Les pierres de Rodin

Page 1

LES

PIERRES

DE

RODIN

DÉNUDER LA MATIÈRE DU SOCLE

RAPPORT DE PFE _ FÉVRIER 2019 sous la direction de pierre tisserand et adrien durrmeyer DE 4 : FAIRE École Nationale S u p é r i e u r e d’Architecture Paris - Val de Seine

madeleine de bellaing



LES

PIERRES

DE

RODIN

DÉNUDER LA MATIÈRE DU SOCLE

RAPPORT DE PFE _ FÉVRIER 2019 sous la direction de pierre tisserand et adrien durrmeyer DE 4 : FAIRE École Nationale S u p é r i e u r e d’Architecture Paris - Val de Seine

madeleine de bellaing




I _ L’ACROPOLE ET LA FOURMILIÈRE

9

la carte et le territoire

14

l’épaisseur de la surface

20

la possibilité d’une ville

36

une histoire paléo-industrielle

42

II _ LE TEMPS DU TERRITOIRE ET LE TEMPS DU PROMOTEUR

53

après l’été 2019

54

du processus évolutif de la ville à une architecture de l’évènement

61

la matière de la forme

66

III _ L’INVENTION D’UNE PRÉ-HISTOIRE

75

à la recherche des temps perdus: une exhumation de l’identité du lieu l’appropriation de l’espace et la mémoire des hommes

77

un passé sans les hommes

79

creuser en quête d’une origine

82

s’inscrire dans le paysage par des formes fondamentales

86

du côté des brillants: quelle est notre préhistoire?

95

la carrière: de la ressource au projet de territoire

99


111

IV _ SCULPTURE PSYCHOGÉOGRAPHIQUE ET PLASTIQUE MINÉRALE

113

la friche industrielle face à la ville

117

cahier de charges du projet

123

de la friche allusive à l’enclos de mémoire

130

lignes directrices un projet topographique

133

images emblématiques un tricot de bribes

156

identification aux référentiels dresser un décor pour raconter une histoire

162

de la matière du sol au détail d’architecture la stratification d’épaisseurs hétérogènes comme élément de composition

165

le sol de Rodin : entre le moulage et la sculpture

169

181

V

_

UNE

FORME

POUR

LA

VILLE

183

l’inutile existence de l’abacule isolé

185

préservation de l’espace ou dislocation de la ville ?

188

la fondation n’est pas un obstacle à l’évolution

191

la peau de Chagrin

193

la fin justifie les moyens ?

195

ce qu’il faut de terre à l’Homme

199

B

I

B

L

201

ANNEXES

I

O

G

R

A

P

H

I

E


8


L’ACROPOLE ET LA FOURMILIÈRE

9


Acropole : «L’acropole d'Athènes est un plateau rocheux calcaire s'élevant au centre de la ville

d'Athènes à laquelle elle a longtemps servi de citadelle, de l'Athènes antique à l'occupation 1. Wikipédia, «Acropole»

ottomane, ainsi que de sanctuaire religieux durant l'Antiquité.»

10

1


La

colline des Brillants a un nom

qui laisse imaginer un monde onirique et merveilleux. Et comme le découvris plus tard, c'est effectivement le cas.

La première fois que ce site attira mon attention fut lors d’une simple initiative de promenade familiale dans ma banlieue ouest-parisienne.

Promenade au cours de laquelle nous réussîmes à nous perdre dans un dédale de culs-de-sac

contenus dans un rayon de 200m autour de la maison de Rodin, sur les hauteurs de Meudon.

Celle-ci, qui avait été invisible pendant tout le trajet traversant les opérations immobilières

du bord de Seine des plus épaisses, se révéla

subitement, comme marquant le début d'un nouveau paysage.

Issy-lesMoulineaux, bord de Seine

11


fig.2 arrivée sur le plateau haut de Meudon

Perchée sur le plateau haut de la ville avec sa vue imprenable sur le val de Seine, la colline de Rodin est la figure de

proue d’un quartier

semé de maisons en meulière.

Le surprenant décalage entre ces deux paysages _ l'un récent, très urbain, fourmillant et à

la massivité impersonnelle, l'autre marquant le début d'un domaine peu dense aux grandes

emprises forestières _ semblait vouloir nous

faire croire avoir parcouru en quelques minutes un siècle et cent kilomètres. Mais

précisément,

mètres,

impossible

ce

de

parcours s'en

de

quelques

rappeler :

la

manière dont nous nous étions extraits de la ville dense était un mystère. Cette transition

opaque, je dus me forcer à l'observer lors de mes explorations successives afin de comprendre

pourquoi malgré mon habitude du site, ce lieu demeurait flou. 12


200 m

MEUDON, colline des Brillants, secteur Arnaudet 13


LA CARTE ET LE TERRITOIRE La

colline

des

Brillants

se

situe

dans le Val d’Arthelon, à Meudon, à la limite

d’Issy-les-Moulineaux et de Clamart. La ville

s’y déploie sur deux hauteurs. Et le site est juste à la pliure.

Une première zone longe la Seine à la cote 30

NGF. C'est un paysage majoritairement constitué

d'habitats collectifs récents, ayant peu à peu remplacé le bâti ancien au gré des remembrements

et est raccordé à Paris par la ligne RER C. La seconde se situe 65 mètres au dessus. Le tissu est celui resté celui d'antan, entre

hameaux et industries, de parcelles en longueur perpendiculaires à la pente et de maisons avec jardins. Ma première approche a été d’observer comment se faisait la transition de l'une à l'autre.

Le site a toutes les caractéristiques d'une porte d'entrée dans colline des Brillants :

D'une part, augmenté du jardin du domaine de Rodin qui lui est accolé, il est une première

annonce des entités urbaines plus aérées que celles du bas d'Issy et de Boulogne-Billancourt, notamment parce qu'il représente la première aire boisée avant la forêt de Meudon.

D'autre part, il se trouve à l'emplacement

stratégique permettant de relier le plateau bas

et le plateau haut de la ville, offrant des vues spectaculaires sur le val de Seine et Paris.

La topographie est un seuil entre les deux entités paysagères mais son traitement accentue 14


la fragmentation du territoire.

En effet, la ligne du RER parallèle à la rupture de pente qui s'opère à ce même endroit a conduit les

politiques

hasardeux.

urbaines

Ainsi,

le

à

site

des

traitements

s'inclue

à

une

ceinture de grandes emprises peu perméables

cachées derrière une rangée d'immeubles de 15 mètres de haut, formant ainsi une enceinte.

Les insertions perpendiculaires qui permettent de pénétrer cette enceinte sont au nombre de

trois : la rue du docteur Arnaudet, le chemin de St-Cloud et celui des Montquartiers.

Le site en friche, limité par la rue Arnaudet au

sud et traversé par le chemin de Saint-Cloud, est donc doublement le seuil de cette transition, pour le moment ni nette ni progressive.

Pour

comprendre les mécanismes qui justifient cet oubli ou cet abandon, je dû me confronter à

la matière physique de cette zone grise, dont l'observation en plan ne suffisait pas à éclairer le sens.

page suivante: Une morphologie urbaine résultante de 5 éléments essentiels LA TOPOGRAPHIE Du fait de sa topographie, la ville s’est construite par hameaux, parallèlement à la pente, longeant la Seine LE TISSU VIAIRE Cela se ressent particulièrement dans le dessin du tissu viaire, qui ne contribue pas à la mise en relation des différents quartiers (voies sinueuses au dénivelé trop important, impasses nombreuses) LE RÉSEAU D’INFRASTRUCTURE La ville est traversée par un réseau d’infrastructures qui accentue ses formes sans véritablement la desservir LE TISSU PARCELLAIRE Dans les interstices de ces formes on trouve un tissu parcellaire ancien aux ambiances variées (hameaux et industries) LES MUTATIONS ET GRANDES EMPRISES Celui-ci a tendance à disparaître face à la volonté de la ville de densifier l’habitat collectif qui nécessitent un terrassement des sols. Émergent alors de nouvelles grandes emprises, on assiste au démontage des friches et l’éradication du bâti ancien au profit de ZAC) LE SOUS-SOL La topographie du val d’Arthelon cache une autre ressource qui limite cette entreprise : la présence de carrières dans son sol.

15


1. TOPOGRAPHIE

4. TISSU PARCELLAIRE

2. TISSU VIAIRE

5. MUTATIONS ET GRANDES EMPRISES


3. RÉSEAU D’INFRASTRUCTURES

6. SOUS-SOLS


« une ceinture de grandes emprises peu perméables »

secteur Arnaudet

résidence des Montquartiers

Île Saint Germain

Île Seguin

maison de Rodin

18


Hôpital Percy

les Epinettes

ligne RER

cimetière d’Issy

ligne SNCF

19

fort d’Issy


entrée du chemin des Montquartiers

entrée du chemin de Saint Cloud

L’ÉPAISSEUR DE LA SURFACE 20


NGF 50

entrée de la rue du docteur Arnaudet

21

axonométrie du site en l’état actuel


Les

chemins

traversent

l’emprise

observée mais ne la desservent pas. Aussi,

pour en prendre la mesure, deux parcours indépendants

sont

envisageables :

par

l'intérieur, en s'aventurant sur le plateau embroussaillé ou en faisant le tour par l'extérieur.

DESSUS : morphologie, objets Directement après avoir passé l'arche de la

voie ferrée, un sentier pavé _ qui malgré

le fléchage « ateliers » ressemble plus à une impasse ou une voie privée qu'à une

invitation _ grimpe entre les grilles de

chantier. « Permis de démolir ». Et derrière cette pancarte se dressent les résidus des murs d'une fabrique en brique claire. Plus loin une cheminée rouge foncé émerge des

arbres. Voilà à peu près tout ce qu'on peu entrevoir de la friche depuis la route.

D'un point de vue morphologique, elle se

divise en 3 plateaux le long de l'axe de cette

allée

pavée.

Chacun

se

présente

comme un support sur lequel prennent place des hangars et des petits baraquements en

ciment, plus ou moins délabrés, posés dans l'espace trop peu structuré. À l'exception du premier plateau _ dont le vieux propriétaire résiste à l’expropriation_ l'intégralité du site appartient à la ville. Certaines 22


ci dessus: la ligne de RER

ci-contre: les restes de l’enceinte de la blanchisserie

23


constructions _ les moins obsolètes _ sont occupées par des artistes et artisans qui y ont installé leur atelier ainsi que par une entreprise de jardinage.

Ils louent les

locaux à la mairie en attendant qu'ils ne

soient détruits.«Pas avant quelques mois»,

espère l'un d'eux. Sur ce plateau, on se sent hors du temps, comme revenus à l'image

mentale qu'évoque la colline de l'époque de Rodin.

Arrivé en haut de la pente, on est face à

une esplanade cimentée, pour le coup tout

à fait inoccupée, à la hauteur de la voie ferrée, entourée d’une végétation de sousbois et limitée par un talus à pic.En effet, c'était un bien une impasse. Il faudra

sortir de la friche et en faire le tour pour rejoindre les chemins en contre-bas.

24


page précédente: premier plateau.

ci-contre: second plateau: Les vestiges des bâtiments industriels sont habités par des artisans

ci-dessous: troisième plateau en jachère

25


AUTOUR : contexte, épaisseur La facilité avec laquelle l'aménagement de

ces passages permet d'oublier l'existence de la friche est particulièrement frappante. Cette aire semble avoir été soustraite à l'espace de la ville. Pourtant visible en plan, la sinuosité du parcours et le masque ci-dessous: Dans le chemin des Montalets , une opération d’urbanisme datant des années 90 a conduit les aménageurs à aplanir le pied de la pente, révélant des entrées de carrières

qu'impose la végétation en jachère fait de la traversée de ces 6 hectares un non-lieu du trajet.

Les cheminements engravés dans la pente restent _ par le traitement qui en est

fait, bordés de talus et de murs en ciment _ hermétiques à leur contexte direct. Cependant,

d'altimétrie,

la

cette

troncature

différence

du

plateau

révèle dans son épaisseur les dessous de sa structure, insoupçonnable en surface.

Croquis in situ de l’individu peu avenant m’ayant une fois chassée de devant sa

porte. Il utilisait la carrière pour s’entrainer à tirer au pistolet.

dans

26


ci-dessus: vue sur le grand paysage depuis le troisième plateau

27

entrĂŠe du chemin de Saint Cloud


28


... Sous l’atelier de Rodin, quelques 8 kilomètres de galeries de craie

29


DESSOUS : structure, matière Les carrières de Meudon. C'est dans le chemin de Saint-Cloud que j'ai un jour rencontré Sirkob un habitué de cette tranchée, qui encapuchonné dans son sweat et bombe de peinture à la main s’apprêtait à faire disparaître sous un tracé de maître

les craquelures du mur en ciment bordant

le sentier. Par son intermédiaire, j'ai ensuite rencontré Christian.

Christian est cataphile et, comme tout cataphile, de

cette

l'un

des

société

rois

autoproclamés

souterraine.

Il

m’a

fait descendre avec lui dans ce royaume

des abysses. Cette expérience me permit de le découvrir physiquement et me rendit

alors ses richesses et sa fragilité réels.

Uniforme dans sa blancheur immaculée et dans sa géométrie romane, ses voûtes plein

cintre sculptées au pic et peignées à la main lui valent le surnom de la cathédrale

souterraine.Par contraste avec le chaos

de surface, de broussailles et d'objets presque

semés

au

hasard

et

laissés

à

l'abandon, l'ordre souterrain surprend. Cet espace monumental aléatoirement quadrillé

annonce une structure et une épaisseur pour

ce qui aurait pu être une simple surface, et

30

laisse

imaginer

comment

cette

zone


_ entourée de projets de ZAC _ a résisté aux nombreux de

urbain.

programmes

développement

31


32


33


34


35


LA POSSIBILITÉ D’UNE VILLE

Il

aurait

été

étrange

que

l’une

des

dernières grandes emprises dont l’espace puisse être optimisé en vue de densifier l’habitat collectif _ et qui plus est,

située à une articulation clé de la ville _ soit sortie indemne de la fièvre des projets d’aménagements fleurissant autour d’elle.

En réalité, cette emprise a régulièrement été soumise à des projets de ZAC. Tous les

10 ans, pour être exact, le temps que le sujet soit soulevé, discuté, et finalement

reporté. Il y eut ainsi la « ZAC Arnaudet » en 1981, puis les « Esplanades de Rodin » en 1990, les « Allées de Rodin » en 2000 et

plus récemment « Colline Rodin » en 2010. Ces projets furent tous bloqués par la

mobilisation des habitants et le classement des

galeries

d’intérêt

Ces

propositions

artistique en 1986.

scientifique

n’attendent

et

cependant

qu’une faille dans cette faible défense pour remplir les vides et terrasser le

sol. Or, non seulement boucher les galeries

réduirait à néant un patrimoine industriel

majeur, mais par ailleurs, l’argument d’une nécessaire stabilité de la surface par 36


Esplanades Rodin, 1990

Colline Rodin, 2010 Cobe Architectes illustrations: carriereetcollinerodin.fr

37


cette opération de comblement est invalide. Vincent

MAURY,

mécanique

expert

des

roches

international et

en

travaillant

spécifiquement sur le comportement de la

craie, est venu inspecter les carrières

en 2012. Il explique : « Les galeries

agissent comme de gigantesques drains : elles

empêchent

toute

mise

en

charge

hydraulique du versant dans son ensemble

du fait des écoulements (rabattements) même faibles qu’elles permettent. De ce fait elles contribuent à stabiliser tout le

versant. Remblayer et boucher les galeries

amènera à terme à bloquer ces écoulements, à faire monter la pression interstitielle dans le versant et dans les diaclases

(en particulier les piliers diaclases)

favorisant sa déstabilisation, avec des

conséquences pour toutes les installations de surface, y compris SNCF. »

1

En somme, la stabilité de la colline tient de de

son

l’équilibre galeries.

écosystème

géochimique

Les

et

injecter

du

système

détruirait

fragiliserait

les

infrastructures. Mais cette réponse a été

rapidement balayée. (voir article page suivante) Du point de vue des directives urbaines, la 1. http:// www.carrieresetcollinerodin.fr/

nature du sol est donc considérée comme un obstacle et un vecteur d’enclavement.

La ville serait-elle donc simplement une 38


affaire de surfaces, comme le suggéraient les

élus

en

ignorant

délibérément

la

présence de ces carrières? Jusqu’à présent, l’absence de développement urbain de ce quartier nous montre que ce choix le plonge dans une impasse.

La protection du territoire de surface face à des décisions politiques hâtives étant alors garanties par la fragilité des sous-sols percés de galeries, je me suis

quesionnée sur l’ampleur de l’espace urbain. Plutôt qu’un handicap, la matière du sol me

semblait être une composante de la ville profondément

identitaire.

Considérer

le

sol comme une matière plutôt que comme une

ligne invite à le penser non plus en plan mais dans un espace en trois dimensions,

dans lequel sont figées des vestiges des époques passées. Mais alors, où commence le récit de la formation d’une ville?

la ville et le sol support

la ville est le sol matière

39


Meudon le 28 janvier 2014

Le point sur la Colline Rodin ou « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage » Péril en la demeure ? Les fameux arrêtés de péril imminent sur les carrières de craie sont toujours en vigueur. Rappelons que le point de départ est une note de calcul de 2012 du bureau d'études géotechnique qui avait préparé les permis de construire délivrés témérairement en 2006. Elle a été commandée par l'agence foncière (l'EPF 92) qui en 2009 a racheté la plus grosse parcelle en vu de la réalisation d'un programme de construction. Elle a ensuite été soumise à l'avis technique d'un autre bureau d'études qui avait obtenu une mission exploratoire de la Ville et qui attendait des suites. La note et l'avis s'accordent pour préconiser une étude approfondie sur la stabilité des carrières. Ils ont en fait d'abord servi de fondement aux arrêtés de péril imminent, démarche administrative manichéenne qui, au titre de la sécurité publique, menace la conservation des carrières classées et le patrimoine des propriétaires privés visés individuellement par chacun des arrêtés. Il faut dire qu'entre temps la Ville s'était engagée à construire au moins 300 logements pour le Grand Paris, ce qui constitue la véritable menace pour la sécurité publique tant sont fragiles les couches superficielles de la colline.

Des avis techniques orientés, le rapport de Vincent Maury récusé L'enquête approfondie, menée sur les deniers de 5 des propriétaires privés par l'expert international Vincent Maury, spécialiste de la mécanique des roches originaire de Meudon qui était déjà intervenu lors du classement des carrières, a suivi scrupuleusement les spécifications des arrêtés. S'appuyant sur deux journées d'investigations précises dans les galeries concernées, l'auteur du rapport (qui a à son actif plus de 60 publications internationales sur la stabilité des mines et carrières souterraines, et le comportement de la craie) conclut que les carrières sont toujours en excellent état et ne font courir nul péril. Au passage, il démontre à mots couverts la légèreté de la note de calcul, qui partant d'une fausse donnée de terrain sous-estime grossièrement la charge à rupture de la craie lors de l'effondrement de galeries du voisinage en 1872, et l'orientation des avis techniques des deux bureaux d'études commandés par l'EPF 92. Le rapport a été récusé sans vergogne par l'auteur des arrêtés, notre bon maire, qui a lancé d'autres investigations aux frais des propriétaires, celles justement dont les bureaux d'études attendaient la commande. Un curieux désamour Il est curieux de constater que les maires qui se sont succédé à Meudon ont toujours eu un complexe vis-àvis des carrières Rodin, sans doute du fait qu’elles ont été classées en 1986 contre l’avis du maire d’alors. Il voulait les combler pour mieux construire dessus. Depuis, nos édiles ont toujours montré, de divers façons, leur désamour, alors qu’elles constituent un des joyaux de notre ville connu dans le monde entier (jusqu’en Australie, au Japon, en Afrique du Sud !).

VIVRE A MEUDON 19 rue Claude Dalsème 92190 MEUDON - agréée

40

Effacer le classement ? Ce dernier avatar est une offensive lourde : affirmer par la voie administrative que les carrières font courir un péril conduit logiquement à l'effacement de l'effet du classement, lui aussi administratif. Pour que la procédure soit plus efficace, le péril a même été prétendu imminent ! Il faut dire que le directeur de l'inspection générale des carrières (IGC), associée à la manoeuvre, s'est gardé de contrarier les bureaux d'études. Il a même pris prétexte de leurs écrits pour cesser (lâchement!) ses visites d'inspection, lui qui

Environnement le 8 avril 2005

1


surveille ces carrières depuis le premier coup de pioche il y a 140 ans et qui, comme il nous l'a écrit, n'a jamais décelé le moindre signe d'instabilité ! D'ailleurs en 2007 son prédécesseur envisageait au contraire la création d'une fondation pour les valoriser. A croire que ce service administratif de la Ville de Paris est aujourd'hui associé à l'effort exceptionnel de construction décidé en Ile de France. A la suite de quoi, le président du tribunal administratif, saisi par le maire de cette question de sécurité publique, a ouvert le parapluie et laissé un expert de son choix reproduire les préconisations des bureaux d'études et de l'IGC. Sans prendre le temps d'écouter les solides critiques des propriétaires, refusant même de jeter un œil à leurs galeries, il a conclu sous huit jours, quoiqu'on ait appris par 140 ans d'existence paisible, par 35 ans d'étude de projets immobiliers déraisonnables et il y a 20 ans par plusieurs missions de l'INERIS, organisme public de référence en matière de risques : il faut reprendre à zéro l'évaluation de la stabilité. Quant à l'imminence du péril, il verra plus tard ! Il en est résulté ces curieux arrêtés de péril imminent qui ne prescrivent pas de mesures d'urgence mais seulement des investigations et une protection contre les eaux. Et un autre arrêté qui interdit l'entrée des carrières à quiconque, y compris à leurs propriétaires, sauf pour l'exécution desdites mesures, sans se soucier le moins du monde du péril en surface, par exemple dans les sentiers ou le parc du musée, là où se situerait le risque majeur pour la sécurité publique. Des propriétaires se révoltent Des propriétaires au nombre de 5 se sont groupés pour défendre leurs intérêts et leur colline, avec l'aide initiale de notre association. Ils ont fait procéder à ladite évaluation puis, à titre conservatoire, ont déposé chacun un recours gracieux contre l'arrêté qui le visait. La Ville n'a pas répondu aux recours, sauf par l'accusé de réception réglementaire. Mais elle a récusé avec des motifs insignifiants, nous l'avons dit, les conclusions de Vincent Maury, tout en décidant de lancer à grands frais son propre programme d'investigations. Elle l'avait fait établir d'avance par les bureaux d'études qui, l'année d'avant, avaient aidé à semer l'idée du péril. On ne s'étonnera donc pas que ce programme ignore à son tour les conclusions de l'INERIS de 1993. Celles-ci en particulier délimitaient les quelques zones nécessitant des travaux. Il ne restait plus aux 5 propriétaires, enjoints de payer leur part du programme de la mairie, qu'à transformer leur recours gracieux en recours contentieux. L'un d'entre eux tentera même l'annulation en référé, ce qui sera refusé par le tribunal. Ils ont aussi créé un site.

VIVRE A MEUDON 19 rue Claude Dalsème 92190 MEUDON - agréée

Au fait qui est exactement propriétaire des carrières déclarées cause de péril ? Apparemment le musée Rodin d'abord : il surplombe 60% de la zone et a lui aussi fait l'objet d'un arrêté de péril imminent. Mais il a fait valoir auprès de la Ville que l'un des 5 propriétaires privés avait revendiqué dans le passé avec succès la propriété des galeries où il exploitait des champignonnières. Puis la mairie et l'EPF 92 (établissement public foncier des Hauts de Seine) : bien sûr la mairie n'allait pas prendre un arrêté contre elle même, et comme l'EPF 92 lui a laissé l'entière gestion de ses parcelles elle a retiré l'arrêté qui le visait. Suivent derrière 7 propriétaires privés, dont une copropriété de 40 logements. Chacun a reçu son arrêté. Ceux des deux parcelles les plus basses n'ont pas rejoint le dispositif de défense des 5 autres. La copropriété croit en particulier pouvoir se défausser, comme le musée, sur l'ancien exploitant des champignonnières. Elle fait aussi valoir, bien que cela n'ait pas d'effet sur sa responsabilité civile en cas d'effondrement des galeries, que seule la partie non bâtie de sa parcelle surplombe la zone de péril. Restent donc en litige ouvert avec la ville nos 5 propriétaires privés. L'un se voit chargé de la part du lion, celle du musée Rodin. L'action de Vivre à Meudon Dernière précision sur l'action de Vivre à Meudon : nous avons poursuivi nos contacts avec la préfecture qui, rappelons-le, encourage vivement la Ville à contribuer ici à l'effort régional pour le logement, sans méconnaître le classement des carrières pour leur intérêt scientifique et artistique. Pour tenter de désamorcer les risques d'un nouveau contentieux, le préfet a bien voulu nous accueillir la 9 avril dernier avec les propriétaires et le Comité de Sauvegarde des Sites de Meudon. C'était mal parti car, c'est lui qui nous l'a appris, le maire venait de prendre les arrêtés de péril imminent après quatre semaines d'hésitation. Il a proposé son intermédiation dans la suite de la procédure. Deux réunions avec les propriétaires ont suivi, mais la Ville n'y a pas mis de bonne volonté. Espère-t-elle obtenir du tribunal le comblement d'au moins une partie des carrières classées ? Le préfet est parti fin septembre sans accepter de recevoir une deuxième fois notre association, au motif nous a-t-on dit de l'ouverture des contentieux par les propriétaires. Il n'a été remplacé que plusieurs semaines après. Nous attendons maintenant la réponse de son successeur, saisi en décembre. Nous lui avons demandé d'exercer son contrôle sur les curieuses manières du maire de préserver ce site classé par l'Etat. Nous lui répéterons notre adhésion à l'objectif d'urbanisation de la colline, à condition d'accorder une priorité à la valorisation de ses atouts scientifiques, artistiques, culturels, économiques et paysagers, ceci dans le respect absolu des impératifs géologiques du lieu. Nous ne sommes pas intervenus dans les recours pour une raison simple : le tribunal ne nous aurait reconnu à ce stade aucun intérêt propre à défendre.

Environnement le 8 avril 2005

41

2


UNE HISTOIRE PA L E O - I N D U S T R I E L L E La formation de la ville remonte au Lutécien

et les premiers meudonnais étaient des coccolithes. La

formule

est

un

peu

abusive,

soit.

Toujours est-il que le site de la colline des Brillants se prête particulièrement à

l’expérience d’inclusion de l’Histoire de l’Homme à celle de son sol. Meudon et Sèvres,

et plus généralement toute cette communauté de commune travaillent beaucoup l’image de l’entité urbaine formée à partir de hameaux

dispersé dans la topographie et ensuite

rassemblés au cours des expansions urbaines. Ville médiévale constituée initialement de

la fusion de bourgs de pêcheurs, elle se vante avoir été séjour d’artistes et de personnalités Ambroise

telles

PARÉ,

qu’Armande

Auguste

RODIN,

BÉJART,

Isadora

DUNCAN, d’avoir accueilli en leur temps des projets de Jules HARDOUIN-MANSART et d’André LE NÔTRE, de Jean PROUVÉ, d’André

BLOC et de Théo VAN DOESBURG, séduits par son grand paysage.

L’importance qu’elle acquiert est pourtant principalement due au tournant du XIXème 42


siècle et au développement de l’industrie. Ville industrielle ? Les

vestiges

de

ce

passé

sont

rares.

Les derniers survivants étaient l’usine Gaupillat et le pont Seibert, mais l’un et

l’autre ont fait l’objet d’un démantèlement récent. De

fait,

les

seules

traces

subsistant

s’avèrent être celles que compte la friche de la rue Arnaudet, cachées dans le maquis, en sursis.

photo d’archives conservée au musée d’Art et d’Histoire de BoulogneBillancourt

le pont Seibert, construit en 1930 démonté en 2018

sortie des usines de cartouches et capsules Gaupillat, construites fin XIXe détruites en 2011

43

carte postale début XXe, archives de Meudon


Que

reste-t-il

Meudon ?

donc

de

l’industrie

à

À l’inverse du reste de la ville, les seuls disparus de la friche Arnaudet sont les bâtiments qui se sont écroulés d’eux

même. De fait, leur disposition étagée en plateaux et pour certains organisés en réseau autour d’une place pavée nous

donne une idée assez fidèle de la structure spatiale de ce complexe, et de l’usage qui était fait du sol par les contemporains de la fabrique.

Les traces de l’usine de blanc de Meudon

La blanchisserie qui utilisait la source de « la coulette aux moines », dont la canalisation

réalisée

par

des

moines

chartreux affleure au 2 rue de Fleury _ aujourd’hui rue Arnaudet_, fut rachetée

en 1871 la famille de Pierre Mimard pour exploiter

la

glaisière

en

crayère,

et

sera exploitée jusqu’en 1923. Elle était la dernière entreprise d’Île de France à produire du Blanc de Meudon. De ce complexe ci-contre: les emprises industrielles de Meudon, Issy et Boulogne en 1950

est resté le mur de soutènement de l’entrée de la carrière, deux bras en brique qui

enserraient à l’époque deux bâtiments en longueur, de part et d’autre de l’accès

en cavage. Cette entrée en pente douce et 44


ateliers de production Renault

blanchisserie et crayères

port de Meudon

cartoucherie Gaupillat ateliers de production Renault

manufacture de Blanc pont

Seibert cristallerie de Sèvres

45


maçonnée en pierre de taille est également demeurée.

Parmi les hangars de la zone d’activité, la

cheminée en briques rouges reste un signal dans le paysage. Elle permettait autrefois, comme les puits d’aérage disséminés dans la friche, de ventiler naturellement les carrières

souterraines

principe d’appel d’air.

en

utilisant

un

Qu’est ce que le blanc de Meudon ? Produit phare au siècle dernier, cette craie extraite et réduite en poudre était utilisée aussi bien en peinture, comme étant l’ingrédient de base de la fabrication du « gesso », qu’en tant que produit d’entretien, pour faire briller cuivres, étains, argenterie, laiton, métaux en tous genre, verre et faïences.

46


carte géologique de France par Dufrenoy et Elie de Beaumont début XIXe Elle montre les différents affleurement de minéraux selon les aires géographiques

touche

Ainsi, la production de cette aire non

seulement

à

l’histoire

de

l’ère industrielle, de l’essor de l’âge des outils et des techniques, comme c’est le cas de toute industrie, mais étend également cette histoire à celle de la

confrontation de l’Homme à son territoire. Celui-ci est alors une ressource de matière

dont l’exploitation produit une richesse capitalisable. De fait, descendre l’un de ses nombreux puits d’aérages nous permet de faire un retour dans le temps et retrouver

dans un autre âge de la ville : celui de la formation de la nappe de calcaire et la définition de son sol.

L’affleurement de la nappe de calcaire dit 47


«

ce

de

Meudon »

territoire

si

est

caractéristique

le

produit

de

de

deux

phénomènes conjugués: la sédimentation et la tectonique.

Le premier explique l’hétérogénéité de la matière du sol : les cycles marins, la

présence et les retirements successifs de l’eau, ont conduit au dépôt de minéraux en

couches

horizontales

régulières.

L’épaisseur de ces dépôts dépend de la durée de ces périodes.

ci-contre: La nature des minéraux témoigne d’une chronologie d’évènements au temps long. La craie : roche sédimentaire déposée en mer peu profonde. Elle est constituée par l‘accumulation de fragments d’organismes, majoritairement des coccolithes, éléments microscopiques en calcite issus de la coque d’algues unicellulaires. Le calcaire de Meudon : un grain fin constitué de débris d’origine marine. Retour de la mer sur la craie érodée. Le conglomérat de Meudon : blocs de calcaire emballés dans du sable argileux brun et renfermant une faune de vertébrés Argiles plastiques du Sparnacien : un retrait de la mer conduit à l’installation d’un paysage marécageux Calcaires du Lutétien : dit « grossier » roches carbonatées en banc épais de plusieurs mètres recouvrant l’argile plastique avec le retour de la mer marnes et caillasses : marquent un nouveau retirement de la mer.

La tectonique des plaques explique pourquoi la nappe de craie, pourtant déposée uniformément dans tous le bassin parisien au Crétacé, se retrouve culminant à +50 m à Meudon, alors qu’elle plafonne à -75m au niveau de Montmartre.

48


lutétien

84

MAISON RODIN MARNES

81

CAILLASSES

78 CALCAIRE GROSSIER

éocène

71.5 71 -53 MA

spar

69

nacien

PLATEAU CIMENT

SABLES GLAUCONNEUX

ARGILES PLASTIQUES

PLATEAU ET RER

62

montien paléo cène

54 52.5

-65 MA

ARGILES VERTES ET ROUGES

51.8 51.4

CENDRIER CONGLOMERAT CALCAIRE DE MEUDON

maa

50

CRAIE

strichtien

48.5

méso zoïque

SUP

RUE ARNAUDET ENTREE EN CAVAGE

LIT DE SILEX NOIR

45.5

MED

41.5 SUP

40 crétacé sup 37

INF

35

les dépots successifs en fonction du temps

INF

30 céno zoïque 26.5

coupe stratigraphique de la colline montrant

SEINE NAPPE PHREATIQUE

49


Les

mouvements

de

la

croûte

terrestre

agissant en compression font émerger les reliefs. Dans le cas de Meudon, cette dynamique a abouti à la formation d’un bombement anticlinal.1

Celui-ci est daté par les géologues comme

remontant à la fin du Crétacé, vers -70 millions d’années et est à l’origine de la

topographie particulière du Val d’Arthelon.

les axes anticlinaux de la zone de Meudon illustration: Bulletin de l’Association de Sauvegarde des Sites de Meudon, 2003

coupe de Paris depuis l’anticlinal de Meudon vers le synclinal de Saint Denis. illustration: geologie. over-blog

50


En tant que support et en tant que

ressource, le sol est première fondation d’une société et une composante essentielle de son processus d’occupation. Soumise à sa

morphologie et à sa nature, l’installation de l’homme dans un territoire est en effet

conditionnée par des événements en chaîne

constitutifs de son histoire. Ainsi composer la ville contemporaine s’inscrit dans une longue généalogie de formes urbaines et territoriales, et le concepteur ne peut

ignorer cette lente sédimentation. Bien que triviaux lorsqu’on met leur durabilité en rapport avec l’ échelle de temps traversée par le territoire, les circuits de décision

d’urbanisme et les logiques superposées des divers acteurs de l’aménagement ont

désormais le pouvoir d’annuler sans retour ce

milieu

progressivement

construit

l’échelle du million d’années.

à

1.

L’anticlinal est un pli convexe dont le centre est occupé par les couches géologiques les plus anciennes.

51

Wikipédia, page «anticlinal»


52


LE TEMPS DU TERRITOIRE ET LE TEMPS DU PROMOTEUR

53


APRÈS De

L’ÉTÉ

2019

la même manière que fut démonté le

pont Seibert sous couvert de mesures de sécurité

_ faisant ainsi disparaître l’une des dernières traces des usines Renault installées sur l’île Seguin

jusqu’en

1989

_

le

classement

des

carrières pour leur intérêt paléontologique,

géologique en tant que témoin de la charnière du crétacé supérieur au tertiaire, ne permet finalement pas de les sauvegarder durablement. En l’absence d’autre projet, leur comblement

_ rebondissement décennal pour la saison 2020_ par les terres extraites des chantiers du Grand

Paris laisse les mains libres à la ville pour

y installer une des nombreuses propositions de

ZAC. Bien que se proclamant ville d’art et d’Histoire, ceux-ci pèsent bien peu dans la balance lorsqu’il s’agit de densifier l’habitat à l’échelle de la ville.

Cet imbroglio politique me permit alors de

comprendre que le mal dont souffrait ce site était

en réalité un virus répandu en la saison : celui

de l’ « opportunité » de « succès commercial ». (voir photo ci-contre)

54


Panneau publicitaire à Boulogne Billancourt

Face à la menace de comblementd des carrières, une pétition a été relayée. Ici, par la couverture de la revue de l’association AR’SITE. Fondée en 1986 elle s’intéresse à la question du devenir de

55

l’habitat troglodyte dans les modes de vie et les paysages contemporains.


Le patrimoine historique de Meudon Les plus anciennes traces de vie sur le territoire de Meudon remontent à 55 millions d’années avant notre ère. La mention de Meudon dans des documents historiques a été retrouvée au XIIe siècle. Du petit bourg médiéval à la ville d’aujourd’hui, ce sont dix siècles que nous vous proposons de découvrir à travers des monuments historiques, des sites classés, des lieux remarquables, accessibles pour la plupart, et des personnages illustres qui ont aussi marqué l’histoire de Meudon. Avec les cinq parcours du patrimoine, vous pourrez aussi découvrir ce patrimoine en vous promenant muni du plan et des fichiers audio téléchargeables sur meudon.fr Bonne visite !

LES PRINCIPAUX MONUMENTS HISTORIQUES (détails au dos) Le Domaine national de Meudon (Grande terrasse, Orangerie, escalier d’Aristote, statue de Jules Janssen…)

2 L’Observatoire de Paris-Meudon

C

D

E

17 L’église Notre-Dame 1

de l’Assomption

l la

e la

Ru

souterraines

e

ÉGLISE REFORMÉE

in

rde

Ga

BELLEVUE

e

Ru

es

c in

rd

s

Ga

PARC GILBERT GAUER

Rue

d

ut e

de

s

s

e rd

Ga

s

des

ucin

Cap es e d

Ca p u . d es

ute

Ro

Ru

III 13

s

de

Ro

s

Houe de S s e Ba

P.

n

Re st

re s

Route

de

Rue

na

ue

en Av

utu

ne

Co

Ch

te ou

Ca

Ru

e

pu

14

cin

s

R

4

s de ée uls All Tille

ss

s

Rue des Cotiniers

B

E

e

Ru

du

de

30 La résidence Le Parc

A

st

e rn

Ba

e

RN118 VERS PARIS JONCTION BOULEVARD PÉRIPHÉRIQUE

d'U

rvil Sentier J.-B. Dumas

n

na

du

Ru

de Chalais

de Bellevue

nt

Re

e

e br

29 Le Hangar Y et le bassin

14 Les maisons Prouvé

s

e

m ve No

28 La soufflerie 3 de l’ONERA

13 Le domaine du château

mo

11

(musée Rodin de Meudon)

d’André Bloc

Du

t ar

an

Plac A. Bri P. t e an Ru cqu a W

rd

Rue

Ru

Ru

27 La Villa des Brillants

de Marcelin Berthelot

e Se ntie br J. M achar

m ve No

M

la sin Vil as B du

18

Doesburg

12 La maison-atelier

.d Av

18

19

Eiffel

19

26 La maison-atelier de Théo Van

et sa chapelle

11 La tour de chimie végétale

11

u

in ss Ba

Avenue

SÈVRES 25 L’orphelinat Saint-Philippe

10 Le Potager du Dauphin

du

24 Le pont Seibert

9 La gare de Meudon

Se Delabntier orde Crèv ecoe ur

se as rr Te

2 23 La Folie Huvé

8 La maison de Marcel Dupré

Place du Pdt Wilson

Sentier Lesves que Sent ier

t go lé

7 L’Hôtel de Ville

Ligne SNCF vers Versailles

ée All e lasse d ra r Te

Al

21 Le viaduc (pont Hélène) 22 Les carrières de craie

l ce ar

5 L’abreuvoir 6 Le square Rabelais

Place du Pdt Wilson

M

20 La gare de Val-Fleury

4 L’église Saint-Martin

ss e

Ru

(musée d’art et d’histoire)

Ba

e

Ru

19 L’avenue du Château

Vi

18 La maison de Wagner

de

3 La maison d’Armande Béjart

15 Le grand hôtel de Bellevue 16 La gare de Bellevue

Er

1

12

du

Bel

Air

Ro

ute s

de s

cin

pu

Ca

Carrefour des Fonceaux

TOUR M.BERTH

11

te

MAISON FORESTIÈ

A LE

de

u Ro

Carrefour de la Porte Dauphiné

Carrefour du Bel Air

Route

Royale

Av.

Grille du Bel Ai

Carrefour du Château de Meudon Ro ya le

5

vé Pa

R OUT E NAT I ON

s

du

118

s

e rd

Ga

Carrefour des Bois Plantés

Ro

ute

CHAVILLE

Carrefour de l’Observatoire

6

Grille de la Porte de Versailles Ro ya le

Carrefour de Poix

Ro

ute

TE ROU NAT

PARC DE L’OBSERVATOIRE

ION

Carrefour de la Mare Adam

56

Ro ya le

Carrefour des Cloîtres

FORÊT DOMANIALE

Ro

ute

Carrefour de l’Étoile du Pavé de Meudon

118

7

TOUR HERTZIENNE

LES CLOÎTRES

ALE

X

Carrefour de la Patte d’Oie

Carrefour des Six Frères

LE GLADIATEUR


5 PARCOURS-DÉCOUVERTE

PARCOURS 1 Sillonnez l’ancien village de Meudon.

Cinq parcours du patrimoine permettent de découvrir les lieux, les vestiges et les bâtiments encore présents qui marquent l’histoire de Meudon. Pas à pas, les 36 panneaux installés le long des parcours vous accompagnent. Les textes et les fichiers audio (format mp3) sont téléchargeables sur meudon.fr. Bonnes promenades !

PARCOURS 2 Le quartier de Bellevue est marqué par

la présence de la marquise de Pompadour et du séjour de nombreux artistes de renom.

PARCOURS 3 À la découverte d’un des hauts lieux

de la conquête de l’air et de l’architecture du XXe siècle tout en profitant de la forêt.

PARCOURS 4 Le quartier du Val et les bords de Seine

sont marqués par les activités industrielles et artisanales.

PARCOURS 5 Sur les hauteurs de Fleury, rentrez dans l’intimité de deux grands artistes du XXe.

F

G

H

I

J

Tramway Val de Seine Vers la Défense

Ch

rt

Rue de Vaugirard

es

Pa ris

ud lo -C

de

St

au

its

du r ntie Se

nt.

e

Sentier de la Borne Sud

Fon

tain

Ma rais

Belgique

la

tte lme

Riv oli

d Sentier e

5

r Ca

de

du P

e Ru

de

Rue

Av.

Ligne SNCF vers Paris Montparnasse

Rue

s de

des

Ma Allée rgu erite

NepClos tun e Pas Rue tour elle

Petite

des

Ru e Riv oli

Ch. Pece des aux

Allée d e s R o se s

de

4

Sentier de la Borne Nord

rt

ul

Pa

Av .

R Mé ue ca rde

s

Av .

Se ral

din

Sentier des Allains

Rue Borne Sud

Be

Vignes

de s

Ro

te

Au g

us

des

27

Se n t i e r d e s H a i e s

de

s

M

n ne

Rue des Lamp

La

Paris

de

Rue

Jau rès

an Je

R.

Av .

aux

ue Av en s de Ru e

er t it e nti e Se l a P ine er nta de Fo Schneid

Av.

r

Pè re du

MAISON DE LA NATURE

m

sh

oo

r

Rue

VILLAGE ÉDUCATIF ST.PHILIPPE

25

6

6

7

7

CHAPELLE

helo

Rue

n

de

Ru

PARC PAUMIER

la

Sentier de la Belgique

rris La

Ru e

26

s re

na

La t é

Ma rais

et

s nc Bla

Sure

des

ur ès Ja

n s

Je a

te

et Gr im

ue

s

Av en

. d e

Sent

Rue

d’Art helo n

des

Ru

d’Art

Parc

des Fo ssés

Bro

les

FLEURY

e

R.

Triv au x

du

os M o l

R. u All.d des Chartre ux

d r t ie

en

Ana Bd ée All

Br un et

ffy e

ée

ue Av en

All

Rue

ury R ue

Hér ault

V

VI

s

Ve rt

ugad

ins

Ru de

CLAMART

Rue

28 O.N.E.R.A.

de

d’Art

e

Rue

Ru

helo

n

sh m

oo

r

x

de

r i va u e de T

Avenue

Fran ce

Allé Fauve des ette s

arts

Ess des e Ru

Jea n Ru e

Rue t tes r i me

lis e

de

R amp

e

Triv aux

tole

Scribe

Pa ix la

de Sen s E ti ss er ar ts

Rue des

lique

Rue Lavo isier

Rép ub la

de l'É g

uv ois

du Rue

Loiret

s au x

Jardies des

Rue

Se des Jantier rdies

Este

lle

Impass J. d'Arce

Av.

Berthelot

Av.

Réa ges Lon gs

t

M.

Général

Rue

t

Ru

sse

Avenue

tier

oue la R

Héraul

ORANGERIE

rt

e F le

rv es

Rue des Chaillots

Rue

s de p. nes Im Vig

PAROISSE ST-JEAN LE THÉOLOGIEN

ar

e M oza

d'O

ttie

Ch

Allé

des

MUSÉE NATIONAL RODIN Bri lla nts

.

R. Henri Place H. Barbusse

d’E

Hérault

e

RER VAL FLEURY

Allé

de

Belgique

IV

3

s de p. ts Im rillan B

Sen

e

Ru

ÉG. STE J. D’ARC

rbu

Ba

oit Infr

Rue

nri

20GARE

Villa de s G

Avenue V. Hugo

MUSÉE D'ART ET D’HISTOIRE

l Va

du Rue

la

Banès

Se n t i e r

Place du Val

de

Rue

4

21LE VAL

Rond-Point de Ciechanow

Allée des Vignes

He

3 Cloud

BELVÉDÈRE RODIN

Rue

de la M. R ou

de

ons

22

Ru

de

is

MAISON ARMANDE BÉJART

Carrefour de l’Europe

s

elle

is

5

Rue des Pierres

3

l

ge

Rue

is

r Pa

de

Rue

Va

r Pa

SQUARE DE L’ABREUVOIR

Gal

V. Rue Do dé

Ru

r Pa

des

Bas ses

ain erm t-G Sain

lle

ÉGLISE ST-MARTIN Rue

SQUARE ANNA MARLY

2

Rue

Square Jacques Conté

TERRASSE DE L’OBSERVATOIRE

OBSERVATOIRE

des

du

e

RER C vers Paris Austerlitz

in

int

e Av

te

ve

er

in Po

e Canada Terr Allée du

Neu

nti

x Croi

e

DOMAINE NATIONAL DE MEUDON

is

Se

6

Ru

Lou

te

7

de la

Ru

Ruelle des Clos Moreaux

Po in

Rue

1 PIÈCE D'EAU DU BEL AIR

Chemin de l’Ermitage du Vi aduc

R

r

b Cor

Le

e nu

Place J. Janssen

ir

ue

Voie de la Ferme

J.

er Rob

Allée

HÔTEL DE VILLE

Rue SQUARE RABELAIS du Ponceau

Se des ntier FranTerres ches

t

eille

la

Allée du Pré M. Gilles

e

Ru

D r. R . d u me Vuillè

ies Un

ue

en Av

de

de

des Allée SorrHautes ières

p.

et

ns

t

ino

em

qu

Jac

ant

Pl. du 8 mai 1945

nta lets Rue ale t s s M ont

Rue des Sorrières

em

Im

ud

tio

du er me nti da Se s Ma Clo

s

se pas Im gnot Cu

ucin

Cap

u sd Clo âteau Ch

des

Impasse d M.Edouar

Place Rabelais

he

ns

Mo

na

Sent.

Potager

Ric

Guilm

Galo

J. Gé Imp. rard

Ar

Na

JARDIN DE LA PAIX

8

S

9 A.

des

Dr

s Sentier

R Mouue des che ttes

e

e

Sa

CIMETIÈRE DES LONGS RÉAGES

s

e

des

Ru

Ch

du

e

Carrefour de la Ferme

des

de

Ru GARE MEUDON

Ru

Bigot

Im des pass RéaLong e ges s

es

Verdun

IV Rue

Rue

s

Po rto

Château

Marcellin

s

Buats

de

du

la s Vil ardie sJ de

Rue

ÈRE

Guilmant

lon

Rue

de

POTAGER DU DAUPHIN

du

Pass. Tivoli

Rue

Avenue

HELOT

le

i

s

Ga

de

s

ucin

10

ato

Place Tony De Graaff

Henr

s

let

dre

r d es Imp. des Jardies

Bd

Cap

Rue

An

de

ue

nc

ta

Ale xan

des

Sentie

ntin

PARC DES MONTALETS

Bla

on

e

Ru

e

2

ISSY-LES-MOULINEAUX

Avenue Av en

des

ce

Ru

ÉGLISE DE LA RÉSURRECTION

Vale

Oboeuf

ule va rd

an Fr

n

des

Rue

Bo

in Sc ribe

t

ie

ul

t-J

in

Sa

Château

B e r t he l o

Villa Adrien

Chem

nes

Place Stalingrad

Sentier de l’Arpent Rouge oux Sentier des Voisin

23

Gardes

MEUDON SUR SEINE

Desverg

Sentier des Pins Moisy S des entier The ux

Rue H.

2 Tramway Val de Seine Vers Issy les Moulineaux Correspondance RER C

M

an

Vaugirard

MEUDON SUR SEINE

Sentier s des Renault

de

du

Rue des Pins Moisy

il m

Halage

de

de

Sentier

in em

hes

Villa des Voisinoux

19

A.

s Bla nc

rd Ve

18

Gu

s

in

des

Scribe

e arle

des Pie rre

Chem

Route

ÉGLISE N.-D. DE L’ANNONCIATION

Se n t ie r D e s l a n de s

II

Ch

Ru

d ar ev ul

nt.

Place Bergeyre

R.

c na

Ch

Se

Bo Avenue

Sentier du Bel Air

2

vig Sa

s ille

Rue

es

ac

ign

v Sa

H.

Rue

E

RD7

Route

b Ty

Ro

Place du Mal Leclerc

Gardes

s

s

de

e ut

17

EIN

e

irar d

Boe uf

ri

de

16

LA S

lag

de

e

ièr

n He

nt.

ni Gal Gallié

en aly t. sis

Se

du

GARE BELLEVUE

ÉGLISE N.-D. DE L’ASSOMPTION

Ha

MEUDON CAMPUS Verr erie

la

Av.

lle

ette

Sentier L. Blanc

24

Vau g

de

Lo

e Ru

ts

C.N.R.S

t S e

de

de

e

I

Av ce iand Avenue A . d e la G l a c llé du Rd-Pt Pom e pado ur

R

ibe

ute

urg

e

Po n

n Pa

15

in

Ro

Rue

de

C he m i n

La c

Ave nu e

in

n

em

Rue

io

em

or

Ch

b

Gour aud

im

Cl

Br

1

1 BOULOGNE-BILLANCOURT

STATION BRIMBORION

R ue

G. L ang

ro g n

et

57

Ville d’art et d’Histoire? Les points d’intérets culturels vantés par la ville lors des journées patrimoine. Le pont Seibert est démonté au début 2019, la Folie Huvé est une propriété privée menacée de démolition en vu d’une opération immobilière depuis 2016 , les carrières sont en cours de comblement : le «parcours 4» d’industrie et d’artisanat a désormais disparu.


Le circuit de décision est en cause.

La Zone d’Aménagement Concertée est certes un outil stérilisateur tant dans les protocoles de dessin qu’elle emploie systématiquement, que de sa tendance à créer des quartiers

autonomes greffés au reste du tissu urbain sans pour autant en faire cas, mais à mon sens, le

plus incontestable des torts de cet outil est pourtant d’avoir compris l’espace qui lui est destiné comme une aire à « rentabiliser ».

De nos jours, la pensée sous-jacente qu’on puisse arriver à une totale consommation des

sols à disposition, conduit hélas trop souvent à percevoir dans la nécessaire évolution de la ville une opportunité à en optimiser les rendements spatiaux au maximum. La réalisation

des projets relève de concours régis par des

élus politiques. Peu formés aux sujets de territoire. Il est, de plus, fréquent que ceux-

ci soient plus soucieux de l’économie de leur ville à l’échelle de leur mandat qu’à long

terme. Comment leur en vouloir : prendre soin de sa ville, n’est ce pas acquérir de nouveaux électeurs ? L’argument financier est toujours celui

qui

remporte

le

débat,

aussi

nous

pourrions gagner en auditoire en ces termes : un projet peut-il est rentable lorsqu’il n’est

pas durable ? Et peut-il être durable quand il n’est pas conçu dans un souci de territoire ?

58


Romulus traçant les limites de Rome à l’aide d’une charrue, Pinelli Bartolomeo, 1818

Une

aujourd’hui disponible

véritable la

et

la

question

diminution

pression

« comment s’étendre ? »

de

que

pose

l’espace

foncière

est

Face à la raréfaction

de la surface libre, le choix du territoire à investir est moins sujet à hésitation que

les décisions qui permettraient d’en faire des projets urbains.

En effet, la problématique du choix du site à laquelle les antiques étaient confrontés

est désormais moins la nôtre que celle de savoir comment occuper l’espace à disposition.

Quant à la question du « où ? », les plans d’aménagements

reconsidèrent

dorénavant

les

interstices laissés dans le tissu urbain. La question du «par quel moyen? » en revanche redevient centrale.

59


Expansion de la forme urbaine. En France, après la densification des centres et des faubourgs au XVIIIè,

La mise en place d’un anneau de zones industrielles à l’extérieur de la ville au XIXè,

... Vite rejoint par l’extension des zones résidentielles aux banlieues,

Conjuguée à formation de villes nouvelles au XXè, Le nouveau siècle s’intéresse à occuper les espaces périphériques et franges, où la couche d’urbanisation est encore peu constituée et pourtant se retrouvant limitrophe des villes ou enserrés dans leur tissu. C’est par exemple le cas des friches industrielles.

60


DU PROCESSUS ÉVOLUTIF DE LA VILLE À UNE ARCHITECTURE DE L’ÉVÉNEMENT

« Le junkspace est la somme de tout

ce que nous accomplissons actuellement ; nous avons

construit

davantage

que

toutes

les

générations antérieures réunies, mais d’une certaine manière, nous ne jouons pas dans la

même cour. Nous ne laissons pas de pyramides. »1

1. Rem KOOLHAAS, Junkspace, 2010

Cette formule de Rem KOOLHAAS dénonce le trop d’architecture.

Trop

nombreuses,

trop

peu

pensées et finalement trop vite jetées. Soit la ville n’a jamais été pas un objet fixe.

« […] La ville est quelque chose qui perdure à

travers les transformations , et les fonctions, simples ou plurielles, qu’elle remplit au cours

du temps sont des moments dans la réalité de sa

structure. »2 analyse Aldo ROSSI en 1966. Elle n’est évidemment pas simplement un périmètre

soustrait au grand territoire qui se serait fossilisé

dans

la

forme

originale

choisie

lors de sa genèse. Si on reconnaît toujours

sa grille matrice dans le dialogue des édifices qui la compose, les formes s’y succèdent et

s’y renouvellent sans cesse au rythme des évolutions des besoins de la société et des

interactions qui prennent place dans son espace. Par

recouvrements

successifs,

substitutions

progressives, mutations ponctuelles, elle est un système évolutif, « une sorte de projet

continu, dans lequel on ajoute une pierre qui

61

2.Aldo ROSSI, L’Architecture de la Ville, 1966


1.entretien de Bernard HUET. Le hasard et la nécessité sont la loi du projet urbain, article de Le Monde. 23 nov. 1993

n’est pas la pierre définitive, et qui génère des

transformations plus ou moins explicites. »1 définit Bernard HUET.

On peut de fait reconnaître dans son tissu des coexistences de différentes époques, des lieux

composés

et

recomposés

en

cohérence

avec le schéma initial, des emblèmes urbains

ancrés dans le vécu de la ville devenus formes

identitaires. Ces lieux pris dans leur ensemble

définissent une morphologie reconnaissable. La ville, en ce qu’elle peut être décrite comme

son propre processus d’élaboration, pourrait à cet égard être assimilée à un phénomène naturel du territoire.

Ainsi, parce que la ville en est un élément, sa temporalité s’inscrit dans une continuité

avec l’échelle de temps du sol. Parce qu’elle

évolue à un rythme en réalité propre aux Hommes

et influe sur son contexte, elle s’en fait le catalyseur. Mais

pour

ce

réalisations,

qu’il

s

agit

assimilables

à

des

des

récentes objets

consommables, la problématique est tout autre. Leur succession dans l’espace urbain s’apparente

moins à une construction progressive de formes dans la ville qu’à un enchaînement de réponses ponctuelles posées sur le site, qui une fois

périmées seront annulables en vue de laisser

place à une autre hypothèse dont la durée de vie sera similaire. Au territoire palimpseste

décrit par André CORBOZ se substitue l’ardoise magique. 62


L’ère industrielle a bouleversé notre

rapport à la construction. Le développement des techniques offre une possibilité de maîtrise des matériaux et du contexte, et stimule la volonté de pousser les démonstrations de savoir-faire,

reléguant les sujets de territoire à un second plan.

Tout étant désormais faisable et disponible,

l’accélération du renouvellement des formes

dans la ville est facilitée : bâtir n’impose plus comme à l’époque d’ALBERTI de confronter la puissance de sa force à celle de la matière.

Parce qu’il est possible de le produire plus

vite et sans avoir à mesurer le sacrifice

d’énergie qu’il nécessite, nous avons moins de

scrupules à concevoir un édifice pour un temps très bref, celui de son usage.

Depuis 1851, l’innovation technique est même l’objet de confrontations internationales: les expositions universelles. Les œuvres colossales, apportées par chaque pays n’ont évidemment pas vocation à rester et peu son demeurées. En devenant un emblème de Paris, le Champs de Mars en est l’absolu contre-exemple. ci-dessous: Crystal Palace, PAXTON, Londres, 1851

63


Dès

lors

que

les

limites

techniques

sont

abolies, l’Homme est alors maître absolu de la

composition de son environnement immédiat au gré de l’idée qu’il a de ce qu’il devrait être à l’instant, et sans chercher à en étendre la représentativité à plus longue échelle.

La ville est par nature un objet profondément politique, mais le déséquilibre qui s’installe maintenant

entre

territoire

le

entre

le

projet

social

immédiat et le projet géographique fait du support

d’une

architecture

«marchandise». Quelle que soit sa taille, il s’agit de ne pas penser l’objet construit

à longue échelle : la ville change si vite d’usage que son visage devra suivre. On accepte

désormais naturellement que les architectures ne soient pas pérennes car elles répondent à un

programme qui se doit d’être évolutif. Pour les

plus soucieux des préexistences du contexte,

les projets cherchent à dessiner des espaces aux fonctions peu définies, ou alors modifiables, démontables et déplaçables, là où l’événement Le Pavillon Circulaire, monté par Encore Heureux et le Pavillon

de l’Arsenal devant l’Hôtel de Ville d’octobre 2015 à janvier 2016 photo: AMC architecture

prendrait suite.

64


Ces architectures évoluent au temps ponctuel

de l’événement. Par définition, elles n’entrent

alors pas dans le processus temporel de la

ville. Elles ne créent pas de ville mais de la consommation, de l’interaction, des lieux

autonomes et autocentrés, circonscrits dans le temps et dans l’espace.

En louant trop ces expériences, le risque serait

de tomber dans une accélération perpétuelle des projets et de leur consommation, cercle vicieux

sous-tendu par notre société du spectacle. Le territoire devient progressivement un plateau pour une sorte d’exposition universelle générale,

un camping biodégradable prenant place entre

des chantiers gigantesques de Bigness1 recréant

de toute pièce un environnement artificiel et fonctionnel et qui seront détruites une fois leur programme obsolète.

En somme, ce choix apporte à la vie politique humaine

à

courte

échelle

mais

pas

à

la

construction de la ville. À ce titre, nous

sommes en droit de nous demander ce que ces déplacements de matière et d’énergie apportera aux

générations à venir dans la perception

mentale qu’ils ont de l’espace. Que restera-

t-il de notre époque ? Et pour investir un cadre plus vaste, quel est le temps de la ville aujourd’hui ?

Correspond-il

toujours

celui

du territoire qu’il occupe ? Ou bien est-il

conditionné par la temporalité des des édifices qui s’y succèdent ?

65

1. Bigness: Rem KOOLHASS, New York Delire, 1978


LA MATIÈRE DE LA FORME La complexité d’analyse des besoins multiples et brefs du citadin, et l’incertitude que ceux-

ci puissent être exprimés à travers des formes

pérennes m’a conduit à aborder le problème dans le sens contraire.

Il s’agissait alors de considérer la ville non

plus comme un lieu politique mais, faisant abstraction des

des

dialogues

fonctions

d’usages

que

des

édifices

leur

et

proximité

crée, l’imaginer comme un phénomène physique matériel.

L’espace

quadridimensionnel.

urbain

Le

devient

sol,

alors

jusqu’alors

perçu comme une surface prend une épaisseur, volume archive du temps et support de formes persistantes.

Le sol garde en effet mémoire de cycles de vie de la ville par des vestiges des époques passées,

et qui échappant au temps appartiennent toujours au présent. Aussi bien d’un point de vue figuré

que littéral, ils en constituent la matière, l’épaisseur.

Il faut y comprendre que, si la vitesse de transformation atteinte par la sphère urbaine

fait d’elle un objet dont l’interprétation des interactions

devient

toujours

plus

difficile

et polémique, sa lecture sous l’angle de sa

matérialité physique, de l’accumulation des traces palpables nous invite à reconsidérer

l’importance du sol dans le projet urbain. Elle nous garantit de nous en tenir à une expérience

de sa réalité sans préjugé, la mémoire sédimentée 66


devient alors son matériau constitutif et la non homogénéité de son sol un moyen de la saisir.

Considérant la ville contemporaine sous l’angle

géomorphologique, l’architecture serait alors, à l’instar de la géologie tectonique, une

succession de déplacements de matières qui se sédimentent dans le temps.

La strate urbaine que nous connaissons serait le résultat des recouvrements réguliers des compositions géologiques.

antérieures

depuis

les

temps

Déplacement et sédimentation des matières et des formes au cour du temps: la ville est une

t

stratification d’origine géologique et humaine.

À travers les processus physiques d’origine aussi

bien humaine que géodynamique, d’extraction, de transformation, de déplacement, d’ordonnancement en un ensemble cohérent, d’érosion et de ré-

sédimentation, le sol change perpétuellement de

statut de la matière au matériau à la matière de nouveau.

67


ci-contre: le site de Dodone, GRÈCE Construire la ville sur la ville nécessite désormais de détruire. Cela empêche une inscription dans le sol de l’histoire humaine. Au contraire, la redécouverte de sites antiques, cités abandonnées en leur temps, témoignent de l’ancrage physique que peut prendre une forme dans le territoire qu’elle investit.

Dans un site donné, analyser les caractéristiques

propres du sol pourrait-il nous autoriser d’en faire la matrice du projet ? L’hypothèse à l’origine

du

processus

de

conception

que

nous proposons est qu’en la préservant d’un traitement homogène qui lui ferait perdre son identité, sa lecture en épaisseur puisse être un outil permettant de réintégrer ses marges, pour l’heure exclue, à l’espace de la ville. Ce

postulat

implique

en

premier

lieu

de

comprendre le site comme étant le cœur des nouvelles dynamiques qu’elle tend à créer en tant que fondement et que fondation du projet.

Au contraire d’un support sur lequel dialoguent des objets, il devient l’architecture même d’une

portion de territoire. Par conséquent soumis à son évolution de la même manière que le reste du paysage, le projet est à comprendre comme

un processus d’expérimentation de l’espace à 68


travers les différentes lectures du site qui pourront être faites, plutôt que comme un résultat préfixé.

Enfin, de par sa taille et sa nature évolutive, le projet devra naturellement suggérer un dialogue entre

les

échelles

humaines

et

paysagère,

aussi bien d’un point de vue de la durée de son architecture que de l’étendue d’espace

qu’elle investit. Ainsi, en générant un projet hybride

entre

l’urbain

et

l’architectural,

prendre le site comme une matrice de projet est l’opportunité de réconcilier l’homme avec la réalité de son territoire.

En ce sens, la colline des Brillants à Meudon est précisément un espace qui appelle un projet. Ça n’est pas tant que les habitants manquent

d’équipements spécifiques : dans cette aire urbaine où la vie est organisée à l’échelle

des quartiers et où la relative homogénéité

des profils sociologiques des habitants laisse libre cours à la proposition de programmes variés, il ne manque précisément à la friche que d’appartenir au contexte qui l’enserre.

20 15 10

0-14

30-44

Meudon: une pyramide des âges représentative de la société sur l’ensemble du secteur, répartis entre les coteaux ambiance plus familiale, et front de seine pour les actifs.

45-59

15-29 60-74 75 +

5 0

source : INSEE

69


70


Le val d’Arthelon: une vie à l’échelle du quartier.

gares

équipements de quartier

limites

administratives

0 100 m 200 m

500 m

71


page suivante: Rodin dans son atelier à Meudon. photos d’archive conservées au Musée Rodin

L’affranchissement

des

contraintes

humaines

que nous autorise globalement l’aisance des

meudonnais nous permet de faire du projet un instrument d’expérience du territoire et faire de lui un lieu de la ville, une couture

entre les deux plateaux, le parcours manquant

entre les berges et le sommet de la colline que surplombe la maison et l’atelier d’Auguste

Rodin, ou encore, pour l’image, le socle de la sculpture qui permettent de comprendre comment elle interagit dans l’espace autour d’elle. Rodin, 1886. La tête de Camille Claudel émerge de son socle.

Comment donner une identité forte à la colline et rétablir une lisibilité actuellement perdue

sous la végétation en friche ? Et quelle est cette identité ?

72


73


74


L’INVENTION D’UNE PRÉ-HISTOIRE

75


Pré-histoire: difficilement

Un

intervalle

quantifiable,

un

de

passé

flou

temps

qui

constitue le prétexte plus ou moins manifeste de notre présent.

76


À LA RECHERCHE DES TEMPS PERDUS

UNE EXHUMATION L’IDENTITÉ DU L’identité

DE LIEU

d’un lieu correspond à la

manière dont un espace est vécu, ce qui revient

à la somme des caractéristiques qui permettent de le distinguer d’un autre.

Si elle _ l’identité d’un lieu _ se construit

au fil des temps qu’il traverse, le sol est alors une archive de ses formes successives qui s’y sont sédimentées. Le

thème

de

la

conservation

des

formes

architecturales issues du passé et de leur transmission aux époques successives impose de définir de quelles traces, et par quels projets, pourrons-nous en pérenniser l’existence et y appuyer la création d’une nouvelle interface urbaine ? En

d’autres

termes,

comment

les

vestiges,

issus de passés successifs agissent-il sur l’appropriation faite du lieu ? L’APPROPRIATION LIÉE À LA

En

inscrivant

DE MÉMOIRE

le

dessin

L’ESPACE DES

de

la

EST HOMMES

nouvelle

surface parcourue dans une structure urbaine préexistante,

l’intégration

de

fragments

de la ville passée à la ville contemporaine

permet de donner une progression continue à 77


sa construction identitaire, et donne ainsi

aux hommes qui l’habitent la possibilité de se l’approprier.

La mémoire est en effet plus facile à faire émerger lorsqu’elle s’appuie sur des manifestes

physiques des temps passés. Certaines traces

font appel à la mémoire collective, soit par

leur symbolique, soit par l’usage de l’espace qu’elles induisaient en leur temps. Cependant,

bien

qu’il

évoque

d’autres

temporalités de la ville par la permanence de sa forme matérielle, le vestige appartient entièrement au présent. «La 1. Marc Augé, Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003

ruine

est

le

temps

qui

échappe

à

l’Histoire.» dit Marc AUGÉ, ce qui sous entend: 1

la ruine n’est qu’un objet sans interprétation

intrinsèque. Ce dont on lui fait témoigner est une interprétation humaine de sa forme. De

fait,

lorsqu’il

est

considéré

dans

sa

matérialité pure, le vestige devient un outil de projet.

Sans préjugé lié à un poids historique dont

on l’accapare intuitivement, il prend place

dans une nouvelle strate de ville à travers de nouvelles symboliques ou de nouveaux usages.

De la même manière que le vestige ne « raconte » pas un pan d’histoire mais crée simplement un rappel d’une époque plus ancienne dans

le paysage, la ville n’a pas de mémoire. La

mémoire est celle de Hommes, et l’idée qu’ils ont de la ville permet de créer des continuités

entre un passé qu’ils n’ont pas forcément 78


connu personnellement et un futur qu’ils ne connaissent pas encore.

La cohérence donnée aujourd’hui aux éléments

de la ville d’hier permet de les révéler,

leur rendre une lisibilité, les ordonner en un ensemble, tout en les laissant à la libre

interprétation de chacun. Tout promeneur se fait alors historien de sa propre expérience spatiale.

L’appropriation de l’espace de la ville est alors

le

résultat

d’une

apposition

d’une

mémoire collective évoquée par les fragments

issus des temps [t-n] _ avec nϵ[1;t[ _ à la formation d’une mémoire personnelle fondée sur la pratique de l’espace dessiné au temps t.

CONSIDÉRER LES STRATES GÉOLOGIQUES NOUS CONFRONTE À UN PASSÉ DE LA TERRE QUE PERSONNE N’A CONNU

Lorsqu’on considère les vestiges comme étant

leur propre matière physique, on s’aperçoit que ceux-ci s’insèrent dans un contexte qui n’est

autre qu’un corps similaire mais qui, à leur

différence, n’aurait jamais été mu par une même cohérence d’ensemble, donnée par l’homme à un moment donné.

Cependant, bien qu’elle n’aie pas de forme,

cette matière appartient au même ordre. Il faut comprendre que ces deux entités sont

décomposables en sous-éléments similaires et comparables.

79


Piranesi, coupe du Mausolée d’Hadrien, 1784. La construction est décrite comme un ordonnancement d’éléments de matière.

Malgré les transformations diverses qu’elles aient pu subir, elles sont donc descriptibles

de la même manière. Par conséquent, considérer

l’intégralité du monde d’un point de vue géomorphologique

en

permet

une

décomposition

universelle qui nous permet d’évoquer toutes

les strates de passé de la même manière, si éloignées soient elles et quelles que soient leur

origine,

humaine

ou

géodynamique.

La

matière du sol est ainsi le support qui permet

de lire une continuité de l’histoire de la

Terre et confronter les échelles de l’Homme à celle de son territoire.

Abolir la frontière du statut du matériau et de la matière nous conduit donc à considérer 80


d’importance égale l’intégralité des couches

géologiques, sédimentaires et entités naturelles relatives

à

la

topographie

et

de

manière

plus générale au paysage dans la formation de l’identité des lieux, en remontant à des temporalités du territoire encore antérieures aux ordonnancements humains.

Mais dans ce cas, nous pouvons nous poser la question du ressort par lequel les épaisseurs temporelles contribuent à cette identification du territoire et comment établir des proximités

entre elles à notre époque ? En effet, l’émotion qu’appelle la confrontation de l’Homme aux strates

géologiques

ne

peut

relever

d’une

mémoire collective comme c’était le cas dans

la réinterprétation de vestiges de la strate affleurante: il s’agit d’un temps que n’a jamais connu l’Homme, définissant donc un intervalle dans lequel aucune conscience historique, qui induirait un jugement des éléments a posteriori, ne s’est intercalée.

On parle donc d’un autre type de résurgence, d’autant

plus

différenciable

que

l’émotion

provoquée par la transformation d’un édifice ancien et sa mise en dialogue avec d’autres

éléments de la ville n’a effectivement rien en commun avec l’exhumation de pierres sans âge.

La confrontation au sol géologique évoque plutôt une démarche archéologique que patrimoniale.

En quoi la sensibilité qu’on y a se fait elle

constitutive de notre pratique de l’espace? En quoi l’épaisseur du territoire est identitaire de la ville ?

81


CREUSER EN QUÊTE D’UNE ORIGINE Si

on compose la strate supérieure

à partir de la strate actuelle, la strate inférieure

s’en

fera,

par

réciproque,

un

rétro-éclairage. Ainsi, l’exhumation de traces enfouies fait écho à la recherche d’une origine.

chantier de fouille du monument funéraire néolithique

de Wor Barrow, ANGLETERRE, 1894 photo publiée par l’INRAP

La fascination qu’exerce sur nous les vestiges du passé reflète la préoccupation perpétuelle

que constitue la caractérisation de notre propre rapport au temps. Jusqu’à quelle époque passée pouvons nous remonter ainsi dans l’épaisseur des sols?

82


Le principe de stratigraphie, élaboré à la fin du XVIII

è

siècle permet d’établir une rétro-

chronologie, à partir de la répartition des vestiges dans la coupe géologique.

Depuis la couche contemporaine jusqu’aux nappes plus

anciennes

du

quaternaire,

en

passant

par l’apparition des premiers hommes _ dont témoignent les artefacts ouvragés les plus

profondément enfouis _ l’enracinement physique

de l’histoire de l’Homme donne une échelle de temps à la vie humaine par comparaison à celle du territoire qu’il occupe. Et ça n’est pas beaucoup.

L’exploration du passé géologique montre la

large prédominance temporelle d’une Terre sans les Hommes. La découverte de fossiles d’espèces désormais disparues piégées dans les strates

minérales du Crétacé nous met face à l’idée

de notre relativement imminente extinction.

Quant à la mise au jour de sites antiques vieux de 2500 ans incrustés dans le sol, démontrant des systèmes urbains ou des modes de vie

comparables aux nôtres, elle nous questionne

sur la pérennité de nos propres traces : à notre tour, que restera-t-il de nous dans deux millénaires?

Ainsi, au delà de la mémoire, chercher dans l’épaisseur

du

sol

des

traces

originelles

toujours plus éloignées permet une mise en

contexte des civilisations humaines fugitives dans le temps long du territoire. Comment sommes nous donc soumis à ces temporalités fortes ?

83

principe de stratigraphie: deux couches sédimentaires présentant le même contenu paléontologique ont le même âge. Par extension au domaine de l’archéologie, la datation d’objets trouvés dans le sol peut être déduit de la profondeur de leur enfouissement. source: inrap.fr/

magazine/Histoire-

de-l-archeologie/Lapport-du-terrain/

La-stratigraphie


La proportion de temps d’existence de l’Homme sur celle de la Terre est anecdotique: pour pouvoir faire rentrer les deux évènements sur une même page sans avoir recours à une échelle logarithmique 1mm correspond à 28 000 ans, une ligne à 2 300 000 ans _ soit 23 fois le temps de l’humanité .

-4 600 000 000 apparition de la Terre

-4 450 000 000 formation des océans

-540 000 000 apparition de la vie

-100 000 apparition HomoSapiens

-65 000 000 extinction des dinosaures et ammonites

84

-3 500 Préhistoire


Transposition temporelle: des touristes commentent la qualité graphique de la frise de la porte du mausolée de Philippe II, fils d’Alexandre le Grand, en Macédoine centrale

Alors que la vie humaine est conditionnée

en décennies et s’additionne comme autant de cycles identiques jusqu’à composer l’ensemble d’une civilisation _ dénombrable en centaines ou

milliers

d’années_,

le

territoire

et

les vestiges matériels issus des activités

humaines figés dans la roche, se mesurent en éons selon l’échelle des temps géologiques. Par conséquent, si le projet d’architecture

considéré simplement comme lieu d’interaction

reste lié à l’échelle de temps humaine par

la rapide caducité de son usage, nous pouvons espérer de la qualité de sa forme qu’elle lui permette de s’inscrire de manière durable dans

le paysage et n’aie comme obsolescence que la résistance de ses matériaux.

85


S’INSCRIRE DANS LE PAYSAGE NATUREL PAR DES FORMES FONDAMENTALES Les traces du passé témoignent également de l’évolution du rapport que nous entretenons avec notre territoire.

Pour simplifier le propos à suivre, nous pourrions diviser artificiellement le temps du territoire en trois périodes parfaitement inégales. La première, d’un âge sans les Hommes, s’étendrait

depuis la formation de la croûte terrestre (-4550 millions d’années) jusqu’à ce qu’on appelle

communément l’« apparition de l’Homme », et qui en réalité correspond au moment où l’Homo Sapiens se distingue des autres espèces animales par le développement de techniques aboutissant

à la formation d’une culture (-3,8 millions

d’année). La seconde serait celle d’un âge où l’Homme vivrait son territoire sans rapport de

domination, ne sollicitant «aucun contraste 1. Roberto PEREGALLI, Les lieux et la poussière, 2010

ni aucune violence»1 et se définirait donc

des premières traces de la préhistoire (-3,8 MA) à la révolution industrielle du début du

XIXème siècle. Enfin la troisième, de l’époque

industrielle à nos jours, évoque un âge où territoire est relayé à un thème de second

plan par l’Homme se considérant _ comme le

prévoyait DESCARTES _ « maître et possesseur

de la Nature », soumis à un essor croissant de techniques et recouvert de matériaux performants et artificiels.

86


période 1

période 2 apparition de l’Homme

pas d’humanité

période 3

révolution industrielle

Homme de pierre

traces gestes outils

Homme industriel

t

domination technique du sol rapport

séparation

à la nature:

traditionelles

d’imitation L’Homme

des sociétés

existe et

asservissement

dans un

environnement

n’est pas rapport de domination

d’un

«amorphe»

avec la Nature

Nature vierge

matières ordonnées

formes fondamentales

matières transformées

distanciation du territoire

87


Chose

relativement

étrange:

du

fait

de

l’éloignement temporel que nous concevons mal ou de l’absence de recul que nous avons sur

notre univers référentiel, la mise en relation d’un matériau immaculé, issu directement des processus naturels, avec un artefact issu du

travail d’un Homme primitif sur le même matériau

nous paraît à première vue moins frappant que le dialogue de celui-ci avec un objet extrait de notre quotidien.

2

1

Une marnes (minéral du jurassique), un silex biface (outil du paléolithique inférieur), un couteau d’office (outil contemporain)

3

Alors que dans le premier cas (1 VS 2), la

plastique de la matière identique ne nous paraît remarquable que par la trace d’un outil, la

seconde comparaison (2 VS 3) nous fait

opposer des matériaux artificiel et naturel, un

objet appartenant à un passé flou et érodé à un autre que nous analysons intuitivement dans un contexte d’usage familier. 88


Pourtant différenciable à bien des égards dans leur aspect physique, l’outil primitif fait

écho à la culture matérielle de nos jours : c’est un outil et un produit de l’ activité

de l’Homme et du fait de ce statut il se fait objet identifiable à ceux qui nous entourent désormais.

Ami Drach et Dov Ganchrow «BC-AD; contemporary flint tool design» Cette oeuvre, utilisée comme affiche pour l’exposition «Préhistoire, une énigme moderne» au Centre Pompidou à l’été 2019, interroge sur la valeur relative d’un objet conçu par et pour une société.

C’est ce que rappelle BRASSAI dans son manifeste

« Des murs des cavernes au murs des usines », « Graver sur un mur, c’est retrouver l’antique

geste humain et aussi l’antique façon de

découvrir le monde. »1 À travers l’exemple du

rapprochement du tag à l’art pariétale, il évoque la permanence de gestes à travers les époques : les vestiges que nous exhumons sont séparés d’ellipses opaques, mais l’immuable démarche humaine d’inscription dans son environnement nous rapproche de ces ancêtres inconnus.

89

1. BRASSAI, Des murs des cavernes au murs des usines, 1933


BRASSAI, Série III: la naissance du visage

Un virage dans la mise en équilibre de la vie humaine dans le territoire est cependant

indéniable. Alors que de nos jours le sol est généralement traitée comme une surface amorphe et bonne à être exploitée, un passé plus ancien nous montre un âge où la matérialité

de l’architecture se confond avec celle de la nature. Ces deux entités se reflètent alors mutuellement en formant un grand paysage. Les

artefacts dont on a hérité montrent des formes simples et élémentaires, violentes et crues, massives et minimales, à laquelle l’absence de recherche ornementale donne une apparente simplicité. 90


« Apparente » simplement, puisqu’en s’attachant à appréhender le territoire de manière à se l’approprier,

les

premières

installations

dans le paysage définissent des rapports les

plus fondamentaux de la construction de notre culture urbaine. Par le dessin de rapports de dimension, de composition et l’élaboration de

seuils entre les objets et le territoire, les hommes primitifs, puis les antiques, démontrent

une capacité à se définir dans l’espace, aussi bien d’un point de vue spatial_ en composant avec la topographie ou l’horizon_ , que temporel

_ en créant des installations mouvantes selon les cycles solaires, par exemple.

Stonehenge, Wiltshire. photo:

91

Léonardo BENEVOLO I segni dell’uomo sulla Terra, 1999


Alors que la nature vierge n’a pas d’échelle, l’espace parcouru par l’Homme s’ordonne, sort d’un chaos. Les déplacements de matières sont à

la mesure de sa force, les distances sont celles que lui permettent ses déplacements, le temps, quatrième dimension du processus de conception,

compte dans l’espace. Il se fait ainsi étalon de l’espace, non pas dans un sens mathématique,

tel que le suppose par exemple le Modulor,

outil définissant des proportions géométriques

artificielles, mais au sens kinesthésique. Le monde se fait quantifiable à la mesure de l’effort qu’il nécessite et le regard de l’homme fait exister le paysage. Depuis

le

protectrice

thème chez

récurent

les

de

la

artistes

nature

Romantiques

jusqu’aux Land-Art des années 70 en passant par

la cabane primitive de LAUGIER et l’idéologie du rationalisme structurel, cette révélation

tectonique nous invite à revenir à un rapport

plus direct à notre environnement. Fonder notre expérience

de

l’espace

sur

des

sensations

tactiles et retrouver le lien brouillé de l’Homme à la nature datant d’une époque où le rythme de l’espace vécu était celui des pas. L’émotion

plastique

que

nous

éprouvons

au

contact de ces pierres sculptées relèvent donc de la rencontre entre l’intention formelle

forte de l’Homme sur la matière. Le contraste

de la trace de l’outil sur le matériau brut devient une manière de s’inscrire dans la matière durable, de se comparer au territoire et ainsi le faire exister. 92


Land Art. Formes monumentales et élémentaire interagissant avec leur environnement L’abstraction plastique conduit à une compression temporelle à travers des signes tactiles. Elle fait exister des lieux pour le temps de l’oeuvre.

Eduardo CHILLIDA, Peigne de vent, Saint Sebastien

93

Michael HEIZER, Isolated Mass, 1968-1978


DU CÔTÉ DES BRILLANTS

QUELLE EST PRÉHISTOIRE? 1. Françoise CHOAY, L’allégorie du patrimoine, 1992

«Le

monument

a

pour

NOTRE

but

de faire

revivre au présent un passé englouti dans le temps.»1

LES MONUMENTS DE MEUDON : GÉOLOGIE TECTONIQUE ET ARCHÉOLOGIE INDUSTRIELLE

Comme on l’a décrit dans un premier temps, ce territoire semble dénué de toute chronologie

véritable. Malgré un apprivoisement de son

échelle par des événements rapprochés à l’ère industrielle

qui

influent

cheminée d’aérage pont du RER C NGF 50

enceinte de l’ancienne blanchisserie

94

plateau NGF 60

fortement

sur

installations industrielles plateau NGF 66

sa


transformation physique, ceux-ci ne forment pourtant

pas

une

histoire

construite

et

continue. Les objets semblent posés séparément,

sans dialogue entre eux, laissant des vides non caractérisés et sans structure apparente. Il y a peu d’interaction entre les monuments

du site, les rapports restent à déchiffrer ou à inventer en créant des univers propres à

chacun de ces vestiges indépendants. Il s’agit

alors de faire entrer ces différents plans, ces réalités distinctes en dialogue pour proposer

une histoire. En d’autres termes, le projet devra

proposer

un

ensemble

de

dispositifs

paysagers et architecturaux cohérents entre eux

qui en mettant en scène la matière du sol et les traces exhumées permettent d’intégrer le site à l’espace urbain .

coupe de site de l’existant Relevé des éléments à prendre en compte dans le dessin du projet

maison de Rodin NGF 85

vue panoramique sur le bassin parisien

végétation de sous-bois

calcaire grossier sable glauconneux argiles plastiques

argiles vertes et rouges cendrier et conglomérat calcaire de Meudon

craie

carrières de craie

stratification de minéraux hétérogène

95

nappe phréatique


pont du RER C NGF 50

plateau NGF 60

plateau NGF 66

cheminée d’aérage maison de Rodin NGF 85 enceinte de l’ancienne blanchisserie

96


97


La richesse minérale du sol permet aux activités humaines de s’enraciner dans son épaisseur.

Dans le cas des Brillants, elle est le tout premier

périmètre

témoignage et

est

de

l’occupation

l’élément

de

ce

déclencheur

d’une série d’évènements accélérée à l’ère industrielle.

Elle fait de cette aire, jusqu’à lors trop uniforme pour être remarquée, une accroche au

regard

permettant

l’observation

de

ce

territoire. « Imperfection » intentionnelle dans le paysage, le contraste qu’elle provoque avec les traces accidentelles dues aux mouvements et évolutions 1.«No-Sight/ uncertain site»: Robert SMITHSON, 1968

des morphologies naturellement

prises par le sol transforme le non-site en site, le no-sight en sight.1

Quel caractère la carrière donne-t-elle au sol et peut elle devenir un lieu de projet ?

98


LA CARRIÈRE: DE LA RESSOURCE AU PROJET DE TERRITOIRE « Habiter

territoire .»

est

2

une

hypothèse

quant

au

Toute civilisation commence par fonder son abri

à partir des matériaux que lui offre le site

sur lequel il a choisi de s’établir. Déjà au

2.Vittorio GREGOTTI, Il territorio dell’ architettura, 1966

néolithique, l’assemblage de pierres glanées au sol, puis extraites de strates de plus en plus

profondes et denses par souci de taille et de résistance, montre que la fonction de la carrière est fondatrice de toute installation humaines,

et ce bien avant l’époque industrielle. En tant que déplacement de matière, elle est la matrice

de la ville et indissociable de l’architecture. La dénaturation de ce rapport simple au sol

creuser permet d’atteindre

99

des matériaux plus résistants, issus de strates plus profondes


Suivant le même principe, la carrière est un moyen d’exploiter le sol de manière plus systématique. Il existe deux typologies de carrières discernables dans les paysages: à ciel ouvert, lorsque la roche affleurante est de qualité, ou bien souterraine lorsque la

a lieu cependant quand dans le modelage de

celui-ci en vu d’être habité, intervient la volonté

de

contrôle

et

d’optimisation

des

rendements. Quand la grande mesure prise par l’industrie du bâtiment nécessite de rendre la

chose

technique,

à

l’ère

industrielle.

Les prélèvements massifs demandent alors une organisation plus systématique.

Récemment, la demande en pierre de taille se

strate visée n’affleure pas.

100


cavage par rampe inclinée topographie faible

cavage

à

flanc

de

coteau

topographie forte

Régionalismes. Selon la formation géologique affleurante, les exploitations varient et les matériaux de constructions aussi: c’est par exemple le cas du tuf dans le bassin de la Loire. carte de la répartition des carrières en France, par le Syndicat National des Industriesde Roches Ornementales et de Construction

calcaire à Caumont

gypse à Montmartre

craie à Meudon

101

Les contraintes topographiques et mécaniqus imposées par les sols conduisent à l’élaboration de techniques adaptées à chaque minéral, donc à des paysages souterrains variés. Selon la pureté de la roche, sa tendresse et son comportement structurel, les outils employés, les formes de cavage et le traitement des parois sont différents. Par exemple, dans la majeure partie des cas, le calcaire _ roche tendre_ nécessite de tailler le ciel en voûte plein cintre. Les peignes guident le ruissellement des eaux.


faisant rare _ limitée principalement à la restauration patrimoniale _ beaucoup de ces sites

se

retrouvent

inexploités,

oubliés,

tentent des reconversions d’usage telles que la culture de champignons, l’abri militaire,

le lieu de stockage. En réalité, leur grande

dimension et les précautions techniques qu’ils

requièrent pour être occupés font d’eux des lieux relativement hermétiques aux projets,

tandis que l’étalement urbain les ramène à la marge des villes. Ces sites industriels sont donc

désormais

des

défis

architecturaux

et

paysagers qu’il nous est nécessaire de relever,

aussi bien d’un point de vue interne pour leur offrir une continuité architecturale, que d’un

point de vue externe pour donner une fluidité au tissu urbain. D’une manière ou d’un autre il faudra prendre position.

« Site industriel » ? « défi paysager »?

Il y

a encore quelques années, prononcer ces deux

expressions en une même phrase aurait paru provocateur. L’opposition

manifeste

de

l’exploitation

outrancière des sols et la dénaturation des paysages à l’exaltation romantique prônant la « communion avec la nature et l’humanité toute

entière »1 rend difficile l’acceptation d’une 1. Lagarde et Michard XIXe

beauté subsistant dans l’esprit du lieu selon les classiques critères.

« Cette beauté est difficile, difficile à découvrir,

à admettre. Elle est paradoxale. Car il ya paradoxe à rechercher la beauté dans un monde 102


argile lambourde

craie

6.0

4.5

6.0

4.6 3.8

6.6

3.8

5.0 6.8

4.5

6.0

Depuis l’entrée en cavage, la carrière se déploie perpendiculairement aux courbes de niveau. Le large quadrillage orthogonal permet de dégager et ramener facilement les blocs à la sortie à l’aide d’engins de chantier. Quant à la proportion de sa trame, elle répond à la témérité des carriers : globalement « 60% de plein, ça tient ».

4.5

Plan et coupe types de carrière de craie à piliers tournés.

La grande dimension des sites nécessaires à l’extraction de quantités suffisantes de matériaux portent à éloigner les carrières des villes. Ils sont relégués en aux campagnes et zones périphériques.

103


qui lui tourne délibérément le dos. Un monde voué

au chaos, à l’informe, au perpétuel changement, à l’inachevé. Un monde qui porte la marque, contrairement au monde champêtre ou urbain, moins de la joie créatrice de l’Homme que de

sa sueur et de sa peine. »1 affirme Eric ROHMER

dans son film documentaire Les métamorphoses du 1. Éric ROHMER, Les métamorphoses du paysage: l’ère industrielle, 1964

paysage.

Par cette phrase il se fait précurseur d’un

nouveau regard sur le paysage : le paysage est notre patrimoine, ce que nous en faisons, ce que

nous voulons en voir. La sensibilité que nous y avons est une notion construite socialement.

Tout comme le montre Robert SMITHSON lorsqu’il décrit des terrains vagues et des zones de chantier à la manière d’ensembles oniriques

et exaltés que se jalouseraient les peintres romantiques, le regard que nous portons sur lui est une produit de nos propres préjugés culturels.

« Souvent, ce que nous appelons « beauté

naturelle » n’est pas dans la chose mais dans la

constatation de l’existence de la matière des paysages comme stratigraphie de leur formation 1. Vittorio GREGOTTI, Il territorio dell’ architettura, 1966

par recouvrement »2, affirme GREGOTTI.

En ce sens, nous pourrions considérer que

le contraste de la trace artificielle laissée par les outils de l’Homme contribue à saisir

la beauté naturelle de son environnement, et enrichissent la lecture de ses lignes de force.

L’émergence d’une « archéologie industrielle » à partir des années 1940, permise notamment

par un recul sur l’activité humaine au siècle dernier, nous rend aujourd’hui sensibles à ces 104


témoignages du passé proche de nos villes, et des savoirs faire techniques associés à

l’occupation du territoire _ le cas échéant celui des carriers. En

tant

que

industrielle,

vestige la

privé

forme

de

de

connotation

la

carrière

inexploitée se rapproche physiquement plutôt de l’abri primitif, de la caverne.

Architecture constituée d’un même matériau, uniforme et déterminé par la nappe géologique

où elle est forée, elle donne l’expérience physique rare de pouvoir entrer dans le sol. Et qu’y trouve t on ?

Ugo MULAS: L’attente (Lucio Fontana)

Dans l’imaginaire à la fois traditionnel et moderne, traverser l’épiderme du sol stimule

les fantasmes. Nourrie par un corpus étayé de

mythes, récits et légendes, l’épaisseur de la terre évoque l’existence d’un monde séparé du

105


nôtre par la croûte terrestre qui serait un lieu initiatique de repli sur soi, de connaissance, refuge

isolé

et

protecteur

permettant

une

renaissance plus intense, un incubateur, un noyau métaphysique.

Sandro BOTTICELLI, La Carte des Enfers, 1485 d’après La Divive Comédie, DANTE, 1321


Quant aux perceptions qu’on y a, cet espace

est effectivement extrait de la ville que nous foulons quotidiennement par la limite visuelle

et physique qu’il constitue. Pénétrer le sol

bouleverse nos référentiels usuels de temps et d’espace et nous impose d’en renouveler sans cesse l’expérience.

_ En nous isolant des cycles solaires, notre

conscience du temps est faussée. Il est ainsi possible pour les cataphiles, par exemple, de

marcher dans des kilomètres de galeries pendant toute une nuit sans prendre conscience du temps qu’ils y ont passé ni de leur fatigue.

Sous terre, les seuls indices qui restent et deviennent nos marqueurs temporels sont le

rythme des pas _ le temps du parcours _, et à l’opposé l’érosion de la matière soumise à son

vieillissement naturel_ la véritable identité

du matériau en dehors des idéalisations faites de son état raffiné pour bâtir en surface_. Dans un certain sens elle s’apparente donc effectivement à une capsule temporelle.

_ De plus, la construction soustractive des espaces fait d’eux des lieux spontanément clos

et vus par le dessous. Cette configuration ne nous permet pas d’en avoir une vue d’ensemble, et ils s’articulent progressivement dans notre esprit comme un parcours mystérieux et labyrinthique

de pièces successives. Chacune est extraite du contexte et a sa propre échelle.

En effet, les galeries taillées des carrières ne sont pas conçues à l’échelle de l’usage

107


humain mais à celle que préconise une meilleure

optimisation de la ressource. Nos points de repères habituels, comme les objets ou la

fonction des espaces, disparaissent au profit de vides sans signification. Pour en prendre la

mesure, il est alors nécessaire à l’explorateur

de se représenter dans l’espace et renouveler son étalonnage. Ainsi,

aussi

physiquement,

bien

les

temporellement

échelles

de

que

l’espace

souterrain sont données par le recentrement personnel du sujet qui s’y déplace.

Anne HOLTROP et Bas PRINCEN, Batara, 2012

108


Le

thème

principal

que

soulève

donc

l’incorporation de ce monde hypogée encore

jamais habité à la ville est la superposition des échelles qu’elle met en jeu.

La rencontre de l’organisme complexe du sol naturel et de l’architecture humaine implique

alors un dialogue entre deux mesures de temps et d’espace qui coexistent souvent en s’ignorant, alors que c’est précisément elle qui crée notre

contexte urbain. Elle nécessite désormais de

concevoir l’architecture à large échelle comme un projet de topographie et de paysage. Dans la

matière tridimensionnelle infinie et informe,

cette démarche impose d’affirmer des limites et des seuils, de faire prendre place les minéraux

exhumés dans l’espace de la ville tel qu’on

le ferait dans un processus patrimonial pour une autre ruine.

Pour faire de la carrière

un site de projet, il est en somme primordial

de s’attacher à l’intégrer à la lecture de la surface de la ville.

Quel projet pourra donc nous permettre d’en rapporter

une

mémoire,

saisir

les

temps

qu’elle évoque et ainsi mettre en évidence les contrastes qu’elle porte ?

109


110


S C U L P T U R E PSYCHOGÉOGRAPHIQUE ET PLASTIQUE MINÉRALE

111


Psychogéographie :

«L’étude des effets précis

du milieu géographique, consciemment aménagé ou

non, agissant directement sur le comportement affectif des individus.» 1. définition de Guy DEBORD, Internationale situationniste n°1, 158

112

1


LA FRICHE FACE À

À

INDUSTRIELLE LA VILLE

la différence de la ville historique

qui camoufle plusieurs épaisseurs de vestiges et

de

formes

d’atteindre

urbaines

le

sol

sédimentées

géologique,

la

avant

friche

industrielle présente la particularité d’être une superposition directe de l’activité humaine sur le sol qu’on pourrait dire « naturel ». De

fait,

plutôt

qu’être

un

palimpseste

amnésique, fruit de déplacements postérieurs

des matériaux _ comme le propose André CORBOZ _ elle se présente à nous précisément comme un site

antique abandonné et redécouvert après quelques années

d’érosion:

des

traces

relativement

clairsemées mais aussi relativement intègres et continues. Actuellement

répondant

au

qualificatif

d’« enclaves », leur peu de structure et leur isolement

caractéristiques

pourraient

être

considérés comme qualités exploitables dans la constitution d’un programme répondant aux besoins du site :

D’une part, leur abandon au cours du siècle

fait d’eux des territoire restés figés dans une ville qui a continué d’évoluer. De fait, ils

sont aujourd’hui naturellement isolés du temps

fourmillant de leur contexte immédiat, et ont conservé en l’état une forme de respiration dans la densité qui les encercle.

113


D’autre part, la vacuité de ces terrains laisse

une certaine liberté d’interprétation du sol

dans les interstices laissés par leurs éléments disparates.

Ainsi, ces spécificités font d’eux des univers

privilégiés pour en organiser une identité, y composer un récit autour de leurs différentes pièces subsistantes, un cadre dans lequel chacun

puisse avoir sa propre expérience spatiale. Quel usage attribué au sol sera apte à qualifier ces lieux d’une identité propre ?

114


La surface de la carrière des Brillants en est

l’exemple

type.

Elle

est

située

en

périphérie de Paris et à la jointure de deux quartiers

aux

Par

topographie,

et

en

sa

structures

recherche

urbaines

diverses

grande

superficie

d’expansions sa

potentielles.

embroussaillée et ses contours flous, elle est

un espace peu compréhensible et rejette son environnement. L’appropriation du site est par

conséquent pratiquement impossible et limitée à une occupation marginale de la colline par une poignée d’artistes et artisans.

115

Comment réintégrer la friche dans le milieu urbain?


« Sub-urbanisme : n.m dérivé de suburbain

(italique : suburbia) et démarqué de urbanisme.

_ Discipline de projet d’abord inspirée par les situations suburbaines, et où la hiérarchie traditionnellement instaurée par l’urbanisme

entre programme et site (d’après la logique

de commande qui prévaut en architecture) est inversée, le site devenant l’idée régulatrice 1. Sébastien MAROT, Sub-Urbanisme et Paysage, 1996

du projet. »

1

Faire de ce site un élément de la ville suppose donc non seulement de créer un lien fort entre

cette aire et le reste du tissu urbain mais aussi faire de cet espace un lieu public ouvert à tous et où chacun puisse faire du projet

l’outil de sa propre exploration du site. Les caractéristiques physiques de la colline des

Brillants nous portent naturellement vers la

volonté d’une représentation du site tel un

territoire stratifié, d’un contact direct et violent entre un passé géologique et humain, entre l’échelle de temps attribuée à la vie

de l’homme _ d’une importance toujours plus

démesurée_ et celle du territoire qu’il habite. Mais plus méthodiquement, quelles sont les caractéristiques

d’un

programme

permette d’hériter de ce périmètre ?

116

qui

nous


CAHIER DE CHARGES

Le projet devra être une couture physique

UN ESPACE PUBLIC

entre la ville haute surplombée par le domaine

de Rodin et la ville basse séparées par la topographie et proposer une structure physique aux 6 hectares de friche.

Le projet devra conserver la biodiversité de

UN PARC PAYSAGER

la colline et le type de végétation de taillis

caractéristique, tout en rétablissant des cônes

de vue sur le Val de Seine autrefois existants, du temps que la colline était encore entretenue.

Il faudra que le parcours reliant les niveaux

UN PARC PAYSAGER PROPOSANT DES ÉQUIPEMENTS HYPOGÉS

permette de traverser les différentes strates.

Il devra notamment intégrer les carrières _

patrimoine industriel _ à la ville tout en leur conférant un nouvel usage qui évite leur muséification, à raison d’un rapport du plein au vide de 1,25 (ratio respecté par les carriers) , et créer ainsi une nouvelle perception du sol qui s’articule autrement que l’habituelle

opposition autour de la ligne d’horizon du dessus «la ville habitée » et du dessous « invisible et inhabitable ».

Le

projet

devra

nécessairement

prendre

en

compte les caractéristiques du sol, notamment

la présence et le ruissellement d’eau et la

non homogénéité de ses matériaux. De fait, 117

DES USAGES HYPOGÉS VALORISANT LES CARACTÉRISTIQUES NATURELLES DU SOL


on s’attachera à utiliser leurs propriétés plastiques chimiques,

et

comportements

thermiques,

structurels,

hygrométriques,

lumineuses et acoustiques dans la définition de processus de construction.

DES USAGES HYPOGÉS S’ADRESSANT À CHACUN INDÉPENDEMMENT

Le projet ne doit pas être orienté spécifiquement

à la population locale, ni concerner plus une tranche d’âge ou un profil qu’un autre. Le projet doit être adressé à tous, et inclure tout individu.

UNE EXPÉRIENCE PERSONNELLE ET PHYSIQUE

Pour cela, il devra proposer à chacun une expérience qui lui permette d’être le centre de

son attention et se retrouver soi même. Le projet inclura donc deux équipements antinomiques et complémentaires.

PARC - THERMES - FORUM UN PARCOURS DE STRATES

On propose donc en premier lieu, des thermes à l’usage tourné vers la recherche de soi. Ceux-

ci seront complétés par un forum, qui propose au contraire une ouverture au regard des autres, et renforce le lien social.

Le projet se propose d’être un voyage initiatique à

travers

l’épaisseur

quadridimensionnelle

d’un parc qui incluera comme fin de parcours les thermes et le forum. 118


COUTURE PHYSIQUE

CARRIÈRES INTÉGRÉES AU PAYSAGE URBAIN

UTILISATION DES CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES ET GEOMÉTRIQUES DU SOL

ESPACE SOUSTRACTIF ET USAGES HYPOGES

UN LIEU POUR TOUS ET POUR CHACUN

RÉINTERPRÊTATION DE FORMES VERS UN AUTRE USAGE DE L’ESPACE


AMBITION DU PARCOURS ARCHITECTURAL cf esquisse rapide p.205

Dans un premier temps, le parcours de ce socle

proposé au domaine de Rodin permet au sujet de joindre les différents plateaux et d’embrasser

les vues sur la vallée et Paris. Le promeneur se voit ensuite offrir de traverser l’épiderme.

L’expérience spatiale des thermes et du forum hypogée lui suggèrent une descente dans la

matière du sol, tel Énée visitant les enfers. Dans cet univers inhabituel et clos, où le

temps et l’espace prennent un sens relativement abstrait, toute mesure est celle de ses propres

perceptions. Extrait du monde, il est alors

contraint de faire confiance à ses sens et à reconsidérer perpétuellement sa mesure.

En retrouvant la surface et la porte du parc, l’issue de la promenade sera la construction du site comme lieu de la ville: à la fois

physiquement par la forme donnée à ses tracés et mentalement par la somme des expériences personnelles qui en est fait.

Quel protocole permet de donner forme à cette ORGANIGRAMMME

identification de l’espace ?

UNE COUTURE URBAINE PAR L’ÉPAISSEUR

PARC : 6 HA VILLE BASSE

VILLE HAUTE CARRIÈRES/ ESPACE SOUTERRAIN

RÉSEAU D’ÉQUIPEMENTS THERMES ET FORUM 5000 M²

120


DES BAINS THERMAUX LE PARCOURS THERMAL

LES ESPACES SERVANTS

ESPACE ADMINISTRATION

ACCUEIL 180 m²

SANITAIRE VESTIAIRE

15 m²

BUANDERIE

20 m²

LOCAL PROPRETÉ 15 m²

VESTIAIRE 2X 100 m²

DOUCHES

45 m²

X2

SANITAIRES

45 m²

X2

INFIRMERIE

40 m²

TEPIDARIUM 25°C 120 m²

DOUCHES

20 m²

SALLE À BOIRE 75 m² CALDARIUM 37°C 100 m² ÉTUVE SÈCHE

30 m²

ÉTUVE HUMIDE

30 m²

FRIGIDARIUM 12°C 300 m² BAINS THERMAUX

120 m²

SALLES D’ONCTION

6X 15 m² BASSIN TAMPON

250 m²

BASSIN D’APPRENTISSAGE

RÉSERVOIR

250 m²

BASSIN DÉTENTE

CHAUFFERIE

30 m²

NATATIO 900 m² 375 m² 130 m²

VESTIAIRE

Pratique issue de l’Antiquité, à l’origine d’endurcissement dans la culture grecque et de bien-être dans la culture latine, les bains sont le lieu du corps et de la sociabilité. Du Japon à la Scandinavie en passant par le Moyen-Orient, chaque société semble en avoir développé sa propre pratique. Un point commun à toutes: l’aspect rituel. Quel qu’il soit _ pour prendre l’exemple du sauna finlandais, se plonger dans une vasque d’eau froide au sortir de l’étuve sèche _ un protocole inaltérable participe au retour d’une l’harmonie du corps et de l’esprit. Les bains à l’antique rassemblent beaucoup de ces pratiques à travers un parcours de pièces d’échauffement et de refroidissement.

LOUNGE

UN FORUM BAR

RÉSERVE 30 m² 150 m²

SALLE DE PROJECTION 65 PLACES 150 m²

121


1. Frances YATES, The Art of Memory, 1966

La ville est un lieu mnémotechnique. C’est en tous cas ce que semble affirmer l’historienne britannique Frances YATES lorsqu’elle décrit les astuces et procédés de mémorisation du discours chez les antiques.1 Les rhéteurs, associant la succession de leurs idées dans l’argumentation à des lieux successivement parcourus d’une ville ou d’un édifice imaginaire, utilisent alors les images mentales qu’ils évoquent pour développer leur propos de manière logique. La visualisation progressive d’images emblématiques est donc le moyen de se souvenir d’un parcours, mental ou physique, et l’espace urbain le siège privilégié du développement de ce fil directeur. Par conséquent, en proposant une interprétation réciproque de cette étude, la caractérisation des espaces serait la condition nécessaire à l’élaboration d’un parcours et, cette structure logique donnée à la portion de territoire observée, la condition nécessaire à sa compréhension.

122


DE LA FRICHE ALLUSIVE À L’ENCLOS DE MÉMOIRE La

création

l’espace

d’un

parcours

caractérisé

structuré

facilite

dans

l’élaboration

d’un récit et propose une histoire, quelle

qu’elle soit. C’est d’ailleurs le cas dans la construction du discours antique. (voir cicontre)

Par ailleurs, lorsque les artefacts qui rythment

le paysage et qui en créent les articulations

sont des ruines paysagères, des traces et fragments d’époque passées, le récit devient

celui de l’épaisseur du sol. Le jardin, recelant simultanément de toutes les époques antérieures

propose une série de possibilités et un futur éventuel. (voir exemples page suivante)

Ne pourrions nous donc pas, dans le cadre du projet, assimiler la composition du parc à celle d’un parcours à travers une pièce urbaine?


Constitué de cheminements et d’expériences spatiales, chaque jardin raconte sa propre histoire. Il se présente comme un lieu de rencontre entre l’homme et la nature et évoque par conséquent la liberté de mouvement, l’ouverture à toute possibilité et à l’apprentissage. Son usage n’est donc pas a priori précisément défini par le concepteur, mais la simple articulation de formes emblématiques font naitre des proximités et passerelles qui donnent soudain un ordre à tous les éléments du site.

1. Jardins de Boboli (1766): Un ordre scénographique proposant des vues cadrées comme des tableaux.

1.

2. Bercy

en 1900

2. Parc Monceau (1852):

Bercy

Un ordre chronologique : mise en scène de fabriques représentatives d’une idéalisation du passé et du lointain.

en 1993

3. Parc de Bercy (1993) : Un ordre historique : un

3.

réseau formé sur les fragments des passés du site. 4. Jardins de l’Imaginaire (1996) : Un ordre thématique: symbolisation des fragments d’histoires des jardins à travers un parcours de terrasses.

124

4.


Comme le rappelle Gilles CLÉMENT, le projet

de territoire est très différent du projet d’architecture

en

ce

qu’il

l’intégralité de celui-ci.

se

rapporte

à

« Le travail du paysagiste se démarque de celui

de l’architecte ou de l’artiste. [...] l’espace pris en considération compte jusqu’au périmètre visuel, c’est à dire bien au delà du territoire sur lequel il projette ».1

Il s’apparente en cela à un projet d’urbanisme

dans lequel le ratio de surface construite et de surface libre serait inversé. Pour se

rattacher à la ville dite « historique » _ le centre_, le projet de paysage venu structurer la friche devra donc répondre à la fois à des

problématiques liées à la prise de position dans un territoire encore vierge et à celles

liées à la prise de position dans ceux qui sont déjà saturés d’informations.

Telle une première ville antique s’implantant

dans le paysage sans mesure, la friche est une

part

précisément

définie

et

soustraite

au territoire. Cette pièce se démarque de son contexte par sa propre logique interne,

autonome, et son évolution à un rythme propre. À l’intérieur de l’enceinte même, se reconstruit un univers cohérent, dont le dessin répond à

une compréhension de la morphologie du site et peut ainsi tendre à un dialogue de formes

et de dimensions avec l’immensité du paysage environnant.

125

1. Gilles CLÉMENT, dans Le Jardin comme art et lieu

de mémoire, ouvrage collectif sous la direction de MOSSER & NYS, 1995


Au contraire de l’image médiévale d’une étendue de terre prenant place autour de l’édifice principal et enclose dans l’enceinte d’une forteresse, à partir de l’âge classique, le jardin est effectivement pensé comme une pièce urbaine. Ses tracés tirent ainsi parti de la morphologie des sites et de la ville environnante et s’appuie sur des données géographiques et cartographiques.

126


rapport au bâti rural

Si, aujourd’hui, leur dessin nous semble souvent des

pièces sans rapport avec le contexte et des motifs sans signification, c’est parce que le tissu urbain qui l’entoure a évolué indépendamment autour de son emprise, et son dessin lui même a souvent subi des modifications au goût des styles successifs sans souci de l’intelligence de la composition initiale.

127

Thierry MARIAGE, L’univers de Le Nôtre, 1990


En revanche, en tant que greffon d’une zone déjà très urbanisée, ses tracés répondent à la structure urbaine qui l’entoure. Dans la continuité du maillage de la ville existante,

faire prendre place les éléments de la friche conservés tient de la construction d’un réseau ouvert sur l’extérieur. Les fragments doivent

trouver une prolongation de leur univers propre

dans l’espace du parc. Leur agencement conduit à une multitude de scénographies diverses et ces fragments deviennent des marqueurs paysagers d’un parcours.

Ainsi, comprendre un paysage et s’y sentir

intégré nécessite de pouvoir en avoir une

structure mentale claire. En s’inspirant du protocole de composition des jardins classiques

notamment développé dans l’œuvre d’André LE

NÔTRE, nous tendrons à faire de la friche un espace urbain, identitaire et mémoriel.

Pour cela, la structure de l’espace devra s’appuyer sur plusieurs éléments permettant

de s’y repérer : la définition de ses lignes directrices majeures, l’articulation dans ces

tracés d’images qu’on juge emblématiques de

ce lieu, et enfin, l’expérience personnelle de l’espace qui permet d’y associer son propre ressenti. Ainsi s’y met en scène un parcours.

128


129


LIGNES DIRECTRICES : UN PROJET TOPOGRAPHIQUE

• prolongation du maillage urbain

La création de connexions entre les plateaux conduit à la reconsidération de l’orientation donnée à l’espace.

Suivant l’hypothèse que la friche devienne une

espace fluide, on peut imaginer qu’une entrée «urbaine» au domaine de Rodin puisse être ajoutée à l’entrée historique.

entrée urbaine qui donnerait un autre sens de parcours à la colline

130

entrée historique


• l’ordre souterrain, structure du chaos de surface

La projection de la trame des carrières _ elle-

même dessinée perpendiculairement à leur entrée

en cavage, donc perpendiculairement à la pente_ suggère une grille de composition pour les jardins.

En coupe, l’expérience du parcours du sous-sol en surface.

131


• définition de plateaux de références dans la scénograhie du parc

La

topographie

est

organisée

en

plateaux

principaux à différentes altimétries qui se différencieront par leur traitement paysager.

NGF 66

altimétrie

des anciennes installations industrielles

NGF 62

altimétrie

de la ligne ferroviaire

NGF 50

altimétrie du le

haut

niveau plus

des

carrières

NGF 85

altimétrie la maison de Rodin

132


IMAGES EMBLÉMATIQUES : UN TRICOT DE BRIBES

La compréhension de l’épaisseur se construit

progressivement par enchaînement de lectures variées du site, partielles et ambivalentes.

Elles trouvent une cohérence dans la somme des expériences qu’elles proposent.

Le parcours s’organise donc comme la scénographie

de grandes pièces paysagères successives. (voir page suivante)

Les pièces principales:

1. la porte et le parvis 2. le bois ferroviaire 3. le belvédère

4. la descente aux Enfers _ ou aux carrières 5. le champs d’empreintes industrielles 6. le parc de fabriques thermales

133


2.bois ferroviaire

5.champs

1.porte et parvis

d’empreintes industrielles

6.parc

de

fabriques thermales

4.descente

aux carrières

134


3.belvédère

135


1. la porte et le parvis Derrière le pont de brique, le parvis prend le rôle de seuil entre le parc et la ville. Épuré de sa végétation en friche, il devient une place minérale bordée de remparts et annonce les différentes pièces du parcours.

entrée des carrières

troncature d carrières

porte: percement des arches

136


des

137


2. le bois ferroviaire Cette

aire,

plus

champêtre,

transformations ponctuelles:

subit

deux

- l’érection de murs de soutenement en gabions

pour parer l’affaissement de la colline dans le sentier.

- l’engravement de sentiers dans la partie

plate au sommet de la butte, afin de pouvoir se

limiter à des végétations basses et préserver les vues sur le val, tout en donnant au promeneur

l’impression de traverser une zone boisée assez murs de soutènements en gabions

dense.

Du reste, la topographie et la flore sont conservées.

cheminement suivant la pente

138


chemins engravés (1m50) végétations basses

pente boisée d’arbres hauts

inchangée (frênes,hêtres)

139


Le jardin de Meudon avec une statue de bouddha au premier plan, Jean LIMET, 1910

140


L’actuelle skyline meudonnaise

3. Le belvédère Son enjeu? En rétablir les vues.

L’horizon

a

bien

changé depuis l’époque de Rodin,

mais

l’expéreince

reste la même que celle que

faisait le maître en sortant de son atelier: embrasser

le paysage de la vallée et des abords de Paris. Cela

pourra être rendu possible en éclaircissant simplement les arbres.

141


142


4. La descente aux Enfers _ ou aux carrières

Un forage permettant de traverser toutes les épaisseurs du sol depuis le belvédère jusqu’à la strate de craie des carrières et desservant

l’aire des objets émergents: il sert d’axe de circulation vertical. Les escaliers sont taillés dans la masse jusqu’au sommet du niveau de craie, puis deviennent une passerelle d’acier ajoutées en console.

143


carrière Arnaudet plan de l’existant

étage 1 NGF 50

emprise du puits de descente

étage 2 NGF 38

étage 3 NGF 32

144


Les galeries des carrières sont laissées en leur état actuel et deviennent part des cheminements permettant de connecter les plateaux. Pour

limiter

les

accidents

et

les

pertes

humaines dans les étages inférieurs, l’accès

est limité à l’étage le plus haut. Les tracés

orthogonaux de ce labyrinthe en font un espace

relativement sur, suffisamment grand pour croire pouvoir s’y perdre, mais trop systématique pour l’être réellement. En outre, la possibilité

d’emprunter des cheminements de surface permet

en cas de besoin d’en clore l’accès de nuit,

tout en maintenant la communication entre le plateau haut et le plateau bas.

Pour êtres mise en scène, les galeries seront éclairées de lumières rasantes, soulignant les aspérités des parois. Les sources lumineuses

seront placées dans une cunette au sol ou encore au ras des voûtes peignées.

145


hangard

entreprise réparation

M S N SO AI

céra

jardiniers

IN EM

H

C Le

TO

Le plateau

AU

BE

M

est actuellement

squatté,

certaines

des

cependant

activités

M

doivent être maintenues car elles

TS R

PA

font partie de la colline en tant que

structure à la fois physique sociologique 146


R FO ET

5. le champs d’empreintes industrielles

hangard

e de vélo

amiste

de l’activité de la colline de Rodin,

puisqu’elle était déjà peuplée à l’époque

d’artistes et artisans.

Ceux-ci habitaient le

quartier au sud-ouest de la maison du maître.

En revanche, certains locaux trop délabrés ne méritent pas

D

d’être conservés. À titre élémentaire, aucun ne se révèle assez

E

révélateur de l’image de la colline pour être remarquable parmi

R N

O

D

les autres et seul leur état de conservation ou leur positionnement

E

permettant de le faire fonctionner en réseau avec les autres en peut justifier la sauvegarde.

Dans tous les cas, une nouvelle mise en scène de leurs environs et la

réinterprétation de certaines traces conservées pour leur emblématisme morphologique _ comme c’est le cas de la cheminée_ devra être faite,

afin que la sensation de pénétrer par effraction l’intimité d’une petite communauté fasse place à une coexistence avec le public artisans puissent contribuer à l’atmosphère du parc. 147

et que les


De

même

tend

à

village

paysager

que

dans

industriel,

souligner

la

le

la

partie

du

traitement

topograhie

tantôt en engravant le sentier dans son épaisseur,

tantôt

en

en

148

faisant

un

repère

de

l’horizontale.


6. le parc de fabriques thermales

C e t t e

partie

jardin

percevoir

projet

par

sa

formes

pieds

le

pour

et

objets

présence du

seuil

en

149

à

qu’est

découvrir

le

souterrain

la

de

signalent

sous

marcheur.

composent

invitent

laisse

l’émergence qui

du

la

les

Ces

surface

traverser

l’épiderme

sousface.


1. Santuario della Fortuna Primigenia, -IIe siècle Palestrina, ITALIE

2. Restauration du Castelgrande de Bellinzona, SUISSE, 1989, Aurelio GALETTI

3. Cretto di Gibellina, Sicile, Alberto BURRI, 1984

4. Chapelle de la réconciliation, Berlin, ALLEMAGNE, 2000, Martin RAUCH

1

3

2

BOÎTE À DIAPOSITIVES 150


4

5

7

6

5. Site et musée archéologique de Maa, Mycènes, GRECE, 2019, Andrea BRUNO

6. Réhabilitation du Neues Museum, Berlin, ALLEMAGNE, 1993, David CHIPPERFIELD

151

7. Villa Adriana, Tivoli, ITALIE, IIe siècle


1.Walls as Rooms, dessins de Louis KAHN, 1973

2.Installation informelle dans les carrières de Meudon

1

3. L’invisibile, maquette, Renato RIZZI

2

3

8

7

9

6

6. Capella Rossa, Milan, ITALIE, Dan FLAVIN, 1996

7. Plafond du club SMOLNA, Varsovie, POLOGNE

152


4.façades monolithiques des temples d’Abou Simbel, EGYPTE, Nouvel Empire

5. Shift, Richard SERRA, 1970

10. accès aux ascenseurs du Castelgrande de Bellinzona, Aurelio GALETTI, 1989

4

11. Danteum, Giuseppe TERRAGNI, 1938

5

11 10

8. Gabions de l’Ortus Artis, Salerno, ITALIE, Paratelier, 2004

153

9. façade du Ningbo History Museum, Ningbo, CHINE, Wang SHU, 2008


1.Villa Rotonda, Vicenza, ITALIE, Andrea PALLADIO, 1566

2.Piscine du Spiegel Publishing House, Hamburg, ALLEMAGNE, Verner PANTON, 1969

3.Piscine du Spiegel Publishing House, Hamburg, ALLEMAGNE, Verner PANTON, 1969

1

2

6

5

5. National Assembly

Building of Bangladesh, Dhaka, BANGLADESH, Louis KAHN, 1961

6.To Lift, Richard SERRA, 1967

154

7


4.La ville de Tropea, ITALIE

5.The lumberyard, seattle cedar lumber manufacturing, Alfred EISENSTAEDT, 1939

3

4

9

10

8

7.Pozzo di San Patrice, Orvieto, ITALIE, Antonio DA SANGALLO, 1537

8.Bains de Dorrès, Pyrénée Orientales, FRANCE 9.Eau-forte, Eduardo CHILLIDA, 1973

155

10.Tombeau Brion, San Vito d’Altivole, ITALIE, Carlo SCARPA , 1978


IDENTIFICATION AUX REFERENTIELS : DRESSER LE DÉCOR POUR EXTRAPOLER UNE HISTOIRE

À la surface comme en sous-sol, la compréhension des

espaces

relève

de

la

perception

des

couleurs, matières, lumières, sons, dimensions,

formes, ou tout autre stimulation physique.

Cependant, une fois dans l’épaisseur du sol, isolé des références de temps et d’espace, ces

perceptions se font plus rares et conditionnées par les univers dessinés. L’opacité naturelle

du parcours n’offre à la vue qu’une seule pièce à la fois et elle constitue à ce moment là

l’intégralité du corpus de sensations que peut accumuler le sujet pour comprendre quelle place il occupe dans l’espace. Rien d’autre n’existe, le temps est arrêté.

Par ailleurs, le projet s’appuyant sur des

formes du sol pré-existantes que sont les voûtes peignées des carrières, une première échelle est déjà donnée à l’espace parcouru.

Les formes des carrières, préexistantes au

projet et sur lesquelles la composition de celuici s’appuie, donnent une première hypothèse

de l’échelle de l’espace. Or, comme on a pu

l’affirmer auparavant, celle-ci ne correspond pas à celle de l’usage de l’homme mais à celle

de l’exploitation du territoire. Ce dernier ne

peut donc plus se fier à l’idée qu’il se fait des objets [qu’il juge] connus.

En exploitant cette ambiguïté de dimensionnement entre ce qui lui est familier et ce qui ne

lui évoque rien, le jeu des volumes et des 156


L’Homme qui rétrécit, JACK ARNOLD, 1957

calepinages tend à faire dialoguer la cohérence plastique

d’une matière hors du temps, et la

fonction à la quelle ils sont censés répondre.

Apposant les épaisseurs et les échelles, la géométrie rigide de la logique humaine et l’irrégularité

du

territoire,

on

l’oblige

ainsi à décomposer ses expériences en éléments simples, à regarder, ressentir et recomposer

son rapport à l’environnement immédiat. Sans

préjugé, il doit faire confiance à ses sens, et à ce que lui apportera la salle suivante.

La succession des dimensions et des formes, tantôt à ciel ouvert, tantôt souterrains portent à une confusion du schéma usuel du dessus et

du dessous : tout le projet ne devient qu’une

surface tantôt convexe tantôt concave, des espaces dont l’éclairage tantôt naturel tantôt

artificiel et les variations dans le traitement

157


des parois marquent les seuils. Le projet fait

alors effectivement corps avec son site et évoque la permanence de celui-ci. succession de plans

paroi unique concave et convexe

Appartenance physique du projet au site. Et inversement

L’incorporation

physique

du

projet

à

son

contexte accentue encore l’importance de la

matérialité de ses espaces dans la perception qu’on a de leurs dimensions : la mise en œuvre des matériaux se fait sous-unité élémentaire

de leur mesure. Dans quelle mesure le sol

organique et l’architecture humaine peuvent ils contribuer l’un de l’autre ?

158


159


160


Combinaison de pièces et conversion d’échelles: coupe schématique de différents volumes perçus

lors du parcours souterrain. Le promeneur doit reconsidérer son envergure pour comprenre la taille de l’espace qu’il traverse.

161


DE LA MATIÈRE DU SOL AU DÉTAIL D’ARCHITECTURE

«C’est

la texture même du matériau

qui commande le thème et la forme qui doivent tous deux sortir de la matière et non lui être imposés de l’extérieur.»

Le

Constantin BRANCUSI

caractère d’immuabilité auquel on

associe le territoire est justifié par le temps

qui accompagne le processus de son modelage propre, au cours des cycles de sédimentation,

de son érosion, des glissements de terrain, de la formation et déformation de milieux. Sur cet épiderme en constante régénération prennent place les interventions humaines : déplacements de matière tout aussi importants, mais qui par

comparaison d’échelle temporelle, semblent des macro-événements. La combinaison de ces deux facteurs de transformation fait du territoire

un socle qui se modifie perpétuellement. De

fait, l’opposition usuellement faite entre les résultats des altérations naturelles et ceux

produits par l’activité humaine n’a pas de sens. Soit le territoire est un organisme dont la

matérialité physique et l’équilibre biologique

fait une entité relativement pérenne, et a un comportement autonome sur un temps long. 162


Cependant, l’Homme en fait également partie. En

vérité, le secret de l’apparente éternité du paysage formé par la nature est son observation

sur un temps court, humain. L’élément qui ne sera pas adapté au modèle formé à une période du

territoire donné ne lui survit pas : la sélection naturelle des espèces animales et végétales,

la disparition d’une portion de territoire

pour cause d’une instabilité de sa morphologie terrestre sont autant d’événements naturels qui

bouleversent les milieux irrévocablement. La nature est violente et évolue quotidiennement.

Livrée à elle-même, elle peut aussi détruire les paysages.

Fontainebleau un bois entretenu : les grand domaines « naturels » le sont rarement

163


Or, parce qu’elle porte un regard sur le

territoire, un point de vue sur une entité aléatoire, 1. SNOZZI Luigi, Leçons du Thoronet, 2009

l’intervention

humaine

porte

un

projet. Comme Luigi SNOZZI qui raconte appuyer

sa pratique sur la recherche de traces du site1, d’accroches à l’œil qui en font un lieu unique,

l’Homme donne un sens à son environnement à

travers le choix des matériau et le dessin des

formes, un langage architectural au paysage. Le

paysage est donc un projet commun et trancher

trop vite sur le point de savoir si le sol est support de l architecture ou architecture ellemême, conduit généralement à des projets qui bouleversent l’équilibre géologique et chimique des sols.

Concevoir un objet indépendamment de la nature de son support est équivalent à effectuer un

collage aveugle de deux structures que la proximité rendrait hermétiques :

Lorsqu’elles sont développées en parallèles et sans interaction, ces architectures se rêvant

autonomes et indépendantes _ « architectures » au sens qu’elles sont des systèmes mus par une cohérence d’ensemble_

se nuisent mutuellement

et accélèrent leurs processus de dégradation. 2. Sébastien MAROT, «Du palimpste à l’hyperville» préface à André CORBOZ, Le territoire comme palimpseste et autres essais, 2001

Puisqu’elles

concourent

en

réalité

à

la

formation d’une même œuvre, l’unique moyen de concevoir durablement, sera d’aller vers une « adaptation réciproque de deux systèmes

hétérogènes »2, c’est à dire de mettre sur un même plan les processus de métamorphose qui la régisse. Cette 164

hypothèse

m’a

conduite

à

considérer


la nature de la pierre qu’il abritait comme un élément propre à son identité, et ses

caractéristiques physiques et chimiques comme

des facteurs qui pourraient être directeurs du projet.

Cet objectif induit deux ambitions:

Le projet doit participer au maintient de l’équilibre presque « métabolique » du sol, que perturbe son implantation,

D’autre part, le projet doit tirer parti de la connaissance des processus biochimiques du

sol, c’est à dire, exploiter les dynamiques des

âges géologiques _ de la sédimentation à la

concrétion _ en les traduisant à l’échelle de temps de la création humaine.

LA STRATIFICATION D’ÉPAISSEURS COMME ÉLÉMENT DE

HÉTÉROGÈNES COMPOSITION

Le ruissellement des eaux La couche d’argile plastique protège les galeries forées dans la craie

des ruissellements des

eaux, ce qui participe à leur stabilité. De fait, percer cette nappe nous contraint à intégrer la recomposition de l’écoulement des eaux jusqu’à

la nappe phréatique (NGF 26). La pose de drains suivant la topographie et le tracés des jardins

permet de rétablir un équilibre hydrique du

sol en conduisant l’eau vers la citerne sous

les termes avant de rejoindre le niveau de la Seine.

165

voir coupe stratigraphique du site p.49. Chaque épaisseur participe à la structure du sol de par ses propriétés chimiques et plastiques


Drains: Le ruissellement des eaux accompagne le promeneur en surface jusqu’aux thermes. L’eau recueillie dans la gouttière du toit de la piscine sert également de repère des délimitations du jardin. Elle rejoint ensuite la citerne positionnée sous les thermes au troisième sous-sol des carrières. Le baigneur pourra la percevoir de nouveau depuis les dernières pièces du parcours thermal.

L’aération et l’hygrométrie Par ailleurs, le réseau de galeries agit lui1. analyse effectuée par Vincent MAURY en 2012

même comme un gigantesque drain naturel de la colline1. Il faudra donc permettre leur aérage

et la circulation de l’air en plusieurs points : ventiler naturellement pour ne pas assécher la roche. Ces nouveaux puits d’aérage contribuent

au jardin en en composant la surface et en signalant la présence du projet sous nos pieds. 166


Demeures troglodytes: aération mécaniqque naturelle, d’après Habitats creusés, Patrick BERTHOLON et Olivier HUET, 2005

Puits d’aération composant la surface

La

régulation

thermique

et

hygrométrique

fonctionne sur le même modèle que l’hypocauste romain. L’air chaud monte. Ainsi, les pièces les plus chaudes seront placées plus profondément

et chauffée par un système des murs chauffants en terre cuite enchâssés dans la craie, et chauffés par une pompe à chaleur située à l’étage inférieur des carrières.

167


Hypocauste: système de chauffage par le sol utilisé à l’époque romaine

Module préfabriqué de mur chauffant en terre: 1.3x0.4x1.7m ici mis en oeuvreà l’échelle de la maison et alimenté par le foyer. (maison ... Martin RAUCH ) Dans le cas du projet, les espaces techniques et la chaufferie se situent

du niveau intermédiaire des carrières. La citerne prend place au niveau inférieur.

168


LE SOL DE RODIN ENTRE LE MOULAGE

ET

LA

SCULPTURE

Soit, les matières présentes dans le site ne sont pas forcément celles que nous privilégions

de nos jours dans la construction de nouveaux édifices. Les maisons de tuf ont un charme certain mais

présentent

également

des

contraintes

physiques qui nous font désormais préférer des roches moins tendres, plus pratiques dans leur

mise en œuvre. Même s’ils ne constituent plus la majeure part de habitats, ils demeurent des espaces propres à l’usage de l’Homme. Il serait alors injuste de les exclure des

ressources potentielles sous prétexte qu’elles

ne répondent pas à des normes établies : ces roches tendres obligent à faire du cas par cas

dans la structure et s’assurer de nombreuses mesures de stabilité avant d’entreprendre des

travaux, mais elles constituent d’autre part un

patrimoine riche et exploitable. (voir annexe: rapport de stabilité des carrières)

Dans le cas de Meudon, la craie présente

l’avantage d’être déjà en place, et la résistance

au temps des carrières montre qu’à défaut d’être constructibles en surface, l’attention jusqu’ici portée au comportement physique du

matériau fait de lui une matière que nous pourrions reconsidérer comme habitable. Ainsi,

le choix de concevoir le projet comme étant la matière même du sol nous conduit à en limiter le

déplacement et à tenter d’utiliser directement ce support à sculpter ou à modeler.

169


Habitations dans une ancienne carrière de falun, Maine et Loire Source: Habitats creusés, BERTHOLON &HUET 2005

La craie : SCULPTER ET POLIR Le problème que pose l’utilisation de la craie est sa tendresse qui lui donne un comportement

mécanique comparable à celui du tuf. Composée presque en totalité de carbonate de calcium

_ selon sa pureté, on peut y retrouver de l’argile _ son grain est fin, elle est poreuse et perméable. Dans le cas de la carrière Arnaudet,

sa

parfaite

stabilité

tient

de

l’attention qu’ont mis les carriers dans la sculpture des voûtes plein cintre et de leur

peignage permettant un éventuel ruissellement

des eaux le long de ses parois, mais également

de la pureté de la craie _ d’où le choix de ce site pour l’extraction du blanc de Meudon _

et de la formation de nappes de silex noirs

par strates horizontales. La perméabilité de cette roche lui confère sa stabilité, de par sa propension à retenir l’eau, mais la rend 170


Les silex sont de tailles et de formes variables. Ils sont constitués de silice et leur formation est due à la précipitation d’un gel siliceux après le dépôt des coccolithes qui constituent la craie.

171


également sensible aux frottements et à la l’humidité de l’air. Dans le cadre du projet, il s’agit donc de protéger ses parois d’une

érosion trop brusque qu’une mise en étuve des intérieurs pourraient initier, sans pour autant

les recouvrir hermétiquement _ ce qui conduirait

à une condensation problématique _ ni changer l’équilibre hygrométrique des piliers.

Les caractéristiques chimiques de cette matière

nous permettent d’avancer une solution : sa propension à former des concrétions1. Celles

ci

se

forment

par

réaction

de

cristallisation, par dépôt de minéraux sur la superficie de la roche et lui donne un aspect lisse, résistant, imperméable sans pour autant empêcher le ruissellement des eaux.

Le marbre par exemple est l’état métamorphique 1. «Une

concrétion est l’épaississement par accumulation de matière, souvent en couches successives, autour d’un noyau ou sur une surface rocheuse, ou à partir d’un point d’écoulement d’eau, d’origine biochimique ou chimique.» Wikipédia, page «Concrétion»

de calcaires concrétionnés. Dans le cas de la craie, le produit est la calcite.

Naturellement, la cristallisation est issue d’un processus de refroidissement très lent,

qui permet à des cristaux très réguliers de se former par nappes sur la superficie du minéral. Mais il est possible d’accélérer ce processus

et de faire cristalliser artificiellement un minéral, en provoquant une réaction en chaîne.

Dans notre cas, il s’agira de faire réagir une

solution très chaude et sursaturée en carbonate

de calcite et provoquer artificiellement la formation du premier cristal. Pour cela, lors

de son refroidissement, sa sursaturation devra

être telle que le choc physique stimulé lance 172


En plusieurs endroits, la carrière démontre une forte propension à former des concrétions naturelles, ce qui m’a conduit à exploiter le phénomène : au regard de notre compétence à le comprendre et à le reproduire en laboratoire, ne pourrions nous pas réunir les conditions nécessaires pour le réaliser à échelle de temps humaine ?

173


une réaction brutale en chaîne aboutissant à sa solidification générale. Les cristaux formés sont alors plus petit et plus irrégulier, mais

permettent de protéger les parois des agressions extérieures.

Il est à remarquer que dans ces conditions,

l’aspect final des parois du projet sera soumis

à la formation du relief aléatoire de ces cristaux. Cristaux de calcite

La cristallisation est un protocole utilisé à petite échelle dans l’entretien des dallages en pierre naturelle, notamment les marbres. On vaporise m² par m² une solution cristallisante qui réagit avec la surface du minéral. La réaction en chaine est ensuite déclenchée mécaniquement par un poncage de la surface à l’aide d’une brosse rotative .

174


Principe de cristallisation en milieu naturel, aboutissant à la formation de stalactites et stalagmites dans les cavités de la roche

http://www2. ggl.ulaval.ca/ personnel/bourque/ s2/orig.mineraux. html

Lors de cette expérience, c’est la première couche du minéral en contact avec la solution qui réagit et se durcit. Avec le temps et la persistance de ce phénomène, ce processus aboutit en milieu naturel à la formation d’une couche de plus en plus épaisse

175

Cristallisation artificielle dans un bécher


Pamukkale est un site en Turquie formé par des sources d’eau chaudes saturées en sels minéraux et en dioxyde de carbone affleurant dans une tufière. Le carbonate de calcium précipite au contact du gaz contenu dans l’eau, le précipité se dépose sur les flancs de la colline et se solidifie lors de l’évaporation de l’eau. En variant les paramètre de l’équation _la chaleur et la saturation de la solution _ le rendement est variable. Dans le cas de Pamukkale, on estime que chaque litre d’eau délivre 0.5g de carbonate de calcium. L’épaisseur atteinte après des milliers d’année en fait un site à grande renommée touristique.

176


La terre: MOULER Autrefois exploité pour son argile, le site offre une matière première propre à la fabrication de

matériaux complémentaires. Dans le projet, la terre sera utilisée cuite sous forme de briques

dans les cas où elle sera mise en œuvre dans

des zones humides, et sous forme de pisé dans

le cas des émergences du jardin et des façades.

Pisé: mise en

oeuvre de la terre crue en banches , Martin RAUCH: Rammed Earth,

177


Le choix de ce matériau tient non seulement de l’opportunité de déplacements de matières limités

mais

également

de

l’effet

de

sédimentation artificielle qu’il offre. Outre son aspect stratifié dû à sa mise en œuvre,

178


l’épaisseur des parois montées fait d’elles des objets tridimensionnels. Par sa massivité et sa sensibilité à son environnement immédiat,

il fait écho à la craie sculptée en tant que modelage de l’épiderme.

179

Mur en terre crue à l’hôpital public de Feldkirch, ALLEMAGNE, Martin RAUCH, 1993


180


UNE

FORME

POUR

181

LA

VILLE


« So I leave you with the thought that

buildings may be less solid than they seem, existing invisibly in the mind of the architect

before they are born ; remembered invisibly down the ages in the memory of generations. »1

1. YATES France lors d’un conférence à Londres, «Architecture and the Art of Memory», AA Quaterly vol.12, n°4, 1980

182

Frances YATES


L’INUTILE EXISTENCE DE L’ABACULE ISOLÉ

L’offre :

120 jours, le chantier : 2 ans,

un mandat municipal : 6 ans, la responsabilité

décennale : 10 ans, l’usage du bâtiment : 40 ans, la persistance des matériaux : 100 ans, la ville : millénaire, son sol : million d’année.

Si la ville était hier un phénomène naturel, elle s’apparente de nous jours à une construction de

plus en plus artificielle, de par ce qu’elle

adhère de moins en moins à la réalité de son environnement. En l’absence de dialogue d’échelles

de

temps

et

d’espace

avec

son

contexte proche et lointain, elle perd toujours plus en cohérence d’ensemble, en intégrité,

et devient une superposition imperméable de temporalités et de formes. Pour

pouvoir

comprendre

comment

celles-ci

s’articulent _ ou plutôt devraient s’articuler

_ , il nous sera alors nécessaire d’en faire le compte. Ainsi, la durée de la ville devrait prendre place entre la durée du territoire, dont

elle est un composant, et celle des édifices,

qui en sont les composants. Ces constructions conditionnées à l’échelle humaine sont nos

seuls outils d’action sur le milieu, et, dans la mesure qu’ils influent par réaction en chaîne sur le territoire à long terme et à longue échelle,

doivent

être

également

considérés

comme un moyen qui pourra nous permettre de renouer un dialogue entre ces échelles.

183


La durée d’un fait urbain reste un laps de

temps relativement flou de parce qu’il dépend de ce qu’il représente aux yeux de la société, et,

pour le décomposer en éléments simples, nous pourrons distinguer la durée de sa fonction, temps d’application de l’usage pour lequel il a été construit , de celle de ses matériaux, temps de persistance de sa matière, de celle de sa forme.

La forme prise par la ville. Là semble être

l’intrigue de notre époque. Si les exemples de formes persistantes sont innombrables aux

époques antérieures et montrent qu’un édifice ci-contre: Recherche d’architectures nomades. Un stade portatif en structure modulaire pouvant être monté et démonté en des configurations différentes suivant le type et le lieu de l’évènement. Ce schéma donne l’exemple de son insertion urbaine sur la place du Duomo de Milan. Projet de diplôme de Riccardo Gialloreto, au Politecnico di Milano, 2019

peut conserver un rôle majeur dans l’espace urbain au delà de la pérennité de sa fonction, elles sont ce qui nous fait défaut aujourd’hui.

Il paraît, par ailleurs, évident que la durée de vie des matériaux, toujours plus performants,

ne puisse pas être la cause de la vitesse d’obsolescence

des

architectures

produites

aujourd’hui. Ainsi, la rapidité à laquelle apparaissent

et

disparaissent

les

édifices

dans la ville pourraient être le symptôme

d’une époque qui ne parvient pas à exprimer et enraciner un état qu’elle juge représentatif de la société.

184


PRÉSERVATION DE L’ESPACE OU DISLOCATION DE LA VILLE ?

Cela

tient sans doute de la tendance

à considérer que la société évolue désormais trop vite pour qu’un enracinement se justifie,

et que la somme des surfaces de sol disponibles nécessite qu’on les économise. Pourtant nos générations ne font pas exception à la règle

et éprouvent, comme leurs prédécesseurs, le

besoin de se retrouver dans des espaces de

relations reconnaissables et générateurs d’une

forme et d’un temps de la ville. Face à ces contraintes sociétale et spatiale, le réflexe est double. D’une part, nous assistons au développement

d’architectures

éphémères,

en

structures légères, et qui prennent place dans les interstices du tissu urbain pour une durée

déterminée et ne laisse pas de trace une fois déménagée.

185


D’autre part, l’essor d’une vague d’architectures

qu’on pourrait de qualifier de « consommables», en ce qu’elles ne durent que le temps de leur

fonction. Elles sont par la suite détruites

et l’emprise qu’elles occupaient auparavant, réutilisée à des fins similaires.

Ces deux tendances ont comme point commun de considérer le sol comme un support et de proposer des projets qui soient interchangeables

en tout lieu, puisqu’ils ne sont conçus pour aucun

en

particulier.

Ils

partagent

ainsi

la caractéristique d’être des architectures

sans ancrage, qui tentent de faire croire que leur influence dans la ville est ponctuelle

et réversible tant qu’elles considèrent le territoire comme un échiquier réutilisable à l’infini.

Or, comme rappelle Jacques ROUXEL, « tout

avantage a des inconvénients ». Dans le cas

des architectures éphémères, c’est qu’elles ne

créent effectivement pas de formes urbaines et ne contribuent donc pas à la ville en tant que

processus. Dans le cas des chantiers, s’ajoute à cette tare la stérilisation définitive du site investi, dès lors que les traces des époques passées conservées dans son épaisseur auront

été détruites au profit d’un terrain plat moins contraignant.

186


Meudon hiver 2019: sur un nouveau terrassement peu discret, des logements collectifs cherchent à se fondre dans la masse des maisons de la pente en misant sur l’utilisation de briques claires.

187


LA FONDATION N’EST PAS UN OBSTACLE À L’ÉVOLUTION

Mais,

analyser l’ancrage, la fondation

physique des projets comme une contrainte dans le renouvellement de la ville n’est-il pas justement un contresens ? Il

est

de

plus

naïf

d’imaginer

qu’une

réversibilité du temps et de l’histoire du milieu puisse exister à la condition de ne pas

laisser de trace physique perceptible dans le territoire. Il faut pourtant comprendre que de la même manière que le reste du territoire, la

ville est soumise au temps, et croire que la fondation du projet dans la réalité d’un sol

ou d’un contexte spécifique est un obstacle à la création à longue échelle n’est pas justifié.

Qu’on propose un dessein pour la ville ou non,

on ne reviendra en tous cas jamais à un état antérieur du milieu considéré, et temporiser le projet n’est qu’un moyen de rallonger ce

temps perdu pour l’aire considérée. L’espace

mérite d’être caractérisé durablement, et une ville à laquelle il manque les souvenirs d’une

génération entière aura finalement beaucoup plus de mal à se reformuler à l’avenir que celle qui a le choix des traces à faire perdurer ou non.

En outre, affirmer ne pas avoir vocation à durer

dans le paysage libère le concepteur de la lourde responsabilité d’un choix quant à la mise en relation du projet avec le grand paysage 188


et c’est l’accumulation de constructions peu

soucieuses d’un éventuel dialogue avec leur

Sand Box Monument, Robert SMITHSON 1967 L’artiste utilise l’image du bac à sable pour exprimer l’impossible retour en arrière: si courir dans le sable le mélange, courir dans le sens contraire ne le fait pas revenir à un ordre antérieur.

environnement qui nous conduit à une perte de logique interne à la ville.

Les projets deviennent des prothèses urbaines,

souvent l’occasion pour les architectes de

laisser un nom plutôt qu’un lieu, et qui ne formeront jamais un support capable de suggérer

une hypothèse pour les évolutions de la ville à venir. Sans entrer dans une composition d’ensemble les architectures sont des éléments

isolés difficiles à appréhender et ne produisent pas de lieux . Ce

qui

nous

« patrimoine

intéresse

urbain »

en _

Gustavo GIOVANNONI dès 1931 l’ensemble globale,

formé

par

compréhensible

le

en

effet,

1

c’est

comme

le

l’appelle

_ c’est à dire

tissu

tant

de

manière

qu’entité.

189

1. GIOVANNONI

Gustavo, L’urbanisme face aux villes anciennes, 1931


L’œuvre humaine réside dans la composition à l’échelle d’un quartier ou d’une ville entière,

autonome et indivisible de par les relations qu’elle établit, et non pas dans l’addition

de monuments indépendants. Ceux-ci en sont

de simples composants et n’ont pas d’intérêt lorsqu’ils sont

considérés isolément.

Afin de rendre un sens à notre lieu de vie, il est donc urgent de renouer des relations entre les échelles de territoire. À

quelles

conditions

parviendrons

nous

à

produire des formes et des espaces qui pourront réconcilier ces différentes temporalité ?

L’inscription que porte la peau de Chagrin que possède Raphaël de Valentin, dans le roman éponyme de BALZAC

190


LA

PEAU

DE

CHAGRIN

Concevoir à longue durée. Si on a un jour

cru pouvoir dominer le territoire en matière de

temporalité par nos connaissances techniques, il est maintenant largement établi qu’imaginer

bâtir pour une échelle de temps dépassant le millénaire utopique.

relève

d’un

orgueil

totalement

La perte du lien avec la nature de

notre sol est due en grande partie à la volonté

de dominer les ressources dans une société organisée autour d’un modèle économique néo-

classique. Celle-ci fonctionne sur le postulat que le capital naturel que nous détruisons peut être remplacé par un capital reproductif

produit par nos activités économiques. Or c’est faux : les limites physiques du sol et les

biodiversités sont des seuils avérés, alors

que le système économique est une invention humaine pour quantifier ses productions. Avant même d’être un contributeur de ce schéma,

l’Homme est donc part d’un écosystème et pour cette raison ne peut s’y soustraire. Tenter de

soumettre cet équilibre physique est donc une erreur.

Sortir d’un schéma de domination du territoire

ne signifie cependant pas s’y assujettir, et

ne remet pas en cause l’importance du rôle de l’Homme dans le modelage de son milieu.

L’Homme, qui a par nature accès à une culture de savoir-faire et à un monde d’abstraction lui

permettant de concevoir des projets marquant l’espace, reste le catalyseur du territoire.

191


1 Otto KAPFINGER préfaçant Rammed Earth, monographie de Martin RAUCH, 2015

« Le processus de civilisation consiste en la

transformation de la terre en la modelant au service de l’Homme »

1

Il ne s’agit donc surtout pas de plaider en faveur d’une régression technique. Au contraire

le panel désormais très étendu des outils et des

connaissances dont nous disposons nous offre le moyen d’appréhender la réalité de ce qui nous entoure de manière extrêmement précise et est une aide majeure pour pouvoir analyser comment

le raconter et le valoriser. «Le propre de

l’Homme est d’entretenir une relation au monde à travers le medium des techniques, mais celles-

ci doivent rester des médiations.», rappelle

Dominique BOURG, philosophe et professeur à l’université de Lausanne. Dans ces conditions,

le rapport matériel que nous entretenons au monde n’exclue pas qu’il trouve un équilibre.

192


JUSTIFIE

Ce

lui-même.

LA FIN LES MOYENS ?

qui compte donc, c’est le projet

Alors que « le lieu contribue à déterminer le

caractère et la signification de l’architecture

qui y est ou sera édifiée », « l’objet construit capture

en

sa

forme

physique

les

idées

architectoniques élaborées par l’architecte. »2

2 Rafael MONEO, L’altra modernità, 2012

La stabilité d’une forme dans le paysage vient

donc de l’écoute sincère qu’on y consacre autant que sur le développement du regard qu’on porte sur lui. Pour être durable, elle doit

être conçue dans un souci d’interaction avec son site à petite et grande échelle.

« Au départ, mes intentions sont toutes tournées

vers le site, le climat, l’équilibre de la matière, et je ne me laisserai pas entraîner par la forme pour elle-même. […] mais je sais

bien en définitive que je veux que ma forme

soit belle. Je veux qu’elle soit belle par la cohérence et l’équilibre. […] j’éprouve le

besoin de ressentir les cohérences, la relation des éléments entre eux. Je corrige ma recherche

d’objectivité avec mon œil. » avoue André RAVEREAU 3. Il faut bien reconnaître en effet que créer des interactions entre l’homme et le

site tient aussi de l’émotion qu’il a quand il s’y confronte, ce que l’architecte a le devoir de lui montrer.

L’architecture dépend au final toujours d’une 193

3 André RAVÉREAU,

Le sens & l’équilibre: chapiteaux du monde méditerranéen 2003


vision artistique qui dépasse la simple forme technique, et est capable de dégager une émotion

plastique dans sa composition. Ainsi identifiée comme un référentiel important, évoquant une idée de la mémoire du lieu, elle pourra générer des tensions et des relations entre les espaces de la ville.

La durée de l’architecture tient de sa capacité à représenter une société. Les pyramides sont devenues le paysage, la mosquée Ste Sophie à Constantinople a résisté à de nombreux changements de cultes successifs : l’évidence de leur importance s’est imposée aux Hommes. L’émotion archiecturale donne ainsi la possibilité au lieu d’être réemployé.

194


CE QU’IL TERRE A

Pour

FAUT DE L’HOMME

conclure, il nous serait salutaire

d’accepter l’idée que chaque création humaine

appartienne à un contexte plus vaste. La sphère

spatiale et temporelle de celui-ci est en premier lieu à l’échelle de l’humanité _ dans le cadre

du périmètre urbain que nous modelons en vue de l’habiter_

ensuite, et à plus forte raison

encore, à l’échelle géographique. Prendre cette distance de recul pour observer les événements

qui bouleversent la morphologie de la ville _ et que nous percevons communément à l’échelle de temps de notre rapport personnel à l’espace

_ nous est indispensable pour reconstruire un rapport plus direct avec ces environnements.

Caricature du préfet de la Seine.

195

Très critiqué, aussi bien de son temps que de manière posthume, pour ses travaux qui rasent une partie de la ville, le « Paris d’Haussmann » fait pourtant partie du patrimoine urbain typique parisien à peine 160 ans plus tard.


Assimiler

l’évolution

des

formes

urbaines

moderne à des occurrences non pas uniques et

inédites, mais des phénomènes réguliers et

nécessaires au renouvellement de la ville nous place dans une conception du temps cyclique : être durable n’est pas être imperméable au

temps, c’est accepter de se soumettre à cette contrainte inéluctable et en faire un élément du projet.

À l’appui de ces remarques, il m’est donc apparu que proposer une forme urbaine durable

tenait moins de sa durée que de sa durabilité. Alors que la durée évoque un temps d’autonomie

propre à un système avant dislocation, la durabilité désigne sa viabilité à long terme.

Il ne s’agit donc pas proposer un projet en

l’imaginant absolu et inaltérable, mais d’offrir la possibilité de réintégrer continuellement

son espace à celui du paysage. Conçu au présent

d’une époque et proposant un récit sélectif des formes antérieures stratifiées, il pourra à l’avenir voir sa modernité réaffirmée à travers

l’érosion de sa forme et de son aspect, contrôlée

à travers sa restauration et sa maintenance, ou dans le cas contraire être le support à la

fondation d’un nouveau projet, une grille à

réinterpréter à partir de laquelle proposer une

hypothèse pour des futurs possibles. En somme proposer un socle en 4 dimensions.

196


Georges DESCOMBES, Renaturation de l’Aire, GENEVE. L’homme dessine des géométries, la nature se les approrie. L’érosion fait partie du projet

évolution du lit

du fleuve depuis l’état initial,

puis après le

chantier

197


LIVRES AUGÉ Marc, Le temps en ruines, 2003

MARIAGE Thierry, L’univers de

BENEVOLO Leonardo, La cattura

l’aménagement du territoire,

dell’infinito, 1991

I segni dell’uomo sulla Terra, 1999 BERTHOLON Patrick et HUET Olivier, Habitats creusés, 2005

Le Nôtre ou les origines de 1990

MAROT Sébastien, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, 2010

CHOAY Françoise, L’allégorie du

MONEO Rafael, L’altra modernità,

CLÉMENT Gilles, Le jardin en

MOSSER Monique et NYS Philippe,

Patrimoine, 1992

mouvement, 1991

CORBOZ André, Le territoire comme

2012

Le jardin comme art et lieu de mémoire, 1995

palimpseste et autres essais, 2001

NICOLETTI Manfredi,

DERUAU. M, Précis de

1980

géomorphologie, 7e edition 1988 GIOVANNONI Gustavo, L’urbanisme

face aux villes anciennes, 1931 GREGOTTI Vittorio, Le territoire de l’architecture, 1982

KAPFINGER Otto, Martin Rauch:

Refined Earth: Construction & Design with Rammed Earth, 2015

KOOLHAAS Rem, Junkspace, 2010 LOUBES Jean-Paul, Archi-Troglo, 1984

198

L’architettura delle caverne,

PEREGALLI Roberto, Les lieux et la poussière, 2017

PERRAULT Dominique, Groundscape et autres topographies, 2016 RAVÉREAU André, Le sens &

l’équilibre: chapiteaux du monde méditerranéen, 2003

ROSSI Aldo, L’architecture de la ville, 1966

SNOZZI Luigi, Leçons du

Thoronet, le Mur Oublié, 2009


B I B L I O G R A P H I E TIBERGHIEN Gilles, Land Art, 1993

YATES Frances, L’Art de la mémoire, 1966

ARTICLES ET REVUES

AUTRES

Bulletins du Comité de

ROHMER Éric, Les métamorphoses

Sauvegarde des sites de Meudon sites de l’INRAP et de

du paysage: l’ère industrielle, 1964, film documentaire

l’UNESCO

PASOLINI Pier Paolo, La

Ar’site

documentaire, 15’

forma della città, 1974, film

https://www.pierres-info.fr/

proteger_la_pierre/index.html DEBORD Guy, Internationale

situationniste n°1, juin 1958 GOEPP Aurélien, Les carrières

comme site de projet, mémoire de Master, 2015

199


200


A

N

N

E

X

E

S

RECHERCHES AUTOUR DU PROJET ET ESQUISSES

201


Extrait du rapport de stabilité des carrières effectué par Vincent MAURY en 2013

Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389 (CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)

21

8. Conclusion générale L'examen des ouvrages souterrains situés sous les parcelles citées montre des ouvrages ne présentant aucun risque raisonnablement justifiable ni de péril imminent dans leurs conditions actuelles de chargement. Il n'a pu être constaté aucune trace de sinistre ancien ou récent dans les zones soumises aux arrêtés de péril concernées par notre mission. Ces ouvrages ne nécessitent aucuns travaux pour répondre aux soucis particuliers exprimés dans les arrêtés de péril concernant : (a) le comportement des diaclases karstiques, (b) d'éventuels problèmes liés à un défaut de superposition des piliers, (c) le comportement de la zone ennoyée. Nous attirons l'attention sur la circonspection à garder devant des résultats de méthodes et calculs théoriques basés sur des hypothèses non satisfaites sur les secteurs des Carrières Arnaudet que nous avons examinées (sur le comportement de la craie notamment, la géométrie des excavations ou le chargement). Ils sont manifestement démentis dans les zones que nous avons examinées. Les hypothèses sur le comportement de la craie, sur la géométrie des excavations et le mode de creusement notamment doivent être revues pour avoir des calculs représentatifs. Les Carrières Arnaudet offrent des conditions d'observation scientifique remarquablement sûres, sur des échelles d'espace et de temps dont la Mécanique des Roches ne dispose qu'exceptionnellement. Elles constituent donc le banc de test idéal accessible in situ de la valeur prédictive des méthodes théoriques.

V. Maury, le 29 Mai 2013 _________________________

(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)

Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389

10. Annexe II Trajets suivis et position des stations d'observations

23

202


(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)

Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389

24

(CR Mission VM 30/4-1/05/ 2013)(Suite)

Etat/Stabilité Carrières Arnaudet sous parcelles AK 283, 284, 285, 388, 389

25

203


204


«Remercions

Archimède,

tout le monde flotte de la même manière.»

Voilà ce que je me disais tandis

que

je

laissais

corps,

annulant

l’eau me libérer du poids de

mon

ainsi la dernière preuve que

j’eus

d’en

être

l’unique maître.

Au contraire d’une gênante déambulation de

des

bain,

en

la

slip

ventouse

«Arena»

lunettes

astucieusement collée au globe oculaire comme je l’avais

craint

l’après-midi

d’abord,

passé

aux

Bains de Brillants avait été

l’expérience

propre en

de

ma

décomposition

éléments

simples.

La traversée de l’épiderme,

un passage du Styx vers

une descente aux Enfers, m’avait conduit dans un monde abyssal parallèle.

Je me souvenais pourtant quelques minutes auparavant avoir

parcouru

la

même

ville que d’habitude, mais elle très

semblait

éloignée

désormais dans

le

temps et dans l’espace.

205


Comme un enfant, je me

sentais gonfler un orgueil d’aventurier les

explorant

possibilités

d’un

territoire de proximité.

L’extraction du monde et la

découverte

d’univers

dessinés

autonomes

transforme chacun en une créature

sub-urbaine.

D’espaces piranésiens en cellules monastiques, du blanc éclatant à la terre ocre, d’espaces construits

opposés à la matière crue érodée, de

dans

la

tableaux cette

faisait

mes

206

caverne

me

cesse

l’envergure

extrémités

l’insignifiance existence.

contenus

sans

reconsidérer de

succession

de

et

mon


Contraint parcours toutes

pendant

à

les

ce

réévaluer

situations

à sa mesure, mon corps

était réduit à être une

matière en mouvement dans ces espaces et en donner l’échelle.

Me découvant à ce titre

une nature si proche des

statues de Rodin, je me

laissais imaginer que les moulages exposés quelques mètre tête

au-dessus

étaient

de

peut

ma

etre

simplement des baigneurs

arrivés au terme de ce voyage dans les sous-sols.

esquisse rapide à thème «désirs _ raconter l’histoire du projet» organisée à l’atelier _ octobre 2019

207


208


209


210


REMERCIEMENTS Pour tout ce que chacun m’a

apporté aussi bien comme matière comme

à

réflexion

soutien,

et

que

qu’il

serait trop long d’exposer ici à

sans

être

même

parvenir

exhaustif,

je

TISSERAND

et

remercie

mes

Adrien

DURRMEYER.

Pierre

professeurs

Léo

LEGENDRE et Blaise EKODO.

Sabine MOSCATI et Philippe MAILLOLS. Michel

docteur Le

Le

RIOTTOT

professeur

Vincent

docteur

et

Aurore

le

MAURY.

GUY-

RUBIN. Sirkob et Christian. Quentin

Riccardo Les

WACKENHEIM

habitués

saisons

2018

et

GIALLORETTO. du et

Kalbo 2019.

Chloé, Manon et Clémence. Ma famille. Et Cristiano.

211





Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.