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REPORTAGE Histoire de la société
1865 : NAISSANCE DES COULEURS BLOCKX
Robert Mols, peintre anversois, se désespère de la piètre qualité des couleurs de l’époque. Il prie alors Jacques Blockx I, son ami d’enfance, chimiste de formation et amoureux des Arts, de lui créer une palette de couleurs ayant la qualité des “couleurs d’antan”. Avant la révolution française, les ateliers de peintre fabriquaient tous eux-mêmes leurs couleurs. Mais, à l’époque industrielle, les secrets de ces ateliers étaient perdus depuis longtemps… Jacques Blockx I s’enferme dans la tour de son château “Les Fougères”, situé à Anvers-Lez-Vieux-Dieu pour se mettre à l’ouvrage. Très vite, il se prend au jeu, fabriquant lui-même de nombreux pigments. Car pour fabriquer des couleurs de qualité, il faut d’abord disposer de pigments solides à la lumière. À ce propos, on peut d’ailleurs lire dans le Compendium, un ouvrage qu’il rédige en 1881 : “Nous rejetons toute couleur qui ne possède pas les qualités requises pour assurer à la peinture artistique une stabilité complète.” La volonté de Jacques Blockx I est claire : ne jamais proposer, dans la gamme de couleurs Blockx, une teinte fugace, aussi belle soit-elle ! Dès le départ, Jacques Blockx I a produit une partie des pigments qu’il utilisait dans ses couleurs à l’huile. Parmi ses pigments, il y avait des oxydes de fer de synthèse appelé plus communément “couleurs de Mars” et des pigments à base de cobalt grâce à une collaboration avec le Professeur Laurent-Guillaume de Koninck, professeur à l’Université de Liège. Après de nombreux essais et expériences, en 1865, il offre à ses amis peintres une première gamme de couleurs fabriquées à la main, à partir de pigments de toute première qualité, sélectionnés avec rigueur ou fabriqués par ses soins. Et le résultat est à la hauteur des espérances de chacun : les teintes sont résistantes à la lumière, puissantes et lumineuses. Le bouche-à-oreille fait le reste. Les artistes finissent par s’arracher les premiers tubes… si bien que Jacques Blockx I doit engager plusieurs ouvriers pour répondre à la demande, sans cesse croissante. C’est ainsi que les couleurs Blockx sont nées. Jacques Blockx I ne se contenta pas de fabriquer des couleurs pour ses amis artistes. Il aimait aussi tenir des ateliers d’artistes au château. La passion de Jacques pour l’art était telle qu’il n’hésita pas à faire murer d’un côté les fenêtres de la salle à manger pour réduire les reflets du soleil qui pouvaient déranger les peintres en action…
■ 1868 : LE MYSTÈRE DE LA DISSOLUTION DE L’AMBRE
Beaucoup de peintres du XVe siècle utilisaient de l’ambre dissous dans leur médium. Grâce aux médiums à base d’ambre, les tableaux de cette époque ont su garder une fraîcheur et un éclat inégalé. Mais au fil du temps, le secret de la dissolution de l’ambre s’est perdu. En 1620 déjà, Théodore de Mayerne, médecin et chimiste suisse, présentait dans ses carnets “Pictoria, sculptoria et quae subalternarum artium” l’ambre comme un secret perdu de la peinture. Pourtant, après de longues recherches, Jacques Blockx I parvient à (re)découvrir le moyen de dissoudre l’ambre. En 1868, arrivent les premières applications de l’ambre liquide. À nouveau, ses amis peintres, trop heureux de disposer d’un produit dont les vertus étaient légendaires, se chargent d’en répandre la nouvelle. Là aussi, il faudra répondre à la demande.
■ 1910 : DÉLOCALISATION D’ANVERS À TERWAGNE
Désormais trop à l’étroit dans sa tour, Jacques Blockx I n’a d’autre choix que d’investir d’abord le poulailler, plus vaste, puis l’une des dépendances du château. Mais là aussi, la place vient à manquer. Jusqu’au jour où son fils, Jacques Blockx II qui avait pour habitude de chasser avec son père du côté de Terwagne, en région Liégeoise, décide d’écrire à l’un des notaires de la région pour trouver “un ruisseau… et une épouse” ! L’histoire ne raconte pas si le notaire a effectivement joué les entremetteurs. Néanmoins quelque temps plus tard, le jeune homme trouve chaussure à son pied, achète plusieurs hectares de terrain à son beau-père et fait construire un château. Évidemment, la première bâtisse à sortir de terre est la fabrique de couleurs qui sera terminée avant la première guerre mondiale. Plusieurs ouvriers sont envoyés à Anvers-Lez-Vieux-Dieu pour apprendre le métier avant que démarrent les premières fabrications à Terwagne.
À cette époque, la production se faisant encore entièrement à la main, une dizaine d’ouvriers sont employés à temps plein pour la production. Tous possèdent une épaisse surface de verre sur laquelle ils broient les pigments et les mélangent intimement au liant. Sur une journée, un bon ouvrier pouvait préparer entre 12 et 20 tubes de 20 ml. La production continue malgré la guerre et Jacques Blockx II, également chimiste, reprend les rênes de l’affaire familiale de manière naturelle, collaborant avec son père. L’aile gauche de la fabrique est dédiée à la fabrication des pigments et l’aile droite à la préparation des couleurs.
■ 1918
: DÉBUT DE LA MODERNISATION ET DE LA MÉCANISATION
Tout est pensé pour fournir un produit de qualité. Une ventilation des ateliers par girouettes est installée. Les pièces sont lavées à grande eau de haut en bas une fois par semaine. Les ouvriers engagés sont tenus de s’épousseter avec une brosse, de changer de chaussures avant de pénétrer dans les ateliers ou se voient interdire le fait de déchirer les chiffons de nettoyage pour ne pas libérer de poussières dans l’air. La perfection est poussée à l’extrême ! Après la première guerre mondiale, beaucoup d’hommes ne sont pas revenus de la guerre. Il y a pénurie de main-d’œuvre. Des mouvements sociaux demandent et obtiennent des salaires plus élevés pour les ouvriers. Il devient donc indispensable de mécaniser la production. En 1918, arrivent les premières machines qui reproduisent aussi bien que possible le travail manuel. Il est important de travailler lentement sans échauffer la matière. Le procédé du broyage lent sur 3 cylindres en porphyre permet d’obtenir une pâte extrêmement fine et confère à la peinture une qualité et une pureté inégalées. Pour produire une partie des pigments rentrant dans la composition des couleurs produites, plusieurs fours à calcination étaient en action dans la fabrique. Ce n’est que lorsque la législation et les normes évoluèrent que Blockx cessa de fabriquer les pigments.
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Peintres Ayant Utilis Les Couleurs Blockx
• Ernest Hebert (1817 - 1908)
• Claude Monet (1840 - 1926)
• François Lamorinière (1828 - 1911)
• Robert Mols (1848 - 1903)
• Édouard Detaille (1848 - 1912)
• Anna Boch (1848 - 1936)
• Jan Van Beers (1852 - 1927)
• Fernand Khnopff (1858 - 1921)
• James Ensor (1860 - 1949)
• Théo Van Rysselberghe (1862 - 1926)
• Paul Signac (1863 - 1935)
• Lucien Pissarro (1863 - 1944)
• William Nicholson (1872 - 1949) et son élève Winston Churchill (1874 - 1965)
• Rik Wouters (1882 - 1916)
• Édouard Hopper (1882 - 1967)
• Georgia O’Keeffe (1887 - 1986)
• Magritte (1898 - 1967)
• Salvador Dali (1904 - 1989)
■ 1940-1974 : PÉRIODE NOIRE POUR BLOCKX
La fabrication de pigment et de couleurs s’arrête totalement au début de la guerre. Pour continuer à fournir les peintres pendant la seconde guerre mondiale, Jacques Blockx II envoie tout le stock restant en Suisse chez son frère. Au bout d’un temps, le stock en Suisse s’épuise et les couleurs Blockx commencent à se faire rares. La livraison de couleurs vers les États-Unis s’arrête vers 1942. Or, à l’époque une large communauté de peintres aux États-Unis peigne avec Blockx. C’est d’ailleurs à New York où il s’exile en 1939 que Dali découvre les couleurs Blockx. Au sortir de la guerre, Jacques Blockx III, qui collaborait avec son père Jacques Blockx II, décide de monter à la capitale pour rendre visite à l’un des anciens clients importants pour relancer la production par une première commande. Sa moto tombe en panne et Jacques se fait faucher par un camion de l’armée en train de doubler. Il meurt à 30 ans. Son fils, Jacques Blockx IV n’a alors qu’un an. Le grand-père continue seul la fabrication de couleurs. À sa mort, en 1952, Paul Blockx, son autre fils reprend l’entreprise. Les affaires périclitent peu à peu. L’épouse de Jacques Blockx II, et mère de Paul Blockx, ne veut pas voir disparaître l’œuvre de feu son mari et injecte chaque année de l’argent dans l’entreprise pour éviter la faillite.
■ 1974 : JACQUES BLOCKX IV REPREND L’ENTREPRISE FAMILIALE ET BLOCKX RENAÎT DE SES CENDRES
Suite à un discours passionné d’un de ses professeurs de l’université de Liège, Louis d’Or, le jeune Jacques Blockx IV, décide d’opter pour la chimie comme spécialisation en 3e année d’ingénieur civil. Il rentre ainsi dans les traces de son arrière-grand-père, grand-père et père qui étaient tous chimistes. Après son service militaire, il veut travailler dans l’industrie, sur les conseils de sa grand-mère qui le dissuade de reprendre l’entreprise familiale et lui conseille de trouver une bonne situation professionnelle. Mais la crise pétrolière étant passée par là, les postes à pourvoir pour les jeunes ingénieurs sont rares. Refusant de se tourner les pouces, il se rend à Terwagne pour voir, de l’intérieur, l’état de santé de la société Blockx. Le constat est alarmant. Une machine est cassée et les autres machines sont usées et en mauvais état. Les aquarelles ont été abandonnées. Il n’y a plus de téléphone, d’éclairage et les ouvriers restants ne travaillent plus que pour 4 ou 5 clients. “La première chose que j’ai faite est de remplacer par des néons, les ampoules qui pendaient au centre de chaque pièce… pour y voir un peu plus clair !” explique Jacques Blockx IV. “Et puis je me suis pris au jeu… Il faut dire que j’avais cette chance incroyable de pouvoir faire tout ce que je voulais, mon oncle me laissant tout faire”. N’ayant pas un sou en poche, Jacques réorganise la production et achète une machine à entuber, récupérée en pièces détachées. “Je m’en souviens…” explique Jacques, “tous les soirs, je tentais de la remonter. J’avais retrouvé les plans. Cela a mis du temps mais j’y suis arrivé”. Première décision de Jacques : élargir la gamme des huiles en créant une nouvelle carte incluant les pigments modernes d’aprèsguerre vers 1975.
“Une fois que les huiles ont bien redémarré, j’ai développé une gamme de liquides à associer aux huiles comme les médiums et les vernis. L’ambre, ça… c’était une autre histoire !” Malgré les notes détaillées de son grand-père et les dires de son oncle, Jacques Blockx IV veut adapter une fabrication difficile et désuète. “Oui, j’ai eu du fil à retordre. J’ai effectué mes premiers essais au CORI, le laboratoire de l’industrie belge des peintures et vernis, à Limelette. Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai empesté leurs locaux ! Mais je suis arrivé à proposer un ambre dissous de toute première qualité…” explique-t-il. L’aventure Blockx reprend.
■ 1980 - 2014 : LES GAMMES DE COULEURS S’ÉTOFFENT
D’anciennes recettes d’aquarelles sont retrouvées dans les carnets du grand-père et en 1980, la production d’aquarelles reprend avec 48 teintes. 25 ans plus tard, Jacques élargira la gamme à 72 couleurs, tout aussi éclatantes. Au début des années 90, la gamme de couleurs à l’huile évolue et passe à 84 couleurs et 5 blancs. Au tout début des années 2000, Jacques Blockx IV se lance avec l’aide d’un chimiste engagé à temps plein pour ce projet dans le développement d’une gamme de pastels tendres. Il leur faudra 18 mois de recherche pour créer une gamme de pastels proposant 204 nuances. Les pastels Blockx tels qu’imaginés par Jacques Blockx IV, sont un compromis idéal entre les pastels durs, faciles à utiliser, mais moins chargés en pigment et griffant rapidement le papier et les pastels tendres, chargés en pigments, mais d’utilisation peu aisée car très friables. Début des années 2000, le château de Terwagne, appartenant à la fille de Paul Blockx et cousine de Jacques Blockx IV est vendu. La fabrique de couleurs se voit obligée de quitter les lieux après près de 100 ans. Jacques Blockx IV fait alors construire l’actuel atelier à Nandrin et en 2003 la société Blockx déménage dans ses nouveaux bâtiments.
■ 2014 : L’AVENTURE
Continue
Après avoir dirigé et développé l’entreprise pendant 40 ans, Jacques Blockx IV souhaite remettre l’entreprise. Aucune de ses filles n’ayant voulu reprendre l’entreprise, c’est à Pierre-Louis Dhaeyer qu’il remet l’entreprise en 2014. Jacques Blockx épaulera encore le nouveau repreneur pendant de longs mois. Et l’aventure passionnante continue.
En
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“Ce Monsieur - qui n’a jamais peint – procurera plus aux peintres de demain, que ce que ce nous avons accompli, tous les peintres modernes réunis. Le dernier à savoir comment il fallait peindre”. Cf. image