la mairie, qu'à transformer leur recours gracieux en recours contentieux. L'un d'entre eux tentera même l'annulation en référé, ce qui sera refusé par le tribunal. Ils ont aussi créé un site.
VIVRE A MEUDON 19 rue Claude Dalsème 92190 MEUDON - agréée
Au fait qui est exactement propriétaire des carrières déclarées cause de péril ? Apparemment le musée Rodin d'abord : il surplombe 60% de la zone et a lui aussi fait l'objet d'un arrêté de péril imminent. Mais il a fait valoir auprès de la Ville que l'un des 5 propriétaires privés avait revendiqué dans le passé avec succès la propriété des galeries où il exploitait des champignonnières. Puis la mairie et l'EPF 92 (établissement public foncier des Hauts de Seine) : bien sûr la mairie n'allait pas prendre un arrêté contre elle même, et comme l'EPF 92 lui a laissé l'entière gestion de ses parcelles elle a retiré l'arrêté qui le visait. Suivent derrière 7 propriétaires privés, dont une copropriété de 40 logements. Chacun a reçu son arrêté. Ceux des deux parcelles les plus basses n'ont pas rejoint le dispositif de défense des 5 autres. La copropriété croit en particulier pouvoir se défausser, comme le musée, sur l'ancien exploitant des champignonnières. Elle fait aussi valoir, bien que cela n'ait pas d'effet sur sa responsabilité civile en cas d'effondrement des galeries, que seule la partie non bâtie de sa parcelle surplombe la zone de péril. Restent donc en litige ouvert avec la ville nos 5 propriétaires privés. L'un se voit chargé de la part du lion, celle du musée Rodin. L'action de Vivre à Meudon Dernière précision sur l'action de Vivre à Meudon : nous avons poursuivi nos contacts avec la préfecture qui, rappelons-le, encourage vivement la Ville à contribuer ici à l'effort régional pour le logement, sans méconnaître le classement des carrières pour leur intérêt scientifique et artistique. Pour tenter de désamorcer les risques d'un nouveau contentieux, le préfet a bien voulu nous accueillir la 9 avril dernier avec les propriétaires et le Comité de Sauvegarde des Sites de Meudon. C'était mal parti car, c'est lui qui nous l'a appris, le maire venait de prendre les arrêtés de péril imminent après quatre semaines d'hésitation. Il a proposé son intermédiation dans la suite de la procédure. Deux réunions avec les propriétaires ont suivi, mais la Ville n'y a pas mis de bonne volonté. Espère-t-elle obtenir du tribunal le comblement d'au moins une partie des carrières classées ? Le préfet est parti fin septembre sans accepter de recevoir une deuxième fois notre association, au motif nous a-t-on dit de l'ouverture des contentieux par les propriétaires. Il n'a été remplacé que plusieurs semaines après. Nous attendons maintenant la réponse de son successeur, saisi en décembre. Nous lui avons demandé d'exercer son contrôle sur les curieuses manières du maire de préserver ce site classé par l'Etat. Nous lui répéterons notre adhésion à l'objectif d'urbanisation de la colline, à condition d'accorder une priorité à la valorisation de ses atouts scientifiques, artistiques, culturels, économiques et paysagers, ceci dans le respect absolu des impératifs géologiques du lieu. Nous ne sommes pas intervenus dans les recours pour une raison simple : le tribunal ne nous aurait reconnu à ce stade aucun intérêt propre à défendre.
Environnement le 8 avril 2005
41
2
UNE HISTOIRE PA L E O - I N D U S T R I E L L E La formation de la ville remonte au Lutécien
et les premiers meudonnais étaient des coccolithes. La
formule
est
un
peu
abusive,
soit.
Toujours est-il que le site de la colline des Brillants se prête particulièrement à
l’expérience d’inclusion de l’Histoire de l’Homme à celle de son sol. Meudon et Sèvres,
et plus généralement toute cette communauté de commune travaillent beaucoup l’image de l’entité urbaine formée à partir de hameaux
dispersé dans la topographie et ensuite
rassemblés au cours des expansions urbaines. Ville médiévale constituée initialement de
la fusion de bourgs de pêcheurs, elle se vante avoir été séjour d’artistes et de personnalités Ambroise
telles
PARÉ,
qu’Armande
Auguste
RODIN,
BÉJART,
Isadora
DUNCAN, d’avoir accueilli en leur temps des projets de Jules HARDOUIN-MANSART et d’André LE NÔTRE, de Jean PROUVÉ, d’André
BLOC et de Théo VAN DOESBURG, séduits par son grand paysage.
L’importance qu’elle acquiert est pourtant principalement due au tournant du XIXème 42
siècle et au développement de l’industrie. Ville industrielle ? Les
vestiges
de
ce
passé
sont
rares.
Les derniers survivants étaient l’usine Gaupillat et le pont Seibert, mais l’un et
l’autre ont fait l’objet d’un démantèlement récent. De
fait,
les
seules
traces
subsistant
s’avèrent être celles que compte la friche de la rue Arnaudet, cachées dans le maquis, en sursis.
photo d’archives conservée au musée d’Art et d’Histoire de BoulogneBillancourt
le pont Seibert, construit en 1930 démonté en 2018
sortie des usines de cartouches et capsules Gaupillat, construites fin XIXe détruites en 2011
43
carte postale début XXe, archives de Meudon
Que
reste-t-il
Meudon ?
donc
de
l’industrie
à
À l’inverse du reste de la ville, les seuls disparus de la friche Arnaudet sont les bâtiments qui se sont écroulés d’eux
même. De fait, leur disposition étagée en plateaux et pour certains organisés en réseau autour d’une place pavée nous
donne une idée assez fidèle de la structure spatiale de ce complexe, et de l’usage qui était fait du sol par les contemporains de la fabrique.
Les traces de l’usine de blanc de Meudon
La blanchisserie qui utilisait la source de « la coulette aux moines », dont la canalisation
réalisée
par
des
moines
chartreux affleure au 2 rue de Fleury _ aujourd’hui rue Arnaudet_, fut rachetée
en 1871 la famille de Pierre Mimard pour exploiter
la
glaisière
en
crayère,
et
sera exploitée jusqu’en 1923. Elle était la dernière entreprise d’Île de France à produire du Blanc de Meudon. De ce complexe ci-contre: les emprises industrielles de Meudon, Issy et Boulogne en 1950
est resté le mur de soutènement de l’entrée de la carrière, deux bras en brique qui
enserraient à l’époque deux bâtiments en longueur, de part et d’autre de l’accès
en cavage. Cette entrée en pente douce et 44
ateliers de production Renault
blanchisserie et crayères
port de Meudon
cartoucherie Gaupillat ateliers de production Renault
manufacture de Blanc pont
Seibert cristallerie de Sèvres
45
maçonnée en pierre de taille est également demeurée.
Parmi les hangars de la zone d’activité, la
cheminée en briques rouges reste un signal dans le paysage. Elle permettait autrefois, comme les puits d’aérage disséminés dans la friche, de ventiler naturellement les carrières
souterraines
principe d’appel d’air.
en
utilisant
un
Qu’est ce que le blanc de Meudon ? Produit phare au siècle dernier, cette craie extraite et réduite en poudre était utilisée aussi bien en peinture, comme étant l’ingrédient de base de la fabrication du « gesso », qu’en tant que produit d’entretien, pour faire briller cuivres, étains, argenterie, laiton, métaux en tous genre, verre et faïences.
46
carte géologique de France par Dufrenoy et Elie de Beaumont début XIXe Elle montre les différents affleurement de minéraux selon les aires géographiques
touche
Ainsi, la production de cette aire non
seulement
à
l’histoire
de
l’ère industrielle, de l’essor de l’âge des outils et des techniques, comme c’est le cas de toute industrie, mais étend également cette histoire à celle de la
confrontation de l’Homme à son territoire. Celui-ci est alors une ressource de matière
dont l’exploitation produit une richesse capitalisable. De fait, descendre l’un de ses nombreux puits d’aérages nous permet de faire un retour dans le temps et retrouver
dans un autre âge de la ville : celui de la formation de la nappe de calcaire et la définition de son sol.
L’affleurement de la nappe de calcaire dit 47
«
ce
de
Meudon »
territoire
si
est
caractéristique
le
produit
de
de
deux
phénomènes conjugués: la sédimentation et la tectonique.
Le premier explique l’hétérogénéité de la matière du sol : les cycles marins, la
présence et les retirements successifs de l’eau, ont conduit au dépôt de minéraux en
couches
horizontales
régulières.
L’épaisseur de ces dépôts dépend de la durée de ces périodes.
ci-contre: La nature des minéraux témoigne d’une chronologie d’évènements au temps long. La craie : roche sédimentaire déposée en mer peu profonde. Elle est constituée par l‘accumulation de fragments d’organismes, majoritairement des coccolithes, éléments microscopiques en calcite issus de la coque d’algues unicellulaires. Le calcaire de Meudon : un grain fin constitué de débris d’origine marine. Retour de la mer sur la craie érodée. Le conglomérat de Meudon : blocs de calcaire emballés dans du sable argileux brun et renfermant une faune de vertébrés Argiles plastiques du Sparnacien : un retrait de la mer conduit à l’installation d’un paysage marécageux Calcaires du Lutétien : dit « grossier » roches carbonatées en banc épais de plusieurs mètres recouvrant l’argile plastique avec le retour de la mer marnes et caillasses : marquent un nouveau retirement de la mer.
La tectonique des plaques explique pourquoi la nappe de craie, pourtant déposée uniformément dans tous le bassin parisien au Crétacé, se retrouve culminant à +50 m à Meudon, alors qu’elle plafonne à -75m au niveau de Montmartre.
48
lutétien
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MAISON RODIN MARNES
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CAILLASSES
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les dépots successifs en fonction du temps
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30 céno zoïque 26.5
coupe stratigraphique de la colline montrant
SEINE NAPPE PHREATIQUE
49
Les
mouvements
de
la
croûte
terrestre
agissant en compression font émerger les reliefs. Dans le cas de Meudon, cette dynamique a abouti à la formation d’un bombement anticlinal.1
Celui-ci est daté par les géologues comme
remontant à la fin du Crétacé, vers -70 millions d’années et est à l’origine de la
topographie particulière du Val d’Arthelon.
les axes anticlinaux de la zone de Meudon illustration: Bulletin de l’Association de Sauvegarde des Sites de Meudon, 2003
coupe de Paris depuis l’anticlinal de Meudon vers le synclinal de Saint Denis. illustration: geologie. over-blog
50
En tant que support et en tant que
ressource, le sol est première fondation d’une société et une composante essentielle de son processus d’occupation. Soumise à sa
morphologie et à sa nature, l’installation de l’homme dans un territoire est en effet
conditionnée par des événements en chaîne
constitutifs de son histoire. Ainsi composer la ville contemporaine s’inscrit dans une longue généalogie de formes urbaines et territoriales, et le concepteur ne peut
ignorer cette lente sédimentation. Bien que triviaux lorsqu’on met leur durabilité en rapport avec l’ échelle de temps traversée par le territoire, les circuits de décision
d’urbanisme et les logiques superposées des divers acteurs de l’aménagement ont
désormais le pouvoir d’annuler sans retour ce
milieu
progressivement
construit
l’échelle du million d’années.
à
1.
L’anticlinal est un pli convexe dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus anciennes.
51
Wikipédia, page «anticlinal»
52
LE TEMPS DU TERRITOIRE ET LE TEMPS DU PROMOTEUR
53
APRÈS De
L’ÉTÉ
2019
la même manière que fut démonté le
pont Seibert sous couvert de mesures de sécurité
_ faisant ainsi disparaître l’une des dernières traces des usines Renault installées sur l’île Seguin
jusqu’en
1989
_
le
classement
des
carrières pour leur intérêt paléontologique,
géologique en tant que témoin de la charnière du crétacé supérieur au tertiaire, ne permet finalement pas de les sauvegarder durablement. En l’absence d’autre projet, leur comblement
_ rebondissement décennal pour la saison 2020_ par les terres extraites des chantiers du Grand
Paris laisse les mains libres à la ville pour
y installer une des nombreuses propositions de
ZAC. Bien que se proclamant ville d’art et d’Histoire, ceux-ci pèsent bien peu dans la balance lorsqu’il s’agit de densifier l’habitat à l’échelle de la ville.
Cet imbroglio politique me permit alors de
comprendre que le mal dont souffrait ce site était
en réalité un virus répandu en la saison : celui
de l’ « opportunité » de « succès commercial ». (voir photo ci-contre)
54
Panneau publicitaire à Boulogne Billancourt
Face à la menace de comblementd des carrières, une pétition a été relayée. Ici, par la couverture de la revue de l’association AR’SITE. Fondée en 1986 elle s’intéresse à la question du devenir de
55
l’habitat troglodyte dans les modes de vie et les paysages contemporains.
Le patrimoine historique de Meudon Les plus anciennes traces de vie sur le territoire de Meudon remontent à 55 millions d’années avant notre ère. La mention de Meudon dans des documents historiques a été retrouvée au XIIe siècle. Du petit bourg médiéval à la ville d’aujourd’hui, ce sont dix siècles que nous vous proposons de découvrir à travers des monuments historiques, des sites classés, des lieux remarquables, accessibles pour la plupart, et des personnages illustres qui ont aussi marqué l’histoire de Meudon. Avec les cinq parcours du patrimoine, vous pourrez aussi découvrir ce patrimoine en vous promenant muni du plan et des fichiers audio téléchargeables sur meudon.fr Bonne visite !
LES PRINCIPAUX MONUMENTS HISTORIQUES (détails au dos) Le Domaine national de Meudon (Grande terrasse, Orangerie, escalier d’Aristote, statue de Jules Janssen…)
2 L’Observatoire de Paris-Meudon
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(musée Rodin de Meudon)
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(musée d’art et d’histoire)
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Carrefour de l’Étoile du Pavé de Meudon
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TOUR HERTZIENNE
LES CLOÎTRES
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Carrefour de la Patte d’Oie
Carrefour des Six Frères
LE GLADIATEUR
5 PARCOURS-DÉCOUVERTE
PARCOURS 1 Sillonnez l’ancien village de Meudon.
Cinq parcours du patrimoine permettent de découvrir les lieux, les vestiges et les bâtiments encore présents qui marquent l’histoire de Meudon. Pas à pas, les 36 panneaux installés le long des parcours vous accompagnent. Les textes et les fichiers audio (format mp3) sont téléchargeables sur meudon.fr. Bonnes promenades !
PARCOURS 2 Le quartier de Bellevue est marqué par
la présence de la marquise de Pompadour et du séjour de nombreux artistes de renom.
PARCOURS 3 À la découverte d’un des hauts lieux
de la conquête de l’air et de l’architecture du XXe siècle tout en profitant de la forêt.
PARCOURS 4 Le quartier du Val et les bords de Seine
sont marqués par les activités industrielles et artisanales.
PARCOURS 5 Sur les hauteurs de Fleury, rentrez dans l’intimité de deux grands artistes du XXe.
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57
Ville d’art et d’Histoire? Les points d’intérets culturels vantés par la ville lors des journées patrimoine. Le pont Seibert est démonté au début 2019, la Folie Huvé est une propriété privée menacée de démolition en vu d’une opération immobilière depuis 2016 , les carrières sont en cours de comblement : le «parcours 4» d’industrie et d’artisanat a désormais disparu.
Le circuit de décision est en cause.
La Zone d’Aménagement Concertée est certes un outil stérilisateur tant dans les protocoles de dessin qu’elle emploie systématiquement, que de sa tendance à créer des quartiers
autonomes greffés au reste du tissu urbain sans pour autant en faire cas, mais à mon sens, le
plus incontestable des torts de cet outil est pourtant d’avoir compris l’espace qui lui est destiné comme une aire à « rentabiliser ».
De nos jours, la pensée sous-jacente qu’on puisse arriver à une totale consommation des
sols à disposition, conduit hélas trop souvent à percevoir dans la nécessaire évolution de la ville une opportunité à en optimiser les rendements spatiaux au maximum. La réalisation
des projets relève de concours régis par des
élus politiques. Peu formés aux sujets de territoire. Il est, de plus, fréquent que ceux-
ci soient plus soucieux de l’économie de leur ville à l’échelle de leur mandat qu’à long
terme. Comment leur en vouloir : prendre soin de sa ville, n’est ce pas acquérir de nouveaux électeurs ? L’argument financier est toujours celui
qui
remporte
le
débat,
aussi
nous
pourrions gagner en auditoire en ces termes : un projet peut-il est rentable lorsqu’il n’est
pas durable ? Et peut-il être durable quand il n’est pas conçu dans un souci de territoire ?
58
Romulus traçant les limites de Rome à l’aide d’une charrue, Pinelli Bartolomeo, 1818
Une
aujourd’hui disponible
véritable la
et
la
question
diminution
pression
« comment s’étendre ? »
de
que
pose
l’espace
foncière
est
Face à la raréfaction
de la surface libre, le choix du territoire à investir est moins sujet à hésitation que
les décisions qui permettraient d’en faire des projets urbains.
En effet, la problématique du choix du site à laquelle les antiques étaient confrontés
est désormais moins la nôtre que celle de savoir comment occuper l’espace à disposition.
Quant à la question du « où ? », les plans d’aménagements
reconsidèrent
dorénavant
les
interstices laissés dans le tissu urbain. La question du «par quel moyen? » en revanche redevient centrale.
59
Expansion de la forme urbaine. En France, après la densification des centres et des faubourgs au XVIIIè,
La mise en place d’un anneau de zones industrielles à l’extérieur de la ville au XIXè,
... Vite rejoint par l’extension des zones résidentielles aux banlieues,
Conjuguée à formation de villes nouvelles au XXè, Le nouveau siècle s’intéresse à occuper les espaces périphériques et franges, où la couche d’urbanisation est encore peu constituée et pourtant se retrouvant limitrophe des villes ou enserrés dans leur tissu. C’est par exemple le cas des friches industrielles.
60
DU PROCESSUS ÉVOLUTIF DE LA VILLE À UNE ARCHITECTURE DE L’ÉVÉNEMENT
« Le junkspace est la somme de tout
ce que nous accomplissons actuellement ; nous avons
construit
davantage
que
toutes
les
générations antérieures réunies, mais d’une certaine manière, nous ne jouons pas dans la
même cour. Nous ne laissons pas de pyramides. »1
1. Rem KOOLHAAS, Junkspace, 2010
Cette formule de Rem KOOLHAAS dénonce le trop d’architecture.
Trop
nombreuses,
trop
peu
pensées et finalement trop vite jetées. Soit la ville n’a jamais été pas un objet fixe.
« […] La ville est quelque chose qui perdure à
travers les transformations , et les fonctions, simples ou plurielles, qu’elle remplit au cours
du temps sont des moments dans la réalité de sa
structure. »2 analyse Aldo ROSSI en 1966. Elle n’est évidemment pas simplement un périmètre
soustrait au grand territoire qui se serait fossilisé
dans
la
forme
originale
choisie
lors de sa genèse. Si on reconnaît toujours
sa grille matrice dans le dialogue des édifices qui la compose, les formes s’y succèdent et
s’y renouvellent sans cesse au rythme des évolutions des besoins de la société et des
interactions qui prennent place dans son espace. Par
recouvrements
successifs,
substitutions
progressives, mutations ponctuelles, elle est un système évolutif, « une sorte de projet
continu, dans lequel on ajoute une pierre qui
61
2.Aldo ROSSI, L’Architecture de la Ville, 1966
1.entretien de Bernard HUET. Le hasard et la nécessité sont la loi du projet urbain, article de Le Monde. 23 nov. 1993
n’est pas la pierre définitive, et qui génère des
transformations plus ou moins explicites. »1 définit Bernard HUET.
On peut de fait reconnaître dans son tissu des coexistences de différentes époques, des lieux
composés
et
recomposés
en
cohérence
avec le schéma initial, des emblèmes urbains
ancrés dans le vécu de la ville devenus formes
identitaires. Ces lieux pris dans leur ensemble
définissent une morphologie reconnaissable. La ville, en ce qu’elle peut être décrite comme
son propre processus d’élaboration, pourrait à cet égard être assimilée à un phénomène naturel du territoire.
Ainsi, parce que la ville en est un élément, sa temporalité s’inscrit dans une continuité
avec l’échelle de temps du sol. Parce qu’elle
évolue à un rythme en réalité propre aux Hommes
et influe sur son contexte, elle s’en fait le catalyseur. Mais
pour
ce
réalisations,
qu’il
s
agit
assimilables
à
des
des
récentes objets
consommables, la problématique est tout autre. Leur succession dans l’espace urbain s’apparente
moins à une construction progressive de formes dans la ville qu’à un enchaînement de réponses ponctuelles posées sur le site, qui une fois
périmées seront annulables en vue de laisser
place à une autre hypothèse dont la durée de vie sera similaire. Au territoire palimpseste
décrit par André CORBOZ se substitue l’ardoise magique. 62
L’ère industrielle a bouleversé notre
rapport à la construction. Le développement des techniques offre une possibilité de maîtrise des matériaux et du contexte, et stimule la volonté de pousser les démonstrations de savoir-faire,
reléguant les sujets de territoire à un second plan.
Tout étant désormais faisable et disponible,
l’accélération du renouvellement des formes
dans la ville est facilitée : bâtir n’impose plus comme à l’époque d’ALBERTI de confronter la puissance de sa force à celle de la matière.
Parce qu’il est possible de le produire plus
vite et sans avoir à mesurer le sacrifice
d’énergie qu’il nécessite, nous avons moins de
scrupules à concevoir un édifice pour un temps très bref, celui de son usage.
Depuis 1851, l’innovation technique est même l’objet de confrontations internationales: les expositions universelles. Les œuvres colossales, apportées par chaque pays n’ont évidemment pas vocation à rester et peu son demeurées. En devenant un emblème de Paris, le Champs de Mars en est l’absolu contre-exemple. ci-dessous: Crystal Palace, PAXTON, Londres, 1851
63
Dès
lors
que
les
limites
techniques
sont
abolies, l’Homme est alors maître absolu de la
composition de son environnement immédiat au gré de l’idée qu’il a de ce qu’il devrait être à l’instant, et sans chercher à en étendre la représentativité à plus longue échelle.
La ville est par nature un objet profondément politique, mais le déséquilibre qui s’installe maintenant
entre
territoire
le
entre
le
projet
social
immédiat et le projet géographique fait du support
d’une
architecture
«marchandise». Quelle que soit sa taille, il s’agit de ne pas penser l’objet construit
à longue échelle : la ville change si vite d’usage que son visage devra suivre. On accepte
désormais naturellement que les architectures ne soient pas pérennes car elles répondent à un
programme qui se doit d’être évolutif. Pour les
plus soucieux des préexistences du contexte,
les projets cherchent à dessiner des espaces aux fonctions peu définies, ou alors modifiables, démontables et déplaçables, là où l’événement Le Pavillon Circulaire, monté par Encore Heureux et le Pavillon
de l’Arsenal devant l’Hôtel de Ville d’octobre 2015 à janvier 2016 photo: AMC architecture
prendrait suite.
64
Ces architectures évoluent au temps ponctuel
de l’événement. Par définition, elles n’entrent
alors pas dans le processus temporel de la
ville. Elles ne créent pas de ville mais de la consommation, de l’interaction, des lieux
autonomes et autocentrés, circonscrits dans le temps et dans l’espace.
En louant trop ces expériences, le risque serait
de tomber dans une accélération perpétuelle des projets et de leur consommation, cercle vicieux
sous-tendu par notre société du spectacle. Le territoire devient progressivement un plateau pour une sorte d’exposition universelle générale,
un camping biodégradable prenant place entre
des chantiers gigantesques de Bigness1 recréant
de toute pièce un environnement artificiel et fonctionnel et qui seront détruites une fois leur programme obsolète.
En somme, ce choix apporte à la vie politique humaine
à
courte
échelle
mais
pas
à
la
construction de la ville. À ce titre, nous
sommes en droit de nous demander ce que ces déplacements de matière et d’énergie apportera aux
générations à venir dans la perception
mentale qu’ils ont de l’espace. Que restera-
t-il de notre époque ? Et pour investir un cadre plus vaste, quel est le temps de la ville aujourd’hui ?
Correspond-il
toujours
celui
du territoire qu’il occupe ? Ou bien est-il
conditionné par la temporalité des des édifices qui s’y succèdent ?
65
1. Bigness: Rem KOOLHASS, New York Delire, 1978
LA MATIÈRE DE LA FORME La complexité d’analyse des besoins multiples et brefs du citadin, et l’incertitude que ceux-
ci puissent être exprimés à travers des formes
pérennes m’a conduit à aborder le problème dans le sens contraire.
Il s’agissait alors de considérer la ville non
plus comme un lieu politique mais, faisant abstraction des
des
dialogues
fonctions
d’usages
que
des
édifices
leur
et
proximité
crée, l’imaginer comme un phénomène physique matériel.
L’espace
quadridimensionnel.
urbain
Le
devient
sol,
alors
jusqu’alors
perçu comme une surface prend une épaisseur, volume archive du temps et support de formes persistantes.
Le sol garde en effet mémoire de cycles de vie de la ville par des vestiges des époques passées,
et qui échappant au temps appartiennent toujours au présent. Aussi bien d’un point de vue figuré
que littéral, ils en constituent la matière, l’épaisseur.
Il faut y comprendre que, si la vitesse de transformation atteinte par la sphère urbaine
fait d’elle un objet dont l’interprétation des interactions
devient
toujours
plus
difficile
et polémique, sa lecture sous l’angle de sa
matérialité physique, de l’accumulation des traces palpables nous invite à reconsidérer
l’importance du sol dans le projet urbain. Elle nous garantit de nous en tenir à une expérience
de sa réalité sans préjugé, la mémoire sédimentée 66
devient alors son matériau constitutif et la non homogénéité de son sol un moyen de la saisir.
Considérant la ville contemporaine sous l’angle
géomorphologique, l’architecture serait alors, à l’instar de la géologie tectonique, une
succession de déplacements de matières qui se sédimentent dans le temps.
La strate urbaine que nous connaissons serait le résultat des recouvrements réguliers des compositions géologiques.
antérieures
depuis
les
temps
Déplacement et sédimentation des matières et des formes au cour du temps: la ville est une
t
stratification d’origine géologique et humaine.
À travers les processus physiques d’origine aussi
bien humaine que géodynamique, d’extraction, de transformation, de déplacement, d’ordonnancement en un ensemble cohérent, d’érosion et de ré-
sédimentation, le sol change perpétuellement de
statut de la matière au matériau à la matière de nouveau.
67
ci-contre: le site de Dodone, GRÈCE Construire la ville sur la ville nécessite désormais de détruire. Cela empêche une inscription dans le sol de l’histoire humaine. Au contraire, la redécouverte de sites antiques, cités abandonnées en leur temps, témoignent de l’ancrage physique que peut prendre une forme dans le territoire qu’elle investit.
Dans un site donné, analyser les caractéristiques
propres du sol pourrait-il nous autoriser d’en faire la matrice du projet ? L’hypothèse à l’origine
du
processus
de
conception
que
nous proposons est qu’en la préservant d’un traitement homogène qui lui ferait perdre son identité, sa lecture en épaisseur puisse être un outil permettant de réintégrer ses marges, pour l’heure exclue, à l’espace de la ville. Ce
postulat
implique
en
premier
lieu
de
comprendre le site comme étant le cœur des nouvelles dynamiques qu’elle tend à créer en tant que fondement et que fondation du projet.
Au contraire d’un support sur lequel dialoguent des objets, il devient l’architecture même d’une
portion de territoire. Par conséquent soumis à son évolution de la même manière que le reste du paysage, le projet est à comprendre comme
un processus d’expérimentation de l’espace à 68
travers les différentes lectures du site qui pourront être faites, plutôt que comme un résultat préfixé.
Enfin, de par sa taille et sa nature évolutive, le projet devra naturellement suggérer un dialogue entre
les
échelles
humaines
et
paysagère,
aussi bien d’un point de vue de la durée de son architecture que de l’étendue d’espace
qu’elle investit. Ainsi, en générant un projet hybride
entre
l’urbain
et
l’architectural,
prendre le site comme une matrice de projet est l’opportunité de réconcilier l’homme avec la réalité de son territoire.
En ce sens, la colline des Brillants à Meudon est précisément un espace qui appelle un projet. Ça n’est pas tant que les habitants manquent
d’équipements spécifiques : dans cette aire urbaine où la vie est organisée à l’échelle
des quartiers et où la relative homogénéité
des profils sociologiques des habitants laisse libre cours à la proposition de programmes variés, il ne manque précisément à la friche que d’appartenir au contexte qui l’enserre.
20 15 10
0-14
30-44
Meudon: une pyramide des âges représentative de la société sur l’ensemble du secteur, répartis entre les coteaux ambiance plus familiale, et front de seine pour les actifs.
45-59
15-29 60-74 75 +
5 0
source : INSEE
69
70
Le val d’Arthelon: une vie à l’échelle du quartier.
gares
équipements de quartier
limites
administratives
0 100 m 200 m
500 m
71
page suivante: Rodin dans son atelier à Meudon. photos d’archive conservées au Musée Rodin
L’affranchissement
des
contraintes
humaines
que nous autorise globalement l’aisance des
meudonnais nous permet de faire du projet un instrument d’expérience du territoire et faire de lui un lieu de la ville, une couture
entre les deux plateaux, le parcours manquant
entre les berges et le sommet de la colline que surplombe la maison et l’atelier d’Auguste
Rodin, ou encore, pour l’image, le socle de la sculpture qui permettent de comprendre comment elle interagit dans l’espace autour d’elle. Rodin, 1886. La tête de Camille Claudel émerge de son socle.
Comment donner une identité forte à la colline et rétablir une lisibilité actuellement perdue
sous la végétation en friche ? Et quelle est cette identité ?
72
73
74
L’INVENTION D’UNE PRÉ-HISTOIRE
75
Pré-histoire: difficilement
Un
intervalle
quantifiable,
un
de
passé
flou
temps
qui
constitue le prétexte plus ou moins manifeste de notre présent.
76
À LA RECHERCHE DES TEMPS PERDUS
UNE EXHUMATION L’IDENTITÉ DU L’identité
DE LIEU
d’un lieu correspond à la
manière dont un espace est vécu, ce qui revient
à la somme des caractéristiques qui permettent de le distinguer d’un autre.
Si elle _ l’identité d’un lieu _ se construit
au fil des temps qu’il traverse, le sol est alors une archive de ses formes successives qui s’y sont sédimentées. Le
thème
de
la
conservation
des
formes
architecturales issues du passé et de leur transmission aux époques successives impose de définir de quelles traces, et par quels projets, pourrons-nous en pérenniser l’existence et y appuyer la création d’une nouvelle interface urbaine ? En
d’autres
termes,
comment
les
vestiges,
issus de passés successifs agissent-il sur l’appropriation faite du lieu ? L’APPROPRIATION LIÉE À LA
En
inscrivant
DE MÉMOIRE
le
dessin
L’ESPACE DES
de
la
EST HOMMES
nouvelle
surface parcourue dans une structure urbaine préexistante,
l’intégration
de
fragments
de la ville passée à la ville contemporaine
permet de donner une progression continue à 77
sa construction identitaire, et donne ainsi
aux hommes qui l’habitent la possibilité de se l’approprier.
La mémoire est en effet plus facile à faire émerger lorsqu’elle s’appuie sur des manifestes
physiques des temps passés. Certaines traces
font appel à la mémoire collective, soit par
leur symbolique, soit par l’usage de l’espace qu’elles induisaient en leur temps. Cependant,
bien
qu’il
évoque
d’autres
temporalités de la ville par la permanence de sa forme matérielle, le vestige appartient entièrement au présent. «La 1. Marc Augé, Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003
ruine
est
le
temps
qui
échappe
à
l’Histoire.» dit Marc AUGÉ, ce qui sous entend: 1
la ruine n’est qu’un objet sans interprétation
intrinsèque. Ce dont on lui fait témoigner est une interprétation humaine de sa forme. De
fait,
lorsqu’il
est
considéré
dans
sa
matérialité pure, le vestige devient un outil de projet.
Sans préjugé lié à un poids historique dont
on l’accapare intuitivement, il prend place
dans une nouvelle strate de ville à travers de nouvelles symboliques ou de nouveaux usages.
De la même manière que le vestige ne « raconte » pas un pan d’histoire mais crée simplement un rappel d’une époque plus ancienne dans
le paysage, la ville n’a pas de mémoire. La
mémoire est celle de Hommes, et l’idée qu’ils ont de la ville permet de créer des continuités
entre un passé qu’ils n’ont pas forcément 78
connu personnellement et un futur qu’ils ne connaissent pas encore.
La cohérence donnée aujourd’hui aux éléments
de la ville d’hier permet de les révéler,
leur rendre une lisibilité, les ordonner en un ensemble, tout en les laissant à la libre
interprétation de chacun. Tout promeneur se fait alors historien de sa propre expérience spatiale.
L’appropriation de l’espace de la ville est alors
le
résultat
d’une
apposition
d’une
mémoire collective évoquée par les fragments
issus des temps [t-n] _ avec nϵ[1;t[ _ à la formation d’une mémoire personnelle fondée sur la pratique de l’espace dessiné au temps t.
CONSIDÉRER LES STRATES GÉOLOGIQUES NOUS CONFRONTE À UN PASSÉ DE LA TERRE QUE PERSONNE N’A CONNU
Lorsqu’on considère les vestiges comme étant
leur propre matière physique, on s’aperçoit que ceux-ci s’insèrent dans un contexte qui n’est
autre qu’un corps similaire mais qui, à leur
différence, n’aurait jamais été mu par une même cohérence d’ensemble, donnée par l’homme à un moment donné.
Cependant, bien qu’elle n’aie pas de forme,
cette matière appartient au même ordre. Il faut comprendre que ces deux entités sont
décomposables en sous-éléments similaires et comparables.
79
Piranesi, coupe du Mausolée d’Hadrien, 1784. La construction est décrite comme un ordonnancement d’éléments de matière.
Malgré les transformations diverses qu’elles aient pu subir, elles sont donc descriptibles
de la même manière. Par conséquent, considérer
l’intégralité du monde d’un point de vue géomorphologique
en
permet
une
décomposition
universelle qui nous permet d’évoquer toutes
les strates de passé de la même manière, si éloignées soient elles et quelles que soient leur
origine,
humaine
ou
géodynamique.
La
matière du sol est ainsi le support qui permet
de lire une continuité de l’histoire de la
Terre et confronter les échelles de l’Homme à celle de son territoire.
Abolir la frontière du statut du matériau et de la matière nous conduit donc à considérer 80
d’importance égale l’intégralité des couches
géologiques, sédimentaires et entités naturelles relatives
à
la
topographie
et
de
manière
plus générale au paysage dans la formation de l’identité des lieux, en remontant à des temporalités du territoire encore antérieures aux ordonnancements humains.
Mais dans ce cas, nous pouvons nous poser la question du ressort par lequel les épaisseurs temporelles contribuent à cette identification du territoire et comment établir des proximités
entre elles à notre époque ? En effet, l’émotion qu’appelle la confrontation de l’Homme aux strates
géologiques
ne
peut
relever
d’une
mémoire collective comme c’était le cas dans
la réinterprétation de vestiges de la strate affleurante: il s’agit d’un temps que n’a jamais connu l’Homme, définissant donc un intervalle dans lequel aucune conscience historique, qui induirait un jugement des éléments a posteriori, ne s’est intercalée.
On parle donc d’un autre type de résurgence, d’autant
plus
différenciable
que
l’émotion
provoquée par la transformation d’un édifice ancien et sa mise en dialogue avec d’autres
éléments de la ville n’a effectivement rien en commun avec l’exhumation de pierres sans âge.
La confrontation au sol géologique évoque plutôt une démarche archéologique que patrimoniale.
En quoi la sensibilité qu’on y a se fait elle
constitutive de notre pratique de l’espace? En quoi l’épaisseur du territoire est identitaire de la ville ?
81
CREUSER EN QUÊTE D’UNE ORIGINE Si
on compose la strate supérieure
à partir de la strate actuelle, la strate inférieure
s’en
fera,
par
réciproque,
un
rétro-éclairage. Ainsi, l’exhumation de traces enfouies fait écho à la recherche d’une origine.
chantier de fouille du monument funéraire néolithique
de Wor Barrow, ANGLETERRE, 1894 photo publiée par l’INRAP
La fascination qu’exerce sur nous les vestiges du passé reflète la préoccupation perpétuelle
que constitue la caractérisation de notre propre rapport au temps. Jusqu’à quelle époque passée pouvons nous remonter ainsi dans l’épaisseur des sols?
82
Le principe de stratigraphie, élaboré à la fin du XVIII
è
siècle permet d’établir une rétro-
chronologie, à partir de la répartition des vestiges dans la coupe géologique.
Depuis la couche contemporaine jusqu’aux nappes plus
anciennes
du
quaternaire,
en
passant
par l’apparition des premiers hommes _ dont témoignent les artefacts ouvragés les plus
profondément enfouis _ l’enracinement physique
de l’histoire de l’Homme donne une échelle de temps à la vie humaine par comparaison à celle du territoire qu’il occupe. Et ça n’est pas beaucoup.
L’exploration du passé géologique montre la
large prédominance temporelle d’une Terre sans les Hommes. La découverte de fossiles d’espèces désormais disparues piégées dans les strates
minérales du Crétacé nous met face à l’idée
de notre relativement imminente extinction.
Quant à la mise au jour de sites antiques vieux de 2500 ans incrustés dans le sol, démontrant des systèmes urbains ou des modes de vie
comparables aux nôtres, elle nous questionne
sur la pérennité de nos propres traces : à notre tour, que restera-t-il de nous dans deux millénaires?
Ainsi, au delà de la mémoire, chercher dans l’épaisseur
du
sol
des
traces
originelles
toujours plus éloignées permet une mise en
contexte des civilisations humaines fugitives dans le temps long du territoire. Comment sommes nous donc soumis à ces temporalités fortes ?
83
principe de stratigraphie: deux couches sédimentaires présentant le même contenu paléontologique ont le même âge. Par extension au domaine de l’archéologie, la datation d’objets trouvés dans le sol peut être déduit de la profondeur de leur enfouissement. source: inrap.fr/
magazine/Histoire-
de-l-archeologie/Lapport-du-terrain/
La-stratigraphie
La proportion de temps d’existence de l’Homme sur celle de la Terre est anecdotique: pour pouvoir faire rentrer les deux évènements sur une même page sans avoir recours à une échelle logarithmique 1mm correspond à 28 000 ans, une ligne à 2 300 000 ans _ soit 23 fois le temps de l’humanité .
-4 600 000 000 apparition de la Terre
-4 450 000 000 formation des océans
-540 000 000 apparition de la vie
-100 000 apparition HomoSapiens
-65 000 000 extinction des dinosaures et ammonites
84
-3 500 Préhistoire
Transposition temporelle: des touristes commentent la qualité graphique de la frise de la porte du mausolée de Philippe II, fils d’Alexandre le Grand, en Macédoine centrale
Alors que la vie humaine est conditionnée
en décennies et s’additionne comme autant de cycles identiques jusqu’à composer l’ensemble d’une civilisation _ dénombrable en centaines ou
milliers
d’années_,
le
territoire
et
les vestiges matériels issus des activités
humaines figés dans la roche, se mesurent en éons selon l’échelle des temps géologiques. Par conséquent, si le projet d’architecture
considéré simplement comme lieu d’interaction
reste lié à l’échelle de temps humaine par
la rapide caducité de son usage, nous pouvons espérer de la qualité de sa forme qu’elle lui permette de s’inscrire de manière durable dans
le paysage et n’aie comme obsolescence que la résistance de ses matériaux.
85
S’INSCRIRE DANS LE PAYSAGE NATUREL PAR DES FORMES FONDAMENTALES Les traces du passé témoignent également de l’évolution du rapport que nous entretenons avec notre territoire.
Pour simplifier le propos à suivre, nous pourrions diviser artificiellement le temps du territoire en trois périodes parfaitement inégales. La première, d’un âge sans les Hommes, s’étendrait
depuis la formation de la croûte terrestre (-4550 millions d’années) jusqu’à ce qu’on appelle
communément l’« apparition de l’Homme », et qui en réalité correspond au moment où l’Homo Sapiens se distingue des autres espèces animales par le développement de techniques aboutissant
à la formation d’une culture (-3,8 millions
d’année). La seconde serait celle d’un âge où l’Homme vivrait son territoire sans rapport de
domination, ne sollicitant «aucun contraste 1. Roberto PEREGALLI, Les lieux et la poussière, 2010
ni aucune violence»1 et se définirait donc
des premières traces de la préhistoire (-3,8 MA) à la révolution industrielle du début du
XIXème siècle. Enfin la troisième, de l’époque
industrielle à nos jours, évoque un âge où territoire est relayé à un thème de second
plan par l’Homme se considérant _ comme le
prévoyait DESCARTES _ « maître et possesseur
de la Nature », soumis à un essor croissant de techniques et recouvert de matériaux performants et artificiels.
86
période 1
période 2 apparition de l’Homme
pas d’humanité
période 3
révolution industrielle
Homme de pierre
traces gestes outils
Homme industriel
t
domination technique du sol rapport
séparation
à la nature:
traditionelles
d’imitation L’Homme
des sociétés
existe et
asservissement
dans un
environnement
n’est pas rapport de domination
d’un
«amorphe»
avec la Nature
Nature vierge
matières ordonnées
formes fondamentales
matières transformées
distanciation du territoire
87
Chose
relativement
étrange:
du
fait
de
l’éloignement temporel que nous concevons mal ou de l’absence de recul que nous avons sur
notre univers référentiel, la mise en relation d’un matériau immaculé, issu directement des processus naturels, avec un artefact issu du
travail d’un Homme primitif sur le même matériau
nous paraît à première vue moins frappant que le dialogue de celui-ci avec un objet extrait de notre quotidien.
2
1
Une marnes (minéral du jurassique), un silex biface (outil du paléolithique inférieur), un couteau d’office (outil contemporain)
3
Alors que dans le premier cas (1 VS 2), la
plastique de la matière identique ne nous paraît remarquable que par la trace d’un outil, la
seconde comparaison (2 VS 3) nous fait
opposer des matériaux artificiel et naturel, un
objet appartenant à un passé flou et érodé à un autre que nous analysons intuitivement dans un contexte d’usage familier. 88
Pourtant différenciable à bien des égards dans leur aspect physique, l’outil primitif fait
écho à la culture matérielle de nos jours : c’est un outil et un produit de l’ activité
de l’Homme et du fait de ce statut il se fait objet identifiable à ceux qui nous entourent désormais.
Ami Drach et Dov Ganchrow «BC-AD; contemporary flint tool design» Cette oeuvre, utilisée comme affiche pour l’exposition «Préhistoire, une énigme moderne» au Centre Pompidou à l’été 2019, interroge sur la valeur relative d’un objet conçu par et pour une société.
C’est ce que rappelle BRASSAI dans son manifeste
« Des murs des cavernes au murs des usines », « Graver sur un mur, c’est retrouver l’antique
geste humain et aussi l’antique façon de
découvrir le monde. »1 À travers l’exemple du
rapprochement du tag à l’art pariétale, il évoque la permanence de gestes à travers les époques : les vestiges que nous exhumons sont séparés d’ellipses opaques, mais l’immuable démarche humaine d’inscription dans son environnement nous rapproche de ces ancêtres inconnus.
89
1. BRASSAI, Des murs des cavernes au murs des usines, 1933
BRASSAI, Série III: la naissance du visage
Un virage dans la mise en équilibre de la vie humaine dans le territoire est cependant
indéniable. Alors que de nos jours le sol est généralement traitée comme une surface amorphe et bonne à être exploitée, un passé plus ancien nous montre un âge où la matérialité
de l’architecture se confond avec celle de la nature. Ces deux entités se reflètent alors mutuellement en formant un grand paysage. Les
artefacts dont on a hérité montrent des formes simples et élémentaires, violentes et crues, massives et minimales, à laquelle l’absence de recherche ornementale donne une apparente simplicité. 90
« Apparente » simplement, puisqu’en s’attachant à appréhender le territoire de manière à se l’approprier,
les
premières
installations
dans le paysage définissent des rapports les
plus fondamentaux de la construction de notre culture urbaine. Par le dessin de rapports de dimension, de composition et l’élaboration de
seuils entre les objets et le territoire, les hommes primitifs, puis les antiques, démontrent
une capacité à se définir dans l’espace, aussi bien d’un point de vue spatial_ en composant avec la topographie ou l’horizon_ , que temporel
_ en créant des installations mouvantes selon les cycles solaires, par exemple.
Stonehenge, Wiltshire. photo:
91
Léonardo BENEVOLO I segni dell’uomo sulla Terra, 1999
Alors que la nature vierge n’a pas d’échelle, l’espace parcouru par l’Homme s’ordonne, sort d’un chaos. Les déplacements de matières sont à
la mesure de sa force, les distances sont celles que lui permettent ses déplacements, le temps, quatrième dimension du processus de conception,
compte dans l’espace. Il se fait ainsi étalon de l’espace, non pas dans un sens mathématique,
tel que le suppose par exemple le Modulor,
outil définissant des proportions géométriques
artificielles, mais au sens kinesthésique. Le monde se fait quantifiable à la mesure de l’effort qu’il nécessite et le regard de l’homme fait exister le paysage. Depuis
le
protectrice
thème chez
récurent
les
de
la
artistes
nature
Romantiques
jusqu’aux Land-Art des années 70 en passant par
la cabane primitive de LAUGIER et l’idéologie du rationalisme structurel, cette révélation
tectonique nous invite à revenir à un rapport
plus direct à notre environnement. Fonder notre expérience
de
l’espace
sur
des
sensations
tactiles et retrouver le lien brouillé de l’Homme à la nature datant d’une époque où le rythme de l’espace vécu était celui des pas. L’émotion
plastique
que
nous
éprouvons
au
contact de ces pierres sculptées relèvent donc de la rencontre entre l’intention formelle
forte de l’Homme sur la matière. Le contraste
de la trace de l’outil sur le matériau brut devient une manière de s’inscrire dans la matière durable, de se comparer au territoire et ainsi le faire exister. 92
Land Art. Formes monumentales et élémentaire interagissant avec leur environnement L’abstraction plastique conduit à une compression temporelle à travers des signes tactiles. Elle fait exister des lieux pour le temps de l’oeuvre.
Eduardo CHILLIDA, Peigne de vent, Saint Sebastien
93
Michael HEIZER, Isolated Mass, 1968-1978
DU CÔTÉ DES BRILLANTS
QUELLE EST PRÉHISTOIRE? 1. Françoise CHOAY, L’allégorie du patrimoine, 1992
«Le
monument
a
pour
NOTRE
but
de faire
revivre au présent un passé englouti dans le temps.»1
LES MONUMENTS DE MEUDON : GÉOLOGIE TECTONIQUE ET ARCHÉOLOGIE INDUSTRIELLE
Comme on l’a décrit dans un premier temps, ce territoire semble dénué de toute chronologie
véritable. Malgré un apprivoisement de son
échelle par des événements rapprochés à l’ère industrielle
qui
influent
cheminée d’aérage pont du RER C NGF 50
enceinte de l’ancienne blanchisserie
94
plateau NGF 60
fortement
sur
installations industrielles plateau NGF 66
sa
transformation physique, ceux-ci ne forment pourtant
pas
une
histoire
construite
et
continue. Les objets semblent posés séparément,
sans dialogue entre eux, laissant des vides non caractérisés et sans structure apparente. Il y a peu d’interaction entre les monuments
du site, les rapports restent à déchiffrer ou à inventer en créant des univers propres à
chacun de ces vestiges indépendants. Il s’agit
alors de faire entrer ces différents plans, ces réalités distinctes en dialogue pour proposer
une histoire. En d’autres termes, le projet devra
proposer
un
ensemble
de
dispositifs
paysagers et architecturaux cohérents entre eux
qui en mettant en scène la matière du sol et les traces exhumées permettent d’intégrer le site à l’espace urbain .
coupe de site de l’existant Relevé des éléments à prendre en compte dans le dessin du projet
maison de Rodin NGF 85
←
vue panoramique sur le bassin parisien
végétation de sous-bois
calcaire grossier sable glauconneux argiles plastiques
argiles vertes et rouges cendrier et conglomérat calcaire de Meudon
craie
carrières de craie
stratification de minéraux hétérogène
95
nappe phréatique
pont du RER C NGF 50
plateau NGF 60
plateau NGF 66
cheminée d’aérage maison de Rodin NGF 85 enceinte de l’ancienne blanchisserie
96
97
La richesse minérale du sol permet aux activités humaines de s’enraciner dans son épaisseur.
Dans le cas des Brillants, elle est le tout premier
périmètre
témoignage et
est
de
l’occupation
l’élément
de
ce
déclencheur
d’une série d’évènements accélérée à l’ère industrielle.
Elle fait de cette aire, jusqu’à lors trop uniforme pour être remarquée, une accroche au
regard
permettant
l’observation
de
ce
territoire. « Imperfection » intentionnelle dans le paysage, le contraste qu’elle provoque avec les traces accidentelles dues aux mouvements et évolutions 1.«No-Sight/ uncertain site»: Robert SMITHSON, 1968
des morphologies naturellement
prises par le sol transforme le non-site en site, le no-sight en sight.1
Quel caractère la carrière donne-t-elle au sol et peut elle devenir un lieu de projet ?
98
LA CARRIÈRE: DE LA RESSOURCE AU PROJET DE TERRITOIRE « Habiter
territoire .»
est
2
une
hypothèse
quant
au
Toute civilisation commence par fonder son abri
à partir des matériaux que lui offre le site
sur lequel il a choisi de s’établir. Déjà au
2.Vittorio GREGOTTI, Il territorio dell’ architettura, 1966
néolithique, l’assemblage de pierres glanées au sol, puis extraites de strates de plus en plus
profondes et denses par souci de taille et de résistance, montre que la fonction de la carrière est fondatrice de toute installation humaines,
et ce bien avant l’époque industrielle. En tant que déplacement de matière, elle est la matrice
de la ville et indissociable de l’architecture. La dénaturation de ce rapport simple au sol
creuser permet d’atteindre
99
des matériaux plus résistants, issus de strates plus profondes
Suivant le même principe, la carrière est un moyen d’exploiter le sol de manière plus systématique. Il existe deux typologies de carrières discernables dans les paysages: à ciel ouvert, lorsque la roche affleurante est de qualité, ou bien souterraine lorsque la
a lieu cependant quand dans le modelage de
celui-ci en vu d’être habité, intervient la volonté
de
contrôle
et
d’optimisation
des
rendements. Quand la grande mesure prise par l’industrie du bâtiment nécessite de rendre la
chose
technique,
à
l’ère
industrielle.
Les prélèvements massifs demandent alors une organisation plus systématique.
Récemment, la demande en pierre de taille se
strate visée n’affleure pas.
100
cavage par rampe inclinée topographie faible
cavage
à
flanc
de
coteau
topographie forte
Régionalismes. Selon la formation géologique affleurante, les exploitations varient et les matériaux de constructions aussi: c’est par exemple le cas du tuf dans le bassin de la Loire. carte de la répartition des carrières en France, par le Syndicat National des Industriesde Roches Ornementales et de Construction
calcaire à Caumont
gypse à Montmartre
craie à Meudon
101
Les contraintes topographiques et mécaniqus imposées par les sols conduisent à l’élaboration de techniques adaptées à chaque minéral, donc à des paysages souterrains variés. Selon la pureté de la roche, sa tendresse et son comportement structurel, les outils employés, les formes de cavage et le traitement des parois sont différents. Par exemple, dans la majeure partie des cas, le calcaire _ roche tendre_ nécessite de tailler le ciel en voûte plein cintre. Les peignes guident le ruissellement des eaux.
faisant rare _ limitée principalement à la restauration patrimoniale _ beaucoup de ces sites
se
retrouvent
inexploités,
oubliés,
tentent des reconversions d’usage telles que la culture de champignons, l’abri militaire,
le lieu de stockage. En réalité, leur grande
dimension et les précautions techniques qu’ils
requièrent pour être occupés font d’eux des lieux relativement hermétiques aux projets,
tandis que l’étalement urbain les ramène à la marge des villes. Ces sites industriels sont donc
désormais
des
défis
architecturaux
et
paysagers qu’il nous est nécessaire de relever,
aussi bien d’un point de vue interne pour leur offrir une continuité architecturale, que d’un
point de vue externe pour donner une fluidité au tissu urbain. D’une manière ou d’un autre il faudra prendre position.
« Site industriel » ? « défi paysager »?
Il y
a encore quelques années, prononcer ces deux
expressions en une même phrase aurait paru provocateur. L’opposition
manifeste
de
l’exploitation
outrancière des sols et la dénaturation des paysages à l’exaltation romantique prônant la « communion avec la nature et l’humanité toute
entière »1 rend difficile l’acceptation d’une 1. Lagarde et Michard XIXe
beauté subsistant dans l’esprit du lieu selon les classiques critères.
« Cette beauté est difficile, difficile à découvrir,
à admettre. Elle est paradoxale. Car il ya paradoxe à rechercher la beauté dans un monde 102
argile lambourde
craie
6.0
4.5
6.0
4.6 3.8
6.6
3.8
5.0 6.8
4.5
6.0
Depuis l’entrée en cavage, la carrière se déploie perpendiculairement aux courbes de niveau. Le large quadrillage orthogonal permet de dégager et ramener facilement les blocs à la sortie à l’aide d’engins de chantier. Quant à la proportion de sa trame, elle répond à la témérité des carriers : globalement « 60% de plein, ça tient ».
4.5
Plan et coupe types de carrière de craie à piliers tournés.
La grande dimension des sites nécessaires à l’extraction de quantités suffisantes de matériaux portent à éloigner les carrières des villes. Ils sont relégués en aux campagnes et zones périphériques.
103
qui lui tourne délibérément le dos. Un monde voué
au chaos, à l’informe, au perpétuel changement, à l’inachevé. Un monde qui porte la marque, contrairement au monde champêtre ou urbain, moins de la joie créatrice de l’Homme que de
sa sueur et de sa peine. »1 affirme Eric ROHMER
dans son film documentaire Les métamorphoses du 1. Éric ROHMER, Les métamorphoses du paysage: l’ère industrielle, 1964
paysage.
Par cette phrase il se fait précurseur d’un
nouveau regard sur le paysage : le paysage est notre patrimoine, ce que nous en faisons, ce que
nous voulons en voir. La sensibilité que nous y avons est une notion construite socialement.
Tout comme le montre Robert SMITHSON lorsqu’il décrit des terrains vagues et des zones de chantier à la manière d’ensembles oniriques
et exaltés que se jalouseraient les peintres romantiques, le regard que nous portons sur lui est une produit de nos propres préjugés culturels.
« Souvent, ce que nous appelons « beauté
naturelle » n’est pas dans la chose mais dans la
constatation de l’existence de la matière des paysages comme stratigraphie de leur formation 1. Vittorio GREGOTTI, Il territorio dell’ architettura, 1966
par recouvrement »2, affirme GREGOTTI.
En ce sens, nous pourrions considérer que
le contraste de la trace artificielle laissée par les outils de l’Homme contribue à saisir
la beauté naturelle de son environnement, et enrichissent la lecture de ses lignes de force.
L’émergence d’une « archéologie industrielle » à partir des années 1940, permise notamment
par un recul sur l’activité humaine au siècle dernier, nous rend aujourd’hui sensibles à ces 104
témoignages du passé proche de nos villes, et des savoirs faire techniques associés à
l’occupation du territoire _ le cas échéant celui des carriers. En
tant
que
industrielle,
vestige la
privé
forme
de
de
connotation
la
carrière
inexploitée se rapproche physiquement plutôt de l’abri primitif, de la caverne.
Architecture constituée d’un même matériau, uniforme et déterminé par la nappe géologique
où elle est forée, elle donne l’expérience physique rare de pouvoir entrer dans le sol. Et qu’y trouve t on ?
Ugo MULAS: L’attente (Lucio Fontana)
Dans l’imaginaire à la fois traditionnel et moderne, traverser l’épiderme du sol stimule
les fantasmes. Nourrie par un corpus étayé de
mythes, récits et légendes, l’épaisseur de la terre évoque l’existence d’un monde séparé du
105
nôtre par la croûte terrestre qui serait un lieu initiatique de repli sur soi, de connaissance, refuge
isolé
et
protecteur
permettant
une
renaissance plus intense, un incubateur, un noyau métaphysique.
Sandro BOTTICELLI, La Carte des Enfers, 1485 d’après La Divive Comédie, DANTE, 1321
Quant aux perceptions qu’on y a, cet espace
est effectivement extrait de la ville que nous foulons quotidiennement par la limite visuelle
et physique qu’il constitue. Pénétrer le sol
bouleverse nos référentiels usuels de temps et d’espace et nous impose d’en renouveler sans cesse l’expérience.
_ En nous isolant des cycles solaires, notre
conscience du temps est faussée. Il est ainsi possible pour les cataphiles, par exemple, de
marcher dans des kilomètres de galeries pendant toute une nuit sans prendre conscience du temps qu’ils y ont passé ni de leur fatigue.
Sous terre, les seuls indices qui restent et deviennent nos marqueurs temporels sont le
rythme des pas _ le temps du parcours _, et à l’opposé l’érosion de la matière soumise à son
vieillissement naturel_ la véritable identité
du matériau en dehors des idéalisations faites de son état raffiné pour bâtir en surface_. Dans un certain sens elle s’apparente donc effectivement à une capsule temporelle.
_ De plus, la construction soustractive des espaces fait d’eux des lieux spontanément clos
et vus par le dessous. Cette configuration ne nous permet pas d’en avoir une vue d’ensemble, et ils s’articulent progressivement dans notre esprit comme un parcours mystérieux et labyrinthique
de pièces successives. Chacune est extraite du contexte et a sa propre échelle.
En effet, les galeries taillées des carrières ne sont pas conçues à l’échelle de l’usage
107
humain mais à celle que préconise une meilleure
optimisation de la ressource. Nos points de repères habituels, comme les objets ou la
fonction des espaces, disparaissent au profit de vides sans signification. Pour en prendre la
mesure, il est alors nécessaire à l’explorateur
de se représenter dans l’espace et renouveler son étalonnage. Ainsi,
aussi
physiquement,
bien
les
temporellement
échelles
de
que
l’espace
souterrain sont données par le recentrement personnel du sujet qui s’y déplace.
Anne HOLTROP et Bas PRINCEN, Batara, 2012
108
Le
thème
principal
que
soulève
donc
l’incorporation de ce monde hypogée encore
jamais habité à la ville est la superposition des échelles qu’elle met en jeu.
La rencontre de l’organisme complexe du sol naturel et de l’architecture humaine implique
alors un dialogue entre deux mesures de temps et d’espace qui coexistent souvent en s’ignorant, alors que c’est précisément elle qui crée notre
contexte urbain. Elle nécessite désormais de
concevoir l’architecture à large échelle comme un projet de topographie et de paysage. Dans la
matière tridimensionnelle infinie et informe,
cette démarche impose d’affirmer des limites et des seuils, de faire prendre place les minéraux
exhumés dans l’espace de la ville tel qu’on
le ferait dans un processus patrimonial pour une autre ruine.
Pour faire de la carrière
un site de projet, il est en somme primordial
de s’attacher à l’intégrer à la lecture de la surface de la ville.
Quel projet pourra donc nous permettre d’en rapporter
une
mémoire,
saisir
les
temps
qu’elle évoque et ainsi mettre en évidence les contrastes qu’elle porte ?
109
110
S C U L P T U R E PSYCHOGÉOGRAPHIQUE ET PLASTIQUE MINÉRALE
111
Psychogéographie :
«L’étude des effets précis
du milieu géographique, consciemment aménagé ou
non, agissant directement sur le comportement affectif des individus.» 1. définition de Guy DEBORD, Internationale situationniste n°1, 158
112
1
LA FRICHE FACE À
À
INDUSTRIELLE LA VILLE
la différence de la ville historique
qui camoufle plusieurs épaisseurs de vestiges et
de
formes
d’atteindre
urbaines
le
sol
sédimentées
géologique,
la
avant
friche
industrielle présente la particularité d’être une superposition directe de l’activité humaine sur le sol qu’on pourrait dire « naturel ». De
fait,
plutôt
qu’être
un
palimpseste
amnésique, fruit de déplacements postérieurs
des matériaux _ comme le propose André CORBOZ _ elle se présente à nous précisément comme un site
antique abandonné et redécouvert après quelques années
d’érosion:
des
traces
relativement
clairsemées mais aussi relativement intègres et continues. Actuellement
répondant
au
qualificatif
d’« enclaves », leur peu de structure et leur isolement
caractéristiques
pourraient
être
considérés comme qualités exploitables dans la constitution d’un programme répondant aux besoins du site :
D’une part, leur abandon au cours du siècle
fait d’eux des territoire restés figés dans une ville qui a continué d’évoluer. De fait, ils
sont aujourd’hui naturellement isolés du temps
fourmillant de leur contexte immédiat, et ont conservé en l’état une forme de respiration dans la densité qui les encercle.
113
D’autre part, la vacuité de ces terrains laisse
une certaine liberté d’interprétation du sol
dans les interstices laissés par leurs éléments disparates.
Ainsi, ces spécificités font d’eux des univers
privilégiés pour en organiser une identité, y composer un récit autour de leurs différentes pièces subsistantes, un cadre dans lequel chacun
puisse avoir sa propre expérience spatiale. Quel usage attribué au sol sera apte à qualifier ces lieux d’une identité propre ?
114
La surface de la carrière des Brillants en est
l’exemple
type.
Elle
est
située
en
périphérie de Paris et à la jointure de deux quartiers
aux
Par
topographie,
et
en
sa
structures
recherche
urbaines
diverses
grande
superficie
d’expansions sa
potentielles.
embroussaillée et ses contours flous, elle est
un espace peu compréhensible et rejette son environnement. L’appropriation du site est par
conséquent pratiquement impossible et limitée à une occupation marginale de la colline par une poignée d’artistes et artisans.
115
Comment réintégrer la friche dans le milieu urbain?
« Sub-urbanisme : n.m dérivé de suburbain
(italique : suburbia) et démarqué de urbanisme.
_ Discipline de projet d’abord inspirée par les situations suburbaines, et où la hiérarchie traditionnellement instaurée par l’urbanisme
entre programme et site (d’après la logique
de commande qui prévaut en architecture) est inversée, le site devenant l’idée régulatrice 1. Sébastien MAROT, Sub-Urbanisme et Paysage, 1996
du projet. »
1
Faire de ce site un élément de la ville suppose donc non seulement de créer un lien fort entre
cette aire et le reste du tissu urbain mais aussi faire de cet espace un lieu public ouvert à tous et où chacun puisse faire du projet
l’outil de sa propre exploration du site. Les caractéristiques physiques de la colline des
Brillants nous portent naturellement vers la
volonté d’une représentation du site tel un
territoire stratifié, d’un contact direct et violent entre un passé géologique et humain, entre l’échelle de temps attribuée à la vie
de l’homme _ d’une importance toujours plus
démesurée_ et celle du territoire qu’il habite. Mais plus méthodiquement, quelles sont les caractéristiques
d’un
programme
permette d’hériter de ce périmètre ?
116
qui
nous
CAHIER DE CHARGES
Le projet devra être une couture physique
UN ESPACE PUBLIC
entre la ville haute surplombée par le domaine
de Rodin et la ville basse séparées par la topographie et proposer une structure physique aux 6 hectares de friche.
Le projet devra conserver la biodiversité de
UN PARC PAYSAGER
la colline et le type de végétation de taillis
caractéristique, tout en rétablissant des cônes
de vue sur le Val de Seine autrefois existants, du temps que la colline était encore entretenue.
Il faudra que le parcours reliant les niveaux
UN PARC PAYSAGER PROPOSANT DES ÉQUIPEMENTS HYPOGÉS
permette de traverser les différentes strates.
Il devra notamment intégrer les carrières _
patrimoine industriel _ à la ville tout en leur conférant un nouvel usage qui évite leur muséification, à raison d’un rapport du plein au vide de 1,25 (ratio respecté par les carriers) , et créer ainsi une nouvelle perception du sol qui s’articule autrement que l’habituelle
opposition autour de la ligne d’horizon du dessus «la ville habitée » et du dessous « invisible et inhabitable ».
Le
projet
devra
nécessairement
prendre
en
compte les caractéristiques du sol, notamment
la présence et le ruissellement d’eau et la
non homogénéité de ses matériaux. De fait, 117
DES USAGES HYPOGÉS VALORISANT LES CARACTÉRISTIQUES NATURELLES DU SOL
on s’attachera à utiliser leurs propriétés plastiques chimiques,
et
comportements
thermiques,
structurels,
hygrométriques,
lumineuses et acoustiques dans la définition de processus de construction.
DES USAGES HYPOGÉS S’ADRESSANT À CHACUN INDÉPENDEMMENT
Le projet ne doit pas être orienté spécifiquement
à la population locale, ni concerner plus une tranche d’âge ou un profil qu’un autre. Le projet doit être adressé à tous, et inclure tout individu.
UNE EXPÉRIENCE PERSONNELLE ET PHYSIQUE
Pour cela, il devra proposer à chacun une expérience qui lui permette d’être le centre de
son attention et se retrouver soi même. Le projet inclura donc deux équipements antinomiques et complémentaires.
PARC - THERMES - FORUM UN PARCOURS DE STRATES
On propose donc en premier lieu, des thermes à l’usage tourné vers la recherche de soi. Ceux-
ci seront complétés par un forum, qui propose au contraire une ouverture au regard des autres, et renforce le lien social.
Le projet se propose d’être un voyage initiatique à
travers
l’épaisseur
quadridimensionnelle
d’un parc qui incluera comme fin de parcours les thermes et le forum. 118
COUTURE PHYSIQUE
CARRIÈRES INTÉGRÉES AU PAYSAGE URBAIN
UTILISATION DES CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES ET GEOMÉTRIQUES DU SOL
ESPACE SOUSTRACTIF ET USAGES HYPOGES
UN LIEU POUR TOUS ET POUR CHACUN
RÉINTERPRÊTATION DE FORMES VERS UN AUTRE USAGE DE L’ESPACE
AMBITION DU PARCOURS ARCHITECTURAL cf esquisse rapide p.205
Dans un premier temps, le parcours de ce socle
proposé au domaine de Rodin permet au sujet de joindre les différents plateaux et d’embrasser
les vues sur la vallée et Paris. Le promeneur se voit ensuite offrir de traverser l’épiderme.
L’expérience spatiale des thermes et du forum hypogée lui suggèrent une descente dans la
matière du sol, tel Énée visitant les enfers. Dans cet univers inhabituel et clos, où le
temps et l’espace prennent un sens relativement abstrait, toute mesure est celle de ses propres
perceptions. Extrait du monde, il est alors
contraint de faire confiance à ses sens et à reconsidérer perpétuellement sa mesure.
En retrouvant la surface et la porte du parc, l’issue de la promenade sera la construction du site comme lieu de la ville: à la fois
physiquement par la forme donnée à ses tracés et mentalement par la somme des expériences personnelles qui en est fait.
Quel protocole permet de donner forme à cette ORGANIGRAMMME
identification de l’espace ?
UNE COUTURE URBAINE PAR L’ÉPAISSEUR
PARC : 6 HA VILLE BASSE
VILLE HAUTE CARRIÈRES/ ESPACE SOUTERRAIN
RÉSEAU D’ÉQUIPEMENTS THERMES ET FORUM 5000 M²
120
DES BAINS THERMAUX LE PARCOURS THERMAL
LES ESPACES SERVANTS
ESPACE ADMINISTRATION
ACCUEIL 180 m²
SANITAIRE VESTIAIRE
15 m²
BUANDERIE
20 m²
LOCAL PROPRETÉ 15 m²
VESTIAIRE 2X 100 m²
DOUCHES
45 m²
X2
SANITAIRES
45 m²
X2
INFIRMERIE
40 m²
TEPIDARIUM 25°C 120 m²
DOUCHES
20 m²
SALLE À BOIRE 75 m² CALDARIUM 37°C 100 m² ÉTUVE SÈCHE
30 m²
ÉTUVE HUMIDE
30 m²
FRIGIDARIUM 12°C 300 m² BAINS THERMAUX
120 m²
SALLES D’ONCTION
6X 15 m² BASSIN TAMPON
250 m²
BASSIN D’APPRENTISSAGE
RÉSERVOIR
250 m²
BASSIN DÉTENTE
CHAUFFERIE
30 m²
NATATIO 900 m² 375 m² 130 m²
VESTIAIRE
Pratique issue de l’Antiquité, à l’origine d’endurcissement dans la culture grecque et de bien-être dans la culture latine, les bains sont le lieu du corps et de la sociabilité. Du Japon à la Scandinavie en passant par le Moyen-Orient, chaque société semble en avoir développé sa propre pratique. Un point commun à toutes: l’aspect rituel. Quel qu’il soit _ pour prendre l’exemple du sauna finlandais, se plonger dans une vasque d’eau froide au sortir de l’étuve sèche _ un protocole inaltérable participe au retour d’une l’harmonie du corps et de l’esprit. Les bains à l’antique rassemblent beaucoup de ces pratiques à travers un parcours de pièces d’échauffement et de refroidissement.
LOUNGE
UN FORUM BAR
RÉSERVE 30 m² 150 m²
SALLE DE PROJECTION 65 PLACES 150 m²
121
1. Frances YATES, The Art of Memory, 1966
La ville est un lieu mnémotechnique. C’est en tous cas ce que semble affirmer l’historienne britannique Frances YATES lorsqu’elle décrit les astuces et procédés de mémorisation du discours chez les antiques.1 Les rhéteurs, associant la succession de leurs idées dans l’argumentation à des lieux successivement parcourus d’une ville ou d’un édifice imaginaire, utilisent alors les images mentales qu’ils évoquent pour développer leur propos de manière logique. La visualisation progressive d’images emblématiques est donc le moyen de se souvenir d’un parcours, mental ou physique, et l’espace urbain le siège privilégié du développement de ce fil directeur. Par conséquent, en proposant une interprétation réciproque de cette étude, la caractérisation des espaces serait la condition nécessaire à l’élaboration d’un parcours et, cette structure logique donnée à la portion de territoire observée, la condition nécessaire à sa compréhension.
122
DE LA FRICHE ALLUSIVE À L’ENCLOS DE MÉMOIRE La
création
l’espace
d’un
parcours
caractérisé
structuré
facilite
dans
l’élaboration
d’un récit et propose une histoire, quelle
qu’elle soit. C’est d’ailleurs le cas dans la construction du discours antique. (voir cicontre)
Par ailleurs, lorsque les artefacts qui rythment
le paysage et qui en créent les articulations
sont des ruines paysagères, des traces et fragments d’époque passées, le récit devient
celui de l’épaisseur du sol. Le jardin, recelant simultanément de toutes les époques antérieures
propose une série de possibilités et un futur éventuel. (voir exemples page suivante)
Ne pourrions nous donc pas, dans le cadre du projet, assimiler la composition du parc à celle d’un parcours à travers une pièce urbaine?
Constitué de cheminements et d’expériences spatiales, chaque jardin raconte sa propre histoire. Il se présente comme un lieu de rencontre entre l’homme et la nature et évoque par conséquent la liberté de mouvement, l’ouverture à toute possibilité et à l’apprentissage. Son usage n’est donc pas a priori précisément défini par le concepteur, mais la simple articulation de formes emblématiques font naitre des proximités et passerelles qui donnent soudain un ordre à tous les éléments du site.
1. Jardins de Boboli (1766): Un ordre scénographique proposant des vues cadrées comme des tableaux.
1.
2. Bercy
en 1900
2. Parc Monceau (1852):
Bercy
Un ordre chronologique : mise en scène de fabriques représentatives d’une idéalisation du passé et du lointain.
en 1993
3. Parc de Bercy (1993) : Un ordre historique : un
3.
réseau formé sur les fragments des passés du site. 4. Jardins de l’Imaginaire (1996) : Un ordre thématique: symbolisation des fragments d’histoires des jardins à travers un parcours de terrasses.
124
4.
Comme le rappelle Gilles CLÉMENT, le projet
de territoire est très différent du projet d’architecture
en
ce
qu’il
l’intégralité de celui-ci.
se
rapporte
à
« Le travail du paysagiste se démarque de celui
de l’architecte ou de l’artiste. [...] l’espace pris en considération compte jusqu’au périmètre visuel, c’est à dire bien au delà du territoire sur lequel il projette ».1
Il s’apparente en cela à un projet d’urbanisme
dans lequel le ratio de surface construite et de surface libre serait inversé. Pour se
rattacher à la ville dite « historique » _ le centre_, le projet de paysage venu structurer la friche devra donc répondre à la fois à des
problématiques liées à la prise de position dans un territoire encore vierge et à celles
liées à la prise de position dans ceux qui sont déjà saturés d’informations.
Telle une première ville antique s’implantant
dans le paysage sans mesure, la friche est une
part
précisément
définie
et
soustraite
au territoire. Cette pièce se démarque de son contexte par sa propre logique interne,
autonome, et son évolution à un rythme propre. À l’intérieur de l’enceinte même, se reconstruit un univers cohérent, dont le dessin répond à
une compréhension de la morphologie du site et peut ainsi tendre à un dialogue de formes
et de dimensions avec l’immensité du paysage environnant.
125
1. Gilles CLÉMENT, dans Le Jardin comme art et lieu
de mémoire, ouvrage collectif sous la direction de MOSSER & NYS, 1995
Au contraire de l’image médiévale d’une étendue de terre prenant place autour de l’édifice principal et enclose dans l’enceinte d’une forteresse, à partir de l’âge classique, le jardin est effectivement pensé comme une pièce urbaine. Ses tracés tirent ainsi parti de la morphologie des sites et de la ville environnante et s’appuie sur des données géographiques et cartographiques.
126
rapport au bâti rural
Si, aujourd’hui, leur dessin nous semble souvent des
pièces sans rapport avec le contexte et des motifs sans signification, c’est parce que le tissu urbain qui l’entoure a évolué indépendamment autour de son emprise, et son dessin lui même a souvent subi des modifications au goût des styles successifs sans souci de l’intelligence de la composition initiale.
127
Thierry MARIAGE, L’univers de Le Nôtre, 1990
En revanche, en tant que greffon d’une zone déjà très urbanisée, ses tracés répondent à la structure urbaine qui l’entoure. Dans la continuité du maillage de la ville existante,
faire prendre place les éléments de la friche conservés tient de la construction d’un réseau ouvert sur l’extérieur. Les fragments doivent
trouver une prolongation de leur univers propre
dans l’espace du parc. Leur agencement conduit à une multitude de scénographies diverses et ces fragments deviennent des marqueurs paysagers d’un parcours.
Ainsi, comprendre un paysage et s’y sentir
intégré nécessite de pouvoir en avoir une
structure mentale claire. En s’inspirant du protocole de composition des jardins classiques
notamment développé dans l’œuvre d’André LE
NÔTRE, nous tendrons à faire de la friche un espace urbain, identitaire et mémoriel.
Pour cela, la structure de l’espace devra s’appuyer sur plusieurs éléments permettant
de s’y repérer : la définition de ses lignes directrices majeures, l’articulation dans ces
tracés d’images qu’on juge emblématiques de
ce lieu, et enfin, l’expérience personnelle de l’espace qui permet d’y associer son propre ressenti. Ainsi s’y met en scène un parcours.
128
129
LIGNES DIRECTRICES : UN PROJET TOPOGRAPHIQUE
• prolongation du maillage urbain
La création de connexions entre les plateaux conduit à la reconsidération de l’orientation donnée à l’espace.
Suivant l’hypothèse que la friche devienne une
espace fluide, on peut imaginer qu’une entrée «urbaine» au domaine de Rodin puisse être ajoutée à l’entrée historique.
entrée urbaine qui donnerait un autre sens de parcours à la colline
130
entrée historique
• l’ordre souterrain, structure du chaos de surface
La projection de la trame des carrières _ elle-
même dessinée perpendiculairement à leur entrée
en cavage, donc perpendiculairement à la pente_ suggère une grille de composition pour les jardins.
En coupe, l’expérience du parcours du sous-sol en surface.
131
• définition de plateaux de références dans la scénograhie du parc
La
topographie
est
organisée
en
plateaux
principaux à différentes altimétries qui se différencieront par leur traitement paysager.
NGF 66
altimétrie
des anciennes installations industrielles
NGF 62
altimétrie
de la ligne ferroviaire
NGF 50
altimétrie du le
haut
niveau plus
des
carrières
NGF 85
altimétrie la maison de Rodin
132
IMAGES EMBLÉMATIQUES : UN TRICOT DE BRIBES
La compréhension de l’épaisseur se construit
progressivement par enchaînement de lectures variées du site, partielles et ambivalentes.
Elles trouvent une cohérence dans la somme des expériences qu’elles proposent.
Le parcours s’organise donc comme la scénographie
de grandes pièces paysagères successives. (voir page suivante)
Les pièces principales:
1. la porte et le parvis 2. le bois ferroviaire 3. le belvédère
4. la descente aux Enfers _ ou aux carrières 5. le champs d’empreintes industrielles 6. le parc de fabriques thermales
133
2.bois ferroviaire
5.champs
1.porte et parvis
d’empreintes industrielles
6.parc
de
fabriques thermales
4.descente
aux carrières
134
3.belvédère
135
1. la porte et le parvis Derrière le pont de brique, le parvis prend le rôle de seuil entre le parc et la ville. Épuré de sa végétation en friche, il devient une place minérale bordée de remparts et annonce les différentes pièces du parcours.
entrée des carrières
troncature d carrières
porte: percement des arches
136
des
137
2. le bois ferroviaire Cette
aire,
plus
champêtre,
transformations ponctuelles:
subit
deux
- l’érection de murs de soutenement en gabions
pour parer l’affaissement de la colline dans le sentier.
- l’engravement de sentiers dans la partie
plate au sommet de la butte, afin de pouvoir se
limiter à des végétations basses et préserver les vues sur le val, tout en donnant au promeneur
l’impression de traverser une zone boisée assez murs de soutènements en gabions
dense.
Du reste, la topographie et la flore sont conservées.
cheminement suivant la pente
138
chemins engravés (1m50) végétations basses
pente boisée d’arbres hauts
inchangée (frênes,hêtres)
139
Le jardin de Meudon avec une statue de bouddha au premier plan, Jean LIMET, 1910
140
L’actuelle skyline meudonnaise
3. Le belvédère Son enjeu? En rétablir les vues.
L’horizon
a
bien
changé depuis l’époque de Rodin,
mais
l’expéreince
reste la même que celle que
faisait le maître en sortant de son atelier: embrasser
le paysage de la vallée et des abords de Paris. Cela
pourra être rendu possible en éclaircissant simplement les arbres.
141
142
4. La descente aux Enfers _ ou aux carrières
Un forage permettant de traverser toutes les épaisseurs du sol depuis le belvédère jusqu’à la strate de craie des carrières et desservant
l’aire des objets émergents: il sert d’axe de circulation vertical. Les escaliers sont taillés dans la masse jusqu’au sommet du niveau de craie, puis deviennent une passerelle d’acier ajoutées en console.
143
carrière Arnaudet plan de l’existant
étage 1 NGF 50
emprise du puits de descente
étage 2 NGF 38
étage 3 NGF 32
144
Les galeries des carrières sont laissées en leur état actuel et deviennent part des cheminements permettant de connecter les plateaux. Pour
limiter
les
accidents
et
les
pertes
humaines dans les étages inférieurs, l’accès
est limité à l’étage le plus haut. Les tracés
orthogonaux de ce labyrinthe en font un espace
relativement sur, suffisamment grand pour croire pouvoir s’y perdre, mais trop systématique pour l’être réellement. En outre, la possibilité
d’emprunter des cheminements de surface permet
en cas de besoin d’en clore l’accès de nuit,
tout en maintenant la communication entre le plateau haut et le plateau bas.
Pour êtres mise en scène, les galeries seront éclairées de lumières rasantes, soulignant les aspérités des parois. Les sources lumineuses
seront placées dans une cunette au sol ou encore au ras des voûtes peignées.
145
hangard
entreprise réparation
M S N SO AI
céra
jardiniers
IN EM
H
C Le
TO
Le plateau
AU
BE
M
est actuellement
squatté,
certaines
des
cependant
activités
M
doivent être maintenues car elles
TS R
PA
font partie de la colline en tant que
structure à la fois physique sociologique 146
R FO ET
5. le champs d’empreintes industrielles
hangard
e de vélo
amiste
de l’activité de la colline de Rodin,
puisqu’elle était déjà peuplée à l’époque
d’artistes et artisans.
Ceux-ci habitaient le
quartier au sud-ouest de la maison du maître.
En revanche, certains locaux trop délabrés ne méritent pas
D
d’être conservés. À titre élémentaire, aucun ne se révèle assez
E
révélateur de l’image de la colline pour être remarquable parmi
R N
O
D
les autres et seul leur état de conservation ou leur positionnement
E
permettant de le faire fonctionner en réseau avec les autres en peut justifier la sauvegarde.
Dans tous les cas, une nouvelle mise en scène de leurs environs et la
réinterprétation de certaines traces conservées pour leur emblématisme morphologique _ comme c’est le cas de la cheminée_ devra être faite,
afin que la sensation de pénétrer par effraction l’intimité d’une petite communauté fasse place à une coexistence avec le public artisans puissent contribuer à l’atmosphère du parc. 147
et que les
De
même
tend
à
village
paysager
que
dans
industriel,
souligner
la
le
la
partie
du
traitement
topograhie
tantôt en engravant le sentier dans son épaisseur,
tantôt
en
en
148
faisant
un
repère
de
l’horizontale.
6. le parc de fabriques thermales
C e t t e
partie
jardin
percevoir
projet
par
sa
formes
pieds
le
pour
et
objets
présence du
seuil
en
149
à
qu’est
découvrir
le
souterrain
la
de
signalent
sous
marcheur.
composent
invitent
laisse
l’émergence qui
du
la
les
Ces
surface
traverser
l’épiderme
sousface.
1. Santuario della Fortuna Primigenia, -IIe siècle Palestrina, ITALIE
2. Restauration du Castelgrande de Bellinzona, SUISSE, 1989, Aurelio GALETTI
3. Cretto di Gibellina, Sicile, Alberto BURRI, 1984
4. Chapelle de la réconciliation, Berlin, ALLEMAGNE, 2000, Martin RAUCH
1
3
2
BOÎTE À DIAPOSITIVES 150
4
5
7
6
5. Site et musée archéologique de Maa, Mycènes, GRECE, 2019, Andrea BRUNO
6. Réhabilitation du Neues Museum, Berlin, ALLEMAGNE, 1993, David CHIPPERFIELD
151
7. Villa Adriana, Tivoli, ITALIE, IIe siècle
1.Walls as Rooms, dessins de Louis KAHN, 1973
2.Installation informelle dans les carrières de Meudon
1
3. L’invisibile, maquette, Renato RIZZI
2
3
8
7
9
6
6. Capella Rossa, Milan, ITALIE, Dan FLAVIN, 1996
7. Plafond du club SMOLNA, Varsovie, POLOGNE
152
4.façades monolithiques des temples d’Abou Simbel, EGYPTE, Nouvel Empire
5. Shift, Richard SERRA, 1970
10. accès aux ascenseurs du Castelgrande de Bellinzona, Aurelio GALETTI, 1989
4
11. Danteum, Giuseppe TERRAGNI, 1938
5
11 10
8. Gabions de l’Ortus Artis, Salerno, ITALIE, Paratelier, 2004
153
9. façade du Ningbo History Museum, Ningbo, CHINE, Wang SHU, 2008
1.Villa Rotonda, Vicenza, ITALIE, Andrea PALLADIO, 1566
2.Piscine du Spiegel Publishing House, Hamburg, ALLEMAGNE, Verner PANTON, 1969
3.Piscine du Spiegel Publishing House, Hamburg, ALLEMAGNE, Verner PANTON, 1969
1
2
6
5
5. National Assembly
Building of Bangladesh, Dhaka, BANGLADESH, Louis KAHN, 1961
6.To Lift, Richard SERRA, 1967
154
7
4.La ville de Tropea, ITALIE
5.The lumberyard, seattle cedar lumber manufacturing, Alfred EISENSTAEDT, 1939
3
4
9
10
8
7.Pozzo di San Patrice, Orvieto, ITALIE, Antonio DA SANGALLO, 1537
8.Bains de Dorrès, Pyrénée Orientales, FRANCE 9.Eau-forte, Eduardo CHILLIDA, 1973
155
10.Tombeau Brion, San Vito d’Altivole, ITALIE, Carlo SCARPA , 1978
IDENTIFICATION AUX REFERENTIELS : DRESSER LE DÉCOR POUR EXTRAPOLER UNE HISTOIRE
À la surface comme en sous-sol, la compréhension des
espaces
relève
de
la
perception
des
couleurs, matières, lumières, sons, dimensions,
formes, ou tout autre stimulation physique.
Cependant, une fois dans l’épaisseur du sol, isolé des références de temps et d’espace, ces
perceptions se font plus rares et conditionnées par les univers dessinés. L’opacité naturelle
du parcours n’offre à la vue qu’une seule pièce à la fois et elle constitue à ce moment là
l’intégralité du corpus de sensations que peut accumuler le sujet pour comprendre quelle place il occupe dans l’espace. Rien d’autre n’existe, le temps est arrêté.
Par ailleurs, le projet s’appuyant sur des
formes du sol pré-existantes que sont les voûtes peignées des carrières, une première échelle est déjà donnée à l’espace parcouru.
Les formes des carrières, préexistantes au
projet et sur lesquelles la composition de celuici s’appuie, donnent une première hypothèse
de l’échelle de l’espace. Or, comme on a pu
l’affirmer auparavant, celle-ci ne correspond pas à celle de l’usage de l’homme mais à celle
de l’exploitation du territoire. Ce dernier ne
peut donc plus se fier à l’idée qu’il se fait des objets [qu’il juge] connus.
En exploitant cette ambiguïté de dimensionnement entre ce qui lui est familier et ce qui ne
lui évoque rien, le jeu des volumes et des 156
L’Homme qui rétrécit, JACK ARNOLD, 1957
calepinages tend à faire dialoguer la cohérence plastique
d’une matière hors du temps, et la
fonction à la quelle ils sont censés répondre.
Apposant les épaisseurs et les échelles, la géométrie rigide de la logique humaine et l’irrégularité
du
territoire,
on
l’oblige
ainsi à décomposer ses expériences en éléments simples, à regarder, ressentir et recomposer
son rapport à l’environnement immédiat. Sans
préjugé, il doit faire confiance à ses sens, et à ce que lui apportera la salle suivante.
La succession des dimensions et des formes, tantôt à ciel ouvert, tantôt souterrains portent à une confusion du schéma usuel du dessus et
du dessous : tout le projet ne devient qu’une
surface tantôt convexe tantôt concave, des espaces dont l’éclairage tantôt naturel tantôt
artificiel et les variations dans le traitement
157
des parois marquent les seuils. Le projet fait
alors effectivement corps avec son site et évoque la permanence de celui-ci. succession de plans
paroi unique concave et convexe
Appartenance physique du projet au site. Et inversement
L’incorporation
physique
du
projet
à
son
contexte accentue encore l’importance de la
matérialité de ses espaces dans la perception qu’on a de leurs dimensions : la mise en œuvre des matériaux se fait sous-unité élémentaire
de leur mesure. Dans quelle mesure le sol
organique et l’architecture humaine peuvent ils contribuer l’un de l’autre ?
158
159
160
Combinaison de pièces et conversion d’échelles: coupe schématique de différents volumes perçus
lors du parcours souterrain. Le promeneur doit reconsidérer son envergure pour comprenre la taille de l’espace qu’il traverse.
161
DE LA MATIÈRE DU SOL AU DÉTAIL D’ARCHITECTURE
«C’est
la texture même du matériau
qui commande le thème et la forme qui doivent tous deux sortir de la matière et non lui être imposés de l’extérieur.»
Le
Constantin BRANCUSI
caractère d’immuabilité auquel on
associe le territoire est justifié par le temps
qui accompagne le processus de son modelage propre, au cours des cycles de sédimentation,
de son érosion, des glissements de terrain, de la formation et déformation de milieux. Sur cet épiderme en constante régénération prennent place les interventions humaines : déplacements de matière tout aussi importants, mais qui par
comparaison d’échelle temporelle, semblent des macro-événements. La combinaison de ces deux facteurs de transformation fait du territoire
un socle qui se modifie perpétuellement. De
fait, l’opposition usuellement faite entre les résultats des altérations naturelles et ceux
produits par l’activité humaine n’a pas de sens. Soit le territoire est un organisme dont la
matérialité physique et l’équilibre biologique
fait une entité relativement pérenne, et a un comportement autonome sur un temps long. 162
Cependant, l’Homme en fait également partie. En
vérité, le secret de l’apparente éternité du paysage formé par la nature est son observation
sur un temps court, humain. L’élément qui ne sera pas adapté au modèle formé à une période du
territoire donné ne lui survit pas : la sélection naturelle des espèces animales et végétales,
la disparition d’une portion de territoire
pour cause d’une instabilité de sa morphologie terrestre sont autant d’événements naturels qui
bouleversent les milieux irrévocablement. La nature est violente et évolue quotidiennement.
Livrée à elle-même, elle peut aussi détruire les paysages.
Fontainebleau un bois entretenu : les grand domaines « naturels » le sont rarement
163
Or, parce qu’elle porte un regard sur le
territoire, un point de vue sur une entité aléatoire, 1. SNOZZI Luigi, Leçons du Thoronet, 2009
l’intervention
humaine
porte
un
projet. Comme Luigi SNOZZI qui raconte appuyer
sa pratique sur la recherche de traces du site1, d’accroches à l’œil qui en font un lieu unique,
l’Homme donne un sens à son environnement à
travers le choix des matériau et le dessin des
formes, un langage architectural au paysage. Le
paysage est donc un projet commun et trancher
trop vite sur le point de savoir si le sol est support de l architecture ou architecture ellemême, conduit généralement à des projets qui bouleversent l’équilibre géologique et chimique des sols.
Concevoir un objet indépendamment de la nature de son support est équivalent à effectuer un
collage aveugle de deux structures que la proximité rendrait hermétiques :
Lorsqu’elles sont développées en parallèles et sans interaction, ces architectures se rêvant
autonomes et indépendantes _ « architectures » au sens qu’elles sont des systèmes mus par une cohérence d’ensemble_
se nuisent mutuellement
et accélèrent leurs processus de dégradation. 2. Sébastien MAROT, «Du palimpste à l’hyperville» préface à André CORBOZ, Le territoire comme palimpseste et autres essais, 2001
Puisqu’elles
concourent
en
réalité
à
la
formation d’une même œuvre, l’unique moyen de concevoir durablement, sera d’aller vers une « adaptation réciproque de deux systèmes
hétérogènes »2, c’est à dire de mettre sur un même plan les processus de métamorphose qui la régisse. Cette 164
hypothèse
m’a
conduite
à
considérer
la nature de la pierre qu’il abritait comme un élément propre à son identité, et ses
caractéristiques physiques et chimiques comme
des facteurs qui pourraient être directeurs du projet.
Cet objectif induit deux ambitions:
Le projet doit participer au maintient de l’équilibre presque « métabolique » du sol, que perturbe son implantation,
D’autre part, le projet doit tirer parti de la connaissance des processus biochimiques du
sol, c’est à dire, exploiter les dynamiques des
âges géologiques _ de la sédimentation à la
concrétion _ en les traduisant à l’échelle de temps de la création humaine.
LA STRATIFICATION D’ÉPAISSEURS COMME ÉLÉMENT DE
HÉTÉROGÈNES COMPOSITION
Le ruissellement des eaux La couche d’argile plastique protège les galeries forées dans la craie
des ruissellements des
eaux, ce qui participe à leur stabilité. De fait, percer cette nappe nous contraint à intégrer la recomposition de l’écoulement des eaux jusqu’à
la nappe phréatique (NGF 26). La pose de drains suivant la topographie et le tracés des jardins
permet de rétablir un équilibre hydrique du
sol en conduisant l’eau vers la citerne sous
les termes avant de rejoindre le niveau de la Seine.
165
voir coupe stratigraphique du site p.49. Chaque épaisseur participe à la structure du sol de par ses propriétés chimiques et plastiques
Drains: Le ruissellement des eaux accompagne le promeneur en surface jusqu’aux thermes. L’eau recueillie dans la gouttière du toit de la piscine sert également de repère des délimitations du jardin. Elle rejoint ensuite la citerne positionnée sous les thermes au troisième sous-sol des carrières. Le baigneur pourra la percevoir de nouveau depuis les dernières pièces du parcours thermal.
L’aération et l’hygrométrie Par ailleurs, le réseau de galeries agit lui1. analyse effectuée par Vincent MAURY en 2012
même comme un gigantesque drain naturel de la colline1. Il faudra donc permettre leur aérage
et la circulation de l’air en plusieurs points : ventiler naturellement pour ne pas assécher la roche. Ces nouveaux puits d’aérage contribuent
au jardin en en composant la surface et en signalant la présence du projet sous nos pieds. 166
Demeures troglodytes: aération mécaniqque naturelle, d’après Habitats creusés, Patrick BERTHOLON et Olivier HUET, 2005
Puits d’aération composant la surface
La
régulation
thermique
et
hygrométrique
fonctionne sur le même modèle que l’hypocauste romain. L’air chaud monte. Ainsi, les pièces les plus chaudes seront placées plus profondément
et chauffée par un système des murs chauffants en terre cuite enchâssés dans la craie, et chauffés par une pompe à chaleur située à l’étage inférieur des carrières.
167
Hypocauste: système de chauffage par le sol utilisé à l’époque romaine
Module préfabriqué de mur chauffant en terre: 1.3x0.4x1.7m ici mis en oeuvreà l’échelle de la maison et alimenté par le foyer. (maison ... Martin RAUCH ) Dans le cas du projet, les espaces techniques et la chaufferie se situent
du niveau intermédiaire des carrières. La citerne prend place au niveau inférieur.
168
LE SOL DE RODIN ENTRE LE MOULAGE
ET
LA
SCULPTURE
Soit, les matières présentes dans le site ne sont pas forcément celles que nous privilégions
de nos jours dans la construction de nouveaux édifices. Les maisons de tuf ont un charme certain mais
présentent
également
des
contraintes
physiques qui nous font désormais préférer des roches moins tendres, plus pratiques dans leur
mise en œuvre. Même s’ils ne constituent plus la majeure part de habitats, ils demeurent des espaces propres à l’usage de l’Homme. Il serait alors injuste de les exclure des
ressources potentielles sous prétexte qu’elles
ne répondent pas à des normes établies : ces roches tendres obligent à faire du cas par cas
dans la structure et s’assurer de nombreuses mesures de stabilité avant d’entreprendre des
travaux, mais elles constituent d’autre part un
patrimoine riche et exploitable. (voir annexe: rapport de stabilité des carrières)
Dans le cas de Meudon, la craie présente
l’avantage d’être déjà en place, et la résistance
au temps des carrières montre qu’à défaut d’être constructibles en surface, l’attention jusqu’ici portée au comportement physique du
matériau fait de lui une matière que nous pourrions reconsidérer comme habitable. Ainsi,
le choix de concevoir le projet comme étant la matière même du sol nous conduit à en limiter le
déplacement et à tenter d’utiliser directement ce support à sculpter ou à modeler.
169
Habitations dans une ancienne carrière de falun, Maine et Loire Source: Habitats creusés, BERTHOLON &HUET 2005
La craie : SCULPTER ET POLIR Le problème que pose l’utilisation de la craie est sa tendresse qui lui donne un comportement
mécanique comparable à celui du tuf. Composée presque en totalité de carbonate de calcium
_ selon sa pureté, on peut y retrouver de l’argile _ son grain est fin, elle est poreuse et perméable. Dans le cas de la carrière Arnaudet,
sa
parfaite
stabilité
tient
de
l’attention qu’ont mis les carriers dans la sculpture des voûtes plein cintre et de leur
peignage permettant un éventuel ruissellement
des eaux le long de ses parois, mais également
de la pureté de la craie _ d’où le choix de ce site pour l’extraction du blanc de Meudon _
et de la formation de nappes de silex noirs
par strates horizontales. La perméabilité de cette roche lui confère sa stabilité, de par sa propension à retenir l’eau, mais la rend 170
Les silex sont de tailles et de formes variables. Ils sont constitués de silice et leur formation est due à la précipitation d’un gel siliceux après le dépôt des coccolithes qui constituent la craie.
171
également sensible aux frottements et à la l’humidité de l’air. Dans le cadre du projet, il s’agit donc de protéger ses parois d’une
érosion trop brusque qu’une mise en étuve des intérieurs pourraient initier, sans pour autant
les recouvrir hermétiquement _ ce qui conduirait
à une condensation problématique _ ni changer l’équilibre hygrométrique des piliers.
Les caractéristiques chimiques de cette matière
nous permettent d’avancer une solution : sa propension à former des concrétions1. Celles
ci
se
forment
par
réaction
de
cristallisation, par dépôt de minéraux sur la superficie de la roche et lui donne un aspect lisse, résistant, imperméable sans pour autant empêcher le ruissellement des eaux.
Le marbre par exemple est l’état métamorphique 1. «Une
concrétion est l’épaississement par accumulation de matière, souvent en couches successives, autour d’un noyau ou sur une surface rocheuse, ou à partir d’un point d’écoulement d’eau, d’origine biochimique ou chimique.» Wikipédia, page «Concrétion»
de calcaires concrétionnés. Dans le cas de la craie, le produit est la calcite.
Naturellement, la cristallisation est issue d’un processus de refroidissement très lent,
qui permet à des cristaux très réguliers de se former par nappes sur la superficie du minéral. Mais il est possible d’accélérer ce processus
et de faire cristalliser artificiellement un minéral, en provoquant une réaction en chaîne.
Dans notre cas, il s’agira de faire réagir une
solution très chaude et sursaturée en carbonate
de calcite et provoquer artificiellement la formation du premier cristal. Pour cela, lors
de son refroidissement, sa sursaturation devra
être telle que le choc physique stimulé lance 172
En plusieurs endroits, la carrière démontre une forte propension à former des concrétions naturelles, ce qui m’a conduit à exploiter le phénomène : au regard de notre compétence à le comprendre et à le reproduire en laboratoire, ne pourrions nous pas réunir les conditions nécessaires pour le réaliser à échelle de temps humaine ?
173
une réaction brutale en chaîne aboutissant à sa solidification générale. Les cristaux formés sont alors plus petit et plus irrégulier, mais
permettent de protéger les parois des agressions extérieures.
Il est à remarquer que dans ces conditions,
l’aspect final des parois du projet sera soumis
à la formation du relief aléatoire de ces cristaux. Cristaux de calcite
La cristallisation est un protocole utilisé à petite échelle dans l’entretien des dallages en pierre naturelle, notamment les marbres. On vaporise m² par m² une solution cristallisante qui réagit avec la surface du minéral. La réaction en chaine est ensuite déclenchée mécaniquement par un poncage de la surface à l’aide d’une brosse rotative .
174
Principe de cristallisation en milieu naturel, aboutissant à la formation de stalactites et stalagmites dans les cavités de la roche
http://www2. ggl.ulaval.ca/ personnel/bourque/ s2/orig.mineraux. html
Lors de cette expérience, c’est la première couche du minéral en contact avec la solution qui réagit et se durcit. Avec le temps et la persistance de ce phénomène, ce processus aboutit en milieu naturel à la formation d’une couche de plus en plus épaisse
175
Cristallisation artificielle dans un bécher
Pamukkale est un site en Turquie formé par des sources d’eau chaudes saturées en sels minéraux et en dioxyde de carbone affleurant dans une tufière. Le carbonate de calcium précipite au contact du gaz contenu dans l’eau, le précipité se dépose sur les flancs de la colline et se solidifie lors de l’évaporation de l’eau. En variant les paramètre de l’équation _la chaleur et la saturation de la solution _ le rendement est variable. Dans le cas de Pamukkale, on estime que chaque litre d’eau délivre 0.5g de carbonate de calcium. L’épaisseur atteinte après des milliers d’année en fait un site à grande renommée touristique.
176
La terre: MOULER Autrefois exploité pour son argile, le site offre une matière première propre à la fabrication de
matériaux complémentaires. Dans le projet, la terre sera utilisée cuite sous forme de briques
dans les cas où elle sera mise en œuvre dans
des zones humides, et sous forme de pisé dans
le cas des émergences du jardin et des façades.
Pisé: mise en
oeuvre de la terre crue en banches , Martin RAUCH: Rammed Earth,
177
Le choix de ce matériau tient non seulement de l’opportunité de déplacements de matières limités
mais
également
de
l’effet
de
sédimentation artificielle qu’il offre. Outre son aspect stratifié dû à sa mise en œuvre,
178
l’épaisseur des parois montées fait d’elles des objets tridimensionnels. Par sa massivité et sa sensibilité à son environnement immédiat,
il fait écho à la craie sculptée en tant que modelage de l’épiderme.
179
Mur en terre crue à l’hôpital public de Feldkirch, ALLEMAGNE, Martin RAUCH, 1993
180
UNE
FORME
POUR
181
LA
VILLE
« So I leave you with the thought that
buildings may be less solid than they seem, existing invisibly in the mind of the architect
before they are born ; remembered invisibly down the ages in the memory of generations. »1
1. YATES France lors d’un conférence à Londres, «Architecture and the Art of Memory», AA Quaterly vol.12, n°4, 1980
182
Frances YATES
L’INUTILE EXISTENCE DE L’ABACULE ISOLÉ
L’offre :
120 jours, le chantier : 2 ans,
un mandat municipal : 6 ans, la responsabilité
décennale : 10 ans, l’usage du bâtiment : 40 ans, la persistance des matériaux : 100 ans, la ville : millénaire, son sol : million d’année.
Si la ville était hier un phénomène naturel, elle s’apparente de nous jours à une construction de
plus en plus artificielle, de par ce qu’elle
adhère de moins en moins à la réalité de son environnement. En l’absence de dialogue d’échelles
de
temps
et
d’espace
avec
son
contexte proche et lointain, elle perd toujours plus en cohérence d’ensemble, en intégrité,
et devient une superposition imperméable de temporalités et de formes. Pour
pouvoir
comprendre
comment
celles-ci
s’articulent _ ou plutôt devraient s’articuler
_ , il nous sera alors nécessaire d’en faire le compte. Ainsi, la durée de la ville devrait prendre place entre la durée du territoire, dont
elle est un composant, et celle des édifices,
qui en sont les composants. Ces constructions conditionnées à l’échelle humaine sont nos
seuls outils d’action sur le milieu, et, dans la mesure qu’ils influent par réaction en chaîne sur le territoire à long terme et à longue échelle,
doivent
être
également
considérés
comme un moyen qui pourra nous permettre de renouer un dialogue entre ces échelles.
183
La durée d’un fait urbain reste un laps de
temps relativement flou de parce qu’il dépend de ce qu’il représente aux yeux de la société, et,
pour le décomposer en éléments simples, nous pourrons distinguer la durée de sa fonction, temps d’application de l’usage pour lequel il a été construit , de celle de ses matériaux, temps de persistance de sa matière, de celle de sa forme.
La forme prise par la ville. Là semble être
l’intrigue de notre époque. Si les exemples de formes persistantes sont innombrables aux
époques antérieures et montrent qu’un édifice ci-contre: Recherche d’architectures nomades. Un stade portatif en structure modulaire pouvant être monté et démonté en des configurations différentes suivant le type et le lieu de l’évènement. Ce schéma donne l’exemple de son insertion urbaine sur la place du Duomo de Milan. Projet de diplôme de Riccardo Gialloreto, au Politecnico di Milano, 2019
peut conserver un rôle majeur dans l’espace urbain au delà de la pérennité de sa fonction, elles sont ce qui nous fait défaut aujourd’hui.
Il paraît, par ailleurs, évident que la durée de vie des matériaux, toujours plus performants,
ne puisse pas être la cause de la vitesse d’obsolescence
des
architectures
produites
aujourd’hui. Ainsi, la rapidité à laquelle apparaissent
et
disparaissent
les
édifices
dans la ville pourraient être le symptôme
d’une époque qui ne parvient pas à exprimer et enraciner un état qu’elle juge représentatif de la société.
184
PRÉSERVATION DE L’ESPACE OU DISLOCATION DE LA VILLE ?
Cela
tient sans doute de la tendance
à considérer que la société évolue désormais trop vite pour qu’un enracinement se justifie,
et que la somme des surfaces de sol disponibles nécessite qu’on les économise. Pourtant nos générations ne font pas exception à la règle
et éprouvent, comme leurs prédécesseurs, le
besoin de se retrouver dans des espaces de
relations reconnaissables et générateurs d’une
forme et d’un temps de la ville. Face à ces contraintes sociétale et spatiale, le réflexe est double. D’une part, nous assistons au développement
d’architectures
éphémères,
en
structures légères, et qui prennent place dans les interstices du tissu urbain pour une durée
déterminée et ne laisse pas de trace une fois déménagée.
185
D’autre part, l’essor d’une vague d’architectures
qu’on pourrait de qualifier de « consommables», en ce qu’elles ne durent que le temps de leur
fonction. Elles sont par la suite détruites
et l’emprise qu’elles occupaient auparavant, réutilisée à des fins similaires.
Ces deux tendances ont comme point commun de considérer le sol comme un support et de proposer des projets qui soient interchangeables
en tout lieu, puisqu’ils ne sont conçus pour aucun
en
particulier.
Ils
partagent
ainsi
la caractéristique d’être des architectures
sans ancrage, qui tentent de faire croire que leur influence dans la ville est ponctuelle
et réversible tant qu’elles considèrent le territoire comme un échiquier réutilisable à l’infini.
Or, comme rappelle Jacques ROUXEL, « tout
avantage a des inconvénients ». Dans le cas
des architectures éphémères, c’est qu’elles ne
créent effectivement pas de formes urbaines et ne contribuent donc pas à la ville en tant que
processus. Dans le cas des chantiers, s’ajoute à cette tare la stérilisation définitive du site investi, dès lors que les traces des époques passées conservées dans son épaisseur auront
été détruites au profit d’un terrain plat moins contraignant.
186
Meudon hiver 2019: sur un nouveau terrassement peu discret, des logements collectifs cherchent à se fondre dans la masse des maisons de la pente en misant sur l’utilisation de briques claires.
187
LA FONDATION N’EST PAS UN OBSTACLE À L’ÉVOLUTION
Mais,
analyser l’ancrage, la fondation
physique des projets comme une contrainte dans le renouvellement de la ville n’est-il pas justement un contresens ? Il
est
de
plus
naïf
d’imaginer
qu’une
réversibilité du temps et de l’histoire du milieu puisse exister à la condition de ne pas
laisser de trace physique perceptible dans le territoire. Il faut pourtant comprendre que de la même manière que le reste du territoire, la
ville est soumise au temps, et croire que la fondation du projet dans la réalité d’un sol
ou d’un contexte spécifique est un obstacle à la création à longue échelle n’est pas justifié.
Qu’on propose un dessein pour la ville ou non,
on ne reviendra en tous cas jamais à un état antérieur du milieu considéré, et temporiser le projet n’est qu’un moyen de rallonger ce
temps perdu pour l’aire considérée. L’espace
mérite d’être caractérisé durablement, et une ville à laquelle il manque les souvenirs d’une
génération entière aura finalement beaucoup plus de mal à se reformuler à l’avenir que celle qui a le choix des traces à faire perdurer ou non.
En outre, affirmer ne pas avoir vocation à durer
dans le paysage libère le concepteur de la lourde responsabilité d’un choix quant à la mise en relation du projet avec le grand paysage 188
et c’est l’accumulation de constructions peu
soucieuses d’un éventuel dialogue avec leur
Sand Box Monument, Robert SMITHSON 1967 L’artiste utilise l’image du bac à sable pour exprimer l’impossible retour en arrière: si courir dans le sable le mélange, courir dans le sens contraire ne le fait pas revenir à un ordre antérieur.
environnement qui nous conduit à une perte de logique interne à la ville.
Les projets deviennent des prothèses urbaines,
souvent l’occasion pour les architectes de
laisser un nom plutôt qu’un lieu, et qui ne formeront jamais un support capable de suggérer
une hypothèse pour les évolutions de la ville à venir. Sans entrer dans une composition d’ensemble les architectures sont des éléments
isolés difficiles à appréhender et ne produisent pas de lieux . Ce
qui
nous
« patrimoine
intéresse
urbain »
en _
Gustavo GIOVANNONI dès 1931 l’ensemble globale,
formé
par
compréhensible
le
en
effet,
1
c’est
comme
le
l’appelle
_ c’est à dire
tissu
tant
de
manière
qu’entité.
189
1. GIOVANNONI
Gustavo, L’urbanisme face aux villes anciennes, 1931
L’œuvre humaine réside dans la composition à l’échelle d’un quartier ou d’une ville entière,
autonome et indivisible de par les relations qu’elle établit, et non pas dans l’addition
de monuments indépendants. Ceux-ci en sont
de simples composants et n’ont pas d’intérêt lorsqu’ils sont
considérés isolément.
Afin de rendre un sens à notre lieu de vie, il est donc urgent de renouer des relations entre les échelles de territoire. À
quelles
conditions
parviendrons
nous
à
produire des formes et des espaces qui pourront réconcilier ces différentes temporalité ?
L’inscription que porte la peau de Chagrin que possède Raphaël de Valentin, dans le roman éponyme de BALZAC
190
LA
PEAU
DE
CHAGRIN
Concevoir à longue durée. Si on a un jour
cru pouvoir dominer le territoire en matière de
temporalité par nos connaissances techniques, il est maintenant largement établi qu’imaginer
bâtir pour une échelle de temps dépassant le millénaire utopique.
relève
d’un
orgueil
totalement
La perte du lien avec la nature de
notre sol est due en grande partie à la volonté
de dominer les ressources dans une société organisée autour d’un modèle économique néo-
classique. Celle-ci fonctionne sur le postulat que le capital naturel que nous détruisons peut être remplacé par un capital reproductif
produit par nos activités économiques. Or c’est faux : les limites physiques du sol et les
biodiversités sont des seuils avérés, alors
que le système économique est une invention humaine pour quantifier ses productions. Avant même d’être un contributeur de ce schéma,
l’Homme est donc part d’un écosystème et pour cette raison ne peut s’y soustraire. Tenter de
soumettre cet équilibre physique est donc une erreur.
Sortir d’un schéma de domination du territoire
ne signifie cependant pas s’y assujettir, et
ne remet pas en cause l’importance du rôle de l’Homme dans le modelage de son milieu.
L’Homme, qui a par nature accès à une culture de savoir-faire et à un monde d’abstraction lui
permettant de concevoir des projets marquant l’espace, reste le catalyseur du territoire.
191
1 Otto KAPFINGER préfaçant Rammed Earth, monographie de Martin RAUCH, 2015
« Le processus de civilisation consiste en la
transformation de la terre en la modelant au service de l’Homme »
1
Il ne s’agit donc surtout pas de plaider en faveur d’une régression technique. Au contraire
le panel désormais très étendu des outils et des
connaissances dont nous disposons nous offre le moyen d’appréhender la réalité de ce qui nous entoure de manière extrêmement précise et est une aide majeure pour pouvoir analyser comment
le raconter et le valoriser. «Le propre de
l’Homme est d’entretenir une relation au monde à travers le medium des techniques, mais celles-
ci doivent rester des médiations.», rappelle
Dominique BOURG, philosophe et professeur à l’université de Lausanne. Dans ces conditions,
le rapport matériel que nous entretenons au monde n’exclue pas qu’il trouve un équilibre.
192
JUSTIFIE
Ce
lui-même.
LA FIN LES MOYENS ?
qui compte donc, c’est le projet
Alors que « le lieu contribue à déterminer le
caractère et la signification de l’architecture
qui y est ou sera édifiée », « l’objet construit capture
en
sa
forme
physique
les
idées
architectoniques élaborées par l’architecte. »2
2 Rafael MONEO, L’altra modernità, 2012
La stabilité d’une forme dans le paysage vient
donc de l’écoute sincère qu’on y consacre autant que sur le développement du regard qu’on porte sur lui. Pour être durable, elle doit
être conçue dans un souci d’interaction avec son site à petite et grande échelle.
« Au départ, mes intentions sont toutes tournées
vers le site, le climat, l’équilibre de la matière, et je ne me laisserai pas entraîner par la forme pour elle-même. […] mais je sais
bien en définitive que je veux que ma forme
soit belle. Je veux qu’elle soit belle par la cohérence et l’équilibre. […] j’éprouve le
besoin de ressentir les cohérences, la relation des éléments entre eux. Je corrige ma recherche
d’objectivité avec mon œil. » avoue André RAVEREAU 3. Il faut bien reconnaître en effet que créer des interactions entre l’homme et le
site tient aussi de l’émotion qu’il a quand il s’y confronte, ce que l’architecte a le devoir de lui montrer.
L’architecture dépend au final toujours d’une 193
3 André RAVÉREAU,
Le sens & l’équilibre: chapiteaux du monde méditerranéen 2003
vision artistique qui dépasse la simple forme technique, et est capable de dégager une émotion
plastique dans sa composition. Ainsi identifiée comme un référentiel important, évoquant une idée de la mémoire du lieu, elle pourra générer des tensions et des relations entre les espaces de la ville.
La durée de l’architecture tient de sa capacité à représenter une société. Les pyramides sont devenues le paysage, la mosquée Ste Sophie à Constantinople a résisté à de nombreux changements de cultes successifs : l’évidence de leur importance s’est imposée aux Hommes. L’émotion archiecturale donne ainsi la possibilité au lieu d’être réemployé.
194
CE QU’IL TERRE A
Pour
FAUT DE L’HOMME
conclure, il nous serait salutaire
d’accepter l’idée que chaque création humaine
appartienne à un contexte plus vaste. La sphère
spatiale et temporelle de celui-ci est en premier lieu à l’échelle de l’humanité _ dans le cadre
du périmètre urbain que nous modelons en vue de l’habiter_
ensuite, et à plus forte raison
encore, à l’échelle géographique. Prendre cette distance de recul pour observer les événements
qui bouleversent la morphologie de la ville _ et que nous percevons communément à l’échelle de temps de notre rapport personnel à l’espace
_ nous est indispensable pour reconstruire un rapport plus direct avec ces environnements.
Caricature du préfet de la Seine.
195
Très critiqué, aussi bien de son temps que de manière posthume, pour ses travaux qui rasent une partie de la ville, le « Paris d’Haussmann » fait pourtant partie du patrimoine urbain typique parisien à peine 160 ans plus tard.
Assimiler
l’évolution
des
formes
urbaines
moderne à des occurrences non pas uniques et
inédites, mais des phénomènes réguliers et
nécessaires au renouvellement de la ville nous place dans une conception du temps cyclique : être durable n’est pas être imperméable au
temps, c’est accepter de se soumettre à cette contrainte inéluctable et en faire un élément du projet.
À l’appui de ces remarques, il m’est donc apparu que proposer une forme urbaine durable
tenait moins de sa durée que de sa durabilité. Alors que la durée évoque un temps d’autonomie
propre à un système avant dislocation, la durabilité désigne sa viabilité à long terme.
Il ne s’agit donc pas proposer un projet en
l’imaginant absolu et inaltérable, mais d’offrir la possibilité de réintégrer continuellement
son espace à celui du paysage. Conçu au présent
d’une époque et proposant un récit sélectif des formes antérieures stratifiées, il pourra à l’avenir voir sa modernité réaffirmée à travers
l’érosion de sa forme et de son aspect, contrôlée
à travers sa restauration et sa maintenance, ou dans le cas contraire être le support à la
fondation d’un nouveau projet, une grille à
réinterpréter à partir de laquelle proposer une
hypothèse pour des futurs possibles. En somme proposer un socle en 4 dimensions.
196
Georges DESCOMBES, Renaturation de l’Aire, GENEVE. L’homme dessine des géométries, la nature se les approrie. L’érosion fait partie du projet
évolution du lit
du fleuve depuis l’état initial,
puis après le
chantier
197
LIVRES AUGÉ Marc, Le temps en ruines, 2003
MARIAGE Thierry, L’univers de
BENEVOLO Leonardo, La cattura
l’aménagement du territoire,
dell’infinito, 1991
I segni dell’uomo sulla Terra, 1999 BERTHOLON Patrick et HUET Olivier, Habitats creusés, 2005
Le Nôtre ou les origines de 1990
MAROT Sébastien, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, 2010
CHOAY Françoise, L’allégorie du
MONEO Rafael, L’altra modernità,
CLÉMENT Gilles, Le jardin en
MOSSER Monique et NYS Philippe,
Patrimoine, 1992
mouvement, 1991
CORBOZ André, Le territoire comme
2012
Le jardin comme art et lieu de mémoire, 1995
palimpseste et autres essais, 2001
NICOLETTI Manfredi,
DERUAU. M, Précis de
1980
géomorphologie, 7e edition 1988 GIOVANNONI Gustavo, L’urbanisme
face aux villes anciennes, 1931 GREGOTTI Vittorio, Le territoire de l’architecture, 1982
KAPFINGER Otto, Martin Rauch:
Refined Earth: Construction & Design with Rammed Earth, 2015
KOOLHAAS Rem, Junkspace, 2010 LOUBES Jean-Paul, Archi-Troglo, 1984
198
L’architettura delle caverne,
PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière, 2017
PERRAULT Dominique, Groundscape et autres topographies, 2016 RAVÉREAU André, Le sens &
l’équilibre: chapiteaux du monde méditerranéen, 2003
ROSSI Aldo, L’architecture de la ville, 1966
SNOZZI Luigi, Leçons du
Thoronet, le Mur Oublié, 2009
B I B L I O G R A P H I E TIBERGHIEN Gilles, Land Art, 1993
YATES Frances, L’Art de la mémoire, 1966
ARTICLES ET REVUES
AUTRES
Bulletins du Comité de
ROHMER Éric, Les métamorphoses
Sauvegarde des sites de Meudon sites de l’INRAP et de
du paysage: l’ère industrielle, 1964, film documentaire
l’UNESCO
PASOLINI Pier Paolo, La
Ar’site
documentaire, 15’
forma della città, 1974, film
https://www.pierres-info.fr/
proteger_la_pierre/index.html DEBORD Guy, Internationale
situationniste n°1, juin 1958 GOEPP Aurélien, Les carrières
comme site de projet, mémoire de Master, 2015
199
200
A
N
N
E
X
E
S
RECHERCHES AUTOUR DU PROJET ET ESQUISSES
201
Extrait du rapport de stabilité des carrières effectué par Vincent MAURY en 2013
Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389 (CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)
21
8. Conclusion générale L'examen des ouvrages souterrains situés sous les parcelles citées montre des ouvrages ne présentant aucun risque raisonnablement justifiable ni de péril imminent dans leurs conditions actuelles de chargement. Il n'a pu être constaté aucune trace de sinistre ancien ou récent dans les zones soumises aux arrêtés de péril concernées par notre mission. Ces ouvrages ne nécessitent aucuns travaux pour répondre aux soucis particuliers exprimés dans les arrêtés de péril concernant : (a) le comportement des diaclases karstiques, (b) d'éventuels problèmes liés à un défaut de superposition des piliers, (c) le comportement de la zone ennoyée. Nous attirons l'attention sur la circonspection à garder devant des résultats de méthodes et calculs théoriques basés sur des hypothèses non satisfaites sur les secteurs des Carrières Arnaudet que nous avons examinées (sur le comportement de la craie notamment, la géométrie des excavations ou le chargement). Ils sont manifestement démentis dans les zones que nous avons examinées. Les hypothèses sur le comportement de la craie, sur la géométrie des excavations et le mode de creusement notamment doivent être revues pour avoir des calculs représentatifs. Les Carrières Arnaudet offrent des conditions d'observation scientifique remarquablement sûres, sur des échelles d'espace et de temps dont la Mécanique des Roches ne dispose qu'exceptionnellement. Elles constituent donc le banc de test idéal accessible in situ de la valeur prédictive des méthodes théoriques.
V. Maury, le 29 Mai 2013 _________________________
(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)
Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389
10. Annexe II Trajets suivis et position des stations d'observations
23
202
(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)
Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389
24
(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)
Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389
25
203
204
«Remercions
Archimède,
tout le monde flotte de la même manière.»
Voilà ce que je me disais tandis
que
je
laissais
corps,
annulant
l’eau me libérer du poids de
mon
ainsi la dernière preuve que
j’eus
d’en
être
l’unique maître.
Au contraire d’une gênante déambulation de
des
bain,
en
la
slip
ventouse
«Arena»
lunettes
astucieusement collée au globe oculaire comme je l’avais
craint
l’après-midi
d’abord,
passé
aux
Bains de Brillants avait été
l’expérience
propre en
de
ma
décomposition
éléments
simples.
La traversée de l’épiderme,
un passage du Styx vers
une descente aux Enfers, m’avait conduit dans un monde abyssal parallèle.
Je me souvenais pourtant quelques minutes auparavant avoir
parcouru
la
même
ville que d’habitude, mais elle très
semblait
éloignée
désormais dans
le
temps et dans l’espace.
205
Comme un enfant, je me
sentais gonfler un orgueil d’aventurier les
explorant
possibilités
d’un
territoire de proximité.
L’extraction du monde et la
découverte
d’univers
dessinés
autonomes
transforme chacun en une créature
sub-urbaine.
D’espaces piranésiens en cellules monastiques, du blanc éclatant à la terre ocre, d’espaces construits
opposés à la matière crue érodée, de
dans
la
tableaux cette
faisait
mes
206
caverne
me
cesse
l’envergure
extrémités
l’insignifiance existence.
contenus
sans
reconsidérer de
succession
de
et
mon
Contraint parcours toutes
pendant
à
les
ce
réévaluer
situations
à sa mesure, mon corps
était réduit à être une
matière en mouvement dans ces espaces et en donner l’échelle.
Me découvant à ce titre
une nature si proche des
statues de Rodin, je me
laissais imaginer que les moulages exposés quelques mètre tête
au-dessus
étaient
de
peut
ma
etre
simplement des baigneurs
arrivés au terme de ce voyage dans les sous-sols.
esquisse rapide à thème «désirs _ raconter l’histoire du projet» organisée à l’atelier _ octobre 2019
207
208
209
210
REMERCIEMENTS Pour tout ce que chacun m’a
apporté aussi bien comme matière comme
à
réflexion
soutien,
et
que
qu’il
serait trop long d’exposer ici à
sans
être
même
parvenir
exhaustif,
je
TISSERAND
et
remercie
mes
Adrien
DURRMEYER.
Pierre
professeurs
Léo
LEGENDRE et Blaise EKODO.
Sabine MOSCATI et Philippe MAILLOLS. Michel
docteur Le
Le
RIOTTOT
professeur
Vincent
docteur
et
Aurore
le
MAURY.
GUY-
RUBIN. Sirkob et Christian. Quentin
Riccardo Les
WACKENHEIM
habitués
saisons
2018
et
GIALLORETTO. du et
Kalbo 2019.
Chloé, Manon et Clémence. Ma famille. Et Cristiano.
211