MONTRÉAL VO1 #O6 | JUILLET 2O16 OFF-FESTIVALS OSHEAGA NUITS D’AFRIQUE ZOOFEST ZONE HOMA BROMANCE AU CIRQUE RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE EN GASPÉSIE FEUILLES MORTES DU POTAGER À L’ASSIETTE CE QUE MANGENT (VRAIMENT) LES CHEFS DOSSIER VIE DE TOURNÉE
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O1 O6 MONTRÉAL | JUILLET 2016
RÉDACTION
Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture / Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnatrice des contenus: Alicia Beauchemin / Correctrice: Marie-Claude Masse
COLLABORATEURS
Ralph Boncy, Catherine Genest, Jérémy Laniel, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Normand Baillargeon, Émilie Dubreuil, Eric Godin
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Directeur adjoint aux ventes: Jean Paquette / Ventes régionales: Céline Lebrun Représentantes aux ventes nationales: Isabelle Lafrenière, Nathalie Rabbat Représentants: Catherine Charbonneau, Antonio Genua
OPÉRATIONS / PRODUCTION
Directrice du marketing et des communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrice marketing et projets spéciaux: Danielle Morissette Directeur du développement web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sieng-you / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larrivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé / Chef d’équipe administration: Céline Montminy Coordonnateur service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine
PHOTO COUVERTURE Simon Duhamel | leconsulat.ca
DISTRIBUTION Diffumag 514 842-6809
COMMUNICATIONS VOIR
Président: Michel Fortin / Vice-président: Hugues Mailhot
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«CE TEXTE EST NÉ D’UN DÉSIR TRÈS FORT DE RACONTER LA VIOLENCE URBAINE ET DE DONNER UNE THÉÂTRALITÉ À LA LANGUE ADOLESCENTE DE DAVE.» Photo | Simon Duhamel / Consulat Assistant | Maxime St-Jean Maquillage | Brigitte Lacoste
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SCÈNE
Humour décentralisé Bromance en deux temps Zone Homa
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MUSIQUE
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DOSSIER
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CINÉMA
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ART DE VIVRE
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LIVRES
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ARTS VISUELS
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Les off-festivals Osheaga Nuits d’Afrique Vie de tournée Feuilles mortes L’assiette du chef Dans les potagers des restos De nos frères blessés Nouvelles de l’autre vie Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie
QUOI FAIRE CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p28) Émilie Dubreuil (p38) Normand Baillargeon (p48) Alexandre Taillefer (p60)
6 OPINION VOIR MTL
VO1 #O6
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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
NATIONALISME ORGANIQUE À partir du mois de juin, les médias se mettent en mode estival. C’est l’heure des programmations d’été où on invite des vedettes à parler jardinage et BBQ. Ça me va. Je n’y échapperai pas d’ailleurs. Si vous saviez tout ce que je manque comme occasion d’émettre une opinion depuis que nous publions sur une base mensuelle. Je suis en retard sur tout. Pas moyen de frapper au bon moment. D’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore ce qui se passera dans les dix prochains jours. Dix jours... C’est le temps qu’il faut pour mettre en page ce magazine, l’envoyer à l’imprimerie et le distribuer dans les présentoirs. Vous voyez un peu le scénario. Je vous écrirais que les fraises viennent d’arriver au marché et, pour vous qui me lisez, ce serait déjà le temps des framboises. Je suis donc condamné à être en retard. Je dois faire le choix d’être lent. Parler des choses qui ne changent pas, ou peu. Comme le paysage, tiens. Je suis une tortue. Il y a quelques semaines, début juin, j’ai mis cinq heures pour faire Québec-Montréal par la 132. Tout le long. Je suis sorti de la capitale par le vieux pont de Québec pour traverser Villieu et Saint-Nicolas. C’est tout de suite la campagne. À Leclercville, un peu après Lotbinière, magnifique vue sur le fleuve et la rivière du Chêne qui se jette dedans. On y trouve une halte municipale entretenue par des bénévoles. J’y ai vu un vieux Westfalia, toutes voiles ouvertes, qui avait élu domicile. Les véhicules récréatifs peuvent s’y arrêter aussi. J’ai pissé et j’ai mis 2$ dans le truc pour les dons. Il y avait une feuille imprimée au-dessus de l’uri-
noir qui m’y encourageait. Merci les bénévoles. La réalité coûte 2$. Ça me semble OK comme deal. Juste en haut, une cantine familiale pour luncher. Le Sainte-Emmélie que ça s’appelle. Avec une jolie terrasse. J’ai regretté de ne pas avoir faim. Cinq heures, donc, pour ne pas croiser un Subway machin ou autre McDo du coude sur l’autoroute et pisser dans un truc qui sent le Vicks. J’étais sur la piste de quelque chose. La lenteur. Le temps qui passe, l’odeur du printemps qui se dérobe pour laisser la place à l’été. Je me suis même arrêté dans un petit bois de peupliers pour voir si je ne trouverais pas quelques morilles. En vain. C’est plus loin, un peu après Nicolet, que j’ai eu une vision. Une expérience totale et intégrale. Comme saint Paul sur le chemin de Damas. Entre Nicolet et Pierreville, très précisément, en croisant le rang du Petit-Bois où j’ai failli faire un détour vers NotreDame-de-Pierreville. Je le regrette depuis. En tout cas, j’ai eu une apparition. Une sorte de peak experience comme on dit en latin. Je venais de découvrir le patriotisme organique. Une odeur. Un coup de vent. Un rayon de lumière sur les terres. Rien dans la tête, tout dans le nez et les yeux. Un paysage où je sais par cœur comment me faufiler, avec les repères appris je ne sais trop quand. Prends ce chemin, ça va déboucher au bon endroit. Évidemment, je ne savais pas, à ce moment-là, ce qui m’arrivait. J’ignorais aussi que le Brexit allait occuper le devant de la scène deux semaines plus tard. Coquin de sort quand même, le Royaume-Uni, par voie de référen-
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dum, allait choisir de quitter l’Union européenne le jour même où, ici, nous allions célébrer la fête nationale. Ce fut la totale. Pour plusieurs, le «peuple», au singulier, avait fait entendre «sa voix», au singulier encore. Une voix contre les élites mondiales transnationales. Remarquez ici l’assemblage entre le singulier et le pluriel. Le peuple se bat seul, unifié, uniforme, contre une menace multiple, tentaculaire. Ajoutez le mot référendum, et ça donne une boisson forte parfaite pour le party. Ça m’a fait sourire. Mathieu Bock-Côté a bien écrit 22 statuts Facebook et une demi-douzaine de chroniques à ce sujet. Ahhh! Le peuple a parlé! Écoutez ce qu’il vous dit un peu! Entendez son message! Vraiment, ça sonnait comme Jean le Baptiste, dans le désert. J’ai quand même une question plate. Si je peux me permettre. Toute conne. Je m’en excuse à l’avance. Mais le peuple qui a parlé, lors de ce référendum, c’est quelle moitié au juste? Le 48,1% ou le 51,9%? Vous me direz ça un jour.
Pour revenir à ce périple routier, j’ai lâché la 132 à Sorel pour faire un détour par l’autoroute 30 à cause du trafic. J’ai repris la petite route à Contrecœur. C’est joli jusqu’à Varenne, où ça se gâche un peu. J’ai quand même eu le temps, au retour de la route, d’aller discuter avec Bruno, chez Birri, au marché Jean-Talon. J’achète mes plants de concombre libanais aux Italiens depuis que je possède une truelle et un coin de jardin. Cette année, avec le coup de froid début juin, ils se sont écrasés comme des crêpes humides. J’ai planté trop tôt. Bruno m’en a refilé des nouveaux qui vont plutôt bien depuis. J’espère que mes vieux plants ne m’en voudront pas trop. Je les ai arrachés. Plus rien n’allait sortir de là. Attendez un peu de voir ma salade grecque du jardin. Pour le fromage feta, je vais essayer celui du Troupeau Bénit, de la fromagerie du monastère Vierge Marie la Consolatrice, à Brownsburg. Ça devrait le faire. y sjodoin@voir.ca
(de gauche à droite) david Beaucage, Léa StréLiSki, Jay du tempLe et arnaud SoLy
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HUMOUR DÉCENTRALISÉ INSPIRÉS PAR CE QUI SE FAIT ACTUELLEMENT CHEZ LES AMÉRICAINS, LES JEUNES HUMORISTES QUÉBÉCOIS OPTENT POUR UN HUMOUR SIMPLE ET DIRECT. COMME D’HABITUDE, LE ZOOFEST TÂTERA LE POULS DE CETTE RELÈVE, DU 7 AU 30 JUILLET. motS | oLivier BoiSvert-magnen
photo | antoine BordeLeau
De passage au festival, David Beaucage, Jay Du Temple, Léa Stréliski et Arnaud Soly ont comme maîtres à penser des figures incontournables de la scène humoristique américaine. Des vidéos de Louis C.K., de Bill Burr, de Demetri Martin, d’Ali Wong et de Mike Birbiglia, ils en regardent énormément. «On peut dire que c’est une tendance générale depuis quelques années», observe Jay Du Temple, sacré artiste de l’année au Zoofest l’an dernier. «Je pense qu’on revient un peu à la base, avec le stand-up classique et le pied de micro. Il y a un contact direct qu’on aime bien là-dedans. Dans les bars, on ne voit presque plus de personnages. C’est quelque chose qui est davantage confiné à des shows-concepts.» «Je remarque aussi une montée en puissance des filles», poursuit Léa Stréliski, qui vient tout juste de terminer sa première année à l’École nationale de l’humour. «On vit plein d’affaires en ce moment et on dirait qu’on ressent de plus en plus le besoin de dire comment on vit tout ça. Je pense tout particulièrement à un sketch d’Ali Wong où elle raconte de façon très raw ses humeurs de femme enceinte de sept mois.» Si les idoles sont principalement américaines, les influences, elles, sont en partie québécoises. D’ailleurs, tous s’entendent pour dire que Louis-José Houde a changé la donne, autant en raison de son type d’humour intimiste et de ses observations chirurgicales que de sa façon de travailler. «C’est un vrai précurseur. C’est lui qui a élevé d’un cran le niveau de rigueur dans les bars», avance Jay Du Temple. «Maintenant, il y a beaucoup d’humoristes de l’ancienne garde qui sont surpris de nous voir en show avec nos papiers et notre bouteille d’eau… Ils se demandent où sont passées la bière pis la poudre!»
Finissant de l’ENH en 2013, David Beaucage remarque le même phénomène: «Ce que j’entends des vieux routiers, c’est qu’avant, ça faisait partie du cachet de rester sur place après son numéro pour closer le bar avec tout le monde. Ça marche pu vraiment comme ça…» «En fait, c’est pas le genre de choses qu’on peut se permettre si on veut perdurer dans ce milieu-là», renchérit Arnaud Soly, improvisateur montréalais qui a fait le saut en humour l’automne dernier. «Il faut sortir le crayon chaque jour ou presque. On peut pas se permettre de rouler le même numéro dans les bars pendant trois ans.» La fin d’un monopole Signe que le milieu est en santé, les lieux de diffusion se multiplient partout au Québec, comme en témoignent les nombreuses soirées d’humour hebdomadaires qui ont fait leur apparition dans les cinq dernières années. «Il y a plein de nouveaux marchés qui se créent actuellement», explique Soly, lui-même animateur des Lundis de l’humour sauvage au Major Tom. «Montréal, tout particulièrement, commence à ressembler au golden age des comedy clubs américains. Les gens consomment de l’humour plus que jamais.» Auparavant perçu comme un monopole, Juste pour rire fait maintenant face à une scène humoristique diversifiée et décentralisée. La récente arrivée du festival Dr Mobilo Aquafest et, surtout, celle du Bordel Comédie Club, ouvert l’an dernier rue Ontario, en sont des manifestations probantes. «C’est là que j’ai vu les shows les plus efficaces et les plus drôles au Québec», relate Jay Du Temple, à propos
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de ce club notamment fondé par Louis-José Houde et Mike Ward. «Reste que JPR, c’est quelque chose que tu veux accomplir. On caresse tous, par exemple, le rêve de participer à un gala. Personnellement, je le verrais plus comme une tape dans le dos qu’une finalité.»
tremper le gros orteil et de voir si ça nous tente de plonger… C’est aussi l’un des seuls festivals qui nous permet de nous réunir pour faire des jokes d’Harry Potter pendant une heure!», dit Jay Du Temple, en référence au Harry Potter Show auquel il a participé l’an dernier.
«Moi, il y a un côté clean qui me fait peur dans ces galas-là», renchérit Léa Stréliski. «C’est sûr que ça me fait rêver aussi, mais les retombées me semblent floues.»
Et les explorations seront toutes aussi nombreuses cette année. Entre la soirée de «filles pas gentilles» Mean Girls, la série de stand-up thématique à propos de «notre obsession nationale» La soirée du hockey et le mystérieux Frères de graines, qui n’est «ni un show vulgaire ni un show d’horticulture», le Zoofest se met au diapason de ce qui se fait de meilleur sur la scène humoristique alternative québécoise.
«Avant, Juste pour rire, c’était le rêve ultime», poursuit David Beaucage. «Je dirais même que de participer à un gala, c’était la seule issue pour que ta carrière démarre. Maintenant, tout ça a beaucoup changé. Les derniers pour qui ça a réellement fonctionné, c’est Rachid Badouri et André Sauvé.» Paradoxalement, ce serait JPR lui-même qui aurait encouragé tous ces changements, notamment par l’entremise du populaire concours En route vers mon premier gala, initié en 2008. «Avant ça, je sais même pas si la relève humoristique existait!», exagère David Beaucage. «Il y avait ceux que tu voyais à la télé et les autres, qui n’avaient pratiquement aucune tribune.» Créées en 2004, les soirées d’humour au SaintCiboire ont également contribué à la mise en place d’une relève forte et bien organisée, de l’avis de Du Temple. «C’est à partir de là que le réseau a commencé à se développer. Maintenant, si tu es en demande, tu peux gagner ta vie en faisant chaque semaine le tour des soirées d’humour et en décrochant quelques contrats corpos ici et là», dit celui qui anime une soirée hebdomadaire au Jockey. «Ça a aussi amené une professionnalisation plus rapide du métier. Quand Bellefeuille s’est fait découvrir au début de la décennie, il était déjà très solide sur scène parce qu’il s’était fait les dents dans le circuit de la relève.» L’importante contribution du Zoofest
Il met également en relief une autre particularité de cette dite relève: la fraternité. «C’est avec des événements comme ça qu’on remarque la franche camaraderie qui nous unit», indique Jay Du Temple. «Quand quelqu’un d’entre nous réussit, on est généralement pas frustrés ou envieux. Tout ce qu’on veut, c’est que la relève perce.» y
MEAN GIRLS Avec Léa Stréliski, Emma Berthou, Coco Belliveau, Ève Côté et Madeleine Pilote-Côté 11, 14, 17, 20 et 21 juillet au cabaret du 4e du monument-national LA SOIRÉE DU HOCKEY Avec David Beaucage, Jay Du Temple, Sam Breton, Sébastien Mathieu et Katherine Levac 13, 16, 17, 20 et 22 juillet à la salle Ludger-duvernay du monument-national BIEN ÉLEVÉ Avec Jay Du Temple
Évidemment, le Zoofest a lui aussi contribué à cet essor. Initié par JPR en 2009 (puis jumelé à son pendant anglophone OFF-JFL depuis cette année), le festival a permis l’éclosion des Phil Roy, Katherine Levac, Yannick de Martino et Adib Alkhalidey – pour ne nommer que ceux-là.
14, 15, 20, 21, 28 et 29 juillet au studio hydro-Québec du monument-national
Mais au-delà de ça, il se positionne comme une plateforme d’expérimentation de choix pour tous les humoristes – relève ou pas. «Je vois ça comme une zone d’exploration. Ça nous permet de nous
20, 24, 25, 26, 29 et 30 juillet à la balustrade du monument-national
FRÈRES DE GRAINE Avec Arnaud Soly, Jonathan Moreau Cormier et Olivier Roberge
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BROMANCE EN DEUX TEMPS L’AMITIÉ MASCULINE, EN 2016, SE VIT PLEINEMENT ET TENDREMENT, LOIN DE LA RETENUE VIRILE D’ANTAN. DEUX SPECTACLES DE CIRQUE RACONTENT LA BROMANCE D’AUJOURD’HUI AU FESTIVAL MONTRÉAL COMPLÈTEMENT CIRQUE. DISCUSSION ENTRE MÂLES QUI AIMENT LEURS AMITIÉS FORTES ET FUSIONNELLES. motS | phiLippe couture
photo | chriS naSh
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Bromance. C’est le titre sans équivoque du spectacle de la Barely Methodical Troupe, composée de trois garçons britanniques qui s’aiment fort et explorent sur scène les aléas de leur amitié inébranlable, tout en s’amusant à tordre et à déjouer les stéréotypes masculins. À Montréal Complètement Cirque, ils seront applaudis quelques jours après les Québécois de Flip Fabrique, qui racontent dans leur nouveau spectacle Transit une amitié vieille de 10 ans et même pas ébranlée par l’écrasante proximité de la vie de tournée! Le concept n’est pas neuf, mais les artistes en font de plus en plus leur territoire d’exploration. Au cinéma, la bromance assumée de James Franco et Seth Rogen, gentiment tournée en dérision et répétée de film en film, est devenue emblématique du genre. Mais on la voit aussi en littérature depuis des lustres, et on pourrait remonter jusqu’à l’amitié loyale d’Hamlet et Horatio pour en trouver des traces au théâtre.Tout en se plaisant à déconstruire les codes de l’hétéronormativité, par l’entremise de personnages d’hétéros décomplexés qui n’hésitent pas à multiplier les marques d’affection à leurs amis, les personnages engagés dans la bromance font de l’amitié masculine contemporaine quelque chose de bien plus émotif et bien moins carré que ce qu’elle fut chez les générations précédentes. Et c’est tant mieux. «L’amitié est devenue une chose plus sensible qu’auparavant chez l’homme», pense l’acrobate et b-boy Charlie Wheeller, qui a créé Bromance avec ses complices Beren D’Amico et Louis Gift. «Je me réjouis d’appartenir à une génération d’hommes capables de s’ouvrir et d’exprimer de l’émotion et de l’affection. Notre spectacle raconte une amitié solide, née à l’École de cirque et qui ne s’est jamais affaissée depuis. Nous sommes trois gars bien différents, qui ont chacun un parcours singulier, mais l’amitié est plus forte que toutes ces différences. On explore cette affection mutuelle, mais aussi la question de la masculinité, en racontant différentes sensibilités masculines, différentes manières d’être homme.» Chez les gars de Flip Fabrique, même si l’identité mâle n’est pas au cœur du propos du spectacle Transit, on entend le même discours. Leur pièce imagine un dernier tour de piste, s’ancrant dans l’idée que ce moment passé sur scène est le tout dernier moment entre amis après 10 ans de bourlingage tissé serré. «On ne fait pas référence au concept de bromance, dit l’acrobate Bruno Gagnon, mais indéniablement nous vivons notre amitié dans cette proximité. On a fait beaucoup de tournée récemment et le voyage, mais aussi les chambres d’hôtel partagées partout dans le monde ont contribué à forger une amitié solide et puissante. On se dit les vraies choses, il n’y a pas de fauxsemblants, et il y a effectivement quelque chose de
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démonstratif dans notre manière de montrer à l’autre qu’on tient à lui, qu’on le soutient, qu’on sera toujours là.» La fameuse solidarité masculine. Mais la vie de tournée n’est-elle pas également un peu dure sur l’amitié?, ose-t-on demander à Bruno. «Oui, répond-il sans hésiter. Mais ce qui ne nous tue pas nous rend plus solides. Les périodes de conflit rendent nos moments d’amitié et de synergie encore plus puissants, plus forts; on en ressort davantage orientés vers la même direction, vers les mêmes buts.» Réponse similaire du côté de Charlie Wheeller, qui a aussi beaucoup avalé les kilomètres avec ses deux bros. «De nos meilleurs amis, on doit accepter le meilleur comme le pire. En tournée, dans le quotidien partagé, on n’est pas toujours à notre meilleur et les autres non plus, mais l’important est de savoir passer rapidement par-dessus les anicroches. Quand les fondations de l’amitié sont solides, tout cela se fait assez naturellement.» Dans Bromance, Wheeller et sa bande racontent leur amitié en toute sincérité mais en font aussi un objet de dérision, dans un spectacle qui s’est construit dans un ton plus comique qu’ils ne l’avaient anticipé. «Notre metteur en scène, dit-il, essaie constamment de diminuer le comique, mais c’est plus fort que nous, on revient toujours à un cirque un peu cabotin, qui s’appuie sur une forte autodérision et sur une grande complicité avec les spectateurs. L’amitié, que voulez-vous, c’est généralement joyeux et drôle, puis c’est aussi plutôt communicatif!» D’un naturel plutôt grégaire et enjoué, Bruno Gagnon insiste aussi pour dire que Transit est «un spectacle acrobatique exécuté dans un haut niveau de joie». «C’est une célébration de l’amitié, un party qui lève fort. On a réuni dans ce spectacle toutes les choses qu’on a toujours voulu faire ensemble sur scène, tous nos fantasmes de cirque.» Et ça va, promet-il, du hula hoop jusqu’aux sangles aériennes, en passant par la jonglerie, les acrobaties variées, la banquine et la barre russe. Les gars de Bromance, eux, sont des acrobates multidisciplinaires notamment doués dans le main à main et la roue Cyr. Ils sont musclés et n’hésiteront pas à exhiber le tout, mais derrière ces apparats virils se cachent évidemment tendresse et fragilité. y Transit du 7 au 16 juillet à la Tohu Bromance du 9 au 14 juillet au Centaur Dans le cadre de Montréal Complètement Cirque
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chriStophe payeur, photo | hugo B. Lefort
CHAQUE ÉTÉ DEPUIS DÉJÀ HUIT ANS, LA MAISON DE LA CULTURE MAISONNEUVE ACCUEILLE ZONE HOMA ET SES JEUNES ARTISTES ENTHOUSIASTES DANS DES CHANTIERS ET LABOS DE CRÉATION INSPIRÉS. ON VOUS SUGGÈRE TROIS PROJETS À SURVEILLER À LA FIN JUILLET. motS | phiLippe couture
MÉLANIE SANS EXTASY 27 juillet Ă 21h Actrice issue du Conservatoire de QuĂŠbec, que l’on a davantage vue Ă la tĂŠlĂŠ ces dernières annĂŠes, Edith Paquet ĂŠtait jusqu’à maintenant, selon ses propres mots, ÂŤune comĂŠdienne qui ĂŠcritÂť. Mais avec MĂŠlanie sans extasy, elle s’assume comme auteure dramatique, offrant Ă Zone Homa la version longue d’une pièce qu’elle avait testĂŠe en format court au ThÊâtre La Licorne en 2013 dans le cadre d’une soirĂŠe ThÊâtre tout court. Une nouvelle plume Ă dĂŠcouvrir: ceux qui ĂŠtaient dans la salle en 2013 y avaient apprĂŠciĂŠ une ĂŠcriture intimiste, apte Ă fouiller l’intĂŠrioritĂŠ, mais aussi un humour de bon ton. Ă€ première vue, MĂŠlanie sans extasy raconte une quĂŞte de sens assez typique de la vie de jeune adulte; une errance qui oscille entre sentiments violents et dĂŠpendances puissantes, mais aussi entre amours emmĂŞlĂŠes et yoga apaisant. ÉpaulĂŠe par l’aguerri metteur en scène FrĂŠdĂŠric Blanchette, la comĂŠdienne prĂŠpare une mise en lecture ÂŤamĂŠliorĂŠeÂť, intĂŠgrant lumières et ĂŠlĂŠments scĂŠnographiques.Â
CORPS DE RECHANGE 28 juillet Ă 20h Du programme de thÊâtre du CĂŠgep Lionel-Groulx ont ĂŠmergĂŠ ces dernières annĂŠes de jeunes artistes ĂŠnergiques et engagĂŠs, qui s’illustrent sur diffĂŠrentes scènes et tentent souvent de repousser les limites de la scène. C’est le cas du comĂŠdien Christophe Payeur, notamment vu dans les projets dĂŠmesurĂŠs de son camarade Philippe Boutin (DĂŠtruire, nous allons et Le vin herbĂŠ) ou connu pour son implication sentie dans le renouveau de la scène autochtone montrĂŠalaise (notamment le spectacle Muliats). Il sera seul sur scène dans Corps de rechange, au milieu d’un univers scĂŠnographique imaginĂŠ par un prometteur trio de concepteurs, Christophe Godon, Jenny Huot et NoĂŠmi Paquette. Mais c’est surtout le propos qui nous intĂŠresse. Payeur et sa bande plongent dans la poĂŠsie de Claude PĂŠloquin, propageant le parfum de libertĂŠ des annĂŠes 1970 dans un ĂŠcrin technologique bien contemporain. ÂŤN’abandonnant pas la phrase fĂŠtiche “Vous ĂŞtes pas ĂŠcĹ“urĂŠs de mourir, bande de cavesâ€?, un homme tentera de se faire entendre Ă Â l’aide de mots, d’images, de lumière et de musique.Âť
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LA VIE DE BRUNO 30 juillet à 20h Bruno, 16 ans et dÊjà passionnÊ d’astrophysique, arrive dans une nouvelle famille d’accueil. Muet depuis presque 10 ans, il communique à l’aide d’un encombrant prototype qui transforme ses pensÊes en ondes sonores. C’est la prÊmisse de la première pièce d’AndrÊ-Luc Tessier, jeune comÊdien rÊcemment diplômÊ du Conservatoire de MontrÊal qui sera sur scène avec les comÊdiens BenoÎt Vermeulen, Annette Garant et Catherine Chabot (Table rase) dans une mise en scène de Maxime Carbonneau (Siri). RÊcit initiatique plongeant un jeune homme dans l’introspection au contact d’une famille dysfonctionnelle et disjonctÊe, La vie de Bruno se prÊsente comme une fable lumineuse sur le passage à l’âge adulte et sur le temps qui nous Êchappe; une œuvre tissÊe d’humour et de tragique qui s’interroge sur les concepts de la famille, du temps, de la mÊmoire et du langage. Notre curiositÊ est piquÊe.
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(à gauche) PreoccuPations (ex Viet cong), Photo | Maryon DesjarDins (à Droite) relais PaPillon (offta), Photo | jean-francois BoisVenue
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La switch à OFF Les «OFF-FestivaLs» sOnt devenus mOnnaie cOurante au cOurs des dernières décennies. iL sembLe désOrmais que chaque FestivaL d’envergure se dOit d’avOir une céLébratiOn aLternative en à côté, au pOint Où certains d’entre eux créent eux-mêmes Leurs prOpres OFF. mais d’Où est né ce besOin d’OFFres sOrtant des sentiers battus, de prOgrammatiOns écLatées et de sOirées imprOvisées? Mots | antoine BorDeleau
Pour quiconque n’a jamais mis les pieds dans un OFF, le concept peut sembler flou. De prime abord, le néophyte ne voit de l’extérieur qu’un petit festival essayant d’entrer en compétition avec un géant bien établi, un véritable combat entre David et Goliath qui ne peut se solder qu’en un échec cuisant. Ce qu’ignore ce dit néophyte, c’est qu’il n’en est strictement rien. L’esprit d’un OFF n’est pas de rivaliser avec le festival dont il découle, mais bien de bonifier l’offre au public avec des spectacles inusités ou qui n’auraient tout simplement pas leur place au sein d’une programmation plus conservatrice dont sont souvent affligés les monstres de l’univers festivalesque. Un peu d’histoire Il faut remonter loin en arrière pour découvrir les origines de ces festivals alternatifs. Le nom «off» prend sa source dans une tradition ancienne, le offBroadway. Cette désignation fut employée dès la première moitié des années 1950 pour définir toute pièce de théâtre, comédie musicale ou revue présentée à New York mais ne cadrant pas dans les standards stricts de Broadway. Les salles où l’on présentait ces performances ne dépassaient jamais les 499 places, les règles de Broadway demandant un établissement d’au moins 500 sièges. C’est le plus gros et influent de tous les OFF, celui d’Avignon, qui a ouvert le bal pas plus tard qu’en 1968,
empruntant ce nom pour définir ses activités. C’est en réponse au très important Festival d’Avignon que s’est amorcée cette célébration d’un théâtre différent, présentant des pièces interdites par son homonyme institutionnalisé. Alors qu’il s’agissait à l’époque de contestation pure et dure, le festival a lentement muté vers une position d’ouverture complète, embrassant toute forme d’art de la scène n’ayant pas nécessairement sa place dans le festival «officiel». Il offre aujourd’hui plus de 1300 spectacles. Qu’offrent les OFF? Maintenant que l’appellation OFF est bien connue et répandue, son utilisation s’est légèrement transformée. Selon Guillaume Sirois, directeur général du Festival OFF de Québec, un OFF répond à deux critères importants: «Dans un premier temps, le OFF doit se tenir en même temps que l’événement auquel il se rattache. Sinon, tu peux pas vraiment appeler ça un OFF, c’est juste autre chose. Ensuite, à mon avis, c’est super important que le OFF ne soit pas organisé par le même monde qui s’occupe du festival principal. Pour moi, ça ne fait juste pas de sens. Appelle ça la “scène émergente” si tu veux, mais c’est pas un OFF.» Autre caractéristique cruciale, un OFF, ça doit servir l’émergence, la scène locale et la créativité. Guillaume poursuit sur sa lancée: «Quand le festival OFF est né, c’était dans
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(ci-contre) gaB Paquet, Photo | Maryon DesjarDins (Page suiVante, à gauche) Photo | cinDy Voitus (Page suiVante, à Droite) rosie VallanD, Photo | Maryon DesjarDins
TRAIN SONGS Sortie : 10 Juin 2016 TRAIN SONGS
Festival international de jazz de Montreal 2016 Déambulatoire du 29 juin au 9 juillet Événement spécial SiriusXM, Scène TD, le 9 juillet
westtrainz.com
Escale à Québec! Festival d’été de Québec 2016 les 14 & 15 juillet
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> un souci de redonner une place aux pratiques de recherche, aux productions de niche, à tout ce qui était rendu complètement écarté par le Festival d’été de Québec. Je ne pousse pas une critique, c’est bien correct de vouloir faire jouer AC/DC sur les Plaines, mais il manquait quelque chose pour la relève. Un de nos meilleurs slogans, ça a été Voir le futur pour dix piasses, je pense que ça résume à la perfection notre mission.» Il n’a pas tort, car il suffit de jeter un œil aux artistes des années passées pour voir qu’ils sont tous désormais sur les planches des plus gros événements: Les Sœurs Boulay, Patrick Watson, Klô Pelgag ou Preoccupations (exViet Cong), pour ne nommer que ceux-là. Cet esprit d’ouverture résonne dans tous les OFF. L’expérience qu’on y vit est considérablement différente de celle d’un festival régulier. La découverte est au centre du menu, et on doit y aller sans barrière psychologique pour en profiter à fond. «C’est certain que dans certains plus gros festivals, les artistes peuvent un peu moins s’en permettre, confie Fannie Dulude (directrice de la programmation du Zoofest). Il y a des captations, des choses du genre. À Zoofest, ce qui se passe dans la salle reste dans la salle. Les artistes ont donc une bien plus grande liberté, ça leur permet de faire des tests, un genre de laboratoire pour roder du nouveau matériel. Ils vont être moins stressés de présenter des numéros qui sortent de l’ordinaire, quitte à surprendre le public.»
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Entre la défiance et la cohésion Bien que la plupart des OFF aient d’abord été établis comme un genre de pied de nez aux festivals massifs et formatés, leurs missions évoluent avec le temps, et certains s’inscrivent même directement dans une volonté d’évoluer en parallèle avec les entités «officielles» qui les ont vus naître. C’est le cas entre autres du OFFTA, à Montréal. Selon Jasmine Catudal, sa codirectrice, ce OFF est né pour redonner sa place à l’émergence, mais jamais ses organisateurs n’ont voulu se mettre en opposition au Festival TransAmériques. «Même dans le FTA, il y a un peu plus de place désormais pour l’émergence, les choses ont évolué. Mais de notre côté, au OFFTA, il y a une notion de prise de risque qui ne se retrouve pas dans le FTA. Ce n’est pas une question de défi en tant que tel. On a vraiment une relation de mutualisme avec le FTA, une relation que je qualifierais de gagnante pour les deux parties.» C’est un peu le même constat à Québec, du côté du FEQ et du OFF de Québec. Selon Guillaume Sirois, le Festival d’été s’est amélioré en matière de place qu’il laisse aux artistes locaux et émergents: «On va se le dire, le terme émergent est à la mode. Donc, ils n’ont pas vraiment le choix de suivre la vague. C’est une bonne affaire, y a une conscience supplémentaire qui s’est développée. Mais ça reste en surface; nous, on a une équipe qui est dédiée entièrement au défrichage culturel, une recherche constante de présenter quelque chose de nouveau. C’est correct de même. Eux font venir AC/DC, pis pendant ce temps-là, nous autres on présente des shows qui n’ont jamais été vus nulle part ailleurs.» y
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FOuLe FestivaL à queLques semaines du grand rendez-vOus musicaL qu’est Osheaga, On anaLyse L’impact des grands FestivaLs. Mots | Valérie thérien
Photo | susan Moss
À l’aube de sa 11e année d’existence, l’événement montréalais Osheaga s’est déjà taillé une place de choix dans le palmarès mondial de rentabilité des festivals musicaux selon Forbes. Quelques semaines avant la venue en ville de Radiohead, de Lana del Rey et des Red Hot Chili Peppers, nous en avons profité pour discuter de l’importance de ces grands rassemblements musicaux avec Nadine Mathurin et Marc-André Mongrain, deux mélomanes qui ont beaucoup voyagé ces dernières années pour voir de quoi se chauffent les Coachella, Lollapalooza et autres gros joueurs du genre. «Ça devient un réflexe de se dire: “Ah! je vais prendre des vacances à tel ou tel moment de l’année”, et puis tu regardes les festivals qui ont lieu autour de ces dates», dit MarcAndré Mongrain. Celui qui est rédacteur en chef du média culturel en ligne Sors-tu.ca depuis 2010 s’est déplacé en Californie quatre fois pour Coachella (le festival de tous les festivals), deux fois au Texas pour South By SouthWest, et a aussi assisté à Lollapalooza (Chicago), Boston Calling, Outside Lands (San Francisco), Iceland Airwaves (Reykjavík) et, plus récemment, Northside Festival (Brooklyn). De son côté, Nadine fréquente aussi les gros festivals internationaux dans le cadre de ses vacances, mais c’est plus souvent en Europe. Quand les billets d’avion sont achetés, elle regarde ce qu’il est possible d’aller voir, quels festivals se trament autour de ses destinations. Nadine est allée au festival de musique électronique Sónar à Barcelone en 2009, puis ont suivi Coachella (trois fois) et Primavera à Barcelone (trois fois aussi).
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catfish anD the BottleMen @ osheaga 2015, Photo | Pat BeauDry
Les grands festivals musicaux, toutefois, ce n’est pas pour tout le monde. En mars dernier, trois journalistes du New York Times s’interrogeaient sur la valeur de tels événements dans l’article «Why We’re Not Making Plans for Coachella and Bonnaroo». Les trois hommes affirmaient que les méga festivals se ressemblaient trop à présent et ils se demandaient si, de nos jours, ces événements étaient vraiment la meilleure façon de voir des shows live. Une réplique du média en ligne Consequence of Sound a suivi quelques jours plus tard, évoquant plusieurs raisons de continuer à faire la couverture médiatique des festivals: on peut y voir des moments inoubliables (l’hologramme de Tupac à Coachella, par exemple) et le mélange des genres musicaux provoque la rencontre des publics. Il est vrai que l’aspect social des festivals semble parfois avoir plus d’importance que l’aspect musical pour bien des festivaliers. À Osheaga par exemple, les jeunes Ontariens sont nombreux puisque le festival se tient pendant un long week-end dans leur province. Plusieurs en profitent donc pour
visiter Montréal et se payer un week-end le fun, au soleil, avec des amis et de la musique. Ça peut être frustrant pour le mélomane invétéré de se buter à une grosse foule qui est plus ou moins attentive, mais ça fait partie de l’expérience. «Si t’aimes vraiment un groupe, les gros festivals ne sont pas nécessairement le meilleur contexte pour le voir parce qu’effectivement, c’est à l’extérieur et y a plein de gens qui se foutent de ce bandlà qui seront dans ton chemin, explique Nadine, en ajoutant que pendant Radiohead à Primavera il y a quelques semaines, une dame près d’elle utilisait l’application Shazam pour chaque chanson jouée par le groupe (!). Marc-André note aussi la multiplication des égoportraits et autres distractions dans ce genre de foule avant que Nadine ajoute un point sur lequel nous sommes tous les trois d’accord: «En mode découverte, par contre, c’est la meilleure façon de voir des groupes.»
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«c’est cette expérience-Là de vOir radiOhead en Fin de sOirée, et en début de jOurnée un petit band sur qui t’as tripé mais qui ne rempLirait pas une petite saLLe.» «Je trouve toujours que les gens regardent les deux premières lignes de l’affiche et jugent un festival làdessus, mais c’est vraiment pas là que ça se passe, croit Marc-André. La qualité dans un festival, c’est quand tu regardes toute la carte au complet. Si y a plein de bands que tu connais pas, c’est bon signe.» Faire des découvertes parmi la grande palette de concerts offerts est effectivement un des grands plaisirs des festivals de musique et quelque chose d’assez inévitable. Des découvertes faites dans les années passées, par hasard ou pas: je pense à Hospitality, Palma Violets et Royal Blood. Cette année, je vais tenter d’attraper BØRNS, Dear Rouge et Jeremy Loops. Lorsqu’on est en mode festival, il y a aussi une autre opportunité qui s’offre à nous: celle d’aller voir des groupes qu’on connaît et qu’on aime bien, mais pour lesquels on ne payerait pas nécessairement pour les voir en concert en salle.
Alors, comment faire ses choix à Osheaga ou ailleurs? Il faut prendre des risques. Même si ça ne veut pas dire qu’ils seront les bons… «L’année passée, il y avait eu LE moment d’Osheaga pendant le concert d’Edward Sharpe and The Magnetic Zeros, se souvient Marc-André. Moi je m’étais dit: “Je vais aller voir le batteur de Radiohead pour l’encourager à amener le band à Osheaga l’année prochaine!” Y avait 20 personnes pour le concert de Phil Selway et c’était pas très bon. Avec mes amis, on revient donc à Edward Sharpe et tout le monde est en train de brailler parce que le groupe a amené un gars en chaise roulante sur la scène.» Par ailleurs, Nadine suggère aux festivaliers de bouger de scène en scène et d’essayer de découvrir des artistes même si ceux-ci ne sont pas de grands noms, comme elle l’a fait en avril à Coachella. «Faire des choix, c’est un supplice, mais il faut faire des choix dans la vie! Y a une journée où mes amis sont allés voir The Kills et moi j’suis allée voir 2manydjs toute seule et j’ai eu le fun de ma fin de semaine!» Au moment d’écrire ces lignes, l’horaire complet d’Osheaga vient d’être dévoilé. En attendant de tenter de faire les bons choix, on se donne rendezvous à l’ouverture des portes pour le début des découvertes osheagiennes. y Au parc Jean-Drapeau les 29, 30 et 31 juillet osheaga.com
«La valeur d’un festival, pour un vrai mélomane, c’est ce qu’offre l’ensemble d’une journée, renchérit Marc-André. C’est cette expérience-là de voir Radiohead en fin de soirée, et en début de journée un petit band sur qui t’as tripé mais qui ne remplirait pas une petite salle. Si t’arrives à 13h comme moi – je suis un freak! –, tu commences avec des bands que tu connais pas du tout.» Un gros festival, ça rassemble tellement de gens que l’événement doit tenter de plaire à tout le monde. «Pour une bonne programmation, ça te prend un gros nom électro, hip-hop, rock…», dit Nadine. De ce côté, Osheaga réussit à bien jouer ses cartes, estiment nos deux interviewés.
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Photo | Pat BeauDry
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arrêts suggérés parmi La centaine d’artistes qui FerOnt vibrer Osheaga cette année, vOici nOs humbLes suggestiOns. Mots | Valérie thérien & oliVier BoisVert-Magnen
Dilly Dally
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jack garratt
tennysOn
Ven dre di 29 juill et
s a me di 3 0 juil let
Il est Anglais et n’a que 24 ans. Après avoir été repéré par quelques blogues musicaux spécialisés en 2014, Jack Garratt retient l’attention à l’international avec sa pop façonnée par le blues, le soul et l’électronica depuis la sortie de son premier album, Phase, en février dernier. Homme à tout faire et artiste solo, il offre des performances scéniques à couper le souffle, passant lui-même aisément de la batterie à la guitare et aux claviers. Et il chante par-dessus tout ça! Pas surprenant qu’il ait reçu le prix de la critique aux Brit Awards en 2015. (V.T.)
Repéré par le visionnaire producteur néo-écossais Ryan Hemsworth, le duo électro albertain Tennyson a attiré l’attention de la presse spécialisée avec son quatrième EP Like What, paru à la fin novembre 2015. Jonglant habilement avec le jazz expérimental et le R&B, le jeune maître d’œuvre Luke Pretty (qui n’a même pas encore 20 ans) et sa sœur Tess (deux ans plus jeune) ont une feuille de route déjà bien imposante. Formés par leur père, un musicien de jazz qui les a projetés sur scène dès l’enfance, les deux artistes profitent maintenant d’une popularité grandissante. (O.B.-M.)
La FamiLLe OueLLette Ven dre di 29 juill et
Le success-story de La Famille Ouellette se poursuit. Après avoir donné son premier spectacle à vie lors des préliminaires des Francouvertes en mars dernier, le sextuor en a surpris plus d’un en remportant la finale du renommé concours quelques semaines plus tard. Récoltant moult bourses et honneurs, il sera l’un des seuls représentants francophones à se produire à Osheaga cette année (à l’instar de Cœur de Pirate, Koriass et Dead Obies). Sa pop accrocheuse aux attelages métissés et aux thématiques gastronomes saura sans doute piquer la curiosité de quelques festivaliers. (O.B.-M.)
busty and the bass s a me di 3 0 juil let
Ce collectif montréalais compte neuf gars musiciens dans ses rangs. Ils font dans le soul-funk – où la guitare, la basse et la batterie se marient à des instruments à vent et des claviers – et y ajoutent des touches bien senties de jazz, d’électro et d’un peu de hip-hop. Difficile de rester immobile devant ce genre de musique énergique et franchement contagieuse, et ce, peu importe l’âge. Le terrain de jeu qu’est Osheaga – de grandes scènes extérieures dans la nature – devrait être le parfait contexte pour l’univers ensoleillé et festif de la jeune formation qu’est Busty and the Bass. (V.T.)
the underachievers Ven dre di 29 juill et
tOdd terje & the OLsens
Aux côtés de A$AP Rocky, Joey Badass et Flatbush Zombies, le duo The Underachievers a redoré le blason du rap new-yorkais, éclipsé durant une bonne partie de la décennie 2000 par les scènes du Sud, du Midwest et de Chicago. Armés de leurs flows imparables, les rappeurs AK et Issa Gold font retentir avec éclat leur percutant hip-hop psychédélique, précisément inspiré par les effets de l’acide et des moisissures féériques. Même si l’engouement porté au groupe n’a jamais été à la hauteur des espérances initiales, on se doit de reconnaître que cinq ans après ses débuts officiels, The Underachievers est toujours une valeur sûre. (O.B.-M.)
s a me di 3 0 juil let
white Lung
diLLy daLLy
Ven dre di 29 juill et
Dim an che 3 1 jui lle t
Quatre albums plus tard, White Lung est encore et toujours l’un des groups punk les plus en vue à l’international. Avec ses chansons courtes et incisives, le groupe britannocolombien continue d’augmenter son rayonnement grâce à l’appui massif des critiques (dont Pitchfork et The Guardian) qui encensent son intensité, album après album. Plus d’un an après avoir dû annuler son spectacle au Ritz P.D.B., en raison des problèmes d’immigration de la chanteuse canadienne Mish Way qui vit à Los Angeles, White Lung est plus que jamais prêt à venir brasser la cage des Montréalais. (O.B.-M.)
Le rock grunge de cette formation de Toronto est tout à fait délectable, entre The Pixies et Nirvana. C’est l’une des grandes révélations en musique canadienne ces derniers mois. Le fuzz est dans le tapis, les paroles évoquent la rage et la souffrance et la voix de Katie Monks est criarde et détachée, rappelant celle de Courtney Love. Avec son premier album Sore, sorti en octobre dernier, Dilly Dally nous épate avec un rock alternatif sombre mais hypnotisant et ravageur. Sur scène à Osheaga, beau temps ou mauvais temps, Dilly Dally sera assurément électrique. (V.T.) y
Deux ans après son excellent premier album complet, It’s Album Time, le producteur norvégien Todd Terje débarquera à Osheaga avec son groupe The Olsens avec lequel il a enregistré un nouvel EP, The Big Cover-Up. Grand friand de textures, Todd Terje mélange le synth-pop au disco depuis plus de 15 ans et nous a offert des perles de remix et de reprises, dont la fameuse Johnny and Mary de Robert Palmer, si joliment atmosphérique avec Bryan Ferry. Le matériel de Todd Terje est léger, parfaitement construit pour un festival sous le soleil. (V.T.)
tOutes Les aFriques pLus d’une centaine de cOncerts sOnt prévus à nuits d’aFrique, 13 jOurs de Festivités, 35 pays représentés: un grand cru pOur Fêter Les 30 ans d’un FestivaL particuLièrement cOmbatiF? tOut indique que Oui. Mots | ralPh Boncy
Photo | anDré riVal
freshlygrounD au fina en 2009
On a même rajouté une sixième journée d’activités gratuites, en plein air, sur le Parterre du Quartier des spectacles. Un véritable village de brousse, bordé au nord par la rue Ontario et le marché Tombouctou, et au sud par la rue Sainte-Catherine et le nouvel espace Agor’Afrique. Manu Dibango, Youssou N’Dour, Angélique Kidjo et Tiken Jah Fakoly, ces supertars africaines qui ont parrainé tour à tour le Festival international Nuits d’Afrique ces 15 dernières années, avaient bien saisi le rêve de Lamine Touré, le cerveau de l’opération. Ce danseur guinéen devait passer un mois à Montréal en 1974; il a décidé, sur un coup de tête, d’y rester pour toujours. Visionnaire, il fonde d’abord le Café créole, proche de la Place des Arts, pour réunir les immigrants nostalgiques. En 1985, Touré ouvre le Club Balattou, un bar exigu du boulevard Saint-Laurent qui va faire danser ensemble toutes ces communautés qui hésitaient encore à se mélanger.
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Une programmation non afrocentrique À l’instar des grands festivals de jazz qui affichent de plus en plus d’artistes d’obédience strictement pop, le FINA a ouvert les frontières ces dernières années, présentant au National des révélations comme Balkan Beat Box et Hindi Zara, une chanteuse inclassable, d’origine marocaine. Cette année, Rachid Taha et Yaël Naïm sont promus têtes d’affiche, et Ana Alcaide, une Espagnole de Tolède qui joue de la nickelharpa médiévale, côtoie Les Ogres de Barback, un quatuor français d’ascendance arménienne, vraiment marrant. Quant à Inna Modja, elle a laissé tomber les frous-frous de la variété française pour un virage électropop, un Bamako 2.0 irrésistible. Après avoir fait une large place à une panoplie de rythmes et de genres dansants (mbalax, rumba, soukouss, salsa, zouglou, zouk, reggae, funana et autres), Nuits d’Afrique renouvelle chaque année le pari de l’exploration ainsi qu’un engagement tacite auprès des musiques du monde venues directement… d’ici. Proyecto Iré, un collectif cubain de Montréal, mené par l’infatigable pianiste Yoel Diaz originaire de Holguin, est le grand gagnant du concours Syli d’or 2016. Avec les moyens du bord, cette compétition organisée depuis 10 ans par les Productions Nuits d’Afrique repêche les talents locaux de la trempe de Nomadic Massive, Bumaranga, Nomad Stones et Olivier Mitchell, entre autres. Frédéric Kervadec en sait quelque chose. Chargé de la programmation nationale puis internationale, c’est lui qui boucle les grilles que viennent renifler les journalistes français, américains et africains. Le festival de Montréal est devenu une référence mondiale.
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Question de démontrer que la musique africaine ne sert pas juste à faire bouger les fesses, on y verra cette année BKO Quintet du Mali et Vaudou Game du Togo. Plus engagés, plus intellos, K’Koustik de la Guadeloupe et Grèn Sémé de l’île de la Réunion, et le hip-hop de A2VT, dans la série Urban Africa, tous captivants. Évidemment, les coups sûrs sont bien présents: Tabou Combo d’Haïti, Orquesta Aragon de Cuba, Lorraine Klaasen, notre reine sud-africaine. Manu Dibango est là, en chair et en sax, pour rencontrer la relève montréalaise. Le festival se termine par une célébration marquée d’une note de tristesse: la cour des grands rendra hommage au plus grand des chanteurs congolais, Papa Wemba, un ancien parrain du festival, mort debout sur scène, en plein concert, à Abidjan le 24 avril. Et le spectacle continue. y Du 12 au 24 juillet à Montréal festivalnuitsdafrique.com
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mOnique girOux sur Mesure
pOurquOi chOisir quand On peut tOut avOir La contrainte sollicite l’imaginaire et nous oblige à trouver parfois une voie de contournement. Je constate depuis quelque temps – sont-ce des mois ou une poignée d’années? – que les jeunes artistes de la chanson et les moins jeunes aussi d’ailleurs usent de créativité pour parvenir à vivre de leur métier. Bon, OK, vivre est peut-être exagéré, disons pour parvenir à exercer leur métier. C’est beaucoup moins joli, moins poétique, mais beaucoup plus vrai. Les alarmistes de tout acabit s’en étant donné au défaitiste «que veux-tu», et sur toutes les tribunes, prédisant la mort d’une industrie, l’extinction d’une espèce de mammifère à guitare, l’agonie de la poésie, il a bien fallu se poser la question. Plus viable mais volable, comment la chanson allait-elle faire vivre son créateur? Puisqu’on nous la vole, donnons-la. On se rattrapera ailleurs et autrement. La phrase à peine achevée que déjà le plan se cassait la gueule. On va faire des succès, que des succès avec une modulation aux deux tiers, pour qu’en spectacle le public se lève et applaudisse au milieu de la chanson. On va raconter la mort d’un proche, la fin d’un amour, une enfance malheureuse idéalement écrite à la première personne pour que le public la chante aussi, ou mieux, on va ne rien raconter du tout sur un rythme dansant avec des gens qui tapent des mains et des chorus. Il ne faudra pas que la chanson dépasse trois minutes trente pour que les radios la jouent. Mais les radios ont bon dos et surtout un son. Et la réponse toute faite quand la radio ne la jouait pas tenait en sept mots: «Désolé, ce n’est pas dans notre son.» J’avoue l’avoir moi-même déjà prononcée.
Alors, certains artistes se sont dit tant pis, je me fous du succès, de la radio, du format, des chorus et de la modulation, je me fous de ma maison de disques, de toute façon je n’ai plus de contrat, je me fous de mon agent qui me prend 20%, du distributeur, de l’attachée de presse et de son père. Je fais table rase et je repars à zéro. Sur un air connu: S’en aller hors-la-loi droit vers un nouveau monde Ne plus vivre aux abois quand la menace gronde Quand le moindre building ressemble à un bunker Ne plus courber l’échine avancer sans avoir peur. Repartir à zéro (popularisé par Joe Bocan, magnifiquement reprise par Pilou). Faire à sa tête, avancer sans avoir peur, puisque de toute façon, on n’a plus rien à perdre; dans ce cas, on a tout à gagner. D’accord, tous n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain, mais se sont accordé une très grande liberté de création. Et là où se trouvait jadis le producteur frileux, on aperçoit un complice audacieux. Sept jours en mai, sept artistes, sept jours un album, des spectacles. Yann Perreau attelé à Péloquin avec À genoux dans le désir chanté en duo avec autant de filles qu’il y avait de chansons sur l’album. Douze hommes rapaillés, douze artistes, un poète, Gaston Miron, un compositeur, trois albums dont un symphonique, des dizaines de milliers d’albums vendus et l’admiration de tous. Et puis Babx, un artiste français, dans la foulée, a repris Je marche à toi de Miron, un morceau de 10 minutes. Une splendeur.
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Sur cet album, Cristal automatique #1, il reprend aussi Genet, Artaud, Aimé Césaire, Baudelaire, Rimbaud comme Ferré l’avait fait avant lui. Et Thomas Hellman, hyper doué de la chanson qui n’a jamais tourné que dans les radios étudiantes et à RadioCanada, a mis Roland Giguère en musique. Récemment, Sylvie Paquette a fait de même, et superbement, avec la poésie d’Anne Hébert. Son album Terre originelle est d’une telle qualité, d’une telle intelligence. Sans doute qu’on ne le trouvera pas en solde chez Costco ni dans le top 10 de Rouge FM, mais souvenons-nous que pendant que les Classels chantaient Avant de me dire adieu, Gilles Vigneault chantait Les gens de mon pays. Cet engouement pour la poésie d’une autre époque mise en musique par des artistes de notre temps me réjouit autant qu’il m’interroge. Steve Veilleux du populaire groupe Kaïn a créé un deuxième album solo intitulé T’en souviens-tu encore, Godin? Douze titres, dont Juin 1968, Cantouque testamentaire, Cantouque du retour, Jalousies, Libertés surveillées. Veilleux, inspiré par son père ouvrier à la fonderie, travaillait à l’élaboration d’un documentaire sur les conditions de travail de la classe ouvrière quand il s’est pris les pieds dans les vers de Godin. Le documentaire n’a pas vu le jour, mais en lieu et place les mots de Godin se sont retrouvés sur iTunes. Veilleux, contrairement à son habitude, n’escaladera pas les cimes des palmarès avec cet album-là.
Kaïn a vendu 350 000 albums en carrière, leur spectacle a été vu par un million de personnes et ils sont restés plus de 100 semaines au sommet des ventes francophones. Faire ce qui ne se fait pas. Voilà ce que la contrainte a inspiré à certains qui ne le regrettent pas. Le dernier en date est Alexandre Désilets, qui s’est offert un Windigo à 16 musiciens et deux choristes. Cet album enregistré en direct, dont le titre évoque une créature de la mythologie amérindienne, cannibale et maléfique, sorte de vide intérieur insatiable, nous permet de découvrir quelques-unes des chansons de Désilets magistralement réarrangées par François Richard, et de les entendre enfin comme Alexandre les entendait entre ses deux oreilles de génie. Imaginez les couches de bonheur. Jusque-là, il n’en avait pas eu les moyens. Là, il ne les avait toujours pas, mais il fallait oser, parce que quand on n’a rien à perdre, on a tout à gagner. Et Alexandre a gagné. Il a remporté le plaisir du créateur, les éloges des critiques et la palme de l’audace. J’ai lu un jour cette maxime que je me répète sans cesse: Pourquoi choisir quand on peut tout avoir. Avec les années, j’ai bonifié la question par une affirmation: À défaut d’ajouter des jours à la vie, ajoutez de la vie aux jours. y TITRE À ÉCOUTER: PLUS QU’IL N’EN FAUT, alexanDre Désilets, De l’alBuM WinDigo
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PHOTO | BEATRICE FLYNN
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«J’adore le moment où on vient me chercher devant chez nous, que je rentre mes trucs dans la camionnette et qu’on part.» Safia Nolin en est à sa première grande année de vie de tournée. Après la sortie de son premier album chez Bonsound en septembre 2015, les concerts en compagnie de son guitariste Joseph Marchand se sont multipliés. Bien des artistes québécois comme Safia passent une bonne partie de leur carrière à se déplacer pour faire la rencontre des publics en concert.
LES SOEURS BOULAY
«Ce week-end, je m’en vais à Tadoussac, et je me rappelle que c’était le premier concert que je faisais sur la route en tant que chanteur, en 2001. Ça fait 15 ans, le temps passe!», nous raconte Dumas, qui a cumulé environ 1200 spectacles en carrière, majoritairement au Québec. «J’avais 21 ans. J’avais jamais vraiment voyagé au Québec, donc à chaque fois c’était de la nouveauté: la Gaspésie, le Lac-Saint-Jean, etc. C’était la première fois que je voyais ces lieux-là. Quand j’ai fait l’album Le cours des jours, j’ai pratiquement fait deux tournées de suite, en band puis en solo. Je suis allé à Fermont, à Yellowknife, partout... des places où j’aurais pas eu le réflexe d’aller sans la musique», dit-il. Chaque tournée est différente: le rythme et le parcours sont propres à chacune. Au Québec, puisque les diffuseurs proposent surtout des concerts les week-ends, un cycle se produit: l’artiste est sur la route pendant quelques jours, puis revient à la maison, puis repart quelques jours plus tard. Il y a aussi de plus longues tournées d’environ 10 dates (ou deux semaines) lorsque les artistes québécois prennent part au Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est du Québec (ROSEQ), par exemple. Quand la tournée mène un peu plus loin, comme aux États-Unis ou en Europe, un groupe peut maximiser son temps à l’extérieur et faire plusieurs spectacles pendant quelques semaines consécutives, puis revenir à la maison, comme c’est le cas pour le trio rock montréalais Solids. Et, parlant de tournée, il ne faut pas oublier ces gens qui en vivent,
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O1 DUMAS, PHOTO | JIMMI FRANCOEUR O2 SAFIA NOLIN EN TOURNÉE O3 SAFIA NOLIN EN TOURNÉE
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les guerriers dans l’ombre: les techniciens de scène. Patrick «Frenchie» Ouimet, qui est technicien à la batterie pour le groupe islandais Of Monsters and Men ainsi qu’Arcade Fire, dit être sur la route de 9 à 10 mois par année. Les hauts et les bas Le rythme d’une tournée est appelé à changer d’année en année. Parfois, c’est nécessaire de ralentir. Solids nous dit prévoir passer de 150-200 concerts à 100 cette année, et Stéphanie Boulay nous explique que le groupe qu’elle forme avec sa cadette Mélanie, Les Sœurs Boulay, est passé d’un maximum de six concerts par semaine à quatre, après deux années particulièrement chargées en 2013 et 2014. «On a coupé le kilométrage et ça change beaucoup la donne. On a moins de shows, donc on arrive vrai-
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De son côté, Stéphanie Boulay y trouve son bonheur dans ce genre d’horaire. «Aujourd’hui, tout le monde est au bureau et moi j’ai pas de show, donc je suis libre comme l’air. Je peux pas vivre avec la routine. Donc, de ne pas en avoir, c’est super précieux. La tournée, c’est des hauts et des bas d’adrénaline qui, personnellement, me rendent bien dans ma vie. Le fait d’avoir parfois du stress, des relâchements, des grosses vagues d’amour et des moments plus solitaires, pour moi, c’est l’équilibre parfait. J’adore faire de la route.» Tourisme express Le goût de la route se développe vite chez les artistes puisqu’elle apporte son lot de découvertes et d’aventures. «À L’Anse-Saint-Jean, j’ai pêché. Tsé, c’est malade!», lance Safia Nolin. Après 15 ans de vie de
«J’essaie de faire une sieste. POur beaucOuP de musiciens, la “POwer naP” de 20 minutes, c’est tOuJOurs gagnant. Ça dOnne un bOOst. J’avais lu la biOgraPhie de JOhnny cash et il disait qu’il faisait tOuJOurs une Petite sieste Parce que Ça ramenait sa vOix. Je sais Pas si c’est vrai, mais J’essaie de faire Ça.» dumas
ment à savourer la tournée, nous dit-elle au bout du fil. Chaque fois qu’on joue, on est vraiment contents d’être là et de voir l’équipe et le public.» Si Safia Nolin tripe à partir en tournée, elle explique toutefois que ces allers et retours peuvent créer des hauts et des bas. «Tu pars cinq jours, disons, et tu t’habitues à être sur la route, et tu reviens en ville et t’as un down. Moi, mes downs sont extrêmes, parce que je ne suis jamais grise. Quand je suis revenue d’une tournée de 10 jours avec Louis-Jean Cormier, je trouvais ça vraiment difficile parce qu’il faut que tu te réhabitues à revenir chez toi. Et le moment où tu te réhabitues à vivre tout seul chez toi, il faut que tu repartes. C’est de la merde, mais c’est hot. Quand je suis chez moi, j’aime vraiment ça, et quand je suis en tournée, j’aime ça aussi, mais y a un entre-deux que j’haïs.»
tournée, Dumas estime que c’est difficile de s’en passer. «C’est comme un muscle. J’arrête jamais trop longtemps de faire des shows parce que j’ai peur que quand je recommence, mon aisance sur scène ne revienne plus.» Pour Solids, souvent en tournée d’environ un mois hors du pays, et pratiquement sans répit, «l’adrénaline prend le dessus assez vite et ça nous permet de garder un certain momentum», explique le chanteur et guitariste Xavier Germain Poitras. «Les congés – même si on les apprécie toujours quand on en a –, c’est souvent plus propice aux dérapages, donc on en sort souvent encore plus fatigués que la veille.» «Il y a beaucoup de frais inhérents au fait de tourner à l’étranger (permis de travail, billets d’avion, location d’équipement notamment), explique le guita-
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riste du groupe Guillaume Chiasson. L’idée est de faire le plus de spectacles possible pour amortir ces frais.» Rejoint en Europe, le trio nous assure toutefois qu’il y a des journées de repos. «Quand on tourne en Europe, par exemple, on se garde toujours quelques jours au début du voyage pour casser le décalage horaire, et d’autres à la fin pour décompresser un peu; sur cette tournée-ci, on a pu passer du temps à Bordeaux avant de partir et on finit ça à Prague dans une semaine. La dernière fois, c’était Amsterdam et Barcelone; ça pourrait être pire.» Dans la majeure partie des cas, le résumé d’une journée de tournée va ainsi: route, test de son, souper, spectacle. «Quand la distance à parcourir est pas trop intense ou qu’on ne se lève pas trop tard, on peut se permettre de rajouter un peu de tourisme ou du flânage dans tout ça», dit Xavier. Tous les groupes
«Quand je vais à Chicoutimi, je vais toujours chez le même disquaire, un monsieur qui vend des disques dans le sous-sol de la Tabagie CM, confie Dumas. L’Étape est aussi un grand classique universel dans le parc des Laurentides. J’arrête toujours à l’hôtel La Ferme de Baie-Saint-Paul. Le Québec a tellement changé en 15 ans. Aujourd’hui, tu manges bien partout. En tournée, on a beaucoup de spots culinaires! La tournée a changé aussi. Y a plus de lieux de diffusion pour la relève qui commence. Y a plus de jeunes dynamiques qui lancent des brasseries. Pis c’est sûr que dans les lieux incontournables, en tournée, y a quelques brasseries!» S’activer vs party Pour Patrick «Frenchie» Ouimet, qui dit avoir visité 68 pays en 14 ans de carrière, il est possible de faire un deux en un en jumelant le tourisme express à
«Je me suis rendu cOmPte que J’étais allée 10 fOis à rOuyn dans ma vie, mais que Je savais même Pas cOmment me diriger dans la ville Parce que J’avais tOuJOurs quelqu’un qui me cOnduisait et qu’On ne vOyait que le circuit Jusqu’à la salle. c’est cOOl, mais y a ben des Places Où Je retOurnerais POur mOn fun et J’aurais une exPérience tOtalement différente.» stéPhanie bOulay
et artistes questionnés pour ce dossier disent ne pas avoir beaucoup de temps pour visiter les villes en tournée. C’est du tourisme express, nous confirme Dumas, alors que Guillaume Chiasson nous dit qu’il y a une multiplication de petits moments d’attente en tournée (attendre le soundcheck, attendre dans la van, etc.), ce qui rend le tourisme moins évident. «L’année passée, je suis allée à Rouyn pour le FME, mais comme spectatrice, nous dit Stéphanie Boulay. Je me suis rendu compte que j’étais allée 10 fois à Rouyn dans ma vie, mais que je savais même pas comment me diriger dans la ville parce que j’avais toujours quelqu’un qui me conduisait et qu’on ne voyait que le circuit jusqu’à la salle. C’est cool, mais y a ben des places où je retournerais pour mon fun et j’aurais une expérience totalement différente.» Au Québec, quand les artistes ont plus d’expérience de tournée, ils peuvent développer leurs repères. Ces lieux permettent aux musiciens loin de la maison de retrouver sur la route quelque chose de familier.
l’activité physique. «À chaque journée de congé, je cours entre 5 et 15 kilomètres. C’est un moyen extraordinaire de visiter une ville et de me tenir en forme physiquement et mentalement sur la route.» Même son de cloche pour Dumas qui dit avoir entrepris la course il y a quelques années. «Quand j’ai plusieurs shows, j’essaie d’aller courir tous les jours.» Du côté de Solids, c’est un peu de course pour Xavier et un peu de yoga pour le batteur Louis Guillemette quand le temps le permet. «Les journées se ressemblent énormément en tournée, mais en même temps, on essaie de se planifier des activités ou bien, entre le soundcheck et le show, d’aller se lancer la balle ou aller au go-kart», ajoute Stéphanie Boulay. Et est-ce que ces artistes sont sages ou sur le party en tournée? «On essaie de faire une balance entre les deux, mais c’est certain qu’on se retrouve souvent sur le party “malgré nous”!, dit Xavier Germain Poitras. J’imagine que ça fait partie du deal.»
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LES SOEURS BOULAY, PHOTO | BEATRICE FLYNN
Son collègue Guillaume Chiasson rétorque: «Notre santé nous fait généralement signe lorsqu’il est temps d’être plus sages.» Alors que Safia Nolin dit être la personne la moins sur le party mais aimer veiller tard, son amie Stéphanie Boulay dit s’être assagie entre les deux tournées des Sœurs Boulay. «C’est arrivé à nouveau quelques fois de se péter la face et d’être wild, mais se lever scrap pour faire un spectacle et ne pas avoir dormi et avoir une journée de marde... on essaie de pas trop le faire. Pour la tournée de notre premier album, on était un peu invincibles et on avait envie de profiter de la vie. On pensait pas trop à ça, mais on s’est rendu compte que justement, c’est là que le fun arrêtait d’arriver, quand on était trop lendemain de veille pour en profiter et donner un bon show.» «Frenchie», lui, a déjà été fêtard, mais son métier lui tient trop à cœur pour gâcher un concert. «Il y a
100 000 personnes qui regardent le show, le batteur a besoin de moi et je m’endors car j’ai trop fêté hier? Non, je ne me permettrais pas de faire cette erreur. Je suis très chanceux d’être où je suis maintenant et j’ai besoin de tout mon corps et ma tête pour bien effectuer mon travail. Mais je prends encore une bière avec les techniciens et le groupe de temps en temps.» L’horaire Souvent, la bière est bien méritée puisque les journées peuvent être épuisantes pour les musiciens et les techniciens en tournée. Lorsqu’on regarde un exemple d’horaire de Dumas avec lui sur son cellulaire, le groupe bouge dès 8h30 et ne terminera sa journée qu’à 23h après le concert. «J’essaie de faire une sieste dans ce temps-là. Pour beaucoup de musiciens, la “power nap” de 20 minutes, c’est toujours gagnant. Ça donne un boost. J’avais lu la biographie de Johnny Cash et il disait qu’il faisait
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> toujours une petite sieste parce que ça ramenait sa voix. Je sais pas si c’est vrai, mais j’essaie de faire ça.» Les Sœurs Boulay voyagent actuellement avec trois techniciens de scène et un musicien. Si un concert est à moins d’une heure et demie de Montréal – à Saint-Jeansur-Richelieu, par exemple –, les techniciens remplissent le camion de tournée et partent vers 10h30 pour se rendre à la salle à midi. «Ils font le montage de la scène et des décors jusqu’à 15h30, précise Stéphanie. On arrive ensuite et on fait le test de son jusqu’à 17h environ. On va manger jusqu’à 19h. Souvent, ma sœur et moi regardons ensemble une dernière fois notre plan de match pour le concert. On se maquille, on joue. Après le show, on signe des autographes. On sort de là entre 23h et minuit. C’est des longues journées, surtout pour les techniciens qui font parfois 12 heures.» Patrick «Frenchie» Ouimet confirme que pour les tournées à grand déploiement sur lesquelles il travaille, il faut être dévoué à son travail parce que l’horaire peut être intense. Pour un concert en salle, il commence sa journée à 11h et termine en fin de soirée. En mode festivals, il se lève avant le soleil. «Dans ces cas-là, nous devons monter la scène avant l’ouverture de l’événement, car nous sommes en tête d’affiche donc nous prenons beaucoup de place. J’arrive vers 5h. Les techniciens vidéo, du son et de l’éclairage font leur travail et la scène est montée par nos charpentiers. Ensuite, c’est l’installation des instruments.» S’ensuit un test avec les micros et les haut-parleurs et Patrick peut profiter de sa journée avant de revenir sur scène vers 19h pour tout remettre en place pour le concert. Les précieux
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Les tournées de la plupart des artistes québécois sont à bien plus petite échelle, mais le sentiment est le même: ça doit être agréable et vrai avec les gens qui accompagnent les artistes en tournée. «Tu passes tellement de temps avec ces gens-là, dit Safia Nolin. Des fois, avec mon guitariste Joseph, on se voit pendant quatre jours de suite, 24 heures sur 24, sauf quand il est aux toilettes. T’as intérêt à bien t’entendre avec eux!»
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L’aide de techniciens comme Patrick est précieuse en tournée. La relation entre chanteurs et musiciens accompagnateurs ou techniciens se doit d’être tout en confiance et le respect doit être mutuel. «Les artistes m’engagent car ils veulent pouvoir jouer sans avoir à se soucier de rien. Je suis là pour leur donner confiance, un sourire, bien faire sonner la batterie, et qu’ils profitent de leur spectacle autant que moi!» Et il ajoute que les liens d’amitié peuvent rester forts. «Même si je ne travaille plus avec Simple Plan, on se parle encore, ils m’invitent à leurs mariages. Arcade Fire m’invite à ses fêtes, je passe même Noël avec eux!»
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«La dernière grosse période de shows qu’on a faite dernièrement, c’était en revenant de Gaspésie, dit Stéphanie Boulay. Après beaucoup d’heures de route entre chaque concert, je me suis tournée vers tout le monde et j’ai dit: “Ostie, je vous haïs! Je vous aime, mais je vous haïs!» Et tout le monde comprenait ce que je voulais dire. On n’avait pas besoin de jouer de jeu ou se cacher, on était écœurés de se voir et on en riait.» Le «truck» Légaré Les musiciens et les techniciens passent deux heures sur scène ensemble chaque soir de concert, mais tellement plus de temps ensemble dans un camion. Ce camion est communément appelé dans le milieu «un Légaré». «Au Québec, je pense que la plupart des musiciens voyagent en van louée chez Légaré, dit Dumas. Y a de quoi que j’aime là-dedans: y a plein d’affaires qui ont changé en tournée, mais les Econoline ont jamais changé!» «Ce qui se dit dan’ van reste dan’ van», dit Dumas qui nous avoue tout de même être un irréfutable DJ de route! «C’est souvent moi qui mets la musique, je suis un peu stressant avec ça! Ça change la vague de la journée, mais aussi du show. Je suis convaincu que si t’es un bon DJ dans la van, le show le soir va être bon.» Si Safia Nolin prévient que faire de la tournée est un métier vraiment sédentaire – elle a eu des problèmes de hanche à force d’être dans la même position pendant des heures –, elle dit toutefois trouver en ces camions Légaré une seconde maison. «J’aime vraiment les vans. Ça m’a marquée en Europe, alors qu’on a fait 7000 kilomètres en 3 jours. On dormait dans un hôtel différent tous les soirs, mais toutes nos choses restaient dans la van. On était tout le temps dans la van, je me suis mise à l’aimer! Je m’attache, c’est confortable.» Positif/Négatif Tous les musiciens questionnés pour ce dossier disent que la vie de tournée, aussi épuisante qu’elle puisse être, apporte surtout du positif. «C’est certain qu’après quelques milliers de kilomètres et plusieurs semaines de nuits de sommeil de quatre ou cinq heures, on devient un peu exténués, affirme Xavier Germain Poitras. Mais évidemment, tout le reste fait que ça en vaut la peine; les rencontres qu’on fait, les endroits que nos hôtes nous font découvrir dans chaque ville où on passe, les petites bières d’après-show qui se transforment en nuit blanche, etc. Au bout du compte, la fatigue, c’est vraiment pas cher payé pour tout ça.» «Y a presque pas de mauvais côtés à la tournée, à part s’ennuyer de chez soi et manquer des spectacles
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à Montréal», dit Safia Nolin qui, heureusement, pourra attraper Radiohead à Montréal ce mois-ci. Mais pour les relations amoureuses et la vie de famille, la tournée représente son lot de sacrifices. «Frenchie», qui n’est à la maison que quelques semaines par année, en sait quelque chose. «C’est difficile, mais maintenant avec Skype, FaceTime et les textos, c’est plus accessible de parler à ma copine. Il y a une dizaine d’années, il fallait acheter des cartes d’appel et trouver une cabine téléphonique, sinon les factures de cellulaire pouvaient facilement dépasser les 1000$. Aujourd’hui, il faut apprendre à s’exprimer différemment afin de développer une chimie et une complicité parce que la personne n’est pas à côté de toi au quotidien. J’ai la chance d’avoir une blonde super indépendante et très occupée, donc le temps passe vite. Et quand on se retrouve à la maison, j’ai tout mon temps pour elle.» «C’est difficile de bâtir des relations à long terme, parce qu’il faut trouver quelqu’un qui va accepter le fait que tu pars souvent, croit Stéphanie Boulay. Pour les femmes, au moment où t’as un enfant, t’as pas le choix de prendre une pause ou du moins de ralentir la cadence. Je suis pas rendue là du tout, mais j’y pense parce que je sais que je devrai planifier mes trucs en conséquence puisque c’est difficilement mariable.» Dumas, qui a un fils de quatre ans, explique qu’il y a des tournées plus intenses, en été, par exemple, mais que la tournée n’est pas une béquille à sa vie de famille. «Je suis parti parfois plus longtemps le week-end, mais le reste de la semaine, je suis souvent chez nous. J’ai la chance de pouvoir passer beaucoup de temps avec mon fils. Pour moi, c’est pas une contrainte. Ce métier au contraire me donne la chance de passer plus de temps en famille.» En début de carrière, il fut un temps où Dumas partait sur la route et ne savait pas s’il allait avoir un public. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il sait un peu plus à quoi s’attendre puisque les gens réagissent à ses publications. Mais hier comme aujourd’hui, il profite toujours autant de ces moments précieux que représentent la route et la tournée. «Avec les années, ce que j’ai appris, c’est qu’on faisait le party et on continue à le faire, mais je fais plus de course et j’essaie de rester plus en forme pour la tête parce que l’éloignement avec la famille, c’est plus compliqué que quand t’as 21 ans. Y a de quoi d’exotique de partir sur la route quand t’es jeune, et j’ai encore hâte de prendre la route et de voir ce qui va arriver. Il y aura toujours quelque chose d’aventurier là-dedans.» Si les routes changent et les habitudes des musiciens évoluent avec le temps, le bonheur de partir en tournée, lui, restera toujours aussi puissant. y
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émiliE dubrEuil SALE TEMPS POUR SORTIR
unE trop bruyantE solitudE L’air est doux ce matin et le vent bruisse doucement dans les arbres. Délicatesses délicieuses d’un juin qui berce l’âme dans cette tiédeur sensuelle des débuts de l’été où nos corps n’ont plus à lutter contre le froid, le frimas, le vent. C’est cette époque délicieuse où nos corps n’ont qu’à s’abandonner à la douceur. Pourtant, je me sens agressée. À la terrasse du café où j’attends mes œufs et mes rôties en ce dimanche matin indolent, la musique diffusée en ce lieu aspire, comme un aspirateur aspire la poussière, le plaisir que j’aurais à m’abandonner au moment. Ce sont des chansons criardes. Elles règnent en roi et maître sur l’endroit, recrachées depuis des haut-parleurs installés sur la terrasse, et elles m’empêchent de laisser mon esprit vagabonder, elles m’empêchent de réfléchir. — Pardon, Monsieur, vous serait-il possible de baisser un peu la musique s’il vous plaît? J’ai une affreuse migraine. Depuis quelques années, c’est la stratégie que j’ai développée un peu partout pour faire disparaître cette agression musicale constante. Je mens effrontément. Je n’ai jamais souffert de migraine, je n’ai jamais de maux de tête, mais force est de constater que quand je dis «Votre christ de musique m’agresse», ça ne marche pas. Je prends donc un air souffreteux, je me tiens la tête et je fais un peu de chantage émotif. — Je vais la baisser un peu, Madame, mais je ne peux pas l’éteindre, les clients aiment ça. Les clients aiment ça. Oui. Sans doute. Les clients aiment ça. Puisque partout, tout le temps, on nous assomme de musique, on nous bombarde d’écrans de télé, dans les cafés, les restos, le métro… Et, ainsi, rarement l’esprit trouve-t-il un lieu où il ne pourrait que penser ou ne pas penser sans que son
attention soit canalisée, occupée. En ski, on nous met de la musique au pied des pentes. À la plage Jean-Drapeau, on nous met de la musique. À l’Université, j’ai choisi de faire des études plutôt inutiles: une maîtrise en littérature. Mon mémoire portait sur la littérature politique tchèque des années 1960 et 1970. Ça ne m’a pas donné grandchose dans la vie. Et, si c’était à refaire, c’est certain que je ne ferais pas cela. J’irais peut-être en médecine. J’aime la politique et ça aurait pu m’aider à devenir ministre, qui sait. À tout le moins, je serais, sans doute, un peu plus riche. Bref, ou néanmoins, ces études m’ont apporté au moins une chose: le contact avec un de ces bouquins qui vous marque pour la vie. Depuis 20 ans, je déménage ce titre de Bohumil Hrabal d’un appartement à l’autre, comme un trésor. Une trop bruyante solitude. Un court et magistral roman. Le narrateur, Hanta, travaille dans une usine de recyclage de papier. Sa tâche: détruire des livres. Le travail est aliénant, difficile physiquement, mais l’ouvrier inculte, doucement, se met à désobéir et à sauver des ouvrages. Il se construit une pensée, une culture, au contact des œuvres. «Tel le beau poisson qui scintille parfois dans le courant d’une rivière aux eaux sales et troubles à la sortie des usines, brille de temps en temps [...] le dos d’un volume précieux.» Hanta les repêche et les lit, «sirotant une idée comme un petit verre de liqueur». Sirotant une idée comme un petit verre de liqueur. Cette phrase m’a marquée. Réfléchir, synonyme d’ivresse. Cette histoire, bien sûr, est campée à l’époque où la pensée unique du «socialisme enthousiaste» sévit en Europe de l’Est. Pourtant, elle pourrait se dérouler ici et maintenant, à l’époque où notre pensée se résume le plus souvent à être farouchement pour ou contre, à être ou ne pas
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être Charlie, queer, Paris, à être ou ne pas être pitbull, à dÊtester ou encenser Richard Martineau, à rÊpandre nos vertus, de gauche ou de droite, sur les rÊseaux sociaux, comme on Êpand du sable sur les trottoirs glacÊs. Mais Une trop bruyante solitude, c’est surtout un titre gÊnial à classer parmi les grands titres de la littÊrature mondiale. Aux côtÊs d’À la recherche du temps perdu par exemple, ou de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Ces titres sont de petites phrases qui disent tant de choses à propos de nous, de l’humanitÊ. Nous sommes tous à la recherche du temps perdu, nostalgiques. Bon. Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, c’est juste un titre parfait tout court. Enfin, il y a en a d’autres de ces grands titres. Mais Une trop bruyante solitude met le doigt sur quelque chose de profond, de fondamental. Le bruit inhÊrent à la solitude de l’homme,
n’Est-cE pas lE bruit intÊriEur dE cEttE mauditE solitudE fondamEntalE qui nous angoissE quE nous camouflons partout, à forcE dE musiquE tapagEusE, dE tExtos inutilEs Et dE statuts supErflus?
9RXV YLYUH] XQH H[SĂ„ULHQFH LQRXEOLDEOH
cette solitude intrinsèque que nous tentons par tous les moyens d’oublier, armÊs que nous sommes de bâtons à Êgoportraits. Cette solitude bruyante dont nous essayons de noyer la clameur dans le bruit incessant de nos tÊlÊphones qui nous rassurent à coup de bip-bip. Un mail, un texto, un message Facebook, une notification Twitter. Petites sonneries rÊconfortantes, petits bruits qui nous envoient des messages illusoires. Non, tu n’es pas seul. Le bruit de la collectivitÊ te rejoint. On veut te parler, on veut que tu rÊpondes. N’est-ce pas le bruit intÊrieur de cette maudite solitude fondamentale qui nous angoisse que nous camouflons partout, à force de musique tapageuse, de textos inutiles et de statuts superflus? Et n’est-ce pas aussi la tentation de ne pas y penser qu’on essaie, tant bien que mal, de l’assourdir par tout ce bruit pour rien et toute cette musique inutile? Peut-être? Non? Bon. Je me rÊessaye: — Monsieur, j’ai la migraine. Pourriez-vous baisser le son svp? Parce qu’on ne s’entend plus penser ici‌ y
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Parole reine au théâtre, KING DAVE a été un succèssurPrise en 2005 à cause de sa langue crue et son rythme fou. au cinéma 11 ans Plus tard, c’est un Plan-séquence vertigineux réalisé Par Podz et mettant toujours en vedette l’auteur et acteur alexandre goyette. un aboutissement. MOTS | PHILIPPE COUTURE PHOTO | SIMON DUHAMEL (CONSULAT)
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ave, c’est le voisin qui prend le mauvais chemin, l’ami qui prend une dérape, le cousin qu’on observe dériver sans trop comprendre comment il s’est autant mis les pieds dans les plats. Un jeune homme au fond bien vulnérable, qui cache sa sensibilité derrière un tempérament agressif et qui se trouvera propulsé sans trop le vouloir dans un engrenage de violence urbaine et de criminalité. Dave, c’est le personnage qu’a inventé Alexandre Goyette il y a maintenant 13 ans, âgé de 25 ans, mais s’inspirant de son adolescence et de celle des autres ados compulsifs qui l’entouraient jadis. «Je puisais directement en moi», nous confiait-il en 2013 au moment de reprendre le spectacle pour une nouvelle tournée québécoise. «Ce texte-là est né d’une impulsion, d’un désir très fort de raconter la violence urbaine et de donner une théâtralité à la langue adolescente de Dave. C’est un bon gars qui se retrouve pris dans une criminalité qui le dépasse. Ça aurait pu m’arriver pendant mon adolescence, même si ce n’est pas une autofiction.» Onde de choc sur la petite scène du Prospero, puis lauréat des Masques du texte original et de l’interprétation masculine en 2005, King Dave a été vu dans presque toutes les régions du Québec pendant cinq années consécutives. Un succès de tournée plutôt rare dans notre écosystème théâtral hypercentralisé à Montréal et Québec. «Je porte ce personnage avec moi depuis bientôt 15 ans et je le trouve encore aussi éloquent: il m’a permis d’inventer un récit très efficace. Je ne dis pas ça par vantardise, parce que j’ai été le premier surpris du succès de la pièce, mais je suis obligé de constater que King Dave vieillit bien, que ça reste une foutue bonne histoire, un récit bien campé, efficace, qui marche. C’est l’histoire d’un gars qui perd pied, qui s’enfonce dans une situation inextricable même s’il avait pourtant de bonnes bases dans la vie; l’histoire d’un gars qui prend le mauvais chemin comme le font tant de gens; l’histoire d’un gars qui ne sait pas comment devenir adulte comme tant de jeunes hommes. Pour toutes ces raisons, c’est un récit qui continue de résonner.»
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F E S TI VA L INTER N ATION A L DE FILMS
20 14 JUILLET AU 3 AOÛT 2016 e
ÉDITION
MONTRÉAL www.fantasiafestival.com
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> Entre deux chaises Quand Podz l’a approché pour en faire un film, Goyette a saisi l’occasion de faire écho aux commentaires de nombreux spectateurs qui voyaient dans sa pièce quelque chose d’éminemment «cinématographique». C’était dû au rythme, aux ellipses dont le monologue était façonné, à l’impression de montage cinématographique qui se dégageait à mesure que Goyette évoquait un personnage secondaire ou un souvenir, un déplacement fugace d’un lieu à l’autre, un dialogue hyperréaliste dans une langue particulièrement vernaculaire. Mais le film, pourtant, cultive une forte théâtralité, conservant du monologue initial sa forte adresse au public. Dans son plan-séquence de 91 minutes réalisé sur un trajet de 9 kilomètres dans plus de 20 lieux de tournage, le réalisateur a souvent choisi de faire parler son personnage directement à la caméra, le film jonglant constamment avec deux registres de jeu. «C’est une forme déroutante qu’on ne voit pas très souvent au cinéma, pense Goyette, mais nous l’assumons pleinement parce que, pour nous, il n’y avait pas d’autre moyen d’y arriver. C’est Podz qui a insisté; il a voulu honorer la parole de Dave, qui a un rythme particulier et qu’il a eu envie d’accompagner par une caméra fluide et rythmée. Mais c’est vrai que ça m’a demandé un niveau de jeu très particulier. On n’est pas au théâtre, pas à la télé, ni au cinéma, mais quelque part entre les deux, le cul entre deux chaises, mais contents d’être dans ce vertige. Il a fallu que je me réinvente comme acteur.» Émotif, le comédien choisit des mots forts pour parler de son aventure devant la caméra en temps réel. Il y eut cinq jours de tournage, cinq prises (la cinquième fut d’ailleurs la bonne), et un sentiment de faire quelque chose de complètement neuf et grisant. «Une expérience incroyable et unique», répétera-t-il quelques fois pendant l’entrevue. «C’est un plan-séquence et, bien qu’il arrive après Birdman, d’Iñárritu, il est issu d’une pièce de théâtre et en conserve de fortes traces tout en embrassant le cinéma fortement. J’ai l’impression qu’on a inventé quelque chose. Je sais que ce film ne laissera personne indifférent, et c’est ce qui m’importe le plus.» Un ballet technique Techniquement, en effet, le projet était démesuré. King Dave, c’est un parcours dans la ville, un ballet technique réalisé en grande partie dans des lieux
PHOTO | YAN TURCOTTE
extérieurs, en plein tissu urbain, mais aussi dans des décors qui bougent et se refaçonnent entre deux mouvements de caméra. «Par exemple, le premier plan est dans une maison, une vraie, puis Dave sort et on le revoit vite dans son appartement, qui est en fait un décor construit dans la cour de cette maison, puis Dave sort dans la rue, entre dans des vrais bars, mais aussi dans des décors construits un peu partout dans le parcours, qui sont parfois modifiés et remodelés par des techniciens. C’était toute une logistique!» King Dave avait été écrit d’une seule coulée, sans trop réfléchir, dans le pur instinct. Le film aura nécessité un tout autre traitement, mais, dans le caractère à la fois hachuré et fluide du plan-séquence, il garde son souffle initial. Le comédien est fier du résultat. «Serein, dit-il, et excité de partager le film avec un vaste public.» y En ouverture du festival Fantasia le 14 juillet au Théâtre Hall de l’Université Concordia. En salle le 15 juillet partout au Québec.
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l’art du western québécois le cinéma de genre n’est Pas l’affaire des québécois, dit-on. c’est de moins en moins vrai. aPrès le succès de TURBO KID l’an dernier, le festival fantasia mise entre autres cet été sur FEUILLES MORTES, un western Post-aPocalyPtique rural tourné à québec Par un trio de réalisateurs aguerris, qui sera d’emblée disPonible en vsd Pour les cinéPhiles de toute la Province. MOTS | PHILIPPE COUTURE
On les connaît notamment comme membres du collectif Phylactère Cola, qui avaient brillamment fait le pont entre la BD et la télé au début des années 2000 sur les ondes de Télé-Québec. Mais Edouard Tremblay, Carnior (alias Steve Landry) et Thierry Bouffard sont aussi des cinéastes qui se sont fait les dents en court métrage et en publicité: trois réalisateurs bien enracinés dans la ville de Québec et habitués de travailler ensemble sur différents plateaux. Ceci explique cela: ils n’ont pas hésité à s’unir pour réaliser ensemble leur premier long métrage, construisant chacun un bout de scénario et réalisant leur film en trois chapitres unis par une même cohérence stylistique et scénaristique. Feuilles mortes imagine un Québec décimé par une crise économique et sociale sans précédent, une province assombrie et redevenue rurale et sauvage. Un monde où l’homme doit défendre son avoir et son territoire de manière souvent rude, utilisant fusils de chasse et bas instincts pour ce faire. Bref, un western. «Au Québec, disent-ils, on ne tourne pas vraiment de westerns, mais pourtant on a un gros bagage de récits folkloriques et de légendes qui mettent en scène le coureur des bois. La figure du chasseur, de l’homme de la forêt, fait puissamment partie de notre imaginaire collectif. C’est en s’appuyant sur cette idée qu’on a eu envie de faire ce film. Mais il faut l’avouer, c’est aussi parce qu’on est
des gros fans de films de genre de toutes sortes, à commencer par Robocop et Mad Max, qui ont nourri notre imaginaire d’hommes de la génération X qui ont grandi dans les années 1980.» Et pour cause. Edouard et Carnior ont aussi organisé à Québec pendant quelques glorieuses années le festival Vitesse lumière, petit frère de Fantasia qui faisait rayonner la science-fiction, l’horreur et le cinéma fantastique dans la Vieille Capitale. Comme cinéastes, on les sent prêts, d’ailleurs, à oser bientôt le fantastique ou le psychotronique. «Mais, précise le producteur Charles Gaudreau, le western post-apocalyptique leur a semblé le meilleur filon pour un premier film à très petit budget (250 000$ au total), en raison de son ancrage dans le réel.» En quête de soi Dans le Québec désœuvré qu’ils ont inventé se dessinent les quêtes de trois personnages. Il y a Bob (Roy Dupuis), le loup solitaire qui ne laisse personne faire dévier sa route. Il y a Léon (Philippe Racine), le dévoué compagnon du chef d’une bande de «charognards». Et il y a Marianne (Noémie O’Farrell), la femme blessée et abandonnée qui cherche refuge dans le village où vit sa tante.
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«Quand on écrit, on parle de ce qu’on connaît, dit Carnior. Le personnage de Bob est vaguement inspiré de recherches que j’ai faites sur ma propre famille et mes ancêtres, qui ont été coureurs des bois et qui avaient des origines métisses. Y a de ce genre de folklore dans notre film de manière assumée: Bob porte notamment la ceinture fléchée et on a eu un
n’est pas un film pamphlétaire, dit Edouard Tremblay, mais en tant qu’artistes, on ne peut pas s’empêcher de porter un regard sur ce qui nous entoure. C’est certain qu’en imaginant un monde rural et sauvage, sans lois, on dépeint un Québec qui va mal, qui n’a plus de structures sociales fortes. On est dans une ère du temps où les cinéastes sont
«tout le long du film, c’est du chacun Pour soi. on montre l’humain dans son Plus vil.» plaisir à fouiller la vraie signification de ce symbole riche, qui est aujourd’hui strictement associé au Carnaval de Québec, de manière vraiment réductrice. J’ai notamment réalisé ces recherches avec un ami qui enseigne la culture autochtone.»
pessimistes, où tout est précaire: ce n’est pas innocent, c’est une expression d’une inquiétude réelle par rapport à notre société. Sur le tournage, tout le monde avait l’impression que notre film n’est pas si loin que ça d’une réalité possible.»
C’est ainsi un western aux textures très locales – une volonté forte des réalisateurs de raconter le Québec d’antan, mais aussi le Québec d’ici maintenant. «Ce
«Mais, précise Carnior, on n’est pas des évangélistes ni des alarmistes: on voulait surtout s’éclater dans un genre cinématographique trippant. N’empêche
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que le film d’anticipation reste une bonne manière de réfléchir à notre monde, à l’idée notamment qu’on est une société qui manque de ciment social, qui n’a plus de collectif. Tout le long du film, c’est du chacun pour soi. On montre l’humain dans son plus vil. Mais y a quand même une note d’espoir dans ce film, vous verrez.» Tension, angoisse et grisaille Tourné au cœur de l’automne québécois, Feuilles mortes offre un regard sur une nature sauvage aux atours inquiétants (au moins autant que les basfonds de l’humanité explorés par le film). Une photographie grisâtre et brumeuse, dans une atmosphère anxiogène et tendue. «Dans le temps de nos grands-parents, expliquent les gars, l’hiver était un vrai enjeu; il y avait une vraie notion de survie. Alors on a choisi l’automne parce qu’on voulait sentir que l’hiver arrive, créer une tension
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par rapport à cet hiver qui est sur le point de se manifester et qui génère une grande inquiétude dans un contexte extrême de survie. Pis l’automne à Québec, c’est beau!» Tourner des longs métrages à Québec, d’ailleurs, avec des équipes 100% locales, c’est possible et de plus en plus fréquent. «Il s’en tournait trois en même temps cet automne-là», précise Edouard Tremblay, non sans une once de fierté. Et comme à Québec on ne fait jamais les choses comme tout le monde, la production a aussi fait le pari d’abandonner la sortie du film en salle pour l’offrir directement en VSD, tout de suite après la première à Fantasia. En pleine crise de la diffusion du cinéma québécois, alors que tout le monde cherche de nouvelles manières de faire, l’équipe de Feuilles mortes espère toucher un vaste public directement sur le web et sur les diverses plateformes de vidéo sur demande, ainsi que sur Super Écran. Qu’il en soit ainsi. y
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les inégalités Dans Le Capital au XXIe siècle, un ouvrage publié en 2014, Thomas Piketty montrait que dans nos sociétés, depuis des décennies, r > g, par quoi il faut comprendre que le taux de rendement du capital (r) est supérieur à celui de la croissance de l’économie (g). Ce qui s’ensuit est notamment un important accroissement des inégalités. De ce point de vue, les Trente Glorieuses (1945-1975) de la redistribution de la richesse, de l’État keynésien et de la constitution d’une véritable classe moyenne auraient été une exception, une sorte d’accident rendu possible, entre autres, par les effets des deux guerres qui les ont précédées. Le phénomène vaut bien entendu aussi pour le Québec, selon des modalités qui lui sont propres et qui tiennent notamment à son histoire et à sa culture. Mais le fait est que chez nous aussi, les inégalités s’accroissent, de manière importante. «Depuis le début des années 80, soutient un rapport de la CSQ, la part des revenus bruts (revenus de marché) que le 1% des contribuables les plus riches accaparent est passée de 7% des revenus globaux à 11,6%[1].» La thèse de Piketty a suscité de vifs débats, en particulier à propos de la mesure des inégalités, un sujet complexe. Mais il y a dans toute cette question des inégalités économiques une importante dimension normative. En un mot, il s’agit de dire pourquoi certaines de ces inégalités, et pas d’autres, sont justes et acceptables. Diverses postures philosophiques (socialisme, libertarianisme, libéralisme, anarchisme, par exemple) parviennent alors à des positions très différentes. Mais que pensent les Québécois? Le point de vue des Québécois Pour le savoir, l’Institut Broadbent s’est livré en 2014 à un intéressant et instructif petit exercice en trois moments. On commence par un sondage dans lequel on demande aux gens ce que serait une distribution équitable de la richesse dans une société idéale.
En gros, les sondés souhaitent une classe moyenne comprenant quelque 60% de la population et détenant 60% de la richesse; il y a bien dans cette société une classe de riches, comprenant 20% de la population, mais ses membres ne possèdent pas plus de quelque trois fois ce qu’ont les moins bien nantis des plus pauvres. Il y a donc des inégalités dans ce scénario, mais elles ne sont pas très grandes. On demande ensuite aux sondés de décrire ce qu’ils pensaient être la vraie distribution de la richesse dans leur société. Les gens soupçonnent que les faits s’éloignent de leur scénario idéal. Une classe moyenne existe encore, croient-ils; mais les plus riches possèdent cette fois 10 fois plus que les 20% les plus pauvres et accaparent quelque 50% de la richesse. Mais, malgré ces importantes inégalités, on a encore une certaine équité. Pour finir, on leur a ensuite montré comment, en réalité (en 2012), la richesse est réellement distribuée chez eux. Les inégalités sont immenses et bien plus grandes que les sondés le pensaient. «En fait, résume-t-on, les 20% les plus riches détiennent plus des deux tiers (67,4%) de la richesse, alors que les 20% les plus pauvres ne possèdent rien du tout.» Cela se traduit et s’explique en partie, comme le rappelle une étude de l’Institut du Nouveau Monde, par «la part grandissante, dans le revenu total des individus, des dividendes corporatifs et gains de capital, qui sont l’apanage d’une tranche très mince des populations; par les écarts grandissants des salaires les plus bas par rapport aux salaires les plus hauts; et par la perte d’efficacité des mécanismes redistributifs assurés par les États-providence.» Inégalités et démocratie Je suggère qu’il y a beaucoup de sagesse dans cet attachement du public à une certaine égalité et bien des motifs de s’inquiéter d’inégalités aussi importantes.
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C’est qu’une vÊritable vie dÊmocratique ne peut tolÊrer de trop grandes inÊgalitÊs. L’observation remonte à Aristote, qui avançait que si vous avez de telles inÊgalitÊs, il vient un moment oÚ, à proportion, vous n’avez plus de substantielle dÊmocratie. Il y a d’excellentes raisons à cela. Une dÊmocratie, si on entend comme on le devrait plus qu’une sociÊtÊ oÚ on Êlit ses dirigeants, est avant tout un mode de vie associatif, pour reprendre les mots de John Dewey: ce mode de vie suppose que les gens Êchangent, se rencontrent et partagent des intÊrêts communs, qui les unissent. Faute de tout cela, la dÊmocratie n’est pas substantielle et on peut observer ici même au QuÊbec ce qui se produit quand elle est menacÊe par les inÊgalitÊs.
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Les mieux nantis sont en mesure d’influencer (voire d’accaparer) les processus politiques et juridiques et, en bout de piste, leurs intĂŠrĂŞts sont servis avec empressement, tandis que ceux des autres sont moins bien servis, voire ignorĂŠs entièrement; les mĂŠdias, de mĂŞme, appartiennent largement aux mĂŞmes gens et contribuent au façonnement de l’opinion publique dans un sens favorable aux intĂŠrĂŞts de leurs propriĂŠtaires et de leurs semblables.Â
les mieux nantis sont en mesure d’influencer les Processus Politiques et juridiques et, en bout de Piste, leurs intÊrêts sont servis avec emPresse ment. Ces gens ont, en effet, entre eux, des intÊrêts communs consciemment partagÊs, qui souvent ne coïncident pas avec ceux des autres membres de la sociÊtÊ. Ils Êchangent à leur propos entre eux et avec leurs semblables des autres pays, parfois même derrière des portes closes, oÚ sont conclues des ententes à l’Êcart du reste du monde, qui n’en entend parler qu’au moment oÚ elles sont ratifiÊes par des gouvernements qui sont eux-mêmes, en grande partie, des reprÊsentants de ceux qu’on appelle, non sans raison, le 1%. Observez le QuÊbec tel qu’il est en ayant tout cela en tête: bien des choses jusque-là difficilement comprÊhensibles prennent soudainement un sens et deviennent très inquiÊtantes. Et on comprend alors la tentation de dire, inquiet, que nous vivons dans ce qui ressemble de plus en plus, et beaucoup trop, à une oligarchie‌ y [1] CSQ, Coup d’œil sur les inÊgalitÊs de revenus au QuÊbec, p. 1. http://goo.gl/8d4Eg5
'( 5$%$,6 685 &200$1'( 3285 (03257(5 5(67$85$17 725,, 686+, %28/ /( &$55()285 /$9$/ 4& + 6 - 725,,686+, &20
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L’ASSIETTE DU CHEF STRESS, HORAIRES CHARGÉS, GRIGNOTAGE PERMANENT: S’ILS SONT EXCELLENTS AUX FOURNEAUX, LES CUISINIERS NE FONT PAS TOUJOURS ATTENTION À LEUR PROPRE ALIMENTATION. LES CORDONNIERS SONT-ILS TOUJOURS LES PLUS MAL CHAUSSÉS? TROIS PROS DE LA CUISINE NOUS ONT DIT CE QUE MANGENT (VRAIMENT) LES CHEFS… MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTOS | DREAMSTIME.COM
«Pendant le service, on n’a pas forcément le temps de se nourrir. Ou alors juste 5 ou 10 minutes maximum, histoire de ne pas tomber par terre.» Lorraine Abeng, ancienne chef et aujourd’hui directrice de l’Agence Infini, spécialisée en placement de personnel en restauration, connaît bien le milieu. En cuisine, difficile de bien manger, et surtout de prendre le temps de bien manger. En cause: le rythme de travail très soutenu. «On se fait un sandwich vite fait, un grilled-cheese, une omelette... Je savais ce qu’il fallait manger et où trouver les bons produits, mais je n’avais pas le temps», raconte Lorraine. Même son de cloche chez Bob Le Chef, passé par Le Globe ou encore Le Misto, qui se consacre aujourd’hui à son site, ses livres et son émission de cuisine. «Quand je travaillais dans des restos, j’avais du mal à trouver le temps de m’asseoir pour manger. Même ceux qui ne fument pas se mettent à fumer pour avoir une pause!» Pour lui, être cuisinier, c’est un peu comme entrer dans l’armée: «Parfois on ne pense même pas à manger tellement ça va vite. Et à la fin du service, on est un peu tannés de la nourriture et on switche plus vers la bière que vers un vrai repas…» Des comportements qui s’expliquent facilement, selon Claudine Larivière, une nutritionniste qui a travaillé avec plusieurs cuisiniers. «C’est une industrie dans laquelle les chefs et les employés doivent répondre à l’achalandage du restaurant. Il n’y a pas ou presque de pauses repas, c’est donc un contexte propice aux habitudes alimentaires irrégulières, malsaines et restrictives – ou excessives!» 1,5 kg de légumes crus par jour Au Montréal Plaza, le chef Charles-Antoine Crête prêche pour le temps. «C’est important de bien manger quand on est cuisinier, puisque c’est notre
job. Il faut bien nourrir son staff et prendre le temps de manger. Ce temps, je me l’impose…» Car dans les coulisses de la plupart des restos, on mange debout, en cuisinant. Et à force de grignoter en travaillant, on finit par ingurgiter en grande quantité de la nourriture sans forcément s’en rendre compte... Comme Lorraine, qui ne cuisine rien qu’elle ne teste pas ensuite. «C’est rare qu’on prenne un repas complet, mais on mange en continu pendant une douzaine d’heures. Un bon cuisinier goûte à tout!», confirme Bob. Le cuisinier pioche ainsi à l’envi dans ce qu’il trouve, pour goûter, ou juste machinalement, parce qu’il n’aura pas le temps de manger un repas. «Le pire truc, c’est les frites: y en a toujours qui traînent dans une cuisine, et là j’étais foutu, j’en avais toujours une dans la bouche», se souvient Bob, qui avoue s’être principalement nourri de hot-dogs, pâtes et – étrangement – pommes pendant ses années en restauration. «Il y a beaucoup de troubles alimentaires chez les cuisiniers, notamment la boulimie. À force de manger vite et beaucoup…» Selon Claudine Larivière, il ne s’agit pas de troubles alimentaires dans la majorité des cas: «Il semble que leur horaire de repas complètement déséquilibré crée plutôt des épisodes de cravings, souvent confondus avec la boulimie. Il s’agit d’une faim intense qui se cumule pendant la journée ou la soirée: le cuisinier ne prend pas le temps de manger, ignore son signal de faim pendant trop longtemps, et boom! il se lance dans la bouffe sans trop se contrôler. C’est ce que j’appelle le “syndrome du cookie monster”… » Bob se souvient d’un sous-chef qui se faisait un plat de pâtes ou de riz avant chaque service et le mangeait avant que les clients n’arrivent pour ne pas être dérangé; il parvenait à ingurgiter un spaghetti bolognaise en cinq minutes chrono. «Mais on mange aussi énormément de bonnes choses,
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notamment des légumes, pour tester la cuisson par exemple. On les mange sans sel, sans rien. Il y a un principe de yin et de yang dans la cuisine…» Charles-Antoine Crête consomme pour sa part près de 1,5 kg de légumes crus par jour. Il indique en outre préparer volontiers des petits plats chez lui: «Au moins, personne ne me dérange, contrairement au resto où je me fais poser 15 questions pendant que j’épluche des carottes.» À la maison, il cuisine en moyenne une grosse journée par semaine. St-Hubert et «bons spots cheaps» Mais Charles-Antoine fait figure d’exception parmi ses pairs… Si on s’imagine que les chefs se concoctent des menus de haute voltige pour le plaisir, c’est en réalité très rarement le cas. «Quand j’étais chef au resto, je travaillais en moyenne 60 heures par semaine, raconte Bob. Pendant ta journée de congé – en général t’en as qu’une –, t’as pas le goût de cuisiner... Aujourd’hui, j’ai des horaires plus normaux et j’ai plus envie de cuisiner pour moi, à la maison. Je teste des recettes pour mon site et j’ai redécouvert le plaisir de souper. Je peux maintenant me retrouver à décortiquer du homard un mardi soir, ce qui était impensable avant!»
Idem pour Lorraine qui, quand elle travaillait au Pellerin ou à La Queue de cheval, ne rentrait chez elle que pour dormir: «Ce que j’achetais pourrissait au frigo parce que je n’avais pas le temps de cuisiner...» Depuis, elle fait ses courses d’épicerie à flux tendus, et avoue aussi commander beaucoup. «Je connais le numéro du St-Hubert par cœur…» Mais quand un chef reçoit pour le souper, c’est une autre histoire: «Il y a cette pression de bien faire, raconte Lorraine. On veut cuisiner quelque chose de rare, que nos amis ne mangent pas chez eux habituellement.» Par contre, «souvent les gens n’osent pas t’inviter chez eux, de peur de ne pas être à la hauteur en cuisine»! Et les restos? «Avec leurs salaires, rares sont les cuisiniers qui peuvent se payer un cinq services dans un restaurant gastronomique, souligne Bob, pour contrer le cliché. Un cuisinier qui se respecte va se tenir loin des fast-foods, par contre, il connaît tous les bons spots cheaps!» Charles-Antoine indique pour sa part sortir souvent, mais dans les mêmes endroits depuis 20 ans. «Je mange aussi de la poutine et je n’en meurs pas! J’ai eu un second qui allait tout le temps au McDo. Il y a de tout chez les cuisiniers…» y
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DANS LES POTAGERS DES RESTOS DU POTAGER À L’ASSIETTE, SANS INTERMÉDIAIRE. C’EST LE PRINCIPE QUE VEULENT SUIVRE CES CHEFS QUI CULTIVENT LEUR PROPRE POTAGER POUR ALIMENTER LEURS CUISINES, S’INSCRIVANT DANS LA TENDANCE DU LOCAVORISME. SI LE CONCEPT N’EST PAS NOUVEAU, DE PLUS EN PLUS DE RESTOS EN SONT ADEPTES… MOTS | MARIE PÂRIS
Dans son potager de 2000 m2 sur l’Île d’Orléans, le jardinier-maraîcher Alexandre Faille cultive des légumes, des fruits et des herbes aromatiques. Sur ces terrains qui appartiennent à l’Auberge Saint-Antoine, un Relais & Châteaux dans le VieuxQuébec, il s’occupe d’une centaine de variétés différentes. Autant de produits qu’on retrouve dans les assiettes du Panache, le restaurant de l’Auberge… Car dans ce resto, le menu dépend des récoltes du potager: «C’est le végétal qui lance le plat, indique le jeune chef Louis Pacquelin. Je pars toujours du légume, pour le mettre en avant.» «Avec le chef, on se parle presque quotidiennement pour préparer le menu, explique Alexandre. C’est vraiment un échange: il a des idées de recettes avec certains légumes, et moi je fais des recherches et des essais pour voir s’il est possible de les faire pousser.» Le jardinier valorise les légumes du Québec et les aliments patrimoniaux, amenant beaucoup d’idées au chef. En été, 90% du contenu des assiettes servies au Panache provient du potager, que le chef veut utiliser le plus possible – même le salage des plats est fait avec des herbacées. Ses légumes, Louis les travaille comme des viandes, avec des salaisons, des fumages… Des techniques qui lui permettent de les conserver et de les servir en hiver, pendant que le maraîcher prépare la saison et étudie les catalogues de semis. «Louis utilise la lactofermentation, les conserves et le séchage des aliments pour utiliser le plus possible les produits du potager hors-saison, raconte Alexandre. Cette cuisine, c’est un peu un laboratoire où il essaie plein de choses. Il est très créatif…»
Philosophie de la cuisine Le jardinier doit parfois freiner Louis, par exemple quand ce dernier demande certaines plantes sauvages qu’Alexandre, qui prône la cueillette écoresponsable, ne veut pas récolter en trop grande quantité. En cuisine, les légumes du potager demandent deux fois plus de travail que ceux aux tailles et formes standardisées qui proviennent de magasin; le Panache est un restaurant gastronomique et doit soigner la présentation… «Nos légumes font une différence, ça permet vraiment au restaurant de se démarquer, assure le jardinier. Les serveurs communiquent beaucoup avec les clients qui veulent en savoir plus, et parfois certains viennent même visiter le potager…» Si le Panache fonctionne ainsi depuis huit ans, les dernières initiatives québécoises de potagers mises en place par des restos sont plutôt récentes, entraînées par la prise de conscience autour de l’importance de manger local. Le HVOR, un resto qui vient d’ouvrir ses portes dans le quartier montréalais de Griffintown, a ainsi installé un potager sur sa terrasse. Fraises, camomille, kale, romarin, choux, lavande, mais aussi des variétés plus exotiques comme de la citronnelle ou des kiwis... Le potager alimente le resto et deviendra une serre à la saison froide. «On essaie de choisir des variétés différentes de ce qui se trouve en épicerie, explique le chef S’Arto Chartier-Otis, fan de jardinage. On a de la sauge melon, du thym jamaïcain… C’est comme un mini jardin botanique, un plus que les clients sont
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curieux de voir. On veut aussi leur ouvrir les yeux sur ces petits producteurs qui font un produit spécifique.» Le reste des aliments provient de fermes locales, qui ont la même sensibilité quant au produit. «On a le cheminement inverse de la plupart des restaurateurs: le menu est fait en fonction des produits disponibles, et pas le contraire, souligne le chef. Un concept qui colle à 100% à ma philosophie de la cuisine…» Créer une prise de conscience Mais avec un potager de 900 p2, il n’y a pas de quoi remplir toutes les assiettes. «Le potager est un bonus, je ne vise pas l’autosuffisance, justifie le
ger, plutôt «comme un assaisonnement sur un plat», alors? Il s’est en tout cas fait une place dans de nombreux restaurants en France, inspirés notamment par le concept de «naturalité» du chef Alain Ducasse, et se développe de plus en plus en Amérique du Nord – on pense par exemple au Toqué! ou au restaurant du Hyatt à Montréal, qui ont installé des potagers sur leurs toits. Si l’idée semble récente, il s’agit d’un fonctionnement plein de bon sens et qui paraît plutôt logique; un retour aux racines, en fait. Pour un resto, avoir son propre potager permet de limiter les transports, d’optimiser la qualité et la conservation des produits et de recycler les déchets de cuisine. Tout en allant
(GAUCHE) LOUIS PACQUELIN ET ALEXANDRE FAILLE, PHOTO | AUBERGE SAINT-ANTOINE (DROITE) SEMIS (POUR LE POTAGER), PHOTO | MARIE PÂRIS
chef. Mais ça permet d’ajouter un contact direct entre le client et le produit, de créer une prise de conscience. Ça apporte aussi une autre étape à l’expérience resto, pour ne pas juste rester assis devant son assiette…» Alors qu’Alexandre, du Panache, reconnaît que la production au potager n’est pas forcément rentable pour certains légumes, S’Arto assume complètement qu’«un potager urbain c’est cool, mais ça n’est pas un bon choix économique pour un resto». «Sans que le potager ne soit là que pour faire beau, il est irréaliste de dire que toute la cuisine peut être basée dessus», poursuit le chef du HVOR. Ou il faudrait une immense superficie à jardiner pour une clientèle d’une vingtaine de personnes… Le pota-
dans le sens de la politique de l’extrafrais et de la nourriture traçable, chère au consommateur d’aujourd’hui. «Les gens sont de plus en plus conscients de la nécessité de manger local, et nous on prouve que ça peut se faire», ajoute Alexandre. Pour lui, l’émergence du potager dans le monde de la restauration est un mélange de plusieurs choses: «C’est en partie une mode, avec le locavorisme, la culture urbaine, etc., mais c’est aussi lié à un réel besoin, à la suite de la montée des prix des légumes cet hiver par exemple.» En attendant, la nouvelle tendance en Europe est d’intégrer directement le potager dans le restaurant, au moyen de serres verticales ou même en installant les tables au milieu des plantations… Difficile de faire plus local. y
LIVRES
Sur les rayons
DE NOS FRÈRES BLESSÉS JOSEPH ANDRAS Acte Sud, 144 pages Le 11 février 1957, dans la prison de Barberousse à Alger, Fernand Iveton est guillotiné. Trois mois auparavant, il avait laissé une bombe dans l’usine dans laquelle il travaillait. Elle devait exploser en fin de soirée, alors que l’endroit était vide, l’auteur de l’attentat désirant saboter le système plutôt que de faucher la vie d’innocents travailleurs. Bien avant la détonation, les forces armées ont été alertées et, dépêchées sur les lieux, ont pu mettre la main sur la bombe et le coupable. Torturé pendant deux jours, Iveton livrera quelques-uns de ses collègues avant d’être jugé et exécuté. Ce communiste et anticolonialiste français né à Alger fut le seul Européen condamné à mort pendant la guerre d’Algérie. Joseph Andras nous offre ici un premier roman aux airs d’hommage à un homme dont la tête a roulé par calculs politiques bien plus que par culpabilité. Plongeon humain dans les affres de l’histoire. Ce court roman, Andras le livre comme un coup de poing sur la gueule. Dans une narration où s’entremêlent les dernières semaines de sa vie, ainsi que son adolescence et sa radicalisation politique, l’auteur croise le présent et le passé sans saut de ligne clair, amalgame les dialogues à la narration pour créer une urgence de dire qui prend le lecteur aux tripes. Tant dans les balbutiements de sa relation d’amour avec Hélène que dans sa rencontre avec différents compagnons de cellules, chaque ligne de ce livre se lit comme un lamento saisissant, porté par un auteur qui semble tenté de restaurer l’histoire. Ce livre fut d’abord connu comme le lauréat-surprise du Goncourt du premier roman, car il ne figurait pas sur la liste des quatre finalistes. Ensuite, l’auteur qui écrit sous un pseudonyme a refusé le prix, expliquant que la littérature n’est point compatible avec la compétition. Mais il serait dommage de réduire ce livre à ces politicailleries littéraires, alors qu’il porte en lui une voix littéraire si forte et un témoignage historique puissant. Andras nous amène dans des contrées où «le sang sèche plus vite que la honte» et où, torturé, Fernand Iveton se demandera «de quelles matières sont donc faits les héros». Si ce dernier n’a pu obtenir la grâce présidentielle de René Coty à l’époque, c’est par la grâce littéraire de Joseph Andras qu’il marquera nos esprits. (Jérémy Laniel)
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FAIT TOUT MAISON !
Sur les rayons
NOUVELLES DE L’AUTRE VIE THIERRY HORGUELIN L’Oie de Cravan, coll. «Nouvelles», 120 pages Un homme entre dans une bouquinerie pour la première fois et y découvre un livre mis de côté pour lui depuis quelques semaines. Un autre s’intéresse à un maniaque de modèles réduits. Une lectrice est abasourdie par son exemplaire numérique de Madame Bovary où quelques grands personnages littéraires y font des caméos. D’autres sont stressés, avec raison, par des murs qui se «dépixelisent»; alors qu’une jeune fille en état d’ébriété refuse le sommeil, car elle se dit poursuivie dans ses rêves par un homme qui veut sa peau. Voilà les prémisses de quelques-unes des histoires qu’on retrouve dans Nouvelles de l’autre vie de Thierry Horguelin. Cet auteur montréalais basé à Bruxelles publie son cinquième livre aux éditions L’Oie de Cravan. Des labyrinthes littéraires intelligents où se terre un grand plaisir de lecture. Ce qui frappe d’abord à la lecture de ce recueil de nouvelles, c’est la maîtrise du genre. Et par maîtrise, j’entends tout le plaisir que l’auteur semble avoir à travailler tant dans la concision qu’avec une mécanique narrative brève. Les composantes de ses nouvelles sont des espèces de poupées gigognes littéraires avec lesquelles il nous laisse jouer sans jamais avoir le fin mot de l’histoire. Chez Horguelin, c’est l’intelligence avec laquelle il s’en prend à certains codes littéraires qui interpelle le lecteur, passant ainsi d’une nouvelle frôlant la science-fiction à un pastiche d’Agatha Christie avant de se terminer sur une nouvelle composée uniquement de tweets. Bien qu’on ait l’habitude de taxer d’inégaux les recueils de nouvelles, ce n’est absolument pas le cas de ces nouvelles, tout aussi jouissives les unes que les autres, se dépliant comme d’habiles univers dans lesquels on aimerait replonger. Il serait déplorable ici d’utiliser une expression consacrée parlant de pots et d’onguents, mais il n’en reste pas moins que c’est le sentiment qui nous porte à la lecture de ce livre, quelque chose comme un juste dosage de référents littéraires, de retournements narratifs et de personnages aux abords banals. Les décors dans lesquels ces derniers sont plongés sont toujours près de nous, bien ancrés dans un réel aisément croyable, avant de glisser, de s’éclater, dans des situations au burlesque assumé ou dans des cauchemars éveillés. À lire pour ceux qui aiment se perdre, sourire en coin. (Jérémy Laniel)
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Arrêt sur imAge il fAut imAginer une gAlerie d’Art à mOitié à ciel Ouvert, ici en pleine fOrêt, là dAns lA ville, qui s’étend sur plus de 800 kilOmètres et lOnge jusqu’Au gOlfe du sAint-lAurent. ce sOnt là les rencOntres internAtiOnAles de lA phOtOgrAphie en gAspésie, peut-être lA mAnifestAtiOn Artistique cOntempOrAine à lA fOis lA plus mécOnnue et lA plus vAste de tOute lA prOvince. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE
C’est à un Montréalais d’origine, Claude Goulet, que les Rencontres doivent leur existence. Et aussi à une femme, celle de Claude, qui l’a amené en Gaspésie. «J’ai toujours été amateur de cinéma et de photographie», relate le fondateur et directeur général et artistique. «Quand je suis arrivé en Gaspésie, je me suis dit qu’il fallait organiser quelque chose qui se démarque. C’est facile d’exposer des photos, mais au-delà de ça, que peut-on faire?» En voyage à Arles, il rencontre le photographe d’origine suisse Jean-Daniel Berclaz, qui crée des interventions dans le paysage. Touché par ses œuvres et leur lien avec le lieu, Claude Goulet propose à l’artiste de reproduire son idée sur le territoire gaspésien: c’est la création, en 2008, du Parcours du point de vue – Gaspésie, rassemblant cinq photographes. Par la suite, il se rend au Mois de la photo à Paris et y fait la connaissance de François Hébel, le directeur des Rencontres d’Arles. «Il m’a dit: “Mais pourquoi vous ne lanceriez pas un événement photo?”» Territoire occupé Inspiré par la proposition de François Hébel, Claude Goulet instaure les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie et les étend à l’ensemble de la péninsule. «Je voulais qu’on occupe le territoire. J’ai donc communiqué avec des municipalités. La première année, en 2010, il n’y avait pas beaucoup d’artistes étrangers; il fallait faire nos preuves.» Maintenant, les Rencontres couvrent une vingtaine de sites dans 17 municipalités et parcs nationaux de la région (parcs nationaux de la Gaspésie, de Forillon, de Miguasha et de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé) et accueillent une trentaine d’artistes du Québec, du Canada et d’un peu partout à travers le monde. Les lieux d’exposition varient, du centre d’artistes à l’entrepôt en passant
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(HAUT) CLAUDIA IMBERT, THÉÂTRE DE LA VIEILLE FORGE, PETITE-VALLÉE (BAS) ISABELLE HAYEUR, RÉPUBLIQUE 06
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par un théâtre, un stationnement, un centre commercial et même une halte routière. «L’an passé, nous avons eu près de 70 000 visiteurs», raconte fièrement le fondateur, «principalement des touristes. C’est une autre façon de faire le tour de la Gaspésie!»
contres, la photographe se retrouve face à une ville paralysée. Isabelle Hayeur saisit alors son objectif, qu’elle braque sur les passants, le paysage urbain, le Monument à la République devenu un mémorial improvisé. «La nuit est douce pour novembre, mais Paris est vide.»
Image animée
Sur la route
Pour cette septième édition, qui se déroulera de la mi-juillet au début octobre, le thème est «L’image en mouvement». Mais Claude Goulet tient à préciser: «On ne parle pas de cinéma!» Des œuvres comme celles du Montréalais Serge Clément, qui diffusera trois courts métrages dont D’aurore (primé par le CALQ), bien que jouant avec les nouvelles technologies et le montage, restent très proches de la photographie, leur matière première. Même chose pour l’installation gaspésieARCADE de Stephen Lawson, Shauna Janssen et Aaron Pollard (Montréal), résultat d’une résidence de création du 8 au 17 août. L’idée des trois compères, d’abord testée à Montréal et à Berlin, est de faire appel au public pour photographier des endroits cocasses ou significatifs en ville. À partir de ces images, les artistes créent une installation sonore et visuelle grâce à une boîte à chaussures, un iPad et des écouteurs. À voir dans un conteneur (oui!) dès le 18 août.
Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie tiennent au mot «rencontres» et le concrétisent avec la Tournée des photographes. Du 18 au 21 août, des rencontres publiques, des discussions sur la création, des tables rondes et conférences ainsi que des projections grand public prendront la route de la péninsule, avec le Quai des arts de Carleton-sur-Mer comme point de départ. C’est d’ailleurs là que l’exposition Le livre photographique sera présentée, sous le commissariat de Serge Allaire.
En rafale: la jeune Catherine Tremblay projettera des images poétiques de mer et de portraits sur un grand cube in situ; Michel Lamothe proposera avec Photogrammes une rencontre entre photographie et cinéma; le Français Jacques Damez présentera le fruit de son parcours de Montréal à Gaspé pour enregistrer les accents régionaux et immortaliser le paysage en duo été-hiver; Guillaume D. Cyr, originaire de New Richmond mais établi à Québec, exposera Journal de la Stone, qui documente avec sensibilité l’aspect humain de la fermeture de la cartonnerie Smurfit-Stone. Bien d’autres annonces sont encore à venir. Touchante humanité Une autre installation incontournable de la septième édition des Rencontres est Emmy’s World de la Néerlandaise Hanne van der Woude (dont la série sur les roux MC1R – Naturally Red Hair a circulé pas mal sur le web). Jumelant photo et vidéo, la photographe montre l’intimité d’un couple d’octogénaires, Emmy et Ben, et du frère de Ben, qu’elle a suivis pendant cinq ans. L’anticonformisme d’Emmy, elle-même artiste, l’amitié qui unit les trois protagonistes ainsi que la photographe et les aléas de la vie sont documentés avec poésie et luminosité par van der Woude. Enfin, l’actualité devient sujet d’art alors que sera exposé le corpus photographique République signé Isabelle Hayeur, qui se penche sur les répercussions des attentats du 13 novembre dernier à Paris. Alors en résidence à Beauvais justement pour les Ren-
GUILLAUME D. CYR, PORTRAIT NO 03, SÉRIE DE LA STONE 1965-2015
Pour Claude Brunet, la tournée est un élément fort des Rencontres: «C’est l’occasion pour les artistes de se faire connaître, de parler de leur travail. Il y a aussi tout un volet d’éducation à l’image. Oui, on parle d’art contemporain, mais la formule rend les gens à l’aise. L’année dernière, lors de la tournée, ça s’est même terminé par un souper au bord du feu. C’est comme une fête de la photographie!» y Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie photogaspesie.ca
60 OpiniOn VOIR MTL
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AlexAndre tAillefer DE LA MAIN GAUCHE
lA culture est une mArque de yOgOurt Je l’avoue, je suis pas mal porté sur les chiffres. J’aime beaucoup lire les bulletins de l’Institut de la statistique du Québec. Malgré les budgets anémiques dont il dispose, l’Institut nous permet de mieux cerner notre réalité en nous bombardant de données par habitant, par ménage, en soulignant les tendances. Parce qu’il est difficile de bien comprendre ce qu’on ne mesure pas. Le financement de la culture Ce que m’ont appris mes séjours à titre de président du conseil d’administration de l’Opéra de Montréal et du Musée d’art contemporain depuis les quatre dernières années est que les revenus de billetterie sont directement reliés aux budgets alloués à la commercialisation. Si les revenus autonomes du MAC ont crû de 300% depuis quatre ans, le budget alloué au placement média a été augmenté au moins d’autant. Au net, c’est plus d’un million de dollars de plus dans le budget d’exploitation du musée. Dans un contexte de rationalisation des budgets de l’État, le développement de la clientèle, et par ricochet des revenus autonomes, doit être une priorité pour l’industrie de la culture. La part du portefeuille Chaque ménage québécois dépense un peu plus de 80$ chaque année pour l’achat de billets de cinéma. En 2015, les billets de films québécois représentaient environ 7% de ce montant. Ce 5,60$ constitue la part du portefeuille «billets de cinéma» que nous consacrons aux films d’ici. C’est plus de 2800$ par année par ménage qui sont alloués à des biens qualifiés de culturels par l’Institut de la statistique. Ce montant croît annuellement au rythme de l’inflation. Ce que le produit culturel d’ici ne s’approprie pas est dépensé dans un bien culturel étranger, d’où l’importance d’utiliser tous les outils possibles afin d’en percevoir le plus possible. Si chaque Québécois va au cinéma quatre fois par année, il est tout à fait plausible qu’il choisisse un film d’ici au moins une fois, non?
Le box-office à tout prix? Avant qu’on m’associe à Vincent Guzzo qui milite depuis toujours pour qu’on produise «des films que les gens veulent voir», sachez que je m’associe plutôt à l’école de la qualité. Je suis convaincu que le public est intelligent et qu’il recherche une émotion authentique, vibrante. Ça tombe bien, ce sont tous des ingrédients dont notre culture locale ne manque pas. L’exposition de David Altmejd au MAC en est un exemple. Peu de Québécois le connaissaient avant le succès qu’il a remporté l’année dernière. Bien entendu, la qualité de son travail a un lien direct avec les foules que le musée a accueillies, mais le plus important succès connu au box-office du MAC de son histoire n’est-il pas aussi relié à la première campagne de marketing tapissée mur à mur pour une exposition en son sein? N’est-il pas relié à tous ces derrières d’autobus qui promouvaient son travail exceptionnel? J’assistais au spectacle de Yann Perreau au Club Soda le 17 juin dernier. D’entrée de jeu, il a fait référence aux ventes moribondes de spectacles francophones rapportées par les médias, excité qu’il était d’avoir réussi un vrai «sold out». Son spectacle était formidable, je suis sorti de là le cœur plein, enthousiaste comme je l’avais été durant le show de Dumas au Métropolis ou comme quand j’ai visionné Félix et Meira cet hiver. Nous produisons du très bon ici. Et ça doit cesser d’être un secret bien gardé. Yann méritait un sold out au Métropolis. Les quotas Nous sommes très bons pour créer de l’offre. Il faudrait peutêtre apprendre à créer de la demande. S’inspirer un peu plus des Américains et un peu moins des Français qui comptent entièrement sur l’État pour financer leur culture. Mais force est d’admettre que nos amis français ont compris certaines choses. La bataille ne peut se gagner seulement à coup de budgets marketing. Elle doit être encouragée par des politiques rendues nécessaires et légitimes dans un contexte d’exception culturelle.
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L’Institut de la statistique du QuÊbec nous apprenait dans son bulletin reliÊ à la musique, publiÊ en mai dernier, que si 47,7% des ventes d’albums en magasin sont d’artistes locaux, ces derniers reprÊsentent seulement 29,7% dans les ventes d’albums numÊriques. Mais oÚ le bât blesse vraiment, c’est quand on constate les ventes de chansons à l’unitÊ. À peine 7% des chansons tÊlÊchargÊes ont ÊtÊ produites ici. Comment expliquer cela? Il existe une corrÊlation très forte entre les artistes et les chansons rÊpertoriÊes sur la page d’accueil des iTunes et Spotifiy de ce monde et les tÊlÊchargements gÊnÊrÊs. La consommation culturelle se monolithise, influencÊe par les palmarès, les listes suggÊrÊes, les rÊsultats des moteurs de recherche. La règle du 80/20 prÊsente dans de nombreuses industries fait voler en Êclats la culture, principalement en musique, remplacÊe par celle du 98/2. Vous avez bien lu, 2% des chansons gÊnèrent aujourd’hui 98% des revenus. Je ne serai pas encore très populaire chez les disciples du libre marchÊ. Plus que pour n’importe quel autre secteur, la culture nÊcessite qu’on la protège en la discriminant positivement. Le CRTC a choisi de ne pas se positionner par rapport à la rÊglementation du contenu distribuÊ par Internet. À une Êpoque oÚ une grande partie de la consommation culturelle se fait sur demande, cette dÊcision est plus que surprenante. C’est une grave erreur. Si l’avenir du QuÊbec est à l’intÊrieur du Canada, il doit selon moi rapatrier les champs de compÊtence qui lui permettront d’influencer la consommation de sa propre culture. Par le maintien des quotas en radio, par l’ajout de quotas sur Internet et, pourquoi pas, par l’obligation de distribuer des films produits ici dans les salles de cinÊma du QuÊbec.
Permettre à notre culture de s’Êpanouir Je suis convaincu que nos produits culturels n’ont rien à envier qualitativement aux grands succès planÊtaires. À une Êpoque oÚ les BeyoncÊ et autres Taylor Swift s’approprient une part de plus en plus importante du portefeuille culturel mondial, le succès qu’a connu Jean Leloup depuis 24 mois fait un grand bien. Il dÊmontre bien sÝr qu’il est un redoutable stratège de la commercialisation. Plus lucide qu’on ne le croit, il a su crÊer un buzz, il a su malgrÊ le manque de moyens manier les mÊdias, le public et l’industrie avec doigtÊ. Leloup est un entrepreneur, un vrai. On ne peut pas demander à nos artistes de tous être des Leloup de la commercialisation. Nous pouvons par contre les aider, et leur permettre de vivre dÊcemment de leur art pour continuer à crÊer ce qui nous diffÊrencie, nous reprÊsente. En mettant autant d’argent à produire le contenu d’ici qu’à le commercialiser. Ce qui permettra à nos artistes de s’approprier une part plus importante de notre portefeuille culturel. Mais aussi – et c’est sÝrement aussi important – en rÊflÊchissant à la mise en place de nouveaux quotas de diffusion, qui comme pour la radio encore aujourd’hui, constituent probablement l’outil marketing le plus puissant. Parce que comme pour le yogourt dans un supermarchÊ, le produit culturel bien en vue vendra beaucoup plus que celui qui est cachÊ dans la section des produits spÊcialisÊs. C’est aussi ça le showbiz. y
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QUOI FAIRE
photo | antoine bordeleau
MUSIQUE
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SAMITO p a r c h a r t e n s t e i n – 28 j u i l l e t
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, et l’auteur-compositeur-interprète de 36 ans l’a prouvé avec brio sur son premier album homonyme, paru en mai dernier. Mélangeant rock, soul, funk, folk et musique traditionnelle mozambicaine, le Montréalais d’adoption Samito sait comment faire vibrer et danser une foule. Ce rendez-vous extérieur dans l’arrondissement de Saint-Laurent le prouvera une fois de plus.
63 QUOI FAIRE VOIR MTL
THE JULIE RUIN
VO1 #O6
O7 / 2O16
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t h é ât r e F a i r m o u n t – 20 j u i l l e t
Formé en partie d’anciennes membres du mythique groupe punk féministe Bikini Kill, The Julie Ruin redonne signe de vie avec un deuxième album, Hit Reset, prévu pour le 8 juillet sous Hardly Art. Le quintette dance-punk new-yorkais mené par Kathleen Hanna aura donc l’énergie dans le tapis pour son passage à Montréal.
THE TALLEST MAN ON EARTH ET BASIA BULAT métropolis – 7 juillet
Le phénomène suédois The Tallest Man on Earth poursuit son ascension internationale avec Dark Bird Is Home, quatrième album paru en mai 2015. Même s’il n’a pas encore obtenu le succès qu’on lui promettait au début de la décennie, le musicien indie folk peut compter sur un public fidèle. En première partie, la Montréalaise Basia Bulat donnera le ton.
photo | shervin lainez
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FESTIVAL DIAPASON l ava l – d u 7 a u 10 j u i l l e t
Pour cette huitième édition, le Festival Diapason offre en concert une riche sélection de musiciens made in Québec. La programmation entièrement gratuite présentera Timber Timbre, We Are Wolves, Les Sœurs Boulay, Berhnari, Milk & Bones et plusieurs autres.
MUSÉE MOBILE DU ROCK’N’ROLL partout en province cet été
Projet fondé en 2012 par Patrice Caron, ce musée ambulant, un autobus aménagé en salle d’exposition qui relate l’histoire du rock’n’roll au Québec, fait fureur. On y présente aussi des concerts et des ateliers d’initiation à la musique, et ce, partout dans les divers événements estivaux en province. les soeurs boulay, photo | eli bissonnette et jeanne joly
s t u d i o h y d r o -Q u é b e c d u m o n u m e n t-n at i o n a l d u 7 a u 11 j u i l l e t
La lune de miel entre Kyan Khojandi, star de la populaire websérie Bref., et l’insolent festival Zoofest se poursuit cet été alors que Khojandi débarque avec toute l’équipe de comédiens de Bref. pour un spectacle de stand-up autobiographique dans lequel ils nous raconteront ce qu’ils sont devenus. Khojandi offre aussi du 24 au 26 juillet Pulsions, un spectacle solo tout aussi autofictionnel.
photo | karoline lebrun
g e s ù – d u 26 a u 2 9 j u i l l e t à 20 h
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BRAIDS
BEIRUT
c a s a d e l p o p o l o – 27 e t 28 j u i l l e t
t h é ât r e c o r o n a – 2 8 j u i l l e t
Le trio canadien sera de passage pour deux soirs dans la métropole montréalaise. Comptant trois albums à son actif et un nouvel EP intitulé Companion, fraîchement sorti sur les tablettes, cette formation jouant dans l’art rock saura enivrer l’énigmatique salle de la Casa del Popolo.
Le groupe folk new-yorkais sera de passage à Osheaga le lendemain, mais pour ceux qui veulent obtenir Beirut en concert beaucoup plus intimiste pourront se régaler de ce spectacle transcendant.
THE WAINWRIGHT SISTERS t h é ât r e d u n o u v e a u m o n d e 6, 7 et 8 juillet
Martha et Lucy Wainwright partagent un héritage musical intense et sublime. Grandi d’une idée de Martha de revisiter des chansons provenant de son enfance avec sa sœur Lucy, The Wainwright Sisters reprend ainsi de grands classiques en harmonisant leurs voix. Le duo donne naissance à un résultat envoûtant.
MOI, MOI, MOI
Ce couple composé de Chantal Archambault et de Michel Olivier Gasse s’avère plus qu’attachant. Se présentant autour d’un seul micro, le duo offre au public des chansons empreintes d’une grande complicité, qui reflètent leur bagage acquis sur les routes et la scène.
Le comédien Mathieu Quesnel s’improvise humoriste au Zoofest avec un spectacle solo conçu dans les temps libres d’une carrière d’acteur dénuée, dit-il, de grands rôles ces deux dernières années. De l’humour? Plutôt de l’«art populaire», constitué d’«histoires vraies, de lecture de courriels, de chansons adolescentes, d’apologie de Longueuil, d’imitations douteuses et de jeux de mots désagréables».
FESTIVAL DES BIÈRES DE LAVAL
LAISSEZ-MOI ENCORE CHANTER...
c e n t r e d e l a n at u r e d e l ava l d u 1 5 a u 17 j u i l l e t
s a l l e l u d g e r-d u v e r n ay d u m o n u m e n tn at i o n a l – 14 j u i l l e t à 19 h
En goûtant aux produits des 70 microbrasseries québécoises qui seront sur place, vous pourrez profiter de plusieurs spectacles de qualité dans le cadre de la deuxième édition du Festival des bières de Laval. En plus de la tête d’affiche Galaxie, sacré groupe de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, on pourra y voir le groupe rock Lubik, le collectif post-rigodon Alaclair Ensemble et le trio rap métissé Brown.
Le titre complet du spectacle est Laissez-moi encore chanter..., danser, imiter, jouer, animer, doubler, diriger, rire de moé... et c’est en nous promettant une bonne dose d’autodérision que Joël Legendre offre son premier one-man-show, pour un soir seulement. La personnalité télévisuelle écorchée récemment par un scandale libertin tente le tout pour le tout au Zoofest.
m o u l i n F l e m i n g – 17 j u i l l e t
MITSKI
En concert aux États-Unis et au Canada depuis quelques semaines, Mitski, cette Américano-Japonaise, fera un arrêt à Montréal avant de s’envoler vers les vieux pays pour poursuivre sa tournée. Jouant dans l’indie rock, elle vient tout juste d’offrir son dernier album, Puberty 2, sous l’étiquette Dead Oceans.
L’humoriste qui transcende les barrières culturelles grâce à son humour sarcastique propose Oh my Gad, son tout nouveau spectacle entièrement en anglais constitué de certains des stand-ups qui l’ont rendu célèbre en plus de matériel inédit inspiré de sa vie nord-américaine. Un incontournable du festival Just for laughs.
k ata c o m b e s – d u 7 a u 14 j u i l l e t
SARATOGA
b a r l e r i t z p.d.b . – 23 j u i l l e t
GAD ELMALEH EN ANGLAIS
SCÈNE
BREF.
ROMÉO ET JULIETTE
TOM GREEN LIVE
THE ELEPHANT IN THE ROOM
t h é ât r e d u n o u v e a u m o n d e d u 21 j u i l l e t a u 1 8 a o û t
t h é ât r e s a i n t e-c at h e r i n e e t t h é ât r e m a i n l i n e d u 21 a u 30 j u i l l e t
t h é ât r e o u t r e m o n t – d u 8 a u 13 j u i l l e t
Son humour est vif, tranchant et scatologique: le comédien Tom Green est de passage en ville pour offrir son one-man-show au Zoofest en mode ultra intimiste dans de toutes petites salles. Les fans du Tom Green Show, qui a fait un tabac sur MTV, seront comblés. Spectacle en anglais.
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Des acrobaties et des pirouettes dans une ambiance raffinée? Oui, monsieur, c’est possible. Et c’est que propose le cirque La Roux, établi en France, mais composé de quatre interprètes américains et français issus des écoles de cirque de Montréal et Bruxelles. The Elephant in the Room campe son action dans un salon bourgeois des années 1930 dans une ambiance de vaudeville. Une trouvaille au festival Montréal Complètement Cirque.
SWISS ARMY MAN en salle depuis le 1er juillet
Paul Dano et Daniel Radcliffe jouent les naufragés suicidaires et les cadavres sympathiques dans Swiss Army Man, un premier long métrage surréaliste de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, connus en duo sous le nom Daniels. Lauréat du prix de la meilleure réalisation à Sundance, ce film aligne aventures rocambolesques dans la nature sauvage, humour juvénile, esthétique fantaisiste, poésie décalée et regard tendre sur l’amitié au masculin.
GHOSTBUSTERS en salle le 15 juillet
photo | jean-François gratton
Avait-on vraiment besoin d’un remake de Ghostbusters? Les fans de la première heure seront néanmoins nombreux à se ruer au cinéma pour voir ce nouvel opus réalisé par Paul Feig. Cette fois, deux héroïnes féminines pulvérisent les fantômes qui attaquent Manhattan.
GÉOLOCALISER L’AMOUR m a i s o n d e l a c u lt u r e m a i s o n n e u v e – 1 9 j u i l l e t à 20 h
La soirée d’ouverture de l’événement Zone Homa, qui déploie tout l’été des laboratoires de création en arts de la scène, a été confiée au prolifique Simon Boulerice. L’hyperactif auteur dramatique offre un nouveau texte d’autofiction dans lequel il se met en scène en dragueur maladroit qui cherche l’âme sœur sur Tinder et qui «s’écartèle aux quatre coins de la ville, y laissant chaque fois un peu de sa dignité». Une mise en lecture avec les comédiens Jocelyn Lebeau, Tommy Lavallée et Lucien Bergeron.
CAPTAIN FANTASTIC PETITS CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ l e s k ata c o m b e s du 9 au 29 juillet
On peut toujours compter sur le Zoofest pour nous offrir un peu de théâtre urbain, léger mais pas con, pendant le chaud mois de juillet. Dans Petits crimes contre l’humanité, un quatuor de comédiens s’éclate dans l’absurde et le comique de situation, interprétant une galerie de personnages improbables, notamment «un physiothérapeute lutteur, un serveur illusionniste et un thug écolo».
en salle le 22 juillet
Après avoir été présenté au Festival de Sundance en début d’année, Captain Fantastic arrive en salle précédé d’une rumeur enthousiaste. Dans les forêts reculées du nord-ouest des États-Unis, vivant isolé de la société, un père se dévoue et consacre sa vie tout entière à faire de ses six jeunes enfants d’extraordinaires adultes. Mais quand le destin frappe la famille, elle doit abandonner ce paradis qu’elle avait créé pour elle.
CINÉMA
La production estivale montréalaise à grand déploiement de Roméo et Juliette, une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et de Juste pour rire, mettra en vedette les jeunes comédiens Philippe Thibault-Denis et Marianne Fortier, dirigés par Serge Denoncourt. Les amoureux de Vérone sont déplacés dans les années 1930 en pleine montée fasciste.
66 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #O6
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LIGHTS OUT e n s a l l e l e 22 j u i l l e t 201 6
Film d’horreur américain hyper tendu, réalisé et écrit par David F. Sandberg et adapté d’un court métrage, Lights Out tire son suspense et son épouvante de la peur du noir, mettant en scène un personnage d’adolescente effrayée par l’obscurité et prise dans une inextricable terreur familiale. Un film maîtrisant savamment les ambiances angoissantes.
CAFÉ SOCIETY e n s a l l e l e 29 j u i l l e t
Film d’ouverture à Cannes, le nouveau long métrage de Woody Allen raconte l’histoire d’un jeune homme qui se rend à Hollywood dans les années 1930 dans l’espoir de travailler dans l’industrie du cinéma, tombe amoureux et se retrouve plongé dans l’effervescence de la Café Society qui a marqué cette époque.
JASON BOURNE e n s a l l e l e 29 j u i l l e t
Il est de retour. Héros de la série littéraire créée par Robert Ludlum et incarné au cinéma par Matt Damon, Jason Bourne est au cœur d’une nouvelle intrigue d’action et d’espionnage entre Londres et les îles Canaries, en passant par Las Vegas.
the garden, claire milbrath
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d a n s l e c a d r e d u F e s t i va l Fa n ta s i a
Parmi les films québécois qui seront présentés en première mondiale au festival Fantasia, en plus de Feuilles mortes dont nous vous parlons en section Cinéma, nous avons très hâte de voir Écartée, le premier long métrage de Lawrence Côté-Collins. «Un huis clos en région, des caméras qui deviennent subjectives et vicieuses. Un trio impétueux qui implose lentement à travers la séduction, le mensonge et la manipulation.»
ARTS VISUELS
ÉCARTÉE THE GARDEN projet pangée j u s Q u ’ a u 30 j u i l l e t
Le projet The Garden des deux sœurs Claire et Darby Milbrath explore en naïveté et en dessin le jardin imaginaire de leur enfance. Le thème de la sexualité demeure très présent au travers des toiles de ces deux Canadiennes.
REGARD INÉDIT SUR MON QUARTIER écomusée du Fier monde jusQu’au 28 août
Regard inédit sur mon quartier propose une vaste sélection de photos de l’artiste Daniel Heikalo. Ayant habité le quartier Centre-Sud de Montréal durant son enfance, le photographe offre des clichés oscillant entre le noir et le blanc ainsi que la couleur, regorgeant de souvenirs de cet endroit. Une exposition historique à voir pour tous les amoureux de Montréal.
edmund alleyn
2016 05 19 2016 09 25
liz magor
2016 06 22 2016 09 05
lizzie fitch
2016 06 22 2016 09 05
ryan trecartin MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL
185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal (Québec) H2X 3X5 Canada Métro Place-des-Arts macm.org
Edmund Alleyn, Mondrian au coucher, 1973 – 1974. Collection du Musée d’art contemporain de Montréal. Photo : Richard-Max Tremblay | Liz Magor, Habitude. Exposition coproduite par le Musée d’art contemporain de Montréal, le Migros Museum für Gegenwartskunst, à Zurich, et le Kunstverein in Hamburg. Liz Magor, Pearl Pet, 2015. Avec l’aimable permission de la Shlesinger-Walbohm Family Collection, Toronto | Ryan Trecartin, CENTER JENNY, 2013 (arrêts sur image). Avec l’aimable permission des artistes et de Regen Projects, Los Angeles, et Andrea Rosen Gallery, New York © Ryan Trecartin
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.
Paul-Émile Rioux
teomtl.com