Magazine Voir Montréal V01 #02 | Mars 2016

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MONTRÉAL VO1 #O2 FRED FORTIN MARIE-EVE ROY DEAD OBIES LE TERRORISME AU CINÉMA REGARD SUR LE COURT VOIR VERT RAPHAËLLE DE GROOT DOSSIER MARIJUANA STEVE GAGNON LARRY TREMBLAY THÉÂTRE DU NÉOTERROIR

LES MAUVAISES HERBES


†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.


TENDANCES INTEMPORELLES MARBRE PIERRE GRANIT ONYX CÉRAMIQUE QUARTZ MOSAÏQUE ACCESSOIRES D’EAU montréal québec brossard toronto vaughan mississauga détroit ciot.com


V

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O1 O2 MONTRÉAL | MARS 2016

RÉDACTION

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture / Chef de section mode de vie: Noémie C. Adrien Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Correctrice: Marie-Claude Masse

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Jean-Baptiste Hervé, Ralph Boncy, Réjean Beaucage, Patrick Baillargeon, Christine Fortier, Catherine Perreault-Lessard, Pierre-Yves McSween, Jérémy Laniel, Franco Nuovo, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Gildas Meneu, Normand Baillargeon, Émilie Dubreuil, Eric Godin

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LES MAUVAISES HERBES NOUS PARLE D’UN MONDE QUI SERA BIENTÔT RÉVOLU AVEC LA LÉGALISATION IMMINENTE DE CETTE HERBE VERTE AUX PROPRIÉTÉS EUPHORISANTES. Photographe | Jocelyn Michel / Consulat Assistant | Julien Grimard Maquillage | Coiffure: Sophie Parrot Production Consulat | Sébastien Boyer

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SCÈNE

Steve Gagnon Larry Tremblay Théâtre du néoterroir

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MUSIQUE

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SOCIÉTÉ

36

CINÉMA

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ART DE VIVRE

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LIVRES

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

Fred Fortin Marie-Eve Roy Dead Obies Dossier marijuana Le terrorisme au cinéma Regard sur le court Voir vert Vie de chef

On ne nous dit jamais tout Raphaëlle de Groot

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p26) Émilie Dubreuil (p34) Normand Baillargeon (p44) Alexandre Taillefer (p62)


6 | OPINION

SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

CHEZ LES HUMAINS À la suite de la mort tragique de Marie Trintignant, battue à mort par Bertrand Cantat en 2003, je n’ai jamais cessé d’écouter Le vent nous portera, colossale chanson dont il avait signé le texte quelques années plus tôt. Je me la repasse encore très souvent, avec toujours cette voix sinistre et secrète qui me souffle à l’oreille: «Tu entends ce qu’il te dit, ce type qui était assez violent pour tuer une femme avec ses mains?» Ça me bouleverse chaque fois, profondément. Assez pour en pleurer parfois. La chanson était belle et émouvante, elle est devenue tragique, inquiétante, blessante même. Lorsque Les Charbonniers de l’enfer ont repris en 2010 cette même chanson sur l’excellent album Nouvelles fréquentations, leur interprétation m’est apparue comme un étrange moment de rudesse, sans emballage, que les voix avec la podorythmie, sans flaflas, brute comme la pierre qu’on n’a pas encore taillée. C’est rugueux, c’est inquiétant, ça fait mal. Il s’en est trouvé quelques-uns pour s’indigner un peu à l’époque. «Est-ce vraiment la pièce idéale pour turluter et taper du pied?» se demandaient-ils... La réponse se trouvait peut-être quelques chansons plus loin sur le même disque, dans le très beau texte de Bienvenue chez les humains signé par Anne Sylvestre. On est venus sur cette scène Braves gens qu’ils vous en souviennent Tous le cœur sur le même côté Qu’est-ce qui nous a dénaturés Et fait de nous des étrangers? Désolés On n’est pas tous des assassins Des égoïstes, des gredins Mais qu’est-ce qui fait de nous des chiens? Bienvenue chez les humains

C’est pour ce sentiment trouble et le malheur radical qu’elle porte désormais que je réécoute régulièrement Le vent nous portera. Cette chanson est pour moi indissociable du sombre destin de son auteur et de son crime abominable. Je ne lui érigerais pas un monument, à Cantat. Je l’écoute pour ce qu’il est. Pour vivre ce moment de malaise où la beauté rencontre l’innommable et l’inconcevable. Je pourrais même pousser l’audace jusqu’à vous avouer que c’est en entendant cette chanson, dans le vertige dont elle est indissociable, que ma chérie et ma fille m’apparaissent comme les êtres les plus précieux et que je prends conscience de la fragilité d’un bonheur qui ne tient qu’à presque rien. Comme si la beauté du monde se mesurait à l’aune de l’horreur humaine. Je sais... Vous m’avez vu venir, gros comme un train. Je voulais vous parler de Claude Jutra qu’on vient d’épingler de manière posthume pour agression sexuelle sur des mineurs. L’affaire a fait grand bruit, c’est le moins qu’on puisse dire, et après avoir retiré son nom de tous les lieux publics où on lui rendait hommage, il reste le problème de l’œuvre qu’il nous a léguée. On semble vouloir nous dire qu’elle pourrait survivre dans nos mémoires indépendamment des crimes de son auteur. Elle serait autonome, existant pour ce qu’elle est, et devrait toujours trouver une place au sein de notre patrimoine. On efface Jutra, d’accord, mais l’œuvre aurait toujours la même valeur malgré tout. C’est une bien curieuse contorsion qu’on tente ici de faire. L’homme serait un criminel, un pédophile, mais l’œuvre, elle, ne serait pas entachée. On la voudrait encore toute propre, immaculée, impeccable, à l’abri du trouble qui habitait son créateur.

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C’est tout bonnement éviter une question essentielle: et s’il n’avait pas été un pédophile, Claude Jutra auraitil tourné les mêmes films? Saurions-nous seulement qui était Claude Jutra? Voilà une question embarrassante. Il faudra bien se la poser un jour. Toutes ces tergiversations sur une filmographie magnifique qui devrait demeurer intacte sont une fuite en avant, un aveuglement. Ce n’est pas l’œuvre que nous tentons ainsi de sauver, mais nous-mêmes. Nous ne voulons pas admettre qu’en appréciant les films de Jutra, depuis des années, c’est le point de vue d’un homme capable de commettre des gestes inadmissibles qui nous a séduits. Nous refusons d’y poser un second regard, nous ne voulons pas être troublés. Cachez ce crime que nous ne saurions voir sous du papier d’emballage. C’est un peu notre rapport à la culture qui se joue ici. Pour quelle raison fréquentons-nous les créateurs et leurs œuvres? À vouloir à tout prix arracher l’œuvre du vécu qui l’a rendue possible, on a un peu l’impression que tout se résume finalement à un problème d’hygiène. Comme si tout n’était qu’une question de santé publique. On verse du désinfectant sur la plaie pour la guérir. D’ici quelques semaines, rassurez-vous, ça ne paraîtra plus. Prenez un peu de repos et tâchez de vous divertir

en pensant à autre chose. Au pire, si ça s’aggrave, on vous amputera. Mais cette création que nous aimions tant, n’était-ce pas une plaie ouverte au grand jour, justement? Et si on l’ampute, comment pourrait-elle survivre? On ne s’en sortira pas. On ne pourra pas arracher l’œuvre de Jutra, l’homme, comme si on lui coupait un bras. Il faudra accepter d’y voir une blessure et de souffrir en la regardant. De trouver ça un peu laid, aussi. La culture n’est pas qu’une collection de beaux moments pour se changer les idées. Bienvenue chez les humains... / P.-S. Chers lecteurs et lectrices, au nom de toute notre équipe, je souhaite vous remercier chaleureusement pour votre enthousiasme et vos bons mots qui ont suivi la parution du premier numéro de notre magazine. J’ai reçu plusieurs dizaines de courriels ainsi que plusieurs messages sur ma boîte vocale. Je n’ai pas pu répondre à tout le monde, mais sachez que ça nous a fait grand plaisir. Nous avons aussi pris bonne note de vos remarques à propos de la taille des caractères et nous avons apporté des changements. J’espère que cette nouvelle mise en page saura vous plaire. Et n’hésitez jamais à m’écrire pour me faire part de vos idées. Je ne réponds pas toujours, mais je vous lis! sjodoin@voir.ca



9 | scène

Aux limites du pAys Après Avoir inventé, dAns sA lAngue tissée d’imAges, des couples et des fAmilles tendues, steve gAgnon imAgine une communAuté isolée en forêt dAns FENDRE LES LACS. sA plume quitte lA ville pour se poser, d’un œil critique, sur lA région et son désœuvrement. MOTS | PHILIPPE COUTURE

On a connu Steve Gagnon vers 2010, comme jeune auteur racontant habilement le couple, refuge amoureux dans un monde hostile (dans La montagne rouge [sang]). Il habitait alors Québec et sa carrière d’acteur, de ce côté de la 20, commençait sur les chapeaux de roue. Maintenant Montréalais et également devenu metteur en scène, il a élargi son regard, inventant une famille dysfonctionnelle et réécrivant un classique racinien (dans En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas). Mais Gagnon est en fait originaire de Chicoutimi, où il a passé une partie de son enfance, et c’est en puisant dans ses racines régionales qu’il a écrit Fendre les lacs, une pièce campée dans une petite communauté aux abords d’un grand lac, où le temps passe lentement et où la splendeur du paysage n’est pas toujours apaisante.

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Ils sont huit personnages à vivre dans de petites cabanes et à rêver d’un ailleurs meilleur le jour où Adèle, qui a l’habitude de ramasser les corps des animaux morts, revient au village en annonçant avoir fait une sombre découverte dans les bois. L’événement aura l’effet d’un catalyseur, créera un moment de crise, une prise de conscience de l’inertie qui les ronge tous. Un monde sclérosé va bientôt se réveiller.

Vaste pays limité

«La forêt isole mes personnages, dit Steve Gagnon. Elle les rend plus ou moins conscients du monde dans lequel ils vivent. C’est ce repli sur soi que je veux pointer du doigt, au sujet duquel je veux créer une réflexion. Ils sont à la fois entourés de splendeur, de paysages heureux, mais en même temps écrasés, comme avalés par ces paysages qui les empêchent de se mettre en action et d’élargir leurs horizons. Soudain, ils auront envie de sortir de leur marasme.»

Il y a quelque chose de vicié, d’engourdi ou de paralysant dans les régions québécoises, si l’on se fie au portrait qu’en font certains auteurs dramatiques, qui dépeignent des communautés rurales authentiques mais souvent asphyxiées, et dont les habitants sont de bons bougres mais dont les horizons sont limités. Dans une nouvelle dramaturgie québécoise que l’on pourrait dire «néorégionaliste», l’attachement au vaste territoire est manifeste mais inquiet: le regard est amoureux mais très critique. Ce nouveau texte de Steve Gagnon fait assurément partie de la tendance.

Que les amoureux du pays se rassurent: Gagnon ne se drape pas dans une position de supériorité morale en tant qu’urbain qui regarderait de haut l’habitant de la région. Mais le microcosme du village tissé serré lui permet un regard sur un «confort social» qu’il dit observer dans la société entière, et qui ankylose tout le monde. Un monde où le rêve se fait timide et où la collectivité se cherche des manières d’exister. C’est le monde sans utopie dans lequel nous vivons depuis trop longtemps: un monde d’individus qui cherchent du sens à leur vie et n’en trouvent pas tout le temps.

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11 | scène

«c’est une représentAtion du québec, mAis à trAvers lA fAble et l’Allégorie. J’Ai donné à ces personnAges une lAngue à lA fois brute et imAgée qui, Je pense, A un cArActère universel.» «Je pars du constat que, à l’image du Québec entier, nos régions sont d’une richesse inestimable, mais qu’au fil du temps, elles ont été dépouillées, que la vie en communauté ne s’y déroule plus comme elle le devrait, qu’on y trouve un certain désœuvrement, un manque de curiosité, une absence de soif de liberté, un non-goût pour la poésie. C’est une représentation du Québec, mais à travers la fable et l’allégorie. J’ai donné à ces personnages une langue à la fois brute et imagée qui, je pense, a un caractère universel.»

Grand amoureux devant l’éternel, Steve Gagnon a cette fois retenu ses ambitions sentimentales. Dans l’univers forestier qu’il a inventé, l’amour survit peu et mal. «C’est un monde dans lequel le champ des possibles s’est considérablement rétréci. Il y a bien sûr des histoires d’amour dans mon texte, mais elles ne sont pas centrales. Elles achoppent continuellement.» Pour incarner cette communauté atypique, il a réuni un groupe hétéroclite d’acteurs. Certains sont des collaborateurs de longue date: Véronique Côté, Marie-Josée Bastien, Claudiane Ruelland, Guillaume Perreault et Renaud Lacelle-Bourdon, par exemple. D’autres se frottent à son écriture pour la première fois, comme Pierre-Luc Brillant, Karine Gonthier-Hyndman et Frédéric Lemay. «J’ai essayé, dit-il, de ne pas être trop lyrique dans la mise en scène, de ne pas mettre trop de théâtre par-dessus le théâtre, de diminuer les couches de théâtralité pour cultiver quelque chose de direct et puissant.» y Aux Écuries du 8 au 26 mars

Le temps qui s’écoule... Ce sont aussi des personnages qui, comme dans La cerisaie ou Les trois sœurs, s’emmerdent dans leur rase campagne et en ont marre du temps qui s’écoule trop paisiblement. Sans articuler son écriture autour des mêmes mécanismes psychologiques, Gagnon a écrit une pièce toute tchékhovienne. «Mes personnages ont 25 ans et ils n’ont rien fait de leur vie. Il est temps d’agir. Ils n’ont pas été assez confrontés à l’extérieur.» Ce sont aussi des hommes-enfants qui ont un rapport particulier avec les animaux, et donc avec une sauvagerie qui les constitue profondément. Il y a Louise, la rêveuse qui nourrit les oies. Il y a Thomas, l’homme de sa vie, qui nourrit les loups. «Ils se détachent du monde des hommes et se modèlent quelque peu aux comportements animaux, explique l’auteur. Ils ont en tout cas en eux quelque chose de très pulsionnel, qui cherche à s’exprimer puissamment. Car autour d’eux, les modèles d’humanité sont restreints.» LES COMÉDIENS RENAUD LACELLE-BOURDON ET KARINE GONTHIER-HYNDMAN PHOTO | MARIE-RENÉE BOURGET HARVEY


LES COMÉDIENNES MONIA CHOKRI ET EMILIE GILBERT DANS TRANSMISSIONS, DE JUSTIN LARAMÉE, AU THÉÂTRE AUX ÉCURIES EN 2011


13 | scène

quAnd lA région domine les romAnciers québécois ont été les premiers à réinvestir l’imAginAire rurAl et à créer des œuvres pleines d’une nouvelle régionAlité. voilà que les Auteurs drAmAtiques les suivent. de fAbien cloutier à Justin lArAmée en pAssAnt pAr steve gAgnon, cAp sur un théâtre du terroir nouveAu genre. MOTS | PHILIPPE COUTURE PHOTO | JUSTIN LARAMÉE

En littérature, la tendance est forte. À la fin des années 2000, les Samuel Archibald, Raymond Bock, William S. Messier et Gabriel Anctil ont osé camper leurs histoires et leurs personnages dans un environnement régional, explorant la ruralité québécoise de long en large. Comme jadis le faisait Germaine Guèvremont, mais dans un tout autre état d’esprit: autre langue, autre imaginaire. Samuel Archibald a lui-même appelé cela le «néoterroir», dans un article de la revue Liberté qui fait office de référence. Avant lui, le blogueur linguistique Benoît Melançon parlait de «l’École de la tchén’ssâ». On y puise dans le folklore autant que dans un imaginaire régional réinventé, dans une langue vernaculaire autant que dans une écriture qui soigne le récit, dans un regard critique sur nos villages autant que dans l’enthousiasme des grands espaces ou dans l’authenticité de l’homme qui habite au loin. Au théâtre, même jeu: une génération d’auteurs s’impose maintenant comme dignes représentants du néoterroir. Une manière de prendre soin de notre territoire en le faisant exister puissamment dans l’imaginaire théâtral, après des années de négligence. Chez Fabien Cloutier, grand chef de file, la ruralité est «trash». On y parle dru et cru, et les personnages exposent sans vernis leurs préjugés. C’est le Québec de la droite conservatrice populiste qui reprend ses droits, loin du personnage de la gauche caviar souvent rencontré sur nos scènes. Mais comme chez les autres auteurs épris de régionalité,

le regard que leur consent Cloutier est attendri: derrière une rudesse de façade se cachent des hommes au grand cœur ou des hommes combatifs que la vie n’a pas épargnés. Ils se racontent en mêlant leurs propres vies à un imaginaire régional fantaisiste, comme d’ailleurs chez Samuel Archibald, qui vient lui aussi de se joindre au cortège avec une première pièce, Saint-André-de-l’Épouvante (encore à l’affiche de l’Espace GO jusqu’au 12 mars). Dans le théâtre du néoterroir, l’amour des régions est un amour des récits fondateurs. La mémoire des lieux est foisonnante; les auteurs se plaisent à la réactiver comme à convoquer une nature et une faune au puissant potentiel symbolique. Exemple? Dans une récente pièce de Justin Laramée, Transmissions, le réalisme côtoie constamment le fantastique et les animaux parlent presque autant que les hommes. Le mois dernier aux Écuries, la pièce Habiter les terres, de Marcelle Dubois, utilisait le même mécanisme anthropomorphe. Steve Gagnon, dans Fendre les lacs, s’amuse aussi à sa manière à créer des liens forts entre l’homme et l’animal. Même jeu chez André Gélineau, auteur sherbrookois dont la pièce Raconter le feu aux forêts se déploie autour de l’inquiétante figure d’un homme à tête de chien. À ce palmarès incomplet, il faut ajouter Véronique Côté, dont les festifs spectacles de poésie et de prise de parole (Attentat, codirigé avec sa sœur Gabrielle, et La fête sauvage) sont motivés par un désir de célébration du territoire. Qu’il en soit ainsi! y


le droit d’en pArler bArdé de prix et remArqué pour son humAnisme et sA sobriété, le plus récent romAn de lArry tremblAy est AdApté Au théâtre dAns une mise en scène de son complice de longue dAte clAude poissAnt. à pAs de souris, nous sommes Allés espionner lA sAlle de répétition où se construit doucement l’orAngerAie. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

«T’es le meilleur metteur en scène de l’est de Montréal», lance, moqueur, le comédien Vincent-Guillaume Otis à son metteur en scène quand soudain surgit un doute, au détour d’une directive. Claude Poissant a pourtant l’habitude de dompter l’écriture de Larry Tremblay et ses personnages à l’identité malmenée. Mais cette fois, il doit composer avec un nouveau pan de son travail. Depuis Cantate de guerre, Tremblay se donne le droit de parler de guerres qui agitent quelques contrées lointaines. Il donne un visage humain et sobre à ces guerres qui déchirent les familles et déshumanisent les hommes, dépeignant une enfance que ce monde ne sait pas épargner de sa violence. Dans la salle de répétition, le dialogue entre Mikaël, un jeune prof de théâtre joué par Otis, et Aziz (Gabriel Cloutier-Tremblay), un jeune homme ayant jadis vécu le pire, pousse le metteur en scène dans une zone floue, coincé entre le réalisme nécessaire d’une salle de cours montréalaise et la nécessité de porter un «récit habité et douloureux». «Il faut éviter la tirade, tranche Poissant. Mais il faut trouver tout de même un certain souffle.» L’orangeraie, un roman et maintenant une pièce de théâtre en deux temps, raconte les jours tristes que les jumeaux Amed et Aziz ont passés près de l’orangeraie familiale où leurs grands-parents furent tués par une bombe, puis les tiraillements d’Aziz au moment de jouer au théâtre un rôle apparenté, des années plus tard. Ce personnage qui a perdu ses grands-parents puis son frère dans une guerre injuste peut-il vraiment tout raconter? Son histoire peut-elle être comprise par un Occidental ayant mené une vie sans histoire? Et jusqu’où? Ce sont les questions qui surgissent, emmêlées dans les voix de Poissant et de ses comédiens par un matin frisquet dans l’est de Montréal.


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ÂŤDans Cantate de guerre, dit Larry Tremblay, je commençais une rĂŠflexion sur la transmission de la haine, sur les enfances volĂŠes par la guerre et sur les enfances trop rapidement transformĂŠes pour se mettre au service de la haine. Mais pendant toute la crĂŠation de cette pièce, je me suis posĂŠ des questions sur ma lĂŠgitimitĂŠ Ă raconter des guerres que je n’ai pas vĂŠcues et qui ne me concernent pas a priori. Il faut un certain courage pour le faire; on peut se dire qu’on n’a pas les compĂŠtences, que notre regard n’est pas assez ancrĂŠ dans le vĂŠcu, qu’il peut ĂŞtre maladroit de raconter une horreur dont on ne sait finalement rien. J’ai eu besoin d’Êcrire L’orangeraie pour poser directement ces questions; elles sont ĂŠnoncĂŠes par le personnage du professeur d’art dramatique, qui est un peu mon alter ego.Âť L’auteur, qui s’est finalement donnĂŠ le droit de parler, souligne aussi que le QuĂŠbec a fait beaucoup de chemin ces dernières annĂŠes Ă cet ĂŠgard. D’un thÊâtre de cuisine qui n’osait pas parler du monde autrement que par les voies de l’intimitĂŠ, il est passĂŠ Ă un thÊâtre politique souvent courageux, qui pose son regard sur les conflits du monde entier et qui raconte le Moyen-Orient comme l’AmĂŠrique. De Wajdi Mouawad Ă Philippe Ducros en passant par Olivier Kemeid et Carole FrĂŠchette, notre dramaturgie a effectivement

ouvert ses yeux et ses oreilles vers le lointain. ÂŤJe crois que, dans un contexte de globalisation, tout ce qui se passe ailleurs a des rĂŠpercussions chez nous. Un ĂŠcrivain doit en tenir compte. Il est impossible, dĂŠsormais, d’ignorer le grand contexte et de ne pas en prendre acte dans notre analyse de l’humanitĂŠ, de la sociĂŠtĂŠ.Âť Larry Tremblay le fait avec une ĂŠcriture très sobre, Ă vrai dire simple, mais de laquelle ĂŠmerge tout de mĂŞme un certain lyrisme, une poĂŠsie franche. Peut-ĂŞtre est-ce dĂť Ă sa capacitĂŠ Ă ĂŠvoquer, en n’en racontant que quelques-unes, les horreurs de toutes les guerres et les douleurs de toutes ses victimes. Sans jamais pourtant s’y complaire. ÂŤLa plupart de ces guerres, dit-il, sont motivĂŠes par des haines ancestrales et par la vengeance. Ce sont souvent des conflits autour de morceaux de terre et d’idĂŠologies religieuses. Je n’invente rien. L’orangeraie ressemble d’ailleurs Ă une tragĂŠdie grecque. C’est arrivĂŠ comme ça. Je n’ai pas pu faire autrement.  Une tragĂŠdie, certes, mais avec beaucoup de lumière au bout du tunnel. y Du 23 mars au 16 avril au ThÊâtre Denise-Pelletier

- A R C H Ă? , A V A L $OLLARD DES /RMEAUX 1 U A R T I E R $ ) 8 " R O S S A R D W W W P A S T A B E L L A C A



17 | musiquE

Ent’ chums notrE FrEd Fortin national rEviEnt avEc un cinquièmE album, rEnouE avEc sEs bons chums mais a aussi trouvé dE nouvEaux alliés. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Le parrain du fameux «son du Lac» est de retour sur disque. «Ton cœur est un robbeur qui crie s’a ’sphalte / Ton âme part en boucane», chante Fred Fortin sur 10$, le premier extrait de son nouvel album Ultramarr. L’artiste Martin Bureau, un ami d’adolescence de Fred, est celui qui signe – comme pour tous ses prédécesseurs – la pochette de ce cinquième disque. Comme si leurs univers étaient liés en permanence. «Cette chanson, c’est vivre sa vie accoté dans le fond, explique Fred. C’est un peu la vie de musicien aussi, à brûler du gaz. Je voyais dans ma tête l’image d’un show de boucane. La pochette de l’album, c’est un corbillard et c’est vraiment un tableau que Martin s’enlignait pour faire. Il a pris l’idée d’un film qu’il a fait en Beauce, à un événement où le monde fait des “beignes” en char. Y a un gars qui en faisait en corbillard et Martin voulait refaire ça en tableau. Quand il a entendu la toune, il m’a dit: “Ouais, je vais le faire le tableau”, et quand je l’ai vu, j’ai dit: “Wow c’est drette ça!”» Sur Ultramarr, est-ce la pédale dans le tapis? Pas tout à fait. Fred réserve plutôt le gros rock suant pour ses groupes Galaxie ou Gros Mené. Sur ses disques à lui, depuis l’introduction qu’a été Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron en 1996, il mélange l’introspection à des

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> histoires du peuple. Il s’inspire de ce qu’il ressent parfois, mais romance ses chansons pour que son fidèle public s’y reconnaisse. Fred Fortin, c’est le genre d’artiste qu’on aborde sur la rue tel un bon ami. Ça lui arrive souvent, d’ailleurs.

ne faut pas lire entre les lignes ici que Fred Fortin est en manque d’énergie ou d’inspiration. Si des thèmes se recoupent sur l’album, ce n’est pas vraiment calculé, nous dit le principal intéressé. Ses textes veulent davantage refléter des maux universels.

«C’est peut-être normal que les gens viennent me parler comme ça, je sais pas. J’ai cette ouverture-là, dit-il. Ça arrive souvent qu’après les shows je passe la veillée avec la même personne qui me jase et c’est comme ça. J’ai l’impression que c’est comme si j’étais chez nous à Saint-Prime et que je parlais avec du monde que je connais depuis longtemps. On dirait qu’ils me connaissent. Mon père et ma mère sont comme ça aussi.»

«J’ai pas voulu parler de moi nécessairement, mais d’affaires où les gens peuvent se reconnaître facilement, explique-t-il. C’est un peu un mal de notre époque d’être tout le temps en retard, d’avoir des comptes à rendre. Moi, je suis dynamique et je fonce, mais en même temps, je suis tout le temps en train de rattraper ce qu’il y a à faire.»

Maux universels Ultramarr, ça parle de chars, de gratte, de clopes, oui, mais dans les paroles on entend aussi un homme un peu fatigué et un autre qui espère que la vaisselle qui s’accumule va finir par se ramasser toute seule. Si ses personnages s’aveuglent de boucane sur 10$, l’homme de la pièce d’ouverture Oiseau, lui, n’a plus rien dans le ventre et voudrait s’envoler en fumée. Mais il

Son dernier album, Plastrer la lune, remonte à 2009, mais il fonce, ça oui, l’ami Fred. Quand il ne fait pas renaître de vieux groupes comme il l’a fait avec Gros Mené en 2012, il est le plus fidèle des bassistes au sein de Galaxie, groupe électro-rock qui a pris du galon ces dernières années, ayant fait la première partie des Stones sur les plaines à Québec l’été dernier et sacré Groupe de l’année à l’ADISQ il y a quelques mois. Ces groupes au rock plus lourd et à l’énergie débordante permettent à l’auteur-compositeurinterprète de changer d’air.


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ÂŤC’est important d’avoir plusieurs projets pour gagner sa vie. C’est important pour la tĂŞte aussi. Ça me rĂŠgĂŠnère, faire autre chose. Sinon, des genres d’albums comme Ultramarr, je ne peux pas sortir ça chaque annĂŠe. C’est comme un cycle. C’est un genre d’orbite que t’as en tĂŞte. Gros MenĂŠ, pour moi, c’est la mĂŞme affaire, mais ça libère autre chose. Y a de quoi qui se ressemble, mais en mĂŞme temps, ça change le mal de place un peu.Âť Travail d’Êquipe À ses cĂ´tĂŠs dans tous ces projets, il y a l’excellent guitariste et leader de Galaxie Olivier Langevin, qui a discutĂŠ avec nous de sa plus longue relation professionnelle, celle avec son meilleur chum Fred. ÂŤDès le dĂŠbut, quand on a commencĂŠ Ă faire des spectacles, on a rĂŠalisĂŠ que quand on ĂŠtait les deux sur la scène, ça se passait, tout simplement. Et ça s’est avĂŠrĂŠ durable. Le feu dure toujours. Quand on monte sur la scène ensemble, on sait qu’il va se passer quelque chose presque automatiquement. C’est difficile de trouver ça et c’est difficile aussi de trouver des relations qui durent parce qu’il y a la chimie sur scène et la chimie hors de la scène. On fait beaucoup de route ensemble et c’est dur de trouver des gens avec qui tu t’entends bien Ă long terme.Âť La confiance qui règne entre les deux ĂŠtait lĂ dès le dĂŠbut, alors que Fred travaillait sur son premier album et dĂŠmĂŠnageait Ă MontrĂŠal Ă l’invitation de DĂŠdĂŠ Fortin. ÂŤFred est vraiment venu me chercher pour venir jouer avec lui. J’avais lâchĂŠ mon secondaire 5 (que j’ai terminĂŠ Ă la maison) pour aller Ă MontrĂŠal. Je suis venu faire un petit bout et je suis retournĂŠ faire mes examens. Ç’a ĂŠtĂŠ le dĂŠbut de tout ça. Par la force des choses, y a ĂŠtĂŠ un peu mon grand frère. C’est devenu vite aussi un bon ami. C’est la musique qui nous a rĂŠunis, mais j’ai l’impression que mĂŞme sans ça, on aurait ĂŠtĂŠ des chums dans la vie anyway.Âť Outre ses collaborateurs habituels, Fred Fortin s’est entourĂŠ de nouveaux joueurs pour Ultramarr. Après avoir eu du fun Ă jammer dans le garage du paternel avec les frères Brad et Andrew Barr (Barr Brothers) lors de leur passage Ă Saint-Prime, Fred en a voulu plus. ÂŤJe sentais que dans l’approche des tounes d’Ultramarr, y avait un filon qui pouvait vraiment “blenderâ€? avec eux.Âť Les deux musiciens apparaissent sur cinq des onze pistes de l’album, à  la batterie, au piano et à  la guitare. ÂŤLa communication s’est faite un peu en français et un peu en anglais. C’Êtait comique de voir Olivier qui ne parle pas vraiment anglais et Andrew qui ne parle pas vraiment français! C’est pas des grands bavards, mais le temps qu’on a ĂŠtĂŠ ensemble, on a pas mal juste fait de la musique et on a ri. Après un peu de Jameson, tout le monde parle la mĂŞme langue!Âť y Ultramarr (Grosse BoĂŽte) Sortie le 18 mars

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FacE à l’horizon après 20 ans au sEin du quatuor punk rock lEs vulgairEs machins, mariE-EvE roy sE Fait apaisantE sur son prEmiEr EFFort solo. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


21 | musiquE

Ça fait toujours un grand bien de changer l’énergie de place. Chez les musiciens punk, on remarque une tendance: le virage solo plus intimiste ou acoustique. L’Ontarien Dallas Green est passé au folk (City and Colour) après des années dans le hardcore d’Alexisonfire. Le leader du groupe punk rock canadien The Flatliners, Chris Cresswell, est parti en tournée l’année dernière, seul sur scène avec sa guitare acoustique. Il faut changer d’air parfois pour mieux se retrouver. Ou peut-être est-ce simplement un besoin de s’assagir un peu. Dans le cas de Marie-Eve Roy, l’aventure solo s’est imposée comme une nécessité après deux décennies à chanter du punk rock le poing en l’air avec les Vulgaires Machins. En posant ses valises pendant tout un mois en Nouvelle-Zélande en 2010, la musicienne a réussi à prendre du recul pour la suite des choses. Il fallait tout détruire, s’éloigner, pour reconstruire. «Les Vulgaires Machins, c’est vraiment une longue relation, et dans ma vie privée aussi, c’est une longue relation (Marie-Eve est en couple avec le chanteur Guillaume Beauregard). Avec cet album solo, j’ai voulu faire des chapitres différents de ce que c’est de partager sa vie avec quelqu’un aussi longtemps. Y a des moments de doute, de perte de soi. Les Vulgaires Machins et ma relation ont commencé à 17 ans. Tu te perds, tu te cherches, tu vis à travers l’autre. J’avais besoin que tout s’écroule pour que je me retrouve. À un moment donné, on dirait que tout tourne autour de la même chose et j’avais besoin de confirmer que je pouvais vivre à l’extérieur de ça.» Voir l’infini Seule, devant le bleu infini de l’horizon à Golden Bay, elle a trouvé l’inspiration pour son premier album. «La Nouvelle-Zélande, c’est vraiment à l’autre bout du monde et en arrivant, je me suis sentie vraiment loin. J’ai même eu le vertige parce que j’habitais près d’un mont et y avait des immenses montagnes autour de moi. Je devais prendre le temps d’être bien dans cette place-là et me retrouver. À cet endroit, je pouvais poser un regard sur tout ce qu’il y avait à l’extérieur.» Entre ce voyage déterminant il y a quelques années et ce Bleu Nelson, Marie-Eve a fait des albums et des tournées avec les Vulgaires Machins, donné naissance à un enfant et vu son compagnon de vie se lancer en solo avec D’étoiles, de pluie et de cendres, un album très bien reçu. Aujourd’hui, c’est à son

tour de se mettre en danger pour avancer, d’avoir le courage de parler au «je». Sur la douce introduction du disque, Dis-moi tout, elle chante son besoin de réconfort: «Comment fait-on Pour se tenir debout Quand les murs s’écroulent autour J’avoue que j’ai les larmes qui coulent.» «La musique me console dans la vie. C’est ça mon élan pour écrire. J’ai besoin de me consoler avec la musique et de consoler les autres. Dans le tourment de ce qui est la vie ou dans le processus d’écriture, j’ai besoin de ça», insiste-t-elle. Univers feutré Son inspiration principale pour cette œuvre minimaliste, enveloppante et parfois dansante – dans la veine de son premier simple Golden Bay –, c’est le trio britannique The xx. Et ses alliés, dans son aventure solo? Un homme et un instrument. «Je me suis procuré un Wurlitzer. J’avais envie de ce son-là avant même d’écrire. J’ai écrit avec ça, avec un son vraiment vibrant et feutré. C’est ça qui a donné le ton à toutes les pièces. Je l’ai amélioré et peaufiné en allant chercher Julien Mineau (compositeur de Malajube). Je ne le connaissais pas beaucoup, mais j’ai toujours adoré son univers. J’ai su qu’il prenait de vieux pianos et les remettait à neuf. Je savais qu’il en avait quelques-uns à vendre, donc on s’est rencontrés et j’en ai acheté un. Après ça, il m’a invitée à venir faire des chansons.» Mais tout compte fait, Bleu Nelson est un album d’une femme qui s’affirme, aussi difficile soit l’exercice sur le plan personnel, précise la compositrice. «Avec les Vulgaires Machins, j’étais entourée de gars tout le temps, tout le temps! Parfois, c’était lourd! dit-elle en riant. J’ai un besoin criant d’être femme créatrice à 100%. J’ai envie de m’entourer de filles aussi. Je veux aller au bout de mes idées. Autant c’est épeurant puisque, comme je l’explique sur la chanson Vents contraires, j’ai de la misère à m’affirmer, autant c’est salvateur.» Et son lancement, justement, elle le fait le 8 mars, Journée internationale des femmes. y Bleu Nelson (Costume Records) Sortie le 4 mars marieeveroy.com


lE trou noir lE sExtuor post-rap dEad obiEs EnvoiE GESAMTKUNSTWERK, un dEuxièmE album plus accEssiblE mais paradoxalEmEnt voué à l’échEc commErcial. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

«On ne fera jamais d’argent avec cet album-là», envoie d’emblée le rappeur Yes Mccan. Après Loud Lary Ajust l’an dernier, c’est au tour de Dead Obies de subir, lui aussi, les contrecoups de la tendance franglaise, qui secoue la scène hip-hop québécoise depuis quelques années. Sauf que cette fois, ce n’est pas l’ADISQ, mais bien Musicaction qui ferme la porte. Quelques mois après avoir reçu une subvention de 18 000$ de l’organisation, le groupe doit maintenant la rembourser complètement puisque son album Gesamtkunstwerk, un mélange de français (à 55%) et d’anglais (à 45%), ne respecte pas le seuil de contenu francophone de 70%, conditionnel à l’obtention d’une telle bourse. Rien de bien plus concluant non plus avec le pendant anglophone FACTOR, qui n’octroie des subventions qu’aux albums contenant au minimum 50% de textes en anglais. «On est exactement dans le bracket qui passe pas à nulle part, déplore Mccan. On part à 40 000$ dans le trou.» Bref, le groupe est pris dans un «trou noir». «Y a jamais eu ce problème-là avant, rapporte Snail Kid. Des rappeurs comme Muzion ou Sans Pression mettaient de l’anglais dans leurs chansons, mais jamais au point de dépasser la barre du 30%.»

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Pour une carrière...

Collège O’Sullivan Au courant dès le départ des conditions d’admissibilité de Musicaction, Dead Obies n’a toutefois pas voulu s’y plier à tout prix, en se forçant, par exemple, à ajouter quelques mots français ici et là. «On voulait pas se rendre jusque-là, indique 20some. Avoir le seuil en tête, ça dénature complètement la création.» Plus accrocheur Et pourtant, Gesamtkunstwerk n’est pas vraiment plus «anglophone» que son prédécesseur, qui avait toutefois profité d’une subvention de Musicaction. Curieusement, c’est dans une tentative d’être plus accrocheur que Dead Obies a perdu au change. «On a beaucoup de hooks, et il y en a beaucoup qui sont en anglais, explique 20some. Ç’a joué contre nous… même si ces refrains-là ont parfois moins de huit mots.» Partiellement enregistré au Centre Phi en octobre avec les musiciens de Kalmunity, l’album est en tout point «plus catchy» que Montréal $ud. «On voulait que les tounes puissent vivre d’ellesmêmes, sans nécessairement qu’elles soient prises dans un concept», explique Jo RCA.

Conscient de la complexité de son premier album, qui avait été accompagné d’un livre expliquant son concept, le groupe a voulu proposer «quelque chose de moins narratif» cette fois. Inspiré par l’essai La société du spectacle de l’écrivain français Guy Debord, une virulente critique de la société de consommation, Gesamtkunstwerk («œuvre d’art totale» en allemand) est moins surchargé. «C’est vraiment dans la forme que tu peux comprendre le concept», indique Snail Kid, en référence aux nombreux échos de spectacle qu’on retrouve sur l’album. «T’as pas nécessairement à te casser la tête pour trouver les références de La société du spectacle dans les textes.» «En même temps, si tu les cherches, tu vas les trouver, ajoute Yes Mccan. C’est comme Les Simpson ou La petite vie: tu peux écouter le shit la tête à off et avoir un fuckin good time, mais tu peux aussi l’écouter attentivement pour en tirer quelque chose de plus.» y

APPROCHE WEB

Début Août 2016

AEC

12 mois TECHNOLOGIE DES MÉDIAS ET PLATEAU DE TOURNAGE

Préparez-vous à travailler sur un plateau de tournage !

Début Août 2016

Gesamtkunstwerk (Bonsound) Spectacle de lancement le 10 mars au National

COMPTABILITÉ FINANCIÈRE INFORMATISÉE

AEC

12 mois

Les logiciels de pointe vous seront enseignés. Peel et Lucien-L’Allier

Collège O’Sullivan 1191, rue de la Montagne, Montréal

514 866-4622 www.osullivan.edu PORTES OUVERTES Mardi 12 avril de 17h à 20h30

ADMISSION GRATUITE! Pour tous les candidats qui s'inscrivent sur place le 12 avril (Valeur de 50$)


à écoutEr ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

misc MISC (Bonsound) ★★★★ Le trio Jérôme Beaulieu est mort, vive le Misc! L’excellent pianiste québécois et ses deux acolytes Philippe Leduc et William Côté savaient déjà qu’ils ne survivraient pas à une appellation traditionnelle qui reflétait mal leur univers de modernité, teinté d’humour, d’audace et d’explorations musicales sans compromis. La signature sur l’étiquette Bonsound, la tournée européenne de l’automne dernier et une semaine de résidence dans un magnifique manoir bourguignon ont aidé à négocier ce tournant inévitable. Voici donc l’ouvrage homonyme précisant l’identité du groupe chouchou qui a tout raflé depuis son arrivée sur la scène jazz montréalaise, il y a déjà cinq ans. À noter que l’album débute par La fin et qu’il inclut une fluide relecture de Respirer dans l’eau, prouvant comment Daniel Bélanger continue d’inspirer les formations instrumentales d’ici. Subtil, libre, passionnant. (R. Boncy)

you say party YOU SAY PARTY

stEvEn Wilson 4 1/2

(Paper Bag Records)

(Kscope/Snapper Music)

★★★★

★★★1/2

La pochette est tout en teintes de gris, la musique et le ton du disque sont assez sombres. Même si la formation canadienne aliénera sans doute les fans de la première heure avec ce nouvel opus par son manque de punk et de punch, ce changement de cap est toutefois un grand pas en avant, musicalement parlant. Il s’agit d’un premier album en six ans pour le groupe qui a tronqué son nom (anciennement You Say Party! We Say Die!) à la suite de la mort de son batteur en 2010. Expérimental, industriel et new wave par moments, l’album est d’une lenteur absolument délectable. Le matériel électropop ambient rappelle parfois les compatriotes d’Austra et Young Galaxy et la voix de Becky Ninkovic, autrefois cinglante, est ici juste et posée. Un album homonyme en guise de réintroduction et d’affirmation. (V. Thérien)

La discographie de Steven Wilson est un joyeux mélange d’éditions spéciales, de tirages limités, de collaborations diverses et de projets sortis sous pseudonymes... Pas étonnant de le voir sortir ce «disque intérimaire» qui contient quatre pièces originellement prévues pour son quatrième enregistrement en studio (Hand. Cannot. Erase.), une qui était prévue pour son troisième et une version enregistrée en concert de Don’t Hate Me, de son groupe Porcupine Tree. Des sessions de Hand. Cannot. Erase., la pièce Vermillioncore sort du lot par son côté jazz metal, avec Nick Beggs qui tient une ligne de basse d’enfer. Wilson a le fond de tiroir généreux, et cet EP offre largement de quoi patienter jusqu’au prochain! (R. Beaucage)

maracujá VITAMINA (Indépendant) ★★★ Les quatre sympathiques mousquetaires de Maracujá ont déjà bourlingué à Montréal dans des formations comme Gaïa ou Mandiga au début des années 2000. Leur nouveau nom de groupe exotique évoque une boisson alcoolisée, mais le titre de ce premier album peut induire l’auditeur en erreur dans la mesure où il y anticiperait une musique tropicale faite pour le cours d’aérobie. Heureusement, il n’en est rien. C’est plutôt l’émotion, le vécu, les fruits de la passion et la nostalgie du Brésil qui priment ici. Bïa donne la réplique à Elie Haroun, un chanteur qui a du cœur. Le bassiste André Faleiros écrit de bien belles choses, et on passe en revue – sans les imiter – Djavan, Caetano Veloso, Chico Buarque, Villa-Lobos, Jobim et même Claude Dubois (en portugais). Le plein de tendresse garanti. Meilleur avec de la vodka. (R. Boncy)

dEad obiEs GESAMTKUNSTWERK (Bonsound) ★★★★ Ambitieux, même prétentieux à certains égards, ce deuxième album de Dead Obies propose une formule partiellement live, inspirée par l’essai culte La société du spectacle de Guy Debord. Avec leurs flows polyvalents, davantage mélodieux, les cinq rappeurs abordent les rapports sociaux, l’ambition insatiable et la pseudo-vie, accumulant les clins d’œil à l’essai original et amorçant en filigrane une réflexion substantielle sur l’aliénation de la culture hip-hop. Vivant du paradoxe d’avoir réussi à «make it» sur la scène rap québécoise et de toujours travailler «au salaire minimum», le groupe offre des textes bien ficelés qui, à défaut d’être toujours significatifs, impressionnent par leur complexité phonétique. À la barre des beats et de la réalisation, VNCE crée un contraste dynamique en alliant le côté brut des pistes live à celui plus lisse des bandes studio. (O. Boisvert-Magnen)


25 | disquEs

animal collEctivE PAINTING WITH

ray lamontagnE OUROBOROS

(Domino)

(RCA Records)

★★★1/2

★★★1/2

Comment Animal Collective pouvait-il encore nous surprendre après neuf albums? Poser la question, c’est y répondre. Le groupe à géométrie variable a décidé pour son dixième effort de faire dans le direct. Pas de longues envolées, moins d’effets drone et un penchant pour de courtes chansons pop acidulées, frénétiques, aux voix stroboscopiques, façon Strawberry Alarm Clock, Beach Boys ou autres as des harmonies vocales lysergiques passés à la hacheuse. Cette fois-ci composée du trio Avey Tare, Panda Bear et Geologist, la formation joue avec les sons, usant allègrement de ses synthés modulaires, de percussions de toutes sortes, créant des chansons fraîches et ensoleillées, homogènes, aux rythmes fous et syncopés. Si certaines tentatives manquent la cible, la majorité des 12 titres sont de délicieuses et inspirantes petites odes psychédéliques à la joie. (P. Baillargeon)

Ray Lamontagne a une voix des plus chaleureuses, mais il laisse davantage parler la musique sur ce sixième album réalisé par Jim James. Au gré des albums, l’Américain est passé du timide chanteur folk à l’artiste confiant dévoilant une plus grande palette, naviguant dans le blues et le country, par exemple. Bien que son dernier album ait eu plus de succès, il fait ici un pied de nez aux albums commerciaux («You’re never gonna hear this song on the radio», clame-t-il sur Wouldn’t It Make A Lovely Photograph) et se paye un méchant trip musical. Les huit titres sont généralement assez longs, il y a des envolées, de l’expérimentation, le ton est surtout psychédélique mais aussi dreamy, les guitares sont fuzzy et grasses à souhait. Bref, c’est son disque le plus ambitieux et certainement son plus surprenant. (V. Thérien)

caskEt robbEry EVOLUTION OF EVIL (Mortal Music) ★★★ Durant les premières écoutes d’Evolution of Evil, les impressions de «déjà entendu» sont tellement nombreuses que c’en est dérangeant, du moins au début. Parmi les plus évidentes, on note le métal mélodique et groovy du Devin Townsend Project, le deathcore de Despised Icon et le death sanglant de Cannibal Corpse. Une fois qu’on a mis le doigt sur les influences de Casket Robbery, il devient plus facile de se laisser transporter par les 10 morceaux qui se démarquent parce qu’ils sont divertissants et accrocheurs (écoutez Annibelle’s Hell et Undead Living Hell). Le groupe originaire du Wisconsin, qui comprend notamment le bassiste Cory Scheider (Luna Mortis, Epicurean), plaira certainement aux fans de Mass Murder Messiah et Dark Century. (C. Fortier)

lnzndrF LNZNDRF (4AD) ★★★1/2 Quossé ça, vous ditesvous? Le nom du groupe vient simplement du collage des patronymes des frères Bryan et Scott Devendorf (respectivement batteur et bassiste chez The National) et du multi-instrumentiste Ben Lanz (Beirut, Sufjan Stevens). Ensemble, ils ont fait de longues sessions d’enregistrement – surtout improvisées – et en ont gardé une quarantaine de minutes pour ce premier album. Les explorations du trio sont un mélange de rock atmosphérique, prog, psychédélique et krautrock. Il y a un petit quelque chose à la Explosions in the Sky dans tout ça et des moments pop-rock plus énergiques, rappelant The National (Beneath the Black Sea). Aussi, sur Mt Storm, on croirait entendre The Besnard Lakes tant la voix se fait aiguë et aérienne. Un album d’instinct assez hypnotisant. (V. Thérien)

sarah nEuFEld THE RIDGE (Paper Bag Records / Outside Music) ★★★★ Après un premier disque solo en 2013 et un autre en duo avec le saxophoniste Colin Stetson (entendu sur trois pièces ici au Lyricon), revoici Sarah Neufeld en duo, mais cette fois avec son collègue d’Arcade Fire, le batteur Jeremy Gara. Cette combinaison produit pour certains titres un résultat plus pop, bien différent de celui qu’on trouve sur les deux disques évoqués plus haut. La violoniste utilise de plus en plus sa voix, dans un registre éthéré qui sied bien au minimalisme de l’ensemble, même si certaines pièces pourraient certainement bénéficier d’un habillage un peu plus costaud. Mélodies proto-folkloriques (The Glow), chansons trop courtes (They All Came Down), ou pop sautillante (We’ve Got A Lot), il y a beaucoup de bon là-dedans. (R. Beaucage)


26 | musiquE

moniquE giroux SUR MESURE

Engagés ou dégagEz Depuis les ballades des trouvères jusqu’à la récente sortie du nouveau titre de Renaud Toujours debout, on s’interroge sur l’importance de la chanson dans l’évolution de la société et sur ses combats. Deux camps s’opposent. La gauche et la droite désigneront par le plus grand des hasards l’un et l’autre des camps. Dans le coin gauche, les auteurs, les compositeurs ou les interprètes dans les veines de qui coule le sang mêlé d’encre de la révolution, «pour avoir le monde à refaire», dixit Plamondon dans Le blues du businessman, comme Julien Clerc, dans cet extrait de sa chanson Utile, écrite par Étienne Roda-Gil: «À quoi sert une chanson si elle est désarmée? me disaient des Chiliens, bras ouverts, poings fermés.» Dans le coin droit, les auteurs, les compositeurs ou les interprètes dans les veines de qui coule le sang mêlé d’eau de rose du besoin d’amour, «pour pouvoir faire mon numéro quand l’avion se pose sur la piste», dixit Plamondon dans Le blues du businessman, comme Julien Clerc, encore, dans cet autre extrait de sa chanson Utile : «À ceux qui m’aimeront, à ceux qui m’aimaient, je veux être utile à vivre et à chanter.» De cette opposition illustrée par des extraits de mêmes chansons, on peut en venir à la conclusion qu’une chose et son contraire peuvent aisément se côtoyer sans heurts dans un environnement aussi confiné qu’un cadre de deux minutes trente avec une trame musicale. Et que les artistes à qui on en demande souvent beaucoup sont bien libres de faire comme ils le veulent, tout comme le public, aux multiples visages. Je chante, tu chantes, il chante, nous chantons, vous chantez, ils revendiquent.

On a souvent entendu des artistes réclamer un droit de réserve en affirmant: «Je chante, je ne fais pas de politique, je garde mes opinions pour moi». Francis Cabrel, récemment en campagne de promotion, disait: «Un chanteur, ça doit juste chanter». Oui, mais ça doit juste chanter quoi? N’a-t-il pas lui-même écrit le plus grand manifeste anticorrida de l’histoire andalouse? «Je les entends rire comme je râle / Je les vois danser comme je succombe / Je pensais pas qu’on puisse autant / S’amuser autour d’une tombe» (La corrida). Si ça n’est pas un engagement… Serge Gainsbourg, dont la chanson Je t’aime moi non plus a été censurée dans un nombre incalculable de pays au moment de sa sortie en février 1969, était aussi engageant qu’engagé et visiblement bien engagé en effet. Excusez-la. L’engagement des artistes n’est pas que politique, même si, comme le disait Aragon, «l’amour est politique, la politique est amour». On ne s’engage pas que pour un oui, pour un non. Quiconque sort de l’ombre, s’affiche publiquement ou propose une création, une œuvre digne de ce nom, s’engage. À quoi? À mille choses: à son coming out si le cœur lui en dit, à la défense des animaux, à la dénonciation de la violence faite aux femmes, aux revendications autochtones, à faire l’apologie de la protection de l’environnement. Félix Leclerc a, pendant 20 ans, écrit sur les hommes d’ici et sur nos sentiers, nos terres mouillées, sur les labours qui dorment sous la gelée. Il aura fallu la loi des


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mesures de guerre de 1970 pour qu’il chante L’alouette en colère et qu’il affiche ouvertement, pour la première fois malgrĂŠ lui, ses allĂŠgeances politiques: Mon fils est en prison / Et moi je sens en moi / Dans le trĂŠfonds de moi / MalgrĂŠ moi, malgrĂŠ moi / Pour la première fois / MalgrĂŠ moi, malgrĂŠ moi / Entre la chair et l’os / S’installer la colère.Âť Dans le monde du rap, rĂŠputĂŠ pour ĂŞtre macho et misogyne, un Koriass ouvertement fĂŠministe engagĂŠ, invitĂŠ Ă Â Tout le monde en parle il y a quelques semaines, a sĂŠduit le grand public et Lise Payette.

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ÂŤComment t’a vis ta vie d’artiste / T’es-tu Ă gauche, t’es-tu Ă drette / Vas-tu partir avec des regrets Ă ta mort / Ă€ la recherche du Love SuprĂŞme / Jamais voulu de nine to five / J’ai vendu mon âme pour une place en dessous des spotlights / Parce que ce soir le roi est mort / Enlevez le crown sur ma tĂŞte.Âť Rarement entend-on des slameurs ou des rappeurs chanter: C’est la danse des canards, qui en sortant de la mare, se secouent le bas des reins et font coincoinÂť. Quelques artistes de la chanson, c’est vrai, s’adonnent Ă ce genre, mais heureusement, ils sont assez rares. Il faut bien des tubes‌ synonymes de cylindres creux, disait Boris Vian. Quand il ne s’engage plus, le chanteur engagĂŠ dĂŠgage. Demandez Ă Renaud, ce chanteur ĂŠnervant, comme il se surnomme lui-mĂŞme. Après un pour le moins bien nommĂŠ passage Ă vide pendant lequel on l’a condamnĂŠ Ă une mort certaine des suites d’un ĂŠthylisme chronique et d’une dĂŠpendance maladive Ă la Gitane, il a perdu non seulement la voix, mais aussi tout ce qui lui restait d’inspiration. Des paparazzis mal intentionnĂŠs, excusez la redondance, le poursuivant inlassablement l’ont mĂŞme croquĂŠ titubant devant la Closerie des Lilas ou carrĂŠment affalĂŠ, tel un clochard, sur un banc de parc. Depuis des annĂŠes, toutes les nouvelles qui nous venaient de lui concernaient son ĂŠtat; grandeur et dĂŠcadence. Et puis les attentats de Charlie en janvier l’ont touchĂŠ en plein cĹ“ur. Ses amis sont morts. Il est sorti marcher lui aussi. Il a mĂŞme embrassĂŠ un flic, titre d’une de ses chansons nouvelles, et l’inspiration lui est venue comme on charge une arme pour dĂŠfendre sa peau. Ă€ la demande de Grand Corps malade, il a ĂŠcrit Ta batterie pour son fils Malone, chanson qui figure sur l’album concept de GCM Il nous restera ça. Et puis 14 autres ont surgi. Le nouvel album de Renaud paraĂŽtra dans quelques semaines. On en reparlera. En ĂŠcrivant ces mots, j’entends que le Bataclan a ĂŠtĂŠ rĂŠnovĂŠ et que la salle rouvrira ses portes d’ici la fin de l’annĂŠe. Ma suggestion du mois en attendant la suite? Pourquoi chanter, de Louise Forestier. y

ĂˆĂ‡ÂŁ{]ÊÀÕiĂŠ->ÂˆÂ˜ĂŒÂ‡ >Ă•Ă€iÂ˜ĂŒ xÂŁ{ĂŠ{™x‡ääĂˆĂ‡ V>viÂˆÂ˜ĂŒiĂ€Â˜>ĂŒÂˆÂœÂ˜>Â?°V>


28 | DOSSIER


CANNABIS... ÊTES VOUS PRÊTS ? LANCÉE LORS DE LA DERNIÈRE CAMPAGNE ÉLECTORALE FÉDÉRALE, LA COMÈTE DE LA LÉGALISATION DE LA MARIJUANA DEVRAIT FRAPPER LE CANADA BIENTÔT SI LA TENDANCE SE MAINTIENT. À QUOI FAUT-IL S’ATTENDRE? FAUT-IL SE CONSTRUIRE UN ABRI POUR SURVIVRE AU CATACLYSME OU COURIR S’ACHETER 20 BOÎTES DE PAPIER À ROULER AVANT QUE LA POPULATION NE PRENNE D’ASSAUT LES DÉPANNEURS? NOUS L’IGNORONS, C’EST POURQUOI NOUS AVONS DEMANDÉ L’AVIS DE SIX EXPERTS. ÊTES-VOUS PRÊTS? MOTS | CATHERINE PERREAULT-LESSARD

NOS EXPERTS LINE BEAUCHESNE

Criminologue, professeure au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, auteure de nombreux livres et articles sur la question des drogues.

JODIE EMERY

Militante, copropriétaire du magazine Cannabis Culture,

de Pot TV et de la boutique Cannabis Culture Headquarters à Vancouver. Épouse de Marc Emery, qui a passé cinq ans en prison aux États-Unis pour avoir vendu des graines de cannabis.

JEAN-SÉBASTIEN FALLU

Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, directeur de la revue internationale Drogues, santé et société.

DANA LARSEN

Auteur de Hairy Pothead and the Marijuana Stone,

politicien et militant. Fondateur du site endprohibition.ca, directeur de cannabisdispensary.ca et de la campagne Sensible BC pour décriminaliser le cannabis.

HUGÔ ST-ONGE

Chef du Bloc Pot de 2002 à 2012, militant depuis une vingtaine d’années, travaille aujourd’hui comme comptable.

SÉBASTIEN ST-LOUIS

Président et fondateur de Hydropothicaire, un des producteurs de marijuana médicale autorisés au Canada.


Première question, et probablement la plus importante, qui va avoir le droit de faire pousser de la marijuana au Canada? Sébastien St-Louis: Les producteurs de marijuana médicale, comme moi, vont certainement avoir le droit d’en produire. On va tout simplement augmenter notre production pour fournir le marché récréatif. Pour l’instant, il y a 23 compagnies comme la mienne qui sont autorisées à le faire et je pense qu’il va y en avoir d’autres… mais pas beaucoup, car le processus pour obtenir une licence de production est très complexe. Line Beauchesne: Selon moi, les producteurs de chanvre de l’industrie agroalimentaire risquent aussi d’avoir le droit. On n’en parle peu, mais ce sont de très gros joueurs. Actuellement, en Saskatchewan, des fermiers font pousser des acres et acres de cannabis sans THC et ils sont prêts à produire pour le marché récréatif. Ils ont l’équipement nécessaire, ils ont des laboratoires et ils ont des réseaux de distribution. Si la marijuana est légale demain matin, ils vont pouvoir offrir une variété de produits dans un temps record. Mais, est-ce que le citoyen moyen va aussi pouvoir faire pousser quelques plants dans sa cour pour sa consommation personnelle? Sébastien St-Louis: Au début, non, mais je m’attends à ce qu’il y ait une dérégulation dans le futur. Chaque individu va pouvoir produire sa propre marijuana, au même titre qu’il peut fabriquer sa propre bière ou son propre fromage. La seule différence, c’est qu’il n’aura pas le droit d’en distribuer. Dana Larsen: Moi, au contraire, je pense que ça va être légal dès la première phase de la légalisation. Chaque individu aura le droit de faire pousser six plants pour sa consommation personnelle comme au Colorado, où la marijuana est légale. Si cette personne souhaite en produire plus, elle aura besoin d’un permis spécial. Et, si elle veut en vendre, elle devra respecter certains règlements de santé publique pour s’assurer que son produit n’est pas dangereux. C’est bien beau de faire pousser du pot, mais où va-t-on pouvoir en acheter? Hugô St-Onge: Selon moi, comme le gouvernement souhaite légaliser tout en protégeant les jeunes, il va tout simplement ouvrir le modèle de la marijuana médicale à tous les Canadiens de 19 ans et plus. Ce qui veut dire qu’on va commander du pot par Internet et qu’il va nous être expédié par la poste. La seule différence avec le modèle médical, c’est que les clients n’auront pas besoin d’une prescription pour en commander. Sébastien St-Louis: Du point de vue du consommateur, c’est certain que ce serait aussi intéressant de pouvoir toucher et voir le produit. C’est pourquoi je suis persuadé que le gouvernement va donner des licences à certaines organisations pour en vendre. On risque, par exemple,

de voir ouvrir des dispensaires légaux qui achètent chez des producteurs autorisés. On peut aussi s’imaginer que certains producteurs autorisés vont ouvrir leurs propres magasins. Personnellement, je me vois très bien ouvrir une boutique Hydropoticaire. Dana Larsen: Peu importe le modèle, je suis convaincu que les lois vont être très strictes au début. Au fil du temps, elles vont s’assouplir et la marijuana va être vendue un peu comme la bière: on va avoir plusieurs options, comme dans les épiceries ou les bars. Jodie Emery: Moi, je rêve vraiment de voir ouvrir des coffee shops comme à Amsterdam! Je pense que ce serait bien aussi que le gouvernement ait ses propres boutiques. OK, maintenant, la question qui tue et donne des boutons au ministre des Finances Carlos Leitão: est-ce qu’on va pouvoir acheter du pot à la SAQ? Jean-Sébastien Fallu: Oui, je le crois. Jodie Emery: Moi, ça me fait peur que le modèle de la marijuana soit calqué sur celui de l’alcool. Celui-ci est très restrictif. D’autant plus que, dans les régies, les gens ne connaissent pas la marijuana. Et qu’il y a beaucoup de gens qui en consomment parce qu’ils n’ont justement pas envie de boire. Les alcooliques, par exemple, ne devraient pas avoir besoin d’aller dans une SAQ pour se procurer de la marijuana. Line Beauchesne: Peu importe si on en vend à l’épicerie ou dans les régies des alcools, je pense que le gouvernement doit faire de la prévention à l’intérieur de ces commerces et s’assurer qu’on n’en vend pas aux mineurs. Pour moi, l’encadrement est la clé. Le fait de pouvoir en acheter légalement va-t-il vraiment mettre fin au marché noir? Line Beauchesne: La fin du marché noir dépend de la taxation. Si les gouvernements sont assoiffés d’argent et qu’ils imposent une taxe élevée, le marché noir va demeurer. Pourquoi? Parce que, pour les clients, ça va être plus intéressant d’acheter de la marijuana au crime organisé, car elle va être moins chère. C’est exactement pour cette raison que la taxation a fait l’objet de beaucoup de discussions au Colorado et à Washington, où la marijuana est légale. Leur gouvernement a dû faire beaucoup de calculs pour casser le marché noir… Hugô St-Onge: Le seul moyen de tuer le marché noir, c’est de tuer la valeur du cannabis. Il faut que ça ne vaille rien! Et ça tombe bien, puisque ça ne vaut rien. C’est de l’herbe! Est-ce vrai que le pot légal va être de meilleure qualité que celui qu’on trouve actuellement sur le marché noir? Sébastien St-Louis: Oui! C’est déjà le cas avec la marijuana médicale. Elle est de bien meilleure qualité que celle qu’on trouve dans la rue, car on n’utilise pas de pesticides


nocifs pour la produire. Sans parler de la fleur, qui est belle et parfaitement hydratée. Le taux de cannabinoïdes est aussi précis. Ce qui est un avantage pour le consommateur.

crois pas que ce sera permis à 16 ans. Je pense que l’âge légal sera de 18 ans, car le gouvernement fédéral souhaite que ce soit le même à travers tout le pays.

Hugô St-Onge: Et si elle n’est pas de qualité, on va pouvoir la retourner au magasin!

Et combien ça va coûter?

Dana Larsen: La légalisation n’aura pas seulement un impact sur la qualité. Ça va aussi changer les formes de marijuana qu’on va consommer. D’après moi, on va fumer moins de joints et on va prendre plus de hasch, par exemple, parce qu’on va désormais pouvoir vendre des extractions et des concentrés de cannabis. Quel va être l’âge légal exact pour consommer? Hugô St-Onge: Dix-neuf ans, parce que c’est l’âge légal pour boire de l’alcool dans beaucoup de provinces. Sébastien St-Louis: Si je me fie à la science, je crois que ce sera plutôt 21 ans, car, en dessous de cet âge, la marijuana peut avoir des effets très nocifs sur le cerveau. Jean-Sébastien Fallu: Ce n’est pas tout à fait vrai... Il n’y a pas eu d’études sérieuses qui ont été faites sur les effets de la marijuana chez les 17 à 21 ans. La seule qu’il y a eue, c’est sur les 16 ans et moins. En 2002, le sénateur Nolin a d’ailleurs recommandé que l’accès légal soit de 16 ans pour ne pas criminaliser les consommateurs de cet âge, qui sont très nombreux. Il voulait aussi éviter que ceuxci en achètent sur le marché noir. Cela étant dit, je ne

Hugô St-Onge: Si on se fie aux prix du Colorado, ça va doubler! Sébastien St-Louis: Je pense plutôt qu’il va y avoir une variété de prix. On va trouver de la marijuana haut de gamme à 15$ le gramme ou même plus chère, mais aussi à des prix en dessous du marché noir comme 2,50$ ou 3$ le gramme. Dana Larsen: Moi, je crois plutôt que le prix va être élevé au début, mais qu’il va descendre progressivement. C’est ce qui s’est passé à Washington. À l’origine, c’était 30$. Maintenant, c’est 15$. Jodie Emery: Des fois, je me dis que le gouvernement ne voudra pas descendre en bas de 10$ le gramme, parce qu’il sait que c’est le prix du marché et qu’il pourrait faire beaucoup d’argent en le gardant tel quel… Une fois qu’on a acheté notre pot, où va-t-on pouvoir en consommer? Line Beauchesne: C’est simple. Ceux qui veulent fumer de la marijuana vont être astreints aux mêmes règles que ceux qui fument du tabac. Ils vont pouvoir consommer aux mêmes endroits.

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Jean-Sébastien Fallu: Personnellement, je crois que les gens vont seulement pouvoir en fumer chez eux… et c’est pas mal ça. Ce sera interdit dans les restos et dans les bars. Peut-être que ce sera permis dans des salons de fumeurs… mais encore là, ça m’étonnerait beaucoup. Sébastien St-Louis: Ceux qui en consomment oralement, par contre, pourront le faire n’importe où, car cela n’affectera pas les gens autour d’eux. Comme certaines personnes risquent d’en consommer avant de prendre leur voiture, va-t-on devoir changer le Code de la route pour détecter ceux qui conduisent avec des facultés affaiblies? Jean-Sébastien Fallu: Non. Même si plusieurs compagnies s’activent actuellement pour trouver des moyens de les détecter, les policiers ont déjà des moyens pour le faire… Line Beauchesne: En effet, en ce moment, tout le monde se demande comment on va détecter le cannabis si une personne conduit avec des facultés affaiblies. Mais il faut arrêter de poser cette question, car les traces de cannabis peuvent rester longtemps dans l’organisme et ça peut brouiller les pistes. Par exemple, on peut consommer le vendredi et en avoir encore dans notre sang le dimanche. Il faut plutôt commencer à faire des tests de réflexes pour tester les facultés, peu importe les causes. D’ailleurs, pensez-vous que le nombre de consommateurs va augmenter une fois que la marijuana va être légale? Line Beauchesne: Quand on légalise la marijuana, il y a plein de gens qui ne l’ont jamais essayée et qui décident d’en prendre. On peut s’attendre à une petite hausse, suivie d’une stabilisation des habitudes de consommation. Hugô St-Onge: Je crois que la consommation du cannabis n’a pas nécessairement de lien avec les lois... C’est plus quelque chose de culturel. C’est pour cette raison que c’est difficile de prédire s’il y aura une augmentation ou pas. Ce qu’on sait, par contre, c’est que lorsqu’un pays légalise la marijuana, les jeunes en consomment moins. Fumer du pot, pour eux, ça devient moins sexy et ça représente moins un acte de rébellion. On entend souvent que la légalisation du pot pourrait attirer beaucoup de touristes au Canada. Y croyez-vous? Jodie Emery: Oh, oui! Le tourisme de la marijuana sera une très bonne façon de créer de l’emploi et de faire rouler l’économie canadienne. On peut facilement imaginer des «routes de la marijuana» pour visiter et découvrir différents producteurs, un peu comme on le fait déjà avec le vin. Sébastien St-Louis: À court terme, c’est certain qu’il va y avoir un intérêt, mais est-ce que ça va durer quand les autres pays ou les autres États américains vont légaliser la marijuana eux aussi? C’est la question que je me pose.

Hugô St-Onge: C’est vrai, demain matin, le Vermont emboîte le pas et la légalise. Qui va vouloir venir ici? En terminant, on sait bien, entre nous, que le Canada ne légalisera pas la marijuana demain matin… Selon vous, quand est-ce que ce sera officiel? Line Beauchesne: Ce ne le sera pas avant avril, car il y a une importante conférence de l’Organisation des Nations Unies à ce sujet. Et je ne crois pas que ce le soit avant les élections américaines en novembre, non plus. Si notre voisin est démocrate ou républicain, ça aura nécessairement un impact sur le processus. Sébastien St-Louis: D’après moi, ce sera très rapide. Je pense qu’on va voir de la marijuana légale dans des magasins d’alcool en Colombie-Britannique en 2017. En ce moment, le regroupement de producteurs dont je fais partie est déjà très avancé dans ses discussions avec les acteurs là-bas. Une fois que ce sera légal en ColombieBritannique, l’Ontario et le Manitoba vont suivre très rapidement. Puis, le Québec va emboîter le pas quand il va voir tous les revenus de taxes que font ses voisins! Dana Larsen: Au contraire, je crois que ça va prendre plusieurs années avant que la marijuana soit légale au Canada. Mais, d’ici là, ce qu’on va voir, c’est une légalisation non officielle. Les gens vont faire «comme si» c’était légal! y

L’ENVERS FISCAL DU CANNABIS MOTS | PIERRE-YVES MCSWEEN

L’attitude positive du premier ministre Justin Trudeau face à la légalisation et la commercialisation du cannabis donne droit à de multiples fantasmes quant aux retombées économiques que cela pourrait générer. Qu’en est-il exactement? En se basant sur les données officielles du Colorado où la drogue douce est commercialisée, on en dégage une extrapolation possible pour la belle province. Nature des revenus Pour comprendre la structure de revenus de cet État, il faut d’abord statuer que les deux types de marijuana sont taxés différemment. D’un côté, il y a la marijuana médicale et de l’autre, celle réservée au commerce de détail. Trois taxes d’État s’appliquent à cette drogue. Il faut noter que seule la taxe de vente d’État touche la marijuana médicale. Taxe de vente d’État: 2,9%; taxe de vente spéciale: 10%; taxe d’accise: 15%.


Donc, les clients consommant la marijuana vendue au détail à des fins récréatives payent 25% en taxes sur le produit en plus du 2,9% déjà comptabilisé. Les premiers 40M$ américains annuels générés par la taxe d’accise vont à un fonds dédié à remplacer ou rénover les écoles publiques: nettoyage de l’amiante, amélioration de la qualité de l’air, etc. Le reste des revenus est dédié au Marijuana Tax Cash Fund servant à financer les soins de santé, l’éducation à la santé, la prévention et les traitements liés à l’abus de substances en plus de l’application de la loi. Ainsi, le Colorado a décidé de dédier les revenus touchés de la commercialisation du cannabis à certaines dépenses bien précises. Il est à noter que 15% des revenus tirés de la taxe de 10% sont distribués aux autorités gouvernementales locales. Les limites de la comparaison Il est difficile de quantifier les retombées économiques liées à la légalisation de la marijuana, car plusieurs questions demeurent sans réponses. La première, comment réagira le marché noir? Verrait-on une guerre de prix s’installer entre le pot légal taxé et celui vendu par le crime organisé? Quel pourcentage de la population déplacera sa consommation vers le marché légal? La légalisation amènera-t-elle une augmentation du pourcentage de la population fumant du cannabis à des fins récréatives? Beaucoup de questions sans réponses amènent une volatilité importante dans toute tentative de quantification des revenus éventuels au Québec.

Extrapolation québécoise des données du Colorado La quantification des revenus de taxation potentiels a été faite en extrapolant les données de l’État du Colorado sur la population québécoise. Pour ce faire, on tient pour acquis que les prix en dollars américains et en dollars canadiens seront semblables, puisque les coûts de production comme ceux de la main-d’œuvre se calculent en devise locale. D’ailleurs, le prix au détail doit refléter la capacité de payer des clients locaux. Croissance importante Pour les 12 mois de l’année 2015, la hausse des ventes par rapport à l’année précédente a généré une augmentation de près de 47% des revenus tirés de la taxe de vente de 2,9% au Colorado. Pour la même période, les revenus de taxe d’accise de 15% ont augmenté de 107%, alors que ceux tirés de la taxe de vente spéciale sur le produit ont augmenté de 73%. Ainsi, en extrapolant les données du Colorado sur la population du Québec avec les niveaux de vente actuels, la province pourrait générer plus de 130M$ de revenus toute chose étant égale par ailleurs. Évidemment, cette quantification demeure un calcul hasardeux, mais il donne une idée proportionnelle de la réalité d’un État du sud appliquée au Québec. Il est difficile de savoir quels pourraient être les impacts économiques sur la santé publique liés à la consommation du cannabis. Par conséquent, la légalisation et la vente au détail du cannabis pourraient apporter leur lot d’adaptations. Reste simplement à savoir si ce projet de légalisation ira de l’avant ou s’il partira en fumée! y

COLORADO

QUÉBEC

5 356 000

8 214 885

17 930 141 $

27 500 755 $

TAXE DE VENTE AU DÉTAIL (10%)

36 906 479 $

56 606 139 $

TAXE D'ACCISE (15%)

21 390 975 $

32 808 887 $

LICENCES ET FRAIS

9 047 776 $

13 877 229 $

TAXES TOTALES

85 275 371 $

130 793 011 $

POPULATION TAXE DE VENTE (2,9%)


34 | OPINION

ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

LE DESTIN «Dans l’aile où j’étais, il y avait un gars qui avait violé une dizaine de femmes en les menaçant au couteau. Il m’a raconté que ça le faisait bander. Il y avait un pédophile complètement dans le déni. Un autre qui avait poignardé son père. Ouin… La prison, c’est trash. Quand, tu rentres, ils te posent des questions sur ton état de santé. Ils te demandent si tu prends des médicaments, si t’es fumeur, ils te donnent des timbres de nicotine. Moi, comme je ne fume pas, j’ai dit non. Erreur. J’ai vite compris que les patchs en prison, c’est comme des dollars. Les gars les coupent en languettes. Ils arrachent des pages de la Bible et se font des cigarettes avec. Ça vaut 20$ la cigarette. C’est le “boss de la wing” qui contrôle le commerce. Le boss, c’est le prisonnier qui est comme le patron non officiel de l’aile. Le plus ancien, le porte-parole. Un peu comme un président de classe, mais non élu. Avec les cigarettes, t’achètes de la protection, ta paix, de la bouffe, etc. Les gardiens ne s’énervent pas trop avec ça. C’est un moindre mal, j’imagine, parce que sinon les gars sont en manque et ils font du trouble. Ils sont plus vigilants avec l’alcool que les gars fabriquent avec des pelures d’oranges ou de patates qu’ils font fermenter. Quand les gars sont soûls, là, ça devient dangereux. Moi, comme je n’avais pas de patchs, je me suis mis chum rapidement avec le boss. J’écoutais les gars, leurs histoires, je leur donnais des conseils. J’ai toujours aimé ça, écouter les histoires des gens, tu le sais.» Oui. Je le savais. François-Xavier Machin-Machin qui, comme son prénom composé et son nom de famille, lui aussi composé, l’indiquent, fait partie de ma génération. Son nom était tellement long que tout le monde l’a toujours appelé F-X. D’un an mon aîné à la garderie, puis à l’école primaire. Je le connais depuis... depuis toujours? À l’adolescence, nous avons refait le monde dans les parcs d’Outremont. Son père était médecin, et lui, un peu révolté. Un bum de bonne famille. Un bon gars circulant en planche en roulettes, fumant un peu trop de joints. Entre F-X et moi, il n’y a jamais eu

d’ambiguïté sexuelle, mais une affection toute simple. Il s’intéressait beaucoup à une fille de la bande, anorexique et fragile. Moi, j’étais amoureuse d’un grand blond d’origine tchèque qui voulait être astronome. Pourtant, il a toujours été galant, à sa manière, à mon égard. Protecteur, même. Au cégep, on s’était trouvé une job au resto du coin. Nous y étions quelques-uns de la bande. Après les heures de service, on sortait. On dansait. Il me raccompagnait souvent à la maison. «C’est plus prudent», disait-il. Puis, je suis rentrée à l’université. Je me suis fiancée avec le Tchèque et j’ai quitté le Québec. Je l’ai perdu de vue pendant quelques années. Je suis rentrée à Montréal, le cœur en miettes. J’allais souvent marcher sur le mont Royal. Un jour, je l’ai croisé. Il avait un petit garçon juché sur les épaules. Une blonde souriante à l’air triste. J’ai su plus tard qu’elle était dépressive. Nous avons échangé nos numéros et nous avons recommencé à jouer au tennis. Depuis, on se voit de temps en temps. Peut-être deux ou trois fois par année. On joue un match, on va prendre une bière. On jase. Sa job, sa garde partagée. Les filles qu’il rencontre et ses relations qui sont toujours intenses avec des filles intenses, que je ne rencontre jamais. Ça faisait plusieurs mois que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Et puis, il y a quelques jours, sa voix grave au téléphone: «Faut que je te parle.» Une fille qu’il fréquentait depuis quelques semaines. Rencontrée sur Internet. Une fille, donc, maniacodépressive, me dit-il. Un soir, ils se chicanent. Ils se réconcilient. Elle lui dit: «Baise-moi fort». Il s’exécute. Il s’endort. Il est réveillé par le bruit des poings des policiers qui cognent sur sa porte. Accusation d’agression sexuelle. Il consulte un avocat qui lui conseille de plaider coupable. Plus simple, moins cher, lui dit le magistrat. C’est sa version des choses.

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«Je te jure que je ne l’ai pas violée. Mais c’était tellement compliqué de prouver le contraire que je n’avais pas le choix.» Est-ce possible? Oui. Des amis avocats-criminalistes à qui j’en ai parlé m’ont dit que c’était possible, mais surprenant et rare. Il y aurait des avocats peu scrupuleux qui ne veulent pas s’encombrer de causes difficiles, ambiguës, grises. Dans le milieu, on les connaît, paraît-il. Coupable? Je ne sais évidemment pas ce qui s’est passé ce soir-là entre F-X et cette fille que je ne connais pas. Je n’étais pas là. Est-ce que le système pourrait commettre des erreurs? Des victimes collatérales de la guerre aux agresseurs sexuels? On prive bien les prisonniers de tabac pour leur santé, cependant on a créé un trafic de patchs. Perplexe, je suis. Visa le Noir, tua le Blanc. Je regardais la neige tomber par la fenêtre du café où il a choisi de me raconter son histoire. Le froid polaire jetait une lumière bleue et grise sur la ville et une vieille chanson de Pink Floyd étreignait les minutes de notre entretien. Je ne pouvais m’empêcher de me dire que le visage d’un agresseur sexuel est, dans l’imaginaire,

dans le mien du moins, comme celui des monstres des contes pour enfants: animal, terrifiant, lointain. D’une longue série de faits divers qu’il me reste en mémoire, mon idée des agresseurs en est une de curés d’une autre époque, de gars de gang de rue, de fous, de Guy Cloutier. Jamais je n’aurais pensé que j’aurais eu à me demander si un visage familier... Et, pourtant, même si j’hésite dans mon verdict, je ne suis pas si surprise par le chemin que prend l’histoire personnelle de F-X. Comme si, très jeunes, certaines personnes portaient en elles les empreintes d’un futur compliqué. F-X a d’ailleurs conclu notre conversation en me disant qu’il suivait une thérapie. «J’ai une dépendance aux relations toxiques, difficiles.» Existe-t-il une telle chose que le destin? Existet-il une autre matière à réflexion plus puissante que les trajectoires réelles et complètement insensées de l’existence humaine? Et pourquoi, pourquoi les contours des destins errent-ils parfois de façon si déterminée jusque dans des zones si grises qu’elles mènent à la prison? y

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37 | cinéma

La possibLe récoLte c’est sur fond de grand froid que Louis béLanger fiLme Les vertes récoLtes d’une gaLerie de personnages portant tous en eux un manque. entretien avec Le réaLisateur et son coscénariste et comédien aLexis martin. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

Six ans sans long métrage de Louis Bélanger, c’est long. Après Route 132 qui présentait le road trip de rédemption d’un père en deuil de son fils, Les mauvaises herbes renoue avec le plaisir de raconter qui caractérise bien le cinéma de Louis Bélanger. Sur le mode de la comédie, mais jamais trop loin du drame, le cinéaste originaire de Beauport confirme ses talents de conteur.

l’hiver et la ruralité, il voulait aussi faire témoigner un monde de travailleurs. Notre idée de base était de faire un huis clos dans le bois, puis est arrivé un livre intitulé La forêt des renards pendus d’Arto Paasilinna. Le film n’a rien à voir avec ce roman, mais il a certainement influencé le fait de créer une comédie hivernale.»

Les mauvaises herbes raconte l’histoire de Jacques (Alexis Martin), un acteur raté de la métropole forcé de se sauver à la campagne parce qu’il est poursuivi par Patenaude (Luc Picard), un dangereux prêteur sur gages. Sur sa route, il croise Simon (Gilles Renaud), un autre homme au destin raté, qui cultive une passion secrète. Jacques deviendra l’employé de Simon et les deux se lieront d’une certaine amitié jusqu’à l’arrivée impromptue de Francesca (Emmanuelle LussierMartinez) qui deviendra malgré elle une employée de la petite entreprise du bourru personnage. Le petit groupe cultive les mauvaises herbes jusqu’au jour où le prêteur sur gages psychopathe arrive sur les lieux pour régler le compte à Jacques...

Ce long métrage est le fruit d’une coscénarisation entre Alexis Martin et Louis Bélanger, un travail qui a duré presque quatre ans. Pendant cette période, les deux hommes ont beaucoup réfléchi, voyagé et laissé mûrir l’histoire. «Je crois, dit Louis Bélanger, que le fait d’avoir aidé Alexis à réaliser un film intime sur son père (Louis Martin, journaliste) nous a rapprochés et aidés à mieux nous comprendre. Je suis entré dans la psyché familiale des Martin. Pour ce qui est de l’écriture, on a pêché, discuté, et ces conversations ont provoqué de la matière pour cette fiction. Un moment que j’ai beaucoup aimé dans l’écriture du film, c’est quand nous sommes allés dans un vieil hôtel écrire et prendre du recul. Nous étions dans cet hôtel à la splendeur ancienne au cœur des Laurentides et ce fut un vrai moment de coscénarisation fluide et franc.»

Un travail entre amis L’idée de départ était de donner un film plus lumineux que leur précédente collaboration (Route 132) sans toutefois faire un film léger. «Au départ, dit Alexis Martin, je crois que Louis avait un désir de filmer

LOUIS BÉLANGER ET ALEXIS MARTIN

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GILLES RENAUD, EMMANUELLE LUSSIER MARTINEZ ET ALEXIS MARTIN, PHOTO | LES FILMS SÉVILLE

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Une cinéphilie en partage En plus de partager du temps loin de l’agitation de la ville, ils ont aussi écouté des films chers aux yeux de Louis Bélanger, des films qui font partie de son panthéon du cinéma. «Avant d’être cinéaste, j’étais cinéphile, j’étais un rat de cinémathèque avec mon ami Denis Chouinard. On passait notre temps à ne pas aller à nos cours, on traversait la rue et on investissait deux piasses dans la Cinémathèque québécoise. Une des premières choses que j’ai faite avec Alexis avant que ce projet soit écrit, c’est visionner un paquet de films à la Coop Vidéo de Montréal. Ainsi, on a regardé des films de Jiri Menzel, de Milos Forman, qui représentent pour moi le doux mélange d’humour et de drame parfait. Ensuite, on a projeté Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola ainsi que certains films des frères Taviani. J’essayais de communiquer le ton que je recherchais pour ce film.» La filiation, un thème ancré On retrouve dans ce sixième film de Louis Bélanger un thème récurrent de sa filmographie, le rapport à la famille, la relation avec le père, bref, l’idée de legs. C’est le moteur de la quête du personnage joué par Gilles Renaud, qui veut laisser quelque chose à un fils qu’il n’a pas vu depuis 18 ans. «Je pense, dit Alexis Martin, que c’est une préoccupation qu’on a dans toutes nos collaborations. Je dirais même qu’on parle ici plus de transmission, qui est un thème profondément important au Québec. On a un rapport trouble à l’héritage et à la figure du père. Dans l’histoire sociale des idées, au Québec, il y a toujours eu ce manque et ce rapport flou avec le legs. C’est un thème que je partage avec Louis.»

Quand on pense à Louis Bélanger et à son cinéma, vient immédiatement l’image de la famille Brochu et de son poste à essence dans Gaz Bar Blues, symbole d’une époque qui s’efface et d’un modèle économique et familial révolu. «Je viens d’une famille ouvrière de Beauport, nous étions sept et il n’y avait pas d’argent, il n’y avait rien de matériel à transmettre. Par contre, notre lien familial est ce que nous avons de plus précieux, les Bélanger s’occupent bien les uns des autres. Je sens que j’ai un devoir de transmission et mon cinéma en est peut-être le reflet.» Considérations sur la légalisation du cannabis Si le dernier-né de Louis Bélanger est un film sur le partage des valeurs familiales, c’est aussi un film sur une activité économique parallèle et illégale; la culture du cannabis en serre. Et honnêtement, on se demande comment toute l’équipe a bien pu gérer une telle activité en plein hiver québécois. Un sacré tour de force de la direction artistique (Andrée-Line Beauparlant), alors que l’hiver 2015 était l’un des plus rudes depuis des décennies. «C’est une véritable activité économique parallèle, nous dit Louis Bélanger, et souvent ce sont des bonhommes de 60 ans qui font pousser ces récoltes en se disant qu’ils ont toute leur vie bûché en se faisant fourrer par le moulin à bois.» Si le cinéma de Louis Bélanger met en scène un monde qui tend à disparaître et qui change très rapidement, il réussit avec Les mauvaises herbes à nous parler d’un autre monde qui sera bientôt révolu avec la légalisation imminente de cette herbe verte aux propriétés euphorisantes. Un film à consommer sans modération. y En salle le 11 mars


HELEN MIRREN DANS EYE IN THE SKY

terreur et trembLements EYE IN THE SKY et LONDON HAS FALLEN: deux fiLms à gros budget, mais surtout deux fiLms mettant bruyamment en scène Le terrorisme, vont prendre L’affiche ce mois-ci. bientôt 15 ans après Le 11 septembre 2001, Le cinéma ne se Lasse pas de représenter un occident terrassé. anaLyse. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTOS | LES FILMS SEVILLE

Londres est la cible d’un groupe terroriste qui souhaite anéantir certains des leaders mondiaux les plus puissants. Une faction de l’armée angloaméricaine se bat contre un groupe terroriste réfugié à Nairobi avec des drones. Voilà, en deux phrases, les prémisses des films London Has Fallen, de Babak Najafi, et Eye in the Sky, de Gavin Hood. Les deux films attireront un public nombreux, avide de ces récits glorieux dans lesquels, la plupart du temps, l’Amérique s’efforce de résister à son assaillant étranger et à ses méthodes terrifiantes. Le cinéma commercial post11 septembre a d’abord été prudent et n’a abordé le terrorisme qu’à demi-mot. Mais qu’il l’ait ensuite fait à travers le film de superhéros ou le film de guerre, il ne s’est pas privé du potentiel dramatique inouï que représentent les attentats. «Le film terroriste a toujours existé», précise Mathieu Li-Goyette, rédacteur en chef de Panorama-Cinéma, qui réfléchit à cet enjeu depuis plusieurs années. «Mais l’après-11 septembre a


41 | cinéma

> donné naissance à une filmographie particulière, dans laquelle l’Amérique se remet davantage en question que dans les films de la guerre froide, par exemple, qui opposaient frontalement et sans distance critique deux blocs idéologiques magistralement opposés.» Un peu de pudeur et un peu de critique... De fait, il a fallu quelques années avant que les attentats eux-mêmes puissent être représentés, d’abord dans le film-catastrophe World Trade Center, d’Oliver Stone, puis dans United 93 de Paul Greengrass, avec «davantage de justesse», comme le dit Li-Goyette. Avant cela, le cinéma américain des années 2000 aborde la chose de biais, par un cinéma du doute et de la peur, mais aussi un cinéma qui ne met pas en scène directement les attaques, se consacrant plutôt à ses après-coups. On y représente aussi le terrorisme «de manière allégorique», dans des films comme Transformers, «qui mettent en scène la paranoïa et la surveillance, ainsi que la dronisation des forces militaires». «Dès le premier Iron Man, poursuit Mathieu Li-Goyette, on voit apparaître des robots, des vaisseaux dans le ciel qui pourraient tuer n’importe qui sur la planète. C’est l’expression d’une peur très contemporaine; la peur abstraite de l’ennemi robotisé, dont on connaît mal l’origine et les objectifs.»

Mais aussi de la propagande... Ne soyons tout de même pas dupes: le cinéma américain a aussi marché main dans la main avec l’administration Bush, contribuant parfois à la propagande américaine. «Il y a eu des films de Michael Bay qui ont carrément été réalisés en collaboration avec l’armée américaine, dit Mathieu Li-Goyette. Ils montrent sa suprématie, son efficacité guerrière. Ces films-là exploitent les peurs les plus primaires des Américains. Et ça marche: ils font beaucoup d’argent avec ce genre de films.» Les cinéastes américains, de manière générale, n’aiment pas entrer dans la tête du terroriste (comme le font les Européens, notamment ces jours-ci dans le film controversé Made in France, qui raconte l’attentat de djihadistes à Paris). Mais il y a de l’espoir. Il aura fallu attendre 15 ans après le 11 septembre 2001 pour que la série Homeland suive de près le cheminement d’un personnage qui devient terroriste de son plein gré, dans une tentative d’en comprendre la psyché. L’avenir du film terroriste se trouve-t-il là? Qui sait. y London Has Fallen, en salle le 4 mars Eye in the Sky, en salle le 11 mars

Le film de guerre ne va pas tarder à suivre la parade. Se déroulant au Moyen-Orient, en Irak ou en Afghanistan, presque jamais sur le territoire américain (parce que l’attaque directe du territoire demeure un tabou cinématographique), ces films sont spectaculaires mais intègrent peu à peu une dimension critique. Le héros-soldat, dans les films d’action, est maintenant un homme de force qui est assailli de doutes et dont la conscience est torturée. Les rôles du bon et du méchant ne sont plus aussi clairs. Le personnage de Jason Bourne, héros de la série littéraire créée par Robert Ludlum et incarné au cinéma par Matt Damon, en est sans doute l’incarnation suprême. «Ce héros doté d’une conscience psychologique, dit Li-Goyette, témoigne aussi d’un divorce entre la population et son gouvernement, d’un cynisme politique qui se retrouve dans beaucoup de films. Dans Green Zone, de Paul Greengrass, il y a une conscience d’un gouvernement et d’une armée viciés. Même chose dans Captain Phillips: certaines scènes montrent l’escouade américaine de manière plus terrorisante que les pirates somaliens. Disons que c’est tout le contraire d’un film hyperpatriotique comme Air Force One.»

LONDON HAS FALLEN, PHOTO | VVS FILMS


ELLE PIS SON CHAR, DE LOÏC DARSES

un festivaL comme ritueL chaque année en mars, obéissant à un ritueL cinéphiLique bien étabLi, on prend La route vers Le saguenay pour Le festivaL regard sur Le court. voici cinq cinéastes à surveiLLer cette année. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTO | EllE pis son char, DE LOÏC DARSES

Patrice Laliberté

Jean-Simon Leduc

L’une des découvertes de l’année en court métrage est le film de Patrice Laliberté, Viaduc, lauréat du prix du Meilleur court canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF). On y rencontre d’abord, dans une scène d’action et de tension savamment maîtrisée, un jeune graffiteur perché sur un viaduc. Des plans vertigineux, une urgence merveilleusement rendue par le montage et la caméra agitée de Christophe Dalpé, une action parfaitement arrimée à l’efficace bande sonore: le film débute sur les chapeaux de roue et évolue ensuite vers des sentiers plus intimistes, captant les petits moments d’une adolescence banlieusarde aussi ennuyante que vécue à fleur de peau.

Connu comme comédien, brillant notamment dans L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, Jean-Simon Leduc est aussi réalisateur et dévoile cette année à Regard, une œuvre intimiste à l’esthétisme soigné, intitulé Traiter de docilité, pointant doucement sa caméra sur un couple secoué par l’orage. Filmant d’abord la tendresse et le désir, le film capte ensuite une tempête que rien ne saura apaiser.

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Maxime Dumontier Le couple est aussi le territoire d’observation du comédien Maxime Dumontier, qui met délicatement en scène dans Le gros X un scénario de sa complice Sarah-Maude Beauchesne (Cœur de slush, Lèche-vitrines, Les fourchettes). On reconnaît la plume décomplexée de Beauchesne dans les narrations en voix hors champ d’un personnage féminin en quête de sensations fortes, qui décide par un bon matin de bousculer l’ordre établi d’un couple parfait. Joëlle Paré-Beaulieu, nuancée et touchante dans ce rôle de femme en quête de soi, rend bien la complexité d’un sentiment amoureux qui ne sait se contenter de tranquillité. Guillaume Harvey «En secondaire 5, on est assez naïfs pour faire une bombe à partir d’une recette pognée sur Internet.» Voilà la prémisse rigolote d’Une bombe, de Guillaume Harvey, un film qui parle heureusement davantage d’éveil sexuel que de fabrication d’une bombe artisanale. Originaire du Saguenay, Harvey voit son film présenté chez lui, dans la soirée régionale de Regard, après avoir été de la sélection Talent tout court à Berlin. Son film raconte l’adolescence dans ce qu’elle a de meilleur et de pire, la représentant avec justesse et concision, sans se priver d’un regard nostalgique. Loïc Darses Remarqué lors de la plus récente édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), Elle pis son char y a fait l’objet d’une mention spéciale dans la catégorie du Meilleur court international. Le film, hautement émotionnel, raconte le périple de Lucie, une femme qui prend la route jusqu’à son village natal pour remettre une lettre à l’homme qui a abusé d’elle alors qu’elle était enfant. Darses complète ici un film débuté par sa mère, plongeant dans le drame familial avec détermination mais surtout avec finesse. Un hommage senti à une mère courageuse et sereine malgré l’angoisse de la rencontre avec son agresseur. y REGARD Festival international du court métrage au Saguenay Du 16 au 20 mars

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44 | opinion

normand baiLLargeon PRISE DE TÊTE

et si vous deveniez stoïcien? La philosophie est souvent perçue comme une activité hautement spéculative, plutôt désincarnée, et dont la valeur pratique est limitée. On peut en débattre. D’un autre côté, et c’est l’immense mérite de Pierre Hadot (1922-2010, un historien de la philosophie trop peu connu, même des philosophes) de l’avoir rappelé, la philosophie, dans l’Antiquité, était souvent avant tout un mode de vie. Les nombreuses écoles qu’on y trouvait étudiaient bien les diverses disciplines philosophiques – physique, éthique, théorie de la connaissance, etc. –, mais elles le faisaient pour atteindre un but suprême: devenir une bonne personne en vivant conformément à un idéal. On distinguait couramment quatre vertus dans cet idéal: la tempérance, le courage, la sagesse pratique et la justice. Une philosophie de plus en plus populaire L’une de ces écoles s’appelait le stoïcisme et elle connaît de nos jours un extraordinaire renouveau. Une équipe de l’Université d’Exeter, en Angleterre, organise d’ailleurs chaque année une Semaine stoïcienne, qui est suivie par des gens du monde entier. Sa quatrième édition a eu lieu en février 2016. Le stoïcisme a même été revendiqué par les créateurs des thérapies cognitivo-comportementales (Albert Ellis et Aaron Beck) comme une des principales sources d’inspiration: elles comptent parmi les psychothérapies les plus efficaces. Cela incite à penser que bien des intuitions stoïciennes sont justes, en particulier cette idée que nos émotions sont liées à nos pensées et à nos croyances. Les stoïciens, qui aspirent en effet au calme intérieur, ne sont toutefois pas, comme on le dit parfois, des M. Spock, indifférents et ne ressentant aucune émotion: mais ils refusent de se laisser dominer par des émotions

qu’ils n’auraient pas choisi de ressentir. Nous touchons là à une des grandes idées du stoïcisme: il nous est possible, en pratiquant ce que Hadot appellera, un peu à regret, des «exercices spirituels», de prendre une distance cognitive avec nos réactions spontanées devant les événements, distance qui permet de les voir pour ce qu’elles sont: des impressions, des idées, et non la réalité. Nous parvenons à vivre ainsi en ayant en tête cette précieuse distinction entre ce qui dépend de nous (nos réactions, nos pensées, que l’on peut changer) et ce qui n’en dépend pas. Nous construisons peu à peu de la sorte ce que Pierre Hadot appelait «une citadelle intérieure». Brève histoire du stoïcisme Le stoïcisme naît en Grèce, à Athènes, et il est appelé ainsi parce que son enseignement se donne sous un portique (stoa, en grec). Il se propage ensuite à Rome, où il connaît un vif succès. Parmi ses plus célèbres représentants, on compte un esclave libéré, Épictète; un écrivain fameux, Sénèque; et même un empereur, Marc Aurèle. Il décline ensuite, mais sera incorporé au christianisme naissant, notamment en raison de ce cosmopolitisme (l’idée que nous sommes toutes et tous des citoyens du monde…) qu’il défendait. Le stoïcisme restera ainsi présent dans notre culture jusqu’à aujourd’hui. Le système stoïcien comprend une éthique, qui en est la partie la plus importante. Mais celle-ci demande que l’on comprenne le monde et que l’on sache ce que l’on peut connaître: le système comprend donc aussi une physique et une logique. Sans plus m’attarder aux idées des stoïciens (certaines mériteraient de longs développements, comme leur impressionnante logique), je veux en venir à ces exercices spirituels qu’ils proposent et qui pourraient vous intriguer au point de les essayer. Je partirai de ceux que


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pratique un philosophe contemporain, Massimo Pigliucci, qui tente l’expérience de vivre comme un stoïcien, et en ajouterai quelques autres. Des exercices spirituels Le matin, on s’isole dans un lieu calme et on consacre une dizaine de minutes à passer en revue le jour qui vient, les difficultés qu’on pourra rencontrer et les vertus qu’il faudra déployer. On se demande aussi comment réagirait la ou le sage idéal devant telle ou telle situation, exercice qu’on peut répéter durant la journée. Toujours durant la journée, à différents moments, on pourra pratiquer les exercices suivants. Le praemeditatio malorum consiste à imaginer le pire afin de s’y préparer: les stoïciens ne sont pas loin ici d’anticiper sur les bénéfices des thérapies d’aversion. L’exercice appelé Cercle d’Héraclès consiste à partir de soi en imaginant un cercle au centre duquel on se trouverait et à élargir progressivement ce cercle pour y inclure sa famille, ses amis, sa ville, son pays et pour finir, toute l’humanité. L’effet attendu est de comprendre qu’on fait modestement partie d’un tout et d’ainsi relativiser ce qui nous arrive.

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Les stoïciens anticipent sur ce qu’on appelle aujourd’hui la «pleine conscience» en nous invitant à nous rappeler que toutes les décisions que nous prenons ont une dimension morale, à laquelle nous devons penser: ce que nous mangeons; quand; où; avec qui, par exemple… Ils recommandent encore de méditer des maximes stoïciennes, chacun pouvant bien sûr établir sa propre liste de maximes préférées. En voici trois miennes: «Il t’est permis, à l’heure que tu veux, de te retirer dans toi-même. Nulle part on n’a de retraite plus tranquille, moins troublée par les affaires.» (Marc Aurèle) «Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous, ce sont l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion: en un mot tout ce qui est notre œuvre. Celles qui ne dépendent pas de nous, ce sont le corps, les biens, la réputation, les dignités: en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre.» (Épictète) La pratique stoïcienne du détachement est encouragée par la maxime suivante: «Ne dis jamais, sur quoi que ce soit: “J’ai perdu cela”, mais: “Je l’ai rendu”. Ton fils est mort? Tu l’as rendu. Ta femme est morte? Tu l’as rendue.» (Épictète) La journée se termine avec une méditation du soir, qui est l’occasion de revenir sur la journée en se demandant ce qu’on a fait de bien (s’en féliciter), ou de mal (en prendre note) et pourquoi; sur ce qu’on a omis de faire et pourquoi. Et de tirer de tout cela des leçons. y POUR EN SAVOIR PLUS JE SUGGÈRE DE LIRE EN PRIORITÉ lE ManuEl D’ÉPICTÈTE ET lEs pEnséEs pour Moi-MêME DE MARC AURÈLE. ON PEUT SUIVRE L’EXPÉRIENCE DE MASSIMO PIGLIUCCI À: HOWTOBEASTOIC.WORDPRESS.COM

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47 | art de vivre

L’amour botanique au temps du numérique. MOTS | NOÉMIE C. ADRIEN

À l’ère de la Silicon Valley et du culte du iTout, de plus en plus de startups choisissent de retourner aux sources – à la terre, plus précisément – au moment de se lancer en affaires. Bien que la matière première de ces commerçants soit végétale, n’allez surtout pas les imaginer réfractaires au progrès technologique! Ces entrepreneurs au cœur vert se servent justement des outils numériques pour cultiver leur passion. Au Québec, les précurseurs du mouvement sont assurément les agriculteurs urbains des Fermes Lufa, dont la réputation n’est plus à faire considérant la popularité de leurs paniers bios. Bien que la commercialisation de produits agricoles n’ait rien de révolutionnaire, Lufa a contribué à la démocratiser durant les dernières années par l’entremise d’un site web à la fois accessible et riche en variétés, contrairement aux paniers bios traditionnels dont on peut rarement déterminer le contenu… Victoria Shinkaruk, responsable de leurs relations publiques, résume l’approche: «En plus de cultiver nos propres légumes, nous nous sommes associés à de petites fermes locales qui n’ont pas nécessairement les ressources pour vendre en ligne. Il existe une vingtaine de catégories et plus de 2000 produits différents dans notre marché virtuel, ce qui permet de choisir ce qu’on met dans son panier» (traduction libre). Plantzy espère elle aussi transporter le concept du marché jardinier sur la toile. C’est lors d’un voyage en Asie que William Huard, l’un de ses

cofondateurs, a pris conscience de l’importance que les plantes y prenaient: «Dans les appartements, dans les hôtels, dans les rues… il y en avait partout et les moyens de s’en procurer étaient plus faciles que chez nous», se rappellet-il. De retour à Montréal, son partenaire et lui y ont tout de suite vu une occasion d’affaires. «À l’ère du commerce électronique, on s’est dit qu’il y avait vraiment un besoin pour l’offre de plantes vendues via un site web et livrées chez les clients. L’aspect livraison était important, car on visait un public jeune et urbain qui n’avait pas nécessairement de voiture, pour la plupart, ou se déplaçait en vélo l’été.» Bien que quelques détaillants possèdent des sites web transactionnels, l’expérience n’y est généralement pas intéressante, selon William: «Il y a une grosse différence entre ce qui a été commandé et ce qui sera reçu, car on n’a aucune garantie que telle variété de plantes sera disponible ou qu’on aura un vase cylindrique plutôt que carré, par exemple.» Chez Plantzy, pas de risque que cela arrive: les agencements de produits que l’on voit sur leur site sont exactement ceux qui nous seront livrés. Autre promesse faite aux clients: l’accompagnement dans le processus de sélection de leurs protégés verts. «Les gens ne savent souvent pas quels types de plantes ils veulent, donc on fait un travail d’écrémage pour eux: les plantes sont répertoriées selon les espaces de vie (degré de luminosité) et les besoins (facilité d’entretien),

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Chez la majorité des Canadiens, c’est durant le retour à la maison…


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> résume William. Elles se vendent en ensemble, mais il est aussi possible d’en commander à l’unité.» Bref, un vrai petit jardin intérieur clé en main. L’essor d’entreprises comme Plantzy et le vif engouement pour les contenus floraux sur des sites de partage comme Pinterest ne se démentent pas: la tendance est en pleine éclosion. Alors qu’elle est déjà profondément ancrée dans les mœurs de plusieurs à l’étranger, elle se fait tranquillement sentir par chez nous. «Dans certaines villes américaines ou européennes, les kiosques floraux font partie de la routine des courses du dimanche», souligne Raphaël Gaspard, le visage derrière Garçon fleur. En effet, les bouquets de fleurs de saison sont monnaie courante dans les foyers européens et sont achetés de manière anodine, pas nécessairement pour une occasion particulière, comme c’est plus souvent le cas en Amérique du Nord. Garçon fleur tente de briser cette fâcheuse habitude avec son service de livraison à vélo de fleurs dites sauvages. «Je ne suis pas un fleuriste traditionnel, soutient Raphaël. J’ai la même approche qu’un chef qui fait une cuisine locale et saisonnière dans la mesure où ce qu’il y a au marché ce jour-là est ce qu’on va retrouver dans ses assiettes. C’est pareil pour moi: ce qu’il y a dans la nature du Québec au moment de l’année où je travaille est ce qu’on va retrouver dans mes bouquets.»

L’été dernier, ce sont des asperges, des échalotes et du chou frisé que l’on pouvait notamment voir parsemés parmi les pivoines. «En plus d’être beau, c’est le fun de dire aux gens qu’ils peuvent passer la moitié de leur bouquet dans leur souper du soir!» Livrés dans de ludiques cônes colorés au seuil même de sa porte, les bouquets Garçon fleur ont rapidement conquis le cœur des Montréalais, allant jusqu’à récolter plus de 12 000$ en trois jours à la Fête des mères dernière. «Les gens veulent vivre une expérience et c’est là l’atout distinctif d’un projet créatif comme le mien, estime Raphaël. Lorsqu’ils commandent un bouquet, ils ont la possibilité d’y inclure un mot que je retranscrirai à la main. Et à la livraison, on prend vraiment le temps de leur expliquer d’où viennent les fleurs et comment ils doivent en prendre soin. On entre dans l’intimité des gens, ils nous font confiance.» Sa prochaine saison sera lancée ce printemps avec une nouvelle mouture qui promet: «On va continuer d’offrir la livraison à vélo, mais aussi celle en voiture électrique pour desservir toute la région de Montréal et sa banlieue le plus efficacement possible. On veut devenir le Frank & Oak des fleurs!» Un défi pour le moins ambitieux, mais certainement à la hauteur de ses capacités. y


dernier dimanche de janvier. en suisse, un chef réputé se donne La mort. qui reste inexpLiquée depuis. La restau ration est-eLLe vraiment un métier de fou? conseiLs croisés de deux chefs (presque) équiLibrés. MOTS | GILDAS MENEU


Le chef Benoît Violier, 44 ans, ne connaissait que le succès. À la tête d’un restaurant trois fois étoilé près de Lausanne, l’avenir lui souriait. Et pourtant. Une perte pour la gastronomie? «Non», réplique du tac au tac Charles-Antoine Crête, chef du Montréal Plaza. «J’ai d’abord pensé à sa famille. Et je me suis demandé, encore une fois, quel était mon niveau de bonheur. C’est une question que je me pose chaque minute.» Le stress dans le milieu de la restauration fait les manchettes, ces temps-ci. Et pourtant, le métier de chef n’est pas le plus angoissant du monde. Il ne figure même pas dans la liste des professions les plus stressantes recensées par les dernières études du genre, comme pompier, policier, militaire, ouvrier ou même… journaliste! Mais il faut croire que l’aura autour du métier de chef a de quoi séduire et susciter une certaine crainte. La faute peut-être à une surmédiatisation de la profession, et à quelques stars de la télé comme Gordon Ramsay, qui a su jouer la carte de l’homme sous pression, enrôlé dans des brigades survoltées. Ce sujet est d’ailleurs peu étudié. La recherche en santé mentale est évidemment active, mais pas dans ce secteur en particulier. L’Association des restaurateurs du Québec n’a rien à en dire, si ce n’est de voir (ou revoir) le documentaire Sous pression (Marie Carpentier, 2013), qui raconte la vie de chefs au quotidien.

attention de ne jamais se mettre dans une situation difficile. Il faut rester réaliste. Tu apprends à vivre avec le stress. Il faut l’utiliser pour les bonnes raisons.» Ces chefs-là travaillent un nombre incalculable d’heures par semaine. Ils ne les comptent même pas. Stéphane Modat tempère: «J’ai appris le métier en France, dans un trois étoiles. Ça jouait dur. C’était un régime de terreur.» Pays qu’il a quitté pour profiter de son métier dans une ambiance plus sereine. «Dans ce métier, faut être rassembleur, travailler en équipe et partager le stress.» Son truc? «Je fais du ski, je vais à la pêche et j’ai quatre enfants.» Bref, il suffit d’avoir une vie, comme dirait l’autre. «Oui, c’est stressant. Pendant la semaine de la Saint-Valentin, on a servi 600 couverts en quatre jours. Il faut être organisé, et être un bon leader d’équipe. On travaille de 8h à minuit, c’est vrai. Mais j’aime ça. Je m’amuse encore. J’aime me mettre en danger.» Rencontrer les fournisseurs, aller faire un tour au marché, créer de nouveaux plats, former les équipes, s’assurer de la bonne comptabilité... le boulot de chef est exigeant. Les journées commencent tôt et finissent tard. «Ouvrir un restaurant, raconte Charles-Antoine Crête, c’est deux ans de préparation pour bien organiser la structure. Il faut un bon plan d’affaires et s’entourer de personnes compétentes. L’important, c’est de trouver du monde pour pallier ses faiblesses.»

«je Lisais L’autre jour que nos corps sont composés à 90% d’eau. nous sommes des concombres avec de L’anxiété. c’est teLLement vrai!» Pour en avoir le cœur net, deux chefs d’ici s’interrogent sur le métier. Le premier, Charles-Antoine Crête, l’hyperactif, ancien chef de cuisine chez Toqué!, vedette d’un autre temps d’un documentaire survolté, Durs à cuire (Guillaume Sylvestre, 2007), où il croisait sa folie avec ses comparses Normand Laprise et Martin Picard. L’autre, Stéphane Modat, l’intellozen, inventeur de la cuisine architecturale au restaurant l’Utopie de Québec, un ancien des frères Pourcel du Jardin des sens de Montpellier, et désormais à la tête du prestigieux restaurant Champlain du Château Frontenac. Attraper Charles-Antoine Crête au vol n’est pas si difficile. Désormais copropriétaire de son restaurant, le Montréal Plaza, il prend le temps de parler, même entre trois coups de téléphone et autant d’interruptions des membres de son équipe qui ont toujours mille questions à lui poser. Vraiment stressant, ce métier? «En restauration, il faut aller vite mais prendre son temps», répond le chef en se balayant nerveusement les cheveux. Il remet sa tuque. «Le truc, c’est de savoir déléguer.» Près de 15 ans d’expérience dans les cuisines du Toqué! lui ont appris une chose: on ne fait rien tout seul. Avec sa complice de tous les instants, la chef Cheryl Johnson, le gars sait renvoyer la balle. «Je ne décide jamais rien sans avoir un plan B, C, D, E et F. Il faut faire

Des dézingués, Charles-Antoine Crête en a rencontrés plus qu’il n’en faut. Des cuisiniers tellement stressés, dopés au café, aux boissons énergisantes (et à toutes autres sortes de drogues), qu’il fallait leur apprendre à prendre une pause, à manger avant le service, et surtout à arrêter les excès. C’est sûr que c’est tentant, ajoute Stéphane Modat. «Nous sommes des émotifs, des créatifs, des artistes, c’est normal de fêter après une grosse journée de travail. Et j’ai vu ça dans d’autres métiers, pas juste en cuisine! Je lisais l’autre jour que nos corps sont composés à 90% d’eau. Nous sommes des concombres avec de l’anxiété. C’est tellement vrai!» Charles-Antoine a appris à déléguer. Stéphane Modat, à relaxer. «J’ai fait de la méditation pendant plusieurs années. De l’aïkido aussi.» Quand il se compare aux Européens, Stéphane Modat se console. «On n’est pas dans la course aux étoiles, mais on est dans la course à l’excellence, c’est vrai. Mais il ne faut pas oublier qu’on fait juste de la cuisine.» Les temps risquent de changer, cependant, avec l’arrivée imminente du guide Gault et Millau cette année dans le monde de la restauration au Québec. Et qui sait quand débarquera le fameux guide Michelin. Nos chefs n’en ont pas fini de stresser. Les étoiles ont beau être lumineuses, elles n’en sont pas moins éclatantes d’une certaine anxiété. y


où manger LES BONS PLANS POUR DES SORTIES AU RESTO CE MOIS-CI. BON APPÉTIT!

magpie 16, Rue Maguire 514 507-2900

Cette jolie pizzeria aux grandes fenêtres lumineuses et aux plafonds vertigineux propose toute une panoplie de minces pâtes croustillantes agrémentées d’ingrédients traditionnels et moins traditionnels qu’on peut précéder d’huîtres, de raviolis maison ou d’une imposante salade César bien crémeuse. C’est bien fait, simplement, mais avec de bons aliments, les portions sont costaudes et le résultat final laisse une agréable sensation au palais. On offre également plusieurs vins d’importation, le service est dynamique et, à elle seule, l’ambiance bigarrée de la maison vaut le déplacement.

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bistro La cervoise

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3976, Rue Ontario Est 514 521-0392

Avec des soirées thématiques variées, comme ses lundis soirs tartares à prix doux, ce bistro vaut le détour dans ce quartier en plein essor qu’est Hochelaga-Maisonneuve. Les portions sont plus que généreuses et on aime particulièrement le fait que les produits locaux soient à l’honneur. On y déguste de la viande sous différentes formes (mais pas de bœuf): côtes levées de bison, bavette de cheval, hamburger de sanglier braisé ou d’effiloché de cerf. L’accueil et le service sont à la fois sympathiques et très professionnels, ce qui rend cette adresse encore plus charmante.

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La cuisine d’izza 228, Rue Bernard Ouest 514 490-4222

Dans un beau grand local frais, lumineux et marqué par le fameux bleu Majorelle du Maroc, ce nouveau resto du Mile-End se démarque par une cuisine finement réalisée, emplie de parfum et d’épices fraîches, à forte connotation familiale et qui a choisi volontairement de ne pas décliner toute la panoplie des classiques de la gastronomie maghrébine. La maison se veut également un salon de thé et de pâtisseries où l’on sert plusieurs douceurs originales, dont le moelleux «sfunj» (un beignet maison) ou la «moufleta» (une crêpe feuilletée au miel).


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Les tontons fLingueurs 5190, Chemin de la Côte-des-Neiges 514 733-0606 Les étudiants et résidents du quartier semblent avoir adopté l’ambiance bouillonnante de ce petit resto style brasserie à la parisienne au cœur de Côtes-des-Neiges. À l’heure du 4 à 7, les tables ne désemplissent pas. Les plateaux d’huîtres virevoltent entre les tables. À 1$ le fin mollusque, pas étonnant! Croustillant de fromage de chèvre, rillettes de canard, fish & chips, tartares, bavette, boudin noir aux pommes... Le menu est classique pour un bistro qui se donne des airs franchouillards, dont le nom rappelle aux cinéphiles un classique du cinéma noir et blanc hexagonal des années 1960.

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55 | LIVRES

MOTS | FRANCO NUOVO

S

i on la perd, s’amorce alors une infatigable quête. Si on émigre, elle s’étiole, du moins sur les premiers milles. Si on croit l’avoir enfin trouvée, émergent immédiatement les différences et les heurts avec ceux qui, croit-on, la partagent. Si elle est assumée, surgit l’acceptation; on oublie alors le rejet… jusqu’au prochain choc. Quand on l’a, qu’elle ne nous a pas échappé, on la tient pour acquise à jamais.

L’identité! Vachement compliquée, l’identité! Cette question, au Québec peut-être plus qu’ailleurs, fait débat depuis longtemps puisque, au départ, quelques peuples couchent dans le même lit. Imaginez quand viennent se lover d’autres cultures dans l’espoir de trouver un peu de cette chaleur perdue en leur terre d’origine. Je n’aurais pas pensé parler de déracinement, d’acceptation, d’inclusion, d’intégration si je n’avais pas récemment ouvert deux livres qui, chacun à leur façon, traitent de la chose. D’abord, ce bouquin d’Akos Verboczy au joli titre, Rhapsodie québécoise: itinéraire d’un enfant de la loi 101, dans lequel il raconte son arrivée au Québec au milieu des années 1980 et son parcours. Puis, le magnifique ouvrage de Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, fiction qui fait, au profit d’un nouvel arrivant, l’autopsie d’un Québec pas toujours rose et qui dévoile les crises existentielles qui attendent l’immigrant.

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CONSUMÉS DAVID CRONENBERG Gallimard, 384 pages On connaît David Cronenberg d’abord pour son cinéma. Le réalisateur canadien nous a troublés avec des films comme The Fly, eXistenZ ou encore son adaptation du classique de William Burroughs Naked Lunch. Il s’essaie ici au roman avec une première parution, Consumés, aux éditions Gallimard. On sait de son cinéma qu’il est dérangeant, violent, visitant parfois les extrêmes, chahutant son spectateur par des faux-semblants et créant des ambiances aussi glauques qu’horrifiques. Reste maintenant à savoir si le réalisateur et scénariste a su transposer cet univers dans le domaine du romanesque avec succès. Dans ce premier livre, on suit deux photojournalistes en quête d’histoires à publier. Banal? Pas quand c’est écrit par David Cronenberg. Naomi est à Paris. On a retrouvé une philosophe sexagénaire de la Sorbonne assassinée. On aurait cuisiné son corps, à même sa cuisinière. Son mari, lui, est porté disparu. Et suspect, par la même occasion. Naomi tentera donc de comprendre le fond de cette histoire. Qui était ce couple? De quoi avait l’air la scène? Où est ce mari? De fil en aiguille et de Paris à Tokyo, Naomi s’enlise dans cette histoire qui est encore plus sordide que ce dont elle en a déjà pourtant l’air. Nathan, lui, est à Budapest. Il effectue une séance photo lors d’une opération du docteur Molnár, suspecté de trafic d’organes. Ce dernier a aussi un restaurant au centre-ville, où les murs sont tapissés de photos de nus. La patiente qui se trouve sur la table d’opération est atteinte d’un cancer et se fait injecter des grains radioactifs, en plus d’être porteuse d’une maladie vénérienne disparue depuis belle lurette, que Nathan contractera, évidemment. Voilà à peine l’ouverture de ce roman déjanté. C’est tout à l’image de son cinéma et peut-être même un peu plus. À ceux qui, comme moi, auraient pu croire à un vieux scénario remâché en roman, eh bien, ce n’est pas le cas. Il y a là les mêmes thématiques et le même désir de déranger, mais en embrassant le médium littéraire sans complaisance. La philosophe, en ouverture du roman, disait ceci: «La seule littérature authentique à l’ère moderne, ce sont les manuels d’utilisation.» Il y a peut-être un peu de ça dans le roman de Cronenberg, c’est froid et saccadé, mais ô combien percutant. (Jérémy Laniel)

Étrange, parce que ces bouquins m’ont forcé à amorcer un voyage dans le temps. Je m’y suis vu, un peu ici, un peu là, comme quiconque vient d’ailleurs physiquement et culturellement. Dans mon cas, pourtant, je n’ai vécu ni déplacement ni exil. J’avais laissé le plus pénible à mes parents, à ma sœur, à ma famille qui, comme la plupart, a fui la misère d’un pays détruit par la guerre vers un monde meilleur. Parce que comme l’écrit Verboczy, «le candidat à l’immigration ne cherche qu’une chose: améliorer sa situation». Sûr qu’il y a une différence entre naître sur la terre promise et y arriver enfant. Les perceptions ne sont pas les mêmes. À ma naissance, je n’avais pas de passé. Vous riez? Vous ne devriez pas. C’est lourd aussi. Rien à regretter. Pas de nostalgie. Les premières années, par protection ou tout bonnement parce que c’était ce qu’on connaissait, j’étais gardé sous une bulle: je vivais italien, je parlais italien, j’aimais italien. J’étais Italien, donc pas encore Québécois. Et puis un jour, vers l’âge de trois ou quatre ans, on a levé la cloche de verre qui me protégeait, et j’ai découvert le monde. Disons plutôt la singularité. La différence. Pensons aux 25 000 réfugiés qui arriveront au Canada, dont 7300 au Québec. Le jeune Syrien traversera les mêmes chemins, rencontrera les mêmes écueils, prendra conscience de sa singularité. Il devra apprendre le sens du mot intégration. Ça sera plus difficile, voire peut-être impossible pour son aîné, puisque ce dernier devra penser aux siens plus qu’à lui-même: travailler pour se loger, nourrir sa famille, faire étudier ses enfants. Souvent, il devra même partager son logement pour respecter les échéances de fin de mois. Le jeune, lui, se bagarrera dans les ruelles et les cours d’école des milieux populaires où il évoluera pour éviter qu’on piétine son orgueil et sa fierté. Dans la douleur que véhicule la différence, comme le petit Italien d’antan, le petit Hongrois ou le petit Haïtien, dans le même étau, il devra maintenir en place le respect à sauvegarder, la différence à apprivoiser et la langue à maîtriser. Parce que, comme l’écrit Akos se rappelant son enfance, «le Québec est le seul endroit sur la planète où parler français n’était pas prestigieux». En émergeant de sa bulle de verre, il devra combattre une xénophobie qui est davantage le produit de l’ignorance que du racisme. Parce que le Québécois, quoi qu’en disent certains, n’est en rien raciste. Il devra donc se dévoiler et s’ouvrir à un univers complexe, parer les coups et décrypter les codes.


Quand j’étais petit, par exemple, dans les années 1960, manger une pêche ou un artichaut faisait de moi un être différent, un étranger, parce qu’André, avec qui je jouais tous les jours, n’en avait jamais vu. «Qu’est-ce que tu manges?» Je m’en souviens comme si c’était hier. «Une pêche», lui ai-je répondu «Tu veux goûter?»

Sur les rayons

Il a aimé.

SERAFIM ET CLAIRE MARK LAVORATO

Aujourd’hui, tout le monde va au marché Jean-Talon, l’aristocratie culturelle se vante d’habiter ou de fréquenter La Petite Italie. À l’époque, ce n’était guère comme ça. Je rêvais de m’appeler François Duval et d’aller tout bonnement au Steinberg de la rue Saint-Zotique.

Marchand de feuilles, 461 pages

Et il y a l’éternel rêve du retour que caresse l’immigrant de la première heure. Mais ce n’est qu’un rêve. Parce que si les lieux demeurent (La Petite Italie en est la preuve), les cultures, elles, changent et évoluent. D’où son déracinement, voire sa perte de repères. Il est devenu sans s’en apercevoir l’homme de nulle part. Le fils, lui, pendant ce temps, a fait sa place; il a décodé sa nouvelle société, combattu d’un même front la gêne et la honte, deux menteuses. Il a appris la langue, s’est intégré, a défini son identité, et ce, sans forcément oublier ses racines. Comme mon père qui les abhorrait, il a fui les ghettos. Tiens, c’est fou comme cette répulsion naturelle m’a aidé à devenir ce que je suis, à savoir où je vais, sans jamais oublier d’où je viens. y

Serafim et Claire est le troisième roman du Montréalais Mark Lavorato, mais il s’agit ici de son premier livre publié en français aux éditions Marchand de feuilles et traduit par Annie Pronovost. Plongé tantôt dans un Montréal des années 1920, tantôt dans un Portugal au cœur d’une Europe en sortie de guerre, le roman de Lavorato se veut un chassé-croisé entre deux destins que tout oppose, bien sûr, qui finiront par s’entrecroiser, assurément. Claire, jeune femme issue d’une bonne famille catholique de Québec, se retrouve à Montréal avec pour seule carte de visite son talent et sa passion pour la danse. De son côté, Serafim, photographe tant amateur qu’avant-gardiste, quittera son Portugal natal sur un coup de tête pour se rendre à Montréal, question de se prouver qu’il est encore maître de son destin. Au détour de ces histoires qui se développent principalement en parallèle, on est lancé sur la scène des cabarets burlesques de Montréal, milieu intransigeant où chacune souhaite être la meilleure et dégoter un contrat vers New York ou ailleurs. L’endroit est parfait pour y dépeindre la corruption du milieu politique et l’omniprésence du jugement religieux de l’époque. D’un autre côté, l’arrivée à Montréal de Serafim permet de mettre en lumière le melting pot qu’était cette ville au début du siècle, ainsi que la division linguistique ancrée dans les us et coutumes. À la fois roman de mœurs et fresque historique, Serafim et Claire nous fait comprendre rapidement que cette ville est bien plus grande qu’une simple histoire d’amour. Au fil de la lecture, la construction du roman finit par être répétitive. La narration non linéaire qui semblait intéressante au début de la lecture devient parfois un peu lourde, créant un sentiment de redite lorsque les deux personnages racontent la même histoire. De plus, chaque chapitre de Claire commence avec une lettre provenant de sa sœur, Cécile, alors que les chapitres de Serafim débutent par la description d’une photo. Chaque lettre de Cécile semble là simplement pour placer l’époque, alors que les photos de Serafim tentent de justifier sa démarche. Reste que la ville effervescente vibre sous l’écriture de Lavorato, allant même jusqu’à faire ombrage aux personnages. Un livre qui se lit telle une agréable promenade dans un Montréal qu’on n’a pas connu, mais, à la fin, une seule question persiste: va-t-il nous en rester un quelconque souvenir? (Jérémy Laniel)


RAPHAËLLE DE GROOT, RENCONTRES AU SOMMET, VUE DE L’INSTALLATION À LA SOUTHERN ALBERTA ART GALLERY, LETHBRIDGE, 2014.


59 | ARTS VISUELS

COMPAGNONS INANIMÉS ELLE ADOPTE DES OBJETS ORDINAIRES ET LES ANTHROPOMORPHISE JUSQU’À LEUR INVENTER UNE CONFÉRENCE. AVEC RAPHAËLLE DE GROOT, LES BANALITÉS MATÉRIELLES DEVIENNENT DE SURPRENANTES RENCONTRES AU SOMMET AU MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE

PHOTOS | ROD LELAND

En faisant le tour de son exposition, encore en montage, Raphaëlle de Groot montre le passage de la notion de «tas» (sans connotation péjorative) à celle de collection. «C’est la fin d’un cycle de création, même si je ne suis pas toujours à l’aise avec ces mots-là. C’est parti du Poids des objets en 2009, à Lethbridge (Alberta), alors que j’invitais les gens à me donner des objets. Des objets rangés loin dans leurs oubliettes, qui n’avaient jamais été jetés ni donnés pour une raison peut-être inconnue... De 2009 à 2013, j’ai collecté des objets à Québec, à Montréal, en Italie, au Mexique, à la frontière du Vermont. J’ai adopté ces objets-là, d’abord en tas. Tu sais, une collection, c’est juste plus organisé qu’un tas!» À partir de ce «tas», elle s’est créé une vraie collection, alors que la seule donnée qu’elle a inscrite est le poids de l’objet... d’où le nom de sa recherche. Celle-ci s’est développée à travers des résidences, des expos, des installations, de la photo, de la vidéo, du dessin et même des lectures publiques. Tout au long de cette recherche, les objets se sont

ajoutés, pour atteindre l’auguste nombre de 1 800. De la perle (le plus petit) au fauteuil (le plus grand), le joyeux hétéroclisme de l’aventure n’a pas l’air de donner le vertige à Raphaëlle de Groot. «Je n’ai pas choisi les objets; on me les a donnés. À Stanstead, par exemple, on était presque dans le rituel; c’était une collecte très intimiste. J’avais l’impression que les gens me disaient: “je me libère de l’objet, de son poids, du besoin de dire quelque chose haut et fort”. Il y avait cette femme, haute gradée dans l’armée, qui m’a offert sa botte. Elle m’a dit : “Tout est dans la botte. Je te la donne pour qu’elle poursuive sa mission d’ouvrir des portes aux femmes.” J’en ai eu des frissons...»

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2016 02 11 2016 05 22

RAGNAR KJARTANSSON

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL

185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal (Québec) H2X 3X5 Canada Métro Place-des-Arts macm.org

Avec le soutien de Esker Foundation, Calgary; et Icelandair, Reykjavik

Ragnar Kjartansson, The Visitors, 2012. Projection vidéographique HD à neuf écrans, son, 64 min. © Ragnar Kjartansson. Avec l’aimable permission de l’artiste, de Luhring Augustine, New York, et de i8 Gallery, Reykjavik | Photos : Elísabet Davids


61 | ARTS VISUELS

Plus organisée qu’elle ne le laisse croire, l’artiste a consigné, lorsque c’était possible, l’histoire derrière les objets donnés : où il était rangé, pourquoi s’en départir maintenant, etc. Parfois, elle a noté sur ses fiches de grandes histoires touchantes, comme celle de la botte d’armée; la plupart du temps, c’est anecdotique, mais cela n’affecte pas le processus. «Un objet n’est jamais qu’un objet; j’éprouve pour eux un attachement qui dépasse le simple caractère matériel. Ils sont devenus des compagnons.»

Pour le conservateur de l’art actuel et commissaire de l’exposition, Bernard Lamarche, la recherche et l’idéation de Raphaëlle de Groot est, permettez le cliché, un vent de fraîcheur. «Elle a tout un système d’inventaire qui lui est propre, elle voit les choses à travers un prisme différent du nôtre. À travers un chaos très organisé, Raphaëlle cherche à réactiver la valeur symbolique de l’objet au-delà de la matière, elle demande aux visiteurs de s’engager. Ce projet nous a sortis de nos habitudes et c’est là la beauté de la chose.»

Ces «amis», pourrait-on dire, ont trouvé à leur tour de la compagnie auprès des collections muséales. «Je ne suis pas la seule à faire des collections... les musées aussi! Il y a là un glissement de l’univers personnel vers le public, vers l’institution. J’ai créé des connexions entre les objets de la vie courante et ceux des collec-

Le nom de l’exposition ne peut pas ne pas faire écho à une certaine critique sociale. Et même si, selon le commissaire, «ça parle forcément du capitalisme, en trame de fond», c’est d’abord une réflexion sur la relation intime avec le matériel, sur la nécessité de lâcher prise par rapport aux objets. «Depuis cinq ou

«DE FAÇON LUDIQUE, LE SPECTATEUR CHERCHE À FAIRE DES LIENS ENTRE LES OBJETS. MOI, J’EN FAIS TOUJOURS, DE FAÇON PERCEPTIBLE OU NON. C’EST UN JEU D’ASSOCIATION LIBRE.» tions muséales, à partir de bases de données. L’idée était de rassembler physiquement dans l’espace mes objets et d’inventer une conversation avec ceux des musées. Le résultat, c’est ce rassemblement.» D’où les Rencontres au sommet, présentées d’abord à la Southern Alberta Art Gallery, puis à la Art Gallery of Windsor, avant d’arriver à la fin de leur parcours au MNBAQ. L’idée est de mimer un grand moment, comme une rencontre entre chefs d’État. «C’est la collectivité des objets qui prend la parole.» Le spectateur est invité à naviguer entre les petits groupes d’objets, qui ne sont bien évidemment pas posés au hasard. «De façon ludique, le spectateur cherche à faire des liens entre les objets. Moi, j’en fais toujours, de façon perceptible ou non. C’est un jeu d’association libre, sur le thème du rouge par exemple. Sans connaître l’histoire derrière l’objet, le public peut reconnaître les objets sans les connaître, parce qu’ils font écho à un objet qu’il possède.»

six ans, jeter n’est plus à la mode. On ne jette plus, mais on n’a pas arrêté de consommer pour autant!» s’exclame l’artiste. Ces compagnons n’iront donc pas rejoindre d’autres moins fortunés dans un vulgaire marché aux puces une fois le cycle terminé. Si Raphaëlle de Groot ignore encore s’ils se déplaceront ailleurs, elle sait qu’ils retourneront dans leur caisse, devenue un abri, une maison même. «Déballer et emballer, le geste peut être une création en lui-même. Rendue là, je serai peut-être dans les actes, dans ce qui suit le sommet, dans ce qu’on pose comme geste après.» y Rencontres au sommet Musée national des beaux-arts du Québec Jusqu’au 17 avril 2016


62 | OPINION

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

TRAFIC D'INFLUENCE Dans le cadre d’un plébiscite sur la mise en place d’une taxe visant à financer le développement du système de transport en commun de la ville de Vancouver, Discourse Media, un «think tank» indépendant, a mis sur pied le projet Moving Forward afin d’informer la population, à partir de données empiriques sérieuses et complètes, des coûts réels liés aux différents modes de transport en considérant tous les aspects économiques tangibles et intangibles, comme les coûts de santé, la main-d’œuvre, l’entretien, etc. Les conclusions présentent un constat troublant. Quand un citoyen dépense 1$ en marchant, en utilisant son vélo, en utilisant le transport en commun ou en conduisant sa voiture, la société, elle, assume des coûts directs et indirects qui sont respectivement de 1¢, 10¢, 1,30$ et 9,30$.

Vous avez bien lu. Non seulement la voiture nous coûte plus cher individuellement (elle est la deuxième dépense en importance chez les foyers québécois, tout juste après le loyer), mais elle nous coûte collectivement sept fois plus cher que le transport en commun. Ce qu’il faut comprendre de cette analyse: l’automobile constitue le facteur le plus important d’appauvrissement individuel et collectif. Toute mesure visant à diminuer sa présence doit être accueillie à bras ouverts et gonflera notre portefeuille et celui de l’État. Malheureusement, ces mesures ne sont pas très populaires. Tous les matins à la radio, nous entendons parler du prix de l’essence à la pompe qui ne baisse pas suffisamment rapidement par rapport à celui du baril de pétrole. On veut réduire nos émissions de gaz à effet

MODES DE TRANSPORT VS COÛTS COLLECTIFS SI MARCHER VOUS COÛTE 1$

SI UTILISER VOTRE VÉLO VOUS COÛTE 1$

SI PRENDRE L’AUTOBUS VOUS COÛTE 1$ SI UTILISER VOTRE VOITURE VOUS COÛTE 1$

$ $ $ $

LA SOCIÉTÉ PAIE 1¢ LA SOCIÉTÉ PAIE 10¢

LA SOCIÉTÉ PAIE 1,30$ LA SOCIÉTÉ PAIE 9,30$


de serre, mais, de grâce, ne touchez pas à mon char. La baisse du prix du pétrole fait exploser la vente des VUS. Et comment appelle-t-on un VUS en français? Un véhicule de banlieue… Ne nous leurrons pas: le bonheur contemplatif à 25 minutes du travail, tel qu’on nous l’a mis dans la tête dès le début des années 1960, a engendré un étalement urbain qui nous a tous appauvris et qui, comme le note si bien Martin Léon dans sa chanson Bumper à bumper, nous laisse coincés des millions d’heures dans le trafic. Un rêve qui vire au cauchemar. Voici trois mesures simples, mais combien suicidaires politiquement, qui nous serviraient pourtant énormément. L’augmentation de la taxe sur l’essence et la mise en place d’une taxe kilométrique La diminution de la consommation d’essence au Québec est un échec flagrant. Pour y arriver, il n’y a qu’une façon efficace. Frapper où ça fait mal: le portefeuille. Parce que nous avons des ambitions concernant la réduction des GES et parce que la voiture nous coûte collectivement une fortune, la hausse de la taxe sur l’essence atteint trois objectifs importants: la diminution du déficit de notre balance commerciale, la réduction de la pollution et l’augmentation des revenus gouvernementaux. L’introduction d’un prix plancher pour le litre à 1,25$ par exemple permettrait de récolter plus de deux milliards de dollars. Ce prix plancher pourrait passer à 2$ au bout de dix ans, une fois que les investissements mentionnés plus bas auraient été complétés. La taxe kilométrique permettrait quant à elle de moduler le nombre de véhicules pendant les heures de pointe afin de réduire le coût des infrastructures. Parce que ce qui coûte le plus cher est l’investissement marginal pour répondre à la demande maximale, il faut pouvoir augmenter le tarif d’utilisation des ponts, des échangeurs et des routes pour la diminuer. La mise en place de transpondeurs dans chacun des véhicules immatriculés au Qué bec permet trait de gérer cette taxe adéquatement tout en augmentant la fluidité et l’efficacité du transport routier. Un investissement massif dans le transport collectif La mise en place de mesures de taxation aussi importantes doit être combinée à un investissement massif dans les infrastructures de transport en commun afin de fournir une solution de remplacement viable, confortable et efficace au volant.

Dans son plan d’infrastructure 2014-2024, le gouvernement compte investir plus de 90 milliards de dollars dans ses infrastructures. De cette somme, 7,4 milliards seraient destinés aux infrastructures de transport en commun. C’est trop peu. L’IRIS, dans une publication du 2 février, propose d’augmenter cette somme de 20%. Mais si nous voulons être sérieux et investir dans notre enrichissement collectif, c’est sûrement du double dont nous aurions besoin. Le prolongement du métro de Montréal, la présence de lignes de bus rapides sur Pie-IX et entre Québec et Lévis, la mise en place d’un système léger sur rail (SLR) entre le centre-ville et l’aéroport de Montréal, l’électrification des autobus, l’amélioration du service du train de banlieue en priorisant le transport des passagers par rapport au transport des marchandises, et j’en passe, ne sont que quelques exemples qui favoriseraient le transport en commun. L’autre volet sur lequel on doit se pencher est l’accessibilité et la facilité d’utilisation du transport en commun. Tout ce qui est un frein à son utilisation doit être combattu. L’interopérabilité des titres de transport, son coût mensuel tout comme la couverture, la disponibilité et la densité du service.

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Des mesures incitant la marche, l’utilisation du vélo, des véhicules en libre-service (tels ceux de Communauto) et le covoiturage Un cocktail de transports urbains efficaces doit inclure la mise en valeur des modes de transport alternatifs et les favoriser par rapport à la voiture. Tout ce qui nous permet de lutter contre la deuxième voiture, voire la première, doit être promu et encouragé. En Amérique, près de 85% des déplacements sont effectués en voiture. La Suède a descendu ce seuil sous la barre des 40%. Nous avons tous intérêt à nous libérer du diktat de l’automobile. Il faut voir la promotion de l’utilisation de moyens de transport alternatifs à la voiture non pas comme une tentative de boboïsation de la gauche radicale, mais bien comme l’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire. Être plus riches et plus heureux. Pour y arriver, il faut choisir avec attention les mots justes décrivant l’acronyme BMW: Bus, Metro and Walk. Une belle BMW comme véritable statut social dans 10 ans. y IRIS: iris-recherche.qc.ca/publications/ transport-collectif

Moving Forward: movingforward.discoursemedia.org

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QUOI FAIRE

photo | hedinn eiriksson

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KIASMOS C e n t r e p h i – 31 m a r s

Les Islandais Ólafur Arnalds (lauréat d’un prix BAFTA) et Janus Rasmussen (chanteur du groupe électropop Bloodgroup) s’unissent pour créer une musique expérimentale minimaliste qui gagne le pari de rester accessible (et parfois même dansante) malgré son côté atmosphérique et relativement planant. Après un passage remarqué à Mutek, Kiasmos revient nous envoûter au Centre Phi.


65 | QUOI FAIRE

GALAXIE C l u B s o d a – 2 a v r i l

Le groupe de l’année 2015 (selon l’ADISQ) arrive en lion à Montréal pour un show rock qui s’annonce mémorable. Événement de clôture des festivités du 25e anniversaire de CISM, qui comprennent les spectacles de We Are Wolves au Divan orange (31 mars) et Loud Lary Ajust à la SAT (1er avril), ce spectacle débutera avec Les Hôtesses d’Hilaire et IDALG.

METRIC C e n t r e B e l l – 19 m a r s

photo | lepetitrusse

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PHILIPPE BRACH t h é ât r e fa i r m o u n t – 5 m a r s

L’auteur-compositeur-interprète saguenéen Philippe Brach revient d’un voyage au Japon et, pour célébrer l’occasion, il donne rendez-vous à ses fans au Théâtre Fairmount pour une «soirée nippone» qui mettra sans doute en valeur les chansons de son deuxième album Portraits de famine. Révélation de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, Brach est assurément l’un des artistes les plus divertissants à voir.

Comme promis, c’est à Montréal que le groupe torontois entreprend sa tournée Lights on the Horizon. Accompagné du groupe américain Death Cab for Cutie, Metric présentera son dernier album sorti en septembre 2015, Pagans in Vegas. Véritable ode aux synthés, cet album aux influences new wave promet de faire danser la foule du Centre Bell.

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EZRA FURMAN r i t z p d B – 29 m a r s

Ce chanteur aux multiples talents interprétera les chansons tirées de son dernier album, Perpetual Motion People. Tantôt folk, tantôt glam rock, avec un brin de punk, cet artiste décomplexé au look fleuri est à découvrir de toute urgence si vous aimez David Bowie. Furman partagera la scène avec le groupe indie rock Sleepy Kitty.

photo | alysse Gafkjen


66 | QUOI FAIRE

MAJICAL CLOUDZ l a s a l a r o s s a – 10 m a r s

Récemment, le duo montréalais électropop a fait paraître un nouvel EP, Wait & See, une suite plutôt percutante à son précédent EP Are You Alone?. Il était donc temps qu’il monte sur scène pour présenter ses nouveautés. Les sons atmosphériques et la voix grave, très enveloppante, de Devon Walsh vont occuper la totalité de l’espace de La Sala Rossa.

SAVAGES t h é ât r e C o r o n a – 2 av r i l photo | Courtoisie CluB soda

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PUSHA T C l u B s o d a – 1 e r a v r i l

Fort d’un percutant deuxième album, paru à la mi-décembre 2015, le New-Yorkais Pusha T (alias le «last cocaine superhero») amène son rap coup-de-poing et ses rimes assassines à Montréal. Appuyé par des productions implacables, signées par des maîtres du beatmaking comme Timbaland, Kanye West et Q-Tip, le rappeur de 38 ans saura sans doute faire lever la foule.

Toujours aussi énervées et énergiques sur scène, les quatre Britanniques de Savages présenteront leur deuxième album, Adore Life, au Théâtre Corona. C’est un son plus travaillé et étoffé qui ressort de ce second album, dont les effluves post-punk et heavy rock résonnent avec intensité et mordant. Les claques au visage risquent d’être nombreuses.

FANNY BLOOM t h é ât r e s a i n t e-C at h e r i n e – 24 m a r s

C’est une nouvelle expérience sensorielle que nous propose la chanteuse Fanny Bloom. En collaboration avec le metteur en scène Jean-Simon Traversy, le théâtre et la musique vont cohabiter le temps d’une soirée spéciale. Derrière son piano, Bloom interprétera ses deux derniers albums, mais aussi ses grands classiques de La Patère rose. Cette conception originale est signée Renaud Pettigrew. photo | Courtoisie Grosse Boîte

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photo | david ospina

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ANIMAUX e s pa C e l i B r e – d u 3 m a r s a u 20 m a r s

Produite par le Nouveau Théâtre expérimental, cette pièce de Daniel Brière et Alexis Martin met en scène des animaux et des humains qui témoignent de leur relation. Quel langage se met en place entre ces deux espèces? Qu’est-ce qui différencie l’homme de la bête? Voici autant de questions qui seront abordées par Sophie Cadieux, Hubert Proulx et de vrais animaux.

LES COURANTS SOUTERRAINS

TORTOISE

théâtre prospero d u 15 m a r s a u 2 a v r i l

t h é ât r e fa i r m o u n t – 13 m a r s

Une jeune femme fouille dans son passé et se remémore une journée spéciale, celle d’une petite fille et de son père accompagnant une chanteuse country à un concours de chant. Traumatismes liés à l’enfance et désillusions refont surface. Mise en scène par Benoît Desjardins, cette pièce est une production de la compagnie du Noble Théâtre des trous de siffleux.

La formation américaine Tortoise sera au Théâtre Fairmount pour présenter son dernier album sorti le 22 janvier dernier, The Catastrophist. Sa musique relève de la performance orchestrale: rock, jazz et électro se mélangent avec beaucoup de distorsion pour créer une ambiance unique et planante. Elle sera accompagnée par Mind Over Mirrors et Last Ex.


68 | QUOI FAIRE

photo | Courtoisie ruGiComm

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RÉVOLUTION À LAVAL

EN ATTENDANT GODOT

QUILLS

e s pa C e G o d u 29 m a r s a u 9 a v r i l

t h é ât r e d u n o u v e a u m o n d e du 1er au 26 mars

usine C d u 16 m a r s a u 9 a v r i l

Prenant place à Laval, c’est-à-dire «Nulle Part, ou peut-être Partout», cette pièce écrite par Guillaume Lagarde et mettant en vedette Marc Béland s’intéresse à la corruption et au complot, à la manière du classique d’Alfred Jarry, Ubu roi. Maire de Mascouche, Roméo doit aider sa femme à préparer un complot pour venir à bout du maire de Laval.

Le Théâtre du Nouveau Monde accueille une fois de plus François Girard avec une version revisitée d’une des pièces emblématiques de l’œuvre de Beckett, En attendant Godot. Vladimir et Estragon, deux sans-abri, attendent Godot qui aura, peut-être, du travail pour eux. Au pied de leur triste arbre, les comédiens Benoît Brière et Alexis Martin patientent, et le temps passe ainsi.

Relecture de la pièce classique du scénariste américain Doug Wright, qui raconte l’histoire du marquis de Sade séquestré dans un asile, Quills bénéficie de l’excellence de deux metteurs en scène renommés: Robert Lepage, qui y incarne également le rôle principal, et Jean-Pierre Cloutier, qui a traduit la pièce. Quills a été chaudement accueillie à Québec.


DOCTEUR MOBILO AQUAFEST t h é ât r e f a i r m o u n t / t h é ât r e r i a lt o d u 16 a u 19 m a r s

Ce nouveau festival vise à démocratiser l’accès à l’humour alternatif et à stimuler l’intérêt d’un jeune public, manifestement désintéressé par l’humour de «matantes». Initié par des humoristes de la relève (Guillaume Wagner, Adib Alkhalidey, Sèxe Illégal et Virginie Fortin), le festival propose six rendezvous, notamment le gala d’ouverture du 16 mars prochain au Rialto avec une horde d’humoristes.

ON A TOUS UNE LYDIA LEE t h é â t r e d e Q u at ’ s o u s d u 15 a u 22 m a r s

Mis en scène par Brigitte Poupart, ce road trip musical se campe au Massachusetts, là où les plaines du réel et de l’imaginaire se recoupent. Incarnant Freddy Lee, la chanteuse acadienne Marie-Jo Thério part à la recherche de sa grand-tante Lydia, une chanteuse marginale tombée dans l’oubli. La pièce est inspirée par son album Chasing Lydie, paru en 2011.

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photo | pierre manninG


UN ANIMAL (MORT) Centre du théâtre d’aujourd’hui du 8 au 26 mars

Le metteur en scène Félix-Antoine Boutin s’interroge «sur le sens du sacré et du rituel» dans nos sociétés contemporaines. Dans Un animal (mort), six personnages se rencontrent, meurent et ressuscitent, ayant ainsi la possibilité de s’améliorer au cours de leurs différentes vies. Cette œuvre poétique et intime amène le spectateur à un travail d’introspection.

NATIVE GIRL SYNDROME e s pa C e l i B r e – d u 10 a u 19 m a r s

Lara Kramer présente un spectacle hors-norme, inspiré par la vie de sa grand-mère, où la parole passe par le corps. Loin de leur réserve, deux femmes autochtones itinérantes sont malmenées par la ville, et c’est un véritable combat qui s’installe. Les deux interprètes Angie Cheng et Karina Iraola bougent, dansent, respirent avec sincérité et force. photo | sylvie-ann paré

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PRÉLUDE À L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE + LE SACRE DU PRINTEMPS t h é ât r e m a i s o n n e u v e d u 31 m a r s a u 2 a v r i l

Incontournable du monde de la danse montréalaise, la compagnie Marie Chouinard donne une toute nouvelle perspective à deux chefs-d’œuvre du classique (le solo Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et l’intense Sacre du printemps de Stravinsky) en les livrant en compagnie des 70 musiciens de l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal, dirigé par Louis Lavigueur. Le tout est présenté par Danse Danse.

photo | marC j. Chalifoux


MY BIG FAT GREEK WEEDING 2 d è s l e 25 m a r s

Douze ans après le film original, le réalisateur Kirk Jones ressuscite la famille américano-grecque Portokalos. Toujours aussi envahissants et extravertis, les membres se réunissent à nouveau pour célébrer un mariagesurprise. Confrontés à des problèmes de couple et à la crise d’adolescence de leur fille, Toula (Nia Vardalos) et Ian (John Corbett) vont devoir aussi gérer ce mariage qui s’annonce démesuré.

BATMAN VS SUPERMAN: L’AUBE DE LA JUSTICE d è s l e 25 m a r s

Les deux superhéros, Batman et Superman, s’affrontent dans un duel sans précédent, mais les deux justiciers se retrouvent confrontés à une menace plus grande. Ils vont devoir mettre de côté leur désir de conquête et travailler ensemble afin de débarrasser la ville d’un super vilain. Réalisé par Zack Snyder, le film réunit Ben Affleck, Henry Cavill et Jesse Eisenberg. >

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BORIS SANS BÉATRICE

KNIGHT OF CUPS

d è s l e 4 m a r s 2 0 16

dès le 4 mars

Film d’ouverture aux Rendez-vous du cinéma québécois, présenté à la 66e édition de la Berlinale, ce nouveau film de Denis Côté s’intéresse aux angoisses, de la dépression et à la rédemption. Boris Malinowski (James Hyndman) est un homme riche et orgueilleux. Lorsque sa femme tombe malade, il entame un travail d’introspection afin de ramener celle qu’il aime à la réalité.

Le très talentueux Terrence Malick revient avec un film poétique, dépouillé de toute narration cinématographique traditionnelle. Christian Bale interprète un scénariste hollywoodien en mal de vivre. L’argent, les femmes (Cate Blanchett, Natalie Portman…) et les fêtes décadentes sont son lot quotidien, mais un vide intérieur l’habite. Dans une véritable quête identitaire, cet homme tourmenté cherche sa voie et revisite son enfance.

THE LOBSTER dès le 25 mars

THE YOUNG MESSIAH d è s l e 11 m a r s

Dans une société où le célibat n’est pas accepté, David a 45 jours pour trouver une compagne sous peine d’être transformé en animal. Échouant dans cette quête, il quitte l’établissement austère qui sert de lieu de rencontre et rejoint le groupe des Solitaires. Le film de Jacques Mandelbaum a reçu le Prix du jury au dernier Festival de Cannes.

Le réalisateur américain Cyrus Nowrasteh s’est lancé le défi de raconter de manière fictionnelle les débuts de la vie de Jésus. Lorsque le jeune garçon découvre qu’il est doté de pouvoirs divins, il comprend alors qu’il est amené à faire de grandes choses. Considéré comme une menace par le roi Hérode, Jésus est pourchassé et doit fuir son village.


MAISON DES ARTS DE LAVAL

MONTRÉAL LA BLANCHE d è s l e 18 m a r s

Réalisé par l’Algérien d’adoption montréalaise Bachir Bensaddek (Portrait de dame par un groupe), Montréal la blanche prend place dans un Montréal enneigé. Tenant le rôle de deux Algériens d’origine, Karina Aktouf et Rabah Aït Ouyahia voient leur destin converger, alors que leur passé, lui, ressurgit. Ce film a été présenté en sélection officielle à Rotterdam.

DECOLONIAL GESTURE OR DOING IT WRONG? REFAIRE LE CHEMIN musée mCCord d u 18 f é v r i e r a u 29 m a i

© Jacinthe Lessard-L., Sans titre (et sans visage), de la série Autodafé jubilatoire, 2013-2015

Diplômée de la Emily Carr University of Art + Design, l’artiste algonquine multidisciplinaire Nadia Myre s’inspire des publications et périodiques féminins de l’époque victorienne pour créer des œuvres complexes et originales, qu’elle place ensuite aux côtés d’objets puisés dans la collection ethnologique du Musée McCord. En découle donc un «geste décolonial en tant que processus de réappropriation d’une identité autochtone».

ART SOUTERRAIN s o u t e r r a i n d u C e n t r e-v i l l e d e m o n t r é a l d u 27 f é v r i e r a u 20 m a r s

Pour la huitième édition, l’organisme Art souterrain remet ça avec son festival d’art contemporain, qui cette fois se déroulera sous le thème de «L’art doit-il séduire?» et débutera lors de la traditionnelle Nuit blanche. Dix lieux d’exposition participent à cet événement annuel et regroupent 76 artistes venus de divers horizons avec, en tête, l’idée de repousser les limites de l’indifférence et d’interroger le spectateur. >

JACINTHE LESSARD-L. Sans titre, rien ne presse Commissaire : Claire Moeder

21 FÉV

au

17 AVR

Entrée libre

holly kinG, suBlime transCendant

MAISON DES ARTS DE LAVAL maisondesarts.laval.ca Métro Montmorency Maison des arts de Laval


74 | QUOI FAIRE

patriCk Quayle / aveC l’aimaBle permission de l’artiste et la lisson Gallery

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RYAN GANDER

EXPO MANGER SANTÉ ET VIVRE VERT

musée d’art Contemporain de montréal d u 3 m a r s a u 22 m a i

palais des ConGrès d u 11 a u 13 m a r s

Cet artiste britannique explore à travers plusieurs médiums (cinéma, photo, installation…) les bouts d’histoire de notre culture et ses contradictions. Les œuvres de Gander peuvent être définies comme «conceptuelles et sérieusement amusantes (ou drôlement sérieuses)». L’exposition Make Every Show Like It’s Your Last interroge la production artistique selon notre mode de perception culturelle.

De nombreux invités discuteront alimentation, santé et écologie lors de cet événement, qui accueille une expo bilingue sur les légumineuses et ses bienfaits. Au programme: tables éducatives, documentation, démonstrations culinaires et dégustations, mais aussi le Concours du meilleur artisan boulanger utilisant des produits certifiés bio (le 11) et le sixième Championnat amateur de cuisine santé (le 12).



«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

Pishier

teomtl.com


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