Magazine Voir Montréal V01 #01 | Janvier-Février 2016

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MONTRÉAL VO1 #O1 LA QUESTION RACIALE AU THÉÂTRE FRANCOUVERTES HIP-HOP QUÉBÉCOIS MONTRÉAL EN LUMIÈRE L’ENTOMOPHAGIE RAGNAR KJARTANSSON CINÉMA ÉROTIQUE DOSSIER: MÉDIAS LOCAUX VS GÉANTS MONDIAUX

CHARLOTTE CARDIN


†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.


TENDANCES INTEMPORELLES MARBRE PIERRE GRANIT ONYX CÉRAMIQUE QUARTZ MOSAÏQUE ACCESSOIRES D’EAU montréal québec brossard toronto vaughan mississauga détroit ciot.com


V

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O1 O1 MONTRÉAL | JANVIER-FÉVRIER 2016

RÉDACTION

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture / Chef de section mode de vie: Noémie C. Adrien Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Correctrice: Marie-Claude Masse

COLLABORATEURS

Jean-Baptiste Hervé, Céline Gobert, Nicolas Gendron, Marie Villeneuve, Jérémy Laniel, Franco Nuovo, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Julie Ledoux, Gildas Meneu, Normand Baillargeon, Jean-Philippe Cipriani, Émilie Dubreuil, Ralph Boncy, Patrick Baillargeon, Réjean Beaucage, Christine Fortier

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Directeur adjoint aux ventes: Jean Paquette / Ventes régionales: Céline Lebrun Représentant(e)s aux ventes nationales: Isabelle Lafrenière, Nathalie Rabbat Représentant(e)s: Catherine Charbonneau, Antonio Genua

OPÉRATIONS / PRODUCTION

Directrice du marketing & communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrice marketing et projets spéciaux: Danielle Morrissette, Lea Londero Directeur du développement Web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets Web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sy / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé Chef d’équipe administration: Céline Montminy / Commis-comptable: Valérie Doucet Coordonnateurs service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Maxime Paquin, Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine

PHOTO COUVERTURE

Jocelyn Michel et Maxyme G. Delisle | leconsulat.ca

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16 CHARLOTTE CARDIN EST LA CHANTEUSE QUÉBÉCOISE À SURVEILLER DE PRÈS CETTE ANNÉE Photographes | Jocelyn Michel et Maxyme G. Delisle (Consulat) Stylisme | Shan Temuri (Dulcedo) Maquillage et coiffure | Marianne Caron

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SCÈNE

Marc Beaupré / Fredy Frédéric Pierre / Race Théâtre autochtone

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MUSIQUE

28

SOCIÉTÉ

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CINÉMA

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GASTRONOMIE

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LIVRES

58

ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

La rentrée hip-hop 20 ans de Francouvertes Médias locaux vs géants mondiaux Dossier cinéma érotique: Éric Falardeau, Marcel Jean Top 3: Érotisme au paroxysme L’entomophagie Tendances culinaire 2016 Montréal en lumière Une jolie fille comme ça Ragnar Kjartansson

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p26) Émilie Dubreuil (p34) Normand Baillargeon (p44) Alexandre Taillefer (p62)


6 | opinion

siMon Jodoin THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

«QuelQue chose de rectangulaire» Quelque chose de rectangulaire Qui dans sa main Émet de la lumière

À l’heure où tout le monde se tourne vers la tablette et le portable, comme si c’étaient les uniques solutions médiatiques, nous nous sommes tournés vers ce bon vieux format en papier.

Oui, bon, ce titre n’est pas de moi. Je le dois à Jérôme Minière. Vous trouverez bien la chanson en cherchant un peu. Je sens que je vous mets quand même au défi. J’aurais pu vous mettre un lien hypertexte pour vous rendre ça facile. Mais hop! Ah! ah! Vous êtes bien embarrassés pour le moment, et moi aussi, car j’écris cette chronique qui doit être imprimée dans un magazine en papier. Avouez quand même que vous n’aviez plus l’habitude. Ça se trouve sur son album Jérôme Minière danse avec Herri Kopter. Je vous le conseille fortement. Eh oui. Un magazine en papier. C’est ce que vous tenez entre vos mains. Je vous en félicite d’ailleurs. Excellent choix. Vous l’avez trouvé au hasard de votre chemin, sur la table d’un café, dans un commerce près de chez vous. Je n’en sais rien en fait. Ah, si vous étiez en train de me lire sur le web ou via une application, à l’aide de votre gadget portable favori, je saurais précisément par où vous êtes arrivés ici. Je saurais combien de temps il vous faut pour lire ce texte et passer à autre chose. Quelques secondes bien souvent. Quelques minutes au mieux... Une éternité dans le monde numérique. Mais voilà, j’ignore tout. Et pas que moi. Personne ne sait que vous lisez ce magazine, sauf si votre voisin dans le bus ou un type à la table d’à côté vous observe. Cette année, au mois de novembre, Voir va fêter son 30e anniversaire. Et, question de bien marquer le coup, d’être bien dans le vent, nous avons choisi d’abandonner le bon vieux papier journal pour lancer un projet révolutionnaire: un magazine imprimé mensuel! Vous croyez que je rigole? Un peu, oui. Mais quand même, il y a une certaine forme de résistance dans ce virage. Un refus de suivre simplement le vent.

Résistance? Mais résistance à quoi, au juste? À cette nouvelle idée, qui consiste à s’asservir face aux nouveaux géants mondiaux du numérique. Dire que nous devrions tous migrer vers la tablette, c’est accepter de tout abandonner à une poignée de compagnies telles que Apple et Google, des monopoles mondiaux qui nous dépouillent de toute indépendance. Imaginez un peu si je vous disais que désormais, une seule compagnie dans le monde serait propriétaire de l’usine de papier, de l’encre, de l’imprimerie, du réseau de distribution et des kiosques à journaux. Imaginez aussi que je vous dise que cette même compagnie saurait exactement ce que vous lisez, à quel moment, à quel endroit. Ce serait une bien inquiétante hégémonie, n’est-ce pas? On pourrait penser que ce serait un peu comme revenir aux temps anciens, alors que le clergé et les monarques contrôlaient la quasi-totalité des communications afin de se maintenir au pouvoir. Ce serait même, à bien des égards, en tout point contraire aux idéaux de liberté, d’originalité et de diversité que revendiquent avec vigueur les travailleurs des médias et les acteurs du monde culturel. C’est un peu ce qui est agaçant avec cette idée en vogue voulant que la seule voie d’avenir pour les médias soit de se tourner purement et simplement vers les solutions proposées par les deux ou trois fabricants de tablettes et de portables.

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prenez-en deux exeMplaires! gardez-en un pour vous et oubliez l’autre sur la table d’un café, sur le siège d’un autobus, chez un aMi! c’est coMMe ça Qu’on partageait des articles avant l’invention du bouton like.

On nous parle sans cesse de révolution numérique sans s’apercevoir que cette fameuse «révolution» contribue à édifier une sorte de domination mondiale et totale des communications. Et avec les communications, viennent le commerce local, la culture, le travail des créateurs, les idées, la pensée, les dessins, les images, les textes, les photos... tout! C’est en ce sens que nous avons la prétention de croire que de continuer de publier un magazine imprimé, gratuit, dédié à la culture et aux artisans locaux, que vous pouvez trouver dans un commerce près de chez vous, c’est un peu de la résistance. Ça ne veut pas dire que nous couperons la tête du monstre, mais ça signifie au moins que nous n’acceptons pas de nous faire bêtement avaler. Il faut au moins essayer.

Voici donc le premier numéro du magazine Voir. Prenez-en deux exemplaires! Gardez-en un pour vous et oubliez l’autre sur la table d’un café, sur le siège d’un autobus, chez un ami! C’est comme ça qu’on partageait des articles avant l’invention du bouton Like. Il y a dans les quelques pages de ce magazine de quoi vous occuper quelques heures, en paix! J’espère vivement que vous prendrez autant de plaisir à le lire que nous en avons eu à le concevoir. y À lire aussi: Jean-Philippe Cipriani, dossier Médias locaux vs géants mondiaux, à la page 28


Raciste, le Québec? aloRs Que débute le Mois de l’histoiRe des NoiRs, la scèNe MoNtRéalaise offRiRa deux occasioNs, eN févRieR et MaRs, de RéfléchiR aux teNsioNs Raciales de l’aMéRiQue actuelle. oN s’est iNvités daNs le pRocessus de cRéatioN de FREDY, uNe pièce d’aNNabel soutaR et MaRc beaupRé suR l’affaiRe fRedy villaNueva, et oN a discuté avec le coMédieN fRédéRic pieRRe, eN vedette daNs la pièce RACE, chez duceppe dès le 17 févRieR.


9 | scèNe

suR les tRaces de l’affaiRe villaNueva diRectioN MoNtRéal-NoRd avec le MetteuR eN scèNe MaRc beaupRé et soN éQuipe, Qui pRépaReNt uN spectacle docuMeNtaiRe suR l’affaiRe fRedy villaNueva et Nous aMèNeNt eN visite aNthRopologiQue suR les lieux du dRaMe. MOTS | PHILIPPE COUTURE

On a les yeux encore un peu collés quand la voiture de Marc Beaupré débarque au petit matin. Une partie de l’équipe de Fredy se réunit ce jour-là dans le stationnement où Villanueva a été abattu le 9 août 2008. Après s’être plongé dans des milliers de pages de documentation, le metteur en scène veut voir de ses propres yeux le lieu où le jeune homme de 18 ans a été victime des balles de Jean-Loup Lapointe, un policier à peine plus âgé que lui qui a agi très vite ce jour-là, après une escalade de violence fulgurante. C’est aussi ici, dans ce stationnement comme les autres au coin des rues Pascal et Rolland, que s’est mise en branle, le lendemain, une émeute dont Montréal se souviendra longtemps. Il fallait y venir pour tenter de comprendre. C’est la première collaboration de Beaupré avec le Théâtre Porte Parole et avec Annabel Soutar, grande figure du théâtre documentaire à Montréal. Il ne fait pas les choses à moitié. Dans le «Bronx» Les policiers ont l’habitude d’appeler ce secteur fréquenté par les gangs de rue le «Bronx» de Montréal. Mais Montréal n’est pas New York. Derrière l’aréna Henri-Bourrassa, dans un quartier résidentiel d’ailleurs plutôt anonyme, c’est le calme plat au moment de notre visite. On peine à croire que tout cela s’est bien passé ici.

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

«Non, ce n’est pas le Bronx ici», dit Marc Beaupré au comédien Solo Fugère, qui incarnera Dany Villanueva, le frère de Fredy. Son personnage est au centre des événements: c’est lui qui fut le premier ciblé par l’agent Lapointe (Étienne Thibault) parce que soupçonné de jouer aux dés à l’argent sur un territoire où la chose est interdite. Dany avait des liens avec les Bloods, le gang de rue qu’on identifie par la couleur rouge dans les rues de Montréal-Nord. Ça n’a probablement pas aidé sa cause même si tout porte à croire que, ce jour-là, il ne faisait pas grand-chose de mal. L’objectif de Fredy, à partir d’une enquête d’Annabel Soutar, est d’abord de revenir sur les événements imprécis de ce fameux jour d’août. «Il est encore difficile de savoir ce qui s’est passé exactement, explique Beaupré. Les versions des policiers et des amis de Fredy diffèrent. L’enquête des policiers n’a pas permis d’accuser le policier Lapointe. Même le rapport du coroner est à considérer avec circonspection. Quand il l’a finalement déposé, le juge André Perreault a précisé que ses conclusions et recommandations ne pouvaient pas être tenues pour irréprochables, car on lui aurait caché plusieurs choses lors des témoignages.»

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TNM.QC.CA

T T E K C E B L E U M A S MISE EN SCÈNE FRANÇOIS GIRARD TEXTE

DRAMATURGIE

SERGE LA MOTHE

ec Av ère i u Br ea n t î b ti no Le ar rtz e B rre is M a m w e Pi lex Sch hza A l Za ue ia n n a m ou Em M

DU 1ER AU 26 MARS


ANABEL SOUTAR ET MARC BEAUPRÉ

Profilage racial?

Transcender les différences

Pointant le coin nord du stationnement par lequel la voiture de police est arrivée en trombe ce soir-là, Annabel Soutar rappelle à sa troupe qu’au même moment, la policière Stéphanie Pilotte, partenaire de Lapointe, avait accepté de répondre à un autre appel sur un cas de violence conjugale. «Ça en dit long sur le fait que ce qui se passait dans ce stationnement n’était pas de la plus grande importance», souligne Beaupré. Le policier Lapointe agissait-il par profilage racial? Soutar sourit mais n’opine pas. «Ce qui compte pour moi, c’est de créer le terrain de discussion qui n’a jamais eu lieu autour de cette histoire. Il faut parler de la question de la différence ethnique et des tensions qu’elle engendre dans notre société. Je vois cet enjeu du profilage racial comme une occasion de poser la grande question du rapport à l’autre.» «En concluant qu’il y a eu profilage racial, dit Marc Beaupré, on ouvre la porte à toute une autre série de questions. Le corps policier est-il massivement composé de policiers agissant par profilage racial? Nos institutions en général sont-elles immunisées contre les formes sournoises de racisme qui les composent et qui affectent leurs décisions et agissements? Ce sont de très grands enjeux, et on comprend le corps policier de ne pas vouloir rouvrir ce dossier. Prétextant le manque de temps, ils ont refusé de participer à plusieurs étapes de l’enquête d’Annabel.» Pas de chance, la famille Villanueva s’est aussi retirée du projet, ayant reculé quand elle a compris que Soutar voulait aussi entendre la version de la police. Pas facile de cultiver l’impartialité dans un dossier qui rend les gens si émotifs.

Qu’à cela ne tienne, le spectacle fera intervenir une cinquantaine de personnages, se basant sur les longues transcriptions de la salle d’audience. Avec une poignée d’acteurs, Marc Beaupré créera cette dramaturgie épique, invitant sa distribution métissée à jouer autant les jeunes Latinos que les policiers blancs, dans un jeu d’allersretours. «Si le racisme est au cœur de cette affaire-là, on s’est dit qu’il fallait que les acteurs puissent expérimenter les deux camps pour comprendre l’étendue de la situation. Le public devrait faire le même cheminement en observant ce ballet de différences transcendées. Le spectacle se construit autour d’un jeu de prise de distance avec chacun des personnages, à mesure que chaque acteur cumule les rôles.» Alors que l’équipe quitte doucement le stationnement, on tire quelques dernières confidences au metteur en scène. «Je pense assez clairement que la société québécoise est raciste, dit-il. Même si c’est un racisme indirect et sournois. Je pense aussi que le gouvernement Harper, nouvellement élu en 2008, avait insisté pour que les services policiers accroissent leurs efforts de démantèlement des gangs de rue et que ça a pu engendrer des arrestations parfois arbitraires. Je pense surtout que ce sont des questions passionnantes, qu’il faut savoir poser sans gants blancs.» Retour dans les quartiers centraux de la ville sur le coup de midi, encore habité par cette visite instructive dans le «Bronx». La suite sur scène dans quelques semaines. y Du 1er au 26 mars 2016 à La Licorne.



13 | théâtRe

Il est l’un des comédiens noirs qui, au Québec, ne manque pas de travail. Mais il est encore l’un des rares. Frédéric Pierre n’hésite pas, pour cette raison, à s’impliquer depuis des années au sein des Auditions de la diversité ou dans différents comités de l’Union des artistes luttant pour une plus grande représentation de la diversité sur nos scènes et dans nos écrans. Car si le Québec se targue d’être une société multiethnique, la fiction a tardé (et tarde encore) à s’en faire le reflet. «C’est bel et bien une forme inconsciente de racisme que d’ignorer les acteurs de couleur ou d’origines métissées», pense le comédien, qui constate toutefois des avancées. «Il faut avoir le courage du “colour blindness”, comme disent les Américains. Et les choses commencent à changer, heureusement.»

Du pur Mamet Race, créée à Broadway en 2009, s’ouvre sur une situation typiquement «mamettienne», mettant en place des personnages qu’on aurait tout aussi bien pu rencontrer dans Glengarry Glen Ross, Oleanna ou Speed the Plow. Deux avocats, bien mis et bien peignés, discutent vigoureusement dans leurs bureaux, usant d’un jargon juridique et d’une langue syncopée sur laquelle ils assoient leur pouvoir et tentent de dominer la conversation. L’un est noir (Pierre), l’autre est blanc (Benoît Gouin), et au terme d’une joute verbale relevée, ils hésitent à représenter l’homme d’affaires qu’une femme noire accuse de harcèlement. Intervient leur jeune associée Susan, également noire, dont les

piNg-poNg Racial uNe feMMe NoiRe est agRessée sexuelleMeNt paR uN Riche hoMMe d’affaiRes daNs uNe chaMbRe d’hôtel aNoNyMe. NoN, ce N’est pas le Récit de l’affaiRe dsK Mais bieN celui de la pièce Race, écRite paR david MaMet tRois aNs avaNt les faits. fRédéRic pieRRe iNcaRNe chez duceppe l’avocat de Race NoiRe Qui hésite à défeNdRe l’accusé. discussioN suR uNe aMéRiQue eNcoRe iMpRégNée de RacisMe et de discRiMiNatioNs diveRses. MOTS | PHILIPPE COUTURE

Dans cette pièce au rythme tac au tac de David Mamet, il joue le rôle d’un avocat de race noire qu’une cause force à plonger dans le tumulte des tensions raciales de son pays. Mais au Rideau Vert, il y a à peine quelques mois dans Le Misanthrope, il jouait Clitandre, un marquis qui veut ravir le cœur de la belle Célimène. «Ce genre de rôle ne m’aurait jamais été offert il y a 10 ans», pense-t-il. Et dans le monde du théâtre comme dans le monde des affaires ou dans les institutions politiques, cette absence de diversité ne passe jamais pour du racisme parce qu’elle est toujours perçue comme inconsciente ou involontaire. «On voit d’ailleurs dans la pièce de Mamet ce racisme sournois, dit le comédien. Dans le monde corporatif dans lequel évolue celui qu’on accuse de viol, comme dans la plupart des zones de pouvoir, le racisme est indirect et pas toujours facile à identifier même si on ne peut pas nier que tout s’y joue strictement entre hommes blancs riches et privilégiés.»

PHOTO | LM CHABOT

perspectives différentes les feront tergiverser, mais sur qui ils se plaisent aussi à exercer leur petit pouvoir. Il y a là tout Mamet: des dialogues musclés et hachurés, une situation explosive, un regard franc et lucide sur les mécanismes du pouvoir et de la domination de plus faibles que soi, ainsi qu’une acuité dans la représentation des disparités entre les sexes, les races et les classes sociales. Petit à petit, Mamet peint une Amérique qui n’a rien d’un rêve. Il s’attarde à le faire depuis maintenant près de 40 ans.

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14 | scèNe

La race et le genre «Ce qui est fascinant dans cette pièce, dit Frédéric Pierre, c’est que tout en agitant constamment le spectre des tensions raciales, Mamet réussit presque à éviter la question du racisme comme telle. Ces deux avocats-là cherchent à tasser la question raciale du chemin. S’ils veulent réussir à défendre cet homme, ils doivent éliminer cette question pour attirer l’attention sur autre chose et ne pas s’aliéner l’opinion publique. C’est ainsi une pièce qui aborde au sens large tous les préjugés de l’Amérique, notamment par rapport à la question du genre, mais qui interroge aussi une forme de bienpensance de cette Amérique qui se croit non-raciste alors qu’elle l’est quand même encore beaucoup.» Pour le dire plus précisément, Mamet fait un parallèle entre «l’enjeu de la race» et la «question du genre». «Il propose l’idée que ce sont les deux sujets sur lesquels on ne pourra jamais se dire nos quatre vérités en tant que

société. Et je suis persuadé que ce propos va résonner très fort sur une scène montréalaise: j’y reconnais particulièrement le Québec actuel, qui vit des tensions autour d’un féminisme renouvelé et qui expérimente particulièrement la peur de l’autre ces années-ci. On le voit dans le débat sur la Charte et sur l’accueil des réfugiés syriens.» Pour l’acteur, c’est aussi bien sûr un défi verbal de haut niveau. Jouer du Mamet, c’est se livrer à un incessant ping-pong verbal, qu’il faut respecter dans l’infini détail de ses répétitions, interruptions et digressions. Frédéric Pierre se sent prêt. y Au Théâtre Jean-Duceppe du 17 février au 26 mars


Il faut se parler et se comprendre, semblent vouloir dire de nombreux artistes de théâtre, pour mieux vivre ensemble sur les planches comme au quotidien. Du côté québécois, des auteurs comme Philippe Ducros se penchent sur notre part de responsabilité en tant que collectivité quant au sort passé et présent des Autochtones. Chez les artistes autochtones tels que Natasha Kanapé Fontaine, se manifeste une forte volonté de prise de parole. De leurs œuvres et réflexions émerge un même désir de dialogue. Jeune artiste innue, Natasha Kanapé Fontaine est de l’aventure de Muliats, la première création d’une toute nouvelle compagnie de théâtre autochtone montréalaise, les Productions Menuentakuan. «Le théâtre, dit-elle, peut incarner cet instrument de réconciliation et de prise de parole. La scène permet de se donner des images, des métaphores pour mieux affronter la réalité ou pour la transcender. Pour moi, le théâtre autochtone contemporain va exactement servir à ça: soulager des fardeaux. On veut transcender les relations entre les Premières Nations et les Québécois et les changer.» Coécrite par Marco Collin, Charles Bender, Xavier Huard et Christophe Payeur, la pièce raconte l’arrivée de Shaniss, un Innu qui quitte sa réserve pour s’établir à Montréal. Il sera confronté à définir son identité entre sa part innue et sa part québécoise à la suite de sa rencontre avec Christophe, un jeune Montréalais allochtone. Le désir de voir les peuples autochtones s’émanciper et prendre la parole anime la jeune femme, consciente de la fragilité de la préservation et de la transmission de sa culture. «Je pense que j’ai une espèce d’instinct de survie qui vient du fait qu’il y a quelques années, on a vraiment été sur le bord de perdre la spiritualité et la philosophie traditionnelles, l’essence même d’être autochtone, innu, anishnabé, CHRISTOPHE PAYEUR ET NATASHA KANAPÉ FONTAINE atikamewk, d’être ce que nous sommes en tant que peuple, sur une terre dont on est natifs. Si on les perd, à quoi ça sert de dire qu’on est autochtones?» Lors d’un entretien à Voir en avril dernier, peu avant de présenter au Festival du Jamais Lu son texte Réserves / Phase 1: la cartomancie du territoire, Philippe Ducros exprimait la forte envie d’aller à la rencontre de ces peuples. «Il y a un désir de parler d’une blessure, la blessure autochtone, et à travers ça un désir personnel d’introspection pour voir qu’est-ce qui m’appartient dans cette blessure-là en tant que colonisateur et en tant que colonisé.» Le public montréalais est invité à se définir ou se redéfinir, lui aussi, relativement à de tels enjeux et nouvelles propositions quant à notre avenir commun. Car ces artistes de le théâtRe MoNtRéalais accueille peu à peu des textes et des pièces tous horizons, issus de différentes Qui exploReNt les Réalités des pReMièRes NatioNs et les pRobléMatiQues cultures, lancent un même appel: celui eNtouRaNt les peuples foNdateuRs. RegaRd suR cet eNjeu, eN péRiphéRie d’aller à la rencontre de l’autre et de de la pRéseNtatioN de la pièce Muliats au théâtRe deNise-pelletieR. combattre ses préjugés grâce à la MOTS | MARIE VILLENEUVE PHOTO | LM CHABOT beauté du théâtre. y

théâtRe autochtoNe: lieu de RécoNciliatioN?

Muliats Du 2 au 20 février au Théâtre Denise-Pelletier (Salle Fred-Barry)



17 | musique

Combustion lente Charlotte Cardin est la Chanteuse québéCoise à surveiller de près Cette année. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | JOCELYN MICHEL ET MAXYME G. DELISLE (CONSULAT)

C’est difficile de plaire à tout le monde, mais Charlotte Cardin est sur une bonne lancée. Elle plaît à l’œil, on ne s’en cachera pas. Elle fait d’ailleurs du mannequinat depuis l’âge de 15 ans. L’interprète de Ville-Mont-Royal plaît aussi à un gros bassin de fans depuis sa participation à La Voix en 2013, où elle s’est rendue en finale. Mais c’est aujourd’hui, à 21 ans, qu’elle se met vraiment en danger sous le regard du public puisqu’elle commence à dévoiler ses propres compositions. «C’est plus stressant et beaucoup plus personnel, avoue-t-elle en entrevue dans les bureaux de sa boîte de gérance, Cult Nation. Je sens beaucoup plus que je me dévoile quand je chante mes paroles et quand je parle au public qu’en faisant un photoshoot où je suis habillée et maquillée en quelqu’un qui n’est pas moi.» Pour ce qui est de l’aventure télévisuelle, elle est très reconnaissante de son passage puisque son expérience de scène avant La Voix était composée surtout de récitals de chant et de spectacles à l’école durant son adolescence. «Faire La Voix, c’est pas la “vraie vie”. Oui, t’apprends à gérer la télévision et tout, mais y a pas trois millions de personnes qui t’écoutent quand tu fais un show d’habitude. Faire des petites salles, maintenant, avoir un contact avec un public qui est là pour te découvrir, c’est quelque chose que je découvre, c’est vraiment le fun et j’ai l’impression que, finalement, je peux vraiment montrer mon style et ma personnalité sur scène.» Et Charlotte est bien consciente que les vrais défis de sa carrière musicale s’en viennent. «C’est complexe parce que, oui, t’as l’avantage d’être connu parce que t’as été à la télé sous les yeux de la moitié du Québec, mais,

en même temps, tu sors de là et y a beaucoup de gens qui ont des préjugés: “Tsé, elle est passée par La Voix, elle l’a eu facile”... Je dois me prouver que je peux chanter plus de deux minutes sans danseurs derrière moi, que je suis capable de performer, que je suis une artiste aussi, et pas juste une voix qui fait partie d’une télé-réalité.» Le temps de se connaître En 2013, il n’était pas question pour elle de faire des choix de carrière trop vite. Après son passage à la populaire émission, elle a terminé son cégep et a pris son temps pour mieux se connaître. «Je me suis dit que j’allais mettre ça sur la glace, voyager, faire des expériences pour réaliser qui je suis, et qu’après tout ça, je prendrais une décision parce qu’un premier album c’est extrêmement important. C’est de ça que les gens se souviennent.» Il faut trouver sa propre voix et prendre des risques si l’on veut aussi plaire à un public au-delà de celui de La Voix, à un bassin plus large de mélomanes, et c’est le défi que la jeune interprète se donne cette année. Elle travaille à temps plein sur sa musique depuis mai et a fait quelques spectacles, dont la première partie de Mika à la Place des Arts cet été, à l’invitation du Festival international de jazz de Montréal. Le premier album complet de Charlotte Cardin devrait sortir à l’automne, mais entre-temps, elle prévoit sortir des extraits au compte-gouttes, comme elle l’a fait avec la pièce pop-jazzée Big Boy et la ballade en français Les échardes. «On devait sortir un EP cet automne,

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LE FESTIVAL DÉBUTE DANS 3 SEMAINES !

BALLET FLAMENCO DE ANDALUCÍA 27 et 28 FÉVRIER SALLE PIERRE-MERCURE

FOXTROTT PREMIÈRE PARTIE : GEOFFROY 26 FÉVRIER • CLUB SODA en collaboration avec

AaRON PREMIÈRE PARTIE : KROY

20 FÉVRIER • MÉTROPOLIS

EMILIE & OGDEN

en collaboration avec

en collaboration avec

PREMIÈRE PARTIE : CHARLOTTE CARDIN 20 FÉVRIER • CLUB SODA

THE SEASONS EN OUVERTURE : PASCALE

PICARD 20 FÉVRIER • L’ASTRAL

MILK & BONE FAIT VIBRER LE LILI.CO

présenté par

Chef DAVID PELLIZZARI

LE RENOIR du Sofitel Montréal DÎNERS DU PRÉSIDENT D’HONNEUR ANTHONY DONG

CHEZ CHINE, Holiday Inn Montréal Centre-Ville

REPAS CONVIVIAUX DE SHENZHEN Chef RUITIAN YU

26 et 27 FÉVRIER

26 et 27 FÉVRIER

montrealenlumiere.com BILLETTERIE

27 FÉVRIER

SALLE PIERRE-MERCURE

CLUB SODA

Centre Pierre-Péladeau de l’UQAM 1 855 790-1245 | admission.com

514 286-1010 | clubsoda.ca

MÉTROPOLIS 1 855 790-1245 | ticketmaster.ca

L’ASTRAL, MAISON DU FESTIVAL 1 855 790-1245 admission.com | ticketmaster.ca

LE RENOIR DU SOFITEL MONTRÉAL 514 285-9000 CHEZ CHINE – HOLIDAY INN MONTRÉAL CENTRE-VILLE 1 855-790-1245 | ticketmaster.ca

LILI.CO | 514 507-7278

Montrealenlumiere

@MTLenLumiere


mais finalement, on a décidé de sortir des extraits tout au long de l’année, de continuer à faire des shows et de faire découvrir mon matériel par des vidéos, par exemple, question de garder ça en mouvement», dit la grande fan de Daniel Bélanger et d’Ariane Moffatt. À la sortie de Big Boy en juillet dernier, la machine s’est enclenchée et le buzz a bien résonné. Que l’on soit spectateur de TVA ou pas, c’est pratiquement impossible de ne pas tomber sous le charme de ce premier extrait. Avec la voix envoûtante et la touche électro, Big Boy est accrocheur dans toute sa simplicité. Les Échardes, sorti en novembre, a su confirmer notre coup de cœur collectif. Enfin, la voilà, Charlotte Cardin.

«Je sens beauCoup plus que Je me dévoile quand Je Chante mes paroles qu’en faisant un photoshoot où Je suis habillée et maquillée en quelqu’un qui n’est pas moi.» Opération séduction Son gérant, Jason Brando, nous dit que c’est le talent vocal de Charlotte qui l’a jeté par terre de prime abord et que Cult Nation, bien qu’aucunement pressé de trouver un label sur lequel sortir son disque à venir, voit grand avec elle. «On vise avant tout un développement optimal de son immense talent artistique qui encouragera une longue carrière internationale.» Cult Nation est un choix intéressant pour la jeune compositrice. L’entreprise, fondée en 2014, est une agence musicale composée de deux volets: d’un côté, l’équipe produit et développe la carrière d’artistes émergents (comme la chanteuse électropop Iris et le rappeur Husser) et, de l’autre, offre son expertise – composition de musique, postproduction sonore, mix, stratégie musicale, etc. – sous forme de services aux agences de publicité, aux producteurs de contenus et aux marques. «Les deux unités s’élèvent mutuellement en échangeant des ressources, du talent, explique Jason Brando. D’un côté, notre culture de services se distingue

car elle est “ploguée à la source” et, de l’autre, nous pouvons prendre plus de risques sur les artistes grâce à l’indépendance que l’unité de services nous amène. C’est un mariage entre la volonté artistique et celle du service ou du commerce.» Si on a choisi Charlotte Cardin à la une de ce premier magazine, c’est qu’on est tombés sous le charme de Big Boy et qu’on a hâte de la voir évoluer en 2016. Ça aura valu la peine de patienter le temps qu’elle se dévoile. Il est intéressant de noter aussi qu’en choisissant Cult Nation, elle s’associe avec une boîte qui sait comment combler un besoin musical et offrir ses stratégies aux agences publicitaires qui ont besoin de musique «désirable». Mais le but premier, évidemment, est de faire de la bonne musique et de mettre en valeur les atouts vocaux et compositionnels de Charlotte. Elle veut plaire pour les bonnes raisons. «Quand t’es une artiste de scène, ce n’est pas nécessairement avec ton physique et ton image que tu plais, mais c’est dans ce que tu dégages, dans ta musique. Oui, y a une notion de plaire dans mes deux métiers, le mannequinat et le monde de la musique, mais je suis beaucoup plus à l’aise avec le fait de plaire par mon intellect, mon raisonnement et ma musique, bref, par mon intérieur plutôt que par mon extérieur.» Nul doute que Charlotte est sur la bonne piste. y En première partie de Emilie & Ogden le 20 février à 20h au Club Soda dans le cadre de Montréal en lumière thecultnation.com


BROWN

un tournant pour le hip-hop d’iCi aveC les retours en forCe annonCés de grosses pointures Comme Koriass, dead obies, loud lary aJust et, sait-on Jamais, Kaytranada, en plus de l’éClosion de nouveaux proJets prometteurs Comme brown et rednext level, le hip-hop québéCois est en voie de Connaître une année Charnière en 2016. analyse des tenants et aboutissants. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTO | JOHN LONDOÑO


21 | musique

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«C’est vraiment une belle cuvée», envoie d’emblée Benoit Beaudry, reporteur hip-hop depuis 2003. Figure de proue du hip-hop québécois, Koriass est également de cet avis. «La scène est vraiment sur une pente montante, autant en matière de qualité des projets que de l’engouement médiatique. Je suis vraiment enthousiaste d’entendre tout ce qui va sortir cette année», indique le rappeur qui a connu un succès quasi viral avec son récent clip Zombies. Cet engouement partagé pour la scène rap locale n’a toutefois pas toujours été aussi vif. Collaborateur de longue date à l’émission hip-hop Ghetto Érudit de CISM, Benoit Beaudry se souvient d’une époque où il était «vraiment difficile» pour les rappeurs d’obtenir «une visibilité en dehors des médias hip-hop spécialisés comme HHQC ou Hiphopfranco». Rappeur au sein du trio père-fils Brown (aux côtés de son frère Snail Kid de Dead Obies), Jam se rappelle également cette période où le hip-hop était, à peu d’exceptions près, ignoré des médias. «Y avait pas du tout d’exposure, mais on s’en rendait pas vraiment compte», explique le rappeur, qui roule sa bosse depuis plus d’une décennie. «On se contentait de s’impressionner entre nous autres, durant les shows ou les partys. C’est vraiment quand les Word Up! sont arrivés qu’on a commencé à avoir de la visibilité.» L’importance des Word Up! et d’Alaclair Phénomène de battle rap qui connaît un succès d’envergure autant au Québec qu’en France depuis sa création en 2009, les Word Up! Battles ont sans doute contribué à l’essor du hip-hop québécois, grâce à des vidéos visionnées des centaines de milliers de fois sur YouTube. En plus d’avoir été le lieu où se sont rencontrés plusieurs membres de Dead Obies, les WUB ont permis à plusieurs milliers d’internautes de découvrir des rappeurs québécois talentueux, de Jam à Loud Mouth (Loud Lary Ajust) en passant par Maybe Watson (Alaclair Ensemble, Rednext Level) et Koriass. «Ce qui était particulier avec les WUB, c’est que ça pouvait même intéresser les gens qui n’écoutaient pas de rap à la base», dit Koriass. À cet effet, le rappeur originaire de Saint-Eustache donne également beaucoup de crédit au groupe Alaclair Ensemble qui, à la sortie de son premier album 4,99, en 2010, a réussi à faire éclater les barrières à la fois stylistiques et médiatiques du hip-hop québécois. «Avant ça, le rap d’ici était relativement stagnant et linéaire, mis à part certains trucs comme Omnikrom. C’est vraiment à partir de 4,99 que les rappeurs d’ici ont eu envie de prendre davantage de risques», indique-t-il. «Personnellement, c’est l’album qui m’a poussé à sortir de mon carcan habituel et à proposer quelque chose de plus l’fun.» «Y a manifestement un avant et un après-Alaclair Ensemble», croit également Jam. «La façon qu’ils avaient de faire des shows vraiment éclatés et de présenter leurs trucs sur Internet de manière DIY, ça a tout changé.»

KORIASS

PHOTO | DROWSTER

L’effervescence du «neo-rap queb» Depuis, l’engouement autour de ce que plusieurs appellent dorénavant le «neo-rap queb» est grandissant. «Il y a un intérêt qui se fait sentir dans des secteurs où il n’y en avait pas avant», avance Koriass, en référence au passage de plusieurs rappeurs au talk-show Pénelope McQuade cet été. «Je pense que 2016 va encore plus setter le ton par rapport à l’ouverture des médias de masse face au hip-hop d’ici.» Jam, lui, reste plus réaliste par rapport à cet engouement projeté. «Un rappeur québécois peut espérer une petite visibilité, genre voir sa toune jouer en revenant de la pause à Tout le monde en parle… Il peut mettre son orteil dans le showbiz, mais pas ses deux pieds», image-t-il. «Reste que, pour plusieurs d’entre nous, mettre son orteil là, c’est de plus en plus suffisant pour gagner de l’argent et faire son bout de chemin.» Évidemment, cette effervescence alimente un certain esprit de compétition entre les rappeurs, notamment ceux qui s’apprêtent à faire paraître un album en 2016. «Ce n’est plus pareil comme il y a deux ou trois ans. Les gens ont commencé à avoir du succès, et chacun fight pour son shit», observe Jam. «S’il y a une compétition, je crois qu’elle est saine», nuance pour sa part Koriass. «Elle se déroule sur le plan des galas et des ventes, mais c’est tout. Quand on se croise et on se jase, y a rien de ça qui est palpable.» y SORTIES PRÉVUES Brown – Brown / 22 janvier 2016 Koriass – Love Suprême / 5 février 2016 Dead Obies – Gesamtkunstwerk / 4 mars 2016 Rednext Level – Argent Légal / Avril 2016 Loud Lary Ajust – EP au titre indéterminé / 2016 The Posterz – Album au titre indéterminé / 2016


20 ans de franCouvertes le ConCours musiCal les franCouvertes Célèbre sa 20e édition Cette année. disCussions autour de la relève aveC un roCKeur éternellement inspiré et un anCien gagnant. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | MICHEL PINAULT / LES FRANCOUVERTES

«Un concours reste une étape quasi essentielle dans une vie d’artiste créateur», disait Louis-Jean Cormier en 2013 alors qu’il était porte-parole du concours-vitrine Les Francouvertes. Son groupe Karkwa avait atteint la finale en 2002. Sans toutefois remporter la septième édition, le quintette rock s’est relevé les manches et est devenu le groupe influent qu’on connaît. Même chose pour Les Cowboys fringants, arrivés derrière un trio rap encore peu connu, Loco Locass, en 2000. Porte-parole à l’occasion de la 20e édition des Francouvertes, le musicien Vincent Peake (GrimsKunk) est – sauf erreur – le plus ancien collaborateur de l’événement. Depuis 17 ans, il fait partie des comités de sélection des participants ou agit à titre de juge. L’ancien leader de Groovy Aardvark, qui dit participer bénévolement depuis tout ce temps par pur intérêt pour la musique de la francophonie, s’est remémoré les débuts du concours. «Ça se passait au Zest à côté du Marché Bonsecours, sur la rue Bennett. On a vu passer des bands qui sont devenus des références au Québec. C’était vraiment tripant d’être dans les premiers à les voir évoluer et aiguiser leur art.» Pour Philippe Brach, gagnant de la 18e édition en 2014, l’événement a été son «bout du tunnel», lui qui avait participé à de nombreux autres concours avant de clore sa «run» avec Les Francouvertes. Il a d’ailleurs profité du momentum autour du concours pour lancer son premier album. «L’important, en participant, c’est que tu te connaisses toi-même parce que si t’es un peu déboussolé, tu vas te faire brasser de tous bords tous côtés. Je dis aux jeunes qui m’écrivent: “Go man! Pitchetoi!” Il faut juste tu saches où tu t’en vas et que tu fasses preuve d’ouverture.» (HAUT) LES SŒURS BOULAY (BAS) LOUIS-JEAN CORMIER ET DAMIEN ROBITAILLE

Vincent Peake considère que l’un des atouts du concours est que les artistes reçoivent les commentaires –évidemment pas toujours gentils – laissés par le public et les juges. «Souvent, un groupe est entouré de sa famille et ses amis. Tout le monde les trouve incroyablement bons. Personne ose dise les vraies affaires. Ce concours-là va te remettre tes points faibles à ta place assez rapidement. Souvent, les jeunes sont très collés sur leurs influences. C’est normal à 21-22 ans que tu te cherches encore. Alors c’est à nous de leur dire: “Lâche ce que t’écoutes en ce moment et, avec le temps, tu finiras par trouver ta voix.» Philippe Brach s’est d’ailleurs souvent fait dire qu’il ressemblait trop à Dédé Fortin avant d’être sélectionné. On laisse le mot de la fin au fidèle Vincent Peake qui, après toutes ces années, est encore fortement inspiré par ce qu’il voit et entend aux Francouvertes. «Je trouve ça fascinant de voir qu’il y a encore des artistes qui réussissent à nous surprendre avec des sonorités nouvelles, des compositions originales, malgré les millions de tounes qui ont été faites. Quand je reviens des prestations, ça me donne le goût de m’asseoir et de faire pareil.» y Début de la 20e édition des Francouvertes le 15 février au Lion d’Or francouvertes.com Philippe Brach en concert le 5 mars au Théâtre Fairmount à Montréal et le 21 avril au Cercle à Québec Pour plus de dates: philippebrach.com


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à éCouter ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

basia bulat GOOD ADVICE

brown BROWN (7e Ciel Records) ★★★★ 1/2 Élaboré à temps partiel sur une période de trois ans, et donc mûri à point, ce premier album du trio père-fils Brown mélange les genres et les époques avec un épatant souci du détail, tout en s’appuyant sur un propos social intègre et intelligent. Métis, les deux frangins Snail Kid (Dead Obies) et Jam (K6A) y font l’apologie du «brown power» et, plus généralement, de la différence, à travers une quête identitaire et artistique qui rejette toutes formes de purisme. Épaulés par leur père Robin Kerr, un polyvalent musicien au talent brut, les rappeurs diversifient leurs flows avec une fougue soutenue et repoussent sans cesse l’œuvre vers des horizons insoupçonnés. En découle un album d’exception qui mise autant sur la forme que sur le fond et qui, par conséquent, amène un vent de fraîcheur au hip-hop québécois. (O. Boisvert-Magnen)

miChel Cusson SOLO

(Secret City Records)

(Melodika)

★★★★

★★★

La plus grande qualité de Basia Bulat, c’est qu’elle est capable d’être toute puissante malgré une voix d’emblée assez douce. Sur son quatrième album enregistré au Kentucky avec le leader de My Morning Jacket, Jim James, elle crache tout ce qu’elle a dans le cœur, brisé par une peine d’amour. Au lieu de sombrer, elle rugit. Avec Good Advice, la chanteuse désormais installée à Montréal fonce vers la pop tout en préservant son côté folk alternatif et c’est tout à son honneur. Elle en sort avec son matériel le plus accrocheur et rythmé à ce jour. Quoi de mieux que les étincelles de la pop pour contrer une peine d’amour? Comme sa pochette, toute de couleurs vives et de paillettes, Good Advice est le coup de poing dont on avait besoin. Sortie du disque le 12 février. En concert le 18 février à 20h au Club Soda. (V. Thérien)

Michel Cusson est, sans contredit, l’un des guitaristes les plus talentueux et inventifs du Québec. Après quelques albums de délire fusion avec Uzeb, il a également prouvé maintes et maintes fois sa force comme compositeur. Il livre avec Solo un disque des plus «guitaristiques» où la six cordes prend toute la place. La virtuosité de Cusson est mise à l’honneur, et tous les guitaristes pourront apprécier les neuf titres pour leurs envolées mélodiques contrastantes et l’utilisation créative de divers effets. Toutefois, les non-musiciens trouveront peut-être l’écoute un peu lassante et répétitive, puisqu’on a vraiment affaire à un trip de guit’. La formule «rythme/ambiance/solo de guitare» est la même tout au long de l’album, et bien que ce soit toujours bien fait, on peut trouver qu’il y manque de variété. Concert le 11 février au Lion d’Or. (A. Bordeleau)

idan raiChel AT THE EDGE OF THE BEGINNING (Cumbancha)

paupière JEUNES INSTANTS

★★★ 1/2

(Lisbon Lux)

Idan Raichel est un intrigant musicien et réalisateur israélien basé à Tel-Aviv. Ce nouveau disque introspectif en hébreu, il l’a concocté dans le sous-sol de ses parents, où tout a débuté pour lui. La paternité (il a deux filles en bas âge), la présence, l’amour et la famille sont au centre de ses réflexions existentielles. On dirait un disque piano-voix auquel on aurait simplement rajouté de la contrebasse et du violoncelle avec quelques sonorités exotiques de kamanche et de sintir dans une esthétique minimaliste qui préserve l’aspect intime et vulnérable. Une œuvre pleine de tendresse et de mélancolie qui se rapproche plus de l’opus précédent – le magnifique Quarter to Six – que les productions de Raichel avec le Malien Vieux Farka Touré et sa formation expérimentale Idan Raichel Project. (R. Boncy)

★★★ 1/2

Établi depuis peu, le groupe montréalais n’a pas perdu de temps et présente Jeunes instants, un premier EP de quatre titres sur le prolifique label local Lisbon Lux. Nourri à l’électro-pop frenchy du début des années 80 (les références sont nombreuses), Paupière ne tente pas ici de redéfinir le genre, mais plutôt de se l’approprier en y ajoutant un soupçon d’ironie et des paroles légèrement cyniques. Mené par Pierre-Luc Bégin (We Are Wolves), Éliane Préfontaine et Julia Daigle, le trio alterne entre elles et lui au micro, enrobant ses textes de voix détachées et sexy, cadencées par une musique aux couleurs froides et aux arrangements minimaux, le tout ponctué de mélodies légèrement sucrées et d’airs mélancoliques accrocheurs. (P. Baillargeon)


25 | disques

ensemble supermusique LES ACCORDS INTUITIFS

pablo held trio RECONDITA ARMONIA

(Ambiances Magnétiques/DAME)

(Pirouet Records)

★★★ 1/2

★★★

La compagnie de distribution de disques de musique actuelle DAME, loin de s’effacer dans le virtuel, lançait récemment 10 nouvelles galettes qui démontrent encore une fois la vitalité de ce créneau. Ici, l’Ensemble SuperMusique rassemble 20 instrumentistes répartis en deux groupes distincts de 12 musiciens (quatre d’entre eux jouant dans les deux) pour interpréter des œuvres de Malcolm Goldstein, Raymond Gervais, Yves Bouliane, Bernard Falaise et Joane Hétu, dont les partitions laissent beaucoup d’espace aux interprètes. L’enregistrement et le mixage de Robert Langlois et Joane Hétu rendent bien l’enchevêtrement de textures sonores que construisent les musiciens, particulièrement dans les pièces de Falaise, qui se signale aussi à la guitare, et de Hétu (sax, voix, direction). Beau recueil. (R. Beaucage)

avantasia GHOSTLIGHTS (Nuclear Blast Records) ★★★

Sur la suite de The Mystery of Time (2013), Tobias Sammet (Edguy), chanteur, fondateur et compositeur d’Avantasia, continue d’explorer la thématique du temps avec de nouveaux invités et des chansons de power métal symphonique explosives. C’est ce côté grandiloquent, attribuable à une réalisation musclée sans être surfaite, qui retient l’attention sur Ghostlights, ainsi que certaines collaborations bien senties. C’est le cas de Seduction of Decay (avec Geoff Tate, exQueensrÿche), The Haunted (avec Dee Snider, Twisted Sister), Draconian Love (avec Herbie Langhans, Sinbreed) et Master of the Pendulum (avec Marco Hietala, Nightwish). Ghoslights est un disque imposant. Cela dit, il nous aurait laissé une meilleure impression sans les sirupeuses et interminables ballades Isle of Evermore et Lucifer. (C. Fortier)

Recondita Armonia, le titre en italien de cet album allemand, signifie «harmonie cachée». Le terme, emprunté à la Tosca de Puccini, désigne aussi tout un réseau d’intervalles insoupçonnés qui s’offre à l’arrangeur au moment du choix décisif. Pablo Held, 28 ans, brillant pianiste de Cologne, et son solide trio se livrent à une relecture audacieuse de thèmes signés Rachmaninoff, Scriabine et Bartok, entre autres. Le jeu en vaut la chandelle. Loin d’être perdues dans l’espace sidéral entre free jazz moderne et musique savante contemporaine, ces huit plages nécessitent une écoute attentive, mais restent tout à fait cohérentes dans leur déconstruction et bien consistantes, en fin de compte. Évidemment, la facture reste européenne. On s’entend… (R. Boncy)

radio radio LIGHT THE SKY (Bonsound) ★★★ Le duo électro-rap Radio Radio propose un cinquième album où il est plus que jamais déterminé à vous faire bouger sur la piste de danse. Des changements importants sont à noter. De un, les deux MC s’expriment ici qu’en anglais. On préférait le chiac des albums précédents, qui ajoutait de l’éclat à l’offre musicale, mais on peut comprendre la stratégie. De deux, ils s’entourent de beatmakers talentueux (Shash’U et J.u.D., entre autres) à la suite du départ d’Arthur Comeau. Le résultat est un amalgame de bons coups (Sweater Weather, Remodel) et de faux pas, dont Then Came the Music, sur laquelle ils interpellent leurs détracteurs de la scène rap. Mais si l’on se fie à l’enregistrement qui conclut le disque, Radio Radio prône le droit de vouloir avant tout divertir. Alors, ne nous cassons pas trop la tête. Sortie du disque le 19 février. Lancement le 22 février au Club Soda. (V. Thérien)

Jason baJada VOLCANO (Audiogram) ★★★★ Si le titre de son second album en français évoque un phénomène naturel indomptable, on y retrouve le côté dormant dans les textes, où le Montréalais fait souvent référence au sommeil, et dans sa voix plus apaisante que jamais. Les moments d’éruption sont entendus sur les très convaincantes Pékin (les amitiés) et Des grenades dans les yeux. La tension monte et les musiciens – dont Jocelyn Tellier et Olivier Langevin aux guitares – s’en donnent à cœur joie. Jason Bajada réussit à toucher le bobo sur Jean-François, où il se fait le bouclier d’un homme sur le bord de la crise, et se fait aussi fort sensuel sur Reste ici, incapable de se détacher de sa belle. Avec ses touches rétro, dream-pop et psychédéliques, ce Volcano est fort réussi. Sortie le 12 février. Lancement le 10 février au Centre Phi. (V. Thérien)


26 | musique

monique giroux SUR MESURE

la parole aux Chansons Vous voulez la vérité? Je ne sais pas bien par quel hasard de la vie je me retrouve ici dans ces pages. Ni, surtout, comment, au fil des jours, des mois et des années, ce qui était un goût pour la chanson est devenu une passion et que d’en causer est devenu mon métier. Qu’ai-je à dire, à écrire sur la chanson? Je me destinais à la photographie. Il était prévu que je me taise et que je signe des pochettes de disques. J’écoutais beaucoup. Taiseuse, silencieuse. Comme l’écrit Dany Laferrière dans Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo: «La parole du père est née du silence. Le père était auparavant bûcheron. Dans la forêt, on doit rester aux aguets. Tout bruit inédit est un signal de danger. La parole de la mère vient de la radio. C’est un bruissement intelligent mais incessant. La radio charriait une culture diversifiée, amusante et finalement étourdissante.» La radio m’a finalement happée, amusée, étourdie. Bien m’en prit, parce que, vu le marché de la pochette de disque, j’aurais bientôt fait de me recycler en photographe de noces, quoique le marché de la noce… Le désir de partager les plaisirs que me procuraient la beauté des mots, la poésie, la profondeur du message, les mélodies qui me font toujours bouger, ce désir-là était si fort et candide à la fois qu’il m’a menée jusqu’ici. En somme, en résumé et en définitive, la vie est bien faite. D’ailleurs, elle se fait toute seule, bien plus aisément qu’on fait une chanson, qui elle, pour survivre, nécessite sueur, inspiration, expiration, labeur et beaucoup d’encre. Eh oui, une majorité d’auteurs écrivent encore dans des cahiers à anneaux, sur des feuilles à carreaux, choisissant avec attention la couleur du stylo. Donc, disais-je, je ne sais pas très exactement ce que j’écrirai dans ces pages au fil du temps. Comme je n’ai

jamais rien prévu ni programmé, j’ignore encore s’il sera question dans cette chronique de disques flambants neufs, de styles inédits, d’un génie surgi de tel concours ou des difficultés de l’industrie qui peine à survivre. Voilà pourquoi ce premier texte, qui s’écrit spontanément comme on cause, aura la forme d’une réflexion sur le bien-fondé d’écrire 1000 mots sur la chanson qui en contient, elle, en moyenne 200. Avec le temps de Léo Ferré compte 140 mots. La Javanaise de Serge Gainsbourg, chef-d’œuvre du genre, tient en 120 mots. Brel, à qui on posait des questions métaphysiques sur le pourquoi du comment, sur la valeur des mots «je serai l’ombre de ton chien», sur la nécessaire relation entre l’ombre de la main, celle du chien, sur la véritable identité de Mathilde ou de Germaine, sur les fleurs qui fanent pendant que les bonbons donnent des caries, s’est un jour insurgé. S’adressant à un journaliste qui avait eu le malheur de passer par là, Brel dit quelque chose comme: «Mais c’est dingue, ça! Si je me posais toutes les questions que vous vous posez sur mes chansons, je n’aurais plus le temps d’en écrire de nouvelles. Pensez-en ce que vous voulez. Elles ont leurs propres vies.» À quoi tient cette petite chose de trois minutes qui nous inspire tant à dire, qui nous touche, nous chavire parfois, et qui est à l’origine d’une expression – «pour une chanson» – qui signifie «sans grande valeur» comme dans: «J’ai fait une bonne affaire, je l’ai eue pour une chanson». Je vous présente depuis 30 ans des chansons qui dansent, qui rient ou qui pleurent en quelques dizaines de mots. Je reçois des artistes qui créent seuls à leur table de travail, à leur piano, des chansons qui ne leur survivront pas, qui ne seront même peut-être jamais


> diffusées, ou d’autres qui, au contraire, deviendront des succès, des hymnes, des prières qu’on chantera dans les mariages, les funérailles ou les soirs de défaite référendaire. Le soir du 20 mai 1980, René Lévesque, la gorge nouée, a invité les partisans réunis et en larmes à reprendre, «pour tout le monde, pour tous les gens de chez nous sans exception», Gens du pays de Vigneault. Le 27 novembre 2015, lors de l’hommage aux 130 victimes des attentats de Paris, dans la cour des Invalides, devant un président Hollande assis droit sur sa chaise, seul, les mains sur les genoux, Camélia Jordana, Yael Naim et Nolwenn ont chanté

«parCe que les artistes trouvent les mots pour le dire et les notes pour porter nos émotions, faisons silenCe et éCoutons plutôt que d’entendre.»

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| | ħ} ~ Quand on n’a que l’amour du Grand Jacques pendant que Natalie Dessay, accompagnée d’Alexandre Tharaud dans un grand dénuement, chantait Perlimpinpin de Barbara. Et toute la planète a pleuré. C’est peut-être pour ces raisons qu’on doit parler de la chanson. Parce que les artistes trouvent les mots pour le dire et les notes pour porter nos émotions, faisons silence et écoutons plutôt que d’entendre. De temps en temps, puisqu’ils parlent pour nous, donnons-leur la parole. Et vivement qu’ils continuent de la prendre. Je vous suggérerai à chacune de ces chroniques une chanson à écouter, parce que… Pour cette première chronique, ce sera L’heure des poètes de Grand Corps malade, tirée de l’album Il nous restera ça, lancé il y a quelques mois. y

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MÉDIAS LOCAUX VS GÉANTS MONDIAUX

PHAGOCYTER: DÉTRUIRE PROGRESSIVEMENT QUELQUE CHOSE EN LE PRIVANT DE TOUTE AUTONOMIE, EN S’EN RENDANT MAÎTRE DE L’INTÉRIEUR. MOTS | JEAN-PHILIPPE CIPRIANI

PHOTO | © LENAZOL - DREAMSTIME


29 | SOCIÉTÉ

V

ous vous levez, vous saisissez votre téléphone, vous faites défiler Facebook et Twitter pour connaître l’actualité depuis la veille. Un article du Journal de Montréal, une vidéo de CBC, une photo du Monde: pas même besoin de consulter les sites web, votre fil d’abonnements suffit. Par cette simple habitude, vous participez sans le savoir à affamer les entreprises de presse. Le contenu, désormais hébergé par des tiers, entraîne avec lui les revenus publicitaires potentiels. Google et Facebook grugent inexorablement une assiette déjà réduite. Tandis que les médias plient par dépit – et par instinct de survie –, les géants de l’Internet s’imposent comme un écran plus ou moins hermétique entre les internautes et les médias, ou entre les consommateurs et les commerces au détail en matière de marketing de contenu. L’information ne devient qu’un contenu monnayable parmi d’autres, dont la presse conserve de moins en moins le contrôle. Un seul média pour les avaler tous Le légendaire journaliste David Carr l’avait prédit dès octobre 2014. «Les médias seront essentiellement des serfs dans un royaume qui appartient à Facebook», écrivait-il. C’était quatre mois avant sa mort, aussi soudaine que symbolique, en pleine salle de rédaction du New York Times. Tout commence par les habitudes. «En 2012, de 15 à 20% de nos lecteurs provenaient du mobile, résume Yannick Pinel, directeur de l’information au journal Métro. Actuellement, nous sommes à 55%, et ça grimpe encore. Et 80% de ce trafic provient de Facebook. Je le dis à mon équipe éditoriale comme aux ventes: la page d’accueil n’a plus vraiment de valeur.» L’histoire est la même au Huffington Post Québec, qui rameute 1,6 million de visiteurs uniques par mois. «La moitié de notre trafic provient de Facebook», confie son rédacteur en chef, Patrick White. Facebook a rapidement saisi le potentiel financier astronomique du virage. Ainsi arrive Instant Articles en mai 2015, soit des articles fournis par des médias partenaires, mais enregistrés dans les serveurs du réseau social. Le contenu apparaît dans l’environnement Facebook, instantanément, sans avoir à passer par un navigateur. Une centaine de groupes de presse, dont le New York Times, le Guardian et le National Geographic y adhèrent dès le lancement. Au Québec, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont fait le saut en décembre. Idem pour le Huffington Post, qui joindra les rangs d’ici le printemps. «On y croit résolument comme modèle de distribution, explique Patrick White. C’est un des piliers de notre développement pour 2016.»

44,3% 20,4% TABLEAU 1 44,3% DES ADULTES ACCÈDENT AUX NOUVELLES AVEC LEUR APPAREIL MOBILE, TÉLÉPHONE OU TABLETTE, CONTRE 20,4% PAR L’ORDINATEUR. LE TIERS DES ADULTES AU QUÉBEC ONT RECOURS À DES APPLICATIONS MOBILES POUR S’INFORMER. 57% DES FOYERS QUÉBÉCOIS POSSÈDENT UN TÉLÉPHONE INTELLIGENT. (Source: CEFRIO)

Rien de surprenant: le New York Times enregistre déjà plus de partages, plus de likes et plus de commentaires avec ses articles instantanés que sur son propre site web. Quelque 300 autres médias ont signé des ententes avec Facebook. Les plus petits joueurs n’ont d’autre choix que de jouer le jeu: Facebook accorde d’abord la visibilité à ses clients dans les algorithmes qui gèrent son fil d’actualités. C’est Google qui a établi le modèle, en monnayant ses algorithmes pour que les liens payés apparaissent plus haut dans son moteur de recherche. Ainsi, il assure toujours entre le quart et le cinquième du trafic des sites web, de manière assez stable. Mais Google sent aussi la menace. «Facebook est assez astucieuse, analyse Yannick Pinel. Elle s’est bâtie un auditoire monstre, une dépendance. Maintenant qu’elle a ce pouvoir, elle vient chercher l’argent de nos annonceurs. Mais il ne faut pas faire l’autruche, personne n’a les moyens de la boycotter.»

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30 | SOCIÉTÉ

Le réseau social présente évidemment son modèle comme un avantage, une simplification du travail des entreprises de presse, dont les tentatives d’importer la publicité traditionnelle sur mobile ont échoué. Le hic? Facebook devient alors un éditeur de facto, qui met en avant le contenu de son choix dans ce que les entreprises de presse lui proposent. Les médias cèdent leur contenu en échange de l’inclusion de publicité dans l’application. Au départ, Facebook n’acceptait qu’une publicité par 500 mots dans les articles instantanés. Mais ses partenaires ne réussissaient même pas à payer leurs frais. L’entreprise a dû abaisser le seuil à une publicité par 350 mots. Quant aux espaces non vendus, le réseau social y intègre ses propres publicités en empochant 30% des revenus. «Pour les éditeurs, Facebook est un peu comme ce gros chien qui galope vers vous dans un parc, écrivait David Carr. La plupart du temps, il est difficile de juger s’il veut jouer avec vous ou vous dévorer.» Le festin semble déjà commencé. Prisonniers d’une plateforme unique Convergents, les intérêts des réseaux sociaux et des publicitaires? Sans doute. Ceux des médias? Beaucoup moins. Il s’agit surtout d’une manière de garder le consommateur captif de la plateforme. Instant Articles apporte une denrée beaucoup plus précieuse: les habitudes de consommation média des internautes. Par ses algorithmes, l’application se basera sur les intérêts de ses lecteurs, qui pourraient finir par ne lire que le type de contenu modelé sur leur profil.

ALPHABET (GOOGLE) SIÈGE SOCIAL MOUNTAIN VIEW, CALIFORNIE VALEUR BOURSIÈRE ENVIRON 500 MILLIARDS DE DOLLARS AMÉRICAINS REVENUS 66 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2014 NOMBRE D’EMPLOYÉS 57 000

Autres victimes à venir: les pages d’accueil. Aux yeux des publicitaires, les sites web traditionnels, avec URL, apparaissent déjà comme les prochains vestiges d’un web révolu. La multiplication des bloqueurs de publicités rend de toute façon les bandeaux publicitaires et autres fenêtres pop-up encore moins attrayants pour les annonceurs. Les pages d’accueil ne deviendraient que des vitrines de second ordre, comme les éditions papier. Pour des médias au lectorat moyen, dont le réflexe de taper l’adresse dans la barre de recherche n’est pas automatique comme les grands joueurs, la visibilité dans les fils des réseaux sociaux est indispensable pour s’assurer un lectorat. L’étape du «mobile d’abord» cède la place au «mobile seulement». Mais produire du contenu coûte cher. Et la chute des revenus publicitaires n’a jamais été rattrapée au numérique. Les médias ont perdu plus des deux tiers de leurs revenus publicitaires depuis 2008, en partie à la suite de la crise économique. Le passage vers le mobile les dépouille d’un autre levier. L’autre vampire? La multiplication de divertissements viraux, beaucoup plus rentables. Les sites spécialisés ont complètement perturbé le principe du «coût par mille», c’est-à-dire le prix que les entreprises pouvaient exiger par 1000 vues pour une publicité. Voilà pourquoi le contenu «sérieux» cède souvent le pas au «viral». Dans une économie médiatique où des marques de vêtements paient des stars comme Kendall Jenner et Gigi Hadid jusqu’à 300 000$ pour un selfie vantant leurs produits sur les réseaux sociaux, l’expression marketing de contenu prend un sens beaucoup plus menaçant.

FACEBOOK (1,5 MILLIARD D’ABONNÉS) SIÈGE SOCIAL PALO ALTO, CALIFORNIE VALEUR BOURSIÈRE ENVIRON 300 MILLIARDS DE DOLLARS AMÉRICAINS REVENUS 12,5 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2014 NOMBRE D’EMPLOYÉS 12 000


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«LA CHUTE DES REVENUS PUBLICITAIRES N’A JAMAIS ÉTÉ RATTRAPÉE AU NUMÉRIQUE. LES MÉDIAS ONT PERDU PLUS DES DEUX TIERS DE LEURS REVENUS PUBLICITAIRES DEPUIS 2008, EN PARTIE À LA SUITE DE LA CRISE ÉCONOMIQUE. LE PASSAGE VERS LE MOBILE LES DÉPOUILLE D’UN AUTRE LEVIER.» Des sites comme BuzzFeed ont ouvert des bureaux à Toronto, et un poste francophone à Montréal. Vice s’est aussi assuré d’une équipe québécoise. De son côté, Le Journal de Montréal n’a d’ailleurs pas hésité à débaucher de jeunes publicitaires afin de nourrir sa très «buzzfeedesque» section «Sac de chips», confirme Philippe Rincon, directeur du développement numérique chez Québecor. Très peu journalistique, mais hautement cliquable. Pourtant, l’objectif, lui, demeure le même: la «monétisation», soit transformer le contenu en revenus. «Je suis un gars de solution, mais c’est difficile, admet Yannick Pinel. Il y a beaucoup d’impondérables que je ne contrôle pas. Et ceux qui ont mon destin en mains, ce sont des tiers.» C’est encore plus vrai pour des petits marchés comme le Québec. Si une publication anglophone est en droit de reluquer un marché de milliards de lecteurs dans le monde, le marché francophone est autrement plus limité. Les expériences de murs payants ont pour la plupart échoué, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec étant les derniers en date à avoir abandonné l’accès payant à leur contenu, après d’autres géants comme le New York Times. Ici, seul Le Devoir persiste à faire payer l’accès à ses articles. Il faut dire que, malgré une hausse de ses ventes papier, le quotidien peine à retirer suffisamment de revenus publicitaires, notamment en raison d’ententes d’exclusivité négociées par d’autres médias avec des publicitaires, confient deux sources au sein du quotidien. De son côté, La Presse a opté pour un modèle différent en pariant sur la tablette, ce qui force ses clients à adhérer à un concept publicitaire. Les ventes de tablettes se sont cependant effondrées, et les tendances favorisent davantage le mobile. Les experts consultés prédisent tous que La Presse+ devra éventuellement être adaptée pour les téléphones.

Difficile d’en sortir lorsqu’une majorité d’internautes estiment absurde de payer pour l’information, selon une étude du Pew Research Center. La conséquence est inévitable. Les lecteurs délaissant les médias, ces derniers n’ont plus de revenus. Et réduisent leur nombre d’employés, quand ils ne paient pas des tarifs de misère à des pigistes pour le contenu. Quoi qu’il en soit, il est peu probable que Facebook revoie ses conditions afin de mieux partager ses revenus, en raison de son monopole. Les médias semblent contraints d’accepter les règles ou de risquer de disparaître. Ou encore, d’être avalés par d’autres groupes de presse, au prix d’une plus grande concentration des sources. De l’enfer au paradis (fiscal) de Facebook et Google Et ces revenus accaparés par les géants du web, où aboutissent-ils? Vous avez le choix: Google préfère les Bermudes, Apple les îles Vierges, tandis que Facebook privilégie les îles Caïmans. La part de revenus déclarée au Canada est une information privée. Mais les pratiques dites d’«optimisation fiscale», révélées notamment par le Consortium international des journalistes d’investigation, permettent de mieux saisir comment les multinationales créent des filiales afin de se transférer des profits, et ainsi profiter indûment d’avantages fiscaux. Ainsi, l’un des outils les plus lucratifs, mais aussi les plus controversés, s’appelle le double irish, ou «double irlandais». Il permet aux multinationales implantées à Dublin, comme Facebook, Google et Apple, de délocaliser leurs profits vers des paradis fiscaux.

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Par exemple, Google possède deux filiales enregistrées en Irlande. La première transfère les profits récoltés vers les Pays-Bas, avant de les envoyer à sa consœur irlandaise, dont le statut hybride permet à Google de payer ses impôts aux Bermudes. Selon Bloomberg, les économies ainsi réalisées s’élèveraient à plus de 2 milliards de dollars américains par an. Conséquence: si le taux d’imposition des entreprises oscille autour de 26% au Canada en combinant le fédéral et le provincial, Google ne serait dans les faits imposé qu’à moins de 3% en tenant compte des acrobaties fiscales. Dans le cas de Facebook, qui fait aussi appel au «double irlandais», aucune donnée n’est disponible au Canada. Mais il suffit de savoir que l’entreprise a payé un total de 6643$ en impôts au Royaume-Uni en 2014 pour comprendre que les pratiques sont similaires. Autre astuce: Google facturait à ses clients anglais des services offerts depuis l’Irlande, afin de profiter du taux très faible. À l’inverse, d’autres entreprises, comme Starbucks, facturaient à leur filiale anglaise des services rendus dans des juridictions où le taux d’imposition est très faible, comme l’Irlande, afin de profiter des déductions les plus généreuses.

Devant ces pratiques jugées douteuses, le Royaume-Uni a imposé une surtaxe de 25% sur les profits détournés, surnommée la Google Tax. Et à l’automne, devant le flot de critiques, le ministre irlandais de l’Économie, Michael Noonan, a annoncé la fin du «double irlandais». Mais les multinationales comme Facebook, Google et Apple n’y perdront rien. D’une part, l’astuce ne sera abolie qu’en 2020. Mais surtout, d’autre part, elle sera remplacée par une «boîte à brevets», un autre type de niche fiscale qui accorde un taux préférentiel sur tous les revenus tirés de la propriété intellectuelle. Le taux d’imposition des entreprises en Irlande demeurant stable à 12,5% depuis une vingtaine d’années, la boîte à brevets permettra de le réduire à environ 6,5%. Finalement, les multinationales qui profitaient du «double irlandais» ne paieront pas tellement plus d’impôts avec la «boîte à brevets», mais risquent de les payer davantage en Irlande plutôt qu’aux Bermudes.

LES PRÉTENDUES «RETOMBÉES» DE FACEBOOK

Il y a un an, Facebook publiait un rapport commandé à la firme Deloitte, qui estimait ses retombées au Canada à 5 milliards de dollars et 82 000 emplois indirects. À travers le monde, ces retombées atteindraient 227 milliards de dollars américains pour 4,5 millions d’emplois. Le réseau social calculait la facilité d’échanges et le marketing généré par le réseau social. Les deux tiers concernent le marketing. Petit hic: le rôle de «catalyseur» que revendique le réseau social de Mark Zuckerberg a aussi des effets pervers. D’une part, l’investissement est concentré dans des activités de promotion plutôt que dans du contenu. D’autre part, l’étude ne tient pas compte des emplois qui existaient déjà sous d’autres formes dans les médias traditionnels ni ceux qui ont disparus. De 2008 à 2013, la Guilde canadienne des médias estime déjà que plus de 10 000 emplois ont disparus dans le secteur au Canada. Des données auxquelles il faut ajouter les 1500 postes coupés à Radio-Canada, 700 chez Bell Média, 158 à La Presse, pour ne nommer que ceux-là. On pourrait ajouter le coût d’avoir une société plus divertie qu’informée…


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D’ailleurs, 11 pays d’Europe utilisent déjà les boîtes à brevets, dont les Pays-Bas (8%), le Royaume-Uni (10%), l’Espagne (5%) et la France (15,5%). L’objectif étant bien sûr d’attirer la recherche et le développement liés à un brevet dans un pays. Au Canada, des lobbys comme Canadian Advanced Technology Alliance et Manufacturiers et Exportateurs du Canada pressent Ottawa de faire de même. À l’inverse, 62 pays de l’OCDE ont conclu un accord en octobre afin de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales, dont les pertes sont estimées entre 100 et 240 milliards de dollars d’impôts sur les sociétés chaque année. Même les pays blâmés comme l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg ont signé l’entente, qui vise à terme à bloquer les transferts entre filiales. Les mesures risquent toutefois d’être difficiles à appliquer, puisque le système fiscal mondial est encore basé sur des principes centenaires, dont la souveraineté fiscale des États, de même que la résidence physique des entreprises, à laquelle des multinationales virtuelles ont tous les moyens de se soustraire. y

PHOTOS ET VIDÉOS POUR PLUS DE REVENUS?

Pour les médias, la vidéo est le nerf des revenus en raison des publicités qui les précèdent (pré-roll). Mais elle est aussi au cœur des contenus que souhaite gérer Facebook. Si la vidéo est intégrée dans un portail comme YouTube ou Radio-Canada, non seulement elle ne se déclenchera pas automatiquement, mais elle aura peu de portée, puisque les algorithmes favoriseront les vidéos hébergées dans le lecteur Facebook. Le nombre de vues sera multiplié, mais Facebook accaparera la portion la plus importante des revenus avec ses publicités. Là-dessus, Patrick White plaide pour l’équilibre. «On publie certaines vidéos sur Facebook, mais on en garde tout de même plusieurs dans notre console, afin de bien les monétiser sur nos plateformes via la pré-roll publicitaire.» Les photos n’y échappent pas. La radio non plus: Facebook lorgne la mise en ligne d’émissions en podcast, baptisées «audiograms» – en référence aux photos Instagram. Dans ce cas, cependant, les radios parlées publiques, déjà exemptes de publicité, ont moins à perdre.


34 | OPINION

ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

LA CHAMBRE SANS NUMÉRO «Faites la plante verte», m’a dit la psy. «Reposez-vous», m’a dit le médecin. Quand ta vie brûle, que tu entres dans la catégorie des traumatisés officiels de l’existence et que les pompiers t’annoncent que ton chien n’existe plus, que tes journaux intimes de ta première année du primaire sont partis en fumée, que t’as plus de culottes, de parfums, de chez-vous, il faut déposer les armes, laisser la pierre de l’absurde au bas du rocher, laisser Sisyphe tranquille, mettre du linge mou et écouter la télé. «Rien de trop intelligent. Pas de Spinoza, pas de documentaires sur la découverte du feu, rien de trop forçant intellectuellement. Madame Dubreuil, m’avez-vous comprise? Laissez votre cerveau récupérer.» Quand ta vie brûle, des gens qui vivent de ça essaient de te trouver un appartement. Ce sont des agences de relocalisation. Ils installent – quelque part – les naufragés de la vie. Les radeaux que j’ai visités étaient plus ennuyeux les uns que les autres. Anonymes, bruns. Quand ta vie part en fumée, une ombre judéochrétienne, héritage non désiré de mon inconscient collectif de catholique culturellement dysfonctionnelle et mal assumée, suggérait vaguement à mon intelligence ébranlée que Dieu m’avait punie par les flammes. Or après avoir visité quelques-uns de ces appartements beiges, une amie bienveillante m’a dit: «Eille, laisse faire la punition divine, j’ai vu une petite annonce…» C’est la chambre sans numéro. L’île où mon naufrage s’articule en couleur et où la fin de mon monde est peuplée, littéralement, de chevaux de bois, ceux des manèges antiques, de statuts de Superman et d’un fauteuil de psychanalyste rose. L’appartement du propriétaire (mort l’an dernier) d’un étrange petit hôtel du centre-ville. Avec l’accord de mon assureur, je l’ai loué sur le champ parce que cet appartement est absolument absurde. Et «absurde» est le mot qui

m’habite depuis que le feu m’a volé mon quotidien, ma vie organisée faite de crèmes hydratantes, d’objets hétéroclites ramenés de mes voyages, de mon agenda, de mes rendez-vous, de mes projets, de mes promenades quotidiennes avec mon toutou aux yeux verts. En linge mou, donc, je regarde la télé. Je fais la plante verte comme prescrit. Et je me demande pourquoi l’humanité mérite d’être vécue. En linge mou, je regarde la civilisation enfumée de conneries. Cet après-midi, une infopub sur un poêle, le Wolfgang quelque chose, qui «change des vies». Enfin, c’est ce que disent les «[pseudo-] experts qui témoignent». À un autre poste, une téléréalité sur les pires conducteurs au Canada. Le concept: des connasses (de premier ordre) conduisent des camions-remorques et font des accidents. Le tout est contrôlé et commenté par un animateur méprisant et explicitement misogyne. Quand tu regardes de telles conneries, tu te dis que d’autres personnes ont des vies beaucoup plus absurdes que la tienne. Après trois ans de conservatoire en arts dramatiques, que fais-tu? «Je fais les narrations en français d’infopubs d’un poêle miraculeux»… Il y a une centaine d’années, on a inventé une méthode mathématique pour calculer le quotient intellectuel des gens. La courbe de Gauss. J’imagine que lorsqu’on conçoit une publicité qui essaie de vous convaincre qu’en six versements de 50$ un four peut changer votre vie, on s’adresse aux gens des courbes inférieures. Quand, à d’autres postes, certains s’adressent expressément aux courbes supérieures, aux beaux esprits, c’est souvent pire. En linge mou, la prétention de certains flamboie de tous ces feux. Quand ta paix brûle, tu comprends mal pourquoi tant de gens flambent leur temps sur la planète. Tu penses à tes amis consumés par autant de stress, à ceux qui ont des problèmes d’alcool, à ceux qui restent dans des couples sans joie, gardent des jobs qu’ils n’aiment pas. Des trucs qui ne brûlent pas, mais qui font de la cendre.


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Quand la vie te magane, tu t’enroules dans tes amitiĂŠs doudou qui ont construit un pare-feu entre toi et le non-sens et tu appelles, aussi, ta grand-mère adorĂŠe. 93 ans. Juste pour entendre sa voix de grippette chevronnĂŠe. Tu appelles ta grand-mère qui veut rejoindre ses amis au paradis et qui, Ă son grand dam, ne meurt pas. Tu lui dis: ÂŤTout va bienÂť. Tu ne lui dis pas que ta maison a passĂŠ au feu. (Et je vous fais confiance. Elle ne lira pas Voir. N’allez pas vendre la mèche.) Et puis, elle te demande: ÂŤDis donc, RenĂŠ AngĂŠlil, les mĂŠdias, vous en faites pas un peu trop? Un grand homme, oui, oui, mais c’est quand mĂŞme pas RenĂŠ LĂŠvesque ou‌ je sais pas, moi‌ Victor Hugo. Qu’est-ce que t’en penses?Âť Sur le divan de psychanalyste rose, je vais penser à ça, grand-maman, quoique ce soit peut-ĂŞtre au-dessus de mes forces intellectuelles. Et la psy m’a demandĂŠ de ne pas trop rĂŠflĂŠchir. En tout cas, je vais tout de mĂŞme fermer la tĂŠlĂŠ, Facebook et ses photos de chats, dĂŠsobĂŠir un peu Ă la psy. Je vais courir Ă la librairie du coin pour aller chercher quelques livres. Les miens ont tous brĂťlĂŠ. Prochain ĂŠpisode, Le mythe de Sisyphe. EntourĂŠe de ces mots-lĂ , je vais essayer de me convaincre que ma vie de cendres, mon peuple, ma civilisation, ma culture valent la peine d’être vĂŠcus, d’être source d’inspiration, mĂŞme si je ne vois en ce moment qu’un hiver de force;

ÂŤQUAND TU REGARDES DE TELLES CONNERIES, TU TE DIS QUE D’AUTRES PERSONNES ONT DES VIES BEAUCOUP PLUS ABSURDES QUE LA TIENNE.Âť une zone sinistrĂŠe, inondĂŠe de selfies et arrosĂŠe d’idĂŠes rĂŠpĂŠtĂŠes. OĂš est allĂŠ tout ce monde qui avait quelque chose Ă raconter? Sinon, suggĂŠrez-moi quelque chose. Donnez-moi de l’oxygène culturel parce que dans ma chambre sans numĂŠro, j’Êtouffe culturellement. y

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ILLUSTRATION | JIMMY BEAULIEU, TIRÉE DU LIVRE BLEU NUIT: HISTOIRE D’UNE CINÉPHILIE NOCTURNE, ÉDITION SOMME TOUTE, 2014


37 | cinémA érotique

Pornocomédie Avec un Projet de comédie érotique grAnd Public dAns le collimAteur Pour 2016, le cinéAste éric FAlArdeAu Poursuit une œuvre discrète mAis constAnte de stuPre et de FornicAtion. reFerA-t-il du québec un PArAdis de cinémA AFFriolAnt comme dAns les Années 1970? on en rêve Avec lui. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

En pays neufs

L’érotisme à TQS

Cinéaste et auteur peu connu du grand public, Éric Falardeau s’intéresse de très près au cinéma pornographique et gore. Le livre qu’il a consacré à la série Bleu Nuit rend compte d’une vision plutôt décomplexée et plurielle du cinéma érotique. Avec un mémoire de maîtrise en études cinématographiques intitulé Vers une exposition de la haine: gore, porno et fluides corporels, il n’y avait pas de doute sur les préoccupations esthétiques du cinéaste. Pour Falardeau, tout a débuté à Senneterre en Abitibi. «Je suis un enfant des années 1980. J’ai donc découvert le cinéma comme bon nombre de mes contemporains via la télévision. Le club vidéo a aussi joué un rôle important dans mon éducation, et comme la section horreur était plutôt bien fournie, j’ai développé des affinités avec ce cinéma. Je peux résumer mon éducation comme un croisement entre Eric Rohmer, le cinéma d’horreur et les films produits par la société Troma – mélange de comédies sexy et de films d’horreur de série B ou de films de catastrophe nucléaire.» «Senneterre fut représenté au cinéma avec L’âge de la machine de Gilles Groulx et par le très pittoresque En pays neufs, de l’abbé Maurice Proulx», nous rappelle au passage Falardeau. C’est le lieu de son éducation au septième art avant le déluge 2.0, mais aussi celui où il développe un amour pour la littérature et les personnages. Deux revues joueront un rôle capital dans la formation de son imaginaire, Séquences et ses dossiers thématiques, de même que Fangoria pour ses couvertures de films d’épouvante.

Par-dessus tout, un sujet éveille sa curiosité adolescente: la découverte de la sexualité par le truchement d’une série de films érotiques. C’est le choc Bleu Nuit. «Simon Laperrière et moi étions en compagnie d’un invité du festival Fantasia et parlions de Maple Syrup Porn, une expression attribuée au cinéma érotique québécois des années 1970. Au fil de la discussion, on s’est rendu compte qu’aucun travail n’avait été fait ici au Québec sur notre rapport à la pornographie et aux films softcore. La discussion a vite rebondi sur Bleu Nuit, cette série culte que nous avons tous secrètement regardée dans notre adolescence. Le projet de livre, paru aux éditons Somme toute en 2014, était né.» Bleu Nuit, Histoire d’une cinéphilie nocturne décrypte la série qui a formé une génération de masturbateurs anonymes à travers le Québec avec des entrevues de Guy Fournier, de l’ex-gloire de la porno française Brigitte Lahaie, des critiques de films, des récits initiatiques, des essais (un superbe texte de Samuel Archibald) et de belles illustrations (Jimmy Beaulieu, dont l’illustration est reproduite en nos pages, ainsi que Gabrielle Laïla Tittley, Cathon et Pascal Girard). Ce livre élégant raconte notre rapport à la nuit quand elle s’érotise par le truchement de l’écran cathodique. Un beau travail d’édition qui tente de circonscrire le phénomène Bleu Nuit comme un véritable phénomène culturel qui a défini notre rapport à la chose sexuelle.

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39 | cinémA érotique

«ce Projet est une tentAtive d’AFFirmer hAut et Fort que lA sexuAlité est d’Abord et AvAnt tout une source de bonheur, de jouissAnce et de joie de vivre.» Un projet de comédie érotique

d’un couple d’êtres humains. La prochaine aventure cinématographique risque d’être fort différente. «C’est l’histoire d’un homme qui est malgré lui entraîné dans une série d’aventures érotiques, car toutes les femmes sont folles de lui, à son grand dam.» Éric Falardeau le décrit comme un «Buster Keaton du cul»… «Ce projet est une tentative d’affirmer haut et fort que la sexualité est d’abord et avant tout une source de bonheur, de jouissance et de joie de vivre. Nous en avons grandement besoin dans un monde où l’imagerie érotique et pornographique n’a jamais été aussi présente (pensons à la publicité) et, paradoxalement, dévalorisée. La présenter de manière positive est en quelque sorte un acte de résistance lui redonnant son potentiel subversif.» Un projet qui nous met en joie. Entre-temps, Éric et son équipe travaillent aussi à un court métrage d’erotic fantasy avec des marionnettes, façon Muppet Show. Les coquins qui fréquentent le Salon de l’amour et de la séduction en ont déjà eu un avant-goût. À suivre. y

Éric Falardeau travaille aujourd’hui sur un projet de comédie érotique grand public inspirée par des titres des années 1970-1980 comme Que les gros salaires lèvent le doigt ou encore On se calme et on boit frais à Saint-Tropez, qui alliaient l’humour à un projet érotique. Il est nostalgique de cette époque du cinéma où la suggestion érotique, plus que le gros plan pornographique, tentait de désacraliser le corps. «Ce sera une comédie “paillarde” inspirée d’une BD italienne. C’est un film coquin, léger et amusant, une proposition à contre-courant qui fait selon moi cruellement défaut dans le paysage cinématographique actuel, une réponse au cynisme et à la vision négative entourant la plupart du temps la représentation du sexe à l’écran. Surtout au Québec où tout est lourd, chargé, intériorisé. Il s’agit d’une comédie érotique qui fait référence autant au cinéma des années 1970 qu’au burlesque à la Buster Keaton, en passant par la comédie parodique américaine des années 1980. Le film est développé comme une coproduction avec la France. On fera des annonces bientôt, mais on a déjà quelques acteurs qui ont dit oui, des légendes du genre!» Ses deux premières réalisations étaient plutôt sombres. Thanatomorphose, son premier long métrage, raconte la lente putrescence d’une jeune fille qui finira par sombrer dans une folie meurtrière. Son court métrage d’animation Butoh raconte le quotidien bouleversé d’une bande de créatures par l’arrivée PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


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UNE SCÈNE DE VALÉRIE (1968) / CRÉDIT ROBERT BINETTE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE UNE SCÈNE DE L’HOMME BLESSÉ (1983), UN FILM DE PATRICE CHÉREAU / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE VALÉRIE À MOTO (1968) / CRÉDIT ROBERT BINETTE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE L’ANGE ET LA FEMME (1977), UN FILM DE GILLES CARLE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE

(DE GAUCHE À DROITE)

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vAgue de chAleur 2016 serA l’Année où lA cinémAthèque québécoise, Au cœur d’un été qui s’Annonce brûlAnt, ProgrAmmerA un cycle érotique FAisAnt lA PArt belle Aux stArs dénudées. un bon Prétexte Pour discuter érotisme Au cinémA Avec l’érudit mArcel jeAn. MOTS | CÉLINE GOBERT

«Si l’on se réfère à Bataille, l’érotisme c’est l’échancrure, explique Marcel Jean. Ce qui est le plus érotique, ce sont les six centimètres entre la jupe de la femme et le haut de son bas...» L’idée de consacrer un cycle au cinéma érotique s’est imposée à lui dès son arrivée à la direction de la Cinémathèque en mai dernier quand il s’est fait offrir une copie 35mm des Héroïnes du mal, réalisé par Walerian Borowczyk en 1979. Il y voit l’occasion parfaite d’aborder l’érotisme au cinéma, notion intéressante car mouvante. En effet, depuis longtemps, l’art cinématographique compose avec cette question de la représentation sexuelle. Il y avait même déjà des films érotiques au temps du muet, tel Extase de Gustav Machat? en 1933! «Avec l’évolution sociale et morale, ce qui était érotique à une période ne l’est plus à une autre», développe Marcel Jean, citant Un été avec Monika d’Ingmar Bergman, film de 1953 très inoffensif aujourd’hui. «La manière dont l’héroïne défie les conventions et regarde la caméra, c’est le summum de l’érotisme parce qu’une jeune femme n’assume pas son corps comme cela à l’époque. Cela a donné des fièvres à plus d’un!» À l’inverse, Pretty Baby de Louis Malle, Beau-père de Bertrand Blier ou certains films de David Hamilton paraissent extrêmement choquants de nos jours en raison des relations qu’entretiennent des hommes d’âge mûr avec des adolescentes ou des fillettes. «Ces films étaient diffusés dans des multiplexes. Aujourd’hui, il n’y a plus le même niveau de tolérance dans la société.» Parfois, ces perceptions varient d’un continent à un autre. Si 36 fillette de Catherine Breillat a connu un succès aux États-Unis et au Canada anglais, il n’a pas marqué l’Europe. «Dans l’érotisme, il y a aussi l’exotisme, la façon que l’on a de regarder une autre culture, de s’exciter face à cela.» Monika de Bergman, donc, mais aussi La tour de Nesle d’Abel Gance, Le jeu avec le feu et L’homme qui ment d’Alain Robbe-Grillet, Les lèvres rouges de Harry Kümel, The Rainbow de Ken Russell et des films de José Benazeraf: au total, le cycle présentera une quarantaine d’œuvres issues de divers territoires, y compris le Japon avec ses films érotiques, dits pinku eiga. Au Québec, marqué par la censure, on retrouvera Valérie de Denis Héroux de 1968, qui, sous ses allures moralisatrices, a marqué l’époque. «Il en profite quand même pour montrer des femmes aux seins nus et des scènes de lesbianisme!»

Aussi Deux femmes en or de Claude Fournier de 1970 avec ses deux épouses insatisfaites qui multiplient les relations sexuelles, et Après ski de Roger Cardinal de 1971. «Ici, les femmes enlèvent le bas. On s’ouvre sur une représentation frontale du corps et la possibilité d’un cinéma pornographique québécois qui coïncide avec l’avènement du Nouvel Hollywood.» Un anticonformisme social s’est affirmé dans le cinéma érotique des années 1970. «Aujourd’hui, alors qu’on trouve tout sur le net, le cinéma est extrêmement prude.» Tout est policé: les relations hommes-femmes, la question des libertés sexuelles, les comportements moraux. «Dans le système de financement public actuel, on va vite tout vous reprocher: de fumer une cigarette, de baiser sans condom, tout est piégé à partir de là.» Ainsi, à mesure que le cinéma érotique a déserté les salles, la pornographie 2.0 a proliféré. Dans un tel contexte, comment évoquer le désir et le plaisir? «Excellente question. Le cycle va interroger cela. Il sera impératif d’avoir des discussions, des débats et des colloques.» La période des années 1990-2000 sera donc aussi évoquée avec Baise-moi de Virginie Despentes, 9 Songs de Michael Winterbottom, L’ange et la femme de Gilles Carle et des films de Bertolucci et de Brisseau. Surprise: le salut en la matière pourrait venir des cinéastes d’animation féminines! Les femmes y sont très nombreuses à aborder frontalement la sexualité, de façon plus libre que les hommes, selon Marcel Jean, qui cite des cinéastes comme Yoriko Mizushiri, Michèle Cournoyer, Florentine Grelier, Signe Baumane, et Izabela Plucinska. «Elles ont construit les choses sur une absence de corps et ont ramené la question de l’évocation au premier plan.» Dans une époque où la chair se dévoile à toutes les sauces et sous toutes ses coutures, c’est donc d’un cinéma d’animation sans corps véritable que pourraient jaillir liberté et créativité! y La Cinémathèque prépare ce cycle érotique pour l’été 2016. À suivre.


érotisme Au PAroxysme et s’il ne FAllAit recommAnder qu’un seul Film érotique? notre question A Provoqué des bouFFées d’hésitAtion chez trois cinéPhiles Avertis, qui ont FinAlement trAnché non sAns exulter un Peu… PROPOS RECUEILLIS PAR | NICOLAS GENDRON

ichijo sAyuri, Wet lust, de tAtsumi KumAshiro (1972)

thundercrAcK!, de curt mcdoWell (1975)

crimes oF PAssion, de Ken russell (1984)

La recommandation de Claude R. Blouin

La recommandation d’Antonio Dominguez Leiva

La recommandation d’Izabel Grondin

«Il ne saurait y avoir pour moi LE film incontournable du cinéma érotique, car je considère comme film érotique celui qui situe la dimension du désir sexuel dans le contexte des autres aspirations de l’être humain, que ce soit pour en faire une valeur absolue ou au contraire simplement relative. Citons néanmoins Ichijo Sayuri, Wet Lust, dans lequel Kumashiro brosse un portrait (social aussi bien que psychologique) du milieu des stripteaseuses. D’une belle complexité, ce film, qui appartient au genre roman porno, mérite d’être bien connu hors du Japon. D’autant plus qu’il pose la question des limites entre documentaire et fiction, puisqu’il introduit dans le récit fictif la présence de la stripteaseuse Sayuri jouant son propre rôle.»

«Ce film culte extrêmement étrange, écrit par une icône du cinéma underground américain (George Kuchar), montre ce qu’un cinéma libre aurait pu être si le sexe à l’écran n’était pas devenu le domaine réservé de l’industrie porno et redevenu un tabou absolu du cinéma diffusé en salle (réaction néoconservatrice oblige). Pour cela, bien qu’il fasse davantage rire ou délirer que stimuler les fantasmes du spectateur, je crois que Thundercrack! incarne l’aspect le plus potentiellement subversif qu’ont pu avoir, le temps d’un mirage, les sexes crevant l’écran.»

«Je choisis ce film pour sa polyvalence, sa richesse, son esthétisme incroyable et disjoncté, et la performance inoubliable de Kathleen Turner, sa meilleure à vie. Un film puissant, dérangeant, aux antipodes des Emmanuelle de Bleu Nuit. Surtout un thriller, mais avec une charge érotique très forte pour l’époque. Presque tous les fétichismes y passent: jeux de rôle, simulation de viol, voyeurisme, sexe oral, sadomasochisme, etc. La version originale avait d’ailleurs été largement charcutée; pour voir le film dans son entièreté, il fallait voir la version française. Un film coup-de-poing, dont on ne se remet jamais tout à fait.»

Antonio Dominguez Leiva est codirecteur de la revue numérique Pop-en-stock, mais aussi spécialiste de l’histoire culturelle de la cruauté et de l’érotisme. Parmi ses ouvrages sur la question, notons Esthétique de l’éjaculation et L’amour singe.

Izabel Grondin est une réalisatrice prolifique de courts métrages (Aspiralux, Fantasme), abonnée des festivals qui célèbrent le cinéma de genre, tels que SPASM et Fantasia. Avec DJ XL5, elle a coréalisé Sexxx. Sexualité et cinéma québécois.

Claude R. Blouin est critique de cinéma, auteur et enseignant, en plus d’être un spécialiste du cinéma nippon. Il vient de faire paraître en novembre l’essai Le cinéma japonais et la condition humaine.


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44 | oPinion

normAnd bAillArgeon PRISE DE TÊTE

PhilosoPhie de l’exPertise Les procès Turcotte, durant lesquels, par deux fois, des expertises ont été convoquées et contestées, nous ont rappelé combien est complexe et incontournable cette question de l’expertise pour les tribunaux. Mais elle l’est aussi, plus généralement, pour les politiques publiques et pour la vie démocratique elle-même, où chacun est présumé s’informer avant de se prononcer. Platon, déjà… Chez Platon, déjà, ces questions sont soulevées; et selon son habitude, le philosophe va directement au cœur des choses. Avec son sens aigu des vrais et profonds problèmes, il demande, en effet, non seulement ce qu’est l’expertise, mais aussi – et c’est la question des questions – comment le novice peut la reconnaître. Si on y pense, on verra que c’est la difficile situation dans laquelle nous nous trouvons tous, très souvent, à moins d’être expert dans un domaine, ce qui nous épargne cette difficulté, mais pour ce domaine d’expertise uniquement. Qu’est-ce donc que l’expertise? Pour les besoins de ce texte, posons ceci, qui est justement inspiré de la définition du savoir de Platon. Savoir, dit-il, c’est tenir pour vraie une proposition qui l’est en effet, et la tenir telle pour de bonnes raisons. Par exemple, je peux savoir que la Terre est ronde si elle l’est en effet (je ne peux pas savoir que la Terre est rectangulaire…) et si je la tiens pour telle par de bons arguments – et pas en répétant la phrase: «La Terre est ronde», sans la comprendre, ou pour toute autre raison qui ne serait pas un bon argument. Un expert ou une experte, en ce sens, est une personne dont on peut raisonnablement penser qu’elle donnera généralement pour vraies, dans le domaine où elle est experte, des propositions qui le sont en effet,

et qui aura pour ce faire de bonnes raisons, de bons arguments. Reste la deuxième et redoutable question: comment la reconnaître si on n’est pas soi-même un expert? Pire encore: comment l’évaluer, là où les avis d’experts divergent? Comment un membre d’un jury (ou un juge), sans connaissance psychiatrique particulière, peut-il évaluer les différents avis d’experts entendus sur les effets de l’ingestion de lave-glace sur la lucidité? Comment un citoyen ignorant de ces choses évalue-t-il toutes ces opinions émises ici et là sur les éventuels dangers d’un déversement de quelque huit milliards de litres d’eau contaminée dans le fleuve Saint-Laurent? Comment un citoyen novice en économie se fait-il une idée des avis divergents entendus sur la pertinence de consentir à creuser le déficit national afin de relancer l’activité économique? Ces questions nous posent de redoutables défis. En me plaçant sur le terrain politique, je souhaite avancer deux choses. La première: qu’une part de la solution est connue depuis longtemps; la deuxième, que le monde actuel rend la question de l’expertise plus complexe que jamais. Expertise et démocratie: les formes de savoir Les citoyens d’une démocratie, qui sont théoriquement des gouvernants en puissance, doivent donc, à ce titre, se prononcer en toute connaissance de cause sur une multitude de sujets où elles et ils ne sont pas experts. Problème insoluble? On a pourtant, depuis longtemps, imaginé une solution pour le résoudre. Ce qui devrait les outiller pour ce faire, pense-t-on, c’est l’éducation: et c’est justement pour cette raison qu’on a conçu l’instruction publique, gratuite, offerte à chacun et même obligatoire.


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Cette éducation devrait permettre à chacun de faire un vaste survol des domaines du savoir humain, permettant non de devenir expert, chose impossible, mais au moins de comprendre comment les choses fonctionnent dans chacun de ces domaines, en nous arrachant au statut de complet novice. Les domaines couverts pourraient bien être ceux que le philosophe Paul Hirst identifiait comme autant de «formes de savoir», chacune étant caractérisée par des concepts spécifiques et des manières de formuler et de valider des propositions. Pour mémoire, Hirst distinguait sur cette base les domaines suivants: mathématiques, sciences naturelles; sciences humaines; histoire; religion; littérature et beaux-arts; philosophie. Ainsi formé, ayant reçu ce type d’éducation qu’on appelait autrefois libérale, on n’est certes pas expert, mais on est minimalement outillé pour déceler les faux experts et même pour engager la conversation avec un expert supposé. Discutant avec un négationniste, on sait comment on raisonne en histoire, comment on établit un fait historique, et bien d’autres choses encore; devant un climatosceptique, on sait ce que signifie expérimenter en sciences naturelles, ce qu’est le méthane, etc.; devant un partisan de telle pratique médicale douteuse, on sait ce qu’est une méta-analyse; et ainsi de suite. Tout cela ne règle pas tous les problèmes, d’autant que les savoirs prolifèrent, que des experts peuvent diverger d’avis et que des valeurs entrent aussi en jeu pour justifier nos décisions. Mais c’est indispensable. D’autres indices devraient encore aider le novice à identifier les experts: ce sont toutes ces marques sociales de la reconnaissance de l’expertise. Les diplômes, l’appartenance à un ordre professionnel, à une institution, une pratique reconnue par des pairs, en sont quelques-uns. Expertise et démocratie: les nouvelles menaces Et c’est ici que se passent dans nos sociétés des choses profondément troublantes, à savoir la perversion de l’expertise par le marché et le commerce. L’achat d’experts par les pétrolières pour mettre en doute la réalité du réchauffement climatique anthropique en est un gravissime exemple. La soumission de la recherche scientifique aux demandes de l’industrie en est un autre, et le cas des pharmaceutiques nous montre, si besoin était, les effets délétères que tout cela peut avoir sur la catégorie d’expertise, sur l’éthos du service public et sur la science, qui sont alors profondément pervertis. Le récent et trop long muselage des scientifiques canadiens par le gouvernement Harper, afin de protéger des intérêts économiques, en est encore un autre. Ce qui est alors menacé, c’est la vie démocratique elle-même, plus exactement la conversation démocratique, qui ne peut se passer de l’apport des experts – en mathématiques, sciences naturelles; sciences humaines; histoire; religion; littérature et beaux-arts; philosophie, dirait Hirst. Le soubresaut citoyen qui s’impose commence par la reconnaissance de ce fait. Il demande aussi la défense d’une éducation libérale, publique et gratuite. Vaste et urgent programme. Vous pouvez m’en croire: je suis un expert… y

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47 | gastronomie

bestioles en casserole l’entomophagie, ou la consommation d’insectes, est en train d’envahir notre système alimentaire. MOTS | NOÉMIE C. ADRIEN

En 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture faisait paraître le fruit d’une recherche de dix ans portant sur le rôle des insectes dans la sécurité alimentaire et la sauvegarde de l’environnement. Le rapport prévoyait la hausse de la population mondiale jusqu’à 9 milliards de personnes d’ici 2030, ce qui entraînerait une augmentation de la production alimentaire humaine et animale ainsi qu’une empreinte environnementale alarmante. Une question y était soulevée: comment nourrir un plus grand nombre de personnes avec autant de ressources, voire moins? La solution proposée? En mangeant des insectes, car contrairement au bétail traditionnel, ces sauveurs à six pattes requièrent considérablement moins de nourriture et d’eau et émettent des quantités minimes de gaz à effet de serre, tout en comportant une valeur nutritive autant élevée, sinon plus. Si l’entomophagie s’éloigne diamétralement du régime alimentaire de l’Occident – jusqu’à y susciter le dédain –, elle a toujours fait partie de l’alimentation humaine et est encore aujourd’hui pratiquée par plus de 2 milliards de personnes dans nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. En entendant parler de consommation d’insectes au Québec, beaucoup d’individus de la génération Y pensent d’emblée à la fête annuelle Croque-insectes qui a eu lieu à l’Insectarium de Montréal de 1993 à 2005, attirant jusqu’à 30 000 visiteurs chaque année. Plus ludique que

PHOTO | JEAN-LOUIS THÉMIS

théorique, l’activité invitait les gens à relever le défi de déguster des bestioles apprêtées gastronomiquement, telles que des phasmes, des grillons et des scorpions. Jean-Louis Thémis, professeur à Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et auteur du livre Des insectes à croquer, a longtemps été chef de l’événement. «Je me suis mis à m’intéresser à la consommation d’insectes en apprenant que le quart de la planète en mangeait non pas par nécessité, mais par gourmandise», relate-t-il. Comment expliquer ce goût recherché et, surtout, comment l’adapter à la cuisine traditionnelle? «Il y a beaucoup de chitine dans les insectes, c’est la même qu’on retrouve dans les crustacés, avance le chef. Il est donc facile de faire des parallèles avec les recettes classiques, en faisant des bisques de sauterelles, par exemple. Quand l’insecte est sous forme de larve, il est plus charnu, plus près de la viande; on peut donc en faire des terrines, des farces, des sauces à spaghetti… Il est aussi possible de remplacer le bacon ou le lard des salades par des grillons sautés, poursuit-il. C’est vraiment croustillant et il y a un petit goût de noix. On finit par s’habituer à la forme, ce n’est pas si différent d’une crevette finalement…»

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49 | gastronomie

«les insectes font déjà partie de la diète naturelle des animaux. du côté des humains, il y avait un risque que ça reste longtemps un produit de niche…» «Ce qui m’intéresse dans l’entomophagie, c’est le côté gastronomique, insiste le chef. Je n’aime pas beaucoup le langage alarmiste, ça fait peur aux gens. Les Nations Unies qui disent qu’on n’aura bientôt plus le choix de manger des insectes… Ce n’est pas très invitant, alors qu’ils sont en fait savoureux!» Malheureusement, la barrière du dégoût est bien présente chez nous, contrairement à l’Europe, par exemple, où plusieurs chefs étoilés ont intégré les insectes à leur carte. On pense à David Faure du restaurant Aphrodite à Nice qui sert des grillons, des vers de farine et des larves de ténébrion meunier dans son menu Alternative Food. Ou encore au Nordic Food Lab, au Danemark, laboratoire mis sur pied par le célèbre René Redzepi (du restaurant Noma) pour développer des recettes destinées aux non-initiés à l’entomophagie. On leur doit, entre autres audacieuses découvertes, le Anty Gin, un gin distillé à partir de fourmis rousses des bois. «Ici, ce n’est pas encore évident. Il y a un vrai travail à faire auprès des chefs», de conclure le chef Thémis. L’un d’entre eux se risque à intégrer l’entomophagie au menu d’un restaurant mexicain de Montréal une fois par mois, en proposant une table d’hôte où les insectes sont à l’honneur de chaque plat; un concept tout de même cohérent puisque ces derniers font déjà partie de la cuisine mexicaine. S’approvisionnant chez Gourmex – entreprise québécoise qui importe des produits gourmets du Mexique –, le chef de La Selva, Ali David Caro Garcia, sert de l’ahuautle (caviar de moustique), des gusanos de harina (vers de farine), des chapulines (sauterelles) et des cocopaches (type de coquerelles) à des clients curieux. «Lors de ces soirées, mon but n’est pas de remplir le restaurant, mais bien de sensibiliser les gens», précise-t-il.

D’autres entreprises d’ici tentent tranquillement d’introduire l’entomophagie dans l’alimentation, mais le font le plus souvent par l’entremise de produits transformés. Riche en fibres, en acides gras et en vitamines, la protéine d’insecte constitue un parfait nutriment à ajouter aux barres tendres, par exemple, et, ainsi transformé, aucun risque que la forme de l’insecte répugne le consommateur. Confrontés à ces préjugés, trois jeunes entrepreneurs interpellés par les façons alternatives de se nourrir et l’utilisation intelligente des ressources ont choisi de miser sur la consommation animale d’insectes plutôt qu’humaine lorsque vint le temps de se lancer en affaires. «Les insectes font déjà partie de la diète naturelle des animaux. Du côté des humains, il y avait un risque que ça reste longtemps un produit de niche…», estime l’un des cofondateurs de BugBites, Philippe Poirier. Leurs gâteries pour chien promettent de transformer votre pitou en superhéros à la rescousse de la planète, une bouchée à la fois. Comment s’y prennent-elles? En remplaçant les protéines de poulet ou de bœuf traditionnellement utilisées par de la farine de grillon, BugBites réduit la quantité de nourriture, d’espace et d’eau – chaque sac en sauve 35 litres – requis pour nourrir les animaux. Offertes en deux saveurs – bananearachides et pomme-canneberges –, les gâteries font l’unanimité, tant chez les clients canins qu’humains. Le trio convoite à présent le marché félin. Si l’idée d’ingérer des bestioles fait encore grimacer plusieurs d’entre nous, une telle révolution dans la façon de nourrir nos animaux de compagnie représenterait un pas significatif dans la bonne direction. Tous ensemble pour l’écoresponsabilité alimentaire en 2016? Une résolution pas piquée des vers! y

JEAN-LOUIS THÉMIS


JEAN-LUC BOULAY

RESTOS survivre à 2016 à quoi ressemblera la restauration en 2016? trois chefs se prononcent. jean-luc boulay (saint-amour, chez boulay), ian perreault (chez lionel) et danny saint pierre (la petite maison). MOTS | GILDAS MENEU

Fini le kale, 2016 est l’année des légumineuses. La joue de veau, c’est tellement 2010, pensez boudin noir! Chaque début d’année nous amène sa logorrhée de tendances alimentaires concoctée par de plus ou moins influents consultants en marketing alimentaire. Les chefs, eux, se décarcassent pour trouver la recette gagnante qui garantira la survie de leur restaurant. Opinions croisées de trois chefs d’expérience. Les prix Nos chefs semblent obsédés par trois choses: les prix, les prix et les prix. Jean-Luc Boulay, du chic restaurant Saint-Amour à Québec et auteur du bistro plus informel Chez Boulay l’affirme d’entrée de jeu: la gastronomie est de moins en moins rentable. Le mouvement bistronomique a créé une vague d’enthousiasme chez les cuisinomanes. «Notre nouvelle clientèle, les 30-40 ans, n’aime pas forcément cuisiner, veut voir du monde, prendre une bière et un tartare.» Exit le foie gras, la truffe et autres produits de luxe, la tendance est à travailler les produits moins nobles. Avec l’explosion des prix des aliments, les chefs sont en déroute. «Le client est de plus en plus informé, reconnaît Ian Perreault. Il est au courant des prix et me prend pour un voleur dès que je demande un montant trop cher.»


LE JOYAU DANNY ST PIERRE photo | Andréanne Gauthier

Même son de cloche du côté de Danny Saint Pierre, qui entreprend l’ouverture d’un nouveau restaurant à Montréal. «Les clients consomment différemment. Ils sont curieux. Nous sommes devenus une nation de foodies, mais c’est la guerre des prix.» La multiplication des bonnes tables, que ce soit à Québec ou à Montréal, a rendu le cuisinomane particulièrement infidèle. La solution? L’excellence du service. «La constance, c’est le mot-clé», pour Ian Perreaut. Constance dans la qualité des ingrédients et des prix raisonnables. Et dans un service compétent, qui maîtrise le menu, qui devient l’allié du client. «On a eu tendance à rendre la restauration élitiste, remarque Danny Saint Pierre. De nombreux restos ont une belle carte des vins, un sommelier… Il y a de la compétence, mais ça crée aussi de la distance. On peut aussi penser à un beau casse-croûte, accessible. Ou à une bonne pizza bien faite.» Les aliments Stimuler les papilles est l’autre enjeu d’envergure. Chez Lionel, les ventes de viande ne sont pas en baisse. «Comme si les gens mangeaient moins de viande à la maison, mais venaient en manger à mon restaurant.» Les tartares ont la cote. «Cette année, je vais travailler le poulet. Un bon poulet rôti peut battre le canard ou le lapin, c’est extraordinaire.» Chez Danny, ce seront... les œufs. «Je fais une omelette extraordinaire.» Surtout à l’heure des brunchs. Jean-Luc Boulay travaille le maquereau, le brochet en farce, le lapin, «qui est encore une viande rentable car peu connue. Au bistro Boréal, on travaille les petits fruits et les herbes de la forêt boréale.

IAN PERREAULT

J’ai remplacé de nombreux produits importés par des produits locaux: l’argousier, le sapin baumier, la fleur de sureau, le sirop de bouleau ou encore l’huile de pépin de canneberge. Des délices!» Et les plats végétariens? Au Saint-Amour, il y en a toujours un. À Boucherville? «Pas vraiment», avoue Ian Perreault. Danny Saint Pierre mettra plus d’énergie dans cette catégorie de plats, sachant que dans son quartier (le Mile-End), la demande est plus forte. Et ça tombe bien, car les plats végétariens sont moins chers à produire. «Mais il faut bien les cuisiner. On travaille la feuille de tofu en sandwich à l’oignon avec notre pain ciabatta maison. Le tofu est braisé, parfumé au vermouth, à l’ail et à la muscade.»

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Intolérances et allergies Autre défi: répondre aux exigences multiples de la clientèle. Au Saint-Amour, «une commande sur trois» concerne une intolérance ou une allergie alimentaire. Danny Saint Pierre, lui, prépare un pain au maïs sans gluten. À Boucherville, Ian Perreault travaille fort «pour qu’il n’y ait pas d’allergènes, pas d’arachides et des desserts sans noix». D’ailleurs, les desserts changent. Jean-Luc Boulay et Ian Perreault l’avouent: ils ont coupé dans le sucre, et dans le gras. «Les gens mangent moins de dessert, c’est clair, reconnaît le chef du Saint-Amour. Il faut les travailler moins sucrés et moins riches.» Le tout est d’avoir des «valeurs refuges», dit Danny St Pierre. «Il faut que le client ait envie de revenir, et ça, ça passe par les humains. La restauration, c’est d’abord une question de mise en scène.» y

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montréal aux couleurs de la chine pour la toute première fois, une ville asiatique aura la vedette du festival montréal en lumière. du 18 février au 5 mars, la ville chinoise de shenzhen sera à l’honneur de son volet gastronomique. MOTS | NOÉMIE C. ADRIEN

Laurent Saulnier, vice-président à la programmation de l’Équipe Spectra, qui produit Montréal en lumière, nous explique ce qui a guidé le choix de Shenzhen pour la 17e édition du festival. «Ça fait plusieurs années qu’on jongle avec l’idée d’avoir un pays asiatique, entame-t-il. On a commencé à en approcher quelques-uns il y a quelques années et la Chine a répondu positivement assez rapidement. Ce sont les Chinois qui nous ont

proposé la ville de Shenzhen, proposition qu’on a trouvée fort intéressante puisqu’elle faisait changement des Beijing/Shanghai/Hong Kong habituels.» La diversité de Shenzhen, ville d’immigrants à forte croissance, s’observe jusque dans ses assiettes qui réunissent les traditions gastronomiques de toutes les régions de la Chine, mais également les influences de sa population variée: japonaises, coréennes,


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sud-est asiatiques, françaises et italiennes. En résulte une cuisine exceptionnelle, à la fois traditionnelle et contemporaine, qui enrichira certainement la programmation gastronomique de Montréal en lumière. «L’idée est de créer des jumelages, poursuit M. Saulnier. On veut qu’il y ait une véritable rencontre entre les chefs de Shenzhen et ceux de Montréal et qu’ensemble, ils réussissent à créer une sorte d’hybride entre ce qui se fait là-bas et ce qui se fait ici, quelque chose de complètement inédit. Voilà notre défi! Un super beau défi puisqu’il demande à tous de faire un travail commun; c’est l’échange qui est important là-dedans, souligne-t-il.» Comme chaque année, les restaurateurs montréalais sont très friands à l’idée de recevoir la visite de chefs de l’étranger, des expériences qui s’avèrent toujours très nourrissantes – littéralement – pour eux. «Lorsque ces chefs-là débarquent – qu’ils viennent de Shenzhen ou de Suisse ou d’Argentine, comme les années passées –, c’est comme si la brigade du restaurant qui reçoit suivait une master class, compare M. Saulnier, car ces chefs-là apportent de nouvelles données et façons de travailler... C’est comme un cours condensé en 3-4 jours!»

Bien que M. Saulnier soit enthousiaste quant aux divers jumelages du programme, il nous a tout de même révélé celui qu’il ne fallait surtout pas manquer, selon lui. «Il faut toujours porter une attention particulière au président d’honneur qui, cette année, est Anthony Dong du Futian Shangri-La, nous confie-t-il. Il va œuvrer au Renoir, le restaurant du Sofitel, les 26 et 27 février. C’est certainement un des musts!» Les curieux ou les puristes souhaitant expérimenter la gastronomie traditionnelle de Shenzhen trouveront aussi leur compte dans cette édition de Montréal en lumière. Des repas conviviaux de cuisine typique de Shenzhen seront servis au restaurant Chez Chine, les 26 et 27 février. À quoi s’attendre? «C’est comme une blind date, on y va sans préjugés, prêts à manger ce qu’on nous donne, précise M. Saulnier. C’est ça l’aventure gastronomique!» y Rendez-vous sur montrealenlumiere.com pour la programmation complète de la 17e édition du festival.

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54 | LIVRES


Sur les rayons

CORPS CONDUCTEURS SEAN MICHAELS

UNE JOLIE FILLE COMME ÇA MOTS | FRANCO NUOVO

PHOTO | RETROATELIER

Je suis bien loin de mon petit bouquiniste de la rue Saint-Hubert où, gamin, m’enfargeant dans mes lacets, je courais acheter mes Bob Morane. Or, c’était hier. Aujourd’hui, les librairies de nos sociétés souffrent, comme le reste, d’obésité morbide. En y entrant, il y a cette montagne de livres qu’on croit toujours la même et qui nous saute au visage. Un étalage presque agressant tant il frôle l’ostentation. Un puzzle en trois dimensions où chaque morceau, chaque roman, nouveau pour la plupart, a le cœur marqué au fer rouge sans que je comprenne trop, d’ailleurs, pourquoi on colle un cœur à celui-ci et pas à celui-là. Il faut donc choisir. Le titre? L’auteur? Ce qu’on en a dit à Plus on est de fous… ou à Lire? La première de couverture? Après avoir pris le dernier Umberto Eco en main, parce que, comme tous, j’ai aimé Le nom de la rose et Le pendule de Foucault, parce que j’admire le penseur, l’intellectuel, parce qu’il est italien peut-être aussi… après avoir calé son Numéro zéro sous le bras, j’ai continué l’excavation.

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Éditions Alto, 392 pages «J’étais Léon Termen avant d’être le docteur Thérémine, et avant d’être Léon, j’étais Lev Sergueïevitch.» Dès l’ouverture de ce roman, on comprend que le personnage dont il sera question est multiple. Léon Termen est ce scientifique qu’on a surnommé le «Edison russe», rendu célèbre par l’invention de cet instrument de musique à la gloire bien éphémère, le thérémine. La vie de Léon Termen, d’abord ingénieur à Leningrad, avant d’être la coqueluche de New York et de finir prisonnier dans un goulag, a quelque chose de romanesque avant même qu’on y insuffle de la fiction. C’est cette vie qu’on tentera de circonscrire dans ce premier roman de l’auteur anglo-montréalais Sean Michaels, chroniqueur et blogueur musical, lauréat du prestigieux prix Giller. La majorité de l’histoire nous est narrée par Termen lui-même, alors confiné dans une cellule à bord du Stary Bolchevique, bateau qui le ramène en Union soviétique après plus d’une décennie sur le continent américain. C’est durant les Années folles, en plein cœur de Manhattan, qu’il trouvera l’amour de sa vie, «la plus grande joueuse de thérémine que le monde connaîtra jamais». Michaels s’intéresse surtout à la période américaine de Termen, cet amour impossible, les rencontres de tout le gratin new-yorkais de l’époque – de Somerset Maugham en passant par Sergueï Eisenstein et Glenn Miller –, la crise financière qui frappera à la fin des années 1920 et la montée d’une tension palpable à l’égard de l’Union soviétique. Tour à tour amoureux candide, ingénieur endetté et espion soviétique, Léon Termen nous sert son histoire un peu comme une grande lettre adressée à Clara Rockmore, celle qui n’a pas voulu de lui alors qu’il avait le monde à ses pieds. Sean Michaels parvient à construire son roman avec brio, jouant sur différents temps narratifs en gardant bien le lecteur dans l’angle mort de la révélation. Reste que beaucoup de l’action semble se dérouler en filigrane, sans jamais prendre réellement vie, tant l’effervescence new-yorkaise que l’âpreté du goulag demeurent plutôt quelconques. «Ce livre est surtout fait d’inventions.» Tel est l’avertissement de l’auteur en ouverture du bouquin. On comprend donc rapidement qu’il s’est donné la liberté de s’approprier la vie rocambolesque de son personnage dans un premier roman assurément ambitieux et somme toute intéressant. (Jérémy Laniel)


Sur les rayons

UNE MOUCHE EN NOVEMBRE LOUIS GAGNÉ Le Quartanier, 136 pages Bienvenue à Ludovica, ville où la grisaille d’automne semble perdurer plus longtemps qu’à son habitude, où tout n’est que détails. Dans Une mouche en novembre, ce premier roman de Louis Gagné, le lecteur doit accepter d’errer dans une ville autant inconnue que singulière. L’errance se fait par tableaux, où les drames sont quotidiens. Ou peut-être bien que le quotidien est dramatique. C’est dans ces incertitudes que nous plonge la narration de Boniface Saint-Jean, un homme récemment licencié qui ne cessera d’être hanté par ce temps libre laissant trop de place au présent. «J’ai peu de souvenirs précis. Ce n’est pas tant que j’oublie, mais le présente occupe toute la place.» Ici, les enfants naissent dans des gares, les nœuds de cravate nous obnubilent et les chiens rodent. Ludovica est le nom que Champlain désirait donner à Québec, nous voilà donc plongés dans une ville du passé, une ville du fantasme, au carrefour du réel et de la fiction. Un roman où le lieu englobe tout le roman, cette inquiétante étrangeté comme un brouillard où les personnages se perdent et où le lecteur se retrouve avec grand plaisir.

À Ludovica, une petite fille disparaît, quelqu’un brûle, alors qu’encore et toujours, les chiens aboient, quelque chose comme une rare certitude. «De nulle part me parvient une sorte de prélude, un bourdonnement intermittent.» Oui, il y a quelque chose d’intermittent dans ce livre, d’étrange et de beau. Une volonté de se perdre dans l’imaginaire, de chercher des attaches et de s’accrocher aux mots. (Jérémy Laniel)

«SACHEZ QU’IL RESTE LE DRAME DES ESPOIRS PERDUS ET DES AMOURS INAVOUÉES. IL RESTE MÊME UN SOUPÇON DE NÉORÉALISME SOUS LA PLUME D’UN AUTEUR CAPABLE DE ROMANCER LA VRAIE VIE.»

Comme un enfant, intrigué, j’y suis allé tout bêtement pour l’image et pour la photo. En fait, pour cette jolie fille aux cheveux laqués, aux yeux si clairs et tristes, à la bouche que je devine, même sur ce portrait en noir et blanc, aussi rouge que pulpeuse. Je la trouvais belle. Belle et élégante comme une starlette des années 1950, comme une de ces égéries fréquentées, au lendemain de la guerre, au Stork Club de Manhattan par les écrivains, dont le très laid Truman Capote qui a dit un jour: «Les actrices sont plus que des femmes et les acteurs sont moins que des hommes». Il n’aurait su si bien dire puisque c’est un peu de cela qu’il s’agit dans Une jolie fille comme ça, un roman sorti d’un autre monde, celui de l’illusion, de la désillusion et du factice qui mènent inévitablement à la catastrophe. Je dis d’une autre époque, parce que ce récit cruel a été écrit en 1958. Et voilà que, presque 60 ans plus tard, on vient de le traduire. Pourquoi cette longue attente si, aujourd’hui, libraires et lecteurs sont prêts à lui donner leur cœur? En toute honnêteté, je ne connaissais pas cet auteur, ce Hayes, Alfred Hayes, Britannique de naissance comme Bond, James Bond; et qui n’a écrit que 007 bouquins. Mais, franchement, ce n’est pas son œuvre littéraire qui m’a incité à m’arrêter ni la femme aux yeux qui font oublier la grisaille de l’hiver. Comme vous, comme elle, comme lui, dans les mêmes circonstances, j’ai lu ce qu’en disait la quatrième de couverture. Le résumé habituel susceptible d’appâter le lecteur. On y parlait déjà des ambitions démesurées, des rêves évanouis à Hollywood et de cette ironie qui sauve ces ambitieux et ces rêveurs. Dans ma tête, le roman, je l’avais déjà acheté. Or c’est le court passage sur Hayes qui a fait que je n’ai pu m’en échapper.


> Ce type, tout à fait de son époque, né au début du dernier siècle et mort dans les années 1980, a été poète, scénariste et, bien sûr, romancier. Scénariste à Hollywood! Bon! Compte tenu du contexte, je ne me suis pas étonné outre mesure qu’il ait travaillé entre autres avec John Huston, ce qui n’est quand même pas rien. Non, mon étonnement est venu du fait qu’à la fin de la guerre, ce militaire engagé sous le drapeau américain s’est installé à Rome. Je le comprends. Bref, la légende veut (si légende il y a) que ce Hayes, déambulant par un beau soir d’été sur la Piazza di Spagna ou la Navona ou au Trastevere, se soit assis à une terrasse pour flâner, comme seul on flâne dans la Ville éternelle qui a devant elle tout son temps. Quelques hommes sont attablés à la table voisine: Rossellini; Fellini aussi. Hayes se joint à eux. Ils discutent. Ainsi, sont jetés, selon la légende, les jalons d’un des chefs-d’œuvre du néoréalisme italien, la trilogie formée de Rome, ville ouverte, Paisà (avec l’unique Anna Magnani) et Allemagne, année zéro. C’est ainsi, aussi, que Hayes devient un des scénaristes de ce courant cinématographique et qu’après avoir bossé avec Rossellini, on retrouve son nom au générique du Voleur de bicyclette de Sica. J’ai acheté le livre, bien sûr. Comment résister? Une jolie fille comme ça était sortie de l’imagination de cet homme au destin peu commun. Je sais, je n’ai pas glissé un mot du roman, ni de cette beauté dont on ne connaît même pas le nom, pas plus d’ailleurs que celui du héros. Sachez qu’il reste le drame des espoirs perdus et des amours inavouées. Il reste même un soupçon de néoréalisme sous la plume d’un auteur capable de romancer la vraie vie. y

Une jolie fille comme ça Alfred Hayes, Gallimard, coll. «Du monde entier», 2015 176 pages, 31,95$

Sur les rayons

UKRAINE À FRAGMENTATION FRÉDÉRICK LAVOIE La Peuplade, 264 pages Il y a un an de cela, le journaliste indépendant Frédérick Lavoie assiste aux funérailles d’Artyom, 4 ans, à Donetsk en Ukraine. Il y voit un cercueil trop petit pour un conflit trop grand. Alors sur place pour couvrir cette guerre ayant éclaté au cœur du pays, il tentera de comprendre comment une roquette a pu venir s’échouer dans le salon de ce dernier. Dans Ukraine à fragmentation, Lavoie s’adresse au jeune Artyom. «Il va de soi que tu ne méritais pas de mourir. Tu mérites au moins de savoir ce qui t’a valu la mort.» Au détour de cette lettre, ce sera tout le conflit ukrainien qui sera mis en lumière par l’enquête que l’auteur mènera. Il ne se contentera pas des mascarades que peuvent être les conférences de presse menées par les différents partis, c’est plutôt dans les bars et les cafés, entre l’hôpital et la morgue, qu’il rencontrera ces gens qui, comme autant de fragments, construiront pour nous l’Ukraine éclatée dont il est question. À travers différents témoignages tantôt assombris par le deuil, tantôt grisés par l’alcool, l’auteur parvient à tisser les tenants et aboutissants d’une guerre qui n’a rien de simple. Évitant les généralisations hâtives inhérentes à ce genre d’entreprise, l’écriture est à la fois grandiose et retenue, avec l’urgence de dire et le respect du deuil. Tel un metteur en scène, Lavoie est là, dans l’ombre, laissant les différents acteurs s’exprimer, s’expliquer, sauf qu’à la fin, le rideau ne tombera pas et les morts resteront tapis au sol. (Jérémy Laniel)


RAGNAR KJARTANSSON, THE VISITORS, 2012 (ARRÊT SUR IMAGE). PROJECTION VIDÉO HAUTE DÉFINITION À QUATRE CANAUX. DIMENSIONS VARIABLES. 64 MINUTES. SON: CHRIS MCDONALD. VIDÉO: TÓMAS ÖRN TÓMASSON. PHOTO: ELÍSABET DAVIDS. © RAGNAR KJARTANSSON; AVEC L'AIMABLE PERMISSION DE L'ARTISTE, LUHRING AUGUSTINE, NEW YORK, ET I8 GALLERY, REYKJAVIK.


59 | ARTS VISUELS

MUSIQUE CHAGRINE EN ISLANDE, L’ART DE LA PERFORMANCE ÉVOQUE INÉVITABLEMENT LE NOM DE RAGNAR KJARTANSSON, POUR QUI LA THÉÂTRALITÉ DU QUOTIDIEN SE MÊLE À LA MUSIQUE ET AUX ARTS VISUELS, LIVRANT SES COUPS D’ÉCLAT EXISTENTIALISTES À TRAVERS LE MONDE DEPUIS UNE QUINZAINE D’ANNÉES. MOTS | JULIE LEDOUX

Fils de l’actrice Guðrún Ásmundsdóttir – qui participe fréquemment à ses projets – et de l’artiste visuel et acteur Kjartan Ragnarsson, Ragnar Kjartansson baigne depuis l’enfance dans le monde de la performance artistique. Entre musique, vidéo, installations, peintures et dessins, le terrain est vaste pour se produire, et le terreau fertile pour que l’inspiration germe. Diplômé de l’Académie des arts d’Islande (Reykjavík) en 2001 et de la Royal Academy de Stockholm (Suède) en 2000, Ragnar Kjartansson mêle habilement performances théâtrales, musicales et cinématographiques, peintures et dessins. Il endosse les rôles qu’il se confie, joue au réalisateur ou au scénariste, au musicien ou encore à l’artiste visuel. Romantisme, endurance et répétition En forgeant son travail autour du romantisme propre au courant du 19e siècle, de sa misère et de sa déchéance, du mal de vivre et de la grandiloquence de certaines performances artistiques, il crée tout sauf un inconfort ou un malaise chez le spectateur, contrairement à ses contemporains Marina Abramovic ou Chris Burden où la mise en scène de soi inquiète et dérange le spectateur. Chez Kjartansson, le visiteur est témoin tantôt d’une mélancolie démontée, tantôt d’une répétition jouissive, d’un amour inconditionnel filial (Me and My Mother, 2010), de la transmission des savoirs, d’une endurance

surprenante. Car ses performances artistiques restent des efforts physiques et intellectuels stimulants, parfois chaotiques, mais dans une organisation savamment orchestrée par le maître de cérémonie. Reconnu à l’international depuis près d’une dizaine d’années, Kjartansson a représenté l’Islande à deux reprises à la Biennale de Venise. L'artiste, dans ses créations, voyage entre le réel et la fiction. Il teinte ses activités d’un travail physique allant de l’extrême endurance à la chaleur de l’amour filial. Il jumelle le tout à un humour certain, se moquant tantôt de ses contemporains et de la grandiloquence des performances artistiques, tantôt du tragi-comique de l’existence humaine. Au fil de ces thèmes, tristesse et bonheur se mêlent avec justesse, parodiant et éblouissant le public au passage. Tristesse immense Qu’il endosse un rôle de crooner et chante à propos de Dieu (God, 2007) ou du mal de vivre (Sorrow Conquers Happiness, 2006), Kjartansson plonge dans une performance qui dispose autant d’une dimension d’endurance physique que d’une dimension temporelle difficile à négliger.

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Bien que ses œuvres ne soient pas créées de manière pérenne, elles se construisent et se poursuivent sur des durées variables, parties intégrantes de ses performances. Avec l’œuvre A Lot of Sorrow, nouvellement acquise par le Musée d’art contemporain de Montréal, Ragnar Kjartansson a invité la formation musicale américaine The National à se produire dans le cadre du MoMA PS1, en mai 2013, et à répéter la pièce Sorrow sans interruption, pendant six heures, soit 105 fois. L’événement en était un d’endurance, autant pour le metteur en scène que pour le groupe, mais aussi pour le public qui, au fil des mots et des progressions, encaissait les mots chantés par Matt Berninger et sa voix profonde et grave d’une sombre mélancolie ainsi que les notes jouées par Aaron et Bryce Dessner, Scott et Bryan Devendorf, accompagnés de cuivres et de choristes pour l’occasion, rendant la performance encore plus puissante, soufflante.


61 | ARTS VISUELS

LE VISITEUR EST TÉMOIN TANTÔT D’UNE MÉLANCOLIE DÉMONTÉE, TANTÔT D’UNE RÉPÉTITION JOUISSIVE, D’UN AMOUR INCONDITIONNEL FILIAL, DE LA TRANSMISSION DES SAVOIRS, D’UNE ENDURANCE SURPRENANTE. En 2009, il devient le plus jeune Islandais à représenter son pays à la Biennale de Venise et, en 2013, il répète l’expérience avec un tableau cinétique unique. Il crée le S.S. Hangover, bateau hybride d’influences grecque, islandaise et vénitienne (référence au passé glorieux de l’Empire vénitien), à partir d’un petit bateau de pêche de Reykjavík construit en 1934. Cette création fluviale référait à un type de bateau apparu de manière tout aussi théâtrale dans le film Remember Last Night (1935). Il le laisse flotter sur le canal dans l’Arsenal de Venise avec, à son bord, six musiciens interprétant un morceau de Kjartan Sveinsson pour six cuivres, en continu. En résulte un tableau de style wagnérien, à la fois triste et mélancolique, et d’une joie qui émerge graduellement. L’œuvre sans doute la plus connue et reconnue de l’artiste islandais, The Visitors (2012), évoque aussi une certaine endurance, mais, du même coup, tout le sérieux d’un long poème musical féministe, Feminine Ways. Tournée à la Rokeby Farm, dans l’État de New York, cette performance musicale et vidéo s’offre sous forme de neuf écrans montrant en simultané, en format 1:1, le jeu des musiciens invités par Ragnar Kjartansson. Ceux-ci s’attellent à reproduire le poème composé par

l’ex-femme de l’artiste et metteur en scène – Ásdís Sif Gunnarsdóttir –, les arrangements musicaux ayant été conçus par Kjartansson et son collaborateur de longue date Davíð Þór Jónsson. Lorsque tous les musiciens sont réunis par les neuf écrans, la performance émerge de manière unique, un tout puissant. D’une grande théâtralité, réfléchissant sur les questions de l’identité, de l’existence et de la répétition propre au quotidien, le travail de Ragnar Kjartansson invite le spectateur à une réflexion sur son propre parcours. L’artiste islandais offre un brin de réponse: tout peut disparaître du jour au lendemain, alors autant en profiter et s’amuser. y Ragnar Kjartansson Au Musée d’art contemporain de Montréal Du 11 février au 22 mai 2016


62 | OPINION

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

LE CAPITALISME SAUVAGE EST DÉGUISÉ EN SIRÈNE Jamais la société n’a-t-elle évolué aussi rapidement qu’aujourd’hui. Les produits de tous les jours peuvent être commandés et livrés d’un simple clic; la culture est maintenant accessible du bout des doigts; l’économie du partage ébranle de nombreux secteurs économiques; des plateformes médiatiques qui n’existaient pas il y a 10 ans ont capturé la moitié des revenus publicitaires sans développer le moindre contenu. Des industries complètes sont bouleversées par les innovateurs. Les modèles d’affaires traditionnels sont remis en question. L’évolution va s’accentuer avec l’accélération de la robotisation: les autos se conduiront seules, les chambres d’hôtel seront nettoyées sans aide, les drones remplaceront les livreurs, les boulettes seront flippées sans cuisinier. De nombreux travailleurs non qualifiés risquent de perdre leur emploi et peineront à en trouver un autre. On ne peut être contre l’évolution. Mais nous avons l’obligation de l’encadrer. Quel sera l’impact sur notre économie si la classe ouvrière est anéantie? Qui achètera les voitures et qui mangera les burgers? D’aucuns prévoient la disparition des médias locaux d’ici 2050. Notre société sera-t-elle meilleure si les médias qui analysent et façonnent notre pensée disparaissent? N’est-ce pas une attaque sournoise de notre capacité à maintenir notre autonomie politique, économique et culturelle? Grâce aux statistiques compilées par l’OCDE, qui permettent de comparer 362 régions de 34 pays, on peut clairement se rendre compte que le Québec est une des régions où il fait le mieux vivre dans le monde en regard de plusieurs critères tels que l’éducation, l’emploi, la santé, l’accès aux services publics et l’habitation. Parce

que nous sommes ouverts, parce que nous avons intégré différentes communautés culturelles, parce que l’environnement fiscal est juste et compétitif, parce que nous avons un filet social équitable, parce que l’éducation et la santé sont accessibles à tous. Parce que les riches n’ont pas à installer des barricades autour de leur propriété ou engager un garde du corps pour raccompagner leurs enfants qui reviennent de l’école. Pour maintenir cette position enviable, nous devons encourager la création de richesses en mettant en place un climat propice à l’entrepreneuriat. Le Québec doit faire preuve de leadership et selon moi nager à contre-courant. Nous avons de tout temps été une société plus progressiste que nos voisins du sud. Pourquoi devrions-nous aujourd’hui changer notre trajectoire et adopter aveuglément des modèles qui mettent en péril des pans entiers de notre économie et de notre culture? Nous aurions intérêt à nous inspirer davantage des pays scandinaves ou de l’Allemagne. Il faut être réaliste; notre modèle n’est pas sans faille. Nous avons la responsabilité d’augmenter la productivité de l’État et de nous assurer qu’une part de plus en plus importante du budget du Québec est allouée directement aux services à la population. Nous devons exploiter plus intelligemment nos ressources naturelles, avec au premier rang Hydro-Québec, le joyau que le monde entier nous envie. Nous devons diminuer l’écart qui existe entre les riches et les pauvres en tirant les moins fortunés vers le haut, pas les plus riches vers le bas. En augmentant le salaire minimum à 15$ par exemple. Nous devons aussi soutenir des projets économiques porteurs et différenciés: le transport, le tourisme, l’agriculture. Nous devons augmenter nos investissements en culture et en éducation.


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Nous devrions pouvoir compter sur la capacité de nos gouvernements à résister aux chants de la «modernité» et faire confiance à leur capacité à internaliser tous les impacts que pourraient entraîner des modifications législatives. La capacité d’un gouvernement à y arriver devrait aujourd’hui être notre critère numéro un le jour des élections. Mais nous avons aussi tous une responsabilité individuelle. La responsabilité de s’informer et de voir plus loin que le bout de notre nez. Nous devons voter tous les jours de la façon la plus efficace possible afin de contrer le raz-de-marée qui s’annonce: voter avec notre portefeuille. Un achat que vous effectuez avec le prix comme seul critère peut mettre en danger la qualité de vie et limiter notre capacité à soutenir l’équité sociale, l’innovation et l’entrepreneuriat. Par contre, tout achat qui soutient l’économie locale, qui encourage des entreprises partageant nos valeurs sociales et environnementales est un vote pour notre autonomie. Je suis convaincu que le temps où un produit ou une entreprise devront dévoiler leurs pedigrees écologique, social et économique est à nos portes. Ce sera alors plus simple de faire des choix éclairés. L’exemple du logo Aliments du Québec appliqué sur les produits d’ici est à cet égard probant. Entre-temps, nous devons redoubler

de prudence et consommer de façon éclairée. Se méfier des sirènes modernes, et les contourner. Le projet de transformation de Voir s’inscrit dans cette mouvance. L’équipe m’a convaincu de la pertinence de son initiative et de sa capacité à avoir un réel impact. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté d’investir et de m’impliquer dans ce projet qui concordait avec mes valeurs et mes objectifs. En acceptant pendant trois ans d’être un «dragon», j’ai misé sur la promotion de l’entrepreneuriat. En acceptant de rédiger un texte mensuellement dans Voir, je cherche à démontrer que les entrepreneurs peuvent avoir à cœur autre chose que les profits et le retour à leurs actionnaires. Je choisis de miser sur la promotion du bien collectif comme facteur le plus important de l’amélioration de nos conditions de vie. Je choisis la social-démocratie comme valeur pivot de la création de richesses. Le mois prochain, les durs choix à faire concernant le transport. y


QUOI FAIRE

photo | antoine bordeleau

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LEs sœURs BOULAy l a t u l i p e – 1 1 f é v r i e r 2 0 16

Après avoir récolté tous les honneurs possibles avec leur premier album, des Francouvertes jusqu’à l’ADISQ, Mélanie et Stéphanie Boulay ont fait un retour remarqué en octobre dernier avec 4488 de l’Amour, un deuxième album aux arrangements plus étoffés. Le duo viendra en présenter les nouvelles chansons lors de sa rentrée montréalaise à La Tulipe.


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kURT vILE

t h é ât r e p l a z a 19 f é v r i e r 20 16

t h é ât r e C o r o n a v i r g i n M o b i l e 20 f é v r i e r 2 0 16

Le groupe emblématique de la scène indie rock montréalaise fera le lancement de son cinquième album, A Coliseum Complex Museum, au Théâtre Plaza. Musiciens au talent et à l’audace sans pareil, les membres seront accompagnés par le quatuor Heat, qui commence lui aussi à faire grand bruit à l’international avec son mélange de rock psychédélique et shoegaze.

Le génie nonchalant de Philadelphie revient à Montréal, deux ans après avoir rempli la même salle. Cette fois, Kurt Vile viendra défendre les chansons de son excellent b’lieve I’m goin down… Est-ce que le musicien osera délaisser sa guitare et s’asseoir au piano, instrument de prédilection de son sixième album? Quoi qu’il en soit, l’ambiance du spectacle sera assurément différente.

photo | lepigeon

ThE BEsnARd LAkEs

sARAh TOUssAInT-LévEILLé M ata h a r i l o f t – 2 f é v r i e r 2016

Quatre ans après son premier album La mal lunée, qui a voyagé jusqu’au Brésil grâce au très beau clip/court métrage de sa chanson-titre, Sarah Toussaint-Léveillé revient dans le radar de la scène folk québécoise avec un nouvel album coréalisé par Socalled. L’auteure-compositrice-interprète originaire de Québec lancera son album au Matahari Loft.


66 | QUOI FAIRE

PAwA UP FIRsT

l e b e l M o n t – 6 f é v r i e r 201 6

r i t z p d b – 16 f é v r i e r 2 0 16

Sacré numéro 1 des rappeurs de l’année 2015 à surveiller par HipHopCanada.com, Jazz Cartier arrive à Montréal gonflé à bloc. Fort du succès de plus en plus confirmé de son premier album Marauding in Paradise, paru l’an dernier, le rappeur torontois viendra montrer de quel bois il se chauffe au public montréalais.

Quelques mois après avoir souligné les 10 ans de son premier album The Scenario avec un spectacle spécial durant Coup de cœur francophone, le groupe post-rock montréalais Pawa Up First revisite ses deux autres albums, The Outcome et Missing Time, au Ritz PDB. La chanteuse folk ottavienne Her Harbour assurera la première partie.

photo | lepigeon

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JAzz cARTIER

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FOxTROTT C l u b S o d a – 2 6 f é v r i e r 20 16

Présenté dans le cadre de Montréal en lumière, ce spectacle de l’auteurecompositrice-interprète Marie-Hélène Delorme (alias Foxtrott) mettra de l’avant les pièces de son premier album, A Taller Us, paru en novembre dernier. Inventive, la chanteuse montréalaise offre une pop aux teintes électro-exploratoires qui gagne le pari de rester accrocheuse.

BLAck sABBATh C e n t r e b e l l – 23 f é v r i e r 2 0 16

Les pionniers du heavy métal américain prennent leur retraite, mais avant, une dernière giga-tournée internationale était de mise. À Montréal, Black Sabbath s’arrêtera au Centre Bell pour donner tout ce qui lui reste dans le ventre. Aucun nouvel album à promouvoir, juste de gros succès en perspective et, évidemment, de grosses guitares lourdes et les cordes vocales éraillées d’Ozzy.


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Ty sEgALL And ThE MUggERs t h é ât r e r i a lt o – 2 e t 3 M a r S 2 0 1 6

Près de deux ans après son passage mémorable à POP Montréal, le miracle rock californien Ty Segall revient dans la métropole, cette fois avec son groupe The Muggers au Théâtre Rialto. D’abord paru en format VHS, Emotional Mugger est une bonne dose de rock garage de qualité, qui promet d’être relevée à souhait en show.

FREd PELLERIn

yOUng gALAxy

p l a C e d e S a r t S - 2 5 f é v r i e r 2 0 16

t h é ât r e f a i r M o u n t - 1 8 f é v r i e r 2 0 1 6

Fort du succès incroyable de son plus récent album Plus tard qu’on pense, qui a été vendu à plus de 90 000 exemplaires, Fred Pellerin délaisse le conte pour la chanson pour cette tournée. Entouré de ses musiciens, l’artiste donnera la première représentation de son tout nouveau spectacle à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts.

Signé sous la prestigieuse étiquette Paper Bag, le groupe indie pop montréalais Young Galaxy revient chez lui pour un spectacle au Théâtre Fairmount, à la suite de la sortie de son cinquième album Falsework. Son mélange d’électro 80’s, de house et de R&B donnera sans doute lieu à un spectacle dynamique.


68 | QUOI FAIRE

SCène de banquet, herCulanuM (détail). MuSeo arCheologiCo nazionale di napoli (Mann)

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POMPEII

RAgnAR kJARTAnssOn

M u S é e d e S b e a u x-a r t S de Montréal d u 6 f é v r i e r a u 5 S e p t e M b r e 201 6

MuSée d’art ConteMporain de Montréal d u 11 f é v r i e r a u 2 2 M a i 2 016

Cette exposition est consacrée à Pompéi et à sa voisine Herculanum, deux villes fondées au VIe siècle avant J.-C. qui ont été détruites lors de l’incroyable éruption du Vésuve en 79. Comprenant plus de 200 artéfacts technologiques, autant des statues de bronze et de marbre que des fresques, Pompeii donne un aperçu de la ville mythique de l’Empire romain.

Cette première exposition canadienne d’envergure sur l’Islandais Ragnar Kjartansson (qui a représenté son pays d’origine à la Biennale de Venise) met en valeur son art tragi-comique, là où «la tristesse se heurte au bonheur, l’horreur à la beauté et le drame à l’humour». On pourra y voir sa combinaison unique et souvent absurde entre performance en direct et musique.


,FL YRXV WURXYHUH] GH VXSHUEHV SLqFHV GH YLDQGH SUrWHV j VHUYLU RX PDULQpHV PDLV DXVVL XQH JUDQGH pSLFHULH UHJRUJHDQW GH WRXWHV VRUWHV GH GpOLFHV regart, Centre d'artiSteS en art aCtuel, 2015, ChriStian MeSSier

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chRIsTIAn MEssIER Centre Clark d u 14 j a n v i e r a u 20 f ĂŠ v r i e r 201 6

Le peintre montrÊalais Christian Messier prÊsente ses plus rÊcentes œuvres durant l’expo Je suis le dieu du feu de l’Enfer et je t’apporte‌ le feu, prÊalablement prÊsentÊe au Centre Regart de LÊvis. Rencontre entre les possessions dÊmoniaques menant à un exorcisme et le surrÊalisme des effets hallucinatoires reliÊs aux psychotropes, l’expo est à la fois choquante et dÊstabilisante.

LE MIEL EsT PLUs dOUx QUE LE sAng t h Ê ât r e d e n i S e- p e l l e t i e r d u 3 a u 27 f Ê v r i e r 2 0 16

Après Le grand cahier d’Agota Kristof, la metteure en scène quĂŠbĂŠcoise Catherine Vidal explore les mouvements dadaĂŻste et surrĂŠaliste, qui ont connu leur apogĂŠe dans les annĂŠes 1920 et 1930. Par l’entremise de la rencontre dorĂŠnavant mythique entre Salvador Dali, Frederico GarcĂ­a Lorca et Luis BuĂąuel, cette pièce explore ÂŤles forces de la jeunesse, de l’art et de la dissidenceÂť.

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photo | lM Chabot

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photo | Marianne deSroSierS

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sAInT-AndRÊ-dE-L’ÊPOUvAnTE e S pa C e g o - d u 1 8 f Ê v r i e r a u 12 M a r S 2 0 16

Écrit par Samuel Archibald, Saint-AndrÊ-de-l’Épouvante prend place au bar-salon Le Cristal avec, comme fil conducteur, les histoires et les confidences de trois hommes mystÊrieux qui viennent tout juste de vivre une histoire Êtrange. Au fur et à mesure qu’ils en dÊvoilent des parties, chacun dÊcouvrira qu’il a un rôle à jouer dans une histoire plus terrible encore.

LEs LAIssÊs POUR cOnTEs 2016 t h Ê ât r e l a C h a p e l l e - d u 17 a u 21 f Ê v r i e r

Spectacle sans prÊtention qui met la parole à l’honneur,

Les LaissÊs pour contes propose de dÊcouvrir de jeunes auteurs,

7$3$6 ,163,5e6 '( /$ &8,6,1( 75$',7,211(//( ,1'21e6,(11( 9,16 'ÂŞ,03257$7,216 35,9e(6 &+2,6,6 $9(& 62,1 58( &$67(/1$8 (67 02175e$/ 4&

_ ::: 0,$7$3$6 &20

la plupart du temps des nouveaux visages qui ont ĂŠchappĂŠ au radar des institutions. Les contes urbains mettant en scène des personnages marginaux s’y succèdent dans une escalade d’Êmotions diverses. Patrick Renaud mettra cette annĂŠe en scène les textes d’auteurs tels que Pierre Chamberland, Pierre-Marc Drouin et Danielle Fichaud.


ESPACELIBRE

photo | david b. riCard

Saison 15-16

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4.48 PsychOsE (Un TExTE dE sARAh kAnE) t h é ât r e l a C h a p e l l e - d u 27 j a n v i e r a u 6 f é v r i e r 2 016

La compagnie de théâtre/opéra Les songes turbulents revisite les éclats poétiques de 4.48 Psychose, la déchirante dernière œuvre qu’a léguée la dramaturge britannique Sarah Kane avant sa mort, à l’âge de 28 ans en 1999. Mis en scène par Florent Siaud, «ce cri sublime et déchirant sur la dépendance amoureuse» met en vedette Sophie Cadieux dans le rôle principal.

gERMInAL u S i n e C - d u 3 a u 6 f é v r i e r 20 16

Imaginée par les jeunes Français d’adoption bruxelloise Halory Goerger et Antoine Defoort, Germinal a été présenté à guichets fermés au Festival TransAmériques en 2014. Loin du classique de Zola, cette pièce met en scène quatre individus, sur une scène vide, qui «s’attaquent au moment zéro de la création» et en viennent ainsi à remettre en ordre le monde.

ANIMAUX ANIMAUX DU 3 AU 20 MARS 2016

Une création de DANIEL BRIÈRE et ALEXIS MARTIN

Avec SOPHIE CADIEUX, HUBERT PROULX et de VRAIS ANIMAUX !

nte.qc.ca 1945, rue Fullum | 514 521-4191


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sIMOn LEBLAnc t h Ê ât r e fa i r M o u n t - 6 f Ê v r i e r 2 0 16

Finaliste Ă Â En route vers mon premier gala Juste pour rire 2010, l’humoriste gaspĂŠsien Simon Leblanc prĂŠsente Tout court, son tout premier one-man-show. Sans dĂŠcor, ni musique, ni mise en scène, cet habile conteur mettra son charisme hors pair et sa verve aussi contagieuse qu’entraĂŽnante au service de ses histoires dĂŠjantĂŠes.

hUMOUR g.h.B. – L’AnTI-sAInT-vALEnTIn photo | hugo b. lefort

C l u b S o d a – 14 f Ê v r i e r 2 0 16

Après plus d’un an et demi d’absence, les soirĂŠes Humour G.H.B. (acronyme pour Gore, Hardcore et Brutal) sont de retour pour un ĂŠvĂŠnement unique lors de la Saint-Valentin. AnimĂŠ comme toujours par Frank Grenier, ce spĂŠcial anti-Saint-Valentin promet, encore une fois, d’être trash, vulgaire, dĂŠplacĂŠ et politiquement incorrect. ÂŤPas de tabou, pas de censureÂť, comme les organisateurs le rappellent.

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Grand Prix du jury à la 65e Berlinale, ce drame chilien de Pablo Larraín est le récit troublant de quatre prêtres catholiques emprisonnés, qui partagent une maison tout près de la mer. Coupables de crimes différents (maltraitance d’enfants et vol de bébé, principalement), ces hommes de foi devront apprendre à vivre avec deux autres prêtres: un pédophile et un enquêteur.

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Réalisé par Patrick Damien, ce documentaire québécois suit deux jeunes dans leur initiation au derby de démolition. Alors que Christophe, 16 ans, prépare des bolides avec son oncle, Marika, 18 ans, profite de l’occasion pour passer du temps avec son père. Au centre de ces bribes du quotidien: la vision du monde des deux protagonistes, qui évoquent leur passé trouble.

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Grand succès du Zoofest l’an dernier, ce spectacle d’humour est mené par une poignée de jeunes humoristes talentueux (dont Julien Lacroix, Yannick De Martino, Jérémy Du Temple et Mehdi Bousaidan) qui, tour à tour, racontent leur attachement aux années 1990 et 2000. Nostalgique, Le show 2000 ravive les Carl «le Cat» Charest, Babu et Manolo de ce monde.

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Imaginée par l’écrivaine Marcelle Dubois et le metteur en scène Jacques Laroche, cette vive critique sociale à propos de l’abandon régional prend racine dans un village menacé de fermeture par un décret gouvernemental. Autant ses habitants que son ours et ses outardes voudront changer le cours des choses en kidnappant le ministre de l’Environnement du territoire.

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Le célèbre conte québécois est mis en images par le réalisateur Jean-Philippe Duval (Dédé, à travers les brumes), qui profite d’un scénario signé Mario Bolduc et Guillaume Vigneault. Le long métrage peut compter sur une distribution de grande envergure, notamment composée de François Papineau, Vincent-Guillaume Otis, Caroline Dhavernas et Fabien Cloutier.

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Présentée dans le cadre du festival Temps d’images, qui souligne cette année son dixième anniversaire, la production belge Cold Blood mélange cinéma, danse, musique et bricolage. Avec cette création, les artistes Michèle Anne de Mey et Jaco Van Dormael dévoilent des univers miniatures faisant écho à des mondes infiniment grands. En découle «une saisissante poésie de l’intime».

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PortĂŠ par les voix de Marion Cotillard, Jean Rochefort et Philippe Katerine, ce film d’animation français rĂŠalisĂŠ par Franck Ekinci et Christian Desmares retourne en 1941, dans un monde fictif oĂš NapolĂŠon V dirige la France. Dans une sociĂŠtĂŠ gouvernĂŠe par le charbon et la vapeur, une jeune fille, Avril, part Ă la recherche de ses parents, des scientifiques disparus.

Palme d’or Ă Cannes 2015, ce nouveau film du cinĂŠaste acclamĂŠ Jacques Audiard (Un prophète, De rouille et d’os) trace l’histoire d’un rĂŠfugiĂŠ tamoul en France qui obtient un emploi de gardien d’immeuble en banlieue. S’Êtant montĂŠ de toutes pièces une ÂŤfausseÂť famille, afin d’avoir plus de chances d’obtenir l’asile politique, il devra tout mettre en Ĺ“uvre pour la protĂŠger.

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Film d’ouverture Ă la Berlinale 2016, cette comĂŠdie des frères Coen suit le quotidien d’Eddie Mannix (Josh Brolin), un ÂŤfixeurÂť engagĂŠ par les studios hollywoodiens pour rĂŠgler des problèmes de star. Un nombre incroyable de vedettes du cinĂŠma, de George Clooney Ă Scarlett Johansson en passant par Jonah Hill, Channing Tatum et Frances McDormand, prend d’ailleurs part au film.

Quinze ans après un premier volet dorĂŠnavant classique, Ben Stiller remet ça avec une suite qui promet d’être tout aussi hilarante. Cette fois, son mythique personnage de Derek Zoolander devra infiltrer un tout nouveau monde de haute couture, accompagnĂŠ par Hansel McDonald (Owen Wilson), son ancien rival devenu ami. Ă€ leurs trousses, un certain Jacobim Mugatu, jouĂŠ par Will Ferrell.


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RAGNAR KJARTANSSON

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL

185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal (Québec) H2X 3X5 Canada Métro Place-des-Arts macm.org

Avec le soutien de Esker Foundation, Calgary; et Icelandair, Reykjavik

Ragnar Kjartansson, The Visitors, 2012. Projection vidéographique HD à neuf écrans, son, 64 min. © Ragnar Kjartansson. Avec l’aimable permission de l’artiste, de Luhring Augustine, New York, et de i8 Gallery, Reykjavik | Photos : Elísabet Davids


«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

Gabrielle Laïla Tittley

teomtl.com


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