QUÉBEC VO1 #O1 HIP-HOP QUÉBÉCOIS FIORITUDES ALFRED PELLAN CINÉMA ÉROTIQUE DANSE URBAINE HUFF ROBERT LEPAGE L’ENTOMOPHAGIE TENDANCES CULINAIRES DOSSIER: MÉDIAS LOCAUX VS GÉANTS MONDIAUX
CHARLOTTE CARDIN
†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.
TENDANCES INTEMPORELLES MARBRE PIERRE GRANIT ONYX CÉRAMIQUE QUARTZ MOSAÏQUE ACCESSOIRES D’EAU montréal québec brossard toronto vaughan mississauga détroit ciot.com
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O1 O1 QUÉBEC | JANVIER-FÉVRIER 2016
RÉDACTION
Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Coordonnatrice à la rédaction et journaliste: Catherine Genest Chef de section musique: Valérie Thérien / Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture Chef de section mode de vie: Noémie C. Adrien / Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau / Correctrice: Marie-Claude Masse
COLLABORATEURS
Caroline Décoste, Émilie Rioux, Mickaël Bergeron, Jean-Baptiste Hervé, Céline Gobert, Nicolas Gendron, Jérémy Laniel, Franco Nuovo, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Gildas Meneu, Normand Baillargeon, Jean-Philippe Cipriani, Ralph Boncy, Patrick Baillargeon, Réjean Beaucage, Christine Fortier
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Directeur des ventes Est du Québec: Michael Boccacci Représentant(e)s aux ventes nationales: Isabelle Lafrenière, Nathalie Rabbat Directrices de compte: Lucie Bernier, Suzie Plante
OPÉRATIONS / PRODUCTION
Directrice du marketing & communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrice marketing et projets spéciaux: Danielle Morrissette, Lea Londero Directeur du développement web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets Web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sy / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé Chef d’équipe administration: Céline Montminy / Commis-comptable: Valérie Doucet Coordonnateurs service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Maxime Paquin, Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Photo page couverture: Jocelyn Michel et Maxyme G. Delisle (Consulat - leconsulat.ca), stylisme: Shan Temuri (Dulcedo), maquillage et coiffure: Marianne Caron Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine
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18 CHARLOTTE CARDIN EST LA CHANTEUSE QUÉBÉCOISE À SURVEILLER DE PRÈS CETTE ANNÉE Photographes | Jocelyn Michel et Maxyme G. Delisle (Consulat) Stylisme | Shan Temuri (Dulcedo) Maquillage et coiffure | Marianne Caron
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SCÈNE
Danse urbaine Huff Robert Lepage
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MUSIQUE
30
SOCIÉTÉ
36
CINÉMA
46
GASTRONOMIE
54
LIVRES
58
ARTS VISUELS
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QUOI FAIRE
La rentrée hip-hop Fioritudes Médias locaux vs géants mondiaux Dossier cinéma érotique: Éric Falardeau, Marcel Jean Top 3: Érotisme au paroxysme L’entomophagie Tendances culinaire 2016 Une jolie fille comme ça Alfred Pellan
CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p16) Monique Giroux (p28) Alexandre Taillefer (p62)
6 | opinion
siMon Jodoin THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
«QuelQue chose de rectangulaire» Quelque chose de rectangulaire Qui dans sa main Émet de la lumière
À l’heure où tout le monde se tourne vers la tablette et le portable, comme si c’étaient les uniques solutions médiatiques, nous nous sommes tournés vers ce bon vieux format en papier.
Oui, bon, ce titre n’est pas de moi. Je le dois à Jérôme Minière. Vous trouverez bien la chanson en cherchant un peu. Je sens que je vous mets quand même au défi. J’aurais pu vous mettre un lien hypertexte pour vous rendre ça facile. Mais hop! Ah! ah! Vous êtes bien embarrassés pour le moment, et moi aussi, car j’écris cette chronique qui doit être imprimée dans un magazine en papier. Avouez quand même que vous n’aviez plus l’habitude. Ça se trouve sur son album Jérôme Minière danse avec Herri Kopter. Je vous le conseille fortement. Eh oui. Un magazine en papier. C’est ce que vous tenez entre vos mains. Je vous en félicite d’ailleurs. Excellent choix. Vous l’avez trouvé au hasard de votre chemin, sur la table d’un café, dans un commerce près de chez vous. Je n’en sais rien en fait. Ah, si vous étiez en train de me lire sur le web ou via une application, à l’aide de votre gadget portable favori, je saurais précisément par où vous êtes arrivés ici. Je saurais combien de temps il vous faut pour lire ce texte et passer à autre chose. Quelques secondes bien souvent. Quelques minutes au mieux... Une éternité dans le monde numérique. Mais voilà, j’ignore tout. Et pas que moi. Personne ne sait que vous lisez ce magazine, sauf si votre voisin dans le bus ou un type à la table d’à côté vous observe. Cette année, au mois de novembre, Voir va fêter son 30e anniversaire. Et, question de bien marquer le coup, d’être bien dans le vent, nous avons choisi d’abandonner le bon vieux papier journal pour lancer un projet révolutionnaire: un magazine imprimé mensuel! Vous croyez que je rigole? Un peu, oui. Mais quand même, il y a une certaine forme de résistance dans ce virage. Un refus de suivre simplement le vent.
Résistance? Mais résistance à quoi, au juste? À cette nouvelle idée, qui consiste à s’asservir face aux nouveaux géants mondiaux du numérique. Dire que nous devrions tous migrer vers la tablette, c’est accepter de tout abandonner à une poignée de compagnies telles que Apple et Google, des monopoles mondiaux qui nous dépouillent de toute indépendance. Imaginez un peu si je vous disais que désormais, une seule compagnie dans le monde serait propriétaire de l’usine de papier, de l’encre, de l’imprimerie, du réseau de distribution et des kiosques à journaux. Imaginez aussi que je vous dise que cette même compagnie saurait exactement ce que vous lisez, à quel moment, à quel endroit. Ce serait une bien inquiétante hégémonie, n’est-ce pas? On pourrait penser que ce serait un peu comme revenir aux temps anciens, alors que le clergé et les monarques contrôlaient la quasi-totalité des communications afin de se maintenir au pouvoir. Ce serait même, à bien des égards, en tout point contraire aux idéaux de liberté, d’originalité et de diversité que revendiquent avec vigueur les travailleurs des médias et les acteurs du monde culturel. C’est un peu ce qui est agaçant avec cette idée en vogue voulant que la seule voie d’avenir pour les médias soit de se tourner purement et simplement vers les solutions proposées par les deux ou trois fabricants de tablettes et de portables.
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prenez-en deux exeMplaires! gardez-en un pour vous et oubliez l’autre sur la table d’un café, sur le siège d’un autobus, chez un aMi! c’est coMMe ça Qu’on partageait des articles avant l’invention du bouton like.
On nous parle sans cesse de révolution numérique sans s’apercevoir que cette fameuse «révolution» contribue à édifier une sorte de domination mondiale et totale des communications. Et avec les communications, viennent le commerce local, la culture, le travail des créateurs, les idées, la pensée, les dessins, les images, les textes, les photos... tout! C’est en ce sens que nous avons la prétention de croire que de continuer de publier un magazine imprimé, gratuit, dédié à la culture et aux artisans locaux, que vous pouvez trouver dans un commerce près de chez vous, c’est un peu de la résistance. Ça ne veut pas dire que nous couperons la tête du monstre, mais ça signifie au moins que nous n’acceptons pas de nous faire bêtement avaler. Il faut au moins essayer.
Voici donc le premier numéro du magazine Voir. Prenez-en deux exemplaires! Gardez-en un pour vous et oubliez l’autre sur la table d’un café, sur le siège d’un autobus, chez un ami! C’est comme ça qu’on partageait des articles avant l’invention du bouton Like. Il y a dans les quelques pages de ce magazine de quoi vous occuper quelques heures, en paix! J’espère vivement que vous prendrez autant de plaisir à le lire que nous en avons eu à le concevoir. y À lire aussi: Jean-Philippe Cipriani, dossier Médias locaux vs géants mondiaux, à la page 28
9 | scène
Tout commence quelque part à New York à la fin des années disco, presque simultanément avec la naissance d’un nouveau genre musical: le rap. Les origines – la genèse – sont difficiles à cerner par les historiens, mais Guildo Griffin, autodidacte et fondateur du Studio Party Time, se souvient avec lucidité de sa découverte du breakdance. «J’ai commencé en 1984. Mon premier contact a été Lionel Richie aux Jeux olympiques de Los Angeles, à la cérémonie de clôture, lorsqu’il a chanté All Night Long avec à peu près 100 breakdancers sur scène. Ils tournaient sur la tête, sur un bras, sur le dos, et moi je regardais ça avec mon frère en me disant: “Faut que j’essaie de faire ça”. Le lendemain, on est allés se chercher des boîtes de carton.»
d’alors, le succès est retentissant, immédiat. Il changera la vie de plusieurs jeunes, dont Nicolas Bégin, son fils spirituel, son héritier, un bachelier en finances qui fondera des dizaines d’années plus tard la compétition Hit the Floor à Lévis après avoir participé aux téléréalités So You Think You Can Dance et America’s Best Dance Crew. «Quand j’ai vu Guildo tourner sur sa main pour la première fois, je me suis dit: “Ayoye! C’est ça que je veux faire”. Je voulais devenir cool comme lui et j’ai rapidement vu l’aspect plus sexy pour un danseur masculin de faire du breakdance.» En 20 ans, le grand-père autoproclamé de la danse à Québec estime avoir formé 30 000 jeunes, dont la pétillante Édith Collin Marcoux, employée de Marie Mai et actrice
De HollywooD à lévis Hip-Hop, locking, waacking, breakDance. peu importe l’appellation, ou en fait le sous-genre, la Danse urbaine soulève les foules et suscite une certaine forme De snobisme cHez l’intelligentsia. un non-sens, à la lumière De nos entretiens avec ces trois figures De proue québécoises. MOTS | CATHERINE GENEST
À l’origine, Party Time c’était le nom d’une troupe, d’une gang de chums aux origines hétéroclites qui avaient eu la chance de se trouver dans un Sainte-Foy déjà assez ouvert sur le monde. «Je suis devenu ami avec des Haïtiens, des Africains, des Grecs et d’autres Québécois qui dansaient eux aussi. T’avais des gars qui faisaient du popping, d’autres qui avaient un style plus près des arts martiaux et moi je venais du breakdance.» Rapidement, le groupe s’engage dans des compétitions en plus de se produire dans les bars locaux. À cette époque, sans le sou, ils s’infiltrent clandestinement dans les salles de classe du Cégep St. Lawrence et de l’Université Laval pour pratiquer. Alors qu’ils sont continuellement expulsés, Guildo pense à une solution: ouvrir sa propre école. Porté par la vague des Backstreet Boys
PHOTO | DUROCHER STUDIO
dans Step Up 5. Idem pour Marie-Odile Haince-LeBel de la compagnie District Mao, une femme d’affaires qui a ouvert son propre centre de formation à Lévis en plus de se démarquer aux championnats de monde et à America’s Got Talent avec son style archi précis qui mélange cheerleading et danse hip-hop. Mutation perpétuelle En osmose avec son temps, flexible aux tendances musicales comme vestimentaires, la danse urbaine se réinvente constamment. Les codes du breakdance se voient continuellement bonifiés par des positions de base qui s’ajoutent au répertoire, contrairement (par exemple)
> (CI-CONTRE) NICOLAS BÉGIN
R E S TA U R A N T
RAFFINEMENT GASTRONOMIQUE CHARME HISTORIQUE
* S TAT I O N N E M E N T G R AT U I T POUR NOS CLIENTS
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11 | scène
«c’est très varié. Ça peut être quelque cHose De très sexy en talons Hauts, ou quelque cHose De plus militaire. après Ça, on enlève nos souliers et on fait une pièce plus contemporaine.» au ballet dont le lexique demeure plus rigide, comme figé dans le temps. «Moi-même, je ne comprends pas toute l’évolution qu’il y a eu. C’est tellement rendu complexe, illustre Nicolas Bégin. Y a eu l’époque des power moves, où est-ce qu’on voyait un gars tourner sur la tête, faire des windmills ou des airflares. C’était comme l’apogée du spectaculaire! Aujourd’hui, les gars passent d’un mouvement à l’autre plus rapidement et ils ont des signatures moves où c’est des combinaisons de tout ça. Maintenant, un headspin, c’est rien!» Au-delà des figures viriles, certaines pop stars féminines ont (et depuis longtemps) modelé la danse urbaine. Beyoncé en est un des exemples les plus probants, des vidéoclips de Destiny’s Child à aujourd’hui. On a eu la chance de s’entretenir avec sa «backup dancer», comme on dit dans le jargon, Kim Gingras, une star en soi, immortalisée en gif et en fan pages Facebook gérées par ses admirateurs. Avec madame Carter, l’interprète de Montréal explore une gestuelle alliant force et sensualité. «C’est très varié. Ça peut être quelque chose de très sexy en talons hauts, ou quelque chose de plus militaire. Après ça, on enlève nos souliers et on fait une pièce plus contemporaine. On est poussées dans tous les sens et on ne s’emmerde jamais, excuse-moi le mot!» Également danseuse régulière pour Christina Aguilera, Jennifer Lopez et Nick Jonas, Kim est bien placée pour parler du cruel processus des auditions et de la pression (corporelle surtout) qui s’y rattache. «Quand je suis arrivée à L.A., on pouvait être jusqu’à 600 filles pour le call et ils en cherchaient quatre. C’est fou, parce que tout le monde est bon! Le look, la personnalité et l’énergie que tu dégages deviennent vraiment
importants! […] On m’a déjà demandé de me faire bronzer ou de faire teindre mes cheveux en brun parce que ça flashe trop. D’habitude, je dis non pour être franche. C’est qui je suis, j’ai toujours été rousse.» Avec plus de femmes que d’hommes dans l’industrie, la compétition est plus féroce pour Kim Gingras et ses consœurs. «Y a quand même de la pression [pour rester mince], mais c’est souvent nous-mêmes qui nous la mettons. Il faut vraiment que tu sois bien dans ta peau.» Peu importe le chemin choisi, les professionnels de la danse urbaine font preuve de ténacité. Vu l’extrême rareté des subventions, et hors des réseaux de diffusion comme La Rotonde ou Tagente, les conditions de travail ne sont pas toujours favorables. L’exil est souvent de mise, comme pour Kim. «Pour l’année prochaine, c’est dur à dire. J’attends de voir, en espérant que ces principaux artistes-là aient besoin de moi.» Nicolas, lui, va chercher des revenus via sa chaîne YouTube en plus des inscriptions à Hit the Floor. Il est devenu, avec ses 10 millions de vues par année, un diffuseur à part entière. «On veut offrir plus que des commentaires de la part des juges. On veut servir de plateforme pour donner des opportunités à ces danseurs, de la visibilité.» Entrepreneurs ou pigistes, ils créent en quelque sorte leur propre emploi. Au-delà des sentiers déjà tracés et avec une fibre entrepreneuriale impossible à nier. y
PHOTO | COURTOISIE STUDIO PARTY TIME
13 | scène
granDe première et langue seconDe en février procHain, le tHéâtre périscope accueillera au cœur De sa trentième saison une pièce exclusivement jouée en anglais: Huff. une première Historique. MOTS | ÉMILIE RIOUX
Découvert dans le cadre de Magnetic North, festival de théâtre anglophone pancanadien, le spectacle s’est avéré un coup de cœur instantané pour Frédéric Dubois, directeur artistique du Périscope. Écrit et interprété par Cliff Cardinal, jeune artiste torontois d’origine autochtone, Huff est un monologue dont le sujet est brûlant d’actualité: la quête d’identité de la jeunesse aborigène, qui tente d’évoluer et de se tailler une place dans sa communauté. Littéralement perçue de l’intérieur, la situation épineuse est dépeinte avec ludisme par Cardinal, qui y incarne successivement une vingtaine de personnages. «C’est un spectacle difficile à jouer physiquement et émotionnellement, indique le comédien. Le public est chaque fois très réceptif et les choses qui se produisent dans la salle sont à la fois dangereuses et excitantes.» Après plus de 80 représentations, Québec sera le premier public francophone qui entendra le texte, grâce à la traduction d’Étienne Lepage (Rouge Gueule, Robin et Marion) qui défilera en surtitres. Risquer la diversité S’il s’avère rarissime de trouver du théâtre d’expression anglophone dans la capitale, Frédéric Dubois confirme toutefois que son choix, quoique potentiellement risqué, s’inscrit directement dans la mission du Périscope, dont le mandat est de programmer du théâtre canadien. «Nous sommes un lieu qui est basé sur le risque. La création, intrinsèquement, c’est un geste qui est risqué. Pour moi, programmer une pièce en anglais, ce n’est pas un risque qui est différent d’un autre. Au final, ce que je veux, c’est le meilleur. Peu importe la langue.» Évidemment, le réflexe des programmateurs est bien souvent de se tourner vers des compagnies canadiennes francophones, qui constituent pour eux un important réseau de partenaires culturels. Ouvrir les frontières Dans le paysage artistique de la capitale, c’est majoritairement au Carrefour international de théâtre qu’on retrouve des pièces anglophones, et ce, depuis le début du festival en 1992. Entourée d’une pile de dépliants promotionnels, la directrice artistique du festival, Marie Gignac, a méticuleusement répertorié les spectacles unilingues anglais de la programmation: «Il y en a eu une douzaine depuis que je suis là. La plupart présentés entre 1997 et 2000.»
PHOTO | AKIPARI
Issus d’Angleterre, d’Australie ou de Toronto, ces premiers spectacles (d’abord présentés sans traduction) ont su créer une habitude chez le fidèle public du Carrefour, qui ne se formalise plus de la barrière langagière. «Ils savent que si on programme un show dans une langue étrangère, il va y avoir des surtitres. J’ai parfois une hésitation dans les cas où il y a vraiment beaucoup de texte: je trouve difficile pour le public de passer sa soirée à lire.» Même si le bassin de population de la ville de Québec demeure majoritairement francophone, la communauté anglophone de la ville (environ 12 000 personnes) est théâtralement représentée depuis 1981 par la Quebec Art Company, une troupe de théâtre amateur dont les productions attirent un public grandissant très diversifié. Présentées dans le circuit des écoles anglophones, les activités de la compagnie y jouent à la fois un rôle culturel et communautaire. Une scène pour la noblesse Dans la capitale, la dernière présence concrète de théâtre dans la langue de Shakespeare remonte sans doute à la conquête anglaise, où l’activité culturelle appartenait à la haute société. Selon l’historien Alex Tremblay Lamarche, ce sont avant tout les mercenaires et les officiers de la garnison britannique qui produisaient de l’art pour se divertir, d’abord dans les tavernes, puis dans des salles aménagées, dont le célèbre Music Hall de la rue Saint-Louis. Au début du 19e siècle, le passage de l’acteur anglais Edmund Kean marque l’histoire, alors que ce dernier quitte la scène prétextant la médiocrité de ses partenaires de jeu. Ce n’est finalement qu’après l’arrivée des chemins de fer qu’apparaît en ville une abondance de troupes ambulantes américaines qui influenceront le paysage théâtral. Au-delà des préjugés envers les deux solitudes, Frédéric Dubois demeure convaincu que la pièce de Cliff Cardinal pourra trouver son public à Québec. «Si on n’ouvre pas la porte, personne ne va l’ouvrir. On veut témoigner de la diversité, de la pluralité des paroles et des écritures. Huff, c’est exactement ça.» Un spectacle qui promet d’ouvrir les esprits sur l’empathie envers l’inconnu et l’envol de l’imaginaire aux dépens d’une trop dure réalité. y
Huff Du 16 au 20 février au Théâtre Périscope
DANSE CONTEM PORAINE
LA ROTONDE
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plutôt que De trôner sur ses employés, et De se regarDer Dans le miroir comme l’icône qu’il est pourtant, robert lepage met sa notoriété et son aisance financière au profit Du travail D’équipe. MOTS | CATHERINE GENEST
PHOTO | HÉLÈNE BOUFFARD ET STÉPHANE BOURGEOIS
Si savoir s’entourer est un talent, alors l’auteur de La face cachée de la lune est particulièrement doué. Dès les premiers jours, les musiciens, scénographes, éclairagistes, costumiers et interprètes (triés sur le volet) se creusent les méninges ensemble dans la salle de répétition. Un luxe dont il est pleinement conscient, devant l’impossibilité de prédire le coût final d’une telle production. «On avance, mais on ne sait pas où on s’en va. […] On a des intuitions, mais on sait que les choses vont finir par se simplifier, que les choses nécessaires vont rester, que les choses qui ne sont pas nécessaires vont tomber comme des peaux mortes. Mais ces idées-là ressurgissent parfois où tu ne t’en attendais pas. Rien ne se perd, rien ne se crée.» Bien qu’immortalisé dans le dictionnaire des noms propres et le sujet d’une page Wikipédia traduite en onze langues, Robert Lepage ne se calfeutre pas dans sa tour d’ivoire. Les théâtrophiles de Québec le savent et le voient: il agit, localement du moins, comme un genre de recruteur de talents en assistant à un maximum de pièces de la relève. Son bras droit pour Quills, pièce qu’il coproduit avec Le Trident, c’est justement son cadet Jean-Pierre Cloutier. Un ami, certes, mais aussi un acteur à qui on doit une performance déchirante, transcendante dans l’adaptation récente de Trainspotting à Premier Acte en 2013 puis reprise à La Bordée l’automne dernier. C’est lui qui a traduit, partiellement mis en scène et qui défendra une fraction du texte du dramaturge texan Doug Wright. «L’idée, c’était de faire entrer Jean-Pierre dans mon système. Chez Ex Machina, on ne prend pas une pièce pour simplement la répéter. […]
Pour lui, c’est à la fois un défi de s’embarquer dans ça, mais aussi une chance parce que, bon, on a quand même des moyens, du temps. » Une relation sexuelle complète En interprétant le libidineux Marquis de Sade, Lepage renoue avec le jeu en groupe, l’échange de répliques écrites par un autre. «Ça faisait longtemps que je n’avais pas joué avec du monde. Je faisais des caméos, j’ai joué dans des films… J’ai eu le plaisir de jouer avec des gens, mais je ne pouvais jamais rien élaborer. C’était toujours des coïts interrompus!» Précisons qu’au fil des ans, le père du Diamant est devenu une personnalité quasi politique. Annonce de subventions, retraits du gouvernement provincial, retour en arrière, appels aux investisseurs privés… À Québec, l’ex-héros de la LNI était surtout la marionnette des élus et la tête d’affiche d’un projet ambitieux qui fait jaser dans les chaumières – même chez les gens qui ne vont jamais au théâtre. Les projecteurs n’éclairaient plus tellement ses aptitudes comme metteur en scène et encore moins comme acteur. «Moi, je trouve que Robert est un excellent comédien, réitère JeanPierre Cloutier. Il est reconnu pour toute sa créativité, mais c’est plus rare qu’on le voie porter, défendre une parole et la critiquer.» y Quills Jusqu’au 7 février au Théâtre du Trident
CE N’EST PAS LA FIN DU MONDE
MONUMENTAL AVEC GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR EN COPRÉSENTATION AVEC
Sylvain Émard LE GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC Danse / Montréal The Holy Body Tattoo / 16. 17 février 2016, 20 h Dana Gingras, Noam Théâtre de la Bordée Gagnon / Vancouver 15 avril 2016, 20 h (ENTRE) Grand Théâtre de Québec EN COPRÉSENTATION AVEC salle Louis-Fréchette RECTO-VERSO / MOIS MULTI Théâtre Rude Ingénierie / Philippe Lessard Drolet / VITAL FEW Québec 605 Collective / 24. 25. 26 février 2016, Lisa Gelley, Josh Martin / 19 h 30 Vancouver Méduse - salle Multi 28. 29. 30 avril 2016, 20 h
SOLITUDES SOLO
Daniel Léveillé Danse / Montréal 30. 31 mars 2016, 20 h Méduse - salle Multi
LAROTONDE.QC.CA INFORMATIONS ET BILLETS: 418 649-5013
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Photo : David Cooper / Sur la photo : Jessica Wilkie dans Vital Few, une création de Lisa Gelley, Josh Martin et 605 Collective.
marquis De personne
16 | opinion
mickaël bergeron ROULETTE RUSSE
sous la cHair De poule Les radios de Québec feraient peur. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Dominique Payette, dans une étude sortie l’automne dernier. L’attaque étant étrangement souvent vue comme une bonne défense, elle s’est fait ramasser. Par les radios de Québec. Est-ce que le rapport L’information à Québec: un enjeu capital de l’ex-journaliste était sans failles? Loin de là. Comme plusieurs, je l’ai trouvé mince et il n’apportait pas beaucoup de nouveau. Néanmoins, il présentait des éléments qui mériteraient d’être creusés plus loin encore et, surtout, il aurait dû ouvrir un débat. Au lieu de ça, on a démoli d’un seul bloc le rapport, Mme Payette et Pauline Marois, qui l’a financé. Moi aussi, je me suis interrogé sur les termes «climat de peur». La Capitale-Nationale vivrait sous une dictature médiatique et on ne le saurait pas? Saperlipopette! Plus sérieusement, ça soulève quand même des questions. De quelle forme de peur parle-t-on? Comment s’exercerait cette peur? La peur peut se présenter sous plusieurs formes – crainte, terreur, irritation, gêne, nervosité, pisser dans son pantalon –, et selon ce que l’on sous-entend, le mot peut être exagéré... ou bien choisi. Le problème n’a pas été de le remettre en question, mais la manière dont il a été fait. Les médias ont principalement été voir ceux qui étaient pointés du doigt... et non ceux qui pourraient subir cette tempête. Interroger les animateurs et les artisans des médias sans aller parler aux groupes populaires, aux organismes communautaires, aux syndicalistes, aux étudiants, aux environnementalistes, bref, à ceux qui se font souvent varloper dans les radios de Québec, c’est comme si un directeur d’école interrogeait celui que l’on soupçonne d’intimider, mais pas ceux qui pourraient en être les victimes. Qu’importe qu’il le fasse ou non, peut-on vraiment être surpris que le présumé intimidateur tourne au ridicule l’accusation?
L’écœurement est palpable. La plupart des gens avec qui j’ai discuté préfèrent que je ne les nomme pas. Ils sont fatigués de se faire tomber dessus, même lorsqu’ils n’ont pas de lien avec le sujet. La méfiance aussi est là. Deux personnes m’ont raconté cette vilaine habitude. Pendant l’entrevue, tout se passe très bien, il y a une honnête discussion, mais une fois sorti du studio, les mêmes animateurs vont parfois prendre encore plus de temps à déconstruire et à défaire ce que l’invité a dit en ondes. On peut les comprendre de ne plus avoir envie d’y aller. «Le terme “peur” est peut-être mal utilisé, nuance Ann Gingras, présidente de la CSN pour la région de Québec. Je n’ai pas peur, je suis tannée.» Elle déplore l’absence de neutralité du terrain de jeu. «Avec eux, ce n’est pas un débat, c’est un show, dans leur arène», dit-elle. Responsabilité sociale Dominique Payette n’a pas seulement parlé de peur, mais aussi de responsabilité sociale. Les animateurs et animatrices ne sont pas des journalistes, même s’ils parlent d’actualité. Il y a des mécanismes plus ou moins efficaces qui tentent de s’assurer que ce que dit un journaliste est véridique et vérifié, pas un animateur. L’auteure du rapport voudrait qu’ils soient considérés comme des journalistes. Je ne trouve pas que c’est la bonne voie, mais ça ne règle pas la question de leur responsabilité sociale. Plusieurs intervenants se sentent impuissants devant ces personnes influentes. Elles ne savent pas quoi faire pour rétablir des faits. Tu ne vas pas en cour pour rectifier une information, mais cette fausse information se promène à Québec comme une plume au vent. Je serais curieux de jouer avec eux à une vérification des faits, comme on le fait avec les politiciens pendant les campagnes électorales.
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AUTHENTIQUE. «plusieurs intervenants se sentent impuissants Devant ces personnes influentes. tu ne vas pas en cour pour rectifier une information, mais cette fausse information se promène à québec comme une plume au vent.»
INCONTOURNABLE. L’UNIQUE BISTRO DU VIEUX-PORT DEPUIS 1984.
Frousse ou pas frousse? Je ne sais pas si je viens de décrire un «climat de peur», mais plusieurs se méfient, sont écœurés ou sont sur la défensive. Plusieurs affirment que le terme «radio-poubelle» fait maintenant partie du passé, mais ces mêmes personnes ajoutent que le ton demeure lourd ou intimidant. Il sera toujours difficile de calculer et de schématiser l’impact d’un intimidateur dans une cour d’école. Tu peux être une victime directe en recevant les coups. Tu peux avoir peur de recevoir des coups, même s’il ne t’a jamais dit un mot ou même regardé. Tu peux changer ton chemin, pour l’éviter, même s’il ne t’a jamais menacé. Tu peux lui faire des cadeaux, même s’il ne t’a rien demandé. Tu peux avoir sa protection, sans t’en apercevoir. La cour d’école peut quand même avoir l’air d’un havre de paix. On peut bien discuter de la possible exagération du terme «peur» de Dominique Payette, mais ça ne peut s’accomplir en faisant comme s’il n’y avait personne qui se sentait intimidé. Transparence totale En plus d’écrire pour Voir, je suis aussi directeur de la programmation d’une radio communautaire de Québec (CKIA 88,3), une radio citoyenne et progressiste. En fait, comme plusieurs artisans des médias, depuis 2002, je collabore à plein de projets afin de gagner ma vie comme journaliste, animateur ou réalisateur. Je ne crois pas que ceci m’empêche de parler des autres radios de Québec, bien au contraire. Et pour ceux qui pensent que si, vous ne pourrez pas m’accuser de le cacher. y
4 1 8 .6 9 2.1299 echaude.com 7 3, rue S ault-au-M ate lo t, V ieu x-Port, Qué be c
19 | musique
Combustion lente Charlotte Cardin est la Chanteuse québéCoise à surveiller de près Cette année. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTOS | JOCELYN MICHEL ET MAXYME G. DELISLE (CONSULAT)
C’est difficile de plaire à tout le monde, mais Charlotte Cardin est sur une bonne lancée. Elle plaît à l’œil, on ne s’en cachera pas. Elle fait d’ailleurs du mannequinat depuis l’âge de 15 ans. L’interprète de Ville-Mont-Royal plaît aussi à un gros bassin de fans depuis sa participation à La Voix en 2013, où elle s’est rendue en finale. Mais c’est aujourd’hui, à 21 ans, qu’elle se met vraiment en danger sous le regard du public puisqu’elle commence à dévoiler ses propres compositions. «C’est plus stressant et beaucoup plus personnel, avoue-t-elle en entrevue dans les bureaux de sa boîte de gérance, Cult Nation. Je sens beaucoup plus que je me dévoile quand je chante mes paroles et quand je parle au public qu’en faisant un photoshoot où je suis habillée et maquillée en quelqu’un qui n’est pas moi.» Pour ce qui est de l’aventure télévisuelle, elle est très reconnaissante de son passage puisque son expérience de scène avant La Voix était composée surtout de récitals de chant et de spectacles à l’école durant son adolescence. «Faire La Voix, c’est pas la “vraie vie”. Oui, t’apprends à gérer la télévision et tout, mais y a pas trois millions de personnes qui t’écoutent quand tu fais un show d’habitude. Faire des petites salles, maintenant, avoir un contact avec un public qui est là pour te découvrir, c’est quelque chose que je découvre, c’est vraiment le fun et j’ai l’impression que, finalement, je peux vraiment montrer mon style et ma personnalité sur scène.» Et Charlotte est bien consciente que les vrais défis de sa carrière musicale s’en viennent. «C’est complexe parce que, oui, t’as l’avantage d’être connu parce que t’as été à la télé sous les yeux de la moitié du Québec, mais,
en même temps, tu sors de là et y a beaucoup de gens qui ont des préjugés: “Tsé, elle est passée par La Voix, elle l’a eu facile”... Je dois me prouver que je peux chanter plus de deux minutes sans danseurs derrière moi, que je suis capable de performer, que je suis une artiste aussi, et pas juste une voix qui fait partie d’une télé-réalité.» Le temps de se connaître En 2013, il n’était pas question pour elle de faire des choix de carrière trop vite. Après son passage à la populaire émission, elle a terminé son cégep et a pris son temps pour mieux se connaître. «Je me suis dit que j’allais mettre ça sur la glace, voyager, faire des expériences pour réaliser qui je suis, et qu’après tout ça, je prendrais une décision parce qu’un premier album c’est extrêmement important. C’est de ça que les gens se souviennent.» Il faut trouver sa propre voix et prendre des risques si l’on veut aussi plaire à un public au-delà de celui de La Voix, à un bassin plus large de mélomanes, et c’est le défi que la jeune interprète se donne cette année. Elle travaille à temps plein sur sa musique depuis mai et a fait quelques spectacles, dont la première partie de Mika à la Place des Arts cet été, à l’invitation du Festival international de jazz de Montréal. Le premier album complet de Charlotte Cardin devrait sortir à l’automne, mais entre-temps, elle prévoit sortir des extraits au compte-gouttes, comme elle l’a fait avec la pièce pop-jazzée Big Boy et la ballade en français Les échardes. «On devait sortir un EP cet automne,
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mais finalement, on a décidé de sortir des extraits tout au long de l’année, de continuer à faire des shows et de faire découvrir mon matériel par des vidéos, par exemple, question de garder ça en mouvement», dit la grande fan de Daniel Bélanger et d’Ariane Moffatt. À la sortie de Big Boy en juillet dernier, la machine s’est enclenchée et le buzz a bien résonné. Que l’on soit spectateur de TVA ou pas, c’est pratiquement impossible de ne pas tomber sous le charme de ce premier extrait. Avec la voix envoûtante et la touche électro, Big Boy est accrocheur dans toute sa simplicité. Les Échardes, sorti en novembre, a su confirmer notre coup de cœur collectif. Enfin, la voilà, Charlotte Cardin.
«Je sens beauCoup plus que Je me dévoile quand Je Chante mes paroles qu’en faisant un photoshoot où Je suis habillée et maquillée en quelqu’un qui n’est pas moi.» Opération séduction Son gérant, Jason Brando, nous dit que c’est le talent vocal de Charlotte qui l’a jeté par terre de prime abord et que Cult Nation, bien qu’aucunement pressé de trouver un label sur lequel sortir son disque à venir, voit grand avec elle. «On vise avant tout un développement optimal de son immense talent artistique qui encouragera une longue carrière internationale.» Cult Nation est un choix intéressant pour la jeune compositrice. L’entreprise, fondée en 2014, est une agence musicale composée de deux volets: d’un côté, l’équipe produit et développe la carrière d’artistes émergents (comme la chanteuse électropop Iris et le rappeur Husser) et, de l’autre, offre son expertise – composition de musique, postproduction sonore, mix, stratégie musicale, etc. – sous forme de services aux agences de publicité, aux producteurs de contenus et aux marques.
«Les deux unités s’élèvent mutuellement en échangeant des ressources, du talent, explique Jason Brando. D’un côté, notre culture de services se distingue car elle est “ploguée à la source” et, de l’autre, nous pouvons prendre plus de risques sur les artistes grâce à l’indépendance que l’unité de services nous amène. C’est un mariage entre la volonté artistique et celle du service ou du commerce.» Si on a choisi Charlotte Cardin à la une de ce premier magazine, c’est qu’on est tombés sous le charme de Big Boy et qu’on a hâte de la voir évoluer en 2016. Ça aura valu la peine de patienter le temps qu’elle se dévoile. Il est intéressant de noter aussi qu’en choisissant Cult Nation, elle s’associe avec une boîte qui sait comment combler un besoin musical et offrir ses stratégies aux agences publicitaires qui ont besoin de musique «désirable». Mais le but premier, évidemment, est de faire de la bonne musique et de mettre en valeur les atouts vocaux et compositionnels de Charlotte. Elle veut plaire pour les bonnes raisons. «Quand t’es une artiste de scène, ce n’est pas nécessairement avec ton physique et ton image que tu plais, mais c’est dans ce que tu dégages, dans ta musique. Oui, y a une notion de plaire dans mes deux métiers, le mannequinat et le monde de la musique, mais je suis beaucoup plus à l’aise avec le fait de plaire par mon intellect, mon raisonnement et ma musique, bref, par mon intérieur plutôt que par mon extérieur.» Nul doute que Charlotte est sur la bonne piste. y
BROWN
un tournant pour le hip-hop d’iCi aveC les retours en forCe annonCés de grosses pointures Comme Koriass, dead obies, loud lary aJust et, sait-on Jamais, Kaytranada, en plus de l’éClosion de nouveaux proJets prometteurs Comme brown et rednext level, le hip-hop québéCois est en voie de Connaître une année Charnière en 2016. analyse des tenants et aboutissants. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN
PHOTO | JOHN LONDOÑO
23 | musique
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«C’est vraiment une belle cuvée», envoie d’emblée Benoit Beaudry, reporteur hip-hop depuis 2003. Figure de proue du hip-hop québécois, Koriass est également de cet avis. «La scène est vraiment sur une pente montante, autant en matière de qualité des projets que de l’engouement médiatique. Je suis vraiment enthousiaste d’entendre tout ce qui va sortir cette année», indique le rappeur qui a connu un succès quasi viral avec son récent clip Zombies. Cet engouement partagé pour la scène rap locale n’a toutefois pas toujours été aussi vif. Collaborateur de longue date à l’émission hip-hop Ghetto Érudit de CISM, Benoit Beaudry se souvient d’une époque où il était «vraiment difficile» pour les rappeurs d’obtenir «une visibilité en dehors des médias hip-hop spécialisés comme HHQC ou Hiphopfranco». Rappeur au sein du trio père-fils Brown (aux côtés de son frère Snail Kid de Dead Obies), Jam se rappelle également cette période où le hip-hop était, à peu d’exceptions près, ignoré des médias. «Y avait pas du tout d’exposure, mais on s’en rendait pas vraiment compte», explique le rappeur, qui roule sa bosse depuis plus d’une décennie. «On se contentait de s’impressionner entre nous autres, durant les shows ou les partys. C’est vraiment quand les Word Up! sont arrivés qu’on a commencé à avoir de la visibilité.» L’importance des Word Up! et d’Alaclair Phénomène de battle rap qui connaît un succès d’envergure autant au Québec qu’en France depuis sa création en 2009, les Word Up! Battles ont sans doute contribué à l’essor du hip-hop québécois, grâce à des vidéos visionnées des centaines de milliers de fois sur YouTube. En plus d’avoir été le lieu où se sont rencontrés plusieurs membres de Dead Obies, les WUB ont permis à plusieurs milliers d’internautes de découvrir des rappeurs québécois talentueux, de Jam à Loud Mouth (Loud Lary Ajust) en passant par Maybe Watson (Alaclair Ensemble, Rednext Level) et Koriass. «Ce qui était particulier avec les WUB, c’est que ça pouvait même intéresser les gens qui n’écoutaient pas de rap à la base», dit Koriass. À cet effet, le rappeur originaire de Saint-Eustache donne également beaucoup de crédit au groupe Alaclair Ensemble qui, à la sortie de son premier album 4,99, en 2010, a réussi à faire éclater les barrières à la fois stylistiques et médiatiques du hip-hop québécois. «Avant ça, le rap d’ici était relativement stagnant et linéaire, mis à part certains trucs comme Omnikrom. C’est vraiment à partir de 4,99 que les rappeurs d’ici ont eu envie de prendre davantage de risques», indique-t-il. «Personnellement, c’est l’album qui m’a poussé à sortir de mon carcan habituel et à proposer quelque chose de plus l’fun.» «Y a manifestement un avant et un après-Alaclair Ensemble», croit également Jam. «La façon qu’ils avaient de faire des shows vraiment éclatés et de présenter leurs trucs sur Internet de manière DIY, ça a tout changé.»
KORIASS
PHOTO | DROWSTER
L’effervescence du «neo-rap queb» Depuis, l’engouement autour de ce que plusieurs appellent dorénavant le «neo-rap queb» est grandissant. «Il y a un intérêt qui se fait sentir dans des secteurs où il n’y en avait pas avant», avance Koriass, en référence au passage de plusieurs rappeurs au talk-show Pénelope McQuade cet été. «Je pense que 2016 va encore plus setter le ton par rapport à l’ouverture des médias de masse face au hip-hop d’ici.» Jam, lui, reste plus réaliste par rapport à cet engouement projeté. «Un rappeur québécois peut espérer une petite visibilité, genre voir sa toune jouer en revenant de la pause à Tout le monde en parle… Il peut mettre son orteil dans le showbiz, mais pas ses deux pieds», image-t-il. «Reste que, pour plusieurs d’entre nous, mettre son orteil là, c’est de plus en plus suffisant pour gagner de l’argent et faire son bout de chemin.» Évidemment, cette effervescence alimente un certain esprit de compétition entre les rappeurs, notamment ceux qui s’apprêtent à faire paraître un album en 2016. «Ce n’est plus pareil comme il y a deux ou trois ans. Les gens ont commencé à avoir du succès, et chacun fight pour son shit», observe Jam. «S’il y a une compétition, je crois qu’elle est saine», nuance pour sa part Koriass. «Elle se déroule sur le plan des galas et des ventes, mais c’est tout. Quand on se croise et on se jase, y a rien de ça qui est palpable.» y SORTIES PRÉVUES Brown – Brown / 22 janvier 2016 Koriass – Love Suprême / 5 février 2016 Dead Obies – Gesamtkunstwerk / 4 mars 2016 Rednext Level – Argent Légal / Avril 2016 Loud Lary Ajust – EP au titre indéterminé / 2016 The Posterz – Album au titre indéterminé / 2016
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MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
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fioritudes, le speCtaCle autour de l’œuvre du grand serge fiori, est présenté en tournée au québeC après le suCCès de sa première aux franCofolies de montréal 2014.
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les voix de serge fiori
Quoique Serge Fiori ne soit pas présent sur scène pour Fioritudes – le chanteur prend plaisir à alimenter la rumeur d’un éventuel retour, d’ailleurs –, le spectacle permet avant tout aux Québécois de retrouver l’essence de leur idole. En entrevue, le chanteur et compositeur s’est remémoré les années où, partout au Québec, alors dans une révolution sociale et une autre politique, on faisait de ses chansons des hymnes. «Tu sais ce qui se passe, tu le sens et tu veux y aller et tu veux rassembler. [...] L’affaire qui est la plus weird, c’est que j’ai fini le premier disque à l’envers avec un hymne triste: «Où est allé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter?»… C’est un anti-hymne, mais c’en est devenu un. La première fois que je l’ai faite en show, je m’en souviendrai toujours. Je commence le refrain et immédiatement, les gens se sont mis à chanter, debout. Il se passait vraiment quelque chose. Mais c’est un hymne à l’envers pour moi. Ça fait partie des surprises de la création.»
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PHOTO | FRÉDÉRIQUE MÉNARD-AUBIN
Fioritudes présente l’œuvre de M. Fiori en deux temps: des chansons de l’époque Harmonium et de son matériel jusqu’à la fin des années 1980, puis l’intégral de son disque homonyme sorti en 2014, album qui marquait un retour inespéré et inattendu 28 ans après Fiori. Pour le compositeur de 63 ans, ce nouveau spectacle vaut bien plus à ses yeux que les précédents hommages puisqu’il met en vie ses nouvelles chansons à travers le talent des autres. Alexandre Désilets, l’un des interprètes du spectacle avec entre autres Antoine Gratton, Marie-Pierre Arthur et Catherine Major, nous parle de ce privilège immense: «Quand vais-je pouvoir faire ça à nouveau? Diane Dufresne, par exemple, écrit un album au complet et elle choisit des gens pour chanter à sa place. Imagine! C’est tout un cadeau, tu peux pas dire non. J’étais excité à l’idée d’aller interpréter des chansons qui n’avaient pas vécu. C’est à nous de les faire vivre sur scène. C’est un super terrain de jeu.» Pour Alexandre, qui dit admirer le talent de Serge pour la mélodie, il n’y avait aucun doute que les chansons de l’album Serge Fiori allaient bien se transmettre sur scène. Il l’a compris dès que la troupe est entrée en répétition et que la chimie a opéré. Le 13 juin 2014, Alexandre n’a pas été le seul à triper sur la scène de la Salle Wilfrid-Pelletier. Ça a été une réelle communion entre les interprètes et les musiciens. L’idée d’une tournée a tout de suite germé. Le lendemain du spectacle, Alexandre appelait Marc Pérusse, réalisateur de l’album et directeur artistique du spectacle, pour lui demander s’il y aurait une tournée. Et il a vite compris que les autres artistes avaient le goût d’y replonger aussi. y
Fioritudes Le 6 février à 20h au Grand Théâtre
LE PREMIER BAR À COCKTAILS EN VILLE !
B I S T R O L’AT E L I E R 624, GRANDE ALLÉE EST 418 522-2225 BISTROLATELIER.COM
à éCouter ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL
basia bulat GOOD ADVICE
brown BROWN (7e Ciel Records) ★★★★ 1/2 Élaboré à temps partiel sur une période de trois ans, et donc mûri à point, ce premier album du trio père-fils Brown mélange les genres et les époques avec un épatant souci du détail, tout en s’appuyant sur un propos social intègre et intelligent. Métis, les deux frangins Snail Kid (Dead Obies) et Jam (K6A) y font l’apologie du «brown power» et, plus généralement, de la différence, à travers une quête identitaire et artistique qui rejette toutes formes de purisme. Épaulés par leur père Robin Kerr, un polyvalent musicien au talent brut, les rappeurs diversifient leurs flows avec une fougue soutenue et repoussent sans cesse l’œuvre vers des horizons insoupçonnés. En découle un album d’exception qui mise autant sur la forme que sur le fond et qui, par conséquent, amène un vent de fraîcheur au hip-hop québécois. (O. Boisvert-Magnen)
miChel Cusson SOLO
(Secret City Records)
(Melodika)
★★★★
★★★
La plus grande qualité de Basia Bulat, c’est qu’elle est capable d’être toute puissante malgré une voix d’emblée assez douce. Sur son quatrième album enregistré au Kentucky avec le leader de My Morning Jacket, Jim James, elle crache tout ce qu’elle a dans le cœur, brisé par une peine d’amour. Au lieu de sombrer, elle rugit. Avec Good Advice, la chanteuse désormais installée à Montréal fonce vers la pop tout en préservant son côté folk alternatif et c’est tout à son honneur. Elle en sort avec son matériel le plus accrocheur et rythmé à ce jour. Quoi de mieux que les étincelles de la pop pour contrer une peine d’amour? Comme sa pochette, toute de couleurs vives et de paillettes, Good Advice est le coup de poing dont on avait besoin. Sortie du disque le 12 février. (V. Thérien)
Michel Cusson est, sans contredit, l’un des guitaristes les plus talentueux et inventifs du Québec. Après quelques albums de délire fusion avec Uzeb, il a également prouvé maintes et maintes fois sa force comme compositeur. Il livre avec Solo un disque des plus «guitaristiques» où la six cordes prend toute la place. La virtuosité de Cusson est mise à l’honneur, et tous les guitaristes pourront apprécier les neuf titres pour leurs envolées mélodiques contrastantes et l’utilisation créative de divers effets. Toutefois, les non-musiciens trouveront peut-être l’écoute un peu lassante et répétitive, puisqu’on a vraiment affaire à un trip de guit’. La formule «rythme/ambiance/solo de guitare» est la même tout au long de l’album, et bien que ce soit toujours bien fait, on peut trouver qu’il y manque de variété. (A. Bordeleau)
idan raiChel AT THE EDGE OF THE BEGINNING (Cumbancha)
paupière JEUNES INSTANTS
★★★ 1/2
(Lisbon Lux)
Idan Raichel est un intrigant musicien et réalisateur israélien basé à Tel-Aviv. Ce nouveau disque introspectif en hébreu, il l’a concocté dans le sous-sol de ses parents, où tout a débuté pour lui. La paternité (il a deux filles en bas âge), la présence, l’amour et la famille sont au centre de ses réflexions existentielles. On dirait un disque piano-voix auquel on aurait simplement rajouté de la contrebasse et du violoncelle avec quelques sonorités exotiques de kamanche et de sintir dans une esthétique minimaliste qui préserve l’aspect intime et vulnérable. Une œuvre pleine de tendresse et de mélancolie qui se rapproche plus de l’opus précédent – le magnifique Quarter to Six – que les productions de Raichel avec le Malien Vieux Farka Touré et sa formation expérimentale Idan Raichel Project. (R. Boncy)
★★★ 1/2
Établi depuis peu, le groupe montréalais n’a pas perdu de temps et présente Jeunes instants, un premier EP de quatre titres sur le prolifique label local Lisbon Lux. Nourri à l’électro-pop frenchy du début des années 80 (les références sont nombreuses), Paupière ne tente pas ici de redéfinir le genre, mais plutôt de se l’approprier en y ajoutant un soupçon d’ironie et des paroles légèrement cyniques. Mené par Pierre-Luc Bégin (We Are Wolves), Éliane Préfontaine et Julia Daigle, le trio alterne entre elles et lui au micro, enrobant ses textes de voix détachées et sexy, cadencées par une musique aux couleurs froides et aux arrangements minimaux, le tout ponctué de mélodies légèrement sucrées et d’airs mélancoliques accrocheurs. (P. Baillargeon)
27 | disques
ensemble supermusique LES ACCORDS INTUITIFS
pablo held trio RECONDITA ARMONIA
(Ambiances Magnétiques/DAME)
(Pirouet Records)
★★★ 1/2
★★★
La compagnie de distribution de disques de musique actuelle DAME, loin de s’effacer dans le virtuel, lançait récemment 10 nouvelles galettes qui démontrent encore une fois la vitalité de ce créneau. Ici, l’Ensemble SuperMusique rassemble 20 instrumentistes répartis en deux groupes distincts de 12 musiciens (quatre d’entre eux jouant dans les deux) pour interpréter des œuvres de Malcolm Goldstein, Raymond Gervais, Yves Bouliane, Bernard Falaise et Joane Hétu, dont les partitions laissent beaucoup d’espace aux interprètes. L’enregistrement et le mixage de Robert Langlois et Joane Hétu rendent bien l’enchevêtrement de textures sonores que construisent les musiciens, particulièrement dans les pièces de Falaise, qui se signale aussi à la guitare, et de Hétu (sax, voix, direction). Beau recueil. (R. Beaucage)
avantasia GHOSTLIGHTS (Nuclear Blast Records) ★★★
Sur la suite de The Mystery of Time (2013), Tobias Sammet (Edguy), chanteur, fondateur et compositeur d’Avantasia, continue d’explorer la thématique du temps avec de nouveaux invités et des chansons de power métal symphonique explosives. C’est ce côté grandiloquent, attribuable à une réalisation musclée sans être surfaite, qui retient l’attention sur Ghostlights, ainsi que certaines collaborations bien senties. C’est le cas de Seduction of Decay (avec Geoff Tate, exQueensrÿche), The Haunted (avec Dee Snider, Twisted Sister), Draconian Love (avec Herbie Langhans, Sinbreed) et Master of the Pendulum (avec Marco Hietala, Nightwish). Ghoslights est un disque imposant. Cela dit, il nous aurait laissé une meilleure impression sans les sirupeuses et interminables ballades Isle of Evermore et Lucifer. (C. Fortier)
Recondita Armonia, le titre en italien de cet album allemand, signifie «harmonie cachée». Le terme, emprunté à la Tosca de Puccini, désigne aussi tout un réseau d’intervalles insoupçonnés qui s’offre à l’arrangeur au moment du choix décisif. Pablo Held, 28 ans, brillant pianiste de Cologne, et son solide trio se livrent à une relecture audacieuse de thèmes signés Rachmaninoff, Scriabine et Bartok, entre autres. Le jeu en vaut la chandelle. Loin d’être perdues dans l’espace sidéral entre free jazz moderne et musique savante contemporaine, ces huit plages nécessitent une écoute attentive, mais restent tout à fait cohérentes dans leur déconstruction et bien consistantes, en fin de compte. Évidemment, la facture reste européenne. On s’entend… (R. Boncy)
radio radio LIGHT THE SKY (Bonsound) ★★★ Le duo électro-rap Radio Radio propose un cinquième album où il est plus que jamais déterminé à vous faire bouger sur la piste de danse. Des changements importants sont à noter. De un, les deux MC s’expriment ici qu’en anglais. On préférait le chiac des albums précédents, qui ajoutait de l’éclat à l’offre musicale, mais on peut comprendre la stratégie. De deux, ils s’entourent de beatmakers talentueux (Shash’U et J.u.D., entre autres) à la suite du départ d’Arthur Comeau. Le résultat est un amalgame de bons coups (Sweater Weather, Remodel) et de faux pas, dont Then Came the Music, sur laquelle ils interpellent leurs détracteurs de la scène rap. Mais si l’on se fie à l’enregistrement qui conclut le disque, Radio Radio prône le droit de vouloir avant tout divertir. Alors, ne nous cassons pas trop la tête. Sortie du disque le 19 février. (V. Thérien)
Jason baJada VOLCANO (Audiogram) ★★★★ Si le titre de son second album en français évoque un phénomène naturel indomptable, on y retrouve le côté dormant dans les textes, où le Montréalais fait souvent référence au sommeil, et dans sa voix plus apaisante que jamais. Les moments d’éruption sont entendus sur les très convaincantes Pékin (les amitiés) et Des grenades dans les yeux. La tension monte et les musiciens – dont Jocelyn Tellier et Olivier Langevin aux guitares – s’en donnent à cœur joie. Jason Bajada réussit à toucher le bobo sur Jean-François, où il se fait le bouclier d’un homme sur le bord de la crise, et se fait aussi fort sensuel sur Reste ici, incapable de se détacher de sa belle. Avec ses touches rétro, dream-pop et psychédéliques, ce Volcano est fort réussi. Sortie le 12 février. (V. Thérien)
28 | musique
monique giroux SUR MESURE
la parole aux Chansons Vous voulez la vérité? Je ne sais pas bien par quel hasard de la vie je me retrouve ici dans ces pages. Ni, surtout, comment, au fil des jours, des mois et des années, ce qui était un goût pour la chanson est devenu une passion et que d’en causer est devenu mon métier. Qu’ai-je à dire, à écrire sur la chanson? Je me destinais à la photographie. Il était prévu que je me taise et que je signe des pochettes de disques. J’écoutais beaucoup. Taiseuse, silencieuse. Comme l’écrit Dany Laferrière dans Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo: «La parole du père est née du silence. Le père était auparavant bûcheron. Dans la forêt, on doit rester aux aguets. Tout bruit inédit est un signal de danger. La parole de la mère vient de la radio. C’est un bruissement intelligent mais incessant. La radio charriait une culture diversifiée, amusante et finalement étourdissante.» La radio m’a finalement happée, amusée, étourdie. Bien m’en prit, parce que, vu le marché de la pochette de disque, j’aurais bientôt fait de me recycler en photographe de noces, quoique le marché de la noce… Le désir de partager les plaisirs que me procuraient la beauté des mots, la poésie, la profondeur du message, les mélodies qui me font toujours bouger, ce désir-là était si fort et candide à la fois qu’il m’a menée jusqu’ici. En somme, en résumé et en définitive, la vie est bien faite. D’ailleurs, elle se fait toute seule, bien plus aisément qu’on fait une chanson, qui elle, pour survivre, nécessite sueur, inspiration, expiration, labeur et beaucoup d’encre. Eh oui, une majorité d’auteurs écrivent encore dans des cahiers à anneaux, sur des feuilles à carreaux, choisissant avec attention la couleur du stylo. Donc, disais-je, je ne sais pas très exactement ce que j’écrirai dans ces pages au fil du temps. Comme je n’ai
jamais rien prévu ni programmé, j’ignore encore s’il sera question dans cette chronique de disques flambants neufs, de styles inédits, d’un génie surgi de tel concours ou des difficultés de l’industrie qui peine à survivre. Voilà pourquoi ce premier texte, qui s’écrit spontanément comme on cause, aura la forme d’une réflexion sur le bien-fondé d’écrire 1000 mots sur la chanson qui en contient, elle, en moyenne 200. Avec le temps de Léo Ferré compte 140 mots. La Javanaise de Serge Gainsbourg, chef-d’œuvre du genre, tient en 120 mots. Brel, à qui on posait des questions métaphysiques sur le pourquoi du comment, sur la valeur des mots «je serai l’ombre de ton chien», sur la nécessaire relation entre l’ombre de la main, celle du chien, sur la véritable identité de Mathilde ou de Germaine, sur les fleurs qui fanent pendant que les bonbons donnent des caries, s’est un jour insurgé. S’adressant à un journaliste qui avait eu le malheur de passer par là, Brel dit quelque chose comme: «Mais c’est dingue, ça! Si je me posais toutes les questions que vous vous posez sur mes chansons, je n’aurais plus le temps d’en écrire de nouvelles. Pensez-en ce que vous voulez. Elles ont leurs propres vies.» À quoi tient cette petite chose de trois minutes qui nous inspire tant à dire, qui nous touche, nous chavire parfois, et qui est à l’origine d’une expression – «pour une chanson» – qui signifie «sans grande valeur» comme dans: «J’ai fait une bonne affaire, je l’ai eue pour une chanson». Je vous présente depuis 30 ans des chansons qui dansent, qui rient ou qui pleurent en quelques dizaines de mots. Je reçois des artistes qui créent seuls à leur table de travail, à leur piano, des chansons qui ne leur survivront pas, qui ne seront même peut-être jamais
> diffusées, ou d’autres qui, au contraire, deviendront des succès, des hymnes, des prières qu’on chantera dans les mariages, les funérailles ou les soirs de défaite référendaire. Le soir du 20 mai 1980, René Lévesque, la gorge nouée, a invité les partisans réunis et en larmes à reprendre, «pour tout le monde, pour tous les gens de chez nous sans exception», Gens du pays de Vigneault. Le 27 novembre 2015, lors de l’hommage aux 130 victimes des attentats de Paris, dans la cour des Invalides, devant un président Hollande assis droit sur sa chaise, seul, les mains sur les genoux, Camélia Jordana, Yael Naim et Nolwenn ont chanté
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Classe
Classe PREMIÈRE PREMIÈRE
Vol et date
Vol et date PCG C 2016 PCGC 2016
De
Départ QUÉdeBEC, CANADA QUÉBEC
1125 1125
Porte Porte
CORSE CORSE
Destination Destination
AVENUE CARTIER CARTIER AVENUE
Place Place
Quand on n’a que l’amour du Grand Jacques pendant que Natalie Dessay, accompagnée d’Alexandre Tharaud dans un grand dénuement, chantait Perlimpinpin de Barbara. Et toute la planète a pleuré. C’est peut-être pour ces raisons qu’on doit parler de la chanson. Parce que les artistes trouvent les mots pour le dire et les notes pour porter nos émotions, faisons silence et écoutons plutôt que d’entendre. De temps en temps, puisqu’ils parlent pour nous, donnons-leur la parole. Et vivement qu’ils continuent de la prendre. Je vous suggérerai à chacune de ces chroniques une chanson à écouter, parce que… Pour cette première chronique, ce sera L’heure des poètes de Grand Corps malade, tirée de l’album Il nous restera ça, lancé il y a quelques mois. y
Dans votre assiette!
NE PEUT ÊTRE JUMELÉ À AUCUNE AUTRE OFFRE.
«parCe que les artistes trouvent les mots pour le dire et les notes pour porter nos émotions, faisons silenCe et éCoutons plutôt que d’entendre.»
Cet hiver, découvrez la Corse...
AVENUE CARTIER, QUÉBEC AVENUE CARTIER, QUÉBEC
p e t i tt ss ccrreeuuxx. .ccaa
MÉDIAS LOCAUX VS GÉANTS MONDIAUX
PHAGOCYTER: DÉTRUIRE PROGRESSIVEMENT QUELQUE CHOSE EN LE PRIVANT DE TOUTE AUTONOMIE, EN S’EN RENDANT MAÎTRE DE L’INTÉRIEUR. MOTS | JEAN-PHILIPPE CIPRIANI
PHOTO | © LENAZOL - DREAMSTIME
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ous vous levez, vous saisissez votre téléphone, vous faites défiler Facebook et Twitter pour connaître l’actualité depuis la veille. Un article du Journal de Montréal, une vidéo de CBC, une photo du Monde: pas même besoin de consulter les sites web, votre fil d’abonnements suffit. Par cette simple habitude, vous participez sans le savoir à affamer les entreprises de presse. Le contenu, désormais hébergé par des tiers, entraîne avec lui les revenus publicitaires potentiels. Google et Facebook grugent inexorablement une assiette déjà réduite. Tandis que les médias plient par dépit – et par instinct de survie –, les géants de l’Internet s’imposent comme un écran plus ou moins hermétique entre les internautes et les médias, ou entre les consommateurs et les commerces au détail en matière de marketing de contenu. L’information ne devient qu’un contenu monnayable parmi d’autres, dont la presse conserve de moins en moins le contrôle. Un seul média pour les avaler tous Le légendaire journaliste David Carr l’avait prédit dès octobre 2014. «Les médias seront essentiellement des serfs dans un royaume qui appartient à Facebook», écrivait-il. C’était quatre mois avant sa mort, aussi soudaine que symbolique, en pleine salle de rédaction du New York Times. Tout commence par les habitudes. «En 2012, de 15 à 20% de nos lecteurs provenaient du mobile, résume Yannick Pinel, directeur de l’information au journal Métro. Actuellement, nous sommes à 55%, et ça grimpe encore. Et 80% de ce trafic provient de Facebook. Je le dis à mon équipe éditoriale comme aux ventes: la page d’accueil n’a plus vraiment de valeur.» L’histoire est la même au Huffington Post Québec, qui rameute 1,6 million de visiteurs uniques par mois. «La moitié de notre trafic provient de Facebook», confie son rédacteur en chef, Patrick White. Facebook a rapidement saisi le potentiel financier astronomique du virage. Ainsi arrive Instant Articles en mai 2015, soit des articles fournis par des médias partenaires, mais enregistrés dans les serveurs du réseau social. Le contenu apparaît dans l’environnement Facebook, instantanément, sans avoir à passer par un navigateur. Une centaine de groupes de presse, dont le New York Times, le Guardian et le National Geographic y adhèrent dès le lancement. Au Québec, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont fait le saut en décembre. Idem pour le Huffington Post, qui joindra les rangs d’ici le printemps. «On y croit résolument comme modèle de distribution, explique Patrick White. C’est un des piliers de notre développement pour 2016.»
44,3% 20,4% TABLEAU 1 44,3% DES ADULTES ACCÈDENT AUX NOUVELLES AVEC LEUR APPAREIL MOBILE, TÉLÉPHONE OU TABLETTE, CONTRE 20,4% PAR L’ORDINATEUR. LE TIERS DES ADULTES AU QUÉBEC ONT RECOURS À DES APPLICATIONS MOBILES POUR S’INFORMER. 57% DES FOYERS QUÉBÉCOIS POSSÈDENT UN TÉLÉPHONE INTELLIGENT. (Source: CEFRIO)
Rien de surprenant: le New York Times enregistre déjà plus de partages, plus de likes et plus de commentaires avec ses articles instantanés que sur son propre site web. Quelque 300 autres médias ont signé des ententes avec Facebook. Les plus petits joueurs n’ont d’autre choix que de jouer le jeu: Facebook accorde d’abord la visibilité à ses clients dans les algorithmes qui gèrent son fil d’actualités. C’est Google qui a établi le modèle, en monnayant ses algorithmes pour que les liens payés apparaissent plus haut dans son moteur de recherche. Ainsi, il assure toujours entre le quart et le cinquième du trafic des sites web, de manière assez stable. Mais Google sent aussi la menace. «Facebook est assez astucieuse, analyse Yannick Pinel. Elle s’est bâtie un auditoire monstre, une dépendance. Maintenant qu’elle a ce pouvoir, elle vient chercher l’argent de nos annonceurs. Mais il ne faut pas faire l’autruche, personne n’a les moyens de la boycotter.»
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Le réseau social présente évidemment son modèle comme un avantage, une simplification du travail des entreprises de presse, dont les tentatives d’importer la publicité traditionnelle sur mobile ont échoué. Le hic? Facebook devient alors un éditeur de facto, qui met en avant le contenu de son choix dans ce que les entreprises de presse lui proposent. Les médias cèdent leur contenu en échange de l’inclusion de publicité dans l’application. Au départ, Facebook n’acceptait qu’une publicité par 500 mots dans les articles instantanés. Mais ses partenaires ne réussissaient même pas à payer leurs frais. L’entreprise a dû abaisser le seuil à une publicité par 350 mots. Quant aux espaces non vendus, le réseau social y intègre ses propres publicités en empochant 30% des revenus. «Pour les éditeurs, Facebook est un peu comme ce gros chien qui galope vers vous dans un parc, écrivait David Carr. La plupart du temps, il est difficile de juger s’il veut jouer avec vous ou vous dévorer.» Le festin semble déjà commencé. Prisonniers d’une plateforme unique Convergents, les intérêts des réseaux sociaux et des publicitaires? Sans doute. Ceux des médias? Beaucoup moins. Il s’agit surtout d’une manière de garder le consommateur captif de la plateforme. Instant Articles apporte une denrée beaucoup plus précieuse: les habitudes de consommation média des internautes. Par ses algorithmes, l’application se basera sur les intérêts de ses lecteurs, qui pourraient finir par ne lire que le type de contenu modelé sur leur profil.
ALPHABET (GOOGLE) SIÈGE SOCIAL MOUNTAIN VIEW, CALIFORNIE VALEUR BOURSIÈRE ENVIRON 500 MILLIARDS DE DOLLARS AMÉRICAINS REVENUS 66 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2014 NOMBRE D’EMPLOYÉS 57 000
Autres victimes à venir: les pages d’accueil. Aux yeux des publicitaires, les sites web traditionnels, avec URL, apparaissent déjà comme les prochains vestiges d’un web révolu. La multiplication des bloqueurs de publicités rend de toute façon les bandeaux publicitaires et autres fenêtres pop-up encore moins attrayants pour les annonceurs. Les pages d’accueil ne deviendraient que des vitrines de second ordre, comme les éditions papier. Pour des médias au lectorat moyen, dont le réflexe de taper l’adresse dans la barre de recherche n’est pas automatique comme les grands joueurs, la visibilité dans les fils des réseaux sociaux est indispensable pour s’assurer un lectorat. L’étape du «mobile d’abord» cède la place au «mobile seulement». Mais produire du contenu coûte cher. Et la chute des revenus publicitaires n’a jamais été rattrapée au numérique. Les médias ont perdu plus des deux tiers de leurs revenus publicitaires depuis 2008, en partie à la suite de la crise économique. Le passage vers le mobile les dépouille d’un autre levier. L’autre vampire? La multiplication de divertissements viraux, beaucoup plus rentables. Les sites spécialisés ont complètement perturbé le principe du «coût par mille», c’est-à-dire le prix que les entreprises pouvaient exiger par 1000 vues pour une publicité. Voilà pourquoi le contenu «sérieux» cède souvent le pas au «viral». Dans une économie médiatique où des marques de vêtements paient des stars comme Kendall Jenner et Gigi Hadid jusqu’à 300 000$ pour un selfie vantant leurs produits sur les réseaux sociaux, l’expression marketing de contenu prend un sens beaucoup plus menaçant.
FACEBOOK (1,5 MILLIARD D’ABONNÉS) SIÈGE SOCIAL PALO ALTO, CALIFORNIE VALEUR BOURSIÈRE ENVIRON 300 MILLIARDS DE DOLLARS AMÉRICAINS REVENUS 12,5 MILLIARDS DE DOLLARS EN 2014 NOMBRE D’EMPLOYÉS 12 000
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«LA CHUTE DES REVENUS PUBLICITAIRES N’A JAMAIS ÉTÉ RATTRAPÉE AU NUMÉRIQUE. LES MÉDIAS ONT PERDU PLUS DES DEUX TIERS DE LEURS REVENUS PUBLICITAIRES DEPUIS 2008, EN PARTIE À LA SUITE DE LA CRISE ÉCONOMIQUE. LE PASSAGE VERS LE MOBILE LES DÉPOUILLE D’UN AUTRE LEVIER.» Des sites comme BuzzFeed ont ouvert des bureaux à Toronto, et un poste francophone à Montréal. Vice s’est aussi assuré d’une équipe québécoise. De son côté, Le Journal de Montréal n’a d’ailleurs pas hésité à débaucher de jeunes publicitaires afin de nourrir sa très «buzzfeedesque» section «Sac de chips», confirme Philippe Rincon, directeur du développement numérique chez Québecor. Très peu journalistique, mais hautement cliquable. Pourtant, l’objectif, lui, demeure le même: la «monétisation», soit transformer le contenu en revenus. «Je suis un gars de solution, mais c’est difficile, admet Yannick Pinel. Il y a beaucoup d’impondérables que je ne contrôle pas. Et ceux qui ont mon destin en mains, ce sont des tiers.» C’est encore plus vrai pour des petits marchés comme le Québec. Si une publication anglophone est en droit de reluquer un marché de milliards de lecteurs dans le monde, le marché francophone est autrement plus limité. Les expériences de murs payants ont pour la plupart échoué, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec étant les derniers en date à avoir abandonné l’accès payant à leur contenu, après d’autres géants comme le New York Times. Ici, seul Le Devoir persiste à faire payer l’accès à ses articles. Il faut dire que, malgré une hausse de ses ventes papier, le quotidien peine à retirer suffisamment de revenus publicitaires, notamment en raison d’ententes d’exclusivité négociées par d’autres médias avec des publicitaires, confient deux sources au sein du quotidien. De son côté, La Presse a opté pour un modèle différent en pariant sur la tablette, ce qui force ses clients à adhérer à un concept publicitaire. Les ventes de tablettes se sont cependant effondrées, et les tendances favorisent davantage le mobile. Les experts consultés prédisent tous que La Presse+ devra éventuellement être adaptée pour les téléphones.
Difficile d’en sortir lorsqu’une majorité d’internautes estiment absurde de payer pour l’information, selon une étude du Pew Research Center. La conséquence est inévitable. Les lecteurs délaissant les médias, ces derniers n’ont plus de revenus. Et réduisent leur nombre d’employés, quand ils ne paient pas des tarifs de misère à des pigistes pour le contenu. Quoi qu’il en soit, il est peu probable que Facebook revoie ses conditions afin de mieux partager ses revenus, en raison de son monopole. Les médias semblent contraints d’accepter les règles ou de risquer de disparaître. Ou encore, d’être avalés par d’autres groupes de presse, au prix d’une plus grande concentration des sources. De l’enfer au paradis (fiscal) de Facebook et Google Et ces revenus accaparés par les géants du web, où aboutissent-ils? Vous avez le choix: Google préfère les Bermudes, Apple les îles Vierges, tandis que Facebook privilégie les îles Caïmans. La part de revenus déclarée au Canada est une information privée. Mais les pratiques dites d’«optimisation fiscale», révélées notamment par le Consortium international des journalistes d’investigation, permettent de mieux saisir comment les multinationales créent des filiales afin de se transférer des profits, et ainsi profiter indûment d’avantages fiscaux. Ainsi, l’un des outils les plus lucratifs, mais aussi les plus controversés, s’appelle le double irish, ou «double irlandais». Il permet aux multinationales implantées à Dublin, comme Facebook, Google et Apple, de délocaliser leurs profits vers des paradis fiscaux.
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Par exemple, Google possède deux filiales enregistrées en Irlande. La première transfère les profits récoltés vers les Pays-Bas, avant de les envoyer à sa consœur irlandaise, dont le statut hybride permet à Google de payer ses impôts aux Bermudes. Selon Bloomberg, les économies ainsi réalisées s’élèveraient à plus de 2 milliards de dollars américains par an. Conséquence: si le taux d’imposition des entreprises oscille autour de 26% au Canada en combinant le fédéral et le provincial, Google ne serait dans les faits imposé qu’à moins de 3% en tenant compte des acrobaties fiscales. Dans le cas de Facebook, qui fait aussi appel au «double irlandais», aucune donnée n’est disponible au Canada. Mais il suffit de savoir que l’entreprise a payé un total de 6643$ en impôts au Royaume-Uni en 2014 pour comprendre que les pratiques sont similaires. Autre astuce: Google facturait à ses clients anglais des services offerts depuis l’Irlande, afin de profiter du taux très faible. À l’inverse, d’autres entreprises, comme Starbucks, facturaient à leur filiale anglaise des services rendus dans des juridictions où le taux d’imposition est très faible, comme l’Irlande, afin de profiter des déductions les plus généreuses.
Devant ces pratiques jugées douteuses, le Royaume-Uni a imposé une surtaxe de 25% sur les profits détournés, surnommée la Google Tax. Et à l’automne, devant le flot de critiques, le ministre irlandais de l’Économie, Michael Noonan, a annoncé la fin du «double irlandais». Mais les multinationales comme Facebook, Google et Apple n’y perdront rien. D’une part, l’astuce ne sera abolie qu’en 2020. Mais surtout, d’autre part, elle sera remplacée par une «boîte à brevets», un autre type de niche fiscale qui accorde un taux préférentiel sur tous les revenus tirés de la propriété intellectuelle. Le taux d’imposition des entreprises en Irlande demeurant stable à 12,5% depuis une vingtaine d’années, la boîte à brevets permettra de le réduire à environ 6,5%. Finalement, les multinationales qui profitaient du «double irlandais» ne paieront pas tellement plus d’impôts avec la «boîte à brevets», mais risquent de les payer davantage en Irlande plutôt qu’aux Bermudes.
LES PRÉTENDUES «RETOMBÉES» DE FACEBOOK
Il y a un an, Facebook publiait un rapport commandé à la firme Deloitte, qui estimait ses retombées au Canada à 5 milliards de dollars et 82 000 emplois indirects. À travers le monde, ces retombées atteindraient 227 milliards de dollars américains pour 4,5 millions d’emplois. Le réseau social calculait la facilité d’échanges et le marketing généré par le réseau social. Les deux tiers concernent le marketing. Petit hic: le rôle de «catalyseur» que revendique le réseau social de Mark Zuckerberg a aussi des effets pervers. D’une part, l’investissement est concentré dans des activités de promotion plutôt que dans du contenu. D’autre part, l’étude ne tient pas compte des emplois qui existaient déjà sous d’autres formes dans les médias traditionnels ni ceux qui ont disparus. De 2008 à 2013, la Guilde canadienne des médias estime déjà que plus de 10 000 emplois ont disparus dans le secteur au Canada. Des données auxquelles il faut ajouter les 1500 postes coupés à Radio-Canada, 700 chez Bell Média, 158 à La Presse, pour ne nommer que ceux-là. On pourrait ajouter le coût d’avoir une société plus divertie qu’informée…
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D’ailleurs, 11 pays d’Europe utilisent déjà les boîtes à brevets, dont les Pays-Bas (8%), le Royaume-Uni (10%), l’Espagne (5%) et la France (15,5%). L’objectif étant bien sûr d’attirer la recherche et le développement liés à un brevet dans un pays. Au Canada, des lobbys comme Canadian Advanced Technology Alliance et Manufacturiers et Exportateurs du Canada pressent Ottawa de faire de même. À l’inverse, 62 pays de l’OCDE ont conclu un accord en octobre afin de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales, dont les pertes sont estimées entre 100 et 240 milliards de dollars d’impôts sur les sociétés chaque année. Même les pays blâmés comme l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg ont signé l’entente, qui vise à terme à bloquer les transferts entre filiales. Les mesures risquent toutefois d’être difficiles à appliquer, puisque le système fiscal mondial est encore basé sur des principes centenaires, dont la souveraineté fiscale des États, de même que la résidence physique des entreprises, à laquelle des multinationales virtuelles ont tous les moyens de se soustraire. y
PHOTOS ET VIDÉOS POUR PLUS DE REVENUS?
Pour les médias, la vidéo est le nerf des revenus en raison des publicités qui les précèdent (pré-roll). Mais elle est aussi au cœur des contenus que souhaite gérer Facebook. Si la vidéo est intégrée dans un portail comme YouTube ou Radio-Canada, non seulement elle ne se déclenchera pas automatiquement, mais elle aura peu de portée, puisque les algorithmes favoriseront les vidéos hébergées dans le lecteur Facebook. Le nombre de vues sera multiplié, mais Facebook accaparera la portion la plus importante des revenus avec ses publicités. Là-dessus, Patrick White plaide pour l’équilibre. «On publie certaines vidéos sur Facebook, mais on en garde tout de même plusieurs dans notre console, afin de bien les monétiser sur nos plateformes via la pré-roll publicitaire.» Les photos n’y échappent pas. La radio non plus: Facebook lorgne la mise en ligne d’émissions en podcast, baptisées «audiograms» – en référence aux photos Instagram. Dans ce cas, cependant, les radios parlées publiques, déjà exemptes de publicité, ont moins à perdre.
ILLUSTRATION | JIMMY BEAULIEU, TIRÉE DU LIVRE BLEU NUIT: HISTOIRE D’UNE CINÉPHILIE NOCTURNE, ÉDITION SOMME TOUTE, 2014
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Pornocomédie Avec un Projet de comédie érotique grAnd Public dAns le collimAteur Pour 2016, le cinéAste éric FAlArdeAu Poursuit une œuvre discrète mAis constAnte de stuPre et de FornicAtion. reFerA-t-il du québec un PArAdis de cinémA AFFriolAnt comme dAns les Années 1970? on en rêve Avec lui. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ
En pays neufs
L’érotisme à TQS
Cinéaste et auteur peu connu du grand public, Éric Falardeau s’intéresse de très près au cinéma pornographique et gore. Le livre qu’il a consacré à la série Bleu Nuit rend compte d’une vision plutôt décomplexée et plurielle du cinéma érotique. Avec un mémoire de maîtrise en études cinématographiques intitulé Vers une exposition de la haine: gore, porno et fluides corporels, il n’y avait pas de doute sur les préoccupations esthétiques du cinéaste. Pour Falardeau, tout a débuté à Senneterre en Abitibi. «Je suis un enfant des années 1980. J’ai donc découvert le cinéma comme bon nombre de mes contemporains via la télévision. Le club vidéo a aussi joué un rôle important dans mon éducation, et comme la section horreur était plutôt bien fournie, j’ai développé des affinités avec ce cinéma. Je peux résumer mon éducation comme un croisement entre Eric Rohmer, le cinéma d’horreur et les films produits par la société Troma – mélange de comédies sexy et de films d’horreur de série B ou de films de catastrophe nucléaire.» «Senneterre fut représenté au cinéma avec L’âge de la machine de Gilles Groulx et par le très pittoresque En pays neufs, de l’abbé Maurice Proulx», nous rappelle au passage Falardeau. C’est le lieu de son éducation au septième art avant le déluge 2.0, mais aussi celui où il développe un amour pour la littérature et les personnages. Deux revues joueront un rôle capital dans la formation de son imaginaire, Séquences et ses dossiers thématiques, de même que Fangoria pour ses couvertures de films d’épouvante.
Par-dessus tout, un sujet éveille sa curiosité adolescente: la découverte de la sexualité par le truchement d’une série de films érotiques. C’est le choc Bleu Nuit. «Simon Laperrière et moi étions en compagnie d’un invité du festival Fantasia et parlions de Maple Syrup Porn, une expression attribuée au cinéma érotique québécois des années 1970. Au fil de la discussion, on s’est rendu compte qu’aucun travail n’avait été fait ici au Québec sur notre rapport à la pornographie et aux films softcore. La discussion a vite rebondi sur Bleu Nuit, cette série culte que nous avons tous secrètement regardée dans notre adolescence. Le projet de livre, paru aux éditons Somme toute en 2014, était né.» Bleu Nuit, Histoire d’une cinéphilie nocturne décrypte la série qui a formé une génération de masturbateurs anonymes à travers le Québec avec des entrevues de Guy Fournier, de l’ex-gloire de la porno française Brigitte Lahaie, des critiques de films, des récits initiatiques, des essais (un superbe texte de Samuel Archibald) et de belles illustrations (Jimmy Beaulieu, dont l’illustration est reproduite en nos pages, ainsi que Gabrielle Laïla Tittley, Cathon et Pascal Girard). Ce livre élégant raconte notre rapport à la nuit quand elle s’érotise par le truchement de l’écran cathodique. Un beau travail d’édition qui tente de circonscrire le phénomène Bleu Nuit comme un véritable phénomène culturel qui a défini notre rapport à la chose sexuelle.
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«ce Projet est une tentAtive d’AFFirmer hAut et Fort que lA sexuAlité est d’Abord et AvAnt tout une source de bonheur, de jouissAnce et de joie de vivre.» Un projet de comédie érotique
d’un couple d’êtres humains. La prochaine aventure cinématographique risque d’être fort différente. «C’est l’histoire d’un homme qui est malgré lui entraîné dans une série d’aventures érotiques, car toutes les femmes sont folles de lui, à son grand dam.» Éric Falardeau le décrit comme un «Buster Keaton du cul»… «Ce projet est une tentative d’affirmer haut et fort que la sexualité est d’abord et avant tout une source de bonheur, de jouissance et de joie de vivre. Nous en avons grandement besoin dans un monde où l’imagerie érotique et pornographique n’a jamais été aussi présente (pensons à la publicité) et, paradoxalement, dévalorisée. La présenter de manière positive est en quelque sorte un acte de résistance lui redonnant son potentiel subversif.» Un projet qui nous met en joie. Entre-temps, Éric et son équipe travaillent aussi à un court métrage d’erotic fantasy avec des marionnettes, façon Muppet Show. Les coquins qui fréquentent le Salon de l’amour et de la séduction en ont déjà eu un avant-goût. À suivre. y
Éric Falardeau travaille aujourd’hui sur un projet de comédie érotique grand public inspirée par des titres des années 1970-1980 comme Que les gros salaires lèvent le doigt ou encore On se calme et on boit frais à Saint-Tropez, qui alliaient l’humour à un projet érotique. Il est nostalgique de cette époque du cinéma où la suggestion érotique, plus que le gros plan pornographique, tentait de désacraliser le corps. «Ce sera une comédie “paillarde” inspirée d’une BD italienne. C’est un film coquin, léger et amusant, une proposition à contre-courant qui fait selon moi cruellement défaut dans le paysage cinématographique actuel, une réponse au cynisme et à la vision négative entourant la plupart du temps la représentation du sexe à l’écran. Surtout au Québec où tout est lourd, chargé, intériorisé. Il s’agit d’une comédie érotique qui fait référence autant au cinéma des années 1970 qu’au burlesque à la Buster Keaton, en passant par la comédie parodique américaine des années 1980. Le film est développé comme une coproduction avec la France. On fera des annonces bientôt, mais on a déjà quelques acteurs qui ont dit oui, des légendes du genre!» Ses deux premières réalisations étaient plutôt sombres. Thanatomorphose, son premier long métrage, raconte la lente putrescence d’une jeune fille qui finira par sombrer dans une folie meurtrière. Son court métrage d’animation Butoh raconte le quotidien bouleversé d’une bande de créatures par l’arrivée PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
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UNE SCÈNE DE VALÉRIE (1968) / CRÉDIT ROBERT BINETTE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE UNE SCÈNE DE L’HOMME BLESSÉ (1983), UN FILM DE PATRICE CHÉREAU / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE VALÉRIE À MOTO (1968) / CRÉDIT ROBERT BINETTE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE L’ANGE ET LA FEMME (1977), UN FILM DE GILLES CARLE / COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE
(DE GAUCHE À DROITE)
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vAgue de chAleur 2016 serA l’Année où lA cinémAthèque québécoise, Au cœur d’un été qui s’Annonce brûlAnt, ProgrAmmerA un cycle érotique FAisAnt lA PArt belle Aux stArs dénudées. un bon Prétexte Pour discuter érotisme Au cinémA Avec l’érudit mArcel jeAn. MOTS | CÉLINE GOBERT
«Si l’on se réfère à Bataille, l’érotisme c’est l’échancrure, explique Marcel Jean. Ce qui est le plus érotique, ce sont les six centimètres entre la jupe de la femme et le haut de son bas...» L’idée de consacrer un cycle au cinéma érotique s’est imposée à lui dès son arrivée à la direction de la Cinémathèque en mai dernier quand il s’est fait offrir une copie 35mm des Héroïnes du mal, réalisé par Walerian Borowczyk en 1979. Il y voit l’occasion parfaite d’aborder l’érotisme au cinéma, notion intéressante car mouvante. En effet, depuis longtemps, l’art cinématographique compose avec cette question de la représentation sexuelle. Il y avait même déjà des films érotiques au temps du muet, tel Extase de Gustav Machat? en 1933! «Avec l’évolution sociale et morale, ce qui était érotique à une période ne l’est plus à une autre», développe Marcel Jean, citant Un été avec Monika d’Ingmar Bergman, film de 1953 très inoffensif aujourd’hui. «La manière dont l’héroïne défie les conventions et regarde la caméra, c’est le summum de l’érotisme parce qu’une jeune femme n’assume pas son corps comme cela à l’époque. Cela a donné des fièvres à plus d’un!» À l’inverse, Pretty Baby de Louis Malle, Beau-père de Bertrand Blier ou certains films de David Hamilton paraissent extrêmement choquants de nos jours en raison des relations qu’entretiennent des hommes d’âge mûr avec des adolescentes ou des fillettes. «Ces films étaient diffusés dans des multiplexes. Aujourd’hui, il n’y a plus le même niveau de tolérance dans la société.» Parfois, ces perceptions varient d’un continent à un autre. Si 36 fillette de Catherine Breillat a connu un succès aux États-Unis et au Canada anglais, il n’a pas marqué l’Europe. «Dans l’érotisme, il y a aussi l’exotisme, la façon que l’on a de regarder une autre culture, de s’exciter face à cela.» Monika de Bergman, donc, mais aussi La tour de Nesle d’Abel Gance, Le jeu avec le feu et L’homme qui ment d’Alain Robbe-Grillet, Les lèvres rouges de Harry Kümel, The Rainbow de Ken Russell et des films de José Benazeraf: au total, le cycle présentera une quarantaine d’œuvres issues de divers territoires, y compris le Japon avec ses films érotiques, dits pinku eiga. Au Québec, marqué par la censure, on retrouvera Valérie de Denis Héroux de 1968, qui, sous ses allures moralisatrices, a marqué l’époque. «Il en profite quand même pour montrer des femmes aux seins nus et des scènes de lesbianisme!»
Aussi Deux femmes en or de Claude Fournier de 1970 avec ses deux épouses insatisfaites qui multiplient les relations sexuelles, et Après ski de Roger Cardinal de 1971. «Ici, les femmes enlèvent le bas. On s’ouvre sur une représentation frontale du corps et la possibilité d’un cinéma pornographique québécois qui coïncide avec l’avènement du Nouvel Hollywood.» Un anticonformisme social s’est affirmé dans le cinéma érotique des années 1970. «Aujourd’hui, alors qu’on trouve tout sur le net, le cinéma est extrêmement prude.» Tout est policé: les relations hommes-femmes, la question des libertés sexuelles, les comportements moraux. «Dans le système de financement public actuel, on va vite tout vous reprocher: de fumer une cigarette, de baiser sans condom, tout est piégé à partir de là.» Ainsi, à mesure que le cinéma érotique a déserté les salles, la pornographie 2.0 a proliféré. Dans un tel contexte, comment évoquer le désir et le plaisir? «Excellente question. Le cycle va interroger cela. Il sera impératif d’avoir des discussions, des débats et des colloques.» La période des années 1990-2000 sera donc aussi évoquée avec Baise-moi de Virginie Despentes, 9 Songs de Michael Winterbottom, L’ange et la femme de Gilles Carle et des films de Bertolucci et de Brisseau. Surprise: le salut en la matière pourrait venir des cinéastes d’animation féminines! Les femmes y sont très nombreuses à aborder frontalement la sexualité, de façon plus libre que les hommes, selon Marcel Jean, qui cite des cinéastes comme Yoriko Mizushiri, Michèle Cournoyer, Florentine Grelier, Signe Baumane, et Izabela Plucinska. «Elles ont construit les choses sur une absence de corps et ont ramené la question de l’évocation au premier plan.» Dans une époque où la chair se dévoile à toutes les sauces et sous toutes ses coutures, c’est donc d’un cinéma d’animation sans corps véritable que pourraient jaillir liberté et créativité! y La Cinémathèque prépare ce cycle érotique pour l’été 2016. À suivre.
érotisme Au PAroxysme et s’il ne FAllAit recommAnder qu’un seul Film érotique? notre question A Provoqué des bouFFées d’hésitAtion chez trois cinéPhiles Avertis, qui ont FinAlement trAnché non sAns exulter un Peu… PROPOS RECUEILLIS PAR | NICOLAS GENDRON
ichijo sAyuri, Wet lust, de tAtsumi KumAshiro (1972)
thundercrAcK!, de curt mcdoWell (1975)
crimes oF PAssion, de Ken russell (1984)
La recommandation de Claude R. Blouin
La recommandation d’Antonio Dominguez Leiva
La recommandation d’Izabel Grondin
«Il ne saurait y avoir pour moi LE film incontournable du cinéma érotique, car je considère comme film érotique celui qui situe la dimension du désir sexuel dans le contexte des autres aspirations de l’être humain, que ce soit pour en faire une valeur absolue ou au contraire simplement relative. Citons néanmoins Ichijo Sayuri, Wet Lust, dans lequel Kumashiro brosse un portrait (social aussi bien que psychologique) du milieu des stripteaseuses. D’une belle complexité, ce film, qui appartient au genre roman porno, mérite d’être bien connu hors du Japon. D’autant plus qu’il pose la question des limites entre documentaire et fiction, puisqu’il introduit dans le récit fictif la présence de la stripteaseuse Sayuri jouant son propre rôle.»
«Ce film culte extrêmement étrange, écrit par une icône du cinéma underground américain (George Kuchar), montre ce qu’un cinéma libre aurait pu être si le sexe à l’écran n’était pas devenu le domaine réservé de l’industrie porno et redevenu un tabou absolu du cinéma diffusé en salle (réaction néoconservatrice oblige). Pour cela, bien qu’il fasse davantage rire ou délirer que stimuler les fantasmes du spectateur, je crois que Thundercrack! incarne l’aspect le plus potentiellement subversif qu’ont pu avoir, le temps d’un mirage, les sexes crevant l’écran.»
«Je choisis ce film pour sa polyvalence, sa richesse, son esthétisme incroyable et disjoncté, et la performance inoubliable de Kathleen Turner, sa meilleure à vie. Un film puissant, dérangeant, aux antipodes des Emmanuelle de Bleu Nuit. Surtout un thriller, mais avec une charge érotique très forte pour l’époque. Presque tous les fétichismes y passent: jeux de rôle, simulation de viol, voyeurisme, sexe oral, sadomasochisme, etc. La version originale avait d’ailleurs été largement charcutée; pour voir le film dans son entièreté, il fallait voir la version française. Un film coup-de-poing, dont on ne se remet jamais tout à fait.»
Antonio Dominguez Leiva est codirecteur de la revue numérique Pop-en-stock, mais aussi spécialiste de l’histoire culturelle de la cruauté et de l’érotisme. Parmi ses ouvrages sur la question, notons Esthétique de l’éjaculation et L’amour singe.
Izabel Grondin est une réalisatrice prolifique de courts métrages (Aspiralux, Fantasme), abonnée des festivals qui célèbrent le cinéma de genre, tels que SPASM et Fantasia. Avec DJ XL5, elle a coréalisé Sexxx. Sexualité et cinéma québécois.
Claude R. Blouin est critique de cinéma, auteur et enseignant, en plus d’être un spécialiste du cinéma nippon. Il vient de faire paraître en novembre l’essai Le cinéma japonais et la condition humaine.
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normAnd bAillArgeon PRISE DE TÊTE
PhilosoPhie de l’exPertise Les procès Turcotte, durant lesquels, par deux fois, des expertises ont été convoquées et contestées, nous ont rappelé combien est complexe et incontournable cette question de l’expertise pour les tribunaux. Mais elle l’est aussi, plus généralement, pour les politiques publiques et pour la vie démocratique elle-même, où chacun est présumé s’informer avant de se prononcer. Platon, déjà… Chez Platon, déjà, ces questions sont soulevées; et selon son habitude, le philosophe va directement au cœur des choses. Avec son sens aigu des vrais et profonds problèmes, il demande, en effet, non seulement ce qu’est l’expertise, mais aussi – et c’est la question des questions – comment le novice peut la reconnaître. Si on y pense, on verra que c’est la difficile situation dans laquelle nous nous trouvons tous, très souvent, à moins d’être expert dans un domaine, ce qui nous épargne cette difficulté, mais pour ce domaine d’expertise uniquement. Qu’est-ce donc que l’expertise? Pour les besoins de ce texte, posons ceci, qui est justement inspiré de la définition du savoir de Platon. Savoir, dit-il, c’est tenir pour vraie une proposition qui l’est en effet, et la tenir telle pour de bonnes raisons. Par exemple, je peux savoir que la Terre est ronde si elle l’est en effet (je ne peux pas savoir que la Terre est rectangulaire…) et si je la tiens pour telle par de bons arguments – et pas en répétant la phrase: «La Terre est ronde», sans la comprendre, ou pour toute autre raison qui ne serait pas un bon argument. Un expert ou une experte, en ce sens, est une personne dont on peut raisonnablement penser qu’elle donnera généralement pour vraies, dans le domaine où elle est experte, des propositions qui le sont en effet,
et qui aura pour ce faire de bonnes raisons, de bons arguments. Reste la deuxième et redoutable question: comment la reconnaître si on n’est pas soi-même un expert? Pire encore: comment l’évaluer, là où les avis d’experts divergent? Comment un membre d’un jury (ou un juge), sans connaissance psychiatrique particulière, peut-il évaluer les différents avis d’experts entendus sur les effets de l’ingestion de lave-glace sur la lucidité? Comment un citoyen ignorant de ces choses évalue-t-il toutes ces opinions émises ici et là sur les éventuels dangers d’un déversement de quelque huit milliards de litres d’eau contaminée dans le fleuve Saint-Laurent? Comment un citoyen novice en économie se fait-il une idée des avis divergents entendus sur la pertinence de consentir à creuser le déficit national afin de relancer l’activité économique? Ces questions nous posent de redoutables défis. En me plaçant sur le terrain politique, je souhaite avancer deux choses. La première: qu’une part de la solution est connue depuis longtemps; la deuxième, que le monde actuel rend la question de l’expertise plus complexe que jamais. Expertise et démocratie: les formes de savoir Les citoyens d’une démocratie, qui sont théoriquement des gouvernants en puissance, doivent donc, à ce titre, se prononcer en toute connaissance de cause sur une multitude de sujets où elles et ils ne sont pas experts. Problème insoluble? On a pourtant, depuis longtemps, imaginé une solution pour le résoudre. Ce qui devrait les outiller pour ce faire, pense-t-on, c’est l’éducation: et c’est justement pour cette raison qu’on a conçu l’instruction publique, gratuite, offerte à chacun et même obligatoire.
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Cette éducation devrait permettre à chacun de faire un vaste survol des domaines du savoir humain, permettant non de devenir expert, chose impossible, mais au moins de comprendre comment les choses fonctionnent dans chacun de ces domaines, en nous arrachant au statut de complet novice. Les domaines couverts pourraient bien être ceux que le philosophe Paul Hirst identifiait comme autant de «formes de savoir», chacune étant caractérisée par des concepts spécifiques et des manières de formuler et de valider des propositions. Pour mémoire, Hirst distinguait sur cette base les domaines suivants: mathématiques, sciences naturelles; sciences humaines; histoire; religion; littérature et beaux-arts; philosophie. Ainsi formé, ayant reçu ce type d’éducation qu’on appelait autrefois libérale, on n’est certes pas expert, mais on est minimalement outillé pour déceler les faux experts et même pour engager la conversation avec un expert supposé. Discutant avec un négationniste, on sait comment on raisonne en histoire, comment on établit un fait historique, et bien d’autres choses encore; devant un climatosceptique, on sait ce que signifie expérimenter en sciences naturelles, ce qu’est le méthane, etc.; devant un partisan de telle pratique médicale douteuse, on sait ce qu’est une méta-analyse; et ainsi de suite. Tout cela ne règle pas tous les problèmes, d’autant que les savoirs prolifèrent, que des experts peuvent diverger d’avis et que des valeurs entrent aussi en jeu pour justifier nos décisions. Mais c’est indispensable. D’autres indices devraient encore aider le novice à identifier les experts: ce sont toutes ces marques sociales de la reconnaissance de l’expertise. Les diplômes, l’appartenance à un ordre professionnel, à une institution, une pratique reconnue par des pairs, en sont quelques-uns.
CUISINER POUR LES FÊTES A ÉPUISÉ VOTRE ORIGINALITÉ ?
Pizza 10 po chorizo et fromage cheddar en grains
Roulé au smoked meat et légumes marinés maison
Expertise et démocratie: les nouvelles menaces Et c’est ici que se passent dans nos sociétés des choses profondément troublantes, à savoir la perversion de l’expertise par le marché et le commerce. L’achat d’experts par les pétrolières pour mettre en doute la réalité du réchauffement climatique anthropique en est un gravissime exemple. La soumission de la recherche scientifique aux demandes de l’industrie en est un autre, et le cas des pharmaceutiques nous montre, si besoin était, les effets délétères que tout cela peut avoir sur la catégorie d’expertise, sur l’éthos du service public et sur la science, qui sont alors profondément pervertis. Le récent et trop long muselage des scientifiques canadiens par le gouvernement Harper, afin de protéger des intérêts économiques, en est encore un autre. Ce qui est alors menacé, c’est la vie démocratique elle-même, plus exactement la conversation démocratique, qui ne peut se passer de l’apport des experts – en mathématiques, sciences naturelles; sciences humaines; histoire; religion; littérature et beaux-arts; philosophie, dirait Hirst. Le soubresaut citoyen qui s’impose commence par la reconnaissance de ce fait. Il demande aussi la défense d’une éducation libérale, publique et gratuite. Vaste et urgent programme. Vous pouvez m’en croire: je suis un expert… y
Boulettes à l’italienne
Whoopie pie aux trois chocolats
7 RESTAURANTS DANS LA RÉGION DE QUÉBEC lapiazzetta.ca
SAVOUREZ L’ORIGINALITÉ
SALADE DE LÉGUMES CUITS ET DE GRILLONS RÔTIS
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bestioles en casserole l’entomophagie, ou la consommation d’insectes, est en train d’envahir notre système alimentaire. MOTS | NOÉMIE C. ADRIEN
En 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture faisait paraître le fruit d’une recherche de dix ans portant sur le rôle des insectes dans la sécurité alimentaire et la sauvegarde de l’environnement. Le rapport prévoyait la hausse de la population mondiale jusqu’à 9 milliards de personnes d’ici 2030, ce qui entraînerait une augmentation de la production alimentaire humaine et animale ainsi qu’une empreinte environnementale alarmante. Une question y était soulevée: comment nourrir un plus grand nombre de personnes avec autant de ressources, voire moins? La solution proposée? En mangeant des insectes, car contrairement au bétail traditionnel, ces sauveurs à six pattes requièrent considérablement moins de nourriture et d’eau et émettent des quantités minimes de gaz à effet de serre, tout en comportant une valeur nutritive autant élevée, sinon plus. Si l’entomophagie s’éloigne diamétralement du régime alimentaire de l’Occident – jusqu’à y susciter le dédain –, elle a toujours fait partie de l’alimentation humaine et est encore aujourd’hui pratiquée par plus de 2 milliards de personnes dans nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. En entendant parler de consommation d’insectes au Québec, beaucoup d’individus de la génération Y pensent d’emblée à la fête annuelle Croque-insectes qui a eu lieu à l’Insectarium de Montréal de 1993 à 2005, attirant jusqu’à 30 000 visiteurs chaque année. Plus ludique que
PHOTO | JEAN-LOUIS THÉMIS
théorique, l’activité invitait les gens à relever le défi de déguster des bestioles apprêtées gastronomiquement, telles que des phasmes, des grillons et des scorpions. Jean-Louis Thémis, professeur à Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et auteur du livre Des insectes à croquer, a longtemps été chef de l’événement. «Je me suis mis à m’intéresser à la consommation d’insectes en apprenant que le quart de la planète en mangeait non pas par nécessité, mais par gourmandise», relate-t-il. Comment expliquer ce goût recherché et, surtout, comment l’adapter à la cuisine traditionnelle? «Il y a beaucoup de chitine dans les insectes, c’est la même qu’on retrouve dans les crustacés, avance le chef. Il est donc facile de faire des parallèles avec les recettes classiques, en faisant des bisques de sauterelles, par exemple. Quand l’insecte est sous forme de larve, il est plus charnu, plus près de la viande; on peut donc en faire des terrines, des farces, des sauces à spaghetti… Il est aussi possible de remplacer le bacon ou le lard des salades par des grillons sautés, poursuit-il. C’est vraiment croustillant et il y a un petit goût de noix. On finit par s’habituer à la forme, ce n’est pas si différent d’une crevette finalement…»
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«les insectes font déjà partie de la diète naturelle des animaux. du côté des humains, il y avait un risque que ça reste longtemps un produit de niche…» «Ce qui m’intéresse dans l’entomophagie, c’est le côté gastronomique, insiste le chef. Je n’aime pas beaucoup le langage alarmiste, ça fait peur aux gens. Les Nations Unies qui disent qu’on n’aura bientôt plus le choix de manger des insectes… Ce n’est pas très invitant, alors qu’ils sont en fait savoureux!» Malheureusement, la barrière du dégoût est bien présente chez nous, contrairement à l’Europe, par exemple, où plusieurs chefs étoilés ont intégré les insectes à leur carte. On pense à David Faure du restaurant Aphrodite à Nice qui sert des grillons, des vers de farine et des larves de ténébrion meunier dans son menu Alternative Food. Ou encore au Nordic Food Lab, au Danemark, laboratoire mis sur pied par le célèbre René Redzepi (du restaurant Noma) pour développer des recettes destinées aux non-initiés à l’entomophagie. On leur doit, entre autres audacieuses découvertes, le Anty Gin, un gin distillé à partir de fourmis rousses des bois. «Ici, ce n’est pas encore évident. Il y a un vrai travail à faire auprès des chefs», de conclure le chef Thémis. L’un d’entre eux se risque à intégrer l’entomophagie au menu d’un restaurant mexicain de Montréal une fois par mois, en proposant une table d’hôte où les insectes sont à l’honneur de chaque plat; un concept tout de même cohérent puisque ces derniers font déjà partie de la cuisine mexicaine. S’approvisionnant chez Gourmex – entreprise québécoise qui importe des produits gourmets du Mexique –, le chef de La Selva, Ali David Caro Garcia, sert de l’ahuautle (caviar de moustique), des gusanos de harina (vers de farine), des chapulines (sauterelles) et des cocopaches (type de coquerelles) à des clients curieux. «Lors de ces soirées, mon but n’est pas de remplir le restaurant, mais bien de sensibiliser les gens», précise-t-il.
D’autres entreprises d’ici tentent tranquillement d’introduire l’entomophagie dans l’alimentation, mais le font le plus souvent par l’entremise de produits transformés. Riche en fibres, en acides gras et en vitamines, la protéine d’insecte constitue un parfait nutriment à ajouter aux barres tendres, par exemple, et, ainsi transformé, aucun risque que la forme de l’insecte répugne le consommateur. Confrontés à ces préjugés, trois jeunes entrepreneurs interpellés par les façons alternatives de se nourrir et l’utilisation intelligente des ressources ont choisi de miser sur la consommation animale d’insectes plutôt qu’humaine lorsque vint le temps de se lancer en affaires. «Les insectes font déjà partie de la diète naturelle des animaux. Du côté des humains, il y avait un risque que ça reste longtemps un produit de niche…», estime l’un des cofondateurs de BugBites, Philippe Poirier. Leurs gâteries pour chien promettent de transformer votre pitou en superhéros à la rescousse de la planète, une bouchée à la fois. Comment s’y prennent-elles? En remplaçant les protéines de poulet ou de bœuf traditionnellement utilisées par de la farine de grillon, BugBites réduit la quantité de nourriture, d’espace et d’eau – chaque sac en sauve 35 litres – requis pour nourrir les animaux. Offertes en deux saveurs – bananearachides et pomme-canneberges –, les gâteries font l’unanimité, tant chez les clients canins qu’humains. Le trio convoite à présent le marché félin. Si l’idée d’ingérer des bestioles fait encore grimacer plusieurs d’entre nous, une telle révolution dans la façon de nourrir nos animaux de compagnie représenterait un pas significatif dans la bonne direction. Tous ensemble pour l’écoresponsabilité alimentaire en 2016? Une résolution pas piquée des vers! y
JEAN-LOUIS THÉMIS
JEAN-LUC BOULAY
RESTOS survivre à 2016 à quoi ressemblera la restauration en 2016? trois chefs se prononcent. jean-luc boulay (saint-amour, chez boulay), ian perreault (chez lionel) et danny saint pierre (la petite maison). MOTS | GILDAS MENEU
Fini le kale, 2016 est l’année des légumineuses. La joue de veau, c’est tellement 2010, pensez boudin noir! Chaque début d’année nous amène sa logorrhée de tendances alimentaires concoctée par de plus ou moins influents consultants en marketing alimentaire. Les chefs, eux, se décarcassent pour trouver la recette gagnante qui garantira la survie de leur restaurant. Opinions croisées de trois chefs d’expérience. Les prix Nos chefs semblent obsédés par trois choses: les prix, les prix et les prix. Jean-Luc Boulay, du chic restaurant Saint-Amour à Québec et auteur du bistro plus informel Chez Boulay l’affirme d’entrée de jeu: la gastronomie est de moins en moins rentable. Le mouvement bistronomique a créé une vague d’enthousiasme chez les cuisinomanes. «Notre nouvelle clientèle, les 30-40 ans, n’aime pas forcément cuisiner, veut voir du monde, prendre une bière et un tartare.» Exit le foie gras, la truffe et autres produits de luxe, la tendance est à travailler les produits moins nobles. Avec l’explosion des prix des aliments, les chefs sont en déroute. «Le client est de plus en plus informé, reconnaît Ian Perreault. Il est au courant des prix et me prend pour un voleur dès que je demande un montant trop cher.»
3AVOUREZ LA CUISINE DE $OMINIC *ACQUES DANS UNE AMBIANCE CHALEUREUSE
DANNY ST PIERRE photo | AndrĂŠanne Gauthier
IAN PERREAULT
Même son de cloche du côtÊ de Danny Saint Pierre, qui entreprend l’ouverture d’un nouveau restaurant à MontrÊal. Les clients consomment diffÊremment. Ils sont curieux. Nous sommes devenus une nation de foodies, mais c’est la guerre des prix. La multiplication des bonnes tables, que ce soit à QuÊbec ou à MontrÊal, a rendu le cuisinomane particulièrement infidèle. La solution? L’excellence du service. La constance, c’est le mot-clʝ, pour Ian Perreaut. Constance dans la qualitÊ des ingrÊdients et des prix raisonnables. Et dans un service compÊtent, qui maÎtrise le menu, qui devient l’alliÊ du client. On a eu tendance à rendre la restauration Êlitiste, remarque Danny Saint Pierre. De nombreux restos ont une belle carte des vins, un sommelier‌ Il y a de la compÊtence, mais ça crÊe aussi de la distance. On peut aussi penser à un beau casse-croÝte, accessible. Ou à une bonne pizza bien faite.
J’ai remplacÊ de nombreux produits importÊs par des produits locaux: l’argousier, le sapin baumier, la fleur de sureau, le sirop de bouleau ou encore l’huile de pÊpin de canneberge. Des dÊlices! Et les plats vÊgÊtariens? Au Saint-Amour, il y en a toujours un. À Boucherville? Pas vraiment, avoue Ian Perreault. Danny Saint Pierre mettra plus d’Ênergie dans cette catÊgorie de plats, sachant que dans son quartier (le Mile-End), la demande est plus forte. Et ça tombe bien, car les plats vÊgÊtariens sont moins chers à produire. Mais il faut bien les cuisiner. On travaille la feuille de tofu en sandwich à l’oignon avec notre pain ciabatta maison. Le tofu est braisÊ, parfumÊ au vermouth, à l’ail et à la muscade.
Les aliments Stimuler les papilles est l’autre enjeu d’envergure. Chez Lionel, les ventes de viande ne sont pas en baisse. Comme si les gens mangeaient moins de viande à la maison, mais venaient en manger à mon restaurant. Les tartares ont la cote. Cette annÊe, je vais travailler le poulet. Un bon poulet rôti peut battre le canard ou le lapin, c’est extraordinaire. Chez Danny, ce seront... les œufs. Je fais une omelette extraordinaire. Surtout à l’heure des brunchs. Jean-Luc Boulay travaille le maquereau, le brochet en farce, le lapin, qui est encore une viande rentable car peu connue. Au bistro BorÊal, on travaille les petits fruits et les herbes de la forêt borÊale.
IntolÊrances et allergies Autre dÊfi: rÊpondre aux exigences multiples de la clientèle. Au Saint-Amour, une commande sur trois concerne une intolÊrance ou une allergie alimentaire. Danny Saint Pierre, lui, prÊpare un pain au maïs sans gluten. À Boucherville, Ian Perreault travaille fort pour qu’il n’y ait pas d’allergènes, pas d’arachides et des desserts sans noix. D’ailleurs, les desserts changent. Jean-Luc Boulay et Ian Perreault l’avouent: ils ont coupÊ dans le sucre, et dans le gras. Les gens mangent moins de dessert, c’est clair, reconnaÎt le chef du Saint-Amour. Il faut les travailler moins sucrÊs et moins riches. Le tout est d’avoir des valeurs refuges, dit Danny St Pierre. Il faut que le client ait envie de revenir, et ça, ça passe par les humains. La restauration, c’est d’abord une question de mise en scène. y
3UCCOMBEZ Ă‹ NOTRE CUISINE SAISONNIĂ’RE QUI MARIE LES RICHESSES DE NOTRE TERROIR ET LES SAVEURS VENUES DgAILLEURS POUR FAIRE PLACE Ă‹ LA DĂ?COUVERTE
"25.#( s ,5.#( s 3/50%2 RUE 3AINT 0AUL LEQUAI COM
où manger ★★★★★ DU GRAND ART ★★★★ TRÈS BONNE TABLE ★★★ BONNE TABLE ★★ SATISFAISANTE ★ PASSABLE
légende par la tanière (255, Rue Saint-Paul, 418 614-2555) ★★★★★ Avec Légende, les gens de La Tanière ont réussi un coup de maître: maintenir leurs standards de qualité dans une formule accessible. L’ambiance dénuée de prétention se prête à la découverte enthousiaste des splendides assiettes, offertes en format entrée ou plat, où produits de la pêche locale, canard, bœuf ou abats brillent grâce à des accompagnements savamment réfléchis. Avec son bois pâle, sa brique et ses superbes luminaires, la déco épate tout autant, ses nombreuses lignes verticales nous poussant vers le septième ciel que la cuisine achève de nous faire atteindre.
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l’atelier
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(624, Grande Allée Est, 418 522-2225) ★★★ Le premier bar à cocktails de la capitale poursuit son petit bonhomme de chemin en offrant toujours une ambiance propice à la bamboula entre amis et une liste de créations à boire qui rivalisent d’audace dans la composition et d’originalité dans les intitulés – à preuve, le Bloody Mutant Ninja Turtle, contenant entre autres saké, sauce ponzu et feuille de nori. Pour accompagner ces boissons novatrices, on a le choix entre burgers, bavette de bœuf, salades et tartares, dont l’un, de style surf and turf, superpose bœuf et homard (et est excellent, d’ailleurs).
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petits creux & grands crus (1125, Avenue Cartier, 581 742-5050) ★★★ Enfin, le créneau désert des bars à vin à Québec compte un digne représentant! Tenu par deux Corses d’origine, Petits Creux & Grands Crus propose des planches simples et de qualité pour escorter la vingtaine de vins listés sur le mur-ardoise. Des pinards bios, d’importation privée et d’origines variées que le proprio connaît sur le bout des doigts, chérit avec tendresse et vous conseille avec finesse. On compte plusieurs plats spécialités de l’île de Beauté, comme le migliacci (galette corse au féta) et le fiadone (gâteau au fromage frais et citron). Une adresse toute désignée pour festoyer en faisant de réjouissantes découvertes.
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portofino (54, Rue Couillard, 418 692-8888) ★★★ Dans un décor rafraîchi, plus chic et actuel, mais laissant toujours une place de choix aux vieilles pierres et à divers objets liés à la course automobile, on sert avec le sourire une cuisine italienne aux saveurs franches et marquée du sceau de l’abondance. Rarement aura-t-on mangé un risotto aux fruits de mer aussi débordant de moules, pétoncles, palourdes et crevette géante. Idem pour les linguine al nero (à l’encre de seiche). Des plats très généreux, comme le veut la tradition italienne. Autre adresse à Sainte-Foy, plus axée sur la fête et le nightlife.
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la casa mexicana (853, Avenue Myrand, 418 688-2158) ★★ Située en secteur estudiantin, La Casa Mexicana a de quoi séduire. Les produits y sont frais et bien apprêtés, et on rehausse le tout au moyen de diverses sauces piquantes, selon notre tolérance à la chaleur en bouche. Des nappes écarlates et de jolis abat-jour aux reflets colorés qui pendent du plafond rendent l’ambiance chaleureuse. Nos coups de cœur: les quesadillas, la horchata (boisson sucrée à base de lait, de riz, d’amandes et de cannelle) et la considérable carte de téquilas. Avis aux fêtards: des spectacles de musique latine font lever le party le samedi soir!
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olio cuisine découverte (2815, Boulevard Laurier, 418 658-2583) ★★★ L’effervescent boulevard Laurier s’est enrichi d’une nouvelle table avec l’ouverture d’Olio, qui compte sur une carte hétéroclite et rassembleuse, quasi certaine de convenir à toutes les envies. Si on reste en terrain connu avec la bruschetta, la planche de charcuteries-fromages et le gravlax de saumon à l’aneth, nos papilles entrent en mode exploration avec la pieuvre marinée au mirin et à la lime ou le tataki de thon à l’émulsion d’olives Kalamata. Malgré les nombreuses couleurs qui habillent les banquettes, l’ambiance de soir a un petit quelque chose d’intime. Une adresse à retenir, entre autres pour les fringales postmagasinage.
PHOTOS | GUILLAUME D. CYR
54 | LIVRES
Sur les rayons
CORPS CONDUCTEURS SEAN MICHAELS
UNE JOLIE FILLE COMME ÇA MOTS | FRANCO NUOVO
PHOTO | RETROATELIER
Je suis bien loin de mon petit bouquiniste de la rue Saint-Hubert où, gamin, m’enfargeant dans mes lacets, je courais acheter mes Bob Morane. Or, c’était hier. Aujourd’hui, les librairies de nos sociétés souffrent, comme le reste, d’obésité morbide. En y entrant, il y a cette montagne de livres qu’on croit toujours la même et qui nous saute au visage. Un étalage presque agressant tant il frôle l’ostentation. Un puzzle en trois dimensions où chaque morceau, chaque roman, nouveau pour la plupart, a le cœur marqué au fer rouge sans que je comprenne trop, d’ailleurs, pourquoi on colle un cœur à celui-ci et pas à celui-là. Il faut donc choisir. Le titre? L’auteur? Ce qu’on en a dit à Plus on est de fous… ou à Lire? La première de couverture? Après avoir pris le dernier Umberto Eco en main, parce que, comme tous, j’ai aimé Le nom de la rose et Le pendule de Foucault, parce que j’admire le penseur, l’intellectuel, parce qu’il est italien peut-être aussi… après avoir calé son Numéro zéro sous le bras, j’ai continué l’excavation.
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Éditions Alto, 392 pages «J’étais Léon Termen avant d’être le docteur Thérémine, et avant d’être Léon, j’étais Lev Sergueïevitch.» Dès l’ouverture de ce roman, on comprend que le personnage dont il sera question est multiple. Léon Termen est ce scientifique qu’on a surnommé le «Edison russe», rendu célèbre par l’invention de cet instrument de musique à la gloire bien éphémère, le thérémine. La vie de Léon Termen, d’abord ingénieur à Leningrad, avant d’être la coqueluche de New York et de finir prisonnier dans un goulag, a quelque chose de romanesque avant même qu’on y insuffle de la fiction. C’est cette vie qu’on tentera de circonscrire dans ce premier roman de l’auteur anglo-montréalais Sean Michaels, chroniqueur et blogueur musical, lauréat du prestigieux prix Giller. La majorité de l’histoire nous est narrée par Termen lui-même, alors confiné dans une cellule à bord du Stary Bolchevique, bateau qui le ramène en Union soviétique après plus d’une décennie sur le continent américain. C’est durant les Années folles, en plein cœur de Manhattan, qu’il trouvera l’amour de sa vie, «la plus grande joueuse de thérémine que le monde connaîtra jamais». Michaels s’intéresse surtout à la période américaine de Termen, cet amour impossible, les rencontres de tout le gratin new-yorkais de l’époque – de Somerset Maugham en passant par Sergueï Eisenstein et Glenn Miller –, la crise financière qui frappera à la fin des années 1920 et la montée d’une tension palpable à l’égard de l’Union soviétique. Tour à tour amoureux candide, ingénieur endetté et espion soviétique, Léon Termen nous sert son histoire un peu comme une grande lettre adressée à Clara Rockmore, celle qui n’a pas voulu de lui alors qu’il avait le monde à ses pieds. Sean Michaels parvient à construire son roman avec brio, jouant sur différents temps narratifs en gardant bien le lecteur dans l’angle mort de la révélation. Reste que beaucoup de l’action semble se dérouler en filigrane, sans jamais prendre réellement vie, tant l’effervescence new-yorkaise que l’âpreté du goulag demeurent plutôt quelconques. «Ce livre est surtout fait d’inventions.» Tel est l’avertissement de l’auteur en ouverture du bouquin. On comprend donc rapidement qu’il s’est donné la liberté de s’approprier la vie rocambolesque de son personnage dans un premier roman assurément ambitieux et somme toute intéressant. (Jérémy Laniel)
Sur les rayons
UNE MOUCHE EN NOVEMBRE LOUIS GAGNÉ Le Quartanier, 136 pages Bienvenue à Ludovica, ville où la grisaille d’automne semble perdurer plus longtemps qu’à son habitude, où tout n’est que détails. Dans Une mouche en novembre, ce premier roman de Louis Gagné, le lecteur doit accepter d’errer dans une ville autant inconnue que singulière. L’errance se fait par tableaux, où les drames sont quotidiens. Ou peut-être bien que le quotidien est dramatique. C’est dans ces incertitudes que nous plonge la narration de Boniface Saint-Jean, un homme récemment licencié qui ne cessera d’être hanté par ce temps libre laissant trop de place au présent. «J’ai peu de souvenirs précis. Ce n’est pas tant que j’oublie, mais le présente occupe toute la place.» Ici, les enfants naissent dans des gares, les nœuds de cravate nous obnubilent et les chiens rodent. Ludovica est le nom que Champlain désirait donner à Québec, nous voilà donc plongés dans une ville du passé, une ville du fantasme, au carrefour du réel et de la fiction. Un roman où le lieu englobe tout le roman, cette inquiétante étrangeté comme un brouillard où les personnages se perdent et où le lecteur se retrouve avec grand plaisir.
À Ludovica, une petite fille disparaît, quelqu’un brûle, alors qu’encore et toujours, les chiens aboient, quelque chose comme une rare certitude. «De nulle part me parvient une sorte de prélude, un bourdonnement intermittent.» Oui, il y a quelque chose d’intermittent dans ce livre, d’étrange et de beau. Une volonté de se perdre dans l’imaginaire, de chercher des attaches et de s’accrocher aux mots. (Jérémy Laniel)
«SACHEZ QU’IL RESTE LE DRAME DES ESPOIRS PERDUS ET DES AMOURS INAVOUÉES. IL RESTE MÊME UN SOUPÇON DE NÉORÉALISME SOUS LA PLUME D’UN AUTEUR CAPABLE DE ROMANCER LA VRAIE VIE.»
Comme un enfant, intrigué, j’y suis allé tout bêtement pour l’image et pour la photo. En fait, pour cette jolie fille aux cheveux laqués, aux yeux si clairs et tristes, à la bouche que je devine, même sur ce portrait en noir et blanc, aussi rouge que pulpeuse. Je la trouvais belle. Belle et élégante comme une starlette des années 1950, comme une de ces égéries fréquentées, au lendemain de la guerre, au Stork Club de Manhattan par les écrivains, dont le très laid Truman Capote qui a dit un jour: «Les actrices sont plus que des femmes et les acteurs sont moins que des hommes». Il n’aurait su si bien dire puisque c’est un peu de cela qu’il s’agit dans Une jolie fille comme ça, un roman sorti d’un autre monde, celui de l’illusion, de la désillusion et du factice qui mènent inévitablement à la catastrophe. Je dis d’une autre époque, parce que ce récit cruel a été écrit en 1958. Et voilà que, presque 60 ans plus tard, on vient de le traduire. Pourquoi cette longue attente si, aujourd’hui, libraires et lecteurs sont prêts à lui donner leur cœur? En toute honnêteté, je ne connaissais pas cet auteur, ce Hayes, Alfred Hayes, Britannique de naissance comme Bond, James Bond; et qui n’a écrit que 007 bouquins. Mais, franchement, ce n’est pas son œuvre littéraire qui m’a incité à m’arrêter ni la femme aux yeux qui font oublier la grisaille de l’hiver. Comme vous, comme elle, comme lui, dans les mêmes circonstances, j’ai lu ce qu’en disait la quatrième de couverture. Le résumé habituel susceptible d’appâter le lecteur. On y parlait déjà des ambitions démesurées, des rêves évanouis à Hollywood et de cette ironie qui sauve ces ambitieux et ces rêveurs. Dans ma tête, le roman, je l’avais déjà acheté. Or c’est le court passage sur Hayes qui a fait que je n’ai pu m’en échapper.
> Ce type, tout à fait de son époque, né au début du dernier siècle et mort dans les années 1980, a été poète, scénariste et, bien sûr, romancier. Scénariste à Hollywood! Bon! Compte tenu du contexte, je ne me suis pas étonné outre mesure qu’il ait travaillé entre autres avec John Huston, ce qui n’est quand même pas rien. Non, mon étonnement est venu du fait qu’à la fin de la guerre, ce militaire engagé sous le drapeau américain s’est installé à Rome. Je le comprends. Bref, la légende veut (si légende il y a) que ce Hayes, déambulant par un beau soir d’été sur la Piazza di Spagna ou la Navona ou au Trastevere, se soit assis à une terrasse pour flâner, comme seul on flâne dans la Ville éternelle qui a devant elle tout son temps. Quelques hommes sont attablés à la table voisine: Rossellini; Fellini aussi. Hayes se joint à eux. Ils discutent. Ainsi, sont jetés, selon la légende, les jalons d’un des chefs-d’œuvre du néoréalisme italien, la trilogie formée de Rome, ville ouverte, Paisà (avec l’unique Anna Magnani) et Allemagne, année zéro. C’est ainsi, aussi, que Hayes devient un des scénaristes de ce courant cinématographique et qu’après avoir bossé avec Rossellini, on retrouve son nom au générique du Voleur de bicyclette de Sica. J’ai acheté le livre, bien sûr. Comment résister? Une jolie fille comme ça était sortie de l’imagination de cet homme au destin peu commun. Je sais, je n’ai pas glissé un mot du roman, ni de cette beauté dont on ne connaît même pas le nom, pas plus d’ailleurs que celui du héros. Sachez qu’il reste le drame des espoirs perdus et des amours inavouées. Il reste même un soupçon de néoréalisme sous la plume d’un auteur capable de romancer la vraie vie. y
Une jolie fille comme ça Alfred Hayes, Gallimard, coll. «Du monde entier», 2015 176 pages, 31,95$
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UKRAINE À FRAGMENTATION FRÉDÉRICK LAVOIE La Peuplade, 264 pages Il y a un an de cela, le journaliste indépendant Frédérick Lavoie assiste aux funérailles d’Artyom, 4 ans, à Donetsk en Ukraine. Il y voit un cercueil trop petit pour un conflit trop grand. Alors sur place pour couvrir cette guerre ayant éclaté au cœur du pays, il tentera de comprendre comment une roquette a pu venir s’échouer dans le salon de ce dernier. Dans Ukraine à fragmentation, Lavoie s’adresse au jeune Artyom. «Il va de soi que tu ne méritais pas de mourir. Tu mérites au moins de savoir ce qui t’a valu la mort.» Au détour de cette lettre, ce sera tout le conflit ukrainien qui sera mis en lumière par l’enquête que l’auteur mènera. Il ne se contentera pas des mascarades que peuvent être les conférences de presse menées par les différents partis, c’est plutôt dans les bars et les cafés, entre l’hôpital et la morgue, qu’il rencontrera ces gens qui, comme autant de fragments, construiront pour nous l’Ukraine éclatée dont il est question. À travers différents témoignages tantôt assombris par le deuil, tantôt grisés par l’alcool, l’auteur parvient à tisser les tenants et aboutissants d’une guerre qui n’a rien de simple. Évitant les généralisations hâtives inhérentes à ce genre d’entreprise, l’écriture est à la fois grandiose et retenue, avec l’urgence de dire et le respect du deuil. Tel un metteur en scène, Lavoie est là, dans l’ombre, laissant les différents acteurs s’exprimer, s’expliquer, sauf qu’à la fin, le rideau ne tombera pas et les morts resteront tapis au sol. (Jérémy Laniel)
59 | ARTS VISUELS
L’affaire avait fait grand bruit en juillet 2011: à l’occasion de la venue de William et Kate, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, avait fait remplacer un diptyque de Pellan par un portrait de la reine. Amateurs d’art, toutes allégeances politiques confondues, avaient décrié le geste. Changement de gouvernement, changement de décor: en novembre 2015, Canada Ouest et Canada Est reprennent leur place à l’édifice Lester-B.-Pearson. Grâce à un mini scandale artistico-politique dont il aurait sûrement été friand, Alfred Pellan est ainsi rappelé à la mémoire collective, l’occasion de découvrir ou de se rappeler 70 ans de production artistique surprenante et vibrante.
Le Paris des découvertes Avec son ami Omer Parent, lui aussi boursier, Pellan s’inscrit à l’École nationale supérieure des beaux-arts en 1926. Pendant tout son séjour parisien, qui s’étire jusqu’aux premiers jours de la guerre, Pellan côtoie les plus grands. Il voit à l’œuvre les surréalistes, ce qui teintera sa production ultérieure sans pour autant le rattacher au mouvement. Il expose, en groupe puis en solo. Il se fait remarquer par la critique française, qui souligne son «talent robuste» et son utilisation de la couleur. Il sera même reçu «très gentiment» chez Picasso, aux côtés de qui il exposera à Washington en 1939. Distinctions, critiques élogieuses, rencontres
LE MAGICIEN DE LA COULEUR ON LES DÉCROCHE, ÇA PROTESTE, PUIS ON LES RACCROCHE: LES ŒUVRES D’ALFRED PELLAN FONT PARTIE DU PATRIMOINE CANADIEN. OU COMMENT UN «P’TIT GARS» DE QUÉBEC EST DEVENU UN PILIER DE L’ART QUÉBÉCOIS. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE
Limoilou, P.Q. Si l’on s’est déjà promené sous le couvert des arbres du Jardin Saint-Roch, on a peut-être remarqué le monument à la mémoire de Pellan, illustré d’un tableau de son Bestiaire. Le buste commémore la naissance du peintre, qui a eu lieu dans le quartier en 1906. Mais c’est de l’autre côté de la rivière Saint-Charles que le petit Alfred a grandi. Au 581, 3e Avenue (là où Softi a pignon aujourd’hui), son talent s’exprime dès un très jeune âge. À 17 ans à peine, alors qu’il est encore étudiant à l’École des beaux-arts de Québec, Pellan vend Un coin du vieux Québec à la Galerie nationale du Canada. Trois ans plus tard, diplôme et bourse en poche, le peintre part pour Paris, où il se gavera d’influences pour finalement n’en adopter aucune (ou toutes à la fois, c’est selon).
enrichissantes: Pellan revient au Québec en 1940 avec une toute nouvelle façon de concevoir l’art qu’il présente en 1940 lors d’une grande exposition de 161 œuvres à contre-courant de l’académisme prévalent. Sa vision libre cause d’ailleurs des flammèches avec le directeur de l’École des beaux-arts de Montréal, où il enseigne pendant neuf ans; sous l’influence de Pellan, ses étudiants s’élèvent contre le directeur, poussant ce dernier à démissionner.
(CI-CONTRE) ALFRED PELLAN, L'HOMME A GRAVE, VERS 1948. GOUACHE ET ENCRE SUR PAPIER, 29,8 X 22,8 CM. COLL. MNBAQ. PHOTO: MNBAQ, IDRA LABRIE © SUCCESSION ALFRED PELLAN / SODRAC (2013)
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ALFRED PELLAN, JARDIN VERT, 1958. HUILE ET POUDRE CELLULOSIQUE SUR TOILE, 104,6 X 186,3 CM. COLL. MNBAQ. PHOTO: MNBAQ, IDRA LABRIE © SUCCESSION ALFRED PELLAN / SODRAC (2013)
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Le grand enfant
«Il faut multiplier les influences plastiques», racontait Pellan en 1974 au sujet de son séjour à Paris (Vie des arts, n° 151, cité dans Alfred Pellan. Le rêveur éveillé). Le peintre collectionne donc les inspirations, puisant entre autres dans le cubisme, le surréalisme et le néoclassicisme. À Paris, il joint le collectif Forces nouvelles aussi rapidement qu’il s’en détache. À Montréal, il signe avec 14 autres artistes Prisme d’yeux, un manifeste qui sera en quelques mois occulté par celui de Refus global. Le texte célèbre la «peinture libérée de toute contingence de temps et de lieu, d’idéologie restrictive», s’inscrivant en porte à faux avec les automatistes menés par Borduas (ironiquement, Pellan gagne en 1984 le prix Paul-Émile-Borduas, la plus haute distinction du milieu des arts au Québec). Tout au long de sa carrière, Alfred Pellan jongle autant avec les styles qu’avec les disciplines. Il dessine des décors et costumes de théâtre, peint maquillages et masques, illustre des recueils de poésie, dont Les îles de la nuit de son ami Alain Grandbois, détourne des photographies, transforme des roches en animaux...
Peinture, sculpture, illustration, murale, théâtre: Pellan est un touche-à-tout qui excelle presque partout. «Il a tâté tellement d’aspects de l’art, et pas juste la peinture. Il a reçu beaucoup de reconnaissances, mais la population le connaît encore peu», témoigne Nathalie Thibault, responsable de la gestion documentaire et des archives au Musée national des beaux-arts du Québec, qui est le musée de référence pour les œuvres et archives de Pellan. Grâce au don posthume du fonds d’atelier de l’artiste par sa veuve et archiviste dédiée, Madeleine Poliseno Pelland, le MNBAQ peut faire découvrir toute la richesse de la production pellanesque. Dans la salle monographique Alfred Pellan. Le rêveur éveillé, les adultes comme les enfants s’initient à l’univers multicolore, débridé et protéiforme de l’artiste. Et à travers la ville, que ce soit dans un jardin près d’un boulevard, dans une boutique de laine, sous des lampadaires géants d’une avenue ou sur la terrasse d’un musée, les bêtes colorées, les citrons ultraviolets et les rêves sensuels de Pellan ne sont jamais bien loin; suffit d’ouvrir les yeux. y
62 | OPINION
ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE
LE CAPITALISME SAUVAGE EST DÉGUISÉ EN SIRÈNE Jamais la société n’a-t-elle évolué aussi rapidement qu’aujourd’hui. Les produits de tous les jours peuvent être commandés et livrés d’un simple clic; la culture est maintenant accessible du bout des doigts; l’économie du partage ébranle de nombreux secteurs économiques; des plateformes médiatiques qui n’existaient pas il y a 10 ans ont capturé la moitié des revenus publicitaires sans développer le moindre contenu. Des industries complètes sont bouleversées par les innovateurs. Les modèles d’affaires traditionnels sont remis en question. L’évolution va s’accentuer avec l’accélération de la robotisation: les autos se conduiront seules, les chambres d’hôtel seront nettoyées sans aide, les drones remplaceront les livreurs, les boulettes seront flippées sans cuisinier. De nombreux travailleurs non qualifiés risquent de perdre leur emploi et peineront à en trouver un autre. On ne peut être contre l’évolution. Mais nous avons l’obligation de l’encadrer. Quel sera l’impact sur notre économie si la classe ouvrière est anéantie? Qui achètera les voitures et qui mangera les burgers? D’aucuns prévoient la disparition des médias locaux d’ici 2050. Notre société sera-t-elle meilleure si les médias qui analysent et façonnent notre pensée disparaissent? N’est-ce pas une attaque sournoise de notre capacité à maintenir notre autonomie politique, économique et culturelle? Grâce aux statistiques compilées par l’OCDE, qui permettent de comparer 362 régions de 34 pays, on peut clairement se rendre compte que le Québec est une des régions où il fait le mieux vivre dans le monde en regard de plusieurs critères tels que l’éducation, l’emploi, la santé, l’accès aux services publics et l’habitation. Parce
que nous sommes ouverts, parce que nous avons intégré différentes communautés culturelles, parce que l’environnement fiscal est juste et compétitif, parce que nous avons un filet social équitable, parce que l’éducation et la santé sont accessibles à tous. Parce que les riches n’ont pas à installer des barricades autour de leur propriété ou engager un garde du corps pour raccompagner leurs enfants qui reviennent de l’école. Pour maintenir cette position enviable, nous devons encourager la création de richesses en mettant en place un climat propice à l’entrepreneuriat. Le Québec doit faire preuve de leadership et selon moi nager à contre-courant. Nous avons de tout temps été une société plus progressiste que nos voisins du sud. Pourquoi devrions-nous aujourd’hui changer notre trajectoire et adopter aveuglément des modèles qui mettent en péril des pans entiers de notre économie et de notre culture? Nous aurions intérêt à nous inspirer davantage des pays scandinaves ou de l’Allemagne. Il faut être réaliste; notre modèle n’est pas sans faille. Nous avons la responsabilité d’augmenter la productivité de l’État et de nous assurer qu’une part de plus en plus importante du budget du Québec est allouée directement aux services à la population. Nous devons exploiter plus intelligemment nos ressources naturelles, avec au premier rang Hydro-Québec, le joyau que le monde entier nous envie. Nous devons diminuer l’écart qui existe entre les riches et les pauvres en tirant les moins fortunés vers le haut, pas les plus riches vers le bas. En augmentant le salaire minimum à 15$ par exemple. Nous devons aussi soutenir des projets économiques porteurs et différenciés: le transport, le tourisme, l’agriculture. Nous devons augmenter nos investissements en culture et en éducation.Nous devrions pouvoir compter sur
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ÂŤPOURQUOI DEVRIONS-NOUS AUJOURDâ&#x20AC;&#x2122;HUI CHANGER NOTRE TRAJECTOIRE ET ADOPTER AVEUGLĂ&#x2030;MENT DES MODĂ&#x2C6;LES QUI METTENT EN PĂ&#x2030;RIL DES PANS ENTIERS DE NOTRE Ă&#x2030;CONOMIE ET DE NOTRE CULTURE?Âť la capacitĂŠ de nos gouvernements Ă rĂŠsister aux chants de la ÂŤmodernitĂŠÂť et faire confiance Ă leur capacitĂŠ Ă internaliser tous les impacts que pourraient entraĂŽner des modifications lĂŠgislatives. La capacitĂŠ dâ&#x20AC;&#x2122;un gouvernement Ă y arriver devrait aujourdâ&#x20AC;&#x2122;hui ĂŞtre notre critère numĂŠro un le jour des ĂŠlections. Mais nous avons aussi tous une responsabilitĂŠ individuelle. La responsabilitĂŠ de sâ&#x20AC;&#x2122;informer et de voir plus loin que le bout de notre nez. Nous devons voter tous les jours de la façon la plus efficace possible afin de contrer le raz-de-marĂŠe qui sâ&#x20AC;&#x2122;annonce: voter avec notre portefeuille. Un achat que vous effectuez avec le prix comme seul critère peut mettre en danger la qualitĂŠ de vie et limiter notre capacitĂŠ Ă soutenir lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠquitĂŠ sociale, lâ&#x20AC;&#x2122;innovation et lâ&#x20AC;&#x2122;entrepreneuriat. Par contre, tout achat qui soutient lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠconomie locale, qui encourage des entreprises partageant nos valeurs sociales et environnementales est un vote pour notre autonomie. Je suis convaincu que le temps oĂš un produit ou une entreprise devront dĂŠvoiler leurs pedigrees ĂŠcologique, social et ĂŠconomique est Ă nos portes. Ce sera alors plus simple de faire des choix ĂŠclairĂŠs. Lâ&#x20AC;&#x2122;exemple du logo Aliments du QuĂŠbec appliquĂŠ sur les produits dâ&#x20AC;&#x2122;ici est Ă cet ĂŠgard probant. Entre-temps, nous devons redoubler de prudence et consommer de façon ĂŠclairĂŠe. Se mĂŠfier des sirènes modernes, et les contourner. Le projet de transformation de Voir sâ&#x20AC;&#x2122;inscrit dans cette mouvance. Lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠquipe mâ&#x20AC;&#x2122;a convaincu de la pertinence de son initiative et de sa capacitĂŠ Ă avoir un rĂŠel impact. Câ&#x20AC;&#x2122;est la raison pour laquelle jâ&#x20AC;&#x2122;ai acceptĂŠ dâ&#x20AC;&#x2122;investir et de mâ&#x20AC;&#x2122;impliquer dans ce projet qui concordait avec mes valeurs et mes objectifs. En acceptant pendant trois ans dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŞtre un ÂŤdragonÂť, jâ&#x20AC;&#x2122;ai misĂŠ sur la promotion de lâ&#x20AC;&#x2122;entrepreneuriat. En acceptant de rĂŠdiger un texte mensuellement dans Voir, je cherche Ă dĂŠmontrer que les entrepreneurs peuvent avoir Ă cĹ&#x201C;ur autre chose que les profits et le retour Ă leurs actionnaires. Je choisis de miser sur la promotion du bien collectif comme facteur le plus important de lâ&#x20AC;&#x2122;amĂŠlioration de nos conditions de vie. Je choisis la social-dĂŠmocratie comme valeur pivot de la crĂŠation de richesses. Le mois prochain, les durs choix Ă faire concernant le transport. y
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QUOI FAIRE
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KARIM OUELLET AVEC L’OSQ G r a n d T h é âT r e d e Q u é b e c - 9 f é v r i e r 2 0 16
Maestro Alain Trudel fait équipe avec le Peter Pan de la chanson québécoise, le fin renard Karim Ouellet, le temps d’un concert symphonique. Un duo improbable, réjouissant, qui donnera assurément lieu à des réarrangements opulents de ses méga succès radiophoniques.
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phoTo | alexandre isard
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GALAXIE, CARAVANE ET GAZOLINE Grand salon d e l â&#x20AC;&#x2122; u n i v e r s i T ĂŠ l av a l 11 f ĂŠ v r i e r 2 016
Une soirĂŠe rock local de haut calibre vous attend au Grand Salon, alors que Galaxie, la troupe au guitar hero Olivier Langevin qui a ĂŠtĂŠ sacrĂŠe groupe de lâ&#x20AC;&#x2122;annĂŠe au dernier Gala de lâ&#x20AC;&#x2122;ADISQ, croisera le fer avec la formation punk rock de QuĂŠbec Caravane ainsi que le quatuor montrĂŠalais Gazoline. Ă&#x2021;a va brasser.
CHILLY GONZALES pal ais MonTcalM 1 2 f ĂŠ v r i e r 20 16
Tout le monde, câ&#x20AC;&#x2122;est presque une gĂŠnĂŠralitĂŠ, a entendu Chilly Gonzales sur Random Access Memories parfois mĂŞme sans le savoir. Or le ÂŤmusical geniusÂť autoproclamĂŠ se fait aussi pĂŠdagogue sur YouTube pour promouvoir ses compositions ĂŠpiques mĂŠlangeant musique de chambre et mĂŠlodies pop entĂŞtantes.
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phoTo | GuillauMe_siMoneau
66 | QUOI FAIRE
BOOGAT
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l e c e r c l e - 19 f é v r i e r 2 0 16
phoTo | Gabrielle desMarais
Le rappeur hispanophone Daniel Russo Garrido, alias Boogat, mélange hip-hop et musiques latines pour faire un gros gâteau dont lui seul connaît la recette. Du soleil en condensé.
MARA TREMBLAY l e c e r c l e - 2 6 f é v r i e r 2 0 16
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Très charismatique sur scène, Mara Tremblay viendra envoûter les mélomanes de la capitale avec l’ambiance à la fois mélancolique et lumineuse de son cinquième album À la manière des anges, paru en octobre 2014. À 46 ans, la chanteuse native de Hauterive (sur la Côte-Nord) n’a rien perdu de sa fougue.
67 | QUOI FAIRE
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RADIO RADIO iMpérial de Québec 2 6 f é v r i e r 2 016
Adieu le hip-hop en chiac, Radio Radio opte maintenant pour une formule disco pop/néo-funk en anglais. Évidemment, les deux rappeurs continuent de brandir leurs flows répétitifs et dansants avec leur énergie habituelle. Présenté dans le cadre des Nuits FEQ, ce spectacle à l’Impérial Bell fera office de lancement officiel pour Light the Sky, premier album en anglais du duo.
YUKON BLONDE
FOXTROTT
l ’ a n T i – 29 f é v r i e r 20 16
l e c e r c l e – 2 7 f é v r i e r 2 0 16
Le quintette natif de Kelowna en Colombie-Britannique viendra faire résonner son indie rock gentil dans l’antre du populaire bar de Saint-Roch. Fort du succès d’estime d’On Blonde, son cinquième album paru en juin dernier, Yukon Blonde donne actuellement une tournée canadienne assez généreuse, qui passe également par Montréal et Toronto.
Ce spectacle de l’auteurecompositrice-interprète Marie-Hélène Delorme (alias Foxtrott) mettra de l’avant les pièces de son premier album A Taller Us, paru en novembre dernier. Inventive, la chanteuse montréalaise offre une pop aux teintes électro-exploratoires qui réussit toutefois à rester accrocheuse.
68 | QUOI FAIRE
TANYA TAGAQ
VANCE JOY
ÉMERAUDE
pal ais MonTcalM 18 f é v r i e r 20 16
G r a n d T h é âT r e d e Q u é b e c 3 février 2016
l’anTi 1 1 f é v r i e r 2 0 16
Originaire du Nunavut, la chanteuse de gorge inuite Tanya Tagaq viendra offrir aux gens de Québec une performance à couper le souffle. Accompagnant en direct la projection du film culte Nanook of the North, l’artiste lauréate du prix Polaris en 2014 viendra créer un environnement sonore saisissant sur scène. Des musiciens improvisateurs se joindront à elle sur scène.
Après avoir assuré les premières parties de Taylor Swift, l’Australien Vance Joy revient en Amérique du Nord, en solo, pour sa tournée Fire and the Flood. Sa pop aux contours indie folk reprend essentiellement les titres de son seul album Dream Your Life Away, paru en septembre 2014. L’auteurcompositeur-interprète foulera les planches de la salle Louis-Fréchette.
L’auteure-compositriceinterprète Marie-Renée Grondin lève enfin le voile sur son premier EP de compos féminissimes et inspirées aux côtés de son groupe Émeraude. Des chansons poétiques emballées de synthés.
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69 | QUOI FAIRE
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PATRICK WATSON iMpérial de Québec 4 M a r s 20 16
phoTo | clyde henry
Le porte-étendard de l’indie folk montréalais a frappé fort l’an dernier avec Love Songs for Robots, un cinquième album qui s’est retrouvé sur beaucoup de listes de fin d’année. Après avoir enivré le Métropolis à Montréal en décembre dernier, Patrick Watson viendra en faire de même à l’Impérial Bell. Une valeur sûre, à voir et à revoir.
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LOU DOILLON s a l l e a l b e r T-r o u s s e a u 21 f é v r i e r 2016
La musicienne franco-britannique, fille du réalisateur Jacques Doillon et de la chanteuse Jane Birkin, sera à la salle Albert-Rousseau pour offrir un spectacle reprenant les chansons de son deuxième album en carrière, Lay Low, paru en octobre dernier. La chanteuse de 33 ans, également mannequin et actrice, offre un mélange de folk, de pop et de soul.
phoTo | JiMMi francoeur
70 | QUOI FAIRE
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FÉLIX DYOTTE ET JULIE BLANCHE
CHASSE-GALERIE: LA LÉGENDE
l e c e r c l e – 4 f é v r i e r 2016
d è s l e 26 f é v r i e r 2 0 16
Lauréat du Lucien de l’auteur ou compositeur de l’année au dernier GAMIQ, l’ex-Chinatown Félix Dyotte sera accompagné par la finaliste des Francouvertes 2014, Julie Blanche, pour un programme double relevé à souhait. Alors que le premier donne dans un folk pop romantique, la deuxième cultive une pop mélancolique bien échafaudée, menée par sa voix délicate.
Le célèbre conte québécois est mis en images par le réalisateur Jean-Philippe Duval (Dédé, à travers les brumes), qui profite d’un scénario signé Mario Bolduc et Guillaume Vigneault. Le long métrage peut compter sur une distribution de grande envergure, notamment composée de François Papineau, Vincent-Guillaume Otis, Caroline Dhavernas et Fabien Cloutier.
71 | QUOI FAIRE
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LA DÉMOLITION FAMILIALE
DHEEPAN
HAIL, CAESAR!
d è s l e 26 f é v r i e r 20 16
d è s l e 12 f é v r i e r 2 0 16
d è s l e 5 f é v r i e r 2 0 16
Réalisé par Patrick Damien, ce documentaire québécois suit deux jeunes dans leur initiation au derby de démolition. Alors que Christophe, 16 ans, prépare des bolides avec son oncle, Marika, 18 ans, profite de l’occasion pour passer du temps avec son père. Au centre de ces bribes du quotidien: la vision du monde des deux protagonistes, qui évoquent leur passé trouble.
Palme d’or à Cannes 2015, ce nouveau film du cinéaste acclamé Jacques Audiard (Un prophète, De rouille et d’os) trace l’histoire d’un réfugié tamoul en France qui obtient un emploi de gardien d’immeuble en banlieue. S’étant monté de toutes pièces une «fausse» famille, afin d’avoir plus de chances d’obtenir l’asile politique, il devra tout mettre en œuvre pour la protéger.
Film d’ouverture à la Berlinale 2016, cette comédie des frères Coen suit le quotidien d’Eddie Mannix (Josh Brolin), un «fixeur» engagé par les studios hollywoodiens pour régler des problèmes de star. Un nombre incroyable de vedettes du cinéma, de George Clooney à Scarlett Johansson en passant par Jonah Hill, Channing Tatum et Frances McDormand, prend d’ailleurs part au film.
72 | QUOI FAIRE
CIRKOPOLIS capiTole de Québec du 2 au 5 Mars 2016
Le sensuel et écorché chorégraphe Dave St-Pierre ajoute sa touche à cette création récente du Cirque Éloize qui rend, accessoirement, hommage à l’immortel Joe de Jean-Pierre Perreault. Du cirque théâtral rappelant deux classiques du cinéma: Metropolis de Lang et Les Temps modernes de Chaplin.
MATÉO ET LA SUITE DU MONDE la bordée J u s Q u ’ a u 13 f é v r i e r 2 016
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AVRIL ET LE MONDE TRUQUÉ d è s l e 1 9 f é v r i e r 2016
Porté par les voix de Marion Cotillard, Jean Rochefort et Philippe Katerine, ce film d’animation français réalisé par Franck Ekinci et Christian Desmares retourne en 1941, dans un monde fictif où Napoléon V dirige la France. Dans une société gouvernée par le charbon et la vapeur, une jeune fille, Avril, part à la recherche de ses parents, des scientifiques disparus.
EL CLUB d è s l e 1 9 f é v r i e r 2 0 16
Grand Prix du jury à la 65e Berlinale, ce drame chilien de Pablo Larraín est le récit troublant de quatre prêtres catholiques emprisonnés, qui partagent une maison tout près de la mer. Coupables de crimes différents (maltraitance d’enfants et vol de bébé, principalement), ces hommes de foi devront apprendre à vivre avec deux autres prêtres: un pédophile et un enquêteur.
Le chevronné Jack Robitaille est le père du personnage joué par Mathieu Bérubé-Lemay, membre de la troupe Entr’actes, dans cette création de Jean-François F. Lessard. Une pièce qui s’intéresse au quotidien d’un jeune homme atteint du syndrome d’Asperger, mettant aussi en vedette Frédérique Bradet (Le NoShow), Marie-Hélène Gendreau et Julien Fiset-Bradet.
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ZOOLANDER 2
Quinze ans après un premier volet dorénavant classique, Ben Stiller remet ça avec une suite qui promet d’être tout aussi hilarante. Cette fois, son mythique personnage de Derek Zoolander devra infiltrer un tout nouveau monde de haute couture, accompagné par Hansel McDonald (Owen Wilson), son ancien rival devenu ami. À leurs trousses, un certain Jacobim Mugatu, joué par Will Ferrell.
phoTo | nicola-frank vachon
d è s l e 12 f é v r i e r 201 6
CE N’EST PAS LA FIN DU MONDE la bordée 16 e T 17 f é v r i e r 2 0 16
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Sept interprètes, sept hommes brûlants qui dansent comme si personne ne les regardait. Sylvain Émard propose une gestuelle athlétique, mais posée, empreinte de force et de vulnérabilité à la fois.
(ENTRE) s a l l e M u lT i d e M é d u s e
phoTo | valérie siMMons
d u 24 a u 2 6 f é v r i e r 2 0 16
Le Théâtre Rude Ingénierie, dont on a notamment pu apprécier le travail dans la dernière mouture d’Où tu vas quand tu dors en marchant, met son savoir-faire au service de la danse. Une chorégraphie de Philippe Lessard portée par Josiane Bernier et Fabien Piché.
GRACE T h é âT r e p é r i s c o p e J u s Q u ’ a u 13 f é v r i e r 2 0 16
Charles-Étienne Beaulne, comique établi de la Vieille-Capitale, mettra en scène Grace du dramaturge portoricain Craig Wright et dirigera (notamment) le presque iconique Jacques Leblanc. Un texte sur la quête de sens, la consommation et les relations interchangeables.
LIGNES DE VIE M u s é e d e l a c i v i l i s aT i o n J u s Q u ’ a u 6 s e p T e M b r e 2 0 16 MessaGe sTick (pink) BÂTON-MESSAGE (ROSE), reko rennie sériGraphie sur Tissu, 2011 kluGe-ruhe aboriGinal arT collecTion, 2012.0004.001
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Il n’y a que le MCQ pour nous initier à l’art contemporain des Premières Nations d’Australie avec autant de profondeur. Ancrées dans le présent, mais inspirées par leurs aïeux d’il y a 60 000 ans, les œuvres de Judy Watson, Vernon Ah Kee et les autres captiveront les visiteurs par leurs qualités esthétiques et leur portée politique.
74 | QUOI FAIRE
raphaëlle de GrooT, renconTres au soMMeT, vue de l’insTallaTion à la souThern alberTa arT Gallery, leThbridGe, 2014. phoTo | rod leland
RENCONTRES AU SOMMET M u s é e n aT i o n a l d e s b e a u x-a r T s d u Q u é b e c d u 4 f é v r i e r a u 17 a v r i l 2 0 16
L’artiste montréalaise Raphaëlle de Groot présente le fruit d’un travail de création de grande ampleur, débuté en 2009. Son projet Le poids des objets rassemble des objets donnés par des gens du Québec, du Vermont et de l’Italie qui, tous réunis, miment les sommets des rencontres de hauts dirigeants. L’artiste utilise ces objets pour produire notamment des installations et des vidéos.
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.
Gabrielle Laïla Tittley
teomtl.com