MUSIQUES CULTURES MISCELLANÉES _
NUMÉRO 2
www.maelstrommagazine.com
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numéro 2 | juillet-août 2009
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BIRDY NAM NAM FEADZ KICKBACK SCOTT KELLY DE NEUROSIS ZOXEA OLLI B. / APRIL65 BOUCHERIE MODERNE ELZO
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Léa pique, Benoît souffre.
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Éditorial
Au sens figuré, un maelström (qui peut s’orthographier malstrom) est un mouvement d’agitation intense qui entraîne, irrésistiblement. Un tourbillon au sens propre. Pour la prononciation, ma-el-strom suffit, en ouvrant le o. Tout au long de ne nouveau numéro, vous serez irrésistiblement aspirés. Une sensation que vous pourriez avoir face aux quatre Birdy Nam Nam en train de s’exciter sur leurs platines, ou alors si vous écoutez très fort le nouvel album de Kickback, un moment tout aussi intense. Ce sera plus sombre et mystique avec Scott Kelly de Neurosis, Feadz aura toujours une nouvelle boucle entêtante à vous faire découvrir, et Olli B vous entrainera au cœur du militantisme pro-animal. Zoxea vous attirera dans son atelier du 104, mais aussi dans les recoins de son cerveau, là où se trouve les textes de son prochain album, vous pourrez vous asseoir au milieu de la Boucherie Moderne de Bruxelles, manger du béton avec Brusk ou partager les délires psychédéliques et colorés de Elzo. Loïc Benoit vous fera découvrir l’Oregon, avec un texte qui n’engage que lui, et des photographies argentiques, et si vous survivez à tout ça, vous pourrez vous faire interner au Ministère Psychique, Philippe Collin s’occupera de vous… C’est le tourbillon de la vie, tout simplement… - sébastien charlot
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Johan Flor ell 1985 - 2009 Johan Florell nous a quittés, beaucoup trop tôt. C’était un bon ami de la rédaction, un confrère du skateboard avec qui il était bon de passer du temps. Cette disparition nous rappelle à quel point il est important de prendre soin de ses amis. Nos pensées vont à sa famille, à sa petite amie et à sa seconde famille qu’est Bellows Skateboards. Johan, tu seras toujours présent dans nos cœurs.
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Sommaire
MAELSTRÖM MAGAZINE #2 5,90 euros | juillet-août 2009
Page 6
Le tourbillon de la vie.
Page 7
À sa famille, à ses amis…
Page 10
Birdy Nam Nam : Lil’Mike, Crazy B, DJ Pone & DJ Need.
Page 20
Feadz vous dira tout sur Fabien.
Page 24
Krazy Baldhead vous explique sa suite en B…
Page 26
Scott Kelly se confie et s’exprime, sur Neurosis entre autre…
Page 30
Kickback enterre le hardcore français.
Page 34
Zoxea le sage poète est en résidence au 104.
Page 38
Olli Bery sur 12 pages, en guerre avec un amour infini.
Directeur de la publication Benoît Alègre benoit@maesltrommagazine.com
Rédacteur en chef Sébastien Charlot sebastien@maelstrommagazine.com
Directeur artistique JF Gaudinet jeff@maelstrommagazine.com
Secrétaire de rédaction Jean-Luc Buridans parrain@maelstrommagazine.com
Webmaster Hervé Mischler
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Page 50
Bruxelles, des mitraillettes et de la Jupiler.
Page 52
La Boucherie Moderne !
Page 54
Jef, son franc-parler et son fameux Moulinex.
Page 58
Kostek, et son tatouage électriquement amplifié.
Page 62
Léa, ses tâches de rousseur et Navette sur le bras gauche.
herve@maesltrommagazine.com
Conseiller exécutif Jean-Luc Buridans
Distribution MLP
Publicité pub@maelstrommagazine.com
Page 68
Elzo, sérigraphiquement psychédélique.
Page 76
Ian & Benoit nous parle de l’association, Brusk.
Page 78
Oregon avec Loïc et les copains.
Abonnements abonnements@maelstrommagazine.com
Pour nous contacter contact@maelstrommagazine.com
Page 90
Philippe Collin est-il interné au Ministère Psychique ?
Page 94
La chronique littéraire de Johan, Roman avec cocaïne.
Maelström est un magazine bimestriel édité par 69/93 Éditions SARL – 38, rue Servan, 75544 Paris Cedex 11
Maelström est imprimé par Aubin Imprimeur Contribution typographique Anne-Claire Pauthier & Thierry Audurand
Chemin des Deux Croix, BP 02, 86240 Ligugé Tél. : (33) (0)5 49 55 20 13 / Fax : (33) (0)5 49 55 26 93
Contributeurs Olli Bery, Loïc Benoit, Alexandra Geyser, David Vincent, Ophélie Alègre, Johan Walger, Caroline Bianco, Pascale Koehl, Benoist Reine Bourgon, Alexandra Geyser, Loïc Benoit, Matthieu Jung, Jean-Luc Buridans (secrétaire de rédaction de choc !) & Easy Sacha. MAELSTRÖM TIENT À SALUER : Denis, Thomas, Mickaël & Nicolas (merci !), Sourya & Sissi la famille, Arnaud & France (mini-rampe power !), Fara Fossette, Youtube & Dailymotion, Michael Jackson, Seth Gueko, Tonton Steph, Caroline Unifrance, Tibo, SK, Titou, Antoine & la famille, Seb & la famille, Frizou, Damien, Kéwin, le très grand Vince (merci !), Pascale Haneke (merci !), Jean-Luc Parrain (merci !), Philippe Collin, Johanna Because, Fabien Feadz, Ralfie Vice, Dvno, JB dDamage, Josh Graham, Ansgar Glade, Scott Kelly, Neurosis, Stephen, Benji, Philippe Innovative, Macintosh, Samuel Partaix, KBH, Olli, LUV team, Mamie Guillaume, Zoxea et Sophie, Guillaume N., Rocé, Antox & C.Cile, Giovanni, Salim, Ian, Ray Barbee & The Mattson, Benji, Pierrot et Lyes, Annabella Martin, le petit chat qui court derrière le scooter de Jeff, Léo & Thomas, Sarah Amari, Clarisse Cœur, Jim@Pulp68, Giuseppe, Yves, Delfina & Jean-Marie (GVA), Soupedelait, Marie et Marc BT, Capucine Ladilafé, Wilfried, monsieur Q8, Roy Sunday, Julia et ses histoires de texto, Alexandra et ses tweets, Chloe Mazlo, Navette, Opéli, le Bottle Shop, l’Autobus et le XO. Loïc Benoit tient à remercier Vans et Carhartt pour leur confiance et de nous permettre de voyager, donc de s’enrichir de rencontres humaines mais aussi de skater des spots à l’autre bout du monde. Big up à August, la famille « Red » SCOTT, Choppy, son hyperactivité et aussi sa copine : Merci beaucoup ! Le Collectif BRUSK fonctionne avant tout grâce à l’énergie de tous les bénévoles qui s’y investissent. Nous recevons soutien et aides financières de Bruxelles Environement, Carhartt, et Consolidated. www.brusk.be
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Les pellicules argentiques sont développées par les laboratoires Processus 161, rue de la Roquette, 75011 Paris Gris Souris 11, rue de l’Annonciade, 69001 Lyon
Commission paritaire en cours Dépôt légal à parution / Numéro ISSN en cours
Couverture La photographie de la couverture a été prise par Benoist Reine Bourgon. La jeune fille est Pascale Koehl et le maquillage de Caroline Bianco. Easy Sacha a dessiné le petit logo de Birdy Nam Nam.
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texte & photographies de sébastien charlot
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Birdy NAM NAM birdy nam nam a fait couler beaucoup d’encre et beaucoup de sueur. ce curieux nom a été éructé pour la première fois par hrundi v. bakshi, un acteur indien de série z qui n’a jamais eu de succès ailleurs qu’à bollywood, ou dans un cercle très restreint d’aficionados du film de blake edwards, the party… anthologique ! mike, denis, thomas et nicolas sont un groupe de rock, ils se partagent un unique instrument : la platine disque. étonnant non ? ils ont entre 25 et 41 ans, la même volonté d’essayer, d’expérimenter et de faire bouger les têtes. vous allez enfin pouvoir mettre un prénom sur chaque visage, et percer les secrets mal gardés de cet étonnant quatuor…
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Consenus individualiste hautement crĂŠatif.
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L ittle MIKE
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Le Mickaël de la bande. mon nom de dj c’est little mike, j’ai 25 ans, je viens de vigneux-surseine, dans l’essonne, et je suis dj depuis l’âge de 14 ans. à la base j’écoutais, comme la plupart de mes potes, du rap, du r&b, de la soul, du funk, du reggae… ensuite via le scratch, j’ai été dans les boucles d’électro-rap, et de découvrir les morceaux originaux, ça a été une vraie ouverture. ensuite. il y a eu la drum & bass, la house et les boîtes de nuit avec les potes, et le punk-rock, le hardcore vers 17 ans… la boucle est bouclée ! aujourd’hui, c’est la digestion intensive de tout ça ! (sourire.)
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tu as commencé la musique avec le scratch ? A la base oui, j’ai commencé parce que j’avais envie de faire du scratch et je voulais être bon. Il y avait ce côté compétition, et j’aimais jouer en soirée avec mes potes. J’ai eu l’envie d’être, via le scratch, plus instrumentiste que DJ, de faire de la musique, de la production, apprendre à jouer de la guitare, du synthé, de la batterie, progresser techniquement dans tous les domaines qui peuvent toucher à la musique, acquérir un bagage et une facilité de travail, ça m’intéresse tout simplement… Comment tu as découvert le scratch ? C’est DJ Mouss, qui était dans les Scratch Action Hiro. Le meilleur scratcheur de l’époque. Il y avait cette motivation d’être le meilleur de Vigneux… Comment s’est fait la connexion avec Birdy Nam Nam ? Via Mouss, je suis le dernier à être entré dans les Scratch Action Hiro. Il y avait Pone, Crazy B, Need, Moth, One-Two, Mouss… mais il n’y a jamais vraiment eu de cohésion comme avec Birdy… Quand Scratch Action Hiro a splitté, on s’est retrouvés tous les quatre avec l’envie de faire la même chose, et donc voilà ! Comment tu définirais Birdy Nam Nam ? Oh ! C’est compliqué… Comme un groupe de rock ! ni plus, ni moins… Comment ça se fait que tu sois celui qui ait la réputation la plus sulfureuse ? Parce que je me suis battu en soirées ou après des concerts, j’ai eu tendance à être celui qui se mettait le plus la tête, le plus émotionnellement instable, j’ai envie de te dire. Mais c’est moi, je suis comme ça. Il y a cette image qui me colle, le fantasme de Mike ceci, Mike cela… c’est de ma faute, je m’en rends compte et j’ai envie de rattraper le tir, ne pas rester cantonné à une image aussi réductrice… Je suis souvent le petit jeune un peu foufou et ça je le sens dans mes rapports avec les gens, mais à vrai dire, je suis plus réfléchi que ça…
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Comment tu définirais ton rôle dans Birdy ? Ça se fait comme ça se fait, on discute, on débat, parfois ce sont des prises de bec, mais c’est naturel. Je ne sais pas le rôle que je peux avoir là-dedans, je n’arriverai pas à le définir, la fusion est perpétuelle. Il y a des questions que l’on se pose, et dans le fond, quoique chacun ait envie de faire, il y a un consensus qui fait qu’on a envie d’aller dans la même direction. On sait que c’est une aventure unique, c’est quelque chose qui est fort aujourd’hui… C’est là où est l’équilibre, réussir à s’accorder sur différents tableaux… Comment tu décrirais tes trois collègues ? Pfff ! On se connaît trop, c’est compliqué ! Nico, serait la force tranquille, il a une vision de la vie assez juste, il a beaucoup de recul… Thomas, c’est mon pote et à la fois il y a un rapport d’ego difficile parfois, et même si je suis très serein au sein de Birdy, je reste le plus jeune et j’ai aussi besoin d’exister, car on est des artistes. On a des relations parfois compliquées, mais c’est aussi parce qu’on a vécu des moments très intimes, intenses… Denis, c’est aussi un caractère bien particulier, il a deux facettes, quelqu’un à la fois de pondéré, réfléchi et très calme, mais aussi capable de folie ! Le fait d’être le plus jeune t’a fait douter parfois ? Je ne me pose pas vraiment la question, il y a toujours des périodes de doutes, des moments où tu penses que tout est de la merde, à te dire que les gens nous aiment car on est quatre guignols et qu’ils n’ont jamais vu ça. Parfois je pense que l’on n’a pas notre son, pas notre propre musique… mais j’ai aussi l’envie que l’on devienne le plus grand groupe du monde ! C’est paradoxal, en même temps, c’est comme ça que tu avances, c’est en visant loin que tu dépasses tes espérances, être ambitieux ça ne veut pas dire que tu n’es pas conscient de la difficulté… On ne doutait pas de l’album avant sa sortie, aujourd’hui on est conscient du fait qu’il est en dessous de nos espérances… On se dit que l’on va encore évoluer et devenir meilleur dans ce
que l’on sait faire, acquérir ce que l’on ne maîtrise pas. Quel est le moment le plus intense de Birdy selon toi ? Je dirai que c’est devenu un peu plus douloureux pour nous d’être en studio, même si c’est quelque chose que j’adore. Le plus intense, c’est le live, c’est frontal, une énergie directe. Le fait de penser que l’on est tous les quatre pendant une heure et demie, devant deux cents ou 10 000 personnes, c’est quand même assez fou d’avoir tout cet auditoire tourné vers toi, pendant autant de temps. Toute cette énergie, c’est irremplaçable, on se ferait chier intensément si on ne faisait plus de concert ! C’est complémentaire le besoin d'avoir des retours sur les morceaux, ce sont deux choses différentes, mais importantes… Tu sais où tu vas avec Birdy Nam Nam ? On souhaite faire une musique qui plaise au plus grand nombre, pas populaire, car ce mot est péjoratif en France. Le problème est que la population française a tellement été brainwashée par les médias, les clips et la radio, qu’il n’y a aucune alternative. Quand tu vois que Armand Van Helden et Dizzy Rascalz, ce sont des tubes en Angleterre, et que tu regardes ce qui marche en France, c’est quand même dramatique. Ça me fait mal de le dire mais le pays dans lequel on est le plus populaire, c’est celui qui a la pire culture musicale ! Ce qui me ferait bander, c’est qu’on pète l’Angleterre avec un single !
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Un concert de Birdy c’est orgasmique ? Oui, enfin… ça dépend, c’est une sensation de dingue, en même temps tu es concentré, donc toujours en décalage avec ce qui t’arrive. Tu as peur au début, tu es concentré, puis tu te lâches finalement un peu l’alcool aidant ! Il n’y a pas vraiment de comparatif, ou alors peut être quand tu fais de la politique ! Qui serait le cinquième Birdy ? Ce serait sans aucun doute mon chien Théo, AKA Poupou, toujours en tournée avec nous !
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C azy B
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Le Nicolas de la bande. je me suis intéressé au hip-hop en 1983, j’avais une culture funk à la base, j’ai baigné dans la musique à la maison grâce à mes grands frères. au début, je me suis mis à danser et un matin je me suis mis au mix, j’ai découvert dee nasty. j’ai fait un premier groupe de rap qui s’appelait rapsonic, dans lequel il y avait big red. j’ai fait la transition avec raggasonic, toujours en tant que dj, mais je ne suis pas resté quand ils ont pris le virage ragga/reggae. il y a eu les championnats de dj. j’ai dû faire la coupe de paris en 89, c’était la première fois que j’étais confronté à ça. plutôt une catastrophe ! il y a eu les championnats dmc de 90 à 98 ; j’ai représenté la france, parfois en équipe avec faster jay et kamel. c’était aussi le début d’alliance ethnik, les tournées et tout le bordel. après, il y a eu le double h, ça a duré un temps ; puis les championnats en équipe où j’ai rencontré les autres…
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comment s’est fait la connexion entre vous ? J’ai connu Thomas à ses débuts, on a fait des championnats ensemble, je l’ai emmené à des soirées, il était tout jeunot, il découvrait le truc ! Il a suivi son propre parcours et un jour on a été dans le même crew de DJ’s, c'est à ce moment-là que l'on a fait des compétitions ensemble. Denis, c’est par le biais des championnats DMC que l'on s'est rencontré. Ça s’est fait naturellement, on s’est de suite bien entendu. Mike est arrivé plus tard… Comment tu définirais Birdy Nam Nam ? Quatre personnalités qui font de la musique ensemble, qui ne font pas autrement qu’à quatre. Un échange d’idées, assemblées dans le but de faire de musique. Quatre personnalités fortes et différentes. C’est assez particulier, car assez naturel… La définition de Birdy n'est pas évidente à donner. Par expérience, c’est aussi être avec des gens pour faire des choses que tu ne ferais pas seul… C’est assez libre, il n’y a pas de leader, c’est un peu la démocratie ! Quel est ton rôle dans BNN ? Pfff… je ne sais pas comment définir mon rôle… Je suis quelqu’un qui évolue beaucoup. Je ne suis pas dans le passé, j’ai beaucoup de mal avec les dates. J’ai de l’expérience et je suis très ouvert pour avancer, essayer, expérimenter. Je suis un peu le plus posé, mais je ne me donne pas forcément ce rôle-là, c’est assez naturel. Mon but, c’est que tout le monde s’exprime à travers Birdy, de partager quelque chose avec tout le monde au même moment… Dans ta vie, il y a eu Alliance Ethnik, qui a été aussi une grosse aventure… Oui, c'était une grosse expérience de scène et de travail en commun. Le groupe a connu un très gros succès et ça a été une véritable folie pendant trois ans. C’était chouette à vivre, une bonne expérience, tout une période. C’est ce que l’on avait envie de faire, transmettre un truc cool, en accord avec nous-mêmes… Birdy, c’est vraiment notre projet et mon projet aussi. C’est génial, c’est
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toujours ce que j’ai voulu faire, être producteur et être aussi aux platines. C’est un aboutissement, une expérience nouvelle et originale dans sa démarche… Comment tu décrirais tes trois collègues ? Ça, c’est dur ! (Rires.) A chaque fois, on repense à un article où le mec avait écrit : Mike le chien fou ! etc. On pourrait dire que Denis serait plutôt le mental, une grosse tendance à faire marcher son cerveau, toujours en discussion avec lui-même et avec les autres. Thomas, c’était un peu le jeune fou à un moment, ce n’est plus vrai aujourd’hui. Je pense qu’il est en transition… Mike est quelqu’un de très sensible, parfois le plus extrême aussi, le plus blessé au fond de lui et qui dégage les choses les plus personnelles. Ce n’est pas évident de les décrire ! Ils ont tous un talent et quelque chose d’essentiel, avec un caractère différent. C’est ce qui est intéressant dans Birdy, qui se ressent dans ce que l’on fait… Quels sont les moments les plus intenses pour toi ? Le live, le studio, l’impro… C’est un peu tout. On a fait le premier album ici [Dans l’appartement de Crazy B à Versailles… - ndlr], ça a squatté pendant six mois, à fumer des joints, à se lâcher et à faire de la musique, pour ensuite aller sur scène, être confronté au public, sans trop comprendre ce qu’il se passe. On a eu du mal à se voir en live et à représenter le premier album, il n'était pas vraiment adapté à la scène. Mais on avait cette volonté de DJ’s d’emmener les gens, donc on a créé des morceaux déstinés à être joués en concert. On a rencontré le public, ce qui se retrouve un peu dans le deuxième album qui est plus énergique, avec des montées, ce côté de Birdy qui envoie… Le public a orienté Birdy, du fait que les concerts aient fonctionné ? Oui sûrement, on l’a pris en compte, mais c’est aussi une volonté de notre part. Il ne faut pas oublier qu'on est des DJ’s à la base, et faire chier notre public lors d'un concert, c’est quelque chose que l’on n’arrive pas à concevoir ! Il y a des gens qui le font
très bien, qui ont un talent pour le faire ! En France, le public adhère assez simplement à notre musique et c'est pour nous un sentiment assez incroyable. Même pour ceux qui la découvrir en live pour la première fois, ça fonctionne. Quand on est arrivé avec les morceaux du deuxième album, ça a été le gros challenge, on avait décidé de ne plus jouer les vieux titres. Finalement, on n’a fait que gagner du public… Tes collègues ont évoqué le fait d’avoir perdu un certain public… Oui, certaines personnes voulaient entendre du jazz sur notre deuxième album et je le comprends. Le premier disque reflète une période de notre vie, une façon de faire de la musique, de prendre des sons un peu partout et de faire du bricolage ; notre second album est plus abouti, plus électro, et je vois plus de gens qui adhèrent que de gens qui s’en vont. On n’avait pas envie de faire des morceaux jazz pour ce disque, c’est comme ça, et pour le prochain, ce sera encore autre chose…
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On peut dire qu’un concert de Birdy, c’est orgasmique ? Oui, pourquoi pas ! Il y en a qui arrivent à assimiler ça à des orgasmes ! Organique aussi, dans la façon d’être joué. C’est le but d’emmener les gens quelque part, de monter, c’est aussi la musique actuelle qui s’y prête… Vous avez déjà eu un bide sur scène ? Non, pas vraiment, il y a cette fois à Los Angeles, on a joué deux fois dans un bar, dont une fois l’après-midi. Il devait y avoir 10 personnes la première fois, et 25 la seconde ! Ça n’était pas vraiment un bide, car le peu de gens qui étaient-là ont vraiment kiffé ! Tu sais où tu vas avec Birdy, personnellement ? Je souhaite juste continuer, passer des caps, faire de la musique ensemble… Je ne suis pas quelqu’un qui visionne l’avenir à plus d’un an… Ce serait qui le cinquième Birdy ? C’est dur ! (Sourire.) Déjà quatre, ça suffit ! On travaille avec plein de gens ; on fait confiance, on est à l’écoute, mais un cinquième, je ne sais pas…
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PONE
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Le Thomas de la bande. je viens de meaux et j’écoutais des trucs pourris, et fin des années 80, j’ai bloqué sur bérurier noir, beastie boys et guns & roses. j’avais chouré une cassette à un gars, il y avait des morceaux de license to ill et abracadaboum, c’était fin 90. j’étais aussi scotché sur my michelle et sweet child o’mine ! après j’ai écouté du rap comme cypress hill et funkdoobiest…
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comment tu as commencé le scratch ? comment ça s’est enchaîné ensuite ? A Meaux, il y avait DJ Damage de Jazz Liberatorz, et un autre mec, JD, qui faisait une émission qui s’appelait Rap Slam, Crazy B y était venu mixer. C’est là que j’ai commencé à capter ce qu’était le scratch et le DJing. J’étais aussi dans le graffiti à cette époque, car il y avait une grosse scène à Meaux. Un jour, j’ai vu un pote DJ, qui était dans le premier groupe du rapper Mystik, scratcher et ça m’a complètement retourné. J’ai donc récupéré du matériel, et j’ai commencé à faire des scratches sur l’instru de Bouge de là et Groove Is InThe Heart de Deee-Lite ! J’ai rencontré DJ Damage, j’ai acheté mes premiers disques avec lui, ça devait être 93… Je me suis entrainé au scratch et en 96 j’ai fait un championnat avec Damage, en équipe. L’année d’avant, j’avais rencontré Crazy B et participé à une Battle où j’avais battu Cut Killer, j’étais tout jeune. Il y avait tout Paris, c’était un grand moment de ma carrière !! (Rires.) Cut Killer a constitué le double H, et Crazy B m’a demandé de participer… 1997, gros tournant de ma carrière, je me retrouve dans l’équipe du Double H, à bosser sur un album en commun et sur Opération Freestyle, plus une émission de radio, Bum Rush. De là, je pars en tournées avec Cut, je rencontre 113, on devait avoir 18/19 ans, Oxmo, Fabe, Koma, Duke… Je commence à avoir mes connexions dans le rap français. Fabe me propose d’être DJ pour la Scred Connexion… Oui, j’ai été DJ de la Scred ! avec des premières parties d’Idéal J, rencontre avec DJ Mehdi, et, à côté, mes histoires de graffiti avec mon groupe, MB, et j’ai été connecté avec GT [Grim Team – ndlr], car je connaissais JR Ewing et Chaze. JR avec qui j’ai fait de la radio et des mixtapes, et j’ai fait une émission avec Fabe. 1999, je rencontre les Svinkels, grosse histoire d’amour pendant plusieurs années ! J’ai arrêté avec la Scred, car ils s’étaient engueulés avec Fabe, j’étais aussi DJ de Triptik à cette époque… 1999/2000, Birdy commence à prendre forme. En 2002, le groupe existe, l’album, et je lâche mes autres activités pour m’y consacrer. Un parcours plutôt cool, beaucoup de travail, beaucoup de rencontres, beaucoup de chance…
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Grande histoire avec les Svinkels ! Oui, c’est un groupe que j’avais dans les tripes, j’étais fan d’eux avant de les connaître. Ça marchait tout seul, on se prenait la tête pour faire des shows construits, même devant dix personnes, et puis je connaissais leur potentiel, leur énergie. On faisait la fête comme des porcs, ils m’ont un peu intronisé à plein de trucs. C’était mes petits Beastie à moi ! En 2003, Svinkels étaient le groupe à voir en concert, les shows étaient puissants ! On allait en Bretagne avec TTC, Orgasmic et Triptik, il y a aussi eu l’album Q8, je rappe même sur deux morceaux, avec Cuizinier ! Ce sont des belles années, c’est bordélique, c’est alcoolisé, c’est drogué, mais on s’est bien marré !
simple groupe, car on se voit tout le temps. Pour le premier album on a habité ensemble, ça se levait en calbute, deux dormaient par terre et un sur le canapé. Quand un avait trop mal au dos, Crazy B avait pitié et partageait son lit, pour une nuit ! ça se lève avec la gaule du matin, petit déjeuner et ça fait du son ! ça ne se lavait pas trop les dents, mais on était bien !
Tu es un électron libre ? Non, c'est juste que j'ai des potes skaters, keupons, cailleras, ou rappers. J’apprécie autant être avec les Svinkels qu’avec la Scred Connexion, pourtant ça n’était pas le même genre de personnage…
Comment tu définirais tes trois collègues ? Oh ! On a une formule toute faite : Mike le chien fou, Crazy B le père tranquille et DJ Need l’impénétrable !
Quand es-tu arrivé à Paris ? ça a été un gros changement ? Je suis arrivé à Paris, je devais avoir 22 ans, j’étais souvent avec JR Ewing, à faire la fête, c’était un changement, assez pratique, mais j’étais surtout chez moi à bosser… Comment tu définirais Birdy Nam nam ? Pfff ! c’est une grand histoire d’amour et comme toute les histoires d’amour, il y a des tensions, des déchirements, du malheur, du bonheur, dans notre vie à quatre, dans nos vies personnelles… Ce sont les personnes avec qui j’ai passées le plus de temps ces cinq dernières années, plus que ma propre famille. Artistiquement, on a eu de la chance, car très vite les gens ont accroché, je n’ai pas autant galéré avec Birdy qu’avec Svinkels. Birdy, il y a eu un engouement, on n’a pas connu les deux ans de salles vides, ça a été plutôt vite. Encore la semaine dernière, on faisait sauter 25 000 personnes aux Eurockéennes de Belfort, en moins de cinq ans, sans single tabassé à la radio, tout ça grâce à la scène. C’est démesuré la masse de travail que l’on a abattu à quatre pour en arriver là… ça va plus loin que le
Comment tu définirais ton rôle dans Birdy ? C’est difficile… On est complémentaires, quand certains ont une baisse de régime, les autres prennent le relais. J’ai autant envie de m’investir sur le live, la pochette ou le studio…
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Pour toi, quel est le moment le plus intense de Birdy ? Le live, le studio, l’impro ? On a la chance d’avoir eu des moments intenses tout le temps, dès le premier album, quand quelqu’un trouvait un son, un scratch, un gimmick, tout le monde était à fond ! Je me souviens de Nico qui trouve la mélodie pour le morceau New Birth ; il a posé le diamant sur le disque, il a envoyé et ça tuait ! En live, aux Eurockéennes de Belfort, quand j’ai demandé aux gens de sauter et que 25 000 personnes ont sauté, on s’est regardé en se disant : « ouhla !! », on se serait cru AC/DC ! Des moments intenses, on en a vécu pleins et on va en vivre pleins ! Tu sais où tu vas avec Birdy ? J’y vais à fond, ça c’est sûr ! On se remet souvent en question, on n’est jamais satisfaits, on met la barre toujours plus haute, on veut améliorer le live et on commence à parler du troisième album, on est à bloc, on est en train de se secouer, histoire de faire monter la pression, mais je ne sais pas où on va ! Ce serait qui le cinquième Birdy ? Non, on est quatre… Personne ne peut rentrer dans la boucle, à moins d’être fou !
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NEED
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Le Denis de la bande. j’ai 33 ans, un enfant, j’ai commencé la musique avec les platines à 20 ans. j’ai découvert les platines par l’intermédiaire d’un pote avec qui je faisais du skate, dont l’influence principale à ce moment-là était cut killer, à l’époque des mixtapes, quand il était dans un délire un peu généraliste. j’ai été séduit par le côté technique, j’ai oublié assez vite le côté mix. après, j’ai passé plusieurs années à faire du scratch dans ma chambre, huit à dix heures par jour, on a tous eu cette période-là ! c’était en 1996…
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comment ça a commencé birdy nam nam ? 1998, premier championnat de France, je rencontre Crazy B. Je vais en finale à La Réunion, là je rencontre Pone et Mouss avec qui je passe du temps, et dans la foulée je rentre dans leur crew, Scratch Action Hiro. C’est là que j’ai beaucoup progressé. J’ai fait le premier championnat du monde avec eux en 2000. Pour moi, de participer à ce championnat, c’était un peu l’événement dans ma vie. J’étais entre Orléans et Paris, les autres faisaient leur vie de DJ’s au sein du Double H, et on se retrouvait chaque année pour s’entraîner pour cette compétition. 2002, Scratch Action Hiro splitte, on a souhaité rester tous les quatre pour travailler ; on décide de refaire le championnat, on cherche un nom, on adopte celui de Birdy Nam Nam, et on gagne ce championnat. Un an après, en juillet 2003, on a commencé à enregistrer le premier album, jusqu’à la fin de l’année, et il a été fini de mixer en février 2004. Il a été produit par Kif, le label du pote de Crazy B, Faster Jay. Sa démarche est de sortir des jeunes artistes et ensuite il cherche une licence pour rentabiliser son investissement. On a eu une discussion, il nous disait qu’il allait sortir 1000/2000 vinyles, peut-être faire des CD’s, mais que ça aurait un impact limité dans son réseau. A l’écoute de l’album, il y avait quelque chose à faire, au niveau synchro, et on a commencé à penser au live…
même si on avait les capacités techniques, on n’était pas Qbert non plus, et on se confrontait aux meilleurs mondiaux. Il fallait arriver avec un truc singulier, c’était notre envie du moment, on a suivi cette trajectoire et on a vraiment abordé le premier album dans cet esprit-là, avec une ouverture d’esprit totale quant à la nature des sons. La seule limite, c’est qu’il ne fallait pas que ça tombe dans le mauvais goût, il fallait que ça reste cohérent. Avec le temps, on a un peu plus ciblé le genre de sons que l’on voulait avoir. Je ne crois pas que l’on puisse réduire Birdy Nam Nam au son du deuxième album. On est tous sur la même longueur d’onde, et même si c’est très électronique aujourd’hui, il n’est pas exclu que l’on ajoute un saxophone ou un violon un des ces jours. Mais on sera probablement toujours plus dans le synthé que dans le piano, plus électronique qu’acoustique.
Comment vous avez eu l’idée de Birdy Nam Nam, quel fut le déclic ? Ce n’est pas nous qui avons inventé le concept, ça vient des Invisible Scratch Pickles. Qbert, Apollo, Mixmaster Mike et Shortkut… Le concept d’orchestre de platinistes, avec chacun qui joue d’un instrument, a été inventé à la fin des années 80, mais ça n’avait pas été poussé très loin, et dans les compétitions ça tournait autour de figures très techniques. Quand on faisait les championnats, on avait cette démarche d’essayer de scratcher des sons d’instruments, de faire des rythmiques avec des percu… c’était un set de six minutes et on faisait trois petits morceaux de deux minutes, il y avait une dimension musicale. On avait aussi conscience que
Comment tu définirais tes trois collègues ? Ça fait plus de dix ans que l’on se connaît, et on se voit quasiment tous les jours depuis pas mal de temps ! Pone, le cœur vaillant… Crazy B, la force tranquille… non, je ne peux pas ! Mon point de vue évolue avec les gens. A des moments, je serai plus proche de l’un ou de l’autre. Aujourd’hui, je comprends mieux Crazy B et Pone que j’ai rejoints dans la paternité, il y a une prise de conscience du social, du politique, du monde qui nous entoure que je suis en train de vivre actuellement… Ce sont mes potes, je ne les aime pas pour des raisons particulières, je vis avec eux…
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Comment tu définirais Birdy Nam Nam ? Nous, on se voit vraiment comme un groupe de rock. Pour une définition du style musical… on va dire musique électronique au sens large du terme, ma définition se limite à ça. Birdy, ce sont quatre personnalités, aux parcours et aux âges différents, de milieux sociaux différents avec la musique comme point commun. On a plein d’influences et au moment où tout ça se recoupe, ça donne Birdy Nam Nam.
de Birdy ? Le live incontestablement… c'est un aboutissement. On avait cette expérience quand on a fait le second album, d'ailleurs on le joue entièrement sur scène. Ce n'est pas l’élément avec lequel j'étais le plus à l'aise, mais aujourd'hui c'est le moment que je préfère. Pendant le premier album, je me sentais bien en studio et j’aimais les sessions où les idées foisonnaient, lorsqu'un de nous entraîne les autres dans la même dynamique. C'est très excitant… Tu penses qu’il faut être curieux pour écouter BNN ? Peut-être un peu moins aujourd’hui, mais pour continuer à écouter oui. J’ai réécouté le premier album, il y a quand même des petites choses qui sont radicalement différentes. Dans le fond, quand tu fais la somme de ce que tu as entendu dans le premier, sans vraiment prêter attention à la couleur de telle contrebasse ou de tel piano, plus dans la manière dont sont articulés les morceaux, comment ont été utilisées les sources, je trouve qu’il y a beaucoup de points communs avec le second. Manual for Successful Rioting est plus sur le beat, mais ça c’est un virage que l’on avait déjà pris sur scène ; l’omniprésence du beat, l’importance de la puissance du son.
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Les gens comprennent ce que vous faites lorsqu’ils vous voient sur scène ? Oui, je pense, même si par rapport à la communication du groupe, on n’est pas toujours derrière des platines. On souhaitait être reconnu en tant que groupe de musique au sens large. Mais c’est vrai que l’on rencontre encore des gens, qui après les concerts, nous disent : « super votre mix ! », on ne sait pas vraiment ce que ça veut dire. Souvent les gens nous disent : « c’est fou, vous êtes synchronisés ! », alors que c’est juste la base de la musique, si on jouait tous quelque chose de différent, ce serait chaotique ! Qui serait le cinquième Birdy ? Pfff… ça a été un peu notre ancien manager, celui de maintenant, Yuksek a été le cinquième, parfois on est tous les quatre… je pense qu’il est interchangeable, ce rôle-là.
Quel est le moment le plus intense
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Entre ombre et lumière, musicalement coloré… feadz est né après avoir scratché sur le célèbre opus de m. oizo, le très étrange analog worms attack. c’est une naissance assumée et sans douleur, mais nous avons souhaité en savoir un peu plus sur le jeune parisien, adepte de sons alambiqués et tortueux, mais surtout à l’origine de la mise en orbite de la jeune et jolie uffie… fabien aime parler musique, expériences, émotions et avenir…
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quels ont été tes premiers pas dans la musique ? J’ai eu la chance d’avoir une sœur qui était folle de musique et qui avait un boy-friend DJ. J’ai eu la chance très jeune de pouvoir aller chez mon beau-frère et de toucher des platines Technics, ça m’a complètement passionné. J’ai économisé et assez vite j’ai acheté des Etp ; sinon, j’achète des disques depuis 92. J’ai une collection assez énorme, ce qui est assez insupportable pour les déménagements notamment, et je garde une grande passion à rechercher du son aujourd’hui, avec les nouveaux moyens du bord. Et ta culture musicale ? J’ai grandi avec le rap, avec une des premières cassettes que m’a donné ma sœur. Il y avait Push it de Salt-NPeppa, et j’ai l’impression de n’avoir jamais vraiment changer de cap. J’ai découvert ensuite les musiques que samplait le rap, et grâce à des gens comme Master At Work, qui faisaient des disques hip-hop et house, ou Rockers Hi-Fi, je me suis échappé et ouvert à la musique électronique… C’est difficile de s’échapper du rap ? Ce n’est pas un créneau dans lequel les gens sont très sympas. En tant que blanc et jeune dj de groupe de rap, ça n’a pas été facile, jusqu’au moment où j’étais devant les platines et que je commençais à scratcher ! C’est plus cool dans la techno, où quand tu apportes une influence différente on t’accueille à bras ouverts. Mais je n’ai jamais lâché le rap, c’est une musique que j’affectionne énormément. Tu produits ta propre musique depuis combien de temps ? Je fais de la production depuis 97/98, j’ai travaillé avec M. Oizo, et j’ai sorti un premier disque en 2001 sur le label B-Pitch Control. Ensuite, j’ai commencé à faire de la musique avec Uffie, qui était ma copine à l’époque. Pedro [Winter, le patron du label Ed Banger. – ndlr] qui était mon pote depuis un moment, a écouté, il a adoré et il a décidé de sortir ce disque. J’ai aussi sorti des disques en nom propre sur Ed Banger, et il y a l’album d’Uffie à venir, pour ma part c’est terminé, elle bosse actuellement avec d’autres producteurs pour le finir…
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Tu as produit tout l’album ? Non, j’ai produit, comme d’habitude, moitié-moitié avec mon pote Oizo, Uffie est en contact avec d’autres gens pour des sons, entre autre Mirwais… Tu es partie intégrante dans ce projet ? J’étais totalement dans ce projet, puis on s’est séparé avec Uffie, elle a voulu rencontrer des gens de son côté, trouver d’autres influences… À partir du moment où il y a eu une séparation amoureuse, il y a eu une séparation de tous les côtés… Ça n’est pas trop difficile à gérer… C’était très dur à gérer, mais on a réussi à utiliser la douleur pour quelque chose de créatif. Il y a eu une période de vide total, puis c’est revenu et on a réussi à faire des choses intéressantes… Le morceau Pop The Glock est un classique aujourd’hui, non ? Tu as cette impression ? J’espère car ils ont décidé de le ressortir sur l’album. Je n’étais pas très chaud au début, en même temps ils ont réalisé une vidéo qui est très belle, et je crois qu’il va y avoir un remix de Mirwais, en tout cas ce sera sur l’album… C’est stratégique, ce n’est plus vraiment mon problème. D’un titre que tu composes avec ta copine, c’est devenu un hit, comment tu l’as vécu ? Si c’est vraiment un hit, on le saura… c’est vrai qu’il y a une petite magie qui s’opère avec ce morceau. Personnellement je n’ai jamais été attiré par ce truc de hit, je suis touché par toutes sortes de musique, et parfois même très mainstream, mais j’ai toujours compliqué les choses pour mon son, j’ai peut-être ce côté immature de faire de la musique qui ne plaît pas à ses parents ! Pour Pop the glock, je n’étais pas tout seul, il y avait Uffie et un pote à moi, ingénieur du son, qui m’a donné un coup de main, et effectivement il y a un truc qui s’est passé, mais ce n’était pas forcément l’ambition première de ce morceau. Tu travailles souvent avec des gens ? Non, pas assez… Aujourd’hui Paris, ça n’est pas comme Berlin. Chacun est un peu dans son délire, les gens gardent leurs trucs pour eux, il n’y a pas
ce partage qu’il me semble y avoir à Berlin, c’est un peu dommage. C’est assez français comme démarche, non ?… Oui, et d’essayer d’être un peu plus haut que les autres aussi, il y a ce truc un peu dur à Paris, mais c’est aussi une réalité artistique intéressante, il y a une émulation, un peu de compétition… ce n’est pas si mal… Ton nom est apparu avec celui de Oizo, tu avais fait quoi avant ? Avant, j’avais un autre nom de DJ, que j’ai souhaité changer parce que j’avais fait des projets embarrassants… (Sourire.) Non, pas vraiment embarrassants, juste que je ne voulais pas les garder sur mon Cv. J’ai fait des tonnes de tournées avec des groupes, j’ai fait beaucoup de choses sous d’autres noms… Avec qui ?! J’ai été avec ATK, Kenny Boss, Triptik… la connexion rap français ou comment se débrouiller en tant que jeune dj et producteur à Paris !
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Tu as fait des morceaux pour ATK ?! Non, j’étais DJ. Par contre mon pote Tacteel faisait des morceaux pour eux. Pour revenir à Oizo, je l’ai connu quelques années avant tout ça, on est devenus de suite amis. J’ai toujours adoré sa musique et quand il a fait son album, j’étais toujours dans le studio, à apporter deux / trois trucs. Je trouve que Analog Worms Attack est un album fondamental et j’ai décidé de changer de nom à ce moment-là, pour commencer Fresh ! Qu’est-ce que tu penses de l’inivers de Oizo ? Je trouve que Quentin [le prénom de Monsieur Oizo, donc… – ndlr] est un artiste immense, un génie, et comme tous les génies, de temps en temps ça se plante. Il y a des morceaux ou des films dans lesquels il y a des choses que je n’adore pas, mais c’est quand même l’un de mes artistes préférés au monde, et je crois à ce mec comme personne ! A quand un album Feadz/Oizo ? Je ne suis pas sûr que cette démarche l’intéresse… On en a fait l’expérience,
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je lui ai demandé de participer sur le projet Uffie, et il y a des choses qui ne lui ont pas plu dans cette aventure, la manière dont ça nous a échappé entre autre, je crois que pour l’instant ce n’est pas d’actualité… A quel moment la musique devient ta vie, comment ça se passe ? Mes parents sont professeurs, et j’ai eu beaucoup de mal à l’école. Je n’étais pas dans mon élément, et j’ai toujours senti qu’ils attendaient beaucoup de moi. Grâce à un mec comme Oizo, qui lui a réussi assez vite à gagner pas mal de fric avec la musique,
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je me suis dit : « Allez ! je me lance. Si je vis comme un clochard, au moins je ferais ce qui m’intéresse… » Et je me suis lancé. C’était un choix, mais aussi une rupture. J’avais changé d’université plusieurs fois, je ne faisais rien d’intéressant, il me manquait toujours un truc pour avoir un diplôme… J’ai bien fait, j’aurai même dû le faire avant. C’est toujours la passion qui a dirigé ma vie, il n’y a jamais vraiment eu de choix. Je viens d’avoir trente ans, je regarde autour de moi et je vois que les gens construisent des carrières, ont des ambitions… ce n’est plus du tout comme avant. Quand j’avais
14 ans, que j’étais passionné de musique et que j’économisais pour acheter des disques, les musiciens qui étaient autour de moi ne vivaient pas comme des rois, ils n’avaient pas une thune. J’étais proche de la Malka Family ou des DJ’s de Nova, ce n’était pas facile ; les choses ont énormément évolué et je suis content de faire partie de la donne. Sur ta page MySpace, dans tes influences tu cites ton père… Euh… oui, j’ai mis ça pour qu’il ait de la visite sur son site Internet ! Mon père est peintre et c’est une
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La musique, c’est du talent ou du travail ? C’est le talent je crois, il y a des mecs qui font des bons morceaux en vingt minutes, d’autres font des morceaux moyens en bossant quatre mois dessus. J’ai la chance d’avoir fait quelques très bons morceaux, à mon avis, qui vieillissent bien, ce qui m’encourage à me dire que je ne suis pas complètement nul, donc je travaille beaucoup… Mais je suis souvent face à l’échec, comme tout le monde, et face à mon ordinateur à galérer ! Tu crois au talent ou au travail ? Je crois au talent, mais je crois au goût surtout ! Si tu as des goûts un peu aiguisés, que tu sais où tu vas, que tu sais ce qui t’a marqué étant enfant, que tes ambitions ce n’est pas de copier Justice par exemple. Je crois que tu peux y arriver avec du travail… et tu n’es pas à l’abri de la chance et de la magie ! Le facteur chance, la magie et surtout les accidents, c’est extrêmement important. Il n’y a pas un seul morceau que j’ai fait où j’ai tout décidé de A à Z, il y a toujours une part aléatoire. La musique pour moi, c’est le résultat d’expérimentations et d’accidents, c’est ça qui rend les choses intéressantes, c’est au-dessus de l’humain…
influence dans le sens il a été prof toute sa vie, une énorme liberté dans son art. Moi, je me suis senti rattrapé par ce truc : tu fais un disque, mais est-ce qu’il va intéresser d’autres gens ? Est-ce qu’il va se vendre ? Je suis tombé dans un engrenage et je me suis dit : « c’est du boulot… » Mon père est une influence dans le sens liberté de création, avec la volonté ne pas dépendre de sa peinture… Je ne pense pas avoir été complètement tributaire de ma musique, je n’ai jamais essayé de faire de hits, j’ai toujours été attiré par des trucs qui ne plaisaient à personne !
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Comment tu vis l’évolution de la musique, Internet… ? Je trouve que ça a changé complètement la donne. Il y a un moment, c’était quand même chouette, mais peut-être pas pour tout le monde, d’essayer de ne rien rater, d’être tout le temps dans le magasin de disques, d’être sûr de pouvoir se payer certains disques car tu savais que deux semaines plus tard tu ne les retrouverais plus jamais de ta vie. C’était particulier, les dj’s passaient un temps fou pour trouver des bombes, il y avait un truc extrêmement chouette là-dedans. Maintenant, quand j’ai un bon track, je le mets en soirée et Pedro me demande ce que c’est, et le lendemain je suis obligé de le lui donner ! C’est un sacré boulot aujourd’hui, en plus tout est gratuit, il y a une démocratisation de ce que jouent les djs, les mecs regardent les playlists de Too Many DJ’s ou de Erol Arkan et hop, ils font la même chose ! En même temps, je trouve ça vraiment
chouette que tout le monde puisse avoir de la musique gratuitement. La musique, c’est de la culture, la culture pour moi, c’est un truc qui t’élève de ta vie de merde, moi y compris, je suis content qu’on puisse tous y avoir accès, je trouve ça génial. Par contre, je trouve assez triste la démocratisation de la musique que les DJ’s jouent… Les mecs qui produisent de la musique font la différence aujourd’hui en DJ set… Oui, ils peuvent jouer leurs morceaux, des inédits… J’ai un fond de commerce là-dessus, car j’ai pas mal d’inédits de mes potes, de beats que j’ai réédités… Comment tu t’es retrouvé sur le label B-Pitch Control ? J’étais complètement fan de leur musique, j’achetais tous les disques qui sortaient, j’étais à bloc ! J’ai vraiment fait mon premier disque avec ma Mpc en me disant : « Je vais faire de la musique pour Ellen Allien [B-Pitch Control est son label…-ndlr.], et j’espère qu’elle la prendra… », et j’ai eu de la chance, elle l’a prise… La nana a cru en moi et j’ai toujours de très bon rapport avec B-Pitch. C’est devenu plus minimal qu’à l’époque, c’est moins ma came, mais ça reste un très bon label de musique électronique.
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Tu es signé sur Ed Banger, c’est facile de trouver sa place dans une telle écurie ? Au-delà du succès de Justice qui peut faire flipper quand tu es un jeune producteur, il y a ce truc de côtoyer des gens qui font de la bonne musique, et Pedro est un mec chouette, plein de bonne volonté, qui te met en confiance. Je le connais depuis longtemps, dès que j’ai sorti mes premiers disques, il trouvait ma musique bonne, ce qui m’a motivé à continuer… Tu as besoin d’être motivé, sollicité ? Je crois que l’on a tous besoin de ça, ou alors tu utilises autres choses, la haine et la solitude, ça peut marcher, il faut tout utiliser ! Qu’est-ce que tu utilises toi ? Moi, j’utilise pas mal l’amour quand même !
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Le secret mal gardé. krazy baldhead est originaire de toulon, il apprend les percussions classiques et le piano au conservatoire, il joue dans des petits groupes tout en continuant ses études, il devient ingénieur, il achète des machines musicales avec son premier salaire, et en 2001 il passe le cap et se consacre à sa passion pour les notes, les portées, les samples et ableton.
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c’est le boulot d’ingénieur ou le monde des ingénieurs qui t’ont fait changer de cap ? Les deux, en plus, j’étais au marketing à concevoir des offres, d’une part c’était chiant, d’autre part l’univers ne me plaisait pas. J’ai bossé pour Alcatel, ça m’a gonflé et en 2001 j’ai bossé pour une petite start-up qui développait une chaîne hi-fi avec un disque dur et un écran tactile, avec un seul bouton et connectée à Internet, comme un Ipod, sauf que c’était en 2001 ! Si ça sortait maintenant, ce serait un carton ! Le problème est qu’ils ont coulé ! Je me suis retrouvé au chômage, du coup j’ai eu du temps pour faire de la musique, et envoyer des démos. J’ai sorti mon premier maxi chez Ed Banger en 2004, et avant j’ai eu quelques morceaux à droite à gauche. Des choses embarrassantes ?! (Sourire.) Non pas vraiment ! Je ne peux pas dire que ce sont des trucs que j’écoute tous les deux jours en me disant : « Putain qu’est-ce que j‘étais bon à l’époque ! » Je crois que ça fait partie du processus d’apprentissage, jusqu’à quel point tu peux faire ta pute… c’est important. En 2002, quand j’ai décidé de faire de la musique, je me suis dit qu’il fallait que je fasse des trucs qui marchent pour gagner de l’argent, et du coup je me suis mis à faire des trucs embarrassants… Pas mauvais non plus, mais pas vraiment mon style, ce qui m’a permis de réaliser que je ne gagnerais pas de thunes avec ça… D’en passer par là te permet ensuite d’avoir la conscience de la maîtrise de ton art, ou non… Où se trouve l’équilibre entre ton art et l’alimentaire ? Ah… quand tu as de la chance, tu n’as pas à te poser cette question, quand ce que tu fais marche… Parfois, il faut savoir faire des compromis… Compromis ne veut pas dire compromission ! Je ne sais pas… il faut être ouvert… Qui as-tu contacté quand tu as commencé à faire de la musique ? J’ai contacté tous les labels qui sortaient de la musique que j’aime : Versatile, Ninja Tune… Concernant Pedro [Winter, le patron de Ed
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Banger, encore lui… - ndlr], pour la petite histoire, ma sœur bossait avec la copine de Pedro à l’époque au Palais de Tokyo, j’avais donc entendu parler de lui, et qu’il était dans la musique, je lui ai donc fait parvenir une première démo... Une démo de mes œuvres un peu compromettante ! Il m’a répondu : « ouai, bof ! ». J’ai fait des choses plus personnelles et deux ans plus tard, Pedro était en train de monter Ed Banger, et après un envoi, il m’a rappelé dans la foulée en me demandant si je souhaitais sortir un maxi. Moi à l’époque, je me disais : « Pedro Winter, c’est le manager des Daft Punk, c’est quand même une bonne référence… », même si je n’ai jamais été trop Daft Punk…
de la musique ? Oui, surtout qu’il y a un côté éphémère dans tout ça, c’est ce qui met la pression. Ce n’est pas tant Ed Banger, c’est plus le fait que les modes passent, à grande vitesse et si tu n’es pas dedans tu rates des choses… C’est un mauvais calcul car tu n’as pas à suivre les modes, c’est à toi de les créer…
Tu n’es pas trop dans Daft Punk ? Il y a un petit côté sentimental - on va dire, car je sortais avec une fille qui était fan de Daft Punk, et à côté de ça, elle aimait Manu Chao… J’ai toujours eu ce penchant à ne pas apprécier ce que les autres écoutent. Donc je ne pouvais décemment pas aimer Daft Punk ! A côté de ça, les rythmiques 4.4, four on the floor [rythmique disco et dance music – ndlr], ça ne m’a jamais fait tripper plus que ça. Il y a des morceaux que j’aime de Daft Punk bien sûr, mais One More Time ou Around The World, ce sont des titres que je n’écoute pas. Ça ne me parle pas… A l’époque, j’étais plus dans les Aphex Twin et compagnie, ce n’est pas incompatible mais c’est un autre extrême… J’aime le côté expérimental et recherche sonore chez Aphex Twin.
Pourquoi ton album se nomme The B-Suite ? Le B pour la note Si, tout bêtement. L’idée, c’est une suite en quatre mouvements. Je voulais laisser entrevoir que c’était basé sur un morceau de musique classique, et la nomenclature classique c’est d’annoncer la tonalité du concerto ou de la symphonie, donc c’est une suite en si…
Etre chez Ed Banger, ça met la pression ? Dans un premier temps, ça a été assez difficile d’exister à côté d’Uffie ou Justice, ça fout vraiment la pression, car tu te dis : « Si je veux me faire remarquer, il faut que je sorte un truc qui défonce… », puis vient le moment où tu te dis que ça ne rime à rien et qu’il faut continuer à faire ton truc. On revient au début, tu es maître de ton son et tu ne peux te différencier des autres qu’avec ça. La clé est là, se différencier en étant serein, en prenant du recul, c’est comme ça que tu en retires quelque chose…
Oui, mais c’est aussi l’époque qui veut ça… Complètement, mais je ne souhaite pas m’inscrire dans ce cursus, c’est là qu’il faut avoir le recul nécessaire et savoir ce que tu veux. Si tu veux t’inscrire dans une mode qui a déjà un nom, avec un paquet d’artistes qui sont déjà « has been », ou non…
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Il y a une structure classique dans cet album ? Ce sont quatre mouvements ; l’idée m’est venue en écoutant Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, c’est un morceau que j’écoute depuis mes années d’élève percussionniste à Toulon. Bref, l’an dernier j’ai pensé à une adaptation électro de ce morceau. Je l’ai étudié pour en sortir le thème principal, qui revient dans les quatre mouvements. Je me suis inspiré de cette structure et j’ai créé mes propres thèmes. Je trouve que l’œuvre originale fonctionne très bien, donc j’ai pensé que ça devait aussi fonctionner en version électro. J’ai repris un thème qui apparaît régulièrement, et qui est sousjacent à certains moments. Parfois il est joué par un petit clavier, puis par la basse, après je reprends le côté rythmique du thème avec une batterie, et ça s’entrecroise. Ça n’est pas évident de l’apercevoir, mais ça a été conçu de cette façon à la base.
Il faut de la sérénité pour faire
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interview de ophélie alègre visuels de josh graham
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Ouvrier du métal. scott kelly en est première ligne de neurosis depuis bien longtemps, il n’a cessé de s’investir dans divers projets musicaux qui ne payent pas toujours les factures. entrevue avec un père de famille tranquille qui distille, à l’aide de sa guitare et à coups de tête dans le micro, un mélange de violence et de clarté.
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neurosis existe depuis près de 25 ans, ça fait une belle tranche de vie... C’est toute ma vie d’adulte... J’ai commencé à jouer avec Dave et Jason à l’âge de 16 ans [D. Edwardson à la basse et J. Roeder à la batterie - ndlr], c’était deux ans avant que le début de Neurosis. J’ai 42 ans aujourd’hui, ça commence donc à faire un bail ! Ton fils aîné est même roadie sur la tournée avec vous ! Oui, et il va avoir 22 ans... Je me rends compte que l’on joue depuis vraiment longtemps parce que je ne me rappelle presque pas des vieux morceaux. Je n’ai jamais vraiment réécouté nos disques, et ces derniers temps, j’ai eu envie de redécouvrir ce que l’on a fait. On a toujours préféré aller de l’avant plutôt que de jouer des titres sans en avoir l’envie. Une chose est sûre, c’est bizarre d’oublier sa propre musique... Vous rejouez Through Silver in Blood sur cette tournée. Qu’estce qui vous y a amené après tant d’années ? La période de cet album a été très difficile, et avec le temps nous voulions nous réapproprier ce morceau. On a toujours ressenti une certaine incompréhension à propos de ce disque [Through Silver in Blood, contient un morceau éponyme. Relapse Records, 1996. – ndlr.], dans le sens où beaucoup de gens qui n’ont jamais vraiment saisi notre univers ou qui ne nous ont pas suivis suffisamment longtemps, le trouvent très négatif, alors que pour nous il est plein de lumière. Quand l’idée est venue de raviver Through Silver in Blood, on voulait savoir si le morceau avait gardé son énergie. C’est le cas, et on prend vraiment du plaisir à le rejouer. En général, on préfère interpréter les nouveaux morceaux, mais là, il s’agissait de reprendre ce qui était à nous, avec un nouveau regard, 13/14 ans plus tard... Qu’est-ce que tu entends par nouveau regard ? Oh, c’est juste la vie qui met les choses en perspective... Si tu as suffisamment de chance pour survivre jusqu’à un certain point, tu deviens capable de réfléchir et de comprendre les choses plus profondément. On a eu
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la chance de survivre, sans que ce soit vraiment notre intention... La vie est fragile. Tu veux dire survivre pas seulement en tant que groupe ? Oui, en tant que personnes. Le simple fait que nous soyons encore en vie... Le groupe continuera jusqu’à ce que l’un d’entre-nous y passe. Tu gagnes une façon unique de voir les choses quand tu poursuis ce genre d’expérience pendant si longtemps, avec les mêmes personnes et le même dévouement. Ça représente tellement de temps, de travail, de sacrifices. C’est très intéressant, et difficile à expliquer ; il faut le vivre pour le comprendre. Quelque part c’est un miracle qu’on ait tenu si longtemps.
« si la musique n’aime pas la manière dont je m’y prends, elle me le fait savoir » Tu as expliqué il y a quelques années qu’il avait été nécessaire pour vous de dépasser le climat d’écriture de Through Silver in Blood... Il y a eu une prise de conscience de notre part après cet album, qui est d’ailleurs celui que nous avons le plus joué sur scène. Toute cette période était infernale, après l’avoir traversée on a pris la décision de passer à autre chose. C’était une question de survie, il fallait que l’on prenne de la distance. Le seul morceau qu’on a continué de jouer est Locust Star, qui est à part. Il a une autre histoire et une autre signification pour nous. Si on nous avait suggéré de jouer Through Silver in Blood il y a un an, on n’aurait certainement pas trouvé l’idée bonne. Cette année quand on l’a réécouté, il nous a paru dégagé de tout ça. Désormais, on puise ailleurs quand on
le joue. Pour moi, il n’évoque plus les mêmes images, la même énergie ni la même violence. C’est différent, c’est bien plus fort. Quel retour avez-vous eu ? Vraiment bon. On a rejoué Through Silver in Blood pour la première fois au Roadburn en avril [festival à Tilburg en Hollande, au sein duquel Neurosis a organisé une nouvelle édition de son propre festival, Beyond The Pale cette année - ndlr.]. On n’en a délibérément pas parlé, on voulait le faire sans que personne ne s’y attende. On a baissé les lumières en fin de set et discrètement amené les percussions... puis on a attaqué le morceau. C’était impressionnant, l’énergie était très intense. On a toujours été un groupe qui se nourrit principalement de sa propre énergie, qu’il y ait cinq personnes ou 500 dans la salle, on joue pareil. Comme suite à cette bonne expérience, on a décidé de garder le morceau. C’était aussi intéressant ressusciter les percussions, c’est un élément qu’on avait laissé de côté mais qui a vraiment sa place dans ce qu’on fait.
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Vous en êtes où du prochain album ? On a un squelette, et après cette tournée on se concentrera dessus. Ça prend du temps... Sans compter que vous êtes éparpillés géographiquement... Oui, mais ça n’a pas vraiment d’incidence, on travaillait à distance bien avant déjà. Internet permet beaucoup de choses à ce niveau-là, et maintenant on peut partager encore plus d’idées. On s’échange beaucoup de démos, jusqu’à ce qu’on se retrouve dans notre local à Oakland pour répéter. La majorité du groupe est restée là-bas, sauf Steve et moi. De toutes façons, on joue ensemble depuis si longtemps qu’on n’a pas besoin de passer par toutes les étapes pour construire les morceaux. Par contre, les arrangements, les sons, les samples, les mots prennent forme lentement. Parfois ça se passe vite, comme pour Enemy of the Sun qu’on a écrit en trois mois. En règle générale, il nous faut environ un an et demi pour écrire un album. Tu
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propres projets... J’ai un projet solo, qui est une expérience très intéressante et très différente. C’est acoustique et épuré, l’écriture y est simple comparée à Neurosis. Noah [Landis, qui est aux claviers de Neurosis - ndlr] et moi faisons aussi Blood and Time, qui est en repos pour le moment bien qu’on ait un tas de morceaux qui sont prêts à être enregistrés. Je joue aussi dans Shrinebuilder, un autre groupe très différent. Le disque sortira en octobre [sur Neurot Recordings, le propre label de Neurosis – ndlr.], on fera des concerts en novembre aux Etats-Unis, puis en Europe en avril prochain, notamment au Roadburn… Comment ce nouveau groupe s’est-il formé ? Ça a commencé entre Al et Wino [Al Cisneros de Om et Scott «Wino» Weinrich de Saint Vitus/Hidden Hand – ndlr.], puis Al m’a demandé de les rejoindre. Ensuite, Chris [Hakius - ndlr], le batteur d’origine qui jouait aussi avec Al dans Om a quitté les deux groupes. On a discuté de qui on souhaitait pour le remplacer, Dale Crover [de The Melvins – ndlr.] était en haut de la liste, et il a accepté. Al, Wino et moi avions déjà beaucoup d’éléments pour commencer. C’est direct, un peu psychédélique à la Black Sabbath, mais avec Dave à la batterie c’est bien violent. Il joue vraiment comme un animal !
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Tu sembles plus occupé que jamais !? Oui, et j’ai encore beaucoup à faire. Je ne suis pas disposé à la détente... Je suis toujours en train de m’activer. J’ai l’impression que je ne suis pas là pour glander, mais bien pour accomplir quelque chose. Et en plus de la musique, tu fais une émission de radio...
« les mots ne peuvent pas tout dire, bien qu’ils soient très utiles. » Je fais cette émission pour le plaisir. Ce n’est pas vraiment un travail, bien que de le faire chaque semaine demande un certain dévouement. Ça me plait de passer de la bonne musique, parler de tout, de rien. Parfois c’est juste histoire d’enchainer des morceaux qui me font triper. Une petite communauté est en train de se créer autour de la station, les animateurs vont et viennent, j’aime la façon dont ça évolue et grandit…
La station Combat Music Radio est soutenue financièrement par les gens qui l’écoutent, c’est bien ça ? Oui, on essaie de garder la forme de contribution libre, mais on va peutêtre devoir mettre en place une formule d’abonnement. Là, si mon Mac plante, je n’ai pas les moyens d’en acheter un nouveau. Comme je l’ai depuis environ cinq ans et que je l’emmène partout, il commence à être en bout de course. On a suffisamment de contributions chaque mois pour payer les factures, mais on n’aurait pas de quoi couvrir des frais conséquents en cas de pépin par exemple. Tu écris un blog depuis la fin 2008, où tu partages des récits parfois très personnels. Aurais-tu un projet de livre ? Je me suis mis à travailler sur l’écriture et j’aimerais écrire un livre. Le souci c’est que j’exposerais des gens en partageant ce que j’ai vécu, et je ne suis pas encore complètement à l’aise avec cet aspect-là. Un des cotés bénéfiques de Neurosis est de pouvoir canaliser tout ça via la musique et les paroles, d’une manière ouverte et vague à la fois, de façon à ce que chacun puisse s’en faire sa propre interprétation. Je me suis demandé si je trouverais mon compte à écrire de la fiction… Il faut que j’en parle avec des gens qui ont cette expérience. Là, j’ai seulement commencer à explorer ce que j’avais dans la tête...
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Quelqu’un comme Eugene Robinson par exemple, qui écrit et anime aussi une émission sur KMBT? Oui, il écrit beaucoup, dans plein de domaines différents. Il est effectivement la personne vers qui je me tourne pour avoir un avis sur mes textes. C’est quelqu’un de très honnête, qui sait mettre le doigt sur ce que j’ai besoin de travailler et d’éclaircir. J’apprécie beaucoup sa manière de penser. Est-ce que tu cherches à exprimer différemment les choses qui t’ont toujours animé ? Il semble que je sois attiré par le fait de communiquer plus clairement depuis quelques temps. C’est ce que je fais déjà avec mon projet solo. Ça va peut-être paraitre bizarre à dire, mais je vis la musique comme quelque chose qui me traverse et que je ne contrôle pas vraiment. Si la musique n’aime pas la manière dont je m’y prends, elle me le fait savoir. Pour mon projet acoustique, il est important que les mots soient précis, que l’histoire soit racontée sans détour. Dans ce sens, je suis content de mon dernier album [The Wake, sur Neurot Recordings – ndlr.], mais il reste à faire. Parlons de ton penchant pour les sports de combat... J’apprécie énormément le combat d’un point de vue sportif. Mon rapport à la violence est très étrange, je ne le comprends pas vraiment. J’ai
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reçu pas mal de coups, j’en ai donné, malheureusement pas toujours dans le bon sens. J’ai tendance à exploser, mon tempérament est parfois très destructif, mais j’essaie de l’assumer, bien que je ne souhaite pas être comme ça. J’apprécie la science du sport, j’en apprends beaucoup. C’est comme dans le yoga, cette conscience du corps, la compréhension des mouvements. La violence est une
« si mon mac plante, je n’ai pas les moyens d’en acheter un nouveau. » manière de s’exprimer de façon très directe, et d’après mon expérience il n’y a parfois pas d’autre moyen, c’est pour ça que la musique est si importante pour moi. Les mots ne peuvent pas tout dire, bien qu’ils soient très utiles. C’est étrange, mais je suis très attiré par le spectacle du combat, j’aime disséquer ce qui se joue entre ces deux personnes, surtout à un haut niveau. Ce sont des gens qui savent exactement ce qu’ils font, qui s’entrai-
nent sans relâche. J’ai grandi avec les sports de combats, car mon père était boxeur. J’aime ça, bien que parfois ce soit dérangeant de voir quelqu’un subir. La violence est souvent horrifiante et montre le pire coté de la nature humaine, mais c’est comme l’amour... Je considère qu’il y a toujours deux cotés à toute chose. Quand je regarde un combat, j’y vois quelque chose de tellement originel. Il y a un enjeu, et les gars vont juste régler l’affaire. Pour moi l’énergie primitive est toujours la plus forte, bien que ce soit ce dont je me sens le plus coupé dans ce monde. Donc plus je rentre en contact avec, mieux c’est.
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Comment tu définirais l’énergie primitive ? C’est ce que tu sais sans qu’on ne te l’ait jamais dit, ce que tu fais naturellement, bien qu’on en soit de plus en plus éloigné avec tout ce béton, les ordinateurs, la télévision et toutes ces conneries de distractions. C’est le sexe, le combat, travailler la terre, les forces naturelles... Ce sont ces énergies qui m’attirent, dont je ne me rassasie pas. Je pense que c’est pour ça que j’ai quatre enfants ! Je n’en aurai pas plus parce que je ne pourrais pas l’assumer financièrement. J’adore élever mes enfants, il n’y a rien de plus important. www.neurosis.com www.neurotrecordings.com www.combatmusicradio.com/returntozero www.weburnthroughthenight.blogspot.com
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interview & photographies de sébastien charlot
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KickbacK
Les derniers du culte.
kickback ! le nom raisonne depuis près de vingt ans. un groupe de hardcore pur et dur, qui n’a jamais fait de concession, qui a donné à la foule en délire ce qu’elle méritait, un groupe qui a su surfer sur la polémique, en l’alimentant à moindre effort, un groupe seul contre tous… discussion avec stephen, leader charismatique, chanteur et porte parole d’une génération qui repose en paix.
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les grandes lignes de kickback, ce serait quoi ? Les grandes lignes de Kickback ?! Kickback pour faire court, je suis membre fondateur ; 1991, une première démo, ensuite un 45 tours, deux albums et un six titres chez Virgin/Hostile, et là un nouvel album qui vient de sortir, t’as pas fait ton boulot toi ! (Sourire.) Il y a tellement de choses à dire… Kickback, c’est l’un des premiers groupes français influencé par la scène hardcore new yorkaise, qui a pris ensuite son propre chemin et qui est devenu une entité à part entière. Elles proviennent d’où vos influences ? La motivation première de Kickback était de faire un copier/coller de ce qui se faisait à New York en terme de hardcore pur et dur, avec comme référence des groupes comme Breakdown, Rawdeal, Dmize… Au bout d’un moment, on a pris une autre tournure car j’ai d’autres influences. La scène hardcore n’existait pas en France, c’était assez jouissif pour nous d’arriver et de jouer un son que les gens ne connaissaient pas. On jouait dans des lieux où il n’y avait que des groupes de punk, on arrivait avec un son très brut, très différent de ce qui se faisait, et les gens ont accroché. Ensuite, il y a eu une tentative de former une scène, de faire une pseudo-copie de ce qui se faisait aux Usa, chose qui est totalement impossible quand tu vois que la plupart n’étaient que des paysans de Bretagne, ou je ne sais quoi. C’était assez risible et pathétique, donc on n’a pas souhaité y participer, pour rester dans notre propre truc, à faire ce que l’on voulait faire. On n’est pas resté un groupe NYHC [New York hardcore – ndlr], Kickback a sa véritable identité. Le milieu hardcore français est anxiogène ? A la base, je viens du punk. On s’est inspiré de la scène NYHC, mais les premiers groupes que j’écoutais c’était Black Flag, Circle Jerks, The Germs… Ce qui m’a toujours plu, c’est le côté individualiste, chaque groupe fait son propre truc. Il n’y avait pas ce côté hippie que l’on a pu retrouver à un moment, d’essayer de s’unir, faire la scène, ce n’est pas parce que tu écoutes la même musique que moi
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que tu vas être mon pote. J’ai toujours fréquenté des gens qui n’avaient rien à voir avec le hardcore, des gens intéressants par rapport à leur vécu. Le concept même du hardcore, ce sont des gens qui n’ont pas envie de se mêler aux autres, qui sont un peu sociopathes - même beaucoup - c’est un peu là où se trouvaient tous les asociaux, et s’ils se retrouvaient-là c’est que c’était un besoin, le côté cathartique ou exécutoire. Je n’ai pas retrouvé cette démarche en France, donc je n’ai pas voulu faire partie de ça… Dès le début en fait, on a pris de la distance, avec la volonté de ne pas participer à cette pseudo-famille…
« si on quitte le hardcore, on aura laissé une merde sur la moquette en partant ! » La musique, c’est cathartique pour toi ? Il y a un peu de ça, mais pas seulement… Si j’ai choisi ce genre de musique, c’est que déjà… j’avais besoin d’évacuer, parce que c’est quand même une musique violente ! Il y a forcément un truc exutoire, mais c’est aussi un vecteur pour faire circuler pas mal d’obsessions que j’ai, ça n’est pas seulement ce truc punk et hardcore basique de haine, de colère et de frustration. C’est souvent ça quand tu commences, mais d’autres choses s’ajoutent, sinon ça reste un truc d’ados rebelles… Fuck the world… Tu as une vision à long terme de Kickback ? Ah non ! pas du tout, mais alors là pas du tout ! Loin de là… Jamais ! On est juste très exigeant par rapport à nous-mêmes. A partir du moment où ça nous tient à cœur, on n’a pas envie
d’abandonner, ni de baisser les bras, on souhaite continuer car on n’a pas envie de lâcher. Il y a cette persévérance, qui n’est pas liée au commercial ou autre, c’est uniquement par rapport à nous-mêmes. Si Kickback doit s’arrêter, c’est juste que l’on n’aura plus envie de le faire, parce que j’en ai plein le cul et que je ne me forcerai jamais… Bon, tu dois quand même te forcer à faire certains trucs ! Parce que le but premier est de faire de la musique, et tu dois faire des compromis… (Sourire.) Comme de faire des interviews promo ! Voilà ! Ou alors gérer des musiciens, c’est du baby-sitting par moment. Il n’y a pas de plan pour Kickback. On s’est dit que le jour où on arrêtera, c’est parce qu’on aura envie d’arrêter. Tant que ça me fait plaisir, que ça me fait jouir, je le ferai… Il y a une grosse part de jouissance dans Kickback, les gens ne s’en rendent pas toujours compte ; ça parle de violence, de haine, mais c’est un plaisir intense, ça me fait bander de le faire…
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D’où un certain goût pour la polémique ? Je ne suis pas au courant… Tu n’as pas un certain goût pour la polémique ?! Moi, je n’ai le goût de rien du tout ! (Sourire.) On n’est vraiment pas dans une démarche de provocation, on ne fait pas les choses pour choquer les gens. On fait plutôt des choses pour les gens qui pensent comme nous… On fait de la musique que l’on a envie d’écouter, dans l’album on dit : « This is for us, this is not for you » parce que c’est ça Kickback. On n’a pas la volonté de plaire, à part à nous-mêmes. Il y a des gens qui pensent comme nous, mais on n’essaye pas de provoquer les autres. Par contre, je comprends tout à fait que des gens soient choqués, car aujourd’hui on vit dans une ère très politiquement correct, tout est aseptisé, donc c’est clair que si tu soulèves quelques sujets tabous, ça fait rapidement tâche, mais nous, on s’en fout. C’est un phénomène externe, je ne le vois pas tout ça… Je ne sais pas si le terme polémique est approprié, mais vous avez des
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facilités à chier à la gueule de tout le monde… Bien sûr qu’on leur chie dessus ! On n’est pas là pour aller dans le sens du poil, mais notre démarche n’est pas provocatrice, loin de là… On n’est pas non plus des humanistes, on a un côté misanthrope, nihiliste. On a aussi des thèmes récurrents, comme le Marquis de Sade, qui fait toujours grincer des dents… Il y a aussi le fait qu’avec Kickback, on n’a jamais souhaité avoir d’étiquette, on a toujours refusé ça. En France, et même ailleurs, si tu n’as pas d’étiquette, les gens ne savent pas où ils mettent les pieds… à partir du moment où c’est un peu flou, un peu bancal, ça panique, c’est la confusion… C’est aussi une arme la confusion. Mais ça ne me plaît pas plus que ça, je préfère être haï, ça ne me gêne pas. Quand je vois certains publics, je préfère qu’ils ne m’aiment pas ; s’ils m’aimaient, je me poserais des questions… Le succès te fait chier ?! Non ! Alors là pas du tout ! Si demain des millions de personnes achètent l’album, je trouverai ça bien… Mais quand je vois le niveau des gens, leur façon de penser, ce qu’ils écoutent, je comprends qu’ils ne nous aiment pas… et à la limite, je préfère ! Tu vivrais ailleurs qu’en France ? Non, car je crois que c’est partout pareil. Tout est calqué sur le même moule, je ne crois pas que ce soit relatif à la France. J’en parle car c’est là où on a évolué, ce sont les réponses que l’on a eues à un moment. Ils essaient vraiment de tout aseptiser, à tous les niveaux. Ça vient d’où le logo «Que le hardcore français repose en paix» ? Le logo, c’est la carte de France avec un cadre rouge, c’est un clin d’œil à Gaspar Noe. C’est un logo que tu retrouves dans le film Seul contre tous. Que le hardcore français repose en paix, c’est un clin d’œil à Booba, car il a fait un morceau qui s’appelle Que le hip-hop français repose en paix. Booba a une attitude intéressante dans son discours, on se retrouve dans le concept ; il est dans le hip-hop et il dit : « J’en ai rien à foutre du hip-hop ». Il y a ce putain de hip-hop de merde,
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il en fait, mais il s’en fout ; nous c’est pareil, on s’en fout du hardcore. On fait ça parce qu’on a besoin de le faire, le hardcore français, je m’en fous… Ils le veulent, je le leur donne ! Je ne veux surtout pas être affilié et assimilé à quoique ce soit, à quelques niveaux que ce soient… Kickback c’est un électron libre, un parasite, tout ce que tu veux… C’est autobiographique Kickback ? Autobiographique, je ne sais pas, mais c’est souvent lié à des choses personnelles de ma vie : la philosophie, la littérature, et à des expériences… Et le graffiti aussi ? Le graffiti, ce sont surtout des gens avec qui j’ai trainé, je n’ai jamais voulu mélanger ça avec Kickback. Il y a donc eu un logo fait par des potes, et ça s’est arrêté là. J’aime les choses pures. Tout ce qui est fusion, je trouve que c’est souvent foiré. Pour un logo, je trouve que ça va bien pour Kickback… Vous êtes les intellectuels du hardcore ? Intellectuels non, mais il y a toujours eu des références littéraires dans Kickback. Quelles sont-elles ? Ça a varié au fil de mes lectures, au fil du temps, à l’époque de l’album Forever War, j’étais à fond dans Nietzsche. Il y a beaucoup de ça dans l’album, il y a même le refrain du morceau Heaven And Hell. Pour Les 150 passions meurtrières, c’étaient des gens comme Sotos et le Marquis de Sade bien entendu, aujourd’hui les références c’est Georges Bataille et Jünger, ça vient se greffer au fil du temps, ça bave toujours sur Kickback. Si tu écoutes attentivement, tu retrouveras toujours ce que je lis. C’est subtil, ça peut être dans les samples, dans certains morceaux ou dans les remerciements. Elles sont cachées, elles sont disséminées dans toute l’œuvre depuis le début, mais elles sont toujours-là… Kickback, c’est une œuvre ? (Soupir.) Bof… c’est des étrons que l’on dépose ! Si on quitte le hardcore, on aura laissé une merde sur la moquette en partant !
« ça parle de violence, de haine, mais c’est un plaisir intense, ça me fait bander de le faire… » Pourquoi avoir samplé le boucher du film Seul contre tous de Gaspar Noe ? On l’avait déjà samplé sur Les 150 passions meurtrières, le six titres sorti en 2000, c’est donc un clin d’œil. Ça reste cohérent avec notre univers, et le fait est que j’adore ce que fait Gaspar, c’est quelqu’un que je connais, et le personnage du boucher, c’est un personnage ! On avait un trou dans le morceau, et on a mis ce passage, ça fait parti de l’univers Kickback… Le boucher et Kickback même combat ? Même combat, je ne sais pas, mais je crois que Gaspar a la même démarche que nous dans la façon de faire son travail. C’est quelqu’un qui n’a rien à foutre du regard extérieur, qui fonctionne qu’avec des obsessions intérieures enfouies. Il a ça en lui et il faut que ça sorte. Il est perfectionniste et il est très critique sur le cinéma, on a pas mal de goûts en commun. Il se dit que Gaspar Noe fera de bons films quand il aura décidé d’arrêter de vouloir faire chier le monde, tu en penses quoi ? C’est un branleur des Cahiers du cinéma qui a dit ça ! Je trouve ça bien de faire chier le monde, mais il ne faut pas que ça devienne ta démarche, sinon c’est pathétique. Quand je vois le niveau des gens, je préfère les faire chier, après que ce soit une démarche de faire chier le monde, c’est très réducteur. Gaspar est au-delà de ça, si je veux faire chier le monde, je le fais en deux secondes, je fais un truc
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de merde, ou tu fais du Costes… Même si la démarche première de Costes, ce n’est pas de faire de la merde… Tu aimes Costes ? Oui, ça me fait énormément rire ! Sur scène je n’aime pas trop, mais ses albums sont incroyables, c’est du génie. L’album sur NTM est fabuleux. Je pleure de rire en écoutant Costes ! Pour en revenir à Gaspar Noe, il revendique de vouloir faire des films qu’il ne voit pas au cinéma, tu fais de la musique que tu n’entends pas… Maintenant je pourrais le dire, avant non… On a le souci de faire de la musique qui nous plaît et c’est difficile, on est exigeant et rarement satisfait… C’est la première fois, avec cet album, que je suis vraiment comblé avec Kickback. Les gens aiment les vieux albums et ça, je ne le comprends même pas. Le dernier, je le défends car je l’adore, même s’il a plein de défauts. On commence à atteindre ce que l’on a envie de faire.
Il y aura donc des albums à venir ? Je ne peux pas te le dire. Entre
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Kickback et ma vie personnelle, je ne sais même pas ce que je vais faire dans deux mois. Pour l’instant, on a un label qui s’occupe de nous, on fait des tournées, donc pourquoi pas… On ne fera pas l’album de trop comme dirait l’autre ! Jamais ! Mais je vois comment les choses évoluent et prennent formes, et j’ai des envies. Le nouveau guitariste, Damien, a apporté un nouveau souffle au groupe. Avec cet album, on est resté dans les limites de ce qu’est Kickback, je crois que maintenant on peut aller plus loin, on a passé un cap… Tu es cynique ou nihiliste, ou les deux ?
« la race humaine ne nous intéresse pas, les misanthropes sont chiants »
Non ! Libertin et bon vivant beaucoup plus. C’est évident que l’on n’est pas humanistes, la race humaine ne nous intéresse pas, les misanthropes sont chiants, je préfère les gens qui aiment la vie, le côté plus jouissif, on va dire ! « Le monde n’est habitable à la condition que rien n’y soit respecté », on peut entendre cette phrase dans l’album, ça vient d’où ? C’est Georges Bataille qui a dit ça… une grosse influence pour ce disque. Je pense que tu ne peux pas avancer si tu te mets des barrières et des limites, surtout pour des mauvaises raisons, pour des concepts moraux. Tu peux avoir une éthique, mais pas de morale… Si tu lis Sade, tu comprends ! Il y a les passages philosophiques et les passages de cul… les deux sont très intéressants, c’est intemporel… La morale, c’est ce qui tue le monde ? Ce n’est pas ce qui tue le monde, mais c’est quelque chose dont je ne m’embarrasse pas !
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interview & photographies de sébastien charlot
Zoxea au 104.
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zoxea fait partie du groupe de rap les sages poètes de la rue, il a 34 ans, il est auteur-compositeur-interprète, et en résidence jusqu’à la fin de l’année au centre d’art contemporain de la rue d’aubervilliers à paris, le 104. il y prépare un album et anime des conférences, nous avons souhaité en savoir plus sur cette initiative et sur celui qui a promis de rapper jusqu’à 60 piges…
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comment tu t’es retrouvé au 104 ? C’est un pur hasard, je suis tombé sur une publicité concernant le lieu, il s’avère que c’était à un moment où je souhaitais faire un album. Le 104 est un établissement qui met en valeur la création des artistes, et comme depuis cinq ans, j’ai une nouvelle façon d’écrire, j’écris mentalement mes textes, sans feuille ni stylo, je trouvais que ça collait avec l’esprit que l’on retrouve au 104. Je leur ai proposé mon projet, et ça leur a plu. On a commencé avec un mois d’essai, qui a été satisfaisant, pour ensuite aller jusqu’en octobre 2009. J’ai obtenu un local vide, que j’ai aménagé à ma sauce, en contrepartie, j’ouvre mon atelier le dimanche pour expliquer ma façon de travailler, faire découvrir des morceaux, des anciens titres, j’échange sur le rap, ma façon de voir le hip-hop, il y a un contact avec le public, et à la fin de la séance, on ouvre les micros… Je faisais déjà ça à l’époque à Boulogne, avec les groupes du coin ; ce côté partage, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé. Au 104, ça donne une dimension plus artistique, ça met le rap à un autre niveau… Tu as été surpris que le rap soit accepté dans une telle enceinte ? Non, je fais du rap, mais avant tout de la musique. Des gens ont des aprioris sur le rap, par rapport à ce qu’ils peuvent entendre, ou à ce que le rap véhicule, lors des ouvertures du dimanche, on peut côtoyer aussi bien des b-boys, que des personnes âgées ou des parents qui viennent avec leurs enfants, et parfois des gens viennent te parler, t’expliquer qu’ils avaient une vision différente du rap… Qu’est-ce qui a motivé le 104 à te soutenir ? Je pense qu’ils ont vu qu’avec nos petits moyens, on arrivait à faire bouger le quartier. Ce sont des moments agréables ces réunions, on fait notre travail et ça se passe bien… Quelle est ta fréquence de travail au 104 ? Je suis là pour faire mon album, Tout dans la tête, que j’ai envie de découper en deux parties, l’esquisse avant le chef-d’œuvre, donc de produire un
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gros boulot, parce qu’avec un titre comme ça, tu es obligé d’assurer ! Je viens travailler ma musique chaque jour, et par rapport à l’ouverture de mon atelier, j’ai beaucoup échangé avec des gens et des rappers, c’est un baromètre… Ça canalise ton album par rapport à des fans potentiels ? Oui, c’est un moyen aussi de discuter avec des gens qui suivent ton activité, qui parfois ont été déçus, et c’est intéressant de savoir pourquoi. Je fais écouter des morceaux que j’ai enregistrés, et je prends la température. Plus les ouvertures avançaient, plus mon travail avançait, et j’en suis arrivé à me dire que pour faire un chef d’œuvre, il fallait que je fasse 90% voire 100% des musiques, pour que mes paroles soient en adéquations avec mon son. Tu n’avais pas fait ça avant ? Non, j’ai toujours eu sur mes albums deux / trois productions à moi, les gens ne sont pas tout le temps au courant que je suis un producteur ! Je ne l’ai pas assez mis en avant, hors c’est un atout, et je pense que c’est parce que j’avais un manque de confiance de chanter sur mes productions, A ce point là ?! Oui, et j’ai fait le deuil de tout ça, je suis prêt. J’ai fait au moins 140 productions, sur toute une carrière, j’en ai choisi soixante-dix, puis trentecinq, j’en voulais onze, ou vingt-deux si je fais un double… A trente-cinq, je n’arrivais plus à choisir, donc on s’est posé avec mon équipe, et on s’est mis d’accord sur vingt-deux titres, que j’écoute tout le temps. Quand je suis en voiture ou en studio, je m’imprègne… Avant on choisissait une musique et on l’écoutait pendant une semaine, on s’imprégnait et on écrivait chez nous, c’était réfléchi. Aujourd’hui le beat est lancé, et ça gratte directement, c’est bien le côté impulsif, instinctif, mais si tu veux faire un morceau consistant il faut y passer du temps. Tout comme un chef-cuisto prendra son temps pour faire un bon plat ! Tu penses que le rap c’était mieux avant ? J’ai fait un titre qui s’appelle comme
ça pour mon prochain album, il n’est pas encore retenu. Il faut dire que j’aime bien la provocation, mais c’est vrai que cette phrase « le rap c’était mieux avant » est redondante. A une époque, mon entourage préférait le rap d’avant, c’est ce que j’ai entendu, ce n’est pas moi… Si j’essaie d’analyser, peut être qu’au niveau de l’état d’esprit, des choix des musiques, et encore… Je suis venu à une ouverture de ton atelier, j’ai été surpris de la mixité, de l’ambiance, et surtout par des petits gars en fluo qui sont venus rapper… Oui carrément (sourire.), tu dois parler de POS, c’est vraiment un exemple de ce que j’aime dans le hip-hop, ils se sont liés avec les gars du quartier, il y a une amitié qui est née, musicale, pour nous c’était comme ça à l’époque… Je pense que c’est toujours comme ça, on est juste décalé… Tu penses ? Oui, j’ai l’impression que ça a changé car à ton époque vous étiez défricheurs de son, technologiquement c’était aussi très différent, mais je pense que l’émotion est là, quand les petits gars chantent, c’est intact… Oui, pour moi ce petit groupe, il est frais, mais ils vont aussi revendiquer d’être restés bloqués sur des morceaux de l’époque ! C’est paradoxal non ? C’est une réalité et pourtant ce sont des jeunes, c’est la nouvelle génération !
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Dans ton intervention, tu parlais de sampling, tu en fais toujours autant ? Dans mon album qui arrive, il y a de la composition et 70 % de samples. On va revenir sur le rap d’avant, surtout au niveau de la musicalité. En France, on est un pays de mélodies, on aime les belles mélodies, on a grandi avec ça. La chanson française, c’est des mélodies qui ont marqué, et aujourd’hui, c’est comme si on ne savait plus faire de mélodie dans le rap, c’est aussi valable pour la variété. Il n’y a plus une qui va sortir du lot. Faire de vraies mélodies qui vont accrocher, ça n’est pas donné à tout le monde. Nous, à l’époque, c’était beaucoup l’émotion qui nous guidait, on samplait des classiques !
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« quand tu as décidé, ou la vie a décidé, que tu serais un artiste, ce genre de questions il vaut mieux les mettre de côté ! » 36
Seth Gueko revendique le fait qu’il faille sampler de la musique française, que c’est important, tu es d’accord ? Bien sûr, un de mes potentiels hit, c’est un échantillon français mais pas grillé, donc si le morceau fait du bruit et que je me fais cramer, tant pis ! mais ce genre de titre, je ne peux pas le mettre à la trappe, j’ai le nom du gars au cas où il faut faire des déclarations… C’est quoi ce concept de Tout dans la tête ? J’en suis venu là il y a cinq ans parce que je m’ennuyais, honnêtement je suis quelqu’un qui aime bien la compétition, celle qui te permet de te surpasser. J’ai toujours fait partie de collectif où ça rappait, et il y en avait toujours deux ou trois qui étaient dangereux au micro, et ça te pousse à progresser ! Ces derniers temps, avec l’état actuel du rap, c’est devenu un peu individualiste, tout le monde fait son truc dans son coin. Du coup, je me suis dit j’allais me surpasser, et j’ai décidé d’opter pour cette technique, comme Jaÿ-Z et Notorious, d’avoir tous les textes dans ma tête… Ils revendiquent cette manière de travailler ? Oui, j’ai aussi entendu dire qu’ils écrivaient quelques mesures, et qu’en-
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suite il continuait dans la tête… Je me suis dit que j’allais faire ce truc à fond, ça donne un coté plus direct dans ce que tu dis, et quand tu es derrière le micro, il n’y a plus la barrière de la feuille qui t’impose un certain flow. Je suis aussi quelqu’un qui aime l’improvisation et qui a toujours fait ça, c’est donc un cheminement naturel et pour l’instant c’est quelque chose qui m’inspire. Je ne dis pas que je ne reviendrai pas au stylo, mais pour faire un chef d’œuvre, ça me va bien ! Ça n’est pas trop frustrant d’avoir autant produit de musique et qu’elle ne soit pas diffusée ? Non… sinon ça fait dix ans que je me suis auto-frustré alors ! J’ai plein de sons dans la bécane, mais je ne suis pas le genre de producteur qui va amener un CD d’instrumentaux en maison de disques ou qui va proposer des sons à tout le monde. Si je dois faire un son pour un pote, il faut qu’il me traine en studio avec ma Mpc pour finaliser le morceau… Les micros ouverts du dimanche ont été un baromètre, et de voir les gens qui freestylaient sur mes morceaux, de constater que certains fonctionnaient très bien et d’autres pas du tout, ça m’a ouvert les yeux. La frustration dans laquelle j’étais, elle est terminée. Dans ma sélection, il y a vingt-deux titres, et je sais que je ne ferai pas un album de quarante titres, donc ils sont disponibles. Ils apparaîtront un jour ! Il y a mon album, celui de Dany Dan, celui des Sages Po’ qui doit se mettre en place, c’est devenu un atout tout ce son ! L’avenir du rap français passe par les résidences artistiques ?! Oui, pourquoi pas, on s’est toujours revendiqué précurseurs avec les Sage Po’. On a essayé des choses, qui ont parfois été critiquées, mais aussi reprises par tout le monde, comme par exemple les refrains chantés par des rappers eux-mêmes. C’est quelque chose que l’on fait depuis le début, et c’est récurrent aujourd’hui parce que 50 Cent l’a mis au goût du jour. Tout les gens qui sont venus ici ont trouvé l’initiative intéressante, c’est un concept qui plaît. ça provoque des rencontres et ça amène le rap à un autre statut que celui de fait-divers, car quand tu as une page dans le jour-
nal le Parisien qui parle du rap, c’est souvent untel s’est embrouillé avec untel… Alors que des actions comme celles-ci, le fait qu’on ouvre une porte, qu’on prenne du temps pour partager notre musique avec des gens, elles n’intéressent finalement qu’assez peu les médias… Tu aimes toujours le rap français ? Oui, j’ai toujours aimé le rap français, et c’est vrai que c’est une mode de dire : « je n’aime pas le rap français… ». J’ai commencé le rap grâce aux américains, bien sûr, et c’est de là que c’est venu, mais une fois que l’on a réussi à attraper le truc, à toute les époques il y a des bons morceaux qui sont sortis. Et quand on ouvre l’atelier, des jeunes qui viennent rapper m’impressionnent ! Ils méritent d’avoir des supports, de rencontrer des gens comme nous qui avons une certaine expérience, qu’ils puissent en profiter, dépasser un certain stade, pour ensuite passer le flambeau à d’autres. C’est comme ça que la musique évolue, il faut prendre des risques et tendre le micro, partager… Tu te vois rapper jusqu’à 60 piges ? Franchement oui ! c’est vrai que ce morceau est second degré, mais quand je dis ça, ça signifie que j’aime la musique, c’est toute ma vie, je n’ai fait que ça, au même titre qu’un jazzman ou un rocker ne se prend pas la tête à savoir jusqu’à quel âge il va chanter. Les médias ont fait en sorte que le rap soit une musique de jeunes, d’adolescents, une mode, donc on voudrait nous mettre dans une case, et certains foncent dedans… Non ! On est des musiciens, on a choisi la musique, le rap, et on fera quoi après ? Bien sûr, certains ont l’âme business et s’en sortiront, mais les autres ? La musique c’est ma passion, c’est ce que j’aime, si dieu le veut j’en ferai tant que j’aurai cette fibre en moi, sans me poser la question de l’âge… Tu crois qu’il y a des questions qu’il ne faut pas se poser ? Quand tu as décidé, ou la vie a décidé, que tu serais un artiste, ce genre de questions il vaut mieux les mettre de côté !
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Avril 65 / En guerre avec un amour infni.
un monde où les lois sont faites pour _protéger _ _ _ _ les intérêts économiques des uns ou des autres. »
implacable, de la__répression. __ __ __ __ D’abord eux, puis ensuite ce sera au tour de tous ceux et celles qui oseront réfléchir par eux-mêmes. _La_ justice _ _ _ n’existe plus dans
a contrario de ceux qu’ils combattent. L’apathie n’est plus une attitude acceptable, le temps est venu de montrer leurs _déterminations _ _ _ _ _ _ et celle qui s’annonce,
la _Libération _ _ _ _ _Animale _ _ _ sont avant tout des_gens _ _ ordinaires _ _ _ _ qui ont choisi d’être la voix de ceux qui ne peuvent parler. Aucun d’entre eux n’a de _sang _ _ sur les mains,
Considérés comme «Menace _terroriste _ _ _ _ domestique» n°1 dans la plupart des pays d’Europe et aux États-Unis (avant l’intégrisme islamiste), les soldats inconnus de
Elle ne porte pas de nom, on peut la résumer en deux idées simples : Les Animaux sont les _esclaves _ _ _ _modernes _ _ _ _ - Les Animaux ont des Droits.
« Je suis le photographe d’une _guerre _ _ _ silencieuse _ _ _ _ _ qui fait rage partout dans le monde, et qui fait _60 _ milliards _ _ _ _ de victimes chaque année.
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ne riez plus des défenseurs des animaux», elle l’est, mais sans fusil ni sang sur les mains…
politique, rêve de loi anti-sabotage pour pouvoir tuer en paix, et elle a imprimé une brochure à l’attention de leurs fidèles adhérents. «La menace est réelle,
France. Premier ‘hunt sabotage’ qui a changé le visage de l’activisme en France ce jour-là. Depuis, la fédération des chasseurs, très influente au sein de la
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ou violer un enfant pour la même sentence.
se soutenir mutuellement, d’affronter l’avenir et la tempête. John a fait six années de prisons pour avoir libérer des animaux. En France, tu peux tuer quelqu’un
comme un camp d’entrainement terroriste, soi disant que l’on y apprend à faire des bombes et ce genre de choses. En fait, c’est le moment de se ressourcer et de
Norvège. C’est un instant rare et interdit, mais je connais John, voila pourquoi je me suis permis de faire cette photo. Le «gathering» annuel est considéré
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être humain. L’ignorance est protectrice mais plus pour très longtemps…
Hollande. L’embarras devant la vérité. Derrière chaque produit de la consommation quotidienne, il y a la souffrance et l’exploitation brutale d’un animal ou d’un
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tu as plus de policiers en tenue de combat que pour une émeute.
et le patron a d’excellentes relations avec les politiques qui adorent venir se divertir chez lui. Voila pourquoi lorsque tu oses manifester et informer les gens,
Suisse. La monstrueuse parade, ou comment payer en s’amusant de la souffrance d’esclave enchainés et battus toute leur vie. KNIE est le plus gros cirque de Suisse,
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aux plus faibles, Homme ou Animal. Je veux y croire.
Belgique. La justice des hommes n’existe pas. Peut-être existe-t-il une justice divine qui ne pardonnera rien… ni notre manque de logique, ni notre sadisme face
Après Stockholm et la Suède, c’est la Belgique qui a été la terre d’accueil de Maelström le temps de quelques jours, et pour quelques pages. Vous aurez droit à une exhaustive présentation de la Boucherie Moderne, un salon de tatouage innovant et avant-gardiste, Ian et Benoit vous parleront de Brusk, un collectif issu du milieu du skateboard, et Elzo vous présentera un panel de son univers torturé et coloré. Bienvenue à Bruxelles !
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photographie de benoÎt alègre
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Au n°26 De La Place Du Jeu De Balle, à Bruxelles.
léa, jef et kostek vous attendent du mardi au samedi de 10h à 19h, et le dimanche de 10h à 16h, selon l’humeur. vous pouvez venir seul ou accompagné, avec vos amis, votre petite copine, votre papa ou votre grand mère. bien sûr il y a des aiguilles, si vous ne voulez pas avoir mal, allez acheter une baguette chez le boulanger.
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interview & photographies de benoît alègre typographie de thierry audurand artwork de jef
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Entre Tournai et Bruxelles, mais Boucher Moderne avant tout ! jef est la moitié fondatrice de la boucherie moderne. son approche du tatouage se démarque avec un univers qui mélange influences traditionnelles et pixels, le tout assaisonné d’un fort parti pris graphique. il a un style très innovant, mais jef a préféré parler éthique et responsabilité des tatoueurs.
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comment a débuté ta vocation pour le tatouage ? Tout naturellement, j’ai toujours aimé dessiner. D’un autre coté, le challenge de dessiner sur les gens m’a toujours excité. A un moment, j’ai pensé à associer ces choses qui me motivaient pour faire du dessin quelque chose de quotidien. Un beau jour, tu trouves une adresse pour te procurer une machine, et puis c’est parti. Logiquement les premiers résultats sont loin d’être fantastiques, mais suffisamment excitants pour te pousser à persister. La vocation est toute bête, c’est l’envie d’essayer, et c’était il y a environ 17 ans.
Tu as eu une formation artistique ? Oui, une école de dessin. Nous étions déjà ensemble avec Kostek, à l’école Saint Luc. Je n’ai pas terminé mes études, je ne voulais pas faire de la pub et comme il n’y avait pas grand chose dans mes moyens, on a fini en Belgique, l’Eldorado de l’époque. (Rires.) J’avais envie d’avoir des connaissances graphiques un peu plus poussées et cette école proposait des trucs sympas, alors c’était parti. Il y a une petite base de formation de dessin, mais nous n’étions pas des cadors du trait. Comment te situes-tu dans la scène tatouage ? Personnellement, j’estime faire parti de la dernière génération de tatoueurs, celle d’avant étant issue du milieu biker. Maintenant, on sort tous d’écoles de graphisme ou d’art. Kostek et moi appartenons à la génération de transition, celle qui a côtoyé les anciens. Quand tu as des présidents de motos club qui te prennent sous leur tutelle pour t’apprendre le métier, tu n’es pas forcément sur les bons rails du premier coup. À cette époque la technique était presque secondaire par rapport à la fête et aux à-côtés. Quel a été selon toi l’élément déclencheur qui a permis cette évolution ? Deux facteurs : il a fallu que les gens se lassent de ce qui existait depuis 20 ou 30 ans, puis il en fallait un qui démarre. Incontestablement ça a été Yann Black ; un mec qui débarque avec un truc inattendu et tellement graphique que ça a été une claque pour tous les gens qui ont fait des indiens
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et du celtique, comme moi d’ailleurs. Comme souvent, il n’y a rien de mieux qu’une grosse gifle pour réaliser que l’on ne peut pas continuer comme ça. Qu’on ne vienne pas me dire qu’il y a un type à l’autre bout de la planète qui fait des traits et que Yann n’en est pas à l’origine. Son influence n’est pas seulement graphique, elle vient aussi de la prise de conscience qu’il a pu apporter dans le milieu du tatouage. Y a-t-il des tatouages que tu ne ferais pas ? Ça peut arriver. Quand je dis que je ne vais pas faire un tatouage c’est parce que j’ai la chance d’être demandé pour mon propre boulot. C’est vrai que quand tu te donnes du mal, que tu passes du temps à faire des recherches, à dessiner, que tu ingurgites des bouquins de graphisme, que tu
regardes ce que font les grapheurs, les peintres flamands, que tu trouves des solutions graphiques contemporaines efficaces sur la peau… j’avoue avoir du mal à faire une lettre chinoise dans le cou, tout ça parce qu’un mec veut ressembler au pauvre joueur de foot qu’il a vu à la télé. J’ai aussi conscience que ce que je pense et ressens n’est pas la vérité vraie, question de vécu. Il est normal qu’un type qui n’a pas la chance de s’ouvrir sur ce
qui existe sur terre, que ce soit au niveau de l’Internet, bouquins, voyages et rencontres, me demande un truc qu’il a vu à la télé. Parce que ce qui est conventionnel et reconnu élimine le risque. Il y a plein de gens qui ont vu mon tatouage sur le bras et qui ne le trouve pas beau. Ce n’est pas grave qu’ils disent ça, c’est juste dommage qu’ils ne soient pas ouverts au fait que je puisse prendre deux minutes pour le leur expliquer. Alors pour en revenir à la question de base, il m’arrive en effet de réorienter certains clients vers d’autres boutiques. Le tatoueur a selon toi une responsabilité dans ce qu’il décide de faire ou non ? Sur les mains, le visage etc. Évidemment ! Tu ne peux pas faire n’importe quoi sur n’importe qui. Le problème est que les médias véhiculent un message erroné aux adolescents : il faut être musclé, bronzé et vivre sous les palmiers avec une Mercedes. Tout est à la mode et aussi vite ça tombe en désuétude. Et le tatouage n’échappe pas à la règle. Tu ajoutes à ça le principe de la surenchère, car il faut toujours être « plus » que son voisin, et tu obtiens des gars qui vont se faire tatouer les mains, la gueule, juste pour passer pour un taré pseudo marginal. Mais ce que les gens oublient, c’est que ce ne sont pas tes fringues ou tes tatouages qui font de toi un taré, c’est ta putain de vie, ce que tu fais au quotidien. Donc on se trompe de message envers les adolescents, on se trompe de revendications, de colère et les gamins prennent ça pour argent comptant. J’ai conscience que lorsque je tatoue une personne, elle va devoir vivre avec. Du coup, je m’interdis de faire n’importe quoi. J’ai des gamins qui débarquent à 20 ans avec un discours, je leur demande déjà s’ils auront le même discours dans 10 ou 20 ans. A 20 ans la mode les pousse à être rebelle, à 28 ans, les mêmes on la petite voiture de fonction, le crédit et 2,7 gosses… on répond exactement à ce que la société attend de nous : propre gentil, sympa, fidèle…
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Ton discours n’est pas un peu réactionnaire ? Réactionnaire dans le sens où j’aime beaucoup le tatouage. J’aime aussi beaucoup les gens qui viennent me sol-
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liciter, mais je ne supporte plus qu’ils viennent me demander des pièces qui ne leur vont pas. Je fais la différence entre les gens qui viennent s’acheter un tatouage et ceux qui viennent se faire tatouer. Ceux qui viennent se faire tatouer, j’ai envie de passer du temps avec eux, entrer dans leur vie pour essayer de leur faire un tatouage qui leur correspond au maximum. Tous les trois jours, un gars vient me demander le motif de la boite de nuit du coin car il y a passé une superbe soirée et il le veut « pour la vie ». Surtout, à Tournai [Jef a sa propre boutique, Lost Highway, à Tournai. – ndlr], où la boutique se situe au beau milieu de plusieurs discothèques, et ça marche à coup de tuning, d’ecstasys et de boom boom à fond dans les haut-parleurs. Moi, je n’ai pas envie de marquer à vie un pauvre adolescent mécontent et complètement perdu, comme on l’a tous été. Alors je ne suis pas réac’, les conneries on les a faites avant eux, et pour cette raison, je ne préfère pas les tatouer. Il n’y a pas longtemps un gamin est entré dans la boutique pour me demander de lui recouvrir un truc pourri qu’il avait sur la main. Non seulement je lui ai dit que je ne lui recouvrirai pas, mais qu’à son âge, je l’encourageais grandement à aller voir un toubib pour se faire enlever cette merde interplanétaire. Même si je suis contre ce fonctionnement, il faut que le gamin comprenne que le jour où il va aller se présenter à un entretien d’embauche, le patron va lui serrer la paluche et en voyant ça, il préférera embaucher un gars qui présente mieux… C’est une discrimination intolérable et malheureusement le tatouage en fait parti. Il faut savoir l’intégrer pour ne pas trop se générer d’emmerde dans la vie que tu as choisie. Tu veux parler de Kimberley qui vient de se faire tatouer 56 étoiles sur le visage ? La fille est une débile profonde d’avoir demandé ça. Mais surtout AUCUN tatoueur sur terre ne doit accepter de réaliser un tatouage facial sur une gamine de cet âge-là… qui plus est pour un premier tatouage. Le tatoueur qui a osé faire ça est un mongolien du bulbe. Je ne dis pas que je suis contre le tatouage facial, mais cela doit se
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produire dans un contexte particulier. Il faudrait que la personne montre patte blanche par rapport aux tatouages déjà faits, qu’elle vive déjà avec des tatouages bien voyants. Dans un tel contexte, je pourrais me mettre à discuter de l’éventualité d’un futur tatouage facial. Quand tu as 18 ans et que tu te fais faire des tatouages sur la gueule, tu te mets au banc de la société. C’est au tatoueur de faire son boulot pour s’assurer qu’il ne fait pas de bêtise, et c’est au client de bien réfléchir sur le fait de vivre le reste de sa vie avec un tatouage. Le gars qui
a fait ça est à passer aux armes, il a bousillé la vie d’une gamine. Dans le cadre d’un tatouage facial désiré et assumé, sur les mains ou le cou, qu’est ce qui peut faire passer ce cap ? J’ose espérer que le mec qui débarque dans un studio pour se faire tatouer la gueule aime vraiment le tatouage et qu’il a déjà tout collectionné… Bref, que la perception de son propre corps a déjà été fortement modifiée. Il faut un cheminement au-delà du coté guerrier, ou bien de revendication so-
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ciale. Certaines personnes ont besoin de s’armer d’un motif figuratif ou abstrait, pour se sentir en phase avec elles-mêmes. Depuis la nuit des temps, les ornements sur le visage sont des symboles de guerriers qui partent au combat pour effrayer l’ennemi. Il y a donc toujours eu un coté démonstratif. Le visage, c’est le premier truc que tu perçois chez l’autre. En plus dans notre société, le visage est devenu très sain et qui doit rester propre. Tu peux nous parler du quartier dans lequel vous êtes situés et de
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l’intégration de la boutique dans ce même quartier ? La place du Jeu de Balle est la plus vieille place populaire de Bruxelles. Il y a un marché aux puces quotidien et surtout le quartier est très cosmopolite, avec notamment une forte population marocaine. De notre coté, ce n’était pas un souci de nous installer ici mais c’est vrai qu’on avait quelques doutes sur notre acceptation. L’idée vient de Kostek et je n’aurais pas parié sur cet endroit. La richesse et l’effervescence sur quartier génèrent beaucoup de passage, c’est vrai.
On organise des concerts et tout se passe bien. Paradoxalement, la seule pétition qui tourne contre nous et nos différentes activités vient des gens d’en face, des gens de la communauté européenne qui aspirent à leur propre confort. Quand tu recherches la tranquillité, tu pars vivre à la campagne ! Alors c’est vrai qu’on doit faire gaffe maintenant. Et puis on draine un certain public, je n’ai jamais vu autant de gens tatoué trainer sur cette place que depuis que nos sommes-là !
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Introspectif et libertaire, mais Boucher Moderne avant tout… kostek est la deuxième moitié fondatrice du studio la boucherie moderne, il joue aussi accessoirement de la guitare dans le groupe tattoo noise act. il est l’archétype de la personne calme, ouverte et attentionnée qu’il fait bon rencontrer. il fût notre hôte pendant la semaine. il nous parle ici de son approche du tatouage dans notre société, en 2009…
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la boucherie moderne est souvent mise en avant comme fer de lance de la nouvelle scène tattoo… Il semblerait que ce soit le cas, en effet, mais je n’estime pas que nous ayons initié quoique ce soit. Nous sommes avant tout les héritiers de Yann Black, ce mec représente un tournant dans l’évolution du tatouage. Incontestablement, il y a eu un avant et un après Yann. Avant lui le monde du tatouage était encore affilié aux clubs de bikers, son travail a réveillé un grand nombre de vocations chez les dessinateurs ou les illustrateurs… chez moi et chez des gars comme Lionel [Out Of Step Tattoo – ndlr.] ou Topsi [Viva Dolor, Lyon. – ndlr.] d’ailleurs. Tu as beaucoup pratiqué la sérigraphie, cela t’a-t-il influencé ? Peut-être dans le sens où je me suis mis au tatouage relativement tard. J’ai bénéficié du recul de toute cette
évolution du monde du tatouage dont je viens de parler. En fait, je connais Jef depuis 17 ans, je baigne donc plus ou moins directement dans cet univers depuis longtemps. À cette époque, la pratique du tatouage n’était pas une discipline qui m’intéressait, même si mon travail de sérigraphie évoluait en parallèle. Je travaillais mes t-shirts avec des motifs sur les flancs par exemple, je développais plus une approche d’habillage gra-
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phique du corps par le vêtement. Un jour je suis passé à la peinture, puis Jef m’a poussé à essayer le tatouage. Donc en tant qu’élément marquant de mon parcours oui, la sérigraphie m’a influencé, mais tout comme Jef, Yann et beaucoup d’autres choses. C’était les débuts de la Boucherie Moderne ? Oui c’était à ce moment-là, à partir du moment où Jef m’a poussé à me mettre au tatouage. Nous travaillions ensemble dans un autre studio et nous avons réalisé nous avions intérêt à chacun nous spécialiser dans un univers particulier : le noir ou la couleur et ainsi de suite. Pour ma part, le mec avec qui j’ai appris, tatouait directement sur le corps, c’est une technique qui m’a de suite intéressé [Aussi appelée Free Hand – ndlr] et que j’ai voulu approfondir, comme une sorte de but. La clientèle a très vite été réceptive à cette démarche. Pour résumer, tu
commences à travailler un peu, tu démarres en faisant des tribals et de fils en aiguilles tu as envie de pousser dans une direction plus personnelle. Finalement, vient le jour où tu te dis qu’il est temps de faire le grand saut et de monter ton propre studio… C’est ce que nous avons fait avec Jef. Nous voulions une boutique dans laquelle nous pourrions promouvoir uniquement notre boulot personnel.
Les gens sont sensibles à cette approche ? Apparemment. J’ai beaucoup de demandes de gens qui n’accrochent pas forcément avec le tatouage conventionnel mais qui se retrouvent dans mon travail. Il faut savoir que certaines personnes ne rentreraient jamais dans une boutique de tatouage classique, parce que rebutées par l’image courante du tattoo. Un mec comme Jef, par exemple, a su amener la technologie dans l’approche du tatouage, l’utilisation de Photoshop pour un travail des pixels purement informatique… du moins je pense que c’est son propos. Tout en étant issu de la vieille école, il a su digérer les mêmes influences que moi mais avec son univers et son histoire propre. Pour ma part, je fais encore tout au feutre. Je suis juste un peu plus radical car je suis de la nouvelle génération de tatoueurs. Tout ceci fait que nous sommes totalement complémentai-
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res. On a juste ouvert un tiroir dans le grand meuble du tatouage, on a vu qu’il n’était pas utilisé et nous avons décidé de le remplir, c’est tout. On se retrouve donc avec une place qui nous correspond et nous sommes contents d’aller bosser tous les jours. Votre approche est compatible avec l’approche historique du tatouage ? Totalement. Quoique tu fasses, un tatouage reste un tatouage, c’est un des-
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sin que tu porteras pour le reste de ta vie. La seule différence se fait sur le rapport à l’esthétique… c’est donc très personnel. Après, on profite un peu de cette nouveauté, car ce qui est nouveau interpelle les gens. Le seul privilège que l’on a, c’est de pouvoir dire non quand on ne veut pas faire quelque chose. Un tribal par exemple, ça ne me dit absolument rien, je trouve ça laid. Par contre, je peux proposer à quelqu’un qui m’en demande un de lui faire un dessin différent, la démarche est très souvent acceptée d’ailleurs. Il faut arrêter de réduire le tatouage à la demande de tribals, la plupart des gens sont très ouverts aux propositions, il faut juste les considérer un peu plus. C’est important de proposer un boulot personnalisé, pour que la personne vienne et reparte avec un tatouage avec lequel il se sente bien. Vous insistez dans vos books sur le fait que vos pièces sont uniques,
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c’est un choix ? C’est un choix parce qu’à chaque fois c’est un boulot que nous créons en étroite liaison avec ce que les gens apportent. C’est donc toujours une recherche unique… puis tu ne vas pas remettre deux fois la même pièce sur des personnes différentes, ce serait complètement un non sens au niveau du travail. Je n’ai rien contre les motifs répétés, ce n’est simplement pas mon truc. Nous proposons un univers propre que l’on ne retrouve pas ailleurs, les gens le savent et viennent pour ça. Penses-tu que le tatouage se soit démocratisé ? Il y a certainement un d’effet de mode, mais de là à parler de démocratisation… Je ne sais pas. Je dirais même non. Le tatoué reste encore vachement en marge. En Angleterre ou en Allemagne par exemple, c’est beaucoup plus commun, tu vois des vieux
anglais de 50 ans avec des avant-bras tout pourris. Tous ces gens-là bossent, que ce soit dans des banques ou dans les chemins de fer. En Belgique, tout est encore caché, tu trouveras certes un boulot dans un bar branchouille mais certainement pas un boulot sérieux. En Belgique comme en France nous vivons dans une société catholique, ma théorie est que le tatoué y est vu comme le diable. C’est péché de modifier son apparence physique, Dieu nous a créé à son image et il ne faut surtout pas toucher à la perfection. Je ne vois pas les choses de cette manière. Le regard des sociétés anglosaxonnes est complètement différent, le tatouage n’y est pas connoté de la même façon. Ici le tatouage reste lourd de sens, associé à un mythe encore étrange. Quelle est ton approche personnelle du tatouage ? Quand je me fais tatouer ou que je me
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Il y a un coté consumériste donc ? D’une certaine manière oui car on profite du fait que des clients viennent nous voir. D’un autre non car on apporte un boulot hyper personnel, sans compromis, et surtout que l’on essaie de faire réfléchir les gens sur ce qu’ils ont. On n’est pas là pour leur mettre un autocollant.
tatoue, j’ai le sentiment de me retrouver, de me redécouvrir, tout du moins de m’affirmer un peu plus. C’est une prise de position, c’est une quête et donc forcément une affirmation dans une société où tout est normalisé, où tout le monde doit se ressembler. Un cheminot ressemble à un cheminot, un ouvrier ressemble à un ouvrier, un banquier ressemble à un banquier et ainsi de suite. Le tatouage, c’est aussi un peu casser cette image. Je suis content de tatouer car quelque soit leur milieu d’appartenance, cela fait plus de gens qui viennent de notre côté, celui des tatoués. Indirectement, par la multiplication, cela pousse les autres personnes à voir les choses différemment. Un jeune banquier bien rangé qui se fait tatouer va prouver à son entourage que ce n’est pas parce que tu es tatoué que tu es un dépravé, un violent… ou encore un altermondialiste !! (Rires.) Je trouve le tatouage libertaire en fait, dans la mesure où tu transgresses un interdit de la société. C’est contre l’uniformité, c’est marquer sa différence et son statut d’être partie intégrante de la société. Tu aimes ça, tu le fais. Tu penses que le fait que ce soit en opposition à quelque chose rende cette affirmation encore plus forte ? Je ne crois pas que ce soit en opposition à partir du moment où c’est un souhait qui vient de soi. Mais aujourd’hui, continuer à être un individu est un engagement, c’est se battre pour la liberté d’expression. Dans ce sens, le tatouage rejoint beaucoup de combat, contre le racisme, l’homophobie etc. Je prône le droit à la singularité. Nous avons tous le droit d’être ce que nous sommes. La force est de réussir à l’imposer aux autres, quitte à choquer. L’intérêt est de poser le débat. Je pense aussi que le tatouage va au-delà de l’opposition, c’est avant tout une question de rencontre. Je n’aurais jamais été tatoué, je n’aurais jamais rencontré Jef, je ne n’aurais jamais été tatoueur et je ne serai pas là à faire cette interview. C’est la vie qui amène toutes ces expériences. Pour le coup, j’aurais très bien pu être toxicomane à Katmandou ou bénévole dans des écoles africaines… Au lieu de ça, je suis devenu tatoueur.
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En tant que personne tatouée et active dans ce milieu, ce n’est pas trop dur d’évoluer dans cette société qui pousse au consensuel ? Non, je dirais que ça me rend de plus en plus solide et solidaire. Nous n’avons pas de moyen mais tu vois, nous arrivons à créer des engouements. Je dirais que nous sommes comme une petite famille, nous travaillons en réseau dans des niches, nous filons dans les interstices. Je serais même tenté de dire que cette démarche à plus de sens aujourd’hui. Le monde part dans l’autre direction, au lieu de favoriser la rencontre entre les gens on va décider de fermer les bars, il ne faudrait pas non plus que les idées circulent !! (Rires) Alors voilà, plus personne dehors à partir de telle heure, on police partout et résultat quoi ? Personne n’est plus heureux. La violence a toujours existé et elle existera toujours. La vie se déroule sur la place publique, on laisse les gens s’expliquer, se confronter et dialoguer. Notre société manque terriblement d’échange et indirectement d’ouverture.
Penses-tu que le monde du tatouage est représentatif de la société ? Oui, tout à fait, tu as de tout et surtout des codes… Des fafs, des anti-fafs, des fans de la Star Academy et des gens qui détestent ça... Tout ce monde vit dans un microcosme. Tu enlèves les tatouages et le gens sont les mêmes que dans la société soit disant normale. Peut-être que les positions sont plus radicales, dans le sens où ce sont en général des gens qui ont des caractères un peu plus fort. Après je ne sais pas, tu retrouves peut-être le même fonctionnement dans le showbiz ou bien le rock’n’roll. Il y a toujours des gars qui vont se faire du fric et d’autres qui vont défendre des idées.
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Quelle évolution vois-tu dans le tatouage ? Oh, c’est dur à dire et puis tu sais, on s’en fout un peu. On ne va pas sauver le monde avec nos trucs !! (Rires.) Il y a malheureusement une bonne partie du tattoo qui est devenue du business pur, mais à l ‘intérieur de ce monde, on essaie de se préserver. Après c’est comme tout, il faut savoir faire ses choix. C’est la même chose que pour les McDonnalds, il y en a de partout mais ce n’est pas une obligation d’en consommer, tu pourras toujours aller te trouver un sandwich ailleurs. Il y aura toujours des gens pour aller manger au McDo et c’est comme ça… il y aura toujours du monde pour consommer LA Ink. Chacun vit le tatouage comme il veut.
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interview & portrait de benoît alègre typographie de thierry audurand artwork de léa nahon
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léa nahon est une intérimaire de la boucherie moderne, elle passe plus de temps sur la route, que dans la boutique. comme tout tatoueur qui se respecte, elle a un emploi du temps bien rempli et pour plusieurs mois, mais elle n’hésitera pas une seule seconde si l’occasion se présente, de « piquer » entre deux rendezvous. portrait d’une jeune femme colorée.
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Il semblerait qu tu voyages beaucoup, pourquoi ? En effet, je vis entre Paris, Brighton, Bruxelles et Montréal. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’ai commencé comme ça, j’ai foutu le pied dans l’engrenage et tout bêtement, je ne peux plus m’arrêter. Qu’est-ce que ça t’apporte exactement ? Humainement, énormément de choses mais surtout beaucoup de rencontres. Professionnellement aussi d’ailleurs. Le fait de régulièrement travailler avec des personnes différentes me permet de beaucoup progresser, d’apprendre énormément sur mon approche du travail. Aussi cliché que cela puisse paraître, chaque ville est différente et possède son propre univers, c’est à chaque fois tout autant d’énergie qui me motive à avancer… c’est un bon moteur. Est-ce que tu vois une différence sur la culture tattoo et donc sur ce que l’on peut te demander d’une ville à l’autre ? Pas vraiment sur les thèmes et les trucs comme ça, mais plus sur l’approche que les gens peuvent avoir sur le tatouage, les styles que tu peux rencontrer. Chaque boutique où je travaille possède sa propre identité. Chez Art Corpus par exemple, le panel est assez large, il y a beaucoup de tatoueurs qui ont des styles différents et en tant que client tu seras redirigé vers le tatoueur qui te correspondra le plus. La Boucherie Moderne draine des gens qui savent ce qu’ils veulent et qui viennent voir un tatoueur en particulier... Au studio Nine de Brighton, les gars ont aussi un style très particulier. Ade fait du pur japonais, Nige fait des choses très graphique et ainsi de suite. À Montréal, je bosse avec Yann Black, donc c’est encore différent. Il a une telle notoriété que sa clientèle lui correspond. Comment définirais-tu ton style ? C’est assez large en fait… Je suis très intéressé par des bonhommes, je veux dire par là des personnages, figures emblématiques, portrait ou êtres humains. Je me suis aperçue avec le temps que c’est ce que je préférais faire. Pour être plus précise quant à la
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construction de l’image, j’aime laisser les traits de construction, les traits d’esquisses. Je trouve la dynamique de cette approche intéressante pour le rendu du dessin. De cette manière on peut voir l’évolution de la construction du dessin, des premiers traits jusqu’à la touche finale. Je ne suis pas dans le truc léché où rien ne doit déborder, où tout doit être très propre. Quand un trait est loupé, je ne vois aucun inconvénient à la laisser tel quel et rajouter par dessus, parfois grossièrement, la bonne ligne. Comment est perçue cette approche dans le milieu du tatouage ? Étrangement, les gens en redemandent. Il m’arrive souvent de me freiner pour rester dans cette approche propre et conventionnelle du tatouage mais les clients me poussent souvent à aller plus loin. Il me semble que c’est une approche assez récente du tatouage et qui tend à évoluer de plus en plus. Je ne saurais pas comment l’expliquer… peut-être que certaines personnes veulent sortir de cette approche « sticker » du tatouage pour se rapprocher de quelque chose de beaucoup plus dynamique, plus graphique. Certainement car c’est quelque chose que l’on voit de plus en plus justement. Un simple tatouage au trait avec plein de bordel autour fonctionne vraiment ! Bien sûr j’aime aussi faire les trucs plus conventionnels et propres, par exemple à partir de pièces anatomiques précises. Tout dépend des cas de figure et de ce que l’on me demande en fait… Tu fais beaucoup de pièces uniques, en opposition au tatouage flash… Oui, même si ce n’est pas une pratique du tatouage que je rejette. C’est intéressant de revenir à la base, ça calme en général. Quand tu es habituée à avoir tes propres trucs et que l’on te demande le tribal bas du dos qui est super chaud à tendre, tu te fais une belle suée (rires)… et ce n’est pas plus mal ! J’ai bossé chez Franck au Havre et c’était justement beaucoup de boulot flash, ça m’a fait un bien énorme de retravailler les basiques, tu les perds totalement en restant dans ton propre style… Mais bon, je dois avouer que ça fait longtemps que ça ne m’est pas arrivé.
Comment es-tu arrivée au tatouage ? J’ai d’abord fait l’école de design Boulle qui m’apprenait à dessiner des couverts à salade et des machines à laver, le cursus classique pour devenir Philippe Starck. Mais on va dire
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que ce n’était pas vraiment le genre de perspective qui me branchait. À cette époque là, je dessinais déjà beaucoup de BD, surtout en noir et blanc. J’ai commencé le tatouage avec Nico de chez Custom Tattoo, pas très longtemps, ensuite je suis allée chez Fabrice qui était rue de Charonne à l’époque. Un mec pas très connu, en dehors du circuit convention mais hyper pédagogue qui m’a vraiment appris tout un tas de trucs, hormis la technique qui reste un peu la même pour tout le monde Mais au niveau dessin, ça a été énorme. Pour en revenir à la peinture, c’est un exercice complémentaire au tatouage pour toi ? Oui, vraiment et de plus en plus je peux dire. Il y a eu un cap, quand des gens ont commencé à me demander certaines de mes peintures en tatouage, au début essentiellement mes potes au États-Unis. À l’époque je trouvais ça étrange car en opposi-
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Sébastien Charlot
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tion à la vague classique du tatouage, tous ces traits de construction et d’esquisses qui peuvent sembler un peu dégueulasse pour un tatouage. C’est justement ce qui les faisait marrer, ça sortait justement du lot. J’en ai donc fait plusieurs et quand j’ai ramené des photos de ces tatouages ici, ça a beaucoup plu. Justement, tu as beaucoup bourlingué au Etats-Unis, tu as une troupe là-bas… Oui, on s’appelle On The Road Tattoo Group, avec Karl Marc et Dave Sanchez. Dave et Karl sont de Los Angeles et moi je faisais les allers-
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retours entre ici et là-bas. Au départ on faisait surtout les conventions américaines et même si on travaillait chacun dans des studios différents, on se rassemblait toujours pour participer aux conventions. Les gens ont commencé à le savoir et pas mal de clients ont commencé à tourner entre nous trois. C’est pas vraiment un truc officiel, enfin on a un site qui n’est pas mis à jour…(rires). En fait le truc est que Karl vit maintenant à Paris, il va donc beaucoup moins au Etats-Unis et que moi je ne peux plus rentrer aux EtatsUnis… ça devient un peu compliqué… Tu ne peux plus rentrer au EtatsUnis ?!
Et oui !! (rires) Je me suis fait chopper à la frontière canadienne alors que je me rendais sur le territoire américain pour assister à une convention de tatouage… le tout sans permis de travail. Étant donné que l’administration ne rigole pas vraiment avec ce genre de truc, ils ont un peu fouillé et découvert que je bossais dans plusieurs studios et que je m’apprêtais à travailler sur plusieurs conventions. Alors voilà, je ne peux plus y mettre les pieds. Donc forcément, ça devient un peu compliqué avec On The Road, même si avec Karl on a participé à plusieurs conventions européennes. Cette troupe nous a quand même
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vachement aidé à nous faire connaître dans la scène. Tu peux parler de ton approche et expérience des conventions ? En fait, c’est un truc qui me fait vraiment marrer, tu rencontres plein de gens et c’est souvent une ambiance bon enfant. Je reviens de la convention d’Hossegor qui a était très réussie. C’est un moment idéal pour voir les gens de la scène et faire la fête. Tu apprends aussi énormément. Ma première convention était celle de Las Vegas. Je suis arrivé là-bas avec trois ans d’expérience et un book en conséquence, un vrai book de débutante
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dans lequel je m’efforçais de montrer que je savais un peu tout faire… histoire de pouvoir satisfaire à toutes les demandes : un petit peu de japonais, un petit peu de tribal, un petit peu de lettrage etc. Au bout de trois heures j’ai eu envie de jeter mon book à la poubelle ; il était pourri !! En plus tu n’es personne, tu arrives dans cette énorme convention qu’est celle de Las Vegas, tous les grands noms de Los Angeles et du coin sont là. Ça a été une expérience assez difficile, le niveau était incroyable. Tu arrives dans une cour où tu ne touches pas une bille, je regardais les books des autres et c’était une autre planète pour moi,
vraiment. Les gens passaient sur notre stand, regardaient mon book en trente secondes en le feuilletant trois pages par trois pages… et je les comprenais. Heureusement, j’avais des impressions A3 des peintures que j’avais faites, au bout de la première journée les trois quarts étaient parties. C’est à ce moment là que j’ai tatoué mes peintures sur les gars avec qui je bossais, en voyant ça certains clients ont commencé à me les demander aussi. C’est vraiment là que le déclic a eu lieu. Mes potes me disaient de me faire un book uniquement avec mon travail de peinture… même si je n’avais que trois photos !!
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Les conventions sont donc une bonne expérience du tatouage, un endroit où tu rencontres tout un tas de gens qui te donnes tout autant de conseils très précieux. Ce sont ces gens là qui m’ont poussé dans cette direction et ils ont eu raison.
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Les conventions sont un passage obligatoire pour les tatoueurs ? Non, pas vraiment, il y existe plein de tatoueurs reconnus que tu ne verras jamais en convention. Personnellement j’adore, car je suis curieuse des gens et que j’aime la rencontre. C’est aussi le speed, c’est le moment où il faut y aller, travailler dans l’urgence, tout préparer vite. Tu ne sais aussi jamais ce qu’il peut se passer. Je trouve aussi que le meilleur de mon boulot ressort justement quand je travaille à la dernière minute. D’autres ont besoin d’être chez eux, au calme dans leur propre bulle. Je comprends tout à fait cette approche. Quelque part je crois que je les envie énormément car j’ai aussi besoin de ça. Encore une fois, pour le tatouage, j’ai besoin de ce speed et de cette urgence… pour la peinture c’est peut-être différent. C’est quelque chose que tu peux expliquer ? Non, pas vraiment… C’est peut-être le stress qui me motive et cet instant où la pression monte, quand tu ressens que ça va être tout de suite. Toute cette démarche m’a aussi amené au free hand que je pratique de plus en plus. Justement quand tu n’as pas le choix ou pas le temps et que tu dois foncer. Quelle est ton approche du free hand ? Ça dépend. Le problème du free hand est que tu vas avoir pas mal de détails qui vont passer à la trappe, le moindre truc bien symétrique devient une bonne galère par exemple. D’un autre coté, cette technique laisse place à beaucoup plus de spontanéité pour partir dans une autre approche du tatouage. Je commence au feutre, mais bien souvent les traits s’effacent, je suis donc obligé de les tatouer en gris. Du coup, une fois le tatouage fini, tu peux voir tout le processus de création du tatouage, son évolution, la construction du dessin, son histoire. Je crois que je tends naturellement
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à aller vers cette pratique là. J’aime aussi mélanger ces différents styles dans le moment du tatouage, une sorte de collage ou puzzle de toutes ces techniques. Où cherches-tu cette motivation et inspiration ? Chez tous les gens que je peux rencontrer. Par exemple, en deux jours passés chez Sacha tu te prends une sacrée dose de maitrise dans la gueule. Il a le dessin hyper facile et c’est hyper motivant. Il te motive à rentrer chez toi pour te pauser devant la table à dessin et perfectionner certaines aspects que tu ne maitrises pas suffisamment. Quand je vois des Jef ou des Navette qui développent une technique hallucinante, cela ne peut que me motiver à avancer. Des gars comme ça t’apprennent énormément. L’utilisation de Photoshop par exemple, je ne pensais pas il y a peu pouvoir m’en servir comme un outil utile au dessin et au tatouage. Mais attention, l’utilisation de ce logiciel ne veut pas dire que les gars qui l’utilisent n’ont pas une sacrée maitrise de leur univers et de la technique même du tatouage ou du dessin. En peinture aussi, regarde un gars comme Turf One.... quand je l’ai rencontré et que j’ai appris qu’il travaillait à l’acrylique, je suis directement rentré chez moi pour m’y coller. Tu te vois aller où avec tout ça ? Peinture, dessin, tatouage… Mon univers est quand même celui du tatouage. J’aimerai juste pouvoir me poser un peu plus. Ce n’est pas sur une tablette de train que tu vas pouvoir bosser ton dessin correctement. Je vais aussi essayer de pousser la peinture, progresser et assimiler de nouvelles techniques pour par la suite m’en servir dans le tatouage. Mais pour ça il faut que j’arrive à rester plus de deux semaines d’affilées chez moi sans forcément bosser du tatouage. Mais bon, ce n’est pas gagné ; cela fait maintenant un an que je suis installée à Bruxelles et je ne suis pas encore restée plus de deux semaines chez moi. J’ai juste besoin de temps pour assimiler toutes les informations que je peux collecter dans toutes ces rencontres. Je commence à ressentir que j’ai besoin de digérer tout ça pour les poser sur le papier.
Tu fais des expositions ? Oui, je viens d’en faire une à Prague, avec Kostek et une autre à Lille il y a 15 jours. Je suis aussi en train de bosser avec Guillaume le perceur de la Boucherie Moderne qui est en train de se mettre au tatouage. Lui fait des pochoirs et ça fait longtemps que je voulais essayer cette technique, la mélanger avec celle de l’acrylique. On bosse sur des collaborations qui aboutissent sur des mélanges de nos boulots respectifs. À suivre donc… Penses-tu que le milieu du tatouage favorise ces expériences ? Oui et non. Dans ce milieu là, je bouge beaucoup… regarde quelqu’un de casanier avec un mode de vie plus pépère qui lui laisse le temps de bosser, tu vas rapidement le voir progresser. Après il n’y a pas de secrets : il faut bosser !! (rires) Le portfolio complet de Léa est à voir sur www.maelstrommagazine.com
www.myspace.com/leanahon www.ontheroadtat too.com/ www.artcorptat too.com/ www.nineboycesstreet.com/
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Psychédélisme viole(n)t. elzo pourrait être le chainon manquant entre le psychédélisme, la médecine moderne, le violet, la sérigraphie et le punk-rock. le personnage est aussi calme que son univers est torturé, et même s’il n’est pas toujours parmi nous, elzo trouvera toujours un moyen de marquer les esprits. lors d’un arrêt, nous lui avons posé quelques questions…
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elzo, tu as choisi la sérigraphie, comment es-tu arrivé à ce medium ? À l‘époque, j’étudiais le graphisme à l’école ERG de Bruxelles et j’ai découvert Le Dernier Cri. Ce collectif a eu une grande influence sur moi, notamment avec leur travail d’édition de livre. Ensuite l’exercice même de la sérigraphie est très intéressant, c’est un medium qui permet un traitement particulier des couleurs tout en ayant un aspect « propre mais pas trop ». La rencontre avec ma copine a aussi été un événement prédominant dans cette découverte, elle s’appelle Aurélie et étudiait la sérigraphie à l’école. On a beaucoup collaboré, même si maintenant elle développe un travail plus destiné aux enfants. J’adore travailler avec elle, son avis est toujours juste et pertinent. Elle trouve malgré tout que mon travail est trop trash, mais bon, en ce qui me concerne, je n’estime pas qu’il le soit… (Rires.) Dès le début, sa technique était complète, elle m’a donc beaucoup appris. Dernièrement, on s’est décidé à monter notre propre atelier. Tout seul, je ne suis pas sûr que j’aurais réussi à entreprendre tout ce travail. Donc oui, la perspective de faire de la sérigraphie ensemble m’a motivé. Peux-tu nous parler de cet atelier ? En fait, j’ai deux ateliers : un dans la cave de notre appartement que je commence à connaître par cœur, c’est celui que nous partageons avec Aurélie, et donc cet autre atelier que nous venons de créer. Il est de taille bien plus conséquente, on peut y faire des t-shirts et nous prévoyons de le perfectionner. Je viens d’ailleurs d’acheter une plus grosse machine qui va me permettre de travailler sur des affiches de plus grand format. Nous avons aussi une machine semi-automatique pour développer une activité d’édition de livres. Mais bon, tous ces projets prennent beaucoup de temps, on est rentré dans ce local au mois de février et aujourd’hui encore nous ne sommes pas vraiment prêts. Il y a vraiment beaucoup de boulot… Quel est le principe de cet atelier, c’est un collectif ? Ce n’est pas vraiment un collectif, c’est plusieurs personnes qui tra-
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vaillent dans le même lieu. Il y a mon frère, Sish Tick, il y a aussi Thibault et d’autres gars qui travaillent dans des domaines différents de l’image. À la base, j’avais une démarche assez sélective quant aux personnes qui viendraient y travailler, puis au fur et à mesure que le projet avançait, je me suis dit que ce n’était pas plus mal de partager ce lieu avec des personnes issues de différents horizons. Pour
être honnête, je suis assez sceptique sur le principe même du collectif d’artistes. Je pense que tu perds toujours une partie de ta personnalité dans ce genre de concept. Regarde les personnes qui travaillent sous cette forme, il devient souvent difficile de dire qui fait quoi. C’est une approche qui favorise vite l’esthétique pur, parfois même aux dépens de ce que tu
peux avoir envie de raconter en tant que personne. Perdre cette approche en travaillant dans un collectif est quelque chose qui me fait peur. Je vois mon travail comme très personnel et même si je le partage avec plein de gens, je livre quand même une partie de ma personnalité. Quelle est la culture qui t’a influencée ? Elle est large. Je suis né dans le rock et dans le punk avec un père qui a toujours été à fond de disques. Toute cette culture m’a donc bien évidemment excité même si maintenant j’écoute beaucoup de musiques différentes. Je pense tout simplement que je suis quelqu’un de ma génération, dans le sens où je ne suis pas forcément cloisonné dans un style en particulier. Je reste ouvert à beaucoup de choses… pour autant qu’elles soient de qualité bien sûr ! (Rires.) J’ai aussi une grosse culture techno avec l’influence psyché qui va avec. Je pense que les univers graphiques de ces différentes scènes m’ont fortement nourri. J’essaie malgré tout ne pas bêtement recopier toutes ces choses qui m’ont influencées. Mon approche de la création est proche de celle du sampling en fait, je fais mes collages un peu à la manière d’un musicien qui retravaille et assemble des pièces trouvées à droite et à gauche. Le but étant de raconter une époque, vue par moi comme fruit de cette génération. Je la vois donc en couleur, violente, chargée et intense. Quel est ton vocabulaire pour véhiculer ces idées ? Ça dépend, quand je fais des flyers ou des posters pour des soirées, j’essaie d’utiliser beaucoup d’images issues de l’univers de la musique, mais en les décalant un minimum. C’est toujours intéressant de détourner certains codes. Je ne vois pas l’intérêt de faire une affiche pour un concert rock’n’roll avec une vieille voiture américaine et un mec qui tire la langue ou bien une affiche techno en se collant aux codes techno. Le principe étant d’emmener ces codes dans un autre environnement. Je pense aussi que tout est relié ; on veut souvent opposer les genres, les styles musicaux et les cultures, mais en 2009 tout n’est plus si simple ou segmenté. Les scènes sont complémentaires et interagissent
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beaucoup, c’est donc intéressant de mettre les codes de tous ces univers dans une boite, de bien les mélanger et de voir les portes que cela ouvre. En Belgique, c’est quelque chose qui est très courant. Même à l’époque, j’ai souvenir de soirées où l’on pouvait passer des morceaux sixties, voire rock, et mettre une touche d’électronique par exemple. C’est une attitude ici. Il y a un côté très organique dans ta sérigraphie… Oui, c’est parce que mes images de base sont des images organiques. C’est juste que je ne dessine pas vraiment, mon travail est uniquement fait de collages d’images que je peux chopper par-ci par-là et que je stocke. Je ne saurais pas l’expliquer mais tout ce qui est organique m’attire, l’intérieur des corps et tous ces visuels… c’est très graphique. Pour quelques raisons que je ne saurais pas identifier, cela
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me parle. C’est juste un ton que j’ai envie de donner en tout cas. Est-ce que tu vois cette approche comme lugubre ? Peut-être, mais mon but n’est pas non plus de faire du hard pour faire du hard, ce processus de création se fait très naturellement. Je veux avant tout faire des œuvres visuels que les spectateurs vont retenir, certes qui peuvent choquer, mais qui vont restés imprimés dans la rétine. Dans cette même approche du détournement, j’aime utiliser des références qui peuvent sembler violentes au premier abord et les enrichir de couleurs vives pour finalement en faire un truc happy… Car cette violence et cette « lugubrité » sont présentes dans le monde et il faut bien que l’on vive avec, sans pour autant que ce soit traumatisant. Mon mentor par exemple, Fredox du Dernier Cri, est aussi le directeur artistique de Jean-Paul
Gaultier… Ce mec fait quand même les collages les plus dégueulasses au monde, très esthétiques certes, mais super dégueulasses. J’adore avoir son boulot en bouquin, mais vivre tous les jours avec ses images sous le nez n’est pas facile. Je ne suis pas gothique, je n’ai pas envie de vivre dans le noir. La vie est aussi joyeuse ! (Rires.) Penses-tu que le choc de l’image peut permettre de véhiculer des idées de façon plus efficace ? Certainement, mais ce n’est pas ma démarche. Nous vivons dans une société de l’image, et paradoxalement les codes visuels sont très formatés. Un visuel plus fort, voire choquant, va donc avoir plus de chance de sortir du lot. Mais ce n’est pas ma démarche première. À la différence des illustrateurs qui font de la BD par exemple, la contrainte de mon boulot est de placer un maximum d’idées dans une seule fenêtre, tout en créant un
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ensemble qui te reste dans la tête. Je le fais à ma façon et il semblerait que ce soit souvent qualifié de choquant. Mais j’insiste sur le fait que ce n’est pas volontaire. Appréhendes-tu de te répéter dans ton travail ? Ah… ça c’est un truc qui me fait flipper à fond. À la base, je tripe sur les gravures que je trouve délirantes à manipuler. Il faut juste que je fasse gaffe car cette méthode de travail peut tendre à devenir trop répétitif. Bien sûr, tu le fais parfois, parce qu’il faut bosser vite et que les délais sont à respecter. Mais bon, ça reste mon style aussi... J’essaie autant que possible de renouveler mon inspiration. L’important est de faire passer un message et de trouver une façon de le faire. Ensuite les gens se l’approprient pour en dégager leur propre interprétation. Je pense simplement que trouver des nouvelles choses à dire est le meilleur
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moyen de ne pas tomber dans la répétition. Tu travailles pour quel genre de commande ? Je fais beaucoup de boulot en rapport à la musique, des soirées ou bien des programmations de salles de concerts. J’ai aussi fait un certain nombre de pochettes de disques pour des groupes comme The Magnetix et quelques autres groupes du label Born Bad. Depuis peu, il y a le monde du skate qui s’est ouvert à moi et j’ai produit quelques boulots pour des marques comme Yama ou encore Carhartt. Je viens d’ailleurs de finir des planches pour la marque Flip Skateboards, Element vient aussi de m’approcher. C’est intéressant car ce milieu me permet de faire des choses que je ne pouvais pas me permettre de faire auparavant. Du moins au niveau des moyens, j’entends. J’ai fait des séries de stickers de super qualité, j’ai pu faire un
graphisme pour un surf aussi… C’est assez nouveau je dois dire. (Rires.) Enfin, c’est super quand ça se passe bien et beaucoup moins quand ça se passe mal. Mais je travaille quand même essentiellement pour moi, dans une démarche personnelle, le but étant de faire des expositions le plus souvent possible. Est-ce que tu prends en compte pour qui tu travailles dans ton boulot ? Bien sûr, d’office. Je suis parfois bien obligé de m’adapter même si j’ai l’exigence personnelle de ne pas accepter un boulot si je n’ai pas la liberté totale de ma création. Le but n’est pas de gagner plein de fric, j’ai trouvé un moyen de faire ce qui me plaît tout en continuant de manger à ma faim. J’ai la chance de ne travailler que par plaisir et je tiens énormément à cette liberté-là. Puis je n’ai pas de scrupules à travailler pour une marque ou une autre... tant qu’on me laisse faire ce
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que j’ai envie de faire. Par exemple, je ne pourrais jamais travailler dans la pub, ce serait impossible ; tu as beaucoup trop de restrictions, tu es bloqué sur plein d’aspects et ces contraintes me dérangent vraiment.
en même temps restaient très précis. Tous les vieux trucs socialistes aussi, l’école russe et la période soviétique. J’adore le côté massif et imposant de cette vague, cela racontait tellement de choses…
Tu as des influences particulières ? J’ai été très impressionné par Zeloot, une hollandaise qui a une approche assez psyché. Elle est influencée par les sixties mais son travail reste tout à fait contemporain. Tu vois qu’elle raconte les années 2000 et qu’elle sait de quoi elle parle. Je trouve son boulot assez exceptionnel. Sinon, j’ai beaucoup été influencé par les années 60/70, à cette époque les mecs se lâchaient complètement mais
Pourquoi avoir choisi le support affiche ? Il y a tout ce côté communication que je trouve très intéressant, presque revendicatif tout en restant très graphique. Tout ça est propre à l’affiche et je me sens plus proche de ce mode de communication. De plus, ce support reste très abordable et éloigne le côté élitiste de l’art. Je n’ai aucun souci avec le fait d’imprimer 35 posters, j’aurais déjà plus de mal à en faire
cinq et les vendre beaucoup plus cher. Après, j’ai pas mal de nouvelles portes qui s’ouvrent à moi en ce moment et je commence à prendre conscience de certaines concessions qu’il va falloir que je fasse. Mais pour l’instant, c’est un truc que je n’arrive pas à passer. J’ai aussi beaucoup de mal avec le principe de l’exemplaire unique, je serai incapable de vendre un original par exemple. J’ai besoin de garder une trace pour moi, je vends donc des multiples même si paradoxalement j’adore acheter des pièces originales. www.elzo.be www.lederniercri.org www.oreli.be www.sish-tick.be www.myspace.com/ themagnetix www.bornbad.fr
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interview de benoît alègre photographies de ian dykmans
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Les petites histoires de Ian & Benoit l’association brusk est née en 2002, d’une contraction de bruxelles et skate, et elle a pour but de développer des skate-parks dignes de ce nom, en collaboration avec les municipalités pour éviter les aberrations et autres abus. une démarche à suivre, et des mots qui ne sont pas mâchés…
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comment avez-vous commencé ? Ian : En fait il y avait des vieilles pistes comme le vieux bowl de Bruxelles que nous voulions rénover. Nous avons réussi à faire venir un employé administratif pour qu’il y jette un œil. Deux semaines plus tard, il avait pris la décision de faire enterrer les bowls de terre et donc de fermer le skatepark car selon lui la sécurité des pratiquants n’était pas assurée. Nous avons donc contacté la presse pour faire une série d’interviews, il faut dire que les journalistes se battaient au portillon car nous étions en pleine campagne électorale. La pression a marché, la ville nous a invité en nous demandant d’arrêter de donner des interviews en contrepartie d’une réelle écoute. Malgré quelques difficultés et notre manque d’expérience ce projet a été une très bonne première expérience. Benoit : Juste après ce projet nous avons été actif sur l’aménagement du square des Ursulines. Les politiques voulaient faire quelque chose de ce chancre en plein milieu de Bruxelles depuis longtemps, mais faute d’un consensus, rien n’avait jamais abouti. Étonnamment le projet du skate-park a, lui, mis tout le monde d’accord et il est très vite devenu un projet d’aménagement prioritaire. Le résultat est le fruit d’un appel d’offre lancé auprès des écoles d’architecture de Bruxelles. Nous avons donc été intégrés à ce projet comme consultants techniques skate. Le résultat est une place publique skatable, non un skatepark, c’est un projet architecturalement fort, intégré dans son environnement et qui décloisonne le skate. Il semble que vous intégrez une dimension sociale à vos démarches ? B : D’office ! Pour commencer, le collectif a toujours fonctionné sur le principe du bénévolat ; cela signifie que les gens s’investissent dans le collectif par rapport au plaisir que l’activité leur procure. Nous passons beaucoup de temps à parler et à réfléchir au sens de nos actions. I : Nous travaillons aussi conjointement avec les associations de quartier. Petit à petit notre activité a débouché sur des contrats et subventions qui nous permettent maintenant de proposer du travail aux jeunes skaters, ainsi les faire entrer dans le
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monde du travail à travers une activité qui leur plaît. Certains travaillent aux initiations, par exemple. D’autres travaillent aussi bénévolement sur la construction pour apprendre le métier, mais c’est un peu plus dur… B : Oui, c’est plus dur physiquement, du coup la motivation tient moins longtemps. Puis c’est plus de temps en temps, du coup par coup quand nous obtenons des chantiers. Quelle est votre façon de fonctionner avec les politiques ? I : La relation n’est pas toujours simple, mais nous avons beaucoup de personnes qui font le lien avec eux,
des gens comme les Éspaces Verts, les maisons des jeunes, etc. Ces gens nous aident vraiment pour crédibiliser notre parole auprès des politiques et finalement nous n’avons que très peu de rapports directs avec eux. Il faut aussi savoir se vendre, bien remplir les dossiers et rentrer dans les bonnes cases. Le skateboard étant une culture particulière, nous ne sommes pas crédibilisés comme nous devrions l’être. On va dire que le dialogue n’est pas toujours facile. Pour exemple, le mot « skater » veut dire casser en wallon B : On commence à se dire qu’on trouverait bien des mécènes, comme les entreprises du bâtiment par exemple. I : Après, nous ne sommes pas prêts à tout. Des gens comme RedBull nous aiment vraiment bien, ils voudraient travailler avec nous mais la seule chose qu’ils aient obtenue de notre part
est qu’on dégonfle leurs pneus et publicités géantes pour qu’ils arrêtent de distribuer leur merde aux gamins du coin !! (Rires.) Comment se passe l’intégration du skate-park dans la vie de quartier des Urselines ? B : Très bien, dès le début nous étions d’accord avec les gens de la gestion des espaces verts pour créer un lieu ouvert et sans barrières. Pour ne pas avoir de gardien, ils ont proposé que ce soit le collectif Brusk qui gère la vie du lieu. En organisant des initiations nous arrivons à faire venir un public familial le matin, avec des jeunes enfants et leurs parents, puis plus la journée avance, plus le public devient âgé. Tous ces gens se mélangent et se sentent concernés. Le lieu a aussi été conçu de façon ouverte, de sorte que les passants puissent eux aussi s’arrêter et s’asseoir un moment. I : Oui, c’est plus pensé comme une place publique que comme un skatepark. L’agent de quartier déclare que ce lieu est celui sur lequel il doit le moins intervenir dans le coin. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de conflit, il y en a partout, mais ici tout se règle en douceur sans aucune intervention extérieure. Par contre, c’est le lieu ou il y a le plus de poubelles a ramasser... B : Le bilan est bon, chaque année les pouvoirs publics renouvellent leurs subventions pour la gestion du lieu.
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Vous développez aussi une activité de construction de skate-park en béton ? B : Oui, on vient d’ailleurs de finir la construction du skate-park de Chelles en région parisienne. On essaie de faire ça avec les skateurs locaux pour bien connaître leurs besoins et ce qu’ils attendent précisément. Nous faisons participer les acteurs depuis le dessin jusqu’à sa construction. I : Le but est qu’à la fin de l’atelier les gars puissent être autonomes, de la conception à la construction même du skate-park. Dans certains cas et au bout de plusieurs années, les jeunes ne nous appellent plus, ils peuvent se prendre en main tout seul pour faire évoluer leur propre skate-park. Dans cette démarche, nous disons souvent qu’on ne veut pas travailler mais œuvrer…
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des photographies & un texte qui n'engage que lui de loïc benoit
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L’Amérique, je la veux et je l’aurai… (Joe Dassin). cet article retrace un petit voyage de dix amis dans les états américains d’oregon et de washington, qui se trouvent entre la californie et le canada. ces deux états regroupent quasiment autant de skate-parks en béton que toute l’europe réunie. notre quotidien a été ponctué de camping sauvage, de sandwiches végétariens, de café sans sucre, de skateboard, de découverte de métropole comme portland et seattle, mais aussi de grands espaces vierges de toute pollution humaine, comme orcas island… bienvenue en amérique !
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The Oregonian, nouvelles du monde. Portland, Oregon.
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Bastien Duverdier. Curving. Florence, Oregon.
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burnside · portland · oregon {part 02} A chacune de nos visites les locaux étaient assis, ils ne skataient pas ; et le simple fait d’entrevoir motivation et excitation sur nos visages, les énervaient. C’est dans ces momentslà qu’ils se font un malin plaisir à se lever, à dropper et à vous faire la démonstration, sans vous laisser une seule possibilité de prendre part au manège… En guise de cerise sur le gâteau, nous avons assisté à une scène assez dingue. Le gardien du spot, Little John, a.k.a L.J, s’est permis de virer des slackers* (voir la définition plus loin), venus sans planche à roulettes, prendre l’apéro avec leurs petites copines. Vous auriez dû voir comment le petit John leur a gueulé dessus. Ils n’ont pas eu d’autres solutions que de partir, avant que les chiens ne soient lâchés. Non, je déconne, il n’y avait pas de chiens ce jour-là…
Le Président est Noir et alors ? Fait important cette année, les Etats
Unis ont changé de Président, un peu comme chez nous il y a deux ans. Nous, nous sommes passés d’un escroc à un PDG de multinationale ; les Ricains, eux, ont hérité d’un nouveau roi du monde, noir de peau… Et alors ? C’est exactement ce que je me suis dit en me rendant sur place : « et alors ? » De mon point de vue (qui n’engage que moi) de touriste européen, rien n’a changé, sauf peut être les tee-shirts dans les boutiques de souvenirs, le « Yes we can » vous matraque le cerveau, et l’espoir fait vivre en attendant la prochaine guerre… Que voulez-vous, noir ou blanc on ne change pas la face du monde du jour au lendemain, et il ne faut pas oublier que la première mesure prise par ce nouveau messie a été de renforcer les lois contre l’avortement ! Chacun voit midi à sa porte, j’attendais un peu mieux comme symbole de démocratie… Finalement, depuis ma dernière visite, pas grand chose n’a changé : les gens et les voitures sont toujours aussi gros, le pétrole est abordable, les gobelets de boisson contiennent au minimum un litre, les sodas remplacent l’eau du robinet, la conscience végétarienne est bien plus développée que chez nous, la prise de position de l’église dans « la vie de tous les jours » se développe toujours autant, les concerts de rock sont peu chers et riches en émotions, les 4X4 pullulent, la misère tend de plus en plus la main, les distributeurs de billets sont accessibles en voiture, plus personne ne
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Ces gens passent tout leur week-end aux carrefours des routes du sud de l’Oregon afin de sensibiliser les Américains sur le retrait de leur armée des quatre coins du monde.
Burnside représente dix-huit années de souffrance comme ils disent aux pays des libertés. C’est LE skate-park DIY* par excellence. Tout a commencé avec une petite courbe sous le Burnside bridge de la ville de Portland, ce lieu est depuis devenu mythique et donc connu par les skaters du monde entier. Tous rêvent un jour de rouler sous le pont, mais attention le rêve peut s’avérer être un sacré cauchemar. Le spot est « fait main », irrégulier et radical au sens large du terme, les pièges et trous en tout genre y sont nombreux, et les trajectoires ne s’offrent pas facilement à vous. Le simple fait de ne pas perdre de la vitesse relève de l’exploit. Il faut savoir que vous n’êtes pas le bienvenu à Burnside, vous devrez faire vos preuves et ça commence avec un gros pack de bières ; c’est le prix à payer pour dropper. Les locaux n’ont rien des patriotes américains de base, mais certains de leurs principes pourraient convenir au gouvernement Sarkozy, comme leur motivation à détester les étrangers et à les reconduire à la frontière du skate-park. Nous avions tous rendez-vous à Portland, Paul (Labadie, le vidéaste), Alex (-andre Deron, le team-manager Vans.) et Samuel (Partaix) sont arrivés un jour en avance dans le but de skater le monstre. Connaissant les règles depuis un précédent séjour, la triplette de frenchies est donc arrivée les bras chargés de biè-
res fraiches. La dîme posée sur la plateforme, chacun droppe et curve ce lieu magique. Après l’effort, le réconfort… C’était sans compter sur la faculté des locaux à finir les packs avant même que vos roues n’atteignent le plat…
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Samuel Partaix. Backside crail-slide dans la grosse partie du park de Florence, Oregon.
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marche, les personnes âgées ramassent les chariots sur les parkings des supermarchés, Dieu béni ce peuple et tout le monde à l’air d’y croire…. Pour en revenir à ce nouveau Président, et bien c’est un peu comme leur Dieu, il a beau promettre des jours meilleurs, rien ne vient. Personnellement je n’y crois pas. On ne se sort pas d’autant d’années de capitalisme sauvage, pendant lesquelles le pognon a dicté sa loi au détriment du respect des êtres humains, de la nature, soudainement, comme ça, juste parce que l’autre guignol est noir de peau. Trouvez-moi un Président agriculteur (sans pesticide), végétarien, syndiqué, pédé, sans vélo à pignon fixe, conduisant un véhicule électrique, haïssant les banquiers… après je vous laisse choisir sa couleur de peau, et là, seulement à ce moment-là, je commencerai à avoir confiance en notre futur,
et peut être même que je porterai un tee-shirt «oui nous pouvons ! »
Pourquoi Joseph Biais* a-t-il acheté une télévision à écran plat de type Blu-ray full HD à 10 000 kilomètres de chez lui ? Pour des raisons d’éthique, d’amitié et de fair-play, l’anecdote revient à un autre magazine. On ne conservera que la conclusion : Beau geste Joseph ! En tout cas, c’est une belle anecdote, comme on les aime : une anecdote à 500 dollars !
Mark Red SCOTT Mark est l’homme derrière Dream Land, une société qui construit des
skate-parks en béton depuis dix ans, lui et sa petite entreprise sont basés à Lincoln City sur la côte Pacifique. En gros, c’est le genre de structure qu’il manque en France. À la place nous avons des commerciaux en costard cravate qui n’ont jamais mis le pied sur un skate et qui vendent des carrés de béton « clés en main » à des mairies laxistes et naïves… L’Amérique à des mauvais côtés, mais question création de skateparks, les pouvoirs publics savent à qui donner l’argent public. Mark, sa petite équipe de ‘workersskaters’ et sa femme, ont créé la plupart des skate-parks incroyables en béton qui parsèment l’Amérique. Il en a profité pour se faire construire un bowl hors-normes dans sa propriété, non loin du jacuzzi, dans le même hangar qui sert de garage, entre la piste de motocross et le terrain de foot. Ce bowl est profond, souvent vertical,
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avec une petite partie à cinq mètres de hauteur, un corner d’une profondeur de sept mètres, un autre avec un « vagin en plein milieu » et toute une partie faite de plans inclinés improbables et très raides. Mark a vu grand et il s’est fait plaisir ! Pour être franc, je suis en train de vous parler de quelqu’un que je n’ai pas rencontré. Nous avons été accueillis comme des rois, alors que Mark était en déplacement. C’est sa femme Daniele qui s’est occupée de nous, comme si nous étions ses grands enfants ; je me sentais mal à l’aise face à sa générosité et toutes ses petites intentions. A peine arrivés, tard le soir, nous avons été conviés à nous détendre dans le jacuzzi extérieur ; au petit matin Daniele nous avait concocté un petit déjeuner à base de jerricans de café Starbucks et d’une cinquantaine de muffins. Ensuite elle
a sorti deux bécanes de cross pour que l’on puisse « jouer » sur le terrain, il ne manquait plus que l’attraction « tire à la carabine dans les boîtes de conserve » et le rêve américain aurait pu être à portée de nos mains ! Mille mercis à la famille Scott !
Les larcins (n.m. Petit vol sans grande importance, forcément d’une faible valeur, commis sans violence, ni effraction). Oui, nous avons péchés et nous irons en enfer, mais compte tenu de notre statut d’étudiant des temps modernes qui a tendance à s’éterniser (j’ai 42 ans !), nos budgets sont limités et c’est donc sans remord que nous avons fait quelques courses dans les supermarchés pour « pas un rond ». Les USA, c’est un peu le pays des
Bisounours, tout est beau, tout est rose, les voleurs sont de l’autre coté de la frontière, et les vigiles de ces centres de consommation ont bien plus de 60 ans (système social oblige). Et le fait d’être la première puissance mondiale et de chier à la gueule de pas mal de civilisations, ça crée forcément des divergences, donc au lieu de garer un Boeing dans un gratte-ciel, je préfère m’en prendre à leurs supermarchés, sans remord et sans arme… Cela n’engage que moi bien sûr !
L'OREGON CAPITALE : Salem SUPERFICIE : 255 026 km2 (classé 9e) POPULATION (2000) : 3 421 399 hab. (classé 28e) DENSITÉ : 13,42 hab/km2 PONT CULMINANT : Mt Hood (3 426 m) ALTITUDE MOYENNE : 1 005 m
God bless cowboys. Scène de bar, perdu dans les forêts de sapins du sud de l’Oregon, sur la route de Florence.
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LEXIQUE DIY Selon Wikipedia, le DIY désigne : des loisirs manuels visant à recréer à moindre coût des objets de la vie courante, le plus souvent techniques, par récupération de chutes et de déchets. Depuis le mot a été galvaudé et est utilisé pour tout et n’importe quoi. (synonyme : bricolage) – ndlr. FACEBOOK Facebook est un réseau social qui a connu son année de gloire en 2009, avant de s’effondrer en 2010 comme suite à la guerre mondiale. Loïc, à sa décharge, n’a jamais utilisé ce réseau, il ne l’aime pas, voire il reconnait que ça peut être utile pour communiquer… - ndlr LES ‘SLACKERS’ (n.m fainéant, un branleur, qui se satisfait de peu.) Le slacker peut se caractériser par une garde de robe de type ‘tendance’ : le pantalon de velours ou encore un chino (coupe droite), surmonté de LA chemise à carreaux, le gobelet Starbucks, le visage avec barbe
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rebelle, qui arborera fièrement une paire de grosse lunette à monture noire et épaisse, le tout chapoté par une coupe de cheveux grasse et fournie, la mèche dans les yeux. Pourquoi cette description détaillée ? Tout simplement car nous avons erré pendant deux semaines au pays du « geek-branchouille-enculeur-demouche », c’est comme à Bastille, il y en a de partout. Je crois que nous pouvons dire que Seattle, après avoir été la capitale du mouvement Grunge est en 2009 celle du mouvement slackers. JOSEPH BIAIS Joseph, aussi connu en tant que Djibi ou Biaisbiaisbiais, est un jeune skater de Viroflay qui s’est illustré lors de ce voyage en Oregon, en cassant la télévision à écran plat de la légende vivante de Portland, Choppy Omega. Joseph a été vu en compagnie de Fonfon et Jamie Thomas au début de l’année en Australie, il devrait reprendre ses études à Lille en septembre. Joseph est souvent drôle et chiant, tout comme Loïc, c’est pour ça qu’on l’aime… -
Father’s place. Hobo girl at work. Portland, Oregon.
ndlr.
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interview de sébastien charlot photographies de benoît alègre
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philippe collin est l’un des instigateurs et l’animateur de deux émissions radiophoniques délirantes et absurdes qui mêlent actualité, histoire, parité et audience. elles prennent place les samedi et dimanche matins sur france inter. nous avons souhaité en savoir plus, nous avons enquêté, nous l’avons retrouvé et pour une fois c’est le professeur collin qui est le patient… * p a n i q u e a u m i n i s t è r e p s y c h i q u e e t p a n i q u e a u m a n g i n p a l a c e, c ’e s t e n d i r e c t s u r f r a n c e i n t e r l e s a m e d i e t l e d i m a n c h e à 11h 05 p r é c i s e . r e n d e z - v o u s e n s e p t e m b r e ! (o u a l o r s c o n s u l t e z l e s a r c h i v e s s u r l e s i t e : w w w.n e l a c h e z r i e n . o r g)
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quels ont été tes premiers pas à la radio ? Je suis venu à Paris pour faire mon service militaire, j’y ai rencontré Xavier Mauduis, puis je suis entré à Inter par l’intermédiaire de Gérard Lefort de Libération. Ensuite les choses ont avancé, on finit par te confier une chronique, elle fonctionne, on te propose un format plus long sur une grille d’été, un dimanche après-midi, on ne prend pas de risque. Avec Mauduis, on prépare un truc bizarre, une sorte de laboratoire et prémisse de Panique au Mangin Palace, il se trouve qu’après cinq émissions, ça explose ! On est même complètement dépassés par le truc, on est des amateurs, on n’y connaît rien à la technique, on fait du bidouillage… On s’est dit qu’on allait se marrer pendant un été, ils sont déments chez Inter de nous confier ça, on était clairement incompétents ! ça allait au niveau de l’écriture, mais côté montage et réalisation, je pense qu’un môme de douze ans savait faire mieux que nous ! C’était le dimanche à 16 heures, ça s’appelait Comme un ouragan, il y avait dix épisodes thématiques sur les années 80, consacrés au fric, à la politique etc. Comment la sauce a-t-elle pris ? Il y a eu un buzz qui est passé par Internet, qui a été relayé à la station, du coup ils ont été intrigués. La radio cherchait à se renouveler et dès qu’ils ont su que l’on avait été approchés par la concurrence, on nous a proposés un contrat de quatre mois, de septembre à décembre, le dimanche matin de 11h à midi. Un créneau très exposé, un des premiers créneaux de Desproges, de Ruquier… On a été très impressionnés, on a même eu très peur ! A cet horaire, tu touches tout le monde, les actifs, les inactifs, les jeunes, les vieux, les cadres, le flux est énorme… En semaine, ce flux est beaucoup plus tôt, autour de 7h du matin… C’est comme ça que Panique au Mangin Palace est né et au premier sondage on s’est pris le mur, on a perdu 800 000 personnes. Ils ont voulu nous foutre dehors fin décembre en nous disant : « On y a cru, mais le format est trop compliqué, ça demande beaucoup d’attention, on ne comprend pas ce que vous faites… » En même temps, c’était hallucinant comme ça prenait
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sur Internet, il y avait une euphorie autour de l’émission et la presse qui nous appelait en nous disant : « On veut vous voir ! Qu’est-ce que vous faites ? Expliquez-nous ! » Sur cette base, le directeur des programmes de l’époque est allé voir le président Cluzel et lui a dit : « Nous sommes midécembre, il reste six mois jusqu’à la fin de la saison, c’est compliqué, mais ils ne pourront pas faire pire en terme d’audience, on arrête en juin… » En janvier, on a récupéré les 800 000 auditeurs et on en a gagné 400 000 de plus, ce qui fait que d’un coup, on a été complètement dépassés, emportés par la vague…
« c’est très facile de partir en sucette, et c’est même parfois assez tentant ! » Vous n’avez pas peur du débordement ? On y pense tout le temps, on fait attention à doser pour ne pas déraper, pour être juste, car c’est très facile de partir en sucette, et c’est même parfois assez tentant ! (Sourire.) Mais on ne va pas tout perdre sur un coup de dé. Il y a de l’autocensure, parfois on se bidonne au bureau, avec une idée, les sons et les associations qui vont avec, on rit deux minutes, on se regarde et on met à la poubelle. Si on laisse passer, on va au procès le lundi matin. On va faire rire les gens qui vont entrer dans notre délire, puis on ferme la boutique. Ça ne sert rien. Peux-tu nous en dire plus sur le Ministère Psychique ? Le Ministère Psychique, ça repose sur trois fondements. D’une part tordre la réalité, prendre des choses
du passé qui ont été réelles et en général qui appartiennent au patrimoine national, des écrivains comme Zola ou Voltaire ou des personnages imaginaires comme Robinson Crusoé qui est entré dans la culture française. Le but est de raconter la réalité différemment, le faire par touche, un peu comme un travail impressionniste, des touches qui te feront découvrir quelque chose d’une manière différente, comme une trappe que tu ouvres et sous laquelle il existe un monde. Chaque samedi, tu peux y entrer ou non dans ce monde… Il y a eu une émission sur Marguerite Duras, tu ne la connaissais pas tant que ça, et par des lectures, de la déconne, on a fait marrer les gens. On a la prétention de croire que peut être trois personnes vont se dire : « Je vais aller lire Duras pour voir ce que c’est… » Pareil avec Voltaire, si ça peut donner envie de relire Candide… On veut offrir du plaisir aux gens. 89 De l’émotion ?! Oui ! L’émotion et le plaisir, on vient le samedi et le dimanche comme dealers de plaisir ! C’est le deuxième fondement, on veut se faire plaisir pour faire plaisir aux autres. Le troisième, c’est une réflexion sur l’absurdité, tu vois qui est Pierre Dac ? C’est le règne de l’absurde ! On se place sous l’égide de Pierre Dac, avec le but de tordre la réalité, de montrer avec ce délire que le monde peut être absurde, et que ça n’est pas si inintéressant d’essayer de casser ce qui paraît concret de premier abord. Une émission de radio a ses codes, un déroulé classique, un peu comme une œuvre de peinture de Delacroix. Delacroix représente un style et s’inscrit dans une histoire de la peinture, et des gens sont arrivés pour casser ces codes, des gens comme Cézanne ou Picasso. Pierre Dac, et d’autres avant nous, ont essayé de casser cette mécanique de la radio, de casser le conducteur pour voir ce qu’il en ressort. On a une réflexion là-dessus aussi. Plein de gens nous détestent, n’y comprennent rien, et c’est normal. Je comprends que l’on puisse nous détester, j’aime que cette réaction soit violente, ça veut dire qu’il y a rejet et le rejet est intéressant. A l’opposé, il y a des gens qui sont dans la démesure de l’adoration, des fans-clubs…
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Comme le blog je suis amoureuse de Philippe Collin ! Par exemple… ça aussi c’est compliqué ! Bref, il y a donc ça dans le Ministère, prendre un objet, donner trois coups de masse dessus, qu’il explose, que l’on voit ce qui en sort, et on l’expose à l’antenne. C’est une réflexion qui est étrange, mais qui vaut le coup, qui permet d’expérimenter… De quelle manière vous choisissez les patients ? C’est très simple, il y a trois paramètres. Il y a ceux dont on a envie de parler, les gens que l’on aime ; ensuite on alterne les époques, de Da Vinci à Zola en passant par Kurt Cobain, puis on essaye de jouer avec les codes de cette époque pour créer un univers. Le troisième point, c’est l’alternance homme/femme.
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L’émission est en direct, comment ça se passe !? C’est ça qui est rock’n’roll ! C’est très excitant, tout à coup il est onze heures… Souvent les gens se foutent de ma gueule… mais c’est la même émotion que lorsque tu es sur le take off en surf, que ça va partir et tu as peur, moi j’ai peur en tout cas ! Tu as des vagues de trois mètres de haut, tu hésites, mais c’est très excitant ! Pour la radio, c’est la même chose, quand tout d’un coup il est 11h05 et que Marco me dit : « On va y aller ! » dans le casque, je sais qu’il y a 43 éléments, que la machine peut déconner, qu’il y a la pub à 11h58 et 43 secondes, que l’on doit rendre à midi pétante et que tu n’as plus aucune maîtrise. Une fois que c’est parti, je n’y pense plus à tout ça, mais l’émotion qu’il y a entre 11h05 et 11h06, elle est démente ! C’est vampirisant, tu te laisses aller et tu sors de là épuisé. Quand la lumière est rouge, tu y vas, en sachant que tu ne maîtrise plus rien. Il n’y a pas d’invités pour me rattraper, si ça plonge je suis à poil. Tu proposes un spectacle aux gens, s’il part en vrille à douze minutes, c’est fini ! il en reste trente-neuf à combler, c’est ce qui fout la trouille ! Quand tu as un invité en plateau, un cinéaste qui vient pour un film, il faut être bon pour l’interview, mais le mec est devant toi, vous allez même parler de sa mère si tu n’as plus de questions ! Durant l’émission, il y a 43 sons… Pen-
dant une heure, tu te prends un son dans le casque toutes les 40 secondes, en sachant qu’il faut que tu entres dans le son et que tu en sortes, avec le ton qui va avec ; c’est éprouvant, tu te prends des pains dans la tronche ! Tu sais qu’il y a plein de gens qui écoutent et tu te dis : « J’ai l’air d’un con, mais ça n’est pas grave… J’y crois, c’est trop bien, on est là, on se marre ! » Tu sembles avoir une attache particulière à la psychanalyse ? (Silence.) Ça me passionne… Si tu veux ce n’est pas tant la psychanalyse, mais la trouille que les gens en ont. Je ne suis pas un spécialiste, j’ai lu Freud et je trouve ça vraiment tripant… Je ne sais même pas si c’est vrai ce qu’il raconte, mais il y a un fond de vérité là-dedans, simplement le fait
d’avoir pensé à cette théorie, on est au bord du génie. J’adore savoir que les communistes détestaient ça ! Cela transpose la psychanalyse dans une dialectique historique qui est passionnante… On ne se rend pas compte à quel point Freud a fracassé la société. Il est venu raconter aux gens, et plein y ont cru, que l’on n’était plus maître de nos actes, qu’il y a tout un monde qui contrôle nos rapports aux autres, sans oublier nos actes manqués et nos lapsus… D’un seul coup, tout part à la poubelle ! Dieu n’existe plus, car pour Freud c’est qu’une illusion œdipienne. Copernic est arrivé en disant que la terre n’était pas au centre de l’univers, c’est une première blessure narcissique, tout le monde croyait qu’il n’y avait que nous, que Dieu nous avait créé, mais non, pas de
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Le lundi est consacré à la recherche des sons qui vont correspondre à ce dont on a parlé le dimanche. Mardi, il y a une conférence de rédaction pour l’émission du dimanche qui porte sur l’actualité de la semaine, on définit ce que l’on veut raconter comme histoire. Mardi après-midi, on continue à chercher des sons pour le samedi, et on commence à lancer des pistes pour trouver des sons pour le dimanche. Mercredi, c’est une journée de montage, de tricotage pour les sons du samedi matin. Il y a la première partie de l’écriture jusqu’à minuit, voire une heure du matin. Le jeudi on finit l’écriture, on peaufine toute l’émission du samedi, sons et textes. On fait une répétition. Le vendredi est concentré sur le dimanche, on monte et on écrit. Samedi 11h, émission. Samedi après-midi, on reste à la radio jusqu’à une heure du matin, voire deux, voire trois… pour finaliser l’émission du lendemain. Le dimanche matin à 11h on fait l’émission… etc. C’est un truc effrayant et sans fin !
bol, on est pleins, et même pas au milieu ! Darwin arrive et dit : « Vous descendez du singe ! », alors qu’avant il y avait Adam et Eve ! Vlam ! et Freud débarque, il est très prétentieux, avec : « Je vous dis juste que vous ne maîtrisez pas vos actes ! » Il est venu clore cette révolution sur trois siècles, de Christophe Colomb à la fin de la première guerre mondiale. Au 20ème siècle, on se met soit en opposition, soit en accord avec tout ça. La psychanalyse est beaucoup plus présente qu’on ne le pense, même toi inconsciemment, je suis sûr que tu as réfléchi au rapport que tu as eu avec ta mère ! Il faut savoir qu’au 19ème siècle, on ne pensait pas à tout ça ! Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens se positionnent par rapport à ça, tu n’imagines pas le nombre d’emails d’insultes
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que l’on a reçu à ce propos, disant que l’on était des charlatans comme l’Autre ! Nous, c’est évident qu’on est des charlatans, et pas des psychanalystes ! On a reçu des emails disant : « Vous ne vous rendez pas compte, vous utilisez le mot schizophrène comme vous diriez autobus… » Ce mot fait peur et ça, ça me fascine. Le rythme semble intense, ça ressemble à quoi une semaine type ? On est le 25 juin… on a eu une semaine de vacances à Noël, sinon on est tous les jours à France Inter depuis le 17 août. En gros, ça se termine le dimanche midi après l’émission, on fait une réunion, on lance les pistes pour la semaine suivante, par rapport à l’invité du samedi, ça dure une heure. Là, on rentre chez nous et on fait la sieste.
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Le secret de Philippe Collin pour tenir, c’est comme Freud, un peu de cocaïne ?! Même pas ! C’est une bonne remarque ! Non, j’ai une vie de moine, pas une goutte d’alcool, mon seul vice c’est la clope. Je dors mes nuits, six heures, je bois beaucoup d’eau, je mange beaucoup de fruits et de légumes, c’est con, mais c’est vrai ! Je suis épuisé, mais comme j’ai une vie saine, je gère la fatigue correctement. Là je n’ai pas bu une goutte depuis juillet dernier, mais je suis en vacances la semaine prochaine, je vais pouvoir reprendre l’apéro ! Vu le rythme quand tu travailles sept jours sur sept, il arrive un moment où un vendredi tu ne te lèveras pas… J’ai 34 ans et ce n’est plus possible. Tu as senti passer 28 à 34, non ? La petite différence ! Ce n’est plus tout à fait pareil, c’est terrible !
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texte de johan walger
LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE JOHAN WALGER
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roman avec cocaïne de m. aguéev - Odyssée égocentrique -
ne vous attendez pas à une chronique des derniers livres parus car j’en suis incapable, et la plupart des jeunes auteurs m’ennuient profondément, ou ils sont surfaits. Comme si une Lolita Pille allait décrire autre chose que les petites crises existentielles de ces adolescents qui s’en mettent plein le pif. De plus, le problème des jeunes auteurs français est qu’ils rêvent d’être américains. C’est d’ailleurs pour cela que je vais écrire sur un Russe surgi de nulle part et qui a sombré dans le néant avant même d’avoir atteint la lumière. Aguéev est son nom. Enfin, on le suppose. On ne dispose de quasiment aucune information fiable le concernant, ceci ajoute un aspect mythique à son ouvrage. Et si le livre était mauvais, cela ne poserait aucun problème qu’il reste dans l’anonymat. D’ailleurs, un certain nombre d’auteurs devraient y songer. Ne comptez pas sur moi pour balancer, enfin pas tout de suite. Aguéev aurait envoyé le manuscrit de ce roman à une revue russe publiée à Paris dans les années 30. Le paquet venait de Constantinople, envoyé à la revue Nombres. Une revue tenue par des Russes issus de la première émigration, pour faire simple : des nobles qui ont fui la révolution bolchévique. Essayez de vous souvenir de votre programme de troisième. Ce manuscrit avait pour titre Récit avec cocaïne et j’imagine le bonheur qu’a dû éprouver la première personne qui a eu la chance de le lire. Quant à l’auteur, on a pensé à une période que c’était peut-être un écrivain russe connu qui avait endossé un pseudo. On lui a prêté l’identité de Nabokov, l’auteur de Lolita, dont Stanley Kubrick a fait une adaptation qui me laisse perplexe. Ensuite on a supposé
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que c’était Dostoïevski. On a tenté de retrouver sa trace mais les annonces sont toujours restées sans réponse. Rien que pour cela, ma curiosité a été excitée et elle n’a pas été déçue quand j’ai eu ce bouquin entre les mains. Le livre est de bonne taille, un peu plus de 200 pages, ce qui lui permet de m’accompagner dans la plupart de mes déplacements, pas besoin d’un sac comme lorsque je me suis finalement décidé à lire Guerre et Paix. Le titre est aguicheur, ceux qui espèrent trouver une apologie de la cocaïne font fausse route, ou alors ils passeront totalement à côté de l’intrigue. Ce roman est celui que l’on rêve d’écrire, il est brut, se lit d’une traite et aide à me sentir moins seul. La narration et les opinions de cet homme laisse à penser que, soit il était anachronique, soit l’être humain ne change pas au fil du temps. C’est écrit à la première personne, les dialogues sont rares. On suit les pensées et la vie de Vadim qui est un modèle d’antihéros. Ce premier aspect est déjà exceptionnel pour l’époque, l’action du roman ayant lieu en 1916. L’antihéros n’apparaît comme un symbole de la jeunesse que dans les années 50, avec l’avènement du rock’n’roll et des films de James Dean tels que Rebel Without A Cause, ou de Marlon Brando dans A Streetcar Named Desire. C’est ce qui rend ce livre si intense, si actuel et qui m’a fait me demander d’où venait l’ovni que je tenais entre les mains. L’action du livre a lieu à Moscou ; Vadim est un lycéen en dernière année. Tout au long du livre, on suit les pensées de ce lycéen. Il est cynique, égoïste et de mauvaise foi, tout en étant persuadé qu’il est bon. Sur le papier, il couche toutes ses pensées, même celles que l’on refrène. Parfois,
lorsque je suis avec des gens, j’ai envie de me lever et de leur coller une tarte ou de leur dire de la fermer, d’être méchant l’espace d’un instant, tout en sachant que je le regretterai. J’ai aussi envie de le faire pour voir leurs réactions. Mais je ne fais que le penser, les conventions sociales me retiennent. Vadim a ce type de pensées et c’est en cela qu’il permet de se sentir moins seul. Roman avec cocaïne est une tranche de vie. Vadim assène les vérités sur les pauvres, les femmes, la platitude, la richesse etc. Aguéev pointe avec précision la différence de perception entre les hommes et les femmes et le décrit avec un style flamboyant : « Il est juste et vrai que la séparation du spirituel et du sensuel chez un homme est signe de sa virilité, et la séparation du spirituel et du sensuel chez une femme est signe de sa prostitution. Et il suffirait que toutes les femmes ensemble, se virilisent, pour que le monde, le monde entier, se transforme en bordel. » Vadim balance aussi sur un mal qui actuellement est en train de nous ronger : « Ce mal, c’était la platitude. La platitude (…) dont l’étendue s’amplifie à mesure qu’augmentent l’inutilité et la médiocrité des objets, des choses et des faits qui, en cet homme, provoquent l’admiration. » Si on transpose à notre époque, c’est une discussion que j’ai entendue au détour d’une fête, une fille considérait que tout allait bien dans sa vie et elle était très heureuse car elle allait avoir le dernier téléphone de la marque à la pomme. Une platitude totale qu’elle pourra ensuite partager sur Facebook.
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roman avec cocaïne, de m. aguéev, début 1930 (pas de date exacte), édition 10/ 18 ou belfond (avec en prime une nouvelle très courte : un sale peuple)
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texte de matthieu jung photographie de alexandra geyser
l ’Abécédaire de Matthieu
Jung
mat thieu jung est un jeune écrivain français. il a publié un premier roman, la vague à l’âme en 2007. il sort du lot et s’impose avec le second en 2009, principe de précaution, un opus glacial qui met en abyme notre société, un roman insolent au-dessus duquel plane la déprime d’un certain michel h.
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a comme amitié Il est inestimable de n’avoir aucun ami. (Charles Bukowski) B comme Boire Allez tu vois bien que tu ne tiens pas debout. Tu devrais rentrer chez toi. C’est pas en t’allumant comme un fou Qu’elle te reviendra. (Christophe Miossec) C comme Cœur Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui souille l’homme. Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme. (Évangile de Marc) D comme Désir Le désir métaphysique est éminemment contagieux. Cette propriété est parfois malaisément décelable car le désir emprunte, pour se propager de l’un à l’autre, les chemins les plus inattendus ; il s’appuie sur les obstacles qu’on cherche à lui opposer, sur l’indignation qu’il suscite, sur le ridicule dont on veut le couvrir. (René Girard)
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E comme Enfer Et c’est ainsi parfois que je pense à moi-même comme à un grand explorateur qui, ayant découvert un extraordinaire pays, n’en peut jamais revenir pour faire don au monde de son savoir : mais le nom de ce pays est enfer. Ce n’est pas au Mexique, bien sûr, mais dans le cœur. (Malcolm Lowry) F comme Foutre La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple. Foutre, c’est aspirer à entrer dans un autre, et l’artiste ne sort jamais de lui-même. (Charles Baudelaire) G comme Giacometti Je sais que je sympathise avec l’Église, avec le despotisme religieux. J’ai raison ou tort ? Je crois que j’ai raison, mais je n’en ai pas la certitude. J’ai de l’antipathie pour la philosophie, pour la liberté de penser, pour la liberté d’action, la liberté d’écrire des livres, de faire des tableaux et d’exprimer des idées personnelles. Je hais la liberté de croyance ou de non-croyance, et la république. Je hais l’émancipation de l’individualisme et celle des femmes. Je ne peux plus entendre tous ces bavardages qu’on fait, que tous font sur toutes choses, sur l’art, sur l’histoire, sur la philosophie, où chacun croit pouvoir exprimer la misérable idée qu’il s’est
faite dans son cerveau. Pourquoi estce que l’Église ne brûle plus, ne tue plus tous ceux qui osent penser ce qui leur plaît ? (Carnets, 1924) H comme Haine We hate it, when our friends become successful. (Morrissey) I comme Innovation Entre le temps où la téléphonie mobile s’est lancée et où vous et moi on s’est dit : « jamais j’en aurais un », et le moment où celui qui dans une pièce n’a pas de téléphone mobile fait figure d’étranger, il s’est passé dix ans. Et ces dix ans ne représentent pas l’espace d’une génération. Ce qui veut dire qu’on ne peut plus compter sur les générations successives d’homme et de femmes pour assurer naturellement un processus d’innovation […] mais qu’on doit nous-mêmes, en tant qu’individus, être capables d’être notre propre nouvelle génération, cinq fois, dix fois, quinze fois, aussi souvent que notre marché ou notre environnement le nécessitent et, pour ça, avoir la culture et les compétences qui le permettent. (Brice Challamel, professeur de management de l’innovation au MBA d’HEC) J comme Jésus Jésus, en vingt endroits, lance l’anathème, non sur des choses, mais sur
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des hommes qu’il désigne avec une effrayante précision. Il n’en donne pas moins sa vie pour tous, mais après nous avoir laissé la consigne de parler « sur les toits », comme il a parlé lui-même. C’est l’unique modèle et les chrétiens n’ont pas mieux à faire que de pratiquer ses exemples. Que penseriezvous de la charité d’un homme qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l’empoisonneur ? Moi, je dis qu’à ce point de vue la charité consiste à vociférer et que le véritable amour doit être implacable. Mais cela suppose une virilité, si défunte aujourd’hui, qu’on ne peut même plus prononcer son nom sans attenter à la pudeur… (Léon Bloy) K comme Kancnon Le désir c’est pas contagieux. Kancnon cnon. (Clara Morgane) L comme Langage Toutes les affaires humaines – l’histoire, le religieux, le politique, le scientifique, le technique, les arts, l’activité inconsciente –, tout vient de ce que nous parlons. Le langage n’est pas un « instrument » pour l’homme, c’est tout simplement son milieu naturel. (Dany-Robert Dufour) M comme Mariage Jamais, au grand jamais, on ne fonde une institution sur une idiosyncrasie ; je le répète, on ne fonde pas le mariage sur « l’amour », – on le fonde sur l’instinct de l’espèce, sur l’instinct de propriété (la femme et les enfants étant des propriétés), sur l’instinct de la domination qui sans cesse s’organise dans la famille en petite souveraineté, qui a besoin des enfants et des héritiers pour maintenir, physiologiquement aussi, en mesure acquise de puissance, d’influence, de richesse, pour préparer de longues tâches, une solidarité d’instinct entre les siècles. Le mariage, en tant qu’institution, comprend déjà l’affirmation de la forme d’organisation la plus grande et la plus durable : si la société prise comme un tout ne peut porter caution d’elle-même jusque dans les générations les plus éloignées, le mariage est complètement dépourvu de sens. – Le mariage moderne a perdu sa signification – par conséquent on le supprime. (Friedrich Nietzsche)
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N comme Novlangue Toujours dans cette même logique d’attention au langage, il est important de bannir définitivement un certain nombre d’expressions, habitudes discursives, particulièrement androcentristes. (Rapport de la HALDE) O comme Obsession Un homme obsédé est un homme possédé du démon. (Hubert Selby Jr) P comme Peinture La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. Elle est un instrument offensif et défensif pour lutter contre l’ennemi. (Pablo Picasso) Q comme Quatrains Entre tes seins et le lointain On entendait chanter un psaume Essor d’oiseaux nuage carmin Je me souviens de ce royaume Entre le présent et tes reins Mes appétits étaient sans fin Fièvre passée murmures d’amour Je te revois à contre-jour Entre avant-hier et l’imparfait Il y avait ton corps parfait Années finies ciel immobile Que notre joie était fragile (Philippe Muray) R comme Raphaël de Valentin J’ai su plus tard que les femmes ne voulaient pas être mendiées. J’en ai beaucoup vu que j’adorais de loin, auxquelles je livrais un cœur à toute épreuve, une âme à déchirer, une énergie qui ne s’effrayait ni des sacrifices, ni des tortures ; elles appartenaient à des sots dont je n’aurais pas voulu pour portiers. (Honoré de Balzac) S comme Souvenir Il n’est pas de douleur plus grande que le souvenir des jours heureux dans la misère. (Dante) T comme Transphobie La transphobie tue. (Martine Billard, député de la 1ère circonscription de Paris) U comme Univers Sacré nom d’un Dieu, dit-il en se tournant vers ses amis et leur montrant son vit collé contre son ventre, me voilà dans un état où j’entreprendrais furieusement de choses. – Et quoi ? lui dit le duc, qui aimait à lui faire dire
des horreurs quand il était dans cet état-là. – Quoi ? répondit Curval : telle infamie que l’on voudra me proposer, dût-elle démembrer la nature et disloquer l’univers. (Marquis de Sade) V comme Voyage Seuls les imbéciles voyagent. (Charles Bukowski) W comme Wilde Soit par tempérament, soit par goût, soit pour l’un et l’autre, je suis absolument incapable de comprendre comment on peut se placer au point de vue moral pour critiquer une œuvre d’art. (Essais de littérature et d’esthétique) X comme Xénie Contrat d’hospitalité, dans la Grèce antique. (Petit Robert) Y comme Yeux La mort a pour tous un regard. La mort viendra et elle aura tes yeux. (Cesare Pavese)
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Z comme Zone Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize. Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église. Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette. Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège. Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste. Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ. C’est le beau lys que tous nous cultivons. C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent. C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère. C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières. C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité. C’est l’étoile à six branches. C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche. C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs. Il détient le record du monde pour la hauteur. (Guillaume Apollinaire)
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MUSIQUES CULTURES MISCELLANÉES _
NUMÉRO 2
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numéro 2 | juillet-août 2009
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