Maelstrom #01

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MUSIQUES CULTURES MISCELLANÉES _

NUMÉRO 1

www.maelstrommagazine.com

L 19253 - 1 - F: 5,90  - RD

numéro 1 | mai-juin 2009

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FEVER RAY EAGLES OF DEATH METAL & EASY SACHA PHOENIX DVNO LOVE ENEROTH DDAMAGE SETH GUEKO

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Éditorial

Vincent Van Gogh. Autoportrait. 1889. Huile sur toile 65 cm x 54 cm – Paris, musée d’Orsay. Vincent & moi. 2009. Une photographie de Sébastien Charlot.

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Elle nous tiraille, nous fascine, elle nous prend au ventre, elle nous procure plaisir et satisfaction. Elle régit notre vie, nous berce, nous inspire ; elle nous donne du fil à retordre, elle nous pousse à réaliser rêves et projets. Elle nous permet d’échanger, de prendre, de donner ; elle nous arrache les tripes et nous donne chaud au cœur. Elle est constante ou cyclique, ponctuelle ou régulière ; elle nous fait apprécier, aimer, détester… Elle est parfois physique, souvent psychosomatique. Elle ronge, blesse, prostre, elle fustige, cristallise et rend amer. Elle procure bonheur et puissance, envie et haine. Elle emplit, nourrit, régénère et catalyse. Elle dégoûte, elle intrigue, elle nous confronte à nous-mêmes, ne nous épargne pas, elle rend perplexe ou perspicace, dubitatif ou fallacieux. Elle nous rapproche ou nous sépare, elle est palpable mais furtive, elle évolue et se décline sous moult formes. On la retrouve à chaque page de ce magazine, c’est bien de l’émotion qu’il s’agit… sébastien charlot.

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Sommaire

MAELSTRÖM MAGAZINE #1 5,90 euros | mai 2009

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Éditorial, ce qu’il faut savoir…

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Stockholm, la capitale de la Suède et du snus...

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Fever Ray, descente & émotion

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Martin « Mander » Anders, illustrateur précis

Page 26

Jens Andersson, photographe et éleveur de champions

Page 32

Mika Edin, le jeune premier

jeff@maelstrommagazine.com

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Milkymee, française exilée

Secrétaire de rédaction

Page 36

Love Eneroth, le plus chouette prénom du skate…

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Öz, l’Australie dans le viseur de Loïc Benoit

Directeur de la publication Benoît Alègre benoit@maesltrommagazine.com

Rédacteur en chef Sébastien Charlot sebastien@maelstrommagazine.com

Directeur artistique JF Gaudinet

Julien Audiffren julien@maelstrommagazine.com

Webmaster Hervé Mischler

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Page 56

Eagles of Death Metal : Jesse Hughes rencontre Easy Sacha

Page 64

dDamage, king of Leffe part. 02

Page 70

DVNO, tous les soirs au Divino

Page 74

Phoenix, la Versailles touche

Page 80

Archimède, une histoire de savant grec…

herve@maesltrommagazine.com

Conseiller exécutif Jean-Luc Buridans

Distribution MLP

Publicité pub@maelstrommagazine.com

Page 83

L’exposition dans toute la France

Page 84

Seth Gueko : tête de Roumain…

Page 88

Des nouvelles d’Ali Boulala

Abonnements abonnements@maelstrommagazine.com

Pour nous contacter contact@maelstrommagazine.com

Page 90

L’abécédaire d’Alexandra

Page 94

Les instantanés de Love

Maelström est un magazine bimestriel édité par 69/93 Éditions SARL – 38, rue Servan, 75544 Paris Cedex 11

Maelström est imprimé par Aubin Imprimeur Chemin des Deux Croix, BP 02, 86240 Ligugé Tél. : (33) (0)5 49 55 20 13 / Fax : (33) (0)5 49 55 26 93

Les pellicules argentiques sont développées par MAELSTRÖM TIENT À SALUER : Benjamin Deberdt, Éric Antoine, Loïc Benoit, Samir Krim, Isabelle Cattiaux, Love Eneroth, Mika Edin, Daniel & Édith, Noura, Mathieu & Matthieu Coop, Thierry Santacruz, Fred & Nicolas Archimède, Matthieu & Greg Primeur, Arnaud Dedieu, Sylvain Coucou, Raphaël Zarka, Jean Michel Court, France Nova, Sylvain Poulain, Jérôme Mestre, Michael Coop, Fred & JB Hanak, Milky Mee, Roland Bazin, Atelier Independant, RVB, Chapô, numero26, Gloria, Lucille & Daniel Dubuc, Jens & Mander, Olli B, Titou & Marie, Steve Forstner, Fred & Tura Soma, Damien Bulle, Quentin Sené, Alex Deron, Maaf & Ian, Nicolas Gueko, Noki de soupedelait.com, Bertrand Trichet (merci !), David Couliau, Sourya Panday, Maria Youpi, Ema, Isabel, Neil & Liam, Antoine Frisoux, Joseph Biais, Damien Marzocca, Matthieu Jung, Rachel Creppy, Jacky Alègre, Frédéric Taddei, Kandinsky, Michel, Booba, Marvin, Anto & C.cil, Ali, Monsieur Pierrot (1, rue Oberkampf), Yorgo, Caroline Verdem, Nicolas le coiffeur de la rue de Bretagne, Arnaud Jeangirard, Marie Smaniotto, Julien Scheubel, Adeline, Yann, Pat & Laura, Mehdi DVNO, Chloé Mazlo, Wilfried Carharrt, Ludovic, Alex, les Cara, Easy Sacha & Navette, Les Jambons, Akroe, Le ministère Psychique, Nazem, Caroline & Tibo, Tonton Steph, 1000 Pages, Nicolas Demorand, Pensée Classée, Le Tigre, Le Monde2, Hugo, Seb & Manny du XO, Nozbone crew, Eminem, Saträ, vegokorvrulle, Sébastien Hager, Twitter, Spock, Julian Dykmans, Juju, Hugo, Mathias de Chelles, David Marto, Tony Hawk, Paul & Jenna, Benjamin Bello & Hadrien de Soul, Simon de Blackpool, Guillaume de Clark, Le Bottle Shop, Fif & Jon, Morgan & Jean-Noël, Notorious girlz, Yann Garin, Momo, Facebook & Facebook Event, Willy Simon, Hugo, Pacôme, Samuel & Quentin, Clément Le Gall, Alban & Plidujeanzzz, Patrick Pompile, Monsieur Breteau (Leffe !), Blackberry Messenger, Alex Richard, David Manaud & Paté, Guillaume Jolly, Tariq & Netvibes, Guillaume Bekelynck, Emmanuel Baud, Danièle Drouin, Grégory Gabillet, Fréfré, Jérôme Valette, Matthieu Matix, Albertine, Coline & Xavier, Markus Milou, Alex Sirvin, Jane & Marylise, Samy, Caroline Bianco, Jean-Luc Buridans, Claudine & Nellie Travier, Famille Cattenot, Sylvain Moignoux, Delphine & Pascale, MV, Jutix, Antoine Bellini, Nicolas Levet, Hugo Liard, Émilie Desbottes, Malik Abdeslem, Aberdeen, Biblis, Sylvain Giner, Chris Coppola & Rise, David Grataloup, Clément Bauduret, Johan Wagner, Topsy, Emily Akerblom, Karolina Berglof, Black Cat Bones, Modern City Records, Rémi & Céline, Lost Boys (venez !!), famille Bitschy, Jean Couvreur, Juliette, Rodolphe, Overmars, Mathias & Céline, Mathilde & Frank, Nico & Pat, Pipo, Sabine Monnoyeur, Sami Tolppi, Firecrackers, Sem Rubio, Karin & Kristian, Oeie, Sébastien Chirpaz, Selen Cingoz & Thierry Audurand...

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les laboratoires Processus 161, rue de la Roquette, 75011 Paris Gris Souris 11, rue de l’Annonciade, 69001 Lyon

Commission paritaire en cours Dépôt légal à parution / Numéro ISSN en cours

Contributeurs Loïc Benoit, Alexandra Geyser, Arjun Panday, David Vincent, Martin Karlsson, Jens Andersson, Martin Anders, Love Eneroth, Robin Nilssen, Ophélie Alègre, Sigurde Svensson

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Stockholm. Fever Ray Mander J. Andersson L. Eneroth Mika Edin Milkymee

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interview de benoît alègre

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FEVER R AY Interview avec Karin Dreijer

Yves Borgwardt

fever ray ne laisse pas indifférent, c’est une certitude ; tendez l’oreille et soyez attentif à ce brouhaha qui se fait de plus en plus pressant autour de vous. tous les avis sont tranchés, il n’y a pas de demi-mesure dans les commentaires que ce disque a pu susciter. comme à son habitude, karin dreijer a travaillé chaque détail, chaque son, chaque image pour nous livrer une véritable perle dont elle a le secret. pour la première livr aison de son projet solo, l a deuxième moitié de the knife explore les recoins d’un électro-vaudou-dark minimaliste qui glace l’échine, une bande-son parfaite pour relire les contes fantastiques effrayants de votre jeunesse, recroquevillé sur votre lit.

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Yves Borgwardt

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Au sujet de Fever Ray, qu’estce qui t’a poussée à commencer ce projet solo ? À la base, c’est simplement qu’Olof [frère et deuxième moitié de The Knife – ndlr] et moi souhaitions développer une facette de notre travail chacun de notre côté. Le fait est que nous avons énormément travaillé ensemble ces dernières années, de façon extrêmement intensive et séri­e use ; nous avons juste pris la décision de marquer une pause dans notre travail en commun, et ce pendant une durée indéterminée. Mais The Knife existe encore... Oui bien sûr, The Knife existe encore. Nous sommes d’ailleurs actuellement en train de travailler sur de nouvelles compositions. Nous avons des projets qui devraient voir le jour dans quelque temps. 14

Pour en revenir à Fever Ray, comment es-tu arrivée à ce concept, que ce soit au niveau de l’approche musicale ou de celui des visuels ? C’est assez différent de The Knife… Pas vraiment… Pour ce qui est de la musique, je ne pense pas que Fever Ray soit si éloigné de ce que j’ai pu faire avant avec The Knife : selon moi, c’est même vraiment dans la continuité de notre dernier album. Quant à l’univers visuel, rien n’a été « préréfléchi » à la naissance du projet. Pour faire un petit historique, j’ai d’abord commencé à travailler sur des chansons avant d’envisager quoi que ce soit au niveau de l’univers visuel. J’ai commencé à travailler sur Fever Ray il y a maintenant un an et demi, c’est donc un projet qui a mûri et évolué assez lentement. C’est seulement quand la musique a été finie, il y a six mois de ça, que nous avons commencé à travailler l’aspect visuel, aussi bien l’artwork que la mise en scène des concerts. Je ne pense donc pas que Fever Ray soit un concept, je ne le vois pas de cette manière, c’est juste un processus réfléchi en cours de création et de développement. De plus, ce n’est pas quelque chose de figé, cela peut encore évoluer pendant que nous travaillons dessus. Comment expliques-tu cette valeur ajoutée visuelle que tu apportes à ta

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musique ? Que ce soit pour The Knife ou Fever Ray, il n’est jamais uniquement question de musique ? Je ne pense pas qu’il y ait une seule musique qui puisse être rabaissée à de la musique seulement : toute musique va nécessairement de pair avec une approche visuelle. Ce n’est pas quelque chose qui est nécessairement réfléchi ou poussé dans son approche, mais c’est une facette de la musique qui est toujours présente… certes, plus ou moins réfléchie. Tu peux donc dire qu’il y a des musiciens qui n’ont pas forcément beaucoup pensé à cet aspect, mais il est toujours présent, du moins au minimum sur la pochette… (Rire.) Pour moi c’est une sorte de hobby. Je crois que cela me fait marrer de pousser cet aspect… oui, c’est marrant. Marrant… toute cette obscurité ? Je ne vois pas ça comme quelque chose d’obscur ou de glauque. C’est un travail extraordinaire fait par des gens fantastiques, dont Andreas Nilsson [l’homme derrière la scénographie et en charge des clips de Fever Ray… mais aussi de The Knife – ndlr]. Oui, c’est juste quelque chose de rigolo pour nous. Mais au premier abord on pourrait penser que cet univers est sombre, plutôt que drôle… Peut-être, mais c’est une bonne chose de rire de ses propres peurs et démons. C’est une façon pour nous de mieux les maîtriser. Où trouves-tu cette inspiration, et comment travailles-tu avec tes collaborateurs ? Je ne sais pas vraiment. Je cherche d’abord des images de référence que je transmets ensuite aux personnes en charge de cet aspect visuel, que ce soit Martin Ander ou Andreas Nilsson. Pour moi, il est avant tout question de sentiments : quel effet telle ou telle photo ou image peut me faire, que je pourrai envisager comme une direction dans laquelle travailler. Je ne sais pas vraiment l’expliquer, c’est quelque chose de très personnel. Trouver ces images est en fait une simple question de sensibilité... voir ce que peut dégager une photo dans mon esprit, donc voir si c’est bon ou mauvais.

« c’est une bonne chose de rire de ses propres peurs et démons » C’est pour moi très difficile de poser des mots sur ce qui peut se passer dans mon esprit quand je suis dans ce processus de réflexion. Mais encore une fois, il est avant tout question d’émotions. C’est quelque chose que je fais toujours, chercher des pistes qui peuvent être intéressantes. Ton approche musicale et visuelle semble être fortement inspirée par l’univers des comics… Oui, mais il existe une grande variété de comics, et ce serait dur de ne citer qu’un genre. Je trouve cependant très intéressant le fait de pouvoir véhiculer des idées en n’utilisant que peu d’éléments, comme les comics en noir et blanc par exemple. C’est une méthode de travail que j’essaie aussi d’appliquer à ma musique, n’utiliser qu’un nombre restreint d’instruments ou de sons, seulement quelques-uns mais les travailler de façon plus aboutie. Le but étant d’avancer vers une construction minimaliste toujours chargée de sens. Ce minimalisme est-il pour toi une façon de mettre l’accent sur une facette particulière de ta musique, les paroles par exemple ? Non, pas vraiment. Je crois que je suis plutôt « démocratique » dans ma musique dans le sens où il n’y a aucune hiérarchie, aucun élément prédominant. Chaque piste a pratiquement la même importance que les autres parce que je ne veux pas mettre l’accent sur quelque chose en particulier. Pour quelle raison ne souhaites-tu pas t’afficher autrement que dans ces mises en scène ? C’est d’abord lié à l’image du groupe et des projets, et il faut bien sûr conserver une certaine cohérence.

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Johan Renck

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Johan Renck

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D’un point de vue plus personnel, il m’est aussi plus facile de jouer sur scène derrière cette sorte de filtre que créent le costume, le maquillage et la mise en scène. Pour moi, cette démarche est très théâtrale : monter sur scène dans cet univers, avec ces tenues, c’est comme me mettre dans la peau d’un personnage et jouer un rôle. Cela m’aide aussi à faire passer mes idées de façon beaucoup plus claire et évidente. Selon moi, la création d’un album nécessite déjà l’intervention de beaucoup de personnes, il est donc naturel de rester cohérent sur ce que nous pouvons faire sur scène et dans nos vidéos. Cela n’a rien à voir avec une volonté de rester en retrait par rapport à ta musique ? C’est vrai que c’est aussi une bonne

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chose. Je ne pense pas que la musique devienne meilleure si elle interfère avec la vie personnelle des musiciens. Ce sont deux choses vraiment distinctes : la musique a ses propres valeurs et sa propre vie. Tu peux partir d’idées, les développer pour créer des choses vraiment magiques. À mon avis, il n’est pas essentiel de faire l’amalgame de ma vie personnelle et de ma musique. Et la célébrité dans tout ça ? Je ne pense pas que la célébrité ou le succès ait grand-chose à voir avec la musique. Je ne veux pas par ticiper à ça. Tu as sorti ton album en version digitale avant sa sortie « physique », pourquoi ? Le fait est que quand tu sors un nouvel album, tu l’envoies toujours

d’abord à la presse pour pouvoir en faire la promotion. Nous avons fait le choix de le mettre à la disposition du public et de la presse en même temps pour que tout le monde puisse y accéder au même moment… ce qui est souvent le cas quoi que tu fasses. Je veux dire par là que ce système de promotion possède des fuites : tu retrouves toujours ton album à droite et à gauche sur différents sites Internet. Donc cela favorise le téléchargement illégal. D’une certaine manière, tu en perds le contrôle avant même que l’album soit officiellement sorti, c’est un fait. De cette façon, nous offrons la possibilité au public de pouvoir le télécharger légalement… Que penses-tu de cette fameuse polémique du téléchargement qui

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anime nombre de pays actuellement ? [Au moment de l’interview, le site Internet suédois de peer to peer Pirate Bay est dans l’attente du verdict de son procès – ndlr.] Cela a changé beaucoup de choses et continue de tout bousculer, c’est sûr. Je me souviens qu’au début beaucoup de gens pensaient que cela n’allait pas être un problème pour les artistes de ne plus vendre de disques et donc, par conséquent, que leur part de rémunération issue de ces ventes diminue fortement. Ces gens se justifiaient en expliquant que les groupes trouveraient une compensation financière en tournant de façon plus régulière et que ce n’était pas plus mal. Mais le problème est maintenant que les artistes rencontrent de réelles difficultés pour boucler ces tournées ;

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les labels eux-mêmes n’ont plus les moyens de les financer, ne serait-ce que partiellement. Cela affecte donc beaucoup de choses, de la production à la promotion, et donc aussi les tournées. C’est ce qui se passe quand une industrie est en crise : tous les budgets diminuent. C’est une question qui n’est d’ailleurs toujours pas réglée : comment les compositeurs doivent-ils être rémunérés pour leur travail ? Comment fais-tu face à ces problèmes dans la gestion de ton propre label [Rabid Records, label de The Knife, Fever Ray, mais aussi Jenny Wilson – ndlr] ? Le fait est que la chute des ventes de disques est arrivée très vite, et le nombre de ventes continue encore de dégringoler chaque année, même chaque

mois… C’est vrai que c’est une situation difficile, très difficile. Nous sommes un petit label avec très peu d’artistes, notre bureau est très petit et nous avons seulement besoin d’un téléphone, d’un ordinateur et d’une ligne Internet. C’est peut-être un peu plus simple pour nous, et nous nous adaptons comme nous le pouvons, avec les moyens du bord. Comme je le disais, nous n’avons plus pour tourner les moyens que nous avons pu avoir par le passé. Nous devons donc réduire la durée de nos tournées ou y consacrer moins de budget… du moins au niveau de la production. Par exemple, pour cette tournée, le groupe est composé de six personnes dont les musiciens ; pour les festivals, l’équipe comportera six personnes supplémentaires, ce qui fait que nous

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Comment finances-tu ce genre de tournées alors ? C’est justement le problème… (Rire.) Pour l’instant, nous ne savons pas si nous allons pouvoir le faire sous cette forme, avec l’équipe au grand complet. Mais nous trouverons une solution… (Rire.)

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Tu gères donc ton propre label, tu t’occupes de tes tournées et de bien d’autres choses encore… Tu sembles attachée à l’idée de faire le plus possible par toi-même… Oui, effectivement. C’est d’ailleurs ce qui nous donne l’opportunité de faire tout ce que nous faisons et surtout de tout maîtriser, nos rentrées comme nos dépenses, et par conséquent d’avoir un contrôle total sur ce que nous décidons de faire avec notre argent. Par exemple de le dépenser à travailler avec Andreas Nilsson… (Rire.) Si j’avais signé avec un quelconque label, je ne pense pas que ce choix artistique ait jamais été possible. Au moins cette méthode a l’avantage de nous offrir ce genre de choix. Nous verrons ce que cela donnera à la fin de cette année… peut-être que nous allons devoir baisser le rideau. Penses-tu toujours rester aussi indépendante et autonome ? Je pense que c’est le seul et unique moyen de garder le contrôle total sur notre créativité, ce qui est la chose la plus importante de mon activité musicale. Nous sommes indépendants, mais nous avons des licences avec d’autres labels pour la distribution, nous ne nous occupons pas de tout non plus. Le plus important est que nous possédons les droits de notre musique. Dois-tu parfois faire des compromis dans ce que tu fais, dans le sens où tu es une artiste et qu’il faut bien que tu gagnes ta vie ? En fait, je ne sais pas vraiment comment en faire… je dirais même que je ne suis pas du tout douée pour faire des compromis. Par exemple, je ne

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saurais pas comment faire quelque chose de plus commercial… Donc à ce niveau, nous verrons comment les choses évoluent pour moi ; peut-être que je garderai la musique comme hobby, que j’aurai un métier plus conventionnel et que je sortirai un album tous les dix ans.

KARIN DREIJER DISCOGRAPHIE HONEY IS COOL FOCKY FOCKY NO PAY, MINI-CD, 1995. NACH HEART, CD-SINGLE, 1997. CRAZY LOVE, ALBUM, 1997. BOLERO EP, EP, 1999. EARLY MORNING ARE YOU WORKING?, ALBUM, 1999. BABY JANE EP, EP, 2000.

Est-ce que livrer ta musique au public est une épreuve stressante pour toi ? Non, vraiment pas, je le vis très bien. Le plus stressant, ça reste cette question d’argent. Parce que nous faisons le choix de prendre le temps pour écrire, nous travaillons vraiment lentement, et si nous sortons un album tous les trois ans nous avons quand même besoin d’être payés pendant ce laps de temps. De ce point de vue-là, je suis très contente du succès que The Knife a pu connaître, cela nous a permis d’avoir encore plus de temps pour travailler. C’est ma vision des choses.

THE KNIFE THE KNIFE, ALBUM, 2001. DEEP CUTS, ALBUM, 2003. HANNAH MED H SOUNDTRACK, 2003. SILENT SHOUT, 2006. PARTICIPATIONS ET REMIX RÖYKSOPP, ALBUM JUNIOR, 2009. FIRST FLOOR POWER, THE JACKET, REMIX. DEUS, SLOW, 2008.

Justement, pour avoir quelques mots sur The Knife, peux-tu nous dire quels autres impacts le succès du groupe a eu sur vous ? Qu’est-ce que tu entends par « succès » ? La reconnaissance par exemple… du public, de la scène, de l’industrie… Cela a été un processus très très lent. Cette année The Knife a 10 ans et donc ce dont tu parles n’est pas arrivé du jour au lendemain. En fait, je ne sais pas trop, je ne sais pas comment l’interpréter. Bien sûr, je suis très flattée que les gens apprécient notre musique. Le reste… je ne sais pas…

www.feverray.com www.theknife.net www.rabidrecords.com www.nixonnoxin.com www.mander.nu

Elin Berge

serons une équipe de douze sur la route. Toutes ces personnes doivent bien sûr être payées, et nous risquons de ne pas pouvoir tourner sous cette configuration. Nous verrons bien…

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Elin Berge

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interview de sigurde svensson photographie de sébastien charlot

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mander est un illustrateur et un graphiste aux influences diverses, assumées et bien digérées. son univers est sombre et tortueux, à l’image de son travail pour l’album de fever ray ou de la série de planches qu’il a dessinée pour bellows. ce qui est à l’opposé du personnage, qui est calme et passionné, sourcilleux concernant les détails, et qui a toujours une petite anecdote concernant le dernier coup de crayon qu’il a donné…

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Original artwork for the Bellows Skateboards How-It-Works series, 70 x 100. Ink on paper.

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comment as-tu choisi ce surnom, « mander » ? Cela vient de mon père, il faisait des bandes dessinées dans les journaux, des dessins politiques et sarcastiques. Son nom est Jan-Erik Ander et il signait son travail « Jeander ». Quand j’avais environ 15 ans et que j’ai commencé le graffiti, il fallait que je me trouve un nom ; j’ai fait comme mon père, ce qui a donné Mander… J’ai perpétué la tradition familiale. (Rire.)

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Ton père était donc dessinateur… Oui, il a commencé dans la publicité : il a monté ce qui allait devenir l’une des plus grosses sociétés de Suède. Aujourd’hui c’est plus une agence de relations presse, c’est donc moins créatif. Il a aussi travaillé pour Aftonbladet, l’un des plus grands quotidiens suédois ; il avait deux dessins par semaine en une, c’était politique et drôle, mais j’ai peu de souvenirs de cette époque. Avec le recul, je préfère largement ce qu’il a pu faire dans les années 70, à l’époque où il travaillait avec des crayons et du papier, ou de l’encre. Il y avait aussi tous ces bouquins intéressants à la maison, aussi bien des livres de chroniques satiriques du monde politique que des livres plus conventionnels. C’est dans cet univers que j’ai grandi, et aussi loin que je me souvienne, cela m’a intéressé. Quel a été pour toi le moment de la révélation ? Mes parents m’emmenaient souvent dans les marchés d’art contemporain quand j’étais gamin, et un jour je suis tombé sur ce livre, Subway Art. Je me souviendrai toujours du jour où ce livre est sorti en Suède, je devais avoir 12 ans, en 1987, et ça a été la révélation. C’est aussi l’année où j’ai découvert le skate. On était allés en vacances à Los Angeles, et en bons touristes on a cherché un skate shop. On est allés à Rip City à Santa Monica, le magasin existe toujours d’ailleurs, et quand je suis entré dedans, j’ai été ébloui ! Probablement plus par les dessins sous les boards que par les planches elles-mêmes. Je crois que j’aurais pu rester jusqu’à la fin des vacances à contempler ces dessins ! C’est aussi ce que j’ai ressenti quand j’ai feuilleté Subway Art, ce livre qui présente le graffiti à New York dans

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les années 70 et 80. Je ne savais pas ce que c’était, mais j’ai tout de suite pensé que c’était le truc le plus cool du monde, comme les illustrations des planches de skate. J’ai immédiatement réalisé que l’art avait un impact important dans le skateboard. Idem avec le graffiti : l’art était transposé dans un autre contexte, celui de la rue. C’était très impressionnant pour moi qui venais de la banlieue de Stockholm, où précisément il n’y avait pas de rues, pas de rues sales ! Je trouvais ça cool ! Je me souviens de la première fois que j’ai pris le métro, il y avait des tags et des graffitis, et ma mère a dit « C’est horrible ! » pendant que je pensais très fort « C’est le truc le plus cool, et un jour je ferai ça ! » (Sourire.) Pareil pour le skateboard, j’ai toujours souhaité faire des dessins pour des boards, et c’est arrivé 20 ans plus tard !

Tu as aussi fait du skate ? Oui, j’ai commencé à skater très tôt et, vers 1989, avec mon pote Magnus, qui faisait déjà partie de la culture skate suédoise, on a commencé à faire des fanzines. À l’époque, mon père avait du matériel d’imprimerie et même un Macintosh ; on a donc fait des petits journaux photocopiés, avec nos potes dedans, qui étaient très inspirés de Thrasher et des pubs qu’il y avait dedans. C’est de là que viennent mes premières inspirations. Ensuite on a fait un magazine qui s’appelait The Frontside, qui était orienté graffiti ; on aimait l’image de la marque de skate New Deal, qui était très hiphop à ses débuts. À la même époque, j’ai aussi commencé à dessiner des affiches et des pubs pour des skate shops locaux. Quand je regarde ces dessins aujourd’hui, je les trouve vraiment nuls ! (Sourire.) Dans les années 90, je me suis plus investi dans le graffiti, le skate était devenu confidentiel. Je suis allé dans

une école d’art pendant un an, et un jour un pote m’a appelé, il avait l’opportunité de bosser avec une petite ville qui souhaitait organiser des concerts pour les jeunes, dans le cadre d’une association hip-hop. On avait un gros budget, on a fait venir plein de groupes pour des concerts, ça a fini en festival d’une semaine avec entre autres Biz Markie. Ça s’est arrêté quand il n’y a plus eu de budget… Comment expliques-tu qu’il y ait une telle créativité en Suède ? Je ne pense pas qu’il y ait une créativité particulière ici. Mais il y a de très bonnes écoles, je crois que c’est ce qui fait la différence. Dans la ville où j’ai grandi, il y avait une école de musique : tout le monde pouvait y apprendre à jouer d’un instrument et c’était quasiment gratuit. J’ai appris à jouer de… de la mandoline ! (Rire.) Ça n’est pas très hip-hop, mais c’était le passage obligatoire pour pouvoir par la suite faire des solos de heavy metal. Je pense aussi que c’est une histoire de climat : il faut trouver des choses à faire, et on a du temps pour pratiquer pendant l’hiver ! Il y a aussi un effet médiatique qui encourage la créativité suédoise, pour en faire quelque chose de spécial. Mais je pense que c’est un phénomène récent. Et toi, qu’est-ce qui t’a poussé à créer ? Au début du skate, le punk-rock était très présent, c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. La musique en général m’a inspiré, tout ce qui est affiches et jaquettes de CD aussi : l’image simple qui doit en dire plus qu’une photographie. Je crois qu’un dessin, que ce soit pour un disque ou pour un skateboard, doit procurer une émotion, c’est quelque chose que j’ai en tête lorsque je dessine… Les illustrations sous les planches sont toujours une référence quand je travaille ; j’ai cette idée dans la tête de l’émotion qu’elles procurent. Par contre, pour un travail institutionnel, j’essaie de penser à ce qu’on attend de moi en tant qu’artiste… (Sourire.) Quelle est ta principale référence ? Jim Philips, c’est vraiment ma référence absolue. Ma première planche était une Rob Roskopp… celle avec le monstre

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Original image for Fever Ray record sleeves, posters and t-shirts, mixed media om paper.


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Comment as-tu été amené à faire l’artwork de Fever Ray ? Karin Dreijer a pris un bureau dans la structure où je me trouve actuellement. On est devenus amis, et on avait des points communs, on avait les mêmes références. Quand j’ai fait les planches Bellows, elle a vraiment flashé… Donc elle m’a demandé de faire son artwork pour Fever Ray ; j’étais très flatté et très surpris ! On a discuté de ce qu’elle voulait : ça devait être très noir avec un personnage qui s’apparente à un super-héros ; elle m’a envoyé plein de photos bizarres qu’elle a dû trouver sur Internet, et ça a été ma base de travail. Quel genre de photos ? Des vieilles photos en noir et blanc, des trucs étranges, très sombres… Je pense qu’elle a envoyé les mêmes photos à Andreas Nilsson pour qu’il travaille sur l’univers de ses clips. J’ai assisté à plusieurs réunions entre eux, concernant l’ambiance des clips : il était question de forêts, d’Indiens

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Il semblerait que ton illustration pour Fever Ray soit déjà classée dans le top 10 des plus belles pochettes de disque du xxi siècle en Suède ?! Oui ! C’est fou ! Je suis très honoré, c’est incroyable… Ce genre d’événement est très positif… ça me donne plus de travail ! à ce propos, comment concilies-tu art et travail ? C’est une approche difficile car même si le travail que je peux faire dans le cadre d’une commande institutionnelle est vraiment bien, que ça me ressemble, je ne le considère pas comme mon art. Je fais des logos et du graphisme pour de grosses entreprises, et c’est ce qui permet de payer les factures. Ce qui concerne mon art, ce sont les choses que je dessinerais quoi qu’il arrive, même si personne ne les achetait… Si je travaille pour une marque comme Bellows, je travaille pour des gens que j’apprécie, des amis, avec qui j’ai un passé commun, au Sheraton garage par exemple. Alors cela devient mon art… Je n’ai rien contre mes clients « business », mais on ne partage pas la même culture, le même passé, donc ils ne peuvent pas avoir une approche pertinente de mon travail…

Two out of five graphics in the Pirate Skateboards “Treasure Island Series”.

Tu cherches à ajouter du sens dans tes images ? Oui, dans un sens c’est ce que je fais, mais je ne souhaite pas que les gens regardent mes dessins et y cherchent des choses à analyser… Il m’arrive quand même souvent d’utiliser des références personnelles qui n’ont parfois un sens que pour moi ou les personnes concernées.

et de vieilles maisons. J’ai essayé de retranscrire leur conversation, ce qui émanait de leurs idées pour que ça ressemble et que ça colle à cet univers très particulier. C’est marrant parce que lorsque je regarde sur le Net, les gens pensent que les illustrations sont de Charles Burns, alors que je ne suis pas spécialement fan de son travail. Il est très bon en tant qu’artiste, mais ce n’est pas spécialement ce que j’aime. Karin, par contre, est une grande fan de Charles Burns. Pour moi, ce travail pour Fever Ray est clairement plus proche de l’esprit des dessins Powell Peralta faits par VC Johnson… Ma lg ré tout , ça me fa it pla i si r que mon t rava i l fa s s e p en s er à celu i de Cha rle s Bu r n s …

Poster for Psyche/Garage Club Friday at the Hideout, at Debaser Slussen in Stockholm. 35 x 70. Ink on paper.

qui sort de la cible, c’était vraiment le plus beau dessin ! C’est une image qui est restée très importante pour moi. Une image qui a fait de moi qui je suis aujourd’hui, une image sans texte aussi… Dans les écoles d’art, on t’apprend la ligne simplifiée, le minimalisme ; moi ça ne m’a jamais vraiment intéressé ! (Sourire.) J’ai toujours aimé lorsqu’un dessin est très sombre, ou alors très coloré, lorsque c’est très chargé. C’est surtout que j’ai été beaucoup influencé par le skateboard, et les BD aussi, mais c’est moins flagrant. Je pense que tu es un produit de ce que tu as pu voir ; en tout cas, j’ai l’impression que c’est valable pour moi. Je souhaite simplement créer une image qui soit belle et forte, ça vient probablement du fin fond de mon imagination, ce n’est pas un acte réfléchi…

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T-shirt graphic for Giftorm Skatemag. Ink on paper.

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interview de benoît alègre portrait de sébastien charlot photographies de jens andersson

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JENS ANDERSSON jens andersson a la trentaine bien entamée et travaille en tant que photographe professionnel depuis plus de dix années. il est issu du petit monde du skateboard, auquel il est toujours lié. dans le cadre de son travail, il peut shooter une campagne ecko comme il peut aller à majorque avec bellows, soutenir des initiatives de sans-abri ou encore faire exister le concept de « street horsing », une discipline assez peu connue du grand public. il vient de sortir sheraton years, un livre en noir et blanc qui retrace dix années de skate à stockholm.

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quel est le concept du livre sheraton years ? Ce livre concerne la grande famille du skate de Stockholm, quand nous étions des adolescents des années 90, quand on explorait la ville avec nos skates. C’est une période où le skate avait presque disparu de la surface de la Terre, il n’y avait plus que les irréductibles. Ce bouquin présente la scène de la ville de Stockholm de cette époque, une époque où des skaters arrivaient des quatre coins du pays pour skater la capitale ; tout le monde skatait ensemble, nous étions une bande d’une trentaine de personnes issues de milieux très différents ; c’est aussi ce qui rendait l’aventure excitante. Je commençais à m’intéresser à la photographie à cette époque, j’ai donc pris en photo mes potes, et ça a commencé comme ça… Je devais avoir 15 ans, ce qui correspondait à l’âge moyen de notre petite bande. C’était important car c’était la première vague street de Stockholm ; je pense que le même phénomène est apparu au même moment dans les autres grandes villes du pays, mais à cette période on n’était pas tous connectés. On avait entendu parler de gens qui skataient à droite à gauche, mais on ne les avait jamais vus. On regardait les vidéos Santa Cruz Streets on Fire et Wheels on Fire, qui venaient de sortir : on avait tous une copie que l’on regardait en boucle. C’était ça le skate, les deux vidéos que l’on avait, et uniquement ça ! Il n’y avait pas encore Internet et YouTube. Et pourquoi ce titre, Sheraton Years ? À la base du bouquin, il y a ce spot qui se trouve être le parking de l’hôtel Sheraton, qui est situé en centre-ville, près de la gare centrale. C’est un endroit couvert où il était possible de skater toute l’année, même quand il neigeait. Il y avait des rebords avec des arêtes en métal, et en même temps c’était vraiment un endroit sordide, avec des dealers et des prostituées, plus tous ces kids de 15 piges avec des baggy pants qui skataient parfois huit heures de suite… C’était excitant d’avoir un endroit à part, complètement désert, où l’on pouvait skater tranquillement, un véritable espace de liberté, une place oubliée de la ville… Le spot existe toujours

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et j’ai entendu récemment qu’il allait être détruit et être remplacé par des appartements… Qu’est-ce qui était attirant dans le fait de faire du skate ? C’était vraiment un challenge de faire du skate et en même temps il n’y avait aucune règle imposée, tu pouvais essayer des tricks que personne n’avait encore faits, ou alors dans un autre pays, mais ça tu ne le savais pas. Aujourd’hui tu as l’occasion de voir ce qui s’est passé à Barcelone ou à Londres dans la semaine qui suit, c’est quasiment instantané ; à l’époque, le skate c’était vraiment l’inconnu, c’est ce qui le rendait très intéressant… Tu penses que ça pousse à la créativité d’avoir si peu de repères ? Oui, je crois que la passion pour le skate était intense et que le manque d’informations concernant la pratique faisait que tout le monde essayait, de toutes les façons possibles. C’était du test, avec tout ce qui va avec, le style et les fringues horribles. Le phénomène existait et il fallait en explorer toutes les facettes, c’était aussi ça de faire du skate. Aujourd’hui, tu n’as plus besoin de penser à tout ça, car tu y as accès. Il reste en commun la pratique, tu dois répéter les mouvements encore et encore, je ne crois pas qu’aujourd’hui ce soit un challenge intéressant, artistiquement, d’évoluer dans le skate. C’est l’évolution de la pratique qui veut ça, le progrès… ça va plus dans une direction sportive ; je pense que ça prend du temps pour un sport de trouver son chemin. Quand on faisait du skate, on ne savait pas du tout où ça allait, c’est ça qui paraît intéressant avec le recul… Comment tu expliques que le skate brasse autant de gens différents ? Bonne question ! Je crois qu’il y a ce truc dans le skate qui fait que tu as envie de quelque chose d’autre que d’aller t’entraîner au stade ou dans une salle avec des horaires stricts, comme lorsque tu fais du foot ou du ping-pong. Il y a aussi une atmosphère qui se dégage du skate, c’est sûrement ce qui a attiré les gens à en faire, en plus de l’aspect un peu rebelle de la pratique. Faire du skate, c’est simple, il te suffit d’une planche et d’une

paire de chaussures, tu n’as besoin de personne pour t’apprendre à pratiquer, tu n’as pas besoin de faire partie d’un club, tu peux simplement aller faire du skate, là où tu veux, et surtout quand tu veux. Pour moi, c’était quelque chose de très nouveau, j’ai grandi en faisant du foot et tout était déjà établi : 11 personnes à droite, 11 personnes à gauche, et c’est comme ça… Qu’est-ce qui a fait que ce parking est devenu le lieu inévitable ? C’est un ensemble de paramètres je crois, et on en a beaucoup parlé en faisant le livre. Le fait de se retrouver là chaque jour, le fait que c’était un peu glauque, un peu effrayant, que tu n’étais pas supposé être là… ça en faisait un endroit intéressant. En plus, comme je te l’ai dit, on pouvait aussi s’y retrouver en hiver. On a souvent essayé de skater des parkings, mais on se faisait tout le temps virer. Au Sheraton, la sécurité estimait probablement que c’était mieux d’avoir des skaters que des dealers. On faisait du bruit et ça criait, ce n’était pas un lieu propice au deal… donc ils nous ont laissé skater. C’était une sorte de sanctuaire au centre de Stockholm, on était autorisés à y skater avec le sentiment que l’endroit nous appartenait…

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Quelle est la meilleure période ? La période la plus intense, c’est de 90 à 93 ; ensuite la ville a décidé de construire un skatepark couvert… De temps en temps, on se fait une session au Sheraton, avec les anciens ! Ça reste un bon spot ! Comment passe-t-on du skate à la photographie, en tant que métier ? À l’époque, je faisais beaucoup de skate, je n’avais pas décidé de ce que je ferais. J’ai fini l’école en 95, j’ai travaillé à droite à gauche et je faisais du skate. Je prenais toujours des photos et, un jour, un ami, Grieger, qui a créé WESC, m’a donné le numéro d’un photographe en me disant qu’il avait peut-être un job pour moi. J’ai appelé et j’ai dit : « Je suis intéressé par la photo, si vous aviez des conseils à me donner… » Le photographe m’a invité à passer à son studio, et je me souviens encore du sentiment que

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j’ai eu quand je suis entré dans cette grande pièce toute blanche. J’ai été assistant, gratuitement, et j’ai appris le métier. Au bout de deux mois, j’ai décidé que c’était ce que je voulais faire. Pendant quatre années j’ai été assistant, ensuite j’ai monté mon affaire.

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Beaucoup de gens issus du skate sont connus aujourd’hui pour leur art ; comment tu l’expliques ? Je crois que ça à voir avec ce dont on a parlé tout à l’heure ; on ne savait pas dans quelle direction allait le skateboard, c’était donc l’opportunité pour tous d’essayer, de créer avec un esprit très libre. Il n’y avait pas de standards concernant le skate ; maintenant il y a une recette pour devenir pro, c’est beaucoup plus concret, les étapes sont identifiables… C’est certainement difficile aujourd’hui de s’affranchir de certaines règles qui régissent le skate et ce qui l’entoure… Ça semble drastique comme raisonnement ! Avant, les gens de la scène étaient les acteurs mais aussi les producteurs : tout le monde se débrouillait pour les

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vidéos, les photos, mais aussi le business… Maintenant, tu as un vidéaste, un assistant, un directeur artistique, ça change de l’époque où on faisait les choses nous-mêmes. Il n’y avait pas d’argent donc il fallait être créatif pour que le rendu soit correct et intéressant. Ça poussait les gens au bout de leurs possibilités, à essayer toujours plus, et c’est normal que des personnes comme que Spike Jonze aient émergé ; maintenant il y a un petit guide pratique de la créativité dans le skate qui est très formaté… Justement, quelles sont tes références et tes sources d’inspiration ? Forcément, les gens de la scène skate et ceux qui gravitaient autour comme Spike Jonze ou Larry Clark, mais j’ai

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aussi été inspiré par le travail de R ichard Avedon par exemple, le côté très simple du portrait, je trouve que c’est très difficile à faire. J’aime le côté épuré : si tu sais faire ça, tu peux tout faire, il te suffira simplement d’ajouter des éléments… J’aime aussi beaucoup le travail du français JR, qui voyage autour du monde et recouvre les murs de ses photos : ce qu’il fait est vraiment incroyable, je suis très impressionné par son travail en Inde par exemple… Il est bon en art et il a un message très politique, il se donne les moyens de se faire entendre. Il a un côté visuel et artistique très fort, et il ajoute du sens à son travail. C’est quelque chose qui me touche et qui devient de plus en plus important pour moi. Mettre du sens et de la po-

litique dans ce que je fais, ce n’était pas important lorsque j’avais 20 ans, mais aujourd’hui ça l’est devenu. Je crois que si tu peux faire réfléchir les gens avec un petit plus, ta photo prend une autre dimension. Tu essayes de le faire, de donner cette dimension supplémentaire à tes photos ? Oui, j’essaye… mais c’est difficile ! Et ce n’est pas la raison pour laquelle je fais de la photo. Pour moi la photographie reste de l’entertainment, quelque chose qui allège le quotidien. Je crois que tu as réussi une photo quand tu as lié tous ces ingrédients : l’esthétique, le support et le message. C’est valable pour une publicité, pour une jaquette d’album…

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Comment concilies-tu le côté commercial et tes ambitions personnelles ? J’ai un bon exemple pour illustrer ça : j’ai travaillé pour un journal à Stockholm qui est distribué par les sans-abri, j’ai fait des pubs pour que les gens achètent ces journaux… Je crois qu’il faut trouver un équilibre entre le travail « commercial » et ton travail personnel. J’ai assez peu de contraintes dans les milieux avec lesquels je bosse, je n’ai pas vraiment de problèmes avec tout ça… Peux-tu nous parler du fameux livre Horse Play ? Ah ! C’est probablement le projet le plus délirant que j’ai réalisé. L’idée est d’Erik, qui est le directeur artistique du livre, et de moi. On en a parlé à WESC ; à cette époque c’était une petite entreprise, ils étaient ambitieux et souhaitaient réaliser ce projet, il y avait peu de gens dans la marque, peu d’intermédiaires. Ils nous

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ont laissé voyager partout dans le monde, on a pris des tonnes de photos et il y a eu beaucoup de Photoshop. Un beau jour, on est arrivés avec le bouquin à une réunion marketing… et… (sourire) ça leur a pris du temps avant de comprendre le concept ! « Estce que c’est vrai tout ça ?! » est une question qui est souvent revenue ! Le concept était bien réfléchi, on s’est vraiment pris la tête. On a fait beaucoup de recherches, et il se trouve qu’un cheval est capable de faire les tricks que l’on a photographiés… un cheval peut sauter au-dessus d’une voiture. On a aussi choisi des spots de skate très connus, qui ont une histoire, et c’était vraiment marrant de mettre Jason Lee sur un cheval au-dessus d’une barrière qu’il saute dans Video Days. Il y a eu 6 000 copies de ce truc improbable qu’est le street horsing ! C’est intéressant de voir les gens se demander si c’est une blague ou si c’est réel, si c’est quelque chose

qui existe : « Je n’en ai jamais entendu parler ? Est-ce que j’ai manqué quelque chose ?! » Ce projet vit encore, je crois que c’est ça le plus intéressant… Il y a aussi eu quelques polémiques, notamment avec les membres de l’association PETA [People for the Ethical Treatment of Animals, des gens qui militent activement et fermement contre les mauvais traitements infligés aux animaux – ndlr], qui se sont indignés parce que les chevaux pouvaient se casser les pattes avec ce genre de pratiques…

+46 704417962 jens@thejens.com www.thejens.com www.sheratonyears.com © all rights for the pictures belongs to photographer jens andersson.

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interview de sigurde svensson & sébastien charlot portrait de sébastien charlot photographie sk ate de jens andersson

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mika a 23 ans, il vient du nord de la suède, d’une petite ville perdue, loin de tout, et dont le nom est imprononçable… il skate depuis toujours, depuis près de vingt ans selon ses dires ! il vit à stockholm depuis huit ans et il fait partie de l’équipe bellows, fer de lance d’un skateboard moderne et suédois…

Mika hésite et parle peu. Il est d’un naturel timide et confie ne pas être très à l’aise en anglais. À le voir sur une planche, on se dit que la maxime « Les actes parlent plus que les mots » prend tout son sens. Il revient succinctement sur ses débuts : « Je m’asseyais juste sur la planche, j’empruntais d’ailleurs la board du voisin ! Je ne connaissais rien du skate, on passait notre temps avec mon frère et le voisin à inventer des tricks, puis mes parents ont construit une petite mini-rampe dans le jardin. Je suis allé vivre à Stockholm pour le lycée, je devais avoir 15 ans, je suis allé en sport-études skate… Vous n’avez pas ça en France ? Tu fais du skate chaque jour, pendant deux heures… et tu as des cours normaux. C’est comme ça que j’ai connu Love, il était professeur là-bas ! C’était un bon prof, il poussait tout le monde à skater à fond ! Mon quotidien ? ça dépend des saisons… En ce moment je me lève autour de 9 heures, je prends un petit déjeuner, je chille et je vais au bureau Bellows. Je discute avec le staff et ensuite je pars skater en ville ou au skatepark… Depuis un moment, je fais un petit blog sur le site Internet de Bellows, je trouvais que ça ne bougeait pas assez, alors je poste des vidéos et des images… Je ne suis pas trop dans les ordinateurs, mais c’est marrant à faire ! »

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interview de sébastien charlot photographie de loïc benoit

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émilie hanak fait de la musique, elle est calme, elle est la sœur des ddamage et partage sa vie entre la france et la suède. après un discret premier album, elle sortira to all the ladies in the place, with style and grace, qui ne sera pas un hommage à notorious big, mais un second opus folk et vivant.

JE SUIS MILKYMEE, JE VIENS DE MAISONS-ALFORT et j’y ai grandi jusqu’à mes 21 ans. À ce moment-là j’ai arrêté mes études de cinéma pour aller vivre en Suède, parce que je m’ennuyais. J’avais l’impression que la vie était monotone. J’ai passé mon DEUG, ma licence, ma maîtrise, et finalement je me suis rendu compte que je ne savais pas du tout ce que je voulais faire, donc je suis partie… Je voulais faire un break de six mois, c’était il y a presque six ans… (Sourire.) Je ne suis jamais vraiment revenue ! J’ai habité à Stockholm pendant trois ans, et maintenant j’habite Göteborg, qui se trouve dans le sudouest du pays : c’est une ville industrielle et populaire. Stockholm, c’est joli comme une carte postale, très lisse et les gens sont beaux ! (Rire.) Göteborg me convient, je vais souvent dans la nature, j’y ai tourné un clip d’ailleurs avec mes amis, dans la forêt qui est à deux pas de chez moi. Je passe beaucoup de temps en plein air, à la mer ou au milieu des arbres… La Suède donne une qualité de vie que je n’ai jamais eue ici. J’ai trouvé

un endroit qui me correspond. Je ne savais pas que c’était là, mais je l’ai trouvé… Tu avais un problème avec la France avant de partir ? Non, non… j’aime beaucoup la France. Je crois que j’avais besoin de partir, de ressentir cette notion d’exil, et finalement peu importe où tu vas : l’idée c’est de se retrouver ailleurs, de prendre du recul, de réfléchir à la notion d’appartenance… Je vais un peu loin là, non ?! Personnellement, je ne me suis jamais autant sentie française qu’en vivant à l’étranger. Le 14 juillet, j’en avais rien à foutre quand j’étais en France, mais quand tu es là-bas, c’est… de l’émotion ! (Rire.) Toutes ces conneries, ça devient important… Actuellement je suis en France pour trois mois, et c’est la première fois que je reste aussi longtemps depuis mon départ, ça me fait du bien… Comment as-tu mis le nez dans la musique ? C’est venu assez tôt, j’ai deux frères qui sont musiciens [JB et Fred de

dDamage, cf. p. 64-69 – ndlr]. Fred était dans le hip-hop et ça ne m’attirait pas plus que ça, puis un jour JB a ramené des instruments à la maison. Et comme une petite sœur un peu farfouineuse, j’allais souvent dans leur chambre pour les essayer. Ça a sûrement commencé avec une guitare de JB, mais je ne faisais pas de musique avec eux. Je devais avoir 15 ans et j’ai commencé à jouer dans des groupes punk. Tu n’as pas du tout collaboré avec eux ? J’ai posé, une fois, des voix sur leur deuxième album, Harsh Reality of Daily Life, pour le morceau « SixColored Pictures » ; je devais avoir 16 ans, et ce n’est pas un bon souvenir ! J’avais envie de partir, je disais que ça n’allait pas marcher, mais ils m’ont quand même enregistrée. Il y a quelques années, JB est revenu à la musique folk et acoustique, du coup on compose tous les deux de temps à autre. On a joué ensemble dans le bar Les Disquaires, il m’a rejoint à la fin du set ; j’adore quand il montre ce côté de sa personnalité ! C’est tellement étonnant ! Il a une

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voix de petit chat, ce sont des miaulements ! C’est vachement beau ! (Sourire.) C’est Boulder dDash ! À quel moment la musique est-elle devenue plus sérieuse pour toi ? Une amie, Gloria, qui s’occupe du label Tsunami-Addiction, a sorti la compilation Toxic Girls! en 2002. J’avais un morceau dessus avec JB, Snowballing, c’est là que ça a commencé à être un peu plus sérieux. Elle m’a carrément forcée et elle m’a demandé de faire un album : « Tu le fais et je le sors ! » Je ne savais pas trop si c’était sérieux, j’ai fait un album en un été chez JB avec un quatre pistes, et puis elle l’a sorti… Ce premier album est très instinctif, il regroupe des choses que j’avais composées chez moi en Suède avec ma guitare acoustique ; le deuxième est différent, moins épuré, il y a plus d’instruments, de collaborations… Comment passe-t-on de la folk au punk ?! En partant en Suède avec une guitare ! C’est le seul instrument que l’on peut emmener facilement, et je me suis dit que c’était quasiment un défi. Tu as un instrument et tu dois raconter une histoire, tu as envie que ce soit cohérent et c’est plus risqué que de crier derrière un micro qui sature. Je me suis livrée, sans jamais faire de chansons « journal intime ». Mes morceaux sont inspirés de microévénements, d’une image, de quelqu’un qui attend à une station de bus… Je ne raconte pas les grands drames de ma vie… (Sourire.) J’ai un peu de mal à parler de ma musique, j’espère que ça va ! C’est toujours plus facile de la faire que d’en parler… L’héritage du nom Hanak n’est pas trop difficile à porter ? Ben… non… (Sourire.) On ne joue pas du tout sur le même registre, et jusqu’ici… bah, je ne sais pas, par exemple ce que tu me disais sur dDamage est vrai : Fred et JB, tu les rencontres, ça fait un effet fou, une espèce de tornade, alors que moi je fais juste des chansons folk avec ma guitare, je parle de forêt, c’est quand même assez différent ! Je me souviens de mecs qui me rencontraient en backstage de concert et ils hallucinaient de me voir : « Tu es vraiment leur sœur, mais c’est fou ! »

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Tu écoutes leur musique ? Oui, j’écoute et en même temps ce n’est pas vraiment mon univers… D’ailleurs je me suis souvent demandé ce que j’en penserais si je n’étais pas leur sœur… Et je ne peux pas y répondre car je suis leur petite sœur. J’adore les voir sur scène, c’est un putain de spectacle, voir JB qui tape Fred, Fred qui arrive en retard, JB qui installe tout, emmêlé dans les fils ! Tu as déjà songé à écrire en français ? Jusqu’à il y a peu de temps, je pensais que ce n’était radicalement pas mon truc, et puis je me suis sentie prête… mais les gens autour de moi ne sont pas d’accord ! Ça me donne envie et je pense que je vais le faire… J’ai bossé à l’ambassade de France pendant deux ans, et l’attaché culturel français m’a écrit une dizaine de textes. Du coup, je les ai en attente et je vais devoir les mettre en musique. Bientôt je crois… C’est le fait d’être exilée qui t’en a donné l’envie ? Oui, j’ai toujours eu l’impression que chanter en français, c’est me découvrir un peu plus. C’est plus simple de chanter en suédois ou en anglais… Ça fait moins peur de parler de sentiments quand ce n’est pas dans ta langue. Et d’être à l’étranger a fait que le français est devenu une langue étrangère, donc je suis devenue plus attentive aux belles sonorités, aux plaisirs de la langue… Tu as été influencée par la musique suédoise ? La vérité est que je n’écoute pas beaucoup de musique. J’écoute les amis musiciens autour de moi, je vais à des concerts, j’aime faire de la musique avec des gens, mais chez moi je n’ai que trois CD que j’écoute depuis dix ans ! Wowee Zowee de Pavement, Washing Machine de Sonic Youth et Harvest de Neil Young… C’est horrible à dire, mais je n’ai pas de curiosité par rapport à la musique ! Si tu me demandes si la musique suédoise m’a influencée, je te dirais oui. Ma copine a une maison sur une petite île et il y a souvent des concerts de musique folk et traditionnelle avec de l’accordéon, pas de l’accordéon musette à la française, un son très différent, et ça m’a influencée. Tu es sur une île,

tu écoutes de la musique, tu manges une soupe de poisson, il y a une ambiance de laquelle tu t’imprègnes… Sinon j’aime bien José Gonzáles, j’adore danser sur The Knife, et j’aime le projet solo de la nana [Fever Ray, pour ceux qui ne suivent pas… – ndlr], je le trouve… enfin, c’est quand même la descente, c’est un peu triste ! Tu viens aussi de composer une musique de film… Oui, pour un film d’auteur avec Béatrice Dalle : elle est mathématicienne, une femme très belle et très intelligente qui s’autodétruit avec l’alcool… C’est aussi l’histoire de sa relation avec son petit-neveu de 17 ans, il découvre la vie, et, elle, a envie de l’oublier, c’est un double mouvement ; en gros c’est ça le pitch ! Ça sortira cet automne. Le réalisateur s’appelle Patrick Chiha, il est franco-autrichien. C’est l’ami d’un ami de Gloria, qui préparait son long métrage depuis deux ans, et il souhaitait que je fasse la musique de son film. Moi je ne savais pas trop si c’était du lard ou du cochon, il y a plein de gens qui disent plein de trucs… tout le temps ! C’est vrai, non ?! Bref, à l’automne dernier, quand il a commencé à tourner, il m’a demandé de la musique. Le processus a été très lent, il m’a envoyé des listes de mots, des recueils d’Apollinaire, des compilations de musique qu’il écoutait, du classique ou Les Mots bleus. Tu connais cette chanson horrible ? De la variétoche française… Il m’a dit : « Inspire-toi de tout ça, écris des chansons et je ferai le tri… » Du coup ça m’a beaucoup plu, j’étais très libre. J’ai composé une quinzaine de titres et il en a retenu huit. Il a donné une belle place à la musique dans le film. Il y a des plages de deux minutes parfois, et je trouve que ça colle très bien à l’image, c’est presque magique !

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interview de sébastien charlot & benoit alègre

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love eneroth fait partie de ces skaters dont la maîtrise technique est insolente par son aisance. le regarder rouler, tout simplement, est un pur plaisir tant le skateboard semble pour lui être une activité naturelle. cette maîtrise l’a fait bouger à droite à gauche, il a vécu à barcelone, à lyon et a surtout passé pas mal de temps sur la route sans avoir vraiment de chez-soi. depuis un peu plus de deux ans maintenant, il est de retour dans sa suède natale avec la volonté (non affirmée) de laisser son empreinte sur la scène suédoise. attention, il est bien parti pour ne pas s’arrêter au skateboard…

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nous allons commencer durement : qu’est-ce que ça fait d’avoir 30 ans et d’être un skateboarder professionnel en 2009 ? Whouaw… Sympa ! Je ne sais pas, j’ai 32 ans maintenant ! (Rire.) Non, plus sérieusement, je dirais que c’est une bonne chose et que j’y prends beaucoup de plaisir. Je me préoccupais plus de cette question de l’âge quand j’avais 20 ans ; maintenant cette question ne me préoccupe plus du tout. Vous savez, cette fameuse crise de la trentaine, je crois que je l’ai eue quand j’avais justement 20 ans ! (Rire.) C’est lié au fait qu’à cette époque les skaters disparaissaient des magazines passé les 22 ans. Je me disais donc que ça n’allait pas être possible de continuer au-delà de cette limite fatidique. Ce n’était pas tant une question de capacité physique à revenir de blessure mais plus la peur de ne plus être « marketable », de se faire évincer par les sponsors… alors que 22 ans, c’est quand même pas très vieux ! Finalement, quand j’ai enfin fêté mes 22 ans, tout s’est plutôt bien passé, j’ai continué à skater, et depuis que ce cap est franchi, je ne me pose plus du tout ce genre de questions. Certaines personnes pourraient pourtant croire que le skate est une activité pour les kids ? Peut-être, mais je pense que ce n’est plus le cas. Si tu vas au skatepark de Stockholm, tu vas voir des skaters âgés de 5 ans à 45 ans, et ce à chaque session. Il y a eu un gros revival ces dernières années, il y a des gens plus âgés qui reprennent leur planche et viennent skater le bowl et la rampe. Il y a même cette génération de skaters qui viennent au park avec toute leur famille et qui passent la journée là, à skater avec leurs enfants. Je trouve que c’est une excellente chose. Certaines personnes pourraient dire : « Oh, mais quand tu vieillis ton corps commence à faire mal… » Certes, mais c’est aussi quand tu commences à devenir paresseux et à ne plus trop te bouger. En tant que skater, je pense que si tu continues juste à faire ce que tu fais, de façon sérieuse, tu auras toujours la possibilité de prolonger le plaisir. Quand tu deviens un peu plus vieux, tu dois juste prendre un peu plus soin de toi, faire des exercices,

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etc. Rester derrière un bureau va juste te faire rouiller. Je ne connais pas la limite et peut-être que personne ne la connaît… Au sujet de l’attente que les sponsors peuvent avoir ? Peut-être que c’est une situation qui peut faire stresser certaines personnes… a fortiori quand de jeunes skaters poussent fort derrière toi… Mais je ne sais pas, je crois que c’est une inquiétude qui ne m’a pas encore frappé. En tout cas je n’ai aucune pression de la part de mes sponsors. Paradoxalement, c’est une pression que je ressentais plus il y a quelques années, mais ce n’est plus le cas maintenant. Par exemple, je ne suis pas du tout dans les contests, ce n’est vraiment pas le genre de trucs qui me motivent, je

« cette fameuse crise de la trentaine, je crois que je l’ai eue quand j’avais 20 ans. » n’arrive jamais à grand-chose de bien sous pression. Et je pense que c’est pareil avec les sponsors : ceux que j’ai maintenant connaissent ma façon de fonctionner, et aucun d’eux ne me met la pression pour quoi que ce soit, ils savent que s’ils me laissent faire à ma façon ce sera beaucoup plus productif. Je me mets déjà assez la pression tout seul en fait. C’est comme ça que ça fonctionne pour moi, je comprends ce que je dois faire pour garder mes sponsors, et je veux les garder quoi qu’il en soit ; je veux surtout continuer à faire ce que je fais. Il y a bien sûr certaines fausses contraintes, qui ne me posent aucun problème, comme partir en tour, mais pour tout ce qui est contest, je pense que c’est même mieux pour mes sponsors que

je n’y aille pas, je leur ferais plus de tort qu’autre chose ! (Rire.) Que s’est-il passé avec Antiz Skateboards [ancien sponsor de Love – ndlr] ? Il ne s’est rien passé, et surtout il ne s’est rien passé de négatif si c’est ça la question. (Rire.) Est-ce que quitter Antiz Skateboards a été une décision facile à prendre ? Oui et non en fait. À cette époque je venais juste de déménager de Barcelone pour rentrer à Stockholm. En gros, j’étais blessé et je ne pouvais donc pas trop skater. Lorsque tu es à l’étranger pour skater et que tu te retrouves blessé, dans l’incapacité de faire ce pour quoi tu es là, ça devient difficile. Bien sûr, tu peux aller au cinéma, voir des expositions, etc., mais le fait est que tu n’es pas chez toi… Le système de sécurité sociale n’est pas le même et tout devient compliqué. Au bout de quelque temps que je ne pouvais pas faire ce pour quoi j’avais emménagé à Barcelone, j’ai presque commencé à déprimer, ce n’était pas facile. Il fallait donc que je fasse quelque chose, je ne savais pas quoi, mais il fallait que je fasse quelque chose. À ce moment-là, la simple réflexion de ce que je pouvais faire m’a rendu tout excité. J’ai décidé de rentrer ici, à Stockholm, et de passer à l’action. J’avais déjà commencé à dessiner, j’avais d’ailleurs commencé à travailler sur les tableaux qui sont plus tard devenus des illustrations pour une série Antiz, une sorte de cadeau d’adieu d’ailleurs. Bref… Le problème est qu’à ce moment-là, une fois terminés, je ne savais pas comment retravailler ces tableaux sur ordinateur pour ensuite les reproduire sur des boards. Je me suis donc inscrit à des cours gratuits de formation aux techniques d’ordinateurs pour un semestre. Soit dit en passant, je me suis trompé de cours et je me suis retrouvé à travailler sur InDesign… (Rire.) Mais bon, c’était gratuit et c’était toujours une bonne chose à apprendre.

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Tu avais repris le skate à cette époque ? Oui… mes problèmes de dos allaient et venaient, mais dans l’ensemble je recommençais à skater. C’était malgré tout une situation délicate, j’étais dans cet entre-deux plein d’incertitude :

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« Vais-je pouvoir skater à nouveau ou bien vais-je devoir arrêter ? » Savais-tu que tu voulais développer une activité en relation avec le skateboard ? Oui… oui, sans aucun doute, c’est ce que je connais le mieux. Enfin, maintenant je ne pourrais pas dire que je vais rester actif dans cette scène pour le reste de ma vie, je n’en ai aucune idée. Tu sais, la vie peut t’emmener dans des directions insoupçonnables, et tu te retrouves finalement à faire des choses que tu n’avais jamais envisagées auparavant. Je sais juste

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que j’aurai toujours un skate à la main, ça j’en suis sûr… du moins si mon corps me le permet. Bref… j’ai donc commencé à réfléchir à cette idée de création de marque. Chez Antiz, l’image était déjà fixée, Hugo [Liard, skater, fondateur avec d’autres de la marque Antiz Skateboards – ndlr] s’occupait du graphisme, et il était difficile pour moi de m’impliquer plus. Ce n’est pas un sujet que j’ai abordé avec eux car si je voulais faire ce genre de choses, c’était forcément dans le cadre d’une création de marque. J’ai donc parlé avec eux du fait que je voulais faire quelque chose de mon côté et ils l’ont

très bien compris. C’est à ce moment que j’ai commencé à parler à Martin Karlsson et Johan Florell. Tous deux ont immédiatement été motivés. Tout a donc commencé dans un café : nous avons chacun échangé notre vision de ce que pourrait être la marque, du graphisme jusqu’au team en passant par nos méthodes de travail. C’était en octobre 2006. Le simple fait d’enclencher le processus et de prendre ces décisions nous a donné beaucoup d’énergie. Au même moment, j’ai rencontré un excellent kinésithérapeute, qui m’a énormément aidé à résoudre mes problèmes de dos.

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Quelle est donc l’idée derrière Bellows ? En ce qui me concerne, donc au niveau graphique, j’aime vraiment tout ce qui a pu se faire dans la scène skate du début des années 90, les bonnes années World Industries, Sean Cliver, McGee, etc. Les graphismes de cette époque étaient vraiment différents de ce qui se fait maintenant, où tout est super propre, trop propre… On voit clairement l’utilisation d’ordinateurs. Ces graphismes étaient assez engagés d’un point de vue politique… Oui, c’est exact, même si nous ne sommes pas nous-mêmes si politiques que

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ça. J’étais vraiment touché par le côté dessin. Les autres aussi respectent cette façon de faire, un peu old school, c’est beaucoup plus joli à notre avis. Des graphismes simples mais efficaces. Nous étions donc concentrés sur tous ces petits détails : « OK, nous voulons que les illustrations ressemblent à ça, que les couleurs soient dans ces tons » et tout ce genre de trucs. Aujourd’hui, les marques essaient d’économiser sur tous les fronts, du nombre de couleurs des graphismes au nombre de plis de couleur sur un skate [un plateau de skate est constitué de sept plis d’érable canadien collés les uns

aux autres – ndlr]. Par exemple, nous avons fait le choix d’avoir quatre plis de couleur sur nos boards : les deux du haut et les deux du bas. Nous pensons que de cette manière un plateau est plus beau, mieux fini… plus solide, plus épais… plus appétissant quoi ! (Rire.) Pour nous, ce sont ces petits détails qui font la différence et notre identité. Quelle est ton approche créative relativement à Bellows ? Ça dépend. Si l’idée me vient rapidement, c’est vraiment très facile, je n’ai qu’à la suivre et tout s’enchaîne

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naturellement. Le plus dur, c’est justement de trouver cette idée. Avec l’expérience, j’ai l’impression que cela devient de plus en plus facile. Pour les premiers graphismes, nous avons décidé de partir sur l’idée du soufflet [bellows en anglais – ndlr], qui pour nous semble pleine de sens. Nous étions séduits par l’idée d’apporter un souffle nouveau à la créativité de la scène skate ; c’est d’ailleurs quelque chose que nous avons revendiqué. Nous avons fait le choix de garder cette idée de soufflet, mais en l’associant à des éléments décalés : des animaux, des motos, des vélos… Puis j’ai commencé à détourner des objets en leur appliquant des caractéristiques opposées à leurs fonctions premières, des gros moteurs sur un monocycle, tout ce genre de raisonnements bancals. Pour en revenir au skate, comment cela se passe-t-il en ce moment ? Très bien, je suis dans une excellente période : l’année qui vient de s’écouler a été une bonne réussite. La motivation est au rendez-vous et j’ai cette volonté de continuer à avancer. C’est très agréable car j’ai l’impression que cette spirale positive affecte de nombreux aspects de ma vie, que tout est plus simple, le doute ne s’installe pas et je fais attention à rester positif. D’un point de vue plus général, je pars du principe qu’il faut que tu fasses ce qui tu as envie de faire… suivre ce que te dicte ton cœur en quelque sorte. Quand tu sens que tu déprimes et que les choses ne sont pas si simples, je pense qu’il faut regarder sa vie par-dessus son épaule et se poser cette question cruciale : « Est-ce que j’aime vraiment ce que je suis en train de faire ? » Si la réponse est négative, alors il faut trouver quoi faire pour prendre à nouveau du plaisir et suivre cette direction. De cette façon tu te sentiras mieux. C’est vraiment important de prendre du plaisir : quand c’est le cas tout devient plus clair même si, bien sûr, tout ne peut pas être simple tout le temps… Penses-tu que cette voie soit la plus simple ? Dans mon cas, ce n’est certainement pas la solution de facilité, l’argent peut être un problème parfois. Bien

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sûr que tu as besoin d’argent pour vivre, mais pour moi l’argent n’a jamais été un souci… du moins dans le sens où ce n’est pas une priorité dans ma vie, ce n’est pas ce après quoi je cours. J’ai évidemment besoin d’un minimum pour payer le loyer, les factures et manger tous les jours, mais ce n’est pas comme si j’étais obsédé par la richesse, je n’ai jamais pensé de cette manière. Je veux juste continuer à faire ce que je prends du plaisir à faire : pour moi c’est la chose la plus importante. C’est un résumé de tout ce que les bouquins sur la recherche du bonheur peuvent te dire : trouve le sens de ta vie et suis-le. Quels sont tes projets pour l’avenir ? Je ne sais pas ! (Rire.) Je suis juste content de ce qui m’arrive en ce moment, tout est bien comme ça. Le fait d’avoir créé cette société semble m’avoir ouvert pas mal de portes. J’ai fait des choses, ces choses ont été vues par d’autres personnes, certaines les ont aimées et certaines d’entre elles m’ont demandé de faire des choses pour elles. Je prends beaucoup de plaisir à rencontrer des gens et à développer cette activité. C’est aussi très agréable de sentir que les gens aiment ce que tu fais. J’ai fait ces T-shirts pour cette université, pour T-Shirt Store [marque de T-shirts suédoise – ndlr], et je travaille actuellement sur d’autres. On verra bien ce qu’il se passera. Vous avez pas mal de marques suédoises qui semblent fonctionner correctement. Comment expliques-tu ce soutien des skaters aux marques locales ? Une sorte de fierté suédoise… mais pas dans le mauvais sens ? Une fierté ? Je n’ai jamais vraiment pensé à ça de cette façon-là. C’est sûr que nous avons beaucoup de marques pour un tout petit pays. Après, je ne sais pas vraiment si c’est de la fierté ; c’est peut-être le cas pour beaucoup de gens. Par exemple, c’est toujours rigolo quand tu es à l’étranger de pouvoir taquiner les gens… « Nous avons Ikea, nous avons inventé le zipper, etc. » Mais je ne saurais pas dire si j’ai une fierté particulière ou si les Suédois en ont une.

Penses-tu que certaines personnes en Suède supportent Bellows parce que c’est une marque suédoise ? Oui, c’est sûr. Avant de démarrer la société, nous avons fait une petite étude autour de nous pour savoir ce que les gens pensaient d’un tel projet. Nous avons eu de sérieuses mises en garde sur sa viabilité, surtout sur le délai nécessaire aux gens pour reconnaître le logo et donc identifier la marque. Mais nous avons vite eu un accueil très favorable et nous avons immédiatement été identifiés comme une marque suédoise crédible. Notre vidéo nous a énormément aidés d’ailleurs. Dès le début, nous savions que nous voulions rapidement sortir une vidéo pour que les gens puissent rapidement cerner la marque. Nous l’avons réalisée en un été, c’était très intense. Alors, même si la vidéo est courte, certainement la vidéo de marque la plus courte jamais faite… (rire) elle a énormément aidé. Nous sommes allés à Oslo et à Paris, mais tout le reste de la vidéo a été tourné ici, à Stockholm et dans ses alentours.

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Hier, quand nous nous sommes retrouvés dans le bar, il y a eu cette personne qui t’a reconnu : « Tu es Love Eneroth, tu étais mon héros quand j’étais jeune ! » (Rire gêné.) ça n’arrive vraiment pas souvent, j’ai été très embarrassé… Pourquoi ? C’est un sentiment assez étrange. Sincèrement je ne peux pas répondre à cette question. Au moment où c’est arrivé, je me suis senti mal… Je ne peux pas l’expliquer… trop d’attention sur moi. Ça doit être insupportable d’être quelqu’un comme Britney Spears. Je ne voudrais pour rien au monde connaître cette notoriété.

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Stuffed upper lip – une petite introduction au snus À travers les siècles, philosophes, poètes et scientifiques ont recherché quel trait caractéristique pourrait définir l’humanité dans sa totalité. Certains d’entre eux y sont presque arrivés, et leur réponse est sans équivoque : la nicotine. La nicotine et le tabac ont suscité l’adoration de l’humanité, quels que soient l’époque et l’endroit où ils sont apparus. Une fois dans la partie, la nicotine ne nous quitte plus. Ainsi, tout effort de description d’une culture ou d’une société devrait s’ouvrir sur la manière spécifique dont la nicotine est consommée. Prenons le cas de la Suède : un pays froid, humide et sombre. La spécialité de cette nation en matière de tabac est le snus : un produit moite, de couleur foncée, qui rappelle la terre et se consomme de préférence tout droit sorti du réfrigérateur. Bien que le snus ne soit composé de rien d’autre que de tabac moulu, de sel et de carbonate de sodium, il semble que la force avec laquelle il tient un bon huitième de la population suédoise par la lèvre supérieure soit illimitée. La cause de cette popularité ne doit cependant pas être recherchée dans le goût ni dans l’arôme, mais dans la pure puissance de la nicotine. Tout comme dans le cas d’autres phénomènes à succès, la stratégie attachée à la nicotine est simple : il s’agit moins de se concentrer sur le plaisir apporté au consommateur que de mobiliser la souffrance liée au fait d’essayer de s’en passer – l’abstinence. Le snus diffuse une énorme quantité de nicotine dans le sang, suffisamment pour faire vomir la plupart des novices. Une fois ce premier obstacle franchi, vous êtes prêt à tomber dans les sales griffes du snus.

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Comme il n’est pas avéré que le snus soit responsable de maladies graves, beaucoup essaient d’en consommer pour arrêter de fumer. Mais prendre du snus augmente tout simplement le besoin de nicotine des fumeurs, et nombreux sont ceux qui en arrivent à fumer et à snuser, s’ils ne se mettent pas tout simplement à fumer encore plus qu’auparavant. La force chimique du snus a également conduit à sa mythification et a engendré son statut d’icône. Le folklore rattaché au snus est aussi dense que la fumée d’un cigare, et même s’il n’est pas vrai que le snus contient du verre en poudre ou que de placer sa dose de snus sous le côté droit de la lèvre rend aveugle, la consommation du snus représente toute une culture. Combien de doigts on utilise pour tasser sa dose, quelle forme on lui donne avant de la mettre sous sa lèvre, dans quelle poche de son pantalon on met sa boîte à snus, combien de temps on laisse sa dose en place et comment on s’en débarrasse – chaque détail laisse, paraîtrait-il, entrevoir la personnalité de chacun. L’utilisation du snus sous sa forme d’origine, en poudre, est une sale affaire qui entache le sourire et compromet l’hygiène des mains. Pas étonnant donc que la consommation de snus ait surtout été une histoire d’hommes et soit toujours entourée d’une mythologie masculine. Cependant, l’arrivée du snus en portions, avec des doses prêtes à être consommées dans un petit sachet, a augmenté sa popularité auprès des femmes, et de plus en plus d’hommes se tournent eux aussi vers ce mode plus propre et plus civilisé pour se procurer l’unique super buzz suédois. Martin Karlsson.

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- RAILWAY CROSSING / Melbourne Suburbs -

PORTFOLIO par LOÏC BENOIT.

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je m’appelle loïc benoit, je suis photographe d’actions de rue, en particulier de skateboard, mais je m’intéresse aussi à tous les moments de vie typiques que ce macrocosme peut nous offrir. j’éprouve quelques difficultés à attendre le soleil pendant nos quatre longs mois d’hiver, ici en europe. cette année, je me suis décidé à m’envoler pour l’australie en vue de me prendre une bonne dose de soleil pendant le mois de février, mais aussi pour découvrir ce qui se passe à l’autre bout du monde. je suis donc parti un mois rejoindre un pote, mais aussi traîner mes guêtres avec jojo (joseph biais)... nous nous sommes rejoints à sydney, puis nous sommes partis à la découverte de ce grand pays. melbourne est restée notre ville préférée, idéale pour la pratique de la planche à roulettes, et très intéressante grâce à son caractère cosmopolite. après 20 jours de recherche de spots en milieu urbain, c’est avec le plus grand plaisir que nous sommes partis sur les routes australiennes à la recherche de kangourous, de koalas et de grands espaces. bienvenue au milieu de ces petits détails de vie australienne qui sont passés devant mes yeux et qui sont restés imprimés sur mes pellicules...

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- TOURBILLONS / Great Ocean Road -

- JOSEPH GIVE WAY / Melbourne -


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- BUSHES AND SEA / Great Ocean Road -

- Great Ocean Road -


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- NEIGHBOORS DOOR -

- LA CARTE POSTALE / easy shot on the road -


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- Le pont de Sydney dont je ne connais pas le nom -

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interview & photographies de benoît alègre illustrations de easy sacha

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le premier contact a eu lieu entre la fin des balances et le début du concert, dans ce court laps de temps que les groupes utilisent souvent pour se motiver avant de monter sur scène. pourtant, rien n’était écrit, le rendez-vous a même d’abord été annulé pour cause d’emplois du temps inconciliables : l’interview croisée de jesse hughes et easy sacha ne devait pas se faire. c’était sans compter sur une hyperréactivité de jesse à l’écoute du mot « tatouage ». ni une ni deux, il voulait rencontrer cet easy sacha. la suite est d’une limpidité parfaite, la volonté et le rock’n’roll se sont unis pour donner naissance à l’un de ces moments magiques qui finissent incrustés sous l’épiderme.

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Peux-tu me décrire un peu tes tatouages ? On va commencer par le premier, il restera toujours mon préféré. C’est ce que les « boys » américains avaient sur leur drapeau de 1970 à 1975. Je l’ai fait faire chez Electric Tattoos, je le trouve incroyable. Les éclairs ont été ajoutés par Clay Decker en plein milieu d’une folle nuit, alors que nous étions paumés dans une chambre d’hôtel lors d’une chevauchée à Hollywood, Californie. (Rire.) Celui-ci est aussi un de mes préférés, je l’ai fait faire par Kat Von D sur le plateau d’une émission de télé, c’est un clin d’œil à mon fils : Lil’ Rock’n’Rolla ! Born 1999. (Jesse scrute ses bras et rigole.) Celui-ci est quand même le plus drôle, j’y tiens particulièrement, et à chaque fois que je le regarde je ne peux pas m’empêcher de me marrer. Nous sommes partis en tour avec Guns N’ Roses, et Axl Rose nous a virés le tout premier soir de la tournée. Cet enfoiré nous a appelés « The Pigeon of Shit Metal » sur scène. Je l’ai fait faire tout de suite après, à Washington DC chez Jinx Proof Tattoos. C’est en hommage à la connerie puante d’Axl Rose… Dieu sait que c’est bon d’être détesté par les trous du cul. Sérieusement, je ne sais toujours pas pourquoi il a fait ça ; en ce qui nous concerne, nous avons passé un sacré bon moment. Nous nous sommes pointés et nous avons fait un bon concert. Lui ne nous a même pas vus, il est arrivé une heure après notre concert puis nous a virés, comme ça… sans préavis. Je pense au fond qu’il voulait que son pote Sebastian Bach [ancien chanteur de Skid Row – ndlr] joue en première partie de sa tournée. Bref… Celui-ci a été fait par une tatoueuse de Copenhague, Danemark. Alors que j’étais en tournée avec Queens of the Stone Age, je suis rentré dans ce club en demandant où je pouvais me faire tatouer. Une fille m’a alors tiré dehors en me tenant par le bras. Je me suis laissé faire, elle était vraiment bien gaulée… Elle m’a donc amené dans ce studio de tatouage et m’a fait ça sur le bras… C’est pour ma grand-mère. J’ai celui-ci pour ma chérie Koko, je l’ai fait faire à Berlin. Il n’a pas bien cicatrisé ; il faut dire que je n’en ai pas pris soin. Pour faire simple, c’est

une tête en forme de grenade avec des cornes, tout simplement parce qu’elle m’excite et que je suis toujours prêt à exploser [en anglais, “It’s a grenade head with horns, so that means she makes me horny and I’m always ready to blow”, c’est mieux – ndlr]. Quelle est ton approche du tatouage ? La plupart du temps mes tatouages font référence à des lieux ou à certains événements, ils me rappellent de bons souvenirs. Je ne suis pas dans cette approche réfléchie du tatouage qui veut que ce que tu te mets sous la peau doit avoir un sens profond… ce n’est pas cette approche qui m’intéresse. Tu vois, quand je regarde mes tatouages, je me dis : « A h, celui-ci c’est Holly wood à 4 heures du mat alors que mon fils me manquait ;

celui-là, c’est en Allemagne… à Berlin, complètement mort. Nous avons causé 11 000 euros de dégâts dans la chambre d’hôtel avant de finir au poste de police. » C’est ce qu’il y a d’intéressant dans les tatouages, ce rappel. Regarde (il montre son oreille), ce piercing me rappelle cette soirée où j’étais perdu à La Nouvelle-Orléans, je suis rentré dans un studio qui était sur le point de fermer. Ils m’ont laissé entrer et m’ont posé ça. Ça ne va pas chercher plus loin. Ce sont tous de bons tattoos que j’assume, même si c’est aussi le genre qui peut te fermer pas mal de portes. Peux-tu être plus précis ? C’est étrange de voir à quel point les tatouages sont aujourd’hui devenus courants, et d’un autre côté ils peuvent encore effrayer certaines personnes.

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Bien sûr, si les gens voient un joli bras bien propre, ça peut passer, mais si tu as les bras recouverts de différentes pièces, tu passes immédiatement pour le gars qui sort de prison. Les gens peuvent devenir bizarres. Et ça ne te dérange pas ? Non, pas vraiment. Tu te marques pour la vie, alors il faut bien assumer. Tu sais, même la Bible dit que tu ne dois pas toucher à ton corps. Le tatouage soulève beaucoup de questions quand on s’intéresse aux modifications corporelles. Mais ce n’est pas ce qui est important pour moi ; je ressemble à ça parce que c’est comme ça que je vis. Je vis dans le désert, quand je ne joue pas, je fais de la moto. C’est ma façon de vivre. voici la réponse de jesse hughes à axl rose quand la presse l’a questionné sur ce qui s’était passé : “At first the audience refused to welcome us to the jungle, but by the time we took our final bow it had become paradise city. Although Axl tried to November rain on our parade, no sweet child o’ mine can derail the EODM night train. We say live and let die.”

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peux-tu me raconter tes débuts dans le tatouage ? J’ai commencé il y a 12 ans, j’ai d’abord acheté tout le matériel nécessaire et j’ai commencé tout seul dans ma chambre à tatouer mes potes, pendant la première année. Après quoi je suis directement venu à Paris.

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Qu’est-ce qui t’a amené au tatouage ? Quand j’étais môme, je dessinais déjà tout le temps et puis quand j’ai eu 14-15 ans je suis devenu un fils du metal. (Rire.) Tous les groupes metal et punk que je pouvais écouter étaient recouverts de tatouages. À l’époque je ne dessinais pas trop pour moi à part quand je me faisais chier à la campagne chez mes parents. Je préférais dessiner pour mes potes qui me demandaient un logo Slayer sur leurs Perfecto… ou bien sur leurs classeurs. C’est donc presque pareil ; je dessine toujours pour des gens mais maintenant sur leur peau. À Cherbourg, il y avait aussi tous ces vieux loulous dans les bars, les vieux marins, ces mecs qui avaient des tatouages à l’ancienne… C’était trop bien. Il y en a un célèbre qui s’appelle « La Pieuvre », un ancien voyou de l’époque de mes parents. Quand j’étais au lycée, ce mec avait 40 ans, la grosse bedaine et la croix des voyous tatouée sur le front, avec des yeux de biche aussi… une vraie figure. Certains de tes amis t’ont prêté des bouts de peau alors ? J’ai d’abord commencé par faire deux ou trois expérimentations sur des pieds de porc, pour voir un peu comment réagissaient les machines. Quand j’ai vu que le résultat était aussi bien, voire mieux que certains tatouages de mes potes, je me suis dit que c’était parti. J’ai quelques potes à Cherbourg qui portent mes premiers tattoos, et je n’ai d’ailleurs pas à en rougir, je peux encore les montrer en photo. Ensuite je suis monté directement à Paris, à squatter chez des potes, chez mon frère, des trucs dans le genre. Tu as tout de suite su que tu voulais faire ça de façon professionnelle ? Oui. Au moment où j’ai acheté mes machines, j’avais encore un boulot pourri à Cherbourg pour deux mois et je ne voulais pas rester là. J’ai donc

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com mencé de suite à bouger le plus possible, à aller à la rencontre des gens, dans les concerts, j’ai fait pas mal de soirées techno hardcore aussi. J’avais fait des petits flyers que je laissais un peu partout. J’étais le tatoueur à domicile, je me déplaçais avec tout le matériel pour tatouer chez les gens. (Rire.) C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me faire un réseau de connaissances. C’est le parcours initiatique des tatoueurs ? En fait il y a deux écoles quand tu commences à tatouer. Soit tu commences tout seul à te débrouiller comme tu peux en choppant des conseils par-ci par-là, soit un tatoueur te prend comme apprenti pour te montrer le métier. J’ai donc choisi la première solution. Et puis à force de bouger, j’ai commencé à bien sympathiser avec les gens de Tribal Act par exemple. À l’époque, vu que je ne tatouais pas encore tous les jours, j’ai fait pas mal de tatouages au henné dans des soirées un peu techno… ou même au Pulp, le club lesbien branché de Paris. J’étais tous les jeudis soir là-bas, je faisais des faux tatouages au henné. Le Pulp m’avait contacté pour participer à leurs soirées « Clit Control », 100 % nanas. J’étais donc là, avec mon pinceau, le seul mec perdu au milieu de ces nanas, seins à l’air ou juste couvertes d’un truc vraiment léger. Ça a duré quelques mois. Tout ce milieu-là se connaissait, le Pulp, Tribal Act, Tintin, etc. Donc à force de faire des tatouages au henné chez Tribal Act, j’ai pu au bout d’un moment amener ma machine et faire de vrais tatouages. Je me suis tout de suite fait une bonne petite clientèle, je suis resté chez eux à peu près un an. Pendant cette même année, je me faisais tatouer chez Tintin, et vu qu’à l’époque sa boutique n’était pas très loin, j’y passais aussi régulièrement. J’aimais vraiment bien cette boutique : ça pue le vrai tattoo. Les gars qui bossent là-bas ne sont pas des manchots. À chaque fois que j’y allais, j’épluchais les books, je restais et je déconnais avec eux... C’était en 1997-1998. Et ensuite tu es arrivé chez Tintin... Oui en 1999. Comme je traînais pas mal là-bas, on a appris à se connaître

et puis quand il a ouvert sa nouvelle boutique vers Pigalle ils m’ont demandé de venir. À cette époque-là, je ne m’imaginais pas bosser chez Tintin, enfin dans mes doux rêves, je me disais : « Tiens, dans plusieurs années, quand j’aurai un peu voyagé, un peu pris de la bouteille et évolué, peut-être qu’en revenant sur Paris j’irai peut-être tenter le coup. » Je ne pensais vraiment pas avoir le niveau pour bosser là-bas. À l’ouverture de cette boutique, il a organisé une sorte de casting. Moi, j’avais même pas tenté le coup. Et puis un jour, pendant que je me faisais tatouer, il m’a fait savoir qu’il aimait bien mon boulot et qu’il aimerait bien que je rejoigne l’équipe. J’ai donc commencé là-bas en 1999 et j’y suis resté neuf ans. Et maintenant tu viens d’ouvrir une nouvelle boutique… Oui, avant je voulais juste profiter et apprendre. Pas de galères administratives, pas de comptabilité, et puis c’était l’idéal ; tu as quelqu’un qui s’occupe de l’accueil, qui prend les rendez-vous. Toi, tu as juste à dessiner et tatouer. Cette situation était parfaite pendant un temps, mais un jour tu réalises que tu te rapproches des 30 ans, puis un jour tu les dépasses même et tu te dis que tu n’as pas vraiment construit quoi que ce soit. Tu commences donc à penser à l’avenir, à vouloir bâtir un projet… monter une boutique. Ça a bien mis quatre-cinq ans. Et puis j’en ai parlé avec Navette, qui lui était branché par l’idée monter bosser sur Paris… ça a été l’élément déclencheur. Tu travailles donc avec d’autres personnes ? Oui, j’ai pas mal d’invités qui tournent et qui viennent de temps en temps, mais personne de permanent. J’ai Karl Marc qui vient à mi-temps, le reste du temps il fabrique des machines de tatouage. Il y a donc aussi Navette, qui vient une semaine par mois, il y a aussi Just de Nantes, qui vient une semaine par mois. Il est question que Topsy vienne aussi bosser de temps en temps… j’ai pas mal de potes, et les choses vont encore évoluer. Quelles sont tes influences de travail ? Mon style, c’est justement un peu tous les styles… (Rires.) Mon style c’est le

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à petit, j’ai repris la patate et c’était lancé. En plus le mec est super cool, avec un gros capital sympathie ; les autres membres du groupe son cool aussi donc quand tout le monde est venu à la boutique, ça a été un bon moment. Et ce genre d’histoires, ça arrive souvent ? Non pas trop. La même histoire m’était arrivée avec le chanteur de Biohazard. On a même plutôt sympathisé, et à chaque fois qu’il vient à Paris il passe me voir à la boutique. Un jour il est venu avec sa femme, que j’ai tatouée, Terra Patrick, la star du porno. Sinon, je tatoue plus des mecs de groupes français, donc c’est pendant les heures d’ouverture… (Rire.) tatouage, j’aime tatouer plus que dessiner tout seul dans mon coin. Je dessine rarement chez moi par exemple, j’ai besoin d’être motivé par un travail à faire, une demande de client, une demande d’expo. Sincèrement, j’aime tatouer, il n’y a pas un style en particulier que j’aime faire. Il y a peut-être le biomécanique où j’ai un peu le sentiment de tourner en rond en ce moment : les gens ont tendance à me ramener des images de tatouages que j’ai déjà faits… C’est donc avant tout la peau comme support que tu préfères ? Non, c’est de faire un dessin pour quelqu’un. Je pense que je ne pourrais pas être illustrateur, chez moi, à produire du travail de commande. Je suis en fait assez fainéant quand je suis livré à moi-même. Ici je n’ai pas le choix, le client arrive, il faut y aller. Et puis le contact avec les gens est très important, j’aime bien passer du temps avec ces gens. Ma clientèle a sensiblement mon âge, nous avons souvent les mêmes sensibilités, les mêmes goûts musicaux… Au fond tu discutes un peu comme avec des potes sauf que tu les tatoues. Jesse nous parlait des problèmes qu’il avait pu rencontrer en étant tatoué… Qu’en est-il pour toi ? Les choses ont beaucoup évolué ces dix dernières années. Avec tous les acteurs, les chanteurs que l’on voit arborer leurs tatouages à la télé, dans les magazines… c’est beaucoup plus

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toléré je pense. Mais ici, en France, c’est quand même moins accepté qu’en Angleterre ou bien aux États-Unis. Là-bas tu peux voir des pompiers ou des flics en uniforme, manches courtes et les deux bras tatoués. En Angleterre j’ai même vu des mecs à des guichets de banque avec une petite crête ou des dreads et des tatouages apparents. En France nous n’en sommes pas encore là. Mais encore une fois, ça change assez vite, j’ai bon espoir. Comment ça s’est passé avec Jesse ? Très bien… Je ne connaissais pas Eagles of Death Metal, seulement de nom, des clients m’en avaient parlé. Il faut dire que je suis assez fan de Queens of the Stone Age, alors j’étais curieux. Quand il est passé à la boutique, il a eu l’air de bien aimer mon boulot et il a lancé l’idée d’un tatouage nocturne, comme ça, après le concert. Comme j’aime bien le trip rock’n’roll et que je l’avais déjà fait, notamment avec le chanteur de Biohazard, je n’y voyais pas d’inconvénient. Il m’a alors passé son badge pour les rejoindre au concert. J’ai d’ailleurs été agréablement surpris par le concert, c’était vachement plus rock’n’roll que ce que j’avais pu écouter juste avant sur album. J’ai vraiment trouvé ça super bien sur scène, vraiment chouette. En plus, bonne attitude… Par contre quand je suis arrivé au concert après le boulot, j’étais bien fatigué par ma journée, gros coup de barre, presque au point d’espérer qu’il change d’avis. Et puis finalement ça s’est fait petit

Dans ces cas-là le tatouage n’est pas réfléchi ? Non, pas vraiment, mais ça arrive souvent. Il m’est arrivé pas mal de fois de me faire tatouer sans savoir la veille ce que j’allais faire. Après, pour quelqu’un qui va se faire tatouer pour la première fois, cela peut paraître un grand n’importe quoi. Beaucoup de gens qui réfléchissent à leur premier tattoo vont vouloir y mettre beaucoup de sens, ils vont vouloir qu’il raconte quelque chose. Par la suite tu fais plus un tatouage pour l’idée, puis plus tu avances dans le temps moins tu te poses ce genre de questions. Pour en revenir à Jesse, je pense que, pour lui, c’est plus le trip qui l’a fait délirer. Quand nous sommes arrivés après le concert, il ne savait toujours pas ce qu’il allait faire. On est partis sur la base d’un dessin tout en rouge qu’il avait bien aimé dans mon book. Un coup de recherche sur l’Internet et c’était parti.

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www.eaglesofdeathmetal.com www.mysterytattooclub.com www.tin-tin-tat toos.com www.tribalact.com

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interview & photographies de sébastien charlot

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DDAMaGE ddamage, c’est jb et fred, deux frères qui font de la musique électronique décomplexée qui flirte avec le punk, le speed gabber, le hip-hop, le disco, la trans, voire même la folk… voici les meilleurs moments des 35 pistes de cinq minutes que le minidisc a enregistrées. on a essayé de faire le point sur les années 2008 et 2009, puis on a dévié, un peu, beaucoup, passionnément  ; c’est allé loin… des propos outranciers ont été tenus, des gestes ont accompagné des mots virulents, mais le temps de parole a été respecté. frédéric a parfois hurlé calmement et jean-baptiste a énoncé des théories ahurissantes… bienvenue dans l’univers des frères hanak !

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on est en 2009, que se passe-t-il pour ddamage depuis quelque temps ? Frédéric : On vient de sortir 100% Hate, un maxi quatre titres sur Tigerbass, une subdivision du label Tigerbeat6, le label de Kid606. On a de bons retours et on a tourné en Belgique, en Allemagne et dans le nord de la France chez les Ch’tis ; on a profité de l’engouement pour le film, ils veulent écouter de la musique, ils sont un peu en mode euphorie, ça bouge pas mal là-bas ! Jean-Baptiste : On a bu de bonnes bières dans le Nord... la Karmeliet à la pression, ça défonce ! F : Sinon, plusieurs labels nous ont commandé des projets… JB : On a des projets pour les deux années à venir… F : On est en train de remixer The Jon Spencer Blues Explosion et Bomb The Bass, on doit remixer Kid606… On a un projet qui sera plus electronica, un pour un label américain avec des versions aléatoires de Shimmy Shimmy Blade et des morceaux que l’on fait en live, et un projet avec des rappers américains qui sera moins épileptique que Shimmy Shimmy Blade, pour un label français, Ascetic. Un album rap, plus gros, avec peut-être un pseudo… JB : C’est la première fois que l’on se retrouve dans un système de commande, on fait de la musique en connaissant la date de sortie et le label ; jusqu’à maintenant on était en roue libre, on démarchait pour sortir nos disques. Au niveau rythme de travail, on bosse chaque jour, sauf quand on fait des concerts. On tourne beaucoup moins parce qu’on a du boulot à faire en studio… F : On a aussi un album en cours qui sera un véritable album de dDamage… JB : C’est assez bizarre car lorsque Fred parle de notre prochain album, c’est finalement celui qui n’est pas commandé, c’est celui que l’on fait pour nous… F : Mais pour toutes les commandes, on assume tout à fait, ça reste du dDamage, c’est juste que ça va dans une certaine direction, avec un certain univers… C’est difficile de rentrer dans le cadre d’une commande ? JB : C’est probablement difficile pour certaines personnes… F : C’est balèze au niveau du temps surtout…

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JB : On est contents car c’est quelque chose que l’on n’avait jamais fait avant… F : On a aussi l’opportunité, surtout mon frère, de faire des musiques de films, qui sont aussi des commandes. JB a travaillé sur un film qui a été primé au festival de Clermont-Ferrand, Ich Bombe. Ce sont des projets qui prennent du temps. On ne peut pas faire du dDamage traditionnel pour un film, c’est plus de la musique d’ambiance, mais on ne se travestit pas ! Pour l’avenir, on a ce truc énorme, cette boule de merde de boulot et on doit la décortiquer… (rires) vraiment grosse… On espère que deux ou trois trucs sortiront, ou au moins un ! (Rires.) Non, je rigole, on fait ça avec des gens sérieux, ça va sortir en temps et en heure… entre 2009 et 2010. JB me disait que tu avais un projet de mixtape ? F : Ça fait deux ans que je bosse dessus. Au début, c’était un street album, mais c’est quand même difficile de sortir un

truc frais… Donc ce sera une mixtape, dédiée à Prodigy de Mobb Deep, et ça sortira sur Ascetic, distribué par Modulor. Un double CD avec des mecs de Mobb Deep et de QB. Je n’ai rien fait, musicalement, sur ce disque ; je me suis occupé du tracklist et on a bossé avec DJ Gero pour le mix, ça doit sortir courant mai… C’est quelque chose que j’avais envie de faire depuis un moment, ça m’a permis de m’occuper d’autre chose que de dDamage. dDamage c’est bien, mais ça va cinq minutes ! (Sourire.) Ce projet, c’est un peu tout ce que j’aime : le rap et comment il se fait, écrire la bio et interviewer le mec, qui est en prison d’ailleurs… En plus tu travailles avec des gars pas très honnêtes : avec les Américains il y a toujours des trucs un peu baisés… Vous êtes sérieux ! C’est l’âge de la maturité pour vous ? JB : La maturité pour nous ?! F : C’est vrai que ça parle sérieux là !

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JB : Je pense que l’on a toujours été sérieux, à 9 ans j’étais déjà mature ! C’est pour le papier ? Une sorte de yaourt mature ? F : Vas-y, enchaîne avec les questions ! Mon frère est en mode blagues du fond du placard… JB : La blague du vendredi, c’est la blague shabbat ! F : Tu connais ? C’est horrible ? Ça n’est pas moi, c’est JB-Boulder-dDash ! Fred, tu en es où avec RudDe ? F : Je n’en suis nulle part avec ça… mais je peux en parler ! JB : C’est une interview de mon frère ? Je vais aller dans la cuisine boire des bières ! F : C’est inconnu au bataillon, je suis tout seul, j’ai fait quatre ou cinq morceaux qui ont été sur des compilations, j’ai fait deux remix rémunérés, je tiens à le préciser… Je n’arrive pas à avancer, je vis n’importe comment sous cette identité ! J’aimerais bien,

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mais ça prend trop de temps… JB : Moi aussi, ça fait deux ans que je n’ai rien fait en solo, vraiment rien… F : C’est grâce, ou à cause, de dDamage, c’est Jah qui le dira ! J’ai du mal à faire des choses seul, j’écris avec Thomas Blondeau, la mixtape avec Amine, dDamage avec mon frère... ma fille je l’ai faite avec ma femme ! Je ne fais que des trucs en communauté… JB, tu te sens garde-fou parfois ? JB : Non, pas garde-fou, ça signifierait que je contrôle mon frère et c’est vraiment tout l’inverse ! F : Mais non, ce n’est pas l’inverse ! JB : On a trouvé un bon équilibre. Je m’occupe de tout ce qui est d’ordre technique, la sortie d’éléments séparés, prémixage… Fred a expliqué à Luke Vibert et Chris Clark avec qui on tournait en Belgique : « Je suis le problem child… » Moi je suis un peu la droiture. Ça arrive que Fred me balance des morceaux avec 28 pistes toutes

désorganisées, et je mets huit jours à les remettre en ordre pour le mixage. Cette balance crée parfois beaucoup de tension. Ça se passait mille fois mieux à l’époque où on habitait chez nos parents, dans la même chambre, on faisait tout ensemble. On a grandi, j’ai mon appart, il a son appart, on a chacun notre vie et ça a amené un rapport différent à notre musique… F : Ce que tu dis correspond au début du groupe. En 2003-2004, on n’était déjà plus dans cette configuration… JB : D’ailleurs, il y a un assez grand trou entre le deuxième et le troisième album, Harsh Reality of Daily Life et Radio Ape. Officiellement, c’est dû au fait que l’on a galéré pour trouver un nouveau label. C’est aussi parce que l’on a eu du mal à pondre de nouveaux morceaux. Fred venait de déménager et on a mis environ trois ans avant de retrouver un équilibre, une manière de bosser ensemble… F : On est restés productifs, mais on n’arrivait pas à assembler les pièces du puzzle musical… Au niveau de la technique, c’est mon frère qui fait tout ; je pourrais le faire, mais ce serait moins bien… (Il éclate de rire.) Je pense que ça vient du fait que j’ai commencé la musique avec des samplers et des trucs pétés… Je me suis toujours senti faux-monnayeur, voleur de sons ; JB casse ce truc et ça devient dDamage. Il réfléchit à la musique et à comment elle se fait. Je n’ai pas de réflexion sur comment le morceau doit être, le nombre de BPM ou les pistes, je travaille en live, je chante les mélodies et on se réunit pour synthétiser. Mon frère est tellement productif que parfois je m’arrête sur un truc en disant : « Ce bout-là, c’est vraiment du dDamage ! » C’est ça « problem child/enfant sauvage », et pas « garde-fou » comme tu le disais… JB : Ce serait difficile si on devait se focaliser sur la rigueur que je veux apporter. C’est bien beau de dire : « Un morceau à 130 BPM ça fait danser les gens, à 90 c’est un morceau de rap. » Si j’étais seul, je pense que je m’engouffrerais dans cette manière de penser, et justement Fred refuse tout ça en bloc. Certains musiciens dance floor sont guidés par ces obsessions, qui sont guidées par la technique… F : La disto… le pied ! JB : Tu te retrouves en backstage avec

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« je me suis tellement fait chier avec data que j’ai été obligé de sortir un couteau et de couper en lanières sa veste en cuir. » (fred et le cuir)

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des gars, et au bout d’un moment tu as envie de parler de football ou de gros nichons parce que ça fait une heure et demie que tu es en train de parler de compression ou de la manière dont sonne une caisse claire ! F : Ça, tu peux le mettre dans l’interview, moi je me suis tellement fait chier avec DatA que j’ai été obligé de sortir un couteau et de couper en lanières sa veste en cuir, car je sais qu’il en a sept. Je ne peux pas parler de musique avec DatA par exemple, j’ai envie de l’égorger tout de suite, vaut mieux que l’on parle d’autres trucs… JB : À la fin des années 90, on faisait des concerts Active Suspension et on s’est retrouvés en Hollande avec les gars de l’électro française. Ça parlait de « comment les Autechre ont généré le patch XMSP pour faire des rythmiques aléatoires »... Au bout d’un moment tu étouffes ! F : Il y a des gens avec qui on échange, avec qui on parle de musique musicale, comme O.Lamm, Hypo, Krikor… mais beaucoup sont focalisés sur « Ça ce n’est pas mixable ! Ça n’est pas mixable ! » JB : « Ton morceau ne commence pas avec huit pieds isolés, il ne sera pas

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joué par les DJ ! » Au bout d’un moment tu as envie de dire : « Nique ta mère ! Moi, j’ai envie de faire une intro avec des violons pendant une minute quarante ! » Vous ne souhaitez pas rentrer dans la petite boîte ?! JB : La petite boîte, on veut juste la croquer ! On ne veut pas rentrer dedans car sinon elle t’aspire. Je suis fan de plein de trucs de Feadz, par contre je ne partage pas du tout la même vision de la création musicale que lui. Certains pensent clairement « playlistage » avant même de penser émotions. Je ne vais ni les plaindre ni les critiquer, mais avec dDamage, jamais de la vie on n’entrera dans ce système-là… F : Là, par exemple, tu as un champignon hallucinogène… JB : C’est bien ça ! L’interview devient intéressante ! F : Tu as la pomme d’Adam et le veau d’or. Le champignon, on va dire que c’est l’Angleterre avec Planet Mu, les trucs electronica ; le veau d’or, c’est les trucs français comme DatA, Ed Banger, qui font leurs conneries avec leurs slibards fluo à l’envers... tu vois ou pas ? Et tu as la pomme d’Adam : le

punk industriel, on met aussi le hiphop-indé-mon-cul, Antipop Consortium/Anticon et MF Doom ! Tu as trois trucs et tu croques un peu des trois… Si tu en prends un entier, tu es niqué ! C’est ce que l’on fait avec les différentes scènes, comme Alice au pays des merveilles avec les champignons ! Et quand tu crois que c’est foutu, les punks t’appellent : « On est à Tarbes, on veut un concert ! » Allez on y va ! JB : Notre discours fait que l’on se démarque, et on le tient parce qu’on y croit. Le truc typiquement français, c’est cet étiquetage « hype » ou « pas hype ». En Allemagne, un groupe qui est au top, qui prend 8 000 euros par concert, Modeselektor par exemple, a sur son album un Otto von Schirach. Si tu écoutes son dernier disque, c’est du speed gabber avec des synthés de trans et il hurle des paroles de punk atroces, que j’adore. C’est la classe, le mariage fonctionne ! Ils font aussi une reprise de Scooter, Hyper Hyper, qui défonce, et ça passe comme une lettre à la poste. Tu fais ça en France, tu es mis à l’écart d’une certaine scène. Il n’y a pas en Allemagne ce regard sur ton style, ta carrière, ce que tu as fait, où tu vas, pour quel label…

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En ayant cette attitude, on est des moutons noirs, alors qu’avec la même démarche, avec cet éclectisme, cette liberté, qui donne une image forte, ça fonctionne en Angleterre et en Allemagne. En France, plus tu fais la gueule, plus tu es blasé, plus tu seras le mec à la meilleure table des backstages du club le plus hype ! Alors que ces mecs sont tous des « dalleux », ils sont là pour taxer des tickets boissons ! F : Y a de l’artistique dans tout ça, mais y a aussi de la dalle ! Les mecs ont la dalle de chattes, de boissons, sans parler des substances nocives… Certains se retrouvent à faire deux maxis et ça part en vrille, c’est chaud quand tu démarres vite. Tu as 20 ans et tu es encensé comme un pauvre débile, il faut faire gaffe… Le petit, il faut qu’il fasse gaffe ! Sarkozy ?! F : Oui, pour lui aussi c’est chaud ! Mais je crois qu’il est plus petit que Sarkozy… Surkin ? F : Tu as deviné ! Il a fait deux maxis et quand tu le vois, on dirait Alain Bashung à la fin de sa carrière ! JB : Facilement, dans ce milieu, tu ne sors plus que pour bosser : tu vis club, tu manges club, tu mixes club, tu chies club et tu sniffes club… F : Et là tu deviens un club-sandwich ! JB : Et au final, c’est le meilleur schéma pour devenir insipide et une caricature de toi-même… F : Et c’est pire qu’un homme-sandwich ! Un homme-sandwich peut balancer ses pancartes et dire : « Je suis libre ! Je suis libre ! » Le club-sandwich ne peut pas croquer un peu partout, alors il se mange lui-même… jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien ou alors qu’il se fasse enculer. C’est le pire pour le clubsandwich : il se prend une saucisse et ça devient un hot-dog ! C’est horrible, ça peut arriver à Surkin… Attention ! Un hot-dog ! C’est chaud ! Merde… vous vous sentez vraiment dénigrés ? F : Non, pas vraiment… On a notre label et on fait ce qu’on veut. Même si tout le monde nous dénigre, on sera sur notre radeau avec notre étendard, le radeau de la Méduse… et on attendra le tsunami !

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« tu vis club, tu manges club, tu mixes club, tu chies club et tu sniffes club… » (jb et le club) JB : On aime bien forcer l’image des gars dénigrés, parce que c’est rigolo, on existe comme ça… On a fait une interview pour le magazine Tsugi ; le journaliste nous pousse à être haineux donc on lui dit que son magazine c’est de la merde, et il l’a publié ! Il y a un côté jeu dans tout ça, et c’est très jubilatoire ! F : Il faut dire aussi que ce sont des anecdotes très parisiennes. La scène est vaste et très vivante, il n’y a pas que des blasés qui sniffent. Il y a aussi des gars comme Justice ; nous on écoutait dès le début, avant que l’album sorte, et je disais à JB : « Ce serait bien que ça cartonne, ça fera parler un peu de Paris, de la scène… » On respecte ça, ce que ça a donné… Votre auriez supporté une carrière comme Justice ? JB : Justice, c’est un cas de figure très particulier de réussite programmée, et il faut que des choses comme ça existent… Nous, on n’est pas tout à fait dans la même sphère, et comme disait Fred… F : Ils ont volé le nom de JUST-ICE ! C’est tout ce que j’ai à dire moi ! (Rire.) Ils ont volé le nom du mec du rappe ! Je veux que les gens l’entendent ! JB : Avant que ça explose, Fred disait « J’espère que ça va cartonner… » car une des premières conclusions que l’on en a tirées, de notre niche à nous… F : Une niche pétée ! JB : Une niche avec des trous dans le toit ! F : Il y a des fuites et pas de gamelle ! JB : Depuis le succès de Justice, les pôles culturels des ambassades fran-

çaises à l’étranger se sont mis à vendre trois fois plus cher les concerts d’artistes français de musique électronique, et nous on en a profité ! Il y a eu un effet Justice, et économiquement des retombées de seconde ou troisième zone, et ça a touché des mecs comme nous, qui n’ont rien à voir avec Ed Banger…

LA PRÉCISION DE FRED « Moi, j’aime la musique en général, et le rap j’aime ça depuis le début. Il y a des gens qui te disent : “T’es trop vieux, ça ne sert à rien !”, ou “Arrête d’écouter du rap américain !” Moi je m’en fous, il y a Ice Cube et Too $hort qui viennent à Paris, je veux les voir, je ne suis pas blasé ! Product of the 80’s de Prodigy, c’est abusé ; Jake One avec deux morceaux de MF Doom, ça tue ! J’aime toujours le rap français, j’écoute Sexion d’Assaut, Neochrome, Zesau… Bon, pour ma copine, c’est insupportable. Il y a des gens qui ne comprennent pas… bon, ben voilà ! C’est… (rires) mais c’est bien produit et ça défonce… Il ne faut pas oublier que le rap reste une musique jeune… »

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LA PRÉCISION DE JB « On a failli faire la bande-son du premier Banlieue 13, mais Luc Besson n’avait rien à foutre de notre gueule et il a choisi un groupe qui s’appelle Da Octopusss, avec trois s, qui a aussi fait la musique de Dikkenek. Leeroy, notre ingénieur du son, bossait sur le film et le réalisateur lui a confié être en rade de musique… À l’époque, on mixait l’album Shimmy Shimmy Blade, Leeroy avait les éléments séparés et ils ont fait une semaine de synchro. Le réalisateur était vraiment content, il attendait l’aval de la production et de Besson, qui est arrivé avec une semaine de retard pour regarder les essais. Sans même écouter, il a dit “J’ai trouvé un groupe !”, et on est passés à la trappe ! »

aucun acteur de la scène électro française n’a été blessé lors de cet entretien. www.ddamage.org

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interview de sĂŠbastien charlot photographies de kenneth cappello

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mythologies « Scenario Rock a commencé en 1997. Un beau jour on est passés chez Source, le label, pour récupérer des CD promotionnels. Deux jours avant, on avait fait une répétition improvisée et “beastie-boyesque” avec Pone [DJ Pone, de Birdy Nam Nam – ndlr] et Ludo [Ludovic Therrault – ndlr], on avait une cassette audio avec un jam un peu extravagant pendant lequel Pone faisait du beat juggling et moi je jouais de divers instruments. Chez Source, ils étaient en train de chercher des artistes pour leur compilation Source Rocks. Phoenix et Sébastien Tellier faisaient déjà partie du projet. Nous, on était surtout là pour gratter des disques, et finalement on leur a fait écouter notre cassette, pour gagner du temps et remplir nos sacs à dos des derniers vinyles Grand Royal ! Les mecs écoutent, Ascoli [Philippe Ascoli, le boss de Source – ndlr] entre dans le bureau de Bertil, qui était DA junior, et il trouve le morceau novateur. Il dit instantanément “On le met sur la compil !”, accompagné d’une phrase devenue mythique : “Mon cousin il le fait mais il ne le fait pas. Tu vois ce que je veux dire ?” Deux jours plus tard on est en studio pour improviser un titre, qui s’est retrouvé sur la compilation, alors qu’on ne possédait même pas d’instruments. On avait juste notre fougue. Le début a été magique, on était au bon endroit au bon moment, et on nous a fait confiance. On nous a laissé une totale liberté en studio pour faire des tracks, sans même un ingénieur du son pour nous canaliser. On était à leurs yeux une certaine idée de la modernité. Ce goût du risque, de la bricole et notre passion commune pour les vieux disques et les samples nous ont permis de développer une relation privilégiée avec Bertil, qui a rejoint BMG et que l’on a fidèlement suivi malgré le risque évident d’intégrer une grosse machine. Il m’a poussé à chanter davantage et il nous a donné l’opportunité de faire un premier album. Un album avec des qualités et des défauts, et quelques titres, dont Skitzo Dancer et son fameux “Disco ! Disco !”, devenu célèbre. On a eu un deal conséquent et pas mal d’argent pour enregistrer, mais le label “ laboratoire” qu’était Vorston & Limantell a été absorbé lors de la

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fusion Sony-BMG. On s’est fait aspirer dans l’inertie des projets sous la houlette de Jive/Epic, et on a subi la dictature des tableaux Excel. Donc la promo d’un projet indie comme le nôtre n’a pas vraiment suivi… Malgré tout, pas d’aigreur car on a eu beaucoup de chance de pouvoir concrétiser, à la fin des années 90, un projet ovni comme Scenario Rock. Aucun label indépendant ne pouvait alors financer ou miser sur un groupe à géométrie variable qui n’avait rien fait et qui chantait en anglais. Faire de la pop FM un peu pointue avec des productions alambiquées, ce n’était pas en vogue à Paris. Donc un succès d’estime et un contrat en poche restaient une bonne raison pour persévérer. On a continué l’expérimentation en restant tributaires des contraintes imposées par la maison de disques. C’est, et ça a été, une prison dorée qui n’est que la partie visible de l’iceberg. J’ai d’ailleurs quitté Sony et tiré ma révérence après le deuxième album, Histrionics, avec un joli pied de nez sur la pochette qui illustre ce naufrage, shooté aux Bahamas par mes potes de Surface to Air, aux frais du label. » Réminiscences « DVNO, c’est le premier track qui annonçait mon projet solo ; c’est un titre éponyme coécrit et produit par Justice. C’est un clin d’œil à la culture “dance”. DVNO est un alter ego, c’est un nom emprunté aux vieilles salles de bal portugaises, et beaucoup de clubs de province s’appellent Le Divino ou se rebaptisent des initiales parce que c’est plus chic aujourd’hui que le single existe ! On caricature à travers ce titre une image populaire de la musique, la culture club et je malmène quelques clichés propres à ses discothèques. Le songwriting pop de Scenario Rock, je l’ai mis entre parenthèses pour faire des choses plus récréatives et instantanées. Je souhaite travailler avec d’autres producteurs et des proches comme Justice avec qui j’ai de multiples affinités. Je veux que ma musique soit accessible mais aussi moderne. Quand j’ai commencé avec Pone, on était beatmakers, et j’ai envie de revenir à ça, tordre des logiciels et des plugins, faire des party tracks pour m’amuser et faire danser les gens. Je désire m’extraire de

l’image pop romantique et cultiver une autre facette de ma personnalité, aussi parce que jouer de la guitare sur scène m’a toujours gonflé. C’est un projet d’entertainer avant tout. Scenario Rock était une récréation qui réunissait plusieurs individualités, et par la force des choses je me suis retrouvé leader. Si dès le départ je m’étais retrouvé en solo, ce n’est pas forcément le projet que j’aurais développé ; bien sûr Scenario Rock aura toujours une place de choix dans mon cœur. Quand tu es dans une dynamique de groupe, même si tu es le principal compositeur et auteur, tu dois tenir compte de l’énergie et de l’apport des gens qui participent. Et après un premier album, les choses évoluent et tu dois tenir compte de l’univers que tu as créé et de l’orientation que le disque donne. Aujourd’hui, c’est cool de pouvoir se réinventer à travers des réminiscences et de faire mes art- works moi-même en dégustant des cookies Oreo derrière mon ordi ! »

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Réflexologie « DVNO n’est pas un projet autant gambergé qu’il peut le paraître, c’est un héritage. J’ai beaucoup voyagé ces derniers temps et tourné à l’étranger en formation réduite avec mon pianiste, Mattias Mimoun, pour jouer le jubilé Scenario Rock. J’ai aussi joué en tant que DJ, fait des remix et des featurings. Je me suis retrouvé sur des dates à “hoster” avec Aaron Lacrate, Punks Jump Up et la famille ED Banger ; c’est aussi ce qui me plaît car ça fait partie de ma culture. J’ai envie de pouvoir interpréter des titres sans avoir de groupe, être entre le MC et le crooner, délivrer un truc frais à n’importe quel moment, sans être enfermé dans un format. Finalement, quand c’est l’énergie et l’entertainement purs qui priment, tu n’as pas besoin de folklore rock’n’roll et d’instruments. Il y a quelques années c’était impensable. Quand on disait “On va venir avec un CD et on chantera sur des instrus”, les gens étaient réticents car on n’avait que le scenario – tu piges ? – et ils avaient peur de te booker. Aujourd’hui, c’est le côté disco-mobile qui fonctionne et séduit, et peu importe ce qu’il y a derrière. On évite la mise en scène et le cache-misère, d’avoir des musiciens bouche-trous, parce

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« j’ai vu roy ayers vendre lui-même ses cd après un concert, alors plus rien ne m’étonne ! » que ce qui compte c’est juste d’avoir une bonne chanson. Ça ne tient qu’à toi, tu es planté devant le public, tu véhicules ta musique, ça marche ou ça ne marche pas… J’ai envie d’être le plus décomplexé possible par rapport à tout ça… » Visions et perspectives « Effectivement, c’est ce que nous faisions il y a dix ou quinze ans dans notre chambre. Je me rappelle avoir présenté des morceaux en 1998, et personne ne comprenait où on voulait en venir. Quand je les fais écouter aujourd’hui, c’est complètement dans l’air du temps. Il y a dix ans quand tu disais “On fera de la pop avec un sampler Akai, Cubase et un Atari 520 ST ou un mauvais PC sur scène !”, les gens ne comprenaient pas. Et jamais on ne t’aurait pris au sérieux ! Et là, naïvement, tu te retrouves à faire des compromis absurdes. Aujourd’hui, des mecs jouent avec des play-back ou deux synthés, et ça défonce. Économiquement c’est aussi beaucoup plus confortable. C’est toujours agréable d’être le plus autonome possible, de ne pas se mettre des boulets aux pieds en ramenant tout un attirail. Ce qui compte, c’est la qualité de la musique et pas la manière dont tu la fais… Choisir les bons artifices, un bon ordi portable et un bon contrôleur midi, le reste on s’en fout ! » « Opporteurisme » « Si on a eu un deal à double tranchant avec une major, c’est par nécessité.

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On était victimes de notre originalité et on subissait l’époque, le régime féodal de l’industrie, qui avait un temps de retard immense. Je dois avouer aussi qu’on était là pour le fun en tant qu’expressionnistes et activistes. Peut-être que nos disques sont cultes et destinés à une niche, ou tout simplement ratés ! Le magazine Rock & Folk a fait un article élogieux à ce sujet en démontant Sony. C’est flatteur mais il faut relativiser. Ce qui se passe aujourd’hui, la crise du disque, va permettre un écrémage. De plus en plus, les groupes qui fonctionnent sont ceux qui tiennent la route sur scène. Ça recentre le propos. On est en train de s’éloigner de l’amateurisme et de l’opportunisme, exception faite pour quelques nantis pour qui la musique est un hobby de luxe. Il n’y a plus d’argent facile dans le disque, donc les gens qui sont là sont obligés d’aller au bout de leurs convictions. Forcément, ça met la barre un peu plus haut et j’ai l’impression qu’il va falloir vraiment turbiner pour rester et faire partie du paysage. Le nombre de places est limité, ça va se jouer sur la qualité. Le fait que les majors perdent leurs acquis, qu’elles soient larguées, ça laisse de la place aux petits labels et à des artistes pour développer leurs projets, indépendamment de la radio, qui n’est pas le reflet de la culture telle qu’on l’appréhende… Ce côté entrepreneur, jusqu’au-boutiste, de mec qui tient la baraque et ne laisse rien au hasard est finalement plus confortable lorsqu’on sait s’entourer. Et comme le disait James Caan dans Way of the Gun : “Lorsque t’as affaire à un ancien comme moi, dis-toi une bonne chose, c’est que t’as affaire à un survivant !” J’ai vu Roy Ayers vendre lui-même ses CD après un concert, alors plus rien ne m’étonne ! »

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www.myspace.com/scenariorock

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interview de david vincent photographies de benoît alègre

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They are Phoenix

ils sont quatre garçons dans le vent et ils sortent un quatrième album. originaires de versailles, ils ont commencé sur la même compilation que dvno et source rocks, avec un rock mélodique tinté de sonorités électro. discussion sereine avec branco devant un chocolat chaud…

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« tout le monde est au même niveau maintenant, c’est le chaos et l’anarchie ! » PHOENIX

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qu’est-ce qui a motivé votre décision de changer d’univers pour cet album ? L’album précédent a été enregistré à Berlin. À l’époque, on était chez le label Source, qui appartenait à EMI ; maintenant on est indépendants. Avant, il fallait toujours dire ce que le label avait envie d’entendre, finalement on ne faisait que mentir. On leur disait : « On a l’album, on ne vous fait pas écouter, mais ça va être génial, ne vous en faites pas… » Ce qui était entièrement faux, on n’avait aucune chanson. Ils nous ont donné la thune pour enregistrer, on est allés à Berlin sans la moindre chanson et on a fait un album en trois mois. Pour ce nouvel album, on avait les cartes en mains, il y avait le plaisir de se dire : « On a un petit magot et on va faire ce que l’on veut… » On a misé sur la création. On a loué des lieux improbables dans Paris, on a loué un loft à New York, on s’est fait un trip chambre d’hôtel comme Polnareff ou Truffaut. On a loué une péniche au bord de la tour Eiffel, et, dans le studio du peintre Géricault, on a eu le fantasme d’écrire un instrumental dans une pièce qui avait une

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lumière fantastique. On y a composé l’instrumental de dix minutes Love Like a Sunset. On voulait des lieux qui ne soient pas dédiés à la musique, des lieux magiques. On a enregistré plein de bouts entre New York et Paris, on avait des guitares, des petits dictaphones, et on a enregistré quinze heures de musique. Quinze heures de musique que l’on a dû concentrer en vingt-cinq minutes dans le studio de Philippe Zdar, de Motorbass et Cassius, qui se trouve à Montmartre… De quelle manière ces différents lieux ont-ils influencé votre musique ? Chaque album a été fait à des endroits différents, c’est très important pour nous. L’environnement joue d’une manière directe sur la création. On peut rester facilement dix heures dans une pièce et attendre de voir ce que ça va donner : ça donnera peutêtre seulement dix secondes que l’on collera plus tard à un autre bout… Vous avez maquetté dans ces lieux ? Non, on a juste enregistré des bouts avec un dictaphone et un son pourri ! On avait des guitares, deux-trois boîtes

à rythmes et un clavier. Ensuite, on a mis un an pour mettre tout ça en forme et finaliser l’album. Comment passe-t-on du travail de création au collage final ? Ça met du temps, et le processus de création est quelque chose qui restera toujours mystérieux pour nous. On ne peut pas reproduire la même formule à chaque fois, on adorerait, mais c’est tellement fatigant pour le cerveau. C’est sûrement pour ça qu’au bout d’un moment les artistes font des albums de merde. À un moment ça te bousille la vie : pendant un an et demi, tu ne sors pas, tu es malade, c’est fantastique… C’est à ce point poussif ?! Ah oui ! À chaque fois on passe notre temps chez le médecin, on est physiquement atteints, mais toujours dans une ambiance très soudée. Ce sont des moments où tu es confronté à toimême, à tes échecs, tu es à poil, tu ne peux pas faire pire… Mon rêve, ce serait de faire la BO d’un film, simplement pour satisfaire un réalisateur. Se faire plaisir à soi, c’est flou, c’est

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mettre la barre très haut, il faut se surprendre soi-même, et plus tu vieillis plus c’est dur ! Au bout d’un moment, je pense que tu as la flemme car tu ne peux plus tenir le rythme…

nous, ça s’est fait très naturellement… Il est extrême : pour lui, à la fin de la journée, soit c’est de la merde totale, soit c’est fabuleux et on sabre le champagne, c’est une sorte de quête…

C’est tabou de dire ça ! Surtout en période de promo ! Je le dis parce qu’on essaye d’éviter ça !

Qu’est-ce que ça signifie concrètement le fait qu’il ait produit l’album ? Concrètement, c’est, avant la technique, un regard extérieur : d’une manière très spontanée et en étant très sûr de lui, il nous disait « Ça c’est de la merde, ça c’est bien » ou alors on parlait de cinéma, de la direction à suivre… On parlait assez peu de musique finalement. Il a essayé de nous emmener vers son fantasme d’un album de Phoenix. Il voulait que ses potes de la techno écoutent ce disque. Il a eu des visions, comme Prince, de faire un album hybride. Ensuite il nous a aidés techniquement à mixer l’album ; il a une science du son très particulière, il est très doué, très entier…

C’est l’environnement qui tue la création ? Je crois qu’une routine peut s’installer, ou alors non, le danger c’est d’utiliser une formule déjà connue. C’est tentant, la facilité, car à un moment tu ne peux plus avancer. On tient le cap parce qu’on est quatre. Faire un album, c’est à chaque fois une putain d’odyssée ! C’est traumatisant, mais c’est aussi ce qu’il y a de meilleur. On se dit que l’on ne va jamais y arriver, et finalement on y arrive… et à ce moment-là, on est imbattables ! Comment trouve-t-on sa place lorsque l’on crée à quatre ? On a toujours fait ce groupe ensemble, depuis que l’on est au collège. Je ne sais même pas comment ça se passe de faire de la musique seul. On est entièrement dépendants les uns des autres, c’est toujours le quatrième qui va apporter la touche finale, le petit truc qui manque. On a appris la musique ensemble, à quatre, et chaque morceau nous ressemble. Vous avez vraiment appris la musique ensemble ? Oui, on a appris la musique en regardant des vidéos. On fixait les doigts des mecs, on apprenait un accord tous les deux mois... On a appris très lentement. Quel rôle a Philippe Zdar dans votre cursus ? Il a mixé notre premier album, et, pour celui-là, on s’est retrouvés dans son studio, qui est fantastique, à Pigalle. Il nous l’a prêté pour qu’on enregistre tout ce que nous avions composé. Zdar est DJ chaque week-end un peu partout dans le monde et il passait récupérer ses disques de temps à autre ; naturellement, il nous donnait des conseils en tant que pote : « Ça c’est bien, ça non… » De fil en aiguille, il s’est mis à produire l’album avec

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Vous êtes fans de la musique de Zdar ? On est surtout fans de son approche de la vie, sans compromis, à 100 % : un espèce de Fonzie [de la série Happy Days, on s’entend… – ndlr], un dur à cuire qui a un cœur. (Sourire.) C’est un mec entier, qui vit totalement pour son art… Un peu comme les Daft Punk, qui sont aussi des amis. C’est ce que l’on aime chez eux… Peu de règles, et faire ce que l’on aime. On entend souvent que lorsque tu dépends d’une maison de disques, tu subis des pressions, tu dois faire des compromis… Oui, mais avec toute cette bande on a cassé tout ça… Je pense que ce sont les Daft qui ont ouvert la voie, mais aussi Air, Cassius et nous… On a eu le contrôle de notre musique, on faisait exactement ce que l’on voulait. C’est plus courant actuellement, mais à l’époque c’était la révolution. On devait utiliser des subterfuges, mentir un peu, pour arriver à nos fins… C’est la raison pour laquelle vous avez souhaité créer votre label ? Oui, pour être encore plus peinards. On a remarqué que ça ne sert à rien de laisser les autres te guider ; on le réalise encore plus depuis que l’on est autonomes. On n’a besoin de l’aide de personne pour ce qui est de sortir un

disque. Certes, on sera moins professionnels et on en vendra moins, mais ce qui compte c’est de faire exactement ce que l’on veut. Il semblerait que vous ayez choisi Zdar parce qu’il est européen et dramatique ; qu’est-ce que ça veut dire ? Notre deuxième album a été fait à Los Angeles, on souhaitait l’enregistrer dans un studio mythique. C’était notre fantasme : Led Zep, Prince, les Stones ou les Beach Boys… On a choisi le studio Sunset Sound. On a enregistré avec un producteur américain, Tony Hoffer, qui a produit Beck, Air, The Thrills ou Depeche Mode. On a vécu le côté américain et très professionnel, avec des horaires, réglementé, la gagne, le client roi... Si tu veux un instrument, un mec te l’amène dans l’heure… LA est une ville dédiée à la musique. Avec Zdar, c’était l’opposé. On était à Paris dans un studio en pleins travaux, Zdar pouvait avoir deux semaines de retard, ou alors complètement disparaître. Tout l’opposé de l’expérience de Los Angeles. On avait besoin de ça, ce côté dramatique, un mec franc, au bord des larmes quand il estime que l’on est en train de gâcher la chanson. Il mettait toute sa vie dans ce projet, et ça c’est inimaginable aux États-Unis…

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Finalement, il vaut mieux faire un album à Paris ou à LA ? C’est différent, les deux ont leurs qualités. Aux USA, quand tu écoutes la radio, il n’y a que des hits : chaque chanson est magique, ce n’est pas Michel Sardou, ce sont de bons morceaux ! Otis Redding, des oldies…

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« ce nouvel album parle de notre futur idéalisé et fantasmé… »

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Les gens ont grandi avec la musique : tu vas dans un karaoké, tous les gens chantent comme des bêtes, ils ont ça dans le sang. En même temps, le défaut c’est qu’il n’y a plus vraiment de subversion dans leur art, dans leur musique et la manière d’en faire. Les groupes indépendants avec qui on a pu jouer, que l’on estime intègres, on les a vu commencer les concerts en disant : « Les T-shirts sont en vente à 20 dollars, allez-y ! » Ça vous choque ? Oui, pour tout Européen c’est choquant. Nous, cette manière de faire nous choque, jamais on n’oserait faire ça ! (Un peu outré…) Même les groupes punk se vendent. Ils vont voir les radios et ils vendent leur sauce. En même temps, les meilleurs groupes du

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moment viennent de New York, mes groupes préférés viennent de là. Il y a des différences qui sont intéressantes et remarquables…

Il y a une scène fantastique où Depardieu parle de Mozart pendant cinq minutes… (Sourire.) Une des meilleures scènes du cinéma français !

Le titre de votre dernier album évoque Mozart, vous faites aussi référence à Liszt… Vous revendiquez des influences classiques ? On aimait l’idée de prendre une icône, comme Mozart, et de la détourner. Comme Dali lorsqu’il peint une moustache à la Joconde. Ça vient d’une idée un peu enfantine, un décalage avec le passé, prendre une référence lointaine et en faire quelque chose de moderne… Nous, on préfère parler de Mozart plutôt que de New York ! Ça fait aussi référence au film de Blier, avec Depardieu et Dewaere, Préparez vos mouchoirs… Vous ne l’avez pas vu ?

Devient-on plus français lorsque l’on est un groupe international ? Oui… Quand on est à l’étranger, on est vraiment les Français ! La France est devenue un pays exotique pour nous. Après le second album, on n’y a fait qu’un seul concert, et après le troisième on a fait une tournée qui était vraiment fabuleuse, on a découvert le pays. C’est parfois frustrant d’être plus reconnu à l’étranger que dans son propre pays ? Non, ce n’est pas frustrant, on ne l’a jamais mal vécu. Notre rêve, ce n’était pas spécialement d’être très connus

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« on a appris la musique ensemble, à quatre, et chaque morceau nous ressemble. »

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en France, on souhaitait être reconnus partout. Et puis surtout, quand on était adolescents, on voulait se barrer ! On a grandi à Versailles, et notre premier but c’était d’en partir. Ça a donc été un cadeau du ciel de faire des concerts à l’étranger. Quand on joue en France, c’est toujours complet. On n’est pas énormes, mais ça nous convient parfaitement. Comment devient-on international ? Vous avez saisi une opportunité particulière ? C’est un peu flou : après le premier album, on a fait un concert en Suisse, puis un au Japon. Je crois qu’on a été aspirés par le phénomène Air et Daft Punk… Les portes étaient grandes ouvertes, on a été invités partout. On a toujours été un peu à part, parce

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que les gens pensaient que l’on faisait de la musique électronique, surtout après le premier album ; il y a toujours un flou qui persiste sur ce que l’on fait, mais ça nous plaît bien de nous sentir un peu décalés. On n’est pas limités et on a moins la pression… Comment expliques-tu le fait qu’un groupe doit d’abord faire ses preuves à l’étranger avant d’être connu en France ? Je n’en sais vraiment rien… On chante en anglais et on était un des premiers groupes à le faire, ça ne nous a pas aidés pour le succès en France. Ça faisait aussi partie du challenge, chanter en anglais et prouver que ça peut fonctionner. Le succès est relatif. Comment juges-tu qu’il y a succès ou non ? Avec le nombre de ventes ? Tout le monde a l’impression que Phoenix est un phénomène, que l’on cartonne à l’étranger, mais ça reste relatif. On fait de la musique et des concerts, et ça nous convient…

truc marketing. Tout le monde est au même niveau maintenant, c’est le chaos et l’anarchie ! Plus personne ne tire les ficelles, c’est ça qui est intéressant. Vous vous voyez comme une petite entreprise ? Oui, mais c’est vrai depuis le début… Vous avez parlé de la construction d’un « futur optimiste » ; qu’est-ce que ça veut dire ?! Quelqu’un a vraiment dit ça ?! Ce n’est pas moi ! L’album précédent ne parlait que de nous, c’était un disque autobiographique et très brut, il concernait notre présent. Ce nouvel album parle de notre futur idéalisé et fantasmé.

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Vous avez joué au Saturday Night Live ; comment avez-vous atterri sur le plateau de cette émission mythique en Amérique ? On a donné un morceau de l’album en MP3 sur notre site Internet, 1901 ; c’est d’ailleurs l’un des avantages d’avoir son propre label. On a eu l’idée, on a mis le morceau en ligne, et paf ! Une semaine après tout le monde l’avait. C’était un truc impossible avant. On l’a donné gratuitement, en bonne qualité, sans demander quoi que ce soit en contrepartie. Le titre a beaucoup tourné et il est arrivé aux oreilles du gars du SNL ; je ne sais pas vraiment comment ça s’est passé, mais ils nous ont demandé de venir, alors que l’album n’était même pas sorti… Ça contrebalance avec la polémique sur le téléchargement… Le téléchargement est un fait avec lequel il faut composer. Il aurait fallu se battre avec le label si on avait souhaité mettre un titre gratuitement en ligne. Ce qui est génial, c’est qu’il n’y a plus d’intermédiaires entre nous et l’auditeur. C’est quelque chose qui était inimaginable avant… ça a fait plus d’effet que toutes les opérations que l’on avait pu faire avant. Le morceau a beaucoup circulé, sans le moindre

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interview & photographies de sébastien charlot

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pour vous situer rapidement le groupe, on pourrait désigner ses membres comme étant les dignes successeurs de renaud. archimède, c’est avant tout deux frères, nicolas et frédéric, qui vivent à laval, font de la musique pop, chantent en français et ne sont pas encore de vieux réactionnaires amers et alcooliques... pourvu que ça dure !

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quels sont vos antécédents musicaux ? Frédéric : On a navigué de groupe en groupe, ensuite on a travaillé avec Nico de façon à roder nos chansons en acoustique. On a écumé les bars de l’ouest de la France, puis on a eu envie de monter quelque chose de plus intense sur scène. On a donc cherché et trouvé des musiciens, des potes de Laval avec qui on partage plus que la musique… C’était en 2004. Vous partagez quoi avec vos musiciens ? F : Le sexe… Nicolas : Leurs femmes ! (Rires.) Non, on partage des virées bachiques et des concerts mémorables. C’est mieux de jouer avec ses amis, ils savent où on veut aller et on se comprend mieux. C’est plus simple de faire un groupe en étant frères ? N : Disons que l’on se tempère l’un l’autre, on se dit franchement les choses quand ça ne va pas. F : Je pense qu’avec un bon pote tu peux faire pareil… C’est surtout plus difficile de splitter, non ? F : Oui, mais il n’y a pas vraiment de raisons, on écoute la même chose, on a les mêmes influences, les mêmes goûts… Quand Nico écrit, je valide ses textes, quand il y a un mot qui me gêne, je le lui dis et il l’accepte… N : Au pire, ce sera comme Oasis, on se fera copieusement la gueule pendant cinq ans pour des histoires de droits ou de famille, mais on continuera le groupe ! Pour peu que ça marche… Vous avez une formation de musicien ou vous avez appris sur le tas ? F : On a appris sur le tas… N : Moi, je ne joue même pas d’instrument, je ne connais pas le solfège, mais j’ai des mélodies de voix qui naissent comme ça… F : On est un peu les Jedi de la chanson française ! On travaille à l’instinct ! (Rires.) C’est la Force… F : Oui, c’est ça, et pour l’instant elle est avec nous ! Venant de Laval, vous avez été surpris par l’accueil du public parisien ?

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[La veille de l’entrevue, Archimède a donné un concert qui a été un franc succès − ndlr.] N : C’est vrai qu’hier soir c’était vraiment agréable de voir le public connaître nos chansons alors que le disque n’est pas sorti. Grâce à MySpace, les gens ont pu écouter quelques morceaux, ça chantait sans que l’on reconnaisse les visages, donc c’est de bon augure… F : Le public parisien est vraiment sympathique, on entend souvent « Les Parisiens ceci cela… », « Les groupes de province à Paris… »… En fait il y a un excellent accueil. Comment êtes-vous arrivés en maison de disques ? N : On a d’abord signé avec un éditeur, qui est aussi notre manager, Laurent Cléry, et qui nous a fait jouer pendant un an chaque mois, à Paris… Il a fait venir des directeurs artistiques de maisons de disques, certains étaient intéressés, d’autres se sont désistés, puis sont revenus. Au final, on a signé avec Jive car on s’entendait bien avec le DA [directeur artistique − ndlr], et qu’on allait dans la même direction… Vous avez eu carte blanche pour votre album ? F : Le gros avantage que l’on a eu, c’est que le DA a tout de suite capté, à travers nos chansons et nos maquettes, là où on voulait aller. Ensuite, il a cherché un réalisateur, Philippe Paradis, qui a lui aussi saisi où l’on souhaitait aller. Nos compositions se sont retrouvées très bien arrangées et produites comme on l’entendait, chose que l’on n’arrivait pas forcément à faire par manque de matériel et d’expérience… Vous estimez faire de la chanson française ? N : Je ne dirais pas « chanson française ». C’est de la pop dont les textes sont en français, et ça lorgne très sérieusement sur la musique outre-Manche. Ce n’est pas de la chanson française traditionnelle… F : Quand on était gamins, on écrivait en anglais, mais ça tournait vite en rond : “fly away”, “try again”, “hello”, “a cup of tea”… N : L’anglais, ça limite. Un texte de chanson doit parler de la vie, de ton

environnement, de là d’où tu viens : notre écriture ressemble à ce que l’on est. Vous vous livrez dans vos textes ? N : Ce n’est pas se livrer au premier degré. Il y a de l’autodérision, c’est parfois décalé, il y a des mots savants... ça c’est pour se marrer… ça nous ressemble sans que ça parle de nos vies et de notre intimité… Tu passes beaucoup de temps à écrire ? N : J’y passe beaucoup de temps car je dois remplir des cases. La musique, ce n’est pas comme un roman ou une prose traditionnelle. Ça se calcule en termes de pieds, et c’est ce qui prend du temps. Il faut trouver la syllabe qui va rebondir, marier le son et le sens pour que ça fasse mouche… Je pense que l’efficacité de nos chansons tient au mariage du son et du sens… Et tant qu’à chanter en français, autant raconter quelque chose… F : Sur la musique elle-même, on ne se pose pas vraiment de questions, ça se fait à l’instinct. Je ne me dis jamais : « C’est trop simple, il faut que j’aille chercher plus loin. » Je suis mes envies et le texte fait que l’on peut… N : … divaguer ! F : Non, je dirais plus « diverger »… C’est le texte qui, parfois, donne un virage à la musique…

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Vous semblez ouverts à d’autres musiques, vous avez du matériel électronique sur scène, pourquoi un tel choix ? N : On ne voulait pas que le disque sonne rock sixties… On souhaitait une production contemporaine et un côté vintage, faire un disque rétro moderne ! Il y a des claviers, des boucles et des samples sur certains titres qui font que c’est un disque de l’année 2009… F : Ça dépend aussi de ce que tu écoutes quand tu composes. Par exemple, pour le titre Passe par Paris, j’étais dans un trip Blur, et j’ai été influencé à ce moment-là… Si demain j’écoute de la bossa-nova, je vais peut-être m’orienter là-dessus… N : Ça m’étonnerait quand même, tu vas finir par composer pour Élie Semoun !

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« au pire, ce sera comme oasis, on se fera copieusement la gueule pendant cinq ans… » (nicolas, à propos de la fraternité) 82 F : Nos compositions peuvent fonctionner sur des guitares, sur de l’acoustique ou sur un son électro, on ne se refuse rien… Dans le Fréquence Star consacré à Renaud sur M6, il expliquait que les mélodies arrivaient dans sa tête tout naturellement, et qu’il trouvait ça tout à fait normal, il en était puant… et il explique qu’un jour ça s’est arrêté. Vous avez peur que les mélodies s’arrêtent et de finir comme Renaud ? N : Si je finis comme Renaud, je serai assez content, du point de vue de la carrière ! La peur de ne plus avoir d’idées, elle n’existe pas… J’écris sous plein de formes différentes, j’ai d’autres projets, bouquins ou articles, j’aime écrire, j’aime me promener et penser à quelque chose que je pourrai ensuite écrire… J’ai peur de ne pas trouver l’air, la mélodie qui va aller avec le texte, c’est pour ça que c’est bien de travailler à deux… Vous habitez ensemble, vous êtes une entité unique, 24 h /24 dans la musique ? (Rires.) F : Ah non ! Surtout pas ! Il y a un petit studio chez moi et ça s’arrête là… N : On n’est pas dans le trip étudiants américains, canettes de bière et pizzas

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à faire de la musique quinze heures par jour… Je passe beaucoup de temps sur le texte, mais je suis tout le temps dehors. Je passe ma vie à me promener, ça n’a rien de prétentieux, mais Baudelaire disait « Il faut tout le temps se trimballer avec son sujet en tête », dans la baignoire, en flânant, en faisant les courses… L’écriture se fait en marchant avec un baladeur, avec les mélodies de Fred en tête. On ne vit pas à deux, il ne faut pas que ce soit étouffant, il faut que ça reste un plaisir… Quelles sont vos influences, les groupes de cette année qui vous ont marqués ? N : On a vraiment aimé MGMT… F : Ludéal, un artiste français qui est génial… N : C’est un artiste de notre label, mais ça n’est pas pour ça que l’on en parle ! C’est presque le contraire de ce que l’on fait… Ça me semble assez sophistiqué, aérien, et c’est vachement bien… ça reste mon avis… F : Il y aussi le retour d’une scène rock française, on le ressent depuis quelques années. Ça prend le pas sur tous les groupes un peu reggae festif que l’on déteste… et qui ne sont pas nos influences… N : Il y a de bons groupes qui écrivent en anglais, mais c’est bien de se fixer l’enjeu d’écrire en français quand on fait du rock’n’roll. c’est marrant de coller à sa langue natale… Vous êtes nationalistes ? N : Tout à fait ! C’est marrant de constater que les Anglais arborent sur scène le drapeau national ; si tu faisais ça en France, ça passerait vachement mal… Notre singularité vient du fait que l’on est de Laval, on n’essaie pas d’être de la hype parisienne, ou de se saper avec des slims extra moulants et des bottines en daim… F : On est fiers de notre petite ville, on reste habiter là-bas, et même si ça marche je ne me vois pas changer d’univers. Tout va bien… N : Moi je me vois bien sniffer des lignes de coke sur des petits culs à longueur de soirées… Avoir une vraie vie, enfin !

Que tout ça vous échappe ? F : Je pense que l’on n’a pas spécialement une musique taillée pour ça… N : D’un côté tant mieux si ça nous échappe, on ne se plaindra pas du succès ; si jamais ça devenait un phénomène, comme tu dis, tant mieux, ça se jugule, il faudra faire plus attention à ce que l’on dit, à ce que l’on présente. Nos chansons sont spontanées, on ne cherche pas à faire des tubes… F : Il y a une forme de fraîcheur que j’espère qu’on ne perdra pas. Mais comme dit Philippe Manœuvre : « Les groupes de rock, c’est difficile d’aller au-delà de sept ans parce qu’ils se répètent, et il n’y a plus cette fraîcheur du départ… » N : Après Archimède, on animera des ateliers d’écriture en maison de retraite… F : Ou alors on sera jury de La Nouvelle Star… Vous aspirez à quoi ? F : Les putes, la coke… N : Forcément, on n’a pas fait tout ça pour rien et on espère à très court terme passer en radio, et faire un autre clip… F : Pour être tout à fait sincère, j’aspire à une seule chose, c’est de pouvoir continuer à faire des chansons ; quelque part je me fous du succès, si ça marche tant mieux, mais le but c’est de pouvoir gagner suffisamment d’argent pour pouvoir continuer à faire des chansons… (Rire de Nicolas.) Pourquoi ça te fait marrer, toi ?! N : Parce que moi je veux juste m’acheter une Ferrari… F : Le seul but, c’est de pouvoir continuer à faire de la musique, c’est tout ce qui m’intéresse… Vous aurez des Rolex avant 50 ans ? N : Non ! F : Moi j’en ai déjà une et je la montre au micro ! Vous n’êtes pas de droite donc ? F : Ni de droite, ni de gauche, bien au contraire ! (Rires.) N : Sarkozy c’est nul, c’était mieux Giscard !

Vous avez pensé au fait que Vilaine Canaille puisse devenir un tube ?

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interview de sébastien charlot

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seth gueko n’est pas le fils de jacques mesrine. non. il est le digne descendant de bérurier noir ou de ludwig von 88, il prend à contre-pied la culture rap et la bienséance, il est vulgaire et agressif dans ses textes, mais on peut toujours y trouver un brin de poésie, une métaphore filée, un calembour ou une contrepèterie. personnage singulier, friand de culture, nourri aux années 80, décomplexé et véritable boule d’énergie positive, il assume un rap français sans concessions, des mots qui rebondissent et un argot à faire pâlir les tontons flingueurs…

SETH GUEKO

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tu entretiens une fascination pour mesrine, c’est pour te démarquer du scarface américain ? Oui, à la bonne franquette ! J’ai baigné là-dedans quand j’étais jeune, mes frères étaient attirés par les mouvements marginaux, et la culture qui va avec. Ils regardaient des films comme Pink Flamingos, Le Tambour, Freaks ou Orange mécanique, et ils avaient une VHS du film Mesrine, sur laquelle le titre était écrit au marqueur rouge. Mesrine était le bandit des Français, le Scarface à la bonne franquette, à la sauce échalotes. Il symbolise l’homme, le séducteur, le tchatcheur, l’homme d’honneur antibalance… J’aime le fait que son combat aille au-delà de voler de l’argent : il avait le goût du risque, de l’adrénaline et de la vie mouvementée. J’ai toujours eu envie d’avoir une vie comme ça, par contre ma marginalité est dans ma musique… Elle n’a jamais été ailleurs ? La marginalité, qu’est-ce que c’est ? Vivre avec ses propres codes, ne pas se laisser imposer ceux des autres… Pourtant il y a une période pendant laquelle j’ai été bien réglé, c’est lorsque j’allais à l’usine, de 2001 à 2005. J’étais un bon employé, je faisais exploser les quotas. J’essaye toujours d’être le meilleur quand je me lance dans une discipline ; après l’école, que j’ai complètement foirée, je me suis promis d’être le meilleur : aujourd’hui c’est dans le rap…

au jeu du postiche. Je n’hésite pas dans mes clips à mettre des chapeaux, des fausses moustaches, des perruques… des dégaines sorties de bons films… Tu n’as pas peur de te faire rattraper par tout ça, de devenir un guignol du rap ? Non, parce que tout ça c’est une recette. Quand on est l’un en face de l’autre, là maintenant, j’ai l’air d’un guignol ? Non… Quand quelqu’un a de la repartie, qu’il sait parler, qu’il fait rebondir les mots,

« quand j’écoute les rappers, ils parlent plus de drogue, de consommation et de vente que les dealers ne parlent de rap… »

Quelles ont été tes influences ? Dans un premier temps, elles proviennent de mon éducation musicale, le rap anglais, Overlord X, Silver Bullet, puis Ice-T, qui chantait dans Body Count… ce que mes frères écoutaient. J’étais le petit dernier, et je n’avais pas de père, j’ai plus de quinze ans de différence avec mes frères, ils ont été mes exemples. J’ai plusieurs fois menti en en faisant passer un pour mon père…

qu’il utilise des métaphores et des images, les gens n’arrivent pas à le définir, à le cerner, donc ça devient un mec marrant, un mec drôle… un guignol. Ça s’appelle avoir de l’esprit, avoir du répondant… Est-ce que ce n’est pas bas du front que de dire que je suis un guignol ?

Ça fait quoi de monter dans le modèle de BMW de Mesrine ? C’était bon, je me suis remis dans l’époque, je suis nostalgique de ces années : les grosses moustaches, les rouflaquettes, le cuir, pantalon cintré au cul et pattes d’eph’ et les santiags… J’aime le costume en général, me prêter

Oui, mais j’ai l’impression que les médias peuvent faire en sorte que… (Il coupe court.) … que l’on me mette dans une case, oui… Il n’y a pas longtemps j’ai fait un clip dans lequel on reproduit le casse de Spaggiari dans les égouts, sans armes, ni rage, ni otages. On m’a demandé où était mon

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côté décalé, en prétendant que je faisais un clip très cliché. Moi je pense que je me décale tellement qu’il faut parfois que je mette un coup de rame pour remettre la barque dans le bon sens. Le public rap n’est pas encore vraiment prêt pour tant de décalage. Je crois que ce sont les autres qui se décalent en voulant rester proches des clichés. Tu peux être crédible en portant une fausse moustache et en étant marrant, tu peux séduire une femme en la faisant rire, ce n’est pas pour ça qu’elle te prendra pour un con. C’est toujours bien de décomplexer les endroits qui sont un peu trop tendus, c’est ce que j’essaye de faire… Tu trouves le milieu du rap tendu ? Oui, quand j’écoute les rappers, ils parlent plus de drogue, de consommation et de vente que les dealers ne parlent de rap… Il y a une course au plus ghetto, trop de fantasmes planent. Les rappers sont devenus pires que des gonzesses, à montrer dans les clips leur bling-bling ou de belles voitures… Le capitalisme a pris le dessus. Je représente le rap qui a du ventre, du poil sous les bras, qui va en famille à Center Parcs, du rap que tu peux croiser à Courtepaille ou à Buffalo Grill, tu peux me croiser au rayon poissonnerie dans un Leclerc, du rap à moustache, du rap à raclette… C’est sûr que des gens peuvent dire : « Oh ! c’est drôle ! » C’est du rap populaire de petit Français qui a grandi dans une cité, et ça s’arrête là. Pour certains, c’était du couscous, pour d’autres c’était puréepoisson pané / coquillettes-jambon…

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Les rappers deviennent des caricatures d’eux-mêmes, tu n’en parles pas dans tes textes… Je le développe quand on m’en parle, quand on me dit : « Tu es dingue, tu fais un clip dans un cirque ! » Je trouve que des mecs qui font les cailleras dans leur cité ont parfois l’air de clowns. Je crois qu’avec du charisme et de l’esprit, on peut rapper dans un cirque sans passer pour un clown. J’en parle dans les interviews, avec mes potes, mais je ne suis pas là pour descendre quiconque dans mon rap. Je ne combats pas pour le vrai rap… Le rap, c’est du divertissement ; au même titre que je n’attends pas une morale à la fin d’un film…

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C’est sûr que ton rap reste immoral et amoral ! Oui ! (Sourire.) Chacun fait à un moment l’album de la maturité, moi je pourrais dire que c’est l’album de l’immaturité ! C’est seulement de l’énergie tout ça ; lors des concerts punk les mecs faisaient du pogo et ça slamait, attention, la vraie définition du mot slam : se jeter dans la foule depuis la scène. C’est de l’énergie positive, je trouve que le punk et le rock alternatif avaient un discours plus engagé que la plupart des rappers d’aujourd’hui, et d’ailleurs prendre des risques c’est quoi ? Avoir une arme factice dans ton clip que tu as empruntée à un armurier ou porter une fausse moustache dans un cirque ? C’est ça être un vrai artiste : oser faire des choses que les autres ne font pas, en restant fidèle à soi-même…

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Ça reste du Seth Gueko… J’essaye que ça reste dans le même état d’esprit. J’adore prendre à contrepied ce qui se fait dans le rap, mais pas mon auditeur… Cette provocation, cette haine dans tes textes… (Il coupe court.) … c’est une manière de faire du sport ! Certains évacuent en allant dans les salles de muscu, d’autres quand ils prennent leur femme en levrette et qu’ils tapent comme des fous, il y a ceux qui vont voir des psychothérapeutes, et ceux qui n’évacuent pas et qui restent de gros frustrés. Moi je vais derrière un micro et j’évacue. Parfois le fait de parler d’un truc ça t’évite de le faire ; comme on dit, c’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins. Lorsque je drague des filles, je leur demande ce qu’elles vont me faire, elles me répondent ci et ça. Le fait d’en parler, c’est comme si je l’avais fait ! Comme ça je ne trompe pas ma femme ! Tu parles souvent de la Croix de Chavaux à Montreuil, tu y as habité ? Ton rap est géographique et visuel, situé à des endroits précis, c’est dû à quoi ? J’ai toujours aimé traîner mes baskets un peu partout… Et je crois qu’il faut avoir vachement d’assurance pour se lancer dans le rap quand tu es un blanc. Je ne suis pas du genre à vouloir

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prouver quoi que ce soit, à me déplacer avec plein de mecs, mais j’ai toujours aimé me mettre au défi. Comme aller à Paris chaque jour du haut de mes 17 ans et prendre le train, celui dans lequel on peut se faire agresser. Je me mettais dans des situations complexes, c’était du Fear Factor si tu préfères ! J’ai toujours aimé aller dans des quartiers, voir ce qu’il s’y passe, rencontrer d’autres communautés. Les gens ne connaissent pas les camps de Gitans parce qu’ils en ont peur, à cause de préjugés. Moi je n’ai pas eu peur, j’y suis allé avec des caméras pour montrer ce qu’il s’y passe, et ils m’ont même demandé de ne pas filmer le bordel que le ferrailleur avait pu laisser, parce qu’ils en ont marre que les médias colportent des images de lieux dégueulasses. La Croix de Chavaux c’est un langage, Montreuil c’est un argot,

« je suis le rapper qui a le plus de rock’n’roll attitude ! » c’est le fief des Gitans. Je connais bien les gens de là-bas, il y a un petit café qui s’appelle Le Narvalo qui est sympa, drôle de nom, atypique… La caravane est garée dans un parking, les gens essayent encore de me l’attacher dans le dos, mais j’ai su la ranger quand il le fallait. J’ai fait une dernière manoucherie dans l’album qui s’appelle Dirty Manouche… Je ne peux pas les abandonner comme ça, je suis un peu devenu leur porte-parole. Il y a des camps dans lesquels je suis considéré comme un des leurs. Ils se sentent représentés par moi, et je suis content de les représenter. Comme les blancs qui font des associations en Afrique et qui font ça bien, qui sont plus investis que des mecs aux origines diverses et qui ne sont jamais allés dans leur pays, qui dépensent leur argent en France…

C’est difficile d’être blanc dans le rap ? Non, c’est juste que tu as besoin de prouver, mais c’est ça le truc du rap. Moi je ne paye pas de mine, je suis un rapper sans uniforme, je passe inaperçu… Je veux me démarquer avec mon esprit. Je cultive mon cerveau, c’est le seul muscle que j’ai envie de faire travailler, j’ai envie de le nourrir, d’en faire une machine de fou ! Comment fait-on pour se renouveler ? Chaque jour, les cafés sont de vrais laboratoires à expressions, les copains, les potos, on rebondit sur les mots… Quand tu te dis « Le mec boxe bien sur le ring… », il faut savoir que le gars s’est entraîné toute sa vie. Moi j’ai entraîné mon cerveau à faire rebondir les mots ; ça a débuté, pour te dire la vérité, quand j’ai commencé à draguer des filles. Je ruminais les meilleures phrases possibles, le meilleur discours, il fallait que j’aie une réponse adéquate à toutes les questions, ça me rendait dingue, et c’est là que j’ai commencé à m’enregistrer sur un dictaphone… pour les femmes. Elles sont vraiment le nombril du monde… Tu as samplé un titre de Sisters Of Mercy pour Les Fils de Jack Mess ; comment as-tu eu cette idée ? Parce que je suis le rapper qui a le plus de rock’n’roll attitude ! (Sourire.) J’aime l’état d’esprit du rock. Dans le punk, ce sont les premiers à avoir clamé : « La jeunesse emmerde le Front national », « Le Pen, porcherie »… Ils étaient contre le service militaire, ils ont été les premiers à parler du Quai d’Orsay et des gens lobotomisés… Le message des punks était fort, j’aime l’énergie qu’ils dégageaient. Quand tu écoutes les albums de Bérurier Noir ou de Ludwig Von 88, ils étaient crédibles dans leur milieu, mais il y avait aussi un choc de générations. Ce sont les premiers rappers à mes yeux, ils avaient des crêtes et des vêtements bariolés. Les Négresses Vertes, la Mano Negra, ce sont des groupes qui m’ont inspiré à faire de la musique, qui se démarquent, qui drainent beaucoup d’énergie… Quand j’ai entendu ce sample, j’ai tout de suite aimé et on a fait un morceau. C’est un groupe que j’entendais chez moi, mon rap ressemble à l’univers dans lequel j’ai grandi.

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Il fallait trouver la boucle dans ce titre… Oui, c’est sûr. Quand tu vois les Ricains, qui sont fidèles à eux-mêmes, ils ont grandi avec la soul. Tu imagines la facilité pour faire du rap ; j’ai été déçu de constater que des gros singles étaient des reprises sans aucune créativité. À ce moment-là, je me suis demandé si on ne pourrait pas sampler notre folklore français, et ça a commencé avec le morceau Le Temps qui court avec Al K-Pote, c’est Alain Chamfort qui est bouclé. On a samplé des voix et ont les a pitchées comme les Américains, on a fait ça avec le producteur Dave Daivery, c’est sa marque de fabrique les échantillons de musique française. À un moment je me suis dit « Allons voir dans le rock… », il y a une période marquée par l’arrivée des synthés qui est incroyable. Duran Duran mais aussi Goblin, j’ai beaucoup samplé ce groupe, qui est italien et qui a fait la musique des films d’Argento et Romero. J’ai envie de parler de tout ça, que les gens découvrent ce que j’ai aimé et le faire partager. La générosité, l’échange et le partage, toujours…

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« c’est toujours bien de décomplexer les endroits qui sont un peu trop tendus, c’est ce que j’essaye de faire…»

à des gens… Maintenant, je suis obligé de me reposer sur l’épaule de mon impresario, ça s’appelle un manager dans le rap, mais je préfère dire un impresario ! C’est ma béquille ! Je ne comprenais pas que des mecs qui avaient de l’engouement autour d’eux ne me répondent plus au téléphone, et je constate que je le reproduis de mon côté. Je n’arrive plus à gérer mon temps seul et je ne mange même plus chez moi, d’ailleurs la malbouffe m’a donné une cicatrice très laide, qui s’appelle la brioche…

À quel moment as-tu senti que le rap devenait un plein-temps ? Quand j’ai commencé à oublier de faire les choses que j’avais promises

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texte & photographie de loïc benoit

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il est 9 heures du matin et me voilà dans une Lexus Automatic direction la prison. Oui, je vous l’avoue, c’est une première, d’autant plus que je suis à des milliers de kilomètres de chez moi, en Australie. Direction la prison où Ali Boulala purge sa peine. Au volant, Amanda, la fiancée d’Ali, sur la banquette arrière un certain French Fred, fraîchement récupéré à la sortie de l’avion. Cela fait maintenant deux ans et trois mois que je n’ai pas vu Ali, et presque autant de temps que je n’ai pas eu de nouvelles fiables. Tout ce que je sais, c’est qu’il va bien… Rien de plus. Même si après quelques jours chez Amanda j’en ai appris beaucoup sur tout ce qui s’est passé depuis l’accident ; inutile de revenir sur les faits. En tout et pour tout, Ali est resté trois mois et demi à l’hôpital, dont un au service réanimation et deux semaines dans le coma. Depuis sa sortie de l’hôpital, Ali a des séances de rééducation quotidiennes, et même s’il n’a presque aucune trace apparente de l’accident, seulement quelques petites cicatrices, il boite encore. Puis Ali a attendu son procès, et la sanction est tombée : quatre années dont deux fermes…

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Cette entrevue, je l’attendais depuis un long moment. J’ai passé un mois entre Sydney et Melbourne, obtenir un droit de visite n’a pas été simple : j’ai dû m’enregistrer auprès des autorités policières et prendre un « rendez-vous » de visite. Pendant les deux heures du trajet qui m’a mené de la petite maison d’Amanda à cette belle prison à l’ouest de Melbourne, je me repassais tous les bons moments partagés avec Ali en France, à Lyon. Les années d’insouciance, les délires de gosses, les discussions sur notre idéal de vie… Ali est un sacré spécimen, c’est le moins que l’on puisse dire. Durant nos années de vie quasi commune, je l’ai vu collectionner, c’est son truc. Le bougre a une fâcheuse tendance à ne pas faire les choses à moitié ; ainsi, lorsqu’il se met en tête de se déplacer en deux-roues, il en achète trois, question de choix, tout simplement. Idem pour la guitare : après trois accords, le voilà collectionneur. Fender, Gibson, électrique et acoustique, tout y passe… Puis vinrent les véhicules radiocommandés : ça a commencé par une petite voiture, le modèle très réduit. Elle n’était pas assez rapide, dès le lendemain il a acheté un hélicoptère !

Oui, Ali est un gosse. Voilà comment nous nous sommes retrouvés plusieurs après-midi à « jouer » à l’hélicoptère, au lieu de partir à la recherche de spots de skate en banlieue lyonnaise. Ali est un skater et il restera hors pair. Il skate tout et avec simplicité, sa lecture des spots, couplée à sa façon de les exploiter, a beaucoup influencé la pratique du skate de ces dernières années. Ali a toujours eu cette tendance à ne pas trop réfléchir, ce qui s’accentuait lorsque les situations devenaient risquées et riches en adrénaline. Ce qui m’a valu d’être le témoin privilégié de nombreuses scènes épiques : un saut en skateboard dans une rivière de montagne avec six mètres de dénivelé abrupt, une traversée de route en snowboard après avoir oublié de freiner, un incroyable flip en snow-skate, le saut de marches en trottinette ou de la mini-moto sur une table de salon n’étant que des moments d’entraînement… Il fonce, le Ali, il prend la vie comme elle vient, et se pose tout de même quelques questions sur son avenir. Et si certains médias prennent un malin plaisir à véhiculer une image « pissdrunk » décérébré les concernant, lui et ses amis, sachez qu’Ali, qui adore

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vivre dans l’excès, a toujours su analyser les situations et en voir les bons côtés. Il a correctement géré sa carrière de skater professionnel, son compte en banque, ses soucis de couple, les problèmes de la vie de tous les jours. Mais revenons à cette rencontre… Je suis un peu stressé, anxieux, curieux… Nous sommes dans un petit village du bush australien, sur le parking d’une prison. Je préfère vous préciser que le système carcéral australien semble mieux géré et organisé que celui de notre Hexagone. Notre France, territoire des droits de l’homme. Ici, rien n’est gris, rien n’est délabré, rien ne paraît rabaisser l’être humain… Ici, tout est fleuri, les gardiens ont le sourire et ne sont pas armés. Une fois l’arche de fleurs franchie et nos poches vidées, nous déclinons notre identité. Nous sommes face au réfectoire, lieu de visite bien plus sympathique et « humain » que le fameux parloir des séries télévisées américaines. Mes mains sont moites, je suis stressé. Je fais les cent pas, Fred ne sait pas quoi me dire, idem de mon côté. Nous n’attendons qu’une seule chose : revoir, palper et profiter de notre ami qui purge sa peine, loin de chez nous. Il arrive, une dernière fouille, et nous pouvons enfin savourer ces retrouvailles. Que nous avons l’air con la larme à l’œil ! Les premiers mots sont difficiles, ils ont du mal à sortir : « The Frenchies sont dans la place ! » Il n’a pas changé, le même, sauf que la tenue vestimentaire en a pris un coup ! Exit les accessoires et les frous-frous qui composaient la fameuse « garderobe » du plus connu des gypsies. Le souhait de cultiver « la différence » est en revanche toujours d’actualité dans le quotidien d’Ali. En effet, alors que tous les détenus portent un pantalon de jogging vert, Ali arbore un Dickies bleu et il porte les lunettes de soleil de sa copine, alors que c’est tout simplement interdit. Pendant ces trois heures de visite autorisées, nous avons assisté au comptage des détenus : une sonnerie retentit, nous sommes invités à nous rendre à l’intérieur du réfectoire pendant que tous les prisonniers s’alignent de

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l’autre côté de la baie vitrée… Quel spectacle ! Un coup de coude et Fred me dit : « T’as vu la belle photo ! » Et quelle photo ! Ali au milieu de tous les détenus, arborant fièrement les lunettes de soleil et son futal bleu, alors que tout le monde est verdâtre. Ça rassure de voir ce genre de scènes. Contrairement aux autres détenus, Ali ne travaille pas à l’usine attenante à la prison, son handicap le dispense de toute activité. Il s’occupe comme il peut, il confectionne des boîtes et des range-briquets en allumettes. C’est comme le centre aéré, et selon lui les journées passent vite, parfois même trop. Entre les ateliers de confections diverses et variées, la rééducation et les promenades, le roi des Gitans se plaint de ne pas avoir le temps d’aller à la piscine. Hé ! Ali nous a aussi fait part de sa joie d’avoir acquis une PSP ; oui, ce jouet peut changer la vie d’un tôlard. Outre le fait de servir à jouer à des jeux électroniques, ce petit appareil permet de regarder toutes sortes de vidéos… et même si la détention de DVD est prohibée, c’est un peu comme les drogues et les autres petits plaisirs de la vie : entendez par là que le trafic de films de cul est monnaie courante. Le jour précédant notre venue, Ali a tout simplement broyé un DVD dans sa main avant de le faire passer par le trou des toilettes. Les fouilles de cellules avec option « chien », ça ne rigole pas ! Ali ne veut pas voir sa peine allongée à cause d’une mauvaise conduite ou pour un film de cul !

est entre la vie et la mort sur son lit d’hôpital sous prétexte qu’il n’est plus « bankable »… Quel monde de merde ! Parce qu’il n’a pas d’argent de côté, Ali angoisse sur son avenir. Amanda fait tout son possible pour lui obtenir un visa australien afin qu’il ne soit pas expulsé dès sa sortie de prison, prévue pour le printemps 2010. Le bougre ne se laisse pas abattre pour autant, il apprend le « biz », comme il dit : il étudie le marketing et le graphisme dans sa belle prison. Le but : être armé pour affronter la réalité du monde extérieur. Après ces trois heures de retrouvailles, nous avons été invités à quitter les lieux. Ali est retourné du côté « des sanctionnés ». Quant à Amanda, Fred et ma pomme, nous avons pris le chemin de la liberté. Croyez-moi, c’est dans un tel moment que l’on prend conscience de la chance que l’on a de jouir de celle-ci.

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Il reçoit peu de visites, sa copine essaie de se rendre à la prison chaque weekend. Les visites sont autorisées les samedis, dimanches et lundis. Certains skaters australiens lui en veulent toujours pour l’accident… Nous avons parlé du passé, donné des nouvelles des Lyonnais, mais aussi de la France, de ses lois récentes, et nous avons évoqué le sujet de ses sponsors. Sachez que certains d’entre eux ont lâché Ali alors qu’il était toujours dans le coma… À croire que parfois l’humain n’a plus lieu d’être, ni d’avoir. Cesser de payer un gars qui

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texte d’alexandra geyser photographie d’arjun panday

l’a b é c é d a i r e – Alexandra Geyser –

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alexandra geyser est une jeune écrivaine de 22 ans. son premier livre, le cœur à genoux (disponible chez stéphane million éditeur), est un recueil de courtes n o u velle s co q uine s . elle s’e s t fait connaître via les frasques de son alter ego décomple xé, solange organza, une héroïne qui a vu le jour sur un cyberespace. mais rassurez-vous, alex andra est bien réelle…

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a comme auteur C’est un bien grand mot… J’ignore si j’y suis, justement, à la hauteur, mais tant que je me poserai la question, je m’évertuerai à tenter d’y répondre. B comme Bordel (la revue) J’y ai participé à trois reprises, et je ne compte pas m’arrêter là, ce sera moi, la meilleure des putes ! Un thème différent à chaque fois, comme un nouveau client à satisfaire : d’abord « Les Voyous » (Bordel n° 7, éditions Scali), ensuite « La Jeune Fille » (Bordel n° 8, Stéphane Million Éditeur), et récemment « L’Imposteur » (Bordel n° 10, Stéphane Million Éditeur), en attendant de faire le trottoir sur http://lebordeldesecrivains.blogspot.com C comme Chair Elle n’est ni faible, ni triste, encore faut-il savoir en jouir pour s’en rendre compte… À mon avis, ce n’est pas la chair qui pervertit l’esprit, mais à l’inverse l’esprit qui pervertit la chair en voulant la faire taire. J’ai de la chance : le mien, lui, aurait plutôt tendance à l’inciter au pire avant même qu’elle n’y pense. D comme Double Un peu schizophrène sur les bords, oui… Je ne me contredis pas, j’ai plusieurs avis en même temps – nuance. Ce qui ne m’empêche pas pour autant d’être constante, hein ! (Ah, ça y est, ça commence…)

inversement, à faire passer des mensonges pour des vérités. Alors inutile de dire combien les autopsies m’exaspèrent : il ne faut pas lire pour tenter de démêler le vrai du faux, non seulement c’est peine perdue (ça revient à chercher chez un bébé qui du père ou de la mère aura le plus d’incidence) et, en outre, ça n’a aucun intérêt, au contraire. Personnellement, je ne voudrais surtout pas savoir si Nabokov s’est véritablement épris d’une môme, ni si les voisines de Jeffrey Eugenides se sont bel et bien suicidées. Un texte ne doit avoir de réel que le temps passé à lui donner forme et le souvenir qu’il laissera au lecteur. G comme Genoux On s’agenouille pour prier, ou, dans un moment d’éga rement fata l, pou r dema nder une femme en mariage, mais à quoi servent-ils réellement sinon à les écorcher en mettant du cœur à l’ouvrage (et à l’outrage) ? D’où le titre de mon livre, moins évident qu’il n’y paraît… (Le Cœur à genoux, Stéphane Million Éditeur.) H comme Hypocrisie Le pire défaut à mes yeux, ex aequo avec la lâcheté. Le problème, si l’on y réfléchit bien, ce n’est pas tant le fait que les gens vous prennent pour un con, mais plutôt leur entêtement à ne jamais l’avouer. Dommage, les conversations seraient tellement plus piquantes… À force, j’ai appris à ne plus me justifier : espérer les faire changer d’avis équivaut quelque part à leur donner raison !

E comme Ecchymose Les bleus m’ont toujours fascinée. Cette débauche de couleurs, on dirait de petits arcs-en-ciel provisoirement tatoués, et la douleur qu’ils éveillent lorsqu’on les touche donne envie de ne jamais les laisser s’envoler. Pareil pour les suçons. On trouve ça immonde, les suçons, vulgaire au possible, moi j’y vois un truc artistique. La peau devient une toile où s’inscrivent nos désirs, nos dérives. Il faut juste accepter qu’éthique et esthétique s’affrontent, chercher à les rendre miscibles n’est qu’une perte de temps : les belles choses sont rarement morales, et la moralité n’est pas synonyme de beauté.

I comme Ironie La jumelle cachée de la pudeur – quand cette dernière ment comme elle respire sous ses dehors honnêtes, l’autre préfère tout dire sans jamais en avoir l’air. On les confond à tort, mais c’est précisément parce qu’elles se ressemblent plus qu’on ne le réalise. Ça me fait doucement rire, du coup, lorsqu’on me croit impudique. À l’écrit, oui, peut-être, puisque tout est permis sous couvert de fiction, mais dans la vie, rarement : j’essaie de ne parler qu’au second degré, ou du moins j’aime le prétendre !

F comme Fiction À l’écrit, je prends un malin plaisir à travestir la réalité en fiction et,

J comme Jeunesse Un fardeau dont j’ai hâte de me débarrasser et que, pourtant, comme tout le

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monde, je finirai sûrement par regretter une fois que ce sera fait ! Gamine, déjà, j’avais hâte de grandir. Maintenant, je suis impatiente de vieillir. On gagne en crédibilité avec le temps, et l’expérience, le vécu, nourrissent l’imaginaire, fournissent l’inspiration. Je reste foncièrement persuadée que les années qui passent nous rendent meilleurs en nous peaufinant. K comme Killers (Serial) J’admets faire preuve d’une certaine curiosité malsaine, voire morbide, à leur égard ; mais si le sujet me passionne, c’est d’abord d’un point de vue psychologique, par désir de comprendre en me mettant dans leur peau. Il est frappant de réaliser combien la frontière peut s’avérer ténue entre un tueur en série et n’importe quel être humain lambda : vous, moi… La satisfaction systématique de leurs besoins, irréfléchie car irrésistible, leur absence de conscience, et même leur facilité à transgresser les valeurs me rappellent étrangement ma propre façon de vivre, à ceci près que j’appelle liberté un comportement qui les mène, eux, derrière les barreaux.

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L comme Limites Gainsbourg disait : « Je connais mes limites, c’est pourquoi je vais au-delà. » Kafka, quant à lui, a écrit : « Passé un certain point, il n’est plus de retour. C’est ce point-là qu’il faut atteindre. » Pas mieux. Si l’être humain se cantonne aux barbelés dont on encercle par défaut son existence, alors à quoi bon vivre ? Il faut toujours se dépasser, quitte à aller trop loin. M comme Mariage À l’étroitesse d’une alliance, un homme préférera toujours celle de tous les autres vagins potentiels auxquels il n’aura plus droit. (Et dont, par conséquent, il aura deux fois plus envie qu’auparavant.) C’est un fait : ce qui est permis n’attire pas outre mesure, l’interdit excite plus vivement. En passant un anneau au doigt de quelqu’un, comme une corde à un cou, on se condamne au cocufiage à perpétuité et à une strangulation lente des sentiments. On ne peut pas accepter d’épouser un homme ni demander une femme en mariage si on l’aime – ça n’a tout simplement pas de sens.

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N comme Naturelle Mon naturel spontané me porte souvent préjudice. Je choque en agissant selon mon bon vouloir, au détriment des convenances, je déstabilise par mon ton direct, peut-être cavalier parfois, mais en dépit des apparences, ce n’est que rarement calculé : je ne recherche pas le scandale même s’il m’amuse, et, surtout, je ne suis pas assez douée pour la provocation, sinon j’en aurais déjà pleinement profité !

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O comme Olive Sohn Le personnage principal d’un roman de Philippe Jaenada, Néfertiti dans un champ de canne à sucre. Elle adore baiser le matin, manger comme quatre, s’habiller en pute et laisser sa folie s’exprimer. Elle n’a peur de rien sauf d’elle-même, et de n’être jamais aimée. Je me suis énormément retrouvée dans ce livre, à tel point que j’en ai été presque choquée parfois, comme si l’on m’avait épiée et disséquée pour mieux m’étaler aux yeux des autres tout en grossissant le trait. Au moins, maintenant, je suis rassurée : non seulement il existe plus dingue que moi, mais en plus on peut en tomber amoureux puisque Jaenada vit justement depuis plusieurs années avec la femme qui lui a inspiré ce personnage ! P comme Photographie C’est une évidence, l’écriture et la photographie se complètent, mais si certains se plaisent à les associer, moi je préfère les alterner en les traitant l’une et l’autre tantôt en épouse, tantôt en amante. Quand la première me lasse parce qu’elle ne me suffit plus, je me gorge de la seconde, puis lorsqu’à son tour celle-ci perd de son attrait par trop d’évidence, je reviens aux sources, et vice versa. Il est bon d’être infidèle en matière d’art ; tant mieux, car je ne pourrais désormais pas choisir entre les mots et les images. Q comme Quatre heures du matin Mon heure préférée. Avant, il reste encore un semblant d’effervescence nocturne. Après, le matin commence à prendre ses aises. Mais à quatre heures, c’est la nuit elle-même qui se déploie, éteinte et muette, comme si le monde s’autorisait une courte pause. Alors, moi, au contraire, je m’anime souvent à ce moment-là. J’écris, ça

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coule tout seul grâce au silence et à la fatigue, ou j’aime, ce qui, quelque part, revient au même. R comme Rousses Ce n’est pas un hasard si la plupart de mes héroïnes le sont. La rousseur a quelque chose d’animal, d’inexprimable, un je-ne-sais-quoi d’incendiaire et d’automnal à la fois qui m’inspire et m’excite. La déclinaison des couleurs chaudes – l’or, le rouge –, le contraste entre la pâleur de leur peau et le brun des taches la parsemant, les rumeurs à propos de leur odeur ou de leur goût… Tout cet alliage ne me laisse pas indifférente, je l’avoue ! S comme Souvenirs Rien de plus que des fenêtres condamnées à travers lesquelles on regarde le passé défiler, sans plus pouvoir y participer. On tire sur la poignée de toutes ses forces, en espérant respirer ne serait-ce qu’un peu de cet air oublié, mais c’est définitivement verrouillé. Je parle en connaissance de cause : j’ai des milliers de baies vitrées dans le crâne. Ça ressemble à une serre, parfois je surchauffe et je croise même des plantes carnivores. Alors, je passe mon temps à noircir des pages en y décrivant la vue pour m’en servir comme volets. T comme Trop J’ai tendance à croire que rien n’est jamais trop, à vouloir toujours plus, encore et encore, aussi vite que longtemps. Il ne s’agit pas d’insatiabilité, d’agitation ou de caprice, je suis simplement quelqu’un d’entier et de passionné, allergique aux demi-mesures comme à la tiédeur. L’apanage de la jeunesse, peut-être…

une certaine mesure car je l’estime nécessaire, voire saine, tant qu’on parvient à la maîtriser. Ce sont précisément ses débordements qu’il faut craindre, lorsqu’elle devient impossible à retenir, obsessionnelle, donc dangereuse. Mais indéniablement, il y a quelque chose de fascinant dans la violence, une certaine beauté qu’on ignore à force de n’y voir qu’une simple expression de haine ou la manifestation d’un problème. W comme Wilde (Oscar) Prenez n’importe quelle phrase au hasard dans l’un de ses ouvrages, elle sera toujours parfaitement juste, élégante, spirituelle et scandaleuse. Exactement ce à quoi j’aspire, à l’écrit comme dans la vie. Inutile de dire que j’ai fait mienne depuis longtemps sa devise concernant la tentation : j’y cède coûte que coûte, histoire de m’en débarrasser du mieux possible. X comme Classée X Une très belle chanson méconnue de Birkin figurant sur l’album Ex-fan des sixties. La musique sonne un chouïa surannée, mais la voix érotique de Jane n’a pas pris une ride, surtout lorsqu’elle s’attaque aux sonorités en x qu’affectionnait tant Gainsbourg. « Classée X, parce qu’excessive, lascive… Sur pellicule, on me fixe en plein axe, en Tri-X, au Pentax… » Y comme Y a vraiment aucun mot digne d’intérêt commençant par cette lettre J’ai beau chercher, je ne trouve pas ! Z comme Zut Je viens de me relire et je crois que j’en ai bien trop dit…

U comme Ubiquité Le don que j’aurais aimé avoir. Pouvoir me diviser et vivre en plusieurs lieux différents, ne plus me limiter à un unique présent, mener de multiples existences tout en n’étant qu’une seule et même personne : tout faire, tout voir, se trouver partout à la fois. Mais maintenant que j’y pense, c’est pas précisément ça, l’écriture ? V comme Violence La violence elle-même ne m’effraie pas, au contraire, je la recherche dans

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Les instantanĂŠs De Love Eneroth

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ABONNEMENT abonnez-vous pour un an, soit six numéros, pour la modique somme de 25 euros. les cinq premiers abonnés recevront à leur domicile un casque wesc bongo delta.

Coupon & règlement à renvoyer à cette adresse : 69/93 Éditions – 38, rue servan, 75544 Paris Cedex 11. nom :

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MUSIQUES CULTURES MISCELLANÉES _

NUMÉRO 1

www.maelstrommagazine.com

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numéro 1 | mai-juin 2009

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FEVER RAY EAGLES OF DEATH METAL & EASY SACHA PHOENIX DVNO LOVE ENEROTH DDAMAGE SETH GUEKO

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