SAUVER L’ARBRE POUR SAUVER L’HOMME : UNE AUTRE VIE APRÈS LA MORT, UN NOUVEL ENJEU POUR L’HUMANITÉ
LA FORÊT DU SOUVENIR
MAËVA GUEUDRÉ - MÉMOIRE DE DIPLÔME - ESA PARIS - PRINTEMPS 2020
LA FORÊT DU SOUVENIR
Mémoire de diplôme d’Architecture La Forêt du Souvenir Sauver l’Arbre pour sauver l’Homme : Une autre vie après la mort, un nouvel enjeu pour l’humanité Par Maëva Gueudré Cycle 2 Semestre 4 - Printemps 2020 École Spéciale d’Architecture de Paris Ville étudiée : Roquebrune-sur-Argens, Var, France Encadrée par : Fabienne Bulle - architecte - directrice de diplôme Régis Guignard - architecte paysagiste urbaniste - président de soutenance Francis Hallé - biologiste botaniste - ancien enseignant à l’Université de Montpellier Elia Conte Douette - responsable de Cime’Tree - experte Arnaud Berland - architecte - architecte DESA Bernard Delage - architecte acousticien - candide
MOTS-CLÉS
Arbre - latin arbor - Même si la définition du mot « arbre » est biologique, nous nous devons de la compléter par l’idée que l’homme s’en fait. « C’est un végétal vivace et particulier en raison de sa forme et de sa taille, de son organisation sous la forme d’un tronc dont sont issus des rameaux et de son tissu organique ligneux » m’a-t-on dit. Il peut grandir durant des décennies, en hauteur mais également en profondeur avec son système racinaire capable de capter l’eau et les nutriments nécessaires à sa croissance. Mais l’arbre a depuis toujours été pour moi un élément fondamental : dans l’Histoire, par ses symboliques culturelles, mythologiques ou encore par sa fonction dans le paysage. Je me souviens de l’arbre, utilisé comme symbole, qui fait partie de mon imaginaire, de mes souvenirs, de ma religion, ou encore dans les contes et légendes que ma mère me lisait petite. Pourrions-nous donc exploiter ce symbole en le reliant à notre humanité afin de répondre aux enjeux environnementaux de notre époque ? Cinéraire - latin cineris - Ce terme pourrait qualifier un endroit, un récipient qui renferme ou qui est destiné à renfermer les cendres d’un mort après une crémation. Il renvoie à son origine qui est la cendre, cette poudre qui reste lorsque nous brûlons des matières organiques. J’aime la comparer à sa fleur éponyme caractérisée par ses feuilles à l’aspect cendré et par ses fleurs colorées, qui met en parallèle un mot qui renvoie à la mort avec une espèce végétale vivante. Ce terme évoque pour la plupart des personnes un columbarium, un espace aménagé pour la dispersion des cendres - jardins du souvenir et autres, ou bien un endroit concédé pour l’inhumation d’urnes. C’est ce troisième aspect que je désirerais développer, en qualifiant un nouvel espace, lié à la nature et au paysage. Ne pourrions-nous pas penser à d’autres lieux cinéraires, plus poétiques et plus respectueux de notre environnement, sur des sites naturels et propices au recueillement ? Forêt - latin silva forestis - Je peux définir la forêt par une population d’arbres d’une certaine densité sur une surface donnée. Pour moi, c’est plus qu’un écosystème, c’est un monde à part entière. Lorsque je me promène dans la forêt de Soisy-sous-Montmorency ou que je cours dans celle de Saint-Leu-la-Forêt, je peux voir plusieurs arbres se développer grâce à leurs étroites relations, mais je sais qu’ils communiquent aussi avec les sols, le climat, le soleil, la température et les nombreuses autres espèces végétales ou animales qui vivent autour d’eux. À cause des évolutions humaines, climatiques et biologiques, le paysage forestier ne
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cesse d’évoluer, mais reste un lieu de rencontre avec la nature, où notre imaginaire prend possession du lieu, quelque soient les essences d’arbres qui nous entourent. Ce paysage fantastique est pour moi un lieu de verticalité, de hauteur et surtout de couleurs : il m’emporte à chaque fois dans différentes ambiances selon les endroits et les saisons. Il est donc important de le préserver, sans le surexploiter pour sa durabilité, mais pourrions-nous imaginer toutes ses caractéristiques au service d’une humble cause ? Mort - latin mortem - La mort, c’est la cessation de la vie. Même s’il est difficile de la définir, une des mes tentatives serait de la caractériser par l’état irréversible d’une personne ayant cessé de vivre. Alors qu’elle entraine une décomposition du corps, c’est bien ce sentiment de perte, d’abandon que j’ai ressenti à chaque appel, à chaque annonce pour cette terrible nouvelle. Même si c’est une réalité incontournable à laquelle nous sommes tous confrontés, que ce soit pour nous ou pour nos proches, je vois la mort comme quelque chose entrainant la peur, la douleur et la tristesse. Elle est associée à un monde morbide, macabre, généralement illustrée par des fantômes et autres créatures surnaturelles. Mais plus je grandis, plus je me demande si nous ne pourrions pas faire évoluer les consciences afin d’atténuer la douleur de la perte d’un être cher, par une nouvelle forme d’adieu et un autre genre de recueillement. Paysage - latin pagensis - Ce terme très vague a tenté d’être défini par des grands noms comme une étendue de territoire couverte par le regard. Je vois le paysage comme l’agencement des traits, des caractères, des formes observés autour de moi. Il est partout et nulle part à la fois, mais reste un élément important dans ma qualité de vie. Suis-je vraiment la seule à préférer une vue sur la mer plutôt que sur la rue en arrivant à l’hôtel ? Même si nous ne le savons pas forcément, nous sommes tous sensibles à ce paysage naturel que nous voyons et parcourons au quotidien. Mais est-il seulement perceptible par le regard, ou aussi par les différentes ambiances qu’il crée ? Trop longtemps oublié, il est devenu l’un des enjeux majeurs pour les nouveaux dessins des milieux urbains, afin de conserver les éléments remarquables du paysage trop souvent détruits, ou d’en créer de nouveaux pour tous les bénéfices qu’ils nous apportent. Pourrions-nous alors prendre conscience des bienfaits du paysage afin de les conserver, les protéger, les intégrer et les aménager pour que ces éléments essentiels à notre bien-être puissent accueillir de nouvelles fonctions ? -8-
Recueillement - latin recolligere - J’entends par recueillement l’action de se recueillir, qui est utilisé pour décrire une tentative de faire le vide autour de soi, de s’enfermer dans le silence afin de se concentrer sur ses pensées. Je le prends ici dans sa signification quant au deuil des personnes que nous avons perdues. L’action de se recueillir serait alors pour moi un appel au souvenir et à la mémoire au moment des adieux déchirants à la personne et aux moments passés avec elle. Se recueillir est une étape essentielle dans les deuils que j’ai vécu, pour dire au revoir et pour se rappeler ; se rappeler les bons moments, regretter les mauvais et accepter la douleur que le temps apaisera peu à peu. Je sais qu’il n’est pas facile pour moi de me recueillir sur les tombes de mes proches, peut-être pour l’environnement des cimetières, ou à cause de l’idée qu’ils soient enfermés dans des boîtes noires et froides, dictées par les cultures des rites funéraires. Pourrions-nous alors penser à une nouvelle manière d’enterrer nos morts, dans un endroit plus propice au recueillement ?
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REMERCIEMENTS
Parce qu’une histoire ne s’écrit que très rarement seule… Je souhaiterais remercier mes deux enseignants de diplôme, Fabienne Bulle et Régis Guignard, qui ont su m’écouter, m’apprendre et m’orienter grâce à leurs précieux commentaires, références, critiques et remarques. Le partage de leurs savoirs, de leurs expériences et de leurs connaissances n’a fait qu’enrichir ce projet durant l’élaboration du diplôme, mais aura également un impact assuré dans ma vie professionnelle future. J’aimerais également remercier les professeurs Bertrand Renaud et Serge Barto qui m’ont accompagnée respectivement durant ces derniers mois, mais aussi depuis mes premiers semestres à l’École Spéciale d’Architecture. Un immense merci pour leur disponibilité, leurs conseils et leur encadrement dans les modules d’approfondissement de philosophie et de graphisme. Ils ont su m’encourager dans les moments difficiles, me guider en respectant toujours mes idées et ma sensibilité. Je remercierais spécialement les deux membres extérieurs qui m’ont fait l’honneur de répondre présents à mes jurys de diplôme. Francis Hallé, grand biologiste et botaniste français est pour moi une référence, un exemple de Savoir, dans sa manière de présenter les arbres et la nature. Ses nombreux écrits m’ont été d’une précieuse aide pour la compréhension du sujet ainsi que pour les recherches afin de rédiger au mieux ce mémoire. Elia Conte Douette, responsable de Cime’Tree, a été un exemple et une grande référence pour moi. Son accueil, sa gentillesse, sa disponibilité et surtout son travail ont été une immense source d’informations et m’ont inspirée dans toute l’élaboration du projet d’architecture.
Un grand merci également à tous les professeurs du Master de la Fabrique Collective, qui ont su tout au long de ces deux dernières années nous apporter un nouveau regard sur la pratique de l’architecture. Ils m’ont permis d’ouvrir le champ des possibles en me permettant de m’engager entièrement et en prenant position face au monde qui m’attend. Cet apprentissage est la continuité d’un cycle de licence entourée de professeurs que je remercie tout autant, sans qui je ne serais jamais arrivée à mon but final. Pour finir, je désirerais remercier tous mes proches, qui m’ont encouragée et soutenue durant ces cinq dernières années mais surtout dans ce dernier projet de l’école d’architecture très personnel et très sensible, et sans qui je n’aurais jamais pu entreprendre.
Je souhaiterais aussi remercier Arnaud Berland, architecte diplômé de l’École Spéciale d’Architecture, qui depuis mon cycle licence, m’a toujours aidée dans la réflexion des projets entrepris dans le cadre de l’école. Il a su m’épauler et me guider sur les différents choix quant à la précision de mes pistes de recherches pour ce diplôme. J’aimerais souligner la participation de Nicolas Keller, paysagiste, que je remercie infiniment pour son dévouement, son enthousiasme pour mon sujet et ses nombreuses références qui m’ont guidée tout au long de ce parcours. Je lui en suis très reconnaissante d’avoir pu me consacrer autant de temps pour mener à bien ce projet. - 10 -
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SOMMAIRE
PRÉAMBULE p.14 INTRODUCTION p.16 L’HOMME MORT QUI POLLUAIT ENCORE p.20 Pendant que la population vieillissait et que la place manquait… p.22 Nous polluions par nos rites funéraires… p.30 Nous réfléchissions alors à de nouvelles formes de cimetières p.36 LE RECUEILLEMENT DE NOS MORTS POUVAIT-IL PASSER PAR UN RAPPORT À LA NATURE ? p.46 Comment voyions-nous la notion de recueillement ? p.48 Les cimetières étaient-ils des lieux de recueillement ? p.54 Les consciences pouvaient-elles évoluer ? p.60 ET SI NOUS SACRALISIONS L’ARBRE POUR UNE NOUVELLE FORME DE CIMETIÈRE ? p.66 Et si l’Arbre et l’Homme étaient liés par leurs symboliques ? p.68 Et si la forêt était un lieu propice au recueillement de nos morts ? p.74 Et si l’Arbre devenait tombeau ? p.88 ENTRONS DANS LA FORÊT DU SOUVENIR ! p.94 Dans la profondeur des racines p.96 Dans l’écorce du tronc p.128 Au plus haut de la cime p.146 CONCLUSION p.164 ANNEXES p.168 BIBLIOGRAPHIE p.201
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PRÉAMBULE
« Les rayons du soleil tentaient quelques percées entre les feuilles des vieux chênes verts. Je me trouvais là, sur ce chemin tapissé d’un mélange de feuilles déjà dorées par l’automne et des premières aiguilles que les pins centenaires auraient laissées échapper. Une pomme de pin, déjà rongée par un écureuil roula à mes pieds. Le vent faisait danser les branches de ces géants immobiles, venant rafraîchir l’air de cet été indien. Je parcourais le sous-bois, rencontrant fougères, champignons et autres mousses. Je me laissais rêver en regardant le dessin des ombres et des lumières sur le sol. Une branche craqua sous mes pieds, me tirant de mes songes. J’entendais alors plusieurs oiseaux chanter. Cette mélodie, des plus apaisantes, je l’avais souvent écoutée. Elle me rappelait, mêlée aux odeurs de sève et d’aiguilles de la pinède, les vacances d’été passées dans le Sud de la France ; les promenades en famille et les parties de cache-cache, où je me sentais libre dans cet immense parc de jeux. Sous cette épaisse canopée, je ne distinguais que partiellement le ciel bleu, devenu presque invisible. Je me sentais bien, à l’ombre, comme protégée de tout danger. Un sentiment d’apaisement me parcourait, en harmonie avec l’environnement qui m’entourait. Mon visage frôla alors une toile qu’une araignée avait tissée entre deux eucalyptus, se juxtaposant presque en harmonie avec les branches. À leurs pieds, des morceaux d’écorce parsemaient la terre. Je pouvais enlever de mes doigts la seconde peau, complètement morte, de ces immenses végétaux.
Parce que petite, tous les dimanches, j’allais me promener dans la forêt avec ma famille ; parce que je me suis toujours sentie proche des arbres, ces êtres fabuleux pleins de vie avec leurs symboles, leurs histoires sur lesquelles, bercées, je me suis souvent endormie ; parce que, malheureusement, j’ai du dire « adieu » à de nombreux anges, parfois trop tôt partis ; parce que la question du recueillement me tenait à cœur, dans un monde qui partait en vrille ; je me devais de vous raconter mon histoire.
Assise sur une souche, je fis alors la rencontre de centaines d’insectes, parcourant le bois cerné de cet arbre défunt. Parmi eux, des fourmis, l’une après l’autre, finissaient leur chorégraphie dans un minuscule trou creusé dans le sol. J’entendis au loin, presque imperceptible, le bruit d’une eau ruisselante. Continuant mon parcours, une légère brise souleva mes cheveux. Je me penchais pour me rafraîchir quand mes yeux se posèrent sur un chêne, d’une immensité et d’une beauté incroyable. Alors que je m’approchais, je pouvais admirer le dessin des nervures de son écorce et les multiplications de ses branches sous le ciel. Mais il était temps de repartir. Je cueillis une de ces fleurs sauvages, comme pour ramener une partie de cette expérience avec moi. Je savais que je reviendrais bientôt, comme une promesse faite à moimême, dans cette forêt, dans ma forêt. »
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INTRODUCTION
Je me souviens de cette crise écologique, de ce contexte de changement climatique, de ces premières prises de consciences, un peu tardives, de chacun lorsqu’ils se sont rendus compte de ce que nous, les Hommes, avions fait à notre planète. Cette planète, notre Terre, qu’au fil des siècles, nous avions façonnée, transformée, modifiée, au point de puiser dans ses dernières ressources, afin de valider les prouesses de notre espèce. Je me souviens de cette vie, que nous avions menée à piller la Terre en lui arrachant les nombreuses espèces animales et végétales aujourd’hui éteintes ; en puisant son sol pour ses roches et son pétrole ; en vidant ses océans de leurs poissons et de leur biodiversité ; en coupant ou brûlant ses arbres, nos forêts, et ce sans alerter grand monde. Je me souviens aussi des premières lois pour l’environnement, des promotions des énergies renouvelables contre les énergies fossiles, des manifestations pour la défense animale et des marches pour le climat. Cette crise, nous la vivions tous. Mais étions-nous vraiment prêts à changer nos habitudes et notre manière de vivre afin de sauver la planète ? Je me souviens que chacun ne se sentait pas forcément concerné par ces problématiques, lorsqu’on nous parlait d’arrêter de manger de la viande, de ne plus prendre de bain ou encore de bannir le plastique de notre quotidien. J’avais donc décidé de traiter d’un thème commun à tous, quelque chose d’inévitable pour l’Homme, afin de sensibiliser le plus grand nombre pour la cause de la Terre avec un sujet qui me tenait à cœur. Je me souviens que personne ne se doutait que la question de la place allait poser problème, dans un espace restreint, dans un monde avec des ressources limitées. Dans ce monde en perpétuelle évolution, à la forte croissance économique et démographique, les modes de vie allaient changer. Nous nous devions d’adapter nos manières de vivre, nos façons d’habiter l’espace, de le dessiner, de se l’approprier.
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Je me souviens...
Je me souviens qu’il fallait alarmer les populations sur une question vieille comme le monde. Parce que si les consciences étaient bien éveillées sur les questions de place pour les lieux de vie, tels que les logements dans les villes croissantes, qu’en était-il de la place dédiée à nos morts ? En effet, la population mondiale, qui ne faisait que croître de jour en jour, allait soulever de nom- 17 -
breuses problématiques quant au nombre alarmant des décès et à la manière d’enterrer nos morts. Je me souviens qu’en France, le nombre de décès s’élevait à 600 000 par an, et que ce chiffre n’allait pas en s’arrangeant avec l’arrivée aux grands âges des générations baby-boom d’après guerre. Il nous fallait trouver une solution, afin de créer une réelle prise de conscience : ce que nous faisions de nos morts était aussi une réelle question environnementale. Je me souviens des cimetières, avec leurs tombeaux de pierre et de marbre, à l’ambiance parfois lugubre, froide à glaçante selon les régions. Ces espaces devenus, au fur et à mesure du temps, trop restreints pour accueillir de nouvelles âmes et non soucieux de l’environnement. Je me souviens de la Forêt de la commune de Roquebrune-surArgens dans le Var, au Sud de la France. Cette forêt, au paysage incroyable au milieu des massifs de Maures et de l’Estérel, regardait le cimetière communal. Elle était pour moi le point de départ, le commencement : elle était la lisière d’une nouvelle vie après la mort.
Je me souviens surtout de mes proches, parfois partis trop tôt, au moment déchirant des « au revoir ». Cette manière pour moi distante, de les enterrer et de leur rendre hommage une dernière fois. Je me rappelle leurs tombes, leurs dernières demeures, qui dessinaient l’espace des cimetières, telles des petites maisons dans des petites villes, où chacun pouvait reposer en paix, entouré de symboles mais sans réel contact avec la vie, la nature ou le paysage.
Alors, laissez-moi vous conter mon histoire et vous convaincre vous aussi, que l’Arbre, trop souvent méprisé, délaissé, ou maltraité n’était pas si éloigné de nous. Je me rappelle mes promenades en forêt et l’aura qui s’en dégageait. Les arbres pouvaient-ils répondre à de nombreuses problématiques, notamment sur la question du traitement de nos morts, de par ses qualités morphologiques, symboliques et architecturales ?
Je me souviens donc avoir réfléchi à une nouvelle manière d’enterrer nos morts, plus proche de la nature et plus poétique, en posant une question : Et si la vie de l’arbre permettait de panser l’impact des lieux de recueillement de nos morts ? Car oui, les arbres et la forêt étaient peut-être une des solutions à ces questionnements. Une manière d’enterrer nos morts qui nous laisserait voyager, parcourir l’espace et le temps, dans un lieu propice à l’évocation des souvenirs et de la mémoire de nos proches défunts. Je me souviens qu’il existait un réel moyen de se recueillir sur nos morts, en s’accordant aux végétaux qui nous sont proches, par leur grandeur et leur symbolique : les arbres. Nous nous devions d’éveiller les esprits sur la pollution engendrée par les rites funéraires, de casser les codes des lieux de recueillements en les rapprochant de l’expérience du paysage, de sacraliser les arbres et les forêts afin qu’ils deviennent des lieux propices au recueillement. - 18 -
Photographie personnelle - Forêt de Roquebrune - 2019
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L’HOMME MORT QUI POLLUAIT ENCORE
À l’époque, rares étaient ceux qui avaient osé affronter et traiter la question du cimetière, à cause de son caractère culturel et sacré. Tous redoutaient de manquer de respect à nos morts en requestionnant l’espace des nos défunts, mais était-ce vraiment les respecter que de pulvériser des pesticides jusque sur leur tombe, de leur injecter de nombreux produits toxiques pour mieux les conserver ou encore de les déloger après dix ou vingt ans, faute de place dans les cimetières communaux ? Nous nous devions de revoir nos modes de penser, notre manière d’enterrer nos morts alors que la population ne faisait que croître de jour en jour, au même titre que le nombre de décès.
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"Ce n’est pas de mourir qu’ il faut craindre, mais de vieillir" André Langevin
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pendant que la population vieillissait et que la place manquait...
Si nous savions que la population mondiale augmentait et que le monde allait bientôt atteindre les dix milliards d’habitants, certaines régions allaient voir leur croissance démographique diminuer au fur et à mesure du temps. Les décès allaient peu à peu prendre le dessus sur le nombre de naissances. Mais personne ne prenait réellement conscience de ce que tout cela allait engendrer comme modifications territoriales. Pourtant, nous avions ces données1, ces analyses démographiques sur cette croissance alarmante et sur ce vieillissement de population. Je m’étais tournée vers une région, celle de la Provence-AlpesCôte d’Azur. Cette région attrayante de France, aux magnifiques paysages, à l’accent chantant, au climat idéal, parsemé de cigales. Mais si les tendances démographiques se maintenaient partout dans le pays, cette région allait voir son nombre augmenter jusqu’à atteindre plus de cinq millions d’habitants en trente ans. Je me souviens qu’à l’époque, nous étions 375 000 provençaux de moins, mais surtout que nous étions plus jeunes. Les populations allaient vieillir avec l’arrivée aux grands âges des générations baby-boom et les flux migratoires liés aux retraites, tandis que les jeunes et les actifs allaient s’installer vers d’autres régions. Dans ce contexte, nous devions faire face à l’augmentation du nombre de décès par rapport à celui des naissances.
Roquebrune-sur-Argens
RÉGION PACA
Je me rappelle les données2, tous ces chiffres qui démontraient que la population provençale augmentait de plus de 10 000 habitants chaque année, bien que le taux de croissance de la population restait légèrement inférieur à celui de la France. Par contraste, la population augmentait année après année mais non plus par le nombre de naissances, mais par la migration. L’accroissement annuel se réduisait donc de jour en jour, mais un des départements les plus touchés était celui du Var, où le dynamisme et le rythme annuel moyen de la démographie était trois à cinq fois plus fort qu’aujourd’hui. Le nombre de seniors avait augmenté lui aussi. La région comptait plus d’1,6 million de soixante-cinq ans, soit plus de 600 000 en trente ans, ou trois personnes sur dix. Mais l’autre cause de cette hausse de seniors était due aux départs des jeunes étudiants et à l’arrivée d’actifs âgés ou déjà retraités. Je me souviens de quelques amis, rencontrés ici-même à l’école, venus du Sud de la France pour faire leurs études d’Architecture. En faisant le tour de mes proches, j’avais moi-même dans mon entourage pa-
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Collage à partir de photographique aérienne - Région PACA - France - 2019
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Données INSEE 2017 Données INSEE Provence-Alpes-Côte-d’Azur 2017
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risien plusieurs personnes au contraire qui souhaitaient profiter de leur retraite dans un milieu plus calme, plus ensoleillé et plus naturel que celui de Paris. Ils ont fait partie intégrante de ce flux migratoire vers le Sud de la France, dans un département comme le Var où la ville, la mer et la nature se conjuguent selon moi à la perfection. Les grandes villes de France avaient donc échanger leurs jeunes retraités contre les jeunes étudiants ou diplômés du Var venus chercher du travail.
Taux annuel moyen en % dont : Contribution du solde naturel Contribution du solde migratoire
0.8%
Ces mouvements accentuaient également la progression du « quatrième âge », avec un nombre qui avait doublé en trente ans. Les personnes âgées de plus de 75 ans avaient doublé jusqu’à atteindre le million dans la région aujourd’hui. De plus, il fallait savoir que les 85 ans et plus représentaient 8% de la population régionale. Mais même si les avancées médicales et technologiques progressaient, permettant une meilleure espérance de vie, il fallait s’en douter : le nombre de décès allait augmenter. Il allait se renforcer continuellement jusqu’à atteindre les 59 000 rien que pour la région, contrairement au nombre de naissances qui allait chuter1. Je me devais donc de poser la question de la mort, de la place dédiée aux défunts dans nos villes provençales. Qu’allait-il advenir de toutes ces personnes ? Les cimetières étaient-ils suffisamment grands pour faire face à cette vague ? Nous savions tous que la réponse était la négative, car nous étions déjà face à ses problèmes bien avant la hausse des mortalités. Nous avions tenté de pallier le manque de place dans les cimetières par l’interdiction des concessions à perpétuité dans les grandes villes, pour pouvoir bénéficier de nouveaux tombeaux après trente ans, ou par la crémation avec les urnes qui demandaient moins de place dans les columbarium. Mais repousser le problème ne réglait pas la situation. Je trouvais cette situation alarmante et accablante. Je n’arrivais pas à imaginer que mes ancêtres, mes défunts et leurs tombes pouvaient être détruits ou déplacés. Cette vision m’était insupportable, mais le problème devait-il être traité à la source ? Plutôt que de rechercher à nouveau de la place, ne pouvions-nous pas repenser la forme des cimetières ? Bien que nous y reviendrons un peu plus tard, il est important de souligner cette question de la place.
0.4%
0.0% 1999 - 2008
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Données INSEE Provence-Alpes-Côte- d’Azur 2017
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2020 - 2030
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Graphique du solde annuel à partir des données INSEE 2013 pour scénario 2050 - 2019
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Pyramide des âges à partir des données INSEE 2013 pour scénario 2050 - 2019
Pour illustrer mon propos, j’avais décidé d’opposer deux villes : Paris, capitale de la France, qui comptait quatorze cimetières intramuros ; et Roquebrune-sur-Argens, petite ville du Var dans le Sud de la France, qui en avait deux. Alors que la première comptait plus de deux millions d’habitants, la seconde en logeait près de 14 000. Nous pouvions donc imaginer que même si les deux rencontraient un même problème vis-à-vis de la place dans les cimetières, elles ne le traiteraient sûrement pas de la même façon par rapport à l’échelle de chacune. À mon époque, les cimetières parisiens représentaient : quatre cents vingt-deux hectares de superficie totale - dont soixante hectares d’espaces verts ; 634 000 concessions ; plus de cent kilomètres de voiries et plus de cent cinquante bâtiments de tous ordres1. Pendant longtemps, les Parisiens étaient enterrés dans les différents cimetières construits et accolés aux églises de la ville. C’est à la fin du XVIIIème siècle que ces cimetières paroissiaux insalubres et devenus trop petits ont fermé pour laisser place au grand cimetière des Innocents dans le centre de la capitale. Une des premières solutions pour les hommes a donc été de déplacer les sépultures des anciens cimetières dans les catacombes de Paris, pour créer de nouveaux lieux de recueillements, faute de place. Je me suis toujours demandé pourquoi, en venant à l’École Spéciale d’Architecture par Denfert-Rochereau, je voyais tant de monde faire la queue pour aller visiter les Catacombes, bien que celles-ci soient pleines d’intérêts. C’est en me penchant sur la question du recueillement et sur l’écriture de ce recueil que j’ai pu tenté d’y voir une sorte de retour aux défunts du passé de notre ville, comme pour se souvenir qu’eux aussi, ils étaient là. La ville avaient ensuite décidé de créer trois autres cimetières hors les murs : le cimetière de l’Est, dit du Père-Lachaise, en 1804 ; le cimetière du Sud, dit de Montparnasse, en 1824 ; et le cimetière du Nord, dit de Montmartre, en 1825. C’est trente-cinq ans après que Paris étend ses limites jusqu’à englober ces trois cimetières, ainsi que les onze autres des villages de Belleville, Charonne, Bercy ou encore Auteuil. Mais l’accroissement de la population et la généralisation des concessions individuelles au détriment des tombeaux familiaux avaient aussi contribué à cette question du manque de place pour de nouvelles sépultures : c’est alors qu’est arrivée une deuxième solution, la création de six nouveaux cimetières, reliés à la ville de Paris mais extramuros à Saint-Ouen, Pantin ou encore Ivry. 1
Données cimetières - Ville de Paris - http://paris.fr/pages/cimetieres
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Venons-en à Roquebrune-sur-Argens. Cette ville, composée de trois quartiers - La Bouverie au Nord de l’Argens, le Village autour du village médiéval et les Issambres au Sud le long de la Mer Méditerranée - comptait alors deux cimetières, avec un premier dans le Village, alors que le second se trouvait dans le Sud de la ville, aux Issambres. Le premier avait été construit au XIXème siècle, en face de la Chapelle Sainte-Anne, elle-même rattachée au Monastère de Notre-Dame de la Pitié, énorme bâtisse et chapelle du XVIIème siècle. Mais alors qu’il comptait près de 780 concessions, avec une partie ancienne datant de 1865, et deux extensions plus contemporaines des années 1970 et 1980, la ville avait décidé de construire un autre cimetière : à cause de la population croissante et à l’expansion de la ville, le premier cimetière était devenu trop petit et trop lointain pour les habitants du quartier des Issambres. C’est alors qu’après les années 1970, le Cimetière des Issambres a vu le jour, comptant seulement 200 concessions. C’était un tout petit cimetière communal, dépourvu d’aménagement paysager mais entouré d’arbres et de vallées.
PART DES INDIVIDUS DE PLUS DE 65 ANS
40 - 100 %
Je me rappelle, lors d’une visite à Roquebrune, avoir demandé à plusieurs personnes ce qu’elles pensaient de ce deux seules alternatives à leurs dernières demeures. Alors que toutes étaient d’accord sur le manque de place et surtout sur le prix des concessions dépassant quinze ans, une des réponses m’avaient marquée. Vivianne, cette dame plutôt âgée, au regard vif mais aux cheveux grisonnants, m’avait confié : « Même si mes parents sont enterrés dans le cimetière communal et que mon mari m’y attend, le fait de m’imaginer au milieu de toutes ces tombes, les uns sur les autres, me donne froid dans le dos. (…) Le cimetière regarde la forêt, mais tourne le dos au rocher. Aujourd’hui - de notre vivantnous sommes entourés de nature, mais nous lui dirons au revoir demain quand on ne sera plus ». Ces mots m’avaient travaillée durant de longues heures, me demandant comment l’ergonomie des cimetières pouvait autant poser problème au point qu’une vieille dame, à l’aube de ses quatre-vingts ans, ne veuille plus être enterré auprès de son mari défunt. Je pouvais alors me demander comment pallier ce manque de place. Nous nous devions de trouver des solutions à cette question qui allait bientôt toucher tout le pays, voir le monde entier.
30 - 40 % 24 - 30 % 18 - 24 % 0 - 18 %
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Carte démographique de Roquebrune-sur-Argens - 2019
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CIMETIÈRE COMMUNAL
CIMETIÈRE DES ISSAMBRES
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Photographie personnelle - Cimetière communal de Roquebrune - 2019
Photographie personnelle - Cimetière des Issambres à Roquebrune - 2020
Photographie aérienne - Géoportail - 2019
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nous polluions par nos rites funéraires...
Énergies Déforestation Produits toxiques Modification des sols
Parce que si la place était la raison première de ma démarche à Roquebrune-sur-Argens, il était aussi question d’environnement. Nous devions reconnaître que ce lieu était peut-être le plus pollué de la ville. Je m’explique : nombreuses étaient les villes qui utilisaient encore des pesticides afin de tenter d’intégrer des aménagements paysagers et des produits toxiques utiles à la conservation des corps - mais était-il vraiment nécessaire d’en utiliser quand nous savions tous que, naturellement, nous allions être amenés à nous dégrader ? Nous ingurgitions également tellement de produits toxiques durant notre vie, tels que les traitements médicaux, que nous n’imaginions pas une seconde l’impact qu’ils auraient après notre mort. Toute cette pollution concentrée, où allait-elle ? Je peux vous le dire : dans les soussols, et de ces derniers dans les nappes phréatiques dont nous avions tous besoin pour continuer de vivre. Pour ces raisons, il était urgent de prendre des mesures considérables, afin de préserver notre planète, même si j’entendais certains me répondre qu’un cimetière n’avait rien à voir avec l’écologie ou l’environnement. « Il y a une demande de gestion plus écologique des cimetières. Mais en même temps, on injecte des litres de formol dans les corps. C’est incohérent ». Voici les mots qui avaient été prononcés par Valérie Bailly, membre du syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne. En effet, alors que les premiers prenaient conscience de l’importance de la préservation de l’environnement par rapport à la forme des cimetières, le problème continuait de persister car, bien que la question de la forme se posait, elle ne pouvait être dissociée de celle du fond : comment allions-nous traiter les corps de nos morts ? Fallait-il d’ailleurs toujours les traiter ? En France, avant les années 1980, nos défunts étaient conservés par le froid, donc très peu de temps. Mais pourquoi avions-nous besoin de développer des produits afin de les conserver plus longtemps ? Peut-être pour un « au revoir » moins brutal, moins douloureux ? Peut-être pour une vision un peu plus douce de la mort ? Parce que depuis les années 1990, sur 70% des corps, les techniques d’embaumement n’ont cessé de grandir avec les soins de thanatopraxie. L’idée était d’embellir les corps de nos défunts pour qu’ils aient l’air de dormir, afin de mieux accepter cette perte, comme une première étape du deuil. Mais ce déni avait engendré de grands risques pour la planète : des litres de formol étaient injectés dans le corps au moment de la prépara-
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Illustration de la pollution des sols par les cercueils et les cadavres - 2019
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tion. Ce qui se passait réellement, c’était que les sept litres de formol déshydrataient les tissus, limitant l’apparition de l’aspect livide des morts normalement, et permettaient de contrer le développement des bactéries dans l’organisme. Nous aurions dû être alertés plus tôt, lorsque nous savions que nos pays voisins interdisaient cet usage, sauf en cas de rapatriement de corps. Parce que nous savions aussi que les tombeaux et caveaux n’étaient pas totalement étanches, et que le produit, ingéré à la base dans le corps du défunt allait offrir toute sa toxicité au sol qui l’entourait. Pire, dans le cas d’infiltration ou d’inondation, ce sera l’eau qui polluerait le sol des cimetières et qui s’infiltrerait dans les nappes phréatiques.
pas forcément, mais nos dents étaient dangereuses pour l’environnement. Ce n’était pas moins de dix-sept tonnes de mercure dentaire que nous ingérions chaque année. Ce métal pauvre était retrouvé dans de nombreux corps. La crémation de nos morts étaient alors la première source de pollution mercurielle en France. Avec l’augmentation du nombre de crémation - autorisée en 1889 puis tolérée par l’Église en 1950, elle représentait 1% des obsèques en 1979, contre 40% aujourd’hui1 - la pollution mercurielle posait la question du filtre. Il devenait alarmant que notre pays était l’un des seuls où les crématoriums n’étaient pas encore équipés afin de filtrer les déchets. En 2018, la ville de Saint-Raphaël avait inauguré son nouveau crématorium, le plus proche de Roquebrune-sur-Argens pour une vingtaine de kilomètres. Équipé d’un filtre, il avait été conçu puis implanté discrètement au pied de la colline, tout près du cimetière de l’Aspé.
Il était donc devenu urgent pour moi de mettre en œuvre de nouvelles solutions afin de remplacer l’utilisation de formol en général, mais surtout pour l’inhumation en pleine terre - j’entends par ces termes le fait de placer le cercueil dans un trou creusé à même le sol et dépourvu de toute fondation et infrastructure. Ce produit toxique, il était présent à hauteur de 119 tonnes par an sur tout le territoire, soit 3.3kg par cimetière de 36 000 communes1. Il fallait aussi imaginer toute la déforestation afin de créer des cercueils traditionnels, les trous profonds afin de creuser les caveaux, l’entretien des cimetières… Mais qu’en était-il des autres modèles d’obsèques ? Notamment pour les autres cas, la crémation par exemple.
Vous l’auriez compris, dans les deux méthodes proposées pour les obsèques dans notre pays, laquelle pouvions-nous privilégier dans ces conditions ? Laquelle présentait le moins d’impact sur l’environnement ? D’une part, nous nous trouvions avec des cimetières surpeuplés de cadavres qui ne se dégradaient pas, allant même jusqu’à refuser de nouveaux défunts faute de place ; de l’autre, une intoxication à petit feu qui aura elle-même un impact sur les générations à venir. Nous étions dans une impasse. Alors que nous voulions nos proches défunts près de nous, nous nous étions mis tous seuls dans cette situation.
Prenons dans les traitements médicaux ingérés durant notre vivant, les produits anticancéreux. Lors d’une crémation - l’action de brûler un corps avant de l’incinérer - ces derniers résistaient à des températures de plus de 1 000°C - ajoutés au formol, c’est dire le nombre de déchets, les dioxines, qui s’échappaient des cheminées des crématoriums. Cela représentait un grand risque pour les habitants alentours. Nous rentrions alors dans un véritable cercle vicieux : des produits respirés à cause de nos morts, additionnés aux produits ingérés durant la vie - surtout les conservateurs alimentaires -, qui auraient eux-mêmes un impact sur notre pollution durant notre enterrement, quelqu’en soit le mode : il nous fallait changer nos modes de vie pour limiter cette pollution, parce que tout ce qui était accumulé dans notre vie se retrouverait dans les sols quand notre corps se décomposerait.
Pour les comparer, en termes de toxicité, une inhumation en pleine terre équivalait à quatre crémations, voire à cinq si elle était complétée par la construction d’un caveau. Pour ce dernier, saviez-vous que la fabrication du béton, matériau des plus utilisés à l’époque, était très polluante, demandant beaucoup d’énergies ? Je savais que l’inhumation permettait à l’Homme de quitter la vie de manière plus humble pour certains, de façon moins réductrice que d’être enfermé dans une urne tenant dans la main. Mais la construction du caveau, ajoutée à la fabrication de cercueil en bois lourd et l’utilisation de vernis, l’impact écologique était vraiment trop important, en termes d’utilisation d’énergies, de déforestation, de modification des sols et de la pollution chimique. Soyez rassurés, mon propos n’était pas de préférer la crémation pour des raisons sociales et culturelles, mais il fallait bien avouer que même si polluante à cause des fumées toxiques, dues égale-
Un autre produit avait retenu mon attention lors de mes recherches sur la question : celle du mercure. Nous ne le savions 1
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Données Reporterre, le quotidien de l’écologie - Article « Mort, on pollue encore » - Octobre 2017
Photographie Istock - “Fumées” - Google Images - 2017
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Données Reporterre, le quotidien de l’écologie - Article « Mort, on pollue encore » - Octobre 2017
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ment aux vêtements synthétiques des défunts brûlés en addition à toutes les raisons précédentes, elle le restait moins que l’inhumation. Bien que très peu exploitée dans l’Histoire, ces obsèques par crémation gagnaient les mœurs, notamment pour des questions économiques plus qu’écologiques en premier lieu car demandant moins de frais et moins d’entretien. Vous allez sûrement me répondre que vous avez du mal à croire que la crémation, en engageant des énergies afin de brûler les corps, polluait moins que de simplement enterrer des corps non traités en pleine terre ? D’après ma réflexion, nous aurions pu nous dire qu’en effet, cela polluerait d’avantage. Très peu d’études avaient été réalisées sur cette comparaison. Mais ajoutée à la question de la place, la crémation semblait être pour moi une des solutions. Mais les urnes funéraires étaient toutes fabriquées en matériaux non dégradables à l’époque afin d’être accueillies par des columbariums. La question de la place n’était toujours pas réglée, bien que cette alternative restait plus propice pour remédier à l’accroissement du nombre de décès. La réponse se trouvait-elle, peut-être, en repensant les crématorium et la forme des réceptacles des urnes, qui pourraient elles-même être dégradables ?
PRODUITS RESPIRÉS À CAUSE DES MORTS PRODUITS INGÉRÉS DURANT LA VIE
POLLUTION DE L’ENVIRONNEMENT
Conservateurs Soins médicaux Soins dentaires
Pollution de l’air par la crémation
TRAITEMENTS DES CORPS MORTS POLLUTION DES RITES FUNÉRAIRES
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Pouvions-nous alors repenser les rites funéraires et les formes des cimetières afin de mieux préserver notre environnement, nos villes et nos vies, sans bafouer les cultures, et en respectant nos morts ? Nous devions réfléchir à des solutions par une nouvelle répartition de l’espace et par une nouvelle vision de la mort, peutêtre, plus proche de la nature.
Pollution des sols par l’inhumation
Schéma de la pollution de l’environnement par les rites funéraires - 2019
Collage d’interprétation sur les obsèques françaises - 2019
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nous réfléchissions alors à de nouvelles formes de cimetières
Si nous devions repenser la forme des cimetières pour leur impact à l’environnement et pour un nouveau rapport à la nature, il fallait que nous nous intéressions à l’histoire de ces lieux emblématiques et sacrés. Le but de ma démarche était de comprendre l’évolution de ces lieux de mémoires, de recueillement présents dans pratiquement toutes les villes françaises. Leur nombre dépassait les 40 000, certaines villes comme les deux citées précédemment en possédant plusieurs, ce qui montrait l’importance de la place que l’Homme allouait à ses ancêtres. Tout au long de notre Histoire, les sociétés n’avaient cessé d’évoluer et vous allez voir que les lois ont très clairement influencé l’histoire des cimetières. Laissez-moi tout d’abord vous parler de ce mot que j’utilise depuis plusieurs paragraphes. Ce terme de « cimetière » provient du grec « koimêtêrion » qui signifie « dortoir ». C’est ici que nous pouvions dégager une première relation à la religion et aux croyances chrétiennes : en effet, la connotation du sommeil pouvait renvoyer au défunt qui dormait, à celui qui n’était pas vraiment mort mais qui attendait la résurrection. Je voyais ici une notion de poésie dans la mort, comme quelque chose qui renvoie à un après, et non comme une fin en soi. J’aimais cette idée, un peu plus douce de la mort - bien que non croyante - d’un sommeil éternel, de quelque chose de moins dur afin de faire mon deuil. C’était peutêtre l’idée que nos défunts reposaient dans des lits adaptés à leur taille, en attendant une nouvelle forme de vie. Nous devions remonter plus de 16 000 ans, pour comprendre la naissance des premiers cimetières. Depuis son existence sur Terre, l’Homme avait toujours apporté un soin particulier à symboliser la perte de ses proches, ce qui nous différenciait des animaux. Pour me contredire, vous pourriez donc me parler des cimetières d’éléphants, ou encore des derniers adieux que les tribus de grands singes effectuent lorsqu’ils perdent l’un des leurs, mais aucun autre être vivant n’a pratiqué d’inhumation en des lieux symboliques avant, et après l’Homme. Dès la Préhistoire, les hommes des cavernes, ou des grottes comme celles de la Bouverie à Roquebrune-sur-Argens, enterraient leurs morts dans des lieux sacrés et symboliques, dans les nécropoles ou les tumulus. Bien qu’ils n’étaient pas ensevelis ni mis en bière, les défunts étaient enterrés en pleine terre, dans des caveaux individuels. En arrivant à la période antique, comment pourrais-je faire l’impasse sur l’Égypte, ses nombreuses pyramides et tombeaux, bien
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Photographie “La nécropole préhistorique de la Grande-Mesle” - Google Images
Photographie Libération - F. Reglain - “Khéops, tombeau d’un pharaon - Google Images
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que très éloignés de nous ? Les égyptiens ont été les premiers à honorer par des ornements majestueux leurs morts. Commençons par les pyramides, architectures très emblématiques de ce pays. Elles avaient été construites à partir des années 2 700 avant J-C en guise de tombeaux pour les sépultures des pharaons. Leur forme caractéristique qui pointait vers le ciel symbolisait alors un rayon de soleil et devait permettre au défunt de rejoindre plus facilement leur dieu du Soleil, Rê. Elle garantissait également pour eux un repos éternel et leur conception complexe empêchait les intrusions. Les corps momifiés pour une quasi-totale préservation étaient alors mis dans des sarcophages en pierre, métal ou bois ; ornés, dorés ou encore gravés. Ces derniers étaient traduits de leur langue par « maîtres de la vie » et leur forme symbolisait une barque, avec un rapport au chemin de l’eau. C’est d’ailleurs le mot « sarcophage », du latin sarcophagus qui a donné le mot « cercueil » en France vers l’an 1050.
mémoire selon les cultures, les époques et les religions. Mais le problème de la place soulevée plus tôt dans ma démarche était sûrement du à la forme et à la place dédiée à nos morts, qui ne posaient sans doute aucun problème à l’époque. Les égyptiens se demandaient-ils si leur désert était assez grand pour accueillir autant de pyramides que de morts ? En conservant d’une part leurs défunts selon leurs rites, et d’une autre l’architecture colossale de leurs tombeaux, nous pouvions imaginer une Terre remplie de pyramides pour tous leurs ancêtres. De plus, l’énergie qui était allouée pour les construire, qui rejoignait celle qui nous connaissions pour les fabrications de nos tombeaux bien que moindre, impactait la planète : c’était toute l’histoire des cimetières qui avait maintenant un impact environnemental sur la Terre. Collage à partir du plan du Cimetière du Père Lachaise - 2019
Pour toutes ces raisons, nous commencions alors à adapter les formes des cimetières, en fonction des villes et des régions. Alors que la France avait depuis quelques années déjà pensé le cimetière non plus entièrement minéral mais paysager, nous voyions que nous tentions de rapprocher la mort de quelque chose de vivant qu’est la végétation.
Mais revenons à la France. Durant l’Antiquité, les chrétiens étaient inhumés à l’extérieur des villes pour des questions d’hygiène à cause de la « Loi des douze Tables » du Vème siècle avant J-C qui prévoyait que « l’homme mort ne devait ni être enseveli, ni être brûlé dans la ville ». Les morts se trouvaient donc à l’extérieur des cités, dans les nécropoles. Mais à la chute de l’Empire Romain, ces dernières ont été peu à peu abandonnées pour les nouveaux cimetières, au centre des villages et à coté des églises. Il vous faut savoir que selon la croyance chrétienne, la proximité des corps avec l’Église déterminait le degré de protection de Dieu. C’est ici qu’avait commencé la lutte pour la place des cimetières.
Je m’étais penchée sur plusieurs exemples afin d’illustrer mon propos. En effet, plus les populations avaient évolué, plus les cimetières avaient changé de formes. Mais vous allez voir que la France était en retard par rapport aux autres pays, même proches dans l’Europe, sur la question de l’environnement. Même si les consciences évoluaient sur le respect de l’environnement et que l’écologie prenait une vraie part sur les aménagements urbains, le souci du cimetière était placé en retrait. Laissez-moi vous parler une nouvelle fois du cimetière parisien du Père-Lachaise.
C’est depuis le Moyen-Âge que nous pouvons voir les cimetières comme il en existait à l’époque, à savoir de grands espaces ouverts dans la ville, délimités peu à peu par des murs. Après plusieurs décrets, les villes de France et notamment Paris avaient décidé en 1776 d’interdire définitivement les sépultures dans l’Église : les cimetières étaient donc retournés en périphérie, mais proches des centres villes. Je vous ai parlé précédemment du cimetière du Père-Lachaise : sa création en 1804 avait été due à ces lois, qui avaient contraint les cimetières Saint-Sulpice et des Innocents à fermer. Il faut que vous sachiez également que c’est à cette époque que le cimetière est devenu laïc, appartenant non plus à l’Église mais à la commune.
Ce lieu de recueil et de souvenir emblématique de Paris était considéré comme un immense espace vert. Des cimetières minéraux, entièrement bétonné ou pavé, remplis de pierres tombales en marbre ou de caveaux en pierre et béton, nous étions passés à de grands espaces comparables à des parcs, entièrement plantés et végétalisés. Avec ses quarante-quatre hectares, le Père-Lachaise était répertorié comme l’un des plus grands espaces verts de la ville. Nous pouvions alors le qualifier de « cimetière paysager », qui par définition rapportait ce lieu à une dominance végétale. Bien que le plan dessinait des allées quadrillées au Nord du cimetière, nous pouvons voir que celles de la partie Sud étaient plus libres, totalement dictées par la végétation, enherbées et arborées. La présence de l’eau était également importante, puisque que le
J’avais donc pu voir que les cimetières, depuis leur origine, avaient toujours été des lieux de repos, de recueillement et de - 38 -
Photographie Voyager en photos - “Cimetière du Père Lachaise” - Google Images
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cimetière ne comptait pas moins de vingt fontaines. Il comptait plus de 5 300 arbres, soit un arbre pour treize sépultures1, avec de nombreuses essences comme les érables et les frênes, les noyers et les platanes, les marronniers et les thuyas, ainsi que plusieurs arbres remarquables, accueillants de nombreuses espèces animales. Cette végétation massive ne faisait pas l’unanimité : en effet, j’avais pu lire dans plusieurs articles que nombreuses personnes et familles de défunts critiquaient le développement excessif de la végétation, qui masquait certains monuments, ou alors qui en entraînait la détérioration. Le travail était encore long afin que les esprits prennent en considération les bienfaits du végétal dans un aménagement aussi important qu’était le cimetière. Moi au contraire, plusieurs proches étaient enterrés au Père-Lachaise, et je comparais ces promenades de jour de Toussaint à celles du dimanche en forêt : les allées étaient arborées, les feuilles redessinaient les pavés de milles et une couleurs d’automne ; les arbres nous offrant une superbe canopée. J’avais le sentiment que dans un endroit aussi vaste, les arbres rendaient le Chemin Monvoisin plus intime, comme si le lieu n’appartenait qu’à nous, pour se remémorer les souvenirs dans un temps de recueillement. Je comprenais alors l’importance de la végétation dans un lieu a priori macabre, qui le rendait merveilleux et vivant. Nos voisins européens ou encore les Américains étaient allés encore plus loin dans cette démarche. Plus végétalisés que les cimetières paysagers comme le Père-Lachaise, les cimetières boisés étaient très répandus chez eux. Ils étaient définis comme des cimetières intégrés dans un environnement forestier préexistant. Même s’ils fonctionnaient comme les cimetières traditionnels tel que nous les connaissions, ils s’infiltraient autour des arbres déjà existants, dans un environnement naturel. La place dédiée aux chapelles, monuments et pierres tombales n’étaient que minime par rapport à celle de la végétation.
1915, entrait également dans cette démarche, comme de nombreux cimetières scandinaves. Il s’était inspiré du paysage et des arbres existants pour créer un endroit agréable et fascinant. Ces différentes ambiances, je n’avais pas été la seule à les trouver très intéressantes et inspirantes : nombreux ont été ceux qui se sont se sont inspirés pour concevoir d’autres cimetières de par le monde.
Photographie Wikipédia - “Cimetière boisé de Stockholm” - Google Images
Photographie HappyEnd - P. Mauduit - “Cimetière naturel de Souché” - Google Images
Je finirais ce propos avec l’exemple qui avait été le plus parlant et le plus inspirant pour moi : la première forêt cinéraire de France, celle d’Arbas près de Toulouse depuis 2019. Cette nouvelle forme de cimetière, du concept de l’organisation Cime’Tree, s’insérait dans une démarche innovante, écologique et durable afin mieux préserver les milieux naturels et les hommes. J’avais été heureuse de voir que la forêt pouvait être considérée comme un lieu de recueillement à part entière, où les urnes biodégradables, confectionnées par l’organisme lui-même étaient inhumées au pied des arbres. Cime’Tree proposait un large choix d’emplacements
Le Cimetière boisé de Munich en Allemagne, conçu par l’architecture Hans Grässel, avait suscité toute mon attention. Il avait été le premier à être considéré comme tel en 1907, intégré en pleine forêt, avec ses arbres et leurs branches qui recouvraient les tombes afin de privilégier le rapport à la nature plutôt qu’une mise en évidence trop importante des monuments funéraires. Celui de Stockholm en Suède, dessiné par Gunnar Asplung en 1
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Données Amis et Passionnés du Père Lachaise - https://www.appl-lachaise.net/
La France avait alors pris le pas sur la confection de cimetières naturels : cette nouvelle forme de cimetière découlait totalement de l’accent mis sur l’aspect écologique de la démarche et sur l’économie de formalité. C’était l’idée de rendre à la terre l’urne funéraire dans le cas des crémations, ou alors d’enterrer à même la terre le corps des défunts, dans des cercueils biodégradables. J’avais choisi l’exemple concret du Cimetière de Souché, dans la ville de Niort. Il avait été le premier cimetière naturel du pays en 2014, dans son dessin mais également dans la préparation des corps des défunts. Il n’était plus question de conservation pour les corps, urnes et cercueils, ni de cuve bétonnée : le cimetière proposait simplement un mémorial discret en pierre calcaire pour l’identification des défunts. La biodiversité y était préservée et favorisée, laissant la nature s’exprimer totalement sur ses quatre hectares de terrain. Il proposait donc des sépultures végétalisées, des espaces de dispersion arborés, mais également des installations favorisant la biodiversité et du mobilier en matériaux naturels comme des bancs de pierre ou des fontaines en bois. La ville de Beaucouzé offrait également en 2004 une alternative plus responsable de l’environnement après la crémation avec ses Arbres de la Mémoire : mises dans des urnes biodégradables, les urnes étaient enterrées au pied d’arbres plantés, de l’essence du choix des familles, afin de créer des lieux de recueillement entièrement naturels et un objet de mémoire vivant contrairement aux froides pierres tombales traditionnelles.
Photographie ViaOccitanie -“Forêt cinéraire d’Arbas” - Google Images
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dans sa forêt, restée publique donc ouverte à tous, et un accompagnement durant les obsèques. En la visitant, j’avais aimé l’idée d’un lieu commun, qui accueillait plusieurs usages comme celui de la promenade ou de la randonnée, mêlés à celui du recueillement dans un lieu entièrement naturel. J’avais pu, aux côtés de la responsable et de l’Office National des Forêts (ONF), recenser les arbres cinéraires mais surtout accompagner certaines familles afin de choisir un arbre parmi une quarantaine pour un proche défunt ou pour eux-même. Cela avait été un très beau moment pour moi, lorsqu’Élia m’avait conté le travail d’accompagnement des endeuillés et l’investissement personnel lors du choix des arbres selon l’énergie qui s’en dégageait. Par ce modèle, était-il alors possible d’éveiller les consciences afin que les lieux de recueillement, notamment de Roquebrune, passent par les milieux naturels comme celui-ci ?
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Photographie personnelle - Forêt cinéraire d’Arbas - 2020
Photographie personnelle - Forêt cinéraire d’Arbas - 2020
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LE RECUEILLEMENT DE NOS MORTS POUVAIT-IL PASSER PAR LA NATURE ?
Au fur et à mesure de mes recherches, je voyais bien que la tendance était de se rapprocher de la nature et du paysage afin de tenter de contrer cette crise écologique. Les idées fusaient quant aux rapprochement des cimetières à la nature, mais les milieux naturels étaient-ils vraiment propices au recueillement de nos morts ? Pour le savoir, il nous fallait tout d’abord définir cette notion complexe de terme recueillement. Je m’étais basée sur mon expérience personnelle afin de traduire ce mot aux diverses connotations. Mais nous devions également tenter de savoir si les cimetières traditionnels étaient réellement des espaces de qualité pour que les proches puissent se recueillir sur leurs défunts, et pourquoi l’imaginaire collectif avait essayé de les rapprocher des milieux plus verts, plus grands et plus respectueux de la planète.
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“Le silence enveloppe et protège le pèlerin comme d’un manteau de clémence, il permet le retrait et le recueillement. Le silence garde celui qui le garde.” Dauge
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comment voyions-nous la notion de recueillement ?
Se recueillir, qu’est ce que cela pouvait bien vouloir dire ou comment le faisions-nous ? Comme je vous l’ai dit plus tôt, c’était pour moi une tentative de faire le vide autour de soi, d’enfermer son esprit dans un silence afin de se concentrer sur ses pensées. Mais lorsque nous parlions de recueillement dans le cadre d’un deuil, cela me renvoyait à l’idée des adieux et à la mémoire du défunt. J’aimais assez la vision que mon compagnon s’en faisait à l’époque : « Je n’ai jamais eu d’éducation religieuse, je ne crois pas en l’au-delà. Mais cette vie tant attendue après la mort par certains, je la traduis par mon recueillement : la pensée de ceux que nous avons aimés les font revivre à travers nous. Leur souvenir persiste tant que nous pensons à eux en nous recueillant ». Nous pouvions tous nous faire notre propre définition de ce mot, qui nous renvoyait chacun à des pensées personnelles ou non, mais je voyais en ce terme quelque chose qui nous accompagnait, qui nous aidait à nous souvenir des défunts, surtout des bons moments passés avec eux ou au contraire aux regrets des mauvais. Cette mémoire était nécessaire à quiconque perdait un proche : elle avait été pour moi une étape essentielle dans le deuil, même s’il m’était difficile de me recueillir sur les tombes de mes proches, peut-être pour l’environnement des cimetières, ou à cause de l’idée qu’ils soient enfermés dans des boîtes noires et froides, dictées par les cultures des rites funéraires. Toute disparition d’un homme faisait l’objet d’une cérémonie d’adieux, quelqu’en soit la confession ou non d’ailleurs. Dans l’esprit collectif, nous n’imaginions pas de décès sans funérailles, comme si nous devions à notre proche une commémoration, à l’instar d’une « fête » que nous lui organiserions pour son départ pour le paradis. Je me souvenais du temps de recueillement partagé avec ma famille et mes proches lorsque j’ai perdu mon oncle. Nous éprouvions douloureusement la perte de cette deuxième figure paternelle, mais avec le recul, cette étape était primordiale pour nous aider à vivre et accepter le deuil. Ce temps, c’était comme un dernier hommage rendu, comme un témoignage de tout l’amour et de toute l’affection que nous lui portions. Mais si je pouvais en faire la critique, cette phase d’introspection, qui visait à penser au défunt, aux souvenirs que nous avions avec la personne nous renvoyait à quelque chose d’assez égoïste. En effet, pour moi, lorsque nous nous recueillons pour une personne décédée, c’est notre vision de la vie après la mort de la personne en question, mais surtout une projection de soi. Comment al-
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Photograhpie - “Berlin Crématoirum” - Thibaud Poirier
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lais-je vivre sans lui ? Où était-il parti ? Existait-il une vie après la mort ? Toutes ces questions que nous nous posions tous, mais qui renvoyaient directement à l’ultime interrogation : comment ferais-je quand ce sera mon tour ?
et paisibles, propices au recueillement, par des ambiances qui les définissaient. Mais dans les deux cas, le recueillement était un moment important pour les familles, pour que chacun ait les temps de faire ses derniers adieux. Pour moi, même si cela était dur, se retrouver en famille, se sentir entourée, pouvoir exprimer ma tristesse, mes doutes et mes peurs avec les gens qui m’entouraient m’aidait à accepter la perte de l’être cher. Le recueillement à plusieurs avait été particulièrement bénéfique pour moi quand il avait été question de l’acceptation de la mort.
Le recueillement était quelque chose de personnel, même s’il s’en dégageait des traits communs à tous. En effet, il existait une manière commune de se recueillir qui imposait deux choses : le temps et l’espace. Ces deux notions définissaient pour moi celle du recueillement, par rapport à plusieurs temporalités et à des lieux, silencieux ou non. Le recueillement, c’était un moment décidé par la personne, dans une démarche positive. Même si nous pouvions nous recueillir partout, nous avions des endroits plus propices au recueillement, mais surtout nous choisissions le moment opportun.
Choc de l’annonce Acceptation
Je me demandais alors s’il y avait des lieux plus propices au recueillement que d’autres à ce moment-là. Valait-il mieux se recueillir dans une chambre funéraire ou à domicile ? Parce que même si les soins de conservation et de préparation nous permettaient de voir le défunt dans une posture calme et apaisée, de mon point de vue, j’avais trouvé cette étape très traumatisante dans les deux cas. C’est comme si nous nous imaginons qu’il dormait mais en prenant conscience, avec tous les gens qui pleurent autour de nous, qu’il ne se réveillerait jamais.
Déni et refus DEUIL Frustration peur et colère Expérience Tristesse et manque
À domicile, il y avait peut-être une notion de proximité, une volonté pour les proches que le défunt reste encore un peu chez lui, même s’il le quitterait bientôt. Dans une maison, les pièces étaient personnalisées, entièrement décorée au goût de ses habitants. Nous retrouvions là un sentiment de proximité, quelque chose qui nous accrochait encore à l’être perdu. Il était réellement possible de se recueillir dans sa maison, généralement aménagée pour l’occasion du recueillement. Certaines coutumes permettaient aussi d’organiser des veillées, avec des prières pour les croyants, en attendant les funérailles. Mais cette proximité avec le défunt n’était pas forcément facile à gérer pour les proches.
Dépression Illustration des étapes du deuil d’après E. Kübler-Ross - 2019
C’était pour cela qu’il existait des chambres funéraires où les familles pouvaient transférer le corps des défunts pour la préparation à l’enterrement. Ces chambres étaient des lieux calmes et apaisants, entièrement équipés pour les soins de conservations des corps, généralement pour trois jours avant les funérailles. Ils étaient entièrement pensés et dessinés comme des lieux calmes - 50 -
Pardon Quête de sens
Aménagement d’un espace cinéaire - Jean-Paul Husson - Chauvigny
En parlant d’acceptation, je me souviens que cette notion faisait partie depuis les années 1960 des sept étapes du deuil d’après la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross. En effet, chaque personne faisant un deuil passerait par plusieurs phases jusqu’à l’acceptation de la mort à savoir : le choc de l’annonce ; le déni et le refus ; la frustration accompagnée de peur et de colère ; la dépression, le moment où nous sommes au plus bas ; l’expérience avec la tristesse et le manque ; la décision du pardon, de la quête de sens ; et pour finir l’acceptation, la sérénité retrouvée pour aller de l’avant. Je voyais cela comme un chemin, un parcours qui amenait la personne endeuillée d’un point A à un point B, où le recueillement la guiderait. Je parlais plus tôt du recueillement comme une notion temporelle et spatiale. Pourrions-nous alors l’appeler chemin de recueillement ? Je voyais ce dernier comme un retour à soi et au défunt dans plusieurs temporalités : à la mort de la personne, au moment des funérailles, dans notre deuil, mais aussi après, car nous retournons souvent sur les tombes des êtres chers. Le recueillement était alors pour moi un parcours, dans une quête de sens à la mort et aux moments de la vie pour les proches. Mais nous ne pouvions la dissocier du caractère spatial du recueillement dans ces différentes étapes. Nous pouvions alors nous dire que la majorité des personnes préféraient se recueillir dans le silence, dans des endroits propices au recueillement, comme les chambres funéraires. Mais qu’en était-il d’après ? Pouvions-nous nous recueillir n’importe où ? Dans un endroit que nous seuls avions jugés propice à ce moment ? Ma réponse était l’affirmative. Dans une démarche personnelle de cette notion, je pouvais me recueillir sur un banc en plein centre de Paris, au milieu des klaxons et des pots d’échappement, ou alors dans un silence quasi-total dans mon lit. Chacun voyait et vivait ce moment comme il l’entendait, mais notre rôle, en tant qu’architecte, - 51 -
n’était-il pas de guider ces personnes dans des espaces dessinés pour ? Qu’est ce qui qualifiait un lieu comme propice que recueillement ? Était-ce sa forme ? Était-ce son emplacement ? Était-ce sa matérialité ? Je n’avais pas de bonne ou de mauvaise réponse, je tentais seulement de déterminer un lieu précis, où dans un moment précis et décidé, nous pourrions nous recueillir. Je me demandais alors si, dans cette temporalité, les cimetières traditionnels étaient des lieux propices au recueillement. En effet, pouvaient-ils s’inscrire dans ce parcours, dans cette quête de sens face à la mort, par sa forme et par ses qualités spatiales ?
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Photographie Le Moniteur - “Recueillement au cimetière d’Arcueil” - Google Images
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les cimetières traditionnels étaient-ils des lieux de recueillement ?
Au premier abord, nous pouvions imaginer les cimetières comme des lieux de recueillement. Par définition, ce terme désignait un terrain où nous enterrions des morts et également un lieu de recueillement. Vous allez voir qu’en fonction des points de vue, les cimetières traditionnels ne s’inscrivaient pas forcément dans une démarche positive et évolutive du deuil. Laissez-moi vous montrer, d’après l’analyse de plusieurs cimetières, qu‘ils n’avaient peut-être pas été pensés comme un cheminement mais comme un espace ponctuel et restreint, à l’instar d’une plaque, d’une pierre tombale ou d’un tombeau. Nous avons dit un peu plus haut que le recueillement s’inscrivait dans un entrecroisement de deux notions à savoir l’espace et le temps. J’avais essayé dans ma démarche d’aller un peu plus loin : si nous considérions un cimetière traditionnel comme celui du Montparnasse à Paris puisqu’il nous était voisin, pouvions-nous dire que l’espace avait été dessiné selon un parcours qui amenait à la tombe du défunt, dans une atmosphère et une ambiance propices au recueillement ? J’avais décidé de faire l’expérience du lieu. Je m’étais promenée à plusieurs reprises durant des mois de recherches dans différents cimetières, afin d’en relever les caractères communs et propres à chacun. J’avais parcouru les allées des cimetières parisiens, celles du Montparnasse, de Montmartre et du Père-Lachaise pour commencer, puis je m’étais perdue dans ceux du Val d’Oise, celui de Sannois où j’avais grandi, celui de Soisy-sous-Montmorency ou encore celui d’Enghien-les-Bains, puis à Roquebrune-surArgens dans le Sud de la France. Pour finir, j’étais allée me recueillir comme chaque Toussaint sur les tombes de mes ancêtres à Étaples-sur-Mer près du Touquet. Ce qui m’avait frappé à chaque fois, c’était les plans des espaces. Comme des mini-villes, les plans étaient quadrillés avec des axes principaux et des allées adjacentes. Je me disais souvent qu’effectivement, ces plans transmettaient un certain ordre, renvoyaient à la notion que même morts, notre dernière demeure pouvait s’apparenter aux maisons que nous habitions jusque là, formant des îlots, des quartiers. Mais était-il nécessaire de répertorier nos morts selon un ordre pré-construit ? L’espace des morts devait-il nécessairement ressembler à celui des vivants ? Car si les vivants pratiquaient les espaces des morts, le contraire était compliqué, sauf si vous croyiez aux fantômes. Alors pourquoi cherchions-nous encore à apparenter les cimetières à des espaces
Photographie personnelle - Domaine de Chaumont-sur-Loire - 2019
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Photographie personnelle - Domaine de Chaumont-sur-Loire - 2019
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dessinés comme de véritables milieux urbains ? Vous pourriez me répondre que c’était pour conserver une certaine logique, de trouver son chemin rapidement afin d’aller fleurir la tombe de votre grand-père ou encore d’aller se recueillir sur le tombeau de vos ancêtres. Mais un chemin tout tracé, avec des axes dégagés, ponctués par quelques arbres et fontaines, était-il propice au recueillement ? Il y avait beau avoir des aménagements, des monuments et même des bancs, avions-nous envie de nous y arrêter ? Nous sentions-nous dans une ambiance apaisante, calme et dictée par le recueillement ?
mais également sur le chemin de celle convoitée ? Le cimetière et surtout le dessin de leur espace permettaient également pour moi un recueillement par la pensée des autres défunts, voisins des nôtres. Je regardais les noms, les dates, les photographies, les derniers hommages, avec un certain sentiment de culpabilité car pensant rentrer dans l’intimité d’un autre. Étions-nous obligés de nous recueillir sur la tombe de nos proches ou peut-être par un aspect plus communautaire, les tombeaux adjacents pouvaient-ils nous permettre aussi de faire le point sur notre existence après la mort d’un proche ?
Cette architecture de l’espace révélait pour moi un seul lieu de recueillement dans le cimetière : notre rapport au défunt. Il ne fallait pas confondre un lieu de recueillement et un lieu de plusieurs recueillements, à savoir les différents recueillements de chacun dans un seul et même espace. Je m’explique : si nous considérions les accès pour arriver à la tombe de notre cher être parti trop tôt, le temps du recueillement débuterait au moment même où nous nous trouverions en face de la tombe et non avant. Mais nous avions dit plus haut que le recueillement s’inscrivait dans un parcours, avec plusieurs temps, pourquoi ne pourrions-nous donc pas conjuguer l’espace et le temps de recueillement, sans le réduire à un seul objet, un seul symbole de nos morts ? J’essayais donc de comprendre et de deviner si les cimetières pouvaient être inscrits dans ce cheminement de pensée.
De plus, il y avait un certain rapport à la signalétique du lieu. Dans tout cimetière, je pouvais trouver un plan à l’entrée, avec les indications nécessaires afin de trouver la parcelle du défunt. Ce rapport au parcours, je le trouvais particulièrement intéressant. C’était alors tout un cheminement ponctué par des flèches et d’indications pour se retrouver soi-même dans ces vastes espaces, de plusieurs hectares pour la plupart, mais également pour trouver son défunt. Mais je me demandais alors pourquoi ces objets d’orientation n’étaient ni pensés ni dessinés par rapport au cheminement de la pensée, à celui du recueillement. Seuls les symboles religieux ou culturels qui figuraient sur les tombes de chacun indiquaient la présence des défunts, dans des formes préconçues et naïves de l’idée que nous nous faisions de la mort.
Même si l’expérience du lieu est subjective, nous pouvions nous rendre compte que son dessin permettait d’appréhender l’espace comme son auteur l’avait conçu. Dans les cimetières parisiens, nous avions noté l’effort afin de les transformer en des lieux paysagers, comparables à de véritables jardins pour un rapport à la nature et à la vie. Je me souviens que ma perception de l’espace changeait en fonction des saisons : les arbres permettaient une certaine fraîcheur en été, par leur ombre et leurs odeurs de fleurs et de fruits, mais lorsque l’hiver approchait, nous pouvions revoir le ciel grisonnant à travers les branches dénudées, en marchant sur un tapis de feuilles dorées qui nous conduisait jusqu’à la tombe recherchée. L’ambiance calme et apaisante se faisait pour moi dans ce rapport à la nature. Je pouvais y voir une première tentative de recueillement, qui me renvoyait à mes souvenirs, pas forcément en rapport à mes proches décédés, mais plus comme un retour en mon for intérieur.
Même si ma propre interprétation de ces lieux funéraires trouvait un certain rapprochement avec le caractère temporel du recueillement, je trouvais qu’il n’était pas forcément induit dans la plupart des cimetières traditionnels. En effet, comme dit plus tôt, encore très peu des cimetières français étaient végétalisés ou paysagers, ce qui rendait ces lieux entièrement minéraux, dépourvus de tout signe de vie excepté l’être vivant que nous étions. Lorsque je me promenais dans les cimetières du Val d’Oise ou encore de Roquebrune-sur-Argens, j’essayais de relier cette notion de recueillement à la matérialité même du lieu. Alors que les pompes funèbres proposaient des tombeaux en pierre ou béton, ou encore des pierres tombales en marbre, à l’aspect lisse, pour une volonté d’ornement, de stabilité et comme signe de richesse, je sentais plus que jamais la barrière qui me séparait des personnes enterrées. Je les imaginais, à six pieds sous terre dans des cuves de béton, enfermées dans leur cercueil en bois, recouvert de terre, et surmontées par une magnifique pierre tombale de marbre blanc. Et lorsque je m’accroupissais sur la tombe de mon
Qui ne s’est jamais laissé lire les noms sur les tombes autour, - 56 -
Photographie personnelle - Cimetière du Montparnasse - 2015
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grand-père à Étaples-sur-Mer, pour tenter un rapprochement aussi vain paraissait-t-il, je me heurtais à un matériau lisse et glacé, une pierre sans âme. Pourquoi avions-nous besoin de mettre tant de distance dans le rapport au défunt, alors que nous nous obstinions à les garder près de nous ? Je me demandais alors si les cimetières ne pouvaient non plus évoluer dans leur forme seulement, mais également et surtout dans leur symbolique et l’expérience du lieu à offrir à ses usagers. Je m’étais inscrite dans une démarche d’évolution d’un lieu à priori sacré, et pour qu’un grand nombre me suive dans ces problématiques d’espaces et d’environnement, la conscience collective devait changer d’opinion. Nous étions inscrits dans une ère de changements à plusieurs échelles, mais dans une question aussi universelle de la mort, il était temps que les gens changent et que les consciences évoluent.
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Photographie personnelle - Cimetière de Roquebrune-sur-Argens - 2019
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les consciences pouvaient-elles évoluer ?
Pour que l’impact écologique des cimetières sur la planète et que le dessin de ces derniers les rendent plus propices au recueillement, il fallait que les consciences évoluent de manière considérable sur une notion qu’encore trop peu avaient osé traiter. Je me demandais si la nature et la relation au paysage dans la mort ne pouvaient pas accompagner ce nouvel état d’esprit dans un monde en crise écologique. Plus mes recherches avançaient sur la question, plus je me persuadais que cela pouvait être non pas la solution, mais une alternative aux problématiques avancées précédemment. Laissez-moi vous en persuader aussi. Tout d’abord, il fallait que le monde se rende compte de ce que nous avions fait à la Terre. Alors que certains commençaient à intégrer de nouveaux modes de penser et de vivre, d’autres se persuadaient que la situation n’était pas si alarmante que cela. Je me souviens des débats sur l’écologie, les rires et le désintérêt d’un grand nombre de personnes sur les questions de pollution des sols, le point mis sur l’utilisation des énergies fossiles ou encore sur les matériaux de construction. Il avait fallu que la forêt amazonienne brûle pour que le monde se requestionne à travers les médias et les réseaux sociaux. La nature et la biodiversité devaient être préservées pour que la Terre continue de tourner. Et qu’importe la manière, l’idée était de sensibiliser les consciences pour qu’elles évoluent dans un monde qui ne survivrait pas, car nous étions trop nombreux. Pour des questions de préservation de l’environnement et pour contrer celles sur la place, il était temps de privilégier la crémation à l’inhumation. Pour des soucis économiques plus qu’écologiques, la crémation prenait de plus en plus de place dans les obsèques en France. Elle avait atteint les 40% mais les statistiques démontraient qu’elle serait en très peu de temps préférée à l’enterrement traditionnel. En effet, alors qu’une grande partie de la population ne supportait pas de dire au revoir à leur défunt de façon si brutale, car brûlé et réduit en cendres, ou encore parce que la religion l’interdisait jusqu’en 1950, son moindre coût et un entretien moins régulier en avait séduit plus d’un. Cependant, elle entraînait encore d’autres problèmes pour les familles du défunt : il était question du manque d’information quant à l’aspect technique de la chose. La plupart du temps, la choix de la crémation partait du défunt. Personnellement, j’avais annoncé à mes proches mon choix quant à la manière dont je voulais quitter cette terre, à savoir ce-
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Photographie 20Minutes - V. Moriyama- “La forêt Amazonienne qui brûle” - 2019 - Google Images
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lui de me faire incinérer. Mais ces derniers n’avaient pas compris mes motivations, certains m’ayant même demandé si cela voulait dire que je n’aurais pas droit à une cérémonie d’obsèques. La réponse que je leur avais apporté à ce moment-là, je vais vous la donner : la crémation n’excluait pas de cérémonie, même religieuse soit-elle, ni la possibilité de reposer dans le caveau familial, vu comme le symbole de la mémoire de ma famille. Plus qu’une évolution de conscience, il fallait apprendre au monde les modalités sur des questions importantes pour notre avenir écologique. Il était sûr qu’une crémation pouvait être précédée d’une cérémonie, dans un lieu de culte ou encore directement dans le crématorium, comme celle dans le cas d’une inhumation.
Il fallait également que les avis changent par rapport à cette notion de nature, trop longtemps dissociée des aménagements urbains. Même s’il me fallait quelques chapitres pour vous parler de cette question large qu’est la Nature, je peux vous dire que nombreux étaient ses bienfaits sur l’Homme, mais également sur le recueillement. En effet, lorsque nous nous promenions dans un paysage naturel, à savoir dans une forêt, sur un chemin de campagne ou un sentier de montagne, nous laissions notre esprit nous échapper et se poser sur ce qui nous entourait comme la lumière, les arbres, les fleurs, les odeurs, les sons ou encore le vent. Nous nous perdions dans nos pensées en admirant l’horizon durant un coucher de soleil, ou dans le paysage qui s’étendait à perte de vue. Cette sensation de paix et de bienêtre qui nous submergeait était d’ailleurs décuplée lorsque nous vivions dans des métropoles, où la nature était quasi-inexistante. J’aimais l’idée que François Dagognet décrivait du paysage, comme « immobile, qui appartient encore moins à la physique des compensations qu’à l’histoire, la géohistoire des formations incessantes. Non pas l’histoire des hommes, assurément, mais le temps des lentes actions. C’est pourquoi le paysage doit surtout être un cimetière des signes. Le moindre fragment, en lui, évoque les séismes d’hier »1. C’était l’idée que l’Homme avait façonné au cours de son Histoire son propre paysage, qui se juxtaposait au paysage naturel, jusqu’à le détruire. Mais en avait-il alors perdu le sens du caractère sacré de la nature ? Parce que si les consciences évoluaient sur la préservation de l’environnement, les hommes continuait de couper des arbres et de puiser les sols, constituant lui-même son paysage en bafouant tout ce qu’il lui avait été donné.
Mais ce qui posait le plus problème à mes proches, ce n’était pas seulement l’idée de la cérémonie mais surtout l’aspect brutal de la disparition, comme s’il fallait dire au revoir tout de suite. La présence du feu, qui accélérait plus rapidement la disparition physique du corps était trop violente pour eux, au contraire d’une décomposition plus longue lors d’une inhumation. Pour avoir assisté à une crémation étant jeune, je me rappelle le cercueil qui s’éloignait sur la chanson préférée de la personne décédée, puis, en un instant qui m’avait paru très bref, il avait été remplacé par une urne. Ce choc visuel, assez perturbant, m’avait marquée. Mais pouvions-nous alors imaginer la décomposition du corps, avec les vers et les insectes, l’aspect putride du corps qui, en plus de polluer les sols, souffrirait en surface ? Était-ce, dans ce cas là, moins choquant ? Je ne pensais pas qu’il fallait préférer une vision à une autre, mais de mon point de vue, j’avais fait le choix de partir digne, dans une poétique du feu et dans une symbolique de la fumée, plutôt que de finir sous terre au milieu des asticots.
Selon l’opinion publique, la végétation était limitée aux platanes qui bordaient les routes ou encore aux carrés d’herbe dans les parcs publics. Mais personne ne s’imaginait réellement ses atouts dans un monde si dessiné et à quel point l’inconscient de l’Homme en avait besoin. J’avais travaillé durant mon parcours à l’École Spéciale d’Architecture sur le végétal et notamment sur l’ombre. J’en avais fait un objet d’étude, qui requestionnait la place du végétal et son rôle en tant que matériau architectural. Il avait été question de mettre en évidence les liens entre végétation et perception sensible de l’espace, la végétation comme générateur d’ambiances et comme qualité énergétique. L’Homme avait trop souvent pris le rôle du végétal en addition aux projets de construction et d’aménagement, sans l’intégrer à la concep-
Les consciences devaient alors faire le tri entre les idées reçues depuis des générations, avec d’autres problématiques, d’autres enjeux et d’autres cultures, et les nouvelles problématiques liées au décroissance de la religion, la croissance démographique ou à l’environnement. Il était peut-être question pour nous, architectes, de traiter un rapport à la scénographie et à la poésie dans un moment aussi important que l’accompagnement des proches dans la mort. Pouvions-nous penser des crématoriums propices à cette notion d’adieu ? Des cimetières directement liés à une notion vivante qu’était la Nature comme vu plus tôt ? Je pensais réellement que c’est en dédramatisant cette notion par le rapport à la nature et au paysage que les esprits allaient changer. - 62 -
Photographie personnelle - Forêt de Roquebrune - 2019
Photographie personnelle - Forêt de Roquebrune - 2019
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François Dagognet - Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage
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tion, mais plus dans le rôle de décor1. Mais la relation aux arbres par exemple, que nous aborderons en détails plus tard, apportait de réels avantages dans la conception des espaces, en n’ayant pour seule contrainte un périmètre prévu pour ses racines et un temps de pousse à prendre en considération. Il fallait arrêter de les couper ou de les utiliser pour leur simple dessin dans le paysage : nous devions sensibiliser le monde sur leurs atouts, les respecter et communiquer avec eux pour aménager de nouveaux espaces, plus respectueux de l’environnement. Nous avons vu plus tôt que les paysagistes et architectes avaient de plus en plus tenté d’intégrer cette notion de nature dans l’aménagement des milieux funéraires. Mais dans mon entourage, personne n’était encore prêt à vouloir reposer dans des lieux de souvenirs paysagers, par crainte d’un caractère moins noble que la pierre tombale du cimetière. Mais si le monde n’évoluait pas, comment pouvions-nous contrer ces problèmes ? Allions-nous devoir imposer ou interdire ? Cette question demeurait trop sensible pour faire l’objet de conflits. J’avais bon espoir quant à l’ouverture d’esprit de chacun, pour que ce monde devienne altruiste et reconnaissant de ce que la Terre nous avait offert. J’avais alors imaginé un espace cinéraire, un lieu d’expérience et de parcours dans la forêt de la commune de Roquebrunesur-Argens. Malgré ses deux cimetières, la ville manquait de concessions car comptait environ cent-cinquante décès par an - nombre qui allait augmenter avec le vieillissement de population mentionné plus haut - ; ce qui mettait la question de la place au cœur de l’actualité. Parce que mon projet de diplôme d’architecture devait être le témoin d’un lieu et d’une culture qui m’étaient chers, je me devais de proposer une solution aux problématiques d’une région qui comptait pour moi. Dans cette dernière, forte d’un magnifique paysage entre montagnes, vallées, mer et rochers, je tenais à rapprocher cette idée du recueillement à celle de la nature à travers la Forêt de Roquebrune et surtout par la notion vivante de l’arbre, afin de sensibiliser et d’apporter une nouvelle alternative face à la mort, pour contrer l’impact des lieux de recueillement sur l’environnement. Certains m’avaient dit que j’étais folle, d’autres restaient sceptiques à cette idée, mais les personnes qui avaient cru en moi m’avaient soutenue dans cette démarche, un peu surprenante, d’une nouvelle vie après la mort. Pouvais-je alors espérer faire évoluer les consciences avec la proposition apportée ? - 64 -
Photographie personnelle - Domaine de Chaumont-sur-Loire - 2019
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L’Ombre végétale comme matériau - Cahier de recherches urbaines - Cycle 1 Semestre 6 - ESA
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ET SI NOUS SACRALISIONS L’ARBRE POUR UNE NOUVELLE FORME DE CIMETIÈRE ?
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"La forêt se dérobe à la lumière et c’est ainsi qu’elle dure. Certes elle assimile les richesses du soleil, mais les transforme, les élabore, les conserve. Il y a une grande force dans ce retrait, dans ce recueillement. Je voulais être un arbre, un arbre qui marche." Jacques de Bourdon Busset
Au cours de mon expérience personnelle, j’avais vu dans les arbres des piliers pour construire mes cabanes, des compagnons de jeux pour mes parties de cache-cache, des immenses parasols pour mes moments de lecture. Il vous fallait comprendre que l’arbre avait toujours été un symbole de mon imaginaire, et qu’il avait dicté jusque là tous mes projets d’architecture. J’avais particulièrement été sensibilisée à lui durant ma première année de Master à la Fabrique Collective, où l’enjeu avait été de construire avec la matière issue de l’arbre qu’est le bois, dans le cadre du Forum Bois Construction 2019. Je me souviens du rapport à ce matériau, qui était pour moi le seul à pouvoir se régénérer tant que l’Homme planterait des arbres. Verticaux, ils étaient des éléments simples en apparence : un enracinement, un rapport au sol fort et une canopée légère qui se rapporte au ciel, mais en réalité, j’avais appris au cours de mes recherches qu’ils étaient beaucoup plus complexes que cela. J’aimerais vous montrer à quel point ces êtres vivants sont extraordinaires, en raison de leur symbolique et de son rapport à nous, les hommes. Pourquoi ne pourrions-nous pas vivre avec eux, apprendre, communiquer et, dans l’environnement de la forêt, traiter cette question du recueillement ?
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et si l’arbre et l’homme étaient liés par leurs symboliques ?
Je m’étais depuis toujours sentie proche de ces êtres vivants qu’étaient les arbres. Comme avec mes frères et sœurs, après mon premier Noël, mes parents avaient planté dans le jardin de ma maison de campagne mon premier sapin. Nous avions grandi ensemble, et je pouvais voir que chaque année, il me dépassait un peu plus, allongeant ses branches et pointant de plus en plus vers le ciel. J’aimais penser que mon sapin grandissait toujours, et que de nombreux propriétaires pourraient grimper ou s’agripper à ses branches comme je le faisais plus jeune. C’est grâce à cette expérience que je m’étais posé la question de l’agrément procuré par l’Arbre. Par exemple, les espaces extérieurs pourvus d’une ombre végétale étaient toujours prisés en été : qui n’avait jamais apprécié l’ombre d’une pinède avec les odeurs des aiguilles et des pommes de pins, accompagnées du chant des cigales le matin ? L’air y était plus frais, le soleil filtré par les branches qui dessinait des ombres et des ambiances en mouvance constante. Il était non seulement le plus grand végétal, mais aussi le plus grand être vivant du monde. C’était celui qui vivait le plus vieux : d’après mes recherches et les nombreux écrits de Francis Hallé, grand biologiste et botaniste qui avait consacré une grande partie de sa carrière à l’étude des arbres, j’avais pu me rendre compte que l’arbre le plus vieux sur Terre avait plus de 43 000 ans, ou, pour vous situer un peu plus, datait de l’Homme de Néandertal - « toute l’histoire de notre espèce tenait dans la vie d’un seul arbre »1. Il était alors question dans notre contexte de crise écologique d’apaiser le conflit entre le temps court de l’homme et le temps long de l’arbre. Nous devions nous référer à ces êtres majestueux, afin de vivre à côté d’eux. Mais pourquoi m’identifiais-je autant à ce végétal ? Alors que nous nous attachions aux arbres de manière inconsciente, je m’étais penchée sur cette question d’identification. Que ressentiriez-vous si, alors que vous vous promenez, un homme arrivait, hache à la main, et coupait un arbre sans aucune raison apparente ? Ce sentiment s’apparenterait alors à de l’empathie, qui viendrait, d’après moi, de sa morphologie assez proche de la nôtre. Tout d’abord, c’était l’un des seuls végétaux verticaux, qui pointait vers le ciel et de déployait, comme un épanouissement dans l’espace, avec une certaine notion de beauté. Tout comme l’Homme, l’arbre avait plusieurs parties distinctes :
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Photographie personnelle - Domaine de Chaumont-sur-Loire - 2019
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Francis Hallé - La Vie des Arbres
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les racines, le tronc et sa canopée. Pour qualifier cette dernière, j’aimais assez cette métaphore qui la définissait comme la « tête de l’arbre », comme une note de poésie qui l’identifierait à nous, les hommes.
aux bras humains. Les deux mots avaient d’ailleurs la même étymologie et venaient du latin branca qui signifiait « rameau ». Nous apparentions ces ramifications majestueuses à nos membres qui nous permettaient de nous développer dans l’espace, de s’ouvrir aux autres mais également de communiquer. J’avais lu dans l’ouvrage de Wohleben que les arbres développaient leurs branches au détriment de certains afin de pouvoir capter la lumière. Les arbres vivaient comme un peuple, formant une forêt : c’était des milliers d’arbres qui évoluaient ensemble et coexistaient. Tout comme l’Homme, l’arbre était incapable de vivre seul, car les avantages de la vie en communauté lui permettait de se développer idéalement comme le faisaient nos parents, d’échanger des informations par l’air, les racines et certains champignons pour mieux se protéger des dangers. Ce développement commun allait encore plus loin chez les arbres car, contrairement à l’homme, il lui permettait de survivre et servir la forêt alors même qu’il était mort.
Les racines, ancrées dans la terre, étaient alors leur organe de fixation, nutrition mais également de communication comme nous l’avait appris Peter Wohleben dans La Vie Secrète des arbres. Nous pouvions dégager trois systèmes racinaires distincts mais tous avaient une force de pénétration très grande. Nombreux avaient été les dégâts engendrés par les racines des arbres, ce qui expliquait pourquoi certains étaient encore réticents à construire avec et à côté d’eux. Mais n’avions pas, nous aussi, des racines qui nous rattachaient à notre existence sur Terre ? Pour les êtres humains, lorsque nous parlions de racines, elles renvoyaient à nos ancêtres, à notre culture et à notre enfance. Platon écrivait d’ailleurs : « l’homme est une plante céleste, ce qui signifie qu’il est identique à un arbre inversé, dont les racines tendent vers le ciel et les branches s’abaissent vers la terre ». Alors que les racines des arbres se développaient dans un monde souterrain et obscur, l’homme cherchait lui aussi à trouver une base solide pour ses pieds, comme un ancrage au sol. Il était alors question d’un rattachement commun.
Mais ces analogies entre hommes et arbres remontent au commencement de l’humanité. En effet, l’arbre avait toujours fait partie des communautés. Des liens très forts unissaient ces deux entités car dans la plupart des civilisation, cultures et religion, l’arbre définissait la notion de sacré, jusqu’aujourd’hui. L’arbre cachait alors toute une forêt de symboles : nous pouvions le retrouver dans l’arbre du fruit défendu de la Bible, dans celui qui accueillait, à ses pieds, les premiers conseils humains, dans celui de la reconnaissance ou alors celui qui renvoie directement à nos racines, l’arbre généalogique. Inconsciemment, nous avons au cours de l’Histoire été influencés par cette puissance symbolique, à voir celle de la force ou encore de la santé.
Le tronc, c’était notre rapport frontal direct avec l’arbre en question. Il était l’élément le plus remarquable : de forme cylindrique, il pouvait s’apparenter à notre corps. Comparables à nos rides, témoins de notre ancienneté, les nervures nous donnaient l’âge de l’arbre lorsque nous le coupions. Le tronc était dans la plupart des cas recouvert d’une écorce, une peau qui, comme la notre, leur permettait de se protéger. Le jeune arbre avait alors une écorce lisse, qu’il pouvait conserver toute sa vie - comme le hêtre, l’aulne blanc ou encore le charme -, ou qui crevassait avec l’âge mais de manière différente selon les essences - pendant que le platane, l’érable ou le sycomore avaient des écorces éphémères, la plupart des autres espèces avaient des écorces persistantes. Elles variaient également de texture et de couleur en fonction des essences, créant une grande diversité parmi l’espèce végétale, comparable à celle de l’espèce humaine. Mais elles représentaient également le temps en parallèle de l’homme, comme une pellicule du présent que nous pouvions enlever pour retrouver les traces du passé.
L’arbre était également et surtout le symbole de la vie, et plus précisément du cycle de la vie. Il était pour moi celui faisait vivre les saisons : il pouvait mourir et renaître, et ce chaque année. L’automne approchant, les arbres caducs perdaient leurs feuilles, laissant leurs branches dégarnies durant l’hiver jusqu’à ce que le printemps reprenne le dessus avec la formation de bourgeons, puis de feuilles, puis de fleurs, puis de fruits durant l’été pour que le cycle recommence, encore et encore. Tout comme l’arbre, l’homme pouvait s’inscrire dans un cycle : c’était l’idée que nous venions de la terre, et que nous allions un jour y retourner. Mais si les arbres étaient surtout liés à la vie, je pouvais aussi m’interroger sur leur rapport à la mort. Nous avions vu plus tôt que certains tentaient de relier les cimetières et autres lieux de
Le plus parlant était sans doute l’analogie des branches de l’arbre - 70 -
Photographie personnelle - Domaine de Chaumont-sur-Loire - 2019
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recueillement au végétal et à ses symboliques. Par exemple, dans les cimetières traditionnels européens, nous retrouvions beaucoup d’ifs et de cyprès. Ces deux essences étaient alors persistantes, donc qu’importe le moment de l’année, leurs branches demeuraient garnies et feuillues : au fil des saisons, nous avions un rapport à des arbres toujours vivants, presque immortels. Au contraire, les non-persistants mourraient chaque année, car, dépourvus de feuilles, ne pouvaient effectuer de photosynthèse - processus qui permettait aux plantes vertes de synthétiser des matières organiques grâce à l’énergie lumineuse, en absorbant le gaz carbonique de l’air et en rejetant l’oxygène. Ils avaient ainsi perdu leur identité. Alors que nous les hommes persistions à garder une identité par des pierres tombales et des plaques commémoratives à chaque décès, les arbres perdaient toute leur identité à chaque hiver. Leurs feuilles mortes formaient alors un humus - la Terre en latin, qui avait donné le mot « homme ». Ce dernier représentait également le passé en profondeur, comme un retour en enfance pour nous les hommes. Mais, comme vous le saviez, tout ce qui tombait aux pieds des arbres renaissaient un beau jour. Je pouvais donc me dire que la notion de la mort par rapport à l’arbre était indissociable de celui à la vie, car les arbres s’inscrivent dans des cycles et, si aucune menace ne les atteignaient, ils demeuraient éternels, ou du moins j’aimais à y penser. Pouvaient-ils alors répondre à tous nos questionnements passés, à savoir une nouvelle conception des espaces et des lieux de recueillement ? Parce que si les consciences devaient évoluer, il fallait que nous donnions une nouvelle vision de la mort, moins froide et moins terne. Il était question d’une évolution de la société, pour pouvoir se servir de la symbolique des arbres et des hommes afin de trouver la paix durant un deuil grâce à un recueillement par la forêt.
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Photographie personnelle - Forêt de Roquebrune - 2019
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et si la forêt était un lieu propice au recueillement ?
Si je vous disais que la forêt, ce monde extraordinaire et fantastique, qui avait fait l’objet de mille et un contes et légendes, pouvait être un lieu de recueillement, me croiriez-vous ? Je vous avais mentionné mon souhait de concevoir un lieu pas comme les autres, ou plutôt un aménagement, un accompagnement qui mettrait en avant cette communauté d’arbres au service d’une expérience de recueillement en plusieurs temps. La commune de Roquebrune-sur-Argens et ses forêts me semblaient être propices à recevoir cette déclinaison du mot « cimetière » comme nous l’entendions à l’époque. J’avais entrepris une démarche, qui consistait à aller questionner les habitants et les usagers des deux cimetières communaux pour savoir comment ils allaient évoluer. La mairie et ses élus étaient depuis déjà plusieurs années confrontés au problème du manque de place dans ses cimetières. Je m’étais alors renseignée, sur le modèle de la forêt cinéraire d’Arbas, s’ils étaient contre l’idée d’investir la forêt d’une nouvelle sorte de concessions, entièrement réservée aux défunts incinérés. Les esprits avaient été très ouverts et même enchantés par cette nouvelle proposition. Bien la commune avait entrepris la création de columbariums dans le cimetière communal et qu’il y avait une forte croissance des obsèques par crémation, le seul bémol pour ce projet était le fait que le crématorium le plus proche se trouvait à Saint-Raphaël. J’avais donc décidé de proposer un partenariat entre la mairie de Roquebrune et l’organisation TAOMA d’Elia Conte Douette, qui s’engageait à conseiller, accompagner et former les collectivités dans la mise en place d’une forêt cinéraire, sur leur propre territoire. Il était alors question pour la mairie de rendre publique une partie de la Forêt de Roquebrune, sur une dizaine d’hectares, qui été jusqu’alors privée - appartenant au Monastère Notre-Dame de la Pitié - et d’investir dans plusieurs concessions. La forêt se trouvait dans une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique - ZNIEFF II -, et avait donc un caractère remarquable, mais cela n’interdisait en aucun cas les autorisations d’aménagements. Il était alors évident qu’il fallait préserver cette zone, tout en proposant une alternative au site funéraire restreint de la ville. Je devais utiliser des matériaux respectueux de l’environnement mais aussi de l’Homme, en consacrant la forêt au développement d’obsèques durables, en permettant de préserver et de mettre en valeur les milieux naturels de cette ville, tout en répondant aux
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Carte ZNIEFF II - Roquebrune-sur-Argens
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attentes de la réglementation. Au commencement du projet, le cimetière communal. Ce dernier, bien que devenu trop petit, était tourné vers le Rocher de Roquebrune, et sur une forêt. Mais c’était le béton, la pierre et le marbre qui se faisaient ressentir. Composé de trois parties, ce qui m’avait frappé en le visitant, c’était la notion d’hors-sol pour la partie ancienne. Il y avait là un sentiment de volonté à ne pas toucher terre. Je m’étais posée la question de la stèle : elle était pour moi le symbole imposant de l’absence des morts par ce signe qui le remplaçait. Mais alors, les parties plus récentes du cimetière recevaient des pierres tombales traditionnelles, dans un rapport à l’horizontalité. Ce passage de la verticalité à l’horizontalité m’avait surprise, mais je trouvais cela intéressant à exploiter pour une extension. Même si je devais repenser la forme des cimetières, il n’était pas question de bafouer le passé : un travail de réinterprétation de la symbolique et de l’identification s’imposait dans la création d’une forêt cinéraire. Mais alors que la forêt était autrefois assimilée aux personnes marginales, aux gens délaissés et aux créatures maléfiques, les habitants de Roquebrune étaient-ils prêts à lui confier ses morts ? Les personnes rencontrées m’avaient fait par de leur enthousiasme quant à l’idée de ce nouveau projet. Elles m’avaient dit qu’ayant vécu toute leur vie dans un cadre agréable et naturel, elles apprécieraient continuer dans la mort, surtout si cela contribuait à préserver leur propre environnement. Avant de m’y aventurer, j’étais tombée en sortant du cimetière sur une petite chapelle désaffectée, la Chapelle Sainte-Anne datant du XVIIème siècle. Elle avait appartenu au Monastère de Notre-Dame de la Pitié puis laissée à l’abandon depuis plusieurs années. J’avais vu en elle non pas son caractère sacré, mais son étroite relation avec le cimetière, mais aussi avec la forêt - elle était d’ailleurs le point de départ de plusieurs chemins de randonnées. Il aurait alors pu être intéressant de la relier aux questions de limites, de seuil : si nous avions défini plus tôt le recueillement comme un parcours, je voyais en cette chapelle un point d’entrée dans le monde de la forêt, dans le monde du recueillement : la Lisière de la forêt. Je voyais dans ses murs de pierre l’empreinte d’un souvenir passé. Elle était dans ma réflexion une porte d’entrée des étapes à franchir, une aide au recueillement. Plus loin, sur la route des Cavalières qui longeait la forêt convoi- 76 -
Photographie personnelle - Cimetière Communal
Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
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tée, se trouvait l’Aqueduc des Vingt-cinq ponts. Laissez-moi vous en dire un peu plus : il avait été construit en 1774 pour amener l’eau Village suite au don de la Source des Cavalières à la communauté. Il partait alors de la source jusqu’à la Fontaine Vieille, formant vingt-cinq ponts. Il n’en reste aujourd’hui qu’un morceau, mesurant soixante-dix mètres de long pour une hauteur de quatre mètres. Je voyais en cet aqueduc une relation au cheminement, le parallèle entre le chemin de l’eau et celui de l’esprit. Je voulais dans ce projet mener un lien entre la matérialité de la pierre - à l’instar de celle des tombeaux -, seule au milieu de ces espèces végétales, et le recueillement. Il était question de trace du passé et de la notion de patrimoine. Je voulais croire qu’il était témoin d’une vie passée, tel un souvenir dans la mémoire de la ville. J’aimais voir que tout comme la chapelle, l’aqueduc pouvait être limite de ce cheminement dans la forêt, comme un appel lorsque nous longions cette route au milieu des vallées. Mais une fois ces « portes » franchies, qu’est ce que la forêt nous donnait à voir ? À ressentir ? À penser ? Il était question d’ambiance et d’expérience. Si je voulais la sensibiliser et y insérer un lieu de recueillement, il me fallait parcourir cette forêt, connaître ses essences, admirer ses paysages, sentir ses odeurs, écouter son silence : la rencontrer. Si vous vouliez en faire de même, je vous dirais de regarder premièrement le sol avec ses plantes, ses fougères, ses formes et ses couleurs. Écoutez vous pas, les bruits des branches qui craquent, les feuilles mortes qui cèdent, mais aussi les sons de la forêt, comme les gazouillis des oiseaux, le vent qui fait danser les feuilles, ou encore celui des insectes qui volent autour de vous. Imprégnez vous de toute cette magie du lieu, pour que l’esprit de la forêt vous permette d’en ressentir les moindres détails. Allez ensuite à la rencontre des arbres ; quelques chêneslièges, verts et pubescents, des lauriers, des pins, des eucalyptus. Laissez vous submerger par la canopée, dessinant des ombres et des espaces aux ambiances dictées par le Soleil. Tout comme les japonais, prenez un bain de forêt : communiez avec ce qui en émane, sans pour autant le voir. Oublier ce premier sens de la vue, et donner une chance à votre ouïe, votre toucher et votre odorat. J’avais eu envie de développer cette idée de l’expérience, en relation avec le caractère personnel du recueillement. Je voulais mêler les deux notions de l’espace et du temps dans ce parcours du deuil, en inscrivant le projet dans plusieurs temporalités, avec un aspect cinétique de la chose. Il fallait marcher pour savourer un - 78 -
Photographie personnelle - Aqueduc des Vingt-Cinq Ponts
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espace. Mais fallait-il guider ce parcours ? Le tracer ? Ou alors le suggérer ? L’idée étant de ne pas dénaturer ce lieu, qui accueille de nombreux randonneurs, il fallait que l’aménagement du site se prête à plusieurs usages. J’avais mis en place une signalétique, quelque chose de léger et d’intemporel pour laisser l’esprit se déplacer dans un espace. Il n’y aurait pas un mais des parcours, qui laisseraient chacun libre de se promener ou de se souvenir. J’aimais la phrase que Marc Barani avait dite pour nous décrire son cimetière de Roquebrune-Cap-Martin : « Un cimetière ne doit pas être un verrou, c’est une ponctuation dans le territoire que l’on peut traverser ». Il fallait que cet espace se prête à une traversée, ponctuée dans son espace, pour quiconque fasse un deuil.
plusieurs phases, que nous pouvons assimiler aux différentes strates du projet, aux différents degrés de compréhension et aux différents moments d’interprétation. L’idée du projet était donc qu’il fasse parti d’un tout, en révélant le passé pour se souvenir pour un recueillement à travers la vie de l’arbre et de la matière. Il fallait que la pensée des gens progresse, en les accompagnant pour passer du minéral au végétal. Au fur et à mesure du parcours, à force d’ascension et d’effort, c’est l’idée de se servir de la matière comme signalétique, comme guide et non comme contrainte, mais de s’en affranchir pour un lieu plus propice au recueillement en pleine nature.
Ce parcours était alors ponctué de sept lieux, sept comme le nombre d’étapes dans le chemin du deuil. Au commencement, la Lisière - le seuil de la forêt. Elle comprenait la réhabilitation de la chapelle Sainte-Anne en service de pompes funèbres et l’Aqueduc des Vingt-cinq ponts. Je voyais en cette lisière une porte d’entrée, ou encore une limite naturelle, par les traces du passé, à l’espace de recueillement qu’était pour moi la forêt. Il fallait que je me serve du passé pour écrire et révéler le présent, ce qui était lié à la mémoire des défunts. C’était l’entrée dans l’immersion, dans la profondeur du recueillement dépourvu à priori d’orientation.
Il y avait pour moi un dernier caractère propre à cet espace, la présence du Monastère de Notre-Dame de la Pitié. Ces frères carmes, qui avaient fait le vœu de silence, l’avaient imposé à toute la forêt. J’avais pu lire de nombreux panneaux, demandant de respecter le silence pour le bien commun. En les rencontrant durant une de mes visites à Roquebrune, j’avais pu leur demander si une collaboration pouvait être faite et comment, dans cette notion du recueillement que nous partagions. Ils n’étaient pas contre l’idée d’un rapprochement à la nature, néanmoins pour des défunts partageant leurs croyances et convictions. Pourtant, ils m’avaient fait part de leur souhait, tout comme la chapelle, de céder une grande partie de leur forêt à la commune, faute de moyens pour l’entretenir.
Venaient ensuite trois espaces cinéraires, délimités et caractérisés par leurs essences dominantes, la Pinède, l’Eucalyptus et la Chênaie. Ils faisaient l’objet de concessions où là et seulement là les urnes pouvaient être inhumées, déposées ou dispersées au pieds des arbres. Chacun délivrait sa propre poésie, et un nouveau rapport à l’arbre, que ce soit par rapport au sol avec ses racines, par rapport à l’Homme avec son tronc, ou par rapport au ciel avec sa cime. Même si les cheminements pour y accéder faisait l’objet d’une procession ascendante, ils restaient tous trois accessibles par une route pour les personnes les moins mobiles qui souhaitaient s’y rendre en voiture.
J’avais donc en main un lieu, un espace naturel qui était pour moi propice au recueillement évoqué depuis maintenant plusieurs lignes. J’étais alors convaincue et j’avais entamé les démarches pour en convaincre d’autres. J’avais rencontré les moines, échangé dans l’attente de les voir avec la responsable du patrimoine à la commune Stéphanie Dahan et le responsable de l’association de sauvegarde du cimetière de Roquebrune Jean-Pierre Violino pour une collaboration. Il était maintenant question de dessin, de forme pour l’aménagement d’un espace naturel mais repensé par l’architecture, comme Châteaubriand nous l’avait dit : « les forêts ont été les premiers temples de la divinité et les hommes ont emprunté aux forêts la première idée de l’architecture ».
Enfin, trois espaces de recueillement et de souvenir. La Clairière, qui trouvait dans son concept un rapport à la terre et aux racines de l’arbre ; l’Oliveraie, avec un rapport au tronc et à l’écorce de l’arbre ; et la Canopée, avec un rapport à la cime et au lointain. Il était question de ponctuer l’espace avec de petites architectures, qui racontaient chacune leur propre histoire, dans une évolution permanente de par leur matérialité et une gradation de support matériel. Tout comme le deuil, le recueillement se compose de - 80 -
Photographie personnelle - Monastère Notre-Dame de la Pitié
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LA LISIÈRE
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Schéma explicatif - Implantation
Schéma explicatif - Implantation
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LA LISIÈRE
LA LISIÈRE
LA CHÊNAIE
LA CHÊNAIE
LA CLAIRIÈRE
L’EUCALYPTUS
L’EUCALYPTUS
LA PINÈDE
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Schéma explicatif - Implantation
LA CANOPÉE
L’OLIVERAIE
LA PINÈDE
Schéma explicatif - Implantation
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LA LISIÈRE
LA CHÊNAIE
LA CLAIRIÈRE
LA CANOPÉE
L’EUCALYPTUS
L’OLIVERAIE
LA PINÈDE
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La Forêt du Souvenir - Plan Masse
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et si l’arbre devenait tombeau ?
Pour entrer un peu plus dans le détail, l’idée du projet serait de faire de l’arbre un véritable tombeau. Ce projet inscrivait l’Homme dans un cycle tout comme l’Arbre et le cycle des saisons ; le cycle de la vie. Dans la Genèse, il était écrit que « c’est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris, car tu es poussière et tu retourneras dans la poussière » : il fallait que nous rentrions dans un cycle naturel afin de préserver notre espace, dans une nouvelle définition de la société, en rapport avec l’Homme, la société et l’émotion, en s’affranchissant de la forme. Parce que je voyais la terre comme notre berceau, pourquoi ne se ferait-elle pas cercueil ? Je voulais que l’Homme prenne en maturité pour qu’il accepte que son corps soit rendu à la terre sous forme de poussière, comme le permettait la crémation. Il fallait mettre en place une fabrique d’urnes alors dégradables, en produit naturel sans pour autant les importer. J’avais eu l’idée d’utilisation de la ressource locale en bois, afin de créer des urnes dans le matériau conçu à partir de la matière vivante des arbres. La question de la matière demeurait dans mon esprit, afin de l’inclure dans un aménagement, un mobilier ou une signalétique, sans devenir anecdotique. Mais s’il était question d’aménager la forêt, il fallait que je la préserve. L’idée était d’inscrire la mort dans un nouveau cycle de la vie et de faire de la mémoire et du lieu de recueillement du défunt une promenade de sérénité, pour un apaisement en pleine nature. Mais dans une forêt préexistante, j’aimais l’idée que l’arbre n’était pas personnel ni identifiable. Je voulais croire que vivant, nous participions à une certaine communauté qui tentait d’évoluer ensemble, alors dans la mort, je voulais non pas qu’un défunt soit apparenté à un seul arbre mais à une parcelle de plusieurs arbres qui, comme un peuple, formait la forêt. Il en découlait également pour l’identification un traumatisme supplémentaire si quelque chose arrivait à l’arbre, de caractère naturel et accidentel, comme un incendie ou encore la foudre. Je voulais que chaque défunt participe à cette communauté, et par une simple signalétique naturelle, informer des personnes qui nous avaient quittés. Je voulais passer d’un mode de relation symbolique par la stèle à un mode de relation sensorielle et mémorielle par rapport à l’arbre et à la forêt, qui renvoyait aux souvenirs et à l’imaginaire. Il fallait que j’exploite les « rumeurs » de la forêt, son silence qui n’en était pas vraiment un, qui feraient une analogie à notre être
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disparu, qui continuerait de nous parler. C’était alors comme un bruissement, une évocation, quelque chose que nous devrions comprendre pour ce mode de recueillement. Par cet aménagement où chaque urne serait enterrée au pied d’arbres choisis, je souhaitais développer la notion d’inscription pour l’amener à l’évocation ; la notion du symbole pour l’amener à l’analogie ; la notion de l’incertitude du vivant et du mort vers la sensibilité ; et pour finir, la notion de l’érection du souvenir monumental. Cette nouvelle forme de cimetière liée aux arbres, je voulais qu’il devienne lieu où les souvenirs remontent, pour que le mort revienne en nous, comme perpétuité de la vie. Chacun était libre de fleurir ou témoigner de son amour pour le défunt l’arbre tombeau, mais avec les éléments trouvés sur place, en faisant preuve de respect pour la nature environnante. Il était également possible d’apporter fleurs ou autres végétaux, tant que l’ornement des arbres n’était pas pérenne, et s’inscrivait dans la temporalité du lieu. Le projet faisait de l’arbre un véritable tombeau, en creusant dans le sol de manière ponctuelle et succincte, dans une terre souple, pour que cette dernière accueille les urnes funéraires, ou dans les cavités quand la roche dure ne le permettait pas. Les différents parcours entamés pour les proches du défunts seraient alors ponctués par des temps de marche et des temps d’arrêt - spontanés comme la contemplation du paysage dans les endroits dégagés ou induits par du mobilier et des micro-architectures. Ma démarche avait alors fait l’objet de maquettes d’ambiances et une étude spécifique du site, basée sur mon ressenti personnel, afin de trouver les arbres et les milieux opportuns à accueillir un aménagement ou non pour que les arbres et les hommes restent liés, dans la vie comme dans la mort.
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Photographie personnelle - Pierre tombale - Cimetière communal de Roquebrune
Photographie personnelle - Écorce de chêne vert - Forêt de Roquebrune
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Photographie oeuvre Andy Goldsworthy - Google Images
Photographie « Land Art dans la forêt de Huelgoat » - Google Images
Photographie « Land Art dans la forêt de Huelgoat » - Google Images
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ENTRONS DANS LA FORÊT DU SOUVENIR ! 1
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2 Laissez-moi donc vous conter ces récits d’architecture, à travers différentes histoires, différentes ambiances et différents lieux, qui traversent le temps pour passer du minéral de la pierre, du marbre et du béton, au végétal des diverses essences de la forêt. Ces récits se rejoignent dans l’Empreinte du passé, afin de le révéler et se souvenir, pour un recueillement à travers la vie de l’arbre et de la matérialité du bois, de la pierre et de l’acier. Le projet se voyait donc comme un accompagnement des défunts et des familles, une progression de la pensée à travers tous les sens.
Schéma explicatif - Parcours « Dans la pronfondeur des racines »
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1 Schéma explicatif - Parcours « Dans l’écorce du tronc »
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Schéma explicatif - Parcours « Au plus haut de la cime »
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dans la profondeur des racines
muret de pierre qui bordait le bâtiment. Elle ne se sentait plus capable d’affronter cette épreuve que la vie lui avait réservé. Alors qu’elle essayait de trouver du réconfort dans les bras de son double, elle retrouvait Émilie, l’assistante et conseillère funéraire.
Mai 2030, 10h10. À la fin du cortège funéraire, la Lisière. Gilles, le Porteur des pompes funèbres, conduisait le corbillard qui revenait du crématorium de Saint-Raphaël. À l’arrière, Charlotte et Caroline Dumoncelle tenaient l’urne biodégradable en bois de pin de leur mère Julienne, que son sommeil avait emporté quatre jours plus tôt. Après les avoir conseillées pour le choix de l’urne, parmi de nombreuses en matière et fibre végétale, Gilles avait confectionné l’urne à l’image de la défunte dans son atelier. À peine arrivées sur le parking du cimetière communal de Roquebrune-sur-Argens, elles pouvaient déjà apercevoir le reste de la famille, assise un peu plus haut, à l’ombre de l’olivier. Accompagnées de Lucas, le Maître de cérémonie laïque, les jumelles empruntaient l’allée de pierres sèches qui les guidait vers cette ancienne chapelle du XVIIème siècle. Ces pierres venaient des environs, des anciennes bastides provençales ou encore des restanques à l’abandon, retaillées pour un nouvel usage comme marqueurs d’histoire. La transparence de la toiture laissait entrevoir la nouvelle charpente et donnait une certaine poésie au lieu, se mêlant presque aux branchages des arbres qui la bordaient. La minéralité des murs de pierres reconstitués reflétait les premiers rayons de soleil de la journée. Elles se souvenaient de cette chapelle, lorsqu’elles étaient enfants, et que Julienne les emmenaient jouer et se promener sur les sentiers de cette forêt. Elle les avait sensibilisées dès leur plus jeune âge à Mère Nature, en leur apprenant le nom de ses fleurs, en leur faisant goûter ses fruits, toucher ses écorces, écouter ses bruits. Avec l’intérêt que leur mère avait porté à la nature et à sa biodiversité jusqu’à ses derniers jours, il avait paru évident pour les soeurs Dumoncelle de lui rendre hommage à travers la vie de l’arbre, dans la Forêt du Souvenir de Roquebrune-sur-Argens. Après avoir longé le mur et monté quelques marches, après quelques accolades et embrassades, Caroline s’était assise sur le
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Dessin personnel - Empreinte d’une souche de pin sylvestre
Trois jours plus tôt, elle les avaient prises par la main, pour les mener à l’intérieur, au seuil du cheminement du deuil et du recueillement. En passant l’entrée, Charlotte avait tout de suite été surprise par cette grande frontière qui s’apparentait à un de ces métaux rouillés par le temps, par la lumière zénithale qui surplombait cette chapelle, laissant les ombres des fermes de la charpente redessiner l’espace. Les amenant dans son bureau pour les conseiller et organiser les obsèques de leur mère selon ses désirs et ses souhaits, elle avaient rencontré à l’accueil Gilles et Lucas. C’était Émilie qui avait coordonné le déroulement des funérailles, du crématorium de Saint-Raphaël à la Forêt du Souvenir, puis aiguillé leur choix parmi trois espaces cinéraires pour l’inhumation de l’urne de Julienne. Édouard - le thanatopracteur, s’était occupé de préparer le corps de la défunte arrivé le matin même pour que ses proches puissent venir se recueillir dans le salon et la chambre funéraires durant les jours précédents la crémation. Lucas, qui animait l’ensemble de la cérémonie des obsèques en tant que responsable, puisque la famille ne désirait une bénédiction religieuse, s’avançait vers les soeurs endeuillées. Il devait garantir et veiller au dernier hommage rendu à la défunte. Il prenait la main de Charlotte, tandis que Caroline avait l’urne en main, et entamaient la procession en direction de la Pinède. Le chemin offrait au fur et à mesure de l’ascension et de l’effort une vue imprenable sur le Massif de l’Estérel à gauche, orientée vers le lointain et l’horizon ; à droite, les chênes verts et les pins maritimes, accompagnés de mousses, champignons, fougères et autres herbes bordaient le sentier. Leurs pieds frôlaient le sol tantôt du sable, tantôt de la terre - pour arriver sur la roche rouge qui avait donné son nom à la ville où ils se trouvaient. À chaque croisement, une signalétique accompagnait Lucas pour orienter les proches ; de simples murets de pierre, qui faisaient rappel à la minéralité de l’Aqueduc des Vingt-Cinq ponts un peu plus bas. Ils se voyaient comme des guides ; un soutien, un tuteur d’accompagnement dans le long et lourd chemin du deuil. Certains pouvaient les décliner en assise, pour qu’ils deviennent bancs propices à la contemplation, à la méditation. - 97 -
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5m
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La Lisière - Plan Rez-de-Chaussée
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La Lisière - Plan de la Charpente
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La Lisière - Coupe AA’
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La Lisière - Plan Toiture
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La Lisière est un projet de réhabilitation de la Chapelle Sainte-Anne en organisme de pompes funèbres. De ses huit mètres de largeur pour ses quinze mètres de long, elle surplombe du haut de ses neuf mètres le cimetière communal de Roquebrune. Elle met en lumière la minéralité du site, de la ville mais également du cimetière avec ses pierres tombales. L’allée et le muret de pierres sèches guident le visiteur vers un escalier qui semble émerger du sol. Construite dans l’axe d’un olivier, l’idée est de mettre en avant le rapport à la végétation au seuil même du projet. La grande porte d’acier corten lui fait face et reflète à certains instants l’ombre du végétal. Elle dessert l’espace d’accueil, puis deux bureaux, le salon funéraire et enfin, la chambre funéraire. Cette dernière s’ouvre sur la forêt, pour un recueillement au plus proche des arbres. Le corps du défunt y repose dans un écran de pins parasols. Le cheminement est guidé par la charpente en bois et les fines rainures de la toiture, qui contrastent avec la massivité de la pierre. De fines ouvertures dictent les parois et permettent une ventilation naturelle au sein d’une bastide entre fraîcheur de la pierre et chaleur de la toiture sur un site au climat méditerranéen.
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La Lisière - Coupe BB’
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La Lisière - Coupe CC’
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Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
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La Clairière - Perspective intérieure
La Clairière - Perspective intérieure
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La Clairière - Perspective intérieure
La Clairière - Perspective intérieure
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Ils arrivaient à la Pinède. Cet espace était défini par la multitude de pins qui y trônaient et l’odeur qui s’en dégageait. Le sol avait revêtu son tapis d’aiguilles, parsemé de bouts d’écorces et de nombreuses pommes de pins. Il y faisait plus frais ; les parasols naturels offrant un peu d’ombre après cette marche éprouvante. Les proches se regroupaient peu à peu au pied de l’arbre choisi plus tôt par les filles de Julienne. Après une brève cérémonie orchestrée par Lucas, accompagnée de quelques mots de Charlotte - car sa soeur n’en avait pas trouvé la force, et un poème d’un autre proche, Gilles entamait l’ouverture qui devait accueillir l’urne. Chacun de ses gestes était millimétré, afin de creuser la terre encore humide sur une cinquantaine de centimètres. Il était question de rendre les cendres de Julienne à la terre, au pied d’un arbre - un pin , au pied d’une essence qu’elle avait tant aimé. Les jumelles, main dans la main, s’avançaient. L’urne de leur mère était contenue dans un coffre en acier. Après l’avoir ouvert les yeux remplis de larmes, dans un geste d’une immense tendresse, comme un dernier adieu, elles déposaient l’urne au fond de la cavité, au plus proche des racines. L’urne disparaissait peu à peu tandis que les proches recouvraient la cavité de la terre fraîchement remuée. L’inhumation terminée, les pompes funèbres avaient laissé famille et amis se retrouver dans l’un des trois lieux de la Pinède. Tandis que les jumelles ornaient l’arbre de leur mère avec des fleurs, branches et cônes trouvés sur place, le reste des proches s’était installé sur un simple banc, qui semblait s’enfoncer dans le sol. Par sa forme circulaire, il permettait à chacun de se voir, et de garder un oeil sur le pin de Julienne, dans une quasi-totale intimité. Assis au plus près de la terre, presque dedans, et dans une étroite proximité avec les arbres, les rampants, les aiguilles de pins et autres résidus, ils pouvaient se recueillir et se remémorer les moments passés avec l’être perdu. Tantôt en parlant, tantôt en silence, chacun pouvait trouver en ce lieu un espace qui réanimait les souvenirs.
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La Pinède - Plan Rez-de-Chaussée
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Mon tapis d’aiguilles « C’était la fin de l’été. Le soleil brûlait encore ma peau alors qu’il terminait presque sa course journalière. Attendant les derniers retardataires - mes frère et sœurs voulant profiter jusqu’aux derniers instants de la plage -, je m’étais accroupie sur ce tapis d’aiguilles, au beau milieu des cônes et des insectes. Je pouvais compter les scarabées, apprécier le spectacle synchronisé des fourmis et palper la terre étonnamment humide de mes doigts. Adossée aux écailles de mon meilleur ami de vacances, je me sentais bien, à l’ombre de mon immense parasol naturel. Je me laissais bercer par le chant des oiseaux et des dernières cigales du mois d’août. Une petite brise ramenant de la plage les embruns vint alors embaumer ce parfum. Il me rappela les escapades estivales avec mon oncle, perchée sur ses épaules, essayant d’attraper les branches de ces géants qui nous entouraient, mais aussi les moments d’évasion créés par nos jeux les plus fous. Alors que sa sève collait mes cheveux, j’ouvrais peu à peu mes paupières pour admirer les ombres qui se dessinaient autour de moi. Le soleil couchant donnait aux troncs une couleur qui tirait au doré, et mettait en lumière les magnifiques nervures de leur écorce. Je pouvais y voir, comme celles de mon propre épiderme, ces lignes témoignant de la vie que ces êtres avait menée jusque là, exposés au soleil, aux vents et aux pluies, comme des rides auraient pu marquer notre peau à mesure du temps. Il était l’heure de rentrer à Paris. Ce n’était pas un adieu, juste un au revoir. Je savais que je les retrouverais l’été prochain, mais comme chaque année, je ramassai une pomme de pin. Trônant sur mon bureau, je m’étonnerai chaque jour des parfaites spirales qui la composent, de son dégradé infini de couleurs, de son odeur quasi authentique lorsqu’elle se refermera lentement, un peu humidifiée. Cette offrande de mon arbre passerait bien l’année avec moi, pleine de souvenirs, en attendant de retrouver ma chère et tendre pinède. »
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Dessin personnel - Tronc de pin sylvestre
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La Pinède - Plan Masse
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La Pinède - Coupe AA’ - La Pinède - Coupe BB’
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La Pinède - Inhumation de l’urne Dessin personnel - Tronc de pin maritime
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Photographie personnelle - La Pinède
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La Pinède - Perspective
La Pinède - Perspective
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C’est un plus loin que la cérémonie s’était achevée, dans la Clairière. Chacun avait été libre de s’y rendre quand il était prêt, par le cheminement qu’il souhaitait. Alors que certains avaient aperçu des panneaux patinés qui rappelaient le métal des urnes traditionnelles à travers les troncs des chênes verts et des chênes lièges, d’autres avaient emprunté un sentier bordé de pierre qui plongeait dans la profondeur du site, en s’engouffrant dans le sol. Ce dernier ne laissait entrevoir aucune finalité au premier abord, pour ensuite passer sous un écran d’acier qui semblait flotter en dessous des arbres, et déboucher sur un espace souterrain et clos. Alors que les proches étaient au plus près des racines dans ce bloc de béton, un puits de lumière permettait un jeu d’ombres redessinant le lieu, le qualifiant en termes d’ambiances, et une vue inédite sur les arbres plus haut. Ils pouvaient admirer ces géants sous un autre angle, encore inconnu, ainsi que le liseré d’eau, pour l’évacuation en temps de pluie délimitant l’espace et un jeu de réflexion. Plus haut, les autres avaient découvert une terrasse percée en son cœur, entourée d’un mur couleur ocre, qui semblait avoir retenu la lumière du soleil catalan, s’élevant du sol et ponctué de fins poteaux reprenant dans leurs sections les hauteurs des arbres alentours. Ils révélaient la verticalité des arbres, cadraient la vue en laissant entrevoir les troncs et racines à l’horizon. Le bois de la terrasse avait grisé, le corten lui avait été exposé aux marques du temps. Ces matériaux laissaient pleinement exprimer les traces du cycle des saisons, des intempéries, révélant le temps qui passe. Ils étaient chargé d’émotions, d’histoires, tout comme les souvenirs des proches qui les encerclaient. Cet espace découlait entièrement de la forêt : les racines domptaient le lieu. Gilles avait plus tôt gravé un des écrans du nom de Julienne Dumoncelle, avec ses dates. Sur le Mur du Souvenir - panneaux soudés et vissés pour l’aspect filant -, elle faisait maintenant partie de cette forêt, de ce tout. Ce mur, qui enlevait les appartenances aux religions permettait à tous de se rejoindre dans la Mère Nature : c’était l’idée du tout. Alors que les lignes du site le faisait légèrement décoller du sol, debout devant lui, ses proches pourraient se remémorer ce qu’elle avait été pour eux, autour de son nom pur et de cet environnement. Et ils repartaient le cœur lourd, chargé de chagrin, mêlé à un sentiment de légèreté. Ils avaient fait leur dernier adieu, en l’accompagnant tout au long de son dernier voyage. Il fallait maintenant qu’ils traversent les nombreuses étapes afin de pouvoir faire leur deuil. - 122 -
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5m
La Clairière - Coupe AA’ - La Clairière - Coupe BB’ - La Clairière - Coupe CC’
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5m
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La Clairière - Plan Sous-Sol
5m
La Clairière - Plan Rez-de-Chaussée
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La Clairière est un espace de recueillement au sein de la Forêt du Souvenir. Inspiré d’une clairière comme endroit dégarni d’arbres dans un bois, l’idée est de se rapprocher au plus près des racines pour apprécier la vue de l’arbre par un puits de lumière. C’est un projet de temporalité, tant par ses séquences d’entrée aux différents niveaux que par les matériaux qui le constituent, comme témoins du temps qui passe. Au sous-sol, une rampe bordée de murs de pierre creuse le sol pour déboucher dans un espace clos, un prisme de béton dessiné par l’empreinte des racines d’environs trente mètres carrés où le puits de lumière projette sur ses parois les ombres des arbres au-dessus. Il suit la course du soleil dans la journée, mais aussi celle des saisons et des années. C’est un lieu de l’instant, car chaque moment y est éphémère. Par temps de forte pluie, une légère tranchée permet à l’eau de refléter la lumière ainsi que le dessin des branches avant de s’évacuer. Au rez-de-chaussée, de simples panneaux d’acier corten de cinq centimètres d’épaisseur pour trois sur quatre mètres, soudés les uns aux autres puis vissés par l’arrière à une structure sur poteaux, permettent de jouer avec la réflexion de la lumière et la corrosion du matériau. Importés d’Espagne pour un bilan carbone moindre, c’est le seul matériau du projet qui ne vient pas des environs. Les panneaux semblent décoller du sol en fonction de la topographie, ce qui créer un cadrage des pieds des arbres, entre fougère et autres herbes sauvages. Les racines sont mises au premier plan de cet espace qui se veut mémoire des défunts. Une terrasse de bois de pins locaux fait office de toiture de la partie encastrée, qui permet aux visiteurs, retenus par un garde-corps du même acier, de faire lien avec le monde de dessous.
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La Clairière - Détail technique
5m
La Clairière - Plan Toiture
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5m
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La Clairière - Coupe DD’ - La Clairière - Coupe EE’
5m
La Clairière - Coupe FF’ - La Clairière - Coupe GG’
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Photographie personnelle - La Clairière
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La Clairière - Perspective intérieure
La Clairière - Perspective
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dans l’écorce du tronc
Novembre 2030, 10h10. En ce jour de Toussaint, Martin Delamare garait sa voiture le long de la Route des Cavalières. Il avait quitté Aix-en-Provence à l’aube pour rendre visite à son père Denis, parti deux ans plus tôt, d’un accident de moto. Ces dernières années de deuil avaient été très dures pour lui, avec cette perte si soudaine et si brutale. Ils avaient été accompagnés lui et sa famille par l’organisme encadré par Émilie, l’assistante et conseillère financière, dès les funérailles mais aussi durant les mois succédant le décès. En passant l’Aqueduc, ce monstre de pierre, il ressentait presque instantanément une présence, l’aura de la forêt, et se laissait écouter ses rumeurs. Il aimait y venir, s’y promener, s’y arrêter. Il appréciait les rencontres avec quelques coureurs et randonneurs qui s’y aventuraient, mais aussi avec les familles des voisins de son paternel. Alors que c’était un lieu de morts et de mémoire, ce qu’il y voyait lui, c’était la vie comme les traces de pas d’animaux sauvages, ou encore le chant des oiseaux qui se raréfiait avec l’hiver approchant. Les chemins qui menaient aux Eucalyptus avaient revêtu leur manteau de feuilles orangées que les arbres caducs avaient laissé échapper durant l’automne. Les pas de Martin faisaient craquer ces défuntes ainsi que quelques branches ici et là. Il avait croisé lors de son ascension Gilles des pompes funèbres. Il lui avait alors expliqué, après l’avoir salué chaleureusement, qu’il entretenait les différents espaces cinéraires, en les laissant évoluer dans ce milieu sauvage mais en veillant à la sécurité de chacun. Il allait retrouver son père et sa mémoire au pied d’un eucalyptus de vingt-cinq mètres de haut. Sa famille avait inhumé l’urne en bois de chêne entre les racines de cet immense végétal dont
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Dessin personnel - Empreinte d’une souche d’olivier
les feuilles offraient un magnifique dégradé allant du vert foncé au rouge vif. Quelques unes étaient tombées, mais encore de nombreuses résistaient sur ses branches. Il s’était accroupi pour en ramasser quelques-unes ainsi que plusieurs bout d’écorces, et commençait à les disposer en étoile autour du tronc. Il aimait à cette date rendre hommage à ce « Denilyptus », en ornant l’arbre-tombeau de son père avec des éléments de son environnement, plutôt que simplement fleurir une tombe traditionnelle avec des fleurs qui mourraient trois jours plus tard. Le dessin changeait sans cesse et évoluait avec le temps, le vent ou encore la pluie, mais il aimait reformer cette étoile à chaque fois qu’il y venait. Ce n’était jamais les mêmes feuilles, jamais la même écorce, mais c’était là la poésie du lieu, la poésie de la forêt. Il y avait tissé un univers personnalisé, y créant sa propre histoire. Il s’était ensuite assis dans le plus proche des trois lieux de l’espace cinéraire. Ce n’était que murets de pierre circulaires, mais pour lui, ces bancs étaient magiques : ils semblaient posés dans le sol de façon à former des lieux de recueillement, centrés sur eux-mêmes mais également tournés vers les arbres - les troncs leur environnement proche et mais aussi vers le lointain. Ici, dans un quasi silence, il se remémorait leurs vacances, leurs promenades, leurs rires et leurs disputes. Les souvenirs faisaient surface, mais le deuil passé, la douleur de la perte avait laissé place à une forme de sérénité, alors que son père et l’arbre en faisaient plus qu’un. Une vieille dame s’était approché de lui. Ils avaient longuement discuté de ce lieu de mémoire, de souvenirs encore inédit dans cette région de la France. « Est-ce que votre père c’est l’arbre ou l’arbre votre père ? » Il lui avait répondu que c’était les deux, car pour lui, l’incinération au pied de l’arbre avait permis aux racines de l’absorber au bout de quelques temps. Denis faisait donc maintenant partie intégrante de l’arbre. Avant de prendre la direction de l’Oliveraie, il avait enlacé une dernière fois son père, comme un dernier au revoir, en attendant de le retrouver au printemps prochain, quand son tronc lisse revêtirait une nouvelle fois son écorce. Il avait longé le Monastère, cette immense bâtisse qui imposait le silence à la forêt. Il voyait en lui une étroite relation avec le recueillement de son défunt, de par son isolement en pleine nature pour se rapprocher de soi, ou par le silence pour mieux s’adresser à une personne absente, divine ou défunte. - 135 -
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5m
L’Eucalyptus - Plan Rez-de-Chaussée
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Mon bain d’eucalyptus « Nous nous promenions au milieu des géants gabonais. Leurs troncs interminables dessinaient l’espace, ne me laissant pour repère que ma tante, que je suivais aveuglement. Tout doucement, elle prit ma main alors que mes sandales laissaient les feuilles et écorces qui tapissaient le sol frôler mes orteils. Je découvrais pour la première fois ce lieu magique, avec des feuilles en croissants de lune aux multiples couleurs, allant d’un rouge orangé à un vert tacheté. Alors qu’elle déposait délicatement ma paume contre le tronc d’un eucalyptus aux reflets argentés, je découvris une texture lisse sous mes doigts. Habituée aux écorces rêches et nervurées des essences de mon jardin, je m’étonnais de cette douceur, de cette chaleur qui s’en dégageait. Au sol, je pouvais voir et compter, comme un serpent qui aurait mué, les diverses parties de sa seconde peau en plusieurs morceaux. Ma tante m’appela. Elle se trouvait un peu plus loin, au cœur de cette forêt, devant le plus vieux de ces arbres. Alors que mes yeux avait du mal à entrevoir sa cime tant il était haut, elle arracha un bout d’écorce de son tronc et le déposa au creux de ma main. Le tronc, comme écorché vif, retenait je ne sais comment ces morceaux prêts à tomber. Ils laisseraient derrière eux, comme trace, une coloration, recréant un magnifique dégradé. À chaque fois que je me trouverais en face d’un de ces géants, je repenserais à cet instant. À cette rencontre. Je repenserais à l’immensité du cadeau qu’elle avait su me faire ; mon premier bain de forêt. Je repenserais qu’en plus d’enlacer de mes deux bras mes nouveaux amis, j’aurais peut-être dû, l’embrasser elle une dernière fois. »
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Dessin personnel - Empreinte d’une écorce d’eucalyptus
5m
L’Eucalyptus - Plan Masse
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5m
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L’Eucalyptus - Coupe AA’ - L’Eucalyptus Coupe BB’
5m
L’Eucalyptus - Inhumation de l’urne Dessin personnel - Tronc d’eucalyptus
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Photographie personnelle - L’Eucalyptus
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L’Eucalyptus - Perspective
L’Eucalyptus - Perspective
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Les arbres laissaient entrevoir, comme des membranes reflétant les rayons du soleil, les panneaux de plusieurs mètres qui encerclaient l’olivier majestueux. C’était un arbre à taille humaine, qui de ses branches dialoguait avec la porosité des écrans de corten qui l’entouraient. La patine de l’acier le renvoyait aux mousses et lichens invités sur les écorces, et il aimait y voir l’histoire de la forêt. Il se tenait devant lui, sur une terrasse de bois, grisée par le temps. Comme encastrée dans le sol, elle se mariait presque parfaitement avec le sol. Il voyait dans le dessin des parois les nervures de l’écorce qui sculptaient le tronc de l’olivier, marqueur de temps, tout comme les rides commençaient, à l’aube de ses trente cinq ans, à sculpter son visage. Sur l’une des nervures, il pouvait lire le nom de son père, gravé dans la matière au moment des funérailles. Le corten avait transpiré sa rouille, témoignage de son caractère évolutif à travers le temps et les années. Sa couleur orangée rappelait le ton des feuilles mortes, ou encore un peu plus loin, celle du Rocher de Roquebrune. Il avait choisi ce Mur du Souvenir parce qu’il aimait cet endroit et l’idée que les parois ajourées gravitent, comme suspendues, au-dessus du sol. Les sections de poteaux reprenaient la hauteur de l’essence et permettaient un point de vue sur la forêt mais également sur les massifs alentours. C’était un instant d’arrêt et de contemplation : Martin aimait le longer pour lire les nombreux défunts inscrits aux côtés de son père et y deviner leur histoire. Il appréciait passer en dessous de ces panneaux qui tenaient en porte-à-faux, parcourir ce lieu pour ensuite s’y poser quelques instants. En passant par la Lisière afin de saluer la charmante équipe funéraire, il repartait le cœur léger, chargé d’amour et d’un sentiment de bien-être. Il avait rendu visite à son père et à sa forêt, mais il reviendrait bientôt. Il rentrait retrouver sa femme et sa fille, à qui, un peu plus grande, il présenterait son grand-père, un eucalyptus de deux cents ans.
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5m
L’Oliveraie - Plan Rez-de-Chaussée
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L’Oliveraie est un espace de recueillement au cœur de la Forêt du Souvenir. Il s’inscrit aux milieux des oliviers, endroit où l’horizontalité revient avec des arbres à échelle humaine. À l’instar de la Clairière, les panneaux d’acier semblent avoir égaré de la matière, comme si une couche, une écorce, ou une pellicule lui avait été retirée. Selon le même modèle, ils sont soudés puis vissés sur une armature acier. Le décalage des poteaux leur permet de se stabiliser entre eux et de créer un porte-à-faux aux extrémités, pour une meilleure lecture du paysage. Le léger décalage entre les différentes rainures se décline en instrument lorsque le mistral s’engouffre à travers ou que les rares gouttes de pluie tombent sur Roquebrune. La forme découle des oliviers avoisinants, qui interagit avec leurs branches et leur écorce. Elle permet aux arbres de se développer comme ils le souhaitent malgré la grande proximité. La terrasse de bois encercle le tronc de l’olivier, et permet au visiteur de profiter des jeux d’ombres créés par le projet et les arbres, mais aussi à ce qui le veulent de s’asseoir, à son pied, pour se recueillir ou tout simplement d’admirer la vue, sentir son écorce, écouter les oiseaux ou encore goûter ses fruits.
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L’Oliveraie - Détail technique
5m
L’Oliveraie - Plan Masse
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5m
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L’Oliveraie - Coupe AA’ - L’Oliveraie - Coupe BB’
5m
L’Oliveraie - Coupe CC’ - L’Oliveraie - Coupe DD’
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Photographie personnelle - L’Oliveraie
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L’Oliveraie - Perspective
L’Oliveraie - Perspective
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au plus haut de la cime Février 2031, 10h10. Le diagnostic était tombé six mois plus tôt, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Maria Delgado, âgée de soixante-treize ans se battait contre le cancer depuis deux ans déjà, mais c’est lui qui allait l’emporter. Alors qu’elle avait inhumé les cendres de Claude, son mari cinq ans plus tôt dans la Chênaie de la forêt de Roquebrune, la leucémie la menaçait de le retrouver bientôt. Elle avait donné rendez-vous à ses petits enfants - Julie, vingttrois ans et Pierre, vingt ans - à la Lisière de la forêt, sous l’olivier pour qu’ils choisissent tous les trois l’arbre qui accueillerait ces cendres le moment venu. Émilie était venue les chercher. Tout comme les jumelles Dumoncelle des mois plus tôt, après avoir passé la lourde porte en acier, ils avaient pu apprécier la hauteur et la prise de lumière de cette ancienne chapelle désaffectée. Installée à son bureau, la conseillère funéraire avait proposé plusieurs espaces pour la concession à acquérir, mais il paraissait évident pour la famille de déposer les cendres au pied du chêne de son mari. Elle avait cependant choisi parmi d’autres une urne souple, en lin naturel confectionnée par Gilles, non pour être inhumée mais pour que sa famille puisse la déposer dans une des cavités formées par l’arbre. Submergée par l’émotion, Maria préférait gérer tout cela en amont, pour ne laisser cette lourde tâche à ses enfants mais également pour être sûre que tout ne serait que volonté. Elle se sentait pleinement accompagnée dans cette épreuve par la gentillesse et l’écoute de l’équipe funéraire, qui s’assurait que tous désirs des familles soient dans la mesure du possible exhaussés.
Ils retrouvaient leur grand-mère tout près du vieux chêne liège de Claude. C’est ici qu’elle voudrait reposer, tout près de son époux, de cet arbre au milieu de cette chênaie. Maria aimait la terre, elle lui apportait paix et sérénité. Elle aimait cette essence d’arbre qui, même en hiver, gardait ses feuilles : pour elle, il ne mourrait jamais. Elle regardait tout, elle observait tout autour d’elle : elle avait choisi son arbre, et elle savait qu’elle le rejoindrait bientôt. Même si elle laisserait derrière elle ses petits-enfants, elle savait qu’ils viendraient souvent les voir. Elle savait où elle allait, elle n’avait donc plus peur de la maladie, plus peur de la mort. Mais Émilie repartait, laissant la famille dans une certaine intimité au milieu d’un des trois bancs circulaires de l’espace cinéraire. De leur assise de pierre qui s’élevait du sol vers la cime des arbres, ils pouvaient voir le vieux chêne, et se rappeler les souvenirs familiaux.
Alors que Maria, affaiblie par la chimiothérapie, préférait se rendre à la Chênaie en voiture avec Émilie, Pierre et Julie eux se dispersaient. Ce chemin, ils le connaissaient bien. Ils allaient très souvent rendre visite à leur grand-père, mais ce qu’ils aimaient surtout c’était le parcours pour arriver au pied de l’arbre. Ils n’empruntaient jamais le même cheminement, parcouraient la forêt, à travers les arbres et les saisons, sans passer par les voies induites. Pour eux, le propre de la forêt c’était déambuler, se perdre, chercher, surprendre et se laisser surprendre. Ils s’enfonçaient dans la forêt au point de ne plus distinguer le ciel des feuillages au-dessus d’eux, de ne plus voir les massifs à l’horizon, et de se sentir ne faire qu’un avec elle. - 156 -
Dessin personnel - Empreinte d’une écorce de chêne liège
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Sur mon arbre perchée « Tout là-haut perchée, je regardais les champs à l’horizon. Bien que mes deux pieds ne touchaient plus le sol, je me sentais à l’abri. J’y avais ramené tout mon nécessaire de survie ; un chapeau de paille emprunté sans autorisation à ma grande sœur, une paire de lunettes jaune en forme de cœurs trouvée dans le grenier, mon irremplaçable ours en peluche qui me servait de doudou et mes tasses préférées de la dînette que le Père-Noël avait glissé sous le sapin l’hiver dernier. Perchée dans ma cabane, je pouvais me tenir paisiblement entre les branches de cet être qui hébergeait mes nombreuses rêveries d’enfant. Son voisin malheureusement défunt avait fait don de son bois à mon grand-oncle pour qu’il construise mon terrain de jeux, une année plus tôt. Je me rappelle les embrouilles entre mon père et lui quand ils ont commencé à l’assembler, mais surtout leurs sourires lorsqu’ils ont pu voir le bonheur dans mes yeux une fois terminée. Ses innombrables bras m’enlaçaient à chaque fois que j’empruntais l’échelle. Sur mon chêne, je m’étais fait de nombreux voisins ; oiseaux, chenilles, fourmis et autres insectes. J’aimais profondément ces nouveaux amis. J’aimais le goût de son écorce que j’avais secrètement goûtée, j’aimais le bruit de ses feuilles au vent, j’aimais lancer ses glands sur les autres enfants, puis me cacher jusqu’à ce que mon rire trahisse mes bêtises. Je savais que ma cabane trônerait dans les branches de ce chêne majestueux encore des années, voyant défiler les autres enfants qui prendraient la relève, petit frère, petite sœur, cousins et amis. Parce que, pleine de souvenirs, ma cabane, sur mon chêne perchée, perdurerait en moi, mais aussi en lui. »
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Dessin personnel - Ecorce de chêne liège
5m
La Chênaie - Plan Rez-de-Chaussée
- 159 -
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- 160 -
5m
La ChĂŞnaie - Plan Masse
- 161 -
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5m
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La Chênaie - Coupe AA’ - La Chênaie - Coupe BB’
5m
La Chênaie - Inhumation de l’urne Dessin personnel - Ecorce de chêne vert
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Photographie personnelle - La ChĂŞnaie
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La Chênaie - Perspective
La Chênaie - Perspective
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Ne voulant repartir de cet havre de paix trop vite, ils avaient décidé de s’aventurer plus loin dans la forêt. Il ne lui restait que peu de temps, et Maria voulait profiter pleinement de ce paysage que Roquebrune lui avait offert depuis sa naissance. Alors qu’ils arrivaient dans la Canopée non sans mal, quelques poteaux d’acier corten qui reflétaient le soleil de février ponctuaient l’espace. Ils orientaient leur vue au loin, vers le Rocher de Roquebrune. Ils étaient au plus haut, où la canopée des arbres au loin devenait leur nouveau sol. La famille Delgado pouvait deviner les noms des défunts gravés dans l’acier : le temps s’était arrêté, mais il continuait sur la patine.
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5m
La Canopée - Plan Rez-de-Chaussée
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La Canopée est le dernier espace de recueillement de la Forêt du Souvenir. Il surplombe le bois pour ouvrir sur le paysage et le lointain. Après une intense ascension, le visiteur se retrouve face à la nature, et au Rocher de Roquebrune. À l’instar des deux premiers espaces, les panneaux de corten ont totalement disparus, pour ne plus voir qu’une série de poteaux du même matériau alignés, qui semblent, par leur implantation en entonnoir indiquer un point de vue, presque entièrement immergés dans le végétal. C’est un projet où le temps s’arrête, comme suspendu au dessus de la cime des arbres, mais qui continue par la matérialité des tiges, leur corrosion et leur réflexion aux différents moments de la journée ou de l’année. Mesurant de quatre à huit mètres, ils émergent du sol pour marquer une ligne faisant écho à celle de l’horizon. Le projet marque la fin d’une étape, d’un parcours et dirige vers l’avant, vers l’après, tel un renouveau après le long chemin du deuil.
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- 170 -
La Canopée - Détail technique
5m
La Canopée - Plan Masse
- 171 -
0
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5m
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La Canopée - Coupe AA’
5m
La Canopée - Coupe BB’
- 173 -
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Photographie personnelle - La CanopĂŠe
- 175 -
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La Canopée - Perspective
La Canopée - Perspective
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CONCLUSION
Pour conclure ce recueil, j’aimerais tout d’abord préciser qu’il s’inscrit dans une démarche en perpétuelle évolution afin d’en faire un véritable projet, concret et réalisable. Tout comme la forêt, il restera dans une dynamique en mouvance, dialoguant avec son environnement et son paysage. Les matériaux se voulaient évolutifs, et au cours du temps, raconteront de nouvelles histoires à ses visiteurs. Je voulais par ce témoignage que le monde se souvienne de l’importance de la crise écologique que nous avons vécu, et comment, main dans la main, nous avons œuvrer pour notre planète qu’était alors, et nous avec, en voie de disparition. Il nous a fallu tant d’années, tant de négociations pour que chacun prenne enfin conscience que c’était en requestionnant nos modes de vie et modes de penser que nous mettrions fin à ce calvaire. Parce qu’il fallait sauver l’arbre pour sauver l’homme, cette démarche a mis en relation les caractères et les symboliques de deux espèces qui sont encore pour moi très proches. À force d’écoute, de sensibilisation et de communication, nous avons réussi à vivre avec et à côtés de ces êtres majestueux. Je retourne souvent en forêt, qui m’offre une nouvelle expérience à chaque visite, à travers la perception de l’espace mais aussi à travers son paysage en évolution constante en fonction des années, des jours et même des heures. C’est l’idée d’un monde vivant, qui communiquerait par notre recueillement avec celui de nos proches décédés. Aujourd’hui, les lieux de recueillements sont maintenant très loin de ceux que nous connaissions avant : ils sont en parfaite harmonie avec la nature et le paysage, car le monde a enfin compris qu’au lieu de la détruire, il fallait la préserver et la laisser reprendre ses droits. Le projet de la Forêt du Souvenir, réfléchi comme pansement à l’impact environnemental des cimetières de l’époque, s’est inscrit dans une démarche, pour en développer d’autres où le paysage s’y prêtera. J’aime à croire qu’après celle d’Arbas, le projet de forêt cinéraire de Roquebrune aura séduit par son expérience de l’espace et du paysage, mais surtout du rapport de l’Homme à l’Arbre, au point d’en voir d’autres en France, mais également partout sur Terre.
moi l’objet d’une grande ouverture d’esprit, d’une immense réflexion et d’un réel investissement personnel durant les mois de recherches, d’analyses et de conception. Demain, j’aimerais me compter parmi les dix milliards d’habitants du monde, et je serais heureuse d’avoir réfléchir à cette alternative à la question de la place dans les cimetières, mêlée à celle de l’écologie. Il n’existera bientôt plus que des concessions, ou alors de cinq ans maximum pour les rares qui souhaitent encore se faire enterrer de manière traditionnelle, mais une grande partie préférera, je l’espère, se faire incinérer, grâce aux nombreux points positifs longuement mis en avant par les cimetières naturels et les paysages cinéraires.
Si vous parcourez un jour, je l’espère, cette Forêt du Souvenir vous y verrez sûrement vos propres interprétations, vos propres rêveries et votre propre histoire. Ce projet aura été la mienne, que je vous aurais racontée sans filtre et sans tabou. Il aura fait pour - 178 -
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ANNEXES
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Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
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Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
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Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
Photographie personnelle - Chapelle Sainte-Anne
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Photographie personnelle - Aqueduc des Vingt-Cinq Ponts
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Photographie personnelle - Aqueduc des Vingt-Cinq Ponts
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- 190 -
Photographie personnelle - Aqueduc des Vingt-Cinq Ponts
Photographie personnelle - Aqueduc des Vingt-Cinq Ponts
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- 192 -
Photographie personnelle - Monastère Notre-Dame de la PitiÊ
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- 194 -
Photographie personnelle - ForĂŞt de Roquebrune
Photographie personnelle - ForĂŞt de Roquebrune
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- 196 -
Photographie personnelle - La Pinède
- 197 -
- 198 -
Photographie personnelle - La Pinède
Photographie personnelle - La Pinède
- 199 -
- 200 -
Photographie personnelle - L’Eucalyptus
- 201 -
- 202 -
Photographie personnelle - L’Eucalyptus
Photographie personnelle - L’Eucalyptus
- 203 -
- 204 -
Photographie personnelle - La ChĂŞnaie
- 205 -
- 206 -
Photographie personnelle - La ChĂŞnaie
Photographie personnelle - La ChĂŞnaie
- 207 -
- 208 -
Photographie personnelle - La Clairière
Photographie personnelle - La Clairière
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- 210 -
Photographie personnelle - L’Oliveraie
Photographie personnelle - L’Oliveraie
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Photographie personnelle - La CanopĂŠe
Photographie personnelle - La CanopĂŠe
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BIBLIOGRAPHIE
Dagognet François - Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage - Champ Vallon,1982 Hallé Francis - Du bon usage des arbres, un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques - Actes Sud, 2011 Hallé Francis - La Vie des Arbres - Bayard, 2011 Leonardi Cesare et Stagi Franca - L’Architecture des arbres - Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2019 Mottet Jean - L’Arbre dans le paysage - Champ vallon, 2002 Perrin Valérie - Changer l’eau des fleurs - Albin Michel, 2018 Powers Richard - L’Arbre Monde - Le Cherche-Midi, 2018 Robert Philippe - Architrek, marcher pour savourer l’espace, dans la ville, l’architecture, le paysage - La Découverte, 2015 Simon Jacques - Arbres - 2008 Wohlleben Peter - La Vie Secrète des Arbres, ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent - Les Arènes, 2017 Zürcher Ernst - Les Arbres, entre visible et invisible - Actes Sud, 2016
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