QUÉBEC VO1 #O3 | AVRIL 2O16 GENRES MUSICAUX DÉCOMPLEXÉS ANATOLE RUFUS WAINWRIGHT STEVE GAGNON LARRY TREMBLAY DANA GINGRAS MICRODISTILLERIES DU QUÉBEC JEAN-MARC VALLÉE DOSSIER NETFLIX
FESTIVAL DE LA BD FRANCOPHONE DE QUÉBEC
†Les notes sont attribuées par l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS). Visitez iihs.org pour plus de détails sur les procédures de tests.
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O1 O3 QUÉBEC | AVRIL 2016
RÉDACTION
Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Coordonnatrice à la rédaction et journaliste: Catherine Genest Chef de section musique: Valérie Thérien / Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture Chef de section mode de vie: Marie Pâris / Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau / Correctrice: Marie-Claude Masse
COLLABORATEURS
Caroline Décoste, Mickaël Bergeron, Nicolas Gendron, Ralph Boncy, Réjean Beaucage, Patrick Baillargeon, Christine Fortier, Julie Ledoux, Jean-Philippe Cipriani, Jérémy Laniel, Franco Nuovo, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Gildas Meneu, Normand Baillargeon, Émilie Dubreuil, Eric Godin
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ILLUSTRATION DE COUVERTURE Bach (Estelle Bachelard)
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LE MOT «BÉDÉISTE» DÉSIGNE À LA FOIS LE FÉMININ ET LE MASCULIN. LA «PLACE DES FEMMES EN BD AU QUÉBEC», DIT-ON? LA «PLACE DE LA BD TOUT COURT» Illustration de couverture | Bach (Estelle Bachelard)
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SCÈNE
Steve Gagnon Dana Gingras Larry Tremblay
16
MUSIQUE
28
SOCIÉTÉ
38
CINÉMA
46
ART DE VIVRE
54
LIVRES
64
QUOI FAIRE
Anatole Genres musicaux décomplexés Rufus Wainwright Dossier Netflix Démolition Radicalisation et cinéma Microdistilleries du Québec Réservations buissonnières Fabrice Luchini
CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p26) Mickaël Bergeron (p36) Normand Baillargeon (p44) Alexandre Taillefer (p62)
6 | OPINION
SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
NOMMER LE MAL On pourrait finir par s’habituer. Aux actes de terrorisme, aux bombes, à la menace. Déjà, je nous sens un peu moins étonnés. D’autant plus que les attentats eux-mêmes se banalisent. Du moins, les explications pointues et spécialisées s’évaporent. 7 Janvier 2015, Charlie Hebdo, on s’attaquait à la liberté d’expression, aux caricatures du prophète, à la presse satirique. 13 novembre 2015, Paris, Bataclan, on s’attaquait aux jeunes dans un concert, ceux qui prennent un verre en terrasse, qui passent une bonne soirée. Bruxelles, 22 mars 2016, on ne s’attaquait plus à personne en particulier. On s’attaquait à tout le monde, ce qui revient au même. Nous sommes passés du symbole très ciblé au quidam anonyme, du choix délibéré au hasard des circonstances. On pourrait presque parler de sécularisation des attaques. Avec Charlie Hebdo, on visait le sacré, le temple. C’est d’ailleurs ce qu’on disait à l’époque en parlant de la presse libre: les terroristes avaient attaqué les fondements mêmes de la démocratie. À Paris en novembre, c’était la jeunesse, un mode de vie libre, le rituel occidental du vendredi soir. On vise maintenant le passant dans le métro, à l’aéroport, n’importe où, n’importe quand, le mondain qui ramasse sa valise au hasard du temps et de l’espace est devenu une cible. On pourrait finir par s’habituer, que je disais. Sans doute par bravade. Mais je ne sais pas au fond. Chose certaine, en quelques jours, nous n’avions plus grand-chose à dire sur Bruxelles. Business as usual. On ne va quand même pas inviter la diplomatie à tous les coups pour défiler dans les rues. Enfin, j’imagine que le roi de Jordanie ou les diplomates d’Arabie saoudite ont d’autres occupations que de se faire prendre en photo et que Nicolas Sarkozy n’a pas grand-chose à gagner à être vu dans les rues de Bruxelles. Ni à Lahore d’ailleurs. Au fait, il s’est passé quoi à Lahore, je ne sais plus quel jour?
D’accord. Je ne sais pas si on va s’habituer. En revanche, on se lassera peut-être. La lassitude, c’est d’être confronté à l’habituel sans jamais s’y habituer. On se fatigue. Car il faut bien le dire, c’est fatigant. On a un peu l’impression de balayer une plage. Si les attentats se banalisent, les réactions les plus bruyantes, elles, sont devenues carrément banales. À tous les coups, les mêmes colères. Il faut nommer le mal! Fini la langue de bois, il faut dire les choses comme elles sont! Ça tombait bien d’ailleurs, car Marine Le Pen était de passage au pays au moment des attentats de Bruxelles et que c’est justement son gros truc de dire tout haut ce que personne n’oserait dire. Allez, allez! Dites-le! Suffit la couardise! Ce n’est pas le temps de dessiner à la craie dans les rues et de chanter des chansons en jouant du ukulélé! Au combat! Nommez le mal une fois pour toutes! Cessez de fuir la réalité! Ouvrez les yeux! OK. Si vous y tenez. Mettons. Nommons le mal. N’ayons pas peur des mots. D’ailleurs, il n’y en a que deux: islam radical. Si c’est tout ce que ça vous prend, on ne va pas se tordre les coudes pour si peu. Disons-le encore: islam radical. Voilà, maintenant que vous avez les ingrédients de base, vous pouvez fabriquer des phrases. L’islam radical a encore frappé. Des individus endoctrinés par l’islam radical ont commis un attentat. Il faut éradiquer l’islam radical. L’islam radical est incompatible avec la démocratie occidentale. Vous voyez comme c’est facile. D’une lassante facilité, je dirais. À ça non plus, on ne s’habitue pas. Le mal étant nommé, on a l’impression d’avoir posé un diagnostic. C’est quoi cette grosse bosse-là docteur? Elle n’était pas là avant-hier! C’est une tumeur madame. Vous avez le cancer. Oh, punaise!
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Vous pouvez me l’enlever? Mais certainement. Vais-je guérir? Ah, ça, c’est plus compliqué. Nommer à chaque fois, comme un mantra, l’islam radical en ayant la conviction de résoudre quelque chose, c’est un peu comme tenter de vaincre le cancer en se montrant la bosse à tout vent en répétant: «Vous voyez cette bosse? Eh bien, le médecin m’a dit que c’était une tumeur! Elle est grosse ma tumeur, non? La voyez-vous? Allez, nommez-la! N’ayez pas peur des mots! Regardez-la! Non, mais, quelle bosse! Ça ne vous fait pas peur, vous? Vous n’allez quand même pas me dire que ce n’est pas une bosse!» Si c’est tout ce qui vous intéresse, fabriquez-vous un costume de mascotte en forme de bosse et allez parader ainsi vêtu sur les boulevards. Ça va, on a compris. Une fois qu’on a dit ça, d’autres questions apparaissent et pourraient nous sortir de la lassitude. Vous permettez qu’on les pose? Vous mangez quoi? Vous vivez comment? Vous fumez? Vous buvez? Nous commencerions ainsi une recherche sur les causes, ce qui implique des questions essentielles
sur l’alimentation, les habitudes de vie, l’environnement, le stress, le travail et une foule d’autres sujets qui ne sont pas la tumeur elle-même, mais les conditions de son apparition. Ce sont les questions qu’il faut de toute urgence se poser. Quelles causes ont pour effet que des jeunes se radicalisent au point de commettre des attentats? Ne me répondez pas que la radicalisation existe à cause de la radicalisation. Lâchez-vous la bosse un peu. Ils mangent quoi? Ils vivent où? Dans quelles conditions? Comment gagnent-ils leur vie? Dans quel environnement? Ce n’est pas refuser de nommer le mal que de s’interroger ainsi. C’est tenter de le comprendre pour éventuellement le prévenir. Ce sera un travail long et difficile. Sans doute le défi de toute une génération. Peut-être même plus. Il y aura des rémissions et des échecs. Des morts aussi, qu’il faudra pleurer de temps en temps. Ce sont les vivants qui pleurent, sans doute parce que le mal, parfois, il n’y a plus de mots pour le nommer. Un signe qu’on ne s’habitue pas et qu’un peu de silence, lorsqu’il permet de réfléchir, vaut bien une vaine colère. y sjodoin@voir.ca
9 | scène
Aux limites du pAys Après Avoir inventé, dAns sA lAngue tissée d’imAges, des couples et des fAmilles tendues, steve gAgnon imAgine une communAuté isolée en forêt dAns FENDRE LES LACS. sA plume quitte lA ville pour se poser, d’un œil critique, sur lA région et son désœuvrement. MOTS | PHILIPPE COUTURE
On a connu Steve Gagnon vers 2010, comme jeune auteur racontant habilement le couple, refuge amoureux dans un monde hostile (dans La montagne rouge [sang]). Il habitait alors Québec et sa carrière d’acteur, de ce côté de la 20, commençait sur les chapeaux de roue. Maintenant Montréalais et également devenu metteur en scène, il a élargi son regard, inventant une famille dysfonctionnelle et réécrivant un classique racinien (dans En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas). Mais Gagnon est en fait originaire de Chicoutimi, où il a passé une partie de son enfance, et c’est en puisant dans ses racines régionales qu’il a écrit Fendre les lacs, une pièce campée dans une petite communauté aux abords d’un grand lac, où le temps passe lentement et où la splendeur du paysage n’est pas toujours apaisante.
PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU
Ils sont huit personnages à vivre dans de petites cabanes et à rêver d’un ailleurs meilleur le jour où Adèle, qui a l’habitude de ramasser les corps des animaux morts, revient au village en annonçant avoir fait une sombre découverte dans les bois. L’événement aura l’effet d’un catalyseur, créera un moment de crise, une prise de conscience de l’inertie qui les ronge tous. Un monde sclérosé va bientôt se réveiller.
Vaste pays limité
«La forêt isole mes personnages, dit Steve Gagnon. Elle les rend plus ou moins conscients du monde dans lequel ils vivent. C’est ce repli sur soi que je veux pointer du doigt, au sujet duquel je veux créer une réflexion. Ils sont à la fois entourés de splendeur, de paysages heureux, mais en même temps écrasés, comme avalés par ces paysages qui les empêchent de se mettre en action et d’élargir leurs horizons. Soudain, ils auront envie de sortir de leur marasme.»
Il y a quelque chose de vicié, d’engourdi ou de paralysant dans les régions québécoises, si l’on se fie au portrait qu’en font certains auteurs dramatiques, qui dépeignent des communautés rurales authentiques mais souvent asphyxiées, et dont les habitants sont de bons bougres mais dont les horizons sont limités. Dans une nouvelle dramaturgie québécoise que l’on pourrait dire «néorégionaliste», l’attachement au vaste territoire est manifeste mais inquiet: le regard est amoureux mais très critique. Ce nouveau texte de Steve Gagnon fait assurément partie de la tendance.
Que les amoureux du pays se rassurent: Gagnon ne se drape pas dans une position de supériorité morale en tant qu’urbain qui regarderait de haut l’habitant de la région. Mais le microcosme du village tissé serré lui permet un regard sur un «confort social» qu’il dit observer dans la société entière, et qui ankylose tout le monde. Un monde où le rêve se fait timide et où la collectivité se cherche des manières d’exister. C’est le monde sans utopie dans lequel nous vivons depuis trop longtemps: un monde d’individus qui cherchent du sens à leur vie et n’en trouvent pas tout le temps.
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11 | scène
«c’est une représentAtion du québec, mAis à trAvers lA fAble et l’Allégorie. J’Ai donné à ces personnAges une lAngue à lA fois brute et imAgée qui, Je pense, A un cArActère universel.» «Je pars du constat que, à l’image du Québec entier, nos régions sont d’une richesse inestimable, mais qu’au fil du temps, elles ont été dépouillées, que la vie en communauté ne s’y déroule plus comme elle le devrait, qu’on y trouve un certain désœuvrement, un manque de curiosité, une absence de soif de liberté, un non-goût pour la poésie. C’est une représentation du Québec, mais à travers la fable et l’allégorie. J’ai donné à ces personnages une langue à la fois brute et imagée qui, je pense, a un caractère universel.»
Grand amoureux devant l’éternel, Steve Gagnon a cette fois retenu ses ambitions sentimentales. Dans l’univers forestier qu’il a inventé, l’amour survit peu et mal. «C’est un monde dans lequel le champ des possibles s’est considérablement rétréci. Il y a bien sûr des histoires d’amour dans mon texte, mais elles ne sont pas centrales. Elles achoppent continuellement.» Pour incarner cette communauté atypique, il a réuni un groupe hétéroclite d’acteurs. Certains sont des collaborateurs de longue date: Véronique Côté, Marie-Josée Bastien, Claudiane Ruelland, Guillaume Perreault et Renaud Lacelle-Bourdon, par exemple. D’autres se frottent à son écriture pour la première fois, comme Pierre-Luc Brillant, Karine GonthierHyndman et Frédéric Lemay. «J’ai essayé, dit-il, de ne pas être trop lyrique dans la mise en scène, de ne pas mettre trop de théâtre par-dessus le théâtre, de diminuer les couches de théâtralité pour cultiver quelque chose de direct et puissant.» y Du 12 au 30 avril au Théâtre Périscope
Le temps qui s’écoule... Ce sont aussi des personnages qui, comme dans La cerisaie ou Les trois sœurs, s’emmerdent dans leur rase campagne et en ont marre du temps qui s’écoule trop paisiblement. Sans articuler son écriture autour des mêmes mécanismes psychologiques, Gagnon a écrit une pièce toute tchékhovienne. «Mes personnages ont 25 ans et ils n’ont rien fait de leur vie. Il est temps d’agir. Ils n’ont pas été assez confrontés à l’extérieur.» Ce sont aussi des hommes-enfants qui ont un rapport particulier avec les animaux, et donc avec une sauvagerie qui les constitue profondément. Il y a Louise, la rêveuse qui nourrit les oies. Il y a Thomas, l’homme de sa vie, qui nourrit les loups. «Ils se détachent du monde des hommes et se modèlent quelque peu aux comportements animaux, explique l’auteur. Ils ont en tout cas en eux quelque chose de très pulsionnel, qui cherche à s’exprimer puissamment. Car autour d’eux, les modèles d’humanité sont restreints.»
LES COMÉDIENS RENAUD LACELLE-BOURDON ET KARINE GONTHIER-HYNDMAN PHOTO | MARIE-RENÉE BOURGET HARVEY
Elle est de Vancouver, ils sont de Montréal, mais c’est un type d’Australie qui a réanimé ce spectacle mis sur respirateur artificiel il y a 10 ans. Sans David Sefton du Adelaide Festival et l’entêtement de Dana Gingras, cette deuxième mouture n’aurait probablement jamais vu la lumière du jour. «La conversation, pour potentiellement remonter ce show, a démarré il y a cinq ans, quand le groupe s’est reformé et qu’il a recommencé à faire des tournées. Ç’a été un processus très long, pour concrétiser le projet, trouver les bons diffuseurs, tout ça. Toutes les pièces du puzzle devaient s’assembler pour rendre le tout possible.» C’est de notoriété publique: ne capture pas les membres de Godspeed You! Black Emperor qui veut. Mystérieux, parfois même intransigeants, les huit musiciens de la formation culte ne sont pas faciles à convaincre – à commencer pour les entrevues avec la presse. Or Dana Gingras et son collègue Noam Gagnon réussissent un tour de force en les entraînant dans leurs filets à une deuxième reprise. D’autant plus que, cette fois-ci, ce ne sera pas des bandes enregistrées: le groupe a composé quelques pièces généreusement percussives sur mesure pour le spectacle, en plus de profiter de l’occasion pour
La scénographie est aussi lourde de symboles avec ses 11 blocs blancs (un pour chaque interprète, deux en surplus) qui réfèrent aux cubicules étouffants des fonctionnaires ou à ces minuscules condos nichés au sommet des hautes et nouvelles tours vancouvéroises. «Ça devient presque insupportable [à regarder]! Premièrement, parce qu’ils sont isolés, il y a cette restriction imposée de rester sur leur boîte. Deuxièmement, ils ont un espace personnel très limité et il y a aussi un risque: ils peuvent réellement tomber en bas de leur bloc! Ils ont aussi la lumière qui les éblouit. Quand ils descendent des podiums, le spectateur n’en peut déjà plus.» Des thèmes qui évoquent évidemment 1984, le classique de George Orwell. «Il était tellement en avance sur son temps avec son livre. […] Tous nos mouvements peuvent être traqués, idem pour nos conversations. On vit assurément à une époque où on a l’illusion d’être libres, et sur plusieurs plans.» L’amie des musiciens Dana Gingras n’en est (vraiment) pas à ses premières armes comme chorégraphe – et il en va de même pour ses collaborations avec des poids lourds de
sortir des limbes dAnse contemporAine Athlétique et postrock tonitruAnt se conJuguent Avec MONUMENTAL, l’événement scène incontesté du printemps, une collAborAtion renouvelée entre dAnA gingrAs et godspeed you! blAck emperor. MOTS | CATHERINE GENEST
étrenner quelques compositions non encore endisquées. Une trame sonore qui s’agence à merveille avec la chorégraphie brute et militaire en phase avec la gestuelle physiquement exigeante que Dana raffine depuis plus de 20 ans. «J’ai toujours été intéressée par les limites du corps humain parce que, lorsqu’on les atteint, les craques et les ruptures qui émergent nous laissent voir la personne derrière le danseur. Les interprètes se cachent derrière un genre de masque, mais la danse, la corvée physique et l’intensité du travail que ça demande exposent les individus.» Comme en 1984 Monumental est une critique du monde du travail, de la culture postcapitaliste, de l’obsession des hommes pour le pouvoir et la richesse. Un état de psychose collective qui affecte Dana Gingras, l’effraie, la torture. «[La pièce] soulève la question suivante: combien faut-il en faire pour en faire assez? Cette idée de toujours vouloir plus, plus gros et mieux, ça commande nos vies. Le fait de constamment se pousser en avant, c’est une illusion. Où est-ce qu’on s’en va quand on avance comme ça, sans raison?»
PHOTOS | YANNICK GRANDMONT
l’indie rock. Il y a aussi eu Circa, sa pièce transposée en téléfilm par Bernar Hébert qu’elle avait créée avec son acolyte de toujours Noam Gagnon et en collégialité avec l’inclassable trio britannique The Tiger Lillies. Puis c’est elle qui, notamment, a fait danser la belle Régine Chassagne dans le vidéoclip de Sprawl II (Mountains Beyond Mountains), un extrait de The Suburbs et un petit film d’art en soi. Pour la suite, elle planche sur une nouvelle pièce d’envergure pour un grand groupe de danseurs. «Je veux, bien sûr, que ce soit une collaboration avec des musiciens. Mon choix ne s’est pas encore arrêté, mais c’est ce que je recherche en ce moment. Je travaille aussi sur un solo qui sera présenté avec deux musiciens sur scène. J’en suis aux premiers balbutiements. Le solo sera présenté en 2017 et la pièce de groupe en 2018.» y Vendredi 15 avril à 20h au Grand Théâtre de Québec (une coprésentation de La Rotonde)
VINCENT-GUILLAUME OTIS ET GABRIEL CLOUTIER-TREMBLAY
le droit d’en pArler bArdé de prix et remArqué pour son humAnisme et sA sobriété, le plus récent romAn de lArry tremblAy est AdApté Au théâtre dAns une mise en scène de son complice de longue dAte clAude poissAnt. à pAs de souris, nous sommes Allés espionner lA sAlle de répétition où se construit doucement l’orAngerAie. MOTS | PHILIPPE COUTURE
PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
«T’es le meilleur metteur en scène de l’est de Montréal», lance, moqueur, le comédien VincentGuillaume Otis à son metteur en scène quand soudain surgit un doute, au détour d’une directive. Claude Poissant a pourtant l’habitude de dompter l’écriture de Larry Tremblay et ses personnages à l’identité malmenée. Mais cette fois, il doit composer avec un nouveau pan de son travail. Depuis Cantate de guerre, Tremblay se donne le droit de parler de guerres qui agitent quelques contrées lointaines. Il donne un visage humain et sobre à ces guerres qui déchirent les familles et déshumanisent les hommes, dépeignant une enfance que ce monde ne sait pas épargner de sa violence. Dans la salle de répétition, le dialogue entre Mikaël, un jeune prof de théâtre joué par Otis, et Aziz (Gabriel Cloutier-Tremblay), un jeune homme ayant jadis vécu le pire, pousse le metteur en scène dans une zone floue, coincé entre le réalisme nécessaire d’une salle de cours montréalaise et la nécessité de porter un «récit habité et douloureux». «Il faut éviter la tirade, tranche Poissant. Mais il faut trouver tout de même un certain souffle.»
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L’orangeraie, un roman et maintenant une pièce de théâtre en deux temps, raconte les jours tristes que les jumeaux Amed et Aziz ont passés près de l’orangeraie familiale où leurs grands-parents furent tués par une bombe, puis les tiraillements d’Aziz au moment de jouer au théâtre un rôle apparenté, des années plus tard. Ce personnage qui a perdu ses grands-parents puis son frère dans une guerre injuste peut-il vraiment tout raconter? Son histoire peut-elle être comprise par un Occidental ayant mené une vie sans histoire? Et jusqu’où? Ce sont les questions qui surgissent, emmêlées dans les voix de Poissant et de ses comédiens par un matin frisquet dans l’est de Montréal. «Dans Cantate de guerre, dit Larry Tremblay, je commençais une réflexion sur la transmission de la haine, sur les enfances volées par la guerre et sur les enfances trop rapidement transformées pour se mettre au service de la haine. Mais pendant toute la création de cette pièce, je me suis posé des questions sur ma légitimité à raconter des guerres que je n’ai pas vécues et qui ne me concernent pas a priori. Il faut un certain courage pour le faire; on peut se dire qu’on n’a pas les compétences, que notre regard n’est pas assez ancré dans le vécu, qu’il peut être maladroit de raconter une horreur dont on ne sait finalement rien. J’ai eu besoin d’écrire L’orangeraie pour poser directement ces questions; elles sont énoncées par le personnage du professeur d’art dramatique, qui est un peu mon alter ego.» L’auteur, qui s’est finalement donné le droit de parler, souligne aussi que le Québec a fait beaucoup de chemin ces dernières années à cet égard. D’un théâtre de cuisine qui n’osait pas parler du monde autrement que par les voies de l’intimité, il est passé à un théâtre politique souvent courageux, qui pose son regard sur les conflits du monde entier et qui raconte le Moyen-Orient comme l’Amérique. De Wajdi Mouawad à Philippe Ducros en passant par Olivier Kemeid et Carole Fréchette, notre dramaturgie a effectivement ouvert ses yeux et ses oreilles vers le lointain. «Je crois que, dans un contexte de globalisation, tout ce qui se passe ailleurs a des répercussions chez nous. Un écrivain doit en tenir compte. Il est impossible, désormais, d’ignorer le grand contexte et de ne pas en prendre acte dans notre analyse de l’humanité, de la société.» Larry Tremblay le fait avec une écriture très sobre, à vrai dire simple, mais de laquelle émerge tout de même un certain lyrisme, une poésie franche. Peut-être est-ce dû à sa capacité à évoquer, en n’en racontant que quelques-unes, les horreurs de toutes les guerres et les douleurs de toutes ses victimes. Sans jamais pourtant s’y complaire. «La plupart de ces guerres, dit-il, sont motivées par des haines ancestrales et par la vengeance. Ce sont souvent des conflits autour de morceaux de terre et d’idéologies religieuses. Je n’invente rien. L’orangeraie ressemble d’ailleurs à une tragédie grecque. C’est arrivé comme ça. Je n’ai pas pu faire autrement. » Une tragédie, certes, mais avec beaucoup de lumière au bout du tunnel. y Du 26 avril au 21 mai au Théâtre du Trident
17 | musique
Appelez-moi AnAtole lA lA lAnd l’A trAnsformé, fAit de lui le prophète de bonheur qu’il est Aujourd’hui. en enfilAnt le combi-pAntAlon squelettique d’AnAtole, AlexAndre mArtel s’éclAte, choque les oreilles chAstes et répAnd ses pAillettes sur une scène locAle en mAnque de glAmour. MOTS | CATHERINE GENEST
À Québec, Alexandre Martel est déjà une figure importante de la vague de musiciens de l’ère web post-My Space qui ont sorti leur tête de l’eau à l’orée de la décennie 2010. La mise en ligne du vidéoclip de Annie Hall, tube allenesque qui raisonnera instantanément sur les ondes hertziennes universitaires, marque sa naissance médiatique comme auteur-compositeur-interprète. Dès lors, on sait que le quatuor limoulois Mauves sera l’objet d’articles et qu’on devra surveiller de près l’évolution de sa pop rock teintée par les seventies, aux textes qui témoignent de la culture générale enviable de ses membres. Une plume somme toute assez poétique qui s’explique en partie par les études littéraires d’Alexandre et l’éloquence du cofrontman Julien Déry, partageant avec lui les tâches d’auteur et de chanteur. Deux albums complets – un plus beatlesque, l’autre résolument progressif – et un maxi très léché plus tard, l’insaisissable Alexandre y va d’une première galette en solo pour un projet déjà étrenné dans les salles de Québec et de la province. Un disque (L.A./Tu es des nôtres) qu’il présente aux journalistes en tenue de scène, le visage peint en blanc, col roulé cramoisi. Un exercice de style total, radical même, qui ne manque pas de faire tourner les têtes dans le café de Saint-Roch où on lui a donné rendez-vous. «Je suis mandaté pour transmettre un message et
PHOTOS | MARYON DESJARDINS
annoncer l’avènement de la nouvelle L.A. qui ne saurait tarder. […] On regarde encore Jérusalem parce que c’est écrit dans les récits saints, mais le focus a été déplacé sans que la plupart des gens s’en rendent compte.» Une proposition audacieuse – c’est presque un euphémisme – qui tranche avec la surabondance de folk ambiante, inspirée par Bowie (période Thin White Duke) et Prince «pour le côté pognage de poche». Un acte d’indépendance, même, pour aller à l’encontre de ses contemporains, qu’il ne se gêne pas de critiquer. «Y a clairement une volonté, autant dans les chansons que sur scène, de ramener une esthétique et une manière de concevoir le spectacle musical qui est issue directement des années 1970, qui s’est un peu perdue aujourd’hui et surtout ici avec le superbe culte du folk. […] Je ne pense pas que le folk c’est quelque chose de mauvais ou que les gens ne devraient pas en faire, mais c’est plutôt une option parmi 10 000 autres. Le public est formaté par l’industrie québécoise qui, elle, veut recréer un modèle de chansonniers qui date d’il y a 60 ou 65 ans. C’est ça le problème.»
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19 | musique
«Y A clAirement une volonté de rAmener une esthétique et une mAnière de concevoir le spectAcle musicAl qui est issue des Années 1970.» Pour Anatole, de toute façon, jouer au gars normal en «jeans et t-shirt» est un mensonge. «Il faut que le public en soit conscient, qu’il puisse accepter une proposition scénique pour ce qu’elle est et ne pas voir ce qui déroge de l’authenticité comme des béquilles pour pallier certains manques, des trucs pour se cacher. Tout le monde se cache sur scène.» Puisqu’il faut mettre un masque, aussi bien incarner ses fantasmes sans honte ni détour. Rétro-futurisme alla Giorgio Avec L.A. / Tu es des nôtres, Monsieur A. explore l’électro «analogique» qui fait fi des technologies actuelles, des ordinateurs en fait. Une instrumentation axée sur les synthétiseurs d’autrefois (comme le Korg Ms-10) qui, par moment, donne l’impression d’écouter la trame sonore d’un film de science-fiction des années 1980. «Les albums électropop d’aujourd’hui ont un spectre de fréquence vraiment large, il y a beaucoup d’aigus, beaucoup de basses et c’est très clair. Nous, on ne voulait pas ça, on voulait que ce soit un truc bien serré au centre. Je suis tanné des disques qui sonnent tous pareils!» «Nous», c’est son band – ses claviéristes Simon Paradis et Jean-Michel Letendre-Veilleux, son batteur Jean-Étienne Collin Marcoux et son propre frère Cédric à la basse. Des musiciens vêtus de
chiennes de peintres relégués au deuxième plan, figurants complices de ses strip-teases et autres écarts de conduite savamment mis en scène. Un goût du théâtre qui s’étend au format de la comédie musicale, idée qu’il médite pour la suite des choses. «Pas de style Broadway, mais un spectacle à plus grand déploiement qui combinerait danse, théâtre, musique. C’est dans les cartons, je ne peux pas en dire plus.» y L.A./Tu es des nôtres Disponible maintenant (Pantoum Records) Concerts
7 avril au District Saint-Joseph (Québec) 28 mai à La Taverne (Saint-Casimir)
un piAniste clAssique s’Associe à un lAbel cAnAdien Au fort penchAnt indie rock et un trio jAzz signe Avec l’étiquette de disques de YAnn perreAu et lisA leblAnc. AssisterAit-on à une nouvelle ère où ces genres musicAux serAient décomplexés? AnAlYse. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTOS | ISIS ESSERY
21 | musique
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l y a de ces genres musicaux qui peuvent être intimidants pour le mélomane moyen tellement leur histoire est riche. Par où commencer si on veut se frayer un chemin en musique classique ou en jazz, par exemple? Les jeunes auditeurs ont besoin de portes d’entrée. On écoute alors les grands: Bach, Louis Armstrong. Aujourd’hui, on remarque une tendance qui penche vers un autre type de portes d’entrée chez ces deux genres musicaux: de jeunes artistes qui se détachent légèrement des milieux typiquement jazz ou classique en sortant leur album sur des étiquettes plus établies, au catalogue varié. Cameron Reed, directeur marketing du label torontois Arts & Crafts, a mis sous contrat le pianiste québécois Jean-Michel Blais l’année dernière après l’avoir repéré sur la plateforme Bandcamp. Cette association permet d’aller chercher des oreilles aiguisées au classique, mais aussi des mélomanes avertis, friands de ce qu’offre normalement le label (Feist, Broken Social Scene, Timber Timbre). La pièce Nostos, premier extrait de l’album de solo piano Il de Jean-Michel Blais, s’est retrouvée récemment dans les palmarès d’Hypemachine et de Spotify. Le pari semble donc fonctionner. «Si tu sors un disque sur un label classique, y a de fortes chances que la majorité des gens que tu rejoindras soient des fans de musique classique, et c’est absolument pas notre approche, dit Cameron Reed. On veut vraiment trouver un public le plus large possible pour la musique de Jean-Michel.» Même son de cloche chez l’écurie montréalaise Bonsound, qui a sorti il y a quelques semaines l’album éponyme du trio jazz Misc. Le groupe a changé son nom récemment pour sortir des nomenclatures habituelles du genre musical. «Le Trio Jérôme Beaulieu avait une certaine notoriété. Là, on change le nom et l’image, donc on essaie de rejoindre les fans que le groupe avait déjà et d’aller en chercher des nouveaux aussi, avec une image un peu plus jeune et trendy, explique Alexandre Caron, responsable de la mise en marché des albums chez Bonsound. On essaie de les faire connaître à ceux qui suivent Bonsound mais aussi de plaire aux amateurs de jazz traditionnel.» Amener les fans de Lisa LeBlanc ou de Milk & Bone à prendre goût au jazz, c’est inspirant! Et cette ouverture de Bonsound est totalement réciproque pour Misc, qui a fait ses classes dans le monde du jazz ces dernières années et qui a deux autres albums à son actif. «C’est une occasion pour nous et pour notre génération d’établir un nouveau modèle d’affaires par rapport à la musique, de trouver de nouvelles façons pour que notre musique rejoigne les gens», explique le pianiste et compositeur Jérôme Beaulieu. «Le jazz est un style de musique qui a tendance à être
de niche. On nous dit souvent: “C’est malade! Je n’aime pas le jazz, mais ce que vous faites, j’aime ça”. Plus j’entends ça, plus ça conforte mon idée que c’est pas tant un problème que les gens aiment pas cette musique-là, mais un problème de diffusion, qu’il faut penser en dehors du cercle fermé de ceux qui aiment le jazz et qu’il faut oser l’amener ailleurs, dans d’autres milieux, et le présenter à des gens pour qui le jazz c’est Miles Davis et Frank Sinatra.» Une grand-mère et un hipster Si de bons labels et de bons artistes prennent ensemble le pari d’ouvrir les portes de la diffusion de ces musiques, c’est aussi peut-être signe qu’il y a aujourd’hui une curiosité qui s’est installée chez un public averti. «Depuis que tu vas à la Casa del Popolo et que t’entends les Variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould, y a comme une ouverture d’esprit chez le hipster moyen, qui sort un peu de son carcan, affirme Jean-Michel Blais. Pitchfork a commencé à intégrer plein de genres de musique, du world, de l’instrumental... J’ai l’impression que l’approche classique n’est plus réservée juste aux têtes grises. Moi, c’est un peu mon idéal aussi. Si dans une salle j’ai une grand-mère, mais que j’ai des enfants et deux hipsters dans le coin, j’ai l’impression que je fais à la limite un travail de restructuration de classes sociales.» Le compositeur montréalais espère aussi que les mondes «indie» et plus classique traditionnel se retrouveront en fin de compte. «Je pense que j’amène le classique à quelque chose de plus accessible. Peutêtre que les puristes diraient: “C’est vide, c’est de la merde”, et je peux comprendre… C’est sûr que ce que je fais n’est pas aussi riche qu’une pièce de Bach. Par contre, si ça amène les gens à s’intéresser plus au piano, que ces gens-là commencent à s’intéresser plus au classique et à Bach et qu’après ça ils achètent des albums classiques plus puristes, ben peut-être que ceux-ci seront contents. Si ça ouvre des portes, y a peut-être une fonction là.» Au final, espérons que cette tendance convaincra aussi les publics à prêter l’oreille. «Est-ce que c’est un bon move pour un band jazz de se séparer de la scène jazz? On verra», conclut Jérôme Beaulieu. Roulez jeunesse! y L’album éponyme de Misc est maintenant en vente L’album Il de Jean-Michel Blais sort le 8 avril
Dans l’immense œuvre de William Shakespeare, il y a ses 154 sonnets, des poèmes de 14 vers, publiés au début du 17e siècle. Rufus Wainwright, qui ne manque jamais une occasion de faire les choses en grand, célèbre le 400e anniversaire de la mort de l’écrivain avec un album sur lequel il met en musique neuf de ces sonnets. Mais Take All My Loves: 9 Shakespeare Sonnets est bien plus qu’un simple album hommage. Rufus Wainwright a déjà couché sur disque les sonnets 10, 20 et 43 sur son précédent disque All Days Are Nights: Songs for Lulu (2010) et en a adapté quelques autres pour la scène ces dernières années. Ce nouvel album représenterait-il un peu l’achèvement d’une thèse sur les sonnets du grand poète anglais? «Oh oui, tout à fait, admet le compositeur au bout du fil. Le premier sonnet que j’ai adapté en musique était le Sonnet 29, il y a de nombreuses années pour la Royal Academy of Dramatic Art de Londres. Ensuite, en 2009, j’ai fait la musique de Shakespeare’s Sonnets de Robert Wilson, un spectacle qui est encore aujourd’hui présenté sur scène. En 2012, il y a eu le spectacle avec l’Orchestre symphonique de la BBC autour de cinq sonnets, et ainsi de suite. Alors oui, c’est une énorme combinaison de plusieurs années de travail.» Les sonnets de Shakespeare évoquent l’amour, le désir et la passion, entre autres, toujours de façon très nuancée et avec une maîtrise des mots impeccable. Si le langage peut être difficile à comprendre pour les gens peu habitués à la poésie de l’auteur de Roméo et Juliette, Rufus Wainwright tend la main à l’auditeur sur son disque en présentant les poèmes en deux temps: d’abord les sonnets sont lus par des acteurs britanniques ou encore
shAkespeAre pAr WAinWright rufus WAinWright poursuit son trAvAil d’AdAptAtion des sonnets de shAkespeAre, pAr Amour pour sA mAîtrise des nuAnces des sentiments humAins. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTO | MATTHEW WELCH / DEUTSCHE GRAMMOPHON
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des invités comme William Shatner et Carrie Fisher, ensuite on entend le sonnet une deuxième fois, cette fois-ci mis en musique. Le musicien québécois estime que cette répétition est cruciale, un préliminaire nécessaire à la compréhension. «Les sonnets ont été écrits comme des poèmes, alors on doit avoir la lecture du texte sinon on n’honore pas respectueusement Shakespeare, explique le chanteur. Aussi, plus on entend les sonnets, mieux c’est puisque les mots s’approfondissent à chaque lecture. Même aujourd’hui, après avoir lu ces sonnets des centaines de fois, je suis encore abasourdi par le mystère de leur construction.» Pour livrer à bon port ses adaptations de sonnets, Rufus Wainwright a renoué avec Marius de Vries, le compositeur et réalisateur anglais responsable de ses albums phares Want One (2003) et Want Two (2004). Ils produisent ici un arc-en-ciel psychédélique de chansons, comme le dit si bien Rufus, naviguant dans des styles différents, du très classique avec la jeune star d’opéra Anna
Prohaska en passant par un son plus cabaret ou encore par la pop. En milieu de disque, les deux compositeurs brassent la cage avec Unperfect Actor, une pièce très rock. «Cette chanson est devenue la pièce maîtresse de notre relation professionnelle pour cet album, avoue Rufus. Tout comme Go or Go Ahead de Want One ou Memphis Skyline de Want Two, Marius voulait créer une pièce épique qui serait l’ancre du projet.» Seul Rufus Wainwright peut nous donner du vent dans l’toupet en chantant Shakespeare. y
rufus WAinWright TAKE ALL MY LOVES: 9 SHAKESPEARE SONNETS (Deutsche Grammophon/Universal Music)
Sortie le 22 avril
à écouter ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL
suuns HOLD/STILL
fred fortin ULTRAMARR (Grosse boîte) ★★★★ De retour avec un cinquième album, Fred Fortin s’acoquine de nouveau avec Olivier Langevin et Pierre Girard, mais travaille aussi de concert avec les frères Andrew et Brad Barr, François Lafontaine, Sam Joly et Joe Grass. Leur apport est notable, puisque Fortin plonge ici dans un univers folk rock riche et extraverti. Il y allie sa personnalité de conteur portraitiste à la Tom Waits, empreinte de blues et de scotch (Molly, Ultramarr), à un folk exacerbé (Oiseau, Douille) et progressif, mais sans quitter ses textes de gars au bout du rouleau (Tête perdue, Grippe) et son style distinct où sa voix suit les inflexions de sa guitare (Tapis noir, L’amour ô Canada). Avec Fred, la lumière se trouve toujours dans un coin du tableau gris: renouer avec Fortin, c’est repérer le rayon de soleil dans le champ glacé et le sourire au bout du comptoir. (J. Ledoux)
(Secret City Records)
pj hArveY THE HOPE SIX DEMOLITION PROJECT
★★★★
(Island/Universal)
Le quatuor montréalais a enregistré ce troisième opus à Dallas (Texas) avec le producteur John Congleton (qui a travaillé, entre autres, avec St Vincent, The War on Drugs, Swans ou Clinic) et le résultat est très réussi. Tous les aspects de la musique du groupe sont une coche au-dessus. Entre le son hyper saturé des guitares de Fall, la rythmique krautrock de Translate, qui retombe constamment sur ses pattes, et le minimalisme assumé de Careful, on rebrasse les mêmes couleurs, mais dans une clarté nouvelle qui rehausse le travail de chacun. Sans avoir rien perdu de sa nonchalance blasée, la voix de Ben Shemie est plus compréhensible que jamais, et les détails sonores qui l’enveloppent sont découpés avec une précision hallucinante. (R. Beaucage)
lAkou mizik WA DI YO
HHH 1/2
Polly Jean Harvey fait partie de ces intouchables, ceux qui auront toujours la cote, peu importe la qualité du matériel. Car, soyons honnêtes, si les albums de l’intrigante du Dorset se suivent et ne se ressemblent pas, ils ne sont pas tous dignes d’intérêt. Ce onzième effort mérite toutefois qu’on s’y attarde, non seulement pour l’originalité de sa conception (le public pouvait assister à certaines séances) et de sa genèse (quatre années passées entre le Kosovo, l’Afghanistan et Washington D.C.), mais aussi pour la diversité de ses 11 chansons. Enregistré sous la houlette de ses vieux complices Flood et John Parish, The Hope Six Demolition Project ramène PJ Harvey à quelque chose de similaire à To Bring You My Love – en plus acoustique – et certains de ses projets plus audacieux, sans toutefois (trop) sombrer dans l’expérimental. Un disque dont le plaisir croît avec l’usage. (P. Baillargeon)
(Cumbancha) HHH 1/2
On n’aime pas ça lorsqu’une chronique de disque se limite à ce qu’on appelle vulgairement dans le jargon du name dropping. Mais comment parler de cet irrésistible collectif haïtien post-tremblement de terre sans faire référence à Boukman Eksperyans, Sanbayo et à leurs dérivés comme Boukan Ginen, Lataye ou même à l’avatar québécois Noula (1990) avec Eval Manigat et Roro d’Haïti? Enregistré dans la belle ville de Jacmel, mixé à Montréal avec quelques guitares rajoutées par le réalisateur Chris Velan, Wa Di Yo clame à qui veut l’entendre: «Tu leur diras qu’on tient le coup. On est toujours là». Avec des cornets de fabrication artisanale, des tambours locaux et un peu d’accordéon, cette première œuvre authentique à souhait préserve l’âme d’un peuple qui résiste, dans son dépouillement, à la fois aux coups du sort et aux tractations machiavéliques qui sont faites sur son dos. Positif et craquant. (R. Boncy)
YAnn perreAu LE FANTASTIQUE DES ASTRES (Bonsound) HHH
Tel un Petit Prince, Yann Perreau nous fait la visite de sa planète, un univers qui surprend d’emblée par quelques titres très dance – dont le premier simple J’aime les oiseaux – et qui semble être surtout inspiré par le bon vent de pays hispanophones. Il aiguise un propos sur quelques titres, celui qu’il vaut mieux vivre sa vie à fond, de voler au-dessus des bandits à cravate, des «trolls qui chient leur venin» et des nids de poule. Dans un autre registre, il se fait aussi touchant et reconnaissant envers sa mère (À l’amour et à la mer) et sa blonde (T’embellis ma vie). Ses élans théâtraux donnent à quelques occasions à l’œuvre des airs de comédie musicale, mais la formule sur scène devrait être divertissante. (V. Thérien)
25 | disques
moonsorroW JUMALTEN AIKA
lAurA sAuvAge EXTRAORDINORMAL
(Century Media Records)
(Simone Records)
★★★★
HHH 1/2
Le groupe a pris plus de temps que prévu avant de lancer son septième album, mais notre patience est largement récompensée. Comme décrit par le guitaristechanteur Henri Sorvali, les influences folk prennent plus de place sur Jumalten Aika, ce qui ne veut pas dire que Moonsorrow délaisse sa personnalité pagan black métal. Cette dernière sert de tremplin aux mélodies folkloriques dansantes (même si on reste assez loin de l’univers de Finntroll dans lequel Sorvali est claviériste) qui donnent du souffle aux chansons de plus de 12 minutes (sauf Suden Tunti qui dure 7:06). Un mélange d’influences qui convient très bien au son du groupe finlandais. À noter que l’édition limitée du disque comprend des reprises de Grave et Rotting Christ. (C. Fortier)
Six mois après le EP Americana Submarine, Vivianne Roy (que l’on a connue au sein du trio néo-brunswickois Les Hay Babies) sort un premier album complet en anglais sous son nom de plume Laura Sauvage. Réalisé par Dany Placard, le disque est un sympathique mélange de rock vaporeux et planant, de grunge et de classic rock, entre The Breeders, Tom Petty et Courtney Barnett. Il y a de bons moments accrocheurs et d’autres plus légers dans cet univers assez éclaté où les péripéties et les anecdotes se font nombreuses. Il y a un certain détachement dans l’interprétation qui se marie plutôt bien à la musique, mais qui manque de cran et n’est pas assez mis de l’avant sur quelques pièces en début de disque. Toutefois, lorsque Laura Sauvage montre ses dents, c’est un délice. (V. Thérien)
quArtetski does bArtók MIKROKOSMOS
rednext level ARGENT LÉGAL
(Ambiances Magnétiques / Dame)
(Coyote)
HHHH
C’est un filon extraordinaire que les membres de Quartetski ont choisi d’exploiter en revisitant avec une grande liberté des chefs-d’œuvre du répertoire «classique» (Satie, Stravinsky, Prokofiev, Cage, etc.). Les Mikrokosmos de Béla Bartók, c’est 153 petites pièces didactiques pour piano, réparties dans six livres selon un ordre de difficulté croissant. Celui qui s’y colle n’apprend pas seulement à jouer du piano, mais surtout ce qu’est la musique, tous les «trucs» de compositeur étant aussi au programme. Ce n’est pas la première fois que le recueil fait l’objet d’arrangements, mais les Quartetski réunis autour du bassiste Pierre-Yves Martel offrent aux 23 extraits choisis un traitement très créatif à travers des interprétations qui leur donne une nouvelle vie. Superbe. (R. Beaucage)
HHH 1/2
Sur une scène hip-hop québécoise compétitive qui se prend de plus en plus au sérieux, ce premier album du trio montréalais Rednext Level détonne avec éclat, ne serait-ce que pour les productions house contagieuses de Tork, qui arpentent avec un kitsch assumé le cloud rap (40K), le neo-funk (Faible pour toi) et le dancehall tropical (Partir). Avec leurs flows théâtraux, Ogden et Maybe Watson (d’Alaclair Ensemble) y livrent des textes divertissants, qui restent complexes dans leurs structures, même dans leurs moments les plus absurdes. À la fois loufoques et baveux, les deux rappeurs se mettent dans la peau de personnages issus de la classe moyenne, satirisant ainsi un mouvement hip-hop qui, dans sa tendance à dénoncer la pauvreté ou à glorifier la richesse, n’a que rarement mis en lumière les réalités de cette strate sociale. (O. Boisvert-Magnen)
lorrAine desmArAis big bAnd DANSES, DANZAS, DANCES (Scherzo) ★★★★ Jamais notre Lorraine n’avait parue si rayonnante! En tout cas, on ne pourra pas accuser la virtuose pianiste québécoise de faire ici de la publicité mensongère. Ni sur les danses qu’elle annonce: boléro, tango, milonga, walzer, reel, samba, reggae (même si toutes ne se dansent pas), ni sur l’appellation contrôlée de son big band tout étoile. Un répertoire multicolore avec 13 cuivres rutilants qui surfent comme une déferlante sur le trio DesmaraisBélisle-Alarie. C’est enjoué, ensoleillé, un brin romantique par moment, mais parfois aussi ça frise le délire, tant l’ensemble joue de manière exubérante et vertigineuse avec des touches d’humour cabotin comme ce scat «à la Dizzy» du tromboniste Muhammad Abdul Al-Khabyyr dans Ultra Triple Swing, la spectaculaire pièce d’ouverture. (R. Boncy)
26 | musique
monique giroux SUR MESURE
j’Ai souvenir encore Il vous est certainement arrivé de passer devant une boulangerie ou un magasin de bonbons, de vous arrêter sec, touché au cœur par un effluve, et de voir instantanément surgir une rétroprojection en 3D d’un souvenir d’enfance. Comme si vous y étiez. Avez-vous déjà ressenti la même sensation étrange en entendant une chanson? Je n’écris pas «écouter» mais sciemment «entendre», parce que l’effet est plus surprenant encore lorsqu’on attrape au hasard d’une oreille distraite une chanson qu’on ne croyait pas connaître mais qu’on chante pourtant d’un bout à l’autre, sans en omettre un souffle. C’est troublant. Particulièrement quand vous tombez sur un air qui n’a jamais tourné sur les ondes de la seule radio que vous écoutez fidèlement. Comment se fait-il que je connaisse aussi bien chacun des mots de cette bluette de comédie musicale ou de cette chanson d’amour à trois sous, moi qui n’écoute que Ferré chante Verlaine et Rimbaud... (ce qui est évidemment faux, tout le monde sait que j’adore Dalida)? Par quelle porte entrouverte de mon cerveau les chansons, même celles dont je ne veux pas, se sont-elles infiltrées? Vous me direz que la musique est partout, tout le temps. En effet, mais moi pas. Je ne reste jamais assez longtemps dans une boutique pour capter une chanson de centre commercial. Et puis mon questionnement ne s’arrête pas là. Où diable ai-je bien pu ranger ces milliers de chansons aimées, entendues, écoutées, connues et reconnues pendant ces 50 dernières années? Dans quel iCloud personnel? Un nuage plane-t-il en permanence audessus de ma tête, emmagasinant chaque détail des chansons? Les notes de flûte traversière d’Histoires sans paroles d’Harmonium, la caisse claire de la chanson Le cœur de mon pays, seul succès des Scarabées, l’envolée de trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud, la guitare de Richard Desjardins quand, dans Les Yankees, le véreux demande à l’Indien: «Tell me my friend qui est le chef ici et qu’il se lève… et le soleil se leva»…
Cette question d’entreposage du cerveau m’interpelle tous les mois quand Apple me prévient que le paiement de mon stockage iCloud a été prélevé sur ma carte de crédit. Et la mienne, ma mémoire, mon stockage à moi, dans quel espace ça tient? Tout cela est-il rangé dans le même walk-in d’émotions que mes larmes devant Bambi à 4 ans, mon premier baiser au goût de Player’s light et de patchouli à 13 ans, le bruit de la sirène de l’ambulance qui me conduisait à l’hôpital après mon seul accident de voiture à 19? Je soupçonne les chansons d’être autonomes en matière de stockage. Dans votre mémoire, elles se frayent un chemin creux qu’elles seules empruntent. Une sorte de terrier du lapin dans Alice aux pays des merveilles qui conduit les chansons de notre vie dans un réservoir, un bunker antiatomique à l’abri de l’oubli. Tapies en silence, elles attendent patiemment, entassées les unes sur les autres, sans distinction de qualité ou d’ancienneté, qu’une occasion se présente pour ressurgir à la vitesse de l’éclair entre vos lèvres et, ainsi, revivre au son de votre voix. Il y a quelque temps, on a aperçu sur les réseaux sociaux la vidéo d’une petite fille de trois ans en pyjama à pattes, chantant Hello d’Adele debout sur un canapé en grattant une guitare dessinée sur un carton. Un poème. Concentrée comme une Adele sur la scène des Grammy, elle y met toutes ses tripes. De toute évidence, elle ne sait pas lire le texte. Elle connaît la chanson. En comprend-elle le sens? Possible. Son nuage à elle, encore si petit, ne demande qu’à être rempli. Il enregistre déjà. À quelques jours près, Lara Fabian présentait le nouveau clip de sa chanson L’oubli. On y voit se succéder des membres de sa famille en gros plan réagissant en silence mais en émotion aux paroles de la chanson dédiée à sa mère qui souffre d’une «maladie de la mémoire».
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Le lendemain, on partageait les images d’Henry, malade d’Alzheimer, immobile, muet, végétatif. On lui fait entendre de la musique et voilà qu’instantanément Henry s’anime. Il danse sur sa chaise et il émet des sons, ouvre les yeux, sourit. Non seulement s’anime-t-il, mais il en vient à exprimer très clairement son affection pour Cab Calloway et chante quelques extraits de chanson. La métamorphose est complète et très émouvante. Dans les années 1990, alors que je diffusais à la radio quelques chansons des années 1940-50, je recevais un courrier abondant d’auditeurs qui disait essentiellement ceci: Ma mère souffre d’Alzheimer, elle ne nous reconnaît plus, ne communique plus, ne réagit plus. De temps en temps, elle s’éveille et chante très clairement deux phrases d’une chanson que je ne connais pas, toujours la même chanson. Pourriezvous m’aider à en retrouver le titre? Je pourrais lui faire entendre, ça nous rapprocherait peut-être et ça pourrait la ramener au monde. J’avais fait de cet exercice une rubrique hebdomadaire. Comme je ne reconnaissais évidemment pas toutes ces chansons moi-même, je faisais appel aux auditeurs. On a retrouvé quantité de chansons par ce moyen. On faisait œuvre utile et gratuite. Dans un article publié dans La Presse en février dernier et intitulé Des chansons pour combattre l’Alzheimer, le jour-
naliste Alexandre Vigneault cite la méthode Music & Memory utilisée dans des établissements de santé américains. Les résultats sont aussi positifs qu’émouvants. L’effet de la musique sur le cerveau, la mémoire et les émotions est fascinant, et les recherches sur le sujet sont nombreuses. Il existe même un laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son, le BRAMS, basé à Montréal et affilié aux universités McGill et de Montréal. Le laboratoire, ses nombreux collaborateurs, professeurs, chercheurs et étudiants tentent de répondre entre autres à la question suivante: pourquoi le cerveau est-il musical? Parce que oui, le cerveau humain est musical. La question est de savoir pourquoi et comment il l’est. Bien que je sois très intriguée par le sujet et curieuse de connaître les réponses, j’espère tout de même cultiver un peu de magie autour du mystère et continuer de m’émouvoir devant Henry, Hilda et tous ceux qui semblent planer entre ciel et terre et qui, grâce à quelques notes d’une chanson aimée et entendue il y a des décennies, ressurgissent du néant. D’ici à ce que la source de l’oubli soit identifiée, il nous reste à chanter. Ma suggestion de chanson: Nos délicats de Catherine Major, sur l’album La maison du monde y
UN NOUVEAU CONCEPT GOURMAND S’INSTALLE À QUÉBEC PREMIEREMOISSON.COM
625, BOUL. LEBOURGNEUF, QUÉBEC (QUÉBEC) G2J 1C3 418 623-9161
29 | SOCIÉTÉ
NETFLIX, LE GÉANT À AMADOUER NETFLIX, L’INCONTOURNABLE PLATEFORME VIDÉO, A DEPUIS LONGTEMPS ÉTALÉ SES TENTACULES AU QUÉBEC, OÙ SON NOMBRE D’ABONNÉS EST GRANDISSANT. MAIS L’ENTREPRISE CALIFORNIENNE OFFRE PEU DE CONTENU LOCAL ET REFUSE DE JOUER SELON LES RÈGLES DE DIFFUSION EN VIGUEUR CHEZ NOUS. FAUT-IL OU NON FAIRE AFFAIRE AVEC LE GÉANT? DISCUSSION AVEC DES DISTRIBUTEURS QUÉBÉCOIS QUI SONT BIEN AMBIVALENTS. MOTS | PHILIPPE COUTURE
Impossible de connaître le nombre exact d’abonnés à Netflix au Québec, puisque l’entreprise refuse de révéler ses chiffres et que les statistiques de l’Observatoire de la culture ne nous apprennent rien à ce sujet. Mais personne ne doute de sa progression rapide chez nous, où la plateforme séduit d’emblée un public jeune et branché. Mais à part pour y regarder en boucle les vieux épisodes de Friends (un plaisir même pas coupable) ou pour visionner des films hollywoodiens tonitruants, le cinéphile québécois se heurte à un mur: le contenu québécois et canadien s’y fait rare. Ironie du sort, à cause de la force de certains distributeurs étrangers qui possèdent les droits de films québécois, quelques-uns de nos grands films sont disponibles sur Netflix aux États-Unis ou en Angleterre alors qu’on ne les trouve pas sur Netflix Québec. C’est le cas de Mommy, de Xavier Dolan, pour ne nommer qu’un exemple célèbre. À première vue, le géant ne semble pas particulièrement intéressé à notre trop petit marché et ne fait affaire qu’avec les grands. Des ententes avec des diffuseurs locaux de télévision ou de télévision payante ont aussi souvent préséance: les distributeurs de chez nous ne se précipitent pas toujours vers l’entreprise américaine en premier lieu.
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30 | SOCIÉTÉ
Certes, on a pu y voir, pendant quelques courtes semaines, le film Diego Star, de Frédérick Pelletier, ou Autrui, de Micheline Lanctôt (tous deux distribués par Métropole Films). Laurence Anyways, de l’enfant chouchou Xavier Dolan, y a figuré au catalogue. Un partenariat avec Radio-Canada avait momentanément permis d’y retrouver quelques séries d’ici, comme Les Parent, La galère et Les invincibles. Mais ça n’a pas duré très longtemps. Dans un contexte de diffusion difficile dans nos salles, alors que nos films peinent à tenir l’affiche plus de trois semaines et pénètrent difficilement le marché des régions, la diffusion sur des plateformes comme Netflix ou Shomi (le nouveau service de Rogers) ou sur des sites de vidéo sur demande (VSD) est une manière de prolonger la vie des longs métrages d’ici et pourrait les aider à traverser nos
aucune présence physique au Canada. Mais pour combien de temps pourra-t-on ignorer le colosse, quand les consommateurs, eux, continuent de s’y abonner à peu de frais? Traiter avec Netflix, rêve ou réalité? Est-il même envisageable, pour un distributeur québécois de taille plus modeste que la plupart de ses homologues américains ou français, de tenter de faire affaire avec Netflix? Il y a plusieurs réponses à cette question. Les plus radicaux, comme Louis Dussault, à la tête de K-Films Amérique, refusent tout simplement de traiter avec le diable. «Nous ne collaborons pas avec Netflix, pas plus que j’appelle Uber X pour prendre un taxi. Netflix, en ne payant ni taxes ni
NETFLIX EST UN PIRATE INTERNATIONAL, ON NE LE DIRA PAS ASSEZ. ET DE L’ENCOURAGER, C’EST CONTRIBUER À DÉTRUIRE NOTRE INDUSTRIE CULTURELLE.» LOUIS DUSSAULT
frontières. On trouve d’ailleurs du contenu québécois en VSD sur plusieurs plateformes (VHX, Illico, ICI tou.tv, ONF et j’en passe). iTunes est un autre joueur, avec lequel de nombreux distributeurs d’ici ont des ententes. Mais peut-on vraiment se passer de Netflix, qui demeure la plateforme la plus populaire et le joueur le plus important? À ce sujet, les avis divergent. Depuis que le CRTC a essuyé de nombreux refus de Netflix dans ses tentatives de réglementer la plateforme et de la soumettre à une obligation de contribuer au Fonds des médias du Canada (FMC), nombreux sont les distributeurs québécois qui ont jeté l’éponge ou qui préfèrent se tourner vers d’autres initiatives. L’entreprise américaine prétend qu’elle n’est pas soumise à la juridiction du CRTC puisqu’elle n’a
impôts, est un prédateur de notre marché, sans aucune obligation du CRTC: pas de cahier de charges, comme ses compétiteurs doivent en avoir pour obtenir une licence d’exploitation. Je pense à Illico, Bell.net, Telus ou encore Super Écran, qui sont obligés d’avoir du contenu québécois, et qui achètent systématiquement nos films. Netflix est un pirate international, on ne le dira pas assez. Et de l’encourager, c’est contribuer à détruire notre industrie culturelle.» Ça a le mérite d’être clair. Netflix, d’ailleurs, puisqu’il s’agit d’un service d’abonnement au même titre que les chaînes câblées, est à considérer comme une télévision payante. Son offre se construit par ententes de diffusion aux clauses variées et à la longévité très variable: ce n’est pas un service
AUTRUI
de catalogue de films comme iTunes, où les films sont achetés et conservés pour de très longues périodes. Ainsi, les distributeurs d’ici vont souvent préférer offrir l’exclusivité de ce type de diffusion à Super Écran, qui est implanté ici depuis plus longtemps et qui respecte toute la réglementation en plus de s’impliquer dans la production de notre cinéma dès les premières étapes de préproduction. «Tous nos films, explique Francis Ouellette de FunFilm Distribution, obéissent à un parcours par étape, d’abord une exploitation en salle puis à la télévision, et je pense qu’il est important de préserver cet espace de diffusion dans lequel notre cinéma est mieux mis en valeur. Une plateforme comme Netflix est considérée en second lieu.» Même son de cloche chez Olivier St-Pierre, responsable ventes et vidéo chez Métropole films, qui n’hésite pas à vendre des films à Netflix (via un partenariat avec Mongrel Media) mais qui favorisera toujours d’abord, pour son contenu québécois, les télévisions payantes ou la VSD. C’est le catalogue de films français de Métropole qui se fraie davantage un chemin sur Netflix. «Mais soyons clairs, poursuit St-Pierre, la diffusion du cinéma est en grand bouleversement actuellement et tout le
monde cherche la manière de tirer son épingle du jeu sans connaître la solution miracle. Exclure complètement la collaboration avec Netflix, ce serait trop obstiné et certainement pas une bonne idée sur le plan commercial. Il faut rejoindre le public par tous les moyens possibles.» Néanmoins, la réalité est que bon nombre de distributeurs québécois ne sont pas de taille – Netflix est un gros joueur et, comme tous les gros joueurs, négocie avec des entreprises de sa taille. «Il faut être capable de fournir un certain volume pour faire une entente avec Netflix et il est évident que de nombreux distributeurs québécois ne peuvent fournir ce volume», précise Olivier St-Pierre. Métropole s’est tissé un chemin via son partenaire torontois, Mongrel Media. C’est souvent par ce type d’associations que la chose devient possible. Eye Steel Films, par exemple, a déjà procédé en collaboration avec un partenaire américain. «Mais il est clair que Netflix n’a pas besoin du public francophone d’Amérique du Nord, dit Damien Detcheberry. Il vaut mieux dans ce contexte miser sur la VSD sur différentes plateformes, à prix plus raisonnable d’ailleurs, et en gardant davantage le contrôle sur notre produit.»
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> D’ailleurs, un distributeur québécois peut-il vraiment faire une bonne affaire en vendant un film à Netflix? Peut-il vraiment récolter son dû? «Je ne peux pas vous révéler les chiffres, répond Olivier St-Pierre, mais chez Métropole, on y trouve assez d’intérêt financier pour juger que ça vaut le coût. Netflix ne respecte pas la fiscalité québécoise et on peut le déplorer, mais évidemment, pour demeurer un partenaire d’affaires crédible, l’entreprise respecte les distributeurs et les droits de manière raisonnable.» On n’en saura pas beaucoup plus. Netflix, et après? Netflix ou pas, la nécessité d’une discussion collective au sujet de l’accessibilité en ligne de nos films semble s’imposer. Faut-il des fonds publics pour aider les petits distributeurs à développer des partenariats avec de gros joueurs? Faut-il inventer de nouvelles plateformes de VSD ou de diffusion par abonnement? Faut-il créer un organisme de concertation pour que tous les joueurs soient au même diapason et, surtout, que le public soit mieux guidé dans sa fréquentation des différentes plateformes? «Netflix a une immense avance sur les autres, dit la présidente de la SODEC Monique Simard, à cause de son pouvoir de diffusion, mais aussi à cause de ses algorithmes puissants qui lui permettent de mousser des contenus que les consommateurs veulent. Ils connaissent les goûts des Québécois, dans toutes les niches de cinéma, mieux que toutes nos entreprises locales ou nos institutions. Mais il est important de ne pas penser que Netflix est seul au monde et, à la SODEC, ce qui m’importe est que notre cinéma soit accessible facilement, peu importe la plateforme utilisée. Si les distributeurs se regroupent et arrivent à s’entendre sur leurs besoins communs en matière de VSD, on peut les aider à dégager une vision, des principes de base, qui nous permettront de les soutenir dans leurs initiatives.» Plusieurs distributeurs rêvent de cette concertation. «Il y a de la VSD partout, même sur le site de Cineplex, dit Francis Ouellette, mais je pense qu’on aurait intérêt à essayer de se regrouper pour trouver une formule permettant de centraliser un peu tout ça. Pour le consommateur, ce morcellement n’est pas idéal. Je pense aussi qu’il faut qu’un organisme joue le rôle de médiateur entre les distributeurs et
LAURENCE ANYWAYS
certaines plateformes comme iTunes, qui n’est pas fermé aux productions locales, mais avec qui les négociations sont parfois compliquées parce qu’il n’y a pas, comme d’ailleurs chez Netflix, d’interlocuteur à l’échelle locale. Il faut pouvoir créer un dialogue à long terme.» «Les distributeurs sont bien sûr en concurrence les uns avec les autres, dit Monique Simard, mais cela ne devrait pas exclure un peu de collaboration, dans un monde changeant où les choses bougent extrêmement vite et déroutent un peu tout le monde. Il faut favoriser la coopétition, comme le disent les jeunes entrepreneurs du web et des milieux technologiques, qui ont compris depuis longtemps qu’une concurrence complète, sans collaboration, n’allait rendre service à personne.» Et la création d’une nouvelle plateforme de VSD, financée par des fonds publics et dédiée à la diffusion de notre cinéma national, serait-elle une
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«IL FAUT SANS DOUTE RÉFLÉCHIR ENSEMBLE À LA PROMO DAVANTAGE QU’À UNE NOUVELLE PLATEFORME DE VSD.» OLIVIER ST-PIERRE
bonne idée? «Non, tranche Damien Detcheberry. Le consommateur cherche des plateformes où le contenu québécois côtoie le contenu international, parce que cela reflète ses goûts. La ghettoïsation de notre cinéma sur un portail national serait un échec, à mon avis.» «On pourrait trouver un moyen commun de promouvoir les films déjà en ligne sur différentes plateformes, pense Olivier St-Pierre. Car notre problème actuel est de rejoindre les gens. Il faut sans doute réfléchir ensemble à la promo davantage qu’à une nouvelle plateforme de VSD.»
Pour Monique Simard, il faut aussi, avant toute chose, penser plus largement et, notamment, agir à l’échelle des fournisseurs de connexion Internet, par qui transite aujourd’hui toute la consommation culturelle dématérialisée. «Dans quelques semaines, ajoute-t-elle, vont débuter de grandes consultations publiques sur la politique culturelle. C’est un moment important. Tout le monde doit se servir de ce processus pour aller dire ce qu’il a à dire. Le numérique n’existait pas il y a 25 ans quand l’ancienne politique culturelle a mené à la création d’outils communs de développement comme la SODEC. Ça passe par là.» y
PHOTO | TWINDESIGN, DREAMSTIME.COM
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LE CRTC? CONNAIS PAS MOTS | JEAN-PHILIPPE CIPRIANI
Quand la porte-parole de Netflix a refusé de fournir le nombre de ses abonnés au Canada devant le CRTC, en septembre 2014, le président de l’organisme, Jean-Pierre Blais, s’est énervé. «Vous suggérez que nous ne traitons pas l’information de façon confidentielle, je trouve cela plutôt offensant», a-t-il lancé, avant de suspendre l’audience et de quitter la salle. Il a menacé de prendre une décision sans tenir compte de leur avis. En vain. Vingt mois après cette réaction théâtrale, qu’est-ce qui a changé? «Rien n’a changé», répond du tac au tac Michael Geist, de la Chaire de recherche en droit d’Internet et du commerce électronique de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. «Ni les règles ni les lois.» En ligne depuis six ans au Canada, Netflix demeure discrète sur le nombre de ses abonnés au Canada, de même que sur le contenu canadien sur sa plateforme, ses investissements en production canadienne et ses revenus publicitaires. L’entreprise invoque des raisons de concurrence. Dans les faits, Netflix fonctionne toujours comme une exception aux règles du CRTC: contrairement aux câblodistributeurs traditionnels, elle n’impose pas à ses clients les taxes provinciales et fédérales sur ses services, et ne verse pas une partie de ses revenus dans le Fonds des médias du Canada, qui accorde des subventions aux productions locales. Netflix n’a également aucune obligation de respecter les quotas de production de contenu canadien. «C’est deux poids, deux mesures, juge Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal. Vous avez des entreprises qui sont réglementées, et qui
ont des obligations. Et vous avez des entreprises comme Netflix qui proposent la même chose, mais qui sont exemptées de toutes ces exigences.» Bref, c’est Uber, version télé. À la différence que Netflix semble agir en parfaite légalité. Et c’est en partie la faute du CRTC, selon M. Trudel. «En 1999, le CRTC a décidé de ne pas réglementer le contenu sur Internet, comme si ça n’existait pas. Il s’est privé de toute possibilité d’influencer la manière dont le marché allait évoluer. Et pendant des années, il a dit sans rire qu’il y avait lieu d’exempter toute entreprise qui opère sur Internet parce que ça n’a pas d’impact sur le système de radiodiffusion. Faut le faire!» Le résultat, ajoute-t-il, c’est que la réglementation que doivent respecter et appliquer les câblodistributeurs traditionnels perd toute sa légitimité. «À quoi sert-il de leur imposer des règles, alors?» Difficile de remettre le dentifrice dans le tube. La «taxe Netflix» Plusieurs intervenants, dont Radio-Canada, Bell et Rogers, ont suggéré d’imposer une redevance à Netflix et Google afin de soutenir la production de contenu canadien. Une idée que le gouvernement conservateur avait rejetée en la qualifiant de «taxe Netflix». Pendant la campagne électorale, les libéraux s’étaient eux aussi engagés à ne pas imposer ce genre de redevance. Il faut dire que plusieurs doutent de la compétence du CRTC de réglementer les entreprises comme Netflix.
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Le problème n’est pas exclusif au Canada. En Europe aussi, Netflix est perçue comme une menace aux diffuseurs traditionnels. La multinationale, basée en Californie, a installé plusieurs filiales dans des États européens reconnus comme des niches fiscales. Ce qui lui permet aussi de se soustraire, en France par exemple, aux quotas de contenu français et à l’obligation de contribuer au financement de la création. Avec des revenus publicitaires en baisse, et la baisse des abonnements à la télé traditionnelle, les moyens financiers de Netflix sont toutefois alléchants. L’entreprise revendique une capitalisation boursière de près de 44 milliards de dollars à la bourse NASDAQ. En théorie, le CRTC pourrait traîner Netflix et Google devant les tribunaux afin de les forcer à collaborer. Mais rien n’assure qu’il gagnerait, surtout parce que les entreprises fonctionnent à partir de l’étranger. Et dans le cas d’une victoire, difficile de les forcer à se conformer à des ordonnances canadiennes. «Le CRTC a évalué la possibilité d’aller en cour, rappelle M. Geist. Mais il a renoncé. Parce qu’il n’est pas évident que Netflix ne respecte pas les règles. Oui, elle refuse de fournir ses données. Mais la question du pouvoir du CRTC de réguler reste entière.» Surtout, rappelle-t-il, que les câblos canadiens profitent quand même d’avantages de production et de diffusion que Netflix n’a pas. Selon lui, ces derniers militent surtout pour assouplir leurs propres règles, plutôt que d’en imposer à Netflix. Le CRTC tentera-t-il à nouveau de dompter Netflix? «C’est possible, à la lumière de son influence grandissante, estime M. Geist. Cela dit, il ne semble pas y avoir d’appétit politique, même public, pour de nouvelles règles.» Il croit qu’on pourra au minimum s’entendre pour imposer les taxes de vente, comme la TPS et la TVQ.
PHOTO | MICHA KLOOTWIJK, DREAMSTIME.COM
Pierre Trudel, lui, en a contre le «discours naïf» sur la liberté d’Internet, selon lequel l’État ne doit pas intervenir. Une rengaine libertarienne hostile à toute réglementation. «Y a une croyance très tenace selon laquelle on ne peut rien faire sur Internet. Essayez de distribuer des produits pharmaceutiques sur Internet, ou des produits financiers, vous avez de bonnes chances de vous faire attraper!» Il craint carrément la fin du système de radiodiffusion tel qu’on le connaît. «Une grande partie des règles finiront par s’écraser, prévoit-il. Ce sera d’autres logiques qui vont gérer.» Au premier chef, la logique comptable. y
DANS SON RAPPORT DE SURVEILLANCE DES COMMUNICATIONS PUBLIÉ EN OCTOBRE, LE CRTC ESTIMAIT QUE 58% DES 18-34 ANS ÉTAIENT ABONNÉS À NETFLIX EN 2014, SOIT LE DOUBLE DE L’ANNÉE PRÉCÉDENTE. CHEZ LES FRANCOPHONES, LE NOMBRE AVAIT TRIPLÉ POUR ATTEINDRE 24%. DE SON CÔTÉ, LA FIRME EMARKETER ESTIME QUE NETFLIX COMPTE PLUS DE QUATRE MILLIONS D’ABONNÉS AU CANADA.
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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE
MAUDITS PIÉTONS En ce moment, ça ne fait plus les manchettes, mais cet hiver, ça n’a pas été facile marcher dans la Vieille-Capitale! La Ville de Québec a reçu son lot de plaintes sur la qualité du déneigement des trottoirs. Même des hôpitaux ont exprimé leur désarroi, leurs urgences débordaient de piétons blessés. Un ami en fauteuil roulant a eu toute la misère du monde à aller voir sa copine. Le trottoir était impraticable pour lui. Des parents se demandaient comment ils pouvaient se déplacer avec leurs poussettes. Il y a même certains quartiers de Québec où, depuis quelques années, les trottoirs sont déneigés que d’un côté de la rue. Des quartiers où les résidents sortent directement sur le trottoir. Pour reprendre un thème cher à Québec, les deux côtés paient pourtant les mêmes taxes. Être piéton, c’est téméraire. C’est presque du militantisme, un acte de résistance. Pas seulement l’hiver. C’est là le problème. L’été, on réussit à négocier avec les contraintes parce que les trottoirs sont dégagés. La dangerosité étant en bonne partie disparue, on s’accommode de cet urbanisme conçu pour la voiture. Un exemple frappant est cette vidéo où l’on voit un piéton marcher sur le chemin Sainte-Foy, entre Calixa-Lavallée et Belvédère. Combien de temps pour joindre ces deux coins de rue? Plus de cinq minutes. Et la majorité du temps, le piéton est immobile: il attend le «petit bonhomme» pour traverser. Piétons Québec est un organisme citoyen né l’automne dernier afin de donner une voix aux piétons.
L’équipe est composée de citoyens et citoyennes vivant à Montréal, Sherbrooke ou Québec, comme la porte-parole, Jeanne Robin. Selon elle, «le Québec est très en retard sur la place du piéton». Elle suggère de regarder comment on rénove une rue ou un boulevard. On va analyser la largeur des voies des voitures, on va regarder l’impact sur le stationnement, on va s’assurer de la fluidité des voitures, mais pas de celle des piétons. En fait... on ne planifie, en général, rien pour le piéton. «C’est pas seulement une présence de trottoir, explique la porte-parole. Il y a un choix d’aménagement aussi. La bibliothèque de Beauport, par exemple, est collée sur une autoroute, collée sur des centres d’achats, elle n’est pas accessible à pied.» Jeanne Robin fait remarquer que les quartiers les plus piétonniers sont les plus vieux, conçus à des époques où les gens se déplaçaient à pied. Les quartiers des dernières décennies, surtout dans les banlieues, ont tous été conçus pour l’automobile. Marcher est-il un concept dépassé? Il est curieux de voir comment nous voyons la marche, maintenant. On ne la voit pas comme un moyen de transport, mais comme un loisir. On a aménagé de superbes promenades pour marcher le long du fleuve ou de la rivière Saint-Charles, mais ces endroits ne servent pas à se déplacer, ils servent à se promener. Selon Jeanne Robin, la marche rencontre présentement le problème que le vélo avait il y a quelques années. Bien qu’il ait encore son lot de défis devant lui, le vélo est reconnu maintenant comme un moyen de transport.
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IL EST CURIEUX DE VOIR COMMENT NOUS VOYONS LA MARCHE, MAINTENANT. ON NE LA VOIT PAS COMME UN MOYEN DE TRANSPORT, MAIS COMME UN LOISIR. Tout au plus, on va se dire que la marche est un moyen de transport pour les pauvres, pour ceux qui ne peuvent se payer le luxe de l’automobile. Et comme nous sommes dans une époque où l’on tend plus vers le minimum pour soutenir les pauvres, les handicapés ou les personnes âgées... faut-il s’étonner qu’on ne se fasse pas de soucis pour les piétons? Le pire là-dedans, c’est que c’est justement cette clientèle qui est la plus perdante dans tout ça. Un piéton en santé va se débrouiller, en ville. Ajoutonslui un enfant, une hanche fragile, un handicap quelconque, une blessure, une maladie, ou même simplement des bagages, et «ça devient vite impraticable, souligne Jeanne Robin, et ça va s’aggraver avec le vieillissement de la population».
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La Ville de Québec accorde 30 secondes pour traverser la rue Saint-Joseph, large de deux voies. Un coin de rue plus loin, on a seulement 20 secondes pour traverser le boulevard Charest... large de six voies. Tu n’as pas le temps de boiter! Swigne ta marchette pis traverse le boulevard! La marche est le moyen de transport le plus accessible, le plus simple, le plus universel, le moins cher – autant pour la société que pour l’utilisateur. Et c’est en plus le moins polluant! C’est aussi le plus beau. Jeanne Robin m’a fait réaliser que c’est avec des photos de rues pleines de piétons que l’on vend Québec à l’extérieur. De la même façon, ce n’est pas le trafic de Paris ou les stationnements de New York qui nous donnent envie d’aller là-bas. Le dynamisme d’une ville se vit par ses espaces piétonniers. Québec a tout à gagner à miser sur le piéton. y
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UN DEUIL QUI FRACASSE DEMOLITION. LE TITRE EST PERCUTANT. LE FILM L’EST TOUT AUTANT. JEAN-MARC VALLÉE POURSUIT SON ASCENSION HOLLYWOODIENNE AVEC CETTE COMÉDIE DRAMATIQUE BRILLAMMENT SCÉNARISÉE PAR BRYAN SIPE, SUR UN DEUIL PAS COMME LES AUTRES. LE RÉALISATEUR CHOUCHOU SE RACONTE. MOTS | PHILIPPE COUTURE
PHOTOS | VVS FILMS
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À la mort de sa femme, Davis ne ressent aucune émotion. Un Meursault des temps modernes, désengagé de sa vie émotive, qui n’a jamais vraiment porté attention aux choses. Puis un mouvement inverse le gagnera: il se mettra à s’intéresser si fort au fonctionnement de toutes choses qu’il voudra les démolir pour les décortiquer – se déconstruisant en quelque sorte lui-même avant de refonder ses bases. Frigo éventré ou psyché anéantie: c’est du pareil au même. Comme dans tout bon récit initiatique, Davis ira à la rencontre de sa nature profonde, désirant entrer dans les abysses des objets comme s’il pénétrait à l’intérieur de lui-même. Et ce, sans grande délicatesse. Il faut ce qu’il faut. Ce scénario de Bryan Sipe avait de quoi plaire à Jean-Marc Vallée. De C.R.A.Z.Y à Wild, le cinéaste a fait de la crise identitaire et de l’introspection rédemptrice un mantra cinématographique qui fait mouche à tous coups. Vallée, un grand émotif, rappelle souvent avoir adopté ce scénario en raison de la manière dont il raconte le deuil et sait explorer le chagrin dans de nouvelles tonalités. «La manière dont le personnage chemine est complètement imprévisible, décalée et inattendue, explique-t-il. C’est captivant. On n’a aucune idée, au début de l’histoire, de la direction que prendra ce personnage, et c’est précisément ce chemin sinueux, mais rédempteur, qui donne à ce film toute sa beauté. Il passe du ridicule au sublime.» Mais c’est aussi un film singulier dans sa critique du matérialisme, jamais appuyée mais toujours présente, à mesure que les électroménagers ou les appareils électroniques sophistiqués passent à la hache. «Davis en a ras-lebol de l’accumulation des choses dans sa vie et il vit une perte de sens par rapport à l’existence qu’il a fini par mener sans trop s’en rendre compte. Ça nous arrive tous; un jour, on se réveille et on voit qu’on a construit plusieurs choses sans nécessairement toutes les vouloir, en suivant le mouvement, en ayant parfois oublié ce qui nous anime vraiment et ce qui a vraiment du sens, ce qui est précieux et beau. On a oublié de célébrer la vie et on s’est mis à la subir.» Démolir à trois Au milieu de son introspection prenant des formes matérielles déconstruites, Davis rencontrera Karen, une conseillère au service à la clientèle à qui il ne pourra s’empêcher
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41 | CINÉMA
> de se confier par écrit (c’est une belle récurrence comique de l’œuvre), et son fils à l’identité sexuelle incertaine, avec qui il nouera une relation mimoqueuse, mi-sérieuse. Un trio de personnages hors-norme, incarnés par Jake Gyllenhaal (l’acteur favori des réalisateurs québécois à Hollywood), Naomi Watts et le jeune Judah Lewis. «Karen aide Davis qui aide Chris qui aide Davis qui aide Karen. C’est une chaîne infinie. J’adore cette relation à trois qui est bienfaitrice dans plusieurs directions. C’est une interconnexion formidable, qui en raconte beaucoup sur l’interaction humaine. C’est un trio, et fondamentalement, parce qu’il n’a pas le caractère étouffant d’un duo, il permet de rééquilibrer constamment les forces en présence.»
t-il. Cette fois, j’ai fait des playlists pour chaque personnage, déterminant des chansons pour l’arrière-plan de chacune de leurs histoires. C’était particulier parce que Davis, pour moi, n’écoute aucune musique. Il n’y a pas de musique dans sa vie. Mais j’ai fini par entendre Solitudes, une pièce des Nocturnes de Chopin. Une musique de son passé; la musique des fantômes de sa vie.» Le reste, soyez-en assurés, est bien plus rock’n’roll: David Bowie et les Rolling Stones résonnent avec toute leur force. y En salle le 8 avril
Demolition est aussi une comédie marquée par un humour décalé et subtil, qui transforme la quête du personnage en une aventure ludique, par fins traits d’autodérision et d’esprit. «Pour ça, s’exclame le cinéaste, il faut donner tout le crédit à mon fabuleux scénariste Bryan Sipe. Savoir réfléchir à la mort et au deuil avec cette dérision, c’est exceptionnel. Il a un regard détourné sur le quotidien et un sens de la mise en perspective du drame qui cause une forme particulière d’ironie.» Mais rendons à César ce qui appartient à César: la direction d’acteur de Vallée ne pousse jamais la note et évite judicieusement l’excès. «Il est vrai que nous n’avons pas cherché à jouer la comédie, consent-il. Je n’ai jamais demandé à Jake de se comporter comme un acteur comique et d’essayer de faire rire. Les premières scènes, dans lesquelles il adresse une lettre trop personnelle à une compagnie de machines distributrices, ont un potentiel comique certain, mais nous n’avons jamais voulu l’appuyer. Le scénario demande simplement de changer d’état d’esprit, de changer de lunettes pour observer la vie, et c’est de ce regard oblique que naît le rire. Un rire intelligent, il va sans dire.» Un film typiquement Vallée La narration au je, rythmée par un montage fluide qui alterne les temporalités, est aussi typique de l’esthétique Vallée, et particulièrement agile cette fois-ci. On est aussi dans un cinéma de réminiscences ponctué de flash-back, qui fonctionne tout naturellement selon la logique accidentée de la mémoire et de l’inconscient. Avec une trame sonore puissante, omniprésente, comme d’habitude chez ce mélomane inspiré. «J’essaie toujours de faire de la musique un moteur de l’action, répèteJEAN-MARC VALLÉE
MADE IN FRANCE, PHOTO | PRETTY PICTURES
LES UNS CONTRE LES AUTRES CHEZ NOS COUSINS FRANÇAIS, LE PHÉNOMÈNE DE LA RADICALISATION SOULÈVE DE VIFS DÉBATS, MAIS SEMBLE UN VRAI GUÊPIER DÈS QU’ON S’Y PENCHE AU CINÉMA. L’OCÉAN ATLANTIQUE NOUS FOURNIRAIT-IL LE RECUL NÉCESSAIRE POUR MIEUX SONDER L’ÉPINEUX MYSTÈRE? MOTS | NICOLAS GENDRON
En un mois seulement, parviennent jusqu’à nous deux films français peu ou pas vus du tout là-bas. Tourné en 2014, Made in France, de Nicolas Boukhrief, dont l’affiche amalgamait un fusil d’assaut à la sacro-sainte tour Eiffel, ne sera jamais diffusé sur grand écran dans l’Hexagone, Internet prenant le relais des salles. Pour la petite histoire, rappelons que ce thriller devait sortir le 18 novembre dernier, cinq jours à peine après les attentats que l’on sait. Présenté en première mondiale à la Mostra de Venise, en 2011, La désintégration, de Philippe Faucon (Fatima, récent César du meilleur film), avait pris sans le vouloir des allures de boule de cristal. Cinquante mille entrées plus tard, le drame social avait été vite oublié; la Cinémathèque québécoise l’a accueilli une semaine à la mi-mars. Deux semaines après de nouveaux attentats à Bruxelles, ces deux films s’avèrent éloquents et invitent à creuser la question. De l’intérieur Pour son sixième long métrage, Boukhrief prend le pari classique de l’infiltration, alors qu’il campe son «héros» de culture musulmane, Sam (Malik Zidi), un journaliste vite dépassé par les événements, au cœur d’une cellule djihadiste naissante, dans la banlieue parisienne. Son rôle d’observateur bascule en celui d’un
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acteur impuissant d’une tragédie qui couve, mené à la baguette par Hassan (le talentueux Dimitri Storoge, vu chez nous dans Dédé, à travers les brumes et Nuit #1), un leader agressif qui aurait été formé au Pakistan pour cette «guerre sainte» qu’est le djihad. Pour ce faire, Hassan en appelle à la taqîya, cet «art de la dissimulation» de la foi, qui ne confond pas pour autant islamisme et intégrisme. Sauf qu’ici, l’homme l’utilise à ses fins, vils conseils à l’appui: rasez-vous la barbe, disparaissez dans la masse et cuisinez les bombes à l’ombre. Direction, les Champs-Élysées… Chez Faucon, la descente aux enfers est moins spectaculaire, et d’autant plus pernicieuse. L’endoctrinement y est exposé de manière plus méthodique, dans une banlieue de Lille où l’horizon a le profil bas, entre autres pour Ali (Rashid Debbouze), qui peine à trouver un emploi. Si l’imam entend la colère qui gronde parmi les jeunes devant les ruines de Gaza, un aîné qui se la joue grand seigneur, Djamel (Yassine Azzouz), en profite pour attiser le feu de cette même colère. La loi du talion prend alors le pas sur toutes les autres et les «soldats de Dieu» prennent le visage d’une jeunesse désœuvrée. Encore une fois, aux esprits les plus malléables, le djihad apparaît tel «le plus haut sommet de l’Islam». Entre champs de tir dans la forêt et prêches nouveau genre, une autre cible majeure se dessine, puisque nulle vie n’est «plus importante que Dieu»: le siège de l’OTAN, à Bruxelles.
ON NE SAURAIT LEVER LE NEZ SUR CET OUTIL DE PLUS QU’EST LE CINÉMA POUR POUSSER PLUS LOIN LA RÉFLEXION. De l’intime Si les terroristes en devenir de Made in France semblent parfois dénués de tout jugement – il faut «avancer et surtout jamais réfléchir», dira l’un d’eux –, c’est aussi parce que la désensibilisation est souvent le propre des embrigadés. «J’en ai rien à foutre de rien, à part Dieu», de souffler l’un des jeunes de La désintégration. Si Hassan s’emporte contre la propagande américaine, incarnée par nul autre que le Tony Montana de Scarface, la sienne n’en est pas moins d’une malhonnêteté crasse. Il s’agit pour lui d’identifier la brèche des pensées les plus intimes où déposer la mèche de la révolte, pour renouveler même jusqu’à l’identité. Rebaptisé Youssef, Christophe (François Civil) dénonce avec rage le sort de «nos enfants» en Palestine. «Nos enfants? T’es Breton!», lui réplique-t-on. La spirale de la violence s’enracine au cœur de l’homme, pour peu qu’on alimente ses nouvelles convictions. Le respect et le partage demeurent les valeurs fondamentales de l’Islam, et Faucon prend soin de le préciser d’entrée de jeu par la bouche de l’entourage d’Ali, sa mère au premier chef. La complexité du portrait d’ensemble se nourrit de ces frictions familiales qui surgissent face à l’endoctrinement d’un jeune brillant, soudainement enragé de voir s’envoler une centaine de CV. «Avec ton nom de famille, tu t’fais pas trop d’illusions, j’espère», insinue Djamel. Dès lors que les insultes s’immiscent de l’intérieur, cette impression vive de n’être qu’un «sale Arabe» ou un «citoyen de seconde zone» ne s’estompera jamais vraiment. À qui la faute? Et qu’en est-il des événements de radicalisation qu’a connus le Canada au collège de Maisonneuve, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Ottawa? On ne saurait lever le nez sur cet outil de plus qu’est le cinéma pour pousser plus loin la réflexion. y Made in France (en salle le 15 avril) La désintégration (disponible en VSD)
LA DÉSINTÉGRATION, PHOTO | DRAGON FILMS
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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE
FAUSSES ANALOGIES ÉCONOMIQUES Il suffit d’avoir voulu expliquer à quelqu’un une idée un peu complexe et nouvelle pour lui pour avoir vu à l’œuvre un mécanisme bien connu de l’esprit humain. Ce mécanisme est celui par lequel on ramène l’inconnu au connu, le nouveau au familier, l’incompris au compris. Il se montre souvent le bout de l’oreille par ces mots: «Peux-tu me donner un exemple?» Les ondes dont parle la physique? Vous savez, ces petites vagues qui se forment quand vous lancez un caillou dans une eau calme… Le modèle de Rutherford de l’atome? Imaginez un petit système solaire… Le réchauffement climatique? Pensez à une serre de jardin… Ce mécanisme explique notre permanent recours à des analogies, qui ne nourrissent pas seulement les métaphores des poètes. Mais si ces analogies sont parfois utiles, il leur arrive aussi de nous induire en erreur. Il arrive même que ces erreurs soient dangereuses et nuisibles à la clarté des échanges. On parle en ces cas de fausses analogies. Voici justement deux analogies en économie qui sont, je pense que vous en conviendrez, très répandues dans notre conservation démocratique, quoique dangereusement trompeuses. L’analogie domestique et la dette Notre conception spontanée et courante de la dette, parfois alimentée et propagée par les médias, repose beaucoup sur ce que j’appelle une analogie domestique, qui situe et comprend dette et endettement dans la sphère privée et interpersonnelle.
Dans cette sphère domestique, j’emprunte quelque chose (de l’argent, un objet) à une autre personne, disons à un voisin. Cet emprunt me fait contracter un devoir: celui de rendre ce que j’ai emprunté et donc de rembourser ma dette. Il va encore de soi que j’aurais été bien peu sage d’emprunter des sous au voisin pour aller jouer au casino, surtout si mon loyer n’est pas payé et que la famille manque de nourriture! On peut pourtant imaginer des cas où on jugerait qu’il ne serait pas approprié, pour un particulier, de rembourser une pareille dette domestique. En fait, Platon en suggérait un: j’emprunte une arme à un ami; entre-temps, cet ami est devenu fou et veut tuer une autre personne; il me réclame pour ce faire l’arme prêtée… Dois-je la lui rendre? Mais quoi qu’il en soit, le fait est qu’on pense souvent à la dette dans d’autres contextes par analogie avec cet exemple domestique: on dit alors qu’il en va de même pour les États, qui doivent rembourser leurs dettes, et pour les particuliers, qui doivent rembourser leurs prêts bancaires. Cette analogie est pourtant fausse et trompeuse. Revenons au cas domestique. Trois aspects en sont notables. Mon ami me prête quelque chose qui lui appartient en propre; quand il me l’a prêté, il s’en est privé durant le temps du prêt; en me le prêtant, il prend un risque: celui que je ne le rembourse pas. La banque prête de l’argent qui ne lui appartient pas et qui, en un sens, n’existe pas; elle n’en est pas privée durant le prêt et peut prêter de nombreuses fois encore cet argent fictif qu’elle m’a «prêté»; et elle ne risque pas grand-chose, d’abord en raison des modalités de ce prêt (l’argent est fictif, ne lui
> appartenant pas, est prĂŞtĂŠ plusieurs fois), ensuite quâ&#x20AC;&#x2122;en cas de nombreux dĂŠfauts de paiement, lâ&#x20AC;&#x2122;histoire le prouve, le public, via lâ&#x20AC;&#x2122;Ă&#x2030;tat, renflouera ses coffres. Notez que je ne dis pas quâ&#x20AC;&#x2122;il ne faut pas rembourser son prĂŞt bancaire ou que lâ&#x20AC;&#x2122;Ă&#x2030;tat (car en ce cas aussi, lâ&#x20AC;&#x2122;analogie domestique est trompeuse, notamment parce que lâ&#x20AC;&#x2122;Ă&#x2030;tat nâ&#x20AC;&#x2122;est ni une personne ni un mortelâ&#x20AC;Ś) ne doit pas sâ&#x20AC;&#x2122;inquiĂŠter de ses dĂŠficits: mais les raisons pour cela ne peuvent ĂŞtre aussi simples que le laisse entendre lâ&#x20AC;&#x2122;analogie domestique. La (bonne) raison pour ce faire est sans doute que tout le monde, en fin de compte, bĂŠnĂŠficie de lâ&#x20AC;&#x2122;existence de lâ&#x20AC;&#x2122;institution sociale appelĂŠe ÂŤprĂŞtÂť qui ne peut fonctionner que si, sauf exception, un prĂŞt est remboursĂŠ. Lâ&#x20AC;&#x2122;analogie entrepreneuriale et le politique La deuxième fausse analogie sur laquelle je veux attirer lâ&#x20AC;&#x2122;attention nous invite Ă penser au politique et Ă lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠconomie dâ&#x20AC;&#x2122;un pays comme Ă une entreprise et Ă conclure que le succès en affaires que connaĂŽt une personne indique quâ&#x20AC;&#x2122;elle sera en mesure de gĂŠrer lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠconomie dâ&#x20AC;&#x2122;un pays et de dĂŠcider de sa politique. Lâ&#x20AC;&#x2122;analogie est rĂŠpandue et des gens comme Donald Trump, pour ne nommer personne de chez nous, surfent en partie sur la crĂŠdibilitĂŠ quâ&#x20AC;&#x2122;elle leur confère. Mais est-elle valable pour autant?
3LZ -YuYLZ KL SH * [L 5N INCONTOURNABLE DANS LE 6IEUX 1UĂ?BEC
Lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠconomiste Paul Krugman a donnĂŠ de solides raisons de penser que ce que demande lâ&#x20AC;&#x2122;adoption de politiques macroĂŠconomiques est bien souvent le contraire de ce que demandent les dĂŠcisions dâ&#x20AC;&#x2122;affaires. Dans le premier cas, les travailleurs sont aussi des consommateurs, ce qui crĂŠe dâ&#x20AC;&#x2122;incessantes boucles de rĂŠtroaction, oĂš causes et effets se conjuguent. Une entreprise, explique Krugman, ne vend pas la majeure partie de ce quâ&#x20AC;&#x2122;elle produit Ă ses employĂŠs, tandis que mĂŞme un petit pays se vend Ă luimĂŞme, sous forme de services non exportables, quelque chose comme les deux tiers de son output. Krugman ĂŠcrit: ÂŤCâ&#x20AC;&#x2122;est un gros succès pour un homme [ou une femme] dâ&#x20AC;&#x2122;affaires que de rĂŠduire de moitiĂŠ son personnel et de rĂŠussir nĂŠanmoins Ă produire Ă peu près autant quâ&#x20AC;&#x2122;avant. Une ĂŠconomie qui agirait de la sorte serait plongĂŠe dans une dĂŠpression et ne parviendrait plus Ă vendre ce quâ&#x20AC;&#x2122;elle produit. Rien de ce quâ&#x20AC;&#x2122;a pu apprendre par son expĂŠrience lâ&#x20AC;&#x2122;homme [ou la femme] dâ&#x20AC;&#x2122;affaires ne le prĂŠpare Ă comprendre le paradoxe de lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠpargne [de Keynes] ou lâ&#x20AC;&#x2122;impact inflationniste de la croissance de la masse monĂŠtaire.Âť Les problèmes ĂŠconomiques sont complexes. Ne nions pas cette complexitĂŠ Ă coups de slogans reposant sur de trompeuses analogies qui donnent Ă peu de frais lâ&#x20AC;&#x2122;impression de comprendre ce qui est en jeu, alors quâ&#x20AC;&#x2122;il nâ&#x20AC;&#x2122;en est rien. Lâ&#x20AC;&#x2122;exercice nâ&#x20AC;&#x2122;est pas anodin: il nous ĂŠviterait de sauter sur des solutions aussi simplistes quâ&#x20AC;&#x2122;improbables, parmi lesquelles ce mĂŞme Krugman range ces politiques dâ&#x20AC;&#x2122;austĂŠritĂŠ suivies en ce moment mĂŞme, sans grand succès, un peu partout. y
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46 | ART DE VIVRE
QUÉBEC VS ALAMBICS? LES PRODUCTEURS DE GIN, VODKA, WHISKYS ET AUTRES ALCOOLS QUÉBÉCOIS SE SONT MULTIPLIÉS EN 2015, CONFECTIONNANT DES SPIRITUEUX QUI FLEURENT BON LES EMBRUNS DU SAINT-LAURENT OU LA FORÊT BORÉALE. MAIS SI LE TERROIR OFFRE TOUT CE QU’IL FAUT POUR PRODUIRE D’EXCELLENTS ALCOOLS LOCAUX, LA LÉGISLATION QUÉBÉCOISE EST LOIN DE FACILITER LE TRAVAIL DE CES NOUVELLES DISTILLERIES… MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU
Tendance venue des États-Unis, la consommation de spiritueux fins grimpe en flèche dans la province. Une croissance due notamment aux cocktails, explique Patrice Plante, mixologue à Québec: «La culture cocktail a fait un bond incroyable en trois ans. On est passés d’un quasi-intérêt à une certaine passion. Il y a un désir de boire moins, mais mieux.» Une évolution normale des papilles, selon le mixologue; quand on commence à apprécier l’amertume d’une IPA, la culture cocktail vient naturellement. «C’est une suite logique qu’on a pu observer à Halifax ou Toronto. La popularité des spiritueux et cocktails vient aussi de l’intérêt croissant pour les chefs, l’univers de la cuisine… Le cocktail, c’est de la cuisine liquide!» Fini le Jack Daniel’s, on apprécie maintenant la complexité d’un spiritueux et on déguste du gin aux fins aromates d’ici ou du whisky 100% québécois. «La perception des gens a changé. Avant, on associait les alcools québécois aux liqueurs de fruits et aux cidres, puis le Domaine Pinnacle a vraiment défriché le terrain», indique Patrice Plante. Michel Jodoin a été précurseur en 1999 en lançant ses spiritueux en parallèle de la cidrerie, et dans les deux dernières années se sont ajoutés le gin Ungava, le rhum Chic Choc et la vodka Quartz. En 2014, une dizaine de permis de distillateur ont été délivrés au Québec, et c’est en 2015 que le mouvement a vraiment pris de l’ampleur.
On a ainsi pu découvrir Wolfelsberger et ses eaux de vie, le gin des Fils du Roy, la vodka de Mariana ou encore l’absinthe des Cantons. Des distilleries de Montréal, Rimouski, Louiseville ou encore Shefford. «Je sens une vraie effervescence chez les producteurs, confirme Patrice Plante. On va rejoindre doucement nos voisins américains.» En effet, environ 650 distilleries artisanales sont exploitées aux États-Unis, selon l’American Distilling Institute – contre une cinquantaine en 2005. Mais si les distilleries représentent un marché à développer, la législation provinciale pose encore de nombreux freins: les appellations sont très restrictives, sans parler des procédures administratives, comme la demande du permis de distillation artisanale, qui restent compliquées. Prohibition moderne Le gouvernement dit vouloir soutenir les producteurs; un projet de loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales a d’ailleurs été récemment déposé. Mais si les vignerons québécois peuvent désormais vendre directement dans les épiceries, on ne note pas d’avancée pour les microdistillateurs, au motif qu’ils ne produisent pas à partir de leurs propres matières premières. «Au Québec, on a rejeté la Prohibition, mais on reste très conservateurs sur la législation sur l’alcool, remarque Patrice Plante. Beaucoup
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«IL FAUT QUE LA LOI CHANGE. ON NE PEUT PAS RESTER EN ARRIÈRE ALORS QUE LE NOMBRE DE MICRODISTILLERIES EXPLOSE AU QUÉBEC.» de bartenders ont déménagé ailleurs, essoufflés face à ces lois restrictives… C’est une sorte de prohibition moderne.» En janvier, un décret annonçait un changement d’appellation à la suite d’une nouvelle loi fédérale, stipulant que «la vodka doit être une boisson qui [… ] n’ait ni caractère, ni arôme, ni goût distinctifs». Le décret tombe au moment où la première palette de vodka est enlevée à la distillerie montréalaise Cirka, qui avait commencé sa production en septembre. Il a fallu changer toutes les étiquettes, le goût complexe de leur alcool ne correspondant pas à la définition de la loi. «On a hésité à modifier notre recette pour garder le nom de vodka, explique JoAnne Gaudreau, une des associés. Mais on aimait le produit pour sa complexité, donc on a décidé de garder la recette, en étiquetant nos bouteilles “spiritueux à base de grains”.» Tant pis pour l’appellation; JoAnne pense que la clientèle visée est plutôt connaisseuse et saura faire la part des choses. «Ces appellations de type “spiritueux à base de grains” ne vont pas attirer le public… Ça va affecter la consommation. L’appellation reste un facteur d’influence», confie pour sa part Patrice Plante, pour qui le Québec a une des lois les plus rigides au monde en matière d’appellations de spiritueux. Pourquoi cette rigidité? «C’est dû au côté très latin, très vin du Québec. Et au pourcentage d’alcool des spiritueux: les gens sont préoccupés, car on est dans du 40%», indique JoAnne Gaudreau. En attendant, Cirka prend les commandes en ligne et vit des importations privées et de celles des bars et restos.
«Il faut que la loi change, insiste JoAnne, on ne peut pas rester en arrière alors que le nombre de microdistilleries explose au Québec.» Thé du Labrador et algues du fleuve Ces microdistilleries pourraient devenir un atout de séduction pour l’industrie touristique. «J’aime utiliser des spiritueux faits par des artisans d’ici, souligne Patrice Plante. On est fiers, ça va chercher le gène nationaliste. Il y a un attachement différent avec un produit local...» D’autant que la province offre un terroir idéal à la production d’alcools fins avec ses céréales, fruits, plantes saisonnières et épices nordiques en abondance. Le dry gin Ungava est par exemple infusé avec six plantes aromatiques, dont le thé du Labrador et des baies d’églantier, le rhum Chic Choc est aromatisé avec des épices boréales québécoises... Pour sa part, Cirka distille la seule vodka au Québec faite localement de A à Z, et son gin est infusé avec des herbes et épices traditionnelles ainsi que des aromates québécois. «On s’inspire de la forêt boréale», explique JoAnne. À Rimouski, la Distillerie du St-Laurent fait un gin artisanal parfumé aux laminaires, des algues qui poussent dans le fleuve. Une belle touche iodée sur un genièvre très sec… Les microdistilleries locales s’inscrivent bien dans la tendance actuelle de mise en avant du terroir, un atout sur lequel s’appuie l’Association des microdistilleries du Québec dans ses discussions avec le gouvernement. Parce que les microdistilleries, c’est le terroir en bouteille. y
RÉSERVATIONS BUISSONNIÈRES IMAGINEZ: VOUS ÊTES INVITÉS À UN SOUPER, MAIS VOUS NE VOUS POINTEZ PAS LE BOUT DU NEZ. SANS MÊME PRÉVENIR VOS HÔTES. INCONCEVABLE, NON? ET POURTANT, C’EST CE QUI ARRIVE RÉGULIÈREMENT DANS LES RESTAURANTS. MOTS | GILDAS MENEU
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ans le jargon, on les appelle les «no-show». Autrement dit, les clients qui font défection. Une véritable plaie dans le milieu. Un fait connu depuis quelques années, depuis qu’une poignée de restaurateurs ont dénoncé ce phénomène social. En février dernier, c’était au tour du proprio du Bistro B à Québec, François Blais, de péter un plomb. «24 no-show vendredi soir! Sur une soirée de 120 couverts, s’il y en a 24 qui ne se pointent pas, il est passé où le profit, tu penses? Non seulement le patron ne fait pas ses frais, mais les employés à pourboire écopent eux aussi! Je trouve que c’est irrespectueux et déplorable.» Un phénomène pas nouveau, mais inexplicable. Ilene Polansky, propriétaire du restaurant Maestro SVP depuis 23 ans, confirme que les no-show ont toujours existé. Même avant Internet. Ces défections, elle en voit «une vingtaine par semaine. Ça a toujours été comme ça.» «C’est notre quotidien, confirme François Blais. Il y a 20 ans, ce n’était pas un problème. On avait des bons revenus, mais aujourd’hui, les profits sont en baisse. Ce sont des pertes directes. Un restaurant, c’est 3% de marge de profit. Quand tu as 100 personnes, tu fais tes frais. Mais ce sont les trois dernières qui sont importantes!» Les pires soirées? La Saint-Sylvestre, la Saint-Valentin ou encore des événements ponctuels comme MTL à table. La question qui tue: pourquoi? Pas la peine d’annuler, de toute façon, ils auront d’autres clients. Avouez que cette idée vous est déjà passée par la tête. Eh bien, non, ça ne marche pas comme ça. Vrai, un resto se garde généralement (mais pas systématiquement) une certaine proportion de tables sans réservation, les «walk-in» dans le jargon. Notamment pour les habitués. Chez Maestro SVP, Ilene Polansky garde 20% de ses tables sans réservation les samedis et 40% la semaine. Ne vous demandez plus pourquoi un resto qui affiche complet en ligne a encore de la place quand on l’appelle. Pourquoi, alors? Il y a plusieurs styles de défections. D’abord, le client qui néglige simplement d’annuler sa réservation. «Mais aussi ceux qui réservent à deux ou trois établissements en même temps, pour avoir le choix», explique Edward Zaki, copropriétaire de quatre restaurants dans la métropole, qui a déjà vu des clients réserver en même temps… dans deux de ses restaurants! Conséquences de la grande popularité des restos à la mode. Mais cette incivilité reste inexcusable, surtout en ces temps où nous sommes ultra branchés, toujours un cellulaire à la main. Ces no-show ont un impact sous-estimé. «Des clients qui ne se pointent pas, ça te défait une soirée, explique Stéphanie Grondin, ancienne coproprié-
taire de l’Assommoir Bernard. Ça a un impact financier. Les réservations permettent de planifier la quantité de nourriture, le personnel.» Et ceux qui payent, au bout du compte, sont… les clients qui se présentent! Une parade: la réservation en ligne Une des applications populaires, Open Table, a sa propre politique en cas de défection. Une réservation non honorée doit être annulée au moins 30 minutes avant. Au bout de quatre défections sur une période de 12 mois, l’application supprime carrément votre compte. François Blais ironise: «Si je suis sur une liste noire, c’est ma conjointe qui fera la réservation. Ça va changer quoi?» D’autres restaurateurs font affaire avec l’application DINR. Le principe est simple: en cas de défection, le restaurant remet les places à vendre sur cette plateforme. Pour le consommateur, l’avantage est indéniable: il permet de trouver une place rapidement dans un des établissements membres. On compte parmi eux des restos très populaires. Mais en cas de défection, DINR retient 30$ par personne sur votre carte de crédit. Du donnant-donnant. Martin Juneau est dubitatif. «C’est plutôt rare de ne pas trouver une place, même les fins de semaine. Il y beaucoup de restos à Montréal. Les clients ont l’embarras du choix.» Juneau avait aussi fait une sortie sur les réseaux sociaux contre les no-show il y a quelques années. «On dirait que ça a marché. On en a beaucoup moins [de défections] depuis. C’était une campagne de sensibilisation et on a été écoutés.» Tant mieux, même s’il reste encore un 10% visiblement incompressible de no-show, surtout les soirs d’événements. François Blais a décidé qu’à la prochaine SaintValentin, il prendra les numéros de carte de crédit lors des réservations. Edward Zaki le fait déjà pour les groupes de huit et plus. Un simple formulaire à remplir sur le site. «On prend un dépôt de 20$ par personne.» Et ça marche. «Il faut créer une habitude, renchérit François Blais. Pour réserver dans les hôtels, c’est normal. Les billets de spectacle ne sont pas remboursables.» Pourquoi pas au restaurant? Des établissements de grandes villes comme New York ou Chicago le font déjà... Une idée qui devrait faire son chemin au Québec, selon Edward Zaki. Pour François Blais, la clientèle devrait tout simplement se rendre compte que tous les restaurants ne roulent pas sur l’or. Un simple coup de téléphone pour annuler? «C’est une question de respect», rappelle Martin Juneau. La politesse, tout simplement. y
OÙ MANGER LES BONS PLANS POUR DES SORTIES AU RESTO CE MOIS-CI. BON APPÉTIT!
PANACHE 10, rue Saint-Antoine 418 692-1022
La cuisine de cette table de renom est raffinée, inspirée et axée sur des produits du terroir (et de saison) de grande qualité. Livèche, têtes de violon, girolles, écrevisses, agneau, canard, bleuets forment de solides alliances pour générer des assiettes singulières aux saveurs harmonieuses. Si l’endroit est reconnu pour ses viandes et ses poissons, il a la délicatesse de penser aux végétariens. L’impressionnante cave est aussi mise à profit pour rehausser des plats, à preuve ce foie gras mi-cuit au Charles-Aimé Robert (à base de sève d’érable). Diligent au possible, informé et poli sans être obséquieux, le service est sans l’ombre d’un doute l’un des meilleurs en ville. La splendide salle à manger, toute de pierres et de bois concourt à notre grand bonheur d’un repas ici.
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LES FRÈRES DE LA CÔTE
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1129, rue Saint-Jean 418 692-5445
Le nouvel emplacement rue Saint-Jean à deux pas de l’ancienne adresse est toujours un rendez-vous immanquable, que l’on habite à Québec ou que l’on soit de passage. On y vient et on y revient assurément pour l’ambiance festive, le fait qu’on sera toujours bien reçu avec le sourire, un peu comme si on se rendait chez des amis. On s’attable et on commande une pizza, notamment, ou un des plats de type bistro offert sur la longue carte aux accents français et provençaux. Le foie de veau, le steakfrites, les moules-frites et les pâtes sont parmi les plats les plus populaires que l’on accompagne d’un vin qui lui, peut provenir d’un peu partout dans le monde. En fin de semaine, on se donne de nouveau rendez-vous ici pour venir déjeuner de manière bien agréable.
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CHIC SHACK 15, rue du Fort 418 692-1485
Ce casse-croûte de luxe voisin du Château Frontenac a compris que pour se démarquer, il devait miser sur des petits plus qui laisseraient à ses clients un goût de revenez-y. Et la formule fonctionne. Milk-shakes onctueux et généreusement garnis de crème fouettée (additionnés d’alcool si désiré), souci du fait maison s’étendant des cornichons aux sodas à base de sirops de fruits naturels, pains confectionnés par un boulanger de renom, vins en fût sélectionnés par le sommelier du Panache… Enthousiasmant, on vous dit. Agrémentés de garnitures à fort potentiel de plaisir comme de l’aïoli au raifort ou de la salade de chou épicée, les burgers demeurent les vedettes de l’endroit et se déclinent dans des variantes élaborées, dont un burger déjeuner.
BISTRO LA COHUE 3440, chemin des Quatre-Bourgeois 418 659-1322
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MOMENTO RISTORANTE
Encore trop peu connue malgrĂŠ sa dizaine dâ&#x20AC;&#x2122;annĂŠes dâ&#x20AC;&#x2122;activitĂŠ, La Cohue dissimule bien ses atouts derrière une façade banale de galerie marchande. Lâ&#x20AC;&#x2122;habit ne fait pas le moine, dit lâ&#x20AC;&#x2122;adage â&#x20AC;&#x201C; et avec raison. Car ce bistro traite aux petits oignons autant ses clients que ses produits qui composent des mets typiques (bavette, ris de veau au Frangelico, confit de canard, tartares, foie gras ou de veauâ&#x20AC;Ś). Le personnel en salle fait preuve dâ&#x20AC;&#x2122;un grand professionnalisme sans jamais ĂŞtre obsĂŠquieux, et celui en cuisine, de beaucoup de flexibilitĂŠ concernant les demandes dâ&#x20AC;&#x2122;adaptation des plats. Les accompagnements sont bien pensĂŠs (telle la purĂŠe de pommes de terre au fromage Le Gaulois de Portneuf, servie avec un pavĂŠ de bĹ&#x201C;uf et une poĂŞlĂŠe de champignons sauvages), les sauces goĂťteuses, et le pralinĂŠ du gâteau au chocolat blanc laisse un mĂŠmorable souvenir.
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2480, chemin Sainte-Foy 418 652-2480
De 18h Ă 19h30, câ&#x20AC;&#x2122;est le coup de feu au Momento, adresse prisĂŠe des dĂŠtenteurs de billets pour un spectacle Ă la Salle Albert-Rousseau, sa voisine. Après lâ&#x20AC;&#x2122;heure de pointe, le personnel reprend son souffle avec le sourire, et nous, on profite de la grande disponibilitĂŠ des serveurs. Lâ&#x20AC;&#x2122;endroit propose les cĂŠlèbres classiques italiens (pâtes, pizzas, osso buco, escalopes de veau en diverses dĂŠclinaisons â&#x20AC;&#x201C; et dâ&#x20AC;&#x2122;une tendretĂŠ inĂŠgalĂŠeâ&#x20AC;Ś), mais sâ&#x20AC;&#x2122;illustre particulièrement au chapitre des entrĂŠes, toutes allĂŠchantes et remplissant les promesses quâ&#x20AC;&#x2122;elles inspirent; la mitonnĂŠe dâ&#x20AC;&#x2122;escargots Ă la crème dâ&#x20AC;&#x2122;ail doux et les gnocchis au gorgonzola, entre autres, sont fameux. Les desserts font aussi bonne figure, et on ne peut que constater, en terminant notre tarte au citron, que lâ&#x20AC;&#x2122;emplacement stratĂŠgique du resto est loin dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŞtre lâ&#x20AC;&#x2122;unique gage de son succès.
bw xÂ&#x2026;Â&#x201E;Â&#x201E;{ ~Â&#x2039;Â&#x192;{Â&#x2039;Â&#x2C6; Â&#x2C6; }Â&#x201E;{ {Â&#x201E; Â&#x160;Â&#x2026;Â&#x2039;Â&#x160; Â&#x160;{Â&#x192;Â&#x2020;Â&#x2030;B Â&#x201A;{Â&#x2030; Â&#x2020;Â&#x201A;wÂ&#x160;Â&#x2030; Â&#x2030;Â&#x2026;Â&#x201E;Â&#x160; Â&#x2030;wÂ&#x152;Â&#x2026;Â&#x2039;Â&#x2C6;{Â&#x2039;Â&#x17D;D gÂ&#x2039;{ zÂ&#x2039; xÂ&#x2026;Â&#x201E;~{Â&#x2039;Â&#x2C6; wÂ&#x152;{y Â&#x2039;Â&#x201E; {Â&#x17D;y{Â&#x201A;Â&#x201A;{Â&#x201E;Â&#x160; Â&#x2C6;wÂ&#x2020;Â&#x2020;Â&#x2026;Â&#x2C6;Â&#x160; Â&#x2021;Â&#x2039;wÂ&#x201A; Â&#x160; CÂ&#x2020;Â&#x2C6; Â&#x17D;D
PHOTOS | GUILLAUME D. CYR
55 | LIVRES
J’AURAIS AIMÉ ÊTRE LUCHINI... MOTS | FRANCO NUOVO
Oui, j’aurais aimé être lui. Bon, j’aurais aussi aimé être de nombreux hommes à part moi-même, vous dirais-je, ce qui révèle peut-être l’océan de complexes dans lequel je nage et explique surtout pourquoi une seule vie ne suffit pas. Aujourd’hui, en tout cas, j’aurais aimé être dans la peau de Fabrice Luchini; une seule semaine, allez! Un seul mois! Pas tellement parce que je viens de terminer son bouquin Comédie française: ça a débuté comme ça… qui ne m’a pas jeté à la renverse. Toutefois, j’y ai reconnu le personnage. Je dis le personnage et non l’homme parce que même après cette lecture aux allures de biographie trafiquée, je ne sais toujours pas qui se cache derrière ce type moyen, ni grand ni petit, ni beau ni laid, mais extraordinaire tant il est fascinant. Une présence. Des anecdotes savoureuses, des tranches de vie, des rencontres, et un amour infini pour les écrivains, SES écrivains «dont il est si sûr», et pour leurs mots derrière lesquels il aime se réfugier… probablement pour mieux y cacher son âme. Je voudrais être Luchini, non parce qu’il est d’origine italienne, ni parce que ses parents comme les miens émanaient de la simplicité involontaire de l’émigré, ni parce que, graine de voyou, il a quitté l’école à 13 ans, ni parce qu’il se prénomme véritablement Robert, une horreur, Robert Luchini. Non, j’aurais juste voulu être Luchini.
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> Peut-être parce que cet apprenti coiffeur devenu acteur et puis «diseur» qui avait le brushing de Joe Dassin et le maillot de Marlène Jobert a réussi, le hasard aidant, un saut dans le vide, un saut dans la vie. Sur les rayons
LA MAISON DANS LAQUELLE MARIAM PETROSYAN (traduit du russe par Raphaëlle Pache) Monsieur Toussaint Louverture, 960 pages Il y a de ces livres dont on ne se remet pas. Leurs univers sont trop vastes, leurs personnages trop vrais, leurs lieux trop réels. On s’y perd avec plaisir, parfois difficulté, mais toujours avec curiosité et appréhension. Ils deviennent rapidement bien plus qu’un exutoire; plutôt quelque chose comme un rendez-vous. On peine à penser à autre chose et chaque moment de lecture frôle la délectation. La maison dans laquelle, le premier et unique roman de l’auteure russe Mariam Petrosyan, fait partie de ceux-là. Une maison dans laquelle l’Extérieur prend toujours une majuscule, où rapidement votre prénom tombe pour un sobriquet et où les murs vous dévoilent une mythologie bien singulière, encore devez-vous désirer vraiment la connaître. Un pavé étrange et dérangeant, qui percute et fascine le lecteur avec maestria. Ce manuscrit n’était pas voué à l’édition, il fut écrit au hasard, par nécessité, bien avant sa publication en 2009. Depuis, jamais l’auteure ne s’est remise à l’écriture, comme si tout ce qu’elle avait à offrir se retrouve là, dans cette brique de près de mille pages. Et ça, on peut le croire. La maison est une institution, peut-être un orphelinat, un pensionnat, une école spéciale, mais elle ne sera jamais baptisée autrement que la Maison. Y errent des enfants et des adolescents, tous singuliers d’une façon ou d’une autre, tantôt aveugles, tantôt colériques, souvent en fauteuil. Ils se baptisent de surnom, se font violence, nomment leur dortoir, créent des clans assez hétérogènes et répondent aux Lois de la maison. Mais surtout, ils craignent leurs 18 ans, car c’est là que tout cesse, c’est à ce moment bien précis que la maison les met à la porte. On pourrait parler de Fumeur, le renégat du groupe des Faisans, de l’Aveugle, le chef du groupe 4 qui cache deux couteaux, ou encore de Sauterelle, cet enfant sans bras arrivé à la maison à une autre époque. Mais ce serait trahir le livre qui contient autant d’histoires que celles qu’on veut bien y voir. Un amalgame habile et efficace de mélancolie, de violence, de cruauté et de candeur, catalysé par la peur de l’ailleurs et de l’autre. En bref, si vous n’avez qu’un livre à lire, faites que ce soit celui-là. (Jérémy Laniel)
J’aurais aimé être Luchini, parce qu’au cinéma, il fait l’acteur en ayant l’air, comme une vieille fille, de ne pas y toucher, jouant si gros qu’il donne l’impression de ne pas jouer. J’aurais aimé être Luchini parce qu’au théâtre classique comme celui de Molière qu’il aime mais pratique peu, il s’efface modestement en prenant soin de ne pas oraliser le texte. Il préfère traîner la poésie de ses auteurs sur les planches. J’aurais aimé être Luchini, oui, parce que le cul et la libido s’inscrivent naturellement dans ses propos sans vulgarité, ils glissent. «Un vagin pour tous les âges» ou, faisant référence à je ne sais plus quel film, le voilà «parti se refroidir à la source d’une femme fontaine». J’aurais aimé être Luchini parce qu’on dirait que rien ne l’arrête, ni l’érotisme ni la langue des voyous, apprise naturellement, gamin, rue des Abbesses et de laquelle il n’a aucune honte, y voyant au contraire une poésie. C’est là d’ailleurs qu’il a fait la connaissance de Céline, son auteur, son écrivain, alors qu’un jeune garçon lui glissait sous le bras, sachant fort bien ce qu’il faisait, Voyage au bout de la nuit. Cette langue des voyous, c’est aussi la nôtre, celle qu’on apprend dans certains de nos quartiers, de la même manière qu’on apprend à marcher, à boire et à fumer. Du coup, Fabrice comprend dans une phrase apparemment banale – «La tante à Bébert rentrait des commissions» – que Céline avait inventé le gros plan en littérature. Capotant, non? J’aurais voulu être Luchini parce qu’il sait parler avec les mots des autres avec un sans-gêne lui-même éloquent, parce qu’il est consciemment complice des médias puisqu’à ses yeux, «il est plus dur de réussir l’émission de Laurent Ruquier que de jouer Poésie [son spectacle]». Il le dit lui-même: il est autre chose que le personnage hystérique que l’on voit. Qui est-il vraiment? Ça, il ne le dit pas. C’est pour cela probablement qu’il ne cède jamais au piège de l’entrevue. Pour cela, aussi, qu’il prend les rênes bien en main dès que la lumière rouge d’une caméra de télé s’allume.
J’aurais aimé être Luchini pour ça, parce qu’il a choisi, décidé que sa vie n’aurait de sens qu’à travers les mots de Nietzsche, de La Fontaine, de Molière, de Proust… «son fonds de commerce». J’aurais aimé être Luchini parce que comme lui j’aurais aimé pouvoir écrire: «Rohmer veut me voir. Je rentre au 26, avenue Pierre-Ier-de-Serbie, dans le 16e arrondissement; les mots et les chiffres de l’ascenseur social». C’est pas fort ça, sous la plume d’un ex-Robert qui n’a jamais oublié d’où il venait. D’ailleurs, on n’oublie jamais. On peut faire semblant. Oui, j’aurais aimé être Luchini parce que lui, même s’il se cache derrière la langue qu’il aime, ne fait jamais semblant. Il est aussi capable de dire que «l’argent l’émeut». Cette sincérité. Et qui sait s’il ne joue pas la provocation quand il affirme constamment dans son milieu qui penche avec volontarisme à gauche: «Pas d’erreur, j’aurais tant aimé être de gauche, mais la difficulté pour y arriver me semble un peu au-dessus de mes forces». Enfin, laissez-moi vous dire que j’aurais aimé être Luchini quand une souris est apparue sur le plateau de Vivement dimanche et qu’il a crié: «Hollande, vient voir l’état de la télévision française! François, tu nous as dit, tu nous as dit que le changement est maintenant.» Je n’ai pas vu de souris à Radio-Canada, mais l’autre jour, dans un des sous-sols, j’ai aperçu un rat. Vraiment. Alors, j’aurais aimé être Luchini et crier: «Justin, Mélanie, venez voir l’état de votre télévision publique! Justin, Mélanie, vous nous avez dit, vous nous avez dit que le changement est maintenant.» J’aurais aimé. y
COMÉDIE FRANÇAISE: ÇA A DÉBUTÉ COMME ÇA… FABRICE LUCHINI Flammarion, 256 pages
Sur les rayons
LA CHAMBRE VERTE MARTINE DESJARDINS Éditions Alto, 256 pages Dans une chambre forte, et verte, vous l’aurez deviné, se trouve le cadavre agréablement bien conservé – dû à l’étanchéité de la pièce – d’une femme. Elle serre les dents sur une vieille pièce de monnaie. Découverte macabre tant pour les huissiers qui la font que pour les lecteurs qui la lisent à l’ouverture de ce nouveau roman de Martine Desjardins. Celle qui nous avait offert Maleficium il y a de cela sept ans revient avec son cinquième roman dans lequel elle sonde le rapport à l’argent d’une riche famille au cœur de la création de la ville de Mont-Royal. Offrande particulière, comme toutes celles de l’auteure, qui nous envoie aux confins de l’avarice. Louis-Dollard Delorme est le riche héritier d’un homme ayant fait fortune grâce à la vente de sa terre et à son pouvoir redoutable de négociation, alors que ses propriétés étaient au cœur de ce qui allait devenir ville Mont-Royal. À l’époque, on avait un projet fou: creuser un trou dans la montagne. Alors qu’on dynamitait le flanc du mont Royal, lui, faisait sauter la banque. Rapidement, il inculque à ses enfants l’importance de l’argent et des économies. Louis-Dollard sera le plus fier porte-étendard des valeurs de son patriarche, parvenant à faire fructifier ses avoirs au grand plaisir de sa femme, aussi radine que lui. La maisonnée sera bouleversée par l’arrivée d’une nouvelle pensionnaire, Penny Sterling, avec un compte en banque aussi intéressant que son nom le laisse croire. Ce n’est pas toutes les bonnes locataires qui font de bonnes brus, mais chez les Delorme, c’est l’argent qui parle. On se mettra donc en tête de la marier à leur fils. Roman gothique et grotesque, La chambre verte de Martine Desjardins nous sert ici une galerie de personnages fascinants et complexes. Devant l’autel du capital, où l’on prie Sa Majesté, plusieurs garderont vices et péchés pour eux. La force du roman réside toutefois dans la narration, alors que l’auteure a eu l’idée délirante de faire de la maison un personnage en soi. C’est donc elle qui nous raconte ce qui se passe en ses murs et comment, à quelques reprises, elle a parfois donné un coup de pouce au destin pour parvenir à ses fins. Car, sachez-le, dans ce livre, tout est une question d’intérêt, bancaire ou personnel. (Jérémy Laniel)
BACH, C’EST PAS FACILE D’ÊTRE UNE FILLE. MÉCANIQUE GÉNÉRALE, 2014
59 | ARTS VISUELS
QUATRE CASES, DEUX GENRES LE MOT «BÉDÉISTE» EST ÉPICÈNE, C’EST-À-DIRE QU’IL DÉSIGNE À LA FOIS LE FÉMININ ET LE MASCULIN. LA «PLACE DES FEMMES EN BD AU QUÉBEC», DIT-ON? LA «PLACE DE LA BD TOUT COURT», RÉPONDRA-T-ON. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE
Le Grand Prix du sexisme «Viens petite fille», chantait Gainsbourg dans son Comic Strip. Presque 50 ans plus tard, les bédéistes européennes sentent encore le poids de ce paternalisme jovial, comme en témoigne le scandale du Grand Prix du dernier Festival international de la BD d’Angoulême: 30 nominations, 30 hommes. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme dénonce «cette discrimination évidente». Le mot-clic #WomenDoBD est lancé et le tiers des auteurs sélectionnés demandent à être retirés de la liste. Le festival s’excuse maladroitement de ne pouvoir refaire l’histoire de la BD, où les hommes sont majoritaires; la grogne s’intensifie, le FIBD annonce que les votes sont désormais libres. (C’est l’une des figures de proue de la tradition franco-belge, Hermann, qui remporte le prix de la polémique.) De l’autre côté de l’océan, les bédéistes québécois, tous sexes confondus, se sentent un peu déconnectés du scandale. «J’ai des amies membres du collectif et dans mon Facebook, c’était la folie!» raconte Estelle Bachelard, alias Bach, auteure des deux tomes C’est pas facile d’être une fille (Mécanique générale). «Je n’ai pas l’impression de vivre du sexisme ici. Il faut dire que côté féminisme, la France et le Québec, on n’est pas au même point. Je ne crois pas, enfin... j’espère que ça n’arrivera pas ici.»
Les filles en vedette Bach en a contre la sempiternelle remarque comme quoi elle travaille dans un milieu masculin. «Ouin, pis? Au Québec, c’est peut-être pas 50-50, mais il y a beaucoup de filles en bd. Dans les festivals, je n’ai pas l’impression d’être dans un milieu d’hommes.» Ses collègues prennent leur juste place, comme en témoigne l’éditeur de Bach, Renaud Plante de
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CHLOÃ&#x2030; CRUCHAUDET, MAUVAIS GENRE. DELCOURT/MIRAGES, 2013
À ce sujet, le Festival de la bande dessinée francophone de Québec (FBDFQ) ne s’est pas gêné pour faire la parité parmi les quatre créateurs mis de l’avant: Alex A., Rubén Pellejero, Chloé Cruchaudet et Bach. «Ce n’est pas un hasard, explique le directeur général Thomas-Louis Côté, «mais ça n’a pas été difficile de le faire.» La Française Chloé Cruchaudet a fait un raz-de-marée dans les prix littéraires avec son Mauvais genre, alors que l’Espagnol Rubén Pellejero réjouit les fans de Corto Maltese, «un beau prétexte pour le faire venir», rigole le directeur du festival. Quant à Alex A. et Bach, leur «bestsellerisme» parle de lui-même, sans égard à leur sexe. De plus en plus, relate Thomas-Louis Côté, les femmes se démarquent dans la bande dessinée, autant au Québec qu’ailleurs, et pas seulement dans la filière clichée «bd de fille», une expression que déteste Bach. «Le problème avec ce terme, c’est que ça va souvent de pair avec nunuche. Mais c’est possible d’être féminine et féministe, de ne pas adhérer aux stéréotypes “rose ou bleu” tout en riant des travers des filles et des gars. D’avoir de la substance. L’autodérision, je m’en sers tous les jours pour me sentir mieux dans ma peau.»
Mécanique générale. «Honnêtement, j’ai l’impression que ça évolue depuis 10 ou 12 ans. Cette année, je vais publier plus de femmes que d’hommes! J’y vais avec le sujet, l’illustration, la sensibilité. Le but, c’est d’être reconnu comme auteur, point à la ligne. Moi, je suis content de faire des livres, tout simplement.» Et Renaud d’énumérer des auteures qui ont un succès enviable au Québec, sans égard au fait que ce soit des filles: Zviane, Iris, Julie Rocheleau. «Ce sont des voix qui doivent être entendues, des talents qui doivent être vus.»
Quand on pense «fille qui fait de la bd», on appelle souvent Bach pour en parler, non seulement parce qu’elle a du succès, mais aussi parce que ça lui fait plaisir de prendre position. Sauf que... «C’est toujours la même question nounoune: “Qu’est-ce que ça fait d’être une femme en bd? ” Ça change rien, voyons, vas-tu la poser à un homme?!» Encore heureux qu’on ne l’ait pas posée! y Festival de la bande dessinée francophone de Québec Du 13 au 17 avril fbdfq.com
À L’APPROCHE DE LA TRENTAINE AVEC SA 29e ÉDITION, LE FBDFQ EST LOIN DE LA CRISE DE LA TRENTAINE. CETTE ANNÉE ENCORE, EN MÊME TEMPS QUE LE SALON INTERNATIONAL DU LIVRE DE QUÉBEC, LA BD SOUS TOUTES SES FORMES ENVAHIT LA VILLE. «NOUS SOMMES UN FESTIVAL GÉNÉRALISTE, RAPPELLE THOMAS-LOUIS CÔTÉ. ON N’A PAS DE CRÉNEAU PAR RAPPORT À UN STYLE OU UN GENRE. ON MISE DAVANTAGE SUR DES RENCONTRES ET DES EXPÉRIENCES.» PARMI CES DERNIÈRES, EN PLUS DES CLASSIQUES COMME L’IMPRO ET LE DESSIN EN DIRECT SOUS TOUTES SES VARIATIONS (EN FORMULE BRUNCH AU CERCLE, PENDANT UN SPECTACLE DE SWING, À LA FAÇON D’UN ORCHESTRE), TROIS ACTIVITÉS SORTENT DU LOT. D’ABORD, LA BOUM BD, UN GROS PARTY DE MUSIQUE, DE DANSE ET DE DESSIN DESTINÉ AUX ENFANTS, POURRAIT RENDRE LES PARENTS JALOUX. ENSUITE, LE FABULEUX CABARET IMPARFAIT FERA LE PONT IMPROBABLE ENTRE CIRQUE ET BANDE DESSINÉE. PUIS, C’EST AU SON DE L’HARMONIE DE CHARLESBOURG ET SOUS LES TRAITS DE DEUX DESSINATRICES QUE NAÎTRONT EN DIRECT, SOUS LES YEUX DES SPECTATEURS, LES FANTASTIQUES AVENTURES DU BARON DE MÜNCHHAUSEN, LORS D’UNE SOIRÉE DE CLÔTURE QUI PROMET.
62 | OPINION
ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE
#15$MINIMUM Pourquoi le Québec devrait-il emboîter le pas et augmenter le salaire minimum à 15$ Le 29 novembre 2012, à Manhattan, une centaine d’employés travaillant dans le secteur de la restauration rapide ont choisi de quitter leur emploi pour aller manifester pour de meilleures conditions de salaires. Payés 7,25$ de l’heure, ils ont éveillé l’attention de leurs pairs et de l’opinion publique quant à la précarité dans laquelle ils se trouvaient, devant compter sur les timbres alimentaires et un second emploi pour joindre les deux bouts. Trois ans plus tard, des dizaines de milliers de personnes manifestaient dans plus de 200 villes américaines et scandaient leur soutien au mouvement alors appelé #fightfor15. L’accroissement des inégalités ne fait malheureusement pas exception au Québec, bien qu’il soit moins prononcé ici. Avec un seuil de pauvreté établi à 23 000$ pour une personne vivant seule, il est simplement inacceptable que quelqu’un qui choisit de travailler à temps plein ne puisse le dépasser en étant payé au salaire minimum. Faisons le calcul: le salaire minimum passera à 10,75$ le 1er mai prochain. Donc, quelqu’un qui travaillerait 40 heures par semaine gagnerait annuellement 22 360$, ne dépassant donc pas le seuil de la pauvreté. Quelque chose doit être fait Mais ne devrions-nous pas viser à tirer les plus pauvres vers le haut plutôt que de tirer les plus riches vers le bas? Avec un taux d’imposition marginal qui atteint maintenant 54%, une taxe de consommation de 15% et des impôts fonciers qui ne cessent d’augmenter, est-ce vraiment raisonnable d’en vouloir davantage de la part des 25% des Québécois les plus riches qui versent déjà 77% des impôts perçus?
Et si on augmentait nous aussi le salaire minimum de façon importante? Prenons par exemple le secteur du détail, dans lequel œuvre une grande proportion des employés qui sont payés au salaire minimum, qui représente un pan important de notre économie. Avec des revenus d’environ 110 milliards annuellement, ce secteur représente près du tiers du PIB du Québec. Une hausse de près de 50% du salaire minimum ne se ferait pas sans impact. Cette hausse ne pourra être limitée aux employés qui touchent le salaire minimum. Elle devra se répercuter dans une bonne partie de l’organisation afin d’être cohérente et équitable. Cette augmentation représenterait une hausse de 20% du coût total de la main-d’œuvre. Ce n’est pas une mince affaire. Quel serait l’impact pour le secteur de l’alimentation, celui qui offre les marges nettes les plus basses? En fonction du type de commerce, la main-d’œuvre représente entre 6 et 10% des frais d’exploitation. Une hausse de 20% des salaires augmenterait donc les frais d’exploitation du détaillant en moyenne de 1,6%. Il faut ajouter la hausse des coûts liés aux produits fabriqués ici et celle liée au transport. Cette hausse totale estimée à moins de 4% serait facilement absorbée par l’augmentation des ventes des détaillants et par une légère inflation du prix des produits. Une inflation qui sera largement compensée par la hausse des salaires des moins nantis et qui sera tout à fait acceptable par les plus riches, certainement plus qu’une autre hausse d’impôts. Nos détaillants ont de bien plus importantes sueurs froides avec notre dollar. Parce que, ne nous leurrons pas, un salaire de 30 000$ annuellement n’est pas une panacée. Il n’entraînera pas une augmentation importante de la thésaurisation. Une grande majorité de ces augmentations seront dépensées dans nos commerces et remises au gouvernement en taxe de vente.
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De nombreuses entreprises ont compris que le traitement qu’elles offrent à leurs employés avait un lien direct avec la qualité du service offert à leurs clients, la diminution du taux de roulement, les coûts de formation et leur productivité globale. Et malgré ces salaires plus élevés que ceux payés par leurs compétiteurs, elles figurent parmi les entreprises les plus performantes dans le secteur des bas prix. On pense par exemple à Costco. Ce dernier, qui offrait déjà les meilleures conditions de l’industrie, a récemment annoncé que le salaire minimum qu’il offrait au Canada était haussé à 13,50$. Un caissier qui y travaille depuis cinq ans gagne environ 25$ de l’heure. Vous avez bien lu, 50 000$ par année. Costco semble y trouver son profit. Si votre modèle d’affaires est uniquement basé sur l’embauche d’employés au salaire le plus bas possible, peut-être qu’il ne fonctionne pas et qu’il mérite d’être éliminé. Il y a bien autres avantages à l’augmentation du salaire minimum. En augmentant le fossé entre ce que l’on obtient des prestations d’aide sociale et le salaire qu’un travail à temps plein ou à temps partiel peut procurer, il est évident que d’aucuns considéreront retourner sur le marché du travail et que cela entraînera une diminution des coûts sociaux assumés par l’État. De plus en plus d’économistes réalisent que la morosité dans laquelle est plongée notre économie est directement reliée aux inégalités croissantes présentes en occident. Il reste bien sûr plusieurs défenseurs d’un salaire minimum le plus bas possible, comme l’Institut Fraser, «think tank» de droite, qui s’évertue à faire la promotion du libertarisme économique. Heureusement, d’autres voix s’élèvent, et non les moindres. Dans une lettre adressée au président Obama, 75 économistes réputés, incluant sept prix Nobel, dont Joseph E. Stiglitz, ont plaidé en faveur d’une augmentation importante du salaire minimum. De nombreuses études récentes réfutent les prophètes de malheur qui associent une hausse du salaire minimum à d’énormes pertes d’emploi, surtout chez les plus jeunes. De nombreux États ont choisi d’emboîter le pas, influencés par le leadership de New York. La Californie procédera par référendum en novembre prochain afin de déterminer si elle aussi atteindra 15$ l’heure d’ici 2022. La ville de San Francisco l’a déjà fait, comme Seattle. Au Canada, l’Alberta a haussé le salaire minimum d’un dollar en octobre et vise à atteindre 15$ d’ici 2018. Il est grand temps que le Québec se joigne à ce mouvement qui nous servira tous: viser 15$ d’ici cinq ans. Joignez-vous à cette révolution et réclamez, vous aussi, #15$minimum. Par équité et justice. Pour notre bénéfice à tous. y
QUOI FAIRE
photo | jay kearney
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LES GOULES Le CerCLe – 29 avriL
Neuf ans après son album Les animaux, le groupe punk de Québec Les Goules reprend du service avec Coma, un album paru de façon surprise sur sa page Bandcamp en mars dernier. Évidemment, un retour des Goules n’en serait pas un sans les tournées rocambolesques qui viennent avec. À ne pas manquer!
65 | QUOI FAIRE
SUUNS s a L L e M u Lt i d e M é d u s e – 15 av r i L
Avec son alliage massif de rock, d’électro et d’expérimentations psychédéliques diverses, Suuns a réussi à intéresser la presse médiatique internationale depuis le début de la présente décennie. Trois ans après l’acclamé Images du futur, le groupe montréalais envoie Hold/Still, son troisième album, et profite de l’occasion pour partir en tournée au Québec.
SARAH NEUFELD L ’ a n t i – 11 a v r i L
photo | Le petit russe
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PHILIPPE BRACH L e C e r C L e – 21 a v r i L
Révélation de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, Brach est assurément l’un des artistes les plus divertissants à voir en spectacle. Cette fois, l’auteurcompositeur-interprète folk saguenéen amène sa tournée Portraits de famine au Cercle et promet à toutes et à tous «une soirée bien givrée agrémentée de dérapages plus que moins contrôlés».
La violoniste britanno-colombienne d’Arcade Fire viendra présenter les chansons de son deuxième album solo, The Ridge, paru en mars cette année. Son univers particulier, qui explore le registre proto-folk et s’étire jusqu’à la pop minimaliste, prend une tournure tout aussi singulière en spectacle. Neufeld sera accompagnée par la multi-instrumentiste expérimentale originaire de Chicago, Eartheater. >
LES SŒURS BOULAY G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C 1 3 e t 1 4 av r i L
Après avoir récolté tous les honneurs possibles avec leur premier album, des Francouvertes jusqu’à l’ADISQ, Mélanie et Stéphanie Boulay ont fait un retour remarqué en octobre dernier avec 4488 de l’Amour, un deuxième album aux arrangements plus étoffés. Le duo viendra en présenter les nouvelles chansons lors de deux spectacles au Grand Théâtre.
photo | autoportrait
photo | LepiGeon
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MILK & BONE
LES INDIENS
WHISKY LEGS
L e C e r C L e – 22 a v r i L
s a L L e M u Lt i d e M é d u s e – 13 a v r i L
L’anGLiCane – 5 Mai
Oniriques, aériennes, parfaitement justes. Les harmonies vocales de Camille Poliquin et Laurence LafondBeaulne sont fascinantes sur disque, mais ce n’est rien comme la magie qui opère en concert. Une valeur sûre.
Le quatuor stoner rock Les Indiens remet ça avec Shaman UFO, un deuxième album complet qui sera lancé en double plateau avec Sandveiss dans le cadre des Nuits psychédéliques.
Difficile d’écrire sur le trio local Whisky Legs sans mettre l’accent sur la charismatique vocaliste Myriam Brochu, une digne héritière de Janis Joplin. En double plateau avec les bluesmen chicagoans de Mississippi Heat.
photo | LepiGeon
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EMILIE & OGDEN Le CerCLe â&#x20AC;&#x201C; 5 Mai
La gracieuse Emilie Kahn revient à QuÊbec accompagnÊe de sa harpe et de ses compositions mÊlodiques, enveloppÊes dans un voile de mÊlancolie. Une soirÊe tout en douceur.
QUALITĂ&#x2030; MOTEL
)CI TOUT EST FAIT MAISON SUR PLACE OU PROVIENT D ARTISANS LOCAUX DES PAINS BRIOCHĂ?S AUX BOISSONS GAZEUSES
Lâ&#x20AC;&#x2122; a n t i â&#x20AC;&#x201C; 16 av r i L
Quatre ans après son premier et seul album Motel CaliforĂąa, le quintette sherbrookois QualitĂŠ Motel (un projet parallèle des membres de Misteur Valaire) continue de sillonner les routes au QuĂŠbec avec ses rythmes ĂŠlectro mordants, son ĂŠnergie contagieuse, ses accoutrements dĂŠglinguĂŠs et ses mĂŠlodies synthpop accrocheuses. Bref, ça risque de brasser Ă Lâ&#x20AC;&#x2122;Anti, comme dâ&#x20AC;&#x2122;habitude.
FRANCIS CABREL G r a n d t h ĂŠ ât r e d e Q u ĂŠ b e C â&#x20AC;&#x201C; d u 28 a u 30 av r i L
La lĂŠgende dâ&#x20AC;&#x2122;Agen dĂŠbarque avec sa guitare pour nous jouer les pièces de son 13e album en carrière, In extremis, paru lâ&#x20AC;&#x2122;an dernier. AccompagnĂŠ de deux choristes et de ses fidèles musiciens, Cabrel profitera ĂŠgalement de son passage au QuĂŠbec pour jouer ses classiques, ceux qui font maintenant sa renommĂŠe partout dans la francophonie depuis plus de 40 ans.
RUE DU &ORT 1UĂ?BEC ' 2 : q WWW CHICSHACK CA
CATHERINE MAJOR
TIKEN JAH FAKOLY
THE JUNGLE BOOK
G r a n d t h é ât r e d e Q u é b e C – 9 a v r i L
paL ais MontCaLM – 3 Mai
d è s L e 15 av r i L
La chanteuse et pianiste Catherine Major monte sur la scène de la salle Octave-Crémazie armée de son plus récent bouquet de chansons, l’album La maison du monde. Des textes marqués par la maternité, l’amour charnel, et qui posent un regard aussi tendre qu’émerveillé sur le quotidien.
L’auteur-compositeur-interprète et «éveilleur de consciences» africain Tiken Jah Fakoly souffle sur Québec en même temps que les premiers vents chauds. Il nous présente Racine, son plus récent opus marqué par des reprises d’Alpha Blondy et de Bob Marley, notamment.
Basé sur le synopsis de l’ouvrage original de 1967, ce nouveau film de Walt Disney présente le jeune Mowgli, devant fuir le tigre Shere Khan qui promet de l’éliminer. Encouragé par la panthère Bagheera, il devra apprendre à connaître les animaux de la jungle. Scarlett Johansson, Bill Murray et Idris Elba ont notamment prêté leur voix aux personnages. >
photo | Courtoisie MeMento FiLMs
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LOUDER THAN BOMBS
MON ROI
d è s L e 22 a v r i L
d è s L e 15 av r i L
Trois ans après la mort dâ&#x20AC;&#x2122;une photographe cĂŠlèbre, sa famille se rĂŠunit et ressasse les fantĂ´mes du passĂŠ. PrĂŠsentĂŠ Ă Cannes en compĂŠtition officielle lâ&#x20AC;&#x2122;an dernier, ce drame norvĂŠgien de Joachim Trier met en vedette une brochette dâ&#x20AC;&#x2122;acteurs de grande qualitĂŠ, notamment Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg, David Strathairn, Amy Ryan et Isabelle Huppert.Â
NommĂŠ Ă de multiples reprises Ă la cĂŠrĂŠmonie des CĂŠsar 2016, Mon Roi dĂŠvoile lâ&#x20AC;&#x2122;histoire dâ&#x20AC;&#x2122;amour entre deux personnages: Georgio (Vincent Cassel) et Tony (Emmanuelle Bercot). Alors quâ&#x20AC;&#x2122;elle se brise une jambe en ski, cette dernière se remĂŠmore les moments quâ&#x20AC;&#x2122;elle a passĂŠs avec son amoureux. RĂŠalisĂŠ par MaĂŻwenn (Polisse), Mon Roi a ĂŠtĂŠ acclamĂŠ de part et dâ&#x20AC;&#x2122;autre.
ALIAS MARĂ?A
LE BOUTON DE NACRE
d è s L e 22 av r i L
d è s L e 29 av r i L
PrĂŠsentĂŠe dans la section Un certain regard Ă Cannes 2015, cette production franco-argentino-colombienne tourne autour du personnage de MarĂa, une soldate de la guĂŠrilla. Alors quâ&#x20AC;&#x2122;elle nâ&#x20AC;&#x2122;a que 13 ans, on lui donne la mission de protĂŠger le bĂŠbĂŠ du commandant. Enceinte, MarĂa dĂŠcide de ne pas rĂŠvĂŠler cette information afin dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠviter de se faire avorter au camp.
Ce documentaire chilien de Patricio GuzmĂĄn a reçu lâ&#x20AC;&#x2122;Ours dâ&#x20AC;&#x2122;argent du meilleur scĂŠnario Ă la Berlinale de lâ&#x20AC;&#x2122;an dernier. ExpĂŠrimental, son scĂŠnario a comme trame de fond le rapport que le pays dâ&#x20AC;&#x2122;origine du rĂŠalisateur a avec lâ&#x20AC;&#x2122;eau. En dĂŠcoulent donc diffĂŠrents pans de lâ&#x20AC;&#x2122;histoire qui, jumelĂŠs les uns aux autres, interrogent la mĂŠmoire chilienne.
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70 | QUOI FAIRE
MADE IN FRANCE d è s L e 1 5 av r i L
Incursion dans une cellule djihadiste chargée de semer le chaos à Paris, Made in France devait prendre l’affiche en France en novembre dernier, mais sa sortie a finalement été reportée (puis annulée) en raison de la dérangeante ressemblance de son scénario avec la réalité. Réalisé par Nicolas Boukhrief, ce film est d’une actualité troublante.
CAMINANDO & AVLANDO t h é ât r e p é r i s C o p e du 20 avriL au 7 Mai
photo | Courtoisie FunFiLM distribution
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L’autobus jaune d’Agnès Zacharie revient se stationner à l’orée du quartier Saint-Jean-Baptiste pour raconter la triste mais belle histoire de Jeanne Nadjari, une survivante de la guerre au destin aussi improbable que bien réel.
AVANT LES RUES d è s L e 15 a v r i L
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Ce premier long métrage de la scénariste, réalisatrice, monteuse et productrice québécoise Chloé Leriche suit le parcours de Shawnouk, qui s’évade en forêt après avoir tué un homme durant un vol à main armée. Tourné en langue atikamekw, Avant les rues a été présenté en clôture de la 34e édition des Rendez-vous du cinéma québécois.
L’ORIGINE DES ESPÈCES d è s L e 22 av r i L
Lorsque sa mère meurt, David remonte à l’origine de sa naissance afin de tenter de découvrir l’identité de son père. Présenté au 44e Festival du Nouveau Cinéma, L’origine des espèces met en vedette Marc Paquet, Sylvie De Morais, Élise Guilbault et Germain Houde. C’est Dominic Goyer (Lièvres) qui en signe à la fois le scénario et la réalisation. photo | aLexandre ZaCharie
photo | niCoLa-Frank vaChon
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QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF L a b o r d ĂŠ e â&#x20AC;&#x201C; d u 12 a v r i L a u 7 M a i
Le brillant Hugues Frenette sâ&#x20AC;&#x2122;attaque Ă la fameuse pièce du dramaturge ĂŠtats-unien Edward Albee, dans sa version traduite par Tremblay. Un texte qui interroge vertement lâ&#x20AC;&#x2122;utopie du proverbial American Dream.
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VITAL FEW s a L L e M u Lt i d e M ĂŠ d u s e - 28 , 29, 30 a v r i L
PrĂŠsentĂŠ Ă lâ&#x20AC;&#x2122;Agora de la danse, Vital Few sâ&#x20AC;&#x2122;intĂŠresse au dĂŠfi que reprĂŠsente le fait de ÂŤmettre lâ&#x20AC;&#x2122;individualitĂŠ au service dâ&#x20AC;&#x2122;une communautĂŠÂť et donc, plus largement, dâ&#x20AC;&#x2122;exister ensemble. Passant du hip-hop au ballet, les six interprètes de la troupe vancouvĂŠroise Company 605 ĂŠvoquent le ÂŤdĂŠsir organiqueÂť de faire partie de quelque chose de plus grand que soi.
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dessin, sans titre et Mer aGitée, 2016, enCre et GouaChe sur papier, 30 par 22 pouCes
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MATHIEU VALADE GaLerie 3 – du 8 avriL au 8 Mai
L’artiste montérégien Mathieu Valade nous propose un corpus d’œuvres variées (dessins, sculptures, vidéos) à l’image de sa pratique très riche. Une expo intitulée Hermétique Club qui pige dans les codes plastiques les plus radicaux de l’art moderne.
LE LONG VOYAGE DE PIERRE-GUY B. L’anGLiCane – 28 avriL
Entre l’Acadie et la Turquie, le clown triste Pierre Guy Blanchard se raconte sans filtre, avec générosité et (surtout) sans jamais verser dans le mélodrame. Une grande pièce rassembleuse et nuancée coécrite par Philippe Soldevila qui met aussi en vedette Christian Essiambre.
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CAROLINE CLOUTIER – VU PHOTO du 6 Mai au 5 juin
Elle travaille autour des miroirs, de la lumière et des formes géométriques qui rappellent presque l’origami. Avec Contre-espaces (déploiements), Caroline Cloutier présente une collection de photographies doucement hypnotisantes et minimalistes. Un plaisir pour les yeux.
NICOLAS FLEMING L ’ Œ i L d e p o i s s o n - d u 29 a v r i L a u 29 M a i
Nicolas Fleming déploie une installation monumentale dans la grande galerie de L’Œil de Poisson, ni plus ni moins qu’une scène vide et inanimée conçue pour déstabiliser le spectateur. Un moment d’arrêt dans nos vies de fous. >
et Ce n’était Qu’un CoMMenCeMent, 2015 exposition soLo présentée à La Maison des arts de LavaL photo | Guy L’heureux
photo | juLie artaCho
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LA BRADERIE DE MODE QUÉBÉCOISE e s pa C e d a L h o u s i e – 2 2 , 2 3 e t 24 a v r i L
S’habiller local coûte une bagatelle pendant La Braderie, un événement de magasinage unisexe qui regroupe quelques-uns des designers les plus en vue du moment, dont Melissa Nepton, Cokluch (photo) et Rudsak.
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.
Mathieu St-Onge
teomtl.com