Magazine Voir Montréal V01 #03 | Avril 2016

Page 1

MONTRÉAL VO1 #O3 | AVRIL 2O16 JEAN-MARC VALLÉE RADICALISATION ET CINÉMA VUES D’AFRIQUE DANA GINGRAS LES LETTRES D’AMOUR DOSSIER NETFLIX PRÉCARITÉ DES BARS-SPECTACLES GENRES MUSICAUX DÉCOMPLEXÉS RUFUS WAINWRIGHT MICRODISTILLERIES DU QUÉBEC PAUL NAKIS

UNITÉ MODÈLE


†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.


DISTRIBUTEUR ACCRÉDITÉ

Montréal-les-bains inspirant DEPUIS 2000 Bains

L a v a b o s R o b i n e t t e r i e To i l e t t e s Céramique & Comptoirs Céragrès

2174, av. du Mont-Royal Est montreallesbains.com

Mobilier


V

#

O1 O3 MONTRÉAL | AVRIL 2016

RÉDACTION

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture / Chef de section mode de vie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Correctrice: Marie-Claude Masse

COLLABORATEURS

Nicolas Gendron, Ralph Boncy, Réjean Beaucage, Patrick Baillargeon, Christine Fortier, Julie Ledoux, Jean-Philippe Cipriani, Jérémy Laniel, Franco Nuovo, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Gildas Meneu, Normand Baillargeon, Émilie Dubreuil, Eric Godin

PUBLICITÉ

Directeur adjoint aux ventes: Jean Paquette / Ventes régionales: Céline Lebrun Représentantes aux ventes nationales: Isabelle Lafrenière, Nathalie Rabbat Représentants: Catherine Charbonneau, Antonio Genua

OPÉRATIONS / PRODUCTION

Directrice du marketing et communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrices marketing et projets spéciaux: Danielle Morissette, Lea Londero Directeur du développement web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sy / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larrivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé Chef d’équipe administration: Céline Montminy / Commis-comptable: Valérie Doucet Coordonnateur service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Maxime Paquin, Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine

PHOTO COUVERTURE Maxyme G. Delisle | leconsulat.ca

DISTRIBUTION Diffumag 514 842-6809

COMMUNICATIONS VOIR

Président: Michel Fortin / Vice-président: Hugues Mailhot

VOIR est distribué gratuitement par Communications Voir inc.

© 2016 Communications Voir inc. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920

338, rue Saint-Antoine Est, bureau 301. Montréal (Qc) H2Y 1A3 Téléphone général: 514 848 0805 Télécopieur: 514 848 0533


8

C’EST LE NOUVEAU RÊVE URBAIN, CELUI DU CONFORT DANS LA BONNE CONSCIENCE, LA RECHERCHE D’AUTHENTICITÉ PAR LE BIAIS DE L’ULTRA FABRIQUÉ Photographe | Maxyme G. Delisle / Consulat Assistant | Marc-Antoine Dubois Maquillage | Maïna Militza (FOLIO)

8

SCÈNE

Dana Gingras Les lettres d’amour

16

MUSIQUE

28

SOCIÉTÉ

38

CINÉMA

48

ART DE VIVRE

56

LIVRES

60

ARTS VISUELS

66

QUOI FAIRE

La précarité des bars-spectacles Genres musicaux décomplexés Rufus Wainwright Dossier Netflix Démolition Radicalisation et cinéma De Nollywood à Montréal Microdistilleries du Québec Paul Nakis Réservations buissonnières Fabrice Luchini Papier16

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p26) Émilie Dubreuil (p36) Normand Baillargeon (p46) Alexandre Taillefer (p64)


6 | OPINION

SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

NOMMER LE MAL On pourrait finir par s’habituer. Aux actes de terrorisme, aux bombes, à la menace. Déjà, je nous sens un peu moins étonnés. D’autant plus que les attentats eux-mêmes se banalisent. Du moins, les explications pointues et spécialisées s’évaporent. 7 Janvier 2015, Charlie Hebdo, on s’attaquait à la liberté d’expression, aux caricatures du prophète, à la presse satirique. 13 novembre 2015, Paris, Bataclan, on s’attaquait aux jeunes dans un concert, ceux qui prennent un verre en terrasse, qui passent une bonne soirée. Bruxelles, 22 mars 2016, on ne s’attaquait plus à personne en particulier. On s’attaquait à tout le monde, ce qui revient au même. Nous sommes passés du symbole très ciblé au quidam anonyme, du choix délibéré au hasard des circonstances. On pourrait presque parler de sécularisation des attaques. Avec Charlie Hebdo, on visait le sacré, le temple. C’est d’ailleurs ce qu’on disait à l’époque en parlant de la presse libre: les terroristes avaient attaqué les fondements mêmes de la démocratie. À Paris en novembre, c’était la jeunesse, un mode de vie libre, le rituel occidental du vendredi soir. On vise maintenant le passant dans le métro, à l’aéroport, n’importe où, n’importe quand, le mondain qui ramasse sa valise au hasard du temps et de l’espace est devenu une cible. On pourrait finir par s’habituer, que je disais. Sans doute par bravade. Mais je ne sais pas au fond. Chose certaine, en quelques jours, nous n’avions plus grand-chose à dire sur Bruxelles. Business as usual. On ne va quand même pas inviter la diplomatie à tous les coups pour défiler dans les rues. Enfin, j’imagine que le roi de Jordanie ou les diplomates d’Arabie saoudite ont d’autres occupations que de se faire prendre en photo et que Nicolas Sarkozy n’a pas grand-chose à gagner à être vu dans les rues de Bruxelles. Ni à Lahore d’ailleurs. Au fait, il s’est passé quoi à Lahore, je ne sais plus quel jour?

D’accord. Je ne sais pas si on va s’habituer. En revanche, on se lassera peut-être. La lassitude, c’est d’être confronté à l’habituel sans jamais s’y habituer. On se fatigue. Car il faut bien le dire, c’est fatigant. On a un peu l’impression de balayer une plage. Si les attentats se banalisent, les réactions les plus bruyantes, elles, sont devenues carrément banales. À tous les coups, les mêmes colères. Il faut nommer le mal! Fini la langue de bois, il faut dire les choses comme elles sont! Ça tombait bien d’ailleurs, car Marine Le Pen était de passage au pays au moment des attentats de Bruxelles et que c’est justement son gros truc de dire tout haut ce que personne n’oserait dire. Allez, allez! Dites-le! Suffit la couardise! Ce n’est pas le temps de dessiner à la craie dans les rues et de chanter des chansons en jouant du ukulélé! Au combat! Nommez le mal une fois pour toutes! Cessez de fuir la réalité! Ouvrez les yeux! OK. Si vous y tenez. Mettons. Nommons le mal. N’ayons pas peur des mots. D’ailleurs, il n’y en a que deux: islam radical. Si c’est tout ce que ça vous prend, on ne va pas se tordre les coudes pour si peu. Disons-le encore: islam radical. Voilà, maintenant que vous avez les ingrédients de base, vous pouvez fabriquer des phrases. L’islam radical a encore frappé. Des individus endoctrinés par l’islam radical ont commis un attentat. Il faut éradiquer l’islam radical. L’islam radical est incompatible avec la démocratie occidentale. Vous voyez comme c’est facile. D’une lassante facilité, je dirais. À ça non plus, on ne s’habitue pas. Le mal étant nommé, on a l’impression d’avoir posé un diagnostic. C’est quoi cette grosse bosse-là docteur? Elle n’était pas là avant-hier! C’est une tumeur madame. Vous avez le cancer. Oh, punaise!


>

Vous pouvez me l’enlever? Mais certainement. Vais-je guérir? Ah, ça, c’est plus compliqué. Nommer à chaque fois, comme un mantra, l’islam radical en ayant la conviction de résoudre quelque chose, c’est un peu comme tenter de vaincre le cancer en se montrant la bosse à tout vent en répétant: «Vous voyez cette bosse? Eh bien, le médecin m’a dit que c’était une tumeur! Elle est grosse ma tumeur, non? La voyez-vous? Allez, nommez-la! N’ayez pas peur des mots! Regardez-la! Non, mais, quelle bosse! Ça ne vous fait pas peur, vous? Vous n’allez quand même pas me dire que ce n’est pas une bosse!» Si c’est tout ce qui vous intéresse, fabriquez-vous un costume de mascotte en forme de bosse et allez parader ainsi vêtu sur les boulevards. Ça va, on a compris. Une fois qu’on a dit ça, d’autres questions apparaissent et pourraient nous sortir de la lassitude. Vous permettez qu’on les pose? Vous mangez quoi? Vous vivez comment? Vous fumez? Vous buvez? Nous commencerions ainsi une recherche sur les causes, ce qui implique des questions essentielles

sur l’alimentation, les habitudes de vie, l’environnement, le stress, le travail et une foule d’autres sujets qui ne sont pas la tumeur elle-même, mais les conditions de son apparition. Ce sont les questions qu’il faut de toute urgence se poser. Quelles causes ont pour effet que des jeunes se radicalisent au point de commettre des attentats? Ne me répondez pas que la radicalisation existe à cause de la radicalisation. Lâchez-vous la bosse un peu. Ils mangent quoi? Ils vivent où? Dans quelles conditions? Comment gagnent-ils leur vie? Dans quel environnement? Ce n’est pas refuser de nommer le mal que de s’interroger ainsi. C’est tenter de le comprendre pour éventuellement le prévenir. Ce sera un travail long et difficile. Sans doute le défi de toute une génération. Peut-être même plus. Il y aura des rémissions et des échecs. Des morts aussi, qu’il faudra pleurer de temps en temps. Ce sont les vivants qui pleurent, sans doute parce que le mal, parfois, il n’y a plus de mots pour le nommer. Un signe qu’on ne s’habitue pas et qu’un peu de silence, lorsqu’il permet de réfléchir, vaut bien une vaine colère. y sjodoin@voir.ca


Ainsi vA l’embourgeoisement Avec son théâtre hyper structuré et sA réflexion fertile sur une société de l’imAge et du pArAître, guillAume corbeil est l’Auteur phAre de sA générAtion. les comédiens pAtrice robitAille et Anne-élisAbeth bossé donnent vie à sA nouvelle pièce unité modèle, qui plonge dAns lA culture du condo et expose un embourgeoisement incessAnt. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTO | MAXYME G. DELISLE


9 | scène

«Une perle industrielle / Dans un écrin de prestige / Un design riche et épuré / Classique et avant-gardiste / Raffiné et chaleureux / Le reflet de votre image.» Ce sont quelques-unes des formules que lancent Martin et Sarah, représentants de la compagnie Diorama, qui cherchent à vous séduire en vous offrant le mode de vie du parfait bobo. L’unité modèle que la pièce vous fait visiter est conçue selon une philosophie «socioresponsable» et construite avec des «matériaux bruts» et un «fini délicat». C’est le nouveau rêve urbain, celui du confort dans la bonne conscience, entouré de matériaux authentiques et d’accessoires produits à partir d’objets recyclés. La recherche d’authenticité par le biais de l’ultra fabriqué: voilà qui fascine Guillaume Corbeil depuis toujours. L’art du vrai Dans Cinq visages pour Camille Brunelle (Nous voir nous), il décortique la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, exposant des interactions humaines artificiellement sublimées. Dans Tu iras la chercher, une femme se découvre une identité formatée qui lui semble extérieure à elle-même, imposée par le monde d’images publicitaires qui l’entoure. Unité modèle boucle la trilogie et raconte des vies modelées par le rêve de l’embourgeoisement urbain que vendent les compagnies immobilières: celui du couple parfait coulant des jours heureux sur son canapé modulaire et élevant un enfant souriant en profitant de «tous les services à portée de main». «Comme souvent dans mon travail, dit l’auteur, je réfléchis dans cette pièce au pouvoir des images publicitaires sur nos aspirations et nos rêves. On fomente nos objectifs de vie à partir de ce monde d’images puissantes qui s’impriment en nous, qu’on le veuille ou non. On tombe tout le temps dans le panneau, on adapte plus ou moins nos valeurs personnelles à celles que la pub veut bien nous faire avaler, et c’est un processus un peu inconscient mais bien réel.»

>


OBTENIR PLUS D’ARGENT POUR VOIR DES SPECTACLES?

OUI C’EST POSSIBLE!


11 | scène

«Je me demAnde à vrAi dire comment se déploie cette “gentrificAtion” et où se trouve l’humAnité dAns cette culture de lA vente de condos, où tout est lisse et peut sembler Artificiel.» La comédienne Anne-Élisabeth Bossé et lui se connaissent depuis longtemps. À 18 ans, déjà, elle observait l’obsession de son ami pour le slogan des boulangeries Première Moisson, «L’art du vrai». «Toute l’œuvre de Guillaume, dit-elle, découle de ça: une fascination pour notre désir d’être vrai à travers des mécanismes très fabriqués, notre recherche de l’authenticité dans ce qui ne l’est pas particulièrement.» «C’est surtout parce que je n’y échappe pas, dit-il, et que je suis façonné par cette fausse authenticité. Je suis d’ailleurs en processus d’acheter un appartement ces jours-ci et, comme tout le monde, je me laisse séduire et émoustiller par ces grandes fenêtres industrielles, ces beaux murs de brique. En écrivant cette pièce, je ne cherchais donc pas à faire une parodie; je ne voulais pas décrire seulement l’aspect médiocre de cette culture qui est un peu empruntée. Il me fallait essayer d’en révéler l’aspect profondément séduisant et la part d’authentique qui en émerge et qui nous séduit. Je me demande à vrai dire comment se déploie cette “gentrification” et où se trouve l’humanité dans cette culture de la vente de condos, où tout est lisse et peut sembler artificiel.»

Jouer dans le théâtre de sa propre vie Presque entièrement écrite à la deuxième personne du pluriel, dans une adresse frontale au public, Unité modèle place ses deux personnages dans un double jeu: ils sont les représentants chargés de faire bonne impression devant un public d’acheteurs potentiels, mais ils sont aussi, on le devine peu à peu, un couple qui s’est lui-même laissé modeler par les valeurs de bien-être prônées par leur compagnie. Leur apparente perfection va bien sûr craqueler un brin au fil de la présentation. «Il y a là, dit l’auteur, une recherche de perfection formelle qui est évidemment inatteignable. Ce sont des gens qui vivent dans un décor parfait de vie adulte, qui leur permet de se jouer eux-mêmes, de devenir des personnages dans leur propre vie, comme dans un théâtre dans lequel ils projettent leurs existences. C’est ce que je cherchais à toucher.» Pour l’actrice, le défi est grand. Elle n’hésite pas à affirmer que c’est «l’un des objets les plus difficiles» qu’elle a dû apprivoiser dans sa jeune carrière. «Comment opter pour une théâtralité très assumée (ce que le texte commande un peu) tout en demeurant crédible, tout en évoquant une réalité importante, avec une dose de réalisme? Au début, on est dans un rapport très frontal avec les gens, très simplement. Mais on ne peut pas rester longtemps au premier degré, parce que c’est réellement un pitch de vente et ça ne révélerait pas assez le sous-texte, plus critique et plus virulent, plus comique par moments, et également plus humainement complexe.» Mis en scène par Sylvain Bélanger, qui se mesure pour la première fois à l’écriture de Corbeil (après Claude Poissant et Sophie Cadieux), Unité modèle tirera profit de sa vision d’un théâtre qui parle directement au spectateur. La relation scène/salle le préoccupe particulièrement, depuis ses débuts avec la pièce Cette fille-là (2004) jusqu’à L’enclos de l’éléphant (2011) ou Comment s’occuper de bébé (2014). y La visite libre commence le 12 avril au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.



Elle est de Vancouver, ils sont de Montréal, mais c’est un type d’Australie qui a réanimé ce spectacle mis sur respirateur artificiel il y a 10 ans. Sans David Sefton du Adelaide Festival et l’entêtement de Dana Gingras, cette deuxième mouture n’aurait probablement jamais vu la lumière du jour. «La conversation, pour potentiellement remonter ce show, a démarré il y a cinq ans, quand le groupe s’est reformé et qu’il a recommencé à faire des tournées. Ç’a été un processus très long, pour concrétiser le projet, trouver les bons diffuseurs, tout ça. Toutes les pièces du puzzle devaient s’assembler pour rendre le tout possible.» C’est de notoriété publique: ne capture pas les membres de Godspeed You! Black Emperor qui veut. Mystérieux, parfois même intransigeants, les huit musiciens de la formation culte ne sont pas faciles à convaincre – à commencer pour les entrevues avec la presse. Or Dana Gingras et son collègue Noam Gagnon réussissent un tour de force en les entraînant dans leurs filets à une deuxième reprise. D’autant plus que, cette fois-ci, ce ne sera pas des bandes enregistrées: le groupe a composé quelques pièces généreusement percussives sur mesure pour le spectacle, en plus de profiter de l’occasion pour

La scénographie est aussi lourde de symboles avec ses 11 blocs blancs (un pour chaque interprète, deux en surplus) qui réfèrent aux cubicules étouffants des fonctionnaires ou à ces minuscules condos nichés au sommet des hautes et nouvelles tours vancouvéroises. «Ça devient presque insupportable [à regarder]! Premièrement, parce qu’ils sont isolés, il y a cette restriction imposée de rester sur leur boîte. Deuxièmement, ils ont un espace personnel très limité et il y a aussi un risque: ils peuvent réellement tomber en bas de leur bloc! Ils ont aussi la lumière qui les éblouit. Quand ils descendent des podiums, le spectateur n’en peut déjà plus.» Des thèmes qui évoquent évidemment 1984, le classique de George Orwell. «Il était tellement en avance sur son temps avec son livre. […] Tous nos mouvements peuvent être traqués, idem pour nos conversations. On vit assurément à une époque où on a l’illusion d’être libres, et sur plusieurs plans.» L’amie des musiciens Dana Gingras n’en est (vraiment) pas à ses premières armes comme chorégraphe – et il en va de même pour ses collaborations avec des poids lourds de

sortir des limbes dAnse contemporAine Athlétique et postrock tonitruAnt se conJuguent Avec MONUMENTAL, l’événement scène incontesté du printemps, une collAborAtion renouvelée entre dAnA gingrAs et godspeed you! blAck emperor. MOTS | CATHERINE GENEST

étrenner quelques compositions non encore endisquées. Une trame sonore qui s’agence à merveille avec la chorégraphie brute et militaire en phase avec la gestuelle physiquement exigeante que Dana raffine depuis plus de 20 ans. «J’ai toujours été intéressée par les limites du corps humain parce que, lorsqu’on les atteint, les craques et les ruptures qui émergent nous laissent voir la personne derrière le danseur. Les interprètes se cachent derrière un genre de masque, mais la danse, la corvée physique et l’intensité du travail que ça demande exposent les individus.» Comme en 1984 Monumental est une critique du monde du travail, de la culture postcapitaliste, de l’obsession des hommes pour le pouvoir et la richesse. Un état de psychose collective qui affecte Dana Gingras, l’effraie, la torture. «[La pièce] soulève la question suivante: combien faut-il en faire pour en faire assez? Cette idée de toujours vouloir plus, plus gros et mieux, ça commande nos vies. Le fait de constamment se pousser en avant, c’est une illusion. Où est-ce qu’on s’en va quand on avance comme ça, sans raison?»

PHOTOS | YANNICK GRANDMONT

l’indie rock. Il y a aussi eu Circa, sa pièce transposée en téléfilm par Bernar Hébert qu’elle avait créée avec son acolyte de toujours Noam Gagnon et en collégialité avec l’inclassable trio britannique The Tiger Lillies. Puis c’est elle qui, notamment, a fait danser la belle Régine Chassagne dans le vidéoclip de Sprawl II (Mountains Beyond Mountains), un extrait de The Suburbs et un petit film d’art en soi. Pour la suite, elle planche sur une nouvelle pièce d’envergure pour un grand groupe de danseurs. «Je veux, bien sûr, que ce soit une collaboration avec des musiciens. Mon choix ne s’est pas encore arrêté, mais c’est ce que je recherche en ce moment. Je travaille aussi sur un solo qui sera présenté avec deux musiciens sur scène. J’en suis aux premiers balbutiements. Le solo sera présenté en 2017 et la pièce de groupe en 2018.» y Les 11 et 12 avril au Théâtre Maisonneuve (une production de la Place des Arts)


l’Amour sous lA pluie metteur en scène frAnçAis de plus en plus hAbitué de lA scène d’espAce go, dAvid bobée crée à montréAl Avec mAchA limonchik, deAr criminAls et evelyne de lA chenelière un spectAcle d’Amour et d’orAge. MOTS | PHILIPPE COUTURE

Ça s’intitule Les lettres d’amour. Au pluriel. Parce que dans la même lettre rédigée par une femme en deuil d’amour se cachent d’autres lettres. Des ébauches cent fois remises sur le métier. Mais aussi les lettres d’Ariane à Thésée, de Phèdre à Hippolyte, de Pénélope à Ulysse. Les mots d’Evelyne de la Chenelière et ceux d’Ovide se croisent dans un même souffle, évoquant la même brûlure. «Dans un moment de douleur amoureuse d’une extrême intensité, explique le metteur en scène David Bobée, cette femme qui écrit ressent le besoin de faire appel à des figures plus grandes qu’elle, plus grandes que nature: de quoi faire écho à sa tragédie en recourant aux tragé-

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

dies ancestrales et aux grandes figures mythologiques que sont Didon, Ariane, Phèdre ou Pénélope.» Les Montréalais connaissent peu l’inclination de Bobée pour les textes classiques. Chez nous, il a présenté Cannibales, une pièce interdisciplinaire sur un couple s’immolant pour fuir un vide existentiel profond. On a vu aussi Warm, pièce circassienne érotisante, pour ne pas dire torride. Dans les deux cas, la langue fut frontale et hyper actuelle. Mais il a aussi monté Lucrèce Borgia, succès sur les scènes françaises en raison de la liberté avec laquelle il s’est approprié Victor Hugo et, aussi, il faut le dire,


>

en raison de son actrice vedette Béatrice Dalle, qui devait également briller dans ces Lettres d’amour mais s’est retirée pour cause de maladie. Il s’est également frotté à Shakespeare, sachant faire parler Hamlet au présent. Et c’est bien ce qu’Evelyne de la Chenelière et lui s’apprêtent à faire avec Ovide dans un dispositif scénique bifrontal où Macha Limonchik et l’acrobate Anthony Weiss joueront le couple brisé sous différentes lumières et projections, et surtout sous une pluie orageuse et des vents forts. «C’est une chambre à coucher dans laquelle il pleut», nous dit Bobée en nous faisant visiter le décor en construction. «Un endroit d’intimité profonde, soudain frappé par l’orage, pour symboliser le choc et la violence de l’abandon.» Cette violence, c’est aussi celle d’Ovide quand il fait parler Ariane ou Pénélope. Au cœur d’un monde mythologique qui donne à voir les hauts faits des guerriers et des dieux, Ovide s’intéresse à la parole des femmes. «C’est incroyable d’avoir accès aux lettres que ces femmes écrivent à leurs hommes partis au loin, héros mais aussi salauds. Quand Ariane est abandonnée par Thésée, c’est une femme

forte et en colère qui prend parole. En parallèle de cette parole antique se déploie celle, contemporaine, d’Evelyne. Ses textes sont d’une finesse incroyable. Il y a dans son écriture la notion d’absence, qui est très féconde. Le couple de notre pièce est une impossibilité parce qu’au fond, c’est une femme qui s’adresse à un corps absent, à une abstraction, à un homme aimé qui n’est pas vraiment là et qui prend différents visages. Elle lui fait jouer le rôle qu’elle veut, elle scénarise leur relation. L’amour, c’est aussi beaucoup faire de l’autre une création de notre esprit. L’acrobate Anthony Weiss va donc incarner sur ses sangles aériennes cet homme dans un jeu de métamorphoses. Il va vivre à travers les yeux et la pensée de cette femme.» Sur scène, le groupe électro-folk Dear Criminals accompagne les mots et le mouvement en textures mélancoliques et romantiques. Une aventure musicale et théâtrale hors-norme pour ce band chouchou de la scène montréalaise. y À l’Espace GO du 12 avril au 7 mai Une coproduction d’Espace GO et du Centre dramatique national de Haute-Normandie

<ogi`d\q gc\`e\d\ek mfki\ jkpc\ ;\gl`j gi j [\ ,' Xej% M\e\q m`mi\ cË\og i`\eZ\ IXpbf% .-/,# il\ :\ekiXc\# CXjXcc\ ,(+ *-+$**'( iXpbf%ZX



17 | musique

La précarité des barsspectacLes Lorsqu’un étabLissement comme L’inspecteur épingLe ferme ses portes, c’est une voix qui disparaît. L’écosystème de La scène musicaLe est chambouLé. Les artistes doivent se trouver de nouveLLes scènes. iL faut continuer de réfLéchir à La situation pour assurer La pérennité des bars-spectacLes montréaLais. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

«Y paraît que c’est la dernière soirée, qu’ils ont décidé de fermer», nous lance un homme à la casquette, dans la cinquantaine. Il est solitaire au bout de la table qu’on partage avec lui depuis quelques minutes, tout au fond du bar, alors que résonne le son des boules de billard et les rires. «C’est pour ça que j’ai décidé de venir prendre une dernière bière ici ce soir.» C’était le 12 mars dernier, soir où les lumières de l’Inspecteur Épingle se sont éteintes pour de bon après un vénérable 35 ans de service. Quatre mois plus tôt, c’était l’institution du boulevard Saint-Laurent Les Bobards qui mettait la clé à la porte. Heureusement, les propriétaires de l’établissement ont annoncé un nouvel endroit où ils poursuivront leurs activités: le Groove Nation sur la rue Rachel. Reste que depuis quelques années, les bars montréalais qui offrent des spectacles musicaux connaissent pas mal de hauts et de bas. Si deux gros joueurs ont cessé leurs activités récemment, «t’as pas le choix d’être triste et inquiet et en même temps pas trop alarmiste aussi parce que ça va bien. Y a des shows et du public», nous dit Lionel Furonnet, programmateur au Divan orange. Il y a donc de bonnes et de mauvaises nouvelles, dans cet écosystème assez fragile des bars-spectacles montréalais. Dernier hommage Antoine Gratton a rendu un dernier hommage à l’Inspecteur Épingle lors du spectacle de clôture du 12 mars. Le musicien s’est souvenu des nombreux

soirs où il jouait devant un public «jamais gagné d’avance», composé de «vieux de la vieille» pour qui l’Inspecteur Épingle était une seconde maison, mais aussi de plus jeunes venus s’amuser dans leur bar de quartier. Antoine Gratton déplore la disparition d’un lieu de rencontre et d’exploration pour les musiciens québécois. «C’est là où la vraie musique se passe. Elle est là la naissance de la musique, la genèse des belles rencontres. C’est là où j’ai fait mes dents et c’est là où tous les bons musiciens que je connais ont fait leurs dents. De graviter autour de ces endroits-là, ça me garde vivant et ça garde mes patins aiguisés.» Il souhaite que d’autres quartiers prennent la relève des scènes musicales parce que, selon lui, la tolérance au bruit sur le Plateau-MontRoyal semble s’être effritée. Gérant, programmateur et barman à l’Inspecteur Épingle depuis quelques années, Alexis Ricard Châtelain affirme qu’il y a plusieurs facteurs responsables de la disparition de l’établissement de la rue Saint-Hubert. Les amendes pour les plaintes de bruit sont devenues beaucoup plus salées à la suite de la signature d’un décret sur le Règlement sur le bruit de la Ville de Montréal en 2010. Comme c’est arrivé au Divan orange, un voisin du bar a porté plainte à répétition il y a un an et demi, mettant ainsi le bar en danger. L’Inspecteur Épingle a fait des ajustements à sa programmation pour éviter les problèmes (présenter du folk en semaine et

>


OBTENIR PLUS D’ARGENT POUR MULTIPLIER LES CONCERTS?

OUI C’EST POSSIBLE!


> terminer les spectacles plus tôt, par exemple), mais a dû se départir de plusieurs soirées populaires, ce qui a diminué l’achalandage. La crainte de dévaluation Alexis Ricard Châtelain a aussi une autre théorie, que partagent les gens du Divan orange et du Quai des brumes. «Le phénomène de “gentrification” apporte plusieurs changements, mais par la suite, la population vieillit, les gens accumulent du capital, ils achètent des duplex et ils ne veulent pas dévaluer leurs biens pour un citoyen corporatif qui fait du bruit dans le coin. Je pense que les endroits bruyants sont appelés à aller vers d’autres arrondissements ou à fermer.» Il ajoutera plus tard: «C’est une transformation de l’environnement. Et notre environnement nous fait savoir que notre action est plus ou moins bienvenue». Si quelques établissements sont un peu plus à l’abri des plaintes de bruit – comme le Balattou qui dit ne pas vraiment avoir eu des problèmes –, l’Inspecteur Épingle a sans doute été désavantagé d’avoir élu domicile dans un coin plus résidentiel et non sur une artère commerciale. Et si le Divan orange s’est battu pour une reconnaissance en tant que salle de spectacles, ce qui lui permet de souffler un peu, ce n’est peut-être pas une solution universelle, croit l’ancien gérant. «Les bars-spectacles ont une activité qui est tolérée parce qu’ils ne sont pas zonés comme des salles de spectacles. Le fait qu’elle soit tolérée, ça veut dire qu’un jour on peut arrêter de la tolérer», explique Alexis Ricard Châtelain. «Pour qu’une salle soit zonée salle de spectacles, il ne doit pas y avoir de mur mitoyen avec les voisins, comme le Métropolis. Le Divan orange a procédé de sorte à avoir une dérogation à ça et a la possibilité d’être tenu comme une salle de spectacles. C’est sûr que la reconnaissance en tant que salle de spectacles fait qu’ils ont une moins grande fragilité maintenant. Ça, c’est une solution. Maintenant, est-elle applicable partout? Plus ou moins dans notre cas, puisque c’est très résidentiel dans notre coin.» Un souhait de certification Il faut comprendre aussi que dans le cas du Divan orange, l’équipe a créé un organisme à but non lucratif il y a quelques mois (Microfaune, lieu de rencontre d’acteurs du milieu culturel) et a pu devenir locataire des bureaux directement au-dessus du bar. «Les deux entités sont venues se compléter là-dedans parce que l’une était

dépendante de l’autre. Si Microfaune n’avait pas été créée ici, le Divan n’aurait pas pu avoir son permis de spectacle.» Comme le disait Antoine Gratton, ces bars-spectacles sont en grande partie responsables du développement des artistes. Il faut préserver ces établissements pour assurer la pérennité de cet écosystème culturel. Lionel Furonnet souhaite que les lieux comme le Divan orange, le Quai des brumes ou le Balattou aient une labellisation, une certification officielle. «C’est quasiment du marketing, mais c’est un positionnement plus positif qu’une organisation pour défendre nos intérêts. Ça veut dire que tu parles plus de mission, de démarche dans cet écosystème-là, que d’un appel à l’aide. Ça peut être d’avoir la vocation de soutenir la relève musicale avec un certain pourcentage de shows, d’avoir un système de son adapté et une billetterie, par exemple. C’est une réflexion.» Assurément un dossier à suivre. Mais chose certaine, nous n’avons pas fini d’en parler, car il faut garder la scène musicale vivante! y


un pianiste cLassique s’associe à un LabeL canadien au fort penchant indie rock et un trio jazz signe avec L’étiquette de disques de yann perreau et Lisa LebLanc. assisterait-on à une nouveLLe ère où ces genres musicaux seraient décompLexés? anaLyse. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | ISIS ESSERY


21 | musique

i

l y a de ces genres musicaux qui peuvent être intimidants pour le mélomane moyen tellement leur histoire est riche. Par où commencer si on veut se frayer un chemin en musique classique ou en jazz, par exemple? Les jeunes auditeurs ont besoin de portes d’entrée. On écoute alors les grands: Bach, Louis Armstrong. Aujourd’hui, on remarque une tendance qui penche vers un autre type de portes d’entrée chez ces deux genres musicaux: de jeunes artistes qui se détachent légèrement des milieux typiquement jazz ou classique en sortant leur album sur des étiquettes plus établies, au catalogue varié. Cameron Reed, directeur marketing du label torontois Arts & Crafts, a mis sous contrat le pianiste québécois Jean-Michel Blais l’année dernière après l’avoir repéré sur la plateforme Bandcamp. Cette association permet d’aller chercher des oreilles aiguisées au classique, mais aussi des mélomanes avertis, friands de ce qu’offre normalement le label (Feist, Broken Social Scene, Timber Timbre). La pièce Nostos, premier extrait de l’album de solo piano Il de Jean-Michel Blais, s’est retrouvée récemment dans les palmarès d’Hypemachine et de Spotify. Le pari semble donc fonctionner. «Si tu sors un disque sur un label classique, y a de fortes chances que la majorité des gens que tu rejoindras soient des fans de musique classique, et c’est absolument pas notre approche, dit Cameron Reed. On veut vraiment trouver un public le plus large possible pour la musique de Jean-Michel.» Même son de cloche chez l’écurie montréalaise Bonsound, qui a sorti il y a quelques semaines l’album éponyme du trio jazz Misc. Le groupe a changé son nom récemment pour sortir des nomenclatures habituelles du genre musical. «Le Trio Jérôme Beaulieu avait une certaine notoriété. Là, on change le nom et l’image, donc on essaie de rejoindre les fans que le groupe avait déjà et d’aller en chercher des nouveaux aussi, avec une image un peu plus jeune et trendy, explique Alexandre Caron, responsable de la mise en marché des albums chez Bonsound. On essaie de les faire connaître à ceux qui suivent Bonsound mais aussi de plaire aux amateurs de jazz traditionnel.» Amener les fans de Lisa LeBlanc ou de Milk & Bone à prendre goût au jazz, c’est inspirant! Et cette ouverture de Bonsound est totalement réciproque pour Misc, qui a fait ses classes dans le monde du jazz ces dernières années et qui a deux autres albums à son actif. «C’est une occasion pour nous et pour notre génération d’établir un nouveau modèle d’affaires par rapport à la musique, de trouver de nouvelles façons pour que notre musique rejoigne les gens», explique le pianiste et compositeur Jérôme Beaulieu. «Le jazz est un style de musique qui a tendance à être

de niche. On nous dit souvent: “C’est malade! Je n’aime pas le jazz, mais ce que vous faites, j’aime ça”. Plus j’entends ça, plus ça conforte mon idée que c’est pas tant un problème que les gens aiment pas cette musique-là, mais un problème de diffusion, qu’il faut penser en dehors du cercle fermé de ceux qui aiment le jazz et qu’il faut oser l’amener ailleurs, dans d’autres milieux, et le présenter à des gens pour qui le jazz c’est Miles Davis et Frank Sinatra.» Une grand-mère et un hipster Si de bons labels et de bons artistes prennent ensemble le pari d’ouvrir les portes de la diffusion de ces musiques, c’est aussi peut-être signe qu’il y a aujourd’hui une curiosité qui s’est installée chez un public averti. «Depuis que tu vas à la Casa del Popolo et que t’entends les Variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould, y a comme une ouverture d’esprit chez le hipster moyen, qui sort un peu de son carcan, affirme Jean-Michel Blais. Pitchfork a commencé à intégrer plein de genres de musique, du world, de l’instrumental... J’ai l’impression que l’approche classique n’est plus réservée juste aux têtes grises. Moi, c’est un peu mon idéal aussi. Si dans une salle j’ai une grand-mère, mais que j’ai des enfants et deux hipsters dans le coin, j’ai l’impression que je fais à la limite un travail de restructuration de classes sociales.» Le compositeur montréalais espère aussi que les mondes «indie» et plus classique traditionnel se retrouveront en fin de compte. «Je pense que j’amène le classique à quelque chose de plus accessible. Peutêtre que les puristes diraient: “C’est vide, c’est de la merde”, et je peux comprendre… C’est sûr que ce que je fais n’est pas aussi riche qu’une pièce de Bach. Par contre, si ça amène les gens à s’intéresser plus au piano, que ces gens-là commencent à s’intéresser plus au classique et à Bach et qu’après ça ils achètent des albums classiques plus puristes, ben peut-être que ceux-ci seront contents. Si ça ouvre des portes, y a peut-être une fonction là.» Au final, espérons que cette tendance convaincra aussi les publics à prêter l’oreille. «Est-ce que c’est un bon move pour un band jazz de se séparer de la scène jazz? On verra», conclut Jérôme Beaulieu. Roulez jeunesse! y L’album éponyme de Misc est maintenant en vente L’album Il de Jean-Michel Blais sort le 8 avril


Dans l’immense œuvre de William Shakespeare, il y a ses 154 sonnets, des poèmes de 14 vers, publiés au début du 17e siècle. Rufus Wainwright, qui ne manque jamais une occasion de faire les choses en grand, célèbre le 400e anniversaire de la mort de l’écrivain avec un album sur lequel il met en musique neuf de ces sonnets. Mais Take All My Loves: 9 Shakespeare Sonnets est bien plus qu’un simple album hommage. Rufus Wainwright a déjà couché sur disque les sonnets 10, 20 et 43 sur son précédent disque All Days Are Nights: Songs for Lulu (2010) et en a adapté quelques autres pour la scène ces dernières années. Ce nouvel album représenterait-il un peu l’achèvement d’une thèse sur les sonnets du grand poète anglais? «Oh oui, tout à fait, admet le compositeur au bout du fil. Le premier sonnet que j’ai adapté en musique était le Sonnet 29, il y a de nombreuses années pour la Royal Academy of Dramatic Art de Londres. Ensuite, en 2009, j’ai fait la musique de Shakespeare’s Sonnets de Robert Wilson, un spectacle qui est encore aujourd’hui présenté sur scène. En 2012, il y a eu le spectacle avec l’Orchestre symphonique de la BBC autour de cinq sonnets, et ainsi de suite. Alors oui, c’est une énorme combinaison de plusieurs années de travail.» Les sonnets de Shakespeare évoquent l’amour, le désir et la passion, entre autres, toujours de façon très nuancée et avec une maîtrise des mots impeccable. Si le langage peut être difficile à comprendre pour les gens peu habitués à la poésie de l’auteur de Roméo et Juliette, Rufus Wainwright tend la main à l’auditeur sur son disque en présentant les poèmes en deux temps: d’abord les sonnets sont lus par des acteurs britanniques ou encore

shakespeare par WainWright rufus WainWright poursuit son travaiL d’adaptation des sonnets de shakespeare, par amour pour sa maîtrise des nuances des sentiments humains. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | MATTHEW WELCH / DEUTSCHE GRAMMOPHON


>

des invités comme William Shatner et Carrie Fisher, ensuite on entend le sonnet une deuxième fois, cette fois-ci mis en musique. Le musicien québécois estime que cette répétition est cruciale, un préliminaire nécessaire à la compréhension. «Les sonnets ont été écrits comme des poèmes, alors on doit avoir la lecture du texte sinon on n’honore pas respectueusement Shakespeare, explique le chanteur. Aussi, plus on entend les sonnets, mieux c’est puisque les mots s’approfondissent à chaque lecture. Même aujourd’hui, après avoir lu ces sonnets des centaines de fois, je suis encore abasourdi par le mystère de leur construction.» Pour livrer à bon port ses adaptations de sonnets, Rufus Wainwright a renoué avec Marius de Vries, le compositeur et réalisateur anglais responsable de ses albums phares Want One (2003) et Want Two (2004). Ils produisent ici un arc-en-ciel psychédélique de chansons, comme le dit si bien Rufus, naviguant dans des styles différents, du très classique avec la jeune star d’opéra Anna

Prohaska en passant par un son plus cabaret ou encore par la pop. En milieu de disque, les deux compositeurs brassent la cage avec Unperfect Actor, une pièce très rock. «Cette chanson est devenue la pièce maîtresse de notre relation professionnelle pour cet album, avoue Rufus. Tout comme Go or Go Ahead de Want One ou Memphis Skyline de Want Two, Marius voulait créer une pièce épique qui serait l’ancre du projet.» Seul Rufus Wainwright peut nous donner du vent dans l’toupet en chantant Shakespeare. y

rufus WainWright TAKE ALL MY LOVES: 9 SHAKESPEARE SONNETS (Deutsche Grammophon/Universal Music)

Sortie le 22 avril


à écouter ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

(Secret City Records)

pj harvey THE HOPE SIX DEMOLITION PROJECT

★★★★

(Island/Universal)

suuns HOLD/STILL

fred fortin ULTRAMARR (Grosse boîte) ★★★★ De retour avec un cinquième album, Fred Fortin s’acoquine de nouveau avec Olivier Langevin et Pierre Girard, mais travaille aussi de concert avec les frères Andrew et Brad Barr, François Lafontaine, Sam Joly et Joe Grass. Leur apport est notable, puisque Fortin plonge ici dans un univers folk rock riche et extraverti. Il y allie sa personnalité de conteur portraitiste à la Tom Waits, empreinte de blues et de scotch (Molly, Ultramarr), à un folk exacerbé (Oiseau, Douille) et progressif, mais sans quitter ses textes de gars au bout du rouleau (Tête perdue, Grippe) et son style distinct où sa voix suit les inflexions de sa guitare (Tapis noir, L’amour ô Canada). Avec Fred, la lumière se trouve toujours dans un coin du tableau gris: renouer avec Fortin, c’est repérer le rayon de soleil dans le champ glacé et le sourire au bout du comptoir. (J. Ledoux)

Le quatuor montréalais a enregistré ce troisième opus à Dallas (Texas) avec le producteur John Congleton (qui a travaillé, entre autres, avec St Vincent, The War on Drugs, Swans ou Clinic) et le résultat est très réussi. Tous les aspects de la musique du groupe sont une coche au-dessus. Entre le son hyper saturé des guitares de Fall, la rythmique krautrock de Translate, qui retombe constamment sur ses pattes, et le minimalisme assumé de Careful, on rebrasse les mêmes couleurs, mais dans une clarté nouvelle qui rehausse le travail de chacun. Sans avoir rien perdu de sa nonchalance blasée, la voix de Ben Shemie est plus compréhensible que jamais, et les détails sonores qui l’enveloppent sont découpés avec une précision hallucinante. (R. Beaucage)

Lakou mizik WA DI YO

HHH 1/2

Polly Jean Harvey fait partie de ces intouchables, ceux qui auront toujours la cote, peu importe la qualité du matériel. Car, soyons honnêtes, si les albums de l’intrigante du Dorset se suivent et ne se ressemblent pas, ils ne sont pas tous dignes d’intérêt. Ce onzième effort mérite toutefois qu’on s’y attarde, non seulement pour l’originalité de sa conception (le public pouvait assister à certaines séances) et de sa genèse (quatre années passées entre le Kosovo, l’Afghanistan et Washington D.C.), mais aussi pour la diversité de ses 11 chansons. Enregistré sous la houlette de ses vieux complices Flood et John Parish, The Hope Six Demolition Project ramène PJ Harvey à quelque chose de similaire à To Bring You My Love – en plus acoustique – et certains de ses projets plus audacieux, sans toutefois (trop) sombrer dans l’expérimental. Un disque dont le plaisir croît avec l’usage. (P. Baillargeon)

(Cumbancha) HHH 1/2

On n’aime pas ça lorsqu’une chronique de disque se limite à ce qu’on appelle vulgairement dans le jargon du name dropping. Mais comment parler de cet irrésistible collectif haïtien post-tremblement de terre sans faire référence à Boukman Eksperyans, Sanbayo et à leurs dérivés comme Boukan Ginen, Lataye ou même à l’avatar québécois Noula (1990) avec Eval Manigat et Roro d’Haïti? Enregistré dans la belle ville de Jacmel, mixé à Montréal avec quelques guitares rajoutées par le réalisateur Chris Velan, Wa Di Yo clame à qui veut l’entendre: «Tu leur diras qu’on tient le coup. On est toujours là». Avec des cornets de fabrication artisanale, des tambours locaux et un peu d’accordéon, cette première œuvre authentique à souhait préserve l’âme d’un peuple qui résiste, dans son dépouillement, à la fois aux coups du sort et aux tractations machiavéliques qui sont faites sur son dos. Positif et craquant. (R. Boncy)

yann perreau LE FANTASTIQUE DES ASTRES (Bonsound) HHH

Tel un Petit Prince, Yann Perreau nous fait la visite de sa planète, un univers qui surprend d’emblée par quelques titres très dance – dont le premier simple J’aime les oiseaux – et qui semble être surtout inspiré par le bon vent de pays hispanophones. Il aiguise un propos sur quelques titres, celui qu’il vaut mieux vivre sa vie à fond, de voler au-dessus des bandits à cravate, des «trolls qui chient leur venin» et des nids de poule. Dans un autre registre, il se fait aussi touchant et reconnaissant envers sa mère (À l’amour et à la mer) et sa blonde (T’embellis ma vie). Ses élans théâtraux donnent à quelques occasions à l’œuvre des airs de comédie musicale, mais la formule sur scène devrait être divertissante. (V. Thérien)


25 | disques

moonsorroW JUMALTEN AIKA

Laura sauvage EXTRAORDINORMAL

(Century Media Records)

(Simone Records)

★★★★

HHH 1/2

Le groupe a pris plus de temps que prévu avant de lancer son septième album, mais notre patience est largement récompensée. Comme décrit par le guitaristechanteur Henri Sorvali, les influences folk prennent plus de place sur Jumalten Aika, ce qui ne veut pas dire que Moonsorrow délaisse sa personnalité pagan black métal. Cette dernière sert de tremplin aux mélodies folkloriques dansantes (même si on reste assez loin de l’univers de Finntroll dans lequel Sorvali est claviériste) qui donnent du souffle aux chansons de plus de 12 minutes (sauf Suden Tunti qui dure 7:06). Un mélange d’influences qui convient très bien au son du groupe finlandais. À noter que l’édition limitée du disque comprend des reprises de Grave et Rotting Christ. (C. Fortier)

Six mois après le EP Americana Submarine, Vivianne Roy (que l’on a connue au sein du trio néo-brunswickois Les Hay Babies) sort un premier album complet en anglais sous son nom de plume Laura Sauvage. Réalisé par Dany Placard, le disque est un sympathique mélange de rock vaporeux et planant, de grunge et de classic rock, entre The Breeders, Tom Petty et Courtney Barnett. Il y a de bons moments accrocheurs et d’autres plus légers dans cet univers assez éclaté où les péripéties et les anecdotes se font nombreuses. Il y a un certain détachement dans l’interprétation qui se marie plutôt bien à la musique, mais qui manque de cran et n’est pas assez mis de l’avant sur quelques pièces en début de disque. Toutefois, lorsque Laura Sauvage montre ses dents, c’est un délice. (V. Thérien)

quartetski does bartók MIKROKOSMOS

rednext LeveL ARGENT LÉGAL

(Ambiances Magnétiques / Dame)

(Coyote)

HHHH

C’est un filon extraordinaire que les membres de Quartetski ont choisi d’exploiter en revisitant avec une grande liberté des chefs-d’œuvre du répertoire «classique» (Satie, Stravinsky, Prokofiev, Cage, etc.). Les Mikrokosmos de Béla Bartók, c’est 153 petites pièces didactiques pour piano, réparties dans six livres selon un ordre de difficulté croissant. Celui qui s’y colle n’apprend pas seulement à jouer du piano, mais surtout ce qu’est la musique, tous les «trucs» de compositeur étant aussi au programme. Ce n’est pas la première fois que le recueil fait l’objet d’arrangements, mais les Quartetski réunis autour du bassiste Pierre-Yves Martel offrent aux 23 extraits choisis un traitement très créatif à travers des interprétations qui leur donne une nouvelle vie. Superbe. (R. Beaucage)

HHH 1/2

Sur une scène hip-hop québécoise compétitive qui se prend de plus en plus au sérieux, ce premier album du trio montréalais Rednext Level détonne avec éclat, ne serait-ce que pour les productions house contagieuses de Tork, qui arpentent avec un kitsch assumé le cloud rap (40K), le neo-funk (Faible pour toi) et le dancehall tropical (Partir). Avec leurs flows théâtraux, Ogden et Maybe Watson (d’Alaclair Ensemble) y livrent des textes divertissants, qui restent complexes dans leurs structures, même dans leurs moments les plus absurdes. À la fois loufoques et baveux, les deux rappeurs se mettent dans la peau de personnages issus de la classe moyenne, satirisant ainsi un mouvement hip-hop qui, dans sa tendance à dénoncer la pauvreté ou à glorifier la richesse, n’a que rarement mis en lumière les réalités de cette strate sociale. (O. Boisvert-Magnen)

Lorraine desmarais big band DANSES, DANZAS, DANCES (Scherzo) ★★★★ Jamais notre Lorraine n’avait parue si rayonnante! En tout cas, on ne pourra pas accuser la virtuose pianiste québécoise de faire ici de la publicité mensongère. Ni sur les danses qu’elle annonce: boléro, tango, milonga, walzer, reel, samba, reggae (même si toutes ne se dansent pas), ni sur l’appellation contrôlée de son big band tout étoile. Un répertoire multicolore avec 13 cuivres rutilants qui surfent comme une déferlante sur le trio DesmaraisBélisle-Alarie. C’est enjoué, ensoleillé, un brin romantique par moment, mais parfois aussi ça frise le délire, tant l’ensemble joue de manière exubérante et vertigineuse avec des touches d’humour cabotin comme ce scat «à la Dizzy» du tromboniste Muhammad Abdul Al-Khabyyr dans Ultra Triple Swing, la spectaculaire pièce d’ouverture. (R. Boncy)


26 | musique

monique giroux SUR MESURE

j’ai souvenir encore Il vous est certainement arrivé de passer devant une boulangerie ou un magasin de bonbons, de vous arrêter sec, touché au cœur par un effluve, et de voir instantanément surgir une rétroprojection en 3D d’un souvenir d’enfance. Comme si vous y étiez. Avez-vous déjà ressenti la même sensation étrange en entendant une chanson? Je n’écris pas «écouter» mais sciemment «entendre», parce que l’effet est plus surprenant encore lorsqu’on attrape au hasard d’une oreille distraite une chanson qu’on ne croyait pas connaître mais qu’on chante pourtant d’un bout à l’autre, sans en omettre un souffle. C’est troublant. Particulièrement quand vous tombez sur un air qui n’a jamais tourné sur les ondes de la seule radio que vous écoutez fidèlement. Comment se fait-il que je connaisse aussi bien chacun des mots de cette bluette de comédie musicale ou de cette chanson d’amour à trois sous, moi qui n’écoute que Ferré chante Verlaine et Rimbaud... (ce qui est évidemment faux, tout le monde sait que j’adore Dalida)? Par quelle porte entrouverte de mon cerveau les chansons, même celles dont je ne veux pas, se sont-elles infiltrées? Vous me direz que la musique est partout, tout le temps. En effet, mais moi pas. Je ne reste jamais assez longtemps dans une boutique pour capter une chanson de centre commercial. Et puis mon questionnement ne s’arrête pas là. Où diable ai-je bien pu ranger ces milliers de chansons aimées, entendues, écoutées, connues et reconnues pendant ces 50 dernières années? Dans quel iCloud personnel? Un nuage plane-t-il en permanence audessus de ma tête, emmagasinant chaque détail des chansons? Les notes de flûte traversière d’Histoires sans paroles d’Harmonium, la caisse claire de la chanson Le cœur de mon pays, seul succès des Scarabées, l’envolée de trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud, la guitare de Richard Desjardins quand, dans Les Yankees, le véreux demande à l’Indien: «Tell me my friend qui est le chef ici et qu’il se lève… et le soleil se leva»…

Cette question d’entreposage du cerveau m’interpelle tous les mois quand Apple me prévient que le paiement de mon stockage iCloud a été prélevé sur ma carte de crédit. Et la mienne, ma mémoire, mon stockage à moi, dans quel espace ça tient? Tout cela est-il rangé dans le même walk-in d’émotions que mes larmes devant Bambi à 4 ans, mon premier baiser au goût de Player’s light et de patchouli à 13 ans, le bruit de la sirène de l’ambulance qui me conduisait à l’hôpital après mon seul accident de voiture à 19? Je soupçonne les chansons d’être autonomes en matière de stockage. Dans votre mémoire, elles se frayent un chemin creux qu’elles seules empruntent. Une sorte de terrier du lapin dans Alice aux pays des merveilles qui conduit les chansons de notre vie dans un réservoir, un bunker antiatomique à l’abri de l’oubli. Tapies en silence, elles attendent patiemment, entassées les unes sur les autres, sans distinction de qualité ou d’ancienneté, qu’une occasion se présente pour ressurgir à la vitesse de l’éclair entre vos lèvres et, ainsi, revivre au son de votre voix. Il y a quelque temps, on a aperçu sur les réseaux sociaux la vidéo d’une petite fille de trois ans en pyjama à pattes, chantant Hello d’Adele debout sur un canapé en grattant une guitare dessinée sur un carton. Un poème. Concentrée comme une Adele sur la scène des Grammy, elle y met toutes ses tripes. De toute évidence, elle ne sait pas lire le texte. Elle connaît la chanson. En comprend-elle le sens? Possible. Son nuage à elle, encore si petit, ne demande qu’à être rempli. Il enregistre déjà. À quelques jours près, Lara Fabian présentait le nouveau clip de sa chanson L’oubli. On y voit se succéder des membres de sa famille en gros plan réagissant en silence mais en émotion aux paroles de la chanson dédiée à sa mère qui souffre d’une «maladie de la mémoire».

>


Le lendemain, on partageait les images d’Henry, malade d’Alzheimer, immobile, muet, végétatif. On lui fait entendre de la musique et voilà qu’instantanément Henry s’anime. Il danse sur sa chaise et il émet des sons, ouvre les yeux, sourit. Non seulement s’anime-t-il, mais il en vient à exprimer très clairement son affection pour Cab Calloway et chante quelques extraits de chanson. La métamorphose est complète et très émouvante. Dans les années 1990, alors que je diffusais à la radio quelques chansons des années 1940-50, je recevais un courrier abondant d’auditeurs qui disait essentiellement ceci: Ma mère souffre d’Alzheimer, elle ne nous reconnaît plus, ne communique plus, ne réagit plus. De temps en temps, elle s’éveille et chante très clairement deux phrases d’une chanson que je ne connais pas, toujours la même chanson. Pourriezvous m’aider à en retrouver le titre? Je pourrais lui faire entendre, ça nous rapprocherait peut-être et ça pourrait la ramener au monde. J’avais fait de cet exercice une rubrique hebdomadaire. Comme je ne reconnaissais évidemment pas toutes ces chansons moi-même, je faisais appel aux auditeurs. On a retrouvé quantité de chansons par ce moyen. On faisait œuvre utile et gratuite. Dans un article publié dans La Presse en février dernier et intitulé Des chansons pour combattre l’Alzheimer, le jour-

naliste Alexandre Vigneault cite la méthode Music & Memory utilisée dans des établissements de santé américains. Les résultats sont aussi positifs qu’émouvants. L’effet de la musique sur le cerveau, la mémoire et les émotions est fascinant, et les recherches sur le sujet sont nombreuses. Il existe même un laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son, le BRAMS, basé à Montréal et affilié aux universités McGill et de Montréal. Le laboratoire, ses nombreux collaborateurs, professeurs, chercheurs et étudiants tentent de répondre entre autres à la question suivante: pourquoi le cerveau est-il musical? Parce que oui, le cerveau humain est musical. La question est de savoir pourquoi et comment il l’est. Bien que je sois très intriguée par le sujet et curieuse de connaître les réponses, j’espère tout de même cultiver un peu de magie autour du mystère et continuer de m’émouvoir devant Henry, Hilda et tous ceux qui semblent planer entre ciel et terre et qui, grâce à quelques notes d’une chanson aimée et entendue il y a des décennies, ressurgissent du néant. D’ici à ce que la source de l’oubli soit identifiée, il nous reste à chanter. Ma suggestion de chanson: Nos délicats de Catherine Major, sur l’album La maison du monde y

POUR UN TEMPS LIMITÉ

3 7,95$ pour

NOUVEAUX CROISSANTS ENROBÉS • • • •

choco-noisettes framboises-pistaches miel et sésame fromage

PREMIEREMOISSON.COM

VALEUR : 9,75$



29 | SOCIÉTÉ

NETFLIX, LE GÉANT À AMADOUER NETFLIX, L’INCONTOURNABLE PLATEFORME VIDÉO, A DEPUIS LONGTEMPS ÉTALÉ SES TENTACULES AU QUÉBEC, OÙ SON NOMBRE D’ABONNÉS EST GRANDISSANT. MAIS L’ENTREPRISE CALIFORNIENNE OFFRE PEU DE CONTENU LOCAL ET REFUSE DE JOUER SELON LES RÈGLES DE DIFFUSION EN VIGUEUR CHEZ NOUS. FAUT-IL OU NON FAIRE AFFAIRE AVEC LE GÉANT? DISCUSSION AVEC DES DISTRIBUTEURS QUÉBÉCOIS QUI SONT BIEN AMBIVALENTS. MOTS | PHILIPPE COUTURE

Impossible de connaître le nombre exact d’abonnés à Netflix au Québec, puisque l’entreprise refuse de révéler ses chiffres et que les statistiques de l’Observatoire de la culture ne nous apprennent rien à ce sujet. Mais personne ne doute de sa progression rapide chez nous, où la plateforme séduit d’emblée un public jeune et branché. Mais à part pour y regarder en boucle les vieux épisodes de Friends (un plaisir même pas coupable) ou pour visionner des films hollywoodiens tonitruants, le cinéphile québécois se heurte à un mur: le contenu québécois et canadien s’y fait rare. Ironie du sort, à cause de la force de certains distributeurs étrangers qui possèdent les droits de films québécois, quelques-uns de nos grands films sont disponibles sur Netflix aux États-Unis ou en Angleterre alors qu’on ne les trouve pas sur Netflix Québec. C’est le cas de Mommy, de Xavier Dolan, pour ne nommer qu’un exemple célèbre. À première vue, le géant ne semble pas particulièrement intéressé à notre trop petit marché et ne fait affaire qu’avec les grands. Des ententes avec des diffuseurs locaux de télévision ou de télévision payante ont aussi souvent préséance: les distributeurs de chez nous ne se précipitent pas toujours vers l’entreprise américaine en premier lieu.

>


30 | SOCIÉTÉ

Certes, on a pu y voir, pendant quelques courtes semaines, le film Diego Star, de Frédérick Pelletier, ou Autrui, de Micheline Lanctôt (tous deux distribués par Métropole Films). Laurence Anyways, de l’enfant chouchou Xavier Dolan, y a figuré au catalogue. Un partenariat avec Radio-Canada avait momentanément permis d’y retrouver quelques séries d’ici, comme Les Parent, La galère et Les invincibles. Mais ça n’a pas duré très longtemps. Dans un contexte de diffusion difficile dans nos salles, alors que nos films peinent à tenir l’affiche plus de trois semaines et pénètrent difficilement le marché des régions, la diffusion sur des plateformes comme Netflix ou Shomi (le nouveau service de Rogers) ou sur des sites de vidéo sur demande (VSD) est une manière de prolonger la vie des longs métrages d’ici et pourrait les aider à traverser nos

aucune présence physique au Canada. Mais pour combien de temps pourra-t-on ignorer le colosse, quand les consommateurs, eux, continuent de s’y abonner à peu de frais? Traiter avec Netflix, rêve ou réalité? Est-il même envisageable, pour un distributeur québécois de taille plus modeste que la plupart de ses homologues américains ou français, de tenter de faire affaire avec Netflix? Il y a plusieurs réponses à cette question. Les plus radicaux, comme Louis Dussault, à la tête de K-Films Amérique, refusent tout simplement de traiter avec le diable. «Nous ne collaborons pas avec Netflix, pas plus que j’appelle Uber X pour prendre un taxi. Netflix, en ne payant ni taxes ni

NETFLIX EST UN PIRATE INTERNATIONAL, ON NE LE DIRA PAS ASSEZ. ET DE L’ENCOURAGER, C’EST CONTRIBUER À DÉTRUIRE NOTRE INDUSTRIE CULTURELLE.» LOUIS DUSSAULT

frontières. On trouve d’ailleurs du contenu québécois en VSD sur plusieurs plateformes (VHX, Illico, ICI tou.tv, ONF et j’en passe). iTunes est un autre joueur, avec lequel de nombreux distributeurs d’ici ont des ententes. Mais peut-on vraiment se passer de Netflix, qui demeure la plateforme la plus populaire et le joueur le plus important? À ce sujet, les avis divergent. Depuis que le CRTC a essuyé de nombreux refus de Netflix dans ses tentatives de réglementer la plateforme et de la soumettre à une obligation de contribuer au Fonds des médias du Canada (FMC), nombreux sont les distributeurs québécois qui ont jeté l’éponge ou qui préfèrent se tourner vers d’autres initiatives. L’entreprise américaine prétend qu’elle n’est pas soumise à la juridiction du CRTC puisqu’elle n’a

impôts, est un prédateur de notre marché, sans aucune obligation du CRTC: pas de cahier de charges, comme ses compétiteurs doivent en avoir pour obtenir une licence d’exploitation. Je pense à Illico, Bell.net, Telus ou encore Super Écran, qui sont obligés d’avoir du contenu québécois, et qui achètent systématiquement nos films. Netflix est un pirate international, on ne le dira pas assez. Et de l’encourager, c’est contribuer à détruire notre industrie culturelle.» Ça a le mérite d’être clair. Netflix, d’ailleurs, puisqu’il s’agit d’un service d’abonnement au même titre que les chaînes câblées, est à considérer comme une télévision payante. Son offre se construit par ententes de diffusion aux clauses variées et à la longévité très variable: ce n’est pas un service


AUTRUI

de catalogue de films comme iTunes, où les films sont achetés et conservés pour de très longues périodes. Ainsi, les distributeurs d’ici vont souvent préférer offrir l’exclusivité de ce type de diffusion à Super Écran, qui est implanté ici depuis plus longtemps et qui respecte toute la réglementation en plus de s’impliquer dans la production de notre cinéma dès les premières étapes de préproduction. «Tous nos films, explique Francis Ouellette de FunFilm Distribution, obéissent à un parcours par étape, d’abord une exploitation en salle puis à la télévision, et je pense qu’il est important de préserver cet espace de diffusion dans lequel notre cinéma est mieux mis en valeur. Une plateforme comme Netflix est considérée en second lieu.» Même son de cloche chez Olivier St-Pierre, responsable ventes et vidéo chez Métropole films, qui n’hésite pas à vendre des films à Netflix (via un partenariat avec Mongrel Media) mais qui favorisera toujours d’abord, pour son contenu québécois, les télévisions payantes ou la VSD. C’est le catalogue de films français de Métropole qui se fraie davantage un chemin sur Netflix. «Mais soyons clairs, poursuit St-Pierre, la diffusion du cinéma est en grand bouleversement actuellement et tout le

monde cherche la manière de tirer son épingle du jeu sans connaître la solution miracle. Exclure complètement la collaboration avec Netflix, ce serait trop obstiné et certainement pas une bonne idée sur le plan commercial. Il faut rejoindre le public par tous les moyens possibles.» Néanmoins, la réalité est que bon nombre de distributeurs québécois ne sont pas de taille – Netflix est un gros joueur et, comme tous les gros joueurs, négocie avec des entreprises de sa taille. «Il faut être capable de fournir un certain volume pour faire une entente avec Netflix et il est évident que de nombreux distributeurs québécois ne peuvent fournir ce volume», précise Olivier St-Pierre. Métropole s’est tissé un chemin via son partenaire torontois, Mongrel Media. C’est souvent par ce type d’associations que la chose devient possible. Eye Steel Films, par exemple, a déjà procédé en collaboration avec un partenaire américain. «Mais il est clair que Netflix n’a pas besoin du public francophone d’Amérique du Nord, dit Damien Detcheberry. Il vaut mieux dans ce contexte miser sur la VSD sur différentes plateformes, à prix plus raisonnable d’ailleurs, et en gardant davantage le contrôle sur notre produit.»

>


> D’ailleurs, un distributeur québécois peut-il vraiment faire une bonne affaire en vendant un film à Netflix? Peut-il vraiment récolter son dû? «Je ne peux pas vous révéler les chiffres, répond Olivier St-Pierre, mais chez Métropole, on y trouve assez d’intérêt financier pour juger que ça vaut le coût. Netflix ne respecte pas la fiscalité québécoise et on peut le déplorer, mais évidemment, pour demeurer un partenaire d’affaires crédible, l’entreprise respecte les distributeurs et les droits de manière raisonnable.» On n’en saura pas beaucoup plus. Netflix, et après? Netflix ou pas, la nécessité d’une discussion collective au sujet de l’accessibilité en ligne de nos films semble s’imposer. Faut-il des fonds publics pour aider les petits distributeurs à développer des partenariats avec de gros joueurs? Faut-il inventer de nouvelles plateformes de VSD ou de diffusion par abonnement? Faut-il créer un organisme de concertation pour que tous les joueurs soient au même diapason et, surtout, que le public soit mieux guidé dans sa fréquentation des différentes plateformes? «Netflix a une immense avance sur les autres, dit la présidente de la SODEC Monique Simard, à cause de son pouvoir de diffusion, mais aussi à cause de ses algorithmes puissants qui lui permettent de mousser des contenus que les consommateurs veulent. Ils connaissent les goûts des Québécois, dans toutes les niches de cinéma, mieux que toutes nos entreprises locales ou nos institutions. Mais il est important de ne pas penser que Netflix est seul au monde et, à la SODEC, ce qui m’importe est que notre cinéma soit accessible facilement, peu importe la plateforme utilisée. Si les distributeurs se regroupent et arrivent à s’entendre sur leurs besoins communs en matière de VSD, on peut les aider à dégager une vision, des principes de base, qui nous permettront de les soutenir dans leurs initiatives.» Plusieurs distributeurs rêvent de cette concertation. «Il y a de la VSD partout, même sur le site de Cineplex, dit Francis Ouellette, mais je pense qu’on aurait intérêt à essayer de se regrouper pour trouver une formule permettant de centraliser un peu tout ça. Pour le consommateur, ce morcellement n’est pas idéal. Je pense aussi qu’il faut qu’un organisme joue le rôle de médiateur entre les distributeurs et

LAURENCE ANYWAYS

certaines plateformes comme iTunes, qui n’est pas fermé aux productions locales, mais avec qui les négociations sont parfois compliquées parce qu’il n’y a pas, comme d’ailleurs chez Netflix, d’interlocuteur à l’échelle locale. Il faut pouvoir créer un dialogue à long terme.» «Les distributeurs sont bien sûr en concurrence les uns avec les autres, dit Monique Simard, mais cela ne devrait pas exclure un peu de collaboration, dans un monde changeant où les choses bougent extrêmement vite et déroutent un peu tout le monde. Il faut favoriser la coopétition, comme le disent les jeunes entrepreneurs du web et des milieux technologiques, qui ont compris depuis longtemps qu’une concurrence complète, sans collaboration, n’allait rendre service à personne.» Et la création d’une nouvelle plateforme de VSD, financée par des fonds publics et dédiée à la diffusion de notre cinéma national, serait-elle une


33 | SOCIÉTÉ

«IL FAUT SANS DOUTE RÉFLÉCHIR ENSEMBLE À LA PROMO DAVANTAGE QU’À UNE NOUVELLE PLATEFORME DE VSD.» OLIVIER ST-PIERRE

bonne idée? «Non, tranche Damien Detcheberry. Le consommateur cherche des plateformes où le contenu québécois côtoie le contenu international, parce que cela reflète ses goûts. La ghettoïsation de notre cinéma sur un portail national serait un échec, à mon avis.» «On pourrait trouver un moyen commun de promouvoir les films déjà en ligne sur différentes plateformes, pense Olivier St-Pierre. Car notre problème actuel est de rejoindre les gens. Il faut sans doute réfléchir ensemble à la promo davantage qu’à une nouvelle plateforme de VSD.»

Pour Monique Simard, il faut aussi, avant toute chose, penser plus largement et, notamment, agir à l’échelle des fournisseurs de connexion Internet, par qui transite aujourd’hui toute la consommation culturelle dématérialisée. «Dans quelques semaines, ajoute-t-elle, vont débuter de grandes consultations publiques sur la politique culturelle. C’est un moment important. Tout le monde doit se servir de ce processus pour aller dire ce qu’il a à dire. Le numérique n’existait pas il y a 25 ans quand l’ancienne politique culturelle a mené à la création d’outils communs de développement comme la SODEC. Ça passe par là.» y

PHOTO | TWINDESIGN, DREAMSTIME.COM


34 | SOCIÉTÉ

LE CRTC? CONNAIS PAS MOTS | JEAN-PHILIPPE CIPRIANI

Quand la porte-parole de Netflix a refusé de fournir le nombre de ses abonnés au Canada devant le CRTC, en septembre 2014, le président de l’organisme, Jean-Pierre Blais, s’est énervé. «Vous suggérez que nous ne traitons pas l’information de façon confidentielle, je trouve cela plutôt offensant», a-t-il lancé, avant de suspendre l’audience et de quitter la salle. Il a menacé de prendre une décision sans tenir compte de leur avis. En vain. Vingt mois après cette réaction théâtrale, qu’est-ce qui a changé? «Rien n’a changé», répond du tac au tac Michael Geist, de la Chaire de recherche en droit d’Internet et du commerce électronique de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. «Ni les règles ni les lois.» En ligne depuis six ans au Canada, Netflix demeure discrète sur le nombre de ses abonnés au Canada, de même que sur le contenu canadien sur sa plateforme, ses investissements en production canadienne et ses revenus publicitaires. L’entreprise invoque des raisons de concurrence. Dans les faits, Netflix fonctionne toujours comme une exception aux règles du CRTC: contrairement aux câblodistributeurs traditionnels, elle n’impose pas à ses clients les taxes provinciales et fédérales sur ses services, et ne verse pas une partie de ses revenus dans le Fonds des médias du Canada, qui accorde des subventions aux productions locales. Netflix n’a également aucune obligation de respecter les quotas de production de contenu canadien. «C’est deux poids, deux mesures, juge Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal. Vous avez des entreprises qui sont réglementées, et qui

ont des obligations. Et vous avez des entreprises comme Netflix qui proposent la même chose, mais qui sont exemptées de toutes ces exigences.» Bref, c’est Uber, version télé. À la différence que Netflix semble agir en parfaite légalité. Et c’est en partie la faute du CRTC, selon M. Trudel. «En 1999, le CRTC a décidé de ne pas réglementer le contenu sur Internet, comme si ça n’existait pas. Il s’est privé de toute possibilité d’influencer la manière dont le marché allait évoluer. Et pendant des années, il a dit sans rire qu’il y avait lieu d’exempter toute entreprise qui opère sur Internet parce que ça n’a pas d’impact sur le système de radiodiffusion. Faut le faire!» Le résultat, ajoute-t-il, c’est que la réglementation que doivent respecter et appliquer les câblodistributeurs traditionnels perd toute sa légitimité. «À quoi sert-il de leur imposer des règles, alors?» Difficile de remettre le dentifrice dans le tube. La «taxe Netflix» Plusieurs intervenants, dont Radio-Canada, Bell et Rogers, ont suggéré d’imposer une redevance à Netflix et Google afin de soutenir la production de contenu canadien. Une idée que le gouvernement conservateur avait rejetée en la qualifiant de «taxe Netflix». Pendant la campagne électorale, les libéraux s’étaient eux aussi engagés à ne pas imposer ce genre de redevance. Il faut dire que plusieurs doutent de la compétence du CRTC de réglementer les entreprises comme Netflix.

>


Le problème n’est pas exclusif au Canada. En Europe aussi, Netflix est perçue comme une menace aux diffuseurs traditionnels. La multinationale, basée en Californie, a installé plusieurs filiales dans des États européens reconnus comme des niches fiscales. Ce qui lui permet aussi de se soustraire, en France par exemple, aux quotas de contenu français et à l’obligation de contribuer au financement de la création. Avec des revenus publicitaires en baisse, et la baisse des abonnements à la télé traditionnelle, les moyens financiers de Netflix sont toutefois alléchants. L’entreprise revendique une capitalisation boursière de près de 44 milliards de dollars à la bourse NASDAQ. En théorie, le CRTC pourrait traîner Netflix et Google devant les tribunaux afin de les forcer à collaborer. Mais rien n’assure qu’il gagnerait, surtout parce que les entreprises fonctionnent à partir de l’étranger. Et dans le cas d’une victoire, difficile de les forcer à se conformer à des ordonnances canadiennes. «Le CRTC a évalué la possibilité d’aller en cour, rappelle M. Geist. Mais il a renoncé. Parce qu’il n’est pas évident que Netflix ne respecte pas les règles. Oui, elle refuse de fournir ses données. Mais la question du pouvoir du CRTC de réguler reste entière.» Surtout, rappelle-t-il, que les câblos canadiens profitent quand même d’avantages de production et de diffusion que Netflix n’a pas. Selon lui, ces derniers militent surtout pour assouplir leurs propres règles, plutôt que d’en imposer à Netflix. Le CRTC tentera-t-il à nouveau de dompter Netflix? «C’est possible, à la lumière de son influence grandissante, estime M. Geist. Cela dit, il ne semble pas y avoir d’appétit politique, même public, pour de nouvelles règles.» Il croit qu’on pourra au minimum s’entendre pour imposer les taxes de vente, comme la TPS et la TVQ.

PHOTO | MICHA KLOOTWIJK, DREAMSTIME.COM

Pierre Trudel, lui, en a contre le «discours naïf» sur la liberté d’Internet, selon lequel l’État ne doit pas intervenir. Une rengaine libertarienne hostile à toute réglementation. «Y a une croyance très tenace selon laquelle on ne peut rien faire sur Internet. Essayez de distribuer des produits pharmaceutiques sur Internet, ou des produits financiers, vous avez de bonnes chances de vous faire attraper!» Il craint carrément la fin du système de radiodiffusion tel qu’on le connaît. «Une grande partie des règles finiront par s’écraser, prévoit-il. Ce sera d’autres logiques qui vont gérer.» Au premier chef, la logique comptable. y

DANS SON RAPPORT DE SURVEILLANCE DES COMMUNICATIONS PUBLIÉ EN OCTOBRE, LE CRTC ESTIMAIT QUE 58% DES 18-34 ANS ÉTAIENT ABONNÉS À NETFLIX EN 2014, SOIT LE DOUBLE DE L’ANNÉE PRÉCÉDENTE. CHEZ LES FRANCOPHONES, LE NOMBRE AVAIT TRIPLÉ POUR ATTEINDRE 24%. DE SON CÔTÉ, LA FIRME EMARKETER ESTIME QUE NETFLIX COMPTE PLUS DE QUATRE MILLIONS D’ABONNÉS AU CANADA.


36 | OPINION

ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

L’INJONCTION DU ZEN Scène un Il y a quelques semaines, après que ma maison eut passé au feu, j’ai dû, pour des raisons bureaucratiques, aller voir un psychiatre pour qu’il me diagnostique officiellement un stress post-traumatique. La psychiatre qui doit m’évaluer est avenante et m’explique que je dois me soumettre à un questionnaire. — Combien de cafés buvez-vous par jour? — Y a-t-il des gens dans votre entourage et votre famille qui sont anxieux? — Avez-vous des loisirs? Lesquels? — Faites-vous du sport? Je lui réponds que mon entourage regorge de gens anxieux et que les autres, je ne les trouve pas très intéressants. J’ajoute que je suis née dans une famille où on lisait l’œuvre de Freud en bande dessinée. Je fais du ski, beaucoup de ski, mais à part ça, je n’ai pas vraiment de loisirs. Quand j’ai du temps, je mange avec des amis ou je lis des magazines d’information. — Pas de loisirs? Lire des magazines d’information, c’est du travail ça, non? J’aurais dû lui dire que je me passionnais pour le jardinage. Elle continue. — Dites-moi si je me trompe, est-ce que ça se peut que vous soyez une cérébrale? Je suis perplexe. Je m’attendais à un oracle. Ne suisje pas en face de quelqu’un qui a étudié longtemps? Et voilà une évidence évidente. Or dans sa bouche, dans son ton, le mot «cérébrale» semble louche, prononcé comme s’il s’agissait d’une sorte de petite maladie vénérienne.

— Oui, on peut dire que je suis une cérébrale… — Bon. Vous m’avez dit que vous faisiez du ski. Est-ce que vous entendez les oiseaux quand vous faites du ski? — Hum, oui. — Ce que je vais vous prescrire, c’est de faire de la méditation. Ça permet de rentrer en soi, de donner une pause à votre cerveau. Je vais vous donner un exemple: quand vous faites de la médiation, non seulement vous pouvez entendre les oiseaux, mais vous pouvez aussi faire corps avec la nature, faire corps avec les oiseaux. Qu’en pensez-vous? Dans votre bureau, je me suis tue. Je voulais en sortir rapidement avec le papier et le diagnostic. Mais, voilà ce que je pense: cette injonction de la méditation et du «arrête de penser» est très proche de ce qu’un curé aurait dit à une paroissienne en état de choc il y a 50 ans. Malgré notre Révolution tranquille et nos velléités de laïcité, la tentation de croire que des remèdes de type prières sont encore la panacée à la colère, à la tristesse, etc. est toujours là. La méditation et le yoga ne sont qu’une version baba cool d’une vieille affaire. L’incarnation de la tentation du sacré, mais inconsciente. Parce que c’est cool, c’est Mathieu Ricard, c’est Brooklyn, c’est surtout l’illusion (qui marche pour vous, j’en suis persuadée) de contrôle sur votre paix intérieure. Parce qu’on veut la paix intérieure, n’est-ce pas? On ne veut pas l’angoisse, la tristesse, la peur, la révolte. Hein? C’est ça? Alors, la méditation, le yoga, je n’ai rien contre. Ce qui m’agace, c’est que vous en parlez comme de la Bonne Nouvelle. Avec un petit côté apôtre, converti. Nelly Arcan dans Folle écrivait, lucide: «Très tôt, j’ai compris que, dans la vie, il fallait être heureux; depuis, je vis sous pression». L’injonction d’être en paix et d’être zen. C’est pas mal ça: de la pression.

>


Scène deux YMCA. Avenue du Parc. Celui-lĂ mĂŞme oĂš, il y a quelques annĂŠes, on a givrĂŠ les fenĂŞtres Ă la demande des voisins juifs hassidiques qui n’aimaient pas ĂŞtre exposĂŠs Ă la vue de corps de pĂŠcheresses Lululemon. Ce YMCA oĂš, au nom de la laĂŻcitĂŠ, on a dĂŠgivrĂŠ cet accommodement dĂŠraisonnable. Vous vous en souvenez? Alors, je suis lĂ , l’an dernier, pour un cours de yoga. Au centre de la pièce, on a installĂŠ une photo d’un Dieu hindou dont j’ignore le nom. Une vingtaine de femmes sont couchĂŠes sur leur tapis. La monitrice nous dit de faire des ÂŤaumÂť et nous demande de remercier le Dieu sur la photo. Elle nous demande, ensuite, de fermer les yeux et d’imaginer qu’avec le bassin, on fait corps avec la surface terrestre: ÂŤImaginez que vous ĂŞtes une fleur qui germe dans le sol, que vous faites corps avec la planète‌  Cette spiritualitĂŠ de pacotille Ă la sauce ethnobobo me fait oublier quelques secondes ma tâche. La monitrice m’enligne. Elle vient près de moi et pèse doucement sur mon ventre. Elle me dit d’aligner mes chakras. Dès qu’elle a le dos tournĂŠ, un fou rire irrĂŠsistible me gagne. Je me dis que toutes ces femmes libĂŠrĂŠes qui obĂŠissent sans remettre en question ces injonctions pseudo-religieuses refuseraient catĂŠgoriquement de prononcer des prières en latin. Mais des prières en

sanskrit, sure! Pas de problème. J’ai tellement ri de cette contradiction de notre sociĂŠtĂŠ soi-disant libĂŠrĂŠe du religieux que j’ai dĂť sortir du cours de yoga. Évidemment, je me suis plainte. On m’a expliquĂŠ courtement que ÂŤcertains apprĂŠcientÂť. On est indulgent avec le pseudo-religieux.  Scène trois Chaque annĂŠe, quand je descends la grande cĂ´te de Saint-Joseph-de-la-Rive, je la guette dans le creux du paysage. Je sais qu’elle m’attend paisiblement avec ses lattes de bois blanches et son toit de tĂ´le gris. Elle trĂ´ne sur la berge, entre la voie ferrĂŠe et le fleuve. Cette ĂŠglise rime dans ma vie avec la fĂŞte du recommencement. Chaque annĂŠe Ă Pâques, on loue une maison avec des copines, lĂ oĂš le fleuve fait penser Ă la mer. Ă€ l’arrivĂŠe, j’ai mon p’tit rituel. Je m’installe dans le ventre solitaire de l’Êglise du village et je prie. Je remercie et je demande toutes sortes de choses. Je demande des affaires Ă quelqu’un. Qui au fait? Ă€ mon inconscient? Ă€ une abstraction? Ă€ Dieu? J’assume le cĂ´tĂŠ un peu paradoxal de cette dĂŠmarche. Je cède Ă la tentation du sacrĂŠ. Bien qu’athĂŠe, je cède donc une fois par annĂŠe, Ă Pâques, dans Charlevoix, Ă la tentation du sacrĂŠ dans une ĂŠglise un peu magique. Je le fais, en toute connaissance de cause, en toute conscience de mes contradictions spirituelles. Consciente, sans tapis de yoga et libre de ne pas ĂŞtre zen. Docteur?   y

MFT UBSUBSFT TPOU š MVOEJ NBSEJ FU NFSDSFEJ (SBOE DIPJY EF CJĂ SFT EF NJDSPCSBTTFSJFT 0OUBSJP &TU .POUSĂ‚BM p p CJTUSPMBDFSWPJTF DPN


UN DEUIL QUI FRACASSE DEMOLITION. LE TITRE EST PERCUTANT. LE FILM L’EST TOUT AUTANT. JEAN-MARC VALLÉE POURSUIT SON ASCENSION HOLLYWOODIENNE AVEC CETTE COMÉDIE DRAMATIQUE BRILLAMMENT SCÉNARISÉE PAR BRYAN SIPE, SUR UN DEUIL PAS COMME LES AUTRES. LE RÉALISATEUR CHOUCHOU SE RACONTE. MOTS | PHILIPPE COUTURE

PHOTOS | VVS FILMS


39 | CINÉMA

À la mort de sa femme, Davis ne ressent aucune émotion. Un Meursault des temps modernes, désengagé de sa vie émotive, qui n’a jamais vraiment porté attention aux choses. Puis un mouvement inverse le gagnera: il se mettra à s’intéresser si fort au fonctionnement de toutes choses qu’il voudra les démolir pour les décortiquer – se déconstruisant en quelque sorte lui-même avant de refonder ses bases. Frigo éventré ou psyché anéantie: c’est du pareil au même. Comme dans tout bon récit initiatique, Davis ira à la rencontre de sa nature profonde, désirant entrer dans les abysses des objets comme s’il pénétrait à l’intérieur de lui-même. Et ce, sans grande délicatesse. Il faut ce qu’il faut. Ce scénario de Bryan Sipe avait de quoi plaire à Jean-Marc Vallée. De C.R.A.Z.Y à Wild, le cinéaste a fait de la crise identitaire et de l’introspection rédemptrice un mantra cinématographique qui fait mouche à tous coups. Vallée, un grand émotif, rappelle souvent avoir adopté ce scénario en raison de la manière dont il raconte le deuil et sait explorer le chagrin dans de nouvelles tonalités. «La manière dont le personnage chemine est complètement imprévisible, décalée et inattendue, explique-t-il. C’est captivant. On n’a aucune idée, au début de l’histoire, de la direction que prendra ce personnage, et c’est précisément ce chemin sinueux, mais rédempteur, qui donne à ce film toute sa beauté. Il passe du ridicule au sublime.» Mais c’est aussi un film singulier dans sa critique du matérialisme, jamais appuyée mais toujours présente, à mesure que les électroménagers ou les appareils électroniques sophistiqués passent à la hache. «Davis en a ras-lebol de l’accumulation des choses dans sa vie et il vit une perte de sens par rapport à l’existence qu’il a fini par mener sans trop s’en rendre compte. Ça nous arrive tous; un jour, on se réveille et on voit qu’on a construit plusieurs choses sans nécessairement toutes les vouloir, en suivant le mouvement, en ayant parfois oublié ce qui nous anime vraiment et ce qui a vraiment du sens, ce qui est précieux et beau. On a oublié de célébrer la vie et on s’est mis à la subir.» Démolir à trois Au milieu de son introspection prenant des formes matérielles déconstruites, Davis rencontrera Karen, une conseillère au service à la clientèle à qui il ne pourra s’empêcher

>


OBTENIR PLUS D’ARGENT POUR PROLONGER LA SOIRÉE CINÉ?

OUI C’EST POSSIBLE!


41 | CINÉMA

> de se confier par écrit (c’est une belle récurrence comique de l’œuvre), et son fils à l’identité sexuelle incertaine, avec qui il nouera une relation mimoqueuse, mi-sérieuse. Un trio de personnages hors-norme, incarnés par Jake Gyllenhaal (l’acteur favori des réalisateurs québécois à Hollywood), Naomi Watts et le jeune Judah Lewis. «Karen aide Davis qui aide Chris qui aide Davis qui aide Karen. C’est une chaîne infinie. J’adore cette relation à trois qui est bienfaitrice dans plusieurs directions. C’est une interconnexion formidable, qui en raconte beaucoup sur l’interaction humaine. C’est un trio, et fondamentalement, parce qu’il n’a pas le caractère étouffant d’un duo, il permet de rééquilibrer constamment les forces en présence.»

t-il. Cette fois, j’ai fait des playlists pour chaque personnage, déterminant des chansons pour l’arrière-plan de chacune de leurs histoires. C’était particulier parce que Davis, pour moi, n’écoute aucune musique. Il n’y a pas de musique dans sa vie. Mais j’ai fini par entendre Solitudes, une pièce des Nocturnes de Chopin. Une musique de son passé; la musique des fantômes de sa vie.» Le reste, soyez-en assurés, est bien plus rock’n’roll: David Bowie et les Rolling Stones résonnent avec toute leur force. y En salle le 8 avril

Demolition est aussi une comédie marquée par un humour décalé et subtil, qui transforme la quête du personnage en une aventure ludique, par fins traits d’autodérision et d’esprit. «Pour ça, s’exclame le cinéaste, il faut donner tout le crédit à mon fabuleux scénariste Bryan Sipe. Savoir réfléchir à la mort et au deuil avec cette dérision, c’est exceptionnel. Il a un regard détourné sur le quotidien et un sens de la mise en perspective du drame qui cause une forme particulière d’ironie.» Mais rendons à César ce qui appartient à César: la direction d’acteur de Vallée ne pousse jamais la note et évite judicieusement l’excès. «Il est vrai que nous n’avons pas cherché à jouer la comédie, consent-il. Je n’ai jamais demandé à Jake de se comporter comme un acteur comique et d’essayer de faire rire. Les premières scènes, dans lesquelles il adresse une lettre trop personnelle à une compagnie de machines distributrices, ont un potentiel comique certain, mais nous n’avons jamais voulu l’appuyer. Le scénario demande simplement de changer d’état d’esprit, de changer de lunettes pour observer la vie, et c’est de ce regard oblique que naît le rire. Un rire intelligent, il va sans dire.» Un film typiquement Vallée La narration au je, rythmée par un montage fluide qui alterne les temporalités, est aussi typique de l’esthétique Vallée, et particulièrement agile cette fois-ci. On est aussi dans un cinéma de réminiscences ponctué de flash-back, qui fonctionne tout naturellement selon la logique accidentée de la mémoire et de l’inconscient. Avec une trame sonore puissante, omniprésente, comme d’habitude chez ce mélomane inspiré. «J’essaie toujours de faire de la musique un moteur de l’action, répèteJEAN-MARC VALLÉE


MADE IN FRANCE, PHOTO | PRETTY PICTURES

LES UNS CONTRE LES AUTRES CHEZ NOS COUSINS FRANÇAIS, LE PHÉNOMÈNE DE LA RADICALISATION SOULÈVE DE VIFS DÉBATS, MAIS SEMBLE UN VRAI GUÊPIER DÈS QU’ON S’Y PENCHE AU CINÉMA. L’OCÉAN ATLANTIQUE NOUS FOURNIRAIT-IL LE RECUL NÉCESSAIRE POUR MIEUX SONDER L’ÉPINEUX MYSTÈRE? MOTS | NICOLAS GENDRON

En un mois seulement, parviennent jusqu’à nous deux films français peu ou pas vus du tout là-bas. Tourné en 2014, Made in France, de Nicolas Boukhrief, dont l’affiche amalgamait un fusil d’assaut à la sacro-sainte tour Eiffel, ne sera jamais diffusé sur grand écran dans l’Hexagone, Internet prenant le relais des salles. Pour la petite histoire, rappelons que ce thriller devait sortir le 18 novembre dernier, cinq jours à peine après les attentats que l’on sait. Présenté en première mondiale à la Mostra de Venise, en 2011, La désintégration, de Philippe Faucon (Fatima, récent César du meilleur film), avait pris sans le vouloir des allures de boule de cristal. Cinquante mille entrées plus tard, le drame social avait été vite oublié; la Cinémathèque québécoise l’a accueilli une semaine à la mi-mars. Deux semaines après de nouveaux attentats à Bruxelles, ces deux films s’avèrent éloquents et invitent à creuser la question. De l’intérieur Pour son sixième long métrage, Boukhrief prend le pari classique de l’infiltration, alors qu’il campe son «héros» de culture musulmane, Sam (Malik Zidi), un journaliste vite dépassé par les événements, au cœur d’une cellule djihadiste naissante, dans la banlieue parisienne. Son rôle d’observateur bascule en celui d’un


>

acteur impuissant d’une tragédie qui couve, mené à la baguette par Hassan (le talentueux Dimitri Storoge, vu chez nous dans Dédé, à travers les brumes et Nuit #1), un leader agressif qui aurait été formé au Pakistan pour cette «guerre sainte» qu’est le djihad. Pour ce faire, Hassan en appelle à la taqîya, cet «art de la dissimulation» de la foi, qui ne confond pas pour autant islamisme et intégrisme. Sauf qu’ici, l’homme l’utilise à ses fins, vils conseils à l’appui: rasez-vous la barbe, disparaissez dans la masse et cuisinez les bombes à l’ombre. Direction, les Champs-Élysées… Chez Faucon, la descente aux enfers est moins spectaculaire, et d’autant plus pernicieuse. L’endoctrinement y est exposé de manière plus méthodique, dans une banlieue de Lille où l’horizon a le profil bas, entre autres pour Ali (Rashid Debbouze), qui peine à trouver un emploi. Si l’imam entend la colère qui gronde parmi les jeunes devant les ruines de Gaza, un aîné qui se la joue grand seigneur, Djamel (Yassine Azzouz), en profite pour attiser le feu de cette même colère. La loi du talion prend alors le pas sur toutes les autres et les «soldats de Dieu» prennent le visage d’une jeunesse désœuvrée. Encore une fois, aux esprits les plus malléables, le djihad apparaît tel «le plus haut sommet de l’Islam». Entre champs de tir dans la forêt et prêches nouveau genre, une autre cible majeure se dessine, puisque nulle vie n’est «plus importante que Dieu»: le siège de l’OTAN, à Bruxelles.

ON NE SAURAIT LEVER LE NEZ SUR CET OUTIL DE PLUS QU’EST LE CINÉMA POUR POUSSER PLUS LOIN LA RÉFLEXION. De l’intime Si les terroristes en devenir de Made in France semblent parfois dénués de tout jugement – il faut «avancer et surtout jamais réfléchir», dira l’un d’eux –, c’est aussi parce que la désensibilisation est souvent le propre des embrigadés. «J’en ai rien à foutre de rien, à part Dieu», de souffler l’un des jeunes de La désintégration. Si Hassan s’emporte contre la propagande américaine, incarnée par nul autre que le Tony Montana de Scarface, la sienne n’en est pas moins d’une malhonnêteté crasse. Il s’agit pour lui d’identifier la brèche des pensées les plus intimes où déposer la mèche de la révolte, pour renouveler même jusqu’à l’identité. Rebaptisé Youssef, Christophe (François Civil) dénonce avec rage le sort de «nos enfants» en Palestine. «Nos enfants? T’es Breton!», lui réplique-t-on. La spirale de la violence s’enracine au cœur de l’homme, pour peu qu’on alimente ses nouvelles convictions. Le respect et le partage demeurent les valeurs fondamentales de l’Islam, et Faucon prend soin de le préciser d’entrée de jeu par la bouche de l’entourage d’Ali, sa mère au premier chef. La complexité du portrait d’ensemble se nourrit de ces frictions familiales qui surgissent face à l’endoctrinement d’un jeune brillant, soudainement enragé de voir s’envoler une centaine de CV. «Avec ton nom de famille, tu t’fais pas trop d’illusions, j’espère», insinue Djamel. Dès lors que les insultes s’immiscent de l’intérieur, cette impression vive de n’être qu’un «sale Arabe» ou un «citoyen de seconde zone» ne s’estompera jamais vraiment. À qui la faute? Et qu’en est-il des événements de radicalisation qu’a connus le Canada au collège de Maisonneuve, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Ottawa? On ne saurait lever le nez sur cet outil de plus qu’est le cinéma pour pousser plus loin la réflexion. y Made in France (en salle le 15 avril) La désintégration (disponible en VSD)

LA DÉSINTÉGRATION, PHOTO | DRAGON FILMS


DE NOLLYWOOD À MONTRÉAL NOLLYWOOD? OUI, MADAME. L’INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE NIGÉRIANE, FORTE D’UNE PRODUCTION EFFERVESCENTE ET INCESSANTE DE FILMS POPULAIRES, FAIT UNE PETITE PERCÉE MONTRÉALAISE DANS UN VOLET DU FESTIVAL VUES D’AFRIQUE. COUP D’ŒIL SUR LES TROIS FILMS À L’AFFICHE. MOTS | PHILIPPE COUTURE

THY WILL BE DONE UN FILM D’OBI EMELONYE

GONE TOO FAR UN FILM DE DESTINY EKARAGHA

FLOWER GIRL UN FILM DE MICHELLE BELLO

Production Nollywood Film Factory

Production Poisson Rouge Pictures et British Film Institute

Production Blu Star Entertainment

La religion et les enjeux moraux, Nollywood en fait son pain et son beurre. Ainsi fourmillent les personnages de pasteur dans les films nigérians, ainsi que les scènes de prédication enflammées. Ici, dans un film léché sur l’amour et l’engagement, Obi Emelonye entre dans l’intimité de l’un de ces pasteurs, un homme marié vivant apparemment un concubinage heureux et qui sera plongé dans un profond dilemme quand débarque son ex-femme qu’il croyait morte depuis sept ans. Faut-il honorer l’engagement du passé avec cette femme qu’il a tant aimée ou demeurer fidèle à l’épouse actuelle, plongée contre son gré dans une forme particulière de polygamie? C’est aussi l’institution du mariage qui est remise en question ici, dans un film qui la survalorise mais en montre aussi quelques faiblesses. Nollywood, c’est avant tout une affaire d’émotion: ce film se rapproche des sentiments de ses personnages en les filmant la plupart du temps en plans très rapprochés, lesquels font contraste aux images aériennes inventives de la ville de Lagos.

Adaptée d’une pièce de théâtre de Bola Agbaje, cette coproduction britannico-nigériane est un teen movie au confluent des cultures, rempli de personnages savoureux. Au rythme des rues londoniennes, le jeune Yemi cherche à se tailler une petite place au soleil parmi la clique des ados cool du quartier. Quand débarque du Nigéria un grand frère qu’il n’a jamais connu et qui porte d’affreuses chaussettes dans ses sandales, c’est le choc culturel. Les tentatives de Yemi de se débarrasser de son frère quand surgira la belle Armani seront vaines. Inspirante fable sur l’identité et sur l’immigration, Gone Too Far est un film en apparence léger, mais qui aborde sans en avoir l’air des questions raciales et culturelles importantes. Avec, en prime, des dialogues ciselés et une délicieuse ironie.

Nollywood, c’est aussi le paradis de la comédie romantique bonbon, qui reprend la recette américaine en lui donnant des textures locales. Flower Girl n’a d’autre aspiration que celle de titiller le sentimentalisme du spectateur moyen avec une histoire de rupture douloureuse et de reconquête spectaculaire de l’être aimé. La jeune Naija, fleuriste de talent chérissant un rêve d’amour éternel avec son beau Umar, tentera de ramener l’homme au bercail avec l’aide d’une vedette de la télé locale! C’est fleuri et inoffensif, mais sympathique.

/ Notez que Vues d’Afrique propose aussi, pour une deuxième année consécutive, le documentaire Jimmy Goes to Nollywood, une plongée dans les coulisses de l’industrie cinématographique nigériane.Le festival Vues d’Afrique se déroule du 17 au 24 avril 2016 à Montréal.



46 | OPINION

NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

FAUSSES ANALOGIES ÉCONOMIQUES Il suffit d’avoir voulu expliquer à quelqu’un une idée un peu complexe et nouvelle pour lui pour avoir vu à l’œuvre un mécanisme bien connu de l’esprit humain. Ce mécanisme est celui par lequel on ramène l’inconnu au connu, le nouveau au familier, l’incompris au compris. Il se montre souvent le bout de l’oreille par ces mots: «Peux-tu me donner un exemple?» Les ondes dont parle la physique? Vous savez, ces petites vagues qui se forment quand vous lancez un caillou dans une eau calme… Le modèle de Rutherford de l’atome? Imaginez un petit système solaire… Le réchauffement climatique? Pensez à une serre de jardin… Ce mécanisme explique notre permanent recours à des analogies, qui ne nourrissent pas seulement les métaphores des poètes. Mais si ces analogies sont parfois utiles, il leur arrive aussi de nous induire en erreur. Il arrive même que ces erreurs soient dangereuses et nuisibles à la clarté des échanges. On parle en ces cas de fausses analogies. Voici justement deux analogies en économie qui sont, je pense que vous en conviendrez, très répandues dans notre conservation démocratique, quoique dangereusement trompeuses. L’analogie domestique et la dette Notre conception spontanée et courante de la dette, parfois alimentée et propagée par les médias, repose beaucoup sur ce que j’appelle une analogie domestique, qui situe et comprend dette et endettement dans la sphère privée et interpersonnelle.

Dans cette sphère domestique, j’emprunte quelque chose (de l’argent, un objet) à une autre personne, disons à un voisin. Cet emprunt me fait contracter un devoir: celui de rendre ce que j’ai emprunté et donc de rembourser ma dette. Il va encore de soi que j’aurais été bien peu sage d’emprunter des sous au voisin pour aller jouer au casino, surtout si mon loyer n’est pas payé et que la famille manque de nourriture! On peut pourtant imaginer des cas où on jugerait qu’il ne serait pas approprié, pour un particulier, de rembourser une pareille dette domestique. En fait, Platon en suggérait un: j’emprunte une arme à un ami; entre-temps, cet ami est devenu fou et veut tuer une autre personne; il me réclame pour ce faire l’arme prêtée… Dois-je la lui rendre? Mais quoi qu’il en soit, le fait est qu’on pense souvent à la dette dans d’autres contextes par analogie avec cet exemple domestique: on dit alors qu’il en va de même pour les États, qui doivent rembourser leurs dettes, et pour les particuliers, qui doivent rembourser leurs prêts bancaires. Cette analogie est pourtant fausse et trompeuse. Revenons au cas domestique. Trois aspects en sont notables. Mon ami me prête quelque chose qui lui appartient en propre; quand il me l’a prêté, il s’en est privé durant le temps du prêt; en me le prêtant, il prend un risque: celui que je ne le rembourse pas. La banque prête de l’argent qui ne lui appartient pas et qui, en un sens, n’existe pas; elle n’en est pas privée durant le prêt et peut prêter de nombreuses fois encore cet argent fictif qu’elle m’a «prêté»; et elle ne risque pas grand-chose, d’abord en raison des modalités de ce prêt (l’argent est fictif, ne lui


Pour une carrière...

> appartenant pas, est prêté plusieurs fois), ensuite qu’en cas de nombreux défauts de paiement, l’histoire le prouve, le public, via l’État, renflouera ses coffres.

Collège O’Sullivan APPROCHE WEB

Notez que je ne dis pas qu’il ne faut pas rembourser son prêt bancaire ou que l’État (car en ce cas aussi, l’analogie domestique est trompeuse, notamment parce que l’État n’est ni une personne ni un mortel…) ne doit pas s’inquiéter de ses déficits: mais les raisons pour cela ne peuvent être aussi simples que le laisse entendre l’analogie domestique. La (bonne) raison pour ce faire est sans doute que tout le monde, en fin de compte, bénéficie de l’existence de l’institution sociale appelée «prêt» qui ne peut fonctionner que si, sauf exception, un prêt est remboursé. L’analogie entrepreneuriale et le politique La deuxième fausse analogie sur laquelle je veux attirer l’attention nous invite à penser au politique et à l’économie d’un pays comme à une entreprise et à conclure que le succès en affaires que connaît une personne indique qu’elle sera en mesure de gérer l’économie d’un pays et de décider de sa politique. L’analogie est répandue et des gens comme Donald Trump, pour ne nommer personne de chez nous, surfent en partie sur la crédibilité qu’elle leur confère. Mais est-elle valable pour autant?

Début Août 2016

AEC

12 mois TECHNOLOGIE DES MÉDIAS ET PLATEAU DE TOURNAGE

Préparez-vous à travailler sur un plateau de tournage !

Début Août 2016

L’économiste Paul Krugman a donné de solides raisons de penser que ce que demande l’adoption de politiques macroéconomiques est bien souvent le contraire de ce que demandent les décisions d’affaires. Dans le premier cas, les travailleurs sont aussi des consommateurs, ce qui crée d’incessantes boucles de rétroaction, où causes et effets se conjuguent. Une entreprise, explique Krugman, ne vend pas la majeure partie de ce qu’elle produit à ses employés, tandis que même un petit pays se vend à luimême, sous forme de services non exportables, quelque chose comme les deux tiers de son output. Krugman écrit: «C’est un gros succès pour un homme [ou une femme] d’affaires que de réduire de moitié son personnel et de réussir néanmoins à produire à peu près autant qu’avant. Une économie qui agirait de la sorte serait plongée dans une dépression et ne parviendrait plus à vendre ce qu’elle produit. Rien de ce qu’a pu apprendre par son expérience l’homme [ou la femme] d’affaires ne le prépare à comprendre le paradoxe de l’épargne [de Keynes] ou l’impact inflationniste de la croissance de la masse monétaire.» Les problèmes économiques sont complexes. Ne nions pas cette complexité à coups de slogans reposant sur de trompeuses analogies qui donnent à peu de frais l’impression de comprendre ce qui est en jeu, alors qu’il n’en est rien. L’exercice n’est pas anodin: il nous éviterait de sauter sur des solutions aussi simplistes qu’improbables, parmi lesquelles ce même Krugman range ces politiques d’austérité suivies en ce moment même, sans grand succès, un peu partout. y

ASSURANCE DE DOMMAGES

AEC

12 mois

ET COMMUNICATION EN ANGLAIS Préparez-vous pour une carrière ! Peel et Lucien-L’Allier

Collège O’Sullivan 1191, rue de la Montagne, Montréal

514 866-4622 www.osullivan.edu PORTES OUVERTES Mardi 12 avril de 17h à 20h30

ADMISSION GRATUITE! Pour tous les candidats qui s'inscrivent sur place le 12 avril (Valeur de 50$)


48 | ART DE VIVRE

QUÉBEC VS ALAMBICS? LES PRODUCTEURS DE GIN, VODKA, WHISKYS ET AUTRES ALCOOLS QUÉBÉCOIS SE SONT MULTIPLIÉS EN 2015, CONFECTIONNANT DES SPIRITUEUX QUI FLEURENT BON LES EMBRUNS DU SAINT-LAURENT OU LA FORÊT BORÉALE. MAIS SI LE TERROIR OFFRE TOUT CE QU’IL FAUT POUR PRODUIRE D’EXCELLENTS ALCOOLS LOCAUX, LA LÉGISLATION QUÉBÉCOISE EST LOIN DE FACILITER LE TRAVAIL DE CES NOUVELLES DISTILLERIES… MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Tendance venue des États-Unis, la consommation de spiritueux fins grimpe en flèche dans la province. Une croissance due notamment aux cocktails, explique Patrice Plante, mixologue à Québec: «La culture cocktail a fait un bond incroyable en trois ans. On est passés d’un quasi-intérêt à une certaine passion. Il y a un désir de boire moins, mais mieux.» Une évolution normale des papilles, selon le mixologue; quand on commence à apprécier l’amertume d’une IPA, la culture cocktail vient naturellement. «C’est une suite logique qu’on a pu observer à Halifax ou Toronto. La popularité des spiritueux et cocktails vient aussi de l’intérêt croissant pour les chefs, l’univers de la cuisine… Le cocktail, c’est de la cuisine liquide!» Fini le Jack Daniel’s, on apprécie maintenant la complexité d’un spiritueux et on déguste du gin aux fins aromates d’ici ou du whisky 100% québécois. «La perception des gens a changé. Avant, on associait les alcools québécois aux liqueurs de fruits et aux cidres, puis le Domaine Pinnacle a vraiment défriché le terrain», indique Patrice Plante. Michel Jodoin a été précurseur en 1999 en lançant ses spiritueux en parallèle de la cidrerie, et dans les deux dernières années se sont ajoutés le gin Ungava, le rhum Chic Choc et la vodka Quartz. En 2014, une dizaine de permis de distillateur ont été délivrés au Québec, et c’est en 2015 que le mouvement a vraiment pris de l’ampleur.

On a ainsi pu découvrir Wolfelsberger et ses eaux de vie, le gin des Fils du Roy, la vodka de Mariana ou encore l’absinthe des Cantons. Des distilleries de Montréal, Rimouski, Louiseville ou encore Shefford. «Je sens une vraie effervescence chez les producteurs, confirme Patrice Plante. On va rejoindre doucement nos voisins américains.» En effet, environ 650 distilleries artisanales sont exploitées aux États-Unis, selon l’American Distilling Institute – contre une cinquantaine en 2005. Mais si les distilleries représentent un marché à développer, la législation provinciale pose encore de nombreux freins: les appellations sont très restrictives, sans parler des procédures administratives, comme la demande du permis de distillation artisanale, qui restent compliquées. Prohibition moderne Le gouvernement dit vouloir soutenir les producteurs; un projet de loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales a d’ailleurs été récemment déposé. Mais si les vignerons québécois peuvent désormais vendre directement dans les épiceries, on ne note pas d’avancée pour les microdistillateurs, au motif qu’ils ne produisent pas à partir de leurs propres matières premières. «Au Québec, on a rejeté la Prohibition, mais on reste très conservateurs sur la législation sur l’alcool, remarque Patrice Plante. Beaucoup

>



OBTENIR PLUS D’ARGENT POUR MANGER AU RESTO?

OUI C’EST POSSIBLE!


«IL FAUT QUE LA LOI CHANGE. ON NE PEUT PAS RESTER EN ARRIÈRE ALORS QUE LE NOMBRE DE MICRODISTILLERIES EXPLOSE AU QUÉBEC.» de bartenders ont déménagé ailleurs, essoufflés face à ces lois restrictives… C’est une sorte de prohibition moderne.» En janvier, un décret annonçait un changement d’appellation à la suite d’une nouvelle loi fédérale, stipulant que «la vodka doit être une boisson qui [… ] n’ait ni caractère, ni arôme, ni goût distinctifs». Le décret tombe au moment où la première palette de vodka est enlevée à la distillerie montréalaise Cirka, qui avait commencé sa production en septembre. Il a fallu changer toutes les étiquettes, le goût complexe de leur alcool ne correspondant pas à la définition de la loi. «On a hésité à modifier notre recette pour garder le nom de vodka, explique JoAnne Gaudreau, une des associés. Mais on aimait le produit pour sa complexité, donc on a décidé de garder la recette, en étiquetant nos bouteilles “spiritueux à base de grains”.» Tant pis pour l’appellation; JoAnne pense que la clientèle visée est plutôt connaisseuse et saura faire la part des choses. «Ces appellations de type “spiritueux à base de grains” ne vont pas attirer le public… Ça va affecter la consommation. L’appellation reste un facteur d’influence», confie pour sa part Patrice Plante, pour qui le Québec a une des lois les plus rigides au monde en matière d’appellations de spiritueux. Pourquoi cette rigidité? «C’est dû au côté très latin, très vin du Québec. Et au pourcentage d’alcool des spiritueux: les gens sont préoccupés, car on est dans du 40%», indique JoAnne Gaudreau. En attendant, Cirka prend les commandes en ligne et vit des importations privées et de celles des bars et restos.

«Il faut que la loi change, insiste JoAnne, on ne peut pas rester en arrière alors que le nombre de microdistilleries explose au Québec.» Thé du Labrador et algues du fleuve Ces microdistilleries pourraient devenir un atout de séduction pour l’industrie touristique. «J’aime utiliser des spiritueux faits par des artisans d’ici, souligne Patrice Plante. On est fiers, ça va chercher le gène nationaliste. Il y a un attachement différent avec un produit local...» D’autant que la province offre un terroir idéal à la production d’alcools fins avec ses céréales, fruits, plantes saisonnières et épices nordiques en abondance. Le dry gin Ungava est par exemple infusé avec six plantes aromatiques, dont le thé du Labrador et des baies d’églantier, le rhum Chic Choc est aromatisé avec des épices boréales québécoises... Pour sa part, Cirka distille la seule vodka au Québec faite localement de A à Z, et son gin est infusé avec des herbes et épices traditionnelles ainsi que des aromates québécois. «On s’inspire de la forêt boréale», explique JoAnne. À Rimouski, la Distillerie du St-Laurent fait un gin artisanal parfumé aux laminaires, des algues qui poussent dans le fleuve. Une belle touche iodée sur un genièvre très sec… Les microdistilleries locales s’inscrivent bien dans la tendance actuelle de mise en avant du terroir, un atout sur lequel s’appuie l’Association des microdistilleries du Québec dans ses discussions avec le gouvernement. Parce que les microdistilleries, c’est le terroir en bouteille. y


GENTLEMAN RESTAURATEUR IL SUIT DEPUIS SES 14 ANS L’ÉVOLUTION DE LA RESTAURATION À MONTRÉAL, SE BÂTISSANT AU FUR ET À MESURE UN PETIT EMPIRE CULINAIRE. À 82 ANS, PAUL NAKIS CONTINUE DE VISITER QUOTIDIENNEMENT SES RESTAURANTS ET DE DISCUTER DES DÉCISIONS D’AFFAIRES AVEC SA FILLE, QUI A REPRIS LE FLAMBEAU. PARCE QUE LES RESTOS, CHEZ LES NAKIS, C’EST UNE HISTOIRE DE FAMILLE…

MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


53 | ART DE VIVRE

>

Cheveux peignés en arrière, rasé de près, costume pourpre avec pochette et cravate assorties: Paul Nakis est le propriétaire du Da Giovanni depuis 35 ans, mais aussi de Chez Parée, du Pub Winston Churchill et de deux Bâton rouge, et possède depuis 2012 la moitié des parts de Schwartz’s. C’est au Da Giovanni, rue Sainte-Catherine, que le gentleman tiré à quatre épingles nous rejoint. Paul Nakis suit une routine: «Mon premier arrêt est à Schwartz, à 7h30. J’y passe une heure avec le gérant, puis je viens au Da Giovanni prendre mon déjeuner. Je vais ensuite travailler à mon bureau qui est juste au-dessus du restaurant.» Il fait presque partie des meubles ici; il connaît le prénom de chaque employé et a même son paquet de céréales dans la cuisine, pour le matin. «Je viens au restaurant sept jours sur sept. C’est ma vie. Et j’ai une passion pour les affaires, expliquet-il. J’ai toujours su que je voulais travailler dans la restauration; j’ai commencé en aidant mon père quand je n’avais pas d’école... C’est dans mon sang!» Né dans une famille d’immigrés, d’un père grec et d’une mère écossaise, Paul Nakis vole vite de ses propres ailes, et dès 14 ans, il s’occupe du Paul’s Sandwich Shop. Réseau familial En 1953, il détient avec ses frères le O-Select, dans l’est de Montréal. «Mon père nous aidait pour les investissements, et les banques aussi; à cette époque, c’était plus facile d’avoir des prêts. Je ne sais plus combien de restaurants on a eus en tout… Au moins une vingtaine.» Dans les années 1950, les trois jeunes frères Nakis sont des «bons partis» en vogue. Deux des frères sont aujourd’hui décédés, mais la restauration reste dans la famille: le petit-fils de Paul est intéressé par le commerce, sa petite-fille s’implique déjà dans les affaires des restos, une belle-sœur et une nièce travaillent au Da Giovanni, tandis qu’une autre nièce a lancé une chaîne de restaurants à Washington. «La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre! rit l’octogénaire. Ils sont tous aussi passionnés…» Comme sa fille Chris Ann, 59 ans, qui assure sa relève. À deux, ils parlent business avant de parler famille. Si «elle est responsable de tout», son père n’a pas pour autant quitté les affaires: «Avant, c’est moi qui faisais les menus. Aujourd’hui, non, mais on me demande encore mon avis…» Paul Nakis s’occupe aussi du développement de la fameuse sauce tomate Da Giovanni, qui sera bientôt vendue dans

les IGA. Et il y a du nouveau dans l’air… «Je suis en train de travailler sur quelque chose, mais je ne peux pas encore en parler! Quand il y a une opportunité de racheter une place qui a une bonne réputation, on y va...» En près de 70 ans de carrière, Paul Nakis a eu le temps de voir le paysage de la restauration montréalaise évoluer. Parmi les changements notoires, il relève qu’aujourd’hui la plupart des restos comptent 75 à 100 couverts maximum, alors qu’avant les établissements étaient beaucoup plus grands – comme en témoigne le Da Giovanni avec ses 250 places. «Être prêt à travailler très fort» De nos jours, les petits restos sont plus populaires, plus faciles à gérer, pense Paul. «Et ils sont spécialisés. C’est mieux d’avoir un menu avec moins de choix, mais d’être meilleur dans ce qu’on fait.» Autre changement, une plus grande diversité chez les propriétaires de restos: «Il y a 25 ans, les Grecs détenaient presque tous les restos à Montréal, alors qu’aujourd’hui, de plus en plus de Québécois se lancent en affaires.» Mais il trouve que Montréal compte trop de restaurants, et que les propriétaires sont de plus en plus taxés – «c’était plus facile de faire du profit avant!» Pour comparer, Paul visite régulièrement les restaurants de la ville. «Je mange très rarement chez moi…», confie celui qui a plutôt un faible pour le Rib’N Reef et Moishes’ – même si rien ne vaut les spaghettis à la sauce tomate du Da Giovanni. Ses conseils pour les jeunes restaurateurs: «Il faut être prêt à travailler très fort, et être vraiment passionné. C’est un commerce qui demande beaucoup d’attention. Si on sert 500 personnes dans une journée, il faut plaire à 500 palais… Et chaque palais est différent.» S’il suit l’évolution du monde de la restauration, Paul Nakis résiste au changement dans la technologie. «Pour ça, je suis 50 ans en arrière!» Quand on rentre dans son bureau, on a l’impression de plonger dans Mad Men: pas d’ordinateur, des cahiers reliés de cuir, un petit poste qui diffuse du jazz… Il a bien un cellulaire, mais qui lui sert juste à appeler en cas d’urgence, pas à être contacté. Et il a beau adorer être dans les affaires, il sait aussi décrocher. Vendredi dernier, il a fini de travailler vers midi, alors il est parti sur un coup de tête passer la fin de semaine à New York. Hôtel réservé, bonne musique dans la voiture et balades dans la Grosse Pomme. Où, bien sûr, il est allé découvrir des restaurants… y


RÉSERVATIONS BUISSONNIÈRES IMAGINEZ: VOUS ÊTES INVITÉS À UN SOUPER, MAIS VOUS NE VOUS POINTEZ PAS LE BOUT DU NEZ. SANS MÊME PRÉVENIR VOS HÔTES. INCONCEVABLE, NON? ET POURTANT, C’EST CE QUI ARRIVE RÉGULIÈREMENT DANS LES RESTAURANTS. MOTS | GILDAS MENEU

Dans le jargon, on les appelle les «no-show». Autrement dit, les clients qui font défection. Une véritable plaie dans le milieu. Un fait connu depuis quelques années, depuis qu’une poignée de restaurateurs ont dénoncé ce phénomène social. En février dernier, c’était au tour du proprio du Bistro B à Québec, François Blais, de péter un plomb. «24 no-show vendredi soir! Sur une soirée de 120 couverts, s’il y en a 24 qui ne se pointent pas, il est passé où le profit, tu penses? Non seulement le patron ne fait pas ses frais, mais les employés à pourboire écopent eux aussi! Je trouve que c’est irrespectueux et déplorable.» Un phénomène pas nouveau, mais inexplicable. Ilene Polansky, propriétaire du restau rant Maestro SVP depuis 23 ans, confirme que les no-show ont toujours existé. Même avant Internet. Ces défections, elle en voit «une vingtaine par semaine. Ça a toujours été comme ça.»


«C’est notre quotidien, confirme François Blais. Il y a 20 ans, ce n’était pas un problème. On avait des bons revenus, mais aujourd’hui, les profits sont en baisse. Ce sont des pertes directes. Un restaurant, c’est 3% de marge de profit. Quand tu as 100 personnes, tu fais tes frais. Mais ce sont les trois dernières qui sont importantes!» Les pires soirées? La Saint-Sylvestre, la SaintValentin ou encore des événements ponctuels comme MTL à table. La question qui tue: pourquoi? Pas la peine d’annuler, de toute façon, ils auront d’autres clients. Avouez que cette idée vous est déjà passée par la tête. Eh bien, non, ça ne marche pas comme ça. Vrai, un resto se garde généralement (mais pas systématiquement) une certaine proportion de tables sans réservation, les «walk-in» dans le jargon. Notamment pour les habitués. Chez Maestro SVP, Ilene Polansky garde 20% de ses tables sans réservation les samedis et 40% la semaine. Ne vous demandez plus pourquoi un resto qui affiche complet en ligne a encore de la place quand on l’appelle. Pourquoi, alors? Il y a plusieurs styles de défections. D’abord, le client qui néglige simplement d’annuler sa réservation. «Mais aussi ceux qui réservent à deux ou trois établissements en même temps, pour avoir le choix», explique Edward Zaki, copropriétaire de quatre restaurants dans la métropole, qui a déjà vu des clients réserver en même temps… dans deux de ses restaurants! Conséquences de la grande popularité des restos à la mode. Mais cette incivilité reste inexcusable, surtout en ces temps où nous sommes ultra branchés, toujours un cellulaire à la main. Ces no-show ont un impact sous-estimé. «Des clients qui ne se pointent pas, ça te défait une soirée, explique Stéphanie Grondin, ancienne copropriétaire de l’Assommoir Bernard. Ça a un impact financier. Les réservations permettent de planifier la quantité de nourriture, le personnel.» Et ceux qui payent, au bout du compte, sont… les clients qui se présentent! Une parade: la réservation en ligne Une des applications populaires, Open Table, a sa propre politique en cas de défec-

tion. Une réservation non honorée doit être annulée au moins 30 minutes avant. Au bout de quatre défections sur une période de 12 mois, l’application supprime carrément votre compte. François Blais ironise: «Si je suis sur une liste noire, c’est ma conjointe qui fera la réservation. Ça va changer quoi?» D’autres restaurateurs font affaire avec l’application DINR. Le principe est simple: en cas de défection, le restaurant remet les places à vendre sur cette plateforme. Pour le consommateur, l’avantage est indéniable: il permet de trouver une place rapidement dans un des établissements membres. On compte parmi eux des restos très populaires. Mais en cas de défection, DINR retient 30$ par personne sur votre carte de crédit. Du donnant-donnant. Martin Juneau est dubitatif. «C’est plutôt rare de ne pas trouver une place, même les fins de semaine. Il y beaucoup de restos à Montréal. Les clients ont l’embarras du choix.» Juneau avait aussi fait une sortie sur les réseaux sociaux contre les no-show il y a quelques années. «On dirait que ça a marché. On en a beaucoup moins [de défections] depuis. C’était une campagne de sensibilisation et on a été écoutés.» Tant mieux, même s’il reste encore un 10% visiblement incompressible de no-show, surtout les soirs d’événements.

=XYlc\lo ZfZbkX`cj j`^eXkli\ 8cZffc gif[l`k jli gcXZ\ C`hl\lij Xik`jXeXc\j XifdXk`j \j

François Blais a décidé qu’à la prochaine Saint-Valentin, il prendra les numéros de carte de crédit lors des réservations. Edward Zaki le fait déjà pour les groupes de huit et plus. Un simple formulaire à remplir sur le site. «On prend un dépôt de 20$ par personne.» Et ça marche. «Il faut créer une habitude, renchérit François Blais. Pour réserver dans les hôtels, c’est normal. Les billets de spectacle ne sont pas remboursables.» Pourquoi pas au restaurant? Des établissements de grandes villes comme New York ou Chicago le font déjà... Une idée qui devrait faire son chemin au Québec, selon Edward Zaki. Pour François Blais, la clientèle devrait tout simplement se rendre compte que tous les restaurants ne roulent pas sur l’or. Un simple coup de téléphone pour annuler? «C’est une question de respect», rappelle Martin Juneau. La politesse, tout simplement. y

DFEKIy8C +,)(# Yflc\mXi[ JX`ek$CXli\ek ,(+ .,/$,(-' 9F@J9I@8E; **(,# Xm\el\ [\j >iXe[\j Kfli\cc\j +,' 0,($+,(, J8@EK<$=FP )*-'# Z_\d`e JX`ek\$=fp +(/ 0(+$-0.+ 9IFJJ8I; 0**'# Yflc\mXi[ C\[lZ# cfZXc (' +,' /()$)/*/



57 | LIVRES

J’AURAIS AIMÉ ÊTRE LUCHINI... MOTS | FRANCO NUOVO

Oui, j’aurais aimé être lui. Bon, j’aurais aussi aimé être de nombreux hommes à part moi-même, vous dirais-je, ce qui révèle peut-être l’océan de complexes dans lequel je nage et explique surtout pourquoi une seule vie ne suffit pas. Aujourd’hui, en tout cas, j’aurais aimé être dans la peau de Fabrice Luchini; une seule semaine, allez! Un seul mois! Pas tellement parce que je viens de terminer son bouquin Comédie française: ça a débuté comme ça… qui ne m’a pas jeté à la renverse. Toutefois, j’y ai reconnu le personnage. Je dis le personnage et non l’homme parce que même après cette lecture aux allures de biographie trafiquée, je ne sais toujours pas qui se cache derrière ce type moyen, ni grand ni petit, ni beau ni laid, mais extraordinaire tant il est fascinant. Une présence. Des anecdotes savoureuses, des tranches de vie, des rencontres, et un amour infini pour les écrivains, SES écrivains «dont il est si sûr», et pour leurs mots derrière lesquels il aime se réfugier… probablement pour mieux y cacher son âme. Je voudrais être Luchini, non parce qu’il est d’origine italienne, ni parce que ses parents comme les miens émanaient de la simplicité involontaire de l’émigré, ni parce que, graine de voyou, il a quitté l’école à 13 ans, ni parce qu’il se prénomme véritablement Robert, une horreur, Robert Luchini. Non, j’aurais juste voulu être Luchini.

>


> Peut-être parce que cet apprenti coiffeur devenu acteur et puis «diseur» qui avait le brushing de Joe Dassin et le maillot de Marlène Jobert a réussi, le hasard aidant, un saut dans le vide, un saut dans la vie. Sur les rayons

LA MAISON DANS LAQUELLE MARIAM PETROSYAN (traduit du russe par Raphaëlle Pache) Monsieur Toussaint Louverture, 960 pages Il y a de ces livres dont on ne se remet pas. Leurs univers sont trop vastes, leurs personnages trop vrais, leurs lieux trop réels. On s’y perd avec plaisir, parfois difficulté, mais toujours avec curiosité et appréhension. Ils deviennent rapidement bien plus qu’un exutoire; plutôt quelque chose comme un rendez-vous. On peine à penser à autre chose et chaque moment de lecture frôle la délectation. La maison dans laquelle, le premier et unique roman de l’auteure russe Mariam Petrosyan, fait partie de ceux-là. Une maison dans laquelle l’Extérieur prend toujours une majuscule, où rapidement votre prénom tombe pour un sobriquet et où les murs vous dévoilent une mythologie bien singulière, encore devez-vous désirer vraiment la connaître. Un pavé étrange et dérangeant, qui percute et fascine le lecteur avec maestria. Ce manuscrit n’était pas voué à l’édition, il fut écrit au hasard, par nécessité, bien avant sa publication en 2009. Depuis, jamais l’auteure ne s’est remise à l’écriture, comme si tout ce qu’elle avait à offrir se retrouve là, dans cette brique de près de mille pages. Et ça, on peut le croire. La maison est une institution, peut-être un orphelinat, un pensionnat, une école spéciale, mais elle ne sera jamais baptisée autrement que la Maison. Y errent des enfants et des adolescents, tous singuliers d’une façon ou d’une autre, tantôt aveugles, tantôt colériques, souvent en fauteuil. Ils se baptisent de surnom, se font violence, nomment leur dortoir, créent des clans assez hétérogènes et répondent aux Lois de la maison. Mais surtout, ils craignent leurs 18 ans, car c’est là que tout cesse, c’est à ce moment bien précis que la maison les met à la porte. On pourrait parler de Fumeur, le renégat du groupe des Faisans, de l’Aveugle, le chef du groupe 4 qui cache deux couteaux, ou encore de Sauterelle, cet enfant sans bras arrivé à la maison à une autre époque. Mais ce serait trahir le livre qui contient autant d’histoires que celles qu’on veut bien y voir. Un amalgame habile et efficace de mélancolie, de violence, de cruauté et de candeur, catalysé par la peur de l’ailleurs et de l’autre. En bref, si vous n’avez qu’un livre à lire, faites que ce soit celui-là. (Jérémy Laniel)

J’aurais aimé être Luchini, parce qu’au cinéma, il fait l’acteur en ayant l’air, comme une vieille fille, de ne pas y toucher, jouant si gros qu’il donne l’impression de ne pas jouer. J’aurais aimé être Luchini parce qu’au théâtre classique comme celui de Molière qu’il aime mais pratique peu, il s’efface modestement en prenant soin de ne pas oraliser le texte. Il préfère traîner la poésie de ses auteurs sur les planches. J’aurais aimé être Luchini, oui, parce que le cul et la libido s’inscrivent naturellement dans ses propos sans vulgarité, ils glissent. «Un vagin pour tous les âges» ou, faisant référence à je ne sais plus quel film, le voilà «parti se refroidir à la source d’une femme fontaine». J’aurais aimé être Luchini parce qu’on dirait que rien ne l’arrête, ni l’érotisme ni la langue des voyous, apprise naturellement, gamin, rue des Abbesses et de laquelle il n’a aucune honte, y voyant au contraire une poésie. C’est là d’ailleurs qu’il a fait la connaissance de Céline, son auteur, son écrivain, alors qu’un jeune garçon lui glissait sous le bras, sachant fort bien ce qu’il faisait, Voyage au bout de la nuit. Cette langue des voyous, c’est aussi la nôtre, celle qu’on apprend dans certains de nos quartiers, de la même manière qu’on apprend à marcher, à boire et à fumer. Du coup, Fabrice comprend dans une phrase apparemment banale – «La tante à Bébert rentrait des commissions» – que Céline avait inventé le gros plan en littérature. Capotant, non? J’aurais voulu être Luchini parce qu’il sait parler avec les mots des autres avec un sans-gêne lui-même éloquent, parce qu’il est consciemment complice des médias puisqu’à ses yeux, «il est plus dur de réussir l’émission de Laurent Ruquier que de jouer Poésie [son spectacle]». Il le dit lui-même: il est autre chose que le personnage hystérique que l’on voit. Qui est-il vraiment? Ça, il ne le dit pas. C’est pour cela probablement qu’il ne cède jamais au piège de l’entrevue. Pour cela, aussi, qu’il prend les rênes bien en main dès que la lumière rouge d’une caméra de télé s’allume.


J’aurais aimé être Luchini pour ça, parce qu’il a choisi, décidé que sa vie n’aurait de sens qu’à travers les mots de Nietzsche, de La Fontaine, de Molière, de Proust… «son fonds de commerce». J’aurais aimé être Luchini parce que comme lui j’aurais aimé pouvoir écrire: «Rohmer veut me voir. Je rentre au 26, avenue Pierre-Ier-de-Serbie, dans le 16e arrondissement; les mots et les chiffres de l’ascenseur social». C’est pas fort ça, sous la plume d’un ex-Robert qui n’a jamais oublié d’où il venait. D’ailleurs, on n’oublie jamais. On peut faire semblant. Oui, j’aurais aimé être Luchini parce que lui, même s’il se cache derrière la langue qu’il aime, ne fait jamais semblant. Il est aussi capable de dire que «l’argent l’émeut». Cette sincérité. Et qui sait s’il ne joue pas la provocation quand il affirme constamment dans son milieu qui penche avec volontarisme à gauche: «Pas d’erreur, j’aurais tant aimé être de gauche, mais la difficulté pour y arriver me semble un peu au-dessus de mes forces». Enfin, laissez-moi vous dire que j’aurais aimé être Luchini quand une souris est apparue sur le plateau de Vivement dimanche et qu’il a crié: «Hollande, vient voir l’état de la télévision française! François, tu nous as dit, tu nous as dit que le changement est maintenant.» Je n’ai pas vu de souris à Radio-Canada, mais l’autre jour, dans un des sous-sols, j’ai aperçu un rat. Vraiment. Alors, j’aurais aimé être Luchini et crier: «Justin, Mélanie, venez voir l’état de votre télévision publique! Justin, Mélanie, vous nous avez dit, vous nous avez dit que le changement est maintenant.» J’aurais aimé. y

COMÉDIE FRANÇAISE: ÇA A DÉBUTÉ COMME ÇA… FABRICE LUCHINI Flammarion, 256 pages

Sur les rayons

LA CHAMBRE VERTE MARTINE DESJARDINS Éditions Alto, 256 pages Dans une chambre forte, et verte, vous l’aurez deviné, se trouve le cadavre agréablement bien conservé – dû à l’étanchéité de la pièce – d’une femme. Elle serre les dents sur une vieille pièce de monnaie. Découverte macabre tant pour les huissiers qui la font que pour les lecteurs qui la lisent à l’ouverture de ce nouveau roman de Martine Desjardins. Celle qui nous avait offert Maleficium il y a de cela sept ans revient avec son cinquième roman dans lequel elle sonde le rapport à l’argent d’une riche famille au cœur de la création de la ville de Mont-Royal. Offrande particulière, comme toutes celles de l’auteure, qui nous envoie aux confins de l’avarice. Louis-Dollard Delorme est le riche héritier d’un homme ayant fait fortune grâce à la vente de sa terre et à son pouvoir redoutable de négociation, alors que ses propriétés étaient au cœur de ce qui allait devenir ville Mont-Royal. À l’époque, on avait un projet fou: creuser un trou dans la montagne. Alors qu’on dynamitait le flanc du mont Royal, lui, faisait sauter la banque. Rapidement, il inculque à ses enfants l’importance de l’argent et des économies. Louis-Dollard sera le plus fier porte-étendard des valeurs de son patriarche, parvenant à faire fructifier ses avoirs au grand plaisir de sa femme, aussi radine que lui. La maisonnée sera bouleversée par l’arrivée d’une nouvelle pensionnaire, Penny Sterling, avec un compte en banque aussi intéressant que son nom le laisse croire. Ce n’est pas toutes les bonnes locataires qui font de bonnes brus, mais chez les Delorme, c’est l’argent qui parle. On se mettra donc en tête de la marier à leur fils. Roman gothique et grotesque, La chambre verte de Martine Desjardins nous sert ici une galerie de personnages fascinants et complexes. Devant l’autel du capital, où l’on prie Sa Majesté, plusieurs garderont vices et péchés pour eux. La force du roman réside toutefois dans la narration, alors que l’auteure a eu l’idée délirante de faire de la maison un personnage en soi. C’est donc elle qui nous raconte ce qui se passe en ses murs et comment, à quelques reprises, elle a parfois donné un coup de pouce au destin pour parvenir à ses fins. Car, sachez-le, dans ce livre, tout est une question d’intérêt, bancaire ou personnel. (Jérémy Laniel)


(À GAUCHE) NELSON HENRICKS, PAINTED FLOWER, 2016 (AU CENTRE) LUANNE MARTINEAU, BATHSHEE, 2015. TREPANIER BAER GALLERY


61 | ARTS VISUELS

LE GRAND RASSEMBLEMENT PHOTO, DESSIN, CROQUIS, SCULPTURE, COLLAGE… LE PAPIER SERA DÉPLOYÉ SOUS TOUTES SES FORMES LORS DE LA NEUVIÈME ÉDITION DE LA FOIRE D’ART CONTEMPORAIN PAPIER AU HANGAR 16. À MILLE LIEUES DES RUPTURES INTESTINES DE L’AN DERNIER, L’ÉVÉNEMENT SE VEUT PLUS QUE JAMAIS RASSEMBLEUR. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

«Il y a un intérêt grandissant pour la foire», remarque Émilie Grandmont-Bérubé, directrice de la Galerie Trois Points, qui participe à la foire depuis ses tout débuts en 2007 au Westmount Square. «Peu importe où l’on se trouve, les gens nous suivent.» Les inquiétudes à ce sujet étaient pourtant grandes l’an dernier. En désaccord avec l’idée de déplacer l’événement nomade dans le complexe de Gaspé en plein cœur du Mile-End, alors qu’il avait toujours eu lieu au centre-ville, là où l’on retrouve la grande majorité des galeries d’art à Montréal, un noyau dur de galeristes avait décidé de faire bande à part en créant la foire Art contemporain pour tous (ACPT) en même temps que Papier15. «Il n’y a pas de dissidents cette année», assure Christine Blais, directrice de l’Association des galeristes d’art contemporain (AGAC), responsable de l’événement. «Ç’a pris une ampleur délibérée l’an dernier, mais là, on fait l’unanimité en revenant dans le coin du centre-ville.» Ainsi, 38 galeristes (dont certains ex-«dissidents» comme Robert Poulin et Éric Devlin) viendront présenter les œuvres de leurs nombreux artistes durant ce neuvième ralliement d’envergure – l’un des plus gros en fait d’art contemporain au Canada.

«On voulait un endroit edgy qui puisse représenter une foire aussi contemporaine et variée que Papier», précise Christine Blais à propos du Hangar 16, un «site industriel» avec des murs en métal et un plancher en asphalte. «On veut montrer que notre événement, c’est un happening festif et accessible.» L’étincelle qui met le feu aux poudres C’est d’ailleurs cette dimension de Papier qui a séduit Karine Vanasse à la base. L’actrice québécoise reprend son rôle de porte-parole de la foire pour une troisième année consécutive. «Au départ, j’étais intimidée par le monde de l’art contemporain, admet-elle. C’est vraiment quand je suis entrée à Papier, un peu par hasard il y a cinq ans, que j’ai eu mon premier coup de cœur pour une œuvre. L’année d’après, je voulais juste y retourner!» Des histoires de la sorte, Émilie GrandmontBérubé en a entendu plusieurs. Selon elle, Papier contribue grandement à démocratiser l’art contemporain, ne serait-ce que par son côté abordable, en grande partie relié au coût relativement bas de son matériau de base, et par sa proximité entre les visiteurs et les exposants, que présuppose l’idée même d’une foire.

>


«En général, les gens sont intimidés d’aller en galerie. Ils ne connaissent pas ça et pensent qu’ils vont se faire sauter dessus, blague la directrice. À Papier, ces appréhensions-là ne sont plus là. Les visiteurs se sentent à l’aise de poser des questions, et les galeristes, eux, sont contents de partager leur passion.» Et les points d’ancrage sont nombreux à Papier. L’intérêt pour la photo de l’un ou la curiosité pour le dessin de l’autre peut, au détour d’un autre exposant, le mener à éveiller son intérêt pour la sculpture de gypse ou le collage numérique, par exemple. «En général, les gens s’étonnent de voir que leurs goûts sont plus développés que ce qu’ils pensaient au préalable», observe Karine Vanasse. Pour Émilie Grandmont-Bérubé, cette déambulation permet justement aux visiteurs de s’initier à différentes formes d’arts visuels auxquelles ils ne sont pas forcément exposés dans leur quotidien, du moins au même titre que la musique ou le cinéma par exemple.

PHILIPPE CARON LEFEBVRE, DREAMING OF ELECTRIC PALM TREES (2015) GALERIE NICOLAS ROBERT

«L’art contemporain, ce n’est pas quelque chose de fortement imprimé dans nos habitudes culturelles. On a souvent l’impression que c’est loin et que ça ne nous concerne pas, alors qu’au fond, l’artiste parle de notre

RAGNAR KJARTANSSON 2016 02 11 2016 05 22

« UNE ŒUVRE CAPTIVANTE À LA FOIS TRAGIQUE ET COMIQUE, MÉDITATIVE ET RETENTISSANTE. » – THE NEW YORK TIMES

Avec le soutien de Esker Foundation, Calgary; et Icelandair

Ragnar Kjartansson, The Visitors, 2012. Projection vidéographique HD à neuf écrans, son, 64 min. © Ragnar Kjartansson. Avec l’aimable permission de l’artiste, de Luhring Augustine, New York, et de i8 Gallery, Reykjavik

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL

185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal (Québec) H2X 3X5 Canada Métro Place-des-Arts macm.org


PHOTO | JEAN-MICHAEL SEMINARO

>

réalité à travers son œuvre», explique-t-elle, citant au passage quelques artistes comme AnneRenée Hotte et Nicolas Fleming qui seront exposés à Papier16. «C’est à ce moment-là que les galeristes sont pertinents. Ce sont eux qui font le lien entre l’artiste et le client.» Stimuler le marché de l’art contemporain Au-delà de l’engouement suscité durant son annuelle fin de semaine, à laquelle se greffent également des conférences, des tournées de galeries et plusieurs autres événements connexes, cet événement de l’AGAC a comme objectif d’attirer de nouveaux collectionneurs. La tâche est loin d’être facile, de l’avis de Christine Blais: «Au Canada, il y a juste 6% de gens qui collectionnent les œuvres d’art. Ce n’est vraiment pas beaucoup… Mais les foires aident beaucoup à stimuler le marché, vu que les gens n’ont pas le réflexe d’aller dans les galeries.» La directrice de la Galerie Trois Points admet également que le marché de l’art contemporain canadien ne connaît pas actuellement ses années les plus fastes. Selon elle, c’est sa fausse image élitiste qui en serait la principale cause. «À l’époque, le côté élitiste était pratiquement recherché dans les galeries. Ça donnait une plus-value à l’expérience client de lui donner l’impression qu’il faisait partie d’un cercle

restreint de collectionneurs, explique Christine Blais. Ça fait au moins 10 ans qu’on a réalisé que ça ne fonctionnait plus comme ça. Les galeries sont maintenant beaucoup plus accueillantes.» Avec des ventes de plus en plus impressionnantes, qui ont dépassé les 900 000 dollars l’an dernier, Papier a évidemment contribué à changer cette mentalité rétrograde au Québec. Des œuvres en vente à quelques centaines de dollars ont d’ailleurs permis à plusieurs néophytes de se familiariser avec un microcosme autrefois hermétique. Du lot, Karine Vanasse a vu sa curiosité pour l’art contemporain se changer tranquillement en passion, depuis son tout premier passage à la foire. «J’essaie de me contrôler parce que c’est rendu un peu une drogue ces temps-ci, admet-elle, en riant. L’année dernière, je me suis laissée charmer à beaucoup de reprises par plein d’œuvres, mais là, je veux me contrôler. Le but, ce n’est pas de les accumuler ou de les revendre, mais bien de vivre avec et de pouvoir les relier à un moment précis de ma vie. Les œuvres prennent plus de sens comme ça pour moi.» Et c’est justement ce rapport bien personnel à l’art contemporain que Papier cherche à développer chez ses visiteurs. y Du 22 au 24 avril Hangar 16, Quai de l’Horloge


64 | OPINION

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

#15$MINIMUM Pourquoi le Québec devrait-il emboîter le pas et augmenter le salaire minimum à 15$ Le 29 novembre 2012, à Manhattan, une centaine d’employés travaillant dans le secteur de la restauration rapide ont choisi de quitter leur emploi pour aller manifester pour de meilleures conditions de salaires. Payés 7,25$ de l’heure, ils ont éveillé l’attention de leurs pairs et de l’opinion publique quant à la précarité dans laquelle ils se trouvaient, devant compter sur les timbres alimentaires et un second emploi pour joindre les deux bouts. Trois ans plus tard, des dizaines de milliers de personnes manifestaient dans plus de 200 villes américaines et scandaient leur soutien au mouvement alors appelé #fightfor15. L’accroissement des inégalités ne fait malheureusement pas exception au Québec, bien qu’il soit moins prononcé ici. Avec un seuil de pauvreté établi à 23 000$ pour une personne vivant seule, il est simplement inacceptable que quelqu’un qui choisit de travailler à temps plein ne puisse le dépasser en étant payé au salaire minimum. Faisons le calcul: le salaire minimum passera à 10,75$ le 1er mai prochain. Donc, quelqu’un qui travaillerait 40 heures par semaine gagnerait annuellement 22 360$, ne dépassant donc pas le seuil de la pauvreté. Quelque chose doit être fait Mais ne devrions-nous pas viser à tirer les plus pauvres vers le haut plutôt que de tirer les plus riches vers le bas? Avec un taux d’imposition marginal qui atteint maintenant 54%, une taxe de consommation de 15% et des impôts fonciers qui ne cessent d’augmenter, est-ce vraiment raisonnable d’en vouloir davantage de la part des 25% des Québécois les plus riches qui versent déjà 77% des impôts perçus? Et si on augmentait nous aussi le salaire minimum de façon importante? Prenons par exemple le

secteur du détail, dans lequel œuvre une grande proportion des employés qui sont payés au salaire minimum, qui représente un pan important de notre économie. Avec des revenus d’environ 110 milliards annuellement, ce secteur représente près du tiers du PIB du Québec. Une hausse de près de 50% du salaire minimum ne se ferait pas sans impact. Cette hausse ne pourra être limitée aux employés qui touchent le salaire minimum. Elle devra se répercuter dans une bonne partie de l’organisation afin d’être cohérente et équitable. Cette augmentation représenterait une hausse de 20% du coût total de la main-d’œuvre. Ce n’est pas une mince affaire. Quel serait l’impact pour le secteur de l’alimentation, celui qui offre les marges nettes les plus basses? En fonction du type de commerce, la main-d’œuvre représente entre 6 et 10% des frais d’exploitation. Une hausse de 20% des salaires augmenterait donc les frais d’exploitation du détaillant en moyenne de 1,6%. Il faut ajouter la hausse des coûts liés aux produits fabriqués ici et celle liée au transport. Cette hausse totale estimée à moins de 4% serait facilement absorbée par l’augmentation des ventes des détaillants et par une légère inflation du prix des produits. Une inflation qui sera largement compensée par la hausse des salaires des moins nantis et qui sera tout à fait acceptable par les plus riches, certainement plus qu’une autre hausse d’impôts. Nos détaillants ont de bien plus importantes sueurs froides avec notre dollar. Parce que, ne nous leurrons pas, un salaire de 30 000$ annuellement n’est pas une panacée. Il n’entraînera pas une augmentation importante de la thésaurisation. Une grande majorité de ces augmentations seront dépensées dans nos commerces et remises au gouvernement en taxe de vente. De nombreuses entreprises ont compris que le traitement qu’elles offrent à leurs employés avait un lien direct avec la qualité du service offert à leurs clients, la diminution du taux de roulement, les coûts de formation et leur productivité globale.


>

Et malgrĂŠ ces salaires plus ĂŠlevĂŠs que ceux payĂŠs par leurs compĂŠtiteurs, elles figurent parmi les entreprises les plus performantes dans le secteur des bas prix. On pense par exemple Ă Costco. Ce dernier, qui offrait dĂŠjĂ les meilleures conditions de l’industrie, a rĂŠcemment annoncĂŠ que le salaire minimum qu’il offrait au Canada ĂŠtait haussĂŠ Ă 13,50$. Un caissier qui y travaille depuis cinq ans gagne environ 25$ de l’heure. Vous avez bien lu, 50 000$ par annĂŠe. Costco semble y trouver son profit. Si votre modèle d’affaires est uniquement basĂŠ sur l’embauche d’employĂŠs au salaire le plus bas possible, peut-ĂŞtre qu’il ne fonctionne pas et qu’il mĂŠrite d’être ĂŠliminĂŠ.Â

prĂŠsentes en occident. Il reste bien sĂťr plusieurs dĂŠfenseurs d’un salaire minimum le plus bas possible, comme l’Institut Fraser, ÂŤthink tankÂť de droite, qui s’Êvertue Ă faire la promotion du libertarisme ĂŠconomique. Heureusement, d’autres voix s’Êlèvent, et non les moindres. Dans une lettre adressĂŠe au prĂŠsident Obama, 75 ĂŠconomistes rĂŠputĂŠs, incluant sept prix Nobel, dont Joseph E. Stiglitz, ont plaidĂŠ en faveur d’une augmentation importante du salaire minimum. De nombreuses ĂŠtudes rĂŠcentes rĂŠfutent les prophètes de malheur qui associent une hausse du salaire minimum Ă d’Ênormes pertes d’emploi, surtout chez les plus jeunes.

Il y a bien autres avantages à l’augmentation du salaire minimum. En augmentant le fossÊ entre ce que l’on obtient des prestations d’aide sociale et le salaire qu’un travail à temps plein ou à temps partiel peut procurer, il est Êvident que d’aucuns considÊreront retourner sur le marchÊ du travail et que cela entraÎnera une diminution des coÝts sociaux assumÊs par l’État.

De nombreux États ont choisi d’emboÎter le pas, influencÊs par le leadership de New York. La Californie procÊdera par rÊfÊrendum en novembre prochain afin de dÊterminer si elle aussi atteindra 15$ l’heure d’ici 2022. La ville de San Francisco l’a dÊjà fait, comme Seattle. Au Canada, l’Alberta a haussÊ le salaire minimum d’un dollar en octobre et vise à atteindre 15$ d’ici 2018. Il est grand temps que le QuÊbec se joigne à ce mouvement qui nous servira tous: viser 15$ d’ici cinq ans.

De plus en plus d’Êconomistes rÊalisent que la morositÊ dans laquelle est plongÊe notre Êconomie est directement reliÊe aux inÊgalitÊs croissantes

Joignez-vous Ă cette rĂŠvolution et rĂŠclamez, vous aussi, #15$minimum. Par ĂŠquitĂŠ et justice. Pour notre bĂŠnĂŠfice Ă tous. y

4/54 3)-0,%-%.4 3!6/52%58

0)::%2)! -/::!2%,,! "!2 %./4%#! 25% 3!).4 0!5, /5%34 -/.42ÂĄ!, s -!.')!&/#/ #!


QUOI FAIRE

photo | Courtoisie evenko

<

DURAN DURAN C e n t r e B e l l – 1 1 av r i l

Le légendaire groupe synthpop britannique Duran Duran viendra défendre les chansons de son 14e album en carrière, Paper Gods, paru en juin dernier. Accompagnée par la révélation house Shamir et la figure de proue du disco américain CHIC, incluant le fondateur et guitariste Nile Rodgers, la bande à Simon Le Bon fera vibrer les nostalgiques.


INGRID ST-PIERRE

TIKEN JAH FAKOLY

l a t u l i p e – 14 a v r i l

MÊtropolis – 6 Mai

Forte de son troisième album Tokyo, paru en novembre dernier et rĂŠalisĂŠ par le très talentueux Philippe Brault, Ingrid St-Pierre arrĂŞte sa tournĂŠe quĂŠbĂŠcoise au cabaret La Tulipe de MontrĂŠal. Très naturelle sur scène, l’auteure-compositrice-interprète originaire de Cabano dans le Bas-SaintLaurent installe une ambiance intimiste et chaleureuse durant ses spectacles.

L’auteur-compositeur-interprète et ÂŤĂŠveilleur de consciencesÂť africain Tiken Jah Fakoly souffle sur MontrĂŠal en mĂŞme temps que les premiers vents chauds. Il nous prĂŠsente Racine, son plus rĂŠcent opus marquĂŠ par des reprises d’Alpha Blondy et de Bob Marley, notamment.Â

,FL YRXV WURXYHUH] GH VXSHUEHV SLqFHV GH YLDQGH SUrWHV j VHUYLU RX PDULQpHV PDLV DXVVL XQH JUDQGH pSLFHULH UHJRUJHDQW GH WRXWHV VRUWHV GH GpOLFHV

BLEACHED r i t z p D B – 1 6 av r i l

ANDREW BIRD t h ĂŠ ât r e C o r o n a – 1 1 av r i l

Plus de 20 ans après ses dĂŠbuts, le multi-instrumentiste originaire de Lake Forest proposait Are You Serious au dĂŠbut du mois d’avril. Quelques jours plus tard, le voilĂ Ă MontrĂŠal pour prĂŠsenter ses chansons indie folk aux arrangements riches et ĂŠtoffĂŠs. Toujours prĂŞt Ă se rĂŠinventer, autant sur disque que sur scène, Bird est un incontournable.

photo | Courtoisie Blue skies turn BlaCk

Trois ans après son entrĂŠe fracassante sur la scène garage californienne, grâce Ă son premier album Ride Your Heart, le trio des deux sĹ“urs Clavin offre Welcome the Worms, une suite parue le 1er avril dernier sous Dead Oceans. MĂŠlangeant avec mordant mĂŠlodies pop et intensitĂŠ brute, Bleached fera vibrer le Mile-Ex au grand complet. >

0$5&+e -($1 7$/21

SODFH GX 0DUFKp GX 1RUG 0RQWUpDO Âł 3HWLWH 3DWULH 4&


>

THE DANDY WARHOLS l ’ a s t r a l – 10 a v r i l

Quatre ans après This Machine, le groupe emblématique de Portland remet ça avec un neuvième album, Distortland. À peine deux jours après la sortie, la bande à Courtney Taylor sera à Montréal pour offrir ses refrains pop psychédéliques accrocheurs et ses mélodies rock garage. La petite Astral sera fort probablement remplie au maximum de sa capacité. photo | Courtoisie evenko

NAPALM DEATH ET MELVINS

SUUNS

WORDUP! #TREIZE

C l u B s o D a – 1 7 av r i l

la tulipe – 20 avril

C l u B s o D a – 23 a v r i l

Deux groupes cultes croiseront le fer à Montréal ce mois-ci: les inclassables Melvins, pionniers du grunge et expérimentateurs métal hors pair, et les toujours aussi intenses Napalm Death, les éternels génies du death metal américain. Comme si ce n’était pas assez, le groupe noise rock japonais emblématique Melt-Banana ouvrira la soirée.

Avec son alliage massif de rock, d’électro et d’expérimentations psychédéliques diverses, Suuns a réussi à intéresser la presse médiatique internationale depuis le début de la présente décennie. Trois ans après l’acclamé Images du futur, le groupe montréalais envoie Hold/Still, son troisième album, et profite de l’occasion pour partir en tournée au Québec.

Phénomène rap québécois qui dure maintenant depuis plus de six ans, les WordUP! Battles préparent une treizième édition officielle qui risque de faire couler beaucoup d’encre, notamment en raison de son match principal, opposant l’incisif Jeune Chilly Chill (de NSD) au pionnier Dramatik (de Muzion). On pourra également y voir le duel entre Freddy Gruesum et Franko Bucci.

LES GOULES

<

s a l a r o s s a – 22 a v r i l

Neuf ans après son album Les animaux, le groupe punk de Québec Les Goules reprend du service avec Coma, un album paru de façon surprise sur sa page Bandcamp en mars dernier. Évidemment, un retour des Goules n’en serait pas un sans les tournées rocambolesques qui viennent avec. À ne pas manquer!

photo | jay kearney


FESTIVAL DU JAMAIS LU a u x ĂŠ C u r i e s  â€“ D u 28 a v r i l a u 6 M a i

La 15e ĂŠdition du Festival du Jamais Lu battra son plein dès la fin du mois d’avril. Comme d’habitude, y seront prĂŠsentĂŠs des textes fraĂŽchement achevĂŠs, des projets ĂŠditoriaux, des ĂŠvĂŠnements communautaires, des lectures jeune public et des classes de maĂŽtre, notamment avec la dramaturge ĂŠmĂŠrite Evelyne de la Chenelière, qui prĂŠsentera l’atelier Impulsions d’Êcriture.

STARSHIT t h ĂŠ ât r e D ’ a u j o u r D ’ h u i D u 5 a u 23 a v r i l

Chez Starshit, les employĂŠs prennent leur emploi pour un privilège. Plus qu’un simple lieu de travail, cette usine Ă cafĂŠ est, en soi, un mode de vie, que reprĂŠsentent les employĂŠs (ÂŤune famille reconstituĂŠeÂť) avec intensitĂŠ et loyautĂŠ. Écrit et interprĂŠtĂŠ par Jonathan Caron, ce texte fantaisiste est une satire du ÂŤdĂŠvouement corporatif totalÂť.

VITAL FEW PHOTOSENSIBLES t h Ê ât r e p r o s p e r o D u 6 a u 23 a v r i l

ÉlaborĂŠe par cinq concepteurs, dont Maxime Robin et Keven Dubois, cette pièce se penche sur cinq photographies emblĂŠmatiques du 21e siècle. Très connues, ces photos prennent un tout nouveau sens dans cette pièce, qui cherche Ă ÂŤbâtir la chambre noire de notre siècle et Ă plonger dans le rĂŠvĂŠlateur ses archives les plus connuesÂť.

$SSRUWH] YRWUH YLQ

agora De l a Danse 20, 21 e t 22 av r i l

PrĂŠsentĂŠ Ă l’Agora de la danse, Vital Few s’intĂŠresse au dĂŠfi que reprĂŠsente le fait de ÂŤmettre l’individualitĂŠ au service d’une communautĂŠÂť et donc, plus largement, d’exister ensemble. Passant du hip-hop au ballet, les six interprètes de la troupe vancouvĂŠroise Company 605 ĂŠvoquent le ÂŤdĂŠsir organiqueÂť de faire partie de quelque chose de plus grand que soi.

>

photo | jereMie Battaglia

UXH *LOIRUG 0RQWUÂŞDO OHSHJDVH FD


photo | pierre Manning

<

TELIVIZIONE

CIRKOPOLIS

Q u at ’ s o u s – D u 11 a u 2 8 a v r i l

t h é ât r e M a i s o n n e u v e D u 14 a u 16 a v r i l

Évoquant le déclin de la télévision, une invention portant «le germe de sa propre perversion», cette pièce écrite et mise en scène par Sébastien Dodge s’amuse à «déconstruire les codes et les personnages» de la commedia dell’arte. On pourra y voir les performances habitées des acteurs David-Alexandre Després, Mathieu Gosselin, Louis-Olivier Maufette et Marie-Ève Trudel.

Mis en scène par le directeur artistique Jeannot Painchaud et le chorégraphe Dave St-Pierre, ce spectacle mélange avec fougue et audace les univers du cirque, de la danse et du théâtre. Dans une ville froide et mécanique, 10 acrobates et artistes repoussent les limites imposées «par la ville-usine». Le tout est accompagné de scénographie, de projections vidéo et de musique.

>

SÃO PAULO COMPANHIA DE DANÇA t h é ât r e M a i s o n n e u v e 28 , 2 9 e t 3 0 a v r i l

L’ex-dirigeant de la défunte troupe La La La Human Steps, Édouard Lock, amène The Seasons à Montréal et à Québec. Créée en 2014 pour la troupe brésilienne São Paulo Companhia de Dança, cette œuvre soumet 12 danseurs à une chorégraphie exigeante revisitant Les quatre saisons de Vivaldi. Deux courtes œuvres complètent le spectacle: Mamihlapinatapai de Jomar Mesquita et Gnawa de Nacho Duato. photo | patriCk laziC


887 t h Ê ât r e D u n o u v e a u M o n D e Du 26 avril au 21 Mai

NumĂŠro d’immeuble de l’avenue Murray Ă QuĂŠbec oĂš Robert Lepage est passĂŠ de l’enfance Ă l’adolescence entre 1960 et 1970, 887 s’inscrit ĂŠgalement dans un contexte socioculturel, celui oĂš le QuĂŠbec est passĂŠ de ÂŤprovince repliĂŠe sur elle-mĂŞme Ă nation moderneÂť. Les souvenirs de l’Êpoque s’entrelacent ainsi dans cette pièce entièrement ĂŠcrite, mise en scène et interprĂŠtĂŠe par Lepage.

SIMONE ET LE WHOLE SHEBANG t h Ê ât r e D e n i s e- p e l l e t i e r - D u 5 a u 2 3 a v r i l

>

Écrite par EugĂŠnie Beaudry, qui y joue ĂŠgalement le rĂ´le principal, et mise en scène par Jean-Simon Traversy (Constellations), cette pièce met l’accent sur la relation entre deux personnages: Simone, une femme de 65 ans qui vient tout juste d’entrer dans un ÂŤcentre pour personnes inutilesÂť, et Jessy, un ÂŤvieux cowboy ĂŠdentĂŠÂť qu’elle aime bien dĂŠtester.Â

photo | hĂŠlĂŞne ChaBot

62/'( -8648 › '( 5$%$,6

/H VROGH VH WHUPLQH OH PDL

0'( /80,1$,5( ERXOHYDUG &XUĂ„ 3RLULHU 2XHVW /RQJXHXLO 4XĂ„EHF - . &

ZZZ PGHOXPLQDLUH FRP


<

THE JUNGLE BOOK

LE BOUTON DE NACRE

D è s l e 15 av r i l

D è s l e 2 9 av r i l

Basé sur le synopsis de l’ouvrage original de 1967, ce nouveau film de Walt Disney présente le jeune Mowgli, devant fuir le tigre Shere Khan qui promet de l’éliminer. Encouragé par la panthère Bagheera, il devra apprendre à connaître les animaux de la jungle. Scarlett Johansson, Bill Murray et Idris Elba ont notamment prêté leur voix aux personnages.

Ce documentaire chilien de Patricio Guzmán a reçu l’Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale de l’an dernier. Expérimental, son scénario a comme trame de fond le rapport que le pays d’origine du réalisateur a avec l’eau. En découlent donc différents pans de l’histoire qui, jumelés les uns aux autres, interrogent la mémoire chilienne.

ALIAS MARÍA

MON ROI

D è s l e 2 2 av r i l

Dès le 15 avril

Présentée dans la section Un certain regard à Cannes 2015, cette production franco-argentino-colombienne tourne autour du personnage de María, une soldate de la guérilla. Alors qu’elle n’a que 13 ans, on lui donne la mission de protéger le bébé du commandant. Enceinte, María décide de ne pas révéler cette information afin d’éviter de se faire avorter au camp.

Nommé à de multiples reprises à la cérémonie des César 2016, Mon Roi dévoile l’histoire d’amour entre deux personnages: Georgio (Vincent Cassel) et Tony (Emmanuelle Bercot). Alors qu’elle se brise une jambe en ski, cette dernière se remémore les moments qu’elle a passés avec son amoureux. Réalisé par Maïwenn (Polisse), Mon Roi a été acclamé de part et d’autre.


")¾2%3 &2!¡#(%-%.4 "2!33²%3 352 0,!#% AVANT LES RUES D è s l e 15 a v r i l

Ce premier long mĂŠtrage de la scĂŠnariste, rĂŠalisatrice, monteuse et productrice quĂŠbĂŠcoise ChloĂŠ Leriche suit le parcours de Shawnouk, qui s’Êvade en forĂŞt après avoir tuĂŠ un homme durant un vol Ă main armĂŠe. TournĂŠ en langue atikamekw, Avant les rues a ĂŠtĂŠ prĂŠsentĂŠ en clĂ´ture de la 34e ĂŠdition des Rendez-vous du cinĂŠma quĂŠbĂŠcois.

L’ORIGINE DES ESPĂˆCES D è s l e 22 av r i l

Lorsque sa mère meurt, David remonte Ă l’origine de sa naissance afin de tenter de dĂŠcouvrir l’identitĂŠ de son père. PrĂŠsentĂŠ au 44e Festival du Nouveau CinĂŠma, L’origine des espèces met en vedette Marc Paquet, Sylvie De Morais, Élise Guilbault et Germain Houde. C’est Dominic Goyer (Lièvres) qui en signe Ă la fois le scĂŠnario et la rĂŠalisation.

LOUDER THAN BOMBS D è s l e 22 a v r i l

Trois ans après la mort d’une photographe cĂŠlèbre, sa famille se rĂŠunit et ressasse les fantĂ´mes du passĂŠ. PrĂŠsentĂŠ Ă Cannes en compĂŠtition officielle l’an dernier, ce drame norvĂŠgien de Joachim Trier met en vedette une brochette d’acteurs de grande qualitĂŠ, notamment Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg, David Strathairn, Amy Ryan et Isabelle Huppert. >

photo | Courtoisie MeMento FilMs

25% #2%3#%.4 #/). 3!).4% #!4(%2).%

"254/0)! .%4


photo | Courtoisie CirCa art aCtuel

*\PZPUL TtKP[LYYHUtLUUL =HZ[L ZtSLJ[PVU KL ]PUZ K PTWVY[H[PVU WYP]tL ,_WtYPLUJL NHZ[YVUVTPX\L i]tULTLU[ JVYWVYH[PM

<

MAUDE BERNIER-CHABOT ET VÉRONIQUE CHAGNON-CÔTÉ

LES PLANĂˆTES DE GUSTAV HOLST

D u 30 av r i l a u 4 j u i n CirCa art aCtuel

Maison syMphoniQue De MontrĂŠal 12 , 1 3 e t 14 av r i l

Cette expo de Maude Bernier-Chabot ĂŠvoque les frontières floues entre le construit et le monde vivant. L’artiste travaille majoritairement des sujets organiques avec des mĂŠthodes et des matières industrielles. De son cĂ´tĂŠ, VĂŠronique Chagnon-CĂ´tĂŠ propose Vous ĂŞtes ici, une sĂŠrie de tableaux et de sculptures prĂŠsentant des environnements picturaux oĂš le point de vue du spectateur bascule dans l’espace.

Ĺ’uvre du compositeur anglais Gustav Holt, Les Planètes est une suite orchestrale en sept mouvements, ĂŠcrite entre 1914 et 1916 et qui a inspirĂŠ de nombreuses trames sonores de films de science-fiction. Sous la direction d’Alain Altinoglu, l’OSM interprĂŠtera ce classique en compagnie du violoncelliste Jan Vogler.

PARTENAIRES EN DESIGN M u s ĂŠ e D e s B e a u x-a r t s D e M o n t r ĂŠ a l - D u 19 av r i l a u 2 1 a o Ăť t

:[H[PVUULTLU[ NYH[\P[ SL TPKP >LSSPUN[VU 7LLS .YPMMPU[V^U c 4VU[YtHS YLZ[H\YHU[KVJH JVT

Cette expo retrace l’Êvolution du design moderne issu du Bauhaus, ce courant avant-gardiste issu de la rĂŠpublique de Weimar. Comportant une soixantaine d’objets, Partenaires en design s’intĂŠresse tout particulièrement Ă la relation entre Alfred Barr, le premier directeur du MoMA, et Philip Johnson, figure importante du dĂŠpartement d’architecture de ce mĂŞme musĂŠe.

CONCERTO POUR VIOLON DE MENDELSSOHN Maison syMphoniQue De MontrĂŠal 6 , 9 e t 10 av r i l

Gil Shaham, laurÊat d’un Grammy et artiste en rÊsidence de l’OSM, sera dirigÊ par Kent Nagano le temps d’un concert qui saura exposer son Êpoustouflante musicalitÊ. En plus du Concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn, l’orchestre jouera deux œuvres de Schoenberg.


a choisi le Technopôle Angus pour son studio de capture de performances

LE QUARTIER OÙ TRAVAILLER


«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

Mathieu St-Onge

teomtl.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.