QUÉBEC VO1 #O6 | JUILLET 2O16 FEQ / ALUNAGEORGE GHOSTLY KISSES OFF-FESTIVALS DÉMÉNAGEMENT DU MARCHÉ LA PROMENADE DES ÉCRIVAINS RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE EN GASPÉSIE FEUILLES MORTES DOSSIER VIE DE TOURNÉE
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RÉDACTION
Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Coordonnatrice à la rédaction et journaliste: Catherine Genest Chef de section musique: Valérie Thérien / Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris / Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Coordonnatrice des contenus: Alicia Beauchemin / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Correctrice: Marie-Claude Masse
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Mickaël Bergeron, Caroline Décoste, Ralph Boncy, Jérémy Laniel, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Normand Baillargeon, Eric Godin
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Directrice du marketing et des communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrice marketing et projets spéciaux: Danielle Morissette Directeur du développement web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sieng-you / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larrivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé / Chef d’équipe administration: Céline Montminy Coordonnateur service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine
PHOTO COUVERTURE Simon Duhamel | leconsulat.ca
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COMMUNICATIONS VOIR
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«CE TEXTE EST NÉ D’UN DÉSIR TRÈS FORT DE RACONTER LA VIOLENCE URBAINE ET DE DONNER UNE THÉÂTRALITÉ À LA LANGUE ADOLESCENTE DE DAVE.» Photo | Simon Duhamel / Consulat Assistant | Maxime St-Jean Maquillage | Brigitte Lacoste
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MUSIQUE
AlunaGeorge (FEQ) Ghostlty Kisses (FEQ) Les off-festivals
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CINÉMA
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DOSSIER
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ART DE VIVRE
Feuilles mortes Vie de tournée Déménagement du marché L’assiette du chef
Dans les potagers des restos
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LIVRES
La promenade des écrivains De nos frères blessés Nouvelles de l’autre vie
ARTS VISUELS
Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie
QUOI FAIRE CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p16) Normand Baillargeon (p24) Mickaël Bergeron (p34) Alexandre Taillefer (p56)
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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
NATIONALISME ORGANIQUE À partir du mois de juin, les médias se mettent en mode estival. C’est l’heure des programmations d’été où on invite des vedettes à parler jardinage et BBQ. Ça me va. Je n’y échapperai pas d’ailleurs. Si vous saviez tout ce que je manque comme occasion d’émettre une opinion depuis que nous publions sur une base mensuelle. Je suis en retard sur tout. Pas moyen de frapper au bon moment. D’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore ce qui se passera dans les dix prochains jours. Dix jours... C’est le temps qu’il faut pour mettre en page ce magazine, l’envoyer à l’imprimerie et le distribuer dans les présentoirs. Vous voyez un peu le scénario. Je vous écrirais que les fraises viennent d’arriver au marché et, pour vous qui me lisez, ce serait déjà le temps des framboises. Je suis donc condamné à être en retard. Je dois faire le choix d’être lent. Parler des choses qui ne changent pas, ou peu. Comme le paysage, tiens. Je suis une tortue. Il y a quelques semaines, début juin, j’ai mis cinq heures pour faire Québec-Montréal par la 132. Tout le long. Je suis sorti de la capitale par le vieux pont de Québec pour traverser Villieu et Saint-Nicolas. C’est tout de suite la campagne. À Leclercville, un peu après Lotbinière, magnifique vue sur le fleuve et la rivière du Chêne qui se jette dedans. On y trouve une halte municipale entretenue par des bénévoles. J’y ai vu un vieux Westfalia, toutes voiles ouvertes, qui avait élu domicile. Les véhicules récréatifs peuvent s’y arrêter aussi. J’ai pissé et j’ai mis 2$ dans le truc pour les dons. Il y avait une feuille imprimée au-dessus de l’uri-
noir qui m’y encourageait. Merci les bénévoles. La réalité coûte 2$. Ça me semble OK comme deal. Juste en haut, une cantine familiale pour luncher. Le Sainte-Emmélie que ça s’appelle. Avec une jolie terrasse. J’ai regretté de ne pas avoir faim. Cinq heures, donc, pour ne pas croiser un Subway machin ou autre McDo du coude sur l’autoroute et pisser dans un truc qui sent le Vicks. J’étais sur la piste de quelque chose. La lenteur. Le temps qui passe, l’odeur du printemps qui se dérobe pour laisser la place à l’été. Je me suis même arrêté dans un petit bois de peupliers pour voir si je ne trouverais pas quelques morilles. En vain. C’est plus loin, un peu après Nicolet, que j’ai eu une vision. Une expérience totale et intégrale. Comme saint Paul sur le chemin de Damas. Entre Nicolet et Pierreville, très précisément, en croisant le rang du Petit-Bois où j’ai failli faire un détour vers NotreDame-de-Pierreville. Je le regrette depuis. En tout cas, j’ai eu une apparition. Une sorte de peak experience comme on dit en latin. Je venais de découvrir le patriotisme organique. Une odeur. Un coup de vent. Un rayon de lumière sur les terres. Rien dans la tête, tout dans le nez et les yeux. Un paysage où je sais par cœur comment me faufiler, avec les repères appris je ne sais trop quand. Prends ce chemin, ça va déboucher au bon endroit. Évidemment, je ne savais pas, à ce moment-là, ce qui m’arrivait. J’ignorais aussi que le Brexit allait occuper le devant de la scène deux semaines plus tard. Coquin de sort quand même, le Royaume-Uni, par voie de référen-
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dum, allait choisir de quitter l’Union européenne le jour même où, ici, nous allions célébrer la fête nationale. Ce fut la totale. Pour plusieurs, le «peuple», au singulier, avait fait entendre «sa voix», au singulier encore. Une voix contre les élites mondiales transnationales. Remarquez ici l’assemblage entre le singulier et le pluriel. Le peuple se bat seul, unifié, uniforme, contre une menace multiple, tentaculaire. Ajoutez le mot référendum, et ça donne une boisson forte parfaite pour le party. Ça m’a fait sourire. Mathieu Bock-Côté a bien écrit 22 statuts Facebook et une demi-douzaine de chroniques à ce sujet. Ahhh! Le peuple a parlé! Écoutez ce qu’il vous dit un peu! Entendez son message! Vraiment, ça sonnait comme Jean le Baptiste, dans le désert. J’ai quand même une question plate. Si je peux me permettre. Toute conne. Je m’en excuse à l’avance. Mais le peuple qui a parlé, lors de ce référendum, c’est quelle moitié au juste? Le 48,1% ou le 51,9%? Vous me direz ça un jour.
Pour revenir à ce périple routier, j’ai lâché la 132 à Sorel pour faire un détour par l’autoroute 30 à cause du trafic. J’ai repris la petite route à Contrecœur. C’est joli jusqu’à Varenne, où ça se gâche un peu. J’ai quand même eu le temps, au retour de la route, d’aller discuter avec Bruno, chez Birri, au marché Jean-Talon. J’achète mes plants de concombre libanais aux Italiens depuis que je possède une truelle et un coin de jardin. Cette année, avec le coup de froid début juin, ils se sont écrasés comme des crêpes humides. J’ai planté trop tôt. Bruno m’en a refilé des nouveaux qui vont plutôt bien depuis. J’espère que mes vieux plants ne m’en voudront pas trop. Je les ai arrachés. Plus rien n’allait sortir de là. Attendez un peu de voir ma salade grecque du jardin. Pour le fromage feta, je vais essayer celui du Troupeau Bénit, de la fromagerie du monastère Vierge Marie la Consolatrice, à Brownsburg. Ça devrait le faire. y sjodoin@voir.ca
(à gauche) PreoccuPations (ex Viet cong), Photo | Maryon DesjarDins (à Droite) rosie VallanD, Photo | Maryon DesjarDins
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LA SWITCH À OFF LES «OFF-FESTIVALS» SONT DEVENUS MONNAIE COURANTE AU COURS DES DERNIÈRES DÉCENNIES. IL SEMBLE DÉSORMAIS QUE CHAQUE FESTIVAL D’ENVERGURE SE DOIT D’AVOIR UNE CÉLÉBRATION ALTERNATIVE EN À CÔTÉ, AU POINT OÙ CERTAINS D’ENTRE EUX CRÉENT EUX-MÊMES LEURS PROPRES OFF. MAIS D’OÙ EST NÉ CE BESOIN D’OFFRES SORTANT DES SENTIERS BATTUS, DE PROGRAMMATIONS ÉCLATÉES ET DE SOIRÉES IMPROVISÉES? Mots | antoine borDeleau
Pour quiconque n’a jamais mis les pieds dans un OFF, le concept peut sembler flou. De prime abord, le néophyte ne voit de l’extérieur qu’un petit festival essayant d’entrer en compétition avec un géant bien établi, un véritable combat entre David et Goliath qui ne peut se solder qu’en un échec cuisant. Ce qu’ignore ce dit néophyte, c’est qu’il n’en est strictement rien. L’esprit d’un OFF n’est pas de rivaliser avec le festival dont il découle, mais bien de bonifier l’offre au public avec des spectacles inusités ou qui n’auraient tout simplement pas leur place au sein d’une programmation plus conservatrice dont sont souvent affligés les monstres de l’univers festivalesque. Un peu d’histoire Il faut remonter loin en arrière pour découvrir les origines de ces festivals alternatifs. Le nom «off» prend sa source dans une tradition ancienne, le offBroadway. Cette désignation fut employée dès la première moitié des années 1950 pour définir toute pièce de théâtre, comédie musicale ou revue présentée à New York mais ne cadrant pas dans les standards stricts de Broadway. Les salles où l’on présentait ces performances ne dépassaient jamais les 499 places, les règles de Broadway demandant un établissement d’au moins 500 sièges. C’est le plus gros et influent de tous les OFF, celui d’Avignon, qui a ouvert le bal pas plus tard qu’en 1968,
empruntant ce nom pour définir ses activités. C’est en réponse au très important Festival d’Avignon que s’est amorcée cette célébration d’un théâtre différent, présentant des pièces interdites par son homonyme institutionnalisé. Alors qu’il s’agissait à l’époque de contestation pure et dure, le festival a lentement muté vers une position d’ouverture complète, embrassant toute forme d’art de la scène n’ayant pas nécessairement sa place dans le festival «officiel». Il offre aujourd’hui plus de 1300 spectacles. Qu’offrent les OFF? Maintenant que l’appellation OFF est bien connue et répandue, son utilisation s’est légèrement transformée. Selon Guillaume Sirois, directeur général du Festival OFF de Québec, un OFF répond à deux critères importants: «Dans un premier temps, le OFF doit se tenir en même temps que l’événement auquel il se rattache. Sinon, tu peux pas vraiment appeler ça un OFF, c’est juste autre chose. Ensuite, à mon avis, c’est super important que le OFF ne soit pas organisé par le même monde qui s’occupe du festival principal. Pour moi, ça ne fait juste pas de sens. Appelle ça la “scène émergente” si tu veux, mais c’est pas un OFF.» Autre caractéristique cruciale, un OFF, ça doit servir l’émergence, la scène locale et la créativité. Guillaume poursuit sur sa lancée: «Quand le festival OFF est né, c’était dans
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13c4&/5c 1"3 (ci-contre) gab Paquet, Photo | Maryon DesjarDins (Page suiVante, à gauche) the jaguars, Photo | Maryon DesjarDins (Page suiVante, à Droite) relais PaPillon (offta), Photo | jean-francois boisVenue
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> un souci de redonner une place aux pratiques de recherche, aux productions de niche, à tout ce qui était rendu complètement écarté par le Festival d’été de Québec. Je ne pousse pas une critique, c’est bien correct de vouloir faire jouer AC/DC sur les Plaines, mais il manquait quelque chose pour la relève. Un de nos meilleurs slogans, ça a été Voir le futur pour dix piasses, je pense que ça résume à la perfection notre mission.» Il n’a pas tort, car il suffit de jeter un œil aux artistes des années passées pour voir qu’ils sont tous désormais sur les planches des plus gros événements: Les Sœurs Boulay, Patrick Watson, Klô Pelgag ou Preoccupations (exViet Cong), pour ne nommer que ceux-là. Cet esprit d’ouverture résonne dans tous les OFF. L’expérience qu’on y vit est considérablement différente de celle d’un festival régulier. La découverte est au centre du menu, et on doit y aller sans barrière psychologique pour en profiter à fond. «C’est certain que dans certains plus gros festivals, les artistes peuvent un peu moins s’en permettre, confie Fannie Dulude (directrice de la programmation du Zoofest). Il y a des captations, des choses du genre. À Zoofest, ce qui se passe dans la salle reste dans la salle. Les artistes ont donc une bien plus grande liberté, ça leur permet de faire des tests, un genre de laboratoire pour roder du nouveau matériel. Ils vont être moins stressés de présenter des numéros qui sortent de l’ordinaire, quitte à surprendre le public.»
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Entre la défiance et la cohésion Bien que la plupart des OFF aient d’abord été établis comme un genre de pied de nez aux festivals massifs et formatés, leurs missions évoluent avec le temps, et certains s’inscrivent même directement dans une volonté d’évoluer en parallèle avec les entités «officielles» qui les ont vus naître. C’est le cas entre autres du OFFTA, à Montréal. Selon Jasmine Catudal, sa codirectrice, ce OFF est né pour redonner sa place à l’émergence, mais jamais ses organisateurs n’ont voulu se mettre en opposition au Festival TransAmériques. «Même dans le FTA, il y a un peu plus de place désormais pour l’émergence, les choses ont évolué. Mais de notre côté, au OFFTA, il y a une notion de prise de risque qui ne se retrouve pas dans le FTA. Ce n’est pas une question de défi en tant que tel. On a vraiment une relation de mutualisme avec le FTA, une relation que je qualifierais de gagnante pour les deux parties.» C’est un peu le même constat à Québec, du côté du FEQ et du OFF de Québec. Selon Guillaume Sirois, le Festival d’été s’est amélioré en matière de place qu’il laisse aux artistes locaux et émergents: «On va se le dire, le terme émergent est à la mode. Donc, ils n’ont pas vraiment le choix de suivre la vague. C’est une bonne affaire, y a une conscience supplémentaire qui s’est développée. Mais ça reste en surface; nous, on a une équipe qui est dédiée entièrement au défrichage culturel, une recherche constante de présenter quelque chose de nouveau. C’est correct de même. Eux font venir AC/DC, pis pendant ce temps-là, nous autres on présente des shows qui n’ont jamais été vus nulle part ailleurs.» y Festival OFF de Québec Du 6 au 9 juillet 2016
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EMPREINTES NOSTALGIQUES GHOSTLY KISSES, CE DUO D’ÉLECTRO MÉLANCOLIQUE DE QUÉBEC, ROULE DE SUCCÈS EN SUCCÈS DEPUIS UN PEU PLUS D’UN AN. FAISANT PARTIE DU FESTIVAL D’ÉTÉ DE QUÉBEC CETTE ANNÉE, LE GROUPE NOUS LIVRE LES SECRETS DE SA FORMULE PLUS QUE GAGNANTE. Mots | antoine borDeleau
Photo | Dragos chiriac
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Sa naissance sur la toile il y a un petit peu plus d’un an a fait rapidement de Ghostly Kisses une sensation web assez impressionnante. Générant plus d’un million d’écoutes sur Spotify, leur titre Such Words a ensuite plus largement présenté au monde la voix susurrée et envoûtante de Margaux Sauvé, flottant au-dessus d’une production tissée serrée par Dragos Chiriac. La douceur de son timbre capte immédiatement l’attention et les quatre chansons désormais disponibles n’étanchent pas la soif qu’on a de cette musique aux ambiances à la fois fantomatiques et chaleureuses. Préparer le terrain «On ne s’attendait pas à un tel succès, c’est certain. Le projet a toujours été très sérieux, explique Margaux, mais je n’aurais jamais pu imaginer que l’on aurait autant d’attention aussi vite. C’est audessus de nos attentes, mais on ne s’assoit pas làdessus, on veut raffiner la musique au maximum.» Après quatre titres lancés à la pièce à plusieurs mois d’intervalle, il est normal de se demander quelle est la stratégie que le groupe compte employer dans le futur. Selon Margaux, ce n’était pas un plan établi que d’espacer ainsi les sorties. Seulement, après avoir lancé la première chanson pour présenter le projet, les contraintes de temps et les aléas de la vie ont fait en sorte que les deux comparses ont poursuivi dans cette voie. «Je sais pas précisément pourquoi, mentionne-t-elle, mais ça a toujours adonné comme ça. Ça s’est improvisé à mesure, mais c’est certain qu’on a hâte de prendre le temps de s’isoler quelque temps en studio pour faire un album complet. On en est rendus là, je pense.» Ghostly Kisses est donc présentement en mode composition, et les deux musiciens se sont penchés sur un plan à plus long terme. Ils n’ont pas encore défini si ce sera un long album ou un EP de quelques titres, mais la prochaine fois que l’on aura droit à du nouveau de la part du groupe, ce sera certainement en quantité plus grande. Les deux acolytes ne se mettent toutefois pas de pression: «On a envie d’explorer de nouvelles choses. Je veux prendre plus mon temps pour m’amuser, faire de nouvelles collaborations, livrer un produit vraiment plus complet. Je pense qu’on prend ce qui va sortir pour la suite réellement comme un tout, par opposition à sortir des singles à la pièce, ce qui était un peu plus improvisé dans la réalisation.» Un travail de pure collaboration Lorsque le groupe met ses idées musicales dans la boîte, chacun des membres du duo a son rôle bien défini. Margaux, ayant une formation classique en violon au Conservatoire, est plutôt responsable de la composition. Ghostly Kisses, à la base, c’était ses
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chansons couchées sur papier. Elle n’a pas eu de formation vocale en soi, et a donc attendu assez longtemps avant de commencer à se mettre au chant. Selon elle, son côté classique transparaît d’une certaine façon dans sa musique, le lyrisme du violon n’étant pas étranger à la nostalgie profonde qui habite ses lignes de voix. Alors qu’elle occupe cette position, Dragos se révèle plutôt être le travailleur de l’ombre, celui qui réalise en coulisses à la fois la production musicale mais aussi l’identité visuelle du projet. En concert, il se retrouve dans la foule armé d’un appareil photo plutôt que sur la scène, qui se trouve occupée par Margaux et plusieurs musiciens invités. «Dragos, c’est un peu le magicien derrière Ghostly Kisses. C’est lui qui fait toutes nos photos, nos vidéoclips, c’est lui qui réalise les chansons. C’est également dans son studio maison qu’on enregistre nos tounes, c’est vraiment l’homme à tout faire, si on veut!»
«JE VEUX PRENDRE PLUS MON TEMPS POUR M’AMUSER, FAIRE DE NOUVELLES COLLABORATIONS, LIVRER UN PRODUIT VRAIMENT PLUS COMPLET.» Pour ce qui est de la composition des textes, Margaux se laisse aller à l’inspiration du moment. C’est une méthode d’écriture où l’idée de base lui vient toujours spontanément, où elle peaufine ensuite le matériel brut pour le mettre en musique de façon à la fois rêveuse et mélancolique. Les thèmes entourant les relations amoureuses sont omniprésents. «J’écris à propos de ce qui me touche. Je m’inspire soit de mon vécu, soit de ce que je vois autour de moi… Le sujet des relations amoureuses, ça m’a toujours intéressé et je pense que ça transparaît; j’écris presque tout le temps là-dessus finalement!» Gardez l’œil ouvert pour ne pas manquer la prochaine sortie de Ghostly Kisses, un album ou un EP qui saura certainement plaire aux âmes empreintes de nostalgie. y Ghostly Kisses sera de passage au Festival d’été de Québec le 15 juillet à 20h sur la scène Fibe.
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LA PATRONNE DE LA POP EN PLEIN CONTRÔLE DE SA DIRECTION ARTISTIQUE, QU’ELLE ASSURE SOUVENT ELLE-MÊME, LA CHANTEUSE BRITANNIQUE ALUNA FRANCIS CONÇOIT UN R&B ÉLECTRO IRRÉSISTIBLE EN TANDEM AVEC LE COMPOSITEUR ET BEATMAKER GEORGE REID. Mots | catherine genest
Photo | lloyD Pursall
La musique d’AlunaGeorge est un cadeau pour les DJ du monde entier. Fraîche et dansante, l’œuvre s’inscrit dans le même renouveau garage que Disclosure – des amis qu’ils ont par ailleurs aidés à mettre sur la carte avec la pièce White Noise en 2013. Copié à outrance depuis la sortie de Body Music la même année, le duo aborde la pop avec une esthétique futuriste et se distingue de ses émules grâce à la voix aussi charnelle qu’enfantine d’Aluna Francis. Un contraste fort, une contradiction en soi, qui lui a valu des «featuring» sur les récents albums de Kaytranada et Flume. L’invitée vedette des beatmakers les plus en vue du moment n’a, toutefois, jamais aspiré à pareille reconnaissance commerciale. Elle n’a, pour ainsi dire, jamais rêvé d’être une pop star. «Mes groupes préférés sont Radiohead, PJ Harvey, ce genre de trucs. Je ne m’identifie pas aux musiciens actuels parce que je suis une fille noire d’Angleterre. Il n’y a pas de lien entre la pop et les trucs que j’aime.» Gamine, elle a plutôt flirté avec la musique classique et… ecclésiastique! «Je chantais à la petite église quand j’avais cinq ou six ans, et aussi toute seule dans ma chambre. J’inventais des chansons, tout ça. Quand j’ai eu huit ou neuf ans, ma mère m’a inscrite à des leçons de guitare avec un vieux monsieur qui m’enseignait la guitare classique. C’était super plate. Quand j’ai eu treize ans, j’ai suivi des cours de piano pendant environ deux ans.»
Acte d’indépendance À l’instar de sa regrettée compatriote Amy Winehouse, Aluna Francis cultive une certaine aversion envers les modes musicales, même si ce qu’elle crée avec George Reid est totalement en osmose avec notre époque, à l’avant-garde même. «C’est très difficile de rester à la page avec autant de nouvelles musiques. Je pense qu’on est moyennement actuels, pas tant que ça. Ça ne m’intéresse pas vraiment, ce que les autres font, la plupart du temps. Je ne suis pas trop excitée par le travail de mes contemporains. En tout cas, c’est vraiment rare.» Questionnée sur ses influences comme chanteuse, elle répondra du tac au tac: «Radiohead, Etta James, Billie Holiday.» Aluna n’est pas la marionnette de George. Artiste à part entière, et femme d’opinions, elle a pavé sa propre voie et fait ses dents au sein du groupe My Toys Like avant de rencontrer son complice de l’ombre. «Je suis généralement impliquée dans la production, l’écriture des paroles et les mélodies vocales.» D’ailleurs, elle a aussi son mot à dire au rayon fringues, une part importante du projet, particulièrement dans les vidéoclips. «À ce stadeci, on a un styliste permanent. […] Je fais aussi beaucoup de direction artistique moi-même.» AlunaGeorge est un laboratoire en soi, un terrain de jeu exploratoire pour la musique (bien sûr), mais aussi pour la mode. Un souci du détail extrême mis au service du soul, du groove et de la création pure. y Mercredi 13 juillet à 19h Plaines d’Abraham (Dans le cadre du Festival d’été de Québec)
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MONIQUE GIROUX sur Mesure
POURQUOI CHOISIR QUAND ON PEUT TOUT AVOIR La contrainte sollicite l’imaginaire et nous oblige à trouver parfois une voie de contournement. Je constate depuis quelque temps – sont-ce des mois ou une poignée d’années? – que les jeunes artistes de la chanson et les moins jeunes aussi d’ailleurs usent de créativité pour parvenir à vivre de leur métier. Bon, OK, vivre est peut-être exagéré, disons pour parvenir à exercer leur métier. C’est beaucoup moins joli, moins poétique, mais beaucoup plus vrai. Les alarmistes de tout acabit s’en étant donné au défaitiste «que veux-tu», et sur toutes les tribunes, prédisant la mort d’une industrie, l’extinction d’une espèce de mammifère à guitare, l’agonie de la poésie, il a bien fallu se poser la question. Plus viable mais volable, comment la chanson allait-elle faire vivre son créateur? Puisqu’on nous la vole, donnons-la. On se rattrapera ailleurs et autrement. La phrase à peine achevée que déjà le plan se cassait la gueule. On va faire des succès, que des succès avec une modulation aux deux tiers, pour qu’en spectacle le public se lève et applaudisse au milieu de la chanson. On va raconter la mort d’un proche, la fin d’un amour, une enfance malheureuse idéalement écrite à la première personne pour que le public la chante aussi, ou mieux, on va ne rien raconter du tout sur un rythme dansant avec des gens qui tapent des mains et des chorus. Il ne faudra pas que la chanson dépasse trois minutes trente pour que les radios la jouent. Mais les radios ont bon dos et surtout un son. Et la réponse toute faite quand la radio ne la jouait pas tenait en sept mots: «Désolé, ce n’est pas dans notre son.» J’avoue l’avoir moi-même déjà prononcée.
Alors, certains artistes se sont dit tant pis, je me fous du succès, de la radio, du format, des chorus et de la modulation, je me fous de ma maison de disques, de toute façon je n’ai plus de contrat, je me fous de mon agent qui me prend 20%, du distributeur, de l’attachée de presse et de son père. Je fais table rase et je repars à zéro. Sur un air connu: S’en aller hors-la-loi droit vers un nouveau monde Ne plus vivre aux abois quand la menace gronde Quand le moindre building ressemble à un bunker Ne plus courber l’échine avancer sans avoir peur. Repartir à zéro (popularisé par Joe Bocan, magnifiquement reprise par Pilou). Faire à sa tête, avancer sans avoir peur, puisque de toute façon, on n’a plus rien à perdre; dans ce cas, on a tout à gagner. D’accord, tous n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain, mais se sont accordé une très grande liberté de création. Et là où se trouvait jadis le producteur frileux, on aperçoit un complice audacieux. Sept jours en mai, sept artistes, sept jours un album, des spectacles. Yann Perreau attelé à Péloquin avec À genoux dans le désir chanté en duo avec autant de filles qu’il y avait de chansons sur l’album. Douze hommes rapaillés, douze artistes, un poète, Gaston Miron, un compositeur, trois albums dont un symphonique, des dizaines de milliers d’albums vendus et l’admiration de tous. Et puis Babx, un artiste français, dans la foulée, a repris Je marche à toi de Miron, un morceau de 10 minutes. Une splendeur.
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Sur cet album, Cristal automatique #1, il reprend aussi Genet, Artaud, Aimé Césaire, Baudelaire, Rimbaud comme Ferré l’avait fait avant lui. Et Thomas Hellman, hyper doué de la chanson qui n’a jamais tourné que dans les radios étudiantes et à RadioCanada, a mis Roland Giguère en musique. Récemment, Sylvie Paquette a fait de même, et superbement, avec la poésie d’Anne Hébert. Son album Terre originelle est d’une telle qualité, d’une telle intelligence. Sans doute qu’on ne le trouvera pas en solde chez Costco ni dans le top 10 de Rouge FM, mais souvenons-nous que pendant que les Classels chantaient Avant de me dire adieu, Gilles Vigneault chantait Les gens de mon pays. Cet engouement pour la poésie d’une autre époque mise en musique par des artistes de notre temps me réjouit autant qu’il m’interroge. Steve Veilleux du populaire groupe Kaïn a créé un deuxième album solo intitulé T’en souviens-tu encore, Godin? Douze titres, dont Juin 1968, Cantouque testamentaire, Cantouque du retour, Jalousies, Libertés surveillées. Veilleux, inspiré par son père ouvrier à la fonderie, travaillait à l’élaboration d’un documentaire sur les conditions de travail de la classe ouvrière quand il s’est pris les pieds dans les vers de Godin. Le documentaire n’a pas vu le jour, mais en lieu et place les mots de Godin se sont retrouvés sur iTunes. Veilleux, contrairement à son habitude, n’escaladera pas les cimes des palmarès avec cet album-là.
Kaïn a vendu 350 000 albums en carrière, leur spectacle a été vu par un million de personnes et ils sont restés plus de 100 semaines au sommet des ventes francophones. Faire ce qui ne se fait pas. Voilà ce que la contrainte a inspiré à certains qui ne le regrettent pas. Le dernier en date est Alexandre Désilets, qui s’est offert un Windigo à 16 musiciens et deux choristes. Cet album enregistré en direct, dont le titre évoque une créature de la mythologie amérindienne, cannibale et maléfique, sorte de vide intérieur insatiable, nous permet de découvrir quelques-unes des chansons de Désilets magistralement réarrangées par François Richard, et de les entendre enfin comme Alexandre les entendait entre ses deux oreilles de génie. Imaginez les couches de bonheur. Jusque-là, il n’en avait pas eu les moyens. Là, il ne les avait toujours pas, mais il fallait oser, parce que quand on n’a rien à perdre, on a tout à gagner. Et Alexandre a gagné. Il a remporté le plaisir du créateur, les éloges des critiques et la palme de l’audace. J’ai lu un jour cette maxime que je me répète sans cesse: Pourquoi choisir quand on peut tout avoir. Avec les années, j’ai bonifié la question par une affirmation: À défaut d’ajouter des jours à la vie, ajoutez de la vie aux jours. y TITRE À ÉCOUTER: PLUS QU’IL N’EN FAUT, alexanDre Désilets, De l’albuM WinDigo
TRAIN SONGS Sortie : 10 Juin 2016 TRAIN SONGS
Festival international de jazz de Montreal 2016 Déambulatoire du 29 juin au 9 juillet Événement spécial SiriusXM, Scène TD, le 9 juillet
westtrainz.com
Escale à Québec! Festival d’été de Québec 2016 les 14 & 15 juillet
Parole reine au théâtre, KING DAVE a été un succèssurPrise en 2005 à cause de sa langue crue et son rythme fou. au cinéma 11 ans Plus tard, c’est un Plan-séquence vertigineux réalisé Par Podz et mettant toujours en vedette l’auteur et acteur alexandre goyette. un aboutissement. MOTS | PHILIPPE COUTURE PHOTO | SIMON DUHAMEL (CONSULAT)
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ave, c’est le voisin qui prend le mauvais chemin, l’ami qui prend une dérape, le cousin qu’on observe dériver sans trop comprendre comment il s’est autant mis les pieds dans les plats. Un jeune homme au fond bien vulnérable, qui cache sa sensibilité derrière un tempérament agressif et qui se trouvera propulsé sans trop le vouloir dans un engrenage de violence urbaine et de criminalité. Dave, c’est le personnage qu’a inventé Alexandre Goyette il y a maintenant 13 ans, âgé de 25 ans, mais s’inspirant de son adolescence et de celle des autres ados compulsifs qui l’entouraient jadis. «Je puisais directement en moi», nous confiait-il en 2013 au moment de reprendre le spectacle pour une nouvelle tournée québécoise. «Ce texte-là est né d’une impulsion, d’un désir très fort de raconter la violence urbaine et de donner une théâtralité à la langue adolescente de Dave. C’est un bon gars qui se retrouve pris dans une criminalité qui le dépasse. Ça aurait pu m’arriver pendant mon adolescence, même si ce n’est pas une autofiction.» Onde de choc sur la petite scène du Prospero, puis lauréat des Masques du texte original et de l’interprétation masculine en 2005, King Dave a été vu dans presque toutes les régions du Québec pendant cinq années consécutives. Un succès de tournée plutôt rare dans notre écosystème théâtral hypercentralisé à Montréal et Québec. «Je porte ce personnage avec moi depuis bientôt 15 ans et je le trouve encore aussi éloquent: il m’a permis d’inventer un récit très efficace. Je ne dis pas ça par vantardise, parce que j’ai été le premier surpris du succès de la pièce, mais je suis obligé de constater que King Dave vieillit bien, que ça reste une foutue bonne histoire, un récit bien campé, efficace, qui marche. C’est l’histoire d’un gars qui perd pied, qui s’enfonce dans une situation inextricable même s’il avait pourtant de bonnes bases dans la vie; l’histoire d’un gars qui prend le mauvais chemin comme le font tant de gens; l’histoire d’un gars qui ne sait pas comment devenir adulte comme tant de jeunes hommes. Pour toutes ces raisons, c’est un récit qui continue de résonner.»
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PHOTO | YAN TURCOTTE
Entre deux chaises Quand Podz l’a approché pour en faire un film, Goyette a saisi l’occasion de faire écho aux commentaires de nombreux spectateurs qui voyaient dans sa pièce quelque chose d’éminemment «cinématographique». C’était dû au rythme, aux ellipses dont le monologue était façonné, à l’impression de montage cinématographique qui se dégageait à mesure que Goyette évoquait un personnage secondaire ou un souvenir, un déplacement fugace d’un lieu à l’autre, un dialogue hyperréaliste dans une langue particulièrement vernaculaire. Mais le film, pourtant, cultive une forte théâtralité, conservant du monologue initial sa forte adresse au public. Dans son plan-séquence de 91 minutes réalisé sur un trajet de 9 kilomètres dans plus de 20 lieux de tournage, le réalisateur a souvent choisi de faire parler son personnage directement à la caméra, le film jonglant constamment avec deux registres de jeu. «C’est une forme déroutante qu’on ne voit pas très souvent au cinéma, pense Goyette, mais nous l’assumons pleinement parce que, pour nous, il n’y avait pas d’autre moyen d’y arriver. C’est Podz qui a insisté; il a voulu honorer la parole
de Dave, qui a un rythme particulier et qu’il a eu envie d’accompagner par une caméra fluide et rythmée. Mais c’est vrai que ça m’a demandé un niveau de jeu très particulier. On n’est pas au théâtre, pas à la télé, ni au cinéma, mais quelque part entre les deux, le cul entre deux chaises, mais contents d’être dans ce vertige. Il a fallu que je me réinvente comme acteur.» Émotif, le comédien choisit des mots forts pour parler de son aventure devant la caméra en temps réel. Il y eut cinq jours de tournage, cinq prises (la cinquième fut d’ailleurs la bonne), et un sentiment de faire quelque chose de complètement neuf et grisant. «Une expérience incroyable et unique», répétera-t-il quelques fois pendant l’entrevue. «C’est un plan-séquence et, bien qu’il arrive après Birdman, d’Iñárritu, il est issu d’une pièce de théâtre et en conserve de fortes traces tout en embrassant le cinéma fortement. J’ai l’impression qu’on a inventé quelque chose. Je sais que ce film ne laissera personne indifférent, et c’est ce qui m’importe le plus.»
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Un ballet technique Techniquement, en effet, le projet était démesuré. King Dave, c’est un parcours dans la ville, un ballet technique réalisé en grande partie dans des lieux extérieurs, en plein tissu urbain, mais aussi dans des décors qui bougent et se refaçonnent entre deux mouvements de caméra. «Par exemple, le premier plan est dans une maison, une vraie, puis Dave sort et on le revoit vite dans son appartement, qui est en fait un décor construit dans la cour de cette maison, puis Dave sort dans la rue, entre dans des vrais bars, mais aussi dans des décors construits un peu partout dans le parcours, qui sont parfois modifiés et remodelés par des techniciens. C’était toute une logistique!» King Dave avait été écrit d’une seule coulée, sans trop réfléchir, dans le pur instinct. Le film aura nécessité un tout autre traitement, mais, dans le caractère à la fois hachuré et fluide du plan-séquence, il garde son souffle initial. Le comédien est fier du résultat. «Serein, dit-il, et excité de partager le film avec un vaste public.» y
«je Porte ce Personnage avec moi dePuis bientôt 15 ans et je le trouve encore aussi éloquent: il m’a Permis d’inventer un récit très efficace.»
En salle le 15 juillet partout au Québec.
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l’art du western québécois le cinéma de genre n’est Pas l’affaire des québécois, dit-on. c’est de moins en moins vrai. aPrès le succès de TURBO KID l’an dernier, le festival fantasia mise entre autres cet été sur FEUILLES MORTES, un western Post-aPocalyPtique rural tourné à québec Par un trio de réalisateurs aguerris, qui sera d’emblée disPonible en vsd Pour les cinéPhiles de toute la Province. MOTS | PHILIPPE COUTURE
On les connaît notamment comme membres du collectif Phylactère Cola, qui avaient brillamment fait le pont entre la BD et la télé au début des années 2000 sur les ondes de Télé-Québec. Mais Edouard Tremblay, Carnior (alias Steve Landry) et Thierry Bouffard sont aussi des cinéastes qui se sont fait les dents en court métrage et en publicité: trois réalisateurs bien enracinés dans la ville de Québec et habitués de travailler ensemble sur différents plateaux. Ceci explique cela: ils n’ont pas hésité à s’unir pour réaliser ensemble leur premier long métrage, construisant chacun un bout de scénario et réalisant leur film en trois chapitres unis par une même cohérence stylistique et scénaristique. Feuilles mortes imagine un Québec décimé par une crise économique et sociale sans précédent, une province assombrie et redevenue rurale et sauvage. Un monde où l’homme doit défendre son avoir et son territoire de manière souvent rude, utilisant fusils de chasse et bas instincts pour ce faire. Bref, un western. «Au Québec, disent-ils, on ne tourne pas vraiment de westerns, mais pourtant on a un gros bagage de récits folkloriques et de légendes qui mettent en scène le coureur des bois. La figure du chasseur, de l’homme de la forêt, fait puissamment partie de notre imaginaire collectif. C’est en s’appuyant sur cette idée qu’on a eu envie de faire ce film. Mais il faut l’avouer, c’est aussi parce qu’on est des gros fans de films de genre de toutes sortes, à commencer par Robocop et Mad Max, qui ont nourri notre imaginaire d’hommes de la génération X qui ont grandi dans les années 1980.» Et pour cause. Edouard et Carnior ont aussi organisé à Québec pendant quelques glorieuses années le
festival Vitesse lumière, petit frère de Fantasia qui faisait rayonner la science-fiction, l’horreur et le cinéma fantastique dans la Vieille Capitale. Comme cinéastes, on les sent prêts, d’ailleurs, à oser bientôt le fantastique ou le psychotronique. «Mais, précise le producteur Charles Gaudreau, le western post-apocalyptique leur a semblé le meilleur filon pour un premier film à très petit budget (250 000$ au total), en raison de son ancrage dans le réel.» En quête de soi Dans le Québec désœuvré qu’ils ont inventé se dessinent les quêtes de trois personnages. Il y a Bob (Roy Dupuis), le loup solitaire qui ne laisse personne faire dévier sa route. Il y a Léon (Philippe Racine), le dévoué compagnon du chef d’une bande de «charognards». Et il y a Marianne (Noémie O’Farrell), la femme blessée et abandonnée qui cherche refuge dans le village où vit sa tante. «Quand on écrit, on parle de ce qu’on connaît, dit Carnior. Le personnage de Bob est vaguement inspiré de recherches que j’ai faites sur ma propre famille et mes ancêtres, qui ont été coureurs des bois et qui avaient des origines métisses. Y a de ce genre de folklore dans notre film de manière assumée: Bob porte notamment la ceinture fléchée et on a eu un plaisir à fouiller la vraie signification de ce symbole riche, qui est aujourd’hui strictement associé au Carnaval de Québec, de manière vraiment réductrice. J’ai notamment réalisé ces recherches avec un ami qui enseigne la culture autochtone.» C’est ainsi un western aux textures très locales – une volonté forte des réalisateurs de raconter le Québec d’antan, mais aussi le Québec d’ici maintenant.
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«Ce n’est pas un film pamphlétaire, dit Edouard Tremblay, mais en tant qu’artistes, on ne peut pas s’empêcher de porter un regard sur ce qui nous entoure. C’est certain qu’en imaginant un monde rural et sauvage, sans lois, on dépeint un Québec qui va mal, qui n’a plus de structures sociales fortes. On est dans une ère du temps où les cinéastes sont pessimistes, où tout est précaire: ce n’est pas innocent, c’est une expression d’une inquiétude réelle par rapport à notre société. Sur le tournage, tout le monde avait l’impression que notre film n’est pas si loin que ça d’une réalité possible.»
atours inquiétants (au moins autant que les basfonds de l’humanité explorés par le film). Une photographie grisâtre et brumeuse, dans une atmosphère anxiogène et tendue. «Dans le temps de nos grands-parents, expliquent les gars, l’hiver était un vrai enjeu; il y avait une vraie notion de survie. Alors on a choisi l’automne parce qu’on voulait sentir que l’hiver arrive, créer une tension par rapport à cet hiver qui est sur le point de se manifester et qui génère une grande inquiétude dans un contexte extrême de survie. Pis l’automne à Québec, c’est beau!»
«Mais, précise Carnior, on n’est pas des évangélistes ni des alarmistes: on voulait surtout s’éclater dans un genre cinématographique trippant. N’empêche que le film d’anticipation reste une bonne manière de réfléchir à notre monde, à l’idée notamment qu’on est une société qui manque de ciment social, qui n’a plus de collectif. Tout le long du film, c’est du chacun pour soi. On montre l’humain dans son plus vil. Mais y a quand même une note d’espoir dans ce film, vous verrez.»
Tourner des longs métrages à Québec, d’ailleurs, avec des équipes 100% locales, c’est possible et de plus en plus fréquent. «Il s’en tournait trois en même temps cet automne-là», précise Edouard Tremblay, non sans une once de fierté. Et comme à Québec on ne fait jamais les choses comme tout le monde, la production a aussi fait le pari d’abandonner la sortie du film en salle pour l’offrir directement en VSD, tout de suite après la première à Fantasia. En pleine crise de la diffusion du cinéma québécois, alors que tout le monde cherche de nouvelles manières de faire, l’équipe de Feuilles mortes espère toucher un vaste public directement sur le web et sur les diverses plateformes de vidéo sur demande, ainsi que sur Super Écran. Qu’il en soit ainsi. y
Tension, angoisse et grisaille Tourné au cœur de l’automne québécois, Feuilles mortes offre un regard sur une nature sauvage aux
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normand baillargeon PRISE DE TÊTE
les inégalités Dans Le Capital au XXIe siècle, un ouvrage publié en 2014, Thomas Piketty montrait que dans nos sociétés, depuis des décennies, r > g, par quoi il faut comprendre que le taux de rendement du capital (r) est supérieur à celui de la croissance de l’économie (g). Ce qui s’ensuit est notamment un important accroissement des inégalités. De ce point de vue, les Trente Glorieuses (1945-1975) de la redistribution de la richesse, de l’État keynésien et de la constitution d’une véritable classe moyenne auraient été une exception, une sorte d’accident rendu possible, entre autres, par les effets des deux guerres qui les ont précédées. Le phénomène vaut bien entendu aussi pour le Québec, selon des modalités qui lui sont propres et qui tiennent notamment à son histoire et à sa culture. Mais le fait est que chez nous aussi, les inégalités s’accroissent, de manière importante. «Depuis le début des années 80, soutient un rapport de la CSQ, la part des revenus bruts (revenus de marché) que le 1% des contribuables les plus riches accaparent est passée de 7% des revenus globaux à 11,6%[1].» La thèse de Piketty a suscité de vifs débats, en particulier à propos de la mesure des inégalités, un sujet complexe. Mais il y a dans toute cette question des inégalités économiques une importante dimension normative. En un mot, il s’agit de dire pourquoi certaines de ces inégalités, et pas d’autres, sont justes et acceptables. Diverses postures philosophiques (socialisme, libertarianisme, libéralisme, anarchisme, par exemple) parviennent alors à des positions très différentes. Mais que pensent les Québécois? Le point de vue des Québécois Pour le savoir, l’Institut Broadbent s’est livré en 2014 à un intéressant et instructif petit exercice en trois moments. On commence par un sondage dans lequel on demande aux gens ce que serait une distribution équitable de la richesse dans une société idéale.
En gros, les sondés souhaitent une classe moyenne comprenant quelque 60% de la population et détenant 60% de la richesse; il y a bien dans cette société une classe de riches, comprenant 20% de la population, mais ses membres ne possèdent pas plus de quelque trois fois ce qu’ont les moins bien nantis des plus pauvres. Il y a donc des inégalités dans ce scénario, mais elles ne sont pas très grandes. On demande ensuite aux sondés de décrire ce qu’ils pensaient être la vraie distribution de la richesse dans leur société. Les gens soupçonnent que les faits s’éloignent de leur scénario idéal. Une classe moyenne existe encore, croient-ils; mais les plus riches possèdent cette fois 10 fois plus que les 20% les plus pauvres et accaparent quelque 50% de la richesse. Mais, malgré ces importantes inégalités, on a encore une certaine équité. Pour finir, on leur a ensuite montré comment, en réalité (en 2012), la richesse est réellement distribuée chez eux. Les inégalités sont immenses et bien plus grandes que les sondés le pensaient. «En fait, résume-t-on, les 20% les plus riches détiennent plus des deux tiers (67,4%) de la richesse, alors que les 20% les plus pauvres ne possèdent rien du tout.» Cela se traduit et s’explique en partie, comme le rappelle une étude de l’Institut du Nouveau Monde, par «la part grandissante, dans le revenu total des individus, des dividendes corporatifs et gains de capital, qui sont l’apanage d’une tranche très mince des populations; par les écarts grandissants des salaires les plus bas par rapport aux salaires les plus hauts; et par la perte d’efficacité des mécanismes redistributifs assurés par les États-providence.» Inégalités et démocratie Je suggère qu’il y a beaucoup de sagesse dans cet attachement du public à une certaine égalité et bien des motifs de s’inquiéter d’inégalités aussi importantes.
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C’est qu’une véritable vie démocratique ne peut tolérer de trop grandes inégalités. L’observation remonte à Aristote, qui avançait que si vous avez de telles inégalités, il vient un moment où, à proportion, vous n’avez plus de substantielle démocratie. Il y a d’excellentes raisons à cela. Une démocratie, si on entend comme on le devrait plus qu’une société où on élit ses dirigeants, est avant tout un mode de vie associatif, pour reprendre les mots de John Dewey: ce mode de vie suppose que les gens échangent, se rencontrent et partagent des intérêts communs, qui les unissent. Faute de tout cela, la démocratie n’est pas substantielle et on peut observer ici même au Québec ce qui se produit quand elle est menacée par les inégalités. Les mieux nantis sont en mesure d’influencer (voire d’accaparer) les processus politiques et juridiques et, en bout de piste, leurs intérêts sont servis avec empressement, tandis que ceux des autres sont moins bien servis, voire ignorés entièrement; les médias, de même, appartiennent largement aux mêmes gens et contribuent au façonnement de l’opinion publique dans un sens favorable aux intérêts de leurs propriétaires et de leurs semblables.
Spectacle de cirque extérieur gratuit
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«les mieux nantis sont en mesure d’influencer les Processus Politiques et juridiques et, en bout de Piste, leurs intérêts sont servis avec emPresse ment.» Ces gens ont, en effet, entre eux, des intérêts communs consciemment partagés, qui souvent ne coïncident pas avec ceux des autres membres de la société. Ils échangent à leur propos entre eux et avec leurs semblables des autres pays, parfois même derrière des portes closes, où sont conclues des ententes à l’écart du reste du monde, qui n’en entend parler qu’au moment où elles sont ratifiées par des gouvernements qui sont eux-mêmes, en grande partie, des représentants de ceux qu’on appelle, non sans raison, le 1%. Observez le Québec tel qu’il est en ayant tout cela en tête: bien des choses jusque-là difficilement compréhensibles prennent soudainement un sens et deviennent très inquiétantes.
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Et on comprend alors la tentation de dire, inquiet, que nous vivons dans ce qui ressemble de plus en plus, et beaucoup trop, à une oligarchie… y [1] CSQ, «Coup d’œil sur les inégalités de revenus au Québec», p. 1. http://goo.gl/8d4Eg5
Du mardi au dimanche
ville.quebec.qc.ca/cirque #spectaclecrepuscule
En cEttE saison EstivalE où la routE Est bonnE, nous avons sondé quElquEs musiciEns ainsi qu’un tEchniciEn dE scènE afin d’En apprEndrE plus sur lEs réalités dE la viE dE tournéE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTO | BEATRICE FLYNN
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«J’adore le moment où on vient me chercher devant chez nous, que je rentre mes trucs dans la camionnette et qu’on part.» Safia Nolin en est à sa première grande année de vie de tournée. Après la sortie de son premier album chez Bonsound en septembre 2015, les concerts en compagnie de son guitariste Joseph Marchand se sont multipliés. Bien des artistes québécois comme Safia passent une bonne partie de leur carrière à se déplacer pour faire la rencontre des publics en concert.
LES SOEURS BOULAY
«Ce week-end, je m’en vais à Tadoussac, et je me rappelle que c’était le premier concert que je faisais sur la route en tant que chanteur, en 2001. Ça fait 15 ans, le temps passe!», nous raconte Dumas, qui a cumulé environ 1200 spectacles en carrière, majoritairement au Québec. «J’avais 21 ans. J’avais jamais vraiment voyagé au Québec, donc à chaque fois c’était de la nouveauté: la Gaspésie, le Lac-Saint-Jean, etc. C’était la première fois que je voyais ces lieux-là. Quand j’ai fait l’album Le cours des jours, j’ai pratiquement fait deux tournées de suite, en band puis en solo. Je suis allé à Fermont, à Yellowknife, partout... des places où j’aurais pas eu le réflexe d’aller sans la musique», dit-il. Chaque tournée est différente: le rythme et le parcours sont propres à chacune. Au Québec, puisque les diffuseurs proposent surtout des concerts les week-ends, un cycle se produit: l’artiste est sur la route pendant quelques jours, puis revient à la maison, puis repart quelques jours plus tard. Il y a aussi de plus longues tournées d’environ 10 dates (ou deux semaines) lorsque les artistes québécois prennent part au Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est du Québec (ROSEQ), par exemple. Quand la tournée mène un peu plus loin, comme aux États-Unis ou en Europe, un groupe peut maximiser son temps à l’extérieur et faire plusieurs spectacles pendant quelques semaines consécutives, puis revenir à la maison, comme c’est le cas pour le trio rock montréalais Solids. Et, parlant de tournée, il ne faut pas oublier ces gens qui en vivent,
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O1 DUMAS, PHOTO | JIMMI FRANCOEUR O2 SAFIA NOLIN EN TOURNÉE O3 SAFIA NOLIN EN TOURNÉE
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les guerriers dans l’ombre: les techniciens de scène. Patrick «Frenchie» Ouimet, qui est technicien à la batterie pour le groupe islandais Of Monsters and Men ainsi qu’Arcade Fire, dit être sur la route de 9 à 10 mois par année. Les hauts et les bas Le rythme d’une tournée est appelé à changer d’année en année. Parfois, c’est nécessaire de ralentir. Solids nous dit prévoir passer de 150-200 concerts à 100 cette année, et Stéphanie Boulay nous explique que le groupe qu’elle forme avec sa cadette Mélanie, Les Sœurs Boulay, est passé d’un maximum de six concerts par semaine à quatre, après deux années particulièrement chargées en 2013 et 2014. «On a coupé le kilométrage et ça change beaucoup la donne. On a moins de shows, donc on arrive vrai-
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De son côté, Stéphanie Boulay y trouve son bonheur dans ce genre d’horaire. «Aujourd’hui, tout le monde est au bureau et moi j’ai pas de show, donc je suis libre comme l’air. Je peux pas vivre avec la routine. Donc, de ne pas en avoir, c’est super précieux. La tournée, c’est des hauts et des bas d’adrénaline qui, personnellement, me rendent bien dans ma vie. Le fait d’avoir parfois du stress, des relâchements, des grosses vagues d’amour et des moments plus solitaires, pour moi, c’est l’équilibre parfait. J’adore faire de la route.» Tourisme express Le goût de la route se développe vite chez les artistes puisqu’elle apporte son lot de découvertes et d’aventures. «À L’Anse-Saint-Jean, j’ai pêché. Tsé, c’est malade!», lance Safia Nolin. Après 15 ans de vie de
«J’essaie de faire une sieste. POur beaucOuP de musiciens, la “POwer naP” de 20 minutes, c’est tOuJOurs gagnant. Ça dOnne un bOOst. J’avais lu la biOgraPhie de JOhnny cash et il disait qu’il faisait tOuJOurs une Petite sieste Parce que Ça ramenait sa vOix. Je sais Pas si c’est vrai, mais J’essaie de faire Ça.» dumas
ment à savourer la tournée, nous dit-elle au bout du fil. Chaque fois qu’on joue, on est vraiment contents d’être là et de voir l’équipe et le public.» Si Safia Nolin tripe à partir en tournée, elle explique toutefois que ces allers et retours peuvent créer des hauts et des bas. «Tu pars cinq jours, disons, et tu t’habitues à être sur la route, et tu reviens en ville et t’as un down. Moi, mes downs sont extrêmes, parce que je ne suis jamais grise. Quand je suis revenue d’une tournée de 10 jours avec Louis-Jean Cormier, je trouvais ça vraiment difficile parce qu’il faut que tu te réhabitues à revenir chez toi. Et le moment où tu te réhabitues à vivre tout seul chez toi, il faut que tu repartes. C’est de la merde, mais c’est hot. Quand je suis chez moi, j’aime vraiment ça, et quand je suis en tournée, j’aime ça aussi, mais y a un entre-deux que j’haïs.»
tournée, Dumas estime que c’est difficile de s’en passer. «C’est comme un muscle. J’arrête jamais trop longtemps de faire des shows parce que j’ai peur que quand je recommence, mon aisance sur scène ne revienne plus.» Pour Solids, souvent en tournée d’environ un mois hors du pays, et pratiquement sans répit, «l’adrénaline prend le dessus assez vite et ça nous permet de garder un certain momentum», explique le chanteur et guitariste Xavier Germain Poitras. «Les congés – même si on les apprécie toujours quand on en a –, c’est souvent plus propice aux dérapages, donc on en sort souvent encore plus fatigués que la veille.» «Il y a beaucoup de frais inhérents au fait de tourner à l’étranger (permis de travail, billets d’avion, location d’équipement notamment), explique le guita-
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riste du groupe Guillaume Chiasson. L’idée est de faire le plus de spectacles possible pour amortir ces frais.» Rejoint en Europe, le trio nous assure toutefois qu’il y a des journées de repos. «Quand on tourne en Europe, par exemple, on se garde toujours quelques jours au début du voyage pour casser le décalage horaire, et d’autres à la fin pour décompresser un peu; sur cette tournée-ci, on a pu passer du temps à Bordeaux avant de partir et on finit ça à Prague dans une semaine. La dernière fois, c’était Amsterdam et Barcelone; ça pourrait être pire.» Dans la majeure partie des cas, le résumé d’une journée de tournée va ainsi: route, test de son, souper, spectacle. «Quand la distance à parcourir est pas trop intense ou qu’on ne se lève pas trop tard, on peut se permettre de rajouter un peu de tourisme ou du flânage dans tout ça», dit Xavier. Tous les groupes
«Quand je vais à Chicoutimi, je vais toujours chez le même disquaire, un monsieur qui vend des disques dans le sous-sol de la Tabagie CM, confie Dumas. L’Étape est aussi un grand classique universel dans le parc des Laurentides. J’arrête toujours à l’hôtel La Ferme de Baie-Saint-Paul. Le Québec a tellement changé en 15 ans. Aujourd’hui, tu manges bien partout. En tournée, on a beaucoup de spots culinaires! La tournée a changé aussi. Y a plus de lieux de diffusion pour la relève qui commence. Y a plus de jeunes dynamiques qui lancent des brasseries. Pis c’est sûr que dans les lieux incontournables, en tournée, y a quelques brasseries!» S’activer vs party Pour Patrick «Frenchie» Ouimet, qui dit avoir visité 68 pays en 14 ans de carrière, il est possible de faire un deux en un en jumelant le tourisme express à
«Je me suis rendu cOmPte que J’étais allée 10 fOis à rOuyn dans ma vie, mais que Je savais même Pas cOmment me diriger dans la ville Parce que J’avais tOuJOurs quelqu’un qui me cOnduisait et qu’On ne vOyait que le circuit Jusqu’à la salle. c’est cOOl, mais y a ben des Places Où Je retOurnerais POur mOn fun et J’aurais une exPérience tOtalement différente.» stéPhanie bOulay
et artistes questionnés pour ce dossier disent ne pas avoir beaucoup de temps pour visiter les villes en tournée. C’est du tourisme express, nous confirme Dumas, alors que Guillaume Chiasson nous dit qu’il y a une multiplication de petits moments d’attente en tournée (attendre le soundcheck, attendre dans la van, etc.), ce qui rend le tourisme moins évident. «L’année passée, je suis allée à Rouyn pour le FME, mais comme spectatrice, nous dit Stéphanie Boulay. Je me suis rendu compte que j’étais allée 10 fois à Rouyn dans ma vie, mais que je savais même pas comment me diriger dans la ville parce que j’avais toujours quelqu’un qui me conduisait et qu’on ne voyait que le circuit jusqu’à la salle. C’est cool, mais y a ben des places où je retournerais pour mon fun et j’aurais une expérience totalement différente.» Au Québec, quand les artistes ont plus d’expérience de tournée, ils peuvent développer leurs repères. Ces lieux permettent aux musiciens loin de la maison de retrouver sur la route quelque chose de familier.
l’activité physique. «À chaque journée de congé, je cours entre 5 et 15 kilomètres. C’est un moyen extraordinaire de visiter une ville et de me tenir en forme physiquement et mentalement sur la route.» Même son de cloche pour Dumas qui dit avoir entrepris la course il y a quelques années. «Quand j’ai plusieurs shows, j’essaie d’aller courir tous les jours.» Du côté de Solids, c’est un peu de course pour Xavier et un peu de yoga pour le batteur Louis Guillemette quand le temps le permet. «Les journées se ressemblent énormément en tournée, mais en même temps, on essaie de se planifier des activités ou bien, entre le soundcheck et le show, d’aller se lancer la balle ou aller au go-kart», ajoute Stéphanie Boulay. Et est-ce que ces artistes sont sages ou sur le party en tournée? «On essaie de faire une balance entre les deux, mais c’est certain qu’on se retrouve souvent sur le party “malgré nous”!, dit Xavier Germain Poitras. J’imagine que ça fait partie du deal.»
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Son collègue Guillaume Chiasson rétorque: «Notre santé nous fait généralement signe lorsqu’il est temps d’être plus sages.» Alors que Safia Nolin dit être la personne la moins sur le party mais aimer veiller tard, son amie Stéphanie Boulay dit s’être assagie entre les deux tournées des Sœurs Boulay. «C’est arrivé à nouveau quelques fois de se péter la face et d’être wild, mais se lever scrap pour faire un spectacle et ne pas avoir dormi et avoir une journée de marde... on essaie de pas trop le faire. Pour la tournée de notre premier album, on était un peu invincibles et on avait envie de profiter de la vie. On pensait pas trop à ça, mais on s’est rendu compte que justement, c’est là que le fun arrêtait d’arriver, quand on était trop lendemain de veille pour en profiter et donner un bon show.» «Frenchie», lui, a déjà été fêtard, mais son métier lui tient trop à cœur pour gâcher un concert. «Il y a
100 000 personnes qui regardent le show, le batteur a besoin de moi et je m’endors car j’ai trop fêté hier? Non, je ne me permettrais pas de faire cette erreur. Je suis très chanceux d’être où je suis maintenant et j’ai besoin de tout mon corps et ma tête pour bien effectuer mon travail. Mais je prends encore une bière avec les techniciens et le groupe de temps en temps.» L’horaire Souvent, la bière est bien méritée puisque les journées peuvent être épuisantes pour les musiciens et les techniciens en tournée. Lorsqu’on regarde un exemple d’horaire de Dumas avec lui sur son cellulaire, le groupe bouge dès 8h30 et ne terminera sa journée qu’à 23h après le concert. «J’essaie de faire une sieste dans ce temps-là. Pour beaucoup de musiciens, la “power nap” de 20 minutes, c’est toujours gagnant. Ça donne un boost. J’avais lu la biographie de Johnny Cash et il disait qu’il faisait
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> toujours une petite sieste parce que ça ramenait sa voix. Je sais pas si c’est vrai, mais j’essaie de faire ça.» Les Sœurs Boulay voyagent actuellement avec trois techniciens de scène et un musicien. Si un concert est à moins d’une heure et demie de Montréal – à Saint-Jeansur-Richelieu, par exemple –, les techniciens remplissent le camion de tournée et partent vers 10h30 pour se rendre à la salle à midi. «Ils font le montage de la scène et des décors jusqu’à 15h30, précise Stéphanie. On arrive ensuite et on fait le test de son jusqu’à 17h environ. On va manger jusqu’à 19h. Souvent, ma sœur et moi regardons ensemble une dernière fois notre plan de match pour le concert. On se maquille, on joue. Après le show, on signe des autographes. On sort de là entre 23h et minuit. C’est des longues journées, surtout pour les techniciens qui font parfois 12 heures.» Patrick «Frenchie» Ouimet confirme que pour les tournées à grand déploiement sur lesquelles il travaille, il faut être dévoué à son travail parce que l’horaire peut être intense. Pour un concert en salle, il commence sa journée à 11h et termine en fin de soirée. En mode festivals, il se lève avant le soleil. «Dans ces cas-là, nous devons monter la scène avant l’ouverture de l’événement, car nous sommes en tête d’affiche donc nous prenons beaucoup de place. J’arrive vers 5h. Les techniciens vidéo, du son et de l’éclairage font leur travail et la scène est montée par nos charpentiers. Ensuite, c’est l’installation des instruments.» S’ensuit un test avec les micros et les haut-parleurs et Patrick peut profiter de sa journée avant de revenir sur scène vers 19h pour tout remettre en place pour le concert. Les précieux
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Les tournées de la plupart des artistes québécois sont à bien plus petite échelle, mais le sentiment est le même: ça doit être agréable et vrai avec les gens qui accompagnent les artistes en tournée. «Tu passes tellement de temps avec ces gens-là, dit Safia Nolin. Des fois, avec mon guitariste Joseph, on se voit pendant quatre jours de suite, 24 heures sur 24, sauf quand il est aux toilettes. T’as intérêt à bien t’entendre avec eux!»
DE HAUT EN BAS
L’aide de techniciens comme Patrick est précieuse en tournée. La relation entre chanteurs et musiciens accompagnateurs ou techniciens se doit d’être tout en confiance et le respect doit être mutuel. «Les artistes m’engagent car ils veulent pouvoir jouer sans avoir à se soucier de rien. Je suis là pour leur donner confiance, un sourire, bien faire sonner la batterie, et qu’ils profitent de leur spectacle autant que moi!» Et il ajoute que les liens d’amitié peuvent rester forts. «Même si je ne travaille plus avec Simple Plan, on se parle encore, ils m’invitent à leurs mariages. Arcade Fire m’invite à ses fêtes, je passe même Noël avec eux!»
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«La dernière grosse période de shows qu’on a faite dernièrement, c’était en revenant de Gaspésie, dit Stéphanie Boulay. Après beaucoup d’heures de route entre chaque concert, je me suis tournée vers tout le monde et j’ai dit: “Ostie, je vous haïs! Je vous aime, mais je vous haïs!» Et tout le monde comprenait ce que je voulais dire. On n’avait pas besoin de jouer de jeu ou se cacher, on était écœurés de se voir et on en riait.» Le «truck» Légaré Les musiciens et les techniciens passent deux heures sur scène ensemble chaque soir de concert, mais tellement plus de temps ensemble dans un camion. Ce camion est communément appelé dans le milieu «un Légaré». «Au Québec, je pense que la plupart des musiciens voyagent en van louée chez Légaré, dit Dumas. Y a de quoi que j’aime là-dedans: y a plein d’affaires qui ont changé en tournée, mais les Econoline ont jamais changé!» «Ce qui se dit dan’ van reste dan’ van», dit Dumas qui nous avoue tout de même être un irréfutable DJ de route! «C’est souvent moi qui mets la musique, je suis un peu stressant avec ça! Ça change la vague de la journée, mais aussi du show. Je suis convaincu que si t’es un bon DJ dans la van, le show le soir va être bon.» Si Safia Nolin prévient que faire de la tournée est un métier vraiment sédentaire – elle a eu des problèmes de hanche à force d’être dans la même position pendant des heures –, elle dit toutefois trouver en ces camions Légaré une seconde maison. «J’aime vraiment les vans. Ça m’a marquée en Europe, alors qu’on a fait 7000 kilomètres en 3 jours. On dormait dans un hôtel différent tous les soirs, mais toutes nos choses restaient dans la van. On était tout le temps dans la van, je me suis mise à l’aimer! Je m’attache, c’est confortable.» Positif/Négatif Tous les musiciens questionnés pour ce dossier disent que la vie de tournée, aussi épuisante qu’elle puisse être, apporte surtout du positif. «C’est certain qu’après quelques milliers de kilomètres et plusieurs semaines de nuits de sommeil de quatre ou cinq heures, on devient un peu exténués, affirme Xavier Germain Poitras. Mais évidemment, tout le reste fait que ça en vaut la peine; les rencontres qu’on fait, les endroits que nos hôtes nous font découvrir dans chaque ville où on passe, les petites bières d’après-show qui se transforment en nuit blanche, etc. Au bout du compte, la fatigue, c’est vraiment pas cher payé pour tout ça.» «Y a presque pas de mauvais côtés à la tournée, à part s’ennuyer de chez soi et manquer des spectacles
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à Montréal», dit Safia Nolin qui, heureusement, pourra attraper Radiohead à Montréal ce mois-ci. Mais pour les relations amoureuses et la vie de famille, la tournée représente son lot de sacrifices. «Frenchie», qui n’est à la maison que quelques semaines par année, en sait quelque chose. «C’est difficile, mais maintenant avec Skype, FaceTime et les textos, c’est plus accessible de parler à ma copine. Il y a une dizaine d’années, il fallait acheter des cartes d’appel et trouver une cabine téléphonique, sinon les factures de cellulaire pouvaient facilement dépasser les 1000$. Aujourd’hui, il faut apprendre à s’exprimer différemment afin de développer une chimie et une complicité parce que la personne n’est pas à côté de toi au quotidien. J’ai la chance d’avoir une blonde super indépendante et très occupée, donc le temps passe vite. Et quand on se retrouve à la maison, j’ai tout mon temps pour elle.» «C’est difficile de bâtir des relations à long terme, parce qu’il faut trouver quelqu’un qui va accepter le fait que tu pars souvent, croit Stéphanie Boulay. Pour les femmes, au moment où t’as un enfant, t’as pas le choix de prendre une pause ou du moins de ralentir la cadence. Je suis pas rendue là du tout, mais j’y pense parce que je sais que je devrai planifier mes trucs en conséquence puisque c’est difficilement mariable.» Dumas, qui a un fils de quatre ans, explique qu’il y a des tournées plus intenses, en été, par exemple, mais que la tournée n’est pas une béquille à sa vie de famille. «Je suis parti parfois plus longtemps le week-end, mais le reste de la semaine, je suis souvent chez nous. J’ai la chance de pouvoir passer beaucoup de temps avec mon fils. Pour moi, c’est pas une contrainte. Ce métier au contraire me donne la chance de passer plus de temps en famille.» En début de carrière, il fut un temps où Dumas partait sur la route et ne savait pas s’il allait avoir un public. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il sait un peu plus à quoi s’attendre puisque les gens réagissent à ses publications. Mais hier comme aujourd’hui, il profite toujours autant de ces moments précieux que représentent la route et la tournée. «Avec les années, ce que j’ai appris, c’est qu’on faisait le party et on continue à le faire, mais je fais plus de course et j’essaie de rester plus en forme pour la tête parce que l’éloignement avec la famille, c’est plus compliqué que quand t’as 21 ans. Y a de quoi d’exotique de partir sur la route quand t’es jeune, et j’ai encore hâte de prendre la route et de voir ce qui va arriver. Il y aura toujours quelque chose d’aventurier là-dedans.» Si les routes changent et les habitudes des musiciens évoluent avec le temps, le bonheur de partir en tournée, lui, restera toujours aussi puissant. y
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mickaël bErgEron ROULETTE RUSSE
pauvrE poésiE Le 30 mai dernier, on apprenait que le Bureau des affaires poétiques (BAP) devait cesser ses activités en raison d’un manque de financement décent. Le 20 juin, on apprenait que la Ville de Québec allait éponger une partie des déficits des activités du Centre Vidéotron en envoyant un chèque de 730 000$ à Québecor. Les deux ne sont pas reliés, mais c’est choquant.
Le pire, c’est que le BAP n’est pas un organisme déficitaire et surendetté, mais un autre organisme culturel sous-financé, comme plein d’autres. Le navire est simplement victime de mauvaises conjonctures. La directrice artistique a accepté un nouveau défi ailleurs et la directrice administrative part pour un congé de maternité. Les deux départs simultanés font mal.
Au début, je voulais parler de poésie de manière positive. Je souhaitais saluer tout le travail qui a été fait depuis 2008, d’abord par Rhizome, qui a fait les premiers Mois de la Poésie, puis par l’équipe qui a piloté le Printemps des poètes et le festival. Je pensais ensuite souligner que la poésie ne mourra pas pour autant, grâce à des gens comme le Collectif Ramen, qui travaillent à la faire rayonner.
Les deux directrices étaient sous-payées, comme probablement les trois autres employés à temps partiel. Les heures travaillées versus les heures payées rendaient leur taux horaire ridicule. C’est avant tout leur passion et leur dévouement qui ont fait que le Mois de la Poésie, le festival de poésie printanier, n’a cessé de croître en renommée, en rayonnement et en retombées. Mais les budgets, eux, ne suivaient pas.
L’indécence de la situation avec le Centre Vidéotron me force à adopter un autre angle. Déjà, le principe de privatiser les profits et d’étatiser les déficits est discutable. Précisons toutefois qu’il n’y a aucune surprise ici, on savait déjà que la Ville de Québec allait assumer les pertes. C’est ça le plan de match depuis le début. On ne savait toutefois pas combien cela coûterait. 730 000$. Seulement pour les quatre premiers mois. C’est plus de trois fois le budget annuel du BAP. Cela dit, faisons comme si tout ça était normal. Partons de l’idée que les paliers gouvernementaux doivent soutenir la culture, le sport, les loisirs, etc., et que ce montant est le coût pour avoir une infrastructure comme le Centre Vidéotron. Pour survivre, le BAP est allé rencontrer le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et la Ville de Québec. Une rencontre de la dernière chance. Ils avaient besoin d’environ 50 000$ pour continuer, c’est-à-dire tripler leur budget pour les frais fixes. Rien à faire, aucun ne pouvait les aider.
Imaginez maintenant devoir remplacer deux directrices qui acceptent pendant des années de faire beaucoup de bénévolat autour de leur emploi pour que leur bébé grandisse. «Le salaire que l’on pouvait offrir a été un frein à l’embauche de notre remplaçante», admet Juliette Breton. Ajoutez à ça la perte d’une subvention de 15 000$ du Conseil des arts du Canada (CAC) en janvier. La fermeture de leur salle officielle, le Studio P, et la difficulté d’en trouver une autre aussi accommodante. Depuis janvier, le ciel s’assombrit pour le BAP, qui a donc décidé, à contrecœur, de cesser ses activités. Ironiquement, l’organisme venait de connaître sa plus grosse année. C’est une mort prématurée d’une adolescente en santé. Pourtant, le BAP n’a pas besoin d’une somme astronomique. 50 000$. À côté des 730 000$ pour les quatre premiers mois du Centre Vidéotron, c’est une pinotte. Je sais que les deux dossiers ne sont pas reliés, mais l’image est tellement forte.
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DU
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«pour cErtains, la capitalE dE la poésiE n’Est plus trois-rivièrEs ou montréal, mais québEc. il sE passE quElquE chosE ici.» Si on accepte de soutenir d’une manière aussi importante une compagnie privée qui gardera tous les profits (contrairement à ses dettes qu’elle partage), comment peuton refuser de soutenir un organisme qui réinvestit tout son budget dans la communauté? Si la Ville de Québec était aussi avenante avec le Bureau des affaires poétiques (ou les autres organismes culturels) qu’elle l’est avec Québecor, la pilule s’avalerait plus facilement. L’administration Labeaume aurait l’air cohérente. Première Ovation de la Ville de Québec est un beau programme qui subventionne les artistes de la relève de la région, mais il repose bien souvent sur l’expertise des organismes comme le BAP pour parrainer les projets financés. Où vont aller ces artistes pour en bénéficier si la Ville ne soutient pas ces organismes? Avec son Mois de la Poésie, le BAP a réussi à faire de Québec un carrefour important en poésie. «Des artistes de la poésie parlent maintenant de Québec, souligne Juliette Breton. Pour certains, la capitale de la poésie n’est plus Trois-Rivières ou Montréal, mais Québec. Il se passe quelque chose ici.» Ce n’est pas un rayonnement qui fait la une comme un spectacle de Metallica, mais c’est une rumeur qui se propage et qui crée un buzz qui dure plus que 48 heures. Parce que la communauté amoureuse des mots est active et grouillante, il se peut que le Mois de la Poésie revienne en mars prochain. Mais dans quelles conditions? Mené à bout de bras par des bénévoles qui devront recommencer à zéro? C’est un gaspillage d’énergie et une perte d’expertise. Mais surtout, c’est continuer à maintenir sous le seuil de la pauvreté une forme d’art qui est déjà marginalisée. Le BAP a encore deux projets à mener d’ici l’automne avant de fermer ses portes pour de bon. Il reste donc encore un peu de temps pour que la Ville de Québec sorte son chéquier comme il vient de le faire pour Québecor. On peut encore éviter ce gâchis. y
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(à gauche) Le grand Marché, iLLustration | LeMay Michaud – architectes (à droite) LA RENCONTRE, de cooke-sasseviLLe
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UN ÉTÉ CHAUD AU MARCHÉ PÉTITION, NÉGOCIATION, INCERTITUDE. AVANT D’ÊTRE SCELLÉ, LE DESTIN DU MARCHÉ DU VIEUX-PORT EST SUJET DE DISCORDES ET D’INQUIÉTUDES. L’ARRONDISSEMENT HISTORIQUE PERDRA-T-IL L’UN DE SES DERNIERS BASTIONS ALIMENTAIRES? Mots & photos | catherine genest
Retour en avril 2015. Labeaume et son équipe d’attachés de presse confirmaient que le Marché du Vieux-Port fermerait ses portes et déménagerait sur le site d’ExpoCité, à côté de ce cher (dans tous les sens du terme) Centre Vidéotron. Dès lors, c’est la panique. Une page Facebook se crée pour protester, une myriade de commentaires négatifs pullulent sur les réseaux sociaux. Changer d’endroit pour accommoder les automobilistes au profit des piétons? La déception gagne bon nombre de citadins alors qu’une majorité de banlieusards s’en réjouissent. Le débat est polarisé. Un an plus tard, presque jour pour jour, l’administration municipale dévoile les plans de ce qu’on appellera Le Grand Marché, un bâtiment lumineux pensé par la firme Lemay Michaud – architectes de quelques succursales Simons et de l’Hôtel Le Germain Charlevoix de Baie-Saint-Paul. Un projet estimé à 20 à 23 millions de dollars pour y aménager 20 kiosques permanents, une centaine d’étals saisonniers et 30 espaces commerciaux. La livraison est prévue pour 2018, mais un regroupement de citoyens (La Coalition du Marché du VieuxPort) a déjà déposé une pétition de 10 000 signatures au conseil de Ville. Pour calmer le jeu, la vice-présidente du comité exécutif Julie Lemieux évoquera l’idée d’aménager un marché satellite à l’emplacement actuel. Dès lors, une lueur d’espoir brille dans les yeux de ses opposants. Des arguments soulevés par les militants, il a cette peur de perdre un autre commerce de proximité dans ce secteur embourgeoisé au maximum. Un enjeu qui préoccupe l’architecte et designer urbain Érick Rivard, aussi animateur de l’émission Faire la ville sur
les ondes de MAtv: «C’est presque un désert alimentaire, le Vieux-Québec. [...] Avec la disparation de plein de petites épiceries qui n’ont pas fonctionné, le seul endroit où tu peux trouver des fruits, des légumes et du pain frais, c’est au marché.» Il y a aussi cette crainte de voir disparaître la clientèle touristique, cette manne qui afflue du terminal de croisières et des autocars stationnés à proximité. Bien qu’ouvert au changement, le restaurateur Christian Lemelin (Toast!, SSS) s’avoue un peu sceptique. «Pour eux, c’est facile d’accès, c’est proche, c’est un incontournable à Québec. Est-ce que les gens vont faire le détour [jusqu’au Grand Marché]? L’avenir nous le dira.» Repenser ExpoCité Avec le déménagement du marché, l’inauguration somme toute récente du Centre Vidéotron, la future place Jean-Béliveau et la mort provisoire (nous y reviendrons) d’Expo Québec, c’est un immense terrain qui est voué à une reconfiguration en profondeur. De là à en faire un pôle d’attraction urbain? Érick Rivard se fait critique. «On n’a pas encore vu de plan d’aménagement ou de développement autour de l’amphithéâtre. À vrai dire, on a seulement des morceaux: l’amphithéâtre, la place publique... Mais il n’y a pas de plan particulier d’urbanisme qui accompagne ça et qui pourrait nous monter qu’il pourrait y avoir de la densification autour de ce site-là.»
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Le hic, explique M. Rivard, c’est que ce lieu a toujours ÊtÊ le thÊâtre d’ÊvÊnements ÊphÊmères. Des concerts, oui, mais aussi des matchs de hockey et Expo QuÊbec qui y tenait ses activitÊs depuis 1892, jusqu’à ce que le maire l’enterre pour trois ans et propose de rÊÊvaluer la situation en 2019. Je crois qu’un marchÊ ne sera pas assez fort pour faire vivre le site de lui-même à longueur d’annÊe. C’est sÝr que ça va amener du va-et-vient, un mouvement, mais je pense qu’il faut voir beaucoup plus loin que ça et c’est ce que j’aime beaucoup dans le projet de Steve Fortier. [...] Si on veut que ça devienne un morceau de ville, il faut peut-être cesser de penser qu’il faut le dÊvelopper en termes de festivitÊs, de festivals. Justement, parlons-en de Steve Fortier. Élève d’Érick Rivard (qui enseigne aussi à l’UniversitÊ Laval) et finissant de la maÎtrise de l’École d’architecture, le nouveau diplômÊ a fait le buzz avec sa thèse, une proposition axÊe sur la rÊcupÊration du ColisÊe Pepsi. Une prise de position Êcologique qui a beaucoup circulÊ par l’entremise du site MonLimoilou.com puis, peu de temps après, sur les plateformes des mÊdias gÊnÊralistes et traditionnels de la Capitale. On a tendance à tenir les structures pour acquises à QuÊbec. J’essaie de dÊnoncer ça avec le vieux ColisÊe, justement. Il a marquÊ la mÊmoire collective de la ville de QuÊbec et probablement même au-delà . Juste ça, ça devrait avoir un poids assez suffisant pour le sauvegarder. Construit en seulement neuf mois et sous la gouverne du maire Lucien Borne, l’amphithÊâtre aujourd’hui jugÊ vÊtuste tÊmoigne toutefois du savoir-faire de l’architecte suisse Robert Blatter. Sa mÊthode de travail, celle de couler les arches ainsi que la voÝte de bÊton directement sur le chantier, Êtait rÊvolutionnaire à la fin des annÊes 1940, et c’est justement ce que veut souligner Fortier avec Striptease – nom follement accrocheur qu’il donne à son projet. Grosso modo, il propose de tracer un anneau de glace autour de la structure et de conserver la patinoire au centre. Deux ÊlÊments transformables en piste d’athlÊtisme et en scène pour la belle saison, le genre d’installations qui attirent les petites familles. Bien que ce ne soit pas mis de l’avant dans les documents qu’il a prÊsentÊs à la presse et à ses professeurs, le dÊsormais employÊ d’Atelier 21 a Êgalement pensÊ à inclure de l’espace pour des habitations dans l’Ênorme Êtendue d’asphalte. Une initiative saluÊe par son mentor. On n’a pas besoin d’avoir autant de cases de stationnement, et ça, c’est le pire ennemi de l’activitÊ urbaine. Il ne se passe jamais rien en termes de festivals la fin de semaine autour des Galeries de la Capitale. Y a aucune chance que, tout à coup, il y ait un ÊvÊnement spontanÊ ou un regroupement. C’est la même chose à ExpoCitÊ. Il faudrait, Êventuellement, penser à amener du monde [à s’y installer] pour que le site puisse vivre de lui-même le mardi matin, le mercredi aprèsmidi. Ça, c’est vraiment difficile et ça passe par des gens qui s’identifient à ce quartier-là . Au-delà du hockey et des tomates Même si Gary Bettman tarde à promettre une Êquipe de la LNH au maire Labeaume, et que rien n’a ÊtÊ confirmÊ concernant le marchÊ satellite, divers acteurs de la ville y
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photos | catherine genest
vont de leurs propositions pour le réaménagement des deux secteurs concernés et inévitablement liés entre eux. L’administration portuaire de Québec est présentement en consultation publique pour son projet de «Quartier portuaire», une version revue et améliorée du Bassin Louise incluant une plage, un musée pour enfants, des halles gourmandes, des tours à condos abritant aussi des bureaux et un complexe hôtelier. Les citoyens peuvent se prononcer par courriel et le plan final sera dévoilé en 2017 ou en 2018. Du côté d’ExpoCité, c’est plus concret. On sait déjà de quoi aura l’air la place Jean-Béliveau, un lieu de rassemblement de 15 000 mètres carrés qui sera inauguré l’été prochain. Au cœur de ce site pensé pour la détente? La sculpture de Cooke-Sasseville qui représente deux cerfs placés patte à patte sur un socle dont les détails tendent à rappeler des lames de patins et les balcons de Limoilou. La rencontre (c’est le titre de l’œuvre) improbable entre l’art contemporain gorgé d’humour et notre sport national virile. L’union de deux solitudes! y
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L’ASSIETTE DU CHEF STRESS, HORAIRES CHARGÉS, GRIGNOTAGE PERMANENT: S’ILS SONT EXCELLENTS AUX FOURNEAUX, LES CUISINIERS NE FONT PAS TOUJOURS ATTENTION À LEUR PROPRE ALIMENTATION. LES CORDONNIERS SONT-ILS TOUJOURS LES PLUS MAL CHAUSSÉS? TROIS PROS DE LA CUISINE NOUS ONT DIT CE QUE MANGENT (VRAIMENT) LES CHEFS… Mots | Marie pâris
photos | dreaMstiMe.coM
«Pendant le service, on n’a pas forcément le temps de se nourrir. Ou alors juste 5 ou 10 minutes maximum, histoire de ne pas tomber par terre.» Lorraine Abeng, ancienne chef et aujourd’hui directrice de l’Agence Infini, spécialisée en placement de personnel en restauration, connaît bien le milieu. En cuisine, difficile de bien manger, et surtout de prendre le temps de bien manger. En cause: le rythme de travail très soutenu. «On se fait un sandwich vite fait, un grilled-cheese, une omelette... Je savais ce qu’il fallait manger et où trouver les bons produits, mais je n’avais pas le temps», raconte Lorraine. Même son de cloche chez Bob Le Chef, passé par Le Globe ou encore Le Misto, qui se consacre aujourd’hui à son site, ses livres et son émission de cuisine. «Quand je travaillais dans des restos, j’avais du mal à trouver le temps de m’asseoir pour manger. Même ceux qui ne fument pas se mettent à fumer pour avoir une pause!» Pour lui, être cuisinier, c’est un peu comme entrer dans l’armée: «Parfois on ne pense même pas à manger tellement ça va vite. Et à la fin du service, on est un peu tannés de la nourriture et on switche plus vers la bière que vers un vrai repas…» Des comportements qui s’expliquent facilement, selon Claudine Larivière, une nutritionniste qui a travaillé avec plusieurs cuisiniers. «C’est une industrie dans laquelle les chefs et les employés doivent répondre à l’achalandage du restaurant. Il n’y a pas ou presque de pauses repas, c’est donc un contexte propice aux habitudes alimentaires irrégulières, malsaines et restrictives – ou excessives!» 1,5 kg de légumes crus par jour Au Montréal Plaza, le chef Charles-Antoine Crête prêche pour le temps. «C’est important de bien manger quand on est cuisinier, puisque c’est notre
job. Il faut bien nourrir son staff et prendre le temps de manger. Ce temps, je me l’impose…» Car dans les coulisses de la plupart des restos, on mange debout, en cuisinant. Et à force de grignoter en travaillant, on finit par ingurgiter en grande quantité de la nourriture sans forcément s’en rendre compte... Comme Lorraine, qui ne cuisine rien qu’elle ne teste pas ensuite. «C’est rare qu’on prenne un repas complet, mais on mange en continu pendant une douzaine d’heures. Un bon cuisinier goûte à tout!», confirme Bob. Le cuisinier pioche ainsi à l’envi dans ce qu’il trouve, pour goûter, ou juste machinalement, parce qu’il n’aura pas le temps de manger un repas. «Le pire truc, c’est les frites: y en a toujours qui traînent dans une cuisine, et là j’étais foutu, j’en avais toujours une dans la bouche», se souvient Bob, qui avoue s’être principalement nourri de hot-dogs, pâtes et – étrangement – pommes pendant ses années en restauration. «Il y a beaucoup de troubles alimentaires chez les cuisiniers, notamment la boulimie. À force de manger vite et beaucoup…» Selon Claudine Larivière, il ne s’agit pas de troubles alimentaires dans la majorité des cas: «Il semble que leur horaire de repas complètement déséquilibré crée plutôt des épisodes de cravings, souvent confondus avec la boulimie. Il s’agit d’une faim intense qui se cumule pendant la journée ou la soirée: le cuisinier ne prend pas le temps de manger, ignore son signal de faim pendant trop longtemps, et boom! il se lance dans la bouffe sans trop se contrôler. C’est ce que j’appelle le “syndrome du cookie monster”… » Bob se souvient d’un sous-chef qui se faisait un plat de pâtes ou de riz avant chaque service et le mangeait avant que les clients n’arrivent pour ne pas être dérangé; il parvenait à ingurgiter un spaghetti bolognaise en cinq minutes chrono. «Mais on mange aussi énormément de bonnes choses,
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notamment des légumes, pour tester la cuisson par exemple. On les mange sans sel, sans rien. Il y a un principe de yin et de yang dans la cuisine…» Charles-Antoine Crête consomme pour sa part près de 1,5 kg de légumes crus par jour. Il indique en outre préparer volontiers des petits plats chez lui: «Au moins, personne ne me dérange, contrairement au resto où je me fais poser 15 questions pendant que j’épluche des carottes.» À la maison, il cuisine en moyenne une grosse journée par semaine. St-Hubert et «bons spots cheaps» Mais Charles-Antoine fait figure d’exception parmi ses pairs… Si on s’imagine que les chefs se concoctent des menus de haute voltige pour le plaisir, c’est en réalité très rarement le cas. «Quand j’étais chef au resto, je travaillais en moyenne 60 heures par semaine, raconte Bob. Pendant ta journée de congé – en général t’en as qu’une –, t’as pas le goût de cuisiner... Aujourd’hui, j’ai des horaires plus normaux et j’ai plus envie de cuisiner pour moi, à la maison. Je teste des recettes pour mon site et j’ai redécouvert le plaisir de souper. Je peux maintenant me retrouver à décortiquer du homard un mardi soir, ce qui était impensable avant!»
Idem pour Lorraine qui, quand elle travaillait au Pellerin ou à La Queue de cheval, ne rentrait chez elle que pour dormir: «Ce que j’achetais pourrissait au frigo parce que je n’avais pas le temps de cuisiner...» Depuis, elle fait ses courses d’épicerie à flux tendus, et avoue aussi commander beaucoup. «Je connais le numéro du St-Hubert par cœur…» Mais quand un chef reçoit pour le souper, c’est une autre histoire: «Il y a cette pression de bien faire, raconte Lorraine. On veut cuisiner quelque chose de rare, que nos amis ne mangent pas chez eux habituellement.» Par contre, «souvent les gens n’osent pas t’inviter chez eux, de peur de ne pas être à la hauteur en cuisine»! Et les restos? «Avec leurs salaires, rares sont les cuisiniers qui peuvent se payer un cinq services dans un restaurant gastronomique, souligne Bob, pour contrer le cliché. Un cuisinier qui se respecte va se tenir loin des fast-foods, par contre, il connaît tous les bons spots cheaps!» Charles-Antoine indique pour sa part sortir souvent, mais dans les mêmes endroits depuis 20 ans. «Je mange aussi de la poutine et je n’en meurs pas! J’ai eu un second qui allait tout le temps au McDo. Il y a de tout chez les cuisiniers…» y
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DANS LES POTAGERS DES RESTOS DU POTAGER À L’ASSIETTE, SANS INTERMÉDIAIRE. C’EST LE PRINCIPE QUE VEULENT SUIVRE CES CHEFS QUI CULTIVENT LEUR PROPRE POTAGER POUR ALIMENTER LEURS CUISINES, S’INSCRIVANT DANS LA TENDANCE DU LOCAVORISME. SI LE CONCEPT N’EST PAS NOUVEAU, DE PLUS EN PLUS DE RESTOS EN SONT ADEPTES… Mots | Marie pâris
Dans son potager de 2000 m2 sur l’Île d’Orléans, le jardinier-maraîcher Alexandre Faille cultive des légumes, des fruits et des herbes aromatiques. Sur ces terrains qui appartiennent à l’Auberge Saint-Antoine, un Relais & Châteaux dans le VieuxQuébec, il s’occupe d’une centaine de variétés différentes. Autant de produits qu’on retrouve dans les assiettes du Panache, le restaurant de l’Auberge… Car dans ce resto, le menu dépend des récoltes du potager: «C’est le végétal qui lance le plat, indique le jeune chef Louis Pacquelin. Je pars toujours du légume, pour le mettre en avant.» «Avec le chef, on se parle presque quotidiennement pour préparer le menu, explique Alexandre. C’est vraiment un échange: il a des idées de recettes avec certains légumes, et moi je fais des recherches et des essais pour voir s’il est possible de les faire pousser.» Le jardinier valorise les légumes du Québec et les aliments patrimoniaux, amenant beaucoup d’idées au chef. En été, 90% du contenu des assiettes servies au Panache provient du potager, que le chef veut utiliser le plus possible – même le salage des plats est fait avec des herbacées. Ses légumes, Louis les travaille comme des viandes, avec des salaisons, des fumages… Des techniques qui lui permettent de les conserver et de les servir en hiver, pendant que le maraîcher prépare la saison et étudie les catalogues de semis. «Louis utilise la lactofermentation, les conserves et le séchage des aliments pour utiliser le plus possible les produits du potager hors-saison, raconte Alexandre. Cette cuisine, c’est un peu un laboratoire où il essaie plein de choses. Il est très créatif…»
Philosophie de la cuisine Le jardinier doit parfois freiner Louis, par exemple quand ce dernier demande certaines plantes sauvages qu’Alexandre, qui prône la cueillette écoresponsable, ne veut pas récolter en trop grande quantité. En cuisine, les légumes du potager demandent deux fois plus de travail que ceux aux tailles et formes standardisées qui proviennent de magasin; le Panache est un restaurant gastronomique et doit soigner la présentation… «Nos légumes font une différence, ça permet vraiment au restaurant de se démarquer, assure le jardinier. Les serveurs communiquent beaucoup avec les clients qui veulent en savoir plus, et parfois certains viennent même visiter le potager…» Si le Panache fonctionne ainsi depuis huit ans, les dernières initiatives québécoises de potagers mises en place par des restos sont plutôt récentes, entraînées par la prise de conscience autour de l’importance de manger local. Le HVOR, un resto qui vient d’ouvrir ses portes dans le quartier montréalais de Griffintown, a ainsi installé un potager sur sa terrasse. Fraises, camomille, kale, romarin, choux, lavande, mais aussi des variétés plus exotiques comme de la citronnelle ou des kiwis... Le potager alimente le resto et deviendra une serre à la saison froide. «On essaie de choisir des variétés différentes de ce qui se trouve en épicerie, explique le chef S’Arto Chartier-Otis, fan de jardinage. On a de la sauge melon, du thym jamaïcain… C’est comme un mini jardin botanique, un plus que les clients sont
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curieux de voir. On veut aussi leur ouvrir les yeux sur ces petits producteurs qui font un produit spécifique.» Le reste des aliments provient de fermes locales, qui ont la même sensibilité quant au produit. «On a le cheminement inverse de la plupart des restaurateurs: le menu est fait en fonction des produits disponibles, et pas le contraire, souligne le chef. Un concept qui colle à 100% à ma philosophie de la cuisine…» Créer une prise de conscience Mais avec un potager de 900 p2, il n’y a pas de quoi remplir toutes les assiettes. «Le potager est un bonus, je ne vise pas l’autosuffisance, justifie le
ger, plutôt «comme un assaisonnement sur un plat», alors? Il s’est en tout cas fait une place dans de nombreux restaurants en France, inspirés notamment par le concept de «naturalité» du chef Alain Ducasse, et se développe de plus en plus en Amérique du Nord – on pense par exemple au Toqué! ou au restaurant du Hyatt à Montréal, qui ont installé des potagers sur leurs toits. Si l’idée semble récente, il s’agit d’un fonctionnement plein de bon sens et qui paraît plutôt logique; un retour aux racines, en fait. Pour un resto, avoir son propre potager permet de limiter les transports, d’optimiser la qualité et la conservation des produits et de recycler les déchets de cuisine. Tout en allant
(gauche) Louis pacqueLin et aLexandre FaiLLe, photo | auberge saint-antoine (droite) seMis (pour Le potager), photo | Marie pâris
chef. Mais ça permet d’ajouter un contact direct entre le client et le produit, de créer une prise de conscience. Ça apporte aussi une autre étape à l’expérience resto, pour ne pas juste rester assis devant son assiette…» Alors qu’Alexandre, du Panache, reconnaît que la production au potager n’est pas forcément rentable pour certains légumes, S’Arto assume complètement qu’«un potager urbain c’est cool, mais ça n’est pas un bon choix économique pour un resto». «Sans que le potager ne soit là que pour faire beau, il est irréaliste de dire que toute la cuisine peut être basée dessus», poursuit le chef du HVOR. Ou il faudrait une immense superficie à jardiner pour une clientèle d’une vingtaine de personnes… Le pota-
dans le sens de la politique de l’extrafrais et de la nourriture traçable, chère au consommateur d’aujourd’hui. «Les gens sont de plus en plus conscients de la nécessité de manger local, et nous on prouve que ça peut se faire», ajoute Alexandre. Pour lui, l’émergence du potager dans le monde de la restauration est un mélange de plusieurs choses: «C’est en partie une mode, avec le locavorisme, la culture urbaine, etc., mais c’est aussi lié à un réel besoin, à la suite de la montée des prix des légumes cet hiver par exemple.» En attendant, la nouvelle tendance en Europe est d’intégrer directement le potager dans le restaurant, au moyen de serres verticales ou même en installant les tables au milieu des plantations… Difficile de faire plus local. y
OÙ MANGER Les bons pLans pour des sorties au resto ce Mois-ci. bon appétit!
LA TRAITE 5, place de la Rencontre Hôtel-Musée Premières Nations de Wendake 418 847-0624 - poste 2012 En cuisine, le chef Martin Gagné allie le raffinement des techniques françaises aux produits de la forêt boréale. Le choix des viandes et poissons au menu sont originaux et les cuissons sont à point. C’est certes un peu cher, mais la qualité des aliments est bien au rendez-vous, et sur la carte les médaillons de caribou côtoient les saucissons de wapiti, la tourtière de bison, les darnes de saumon sauvage et les légumes du potager. On retrouve en effet la forêt boréale dans les sauces et coulis, aromatisés ou parfumés avec du miel de forêt, des boutons de marguerite, des champignons sauvages… Pour accompagner les assiettes, la carte des vins est bien fournie, notamment avec certains crus locaux. On déguste le tout dans une atmosphère de sous-bois, entre fourrures, rondins et foyers… ou sur la terrasse! >
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VERSA 432, rue du Parvis, 418 523-9995 Longues tables en bois, assiettes en ardoise et ambiance chaleureuse: le ton est tout de suite donné dans ce resto du Saint-Roch nouveau, plutôt emblématique de l’esprit du quartier. On profite du bar à huîtres (et des shooters d’huîtres!) pour commencer le repas, avant de jeter un œil au menu bistro, qui mêle joyeusement produits de la mer et produits de la terre. Pétoncles géants et rosette de Lyon sautée, ou plat poulet et pieuvre... Aux amateurs d’abats, on suggère le boudin ou les ris de veau bien relevés. La carte des vins est variée et bien fournie; on peut d’ailleurs jeter un coup d’œil à la cave dans l’entrée du resto. Les desserts faits maison sont à essayer à tout prix. On termine donc le repas sur une délicieuse note sucrée avec un pot de crème au chocolat et café ou une tartelette à l’érable et pacanes.
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BATI BASSAK 125, rue Saint-Joseph Est, 418 522-4567 Le grand défi pour les clients de ce resto aux saveurs de l’Extrême-Orient, c’est de réussir à faire un choix au milieu des nombreuses pages du menu. La cuisine khmère (du Cambodge) est mise à l’honneur, mais on retrouve aussi des spécialités culinaires de la Thaïlande. Les sauces à la citronnelle, au cari, poivrées, pimentées ou aigres-douces sont très équilibrées et rehaussent savamment les plats. On recommande notamment de goûter au pad thaï et à la salade de porc au cari sur vermicelles croustillants, ainsi qu’à une des savoureuses soupes. Le service est rapide et agréable et, si l’addition n’est jamais élevée, le Bati Bassak accueille ses clients dans un décor bien plus élaboré que la plupart des restos asiatiques moyens. En plus, c’est un apportez-votre-vin…
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PORTOFINO 54, rue Couillard, 418 692-8888 À cette adresse, on se régale d’une bonne et riche cuisine italienne typique. Les assiettes sont très généreuses et les saveurs bien présentes, comme dans le risotto aux fruits de mer débordant de moules, pétoncles, palourdes et crevette géante, ou les linguine al nero (à l’encre de seiche). Parmi les plats plus classiques, on retrouve à la carte les escalopes et polpette de veau, bruschettas, pizzas, minestrone, carpaccio de filet mignon et pâtes en tout genre. La salle du resto, tout en vieilles pierres, est décorée de vieux objets de courses automobiles. Portofoni s’est cependant refait une beauté, pour une atmosphère plus chic et moderne. Le resto a aussi une autre adresse à Sainte-Foy. Mais attention si vous voulez une soirée calme, c’est beaucoup plus festif!
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Ô 6IÈME SENS 1200, avenue Germain-des-Prés, 418 704-7367 Vous voulez une expérience de restaurant un peu différente de d’habitude? Ici, on mange dans le noir! Les serveurs sont tous non-voyants, et vous apportent des plats dont on devine avec les doigts une présentation soignée. Rien à dire sur la déco donc, puisqu’on ne voit pas; toute l’attention est sur l’assiette. Le menu est centré autour d’une thématique qui change tous les mois. Il ne s’agit pas ici de cuisine gastronomique, les plats sont simples et les goûts très francs, afin de pouvoir être facilement reconnaissables, mais le tout reste savoureux. Pour les plus audacieux, on vous suggère de tester le plat dont «l’ingrédient spécial» est révélé à la fin du repas – il s’agit en général d’abats, d’insectes, etc. Une soirée qui vous fera découvrir le souper au restaurant sous un autre angle.
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TALEA 634, Grande Allée Est, 418 523-7979 Talea, c’est d’abord une jolie salle à manger où la déco allie le rustique et le contemporain avec brio, sous un doux éclairage tamisé. Dans cette ambiance chaleureuse au service agréable, on commence par un cocktail parmi le vaste choix à la carte, ou un verre sur la carte de vins d’importations privées. Puis on passe au repas: le resto fait la part belle aux planches à partager, avec divers assortiments de fromages québécois, charcuteries locales, viandes fumées, terrine de saumon et autres produits de la mer. Vous aimez moins partager? Vous pouvez au choix opter pour le tartare de saumon, les côtes levées, l’entrecôte, les poutines bien garnies, le fish n’chips, les burgers originaux, ou encore l’effiloché de bison sauce bleuetswhisky… Efficace et savoureux.
photos | guiLLauMe d. cyr
«LES RICHES VIVAIENT EN HAUT DU CAP DIAMANT, LES PAUVRES EN BAS. C’ÉTAIT AUSSI SIMPLE ET GROTESQUE QUE ÇA.»
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Pittoresque saint-sauveur AU PIED DE LA PENTE DOUCE, Publié en 1944, s’est écoulé à 40 000 exemPlaires. cet été, la Promeneuse marie-Ève sévigny arPente une fois de Plus la côte franklin et ses environs en hommage à l’auteur de ce best-seller québécois. MOTS & PHOTOS | CATHERINE GENEST
C’est l’histoire d’un type qui a monté la côte, un émule de Zola et Balzac qui a fait fortune en dépeignant son quartier de la Basse-Ville de Québec. Un exploit commercial improbable quand on repense au taux d’analphabétisme d’alors et une œuvre (essentiellement trois bouquins) qui a laissé une marque indélébile sur l’imaginaire collectif de la province tout entière. Qui ne connaît pas Les Plouffe, son deuxième livre transposé à la radio puis à la télé et au cinéma? «Michel Tremblay, avec Les belles-sœurs et ses Chroniques du Plateau-MontRoyal, en est un héritier direct, mais ce n’est pas le seul. Il y a aussi Claude Jasmin et sa Petite patrie, analyse Marie-Ève Sévigny. La petite vie, c’était calqué sur Les Plouffe. Le “heille moman, moman, moman, savezvous quoi?” et tout ça. C’est exactement la même chose. Il faudrait le demander à Meunier, mais, quand même… Ça se passe toujours dans la cuisine en plus!»
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> On tend à l’oublier, parce que ça semble presque cliché de nos jours, mais le petit gars de la paroisse Saint-Joseph a été le premier à évoquer la fracture sociale observable à même le dénivelé de Québec. Les riches vivaient en haut du cap Diamant, les pauvres en bas. C’était aussi simple et grotesque que ça. «On surnommait ça “le faubourg au tuyau” parce qu’il y avait un gros tuyau d’égout, aujourd’hui enfoui sous la côte de l’Aqueduc. La merde de ces bonnes gens très propres de la Haute se déversait allégrement dans la Basse-Ville. Ces champs-là, dans le coin de Marie-de-l’Incarnation et Charest, ce n’était pas des champs de blé. […] Ce n’est pas pour rien que c’est industriel dans ce secteur-là. C’était comme des marécages.» Pourtant, et contrairement à l’autre pionnière du grand roman urbain québécois Gabrielle Roy, Roger Lemelin décrivait le «pittoresque» (son mot de prédilection) sans misérabilisme ni violon. Ses personnages étaient résilients, pensons notamment à la blonde de Napoléon lorsqu’elle contracte la tuberculose, et ils travaillaient fort pour nourrir leur marmaille d’une dizaine d’enfants. La classe ouvrière se reconnaissait dans ses écrits. «C’était la débrouille. […] Lui, il racontait l’histoire de la prochaine génération de paysans qui vivaient en ville.» Selon Dale Gilbert, historien et auteur de Vivre en quartier populaire – Saint-Sauveur 1930-1980, le quotidien d’alors n’avait rien de rose. «Jusqu’au milieu des années 1940, la ville de Québec au complet avait l’un des plus hauts taux de mortalité infantile au pays. Ça a pris du temps avant que les conditions s’améliorent considérablement. Il y a toutes sortes de causes: le système de récolte des ordures qui n’était pas super adéquat, la piètre qualité du lait, la promiscuité et la densité de la population.» À cette époque, celle de la percée du romancier, 40 000 personnes habitaient dans le quartier. Aujourd’hui, on parle de 17 000. À la recherche du temps perdu L’actuel quartier Saint-Sauveur était formé de six municipalités qui ont toutes été fusionnées à la fin des années 1990: Saint-Joseph, Saint-Malo, Saint-Sauveur, NotreDame-de-Grâce, Sacré-Cœur-de-Jésus et Notre-Damede-Pitié. De cette époque, il ne reste que peu de choses, sinon des commerces inchangés comme la taverne Jos Dion (une capsule temporelle!) et Le royaume de la tarte. Ou encore le Patro Laval, qui garde le fort depuis plus de 100 ans. L’église des Plouffe, elle, a été détruite en 2012. Une intervention cavalière de la municipalité contre laquelle la littéraire s’est battue, en vain. «Moi, j’ai levé le bras et j’ai dit: “Hé! c’est patrimonial!” J’ai été à la radio, j’ai écrit des lettres ouvertes. La conseillère municipale Geneviève Hamelin était alors à la tête de la commission d’urbanisme et elle m’a dit: “Inquiétez-vous pas, madame Sévigny. Il va avoir des vestiges et on va imposer au prometteur [immobilier] de garder les clochers.” Là, il est en train de construire, il a fait ses plans et Radio-Canada lui a demandé ce qu’il allait faire des clochers. Il leur a répondu:
“Je sais pas. Je vais les rajouter, mais je sais pas comment.” Là, il va juste poser ça comme si c’était une cerise sur un sundae.» De ce temple, et outre ses deux pignons argentés, il reste néanmoins cette anecdote croustillante, une scène comique avec du recul mais qui témoigne encore de la bravoure certaine de la famille Lemelin. «Quand c’est sorti, Au pied de la pente douce, ce n’était pas une bonne affaire. Le livre a été mis à l’index, puis le curé de Saint-Joseph l’a dénoncé en chaire et a interdit à ses paroissiens de le lire sous peine de péché mortel. On raconte que, cette fois-là, la mère de l’auteur a claqué la porte en pleine homélie.» Un accueil glacial des élites religieuses analysé par Dale Gilbert. «Lemelin avait une plume assez ironique, parfois aiguisée envers le clergé. Il y a du vrai dans ce qu’il raconte concernant le contrôle de l’église qui surveille de près ses paroissiens pour être sûr que personne ne commet d’écart à la moralité. C’est une critique, mais il part d’une vérité.» C’est précisément ce genre de liens historiques que MarieÈve Sévigny tisse dans le cadre de son parcours Le petit monde de Roger Lemelin, visite guidée intimiste qu’elle présente à guichets fermés chaque été depuis des années. Un énième hommage à ce type qui donne déjà son nom à un parc et une place, en plus d’avoir inspiré le changement d’appellation de la côte Franklin à son décès en 1993. Un artiste peu étudié, souvent éclipsé par Tremblay, qui retrouvera sa place au soleil en juillet. y Les dimanches 3, 17, 24 et 31 juillet Pour réservations: 418 641-6797
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Sur les rayons
de nos frĂ&#x2C6;res blessĂŠs JOSEPH ANDRAS Acte Sud, 144 pages Le 11 fĂŠvrier 1957, dans la prison de Barberousse Ă Alger, Fernand Iveton est guillotinĂŠ. Trois mois auparavant, il avait laissĂŠ une bombe dans lâ&#x20AC;&#x2122;usine dans laquelle il travaillait. Elle devait exploser en fin de soirĂŠe, alors que lâ&#x20AC;&#x2122;endroit ĂŠtait vide, lâ&#x20AC;&#x2122;auteur de lâ&#x20AC;&#x2122;attentat dĂŠsirant saboter le système plutĂ´t que de faucher la vie dâ&#x20AC;&#x2122;innocents travailleurs. Bien avant la dĂŠtonation, les forces armĂŠes ont ĂŠtĂŠ alertĂŠes et, dĂŠpĂŞchĂŠes sur les lieux, ont pu mettre la main sur la bombe et le coupable. TorturĂŠ pendant deux jours, Iveton livrera quelques-uns de ses collègues avant dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŞtre jugĂŠ et exĂŠcutĂŠ. Ce communiste et anticolonialiste français nĂŠ Ă Alger fut le seul EuropĂŠen condamnĂŠ Ă mort pendant la guerre dâ&#x20AC;&#x2122;AlgĂŠrie. Joseph Andras nous offre ici un premier roman aux airs dâ&#x20AC;&#x2122;hommage Ă un homme dont la tĂŞte a roulĂŠ par calculs politiques bien plus que par culpabilitĂŠ. Plongeon humain dans les affres de lâ&#x20AC;&#x2122;histoire. Ce court roman, Andras le livre comme un coup de poing sur la gueule. Dans une narration oĂš sâ&#x20AC;&#x2122;entremĂŞlent les dernières semaines de sa vie, ainsi que son adolescence et sa radicalisation politique, lâ&#x20AC;&#x2122;auteur croise le prĂŠsent et le passĂŠ sans saut de ligne clair, amalgame les dialogues Ă la narration pour crĂŠer une urgence de dire qui prend le lecteur aux tripes. Tant dans les balbutiements de sa relation dâ&#x20AC;&#x2122;amour avec HĂŠlène que dans sa rencontre avec diffĂŠrents compagnons de cellules, chaque ligne de ce livre se lit comme un lamento saisissant, portĂŠ par un auteur qui semble tentĂŠ de restaurer lâ&#x20AC;&#x2122;histoire.
9HQH] GĂ&#x153;FRXYULU XQH QRXYHOOH DSSURFKH GH OD FXLVLQH YĂ&#x153;JĂ&#x153;WDOLHQQH &Ä&#x192;WH GX 3DVVDJH /Ă&#x153;YLV
Ce livre fut dâ&#x20AC;&#x2122;abord connu comme le laurĂŠat-surprise du Goncourt du premier roman, car il ne figurait pas sur la liste des quatre finalistes. Ensuite, lâ&#x20AC;&#x2122;auteur qui ĂŠcrit sous un pseudonyme a refusĂŠ le prix, expliquant que la littĂŠrature nâ&#x20AC;&#x2122;est point compatible avec la compĂŠtition. Mais il serait dommage de rĂŠduire ce livre Ă ces politicailleries littĂŠraires, alors quâ&#x20AC;&#x2122;il porte en lui une voix littĂŠraire si forte et un tĂŠmoignage historique puissant. Andras nous amène dans des contrĂŠes oĂš ÂŤle sang sèche plus vite que la honte et oĂš, torturĂŠ, Fernand Iveton se demandera ÂŤde quelles matières sont donc faits les hĂŠrosÂť. Si ce dernier nâ&#x20AC;&#x2122;a pu obtenir la grâce prĂŠsidentielle de RenĂŠ Coty Ă lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠpoque, câ&#x20AC;&#x2122;est par la grâce littĂŠraire de Joseph Andras quâ&#x20AC;&#x2122;il marquera nos esprits. (JĂŠrĂŠmy Laniel)
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Sur les rayons
nouvelles de l’autre vie THIERRY HORGUELIN L’Oie de Cravan, coll. «Nouvelles», 120 pages Un homme entre dans une bouquinerie pour la première fois et y découvre un livre mis de côté pour lui depuis quelques semaines. Un autre s’intéresse à un maniaque de modèles réduits. Une lectrice est abasourdie par son exemplaire numérique de Madame Bovary où quelques grands personnages littéraires y font des caméos. D’autres sont stressés, avec raison, par des murs qui se «dépixelisent»; alors qu’une jeune fille en état d’ébriété refuse le sommeil, car elle se dit poursuivie dans ses rêves par un homme qui veut sa peau. Voilà les prémisses de quelques-unes des histoires qu’on retrouve dans Nouvelles de l’autre vie de Thierry Horguelin. Cet auteur montréalais basé à Bruxelles publie son cinquième livre aux éditions L’Oie de Cravan. Des labyrinthes littéraires intelligents où se terre un grand plaisir de lecture. Ce qui frappe d’abord à la lecture de ce recueil de nouvelles, c’est la maîtrise du genre. Et par maîtrise, j’entends tout le plaisir que l’auteur semble avoir à travailler tant dans la concision qu’avec une mécanique narrative brève. Les composantes de ses nouvelles sont des espèces de poupées gigognes littéraires avec lesquelles il nous laisse jouer sans jamais avoir le fin mot de l’histoire. Chez Horguelin, c’est l’intelligence avec laquelle il s’en prend à certains codes littéraires qui interpelle le lecteur, passant ainsi d’une nouvelle frôlant la science-fiction à un pastiche d’Agatha Christie avant de se terminer sur une nouvelle composée uniquement de tweets. Bien qu’on ait l’habitude de taxer d’inégaux les recueils de nouvelles, ce n’est absolument pas le cas de ces nouvelles, tout aussi jouissives les unes que les autres, se dépliant comme d’habiles univers dans lesquels on aimerait replonger. Il serait déplorable ici d’utiliser une expression consacrée parlant de pots et d’onguents, mais il n’en reste pas moins que c’est le sentiment qui nous porte à la lecture de ce livre, quelque chose comme un juste dosage de référents littéraires, de retournements narratifs et de personnages aux abords banals. Les décors dans lesquels ces derniers sont plongés sont toujours près de nous, bien ancrés dans un réel aisément croyable, avant de glisser, de s’éclater, dans des situations au burlesque assumé ou dans des cauchemars éveillés. À lire pour ceux qui aiment se perdre, sourire en coin. (Jérémy Laniel)
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O1 CLAUDIA IMBERT, THÉÂTRE DE LA VIEILLE FORGE, PETITE-VALLÉE O2 HANNE VAN DER WOUDE, EMMY’S WORLD. BEN AT THE SEASIDE O3 JACQUES DAMEZ, PHOTOPONYMIE EN GASPÉSIE, RIVIÈRE-AU-RENARD
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Arrêt sur imAge il fAut imAginer une gAlerie d’Art à mOitié à ciel Ouvert, ici en pleine fOrêt, là dAns lA ville, qui s’étend sur plus de 800 kilOmètres et lOnge jusqu’Au gOlfe du sAint-lAurent. ce sOnt là les rencOntres internAtiOnAles de lA phOtOgrAphie en gAspésie, peut-être lA mAnifestAtiOn Artistique cOntempOrAine à lA fOis lA plus mécOnnue et lA plus vAste de tOute lA prOvince. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE
C’est à un Montréalais d’origine, Claude Goulet, que les Rencontres doivent leur existence. Et aussi à une femme, celle de Claude, qui l’a amené en Gaspésie. «J’ai toujours été amateur de cinéma et de photographie», relate le fondateur et directeur général et artistique. «Quand je suis arrivé en Gaspésie, je me suis dit qu’il fallait organiser quelque chose qui se démarque. C’est facile d’exposer des photos, mais au-delà de ça, que peut-on faire?» En voyage à Arles, il rencontre le photographe d’origine suisse Jean-Daniel Berclaz, qui crée des interventions dans le paysage. Touché par ses œuvres et leur lien avec le lieu, Claude Goulet propose à l’artiste de reproduire son idée sur le territoire gaspésien: c’est la création, en 2008, du Parcours du point de vue – Gaspésie, rassemblant cinq photographes. Par la suite, il se rend au Mois de la photo à Paris et y fait la connaissance de François Hébel, le directeur des Rencontres d’Arles. «Il m’a dit: “Mais pourquoi vous ne lanceriez pas un événement photo?”» Territoire occupé Inspiré par la proposition de François Hébel, Claude Goulet instaure les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie et les étend à l’ensemble de la péninsule. «Je voulais qu’on occupe le territoire. J’ai donc communiqué avec des municipalités. La première année, en 2010, il n’y avait pas beaucoup d’artistes étrangers; il fallait faire nos preuves.» Maintenant, les Rencontres couvrent une vingtaine de sites dans 17 municipalités et parcs nationaux de la région (parcs nationaux de la Gaspésie, de Forillon, de Miguasha et de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé) et accueillent une trentaine d’artistes du Québec, du Canada et d’un peu partout à travers le monde. Les lieux d’exposition varient, du centre d’artistes à l’entrepôt en passant
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(HAUT) CLAUDIA IMBERT, THÉÂTRE DE LA VIEILLE FORGE, PETITE-VALLÉE (BAS) ISABELLE HAYEUR, RÉPUBLIQUE 06
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par un théâtre, un stationnement, un centre commercial et même une halte routière. «L’an passé, nous avons eu près de 70 000 visiteurs», raconte fièrement le fondateur, «principalement des touristes. C’est une autre façon de faire le tour de la Gaspésie!»
contres, la photographe se retrouve face à une ville paralysée. Isabelle Hayeur saisit alors son objectif, qu’elle braque sur les passants, le paysage urbain, le Monument à la République devenu un mémorial improvisé. «La nuit est douce pour novembre, mais Paris est vide.»
Image animée
Sur la route
Pour cette septième édition, qui se déroulera de la mi-juillet au début octobre, le thème est «L’image en mouvement». Mais Claude Goulet tient à préciser: «On ne parle pas de cinéma!» Des œuvres comme celles du Montréalais Serge Clément, qui diffusera trois courts métrages dont D’aurore (primé par le CALQ), bien que jouant avec les nouvelles technologies et le montage, restent très proches de la photographie, leur matière première. Même chose pour l’installation gaspésieARCADE de Stephen Lawson, Shauna Janssen et Aaron Pollard (Montréal), résultat d’une résidence de création du 8 au 17 août. L’idée des trois compères, d’abord testée à Montréal et à Berlin, est de faire appel au public pour photographier des endroits cocasses ou significatifs en ville. À partir de ces images, les artistes créent une installation sonore et visuelle grâce à une boîte à chaussures, un iPad et des écouteurs. À voir dans un conteneur (oui!) dès le 18 août.
Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie tiennent au mot «rencontres» et le concrétisent avec la Tournée des photographes. Du 18 au 21 août, des rencontres publiques, des discussions sur la création, des tables rondes et conférences ainsi que des projections grand public prendront la route de la péninsule, avec le Quai des arts de Carleton-sur-Mer comme point de départ. C’est d’ailleurs là que l’exposition Le livre photographique sera présentée, sous le commissariat de Serge Allaire.
En rafale: la jeune Catherine Tremblay projettera des images poétiques de mer et de portraits sur un grand cube in situ; Michel Lamothe proposera avec Photogrammes une rencontre entre photographie et cinéma; le Français Jacques Damez présentera le fruit de son parcours de Montréal à Gaspé pour enregistrer les accents régionaux et immortaliser le paysage en duo été-hiver; Guillaume D. Cyr, originaire de New Richmond mais établi à Québec, exposera Journal de la Stone, qui documente avec sensibilité l’aspect humain de la fermeture de la cartonnerie Smurfit-Stone. Bien d’autres annonces sont encore à venir. Touchante humanité Une autre installation incontournable de la septième édition des Rencontres est Emmy’s World de la Néerlandaise Hanne van der Woude (dont la série sur les roux MC1R – Naturally Red Hair a circulé pas mal sur le web). Jumelant photo et vidéo, la photographe montre l’intimité d’un couple d’octogénaires, Emmy et Ben, et du frère de Ben, qu’elle a suivis pendant cinq ans. L’anticonformisme d’Emmy, elle-même artiste, l’amitié qui unit les trois protagonistes ainsi que la photographe et les aléas de la vie sont documentés avec poésie et luminosité par van der Woude. Enfin, l’actualité devient sujet d’art alors que sera exposé le corpus photographique République signé Isabelle Hayeur, qui se penche sur les répercussions des attentats du 13 novembre dernier à Paris. Alors en résidence à Beauvais justement pour les Ren-
GUILLAUME D. CYR, PORTRAIT NO 03, SÉRIE DE LA STONE 1965-2015
Pour Claude Brunet, la tournée est un élément fort des Rencontres: «C’est l’occasion pour les artistes de se faire connaître, de parler de leur travail. Il y a aussi tout un volet d’éducation à l’image. Oui, on parle d’art contemporain, mais la formule rend les gens à l’aise. L’année dernière, lors de la tournée, ça s’est même terminé par un souper au bord du feu. C’est comme une fête de la photographie!» y Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie photogaspesie.ca
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AlexAndre tAillefer DE LA MAIN GAUCHE
lA culture est une mArque de yOgOurt Je l’avoue, je suis pas mal porté sur les chiffres. J’aime beaucoup lire les bulletins de l’Institut de la statistique du Québec. Malgré les budgets anémiques dont il dispose, l’Institut nous permet de mieux cerner notre réalité en nous bombardant de données par habitant, par ménage, en soulignant les tendances. Parce qu’il est difficile de bien comprendre ce qu’on ne mesure pas. Le financement de la culture Ce que m’ont appris mes séjours à titre de président du conseil d’administration de l’Opéra de Montréal et du Musée d’art contemporain depuis les quatre dernières années est que les revenus de billetterie sont directement reliés aux budgets alloués à la commercialisation. Si les revenus autonomes du MAC ont crû de 300% depuis quatre ans, le budget alloué au placement média a été augmenté au moins d’autant. Au net, c’est plus d’un million de dollars de plus dans le budget d’exploitation du musée. Dans un contexte de rationalisation des budgets de l’État, le développement de la clientèle, et par ricochet des revenus autonomes, doit être une priorité pour l’industrie de la culture. La part du portefeuille Chaque ménage québécois dépense un peu plus de 80$ chaque année pour l’achat de billets de cinéma. En 2015, les billets de films québécois représentaient environ 7% de ce montant. Ce 5,60$ constitue la part du portefeuille «billets de cinéma» que nous consacrons aux films d’ici. C’est plus de 2800$ par année par ménage qui sont alloués à des biens qualifiés de culturels par l’Institut de la statistique. Ce montant croît annuellement au rythme de l’inflation. Ce que le produit culturel d’ici ne s’approprie pas est dépensé dans un bien culturel étranger, d’où l’importance d’utiliser tous les outils possibles afin d’en percevoir le plus possible. Si chaque Québécois va au cinéma quatre fois par année, il est tout à fait plausible qu’il choisisse un film d’ici au moins une fois, non?
Le box-office à tout prix? Avant qu’on m’associe à Vincent Guzzo qui milite depuis toujours pour qu’on produise «des films que les gens veulent voir», sachez que je m’associe plutôt à l’école de la qualité. Je suis convaincu que le public est intelligent et qu’il recherche une émotion authentique, vibrante. Ça tombe bien, ce sont tous des ingrédients dont notre culture locale ne manque pas. L’exposition de David Altmejd au MAC en est un exemple. Peu de Québécois le connaissaient avant le succès qu’il a remporté l’année dernière. Bien entendu, la qualité de son travail a un lien direct avec les foules que le musée a accueillies, mais le plus important succès connu au box-office du MAC de son histoire n’est-il pas aussi relié à la première campagne de marketing tapissée mur à mur pour une exposition en son sein? N’est-il pas relié à tous ces derrières d’autobus qui promouvaient son travail exceptionnel? J’assistais au spectacle de Yann Perreau au Club Soda le 17 juin dernier. D’entrée de jeu, il a fait référence aux ventes moribondes de spectacles francophones rapportées par les médias, excité qu’il était d’avoir réussi un vrai «sold out». Son spectacle était formidable, je suis sorti de là le cœur plein, enthousiaste comme je l’avais été durant le show de Dumas au Métropolis ou comme quand j’ai visionné Félix et Meira cet hiver. Nous produisons du très bon ici. Et ça doit cesser d’être un secret bien gardé. Yann méritait un sold out au Métropolis. Les quotas Nous sommes très bons pour créer de l’offre. Il faudrait peutêtre apprendre à créer de la demande. S’inspirer un peu plus des Américains et un peu moins des Français qui comptent entièrement sur l’État pour financer leur culture. Mais force est d’admettre que nos amis français ont compris certaines choses. La bataille ne peut se gagner seulement à coup de budgets marketing. Elle doit être encouragée par des politiques rendues nécessaires et légitimes dans un contexte d’exception culturelle.
> L’Institut de la statistique du Québec nous apprenait dans son bulletin relié à la musique, publié en mai dernier, que si 47,7% des ventes d’albums en magasin sont d’artistes locaux, ces derniers représentent seulement 29,7% dans les ventes d’albums numériques. Mais où le bât blesse vraiment, c’est quand on constate les ventes de chansons à l’unité. À peine 7% des chansons téléchargées ont été produites ici. Comment expliquer cela? Il existe une corrélation très forte entre les artistes et les chansons répertoriées sur la page d’accueil des iTunes et Spotifiy de ce monde et les téléchargements générés. La consommation culturelle se «monolithise», influencée par les palmarès, les listes suggérées, les résultats des moteurs de recherche. La règle du 80/20 présente dans de nombreuses industries fait voler en éclats la culture, principalement en musique, remplacée par celle du 98/2. Vous avez bien lu, 2% des chansons génèrent aujourd’hui 98% des revenus. Je ne serai pas encore très populaire chez les disciples du libre marché. Plus que pour n’importe quel autre secteur, la culture nécessite qu’on la protège en la discriminant positivement. Le CRTC a choisi de ne pas se positionner par rapport à la réglementation du contenu distribué par Internet. À une époque où une grande partie de la consommation culturelle se fait sur demande, cette décision est plus que surprenante. C’est une grave erreur. Si l’avenir du Québec est à l’intérieur du Canada, il doit selon moi rapatrier les champs de compétence qui lui permettront d’influencer la consommation de sa propre culture. Par le maintien des quotas en radio, par l’ajout de quotas sur Internet et, pourquoi pas, par l’obligation de distribuer des films produits ici dans les salles de cinéma du Québec. Permettre à notre culture de s’épanouir Je suis convaincu que nos produits culturels n’ont rien à envier qualitativement aux grands succès planétaires. À une époque où les Beyoncé et autres Taylor Swift s’approprient une part de plus en plus importante du portefeuille culturel mondial, le succès qu’a connu Jean Leloup depuis 24 mois fait un grand bien. Il démontre bien sûr qu’il est un redoutable stratège de la commercialisation. Plus lucide qu’on ne le croit, il a su créer un buzz, il a su malgré le manque de moyens manier les médias, le public et l’industrie avec doigté. Leloup est un entrepreneur, un vrai. On ne peut pas demander à nos artistes de tous être des Leloup de la commercialisation. Nous pouvons par contre les aider, et leur permettre de vivre décemment de leur art pour continuer à créer ce qui nous différencie, nous représente. En mettant autant d’argent à produire le contenu d’ici qu’à le commercialiser. Ce qui permettra à nos artistes de s’approprier une part plus importante de notre portefeuille culturel. Mais aussi – et c’est sûrement aussi important – en réfléchissant à la mise en place de nouveaux quotas de diffusion, qui comme pour la radio encore aujourd’hui, constituent probablement l’outil marketing le plus puissant. Parce que comme pour le yogourt dans un supermarché, le produit culturel bien en vue vendra beaucoup plus que celui qui est caché dans la section des produits spécialisés. C’est aussi ça le showbiz. y
OSER VOIR AUTREMENT 18 JUIN – 6 NOVEMBRE 2016
LES GRANDS COLLECTIONNEURS 3 FENOSA ET PICASSO, UNE AMITIÉ Présenté par
macbsp.com
34e
SYMPOSIUM INTERNATIONAL D’ART CONTEMPORAIN DE BAIE-SAINT-PAUL
Mobilités
29 JUILLET 28 AOÛT 2016 symposiumbsp.com PRÉSENTÉ PAR
58
QUOI FAIRE
MUSIQUE
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JESSY LANZA Le CerCLe – 13 juiLLet
L’artiste canadienne de musique électronique sera de passage dans la capitale et produira sur scène les compositions de sa dernière mouture, Oh No, sortie en mai dernier. Avec sa voix frêle et enjôleuse, elle enivrera même les plus sceptiques.
59 QUOI FAIRE VOIR QC
VO1 #O6
O7 / 2O16
BLOC PARTY
KID KOALA
LOUIS-JEAN CORMIER
i m p é r i a L B e L L – 27 j u i L L e t
L e C e r C L e – 11 j u i L L e t
parC de La FranCophonie – 9 juiLLet
Inspiré par le son de Sonic Youth, Joy Division et The Cure, ce groupe de Londres vient tout juste de mettre sur les tablettes son cinquième album, Hymns. Après les festivités du FEQ, ce spectacle saura raviver la flamme des festivaliers aguerris.
Véritable maître d’expérimentations sonores, ce Montréalais d’adoption, qui est bien plus qu’un banal DJ, démontre un génie musical incommensurable. Compilant quatre albums solos à son actif, sous l’étiquette Ninja Tune, il a reçu pour ces derniers de prestigieuses reconnaissances internationales.
La soirée du samedi 9 juillet prochain au Festival d’été de Québec promet d’être relevée. Dès 19h, on pourra y voir le chanteur montréalais Philémon Cimon interpréter ses chansons romantiques avec sensibilité et intensité. Le trio indie pop suédois Peter Bjorn and John prendra ensuite le relais, chauffant ainsi la scène du parc de la Francophonie pour le clou du spectacle: Louis-Jean Cormier.
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photo | raChaeL Wright
LES CONCERTS
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FAUNIQUES de la Forêt Montmorency UN CONCERT ACOUSTIQUE NOCTURNE
EN L’HONNEUR DE LA
FAUNE BORÉALE
photo | antoine BordeLeau
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LES SAMEDIS, DE LA FIN JUILLET À SEPTEMBRE FORFAITS SOUPER-SPECTACLE OU AVEC HÉBERGEMENT
Réservation obligatoire 418-656-2034 www.foretmontmorency.ca TO U HÉ RIS B M PL ERG E D EI E UR N ME A AI N BL R T E
@fmontmorency
10e anniversaire
CŒUR DE PIRATE p L a i n e s d ’ a B r a h a m – 10 j u i L L e t
Présenté dans le cadre du FEQ, ce spectacle carte blanche de Cœur de Pirate sera sans doute mémorable. Profitant d’une mise en scène du chorégraphe Nico Archambault, la chanteuse montréalaise sera entourée par les Ballets Jazz de Montréal, ainsi que par Alex Nevsky, Loud Lary Ajust et d’autres invités-surprises.
KORIASS i m p é r i a L B e L L – 17 j u i L L e t
Toujours dans le cadre du FEQ, le porte-étendard du rap québécois Koriass viendra faire preuve de son incroyable charisme scénique lors d’un spectacle à l’Impérial Bell. Avec le trio rap house tropical Rednext Level et le triplé père-fils Brown, dont l’album homonyme figurera sans doute au top des palmarès hip-hop québécois de l’année, le rappeur eustachois sera plutôt bien accompagné.
CHAMPION ET SES G-STRINGS p a r C d e L a F r a n C o p h o n i e - 15 j u i L L e t
Revenant à ses sources électro-pop-funk sur son plus récent album Best Seller, Champion reprend les routes québécoises avec son fidèle house band Les G-Strings. Au FEQ le vendredi 15 juillet prochain, il pourra compter sur la présence du duo rap acadien désormais anglo Radio Radio et du maître raï dancehall québécois King Abid.
61 QUOI FAIRE VOIR QC
LES GOULES
VO1 #O6
O7 / 2O16
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s a L L e m u Lt i d e m é d u s e 9 juiLLet
Le groupe culte de Québec actif depuis 2001 présentera un spectacle de son tout dernier album, intitulé Coma. Or les icônes de la scène punk rock feront un grand retour sur scène cet été en parcourant les divers festivals en province, puis s’arrêteront dans leur ville natale le temps d’un soir.
ELEPHANT STONE L’ a n t i – 26 j u i L L e t
Fondé en 2009, le groupe montréalais Elephant Stone trimballe son rock aux teintes électro-pop new wave à Québec le temps d’un spectacle intimiste à L’Anti. En première partie, on pourra également y entendre le mystérieux groupe Pure Carrière et l’excellent quatuor Tracer Flare, qui proposait en septembre 2014 Sigh of Relief, un premier EP envoûtant.
photo | jay kearney
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BADBADNOTGOOD Le CerCLe – 16 juiLLet
La formation torontoise lancera un album tant attendu par leurs fans le 8 juillet prochain. Nommé IV, ce quatrième enregistrement sera forcément présenté durant son spectacle prévu dans la Basse-Ville.
HALF MOON RUN p a r C d e L a F r a n C o p h o n i e - 12 j u i L L e t
Une autre belle soirée attend les mélomanes du FEQ le mardi 12 juillet. C’est la révélation indie rock Jesse Mac Cormack qui débute les festivités dès 19h, suivi par le groupe rock montréalais Foreign Diplomats à 20h. En tête d’affiche, le quatuor Half Moon Run viendra défendre les chansons de son deuxième album Sun Leads Me On. photo | Courtoisie Le CerCLe
62 QUOI FAIRE VOIR QC
VO1 #O6
O7 / 2O16
photo | antoine LaroCheLLe
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BEAT MARKET
SARATOGA
SWANS
L ’ a n t i – 21 j u i L L e t
m o u L i n d u p o r ta g e – 3 a o û t
Le CerCLe – 9 juiLLet
Le duo électro montréalais qui a fait paraître son deuxième album en septembre dernier revient faire la fête Québec, promettant ainsi des beats surchauffés et créatifs. Le groupe enflammera assurément la Vieille-Capitale.
Ce couple composé de Chantal Archambault et de Michel Olivier Gasse s’avère plus qu’attachant. Se présentant autour d’un seul micro, le duo offre au public des chansons empreintes d’une grande complicité, qui reflètent leur bagage acquis sur les routes et la scène.
Le groupe no wave/rock expérimental Swans a repris le chemin des scènes internationales depuis le début de la décennie, mettant fin à une léthargie d’un peu plus de 12 ans. La capitale aura la chance de voir sur scène le phénomène new-yorkais et ses hypnotiques vrombissements de guitares. Michael Gira est prêt à vous à bombarder les oreilles.
THE TALLEST MAN ON EARTH ET BASIA BULAT impériaL BeLL – 7 juiLLet
Le phénomène suédois The Tallest Man on Earth poursuit son ascension internationale avec Dark Bird Is Home, quatrième album paru en mai 2015. Même s’il n’a pas encore obtenu le succès qu’on lui promettait au début de la décennie, le musicien indie folk peut compter sur un public fidèle. En première partie, la Montréalaise Basia Bulat donnera le ton.
STARMANIA g r a n d t h é ât r e d e Q u é B e C L e s 30, 3 1 j u i L L e t, 1 e r , 3 e t 4 a o û t
Créé en 2008 à l’Opéra de Québec, revoici Starmania, l’opéra rock de Luc Plamondon et Michel Berger présenté en version lyrique, avec une sélection des meilleurs chanteurs d’opéra actuels. Dans le cadre du Festival d’opéra de Québec.
BERNARD LABADIE ET CHRISTOPHE DUMAUX pa L a i s m o n t C a L m – 26 j u i L L e t
Bernard Labadie et les Violons du Roy invitent l’une des figures de proue du baroque européen à venir jouer avec eux. Christophe Dumaux, ce chanteur contre-ténor français très en vogue, fera entendre notamment au public des airs du Giulio Cesare de Händel. Dans le cadre du Festival d’opéra de Québec.
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photo | Cameron Wittig
64 QUOI FAIRE VOIR QC
VO1 #O6
O7 / 2O16
photo | Cathy kanavy
CINÉMA
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SWISS ARMY MAN
LIGHTS OUT
JASON BOURNE
en saLLe depuis Le 1er juiLLet
en saLLe Le 22 juiLLet 2016
en saLLe Le 29 juiLLet
Paul Dano et Daniel Radcliffe jouent les naufragés suicidaires et les cadavres sympathiques dans Swiss Army Man, un premier long métrage surréaliste de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, connus en duo sous le nom Daniels. Lauréat du prix de la meilleure réalisation à Sundance, ce film aligne aventures rocambolesques dans la nature sauvage, humour juvénile, esthétique fantaisiste, poésie décalée et regard tendre sur l’amitié au masculin.
Film d’horreur américain hyper tendu, réalisé et écrit par David F. Sandberg et adapté d’un court métrage, Lights Out tire son suspense et son épouvante de la peur du noir, mettant en scène un personnage d’adolescente effrayée par l’obscurité et prise dans une inextricable terreur familiale. Un film maîtrisant savamment les ambiances angoissantes.
Il est de retour. Héros de la série littéraire créée par Robert Ludlum et incarné au cinéma par Matt Damon, Jason Bourne est au cœur d’une nouvelle intrigue d’action et d’espionnage entre Londres et les îles Canaries, en passant par Las Vegas.
CAFÉ SOCIETY e n s a L L e L e 29 j u i L L e t
Film d’ouverture à Cannes, le nouveau long métrage de Woody Allen raconte l’histoire d’un jeune homme qui se rend à Hollywood dans les années 1930 dans l’espoir de travailler dans l’industrie du cinéma, tombe amoureux et se retrouve plongé dans l’effervescence de la Café Society qui a marqué cette époque.
CAPTAIN FANTASTIC e n s a L L e L e 22 j u i L L e t
Après avoir été présenté au Festival de Sundance en début d’année, Captain Fantastic arrive en salle précédé d’une rumeur enthousiaste. Dans les forêts reculées du nord-ouest des États-Unis, vivant isolé de la société, un père se dévoue et consacre sa vie tout entière à faire de ses six jeunes enfants d’extraordinaires adultes. Mais quand le destin frappe la famille, elle doit abandonner ce paradis qu’elle avait créé pour elle.
GHOSTBUSTERS e n s a L L e L e 15 j u i L L e t
Avait-on vraiment besoin d’un remake de Ghostbusters? Les fans de la première heure seront néanmoins nombreux à se ruer au cinéma pour voir ce nouvel opus réalisé par Paul Feig. Cette fois, deux héroïnes féminines pulvérisent les fantômes qui attaquent Manhattan.
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66 QUOI FAIRE VOIR QC
VO1 #O6
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A MAISON DE L !RT DE RACONTER SOUS TOUTES SES FORMES
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!CTIVITĂ?S JEUNESSE TOUS LES SAMEDIS MATINS %SPACE MUSĂ?AL ,OUIS &RĂ?CHETTE %SPACE #ONTE 3ITUĂ?E EN BORDURE DE LA PISTE CYCLABLE FACE AU FLEUVE 0OUR SAVOIR PLUS
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ARTS VISUELS
%XPOSITIONS ORIGINALES
photo | hugo LatuLippe
25 X LA RĂ&#x2030;VOLTE m u s ĂŠ e d e L a C i v i L i s at i o n â&#x20AC;&#x201C; j u s Q u â&#x20AC;&#x2122; a u 12 m a r s
Vingt-cinq ĂŠvĂŠnements marquants depuis la chute du mur de Berlin ont captĂŠ lâ&#x20AC;&#x2122;attention du cinĂŠaste Hugo Latulippe. Passant de lâ&#x20AC;&#x2122;occupation de la place Tianâ&#x20AC;&#x2122;anmen en 1989 au printemps ĂŠrable de 2012, Latulippe propose des photoreportages historiques de ces revendications et bouleversements mondiaux.Â
JEFFREY POIRIER Centre dâ&#x20AC;&#x2122;artiste en art aCtueL â&#x20AC;&#x201C; du 16 juiLLet au 22 aoĂťt
Les installations colorĂŠes aux modules gĂŠomĂŠtriques de lâ&#x20AC;&#x2122;artiste Jeffrey Poirier seront partie intĂŠgrante de la programmation de Regart. Ses Ĺ&#x201C;uvres alliant sculptures et dispositifs artistiques ĂŠvoquent tout Ă la fois le numĂŠrique et le moderne.
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.
Paul-Émile Rioux
teomtl.com