Magazine Voir Québec V01 #02 | Mars 2016

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QUÉBEC VO1 #O2 DOSSIER MARIJUANA LA RELÈVE DES CRAYONS LES BROCANTEURS DE SAINT-ROCH VIE DE CHEF LA POP AU FÉMININ FRED FORTIN MARIE-EVE ROY OLIVIER LÉPINE DANIEL LÉVEILLÉ THOMAS GIONET-LAVIGNE

LES MAUVAISES HERBES


†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.


TENDANCES INTEMPORELLES MARBRE PIERRE GRANIT ONYX CÉRAMIQUE QUARTZ MOSAÏQUE ACCESSOIRES D’EAU montréal québec brossard toronto vaughan mississauga détroit ciot.com


V

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O1 O2 QUÉBEC | MARS 2016

RÉDACTION

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Coordonnatrice à la rédaction et journaliste: Catherine Genest Chef de section musique: Valérie Thérien / Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture Chef de section mode de vie: Noémie C. Adrien / Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau / Correctrice: Marie-Claude Masse

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Émilie Rioux, Caroline Décoste, Mickaël Bergeron, Ralph Boncy, Réjean Beaucage, Patrick Baillargeon, Christine Fortier, Monique Giroux, Jean-Baptiste Hervé, Normand Baillargeon, Gildas Meneu, Franco Nuovo, Jérémy Laniel, Alexandre Taillefer, Catherine Perreault-Lessard, Pierre-Yves McSween, Eric Godin

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LES MAUVAISES HERBES NOUS PARLE D’UN MONDE QUI SERA BIENTÔT RÉVOLU AVEC LA LÉGALISATION IMMINENTE DE CETTE HERBE VERTE AUX PROPRIÉTÉS EUPHORISANTES. Photographe | Jocelyn Michel / Consulat Assistant | Julien Grimard Maquillage | Coiffure: Sophie Parrot Production Consulat | Sébastien Boyer

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SCÈNE

Olivier Lépine Daniel Léveillé Thomas Gionet-Lavigne

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MUSIQUE

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SOCIÉTÉ

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CINÉMA

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ART DE VIVRE

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LIVRES

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

La pop au féminin Fred Fortin Marie-Eve Roy Dossier marijuana Le terrorisme au cinéma Regard sur le court Les brocanteurs de Saint-Roch Vie de chef On ne nous dit jamais tout La relève des crayons

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p16) Monique Giroux (p30) Normand Baillargeon (p46) Alexandre Taillefer (p64)


6 | OPINION

SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

CHEZ LES HUMAINS À la suite de la mort tragique de Marie Trintignant, battue à mort par Bertrand Cantat en 2003, je n’ai jamais cessé d’écouter Le vent nous portera, colossale chanson dont il avait signé le texte quelques années plus tôt. Je me la repasse encore très souvent, avec toujours cette voix sinistre et secrète qui me souffle à l’oreille: «Tu entends ce qu’il te dit, ce type qui était assez violent pour tuer une femme avec ses mains?» Ça me bouleverse chaque fois, profondément. Assez pour en pleurer parfois. La chanson était belle et émouvante, elle est devenue tragique, inquiétante, blessante même. Lorsque Les Charbonniers de l’enfer ont repris en 2010 cette même chanson sur l’excellent album Nouvelles fréquentations, leur interprétation m’est apparue comme un étrange moment de rudesse, sans emballage, que les voix avec la podorythmie, sans flaflas, brute comme la pierre qu’on n’a pas encore taillée. C’est rugueux, c’est inquiétant, ça fait mal. Il s’en est trouvé quelques-uns pour s’indigner un peu à l’époque. «Est-ce vraiment la pièce idéale pour turluter et taper du pied?» se demandaient-ils... La réponse se trouvait peut-être quelques chansons plus loin sur le même disque, dans le très beau texte de Bienvenue chez les humains signé par Anne Sylvestre. On est venus sur cette scène Braves gens qu’ils vous en souviennent Tous le cœur sur le même côté Qu’est-ce qui nous a dénaturés Et fait de nous des étrangers? Désolés On n’est pas tous des assassins Des égoïstes, des gredins Mais qu’est-ce qui fait de nous des chiens? Bienvenue chez les humains

C’est pour ce sentiment trouble et le malheur radical qu’elle porte désormais que je réécoute régulièrement Le vent nous portera. Cette chanson est pour moi indissociable du sombre destin de son auteur et de son crime abominable. Je ne lui érigerais pas un monument, à Cantat. Je l’écoute pour ce qu’il est. Pour vivre ce moment de malaise où la beauté rencontre l’innommable et l’inconcevable. Je pourrais même pousser l’audace jusqu’à vous avouer que c’est en entendant cette chanson, dans le vertige dont elle est indissociable, que ma chérie et ma fille m’apparaissent comme les êtres les plus précieux et que je prends conscience de la fragilité d’un bonheur qui ne tient qu’à presque rien. Comme si la beauté du monde se mesurait à l’aune de l’horreur humaine. Je sais... Vous m’avez vu venir, gros comme un train. Je voulais vous parler de Claude Jutra qu’on vient d’épingler de manière posthume pour agression sexuelle sur des mineurs. L’affaire a fait grand bruit, c’est le moins qu’on puisse dire, et après avoir retiré son nom de tous les lieux publics où on lui rendait hommage, il reste le problème de l’œuvre qu’il nous a léguée. On semble vouloir nous dire qu’elle pourrait survivre dans nos mémoires indépendamment des crimes de son auteur. Elle serait autonome, existant pour ce qu’elle est, et devrait toujours trouver une place au sein de notre patrimoine. On efface Jutra, d’accord, mais l’œuvre aurait toujours la même valeur malgré tout. C’est une bien curieuse contorsion qu’on tente ici de faire. L’homme serait un criminel, un pédophile, mais l’œuvre, elle, ne serait pas entachée. On la voudrait encore toute propre, immaculée, impeccable, à l’abri du trouble qui habitait son créateur.

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C’est tout bonnement éviter une question essentielle: et s’il n’avait pas été un pédophile, Claude Jutra auraitil tourné les mêmes films? Saurions-nous seulement qui était Claude Jutra? Voilà une question embarrassante. Il faudra bien se la poser un jour. Toutes ces tergiversations sur une filmographie magnifique qui devrait demeurer intacte sont une fuite en avant, un aveuglement. Ce n’est pas l’œuvre que nous tentons ainsi de sauver, mais nous-mêmes. Nous ne voulons pas admettre qu’en appréciant les films de Jutra, depuis des années, c’est le point de vue d’un homme capable de commettre des gestes inadmissibles qui nous a séduits. Nous refusons d’y poser un second regard, nous ne voulons pas être troublés. Cachez ce crime que nous ne saurions voir sous du papier d’emballage. C’est un peu notre rapport à la culture qui se joue ici. Pour quelle raison fréquentons-nous les créateurs et leurs œuvres? À vouloir à tout prix arracher l’œuvre du vécu qui l’a rendue possible, on a un peu l’impression que tout se résume finalement à un problème d’hygiène. Comme si tout n’était qu’une question de santé publique. On verse du désinfectant sur la plaie pour la guérir. D’ici quelques semaines, rassurez-vous, ça ne paraîtra plus. Prenez un peu de repos et tâchez de vous divertir

en pensant à autre chose. Au pire, si ça s’aggrave, on vous amputera. Mais cette création que nous aimions tant, n’était-ce pas une plaie ouverte au grand jour, justement? Et si on l’ampute, comment pourrait-elle survivre? On ne s’en sortira pas. On ne pourra pas arracher l’œuvre de Jutra, l’homme, comme si on lui coupait un bras. Il faudra accepter d’y voir une blessure et de souffrir en la regardant. De trouver ça un peu laid, aussi. La culture n’est pas qu’une collection de beaux moments pour se changer les idées. Bienvenue chez les humains... / P.-S. Chers lecteurs et lectrices, au nom de toute notre équipe, je souhaite vous remercier chaleureusement pour votre enthousiasme et vos bons mots qui ont suivi la parution du premier numéro de notre magazine. J’ai reçu plusieurs dizaines de courriels ainsi que plusieurs messages sur ma boîte vocale. Je n’ai pas pu répondre à tout le monde, mais sachez que ça nous a fait grand plaisir. Nous avons aussi pris bonne note de vos remarques à propos de la taille des caractères et nous avons apporté des changements. J’espère que cette nouvelle mise en page saura vous plaire. Et n’hésitez jamais à m’écrire pour me faire part de vos idées. Je ne réponds pas toujours, mais je vous lis! sjodoin@voir.ca



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L’art de se reconstruire enracinée dans Le contexte mouvementé de La grève étudiante, La dernière pièce d’oLivier Lépine fait écho au «printemps érabLe» tout en se détachant singuLièrement de ses précédentes créations. MOTS | ÉMILIE RIOUX

PHOTO | RENAUD PHILIPPE

Seul comédien de la distribution, il portera pour une première fois ses propres mots à la scène, incarnant le personnage de Vincent, un jeune cinéaste bousculé par une éprouvante rupture amoureuse, en plein cœur d’un mouvement social en effervescence. Entre le tumulte des manifestations, une altercation policière significative et l’essor du carré rouge se dessine un parallèle entre le printemps critique du protagoniste et la vie peu commune de l’illustre peintre Vincent Van Gogh. «Je trippe sur Van Gogh depuis que je suis vraiment jeune. Ça m’a suivi pendant toutes mes études, il a toujours été là. Tu sais, c’est le genre de truc qui te fait vibrer sans que tu comprennes trop pourquoi! Quand j’ai pensé à l’idée du spectacle, le sujet s’est un peu imposé. J’explore beaucoup la correspondance de Van Gogh, qui est un pan de sa vie qu’on connaît moins, mais d’une qualité riche et imagée.» Au-delà de son attachement pour le légendaire artiste néerlandais, Olivier Lépine laisse transparaître dans le texte une couleur très personnelle, inspirée de sa propre histoire. L’écriture d’un tel récit enchâssé est alors apparue comme l’occasion idéale de tenter lui-même l’expérience en solo, un rêve qu’il envisageait depuis quelques années.

L’étincelle qui ne s’éteint pas Dans une temporalité cyclique, qui n’est pas sans rappeler la succession des saisons, Architecture du printemps prend appui sur les forces opposées (gouvernement, autorités policières, étudiants) au cœur de la crise sociale de 2012. Cette tension devient ainsi prétexte pour explorer la relation conflictuelle entre le besoin criant de solitude d’un individu et l’énergie rassembleuse du mouvement étudiant. Si les parallèles sont nombreux entre le déchirement personnel et politique, il aura tout de même fallu plus de deux ans pour que l’anecdote donne naissance à un personnage, puis à un spectacle à part entière. «Si j’avais fait le show tout de suite après ces événements-là, mon regard n’aurait pas été assez éloigné, je n’aurais pas pris assez de maturité par rapport à ça. Ça aurait été un cri du cœur ou une simple anecdote sur ma vie. C’est la même chose avec les shows sur le printemps érable. On va les voir apparaître dans quelques années. On a peut-être besoin d’un délai», maintient le metteur en scène. D’un autre côté, l’ambiance de révolte engendrée par la crise étudiante aura été pour plusieurs une occasion de prendre position par le théâtre, donnant lieu à la création spontanée de textes, de manifestes,

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> de lettres ouvertes et autres écrits fortement engagés. Le mouvement social n’aura-t-il pas été l’étincelle d’un élan artistique? «Peut-être sur le coup. On était déjà dans une période trouble politiquement, qui faisait en sorte qu’il y avait déjà l’envie de porter une parole. Pour certains, le théâtre est devenu un acte plus citoyen. […] Je suis persuadé que ça n’a pas été un mouvement inutile, et qu’il y a du beau là-dedans. Est-ce que ç’a changé la société québécoise au sens large? Pas beaucoup. J’ai l’impression que les compressions budgétaires actuelles créent un mouvement de création et d’opposition plus important encore chez les artistes.» Le même regard critique anime le discours d’Alexandre Fecteau, metteur en scène responsable de la direction artistique de la très engagée Marche action climat de 2015. «Je crois que l’effet a été de courte durée; ça s’est terminé sans sentiment de victoire. Moi, ça m’a plus découragé du Québec que d’autre chose.» Encore très habité par les nombreux enjeux sociaux soulevés il y a quatre ans, ce dernier affiche toutefois une certaine réserve quant à la manière de véhiculer son engagement politique dans le théâtre. «Il faut que ça reste d’abord une démarche artistique, dans l’authenticité de la création. Autrement, ça peut devenir assez aléatoire de passer un message sur scène, et d’espérer avoir un effet sur la population.»

nentielle de collectifs de création artistique n’est pas sans rappeler le mouvement de solidarité ayant animé les rues quatre ans plus tôt. «Ç’a beaucoup changé la manière de s’organiser», confirme Émilie Tremblay, bachelière en mise en scène et responsable de la mobilisation étudiante de l’époque. «Les jeunes artistes tentent de se débrouiller sans subvention parce qu’ils savent qu’ils n’ont plus accès à ce genre de soutien. C’est une manière de vouloir couper les ponts avec le gouvernement, de tenter d’atteindre une indépendance artistique.» Devenir architecte de son propre printemps, c’est le nouvel idéal qui semble se dessiner à l’horizon de la nouvelle génération de dramaturges et de metteurs en scène. Comme le souligne Olivier Lépine: «Le printemps arrive inévitablement. Il arrive parfois tardivement, parfois par surprise. Il n’en demeure pas moins une renaissance. Architecture du printemps, c’est un peu une recherche de lumière. C’est une manière d’observer comment on construit le parcours de sa vie, pour tranquillement en arriver à une espèce de lumière, de renaissance.» y Architecture du printemps Du 15 mars au 2 avril à Premier Acte

Écho de solidarité Néanmoins, le cri du cœur populaire du printemps aura réussi à animer l’engagement de quelques auteurs de la dramaturgie québécoise. Outre le texte d’Olivier Lépine, les écrits de Mani Soleymanlou et d’Olivier Kemeid en portent aussi les traces, tout comme ceux de Véronique Côté, auteure et metteure en scène des spectacles collectifs La fête sauvage et Attentat. «Le fait de prendre la parole par le théâtre était déjà politique. Je ne savais pas comment connecter cette parole avec une certaine actualité sociale. Ça m’a donné l’urgence de trouver des moyens pour le faire, affirme-t-elle. Ça m’a surtout donné envie de nourrir les spectateurs d’une autre sorte de discours que celui qui nous est martelé à longueur d’année sur notre impuissance politique.» Si les créateurs de tous les milieux ont su trouver une place dans ce débat social, c’est sans doute chez ceux de la relève théâtrale qu’on peut voir les répercussions les plus importantes. Aussi, l’apparition expoALEXANDRE FECTEAU, PHOTO | JASMIN ROBITAILLE


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sans intention sexueLLe coupé de Québec pendant 34 ans, aLors Qu’iL cartonnait en europe et au moyen-orient, Le montréaLais danieL LéveiLLé débarQue dans La capitaLe pour un «come-back» surréaListe. MOTS | CATHERINE GENEST

Il n’est pas amer, Daniel Léveillé, il choisit la joie et le rire teinté de jaune pour célébrer sa réhabilitation improbable, cet accueil qu’il n’espère même plus dans une ville en guéguerre – c’est le mot qu’il utilise – avec sa métropole. Pour toute une génération d’aficionados de la danse, Léveillé est un pur inconnu: son dernier passage remonte à 1982 au Festival d’été de Québec. «J’ai l’impression que je me suis coupé de cet accès-là à cause de la nudité. Ce n’est pas une impression, je crois bien que c’est la réalité, aussi pour les tournées au Québec. […] Je n’ai jamais compris cette frilosité et j’en ai souvent parlé aux diffuseurs.» C’est après avoir abandonné ses études en architecture que ce natif de Sainte-Rosalie, petite ville aujourd’hui fusionnée à Saint-Hyacinthe, découvre la danse contemporaine par l’entremise des écoles du Groupe Nouvelle Aire et de la compagnie EntreSix. Un an plus tard, soit en 1978, l’apprenti interprète se tourne vers la création et dirigera Louise Lecavalier (alors émergente) dans sa première pièce intitulée Le bas rouge de Béatrice. Solitudes solo, lauréate du Prix de la meilleure œuvre chorégraphe 2012-2013 du Conseil des arts du Québec, fait justement écho à cette période faste, initiatique même. «Consciemment, j’ai essayé de revisiter la danse que j’ai connue quand j’ai commencé à en faire, donc au milieu des années 1970. Y a des espèces de clins d’œil aux techniques qu’on utilisait à ce moment-là et qui ne sont plus utilisées du tout aujourd’hui, comme la technique limon

PHOTO | DENIS FARLEY

entre autres.» Un retour aux sources, d’une certaine manière, mais pas un copier-coller parce que les mouvements de l’époque ont, garantit-il, été revisités. Au-delà des bobettes On reconnaît la signature de Léveillé à la théâtralité de ses œuvres, à cette quête de pureté dans la scénographie quasi inexistante et axée sur le plancher gris perle qui fait rebondir la lumière sur les corps blafards des interprètes. Cette fois encore, il opte pour un compositeur classique, pour Bach en fait. «C’est un peu comme faire manger des brocolis à des enfants. La musique, ça devient comme une sauce qui permet de faire passer, peut-être, des ingrédients qui seraient un petit peu difficiles à avaler.» Solitudes Solo marque néanmoins le commencement d’un nouveau cycle de création pour cet artiste de 63 ans inconfortable dans ses pantoufles. «C’est tentant, surtout depuis le début des années 2000 parce que j’ai eu un certain succès international, de me répéter, d’essayer de faire ce que je crois que les gens vont aimer… Mais si on tombe dans ce piègelà, la création s’épuise! Alors, c’est une sorte de défi, et pour le relever, je me suis dit que la meilleure façon d’y arriver ce serait d’attaquer la forme solo parce qu’il n’y a pas d’échappatoire possible.» Avec un seul danseur sur scène, le chorégraphe doit composer avec un espace vide, l’obligeant à «aller à l’essentiel».

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DANIEL LÉVEILLÉ, PHOTO | SANDRA PIRETTI

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L’Êrotisme et le voyeurisme, concepts indissociables de la danse de LĂŠveillĂŠ, sont cette fois relayĂŠs au deuxième plan, notamment parce que ses interprètes sont vĂŞtus de sous-vĂŞtements. ÂŤCe sera toujours prĂŠsent dans mon travail parce que ce que je travaille le plus, c’est le corps. Le corps, en plus, d’assez jeunes adultes entraĂŽnĂŠs en danse, donc des corps relativement en forme et beaux.Âť Pour lui, la peau sans vĂŞtement est surtout une dĂŠmonstration de la vulnĂŠrabilitĂŠ. ÂŤĂ€ l’inverse de ce que l’on pourrait croire, [les spectacles avec nuditĂŠ] ĂŠtaient certainement les moins sexuels que j’ai faits. [‌] Ça change la nature des pièces qu’on prĂŠsente. Celles qui pourraient ĂŞtre naturellement sexy deviennent extrĂŞmement fragiles et sensibles.Âť Le propos de la pièce, de toute façon – et le titre l’indique –, c’est la solitude. Un thème rĂŠcurrent, Ă la mode mĂŞme, que Daniel LĂŠveillĂŠ aborde diffĂŠremment de ses contemporains, avec sĂŠrĂŠnitĂŠ et optimisme. Avec une certaine maturitĂŠ aussi. ÂŤQuand on vieillit, il y a un phĂŠnomène assez ĂŠtonnant qui se passe: les hormones se calment. C’est un bonheur absolu! [‌] Le fait de ne pas avoir cette pression-lĂ de faire des bĂŠbĂŠs, c’est vraiment extraordinaire. C’est la pulsion sexuelle qui fait qu’on est des ĂŞtres sociaux, sinon on n’aurait pas besoin des autres.Âť y Les 30 et 31 mars Ă la Salle Multi de MĂŠduse


S’aimer, c’est le monologue d’un homme obsédé par le spectre de l’écrivain disparu aux abords de la rivière Jacques-Cartier en 1943. Un poète maudit qui, à l’instar de Nelligan ou même d’Arcan, nous fascine par son mythe, son décès encore irrésolu à ce jour. Suicide ou crise cardiaque? Le mystère est presque plus grand que son œuvre. «L’une des affaires les plus fascinantes [avec Saint-Denys Garneau], c’est qu’il est mort sans penser qu’il allait un jour devenir ce qu’il est aujourd’hui, explique l’auteur et seul interprète de la pièce Thomas Gionet-Lavigne. C’est quelque chose qui s’est confirmé a posteriori.» Selon la légende, Hector avait lui-même retiré tous les exemplaires de Regards et jeux dans l’espace des librairies après sa parution. Une anecdote évoquée dans la pièce. «Il avait été un peu critiqué et il était trop sensible. Il s’est éjecté lui-même. […] Notre piste, c’est que Saint-Denys Garneau ne s’aimait pas. Le personnage principal tente, petit à petit, de comprendre pourquoi.» Héritier de Lepage

Le grand hector iL a marQué Le Québec de sa pLume, comme de La pointe d’un compas Qui Laisse une gravure indéLébiLe sur un banc pubLic en pLastiQue. hector de saint-denys garneau continue de vivre par ses mots, et son œuvre hante Le dramaturge thomas gionet-Lavigne. MOTS | CATHERINE GENEST

PHOTO | LES ARCHIVES DU PHOTOGRAPHE

La biographie occupe une place importante, presque centrale, dans la production de Gionet-Lavigne. Il s’est préalablement intéressé à Jack Kerouac (Route, 2010), à Alfred Hitchcock (Loin, 2012) et au peintre paysagiste John Lyman pour une création commandée par le MNBAQ en 2014. Une démarche bonifiée de longues heures de recherche qui n’est pas sans rappeler celle d’Éric Plamondon ou, plus près de chez nous, Robert Lepage. «C’est des gens dont il faut parler, c’est notre mémoire. C’est aussi des artistes qui me rejoignent et que je trouve hot. Ce qui me fait vraiment tripper, c’est le gars ordinaire qui se compare à l’artiste comme si la grande histoire se mêlait à la petite.» Ce type-là, dans le cas qui nous concerne, c’est un photographe éperdu d’amour pour celle qui l’a quitté, une étudiante qui complétait une maîtrise sur le célèbre arrière-petit-fils de François-Xavier Garneau. «C’est comme une quête pour regagner sa copine. Elle l’a laissé en lui donnant un recueil de Saint-Denys Garneau. Elle lui a dit: “Lis ça, c’est toi, et je veux pas que tu finisses comme lui”.» Outre les mots d’outre-tombe, il y a aussi l’actuel travail du photographe local Rémy Barbonne qui est célébré dans ce spectacle réellement multidisciplinaire. Des images qui seront traitées puis projetées sur le décor de la scénographe Gabrielle Doucet qui lui servira, au fond, essentiellement de support. «On s’est intéressés à la photographie argentique de Rémy, que je trouve magni fique. En fait, c’était même la prémisse du spectacle. J’ai commencé à tripper sur les photos de Rémy en même temps que sur Saint-Denys Garneau et je me suis dit que ce serait intéressant de faire un lien entre les deux.» y Du 8 au 26 mars au Théâtre Périscope


16 | opinion

mickaëL bergeron ROULETTE RUSSE

banLieue verte Personnellement, que le MEC de Québec quitte le centre-ville pour la banlieue ne changera pas grandchose dans ma vie. Je ne le fréquentais pas. Je ne suis pas la clientèle cible. Son déménagement soulève toutefois une question qui m’intéresse pas mal plus: peut-on être banlieusard et écolo? Les accusations fusent envers les gestionnaires de Mountain Equipement Coop de Québec. En quittant le quartier Saint-Roch pour Lebourgneuf, il renierait ses valeurs écologiques. Certes, la banlieue est l’antonyme du développement durable. Selon Louis-Étienne Pigeon, chargé d’enseignement à l’Université Laval en éthique et en philosophie des sciences et de l’environnement, c’est même le pire modèle d’occupation du territoire de l’histoire de l’humanité. «La banlieue est une pratique de possession, explique l’enseignant. Elle encourage une désocialisation, une dépolitisation et de la pollution.» Autrement dit, en banlieue, on ne fait qu’y posséder individuellement son morceau de terre. Cela dit, l’expert en éthique environnementale rejette l’idée populaire que l’on doit séparer la nature et la ville. Au contraire. Des jardins communautaires en ville. Des espaces verts sur les toits des édifices. Des plaines d’Abraham libres plutôt qu’aménagées. Un ours noir sur le boulevard Laurier. Bon, il n’a jamais dit ça, mais je suis sûr qu’il applaudirait. Tout notre développement est centré sur la compartimentation, continue-t-il. L’agriculture se fait là. Le commerce se fait ici. Les industries doivent être làbas et nous devons résider là. De même, la nature

sauvage est là-bas et l’homme est ici. Sauf que l’homme n’est pas opposé à la nature, il n’est pas audessus de celle-ci, ni inférieur. Il est la nature, de la même manière que l’automobiliste n’est pas coincé dans le trafic, il est le trafic. «L’environnement, c’est aussi comment on occupe l’espace et le territoire, souligne M. Pigeon. Il faut briser le schéma actuel.» Bref, on comprend que plusieurs considèrent que MEC ne respecte pas ses valeurs écologiques en s’installant dans la banlieue de Québec. Sauf qu’aussi belles et profondes que puissent être les valeurs d’une coopérative, elles ne sont pas sa mission. La coopérative soutient que 80% de ses membres, donc sa raison d’être, demeurent en banlieue. Selon l’éthicien, plusieurs entreprises sont prises dans la même dualité que la coopérative. Sans une nature en santé, le fonds de commerce de MEC, qui est de vendre des trucs pour profiter du plein air, n’a plus sa raison d’être. Elle doit donc protéger cette nature, comme les forestières doivent le faire. Paradoxalement, la clientèle qui aime profiter du plein air réside principalement en banlieue, qui, on le rappelle, est l’antithèse des valeurs écologiques. On n’est pas loin d’un serpent qui mange sa propre queue. C’est là que le débat se complexifie. Le banlieusard, par son mode de vie, est une plaie écologique. Dans sa vie quotidienne, il peut néanmoins être le parfait petit environnementaliste qui recycle, qui composte, qui achète bio et qui aime faire du trekking. D’ailleurs, être écolo n’est pas à la portée de toutes les bourses. Il faut un sympathique revenu pour être le parfait petit environnementaliste. Les écoquartiers sont, en plus, rarement abordables. On peut choisir

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la simplicité volontaire, ou l’adopter malgré nous, mais même cette avenue, malgré sa visée commune, demeure une action individuelle. Prenons la voiture électrique. Bien qu’elle permette de diminuer l’émission de gaz à effet de serre, elle ne change rien à notre mode de vie. Elle encourage encore l’étalement urbain, ennemi de l’environnement. «Présentement, il y a environ 20% de la population qui est végétarienne, mais la production de viande n’a pas diminué, souligne Louis-Étienne Pigeon. Il faut donner l’exemple et suivre nos valeurs, mais il faut aussi, comme société, changer notre relation à l’espace et à la production d’énergie.» Le progrès ne passe pas par l’individualisme, mais par le changement social. Pour en revenir au déménagement de MEC, vous vous demandez peut-être si, finalement, c’est éthique, environnementalement parlant. On pourrait calculer l’empreinte écologique de chaque membre, ceux qui s’y rendaient à pied, en voiture ou en autobus dans

«La banLieue est une pratiQue de possession. eLLe encourage une désociaLisation, une dépoLitisation et de La poLLution.» Saint-Roch versus ceux qui devront se rendre dans Lebourgneuf en autobus ou en voiture – on s’entend que peu de gens emprunteront la piste cyclable de huit kilomètres qui longe l’un des plus laids boulevards de Québec et que personne n’ira maintenant à pied. Ensuite, pour augmenter le plaisir, on pourrait calculer notre empreinte écologique selon l’endroit où on achète notre équipement. La coopérative environnementaliste maintenant en banlieue contre le concurrent demeuré au centre-ville, mais peut-être moins pointilleux sur la provenance de ses produits. Quelle est la meilleure option? Tout ça serait fastidieux, enculerait des mouches et ne donnerait pas plus de réponses. L’éthique, ça ne se calcule pas comme ça. Les valeurs, ça n’a rien de rationnel. Le plus dur est parfois de les assumer. Une fois que nous savons l’impact de nos choix, le danger est de feindre l’ignorance. y

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La pop au féminin ELLEs sont briLLantEs, créativEs, foLLEmEnt bELLEs, chantEnt divinEmEnt Et sortiront toutEs un aLbum ou dEs singLEs dans LEs prochains mois. cEttE annéE, Liana, gabriELLE, vaLériE, margaux Et mariE-rEnéE prEnnEnt La scènE dE QuébEc d’assaut. MOTS | CATHERINE GENEST

«Le rock avait pris beaucoup de place!» Valérie Clio le dénonce sans gêne et Marie-Renée Grondin, leader du groupe Émeraude, abonde dans le même sens en passant en revue ses années au sein de feu The Gilligans. C’était vers 2008. «Ç’a peut-être été un boys club à une certaine époque parce que la mode du punk rock se prêtait mieux à des groupes masculins.» Or en moins de 10 ans, le paysage sonore s’est métamorphosé, remodelé par des mélodistes radiophoniques comme Karim Ouellet et Claude Bégin, des groupes beatlesques comme The Seasons et Mauves, de nouveaux projets électro comme Fjord et Men I Trust. Pour les filles qui donnent dans la pop, le millésime 2016 sera un grand cru. Celui des récoltes pour les années de bars qui ont formé toute une génération d’auteurescompositrices à qui on a collé l’étiquette d’interprète trop vite. Liana Bureau, participante à La Voix en 2015, en est un exemple, même si elle a toujours écrit. «Je marchais pour aller à l’école et je m’inventais des mélodies. J’étais en secondaire 1 quand j’ai composé ma première toune, mon premier hook mettons.» Sollicitée par les supper clubs de Québec à longueur d’année, la prometteuse chanteuse de 23 ans voit toutefois pas mal plus loin que les succès de Beyoncé et Janelle Monáe qu’elle reprend avec un aplomb presque extraterrestre. C’est avec ses textes rédigés en français, et les maquettes de ses pièces arrangées par Olivier Quirion de Midnight Romeo, que l’artiste approche actuellement les maisons de disques. Une mystérieuse collection de chansons originales que la principale intéressée décrit comme

PHOTO | DANIEL RICHARD

teintées par le soul de sa voix formée au jazz, des éléments R&B, pop et même rap. «Je pense qu’il y a quelque chose d’intéressant à faire avec le flow hip-hop, même si je suis chanteuse à la base et que je me ferais manger la laine sur le dos dans un cypher!» Dans la voie parallèle, on retrouve Gabrielle Shonk. Une autre jeune vétérane qui vit de musique, de bière fraîche et des cachets qui viennent avec à la fin de la soirée. Le genre d’école où on apprend à la dure, pas toujours dans des conditions de travail idéales. Le port d’une carapace est donc de mise. «Je me souviens d’une fois quand je commençais à faire des gigs de restos-bars, je chantais du jazz et un gars est monté sur le stage pour danser et se frotter sur moi pendant que je chantais. Y a aussi une fille qui a déjà essayé de me frencher dans des circonstances semblables. Bref, on accumule toutes sortes d’anecdotes comme ça au fil des années!» Habituée aux situations pour le moins rocambolesques et aux clients en état d’ébriété, la vocaliste faisait face à un drôle de problème en participant à La Voix en 2014. «J’étais habituée à chanter en arrière-plan pendant que les gens jasent ou mangent. Dans un contexte où les gens m’écoutaient, j’étais complètement déstabilisée! Ça peut paraître niaiseux, mais je ne savais pas comment agir, comment me tenir, quoi dire… […] Ça m’a donné un bon élan pour travailler sur mes projets personnels par la suite.» Son premier album, probablement homonyme, devrait d’ailleurs voir la lumière au printemps. «Y a une vibe un peu années 1970, je crois. En matière de style, je décrirais ça comme folk pop avec des

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«JE pEnsE Qu’iL y a QuELQuE chosE d’intérEssant à fairE avEc LE fLow hip-hop, mêmE si JE suis chantEusE à La basE Et QuE JE mE fErais mangEr La LainE sur LE dos dans un cyphEr!»


ÉMERAUDE, PHOTO | MARYON DESJARDINS


VALÉRIE CLIO, PHOTO | MARYON DESJARDINS

> influences soul, jazzy et indie. […] Ça coule, c’est senti, c’est raw, c’est triste, c’est joyeux, c’est introspectif. Ça vient d’une place qui est vraie, avec des vrais instruments, joués par des vraies personnes, tout le monde en même temps.» Doubles vies À l’opposé, il a des créatrices qui poursuivent une carrière dans un tout autre créneau, des workaholics fougueuses qui performent en mode neuf à cinq. MarieRenée Grondin d’Émeraude, par exemple, est productrice de contenu numérique pour Le Journal de Québec. Tout un contraste avec la poésie qu’elle porte en elle, ses textes de dentelle et le groove impétueux du premier EP qu’elle vient de lancer. «J’essaie que mon travail n’interfère pas sur ma musique, et vice versa. Je n’ai jamais écrit de chanson par rapport à l’actualité, mais je pense que ça pourrait être quand même inspirant de parler de la durée de vie d’une nouvelle, qui est de plus en plus éphémère.» Valérie Clio, elle, puise déjà des idées au bureau. Recherchiste pour un cabinet d’avocats, l’auteurecompositrice-interprète et ressortissante de La Voix a mis ses connaissances judiciaires à profit sur une plage

de son premier disque sorti au printemps 2015. «Quand j’ai fait du droit de la famille, j’ai écrit la toune J’veux pas que tu m’aimes. J’ai le goût de vulgariser les ruptures. Souvent, des clients qui viennent divorcer paient ensuite leur facture ensemble un an ou six mois plus tard. Ça ne se passe pas tout le temps comme ça, mais ça arrive parce qu’ils sont revenus ensemble. Les comportements humains sont particuliers!» De toutes les voix féminines qui se démarquent actuellement sur la scène locale, Margaux Sauvé de Ghostly Kisses est très certainement celle avec le parcours le moins traditionnel. Extrêmement douée, la vocaliste ignorait encore toute l’étendue de son talent l’an dernier. «J’ai une formation en violon, je n’avais pas le choix de faire du solfège, je savais que je chantais juste, mais je pensais qu’il fallait avoir une voix forte et puissante comme Céline Dion, quasiment, pour être chanteuse. Puis, j’ai réalisé que j’aimais composer des choses et les chanter par moi-même. J’ai pris confiance, tout simplement!» Avec sa voix gorgée d’air et la pop cinématique à ascendance classique du duo dont elle tire les rênes, cette débutante charme déjà des millions d’auditeurs sur Spotify. Un succès presque sans précédent qui pave la voie à d’autres créatrices d’ici à l’international. y



23 | musiQuE

Ent’ chums notrE frEd fortin nationaL rEviEnt avEc un cinQuièmE aLbum, rEnouE avEc sEs bons chums mais a aussi trouvé dE nouvEaux aLLiés. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Le parrain du fameux «son du Lac» est de retour sur disque. «Ton cœur est un robbeur qui crie s’a ’sphalte / Ton âme part en boucane», chante Fred Fortin sur 10$, le premier extrait de son nouvel album Ultramarr. L’artiste Martin Bureau, un ami d’adolescence de Fred, est celui qui signe – comme pour tous ses prédécesseurs – la pochette de ce cinquième disque. Comme si leurs univers étaient liés en permanence. «Cette chanson, c’est vivre sa vie accoté dans le fond, explique Fred. C’est un peu la vie de musicien aussi, à brûler du gaz. Je voyais dans ma tête l’image d’un show de boucane. La pochette de l’album, c’est un corbillard et c’est vraiment un tableau que Martin s’enlignait pour faire. Il a pris l’idée d’un film qu’il a fait en Beauce, à un événement où le monde fait des “beignes” en char. Y a un gars qui en faisait en corbillard et Martin voulait refaire ça en tableau. Quand il a entendu la toune, il m’a dit: “Ouais, je vais le faire le tableau”, et quand je l’ai vu, j’ai dit: “Wow c’est drette ça!”» Sur Ultramarr, est-ce la pédale dans le tapis? Pas tout à fait. Fred réserve plutôt le gros rock suant pour ses groupes Galaxie ou Gros Mené. Sur ses disques à lui, depuis l’introduction qu’a été Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron en 1996, il mélange l’introspection à des

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> histoires du peuple. Il s’inspire de ce qu’il ressent parfois, mais romance ses chansons pour que son fidèle public s’y reconnaisse. Fred Fortin, c’est le genre d’artiste qu’on aborde sur la rue tel un bon ami. Ça lui arrive souvent, d’ailleurs.

ne faut pas lire entre les lignes ici que Fred Fortin est en manque d’énergie ou d’inspiration. Si des thèmes se recoupent sur l’album, ce n’est pas vraiment calculé, nous dit le principal intéressé. Ses textes veulent davantage refléter des maux universels.

«C’est peut-être normal que les gens viennent me parler comme ça, je sais pas. J’ai cette ouverture-là, dit-il. Ça arrive souvent qu’après les shows je passe la veillée avec la même personne qui me jase et c’est comme ça. J’ai l’impression que c’est comme si j’étais chez nous à Saint-Prime et que je parlais avec du monde que je connais depuis longtemps. On dirait qu’ils me connaissent. Mon père et ma mère sont comme ça aussi.»

«J’ai pas voulu parler de moi nécessairement, mais d’affaires où les gens peuvent se reconnaître facilement, explique-t-il. C’est un peu un mal de notre époque d’être tout le temps en retard, d’avoir des comptes à rendre. Moi, je suis dynamique et je fonce, mais en même temps, je suis tout le temps en train de rattraper ce qu’il y a à faire.»

Maux universels Ultramarr, ça parle de chars, de gratte, de clopes, oui, mais dans les paroles on entend aussi un homme un peu fatigué et un autre qui espère que la vaisselle qui s’accumule va finir par se ramasser toute seule. Si ses personnages s’aveuglent de boucane sur 10$, l’homme de la pièce d’ouverture Oiseau, lui, n’a plus rien dans le ventre et voudrait s’envoler en fumée. Mais il

Son dernier album, Plastrer la lune, remonte à 2009, mais il fonce, ça oui, l’ami Fred. Quand il ne fait pas renaître de vieux groupes comme il l’a fait avec Gros Mené en 2012, il est le plus fidèle des bassistes au sein de Galaxie, groupe électro-rock qui a pris du galon ces dernières années, ayant fait la première partie des Stones sur les plaines à Québec l’été dernier et sacré Groupe de l’année à l’ADISQ il y a quelques mois. Ces groupes au rock plus lourd et à l’énergie débordante permettent à l’auteur-compositeurinterprète de changer d’air.


ÂŤC’est important d’avoir plusieurs projets pour gagner sa vie. C’est important pour la tĂŞte aussi. Ça me rĂŠgĂŠnère, faire autre chose. Sinon, des genres d’albums comme Ultramarr, je ne peux pas sortir ça chaque annĂŠe. C’est comme un cycle. C’est un genre d’orbite que t’as en tĂŞte. Gros MenĂŠ, pour moi, c’est la mĂŞme affaire, mais ça libère autre chose. Y a de quoi qui se ressemble, mais en mĂŞme temps, ça change le mal de place un peu.Âť

$Ă?JEUNERS TOUS LES JOURS 0ROMOTIONS TOUS LES JOURS

Travail d’Êquipe À ses cĂ´tĂŠs dans tous ces projets, il y a l’excellent guitariste et leader de Galaxie Olivier Langevin, qui a discutĂŠ avec nous de sa plus longue relation professionnelle, celle avec son meilleur chum Fred. ÂŤDès le dĂŠbut, quand on a commencĂŠ Ă faire des spectacles, on a rĂŠalisĂŠ que quand on ĂŠtait les deux sur la scène, ça se passait, tout simplement. Et ça s’est avĂŠrĂŠ durable. Le feu dure toujours. Quand on monte sur la scène ensemble, on sait qu’il va se passer quelque chose presque automatiquement. C’est difficile de trouver ça et c’est difficile aussi de trouver des relations qui durent parce qu’il y a la chimie sur scène et la chimie hors de la scène. On fait beaucoup de route ensemble et c’est dur de trouver des gens avec qui tu t’entends bien Ă long terme.Âť La confiance qui règne entre les deux ĂŠtait lĂ dès le dĂŠbut, alors que Fred travaillait sur son premier album et dĂŠmĂŠnageait Ă MontrĂŠal Ă l’invitation de DĂŠdĂŠ Fortin. ÂŤFred est vraiment venu me chercher pour venir jouer avec lui. J’avais lâchĂŠ mon secondaire 5 (que j’ai terminĂŠ Ă la maison) pour aller Ă MontrĂŠal. Je suis venu faire un petit bout et je suis retournĂŠ faire mes examens. Ç’a ĂŠtĂŠ le dĂŠbut de tout ça. Par la force des choses, y a ĂŠtĂŠ un peu mon grand frère. C’est devenu vite aussi un bon ami. C’est la musique qui nous a rĂŠunis, mais j’ai l’impression que mĂŞme sans ça, on aurait ĂŠtĂŠ des chums dans la vie anyway.Âť Outre ses collaborateurs habituels, Fred Fortin s’est entourĂŠ de nouveaux joueurs pour Ultramarr. Après avoir eu du fun Ă jammer dans le garage du paternel avec les frères Brad et Andrew Barr (Barr Brothers) lors de leur passage Ă Saint-Prime, Fred en a voulu plus. ÂŤJe sentais que dans l’approche des tounes d’Ultramarr, y avait un filon qui pouvait vraiment “blenderâ€? avec eux.Âť

,E CAFĂ? BISTRO DU &AUBOURG 3AINT *EAN "APTISTE DEPUIS ANS

&ISH #HIPS 4ARTARES "URGERS 0OUTINES

3TEAK FRITES 0ĂŠTES ET PIZZAS 3ALADES ETC

Les deux musiciens apparaissent sur cinq des onze pistes de l’album, Ă la batterie, au piano et Ă la guitare. ÂŤLa communication s’est faite un peu en français et un peu en anglais. C’Êtait comique de voir Olivier qui ne parle pas vraiment anglais et Andrew qui ne parle pas vraiment français! C’est pas des grands bavards, mais le temps qu’on a ĂŠtĂŠ ensemble, on a pas mal juste fait de la musique et on a ri. Après un peu de Jameson, tout le monde parle la mĂŞme langue!Âť y Ultramarr (Grosse BoĂŽte) Sortie le 18 mars

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facE à L’horizon après 20 ans au sEin du Quatuor punk rock LEs vuLgairEs machins, mariE-EvE roy sE fait apaisantE sur son prEmiEr Effort soLo. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


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Ça fait toujours un grand bien de changer l’énergie de place. Chez les musiciens punk, on remarque une tendance: le virage solo plus intimiste ou acoustique. L’Ontarien Dallas Green est passé au folk (City and Colour) après des années dans le hardcore d’Alexisonfire. Le leader du groupe punk rock canadien The Flatliners, Chris Cresswell, est parti en tournée l’année dernière, seul sur scène avec sa guitare acoustique. Il faut changer d’air parfois pour mieux se retrouver. Ou peut-être est-ce simplement un besoin de s’assagir un peu. Dans le cas de Marie-Eve Roy, l’aventure solo s’est imposée comme une nécessité après deux décennies à chanter du punk rock le poing en l’air avec les Vulgaires Machins. En posant ses valises pendant tout un mois en Nouvelle-Zélande en 2010, la musicienne a réussi à prendre du recul pour la suite des choses. Il fallait tout détruire, s’éloigner, pour reconstruire. «Les Vulgaires Machins, c’est vraiment une longue relation, et dans ma vie privée aussi, c’est une longue relation (Marie-Eve est en couple avec le chanteur Guillaume Beauregard). Avec cet album solo, j’ai voulu faire des chapitres différents de ce que c’est de partager sa vie avec quelqu’un aussi longtemps. Y a des moments de doute, de perte de soi. Les Vulgaires Machins et ma relation ont commencé à 17 ans. Tu te perds, tu te cherches, tu vis à travers l’autre. J’avais besoin que tout s’écroule pour que je me retrouve. À un moment donné, on dirait que tout tourne autour de la même chose et j’avais besoin de confirmer que je pouvais vivre à l’extérieur de ça.» Voir l’infini Seule, devant le bleu infini de l’horizon à Golden Bay, elle a trouvé l’inspiration pour son premier album. «La Nouvelle-Zélande, c’est vraiment à l’autre bout du monde et en arrivant, je me suis sentie vraiment loin. J’ai même eu le vertige parce que j’habitais près d’un mont et y avait des immenses montagnes autour de moi. Je devais prendre le temps d’être bien dans cette place-là et me retrouver. À cet endroit, je pouvais poser un regard sur tout ce qu’il y avait à l’extérieur.» Entre ce voyage déterminant il y a quelques années et ce Bleu Nelson, Marie-Eve a fait des albums et des tournées avec les Vulgaires Machins, donné naissance à un enfant et vu son compagnon de vie se lancer en solo avec D’étoiles, de pluie et de cendres, un album très bien reçu. Aujourd’hui, c’est à son

tour de se mettre en danger pour avancer, d’avoir le courage de parler au «je». Sur la douce introduction du disque, Dis-moi tout, elle chante son besoin de réconfort: «Comment fait-on Pour se tenir debout Quand les murs s’écroulent autour J’avoue que j’ai les larmes qui coulent.» «La musique me console dans la vie. C’est ça mon élan pour écrire. J’ai besoin de me consoler avec la musique et de consoler les autres. Dans le tourment de ce qui est la vie ou dans le processus d’écriture, j’ai besoin de ça», insiste-t-elle. Univers feutré Son inspiration principale pour cette œuvre minimaliste, enveloppante et parfois dansante – dans la veine de son premier simple Golden Bay –, c’est le trio britannique The xx. Et ses alliés, dans son aventure solo? Un homme et un instrument. «Je me suis procuré un Wurlitzer. J’avais envie de ce son-là avant même d’écrire. J’ai écrit avec ça, avec un son vraiment vibrant et feutré. C’est ça qui a donné le ton à toutes les pièces. Je l’ai amélioré et peaufiné en allant chercher Julien Mineau (compositeur de Malajube). Je ne le connaissais pas beaucoup, mais j’ai toujours adoré son univers. J’ai su qu’il prenait de vieux pianos et les remettait à neuf. Je savais qu’il en avait quelques-uns à vendre, donc on s’est rencontrés et j’en ai acheté un. Après ça, il m’a invitée à venir faire des chansons.» Mais tout compte fait, Bleu Nelson est un album d’une femme qui s’affirme, aussi difficile soit l’exercice sur le plan personnel, précise la compositrice. «Avec les Vulgaires Machins, j’étais entourée de gars tout le temps, tout le temps! Parfois, c’était lourd! dit-elle en riant. J’ai un besoin criant d’être femme créatrice à 100%. J’ai envie de m’entourer de filles aussi. Je veux aller au bout de mes idées. Autant c’est épeurant puisque, comme je l’explique sur la chanson Vents contraires, j’ai de la misère à m’affirmer, autant c’est salvateur.» Et son lancement, justement, elle le fait le 8 mars, Journée internationale des femmes. y Bleu Nelson (Costume Records) Sortie le 4 mars marieeveroy.com


à écoutEr ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

misc MISC (Bonsound) ★★★★ Le trio Jérôme Beaulieu est mort, vive le Misc! L’excellent pianiste québécois et ses deux acolytes Philippe Leduc et William Côté savaient déjà qu’ils ne survivraient pas à une appellation traditionnelle qui reflétait mal leur univers de modernité, teinté d’humour, d’audace et d’explorations musicales sans compromis. La signature sur l’étiquette Bonsound, la tournée européenne de l’automne dernier et une semaine de résidence dans un magnifique manoir bourguignon ont aidé à négocier ce tournant inévitable. Voici donc l’ouvrage homonyme précisant l’identité du groupe chouchou qui a tout raflé depuis son arrivée sur la scène jazz montréalaise, il y a déjà cinq ans. À noter que l’album débute par La fin et qu’il inclut une fluide relecture de Respirer dans l’eau, prouvant comment Daniel Bélanger continue d’inspirer les formations instrumentales d’ici. Subtil, libre, passionnant. (R. Boncy)

you say party YOU SAY PARTY

stEvEn wiLson 4 1/2

(Paper Bag Records)

(Kscope/Snapper Music)

★★★★

★★★1/2

La pochette est tout en teintes de gris, la musique et le ton du disque sont assez sombres. Même si la formation canadienne aliénera sans doute les fans de la première heure avec ce nouvel opus par son manque de punk et de punch, ce changement de cap est toutefois un grand pas en avant, musicalement parlant. Il s’agit d’un premier album en six ans pour le groupe qui a tronqué son nom (anciennement You Say Party! We Say Die!) à la suite de la mort de son batteur en 2010. Expérimental, industriel et new wave par moments, l’album est d’une lenteur absolument délectable. Le matériel électropop ambient rappelle parfois les compatriotes d’Austra et Young Galaxy et la voix de Becky Ninkovic, autrefois cinglante, est ici juste et posée. Un album homonyme en guise de réintroduction et d’affirmation. (V. Thérien)

La discographie de Steven Wilson est un joyeux mélange d’éditions spéciales, de tirages limités, de collaborations diverses et de projets sortis sous pseudonymes... Pas étonnant de le voir sortir ce «disque intérimaire» qui contient quatre pièces originellement prévues pour son quatrième enregistrement en studio (Hand. Cannot. Erase.), une qui était prévue pour son troisième et une version enregistrée en concert de Don’t Hate Me, de son groupe Porcupine Tree. Des sessions de Hand. Cannot. Erase., la pièce Vermillioncore sort du lot par son côté jazz metal, avec Nick Beggs qui tient une ligne de basse d’enfer. Wilson a le fond de tiroir généreux, et cet EP offre largement de quoi patienter jusqu’au prochain! (R. Beaucage)

maracuJá VITAMINA (Indépendant) ★★★ Les quatre sympathiques mousquetaires de Maracujá ont déjà bourlingué à Montréal dans des formations comme Gaïa ou Mandiga au début des années 2000. Leur nouveau nom de groupe exotique évoque une boisson alcoolisée, mais le titre de ce premier album peut induire l’auditeur en erreur dans la mesure où il y anticiperait une musique tropicale faite pour le cours d’aérobie. Heureusement, il n’en est rien. C’est plutôt l’émotion, le vécu, les fruits de la passion et la nostalgie du Brésil qui priment ici. Bïa donne la réplique à Elie Haroun, un chanteur qui a du cœur. Le bassiste André Faleiros écrit de bien belles choses, et on passe en revue – sans les imiter – Djavan, Caetano Veloso, Chico Buarque, Villa-Lobos, Jobim et même Claude Dubois (en portugais). Le plein de tendresse garanti. Meilleur avec de la vodka. (R. Boncy)

dEad obiEs GESAMTKUNSTWERK (Bonsound) ★★★★ Ambitieux, même prétentieux à certains égards, ce deuxième album de Dead Obies propose une formule partiellement live, inspirée par l’essai culte La société du spectacle de Guy Debord. Avec leurs flows polyvalents, davantage mélodieux, les cinq rappeurs abordent les rapports sociaux, l’ambition insatiable et la pseudo-vie, accumulant les clins d’œil à l’essai original et amorçant en filigrane une réflexion substantielle sur l’aliénation de la culture hip-hop. Vivant du paradoxe d’avoir réussi à «make it» sur la scène rap québécoise et de toujours travailler «au salaire minimum», le groupe offre des textes bien ficelés qui, à défaut d’être toujours significatifs, impressionnent par leur complexité phonétique. À la barre des beats et de la réalisation, VNCE crée un contraste dynamique en alliant le côté brut des pistes live à celui plus lisse des bandes studio. (O. Boisvert-Magnen)


29 | disQuEs

animaL coLLEctivE PAINTING WITH

ray LamontagnE OUROBOROS

(Domino)

(RCA Records)

★★★1/2

★★★1/2

Comment Animal Collective pouvait-il encore nous surprendre après neuf albums? Poser la question, c’est y répondre. Le groupe à géométrie variable a décidé pour son dixième effort de faire dans le direct. Pas de longues envolées, moins d’effets drone et un penchant pour de courtes chansons pop acidulées, frénétiques, aux voix stroboscopiques, façon Strawberry Alarm Clock, Beach Boys ou autres as des harmonies vocales lysergiques passés à la hacheuse. Cette fois-ci composée du trio Avey Tare, Panda Bear et Geologist, la formation joue avec les sons, usant allègrement de ses synthés modulaires, de percussions de toutes sortes, créant des chansons fraîches et ensoleillées, homogènes, aux rythmes fous et syncopés. Si certaines tentatives manquent la cible, la majorité des 12 titres sont de délicieuses et inspirantes petites odes psychédéliques à la joie. (P. Baillargeon)

Ray Lamontagne a une voix des plus chaleureuses, mais il laisse davantage parler la musique sur ce sixième album réalisé par Jim James. Au gré des albums, l’Américain est passé du timide chanteur folk à l’artiste confiant dévoilant une plus grande palette, naviguant dans le blues et le country, par exemple. Bien que son dernier album ait eu plus de succès, il fait ici un pied de nez aux albums commerciaux («You’re never gonna hear this song on the radio», clame-t-il sur Wouldn’t It Make A Lovely Photograph) et se paye un méchant trip musical. Les huit titres sont généralement assez longs, il y a des envolées, de l’expérimentation, le ton est surtout psychédélique mais aussi dreamy, les guitares sont fuzzy et grasses à souhait. Bref, c’est son disque le plus ambitieux et certainement son plus surprenant. (V. Thérien)

caskEt robbEry EVOLUTION OF EVIL (Mortal Music) ★★★ Durant les premières écoutes d’Evolution of Evil, les impressions de «déjà entendu» sont tellement nombreuses que c’en est dérangeant, du moins au début. Parmi les plus évidentes, on note le métal mélodique et groovy du Devin Townsend Project, le deathcore de Despised Icon et le death sanglant de Cannibal Corpse. Une fois qu’on a mis le doigt sur les influences de Casket Robbery, il devient plus facile de se laisser transporter par les 10 morceaux qui se démarquent parce qu’ils sont divertissants et accrocheurs (écoutez Annibelle’s Hell et Undead Living Hell). Le groupe originaire du Wisconsin, qui comprend notamment le bassiste Cory Scheider (Luna Mortis, Epicurean), plaira certainement aux fans de Mass Murder Messiah et Dark Century. (C. Fortier)

Lnzndrf LNZNDRF (4AD) ★★★1/2 Quossé ça, vous ditesvous? Le nom du groupe vient simplement du collage des patronymes des frères Bryan et Scott Devendorf (respectivement batteur et bassiste chez The National) et du multi-instrumentiste Ben Lanz (Beirut, Sufjan Stevens). Ensemble, ils ont fait de longues sessions d’enregistrement – surtout improvisées – et en ont gardé une quarantaine de minutes pour ce premier album. Les explorations du trio sont un mélange de rock atmosphérique, prog, psychédélique et krautrock. Il y a un petit quelque chose à la Explosions in the Sky dans tout ça et des moments pop-rock plus énergiques, rappelant The National (Beneath the Black Sea). Aussi, sur Mt Storm, on croirait entendre The Besnard Lakes tant la voix se fait aiguë et aérienne. Un album d’instinct assez hypnotisant. (V. Thérien)

sarah nEufELd THE RIDGE (Paper Bag Records / Outside Music) ★★★★ Après un premier disque solo en 2013 et un autre en duo avec le saxophoniste Colin Stetson (entendu sur trois pièces ici au Lyricon), revoici Sarah Neufeld en duo, mais cette fois avec son collègue d’Arcade Fire, le batteur Jeremy Gara. Cette combinaison produit pour certains titres un résultat plus pop, bien différent de celui qu’on trouve sur les deux disques évoqués plus haut. La violoniste utilise de plus en plus sa voix, dans un registre éthéré qui sied bien au minimalisme de l’ensemble, même si certaines pièces pourraient certainement bénéficier d’un habillage un peu plus costaud. Mélodies proto-folkloriques (The Glow), chansons trop courtes (They All Came Down), ou pop sautillante (We’ve Got A Lot), il y a beaucoup de bon là-dedans. (R. Beaucage)


30 | musiQuE

moniQuE giroux SUR MESURE

Engagés ou dégagEz Depuis les ballades des trouvères jusqu’à la récente sortie du nouveau titre de Renaud Toujours debout, on s’interroge sur l’importance de la chanson dans l’évolution de la société et sur ses combats. Deux camps s’opposent. La gauche et la droite désigneront par le plus grand des hasards l’un et l’autre des camps. Dans le coin gauche, les auteurs, les compositeurs ou les interprètes dans les veines de qui coule le sang mêlé d’encre de la révolution, «pour avoir le monde à refaire», dixit Plamondon dans Le blues du businessman, comme Julien Clerc, dans cet extrait de sa chanson Utile, écrite par Étienne Roda-Gil: «À quoi sert une chanson si elle est désarmée? me disaient des Chiliens, bras ouverts, poings fermés.» Dans le coin droit, les auteurs, les compositeurs ou les interprètes dans les veines de qui coule le sang mêlé d’eau de rose du besoin d’amour, «pour pouvoir faire mon numéro quand l’avion se pose sur la piste», dixit Plamondon dans Le blues du businessman, comme Julien Clerc, encore, dans cet autre extrait de sa chanson Utile : «À ceux qui m’aimeront, à ceux qui m’aimaient, je veux être utile à vivre et à chanter.» De cette opposition illustrée par des extraits de mêmes chansons, on peut en venir à la conclusion qu’une chose et son contraire peuvent aisément se côtoyer sans heurts dans un environnement aussi confiné qu’un cadre de deux minutes trente avec une trame musicale. Et que les artistes à qui on en demande souvent beaucoup sont bien libres de faire comme ils le veulent, tout comme le public, aux multiples visages. Je chante, tu chantes, il chante, nous chantons, vous chantez, ils revendiquent.

On a souvent entendu des artistes réclamer un droit de réserve en affirmant: «Je chante, je ne fais pas de politique, je garde mes opinions pour moi». Francis Cabrel, récemment en campagne de promotion, disait: «Un chanteur, ça doit juste chanter». Oui, mais ça doit juste chanter quoi? N’a-t-il pas lui-même écrit le plus grand manifeste anticorrida de l’histoire andalouse? «Je les entends rire comme je râle / Je les vois danser comme je succombe / Je pensais pas qu’on puisse autant / S’amuser autour d’une tombe» (La corrida). Si ça n’est pas un engagement… Serge Gainsbourg, dont la chanson Je t’aime moi non plus a été censurée dans un nombre incalculable de pays au moment de sa sortie en février 1969, était aussi engageant qu’engagé et visiblement bien engagé en effet. Excusez-la. L’engagement des artistes n’est pas que politique, même si, comme le disait Aragon, «l’amour est politique, la politique est amour». On ne s’engage pas que pour un oui, pour un non. Quiconque sort de l’ombre, s’affiche publiquement ou propose une création, une œuvre digne de ce nom, s’engage. À quoi? À mille choses: à son coming out si le cœur lui en dit, à la défense des animaux, à la dénonciation de la violence faite aux femmes, aux revendications autochtones, à faire l’apologie de la protection de l’environnement. Félix Leclerc a, pendant 20 ans, écrit sur les hommes d’ici et sur nos sentiers, nos terres mouillées, sur les labours qui dorment sous la gelée. Il aura fallu la loi des


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mesures de guerre de 1970 pour qu’il chante L’alouette en colère et qu’il affiche ouvertement, pour la première fois malgré lui, ses allégeances politiques: «Mon fils est en prison / Et moi je sens en moi / Dans le tréfonds de moi / Malgré moi, malgré moi / Pour la première fois / Malgré moi, malgré moi / Entre la chair et l’os / S’installer la colère.» Dans le monde du rap, réputé pour être macho et misogyne, un Koriass ouvertement féministe engagé, invité à Tout le monde en parle il y a quelques semaines, a séduit le grand public et Lise Payette. «Comment t’a vis ta vie d’artiste / T’es-tu à gauche, t’es-tu à drette / Vas-tu partir avec des regrets à ta mort / À la recherche du Love Suprême / Jamais voulu de nine to five / J’ai vendu mon âme pour une place en dessous des spotlights / Parce que ce soir le roi est mort / Enlevez le crown sur ma tête.» Rarement entend-on des slameurs ou des rappeurs chanter: «C’est la danse des canards, qui en sortant de la mare, se secouent le bas des reins et font coincoin». Quelques artistes de la chanson, c’est vrai, s’adonnent à ce genre, mais heureusement, ils sont assez rares. Il faut bien des tubes… synonymes de cylindres creux, disait Boris Vian. Quand il ne s’engage plus, le chanteur engagé dégage. Demandez à Renaud, ce chanteur énervant, comme il se surnomme lui-même. Après un pour le moins bien nommé passage à vide pendant lequel on l’a condamné à une mort certaine des suites d’un éthylisme chronique et d’une dépendance maladive à la Gitane, il a perdu non seulement la voix, mais aussi tout ce qui lui restait d’inspiration. Des paparazzis mal intentionnés, excusez la redondance, le poursuivant inlassablement l’ont même croqué titubant devant la Closerie des Lilas ou carrément affalé, tel un clochard, sur un banc de parc. Depuis des années, toutes les nouvelles qui nous venaient de lui concernaient son état; grandeur et décadence. Et puis les attentats de Charlie en janvier l’ont touché en plein cœur. Ses amis sont morts. Il est sorti marcher lui aussi. Il a même embrassé un flic, titre d’une de ses chansons nouvelles, et l’inspiration lui est venue comme on charge une arme pour défendre sa peau. À la demande de Grand Corps malade, il a écrit Ta batterie pour son fils Malone, chanson qui figure sur l’album concept de GCM Il nous restera ça. Et puis 14 autres ont surgi. Le nouvel album de Renaud paraîtra dans quelques semaines. On en reparlera. En écrivant ces mots, j’entends que le Bataclan a été rénové et que la salle rouvrira ses portes d’ici la fin de l’année. Ma suggestion du mois en attendant la suite? Pourquoi chanter, de Louise Forestier. y

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32 | DOSSIER


CANNABIS... ÊTES VOUS PRÊTS ? LANCÉE LORS DE LA DERNIÈRE CAMPAGNE ÉLECTORALE FÉDÉRALE, LA COMÈTE DE LA LÉGALISATION DE LA MARIJUANA DEVRAIT FRAPPER LE CANADA BIENTÔT SI LA TENDANCE SE MAINTIENT. À QUOI FAUT-IL S’ATTENDRE? FAUT-IL SE CONSTRUIRE UN ABRI POUR SURVIVRE AU CATACLYSME OU COURIR S’ACHETER 20 BOÎTES DE PAPIER À ROULER AVANT QUE LA POPULATION NE PRENNE D’ASSAUT LES DÉPANNEURS? NOUS L’IGNORONS, C’EST POURQUOI NOUS AVONS DEMANDÉ L’AVIS DE SIX EXPERTS. ÊTES-VOUS PRÊTS? MOTS | CATHERINE PERREAULT-LESSARD

NOS EXPERTS LINE BEAUCHESNE

Criminologue, professeure au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, auteure de nombreux livres et articles sur la question des drogues.

JODIE EMERY

Militante, copropriétaire du magazine Cannabis Culture,

de Pot TV et de la boutique Cannabis Culture Headquarters à Vancouver. Épouse de Marc Emery, qui a passé cinq ans en prison aux États-Unis pour avoir vendu des graines de cannabis.

JEAN-SÉBASTIEN FALLU

Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, directeur de la revue internationale Drogues, santé et société.

DANA LARSEN

Auteur de Hairy Pothead and the Marijuana Stone,

politicien et militant. Fondateur du site endprohibition.ca, directeur de cannabisdispensary.ca et de la campagne Sensible BC pour décriminaliser le cannabis.

HUGÔ ST-ONGE

Chef du Bloc Pot de 2002 à 2012, militant depuis une vingtaine d’années, travaille aujourd’hui comme comptable.

SÉBASTIEN ST-LOUIS

Président et fondateur de Hydropothicaire, un des producteurs de marijuana médicale autorisés au Canada.


Première question, et probablement la plus importante, qui va avoir le droit de faire pousser de la marijuana au Canada? Sébastien St-Louis: Les producteurs de marijuana médicale, comme moi, vont certainement avoir le droit d’en produire. On va tout simplement augmenter notre production pour fournir le marché récréatif. Pour l’instant, il y a 23 compagnies comme la mienne qui sont autorisées à le faire et je pense qu’il va y en avoir d’autres… mais pas beaucoup, car le processus pour obtenir une licence de production est très complexe. Line Beauchesne: Selon moi, les producteurs de chanvre de l’industrie agroalimentaire risquent aussi d’avoir le droit. On n’en parle peu, mais ce sont de très gros joueurs. Actuellement, en Saskatchewan, des fermiers font pousser des acres et acres de cannabis sans THC et ils sont prêts à produire pour le marché récréatif. Ils ont l’équipement nécessaire, ils ont des laboratoires et ils ont des réseaux de distribution. Si la marijuana est légale demain matin, ils vont pouvoir offrir une variété de produits dans un temps record. Mais, est-ce que le citoyen moyen va aussi pouvoir faire pousser quelques plants dans sa cour pour sa consommation personnelle? Sébastien St-Louis: Au début, non, mais je m’attends à ce qu’il y ait une dérégulation dans le futur. Chaque individu va pouvoir produire sa propre marijuana, au même titre qu’il peut fabriquer sa propre bière ou son propre fromage. La seule différence, c’est qu’il n’aura pas le droit d’en distribuer. Dana Larsen: Moi, au contraire, je pense que ça va être légal dès la première phase de la légalisation. Chaque individu aura le droit de faire pousser six plants pour sa consommation personnelle comme au Colorado, où la marijuana est légale. Si cette personne souhaite en produire plus, elle aura besoin d’un permis spécial. Et, si elle veut en vendre, elle devra respecter certains règlements de santé publique pour s’assurer que son produit n’est pas dangereux. C’est bien beau de faire pousser du pot, mais où va-t-on pouvoir en acheter? Hugô St-Onge: Selon moi, comme le gouvernement souhaite légaliser tout en protégeant les jeunes, il va tout simplement ouvrir le modèle de la marijuana médicale à tous les Canadiens de 19 ans et plus. Ce qui veut dire qu’on va commander du pot par Internet et qu’il va nous être expédié par la poste. La seule différence avec le modèle médical, c’est que les clients n’auront pas besoin d’une prescription pour en commander. Sébastien St-Louis: Du point de vue du consommateur, c’est certain que ce serait aussi intéressant de pouvoir toucher et voir le produit. C’est pourquoi je suis persuadé que le gouvernement va donner des licences à certaines organisations pour en vendre. On risque, par exemple,

de voir ouvrir des dispensaires légaux qui achètent chez des producteurs autorisés. On peut aussi s’imaginer que certains producteurs autorisés vont ouvrir leurs propres magasins. Personnellement, je me vois très bien ouvrir une boutique Hydropoticaire. Dana Larsen: Peu importe le modèle, je suis convaincu que les lois vont être très strictes au début. Au fil du temps, elles vont s’assouplir et la marijuana va être vendue un peu comme la bière: on va avoir plusieurs options, comme dans les épiceries ou les bars. Jodie Emery: Moi, je rêve vraiment de voir ouvrir des coffee shops comme à Amsterdam! Je pense que ce serait bien aussi que le gouvernement ait ses propres boutiques. OK, maintenant, la question qui tue et donne des boutons au ministre des Finances Carlos Leitão: est-ce qu’on va pouvoir acheter du pot à la SAQ? Jean-Sébastien Fallu: Oui, je le crois. Jodie Emery: Moi, ça me fait peur que le modèle de la marijuana soit calqué sur celui de l’alcool. Celui-ci est très restrictif. D’autant plus que, dans les régies, les gens ne connaissent pas la marijuana. Et qu’il y a beaucoup de gens qui en consomment parce qu’ils n’ont justement pas envie de boire. Les alcooliques, par exemple, ne devraient pas avoir besoin d’aller dans une SAQ pour se procurer de la marijuana. Line Beauchesne: Peu importe si on en vend à l’épicerie ou dans les régies des alcools, je pense que le gouvernement doit faire de la prévention à l’intérieur de ces commerces et s’assurer qu’on n’en vend pas aux mineurs. Pour moi, l’encadrement est la clé. Le fait de pouvoir en acheter légalement va-t-il vraiment mettre fin au marché noir? Line Beauchesne: La fin du marché noir dépend de la taxation. Si les gouvernements sont assoiffés d’argent et qu’ils imposent une taxe élevée, le marché noir va demeurer. Pourquoi? Parce que, pour les clients, ça va être plus intéressant d’acheter de la marijuana au crime organisé, car elle va être moins chère. C’est exactement pour cette raison que la taxation a fait l’objet de beaucoup de discussions au Colorado et à Washington, où la marijuana est légale. Leur gouvernement a dû faire beaucoup de calculs pour casser le marché noir… Hugô St-Onge: Le seul moyen de tuer le marché noir, c’est de tuer la valeur du cannabis. Il faut que ça ne vaille rien! Et ça tombe bien, puisque ça ne vaut rien. C’est de l’herbe! Est-ce vrai que le pot légal va être de meilleure qualité que celui qu’on trouve actuellement sur le marché noir? Sébastien St-Louis: Oui! C’est déjà le cas avec la marijuana médicale. Elle est de bien meilleure qualité que celle qu’on trouve dans la rue, car on n’utilise pas de pesticides


nocifs pour la produire. Sans parler de la fleur, qui est belle et parfaitement hydratée. Le taux de cannabinoïdes est aussi précis. Ce qui est un avantage pour le consommateur.

crois pas que ce sera permis à 16 ans. Je pense que l’âge légal sera de 18 ans, car le gouvernement fédéral souhaite que ce soit le même à travers tout le pays.

Hugô St-Onge: Et si elle n’est pas de qualité, on va pouvoir la retourner au magasin!

Et combien ça va coûter?

Dana Larsen: La légalisation n’aura pas seulement un impact sur la qualité. Ça va aussi changer les formes de marijuana qu’on va consommer. D’après moi, on va fumer moins de joints et on va prendre plus de hasch, par exemple, parce qu’on va désormais pouvoir vendre des extractions et des concentrés de cannabis. Quel va être l’âge légal exact pour consommer? Hugô St-Onge: Dix-neuf ans, parce que c’est l’âge légal pour boire de l’alcool dans beaucoup de provinces. Sébastien St-Louis: Si je me fie à la science, je crois que ce sera plutôt 21 ans, car, en dessous de cet âge, la marijuana peut avoir des effets très nocifs sur le cerveau. Jean-Sébastien Fallu: Ce n’est pas tout à fait vrai... Il n’y a pas eu d’études sérieuses qui ont été faites sur les effets de la marijuana chez les 17 à 21 ans. La seule qu’il y a eue, c’est sur les 16 ans et moins. En 2002, le sénateur Nolin a d’ailleurs recommandé que l’accès légal soit de 16 ans pour ne pas criminaliser les consommateurs de cet âge, qui sont très nombreux. Il voulait aussi éviter que ceuxci en achètent sur le marché noir. Cela étant dit, je ne

Hugô St-Onge: Si on se fie aux prix du Colorado, ça va doubler! Sébastien St-Louis: Je pense plutôt qu’il va y avoir une variété de prix. On va trouver de la marijuana haut de gamme à 15$ le gramme ou même plus chère, mais aussi à des prix en dessous du marché noir comme 2,50$ ou 3$ le gramme. Dana Larsen: Moi, je crois plutôt que le prix va être élevé au début, mais qu’il va descendre progressivement. C’est ce qui s’est passé à Washington. À l’origine, c’était 30$. Maintenant, c’est 15$. Jodie Emery: Des fois, je me dis que le gouvernement ne voudra pas descendre en bas de 10$ le gramme, parce qu’il sait que c’est le prix du marché et qu’il pourrait faire beaucoup d’argent en le gardant tel quel… Une fois qu’on a acheté notre pot, où va-t-on pouvoir en consommer? Line Beauchesne: C’est simple. Ceux qui veulent fumer de la marijuana vont être astreints aux mêmes règles que ceux qui fument du tabac. Ils vont pouvoir consommer aux mêmes endroits.

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Jean-Sébastien Fallu: Personnellement, je crois que les gens vont seulement pouvoir en fumer chez eux… et c’est pas mal ça. Ce sera interdit dans les restos et dans les bars. Peut-être que ce sera permis dans des salons de fumeurs… mais encore là, ça m’étonnerait beaucoup. Sébastien St-Louis: Ceux qui en consomment oralement, par contre, pourront le faire n’importe où, car cela n’affectera pas les gens autour d’eux. Comme certaines personnes risquent d’en consommer avant de prendre leur voiture, va-t-on devoir changer le Code de la route pour détecter ceux qui conduisent avec des facultés affaiblies? Jean-Sébastien Fallu: Non. Même si plusieurs compagnies s’activent actuellement pour trouver des moyens de les détecter, les policiers ont déjà des moyens pour le faire… Line Beauchesne: En effet, en ce moment, tout le monde se demande comment on va détecter le cannabis si une personne conduit avec des facultés affaiblies. Mais il faut arrêter de poser cette question, car les traces de cannabis peuvent rester longtemps dans l’organisme et ça peut brouiller les pistes. Par exemple, on peut consommer le vendredi et en avoir encore dans notre sang le dimanche. Il faut plutôt commencer à faire des tests de réflexes pour tester les facultés, peu importe les causes. D’ailleurs, pensez-vous que le nombre de consommateurs va augmenter une fois que la marijuana va être légale? Line Beauchesne: Quand on légalise la marijuana, il y a plein de gens qui ne l’ont jamais essayée et qui décident d’en prendre. On peut s’attendre à une petite hausse, suivie d’une stabilisation des habitudes de consommation. Hugô St-Onge: Je crois que la consommation du cannabis n’a pas nécessairement de lien avec les lois... C’est plus quelque chose de culturel. C’est pour cette raison que c’est difficile de prédire s’il y aura une augmentation ou pas. Ce qu’on sait, par contre, c’est que lorsqu’un pays légalise la marijuana, les jeunes en consomment moins. Fumer du pot, pour eux, ça devient moins sexy et ça représente moins un acte de rébellion. On entend souvent que la légalisation du pot pourrait attirer beaucoup de touristes au Canada. Y croyez-vous? Jodie Emery: Oh, oui! Le tourisme de la marijuana sera une très bonne façon de créer de l’emploi et de faire rouler l’économie canadienne. On peut facilement imaginer des «routes de la marijuana» pour visiter et découvrir différents producteurs, un peu comme on le fait déjà avec le vin. Sébastien St-Louis: À court terme, c’est certain qu’il va y avoir un intérêt, mais est-ce que ça va durer quand les autres pays ou les autres États américains vont légaliser la marijuana eux aussi? C’est la question que je me pose.

Hugô St-Onge: C’est vrai, demain matin, le Vermont emboîte le pas et la légalise. Qui va vouloir venir ici? En terminant, on sait bien, entre nous, que le Canada ne légalisera pas la marijuana demain matin… Selon vous, quand est-ce que ce sera officiel? Line Beauchesne: Ce ne le sera pas avant avril, car il y a une importante conférence de l’Organisation des Nations Unies à ce sujet. Et je ne crois pas que ce le soit avant les élections américaines en novembre, non plus. Si notre voisin est démocrate ou républicain, ça aura nécessairement un impact sur le processus. Sébastien St-Louis: D’après moi, ce sera très rapide. Je pense qu’on va voir de la marijuana légale dans des magasins d’alcool en Colombie-Britannique en 2017. En ce moment, le regroupement de producteurs dont je fais partie est déjà très avancé dans ses discussions avec les acteurs là-bas. Une fois que ce sera légal en ColombieBritannique, l’Ontario et le Manitoba vont suivre très rapidement. Puis, le Québec va emboîter le pas quand il va voir tous les revenus de taxes que font ses voisins! Dana Larsen: Au contraire, je crois que ça va prendre plusieurs années avant que la marijuana soit légale au Canada. Mais, d’ici là, ce qu’on va voir, c’est une légalisation non officielle. Les gens vont faire «comme si» c’était légal! y

L’ENVERS FISCAL DU CANNABIS MOTS | PIERRE-YVES MCSWEEN

L’attitude positive du premier ministre Justin Trudeau face à la légalisation et la commercialisation du cannabis donne droit à de multiples fantasmes quant aux retombées économiques que cela pourrait générer. Qu’en est-il exactement? En se basant sur les données officielles du Colorado où la drogue douce est commercialisée, on en dégage une extrapolation possible pour la belle province. Nature des revenus Pour comprendre la structure de revenus de cet État, il faut d’abord statuer que les deux types de marijuana sont taxés différemment. D’un côté, il y a la marijuana médicale et de l’autre, celle réservée au commerce de détail. Trois taxes d’État s’appliquent à cette drogue. Il faut noter que seule la taxe de vente d’État touche la marijuana médicale. Taxe de vente d’État: 2,9%; taxe de vente spéciale: 10%; taxe d’accise: 15%.


Donc, les clients consommant la marijuana vendue au détail à des fins récréatives payent 25% en taxes sur le produit en plus du 2,9% déjà comptabilisé. Les premiers 40M$ américains annuels générés par la taxe d’accise vont à un fonds dédié à remplacer ou rénover les écoles publiques: nettoyage de l’amiante, amélioration de la qualité de l’air, etc. Le reste des revenus est dédié au Marijuana Tax Cash Fund servant à financer les soins de santé, l’éducation à la santé, la prévention et les traitements liés à l’abus de substances en plus de l’application de la loi. Ainsi, le Colorado a décidé de dédier les revenus touchés de la commercialisation du cannabis à certaines dépenses bien précises. Il est à noter que 15% des revenus tirés de la taxe de 10% sont distribués aux autorités gouvernementales locales. Les limites de la comparaison Il est difficile de quantifier les retombées économiques liées à la légalisation de la marijuana, car plusieurs questions demeurent sans réponses. La première, comment réagira le marché noir? Verrait-on une guerre de prix s’installer entre le pot légal taxé et celui vendu par le crime organisé? Quel pourcentage de la population déplacera sa consommation vers le marché légal? La légalisation amènera-t-elle une augmentation du pourcentage de la population fumant du cannabis à des fins récréatives? Beaucoup de questions sans réponses amènent une volatilité importante dans toute tentative de quantification des revenus éventuels au Québec.

Extrapolation québécoise des données du Colorado La quantification des revenus de taxation potentiels a été faite en extrapolant les données de l’État du Colorado sur la population québécoise. Pour ce faire, on tient pour acquis que les prix en dollars américains et en dollars canadiens seront semblables, puisque les coûts de production comme ceux de la main-d’œuvre se calculent en devise locale. D’ailleurs, le prix au détail doit refléter la capacité de payer des clients locaux. Croissance importante Pour les 12 mois de l’année 2015, la hausse des ventes par rapport à l’année précédente a généré une augmentation de près de 47% des revenus tirés de la taxe de vente de 2,9% au Colorado. Pour la même période, les revenus de taxe d’accise de 15% ont augmenté de 107%, alors que ceux tirés de la taxe de vente spéciale sur le produit ont augmenté de 73%. Ainsi, en extrapolant les données du Colorado sur la population du Québec avec les niveaux de vente actuels, la province pourrait générer plus de 130M$ de revenus toute chose étant égale par ailleurs. Évidemment, cette quantification demeure un calcul hasardeux, mais il donne une idée proportionnelle de la réalité d’un État du sud appliquée au Québec. Il est difficile de savoir quels pourraient être les impacts économiques sur la santé publique liés à la consommation du cannabis. Par conséquent, la légalisation et la vente au détail du cannabis pourraient apporter leur lot d’adaptations. Reste simplement à savoir si ce projet de légalisation ira de l’avant ou s’il partira en fumée! y

COLORADO

QUÉBEC

5 356 000

8 214 885

17 930 141 $

27 500 755 $

TAXE DE VENTE AU DÉTAIL (10%)

36 906 479 $

56 606 139 $

TAXE D'ACCISE (15%)

21 390 975 $

32 808 887 $

LICENCES ET FRAIS

9 047 776 $

13 877 229 $

TAXES TOTALES

85 275 371 $

130 793 011 $

POPULATION TAXE DE VENTE (2,9%)



39 | cinéma

La possibLe récoLte c’est sur fond de grand froid que Louis béLanger fiLme Les vertes récoLtes d’une gaLerie de personnages portant tous en eux un manque. entretien avec Le réaLisateur et son coscénariste et comédien aLexis martin. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

Six ans sans long métrage de Louis Bélanger, c’est long. Après Route 132 qui présentait le road trip de rédemption d’un père en deuil de son fils, Les mauvaises herbes renoue avec le plaisir de raconter qui caractérise bien le cinéma de Louis Bélanger. Sur le mode de la comédie, mais jamais trop loin du drame, le cinéaste originaire de Beauport confirme ses talents de conteur.

l’hiver et la ruralité, il voulait aussi faire témoigner un monde de travailleurs. Notre idée de base était de faire un huis clos dans le bois, puis est arrivé un livre intitulé La forêt des renards pendus d’Arto Paasilinna. Le film n’a rien à voir avec ce roman, mais il a certainement influencé le fait de créer une comédie hivernale.»

Les mauvaises herbes raconte l’histoire de Jacques (Alexis Martin), un acteur raté de la métropole forcé de se sauver à la campagne parce qu’il est poursuivi par Patenaude (Luc Picard), un dangereux prêteur sur gages. Sur sa route, il croise Simon (Gilles Renaud), un autre homme au destin raté, qui cultive une passion secrète. Jacques deviendra l’employé de Simon et les deux se lieront d’une certaine amitié jusqu’à l’arrivée impromptue de Francesca (Emmanuelle LussierMartinez) qui deviendra malgré elle une employée de la petite entreprise du bourru personnage. Le petit groupe cultive les mauvaises herbes jusqu’au jour où le prêteur sur gages psychopathe arrive sur les lieux pour régler le compte à Jacques...

Ce long métrage est le fruit d’une coscénarisation entre Alexis Martin et Louis Bélanger, un travail qui a duré presque quatre ans. Pendant cette période, les deux hommes ont beaucoup réfléchi, voyagé et laissé mûrir l’histoire. «Je crois, dit Louis Bélanger, que le fait d’avoir aidé Alexis à réaliser un film intime sur son père (Louis Martin, journaliste) nous a rapprochés et aidés à mieux nous comprendre. Je suis entré dans la psyché familiale des Martin. Pour ce qui est de l’écriture, on a pêché, discuté, et ces conversations ont provoqué de la matière pour cette fiction. Un moment que j’ai beaucoup aimé dans l’écriture du film, c’est quand nous sommes allés dans un vieil hôtel écrire et prendre du recul. Nous étions dans cet hôtel à la splendeur ancienne au cœur des Laurentides et ce fut un vrai moment de coscénarisation fluide et franc.»

Un travail entre amis L’idée de départ était de donner un film plus lumineux que leur précédente collaboration (Route 132) sans toutefois faire un film léger. «Au départ, dit Alexis Martin, je crois que Louis avait un désir de filmer

LOUIS BÉLANGER ET ALEXIS MARTIN

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GILLES RENAUD, EMMANUELLE LUSSIER MARTINEZ ET ALEXIS MARTIN, PHOTO | LES FILMS SÉVILLE

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Une cinéphilie en partage En plus de partager du temps loin de l’agitation de la ville, ils ont aussi écouté des films chers aux yeux de Louis Bélanger, des films qui font partie de son panthéon du cinéma. «Avant d’être cinéaste, j’étais cinéphile, j’étais un rat de cinémathèque avec mon ami Denis Chouinard. On passait notre temps à ne pas aller à nos cours, on traversait la rue et on investissait deux piasses dans la Cinémathèque québécoise. Une des premières choses que j’ai faite avec Alexis avant que ce projet soit écrit, c’est visionner un paquet de films à la Coop Vidéo de Montréal. Ainsi, on a regardé des films de Jiri Menzel, de Milos Forman, qui représentent pour moi le doux mélange d’humour et de drame parfait. Ensuite, on a projeté Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola ainsi que certains films des frères Taviani. J’essayais de communiquer le ton que je recherchais pour ce film.» La filiation, un thème ancré On retrouve dans ce sixième film de Louis Bélanger un thème récurrent de sa filmographie, le rapport à la famille, la relation avec le père, bref, l’idée de legs. C’est le moteur de la quête du personnage joué par Gilles Renaud, qui veut laisser quelque chose à un fils qu’il n’a pas vu depuis 18 ans. «Je pense, dit Alexis Martin, que c’est une préoccupation qu’on a dans toutes nos collaborations. Je dirais même qu’on parle ici plus de transmission, qui est un thème profondément important au Québec. On a un rapport trouble à l’héritage et à la figure du père. Dans l’histoire sociale des idées, au Québec, il y a toujours eu ce manque et ce rapport flou avec le legs. C’est un thème que je partage avec Louis.»

Quand on pense à Louis Bélanger et à son cinéma, vient immédiatement l’image de la famille Brochu et de son poste à essence dans Gaz Bar Blues, symbole d’une époque qui s’efface et d’un modèle économique et familial révolu. «Je viens d’une famille ouvrière de Beauport, nous étions sept et il n’y avait pas d’argent, il n’y avait rien de matériel à transmettre. Par contre, notre lien familial est ce que nous avons de plus précieux, les Bélanger s’occupent bien les uns des autres. Je sens que j’ai un devoir de transmission et mon cinéma en est peut-être le reflet.» Considérations sur la légalisation du cannabis Si le dernier-né de Louis Bélanger est un film sur le partage des valeurs familiales, c’est aussi un film sur une activité économique parallèle et illégale; la culture du cannabis en serre. Et honnêtement, on se demande comment toute l’équipe a bien pu gérer une telle activité en plein hiver québécois. Un sacré tour de force de la direction artistique (Andrée-Line Beauparlant), alors que l’hiver 2015 était l’un des plus rudes depuis des décennies. «C’est une véritable activité économique parallèle, nous dit Louis Bélanger, et souvent ce sont des bonhommes de 60 ans qui font pousser ces récoltes en se disant qu’ils ont toute leur vie bûché en se faisant fourrer par le moulin à bois.» Si le cinéma de Louis Bélanger met en scène un monde qui tend à disparaître et qui change très rapidement, il réussit avec Les mauvaises herbes à nous parler d’un autre monde qui sera bientôt révolu avec la légalisation imminente de cette herbe verte aux propriétés euphorisantes. Un film à consommer sans modération. y En salle le 11 mars


HELEN MIRREN DANS EYE IN THE SKY

terreur et trembLements EYE IN THE SKY et LONDON HAS FALLEN: deux fiLms à gros budget, mais surtout deux fiLms mettant bruyamment en scène Le terrorisme, vont prendre L’affiche ce mois-ci. bientôt 15 ans après Le 11 septembre 2001, Le cinéma ne se Lasse pas de représenter un occident terrassé. anaLyse. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTOS | LES FILMS SEVILLE

Londres est la cible d’un groupe terroriste qui souhaite anéantir certains des leaders mondiaux les plus puissants. Une faction de l’armée angloaméricaine se bat contre un groupe terroriste réfugié à Nairobi avec des drones. Voilà, en deux phrases, les prémisses des films London Has Fallen, de Babak Najafi, et Eye in the Sky, de Gavin Hood. Les deux films attireront un public nombreux, avide de ces récits glorieux dans lesquels, la plupart du temps, l’Amérique s’efforce de résister à son assaillant étranger et à ses méthodes terrifiantes. Le cinéma commercial post11 septembre a d’abord été prudent et n’a abordé le terrorisme qu’à demi-mot. Mais qu’il l’ait ensuite fait à travers le film de superhéros ou le film de guerre, il ne s’est pas privé du potentiel dramatique inouï que représentent les attentats. «Le film terroriste a toujours existé», précise Mathieu Li-Goyette, rédacteur en chef de Panorama-Cinéma, qui réfléchit à cet enjeu depuis plusieurs années. «Mais l’après-11 septembre a


43 | cinéma

> donné naissance à une filmographie particulière, dans laquelle l’Amérique se remet davantage en question que dans les films de la guerre froide, par exemple, qui opposaient frontalement et sans distance critique deux blocs idéologiques magistralement opposés.» Un peu de pudeur et un peu de critique... De fait, il a fallu quelques années avant que les attentats eux-mêmes puissent être représentés, d’abord dans le film-catastrophe World Trade Center, d’Oliver Stone, puis dans United 93 de Paul Greengrass, avec «davantage de justesse», comme le dit Li-Goyette. Avant cela, le cinéma américain des années 2000 aborde la chose de biais, par un cinéma du doute et de la peur, mais aussi un cinéma qui ne met pas en scène directement les attaques, se consacrant plutôt à ses après-coups. On y représente aussi le terrorisme «de manière allégorique», dans des films comme Transformers, «qui mettent en scène la paranoïa et la surveillance, ainsi que la dronisation des forces militaires». «Dès le premier Iron Man, poursuit Mathieu Li-Goyette, on voit apparaître des robots, des vaisseaux dans le ciel qui pourraient tuer n’importe qui sur la planète. C’est l’expression d’une peur très contemporaine; la peur abstraite de l’ennemi robotisé, dont on connaît mal l’origine et les objectifs.»

Mais aussi de la propagande... Ne soyons tout de même pas dupes: le cinéma américain a aussi marché main dans la main avec l’administration Bush, contribuant parfois à la propagande américaine. «Il y a eu des films de Michael Bay qui ont carrément été réalisés en collaboration avec l’armée américaine, dit Mathieu Li-Goyette. Ils montrent sa suprématie, son efficacité guerrière. Ces films-là exploitent les peurs les plus primaires des Américains. Et ça marche: ils font beaucoup d’argent avec ce genre de films.» Les cinéastes américains, de manière générale, n’aiment pas entrer dans la tête du terroriste (comme le font les Européens, notamment ces jours-ci dans le film controversé Made in France, qui raconte l’attentat de djihadistes à Paris). Mais il y a de l’espoir. Il aura fallu attendre 15 ans après le 11 septembre 2001 pour que la série Homeland suive de près le cheminement d’un personnage qui devient terroriste de son plein gré, dans une tentative d’en comprendre la psyché. L’avenir du film terroriste se trouve-t-il là? Qui sait. y London Has Fallen, en salle le 4 mars Eye in the Sky, en salle le 11 mars

Le film de guerre ne va pas tarder à suivre la parade. Se déroulant au Moyen-Orient, en Irak ou en Afghanistan, presque jamais sur le territoire américain (parce que l’attaque directe du territoire demeure un tabou cinématographique), ces films sont spectaculaires mais intègrent peu à peu une dimension critique. Le héros-soldat, dans les films d’action, est maintenant un homme de force qui est assailli de doutes et dont la conscience est torturée. Les rôles du bon et du méchant ne sont plus aussi clairs. Le personnage de Jason Bourne, héros de la série littéraire créée par Robert Ludlum et incarné au cinéma par Matt Damon, en est sans doute l’incarnation suprême. «Ce héros doté d’une conscience psychologique, dit Li-Goyette, témoigne aussi d’un divorce entre la population et son gouvernement, d’un cynisme politique qui se retrouve dans beaucoup de films. Dans Green Zone, de Paul Greengrass, il y a une conscience d’un gouvernement et d’une armée viciés. Même chose dans Captain Phillips: certaines scènes montrent l’escouade américaine de manière plus terrorisante que les pirates somaliens. Disons que c’est tout le contraire d’un film hyperpatriotique comme Air Force One.»

LONDON HAS FALLEN, PHOTO | VVS FILMS


ELLE PIS SON CHAR, DE LOÏC DARSES

un festivaL comme ritueL chaque année en mars, obéissant à un ritueL cinéphiLique bien étabLi, on prend La route vers Le saguenay pour Le festivaL regard sur Le court. voici cinq cinéastes à surveiLLer cette année. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTO | EllE pis son char, DE LOÏC DARSES

Patrice Laliberté

Jean-Simon Leduc

L’une des découvertes de l’année en court métrage est le film de Patrice Laliberté, Viaduc, lauréat du prix du Meilleur court canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF). On y rencontre d’abord, dans une scène d’action et de tension savamment maîtrisée, un jeune graffiteur perché sur un viaduc. Des plans vertigineux, une urgence merveilleusement rendue par le montage et la caméra agitée de Christophe Dalpé, une action parfaitement arrimée à l’efficace bande sonore: le film débute sur les chapeaux de roue et évolue ensuite vers des sentiers plus intimistes, captant les petits moments d’une adolescence banlieusarde aussi ennuyante que vécue à fleur de peau.

Connu comme comédien, brillant notamment dans L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, Jean-Simon Leduc est aussi réalisateur et dévoile cette année à Regard, une œuvre intimiste à l’esthétisme soigné, intitulé Traiter de docilité, pointant doucement sa caméra sur un couple secoué par l’orage. Filmant d’abord la tendresse et le désir, le film capte ensuite une tempête que rien ne saura apaiser.

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Maxime Dumontier Le couple est aussi le territoire d’observation du comĂŠdien Maxime Dumontier, qui met dĂŠlicatement en scène dans Le gros X un scĂŠnario de sa complice Sarah-Maude Beauchesne (CĹ“ur de slush, Lèche-vitrines, Les fourchettes). On reconnaĂŽt la plume dĂŠcomplexĂŠe de Beauchesne dans les narrations en voix hors champ d’un personnage fĂŠminin en quĂŞte de sensations fortes, qui dĂŠcide par un bon matin de bousculer l’ordre ĂŠtabli d’un couple parfait. JoĂŤlle ParĂŠ-Beaulieu, nuancĂŠe et touchante dans ce rĂ´le de femme en quĂŞte de soi, rend bien la complexitĂŠ d’un sentiment amoureux qui ne sait se contenter de tranquillitĂŠ. Guillaume Harvey ÂŤEn secondaire 5, on est assez naĂŻfs pour faire une bombe Ă partir d’une recette pognĂŠe sur Internet.Âť VoilĂ la prĂŠmisse rigolote d’Une bombe, de Guillaume Harvey, un film qui parle heureusement davantage d’Êveil sexuel que de fabrication d’une bombe artisanale. Originaire du Saguenay, Harvey voit son film prĂŠsentĂŠ chez lui, dans la soirĂŠe rĂŠgionale de Regard, après avoir ĂŠtĂŠ de la sĂŠlection Talent tout court Ă Berlin. Son film raconte l’adolescence dans ce qu’elle a de meilleur et de pire, la reprĂŠsentant avec justesse et concision, sans se priver d’un regard nostalgique. Â

3LZ -YuYLZ KL SH * [L 5N INCONTOURNABLE DANS LE 6IEUX 1UĂ?BEC

LoĂŻc Darses RemarquĂŠ lors de la plus rĂŠcente ĂŠdition des Rencontres internationales du documentaire de MontrĂŠal (RIDM), Elle pis son char y a fait l’objet d’une mention spĂŠciale dans la catĂŠgorie du Meilleur court international. Le film, hautement ĂŠmotionnel, raconte le pĂŠriple de Lucie, une femme qui prend la route jusqu’à son village natal pour remettre une lettre Ă l’homme qui a abusĂŠ d’elle alors qu’elle ĂŠtait enfant. Darses complète ici un film dĂŠbutĂŠ par sa mère, plongeant dans le drame familial avec dĂŠtermination mais surtout avec finesse. Un hommage senti Ă une mère courageuse et sereine malgrĂŠ l’angoisse de la rencontre avec son agresseur. y REGARD Festival international du court mĂŠtrage au Saguenay Du 16 au 20 mars

GUILLAUME HARVEY

RUE 3AINT *EAN 1UĂ?BEC LESFRERESDELACOTEQC COM


46 | opinion

normand baiLLargeon PRISE DE TÊTE

et si vous deveniez stoïcien? La philosophie est souvent perçue comme une activité hautement spéculative, plutôt désincarnée, et dont la valeur pratique est limitée. On peut en débattre. D’un autre côté, et c’est l’immense mérite de Pierre Hadot (1922-2010, un historien de la philosophie trop peu connu, même des philosophes) de l’avoir rappelé, la philosophie, dans l’Antiquité, était souvent avant tout un mode de vie. Les nombreuses écoles qu’on y trouvait étudiaient bien les diverses disciplines philosophiques – physique, éthique, théorie de la connaissance, etc. –, mais elles le faisaient pour atteindre un but suprême: devenir une bonne personne en vivant conformément à un idéal. On distinguait couramment quatre vertus dans cet idéal: la tempérance, le courage, la sagesse pratique et la justice. Une philosophie de plus en plus populaire L’une de ces écoles s’appelait le stoïcisme et elle connaît de nos jours un extraordinaire renouveau. Une équipe de l’Université d’Exeter, en Angleterre, organise d’ailleurs chaque année une Semaine stoïcienne, qui est suivie par des gens du monde entier. Sa quatrième édition a eu lieu en février 2016. Le stoïcisme a même été revendiqué par les créateurs des thérapies cognitivo-comportementales (Albert Ellis et Aaron Beck) comme une des principales sources d’inspiration: elles comptent parmi les psychothérapies les plus efficaces. Cela incite à penser que bien des intuitions stoïciennes sont justes, en particulier cette idée que nos émotions sont liées à nos pensées et à nos croyances. Les stoïciens, qui aspirent en effet au calme intérieur, ne sont toutefois pas, comme on le dit parfois, des M. Spock, indifférents et ne ressentant aucune émotion: mais ils refusent de se laisser dominer par des émotions

qu’ils n’auraient pas choisi de ressentir. Nous touchons là à une des grandes idées du stoïcisme: il nous est possible, en pratiquant ce que Hadot appellera, un peu à regret, des «exercices spirituels», de prendre une distance cognitive avec nos réactions spontanées devant les événements, distance qui permet de les voir pour ce qu’elles sont: des impressions, des idées, et non la réalité. Nous parvenons à vivre ainsi en ayant en tête cette précieuse distinction entre ce qui dépend de nous (nos réactions, nos pensées, que l’on peut changer) et ce qui n’en dépend pas. Nous construisons peu à peu de la sorte ce que Pierre Hadot appelait «une citadelle intérieure». Brève histoire du stoïcisme Le stoïcisme naît en Grèce, à Athènes, et il est appelé ainsi parce que son enseignement se donne sous un portique (stoa, en grec). Il se propage ensuite à Rome, où il connaît un vif succès. Parmi ses plus célèbres représentants, on compte un esclave libéré, Épictète; un écrivain fameux, Sénèque; et même un empereur, Marc Aurèle. Il décline ensuite, mais sera incorporé au christianisme naissant, notamment en raison de ce cosmopolitisme (l’idée que nous sommes toutes et tous des citoyens du monde…) qu’il défendait. Le stoïcisme restera ainsi présent dans notre culture jusqu’à aujourd’hui. Le système stoïcien comprend une éthique, qui en est la partie la plus importante. Mais celle-ci demande que l’on comprenne le monde et que l’on sache ce que l’on peut connaître: le système comprend donc aussi une physique et une logique. Sans plus m’attarder aux idées des stoïciens (certaines mériteraient de longs développements, comme leur impressionnante logique), je veux en venir à ces exercices spirituels qu’ils proposent et qui pourraient vous intriguer au point de les essayer. Je partirai de ceux que


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pratique un philosophe contemporain, Massimo Pigliucci, qui tente l’expérience de vivre comme un stoïcien, et en ajouterai quelques autres. Des exercices spirituels Le matin, on s’isole dans un lieu calme et on consacre une dizaine de minutes à passer en revue le jour qui vient, les difficultés qu’on pourra rencontrer et les vertus qu’il faudra déployer. On se demande aussi comment réagirait la ou le sage idéal devant telle ou telle situation, exercice qu’on peut répéter durant la journée. Toujours durant la journée, à différents moments, on pourra pratiquer les exercices suivants. Le praemeditatio malorum consiste à imaginer le pire afin de s’y préparer: les stoïciens ne sont pas loin ici d’anticiper sur les bénéfices des thérapies d’aversion. L’exercice appelé Cercle d’Héraclès consiste à partir de soi en imaginant un cercle au centre duquel on se trouverait et à élargir progressivement ce cercle pour y inclure sa famille, ses amis, sa ville, son pays et pour finir, toute l’humanité. L’effet attendu est de comprendre qu’on fait modestement partie d’un tout et d’ainsi relativiser ce qui nous arrive. Les stoïciens anticipent sur ce qu’on appelle aujourd’hui la «pleine conscience» en nous invitant à nous rappeler que toutes les décisions que nous prenons ont une dimension morale, à laquelle nous devons penser: ce que nous mangeons; quand; où; avec qui, par exemple… Ils recommandent encore de méditer des maximes stoïciennes, chacun pouvant bien sûr établir sa propre liste de maximes préférées. En voici trois miennes: «Il t’est permis, à l’heure que tu veux, de te retirer dans toi-même. Nulle part on n’a de retraite plus tranquille, moins troublée par les affaires.» (Marc Aurèle) «Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous, ce sont l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion: en un mot tout ce qui est notre œuvre. Celles qui ne dépendent pas de nous, ce sont le corps, les biens, la réputation, les dignités: en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre.» (Épictète) La pratique stoïcienne du détachement est encouragée par la maxime suivante: «Ne dis jamais, sur quoi que ce soit: “J’ai perdu cela”, mais: “Je l’ai rendu”. Ton fils est mort? Tu l’as rendu. Ta femme est morte? Tu l’as rendue.» (Épictète) La journée se termine avec une méditation du soir, qui est l’occasion de revenir sur la journée en se demandant ce qu’on a fait de bien (s’en féliciter), ou de mal (en prendre note) et pourquoi; sur ce qu’on a omis de faire et pourquoi. Et de tirer de tout cela des leçons. y POUR EN SAVOIR PLUS JE SUGGÈRE DE LIRE EN PRIORITÉ lE ManuEl D’ÉPICTÈTE ET lEs pEnséEs pour Moi-MêME DE MARC AURÈLE. ON PEUT SUIVRE L’EXPÉRIENCE DE MASSIMO PIGLIUCCI À: HOWTOBEASTOIC.WORDPRESS.COM


DÉJÀ VU


49 | habitat

Renouveau RétRo on pouRRait les suRnommeR affectueusement les «cuRateuRs de cossins». ces bRocanteuRs nouveau genRe, tous établis dans le quaRtieR saint-Roch, paRtagent une obsession pouR les maRchés aux puces du dimanche. visite vintage. MOTS ET PHOTOS | CAROLINE DÉCOSTE

Le rétro est à la mode et, pourtant, pour BrunoClément Boudreault de Si les objets pouvaient parler, c’est aussi «un acte de contestation et d’anticonformisme». «Le vintage, après tout, avec ses objets qui résistent au temps et accumulent les histoires, c’est une contre-culture à la société de consommation.» Dans sa boutique de la rue du Pont, qu’il gère avec sa conjointe, Dominique Dupont (aucun jeu de mots volontaire), il expose dans une atmosphère de magasin général toutes sortes d’objets hétéroclites. «Notre mission, c’est d’offrir une sélection vintage qui évolue au gré des tendances, mais surtout au gré de nos intérêts et de nos rencontres. Il n’y a rien en boutique qu’on n’aimerait pas avoir chez nous.» Ah, vraiment? Et ces immenses affiches de cinéma cochon circa 1970, avec des titres tels que La petite garce aime les partouzes et Mon petit oiseau s’appelle Percy, il va beaucoup mieux merci? «On se fait un malin plaisir à se spécialiser dans les objets à connotation sexuelle toujours plus douteux les uns que les autres.» Tout n’est pas aussi kitsch osé chez SLOPP (pour les intimes): les proprios ont une impressionnante collection d’appareils-photo anciens, des cartes postales à n’en plus finir, des macarons, de vieux livres, des vêtements, alouette! qui côtoient du fait-main par des artisans locaux. Le tout n’est pas

sans rappeler le repaire à trouvailles qu’est Rétro Bordello, quelques coins de rue plus loin. «On a pris le nom parce que ça prenait “rétro” dans le nom et que c’est un peu ça, un joyeux bordel!» raconte en riant Annie Robitaille, copropriétaire de Rétro Bordello. «On a failli s’appeler Les Sentinelles d’hier!» ajoute son conjoint, Mathieu Asselin. Le duo donne lui aussi dans la nostalgie. «Les choses étaient mieux faites dans le temps. Ça fonctionne encore!» explique Annie. «Ça me fait penser à la maison de ma grand-mère, au garage de mon grand-père», renchérit Mathieu. Dans leur minuscule boutique de la rue Saint-Joseph Est, les jouets Fisher-Price s’amusent à côté des affiches Labatt 50. Les buffets type Formica (ou Arborite, selon l’allégeance) servent de présentoir, tout comme un minibar lumineux, une table basse en teck ou une lampe à pied de tulipe. De quoi transformer son sous-sol en repaire pour wannabe Don Draper... Le sexy publicitaire de Mad Men serait d’ailleurs à son aise chez Déjà Vu, toujours rue Saint-Joseph Est, parmi les meubles restaurés avec passion par François Gagnon, un ex-publicitaire (quel adon!). François retape du mobilier un peu trop aimé, dans le respect du design original. Les pièces uniques vont

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TÔT OU

TARD ? ON LE PRÉVOIT QUAND

Voilà l’un des 80 faits étonnants de notre grand sondage pancanadien RICARDO-Léger. En kiosque dès le 11 mars

ILLUSTRATION MELANIE LAMBRICK

Chez la majorité des Canadiens, c’est durant le retour à la maison…


RÉTRO BORDELLO

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et viennent, comme cet authentique ensemble de salle à manger signé Niels O. Møller, représentant du design danois de l’après-guerre, ou les iconiques commodes colorées de l’époque Space Age de Giovanni Maur pour Treco. Les aficionados du Mid-Century Modern retrouveront le même genre de mobilier chez A2, lui aussi chiné avec un soin maniaque par Francis Bédard. C’est rue SaintVallier Est que se cache ce petit paradis du design des années 1950, 60 et 70. «Je ne me vois pas comme un antiquaire, mais plutôt comme un curateur», explique Francis Bédard. «Je suis à cheval sur les années et les styles, j’aime les choses qui vont bien ensemble: le bois foncé comme le teck avec un punch de couleur, par exemple. Ce sont des meubles qui sont faciles à intégrer grâce à leur simplicité, on peut mélanger les styles facilement.» Ce «curateur» de mobilier travaille avec un réseau de pickers, soit des gens qui ne vendent pas au détail. «On ne sait jamais sur quoi on va tomber, il est très rare de voir la même pièce deux fois.» Il s’estime donc chanceux d’avoir mis la main sur un trésor à faire saliver les fanas du design: de vraies chaises Grand Prix d’Arne Jacobsen. «Je les ai vendues à un ami, parce qu’à un moment donné, je ne peux pas tout garder pour moi... mais j’en ai conservé une!» Son rêve de collectionneur, s’il n’a rien d’original de son propre aveu, serait de posséder une véritable chaise lounge de Charles Eames, qui est en quelque sorte l’emblème du design MidCentury Modern. «J’ai vu plusieurs fois des répliques, mais j’en veux une vraie, avec une belle patine sur le cuir...» y SI LES OBJETS POUVAIENT PARLER


deRnieR dimanche de janvieR. en suisse, un chef Réputé se donne la moRt. qui Reste inexpliquée depuis. la Restau Ration est-elle vRaiment un métieR de fou? conseils cRoisés de deux chefs (pResque) équilibRés. MOTS | GILDAS MENEU


Le chef Benoît Violier, 44 ans, ne connaissait que le succès. À la tête d’un restaurant trois fois étoilé près de Lausanne, l’avenir lui souriait. Et pourtant. Une perte pour la gastronomie? «Non», réplique du tac au tac Charles-Antoine Crête, chef du Montréal Plaza. «J’ai d’abord pensé à sa famille. Et je me suis demandé, encore une fois, quel était mon niveau de bonheur. C’est une question que je me pose chaque minute.» Le stress dans le milieu de la restauration fait les manchettes, ces temps-ci. Et pourtant, le métier de chef n’est pas le plus angoissant du monde. Il ne figure même pas dans la liste des professions les plus stressantes recensées par les dernières études du genre, comme pompier, policier, militaire, ouvrier ou même… journaliste! Mais il faut croire que l’aura autour du métier de chef a de quoi séduire et susciter une certaine crainte. La faute peut-être à une surmédiatisation de la profession, et à quelques stars de la télé comme Gordon Ramsay, qui a su jouer la carte de l’homme sous pression, enrôlé dans des brigades survoltées. Ce sujet est d’ailleurs peu étudié. La recherche en santé mentale est évidemment active, mais pas dans ce secteur en particulier. L’Association des restaurateurs du Québec n’a rien à en dire, si ce n’est de voir (ou revoir) le documentaire Sous pression (Marie Carpentier, 2013), qui raconte la vie de chefs au quotidien.

attention de ne jamais se mettre dans une situation difficile. Il faut rester réaliste. Tu apprends à vivre avec le stress. Il faut l’utiliser pour les bonnes raisons.» Ces chefs-là travaillent un nombre incalculable d’heures par semaine. Ils ne les comptent même pas. Stéphane Modat tempère: «J’ai appris le métier en France, dans un trois étoiles. Ça jouait dur. C’était un régime de terreur.» Pays qu’il a quitté pour profiter de son métier dans une ambiance plus sereine. «Dans ce métier, faut être rassembleur, travailler en équipe et partager le stress.» Son truc? «Je fais du ski, je vais à la pêche et j’ai quatre enfants.» Bref, il suffit d’avoir une vie, comme dirait l’autre. «Oui, c’est stressant. Pendant la semaine de la Saint-Valentin, on a servi 600 couverts en quatre jours. Il faut être organisé, et être un bon leader d’équipe. On travaille de 8h à minuit, c’est vrai. Mais j’aime ça. Je m’amuse encore. J’aime me mettre en danger.» Rencontrer les fournisseurs, aller faire un tour au marché, créer de nouveaux plats, former les équipes, s’assurer de la bonne comptabilité... le boulot de chef est exigeant. Les journées commencent tôt et finissent tard. «Ouvrir un restaurant, raconte Charles-Antoine Crête, c’est deux ans de préparation pour bien organiser la structure. Il faut un bon plan d’affaires et s’entourer de personnes compétentes. L’important, c’est de trouver du monde pour pallier ses faiblesses.»

«je lisais l’autRe jouR que nos coRps sont composés à 90% d’eau. nous sommes des concombRes avec de l’anxiété. c’est tellement vRai!» Pour en avoir le cœur net, deux chefs d’ici s’interrogent sur le métier. Le premier, Charles-Antoine Crête, l’hyperactif, ancien chef de cuisine chez Toqué!, vedette d’un autre temps d’un documentaire survolté, Durs à cuire (Guillaume Sylvestre, 2007), où il croisait sa folie avec ses comparses Normand Laprise et Martin Picard. L’autre, Stéphane Modat, l’intellozen, inventeur de la cuisine architecturale au restaurant l’Utopie de Québec, un ancien des frères Pourcel du Jardin des sens de Montpellier, et désormais à la tête du prestigieux restaurant Champlain du Château Frontenac. Attraper Charles-Antoine Crête au vol n’est pas si difficile. Désormais copropriétaire de son restaurant, le Montréal Plaza, il prend le temps de parler, même entre trois coups de téléphone et autant d’interruptions des membres de son équipe qui ont toujours mille questions à lui poser. Vraiment stressant, ce métier? «En restauration, il faut aller vite mais prendre son temps», répond le chef en se balayant nerveusement les cheveux. Il remet sa tuque. «Le truc, c’est de savoir déléguer.» Près de 15 ans d’expérience dans les cuisines du Toqué! lui ont appris une chose: on ne fait rien tout seul. Avec sa complice de tous les instants, la chef Cheryl Johnson, le gars sait renvoyer la balle. «Je ne décide jamais rien sans avoir un plan B, C, D, E et F. Il faut faire

Des dézingués, Charles-Antoine Crête en a rencontrés plus qu’il n’en faut. Des cuisiniers tellement stressés, dopés au café, aux boissons énergisantes (et à toutes autres sortes de drogues), qu’il fallait leur apprendre à prendre une pause, à manger avant le service, et surtout à arrêter les excès. C’est sûr que c’est tentant, ajoute Stéphane Modat. «Nous sommes des émotifs, des créatifs, des artistes, c’est normal de fêter après une grosse journée de travail. Et j’ai vu ça dans d’autres métiers, pas juste en cuisine! Je lisais l’autre jour que nos corps sont composés à 90% d’eau. Nous sommes des concombres avec de l’anxiété. C’est tellement vrai!» Charles-Antoine a appris à déléguer. Stéphane Modat, à relaxer. «J’ai fait de la méditation pendant plusieurs années. De l’aïkido aussi.» Quand il se compare aux Européens, Stéphane Modat se console. «On n’est pas dans la course aux étoiles, mais on est dans la course à l’excellence, c’est vrai. Mais il ne faut pas oublier qu’on fait juste de la cuisine.» Les temps risquent de changer, cependant, avec l’arrivée imminente du guide Gault et Millau cette année dans le monde de la restauration au Québec. Et qui sait quand débarquera le fameux guide Michelin. Nos chefs n’en ont pas fini de stresser. Les étoiles ont beau être lumineuses, elles n’en sont pas moins éclatantes d’une certaine anxiété. y


où mangeR LES BONS PLANS POUR DES SORTIES AU RESTO CE MOIS-CI. BON APPÉTIT!

casa calzone 1298, rue de la Pointe-aux-Lièvres 418 522-3000

Mieux vaut contenir notre faim, éviter les hot-dogs de stade ridiculement onéreux et opter pour une saucette à la Casa Calzone après un match des Remparts ou (tiens, tiens!) un concert de Rihanna. Situé à trois petites minutes du Centre Vidéotron, le sympathique petit resto italien sert surtout des pizzas pochettes de luxe, une spécialité incontestée (le nom en témoigne) de la maison. Aussi au menu: pastas, salades et pizzas classiques.

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mnbaq RestauRant signé maRie-chantal lepage

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1, rue Wolfe 418 644-6780

Manger au MNBAQ, c’est déjà pas mal le comble de l’hédonisme. Depuis presque un an, l’expérience est bonifiée, embellie même, par la créativité culinaire de Marie-Chantal Lepage. Une adresse absolument incontournable, une table classée cinq étoiles dans le Guide Restos Voir et un prétexte de rêve pour découvrir les œuvres de Raphaëlle de Groot dans la salle 3.

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talea bouffe et cie 634, Grande-Allée Est 418 523-7979

Fermez vos yeux, imaginez le chalet le plus photogénique et chaleureux qui soit. Normalement, ce que vous devriez voir, c’est le Talea. Avec son feu de foyer, le penchant du décorateur pour le bois et la taxidermie, ce resto shabby chic tranche avec ses voisins de la Main. À l’ardoise: des burgers, des tartares et des planches de produits du terroir finement choisis à partager avec les amis en entrée. La convivialité au service du bon goût.


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café-bistRo au bonnet d’Âne 298, rue Saint-Jean 418 647-3031

Il a des lieux, comme ça, qui ne changent pas et c’est très bien comme ça. Tous les plats du Bonnet d’Âne sont autant de madeleines de Proust pour nous ramener à l’enfance, à un rendez-vous avec un ancien amoureux, à l’éclat de rire partagé entre amis un soir de brosse. Avec son décor vintage et ses déjeuners parfaitement copieux, le resto du quartier Saint-Jean-Baptiste est un classique dans le secteur, le genre d’endroit où il fait bon revenir souvent et peu importe l’occasion ou le moment de la journée.

RestauRant le bRigantin

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97, rue du Sault-au-Matelot 418 692-3737

Rien de trop compliqué et un excellent rapport qualité-prix: voilà ce que Le Brigantin se targue d’offrir, une description qui à nos yeux colle à la peau de ce bistro franchouillard tout sauf prétentieux. On s’y attable midi et soir pour déguster leur menu simple mais délicieux: pavé de morue, escalope de veau saltimbocca, tataki de biche en croûte d’épices, lasagne de la maison et... grilled-cheese! Bref, de tout pour tous, mais sans verser dans les lieux communs.

PHOTOS | GUILLAUME D. CYR



57 | LIVRES

MOTS | FRANCO NUOVO

S

i on la perd, s’amorce alors une infatigable quête. Si on émigre, elle s’étiole, du moins sur les premiers milles. Si on croit l’avoir enfin trouvée, émergent immédiatement les différences et les heurts avec ceux qui, croit-on, la partagent. Si elle est assumée, surgit l’acceptation; on oublie alors le rejet… jusqu’au prochain choc. Quand on l’a, qu’elle ne nous a pas échappé, on la tient pour acquise à jamais.

L’identité! Vachement compliquée, l’identité! Cette question, au Québec peut-être plus qu’ailleurs, fait débat depuis longtemps puisque, au départ, quelques peuples couchent dans le même lit. Imaginez quand viennent se lover d’autres cultures dans l’espoir de trouver un peu de cette chaleur perdue en leur terre d’origine. Je n’aurais pas pensé parler de déracinement, d’acceptation, d’inclusion, d’intégration si je n’avais pas récemment ouvert deux livres qui, chacun à leur façon, traitent de la chose. D’abord, ce bouquin d’Akos Verboczy au joli titre, Rhapsodie québécoise: itinéraire d’un enfant de la loi 101, dans lequel il raconte son arrivée au Québec au milieu des années 1980 et son parcours. Puis, le magnifique ouvrage de Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, fiction qui fait, au profit d’un nouvel arrivant, l’autopsie d’un Québec pas toujours rose et qui dévoile les crises existentielles qui attendent l’immigrant.

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Sur les rayons

CONSUMÉS DAVID CRONENBERG Gallimard, 384 pages On connaît David Cronenberg d’abord pour son cinéma. Le réalisateur canadien nous a troublés avec des films comme The Fly, eXistenZ ou encore son adaptation du classique de William Burroughs Naked Lunch. Il s’essaie ici au roman avec une première parution, Consumés, aux éditions Gallimard. On sait de son cinéma qu’il est dérangeant, violent, visitant parfois les extrêmes, chahutant son spectateur par des faux-semblants et créant des ambiances aussi glauques qu’horrifiques. Reste maintenant à savoir si le réalisateur et scénariste a su transposer cet univers dans le domaine du romanesque avec succès. Dans ce premier livre, on suit deux photojournalistes en quête d’histoires à publier. Banal? Pas quand c’est écrit par David Cronenberg. Naomi est à Paris. On a retrouvé une philosophe sexagénaire de la Sorbonne assassinée. On aurait cuisiné son corps, à même sa cuisinière. Son mari, lui, est porté disparu. Et suspect, par la même occasion. Naomi tentera donc de comprendre le fond de cette histoire. Qui était ce couple? De quoi avait l’air la scène? Où est ce mari? De fil en aiguille et de Paris à Tokyo, Naomi s’enlise dans cette histoire qui est encore plus sordide que ce dont elle en a déjà pourtant l’air. Nathan, lui, est à Budapest. Il effectue une séance photo lors d’une opération du docteur Molnár, suspecté de trafic d’organes. Ce dernier a aussi un restaurant au centre-ville, où les murs sont tapissés de photos de nus. La patiente qui se trouve sur la table d’opération est atteinte d’un cancer et se fait injecter des grains radioactifs, en plus d’être porteuse d’une maladie vénérienne disparue depuis belle lurette, que Nathan contractera, évidemment. Voilà à peine l’ouverture de ce roman déjanté. C’est tout à l’image de son cinéma et peut-être même un peu plus. À ceux qui, comme moi, auraient pu croire à un vieux scénario remâché en roman, eh bien, ce n’est pas le cas. Il y a là les mêmes thématiques et le même désir de déranger, mais en embrassant le médium littéraire sans complaisance. La philosophe, en ouverture du roman, disait ceci: «La seule littérature authentique à l’ère moderne, ce sont les manuels d’utilisation.» Il y a peut-être un peu de ça dans le roman de Cronenberg, c’est froid et saccadé, mais ô combien percutant. (Jérémy Laniel)

Étrange, parce que ces bouquins m’ont forcé à amorcer un voyage dans le temps. Je m’y suis vu, un peu ici, un peu là, comme quiconque vient d’ailleurs physiquement et culturellement. Dans mon cas, pourtant, je n’ai vécu ni déplacement ni exil. J’avais laissé le plus pénible à mes parents, à ma sœur, à ma famille qui, comme la plupart, a fui la misère d’un pays détruit par la guerre vers un monde meilleur. Parce que comme l’écrit Verboczy, «le candidat à l’immigration ne cherche qu’une chose: améliorer sa situation». Sûr qu’il y a une différence entre naître sur la terre promise et y arriver enfant. Les perceptions ne sont pas les mêmes. À ma naissance, je n’avais pas de passé. Vous riez? Vous ne devriez pas. C’est lourd aussi. Rien à regretter. Pas de nostalgie. Les premières années, par protection ou tout bonnement parce que c’était ce qu’on connaissait, j’étais gardé sous une bulle: je vivais italien, je parlais italien, j’aimais italien. J’étais Italien, donc pas encore Québécois. Et puis un jour, vers l’âge de trois ou quatre ans, on a levé la cloche de verre qui me protégeait, et j’ai découvert le monde. Disons plutôt la singularité. La différence. Pensons aux 25 000 réfugiés qui arriveront au Canada, dont 7300 au Québec. Le jeune Syrien traversera les mêmes chemins, rencontrera les mêmes écueils, prendra conscience de sa singularité. Il devra apprendre le sens du mot intégration. Ça sera plus difficile, voire peut-être impossible pour son aîné, puisque ce dernier devra penser aux siens plus qu’à lui-même: travailler pour se loger, nourrir sa famille, faire étudier ses enfants. Souvent, il devra même partager son logement pour respecter les échéances de fin de mois. Le jeune, lui, se bagarrera dans les ruelles et les cours d’école des milieux populaires où il évoluera pour éviter qu’on piétine son orgueil et sa fierté. Dans la douleur que véhicule la différence, comme le petit Italien d’antan, le petit Hongrois ou le petit Haïtien, dans le même étau, il devra maintenir en place le respect à sauvegarder, la différence à apprivoiser et la langue à maîtriser. Parce que, comme l’écrit Akos se rappelant son enfance, «le Québec est le seul endroit sur la planète où parler français n’était pas prestigieux». En émergeant de sa bulle de verre, il devra combattre une xénophobie qui est davantage le produit de l’ignorance que du racisme. Parce que le Québécois, quoi qu’en disent certains, n’est en rien raciste. Il devra donc se dévoiler et s’ouvrir à un univers complexe, parer les coups et décrypter les codes.


Quand j’étais petit, par exemple, dans les années 1960, manger une pêche ou un artichaut faisait de moi un être différent, un étranger, parce qu’André, avec qui je jouais tous les jours, n’en avait jamais vu. «Qu’est-ce que tu manges?» Je m’en souviens comme si c’était hier. «Une pêche», lui ai-je répondu «Tu veux goûter?»

Sur les rayons

Il a aimé.

SERAFIM ET CLAIRE MARK LAVORATO

Aujourd’hui, tout le monde va au marché Jean-Talon, l’aristocratie culturelle se vante d’habiter ou de fréquenter La Petite Italie. À l’époque, ce n’était guère comme ça. Je rêvais de m’appeler François Duval et d’aller tout bonnement au Steinberg de la rue Saint-Zotique.

Marchand de feuilles, 461 pages

Et il y a l’éternel rêve du retour que caresse l’immigrant de la première heure. Mais ce n’est qu’un rêve. Parce que si les lieux demeurent (La Petite Italie en est la preuve), les cultures, elles, changent et évoluent. D’où son déracinement, voire sa perte de repères. Il est devenu sans s’en apercevoir l’homme de nulle part. Le fils, lui, pendant ce temps, a fait sa place; il a décodé sa nouvelle société, combattu d’un même front la gêne et la honte, deux menteuses. Il a appris la langue, s’est intégré, a défini son identité, et ce, sans forcément oublier ses racines. Comme mon père qui les abhorrait, il a fui les ghettos. Tiens, c’est fou comme cette répulsion naturelle m’a aidé à devenir ce que je suis, à savoir où je vais, sans jamais oublier d’où je viens. y

Serafim et Claire est le troisième roman du Montréalais Mark Lavorato, mais il s’agit ici de son premier livre publié en français aux éditions Marchand de feuilles et traduit par Annie Pronovost. Plongé tantôt dans un Montréal des années 1920, tantôt dans un Portugal au cœur d’une Europe en sortie de guerre, le roman de Lavorato se veut un chassé-croisé entre deux destins que tout oppose, bien sûr, qui finiront par s’entrecroiser, assurément. Claire, jeune femme issue d’une bonne famille catholique de Québec, se retrouve à Montréal avec pour seule carte de visite son talent et sa passion pour la danse. De son côté, Serafim, photographe tant amateur qu’avant-gardiste, quittera son Portugal natal sur un coup de tête pour se rendre à Montréal, question de se prouver qu’il est encore maître de son destin. Au détour de ces histoires qui se développent principalement en parallèle, on est lancé sur la scène des cabarets burlesques de Montréal, milieu intransigeant où chacune souhaite être la meilleure et dégoter un contrat vers New York ou ailleurs. L’endroit est parfait pour y dépeindre la corruption du milieu politique et l’omniprésence du jugement religieux de l’époque. D’un autre côté, l’arrivée à Montréal de Serafim permet de mettre en lumière le melting pot qu’était cette ville au début du siècle, ainsi que la division linguistique ancrée dans les us et coutumes. À la fois roman de mœurs et fresque historique, Serafim et Claire nous fait comprendre rapidement que cette ville est bien plus grande qu’une simple histoire d’amour. Au fil de la lecture, la construction du roman finit par être répétitive. La narration non linéaire qui semblait intéressante au début de la lecture devient parfois un peu lourde, créant un sentiment de redite lorsque les deux personnages racontent la même histoire. De plus, chaque chapitre de Claire commence avec une lettre provenant de sa sœur, Cécile, alors que les chapitres de Serafim débutent par la description d’une photo. Chaque lettre de Cécile semble là simplement pour placer l’époque, alors que les photos de Serafim tentent de justifier sa démarche. Reste que la ville effervescente vibre sous l’écriture de Lavorato, allant même jusqu’à faire ombrage aux personnages. Un livre qui se lit telle une agréable promenade dans un Montréal qu’on n’a pas connu, mais, à la fin, une seule question persiste: va-t-il nous en rester un quelconque souvenir? (Jérémy Laniel)



61 | ARTS VISUELS

LA RELÈVE DES CRAYONS SOUS LEURS TRAITS, ON NE DEVINE NI LEUR ÂGE NI LEURS INFLUENCES, SEULEMENT LEUR TALENT. CES JEUNES ILLUSTRATEURS ISSUS DE LA VIEILLE CAPITALE S’INSPIRENT DES COURANTS INTERNATIONAUX POUR GRIFFONNER DANS UN STYLE BIEN À EUX. mots | caroline dÉcoste

Dès son plus jeune âge, le petit Charles-Étienne s’applique à peindre des harfangs des neiges. Bouleversé d’apprendre qu’on peut dessiner autre chose que des harfangs, il s’inscrit en arts visuels au Cégep de TroisRivières, puis en design graphique à l’Université Laval, pour finalement retourner en art. «Ce que j’aime de l’illustration, explique Charles-Étienne Brochu, c’est le fait de raconter des histoires.» Selon ses propres dires, il se tient à cheval entre les arts visuels et l’illustration, entre le trash et le beau. «C’est amusant de jouer entre ces deux eaux-là, j’ai un côté pop en illustration, super éclaté. J’ai aussi un côté très gentil, pour que ce soit beau et plaisant à regarder. D’un bord, je veux dire quelque chose avec mon dessin, raconter une histoire plus subversive, de l’autre, j’ai un style inspiré des livres pour enfants dont le but est de créer une belle image.» Boursier du programme Première Ovation, il a pu présenter son art «miniwheatesque» lors de sa première expo solo l’an dernier, dans la petite galerie de L’Œil de poisson. C’est son côté poétique qui a séduit les Montréalais de Fire/Works, tombés par hasard sur le site web de l’illustrateur. Ils lui ont donné carte blanche pour imaginer la pochette de l’album Shenanigans. Ce genre de concubinage musique et illustration fait d’ailleurs bon ménage au Québec entre groupes indie et relève artistique.

(ci-contre, en haut) charles-Étienne Brochu (en Bas) esthera Preda

La Frida de l’Est Les mains éthérées de l’image de Ghostly Kisses (ce duo de Québec dont on parle abondamment depuis son succès planétaire sur Spotify), c’est elle qui les a conçues. Difficile de croire qu’Esthera Preda ne dessine à temps plein que depuis un an et demi! «J’ai un parcours d’autodidacte. Avant, je faisais de la vidéo de snowboard; quand l’industrie s’est effondrée, j’ai eu moins de contrats et je me suis mise au dessin et à la peinture, pour explorer d’autres avenues. C’est un adon que ça pogne!» Habiter au cœur de la forêt, à Fossambault-sur-le-Lac, nourrit l’art de cette fille d’immigrants roumains. «La nature m’inspire énormément, tout comme le folklore. Ma grand-mère avait toutes sortes de croyances qu’on n’a pas ici, ça m’a marquée dans ma jeunesse.» Ses dessins, aériens et délicats, puisent leur sujet autant dans les contes de Grimm et les gravures d’époque que dans les traditions folkloriques du monde entier. «Y a des gens qui pensent que je suis mexicaine! J’aime mélanger les cultures.»

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Kaël mercader

Outre ses collaborations avec des groupes de musique, elle fait de l’illustration pour des magazines, des compagnies de vêtements et même... des tatoueurs! «On me demande souvent de dessiner des tatouages pour des gens d’un peu partout dans le monde.» Troquera-t-elle ses pinceaux pour une machine? «J’y songe!» Le «Velasquez de Paint» Ses portraits photoréalistes (autant qu’on peut l’être avec Paint!) sont partis d’une blague. «Ça faisait rire les gens... mais pour moi, c’était des trucs sérieux!» rigole Kaël Mercader. La joke s’est transformée en vrais contrats pour ce fils de caricaturiste, presque né avec un crayon dans les mains. «Je puise mon inspiration dans l’histoire, la caricature, les choses ridicules de l’actualité, le cinéma, la bande dessinée, la musique aussi.» Il a ainsi signé la pochette de l’album éponyme de Men I Trust (dont l’un des membres, Dragos Chiriac, est l’autre moitié du duo Ghostly Kisses), de délirantes affiches de spectacle pour Ponctuation et des œuvres souvenir en sérigraphie pour un show de Moonface au Palais Montcalm. La microbrasserie Noctem, nouvellement arrivée dans Saint-Roch, lui a aussi passé la commande d’une murale grand format au crayon-feutre, en noir et blanc. Si Kaël ne vit pas encore de son Paint, il espère exposer sa peinture dans une galerie dans un avenir rapproché.


> Le «Velasquez de Microsoft Paint»: la formule est d’une autre journaliste de Voir, Catherine Genest, mais elle est si géniale qu’on doit lui repiquer. De toute façon, Kaël Mercader l’a adoptée. «Ça ne me tanne pas d’être associé à Microsoft Paint. Ceux qui me connaissent savent que je ne fais pas que ça, même si c’est ce qui m’a fait connaître, car je suis l’un des seuls à le faire. Ça ne me dérange pas qu’on m’en parle, parce que les gens trouvent ça original!» La boss des brillants Pour Christyna Fortin comme pour Charles-Étienne Brochu (ils se connaissent d’ailleurs depuis le baccalauréat), le glissement de l’illustration vers l’art s’opère lentement. «Je ne dirais pas encore que je suis une artiste, sauf que c’est le terme le plus approprié.» Elle a commencé comme illustratrice, avec des estampes numériques et un travail d’à-plat de couleurs vives, mais s’adonne maintenant à la peinture, même si ses tableaux «pourraient être vus sur le même principe que des illustrations». «J’aborde les mêmes sujets: mon univers est assez féminin, j’aime travailler sur la beauté de la femme même si c’est cliché à dire!» christyna Fortin

Elle incorpore à ses représentations de femmes puissantes des références à la culture populaire, qui font partie de sa recherche à la maîtrise en arts visuels. «Je passe des heures à faire de la recherche d’images et à les collectionner, je me perds dans Google... Je m’intéresse au mainstream, au cinéma et à la photo. Ces temps-ci, je revisite l’œuvre de David Lachapelle, qui me rejoint avec son univers entre les arts et l’entertain­ment et son iconographie un peu plastique.» Et le surnom dont elle s’est elle-même affublée, la «reine des paillettes»? «Ah, ça, ça va avec mon absence de négatif! J’ai toujours été attirée par l’effet visuel du brillant et de la dorure. Avec des paillettes, même les moments banals sont cristallisés; ça magnifie mon image. C’est l’idée que la vie est une célébration.» y

christyna Fortin


64 | OPINION

ALEXANDRE TAILLEFER de la main gauche

TRAFIC D'INFLUENCE Dans le cadre d’un plébiscite sur la mise en place d’une taxe visant à financer le développement du système de transport en commun de la ville de Vancouver, Discourse Media, un «think tank» indépendant, a mis sur pied le projet Moving Forward afin d’informer la population, à partir de données empiriques sérieuses et complètes, des coûts réels liés aux différents modes de transport en considérant tous les aspects économiques tangibles et intangibles, comme les coûts de santé, la main-d’œuvre, l’entretien, etc. Les conclusions présentent un constat troublant. Quand un citoyen dépense 1$ en marchant, en utilisant son vélo, en utilisant le transport en commun ou en conduisant sa voiture, la société, elle, assume des coûts directs et indirects qui sont respectivement de 1¢, 10¢, 1,30$ et 9,30$.

Vous avez bien lu. Non seulement la voiture nous coûte plus cher individuellement (elle est la deuxième dépense en importance chez les foyers québécois, tout juste après le loyer), mais elle nous coûte collectivement sept fois plus cher que le transport en commun. Ce qu’il faut comprendre de cette analyse: l’automobile constitue le facteur le plus important d’appauvrissement individuel et collectif. Toute mesure visant à diminuer sa présence doit être accueillie à bras ouverts et gonflera notre portefeuille et celui de l’État. Malheureusement, ces mesures ne sont pas très populaires. Tous les matins à la radio, nous entendons parler du prix de l’essence à la pompe qui ne baisse pas suffisamment rapidement par rapport à celui du baril de pétrole. On veut réduire nos émissions de gaz à effet

MODES DE TRANSPORT VS COÛTS COLLECTIFS SI MARCHER VOUS COÛTE 1$

SI UTILISER VOTRE VÉLO VOUS COÛTE 1$

SI PRENDRE L’AUTOBUS VOUS COÛTE 1$ SI UTILISER VOTRE VOITURE VOUS COÛTE 1$

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LA SOCIÉTÉ PAIE 1¢ LA SOCIÉTÉ PAIE 10¢

LA SOCIÉTÉ PAIE 1,30$ LA SOCIÉTÉ PAIE 9,30$


de serre, mais, de grâce, ne touchez pas à mon char. La baisse du prix du pétrole fait exploser la vente des VUS. Et comment appelle-t-on un VUS en français? Un véhicule de banlieue… Ne nous leurrons pas: le bonheur contemplatif à 25 minutes du travail, tel qu’on nous l’a mis dans la tête dès le début des années 1960, a engendré un étalement urbain qui nous a tous appauvris et qui, comme le note si bien Martin Léon dans sa chanson Bumper­ à­ bumper, nous laisse coincés des millions d’heures dans le trafic. Un rêve qui vire au cauchemar. Voici trois mesures simples, mais combien suicidaires politiquement, qui nous serviraient pourtant énormément. L’augmentation de la taxe sur l’essence et la mise en place d’une taxe kilométrique La diminution de la consommation d’essence au Québec est un échec flagrant. Pour y arriver, il n’y a qu’une façon efficace. Frapper où ça fait mal: le portefeuille. Parce que nous avons des ambitions concernant la réduction des GES et parce que la voiture nous coûte collectivement une fortune, la hausse de la taxe sur l’essence atteint trois objectifs importants: la diminution du déficit de notre balance commerciale, la réduction de la pollution et l’augmentation des revenus gouvernementaux. L’introduction d’un prix plancher pour le litre à 1,25$ par exemple permettrait de récolter plus de deux milliards de dollars. Ce prix plancher pourrait passer à 2$ au bout de dix ans, une fois que les investissements mentionnés plus bas auraient été complétés. La taxe kilométrique permettrait quant à elle de moduler le nombre de véhicules pendant les heures de pointe afin de réduire le coût des infrastructures. Parce que ce qui coûte le plus cher est l’investissement marginal pour répondre à la demande maximale, il faut pouvoir augmenter le tarif d’utilisation des ponts, des échangeurs et des routes pour la diminuer. La mise en place de transpondeurs dans chacun des véhicules immatriculés au Qué bec permet trait de gérer cette taxe adéquatement tout en augmentant la fluidité et l’efficacité du transport routier. Un investissement massif dans le transport collectif La mise en place de mesures de taxation aussi importantes doit être combinée à un investissement massif dans les infrastructures de transport en commun afin de fournir une solution de remplacement viable, confortable et efficace au volant.

Dans son plan d’infrastructure 2014-2024, le gouvernement compte investir plus de 90 milliards de dollars dans ses infrastructures. De cette somme, 7,4 milliards seraient destinés aux infrastructures de transport en commun. C’est trop peu. L’IRIS, dans une publication du 2 février, propose d’augmenter cette somme de 20%. Mais si nous voulons être sérieux et investir dans notre enrichissement collectif, c’est sûrement du double dont nous aurions besoin. Le prolongement du métro de Montréal, la présence de lignes de bus rapides sur Pie-IX et entre Québec et Lévis, la mise en place d’un système léger sur rail (SLR) entre le centre-ville et l’aéroport de Montréal, l’électrification des autobus, l’amélioration du service du train de banlieue en priorisant le transport des passagers par rapport au transport des marchandises, et j’en passe, ne sont que quelques exemples qui favoriseraient le transport en commun. L’autre volet sur lequel on doit se pencher est l’accessibilité et la facilité d’utilisation du transport en commun. Tout ce qui est un frein à son utilisation doit être combattu. L’interopérabilité des titres de transport, son coût mensuel tout comme la couverture, la disponibilité et la densité du service. Des mesures incitant la marche, l’utilisation du vélo, des véhicules en libre-service (tels ceux de Communauto) et le covoiturage Un cocktail de transports urbains efficaces doit inclure la mise en valeur des modes de transport alternatifs et les favoriser par rapport à la voiture. Tout ce qui nous permet de lutter contre la deuxième voiture, voire la première, doit être promu et encouragé. En Amérique, près de 85% des déplacements sont effectués en voiture. La Suède a descendu ce seuil sous la barre des 40%. Nous avons tous intérêt à nous libérer du diktat de l’automobile. Il faut voir la promotion de l’utilisation de moyens de transport alternatifs à la voiture non pas comme une tentative de boboïsation de la gauche radicale, mais bien comme l’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire. Être plus riches et plus heureux. Pour y arriver, il faut choisir avec attention les mots justes décrivant l’acronyme BMW: Bus,­ Metro­ and­ Walk. Une belle BMW comme véritable statut social dans 10 ans. y IRIS: iris-recherche.qc.ca/publications/ transport-collectif

Moving Forward: movingforward.discoursemedia.org

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QUOI FAIRE

la bronze, photo | john londoño

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BEAT MARKET ET LA BRONZE le CerCle – 31 mars

Éclectique, mais résolument pop, ce double plateau promet de nous faire danser avec son orgie de synthés. D’une part, l’électro spatial daftpunkesque de Beat Market et de l’autre, la poésie féline et irrésistiblement mélodieuse de Nadia Essadiqi alias La Bronze.


67 | QUOI FAIRE

PAWA UP FIRST l ’ a n t i – 3 m a r s

Entre post-rock, jazz, électro et hip-hop, le quatuor montréalais Pawa Up First continue de rouler sa bosse avec une force scénique qui, année après année, se précise et s’embellit. De passage à Québec, la bande du guitariste Nakauchi Pelletier proposera des chansons pigées ici et là dans ses quatre albums. Son dernier, Missing Time, remonte à mai 2013.

LILY K.O. + ELI ET PAPILLON l e C e r C l e – 12 m a r s

photo | jimmi franCoeur

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BERNARD ADAMUS impérial bell – 18 mars

L’enfant terrible de la rue Ontario viendra donner vie aux chansons festives et entraînantes de son troisième album, merveilleusement intitulé Sorel Soviet So What. Dorénavant «capable» de se lever de sa chaise durant ses spectacles, Adamus donne habituellement une prestation à couper le souffle, qui carbure aux rythmes blues, folk, country et rock de son répertoire.

Fort du succès d’estime de son premier album Le chaos et le temps, le duo Lily K.O. amène son mélange impétueux de folk et de jazz à Québec pour un spectacle qui s’annonce rythmé à souhait. Pour l’accompagner, le duo montréalais Eli et Papillon trimballe sa pop simple et lumineuse, notamment inspirée par Alfa Rococo et Cœur de Pirate. >

THE SHEEPDOGS i m p é r i a l b e l l – 10 m a r s

Natif de Saskatoon, le groupe The Sheepdogs mélange les influences rock and roll classiques (de CCR à Led Zeppelin en passant par The Allman Brothers Band) à un groove boogie revigoré qui le place au-dessus de la mêlée dans le genre souvent plat du blues rock. Paru en octobre dernier, le cinquième album Future Nostalgia témoigne bien de cet alliage. eli et papillon, photo | Courtoisie nat Corbeil


68 | QUOI FAIRE

DE LA REINE p a n t o u m – 18 m a r s

Formé par la vocaliste olympique Odile Marmet-Rochefort (Men I Trust), Jean-Étienne Collin Marcoux (littéralement batteur pour la moitié des bands à Québec) et Vincent Lamontagne de X-Ray Zebras, De la Reine fait le buzz en ce moment à Labeaumeville. Un trio tout neuf qui donne dans le trip-hop teinté de post-rock. En double plateau avec BELLFL0WER.

INGRID ST-PIERRE G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C – 7 av r i l

photo | laurenCe labat

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FRED PELLERIN G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C 1 7, 18 e t 1 9 m a r s

Il est surprenant, le dernier disque d’Ingrid St-Pierre. Plus posée, romantique sans être gnangnan, l’auteurecompositrice-interprète s’est faite voyageuse et conteuse avec une finesse qu’on ne lui connaissait pas. Ça promet pour ce récital.

Porté par le succès incroyable de son plus récent album Plus tard qu’on pense, sacré album meilleur vendeur de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, Fred Pellerin délaisse le conte pour la chanson durant cette tournée. «Ça piaille, ça gazouille, ça roucoule, ça cancane, ça chante, ça veut, ça vit», comme seul lui peut le faire.

CŒUR DE PIRATE G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C – 24 m a r s

La chanteuse de 26 ans est actuellement en tournée mondiale pour la promotion de son troisième album Roses. Après plusieurs dates chez nos voisins du Sud, elle revient en terres québécoises pour deux spectacles, dont un au Grand Théâtre. Sans attendre, elle repartira ensuite chez les cousins européens pour une longue série de dates printanières. Occupée, vous dites? photo | martin lapointe

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photo | shayne laverdiere

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PIERRE LAPOINTE G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C 3 0 e t 31 m a r s 2016

À la fois touchant et coloré, Pierre Lapointe vient présenter les chansons de son album Paris tristesse (récompensé l’an dernier du Félix Album de l’année – Réinterprétation) dans la très belle salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre. Évidemment, il revisitera l’essentiel de son riche catalogue, en plus d’offrir au public des reprises de chansons qu’il affectionne tout particulièrement.

RICHARD DESJARDINS AVEC L’OSQ G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C 31 mars et 1er avril

Le Rouynorandien n’en est pas à son premier tour de manège: en 2009, Richard faisait paraître Desjardins symphonique, captation d’un concert sous la direction de maestro Gilles Bellemare. Ce printemps, les deux musiciens récidivent pour un nouvel opus.

FOREIGN DIPLOMATS l ’ a n t i – 30 m a r s

Originaire des Laurentides, le quintette indie rock Foreign Diplomats a le vent dans les voiles depuis la parution en octobre dernier de son premier album Princess Flash. Avec une touche électro bien dosée, le groupe a un potentiel international certain, d’autant plus qu’il est épaulé par le même réseau international d’Indica qu’Half Moon Run.


photo | béatriCe flynn

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PIERRE FLYNN l ’ a n G l i C a n e – 19 m a r s

ANDREAS STAIER AVEC L’OSQ p a l a i s m o n t C a l m – 16 m a r s

Pierre Flynn s’est laissé désirer pendant presque 15 ans avant de sortir Sur la route, album longuement mûri qu’il viendra présenter à Lévis. Un rare et donc immanquable rendez-vous avec ce pilier de la chanson québécoise.

L’estimé pianiste allemand Andreas Staier traverse l’Atlantique pour interpréter le Concerto pour piano no 17 de Mozart. Autour de lui, les musiciens de l’OSQ dirigés par Fabien Gabel.

PLUME LATRAVERSE G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C 1 e r e t 2 av r i l

Plume sur scène, c’est forcément pas banal. Accompagné d’un guitariste et d’un contrebassiste, l’indomptable poète nous livre un concert sans flafla pour revisiter ses chansons, ses Récidives, pour reprendre le titre du spectacle.


DEAD OBIES le CerCle – 18 mars

Les sept boys de Dead Obies, héros du néo-rap québ et du franglais, viennent présenter Gesamtkunstwerk à Québec. Un deuxième album gorgé de hooks et inspiré par l’essai La société du spectacle de l’écrivain français Guy Debord.

MY BIG FAT GREEK WEEDING 2 d è s l e 25 m a r s

Douze ans après le film original, le réalisateur Kirk Jones ressuscite la famille américano-grecque Portokalos. Toujours aussi envahissants et extravertis, les membres se réunissent à nouveau pour célébrer un mariage-surprise. Confrontés à des problèmes de couple et à la crise d’adolescence de leur fille, Toula (Nia Vardalos) et Ian (John Corbett) vont devoir aussi gérer ce mariage qui s’annonce démesuré. <

THE YOUNG MESSIAH dès le 11 mars

Le réalisateur américain Cyrus Nowrasteh s’est lancé le défi de raconter de manière fictionnelle les débuts de la vie de Jésus. Lorsque le jeune garçon découvre qu’il est doté de pouvoirs divins, il comprend alors qu’il est amené à faire de grandes choses. Considéré comme une menace par le roi Hérode, Jésus est pourchassé et doit fuir son village.

BORIS SANS BÉATRICE d è s l e 4 m a r s 2 0 16

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Film d’ouverture aux Rendez-vous du cinéma québécois, présenté à la 66e édition de la Berlinale, ce nouveau film de Denis Côté s’intéresse aux angoisses de la dépression et à la rédemption. Boris Malinowski (James Hyndman) est un homme riche et orgueilleux. Lorsque sa femme tombe malade, il entame un travail d’introspection afin de ramener celle qu’il aime à la réalité.


MONTRÉAL LA BLANCHE d è s l e 18 m a r s

Réalisé par l’Algérien d’adoption montréalaise Bachir Bensaddek (Portrait de dame par un groupe), Montréal la blanche prend place dans un Montréal enneigé. Tenant le rôle de deux Algériens d’origine, Karina Aktouf et Rabah Aït Ouyahia voient leur destin converger, alors que leur passé, lui, ressurgit. Ce film a été présenté en sélection officielle à Rotterdam.

KNIGHT OF CUPS dès le 4 mars

Le très talentueux Terrence Malick revient avec un film poétique, dépouillé de toute narration cinématographique traditionnelle. Christian Bale interprète un scénariste hollywoodien en mal de vivre. L’argent, les femmes (Cate Blanchett, Natalie Portman…) et les fêtes décadentes sont son lot quotidien, mais un vide intérieur l’habite. Dans une véritable quête identitaire, cet homme tourmenté cherche sa voie et revisite son enfance. > <

BATMAN VS SUPERMAN: L’AUBE DE LA JUSTICE d è s l e 25 m a r s

Les deux superhéros, Batman et Superman, s’affrontent dans un duel sans précédent, mais les deux justiciers se retrouvent confrontés à une menace plus grande. Ils vont devoir mettre de côté leur désir de conquête et travailler ensemble afin de débarrasser la ville d’un super vilain. Réalisé par Zack Snyder, le film réunit Ben Affleck, Henry Cavill et Jesse Eisenberg.


THE LOBSTER d è s l e 25 m a r s

Dans une société où le célibat n’est pas accepté, David a 45 jours pour trouver une compagne sous peine d’être transformé en animal. Échouant dans cette quête, il quitte l’établissement austère qui sert de lieu de rencontre et rejoint le groupe des Solitaires. Le film de Jacques Mandelbaum a reçu le Prix du jury au dernier Festival de Cannes.

LAPIN LAPIN t h é ât r e d u t r i d e n t – 1 e r a u 26 m a r s

Elle se fait rare sur nos scènes, mais il n’y a pas de bonnes raisons de s’en priver: la grande dame de la comédie française Coline Serreau sera incarnée au Trident par une brochette d’acteurs de haut niveau. Linda Laplante, Nicolas Létourneau et Jean-Michel Girouard, notamment, deviennent les membres d’une famille dysfonctionnelle dans Lapin Lapin. La mama autoritaire, pourtant, réussira presque à refaire de son nid une sorte de paradis!

MOLLY BLOOM t h é ât r e d e l a b o r d é e – 29, 30 e t 31 m a r s

Hommage à une féminité charnelle et décomplexée autant que lumineuse et clairvoyante, Molly Bloom donne toute la place à un personnage négligé de la littérature. Brillant de tous ses feux dans le dernier chapitre d’Ulysse de James Joyce, elle apparaît sous les traits d’Anne-Marie Cadieux dans cette mise en scène de Brigitte Haentjens. Une femme libre à l’esprit débonnaire, qui se moque des convenances. Inspirante. >

photo | Caroline laberGe


NANOTECHNOLOGIES m u s é e d e l a C i v i l i s at i o n dès le 9 mars

Un nanomètre correspond à 0,000 001 millimètre. Les technologies de l’infiniment petit nous fascinent, et c’est justement sur elles que le Musée de la civilisation pose une loupe avec sa nouvelle exposition Nanotechnologies: l’invisible révolution. À explorer jusqu’en avril 2017.

ÉCHANGE QUÉBEC-BANGKOK l’ Œ i l d e p o i s s o n – 19 m a r s a u 17 av r i l

Mis en œuvre par Le Lieu, l’échange Québec-Bangkok investira plusieurs galeries du complexe de la Coop Méduse. L’Œil de Poisson accueillera pour sa part Prasert Yodkaew, un sculpteur à la pratique résolument actuelle qui s’inspire de l’art traditionnel thaïlandais. photo | niCola-frank vaChon

CHAQUE ANNÉE,NOUS NOUS DONNONS COMME MANDAT D'AJUSTER LE CHOIX DE NOS COLLECTIONS SELON LES BESOINS ET ENVIES DE NOTRE CLIENTÈLE, MAIS AUSSI NOUS VOULONS LES SURPRENDRE EN LEUR PRÉSENTANT DE NOUVELLES COLLECTIONS D'ICI ET D'AILLEURS.

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FEYDEAU l a b o r d é e – d u 1 e r a u 26 m a r s

Monika Pilon, imitatrice hors pair, brille chaque hiver dans le Beu-Bye, la revue de l’année de Lucien Ratio. Cette fois, elle met à profit son clown intérieur et ses expressions faciales fofolles dans un genre de pot-pourri des meilleurs «sketchs» de Georges Feydeau.

GASPÉSIE HUMAN LESS Galerie miChel Guimont j u s Q u ’ a u 13 m a r s

Guillaume D. Cyr et Yana Ouellet nous présentent le fruit de cinq ans de création sous la forme d’un «best of» photographique. Un regard tendre posé sur les maisons abandonnées, les lieux désaffectés et les humains de la Gaspésie.

EXPO MANGER SANTÉ ET VIVRE VERT C e n t r e d e s C o n G r è s - 19 e t 20 m a r s

MOIS DE LA POÉSIE 3 a u 31 m a r s

La neuvième édition du Mois de la poésie sera marquée par la venue de Jean-Paul Daoust, «l’invité d’honneur» du festival par ailleurs, qui présentera un spectacle théâtro-musical au titre évocateur: Le dandy américain et les fées urbaines. Le reste de la riche programmation via moisdelapoesie.ca.

Sources de protéines, culture qui réduit la consommation d’eau potable, faible empreinte de carbone... Les légumineuses seront sous les projecteurs de l’Expo, où on pourra découvrir tous leurs bienfaits dans une exposition bilingue. Au programme: tables éducatives, documentation, démonstrations culinaires et dégustations. Le 19 mars, des artisans boulangers utilisant des produits certifiés bio s’affronteront lors d’un concours.


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«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

Pishier

teomtl.com


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