MONTRÉAL VO1 #O7 | AOÛT 2O16 DOSSIER LES MUSICIENS DU PIXEL 3/4 OZ LE SANS-ALCOOL DÉBARQUE KLÔ PELGAG BOB WALSH VIRÉE CLASSIQUE OSM RIEL BENN MAG(M)A COMPAGNIE BILBOBASSO DES FRAISES EN JANVIER HISTOIRE HIPPIE / STONE STORY
MON AMI DINO
NOUVELLE EXPOSITION SCIENCE ET ART DU TEMPS QU’IL FAIT
Le seul musée dédié à l’environnement et aux changements climatiques en Amérique du Nord Jean-Drapeau|ec.gc.ca/biosphere
2016-02-25 9:55 AM Page 1
MONTRÉAL VO1 #O1 LA QUESTION RACIALE AU THÉÂTRE FRANCOUVERTES HIP-HOP QUÉBÉCOIS MONTRÉAL EN LUMIÈRE L’ENTOMOPHAGIE RAGNAR KJARTANSSON CINÉMA ÉROTIQUE DOSSIER: MÉDIAS LOCAUX VS GÉANTS MONDIAUX
CHARLOTTE CARDIN
2016-03-31 9:20 AM Page 1
MONTRÉAL VO1 #O3 | AVRIL 2O16
FRED FORTIN MARIE-EVE ROY DEAD OBIES LE TERRORISME AU CINÉMA REGARD SUR LE COURT VOIR VERT RAPHAËLLE DE GROOT DOSSIER MARIJUANA STEVE GAGNON LARRY TREMBLAY THÉÂTRE DU NÉOTERROIR
2016-06-29 9:36 AM Page 1
PIKNIC PLANÉTAIRE SAMITO FESTIVALS MUSICAUX LE QUÉBEC À CANNES SOCIOPOLITIQUE DU SURHOMME FTA FRÉDÉRICK GRAVEL STÉRÉOTYPES CHORÉGRAPHIÉS 2FIK GASPILLAGE ALIMENTAIRE GORGONA
LE SON DU ROC
FESTIVAL DE LA BD FRANCOPHONE DE QUÉBEC
UNITÉ MODÈLE
QUÉBEC VO1 #O5 | JUIN 2O16 MONTRÉAL VO1 #O4 | MAI 2O16
GENRES MUSICAUX DÉCOMPLEXÉS ANATOLE RUFUS WAINWRIGHT STEVE GAGNON LARRY TREMBLAY DANA GINGRAS MICRODISTILLERIES DU QUÉBEC JEAN-MARC VALLÉE DOSSIER NETFLIX
JEAN-MARC VALLÉE RADICALISATION ET CINÉMA VUES D’AFRIQUE DANA GINGRAS LES LETTRES D’AMOUR DOSSIER NETFLIX PRÉCARITÉ DES BARS-SPECTACLES GENRES MUSICAUX DÉCOMPLEXÉS RUFUS WAINWRIGHT MICRODISTILLERIES DU QUÉBEC PAUL NAKIS
LES MAUVAISES HERBES
9:17 AM Page 1
2016-03-31 10:50 AM Page 1
QUÉBEC VO1 #O3 | AVRIL 2O16
MONTRÉAL VO1 #O2
CRÉPUSCULE PROFESSION: PERSONNIFICATEURS 2 NIGHTS TILL MORNING TICKLED DANSER SUR LES ROUTES FENOSA ET PICASSO FOOD TRUCKS ROADTRIP (F)ESTIVAL + LE PROGRAMME DE LA VIRÉE CLASSIQUE OSM 2O16
MNBAQ / PAVILLON PIERRE LASSONDE
2016-07-13 2:51 PM Page 1
MONTRÉAL VO1 #O6 | JUILLET 2O16 OFF-FESTIVALS OSHEAGA NUITS D’AFRIQUE ZOOFEST ZONE HOMA BROMANCE AU CIRQUE RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE EN GASPÉSIE FEUILLES MORTES DU POTAGER À L’ASSIETTE CE QUE MANGENT (VRAIMENT) LES CHEFS DOSSIER VIE DE TOURNÉE
KING DAVE
MONTRÉAL VO1 #O7 | AOÛT 2O16 DOSSIER LES MUSICIENS DU PIXEL LE SANS-ALCOOL DÉBARQUE 3/4 OZ UN HISTOIRE HIPPIE DES FRAISES EN JANVIER MAG(M)A COMPAGNIE BILBOBASSO RIEL BENN KLÔ PELGAG BOB WALSH VIRÉE CLASSIQUE OSM
MON AMI DINO
CECI EST MON VOIR LIVRÉ POUR VOUS ENCOURAGEZ LA CULTURE D’ICI ABONNEZ-VOUS! TARIFS ABONNEMENT ANNUEL 59 $ = 12 NUMÉROS 78 $ = 12 NUMÉROS + GUIDE RESTOS 129 $ = 12 NUMÉROS + GUIDE RESTOS + VIP 40 % BOUTIQUE VOIR 12 MOIS Détails sur voir.ca/abonnement
V
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O1 O7 MONTRÉAL | AOÛT 2016
RÉDACTION
Rédacteur en chef national: Simon Jodoin / Chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections scène et cinéma: Philippe Couture / Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen / Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnatrice des contenus: Alicia Beauchemin / Correctrice: Marie-Claude Masse
COLLABORATEURS
Catherine Genest, Marie Villeneuve, Réjean Beaucage, Christine Fortier, Ralph Boncy, Nicolas Gendron, Jean-Baptiste Hervé, Jérémy Laniel, Monique Giroux, Alexandre Taillefer, Franco Nuovo, Émilie Dubreuil, Normand Baillargeon, Eric Godin
PUBLICITÉ
Directeur adjoint aux ventes: Jean Paquette / Ventes régionales: Céline Lebrun Représentantes aux ventes nationales: Isabelle Lafrenière, Nathalie Rabbat Représentants: Catherine Charbonneau, Antonio Genua
OPÉRATIONS / PRODUCTION
Directrice du marketing et des communications: Sylvie Chaumette Coordonnatrice marketing et projets spéciaux: Danielle Morissette Directeur du développement web: Simon Jodoin / Administrateur réseau et système principal: Derick Main Chef de projets web: Jean-François Ranger / Développeur: Mathieu Bouchard / Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas, Thearron Sieng-you / Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larrivée-Roy / Commis de bureau: Frédéric Sauvé / Chef d’équipe administration: Céline Montminy Coordonnateur service à la clientèle: Maxime Comeau / Service à la clientèle: Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière / Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars / Impression: Imprimerie Chicoine
PHOTO COUVERTURE John Londoño | leconsulat.ca
DISTRIBUTION Diffumag 514 842-6809
COMMUNICATIONS VOIR
Président: Michel Fortin / Vice-président: Hugues Mailhot
VOIR est distribué gratuitement par Communications Voir inc.
© 2016 Communications Voir inc. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920
338, rue Saint-Antoine Est, bureau 301. Montréal (Qc) H2Y 1A3 Téléphone général: 514 848 0805 Télécopieur: 514 848 0533
34
«C’ÉTAIT MOI, ET PAS MOI NON PLUS. J’AI DÛ ALLER PUISER À L’INTÉRIEUR DE MOI. COMME POUR JOUER UN ASSASSIN. C’EST SURRÉEL, MAIS ON L’EST TOUS PARFOIS.» Photo | John Londoño / Consulat Assistant | Maxime St-Jean Maquillage / Coiffure | Brigitte Lacoste Stylisme | Amanda Van der Siebes Production | Eliane Sauvé
8
SCÈNE
Mag(m)a Compagnie Bilbobasso Des fraises en janvier
16
MUSIQUE
28
DOSSIER
34
CINÉMA
42
ART DE VIVRE
50
LIVRES
54
ARTS VISUELS
60
QUOI FAIRE
Klô Pelgag Bob Walsh Virée classique de l’OSM Les musiciens du pixel Histoire Hippie / Stone Story 3/4 oz Le sans-alcool
Le devoir de désobéir… Riel Benn
CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p26) Émilie Dubreuil (p32) Normand Baillargeon (p40) Alexandre Taillefer (p58)
6 CHRONIQUE VOIR MTL
VO1 #O7
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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
ABONNEZ-VOUS, QU’ILS DISAIENT! L’été est une saison cruelle. On se réveille après la mijuillet devant une fatalité: nous serons bientôt en août! Et quelques jours plus loin, ce sera la rentrée. J’aimerais un jour développer une théorie de la relativité estivale, ou en tout cas une philosophie sur le rapport espacetemps des saisons. L’hiver est long, l’été est court. En attendant, j’égraine entre mes doigts chaque seconde de météo, comme dans un sablier où on aurait mis le sable d’une plage. Je voulais vous donner des nouvelles de notre magazine que vous tenez entre vos mains. Car c’est un autre phénomène temporel intéressant et, justement, j’ai une annonce à vous faire pour la rentrée. En cette époque où tout se passe si vite, où les contenus médiatiques déboulent à une vitesse folle sur nos écrans, où chacun y va de son commentaire instantané – un simple like suffit pour se prononcer –, comme vous le savez, nous avons choisi de vous proposer un magazine mensuel. Si vous pouviez voir tout le courrier que je reçois depuis. Et pas simplement quelques mots! Des phrases, des paragraphes! Même plusieurs jours après la distribution, ça continue de rentrer. Sachez d’ailleurs que je lis tous vos messages même si je ne réponds pas toujours. Une autre contrainte de l’espace-temps. Chaque premier jeudi du mois, en quelques heures, tous les exemplaires du magazine s’envolent. Tous, sans exception. 25 000 exemplaires à Québec et 50 000 à Montréal trouvent leurs lecteurs. Quelques questions reviennent systématiquement: Comment puis-je m’assurer de trouver le prochain numéro? Pouvez-vous m’envoyer l’exemplaire du mois d’avril, ou du mois de mai, car je les collectionne! Est-ce possible de s’abonner? Vous dire combien ces messages nous font plaisir... À l’heure de l’information jetable, où nous croyons pouvoir tout trouver en quelques secondes avec un
machin électronique, vous êtes nombreux à nous dire que vous lisez chaque mot de notre magazine et que vous souhaitez même y retourner de temps en temps. Alors voilà, permettez-moi d’utiliser cette chronique pour faire un peu de promotion et répondre à vos nombreuses demandes: oui, c’est décidé, nous allons de l’avant. À partir de maintenant, vous pourrez vous abonner au magazine Voir. Vous le recevrez ainsi tous les mois à votre porte à partir de septembre. Pour ce faire, nous avons concocté trois forfaits. Pour 59$, vous recevrez 12 numéros du magazine. Pour 78$, vous recevrez 12 numéros du magazine et notre Guide Restos annuel qui vous sera envoyé en novembre 2016. Enfin pour 129$, vous recevrez les 12 numéros, notre Guide Restos annuel ainsi qu’un abonnement VIP Boutique Voir pour une année. En étant VIP sur notre boutique, vous recevez 40% de plus en argent pour vos sorties culturelles, vos soirées au restaurant et vos achats dans les commerces partenaires. D’ailleurs, je vous encourage vivement à visiter notre site boutique.voir.ca pour y voir nos offres de commerces locaux de proximité. Vous constaterez rapidement qu’avec les économies qu’on vous propose, au final, votre abonnement ne vous coûtera rien du tout. Au contraire, même, vous y gagnerez au change! Voilà! Vous avez le choix. Et vous embrasserez votre facteur de notre part! Nous continuerons bien entendu de distribuer les exemplaires gratuits du magazine à Montréal et à Québec sans diminuer le tirage.
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Alors? Pourquoi, au juste, proposer un abonnement, me demandez-vous? C’est une bonne question. D’abord, des centaines de lecteurs, qui n’arrivent pas à se procurer un exemplaire du magazine, nous écrivent tous les mois en nous demandant s’il serait possible de s’abonner afin de recevoir le magazine par la poste. Ensuite, nombreux sont ceux qui habitent hors du circuit de distribution et qui souhaitent nous lire. Nous ne comptons plus les appels et courriels à ce sujet. Nous en sommes d’ailleurs très fiers. Certes, le magazine Voir est enraciné dans la capitale et la métropole, mais nous sommes heureux de constater que notre traitement de l’actualité culturelle rejoint le cœur des lecteurs partout en province. Il s’agit même pour nous d’un objectif: décloisonner la culture qui peut parfois sembler coincée dans les centres urbains. Finalement, il me semble important d’évoquer un autre motif qui nous apparaît essentiel. Oui, Voir est un média distribué gratuitement depuis bientôt 30 ans. Notre publication a toujours été gratuite. L’accès à notre site web, où nous publions des centaines d’articles par mois, est aussi gratuit. Cette gratuité et cette libre circulation de l’information continuent d’assurer un lien fort entre les artistes, les créateurs et le public. Nous pensons même qu’il s’agit d’un service essentiel.
Or, c’est un peu bête à dire, mais la gratuité, ça coûte quelque chose. En lançant le magazine, nous avons fait un pari audacieux: tout miser sur un contenu de qualité, sans le coincer dans une mer de publicités. Nous pouvons dire aujourd’hui que ce modèle tient la route. Les lecteurs et les annonceurs sont au rendez-vous et le succès est phénoménal. Nous invitons donc maintenant nos fidèles lecteurs et lectrices qui le désirent à prendre part à notre aventure. Avec nos formules d’abonnement, pour quelques dollars par mois, non seulement vous serez assurés de nous lire tous les mois, mais vous financerez aussi la circulation libre et gratuite de la culture locale. Pour finir, aussi, après tout, on peut se vanter un peu. Il est magnifique notre magazine! Vous pourriez même l’offrir en cadeau! Rendez-vous sur voir.ca/abonnement pour en savoir plus. Et, surtout, continuez de nous écrire! On se revoit en septembre! Eh oui… déjà la rentrée! D’ici là, profitez bien des beaux jours! Ils passent trop vite. y sjodoin@voir.ca voir.ca/abonnement
9 scène VOIR MTL
VO1 #O7
la genèse de la violence TouT l’éTé, les jeunes arTisTes de la compagnie casTel BlasT, de nouveaux visages que l’espace liBre a osé programmer en ouverTure de sa saison d’auTomne, répèTenT leur pièce MAG(M)A avec une TrenTaine d’acTeurs-danseurs. incursion dans l’anTre créaTif d’une relève qui veuT créer sans compromis un ThéâTre imagé eT sacré. MOTS | PHILIPPE COUTURE
PHOTO | CLÉMENT LOISEL
Dans l’appartement de Léo Loisel en ce mardi matin ensoleillé, un projecteur diffuse sur le mur blanc du salon l’une des scènes finales d’Inferno, le spectacle de Romeo Castellucci qui avait sublimé la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon en 2008. Loisel, jeune comédien issu de l’École nationale de théâtre, veut rafraîchir la mémoire du journaliste, mais aussi de ses cocréateurs Xavier Mary, Olivia Sofia et Guillaume Rémus, tous d’assez grands fans de l’iconoclaste et angoissant Castellucci. L’écran repasse la scène où les spectateurs de la Cour d’honneur sont peu à peu recouverts d’un immense drap blanc: une marée humaine immaculée, image de pureté comme évocation du linceul qui recouvre les morts. Tout est là. Entre pulsion de vie et pulsion de mort, entre quête du sacré et ambiances anxiogènes, le théâtre de Castellucci est l’une des principales sources d’inspiration du collectif Castel Blast. Le nom du grand metteur en scène italien sera prononcé souvent pendant la réunion de production à laquelle l’équipe m’a invité à assister, et aussi pendant l’entrevue qui suivra. Ainsi que celui d’Alejandro Jodorowsky, de Joël Pommerat, de Pina Bausch ou de Markus Öhrn. À la sortie de leur spectacle en version laboratoire à l’été 2015 dans une église du PlateauMont-Royal, c’était d’ailleurs l’impression la plus tenace qui me frappait, celle d’une jeunesse un peu candide mais plutôt inspirée, qui avait fait des images de Castellucci son petit lait. Ils en revendiquent volontiers l’influence.
Loisel, qui avoue son rapport trouble avec la religion catholique, dira notamment ceci, citant le grand maître italien que l’on connaît aussi pour sa réinterprétation des grands symboles chrétiens: «Castellucci dit que son désir est de faire du théâtre à l’intention d’un Dieu qui le regarde. Je me reconnais vraiment beaucoup là-dedans. Il faut s’adresser aux spectateurs, mais en parlant à ce qui est plus grand qu’eux, à ce qui est transcendant et sublimé en eux.» Observant son complice en souriant, Olivia Sofia ajoutera, plus pragmatique, qu’«il y a peut-être une forme de quête de spiritualité dans Ma(g)ma». «Car on va se le dire, on est des perdus, des déboussolés spirituellement. Travailler le rite, ça nous permet de chercher ce qu’il y a d’immense et qui ne demande qu’à être atteint par nous.» L’enfant contre la violence du monde Sur la scène vide, un tapis blanc. S’y installe un enfant. Seul, innocent et pur. Dans une suite de tableaux vivants – parfois des images fixes comme sur une toile, parfois des mouvements de groupe très chorégraphiés –, l’univers vierge de cet enfant sera perturbé, assailli notamment par des sons grinçants ou par une horde d’hommes au torse dénudé. «Seulement des hommes, précise Olivia, mais la notion de virilité ne nous intéresse pas en tant que composante stéréotypée de la masculinité; on aime une virilité très variée, que chacun exprime selon ses codes personnels et avec la corporéité qui lui est propre.»
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La lumière, et peut-être quelques effets vidéo, compteront aussi beaucoup dans l’univers scénique que cherchent à créer Léo, Sofia, Xavier et Guillaume. Ce jour-là, attablés ensemble avec tout le sérieux du monde, ils observent et commentent des images issues de performances interactives dans lesquelles la lumière sculpte l’espace et crée des corridors énigmatiques: ces documents amenés par leur collaboratrice Laura-Rose R. Grenier semblent les inspirer particulièrement. Qu’en restera-t-il le soir de la première? Mystère insondable de la création. Olivia vient de la danse contemporaine, Léo du jeu, Xavier de la scénographie, Guillaume du son numérique. Mais ils sont unis par une curiosité pour l’homme, par un intérêt pour les questions métaphysiques fondamentales, par un désir de poser de grandes questions essentialistes sans nécessairement chercher de vraies réponses. «On peut interpréter que l’enfant, dans cette pièce, représente notre solitude originelle, tente Olivia Sofia. Mais aussi notre pureté originelle devant une certaine violence du monde extérieur. C’est la part intègre et naturelle de soi que l’on ne veut pas perdre au contact du groupe.» «C’est une pièce, poursuit Xavier Mary, sur les rites de passage d’un enfant qui cherche sa place dans le monde. Qui est frappé par le monde de manière violente, qui prend conscience de ce monde avec fracas. C’est l’innocence originelle qui se perd au contact de la civilisation, au contact de la masse. Du moins, je pense que c’est ce qu’on tente d’explorer de différentes manières. Mais on veut aussi sans doute raconter la prise de conscience par cet enfant de sa propre pulsion de violence, de son propre pouvoir de destruction, qui peut être dévastateur comme il peut être un moteur, une pulsion de vie. On parle de violence, mais on la voit aussi comme une force agissante, qui peut aussi se dévoiler dans la subtilité.» Sexe, chasse et microclimats Dans la version labo présentée à Zone Homa l’été dernier, Loisel était narrateur en voix hors champ et comparait, dans une scène mettant en scène des corps lascifs dans un bar, le ballet des corps séducteurs à une situation de chasse tout à fait primitive. La violence est aussi dans les rapports sexués, pense le quatuor. Là où l’on voit de l’amour, il y a aussi de la cruauté. «La violence, explique Léo, c’est souvent la pulsion sexuelle, ou disons, plus largement, la pulsion corporelle, le défoulement du corps.» Pour arriver à représenter tout ça, Castel Blast mise sur une certaine démesure, avec sa distribution hétéroclite de 30 acteurs-danseurs, de jeunes et fougueux interprètes qui sont prêts à tout. Mais ce
PHOTOS | COLI EARP LAVERGNE
qui les intéresse avant tout, c’est d’inventer un théâtre d’ambiances et de climats, qui raconte par ses atmosphères et sa sensorialité. «L’ambiance, pour nous, est porteuse d’une plus grande histoire que n’importe quel récit», conclut un Léo Loisel très convaincu. Et plutôt convaincant. y Du 31 août au 10 septembre à l’Espace libre.
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C’est la découverte du tango argentin qui a donné un nouvel élan créatif inattendu à Hervé Perrin et Delphine Dartus, deux anciens membres de la Compagnie la Salamandre, collectif artistique qui réunit feu et arts de la rue. «Dans cette compagnielà, on utilisait beaucoup le feu, et le tango argentin s’est vite imposé à nous. Dès lors, ça a été comme un choc, une révélation: on a eu tout de suite envie de créer une forme qui alliait le tango argentin et le feu. On a tous été surpris d’où ça nous a menés sur le plan des émotions, des formes, de l’esthétique et de l’ambiance. Donc est née cette forme courte qui a jeté les bases de notre recherche. On avait vraiment l’impression de mettre le doigt sur quelque chose d’immense et de n’en aborder qu’une minuscule partie, bien humblement.»
Alors que le feu pourrait être vu comme une contrainte et un obstacle aux représentations en salle, il est loin d’être ainsi perçu par le duo d’artistes, qui le voit plutôt comme un ensemble cohérent et harmonieux, lorsque mêlé au tango et à la musique. La rue devient un terrain de jeu pour explorer la forme particulière de leurs spectacles, un endroit où tout, ou presque, devient possible. «Ce qui nous plaît et nous attire avant tout, c’est que c’est une façon particulière d’être en communion avec cet élément, mais aussi, avec l’aide de la danse, ça devient une façon de bouger, d’être ensemble, qui provoque une attention et un regard très spéciaux de la part du spectateur. Le tango argentin, on peut croire que c’est une danse très extérieure, mais en fait, ce n’est pas ça du tout! Nous croyons dans la compagnie que
dompTeurs de flammes mise sur pied en 2006, la compagnie BilBoBasso s’amuse à créer avec la musique, le Tango argenTin eT la manipulaTion du feu un heureux eT specTaculaire mélange qu’elle présenTe dans les rues d’ici eT d’ailleurs. le fesTival de ThéâTre de rue de lachine l’a inviTée à nouveau à y présenTer deux de ses specTacles. enTreTien avec delphine darTus, arTisTe auTodidacTe eT codirecTrice de la compagnie. MOTS | MARIE VILLENEUVE
Bilbobasso revient en force à Montréal avec A Fuego Lento et Polar, créations ayant déjà voyagé en Europe et nous honorant de leur visite en terre québécoise. Tandis qu’A Fuego Lento raconte l’histoire intime, sensuelle et enflammée d’une rencontre amoureuse entre deux êtres, Polar s’en éloigne du côté narratif comme celui de la forme. Une alliance entre le roman noir, le cinéma muet et le cabaret caractérise cette création excentrique. «On est partis d’un concept un peu plus narratif pour raconter une histoire assez noire, mais aussi plutôt légère, très tapeà-l’œil, flamboyante, en recherchant de nouvelles associations artistiques. Les musiciens sont danseurs, les danseurs sont musiciens, tout le monde est au milieu du feu à le braver et à braver les différentes disciplines, et je crois que c’est ce qui fait en sorte que cette forme artistique que nous avons créée est originale et en quelque sorte assez surprenante.»
c’est une danse qui se joue dans la communication entre deux personnes, par le corps comme dans le mouvement. Les deux personnes sont concentrées l’une sur l’autre et il y a quelque chose de très fort qui s’en dégage. Et nous, de la même façon, c’est ce qui se produit avec le feu. J’ai un peu l’impression que dans cette relation-là, il y a comme une grande force qui s’en dégage et qui nous permet de pointer des choses, de raconter, d’exprimer ce qu’on aime beaucoup: une proximité avec ce feu.»
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(EN HAUT) A FUEGO LENTO, PHOTO | MICHEL WIART (CI-CONTRE) POLAR, PHOTO | SAVANNAH HOSKINS
Delphine Dartus remarque que la forme artistique utilisée par Bilbobasso attise des réactions fort différentes du public, touché par la fragilité et la sensibilité de A Fuego Lento et la férocité de Polar. «Règle générale, les spectateurs sont fascinés par le feu. C’est un élément qu’ils connaissent comme un danger, un truc qu’ils aiment bien approcher pour se réchauffer, mais pas trop, car sinon il devient nuisible. Nous, on fait fi de toutes ces recommandations et on parle au public à travers le feu. Ce qu’on fait se rapproche de l’illusion et ça relève pratiquement de la magie. On fait tout d’instinct, de la manière qui nous semble la plus honnête et, surtout, par là d’où on est arrivés, c’est-à-dire par notre cœur.» y Polar sera présenté au parc Saint-Louis les 26 et 27 août à 21h. A Fuego Lento sera présenté sur la rue Notre-Dame, au centre-ville de Lachine, le 25 août à 21h.
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du folk eT des fraises en 1999, une jeune evelyne de la chenelière écrivaiT des fraises en janvier, comédie d’amour eT de jeunesse qui a éTé presque incessammenT jouée depuis, ici comme ailleurs. les chassés-croisés amoureux de françois, roBerT, léa eT sophie reprennenT vie en version comédie musicale folk-americana ceT éTé à jolieTTe! MOTS | PHILIPPE COUTURE
PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
«Je connais ton cycle menstruel et les humeurs qui vont avec pis ça m’a fait tomber en amour avec toi. Je le trouve beau, ton linge sale.» Voilà les mots qu’utilise François, scénariste en devenir et propriétaire de café, pour séduire la jolie Sophie, une jeune femme terre-à-terre en quête de l’amour parfait. Des fraises en janvier, légère comédie romantique faite de poésie du quotidien et d’une accumulation de faux-semblants, est entièrement tissée de ce genre de répliques un peu naïves, mais tout à fait charmantes. «Je ne vois pas pourquoi, si on aime faire les courses ensemble, faire le ménage ensemble, prendre le petit-déjeuner ensemble, regarder de vieux films ensemble, je ne vois vraiment pas pourquoi on n’aimerait pas faire l’amour ensemble, chose plus excitante, il me semble, que les courses, le ménage et les vieux films, alors je te propose qu’on se marie au printemps.» Aussi simple et aussi beau que ça! Les personnages qu’inventait Evelyne de la Chenelière du haut de ses 24 ans avaient soif d’amour et s’émouvaient quand «le gazon sent bon le gazon mouillé». «C’est vraiment sentimental», dit la comédienne Laurence Dauphinais, qui incarnera Sophie sur la scène du Centre culturel de Joliette. «C’est une comédie romantique très pure, avec une naïveté assumée. C’est tout à fait charmant et drôle, avec une folie et une belle frénésie. Mais ce que j’aime plus que tout, c’est que ça n’a rien de ringard. Ce sont des personnages qui choisissent la beauté délibérément. Qui font le choix du beau.»
En faisant de ses personnages des idéalistes qui se projettent dans une vie meilleure, qui mentent et qui s’inventent des existences fantasmatiques, de la Chenelière créait aussi une intelligente structure dramatique croisant les mensonges et les vérités. «J’aime beaucoup, dit le comédien Jean-Philippe Perras, le fait que ce soit deux gars qui se parlent et qui commencent à raconter les autres personnages, à se laisser bouleverser par une fiction qui leur arrive de l’extérieur, et comment à travers ça, il est aussi question d’écriture. C’est très bien construit. L’obsession de l’écriture, l’écriture comme sujet même de l’écriture, c’était déjà présent chez cette jeune Evelyne-là. Elle a raffiné ça par la suite.» «C’est une pièce sur la vie du jeune adulte et les désillusions qui viennent avec, poursuit Dauphinais, mais dans une tonalité douce, sans pessimisme. Les personnages y sont confrontés à leurs illusions, à leurs tromperies, aux histoires qu’ils se sont racontées sur eux-mêmes, aux mensonges qu’ils se sont enfoncés loin dans la gorge, à leurs multiples dénis. Mais ils ne sombrent jamais dans le cynisme.» Et comme l’amour, c’est toujours mieux en chantant, cette production dans laquelle jouent aussi Stéphane Archambault et Isabelle Blais sera en partie une pièce musicale, dans laquelle on se chante la pomme en mode folk et americana. Oui, oui! Un registre musical intimiste et aux textures un peu rurales, parce que Des fraises en janvier est aussi par moments un ballet entre la ville et la campagne. Une musique signée Ludovic Bonnier et Audrey Thériault. y Du 5 août au 3 septembre au Centre culturel de Joliette.
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À l’aveuglette À quelques semaines de la sortie de son très attendu deuxième album, Klô Pelgag nous ouvre les Portes du studio la traque, lÀ où elle finalise ses sessions d’enregistrement avec le réalisateur sylvain gabatine. récit d’une rencontre aussi généreuse que saugrenue. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN
PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU
C’est une Klô Pelgag radieuse, le sourire contagieux, qui nous accueille dans son studio étroit, au détour d’un des nombreux couloirs du labyrinthique La Traque. Au loin, délaissant sa souris, Sylvain Gabatine s’apprête à se lever, au même moment où sa complice le ramène à l’ordre. «T’étais supposé de faire comme si t’étais aveugle!» lui envoie-t-elle, avant d’éclater de rire. À tout le moins, le trompe-l’œil – carrément raté – donne le ton à l’entrevue.
«Je vais me contenter de mettre mes lunettes d’aveugle», rétorque un Sylvain Gabatine aussi diverti que médusé, empoignant sur son bureau une paire de verres fumés qu’il gardera sur son nez tout au long de l’entrevue. Faisant équipe pour une deuxième fois, Gabatine et Pelgag ont la folie facile et la complicité palpable. Les voir interagir et délirer ainsi laisse présager une ambiance de travail harmonieuse, propice à la création d’une œuvre singulière, au-delà de tous formats et standards consensuels. «C’est un album beaucoup plus ambitieux», indique l’auteure-compositrice-interprète sur une note plus sérieuse. «On a travaillé avec un orchestre de 20 musiciens. C’était fou… On s’est vraiment gâtés.» Enregistré dans un premier temps au Studio B-12 de Valcourt, l’album a ensuite bénéficié d’une aide précieuse. Sacrée Révélation Radio-Canada 20142015, Klô Pelgag avait en banque des heures d’enregistrement au réputé Studio 12 de la société d’État.
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KLÔ PELGAG ET SYLVAIN GABATINE
C’est là que l’orchestre mené par Nicolas Ellis (chef assistant en résidence à l’Orchestre symphonique de Québec) a été réuni, le temps d’une journée bien chargée. Au préalable, les fidèles acolytes de la chanteuse (c’est-à-dire le batteur Charles Duquette, le contrebassiste Philippe Leduc, la violoniste Fanny Fresard, l’alto Lana Tomlin et la violoncelliste Elyzabeth Burrowes) avaient été mandatés pour repérer et suggérer de talentueux musiciens. Sur place, le multi-instrumentiste, arrangeur et frangin Mathieu Pelgag a tout mis en place pour que la courte session se déroule bien. «Pour lui, c’était des mois de préparation qui, en bout de ligne, aboutissaient à six heures de travail», relate le réalisateur. «On aurait aimé avoir plus de temps, mais on n’avait pas un budget assez gros pour engager autant de musiciens plus qu’une demi-journée.» «En fait, si on avait eu plus d’argent, on aurait tout simplement payé une opération au laser à Sylvain», plaisante à nouveau la chanteuse de 26 ans. Tempérament imprévisible Cette propension à déconcerter, Klô Pelgag la cultive également dans sa musique. Si en spectacle cette attitude donne lieu à de sublimes imprévus, elle est généralement moins viable en studio, là où les normes et les limites sont plus définies. «Parfois, ça peut être difficile de capturer une énergie aussi
spontanée. C’est quelque chose qu’on doit souvent travailler», admet Gabatine, recueillant l’approbation de sa collègue par un hochement de tête. D’ailleurs, le batteur Charles Duquette a grandement contribué à atténuer le tempérament imprévisible de la Gaspésienne. «C’est un gars qui l’aide beaucoup côté tempo. On peut dire qu’il est la colonne vertébrale de l’ensemble de la création», résume le réalisateur. «On a une relation qui grandit, Charles et moi, enchaîne sa complice. Beaucoup de chansons ont d’abord été enregistrées batterie-voix.» À la base, toutefois, ce deuxième album a été entièrement écrit et composé en solo par Klô Pelgag. Sur la route pendant près de deux ans et demi, autant ici qu’en France, la chanteuse n’a pas pris de pauses avant de se remettre au travail. «Je me suis rendu compte que j’avais accumulé plein de débuts d’ébauche de chansons. Dès que la tournée a pris fin, je voulais travailler sur quelque chose. Je faisais juste penser à ça!» se remémore-t-elle. «Mon objectif premier, c’était d’écrire des tounes joyeuses, mais ça a pas vraiment marché…» «Sur l’autre album aussi, elle voulait ça...» enchaîne Sylvain Gabatine, moqueur. «D’habitude, quand Klô te dit qu’elle a composé une chanson joyeuse, ça parle de mort et c’est en mineur!»
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Les rires francs reprennent, mais rapidement, Pelgag prÊcise son point de vue avec un ton consÊquent: Le nouveau, il a une angoisse diffÊrente du premier. Il est teintÊ de plusieurs de mes remises en question‌ On dirait que, plus que jamais, je sais c’est quoi, faire de la route jusqu’à en être ÊcœurÊe. Quand j’ai commencÊ à Êcrire en dÊcembre, j’avais peur de ne plus jamais avoir envie de faire des spectacles. Finalement, c’est revenu, mais ça a pris une coupure‌
Après quelques secondes de silence, elle poursuit: Pendant le voyage, j’ai parlÊ à plein de gens, sans jamais trop parler de moi. Je voulais simplement connaÎtre la rÊalitÊ de ces gens-là qui trippent sur les poissons tropicaux et qui, Êtrangement, ne se trouvent pas importants, alors qu’ils le sont. Je veux pas trop idÊaliser ce que j’ai vu là -bas parce que je sais qu’il y a probablement des failles‌ Mais ça m’a fait du bien de voir des gens aussi vrais, qui respectent autant la nature.
Pas d’ambitions dÊmesurÊes
RevigorÊe, la rÊvÊlation de l’annÊe 2014 au Gala de l’ADISQ ne semble pas trop s’en faire avec les attentes de son public grandissant.
Et cette coupure, c’est le voyage qu’elle a fait en mai dernier, juste après avoir terminÊ l’essentiel de l’enregistrement de cet album. Ça m’a vraiment fait du bien, confie-t-elle, souriante. Je suis partie sur le pouce faire le tour de l’Islande. J’ai renouÊ avec la base de la vie, et ça m’a redonnÊ foi en l’humain. Quand tu travailles beaucoup et que tu sens que l’industrie te force à produire des shows à la chaÎne, c’est quelque chose que tu peux facilement oublier‌
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À l’inverse, elle dÊgage l’image d’une musicienne confiante, lÊgèrement au-dessus de la mêlÊe. Contrairement à plusieurs de mes amis musiciens, j’ai pas nÊcessairement envie de devenir plus populaire avec mon deuxième album, assure-t-elle. Mon rêve, c’est pas de jouer au Centre Bell ou de gravir les Êchelons de la popularitÊ. Moi, j’aime ça, faire des shows dans des petits endroits. C’est là que je vis mes meilleurs moments. y
Le deuxième album de Klô Pelgag paraÎtra le 30 septembre prochain.
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21 Il y a des gens, quelques rares artistes, pour qui la musique est une vocation. Comme un professionnel de la santé, comme une enseignante. Qu’est-ce que vous auriez fait, si vous n’aviez pas chanté? Silence. «Je pense que j’aurais été pompiste.» Difficile de répondre à une question qu’on ne s’est (probablement) jamais posée. Depuis le début des années 1970, Bob Walsh fait du bien à ceux qui l’écoutent et les console. Des nuits enfumées des bars du Vieux-Québec d’alors aux salles officielles qui l’accueillent aujourd’hui, le chanteur continue de rouler sa bosse, de construire son mythe avec la force tranquille du vétéran. Originaire de Montcalm, ce quartier de la Haute-Ville de Québec associé à la St. Patrick’s High School qu’il a fréquentée, le petit Bob a été bercé par Ray Charles, Louis Armstrong et les autres héros des fifties. Chez lui, il n’y avait pas d’instruments, pas de joueurs, mais la musique était omniprésente. «Mon père chantait, il était aveugle comme une taupe, il s’assoyait au bout de la table et il chantait avec la radio. Il chantait comme un vieux. J’imagine que c’est de là que me vient mon intérêt pour le chant.»
devrais avoir quelque chose à dire, depuis le temps. Parler des années folles, etc. Ce serait l’fun. Ce serait mes mémoires en musique.» Sa rencontre avec l’harmoniciste Guy Bélanger, complice précieux encore à ce jour, remonte précisément à cette époque. «J’étais en train de jouer tout seul et j’entendais un harmonica. Je ne savais pas d’où ça venait, je ne voyais pas parce que l’éclairage était sur moi. Finalement, je l’ai spotté et, pendant un break, je suis allé chercher un fil et un autre micro. J’ai branché ça dans l’ampli et j’ai dit: “Toi, viens ici p’tit bonhomme!” C’est de là que ça part, le partnership. […] C’était dans mes débuts à moi aussi, je ne gagnais pas une tonne d’argent et c’était dur de le payer. Ça fait que, de temps en temps, il rentrait et il jammait. Ça faisait du bien et tout le monde aimait ça. [Les propriétaires de bar] ont fini par nous engager et on a joué à droite et à gauche. C’est un peu flou tout ça. Quand j’y repense, je trouve ça un peu romantique.» Le temps passe, file à vive allure, mais l’union musicale de Guy et Bob est scellée. C’est avec lui que l’interprète et guitariste montera sur scène au Festiblues. Au pro-
le roi de cœur «monsieur-moi Pas, c’est bob mon nom.» Humble et tendre, le légendaire bluesman de québec traîne avec lui son lot d’Histoires, des cartes Postales de la scène locale étalées sur quatre décennies. MOTS | CATHERINE GENEST
C’est finalement son chum Frédéric Bisson, son mentor, qui l’initiera à la guitare et lui prêtera la sienne pendant des semaines. «J’avais peut-être 9, 10 ou 11 ans, dans ces eaux-là. J’en jouais dès que je m’ennuyais et je m’ennuyais souvent. […] À ce moment-là, je faisais du country, du folk. Le country, ça peut se rapprocher du blues un peu. Quant à moi, le country c’est le blues de l’homme blanc, point final.» Vivre dans la nuit La nostalgie l’emporte souvent, même s’il a gravi les échelons un à un, même s’il n’a absolument pas volé son succès, cette notoriété qui le dépasse. Avant d’être médiatisé et d’endisquer, parce que «ça ne veut pas tout dire pour un artiste», Bob (puisque c’est comme ça qu’il a demandé d’être appelé) était la super vedette de la scène indie, bien avant que ce terme-là n’existe. «Ces années-là, pour moi, c’était magique. On était connus comme Barabbas à travers la province même si on faisait juste trois ou quatre bars dans le Quartier latin.» Le Vieux-Québec, c’était sa talle. Son royaume. Une période charnière qui risque de lui inspirer son prochain disque. «Faudrait que je me mette à écrire, je
PHOTO | JAMES SAINT-LAURENT
gramme: assurément quelques chansons de l’album After the Storm, un titre évocateur, une collection de chansons livrées «toutes faites» par des auteurs (dont Ray Bonneville) qui se clôt par une rare compo autobiographique du chanteur. Un texte, une musique qui a pris tout le monde par surprise en 2015, un cadeau inestimable et un hommage à sa douce Maddy qui veille sur lui. «C’était après l’opération, mon triple pontage, avec le changement de valve, tout ça. Ça m’a tenu à l’hôpital pour un bon six mois. Après ça, peut-être un an après, on a décidé qu’on ferait un album et j’ai composé cette affaire-là. C’est sorti d’un jet. Un gros 20 minutes ou une demiheure, et la chanson était écrite. C’est spontané et ça dit ce que ça a à dire.» En pleine forme au moment de notre entretien avec lui, Bob Walsh touche du bois et rayonne, profite d’une santé chèrement acquise. Il continue de panser les plaies des autres avec sa voix pure (lire: raw) et chaleureuse à la fois, son amour profond de la musique qui l’habitera «pour le restant de [ses] jours». Il nous en donne sa parole. y Dimanche 14 août à 21h Dans le cadre du Festiblues
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maratHon olymPique la musique classique va À la rencontre des Publics Pour une cinquième édition de la virée classique. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTO | KORALIE DEETJEN-WOODWARD
«Ça prend des beaux fous pour dire: on fait des dizaines de concerts en un week-end avec 200 musiciens», lance France Beaudoin au bout du fil. À la veille de la cinquième édition, la porte-parole de la Virée classique de l’Orchestre symphonique de Montréal admire le dévouement des artistes de ce marathon annuel de musique classique, déjà bien établi dans la Métropole. «C’est la démocratisation, rendre accessible la culture, et ce, à tous points de vue», indique-t-elle. La Virée classique, c’est des dizaines de concerts abordables, et quelquesuns gratuits dont le grand événement d’ouverture au Parc olympique, où convergent des dizaines de milliers de personnes dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve chaque année. Les concerts en salle sont habituellement d’une durée de 45 minutes, ce qui permet aux amateurs de musique classique de multiplier le plaisir alors que les néophytes peuvent s’y initier facilement en essayant différents courts événements. Et cette démocratisation de la musique classique va jusque dans le choix des œuvres, explique France Beaudoin. «Ceux qui pensent qui ne connaissent pas la musique classique peuvent regarder le programme et il y a là Chariots of Fire, La flûte enchantée, le Bolero de Ravel, Ode à la joie... On connaît tous ces œuvres. Le talent du chef d’orchestre Kent Nagano, c’est de placer des repères qu’on connaît et de les jumeler soit à des interprètes ou soit à des œuvres qui nous amènent ailleurs et qui nous font découvrir autre chose.»
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Rythme olympique La cinquième VirĂŠe classique s’ouvrira avec un ĂŠvĂŠnement bien nostalgique: un grand concert soulignant les 40 ans d’histoire du Parc olympique et des Jeux olympiques de MontrĂŠal de 1976. ÂŤOn sera au rythme de Rio de Janeiro quand ça se fera, donc le timing est bon. Il y aura une centaine d’athlètes, soit sur place ou soit en vidĂŠoÂť, confirme la porte-parole. France Beaudoin ĂŠtait toute petite Ă l’Êpoque des Jeux olympiques de MontrĂŠal, mais elle en garde un vif souvenir. ÂŤJe me souviens de Nadia Comaneci. J’Êtais une petite fille et je voyais une autre petite fille avec une boucle derrière la tĂŞte avoir cette note extraordinaire lĂ ... Y avait un dĂŠpassement sans bon sens et un grand engouement. Le monde ĂŠtait Ă MontrĂŠal. C’Êtait marquant.Âť Lors de notre entretien, France Beaudoin s’est remĂŠmorĂŠ un autre moment marquant, alors que sa fille avait environ cet âge. ÂŤJe suis allĂŠe voir Fred Pellerin Ă la Maison symphonique avec ma fille Juliette qui devait avoir 6 ans. Il y a un moment oĂš ils ont ouvert “la boĂŽte Ă silenceâ€? de sa grand-mère pour voir si le silence y ĂŠtait toujours et personne n’a fait un son dans la salle, les yeux des enfants devenaient grands et tout le monde ĂŠtait ĂŠmu. Ă€ partir de ce moment, pour ma fille, y a eu un dĂŠclic. Elle se disait: “La musique classique, c’est intĂŠressant, c’est une histoireâ€?. C’est ce genre d’ÊvĂŠnement qui fait en sorte que les jeunes vont se sentir interpellĂŠs de plus en plus par cette musique-lĂ .Âť La VirĂŠe classique, par son ouverture d’esprit, est le moment parfait pour aller Ă la rencontre de la musique classique et ainsi vivre des moments prĂŠcieux. ÂŤL’ÊvĂŠnement tente de rendre ça sympathique et chaleureux, ce qu’est la VirĂŠe classique dans le fond, conclut France Beaudoin. On a une fausse idĂŠe d’une espèce de barrière entre nous et la musique classique par moments.Âť y Du 10 au 13 aoĂťt vireeclassique.osm.ca
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À écouter
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★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL
allen toussaint AMERICAN TUNES
alexandre désilets WINDIGO (Indica) ★★★★ On traverse Windigo dans un état contemplatif tout à fait semblable à celui dans lequel nous plongeait Pierre Lapointe avec son Seul au piano. Les arrangements riches de François Richard confèrent une facture musicale indémodable aux chansons déjà très belles d’Alexandre Désilets. L’auteur-compositeur (il signe d’ailleurs les deux tiers des partitions) se présente comme un interprète au sommet de son art, mordant dans les mots avec une vigueur subtile sans jamais se voir éclipsé par l’orchestre. En ce sens, on avoue avoir un coup de cœur pour la version remaniée de J’échoue, peut-être le plus beau texte de sa discographie, emballée ici dans un écrin de flûte traversière et de guitare acoustique. Forcément, on tremble aussi à l’écoute de Puisqu’il en faut, la plage 1 nappée de percussions africaines, de basson et de violons. (C. Genest)
ana alcaide LEYENDA
(Nonesuch \ Warner)
(Arc Music)
★★★
★★★ 1/2
Il est probable qu’on n’aurait pas accordé autant d’attention à cet album si le légendaire pianiste louisianais Allen Toussaint n’était pas mort subitement après un concert à Madrid il y a quelques mois. Il n’en fallait pas plus pour authentifier cette œuvre pudique comme son testament. Vrai que ce survol bluesy des grands compositeurs afro-américains (Duke, Strayhorn, Fatha Hines et Fats Waller, entre autres) a bien des airs de bilan prémédité. Les pièces en piano solo sont sublimes de tendresse et d’humour. Pas de gaspillage virtuose, mais du vécu à chaque accord et des échos et des images de la vie nocturne à La Nouvelle-Orléans. Trésor inachevé? That is the question. Mais nous prenons ce volume intact pour ce qu’il est, pour ce qu’il a d’élégance et parce qu’il se termine par une chanson grave de Paul Simon en guise d’épitaphe. Émouvant. (R. Boncy)
cHarlotte cardin BIG BOY EP (Cult Nation) ★★★★ La jeune finaliste à La Voix s’est dévoilée musicalement cette année en sortant au comptegouttes des extraits, en anglais ou en français. Quatre des six titres sur ce premier EP sont déjà connus, mais on prend plaisir à les redécouvrir aux côtés des nouveautés Dirty Dirty et Talk Talk. Sur ce premier, elle évoque avec aisance la jalousie et le désir, alors que sur ce deuxième, sa voix se fait plus chaude alors qu’elle chante à propos de gens hypocrites. L’interprète trouve toujours le ton juste pour livrer ses propos, se mettant parfois en danger en livrant Faufile seule au piano, par exemple, ou montrant ses dents sur Like It Doesn’t Hurt. Déjà lors de la sortie de Big Boy il y a un an, le désir d’une électropop minimaliste était bien senti, et voilà que ce premier effort confirme que la chanteuse a bien trouvé sa signature musicale. (V. Thérien)
Ana Alcaide est une singulière chanteuse espagnole de Tolède qui joue de la nyckelharpa, une espèce de vielle à roue scandinave avec une panoplie de clés. Inspirés de contes et légendes des mythologies européennes et surtout méditerranéennes, les poèmes de Beatriz Moreno-Cervera, auxquels la rouquine Ana donne vie, célèbrent tous la féminité. Puissance perdue, sortilèges, désir, sacrifices, autant de thèmes riches pour leur trame dramatique et qui revendiquent plus de justice envers les femmes. L’aspect à la fois médiéval et moderne de cette musique engagée ferait penser à Loreena McKennitt, à défaut de mieux, mais l’approche est différente ainsi que les arrangements. Ce disque original et téméraire fait suite à La Cantiga del Fuego, le troisième album de la musicienne diplômée en biologie qui lui avait apporté la notoriété. Il sort au Canada chez le label pointu Arc alors que l’artiste nous rend visite cet été. (R. Boncy)
steve reicH DOUBLE SEXTET/RADIO REWRITE (Harmonia Mundi) ★★★★ L’Ensemble Signal interprète sur ces enregistrements de 2011 (DS) et 2016 (RR) deux des œuvres les plus récentes de Steve Reich. Commandée à l’origine par le sextuor Eighth Blackbird, qui l’a créée en jouant contre une version préenregistrée de lui-même, Double Sextet est ici jouée par 12 musiciens (violons, violoncelles, flûtes, clarinettes, pianos, vibraphones) sous la direction du cofondateur de Signal, Brad Lubman. Radio Rewrite tire son inspiration de deux pièces de Radiohead, mais attention, on reste bien chez Steve Reich. N’empêche, mélodiquement, c’est l’une de ses plus belles réussites, et les couleurs harmoniques du mix de l’ensemble, réalisé par l’équipe de petits génies d’EMPAC (New York), sont éclatantes. Du grand Reich, mûri à point et servi avec l’énergie de la jeunesse. (R. Beaucage)
25 disques VOIR MTL
badbadnotgood IV
(Dead Oceans)
★★★ 1/2
★★★★
carnifex SLOW DEATH (Nuclear Blast) ★★ 1/2
Le groupe de San Diego poursuit la transformation entamée sur Die Without Hope (2014) en misant encore plus sur les arrangements électroniques et black métal (coproduit par Mick Kenney d’Anaal Nathrakh) pour que son deathcore soit plus atmosphérique et sombre. Le changement n’est pas radical au point de dénaturer le deathcore brutal de Carnifex. Il lui donne une tonalité différente, évidente sur Pale Ghost, Black Candles Burning, Six Feet Closer to Hell et Countess of the Crescent Moon, une chanson qui évoque Cradle of Filth sans les cris aigus de Dani Filth. L’évolution est intéressante, mais ne masque pas le fait que dans son ensemble, Slow Death est un album monolithique dont on se lasse avant le dernier morceau dédié aux fans, Servants to the Horde. (C. Fortier)
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mitsKi PUBERTY 2
(Innovative Leisure) Le groupe torontois de néo-jazz se dévoile de plus belle avec ce cinquième album, qui arrive plus d’un an après un détour fort réussi dans l’exploration hip-hop sur Sour Soul, en collaboration avec la rappeur Ghostface. Ici, le groupe – devenu officiellement quatuor cette année avec l’arrivée du saxophoniste Leland Whitty – propose une œuvre jazzée plus psychédélique et atmosphérique avec des invités de marque qui donnent tous aux pièces de BadBadNotGood de bons élans. Avec Sam Herring (Future Islands), l’ambiance devient lourde et vaporeuse, alors qu’avec Kaytranada, elle devient space-funk. Chaque pièce réussit très bien à canaliser son énergie de départ et puis sur la pièce-titre, c’est l’éclat. Les musiciens en profitent pour multiplier les idées et ainsi donner à l’album un coup de pied nécessaire. (V. Thérien)
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C’est l’album de la consécration pour Mitski, cette captivante musicienne de 25 ans née au Japon et basée à New York qui fait dans l’indie-rock alternatif. Elle s’affirme ici comme une vraie tornade: impulsive, colorée et passionnée. Si vous aimez la folie de St. Vincent et l’énergie des Pixies, vous allez triper sur son cas. Sur son percutant premier simple Your Best American Girl, elle évoque son côté anticonformiste: même si elle essaye, elle ne pourra jamais se laisser modeler en quelqu’un qu’elle n’est pas. Sur le titre suivant, tout aussi évocateur, I Bet on Losing Dogs, Mitski s’imagine à une course de chiens où elle se fait solidaire des animaux perdants. L’éclatante musique qui accompagne ses propos d’une grande maturité provoque un album d’une beauté écarlate. (V. Thérien)
dJ sHadow THE MOUNTAIN WILL FALL (Mass Appeal) ★★★★
nomadic massive THE BIG BAND THEORY (Les Faux-Monnayeurs) ★★★ Puisant à même les origines du hip-hop, le collectif multilingue montréalais Nomadic Massive explore le groove dans tout ce qu’il a de plus pur sur The Big Band Theory, un premier album officiel en sept ans. À grand renfort de soul, de jazz, de reggae, de funk, de R&B et de musique caribéenne, l’octuor filtre ses influences avec un plus grand souci de cohérence, au lieu de perpétuer la recette du creuset désordonné à laquelle il nous a habitués durant ses 12 ans d’existence. Dynamique à souhait, ce deuxième album compense ses quelques défauts (refrains parfois convenus, messages universels un peu trop communs) par des lignes de basse mordantes et des pistes de cuivres accrocheuses, qui soutiennent chaleureusement les flows vigoureux des rappeurs et rappeuses. (O. Boisvert-Magnen)
Les cinq ans qui ont passé depuis la sortie de The Less You Know, the Better semblent avoir été un long moment de réflexion pour DJ Shadow. Effectivement, ce dernier revient changé sur son plus récent opus, The Mountain Will Fall. Alors que son prédécesseur était relativement oubliable, ce nouveau disque présente des compositions beaucoup plus fortes. Le musicien abandonne partiellement l’échantillonnage pour se concentrer sur des enregistrements tout neufs, des synthétiseurs hurlants et des collaborations intéressantes. On a droit à un album qui sort de la zone de confort du DJ, avec de nombreuses variations de tempo brusques, des chansons s’apparentant à du design sonore et des bruitages qui ne sont pas sans rappeler Isam, d’Amon Tobin. Un disque qui se réécoute inlassablement. (A. Bordeleau)
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monique giroux SUR MESURE
Pourquoi, tabarnaK! Pourquoi? Suis-je autorisée entre deux séances de bonheur estival à souffler d’exaspération contre la France que j’aime tant? Non pas contre celle qui marche sur le Plateau, guide touristique en main à la recherche des maisons colorées de la rue Laval, encore moins contre celle qui immigre, jamais assez à mon goût. Non, cette France qui me fait lever les yeux au ciel et monter la pression artérielle est composée de journalistes cultivateurs de clichés. Régulièrement, alors qu’on croit enfin constituer aux yeux du monde une nation moderne, avant-gardiste et culturellement influente, un journaliste bien intentionné s’étant fait offrir un voyage au Nouveau Monde nous inflige un article qui nous fâche. Le 2 juillet dernier, le site LePoint.fr, sous la plume d’Anne-Sophie Jahn, titrait: «En pleine saison des festivals à Montréal, nous avons voulu rendre hommage aux musiciens québécois. Rap, folk, rock... Tabarnak! Ils sont bons.» Cette phrase m’exaspère. Lus au premier degré, les mots «rendre hommage» et «ils sont bons» devraient nous réjouir. Mais surgit «Tabarnak! Ils sont bons», comme dans: «On ne l’aurait pas cru, quelle surprise, ça alors.» Chère Anne-Sophie, titreriez-vous «Putain de bordel de merde de cul de ta mère qu’il est bon le dernier Louise Attaque» sur le site LePoint.fr? Je vous précise qu’il m’arrive de «tabarnaker» de temps en temps, mais pas à tout va, pas à l’antenne, et surtout pas pour qualifier une œuvre ou un artiste. Dans son texte, la journaliste cite Antoine Corriveau, Radio Radio, Lise and the Hot Kitchen, Emilie & Ogden, The Barr Brothers et les Hay Babies…
Déjà qu’expliquer à nos amis européens que le Québec n’est pas le Canada, que le Canada n’est pas le Québec et que la distance qui nous sépare de la frontière ouest est la même que celle qui sépare Montréal de Paris est un exercice périlleux, alors, l’hommage aux artistes «québécois»… Extrait du chapitre sur les Hay Babies: «Elles chantent en chiac, un mélange vernaculaire de français et d’anglais, parlé dans leur province de l’est du Canada. Quand la musique francophone se limitait à Garou et à Céline Dion, elles n’écoutaient que de la musique anglophone comme Neil Young ou Bob Dylan.» Ce tabarnak du Point 2016 me donne envie de reproduire ici, en partie, un échange radiophonique de janvier 2014. André Manoukian, chroniqueur à l’émission matinale de France Inter écoutée par 3 668 000 auditeurs, se fendait d’une critique de l’album Punkt de Pierre Lapointe, un sommet du genre. Nos cousins du Québec, résistants francophones dans l’océan nord-américain, s’ils parlent un mélange d’archaïsmes fleuris qui nous fait toujours bien marrer, proposent en chanson un mélange d’optimisme naïf du Nouveau Monde teinté de révérences envers un passé mythique qui n’existe plus que dans leur cœur. Mamannnnnnnnn!!!!!!! Au secours. Où sont les nouveaux Félix Leclerc, les nouveaux Robert Charlebois? Après s’être enlisée seule sur le sable de la FM des années 1980, la néo-pop québécoise nous livre Pierre Lapointe. Alors, ne boudons pas notre plaisir et installons-nous dans notre cabane à sucre et dégustons ces délicieux beans, ces haricots rouges mijotés dans du sirop d’érable. Vous reprendrez bien un peu de saucisses Dominique (gloussements). L’histoire ne dit pas qui est Dominique
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Je meurrrrrrsssss… encore. Pierre Lapointe a gardé la naïveté primordiale et on lui pardonne de dire «faites l’amour et pas la guerre». Parce que la naïveté du Nouveau Monde pourrait bien nous sauver, nous les cyniques blasés de la vieille Europe dont le moral fout le camp et qui voit revenir ses vieux démons sous de nouveaux visages. Une petite cure de jouvence à l’air salin des Laurentides (sic) pour nettoyer nos sinus. Eh oui, tu as raison, Pierre Lapointe, il semble que le message ne soit pas passé il y a 40 ans, alors répète-le jusqu’à plus soif. D’un jet, inspirée par des décennies de débordements de poncifs venus d’outre-mer, j’ai répondu ceci à Manoukian: Cher André Manoukian, cher collègue, Parce que le bûcheron de base et sa Maria Chapelaine ont maintenant accès à Internet et aux réseaux sociaux, j’ai eu l’occasion de vous entendre faire l’éloge du disque Punkt de Pierre Lapointe cette semaine. Il est de notoriété publique, et on m’en fait parfois même la remarque, pour ne pas dire le reproche, que j’ai pour la France, sa culture et les Français une affection profonde. Je me sens, de ce fait, non seulement le droit mais le devoir de vous signaler, ainsi qu’à bon nombre de vos concitoyens et à une majorité de vos collègues qui trop souvent cultivent comme vous des raccourcis étroits, que vos cousins québécois en ont ras la tuque de votre insistance bornée à reproduire inlassablement un flot de clichés éculés quand il est question de parler de nous. Vos dires sont fondés sur de bons sentiments, je n’en doute pas. Et c’est bien là le problème, quand les bons sentiments se rapprochent de trop près de la condescendance… André Manoukian, vous, je ne sais pas, mais nous vivons en 2014, saisissez vous ce que je dis? Ces mots-là sont-ils bien français? P.-S. Je vous propose une chronique que nous ne ferions pas au sujet d’un disque français. «Mais où sont les nouveaux Maurice Chevalier, les nouveaux Richard Anthony? Ne boudons pas notre plaisir, et tel Louis de Funès dans Le petit baigneur, installons-nous, béret vissé, clope de papier mais collée au coin des lèvres, dans ce mignon troquet aux vespasiennes odoriférantes et délectons-nous de cuisses de grenouilles à l’ail, de cervelles au beurre noir et d’andouillettes AAA que nous dégorgerons au gros rouge qui tache et écoutons cette merveilleuse Émilie Simon qui fleure bon le camembert et nous rappelle les joies de la valse musette de la Renault 5 et des macarons à la pistache de chez Ladurée.» Précisions, à l’intention d’Anne-Sophie Jahn et des journalistes de l’Hexagone, que JAMAIS la musique francophone ne s’est limitée à Garou et Céline Dion. Cherchez, écoutez quand on vous parle, cessez de nous prendre pour des clowns en flanelette, ouvrez les écoutilles et critiquez l’œuvre plutôt que de parler sempiternellement d’accent, de poutine et autres tipis. Le journaliste de Libération Patrice Demailly l’a bien fait, lui, dans un papier du 9 juillet dernier: «Et la santé de la chanson au Québec? Foisonnante et éclectique, exigeante et populaire. Excitante lorsqu’elle impose sa singularité.» Il cite Keith Kouna, Patrick Watson, Half Moon Run, Koriass et poursuit: «Voilà des symboles d’un éclatant ressort créatif. Loin des clichés du folk boisé ou des chanteuses s’époumonant hardiment.» Voilà qui est dit. On ne vit pas dans des tipis. Mais, oui, j’ai écrit ces mots avec mon sang sur de l’écorce de bouleau blanc. y
«une bonne bande audio peut faire ou défaire un divertissement vidéoludique.» PHOTO | SQUARE ENIX / LARA CROFT GO
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les musiciens du pixel l’industrie du jeu vidéo connaît depuis une dizaine d’années un véritable boom dans les régions de québec et de montréal. avec un nombre grandissant de studios majeurs et indépendants, la demande pour des créateurs de musique originale est de plus en plus massive. mais qui sont ces musiciens qui mettent leur art au service des gamers? MOTS | ANTOINE BORDELEAU
Bien qu’il n’ait pas encore eu l’honneur de trouver sa place officielle dans la classification des arts, le jeu vidéo a tellement évolué dans les 30 dernières années qu’il pourrait très bien s’y retrouver assez rapidement. Les studios rivalisent d’audace pour créer de réels petits chefs-d’œuvre d’originalité, et les capacités de calculs de nos processeurs modernes permettent aux artistes derrière leur imagerie de laisser libre cours à leur imagination. De leur côté, les programmateurs doivent également s’adapter à un public de plus en plus critique et à la recherche de nouveauté, d’innovation. En dépit de la popularité des jeux où l’histoire passe en deuxième et où l’essentiel de l’intrigue consiste à tirer dans le tas, on voit maintenant apparaître un nombre faramineux de jeux mettant de côté cette mécanique rudimentaire pour révolutionner les arts numériques. Même si les prouesses graphiques et la jouabilité en soi font partie des caractéristiques les plus importantes pour rendre un jeu vidéo mémorable, un autre art est essentiel à l’expérience pour rendre le jeu réellement transcendant: la musique. La fusion des arts Effectivement, une bonne bande audio peut faire ou défaire un divertissement vidéoludique. On n’a qu’à penser aux jeux rétro pour se rendre compte de l’importance qu’ont la trame sonore et les bruitages dans l’expérience globale qu’offre un jeu vidéo. Les mémorables jingles de Super Mario Bros ou de The Legend of Zelda sont imprimés de manière indélébile dans la mémoire de millions de gens. Ces compositions créées à l’aide d’outils numériques relativement rudimentaires réussissent malgré tout à rester appréciables des années après leur création.
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Non seulement sont-elles facilement assimilables, mais ces chansons se doivent d’être endurables sur de longues périodes de temps. Eric Shaw, un des membres fondateurs du studio Pixel Audio qui travaille régulièrement avec Square Enix Montréal, explique: «La musique est au moins aussi importante dans un jeu vidéo que dans un film. Tu sais, quand t’écoutes un film, pis que la musique est ordinaire, ça dure une heure et demie, deux heures. Dans un jeu, tu peux passer des dizaines d’heures devant, voire des centaines d’heures, dans le cas des jeux en ligne. Si la musique ne colle pas, si elle est trop redondante ou tout simplement agaçante, les gens vont finir par la fermer. Et puis là, ton art, bin il passe dans le beurre pas mal.» Composer pour les gamers C’est là qu’est l’attrape: dans un jeu, le joueur a le contrôle sur le mix final entre effets sonores et musique, et peut même décider de complètement baisser le volume de l’un ou l’autre, s’il le trouve énervant. Un compositeur de musique de jeu doit
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avoir cela en tête lors de la composition, car une musique trop répétitive peut facilement devenir lassante. Heureusement, les avancées technologiques étant ce qu’elles sont, il est maintenant possible d’enregistrer des pièces beaucoup plus longues qu’avant. De cette façon, le moment où la boucle fait redémarrer la chanson au début arrive beaucoup plus tard et de façon moins régulière. Ainsi, on n’a pas l’impression d’entendre les mêmes 32 mesures encore et encore, ce qui donne une chance à la musique de jeux vidéo modernes d’être plus facilement digérable. Bien que composer de la musique soit un défi en soi, réaliser la trame sonore d’un jeu vidéo comporte de nombreux défis qui sont extrêmement différents de ceux que rencontrent les musiciens qui endisquent. Premièrement, il faut être constamment à l’affût de ce qui se passe dans le milieu, de ce qui se fait comme musique dans les jeux similaires à ceux sur lesquels on travaille. «Comme compositeur de musique de jeu, il faut savoir que je n’ai pas beaucoup de temps de divertissement, on est vraiment
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occupés, m’explique Maxime Goulet (compositeur issu du milieu classique ayant travaillé sur plus de 25 jeux vidéo, dont Warhammer 40,000: Eternal Crusade). Par contre, on n’a pas le choix de jouer à certains jeux, plus précisément ceux qui sont dans le même genre que ceux sur lesquels on travaille. Non seulement il faut voir ce qui se fait dans le style, mais ça peut également nous donner des pistes pour explorer d’autres avenues. Il faut savoir que la musique de jeu, ce n’est pas linéaire. Il y a une interaction avec le joueur et on essaie de trouver des façons nouvelles de jouer avec ça. Mais crois-moi, je passe pas mal plus de temps à composer qu’à jouer! Il y a beaucoup de boulot.» Plonger dans un autre univers Le concept d’interactivité que soulève Maxime est intéressant. En effet, alors que la musique est passive dans un film, elle se doit de réagir à nos actions lorsqu’on est en train de jouer à un jeu. Quiconque a déjà mis les mains sur une manette et joué à un jeu d’aventure sait que lorsque le tempo s’accélère et que la percussion devient plus présente, c’est signe qu’on approche certainement d’un ennemi ou d’un passage plus difficile. C’est là où réside la qualité principale d’une bonne trame sonore: la capacité d’immersion du joueur est aussi importante (dans une certaine mesure) que la qualité même du matériel musical. Un bon jeu est un jeu qui captive toute l’attention du joueur et qui réussit à le faire pénétrer en entier dans un univers complètement différent de sa vie courante. «La façon de composer varie énormément d’un type de jeu à l’autre, et il faut toujours penser comme un joueur, précise Samuel Laflamme, qui a travaillé sur le jeu d’horreur Outlast. Quand on fait un jeu d’horreur, il faut absolument sortir le joueur de son salon. Il faut que tout ce qui se passe de manière auditive soit tout aussi effrayant que ce qu’il voit.» De son côté, Ulric Corbeil Trudel (collègue d’Eric Shaw) mentionne ceci: «La musique et ses changements peuvent complètement changer ta perception de ce qui se passe dans le jeu. Ça joue sur ton émotivité, on a le rôle de générer de l’émotion à travers la musique, de faire sentir au joueur qu’il avance dans la bonne direction, ou qu’au contraire, il s’en va droit dans un piège. Il faut bien comprendre l’influence qu’a l’audio sur le niveau d’immersion.» Une nouvelle avenue lucrative? Cette prolifération de créateurs de jeux vidéo au Québec pourrait laisser croire que la composition de musique est un véritable nouveau Klondike pour les musiciens cherchant à faire des sous avec leur art. Samuel Laflamme nuance quelque peu cette position: «Oui, il y a du travail en masse, et quelqu’un qui est
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prêt à travailler fort va pouvoir assez bien s’en tirer. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de studios indépendants qui n’ont pas les budgets de géants tels qu’Ubisoft. De plus, il y a de plus en plus de gens qui ont envie de se lancer dans ce boulot, et la compétition est donc de plus en plus grande.» Comme il le mentionne, il y a de la demande. Le site Mtlgs.ca, qui répertorie les studios dans la capitale et la métropole, compte pas moins de 135 studios à Montréal et une vingtaine à Québec. Par contre, il faut avoir les reins solides et être polyvalent. Comme le dit Eric Shaw: «Les petits studios comprennent de plus en plus l’importance qu’a la musique, chose que les gros ont assimilée il y a longtemps. Par contre, pour en faire un gagne-pain, il faut que tu sois capable de t’adapter constamment, de toujours tâter le pouls de la concurrence et de diversifier ta palette sonore. C’est énormément de travail, la musique de jeux vidéo, et il faut être capable de mettre ton ego de côté pour satisfaire le client. Mais quand ça marche, et que tu joues en entendant des airs que tu as composés, le feeling est assez inimitable!» y
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émilie dubreuil SALE TEMPS POUR SORTIR
les vacances La terrasse de l’auberge donne sur un lac immense. Splendeur de notre pays. Les épinettes noires projettent leurs reflets dans l’eau calme et douce. La cigale chante. Il fait beau, il fait bon, il fait vacances. Pourtant, le couple de la table d’à côté prend son petit déjeuner, la mine sombre. Cela fait déjà plusieurs jours que je les observe. Sont-ils Français, Américains, Québécois? Je ne sais pas. Je ne les entends jamais se parler. Peu importe, en fait. Ce qu’ils dégagent est plutôt universel. Ils grignotent en silence, ne se regardent pas. Leurs vacances à eux sont lourdes, leur bonheur d’être ici est obscurci par quelque chose. Elle, brune et fine, soupire en buvant son café. Il est là, en face, le regard absent, dans le vague. Je ressens leur solitude à tous les deux, cette solitude tangible qui se vautre entre deux êtres, la solitude à deux que l’on rencontre souvent sur la route des vacances où l’intimité des couples et des familles s’exposent dans les hôtels, les restaurants, les terrains de camping. J’ai envie d’aller lui parler à elle, envie de briser ce silence dans lequel elle semble être emmurée, de recueillir sa confidence, mais je me garde une petite gêne. Mon intuition, c’est qu’il ne se passe rien de grave dans leur vie, sinon que c’est ici et maintenant que ces deux-là se rendent compte des limites de leur amour et que ça se déroule là dans ce superbe décor qu’ils ont sans doute désiré toute l’année, tous les deux. Chéri, et si on allait au Canada cet été? Si on allait se reposer sur le bord d’un immense lac et voir les grands espaces? Et, dans ce grand espace, ils étouffent. En vacances, collés l’un sur l’autre, ils vivent ce sentiment douloureusement lancinant de se demander: mais qu’est-ce que je fais avec elle? Avec lui? Lui, se réfugie beaucoup à l’intérieur de sa bulle électronique. Il envoie des textos. Il regarde frénétiquement les réseaux sociaux. C’est pratique la
technologie pour fuir ce sentiment d’inconfort qui colle à la peau, l’impression constante que l’autre nous tape sur les nerfs ou qu’on n’a rien à lui dire ou qu’il n’écoute pas quand on parle. Pour fuir, bref, le sentiment d’être tout seul à côté de quelqu’un. Ça, c’est le gros nuage noir. Pire que la pluie pendant une semaine dans une chambre de motel en Gaspésie, plus agressant que les maringouins qui s’attardent le soir dans la tente. Chacun de leur côté, ils regardent le lac et se demandent, sans doute, de quoi demain sera fait. En planifiant la randonnée et le pique-nique, ils imaginent, peut-être, la séparation, les conséquences de tout cela, la déchirure à la fois crainte et souhaitée. Ils se souhaitent l’automne alors et la fin des vacances où le bonheur de rigueur fait affreusement défaut et où la route est longue de non-dits. L’an dernier, j’ai croisé un couple d’amis à la mer. En vacances bien sûr. Nous nous croisons sur la plage. Lui est hyper, super, incroyablement content de me voir. Je me dis que cette pause lui fait du bien, que l’iode le rend enthousiaste. Après la journée sur le sable, il nous invite moi et la copine avec qui je voyage pour un apéro. Après l’apéro, il nous invite à souper. Le lendemain matin, il arrête, comme par hasard, devant la maison où nous séjournons. «Salut, les filles, à quelle plage allez-vous passer la journée aujourd’hui? Ma blonde a préparé un piquenique, elle vous a même fait des sandwichs! Vous venez?» Le soir venu, rebelote: «Allez, vous prendrez bien un apéro avec nous? Tant qu’à faire, restez donc à souper toutes les deux. Nous partons demain et on ne se voit jamais en ville.» Bronzés, ensoleillés, ces deux-là avaient l’air d’une véritable carte postale. Beaux et sportifs sur leurs kytesurfs respectifs. Le Québec, c’est les vacances! J’enviais leur bonheur lumineux. Je les enviais de s’être trouvés.
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ils se souhaitent l’automne alors et la fin des vacances oÚ le bonheur de rigueur fait affreu sement dÊfaut et oÚ la route est longue de non-dits.
5NE CUISINE CONTEMPORAINE QUI MET EN VALEUR LES PRODUITS QUĂ?BĂ?COIS ET UNE CARTE DE VINS VIVANTS CRĂ?Ă?S PAR DES VIGNERONS RESPECTUEUX DE LA NATURE Ă‹ LA VIGNE COMME AU CHAI
En rentrant à MontrÊal, quelques semaines après, je l’ai croisÊe, elle, sur le trottoir. C’Êtait tellement lourd! m’a-t-elle confiÊ. Les pires vacances de ma vie. Il n’arrêtait pas de me faire des reproches. Il n’aimait pas la bouffe, il y avait trop de vent, il faisait trop froid, comme si j’avais, moi, le contrôle sur le temps qu’il fait aux Îles-de-la-Madeleine, câlisse. Les moments que vous avez passÊs avec nous, ça nous a permis de respirer un peu. Mais dès qu’on s’est retrouvÊs juste nous deux: l’enfer. Du traversier au pont Jacques-Cartier, je crois que nous avons ÊchangÊ 10 mots. On s’est quittÊs quelques jours après. Il vient de dÊmÊnager. Il m’a demandÊ pardon. Il m’a confiÊ qu’aux Îles, il s’est rendu compte que nous deux, c’Êtait pas ce qu’il voulait. Je regarde le couple Êteint à la table de la terrasse devant le lac clair et je repense à ce couple, de l’an dernier sur une plage des Îles-de-la-Madeleine, à ces couples qui se dÊfont sans cesse. À cette tristesse infinie qui Êmane du passage de l’intimitÊ, de la familiaritÊ, à une sorte d’inquiÊtante ÊtrangetÊ, cette fameuse solitude à deux, signe de la fin du film. Et peu importe l’histoire, la fin d’une histoire, c’est toujours triste.  Je repense à cet ami avec qui je prenais un verre au retour de ses vacances, il y a quelques annÊes, et dont je m’Êtonnais de la rÊcente sÊparation. Vous aviez l’air si heureux, pourtant. On ne sait jamais ce qui se passe derrière des portes closes, m’avait-il rÊpondu. J’Êtais tellement mal dans cette relation. On ne baisait plus, on n’avait rien à se dire, mais je n’osais pas la quitter à cause de la petite, la maison, l’argent. Bref, quand on est partis en vacances, ça a ÊclatÊ. Derrière des portes closes‌ Or, c’est ça les vacances. Ouvrir la porte, bouger, aÊrer. Souvent, ça oxygène le bonheur. Parfois, ça oxygène l’inverse. Sur ce, je vais me baigner. Bonnes vacances. y
RUE .OTRE $AME /UEST 1UARTIER 3AINT (ENRI -ONTRĂ?AL s
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SAvANt MArIAge de vÉrItÉ et d’INveNtIoN, MON AMI DINO eSt le CroISeMeNt NoN gÉNÉtIqueMeNt ModIfIÉ eNtre leS deux perSoNNAlItÉS vIveS de l’ACteur dINo tAvAroNe et du rÉAlISAteur JIMMy lArouChe. MOTS | NICOLAS GENDRON
PHOTO | JOHN LONDOÑO (CONSULAT)
Les deux hommes se connaissent depuis un bail. «Ça fait longtemps qu’on s’obstine, lui et moi», blague à peine Dino Tavarone. Après ses études en cinéma à l’Université de Montréal, Jimmy Larouche avait osé lui téléphoner pour l’inviter à prendre part
à son premier contrat, un film corporatif baptisé La science de l’entrevue. Tavarone s’en souvient très bien. «J’aime participer aux projets des jeunes qui ont de nouvelles idées. Et quand j’ai vu ce qu’il a fait, bordel! Il devait seulement tourner un petit corpo,
c’est devenu une vraie histoire de 80 minutes.» Depuis, les deux artistes aussi volubiles que passionnés ont développé une réelle amitié, l’acteur investissant dans le premier long métrage de Larouche (La cicatrice) et jouant dans le second (Antoine et Marie). Les voilà réunis de nouveau autour d’un projet qu’ils qualifient eux-mêmes d’anarchiste, lancé sur les chapeaux de roue un soir de cuite, tourné en 14 jours deux mois plus tard, avec une équipe recrutée sur Facebook en plein cœur de la nuit! «Ça fait longtemps que Jimmy voulait tourner un documentaire
sur moi, mais à quoi bon, lance Tavarone. Je ne suis pas un génie! Une biographie, peut-être…» Aux yeux de Larouche, l’idée est devenue prétexte à brosser un hymne à la vie. «Dino est une des personnes les plus intensément vivantes que je connaisse, aussi intègre à l’intérieur de ses qualités que de ses défauts.» Mêlant interviews et improvisations, éléments délicats de documentaire et de fiction, Mon ami Dino se propose de retracer le parcours du comédien, avec extraits à la clé (Omertà, 2 secondes, René Lévesque),
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OBTENIR PLUS D’ARGENT POUR PROLONGER LA SOIRÉE CINÉ?
OUI C’EST POSSIBLE!
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mais surtout d’en dévoiler la personnalité attachante, en entrouvrant la porte de son jardin secret. Pour y arriver, l’entourage de Tavarone y apparaît tel qu’il est: agente, famille et amis, professionnels de la santé, collègues (Michel Côté, Joëlle Morin, Manuel Tadros) et même sa chienne Pipingo! «Quelle actrice, non? de clamer son maître. Ce qui est arrivé avec ce film est magique. Les gens autour de moi me suivaient parce que je vivais de vraies émotions.» Il en a encore les larmes aux yeux. Larouche ose une explication: «Tu as ceux qui incarnent et ceux qui jouent; les premiers sont souvent de grands acteurs.» Haut les cœurs, bas les masques! Est-ce à dire que le comédien a dû se jouer luimême? «C’était moi, et pas moi non plus. J’ai dû aller puiser à l’intérieur de moi. Comme pour jouer un assassin. C’est surréel, mais on l’est tous parfois. Quelqu’un te coupe en voiture et tu te dis: “Je le tuerais, lui!” Ton assassin est déjà là, alors va le chercher.» Le cinéaste voulait aussi tirer profit du talent d’improvisateur de Tavarone, qui s’investit corps et âme dans ses rôles, à un point tel qu’il s’est rendu malade au cours du tournage. «Dino était méconnaissable, à fleur de peau, il ne dormait plus.» Le principal intéressé s’en étonne lui-même. «Même le chien est tombé malade! On l’a amené au vétérinaire, il ne bougeait plus, il vomissait. Il avait compris que quelque chose n’allait pas.» Ce fameux quelque chose traverse le film jusqu’à la fin, divisant même le réalisateur et son sujet devant la caméra, autour d’un débat sur le périlleux mélange entre fiction et réalité. «La fiction est parfois plus vraie que la réalité, laisse planer Larouche, car celle-ci n’arrive pas toujours à rendre ce qu’on voudrait montrer.» Et pourtant, à 72 ans, le comédien y est plus vrai que jamais, vivant de précieuses parcelles d’intimité avec sa fille (la sienne n’ayant pas adopté le projet, celleci est incarnée par Sasha Migliarese, «exceptionnelle», aux dires du réalisateur) ou se confiant sobrement sur son séjour en prison. «La vie, c’est comme un cercle, précise-t-il après la séance photo. Tu peux en sortir et devenir marginal. Mais si tu le deviens trop, trois choses peuvent t’arriver: soit on te tue, soit tu finis en prison ou alors tu deviens fou. Moi, ce fut la prison.» Ses talents de peintre nous sont aussi dévoilés par petites touches, avec cette récurrence visuelle des masques qui deviennent un thème, voire une tonalité du film. «Les masques nous aident à survivre en société, philosophe-t-il. Les gens qui disent ne pas en porter sont peut-être les plus prisonniers.» Son ami Jimmy acquiesce: «S’il y a une chose à retenir du film, c’est qu’à la fin de ta vie, face à toi-même, si tu enlèves tous ces masques-là, tu deviens la somme de tout ce que tu as été. Et ce qui importe, c’est comment tu as vécu.»
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Après sa première mondiale sur un bateau, au tout nouveau festival estrien CinéVue, Mon ami Dino sera de la clôture de Fantasia, le rendez-vous préféré de son réalisateur. «Je me suis questionné: Mon ami Dino est-il un film de genre? J’en suis venu à la conclusion qu’on a créé un genre de film. Et ça, c’est parfait pour Fantasia!» Son ami Dino ajoute, en guise de point d’orgue: «Il n’y a aucun autre film comme celui-là, c’est promis.» y
_ dINo &dINo dINo et lA peINture
Un journaliste m’a déjà supplié de prendre des images de mes toiles… Et je te jure, quand il les photographiait, ça m’arrachait quelque chose! Pour moi, la peinture est une écriture. J’y raconte une part de moi.
dINo et leS INtervIewS
Jimmy serait un bon intervieweur, il l’a prouvé durant le tournage. Il y en a tellement qui ne t’écoutent même pas, ils pensent à leur prochaine question; tu pourrais dire: «Ah, j’ai déjà tué un homme», et puis ils te parleraient de restaurants! Pierre Maisonneuve ou Robert Guy Scully étaient excellents. Dès qu’ils t’avaient devant eux, ça devenait une conversation.
dINo et BrANdo
Mes acteurs fétiches sont Brando, Brando et Brando… Al Pacino disait qu’être en présence de Marlon Brando, c’était comme te retrouver devant Dieu! Il faut voir Le dernier tango à Paris, ne serait-ce que pour la scène du deuil.
dINo et le doute
Moi, j’ai toujours des doutes, et j’apprécie les gens qui en ont. Ça veut dire qu’ils sont capables d’aller plus loin. Le doute, c’est avoir toujours un pas devant. Il faut se méfier des gens qui savent tout. Moi, je ne sais qu’une chose, c’est que j’aime la vie.
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StoNe dANS le MIle-eNd hoMMAge à uN lIeu, MAIS Surtout à uN hoMMe quI A Su vIvre SeloN SeS prINCIpeS, HISTOIRE HIPPIE / STONE STORY, uN doCuMeNtAIre teINtÉ pAr le flower power CAdre trèS BIeN SoN propoS dANS uN MoNtrÉAl quI NouS eSt fAMIlIer. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ
PHOTOS | HERVÉ BAILLARGEON © INFORMACTION FILMS
C’était le jour de la San Marziale sur la rue SaintViateur, la journée où la fanfare du Complesso Bandistico Italiano sort ses habits et ses instruments. Ce jour-là, j’ai songé à Martin Stone et à son appartement où sont passés des centaines de gens. J’ai regardé sa terrasse qui fait face à l’église St. Michael, l’emblème de ce quartier. Immédiatement, je suis retombé dans une scène du documentaire de Jean-André Fourestié où Stone se promène face à la fanfare, justement le jour de la San Marziale, tout en réfléchissant à ses choix et son cheminement toujours affirmés. Étrange coïncidence, le documentaire rejoignait de facto la réalité. En plus d’avoir peut-être connu des gens ayant vécu à cette adresse mythique, l’histoire que raconte Fourestié dans Histoire Hippie / Stone Story est un récit auquel tout Montréalais peut s’identifier, puisque son film parle, entre autres, de la ville de Montréal comme un lieu de découverte de soi. C’est en prenant un café et sur un fond musical d’un artiste de cette époque hippie et récemment redécouvert, Rodriguez, que je me suis entretenu avec le réalisateur. «Je suis arrivé au Québec avec la volonté de changer de vie et de me réinventer. Quand je suis arrivé chez Martin Stone, j’ai trouvé un homme qui avait l’âge de mon père avec une personnalité complètement différente. J’ai habité chez lui pendant trois ans et demi et j’ai été fasciné par la façon dont il traitait avec ses choix. Il allait au bout de ses idéaux, et pour cela j’ai eu un respect et une admiration totale.» L’histoire hippie dont il est question dans ce quatrième documentaire, c’est celle de Martin Stone, un homme simple qui vit depuis 40 ans sur la rue SaintViateur à Montréal. Son appartement est un lieu de rencontre qu’il partage avec des gens bien souvent de passage pour quelques semaines, quelques mois, voire quelques années. Le film suit Stone et part aussi rencontrer ses deux filles à Philadelphie et son exfemme à Atlantic City, une belle façon de mettre en perspective les choix de vie de l’homme du Mile-End. «Je suis allé à la rencontre de ses filles, dit le documentariste, pour faire un film choral qui suscite une
réflexion sur ce qu’est la liberté. Je voulais une pluralité d’opinions sans qu’il y ait aucun jugement. Pour ma part, je n’ai aucune idée de ce qu’est le bonheur dans la vie. Chacun essaie de se construire une réalité qui lui va et surtout qui lui correspond.» Martin Stone a inventé un lieu, mais bien avant d’inventer ce lieu, il a fait le choix de vivre dans la marge en empruntant le chemin avec ses filles de la Hog Farm, commune hippie célèbre, encore en activité aujourd’hui. Ils vivaient alors tous dans un autobus qui sillonnait les États-Unis et aidaient les promoteurs de concerts à travers le pays. Une vie totalement différente de l’Amérique d’alors, une vie qui tente de tracer son propre sillon. «C’était une grande communauté psychédélique menée par Wavy Gravy, le MC du festival de Woodstock. Le but était tout simplement de célébrer la vie. Ils allaient de concert en concert, bien souvent avec les Grateful Dead, et montaient des shows psychédéliques en amont des festivals. L’idée principale était d’aller de village en village aux États-Unis afin d’implanter la contre-culture, de la démocratiser.» C’est un choix que Stone va porter toute sa vie. Ses filles témoignent de cette réalité dans le documentaire, chacune a sa façon de voir les impacts de cette éducation. En cela, le film de Fourestié réussit à faire dialoguer les membres d’une famille qui ont emprunté chacun un chemin différent (pas tant que cela, on le verra dans le documentaire) de celui du paternel. Un film qui constitue une réflexion sur la famille, le legs et la possibilité du bonheur vécu autrement. «Dans ce film, ce que j’essaie de démontrer, c’est qu’il est possible de vivre une autre forme de vie. Cela se sent chez Martin évidemment et chez sa fille Debbie. J’aimerais juste laisser ce message de recherche de liberté avec ce documentaire.» Avec sa caméra qui suit Stone et ses filles, parfois de face, parfois de dos, et toujours de façon pudique, Fourestié réussit ici un joli documentaire qui, on l’espère, inspirera la possibilité d’une île. y
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NorMANd BAIllArgeoN PRISE DE TÊTE
pleurer eN regArdANt uN fIlM Il arrive que quelqu’un observe un phénomène tout à fait banal – et auquel jusque-là personne n’avait accordé beaucoup d’intérêt – et qu’il y voit un profond et intrigant mystère. Il arrive aussi que cette observation donne naissance à de riches idées, voire à de sublimes théories. Pensez à Newton, intrigué par la simple chute d’une pomme de son arbre et qui conçoit la gravitation universelle. Pensez à Chomsky, fasciné par le fait que les enfants apprennent (très vite, d’ailleurs) à parler une langue, avec les extraordinaires complexités que cela suppose, et qui conçoit la Grammaire universelle. Pensez à présent à ce que nous avons tous vécu devant un film (mais aussi en lisant un livre, en assistant à une pièce de théâtre, en écoutant de la musique) et que tant de gens vivront encore durant le Festival des films du monde, qui se déroule bientôt. Nous avons tantôt été émus aux larmes devant le destin d’un personnage; nous avons souri devant des péripéties; nous avons eu peur devant un monstre; et nous avons eu la chair de poule à l’écoute d’un passage musical. Bref: nous avons ressenti toute la gamme des émotions. Rien là d’exceptionnel, dira-t-on, et chacun a vécu tout cela un nombre incalculable de fois. L’art, justement, est ce qui produit ces effets, et c’est en partie au moins pour les ressentir que nous allons au cinéma, au théâtre, au musée, à la salle de concert et que nous lisons de la littérature. Et pourtant, comme pour Newton et la pomme ou Chomsky et les enfants, observons mieux ce qui se passe. Deux choses au moins sont frappantes.
La première est que nous ressentons ces émotions pour des êtres et des situations qui n’existent pas et que nous savons fort bien ne pas exister. Nous pleurons ainsi devant le sort de Cosette qui, nous le savons, n’existe pas en réalité et n’a jamais existé, pas plus que Jean Valjean et que tous les autres personnages des Misérables ainsi que toutes les situations qu’ils et elles vivent. Mieux: nous pouvons même ressentir des émotions, sincères et fortes, devant des œuvres qui ne proposent même pas de personnages ou de situations – devant des tableaux abstraits par exemple, qui proposent des assemblages non figuratifs de couleurs. Ou encore à l’écoute de musique instrumentale. La deuxième chose frappante est que nous cherchons, en certains cas au moins, dans nos expériences esthétiques, à ressentir des émotions que nous tentons d’éviter en réalité. Nous allons ainsi au cinéma voir des films d’horreur qui nous font assister à des scènes auxquelles nous ne voudrions pas assister en réalité et nous payons même pour ressentir une émotion (l’effroi) – ou quelque chose s’en approchant – que nous ne voudrions jamais ressentir pour de vrai. Il y a bien là, il me semble, quelque chose d’aussi énigmatique qu’une pomme qui tombe ou un enfant qui parle… Ce que je viens d’esquisser s’appelle le paradoxe de la fiction et on a dépensé des trésors d’ingéniosité pour le cerner et le comprendre. Je n’entre pas ici dans ces méritoires efforts de réflexion, mais j’aimerais souligner que ce paradoxe nous indique une voie par laquelle on devrait aller pour dire pourquoi l’art nous semble important, dans la société en général et en éducation en particulier, une voie qui nous éloigne des usuelles invocations de rentabilité («le festival de ceci
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ou cela sera Êconomiquement rentable), mais qui nous rapproche de ce que l’art a de vÊritablement prÊcieux et d’irremplaçable. Art, sociÊtÊ, Êducation Par le cinÊma, par la littÊrature, par le thÊâtre, par l’art en gÊnÊral, ou du moins par le grand art, par ces exercices de l’imagination qu’ils nous proposent et dont nous raffolons, nous apprenons ce que cela fait d’être ceci ou cela, de ressentir telle ou telle chose. Nous Êlargissons d’autant notre connaissance de ce qui nous fait humains. En entrant dans la salle obscure, en ouvrant les pages d’un roman, nous nous perdons durant la durÊe du film ou de la lecture, et quand nous nous retrouvons, à la sortie de la salle ou en refermant le livre, il arrive que nous ne soyons plus tout à fait les mêmes.
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Cosette nous montre ainsi – et on ne l’oublie plus – ce que c’est d’être une enfant maltraitÊe par des adultes; Jean Valjean nous apprend ce qu’est la rÊdemption; et ainsi de suite. Ces apprentissages sont riches et irremplaçables. J’y vois même une dimension politique dans le dÊveloppement de l’empathie qu’ils permettent.
pAr l’Art eN gÉNÉrAl, ou du MoINS pAr le grANd Art, NouS AppreNoNS Ce que CelA fAIt d’être CeCI ou CelA, de reSSeNtIr telle ou telle ChoSe. Ces idÊes sont aussi vieilles que le monde. À vrai dire, on en trouve dÊjà l’essentiel chez Aristote, qui mÊditait sur ce type de thÊâtre qu’est la tragÊdie. Dans une tragÊdie, disait-il, un homme bon et heureux connaÎt une suite de terribles malheurs. En assistant à son destin, nous ressentons simultanÊment de la pitiÊ pour lui et de la peur, celle qu’on ressent en comprenant que cela pourrait nous arriver à nous aussi. L’expÊrience vÊcue a alors une vertu non seulement intellectuelle, mais aussi thÊrapeutique, en ce qu’elle nous purge en quelque sorte de ces Êmotions. Le mot qu’Aristote emploie pour dÊcrire cette expÊrience est catharsis. Il me semble que c’est dans cette direction – bien plus intÊressante que c’est rentable ou ça me plaÎt – qu’il faudrait aller pour justifier la place qu’on fait collectivement à l’art, entre autres en Êducation, oÚ il fait trop souvent figure de parent pauvre. y
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LE TONIC RETOURNE AUX SOURCES FINI LES TONICS PÉTILLANTS ET SUCRÉS QUI S’ÉVENTENT AU FRIGO PENDANT DES SEMAINES. DEUX MONTRÉALAISES ONT CRÉÉ UNE GAMME DE CONCENTRÉS DE QUALITÉ ET DE LONGUE DURÉE POUR METTRE EN VALEUR LES SPIRITUEUX D’ICI, PAR AMOUR DU (BON) COCKTAIL… MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU
Le gin tonic, c’est LE drink d’Alexandrine Lemaire et Hannah Palmer, les créatrices de 3/4 OZ. «Dans ce cocktail, on met quand même trois parts de tonic pour une part de gin, il est donc important que ce tonic soit de qualité autant que l’alcool», souligne Alexandrine. Les amies ont ainsi eu l’idée de lancer leur marque de tonic et de sirops artisanaux 100% québécois et naturels. L’objectif: revenir à la manière dont les classiques étaient faits avant. «Quand on s’est lancées, il était pratiquement impossible de trouver à Montréal autre chose à mélanger avec un gin qu’un produit commercial. Avec 3/4 OZ., on donne des solutions de rechange aux boissons gazeuses.» Alexandrine est designer de produits et vient d’une famille qui travaille dans l’agroalimentaire, tandis que sa comparse Hannah a un bac en chimie: «Quand on mélange nos compétences, ça donne du tonic!», dit en riant Alexandrine. Les deux jeunes femmes font de la microproduction à la main dans leur local de Jean Talon, de la fabrication du tonic à l’embouteillage et l’étiquetage – une production qui peut aller jusqu’à 1000 bouteilles par jour pendant la période des fêtes. «Nos connaissances associées nous ont permis de ne rien sous-traiter.»
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Elles lancent leur Tonic en décembre 2013, leur Cola un an plus tard, et enfin leur Ginger ale en décembre 2015. «Avec cette gamme, on couvre tous les spiritueux de base, explique Hannah. Le gin avec le tonic, les spiritueux bruns (rhum, rye, whisky, bourbon) avec le cola, tandis que le ginger ale va bien avec une bière ou une vodka.» Des concentrés qui peuvent aussi se consommer sans alcool: le cola, un «cola non coupable» car moins sucré, passe aussi bien dans le bourbon des parents que dans le verre de l’enfant, et le ginger ale s’accommode à merveille d’une eau chaude. La qualité dans le compte-gouttes Les produits 3/4 OZ. sont trois fois moins sucrés qu’une boisson commerciale, et à base d’ingrédients naturels. «Ça rehausse les saveurs, et le spiritueux prend plus de place, car il n’est pas masqué par des sirops de maïs, etc.», décrit Alexandrine. On profite ainsi mieux des spiritueux, qu’on n’a pas toujours le goût de boire sur glace. Avec cette volonté de mettre l’alcool en avant, 3/4 OZ. tombe au bon moment puisque la tendance est aux spiritueux locaux et que les distilleries se multiplient au Québec. De bons produits faits ici, qu’on n’a pas envie de noyer dans des boissons commerciales qui masquent les aromates de ces alcools plus complexes et délicats. «Il y a eu une grosse publicité autour des spiritueux locaux, qui nous aide beaucoup, reconnaît Hannah. On veut s’associer à cet engouement pour les produits locaux en proposant une solution de rechange de qualité pour des alcools de qualité.» Pas de trace de sirop de maïs, fructose, acide phosphorique et autres produits chimiques: Hannah et Alexandrine ont enlevé de leurs concentrés tout ce qu’elles trouvaient non nécessaire et qui venait ternir le goût du spiritueux. «On utilise l’écorce de l’arbre pour faire notre quinine, qui donne l’amertume au tonic, et non pas un produit chimique comme c’est souvent le cas», explique Hannah. La saveur du cola est quant à elle obtenue avec un mélange d’huiles essentielles d’épices, de fleurs et d’agrumes. Une solution de rechange aux boissons commerciales Le design des bouteilles, signé Alexandrine, est attrayant tout en restant assez simple: l’étiquette figure un drink iconique inspiré du design des flacons de médicament – le tonic était à l’origine un remède qu’on mêlait au gin pour faire passer l’amertume prononcée de la quinine. «C’est comme une petite potion pour se faire des drinks! dit
ALEXANDRINE LEMAIRE ET HANNAH PALMER
Alexandrine. C’est aussi un cadeau plus original qu’une bouteille de vin pour amener à un souper...» Il a fallu malgré tout éduquer un peu les consommateurs du Québec, où les sirops sont peu connus et utilisés. Beaucoup sont par exemple perplexes devant ces petites bouteilles de 17 onces qui coûtent 25$; comme il s’agit de concentré, une bouteille peut servir à faire jusqu’à 25 cocktails et se conserve près de six mois au frigo. «Ça permet aussi de doser comme on le sent, selon l’amertume qu’on aime, indique Alexandrine. Nous, on recommande 3/4 d’once.» Avec la culture cocktail en pleine expansion vient aussi la recherche de tonics plus fins, comme le confirme Hannah: «Au début, on intéressait plutôt les connaisseurs, mais maintenant que les gens ont découvert qu’il y avait une solution de rechange aux boissons gazeuses, ils sont vraiment emballés, et on touche un public plus large.» Des concentrés québécois qui marchent tellement bien qu’ils se sont rendus en mars dernier jusqu’à Paris pour représenter le savoir-faire, la qualité et la créativité de Montréal au célèbre festival culinaire Omnivore... y
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VIRGIN APÉRO LES PRODUCTEURS DE VINS ET BIÈRES DÉSALCOOLISÉS SE DÉVELOPPENT, ET MÊME LES BOISSONS QUI IMITENT LES SPIRITUEUX. FINI LES JUS DE FRUITS ET AUTRES SODAS: SI LA TENDANCE EST À CONSOMMER MOINS D’ALCOOL, VOIRE PLUS DU TOUT, ON VEUT EN TOUT CAS BOIRE QUELQUE CHOSE QUI Y RESSEMBLE… MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTO | BOGDANHODA, DREAMSTIME.COM
«Les vins sans alcool... La montée en puissance d’un réel besoin.» C’est le slogan de la marque Navino, qui importe depuis peu au Québec des vins Chavin, produits dans le Languedoc-Roussillon, en France, avant d’être désalcoolisés. «L’année passée encore, j’y croyais plus ou moins, mais en un an j’ai vu une évolution incroyable de la demande, indique Nathalie Favreau, la présidente et cofondatrice de Navino. C’est un nouveau domaine en pleine effervescence, et ça me stimule beaucoup…» Le sans-alcool semble en effet être au goût du jour. Alors que la marque Schweppes a lancé ses Virgin Mojito et Virgin Cosmo, le sans-alcool est le segment qui a le plus progressé en France en 2015, avec une croissance de 40%; en Espagne, les bières sans alcool représentent déjà 10% du marché. Une tendance présente aux États-Unis, et qui arrive tranquillement au Québec. Au Mondial de la bière à Montréal, en juin dernier, de nombreuses bières à très faible taux d’alcool étaient proposées, tandis que Budweiser lançait sa Cuvée Prohibition, une blanche à 0%.
Si on associe le sans-alcool à des boissons fades, certains nouveaux produits ont de quoi étonner. Navino désalcoolise ses vins avec une méthode permettant de préserver le plus possible les arômes, et son mousseux rosé Pierre Zéro, un assemblage de grenache et de muscat, est une agréable surprise peu sucrée et avec de fines bulles. Mais le vin est très fruité, beaucoup plus qu’un cru traditionnel. C’est que cette boisson n’est pas du vin à 100%; ses arômes de litchi et de framboise viennent notamment des jus de fruits ajoutés pour compenser la désalcoolisation… «Le vrai défi, c’est la texture» Le sans-alcool, un exercice de savant mélange? «C’est vraiment un travail de chimiste, en laboratoire avec des aromaticiens», explique pour sa part Patrice Plante, mixologue et fondateur du bar L’Atelier, à Québec, qui travaille sur un projet de whisky à zéro degré d’alcool. «J’ai découvert deux compagnies californiennes qui faisaient des recherches pour développer un whisky sans alcool. Il y avait beaucoup d’arômes chimiques, de sucre, d’eau… J’ai pas vraiment trippé sur le goût.» Par contre, Patrice trippe sur le concept et soumet à une entreprise de Saint-Lambert qui conçoit des arômes naturels l’idée de faire des produits sans alcool mais avec la texture de l’éthanol en bouche. «C’est assez facile de jouer avec les arômes et les huiles essentielles pour balancer les mélanges, indique Patrice. Le vrai défi, c’est la texture. On travaille avec du gras d’algues, de l’agar-agar et d’autres gélifiants naturels pour essayer de répliquer le côté velouté et sirupeux, sans utiliser de sucre. Pour recréer la chaleur et le feu de l’alcool, on est partis de la capsaïcine, une molécule qu’on retrouve dans le piment…»
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> Le but est d’arriver à crÊer des alcools qui ont de tellement belles textures qu’il sera possible de faire des cocktails de qualitÊ semblable à leurs Êquivalents alcoolisÊs. La nature est extrêmement complexe, et on ne peut pas oser dire qu’on peut rÊpliquer le goÝt d’un agave qui a poussÊ pendant dix ans dans la forêt. Mais on n’est pas loin. Ce sont de beaux dÊfis, s’enthousiasme Patrice. Et je trouve que ça pourrait être un super bon marchÊ‌ Ne pas se sentir exclu de la fête
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La clientèle? Elle est nombreuse: le chauffeur dÊsignÊ, la femme enceinte, la personne qui doit arrêter l’alcool pour des raisons de santÊ‌ Les gens qui ne boivent pas sont les Êternels oubliÊs lors des partys, souligne Nathalie, de Navino. Même rÊponse de la part de la sommelière Jessica Harnois, qui achète rÊgulièrement des vins sans alcool, auxquels elle est complètement favorable: Premièrement, je suis une maman, j’ai ÊtÊ enceinte! Ce n’est pas tant une question de ne pas boire d’alcool, mais plutôt de ne pas se sentir exclue dans une soirÊe. Ces boissons procurent le bon goÝt d’un vin et sont de belles alternatives. Car quand on ne veut (ou ne peut) pas boire d’alcool, on se retrouve avec peu d’options. Et surtout, les gens ont pris l’habitude de boire du vin en mangeant, dont on ne retrouve ni le goÝt ni l’aspect festif avec un soda ou un jus de fruit. On veut une variante au Perrier! Dans les soirÊes, j’alterne entre l’alcool et le sans-alcool, et les gens n’y voient que du feu, confie Jessica. Comme je suis sommelière, les gens s’attendent à ce que je boive tout le temps! On est dans la même ambiance grâce à ces vins sans alcool, selon la sommelière; certes, le goÝt n’est pas tout à fait le même car il manque la chaleur en bouche, mais c’est le dÊcorum qu’on achète. Pour moi, un accord met-vin ne signifie pas automatiquement qu’il y a de l’alcool. J’ai travaillÊ dans un restaurant aux États-Unis oÚ on proposait un menu accords mets-vins, avec ou sans alcool‌ Bref, le virgin vino a le vote de Jessica Harnois, qui conseille notamment le vin rouge ARIEL, à base de cabernet-sauvignon, le Pierre de Navino,  le Muscat Torres Natureo, le mousseux de Freixenet ou encore celui de Gratien Mayer. Old Fashioned au cafÊ, Manhattan à base de thÊ Pour certains, les boissons dÊsalcoolisÊes sont aussi une option moins calorique. Elles ont souvent un taux de sucre plus faible qu’un soda – un verre de mousseux sans alcool contient par exemple trois fois moins de calories qu’un
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mousseux classique. Mais, certes, ça ne coûte pas non plus la même chose qu’un soda. Chez Navino, les prix s’échelonnent jusqu’à 20 dollars la bouteille, pour le Perle.
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Et le goût dans tout ça? Pour Jessica Harnois, la qualité est là, en tout cas au rayon vin, où certains producteurs arrivent à bien préserver les arômes malgré la désalcoolisation. «Ce ne sont certes pas de grands vins, mais c’est bon!» Du côté mixologie, on peut aussi retrouver l’aspect sophistiqué du cocktail: «Je travaille à créer des liquidchefs, qui te feront retrouver la complexité d’un cocktail mais sans alcool, promet Patrice Plante. Comme un Old Fashioned au café, un Manhattan à base de thé…
«LE SANS-ALCOOL EST MOINS EXPLOITÉ EN MIXOLOGIE, MAIS JE VOIS QUE LA DEMANDE EST LÀ DU CÔTÉ DES CLIENTS.»
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Le mixologue, qui va proposer prochainement de nouvelles créations sans alcool, veut garder la même philosophie que pour le cocktail classique. Il travaille notamment avec un sommelier et un expert en thé. «C’est un mélange de plusieurs domaines qui ne se parlaient plus depuis des années, explique Patrice. Le sansalcool est moins exploité en mixologie, mais je vois que la demande est là du côté des clients.» Et d’où vient cet engouement récent pour la sobriété? Selon le mixologue, c’est lié à la tendance du «boire moins mais mieux» – certains bars new-yorkais servent par exemple leurs cocktails dans des mini-verres, pour permettre d’en goûter plusieurs en limitant les excès. Pour Jessica Harnois, la tendance du sans-alcool va aussi aider à conscientiser et éduquer les gens sur l’alcool à et modérer leur consommation. Et les réticents, qui pensent que la bière sans alcool équivaut à de l’eau, et le vin à du jus de raisin? «Ça va venir, pense la sommelière. Il y a quelques années encore, les Québécois étaient très réticents à boire du vin blanc…» y
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LE DEVOIR DE DÉSOBÉIR… MOTS | FRANCO NUOVO
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Un livre n’a pas besoin de compter 700 pages pour raconter une histoire ou émettre des principes et des théories. Une quarantaine, 40 bien tassées, suffisent pour alimenter le rêve et la réflexion. Encore, me direz-vous, faut-il que ça dépende des auteurs qui osent dire ce qui, peut-être, dans nos sociétés bien pensantes, ne se dit pas. Bon, ici, il n’est pas vraiment question d’auteur, bien que Erri de Luca soit un écrivain plus que reconnu. Quant à José Bové, définissons-le comme un militant qui défend la terre, son produit, et un type qui déboulonne un McDo en une nuit pour éviter qu’il occupe la place. De Luca n’a rien à envier à Bové, lui qui en a vu d’autres. Dès 1968, il s’engage dans l’action révolutionnaire, lutte contre la guerre au Vietnam, participe à la fondation du mouvement d’extrême gauche Lotta Continua, se fait engager chez Fiat pour mener les luttes ouvrières, se rend à Belgrade pour «partager le destin des cibles» pendant la guerre du Kosovo, et qui, il y a quelques années à peine, la soixantaine bien sonnée, incitait au sabotage pour s’opposer au forage d’un tunnel entre le Val de Suse et le Piémont italien. Une vie de militant, de «guerrier», qui ne l’a pas empêché d’écrire. Gilles Luneau, lecteur du premier et compagnon du second, qui, question activisme, ne laisse pas sa place non plus, Luneau, donc, a décidé un jour d’animer une conversation Skype entre les deux hommes sur la désobéissance, la justice, l’injustice…
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Sur les rayons
FRAGMENTS D’UNE MÉMOIRE INFINIE MAËL RENOUARD Éditions Grasset, coll. «Figures», 2016, 272 pages En quoi l’omniscience d’une intelligence autre – nos ordinateurs, nos tablettes, nos téléphones – a-t-elle complètement changé notre rapport à soi, à l’autre et à une mémoire dite collective? Avons-nous le recul nécessaire pour concevoir, ou du moins réfléchir, au changement de paradigme qu’ouvre la traçabilité de chaque existence encodée devant l’écran de tout un chacun? C’est ce pas de recul que tente de prendre le philosophe Maël Renouard dans son essai Fragments d’une mémoire infinie, une façon de jauger le présent hyperconnecté et d’en prendre une juste mesure, malgré ses inlassables mouvances. Un rendez-vous auquel il a invité Deleuze et Derrida sur le fond, ainsi que Barthes et Valéry sur la forme. Brillant. Lorsqu’on entame la lecture de ses fragments, Renouard met la table au détour d’une anecdote anodine. Ne se rappelant pas ce qu’il avait fait la veille au soir, l’idée de faire une rechercher Google le frappe tout d’un coup, à la traversée d’un carrefour. C’est ainsi que se crée la brèche dans laquelle il s’immiscera, créant ainsi un espace de réflexion sur l’ère nouvelle dans laquelle nous vivons, convoquant plusieurs philosophes du 20e siècle dans une fascinante discussion sur les transformations de nos rapports. Chez Renouard, une pléthore de commentaires sous un vidéo YouTube devient des graffitis empreints d’une nostalgie certaine, alors que l’envoie d’une lettre à l’ère du courriel devient un anachronisme auquel il est bon de réfléchir. «Il y a dans l’internet une fontaine de jouvence, où l’on plonge d’abord son visage en s’enivrant, puis où l’on voit son reflet meurtri par le temps, au petit matin.» Chaque idée, chaque réflexion pourrait rapidement sombrer dans un conservatisme inintéressant, mais l’intelligence de Renouard est telle qu’il parvient à souligner chacune d’entre elles avec une effroyable pertinence, plongeant rapidement le lecteur dans un dialogue nécessaire. Alors que ces idées et ces pistes de réflexion, aussi seyantes qu’elles puissent être, auraient pu se déplier tant en parallèle que dans tous les sens – difficultés inhérentes aux fragments –, Renouard y déploie un ordre et une cohérence qui accompagne le lecteur. Proposant un essai fascinant et accessible, ouvrant un terrain de réflexion essentiel, le philosophe réussit un tour de force en nous offrant un livre d’une clarté déconcertante sur un sujet qu’on commence tout juste à débroussailler. (Jérémy Laniel)
En fait, ce qui, au départ, était destiné à Global, un journal en ligne créé par Luneau au service d’une information libre, est devenu un petit livre publié chez Indigène et intitulé Du sentiment de justice et du devoir de désobéir. Le titre en dit déjà pas mal, même si l’essentiel de la discussion se résume à une trentaine de pages, la vingtaine qui reste relevant plutôt du complément d’information. Un échange saisissant entre deux hommes qui n’ont jamais reculé et qui réfléchissent sur la nécessité de désobéir. Comment ne pas être fasciné par ces êtres dont le destin était déjà tracé à l’enfance, qui ont choisi de se tenir debout et de ne jamais s’agenouiller devant les pouvoirs corrompus des exploiteurs? Ils ont choisi leur camp. De Luca raconte, par exemple, qu’enfant, il avait une admiration sans borne pour un enseignant jusqu’au jour où ce prof qu’il aimait tant leur a suggéré une rédaction libre. Le jeune Erri était ébloui par la volonté du maître de transmettre à ses élèves les principes d’égalité dans un monde où, à l’extérieur des murs de l’école, nul n’était bien sûr l’égal de l’autre. Il a donc rédigé ce travail, conforté dans sa liberté. Or, après correction, le maître l’a accusé de plagiat. Du coup, l’admiration et la confiance se sont désagrégées et transformées en mépris de l’autorité. Bové a eu une expérience presque similaire. On avait demandé à la classe d’écrire un texte sur le voyage. Et le petit José, plutôt que de raconter le rêve d’un voyage de jeunesse, a présenté une copie où «il visitait les basfonds de la société, les prostituées, les mendiants, les exclus et les paradis artificiels». Son travail a été jugé «sulfureux» au point de lui valoir le renvoi de l’école. L’un et l’autre ont appris deux choses ce jour-là: ce que voulait dire le courage et l’injustice. Cela parce qu’ils ont partagé, en mots, la condition des plus humbles. Leur chemin était dès lors tout dessiné. Le livre est fascinant parce que derrière les anecdotes se cachent la pensée révolutionnaire de toute leur vie, le refus de l’autorité, et ce devoir par moment de dire «non». Non au service militaire pour José, non aux pouvoirs, non à l’exploitation, non au bombardement des villes serbes par l’OTAN, non à la construction d’un tunnel inutile, non, aujourd’hui, à la menace proférée contre la santé publique, non au rejet des migrants…
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«L’UN ET L’AUTRE ONT APPRIS DEUX CHOSES CE JOUR-LÀ: CE QUE VOULAIT DIRE LE COURAGE ET L’INJUSTICE. CELA PARCE QU’ILS ONT PARTAGÉ, EN MOTS, LA CONDITION DES PLUS HUMBLES.» C’est le premier mot prononcé par un enfant après «papa» et «maman». Comme «ce n’est pas juste» est la première objection. Ce qui les amène à une réflexion sur la justice qui prévaut, dans leur cas, tel un sentiment individuel plus qu’un recueil de lois et de règlements. Un ouvrage étonnant de seulement quelques pages où, dans un échange presque fraternel, ces deux hommes en disent beaucoup sur la liberté. Qu’est-ce que c’est la liberté, Erri de Luca? «Faire correspondre ses mots et ses actions.» Eh oui! Ça a l’air tout simple comme ça… y
DU SENTIMENT DE JUSTICE ET DU DEVOIR DE DÉSOBÉIR JOSÉ BOVÉ ET ERRI DE LUCA Indigène, 2016, 49 pages
Sur les rayons
LA CHAMBRE NEPTUNE BERTRAND LAVERDURE La Peuplade, 2016, 234 pages Pavillon Emily-Dickinson: en plein cœur d’un Montréal tant réel que fictif. À l’intérieur de ce dernier se trouvent des enfants qui, plutôt qu’être aux balbutiements d’un monde, sont à la fin d’un cycle. Sandrine n’a que 11 ans et pourtant, la voilà au soir de sa vie. Avec La chambre Neptune, Bertrand Laverdure sonde les profondeurs humaines, celles de l’insatiable dilemme entre la vie et la mort et du friable équilibre entre le corps et l’esprit. Peignant par le fait même les médecins comme des «néopoètes», sensible à la beauté du monde et ses contradictions, l’auteur nous livre ici son roman le plus abouti en jouant l’habile funambule. Le père de Sandrine meurt d’un bête anévrisme. Alors qu’il est seul sur la route, une tache se crée dans sa vision. Il appuie lentement sur les freins de sa voiture et de son existence. Il laisse Ninelle, sa femme, seule avec la mort et la maladie, obnubilée par un monde qui semble tout gober sur son passage, même sa passion pour son art et sa musique. Ils trouveront sur leur passage Tirésias, médecin à la sexualité changeante – étant parfois il, parfois elle – qui accompagnera Sandrine dans la mort et Ninelle dans le deuil. Grâce à une chronologie éclatée, on ne se joue pas de la fatalité comme d’un suspense, mais bien plus que comme une certitude, ouvrant ainsi un terrain de réflexion où le miracle est remplacé par le beau. À travers cette galerie de personnages, que l’auteur nous présente comme dans un album, à l’aide de différents clichés, on dépeint au même moment une société en mouvance, une littérature nécessaire et des questionnements complexes pour des vies évanescentes. Neptune est une planète de glace. Neptune est le Dieu des eaux. La chambre Neptune est tout ce qui se trouve au milieu. À mi-chemin entre le froid clinique et la houle des eaux, entre l’incertitude de l’athée et les pernicieuses convictions mythologiques. Bertrand Laverdure parvient à mettre tout de lui dans ce livre: le poète et le romancier, le lecteur et l’admirateur, le vivant et le mortel. Se jouant de la culture populaire sans la plaquer, des références littéraires sans les surutiliser et abordant la mort sans sombrer dans le pathos, La chambre Neptune est une offrande littéraire hybride et belle d’un auteur en équilibre malgré les eaux troubles. (Jérémy Laniel)
(CI-CONTRE) LONDON CALLING. RIEL BENN, 2013
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DÉTOUR NEMENT MA JEUR DE SON ATELIER AU MANITOBA, L’ARTISTE SIOUX RIEL BENN SENSIBILISE LES GENS AUX ENJEUX AUTOCHTONES EN DÉTOURNANT L’ESTHÉTIQUE DES PRODUITS CULTURELS POPULAIRES, AUTANT LES MAGAZINES QUE LES POCHETTES PHARES DU ROCK. PORTRAIT. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN
Vivant sur la réserve de la Première Nation Birdtail Sioux, au sud-ouest du Manitoba, Benn préfère la tranquillité de son atelier à l’effervescence de la vie urbaine. Sans téléphone, il peut compter sur sa petite sœur pour venir l’avertir lorsque quelqu’un l’appelle. «J’ai habité cette réserve pratiquement toute ma vie», relate l’artiste mi-trentenaire, rejoint par téléphone chez ses parents, là où il demeure. «Au début de ma vingtaine, j’ai tenté de m’installer à Winnipeg, mais il y avait trop de distractions, trop de trucs à faire, trop de partys… Je préfère l’isolement, les fleurs et l’air frais à toute cette vie sombre.» Autodidacte, Benn a amorcé dès l’âge de 16 ans un fascinant cheminement artistique, qui l’aura porté à créer plus d’un millier d’œuvres, dont plusieurs ont été vendues à des compagnies, des universités et des collectionneurs internationaux. Si sa séquence surréaliste The Best Man, inspirée par Salvador Dali, lui a servi de tremplin pour se faire connaître sur la scène canadienne des arts visuels, c’est plutôt sa précédente série qui l’aura initié à l’art engagé. Amorcée en 1998, The Magazine Series détournait l’esthétique des plus célèbres magazines américains (Vanity Fair, Time, Rolling Stone) pour mettre en valeur des symboles et figures emblématiques de la culture des Premières Nations.
«Cette année-là, juste dans ma réserve, il y a neuf personnes qui se sont suicidées, dont mon frère…» confie-t-il. «Ça m’a automatiquement amené à m’intéresser aux enjeux autochtones. Avant ça, j’étais uniquement animé par la pratique artistique à l’état pur. Je m’amusais à reproduire des œuvres de Dali, Picasso et Warhol.» Critique et clins d’œil L’influence du pionnier du pop art new-yorkais est d’ailleurs très perceptible chez Benn. Entre critique sociohistorique et clins d’œil postmodernes, son exposition Classic Rock revisite et détourne les pochettes phares du rock américain et britannique. «J’utilise essentiellement la culture pop pour amener les gens à s’interroger sur les problématiques autochtones», résume-t-il. «Avec ma relecture de The Wall, par exemple, j’aborde la question des pensionnats. Là-bas, on a voulu détruire la spiritualité autochtone en endoctrinant les jeunes avec une éducation oppressante. Pour moi, l’œuvre de Pink Floyd, c’est une critique anticonformiste de l’éducation britannique. Ça a beaucoup de liens avec mon propos.» Dans un genre similaire, la missive London Calling obtient un tout nouveau sens, une fois revisitée par Benn. «London Calling, à la base, s’adressait aux
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(CI-CONTRE) THE WALL. RIEL BENN, 2011
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vétérans qui s’étaient battus pour la terre britannique. Moi, j’ai voulu montrer l’envers du décor, en mettant en valeur tous ces Autochtones qui ont dû se battre pour l’Angleterre, mais qui, paradoxalement, s’étaient eux-mêmes fait voler leurs terres», explique le Manitobain. Grand fan de rock, Benn rend au passage un hommage bien senti aux musiciens qui ont marqué son enfance et son adolescence. «Ce sont tous des groupes avec lesquels j’ai grandi», indique-t-il, avouant au passage ne pas avoir d’affection particulière pour la «nouvelle musique». «Ma grande sœur a joué un rôle important dans toute cette découverte. C’est elle qui m’a fait découvrir Bon Jovi à l’âge de 6 ou 7 ans.»
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Élaborée pendant cinq ans, entre 2010 et 2015, l’exposition montre donc plusieurs facettes d’un artiste qui désire, avant toute chose, faire passer un message. Et à une époque où les enjeux autochtones réussissent plus que jamais à faire la une des manchettes et à amorcer des débats sociaux, ce qui n’était pas nécessairement le cas au début de la décennie, Classic Rock tombe à point. «J’aimerais que les gens quittent l’exposition avec une meilleure compréhension de notre histoire», espère-t-il. «À tout le moins, j’espère qu’elle réussira à briser certains stéréotypes et idées préconçues.» y Classic Rock Présenté partiellement durant Présence Autochtone au Quartier des spectacles Du 3 au 7 août
Un peu d’humour À l’image de sa musique de prédilection, Classic Rock laisse également une place de choix à l’humour. Le tableau de Lola des Kinks, par exemple, montre un colonel Custer travesti. «Il m’amuse beaucoup, celui-là», relate l’artiste, enjoué. «Custer a massacré le Dakota. C’était un truand… Ça me faisait rire de le montrer sous un tout nouveau jour, déguisé en danseuse.»
Présenté dans son intégralité à l’espace culturel Ashukan (431, place Jacques-Cartier, Montréal) Dès le 3 août
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DANS MON ATELIER, JE SUIS PLUSIEURS.
Edmund Alleyn, Mondrian au coucher, 1973 – 1974. Collection du Musée d’art contemporain de Montréal. Photo : Richard-Max Tremblay
MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL
185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal (Québec) H2X 3X5 Canada Métro Place-des-Arts macm.org
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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE
PRIÈRE DE NE PAS DÉRANGER J’ai toujours un air en tête. Je peux souffrir d’un vers d’oreille deux ou trois fois par semaine, à ne pas pouvoir dormir. Ça magane un homme. Vivement les vacances. Arrivée à Genève, où Debbie trouve qu’il ne fait pas assez chaud. Pourtant, 20 degrés, soleil, avoir envie d’une fondue suisse là où il se doit, c’est dur à battre. Des fois, je me demande si l’égalité complète homme-femme sera un jour possible. La guerre aura toujours lieu autour du thermostat, il me semble. Lever tôt, vue superbe sur le lac Léman. La vita è bella. Mais quelque chose cloche. Où est le jet d’eau qui s’élève normalement au cœur de la rade? Ce jet si représentatif de l’autorité et de la rigueur suisse? En berne, déduis-je en lisant le journal. Nice, plus de 80 morts, un terroriste. J’ai Eicher dans la tête depuis le réveil. Plus rien ne la surprend sur la nature humaine, c’est pourquoi elle voudrait, enfin si je le permets, déjeuner en paix, déjeuner en paix. Je suis Nice après avoir été Paris, Bruxelles, Bagdad. J’espère n’avoir jamais à être Laval ou SaintHyacinthe. Mais je sens qu’on n’a pas fini d’être des villes. Tout se stigmatise, la haine grandit, ouvre grande la porte à la peur de l’autre, à la montée du protectionnisme, à la victoire du Brexit, à celles, plausibles, de Trump, de Le Pen, de Bernier. C’est un gars qui nous ressem-em-ble, c’est un gars qui nous connaît… Black Lives Matter. L’arc-en-ciel au grand complet compte. Je me dis quand même que je suis chanceux d’être né blanc, nommé Taillefer et pas Abrahim ou Toussaint. Je ne me souviens pas du voyage, mais la
destination était gagnante. Pas connu l’ostracisme, les petits regards, les grands, les préjugés. Faut juste se rappeler qu’on n’a pas eu grand-chose à faire dans le canal déférent. Tu t’en souviendras, Daphnée? J’aime revisiter les résultats de mon test d’ADN fait il y a quelques années. Me rappeler que j’ai plus de sang d’Irlande et d’Écosse que de sang normand. Malgré ma préférence pour les poulets de Bresse et les vins bourguignons. Mes ancêtres étaient peutêtre les Syriens d’alors. Plus de murs, plus de sécurité, plus d’oppression, plus de loups solitaires, de désespoir. On fait quoi pour contrer les loups solitaires, les désespérés, les gens qui ont souffert d’oppression, qui souffrent de dépression, de maladies mentales, qui iront jusqu’au bout, pour qui la vie ne vaut plus rien? Que fait-on pour les Amed et les Aziz de ce monde, les deux frères sortis de L’orangeraie, imaginés trop réalistement par Larry Tremblay? Je suis désolé, mais la solution ne viendra pas de la riposte. Ne viendra pas de l’entretien de la peur de l’autre, de plus de haine. Elle s’appellera culture, éducation, empathie, ouverture, dialogue. Qu’elle soit catholique, juive ou musulmane, la religion sert à transmettre des valeurs. Sensiblement les mêmes, d’ailleurs. L’entraide, l’amour. Aimezvous les uns les autres, entraidez-vous. Ce qui se passe en ce moment n’a rien à voir avec l’islam. Et n’est pas le fruit d’un État.
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Ma fille danse dans la chambre. Saute. Se filme. DaphnÊe, arrête de t’Ênerver comme ça. C’est normal, papa, je suis un tiers italienne. Deux beaux enfants nÊs de mon union avec une Zakaib de troisième gÊnÊration. Vous ai-je dit que les plus belles femmes sont nÊes autour de la MÊditerranÊe? ChÊrie, je t’aime, chÊrie, je t’adore, comme la salsa de pomodoro. ChÊrie, je t’aime, avec ou sans tchador. On ne rÊglera jamais le cas des loups solitaires. Quelles libertÊs devrons-nous Êliminer, quelle hauteur le mur, quelles inÊgalitÊs devrons-nous accroÎtre pour que nous nous sentions faussement en sÊcuritÊ? J’ai lu qu’il n’y avait que 45 policiers sur la promenade des Anglais. À 500, il y aurait probablement eu moins de morts. Mais qui aurait fêtÊ? Je suis dÊsolÊ, mais il n’existe pas de
QU’ELLE SOIT CATHOLIQUE, JUIVE OU MUSULMANE, LA RELI GION SERT À TRANSMETTRE DES VALEURS. SENSIBLE MENT LES MÊMES, D’AILLEURS.
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solutions miracles. Il y aura toujours des Paris, des Bruxelles, des Nice et des Alep. Des dÊsespÊrÊs, des malheureux, certains s’exerçant seuls, d’autres influencÊs par des manipulateurs de dÊsespÊrÊs, qui n’ont rien à perdre ou qui ne croient pas avoir leur place parmi nous. Je suis d’un autre pays que le vôtre, d’un autre quartier, d’une autre solitude... Il avait les mots pour le dire, FerrÊ. Je me permets une petite visite sur Twitter malgrÊ ce que je m’Êtais promis. J’apprends que la gauche a tout faux par rapport à son approche vis-à -vis des terroristes, selon Richard Martineau. Il stigmatise la discussion, qualifie tout de noir ou de blanc. Il a Êcrit exactement le contraire de ce que je pense. Je ferme mon tÊlÊphone et saute dans un taxi vers l’aÊroport, accompagnÊ en secret par Dick Annegarn. Dubrovnik, attends-moi, j’arrive. Bientôt, je prends la dÊrive. Genève, je te laisse mon lit. Sur ce, rum dum dum wa la dou, c’est le temps des vacan-an–ces.
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QUOI FAIRE
photo | Sergey ponomarev
ARTS VISUELS
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WORLD PRESS PHOTO
SOIR
m a r c h é B o n S e c o u r S - D u 31 a o û t a u 2 o c t o B r e
rue BeauBien - 5 et 6 août
Pour sa 11e édition, la célèbre exposition reprendra d’assaut le Marché Bonsecours, en plein cœur du Vieux-Montréal. Comme d’habitude, elle présentera les photographies gagnantes de la compétition professionnelle de photo, l’une des plus prestigieuses au monde. L’an dernier, c’est près de 98 000 images (provenant de 130 pays) qui ont été soumises au jury.
Entre les rues Alma et le boulevard Saint-Laurent, l’art investira cette portion de la rue Beaubien à travers différentes expériences sensorielles. Conçu sous forme de déambulatoire, l’événement amènera le public à se promener entre les commerces de l’artère pour découvrir une diversité de spectacles, d’expositions et de prestations artistiques.
photo | courtoiSie Dc hochelaga maiSonneuve
MUSIQUE
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SHOW DE RUELLE MONONC’ SERGE r u e l l e g a B o u r y – 18 a o û t
FESTIVAL ARTEFACT pa r c D e l p h a-S a u v é ( S a l l a B e r r y-D e-va l l e y f i e l D ) D u 25 a u 27 a o û t
Organisé par la Société de développement commercial (SDC) Hochelaga-Maisonneuve, ce spectacle de Mononc’ Serge prendra place dans la ruelle Gaboury, coin Sainte-Catherine, quelques rues passées Pie-IX. Ce show intimiste sera agrémenté dès 17h par l’excellente cuisine du marché de Chez Bouffe, qui proposera également ses délicieuses bières de microbrasserie.
Après plusieurs éditions affectées par le mauvais temps, le Festival Artefact a repris du galon et s’inscrit maintenant comme l’un des incontournables du circuit festivalier québécois. Pour sa cinquième édition, on pourra notamment voir à l’œuvre Marie-Pierre Arthur, Laurence Nerbonne, Fred Fortin, Plants and Animals, Rednext Level et Radio Radio.
GROSSE LANTERNE
CONCERTS AU JARDIN BOTANIQUE
la groSSe lanterne 180 1, c h e m i n D e B é t h a n i e ( B é t h a n i e ) 12 e t 1 3 a o û t
Située sur un site de grandeur nature aux abords de la rivière Noire, La Grosse Lanterne vaut en tous points le déplacement en Estrie. Avec son camping au décor bucolique qui fait rêver, le festival mise sur une ambiance sympathique et festive qu’on se plaira à retrouver cette année au son d’excellents artistes québécois comme Dead Obies, Brown, Lisa LeBlanc, Klô Pelgag et Groenland.
J a r D i n B o ta n i q u e - D u 7 a u 28 a o û t
Espace pour la vie propose depuis juin des concerts intimes au Jardin botanique. Les quatre derniers événements de cette série estivale mettront en vedette Ian Kelly (7 août), Élisapie – pour le 15e anniversaire du Jardin des Premières-Nations (14 août), Mara Tremblay (21 août), et Emilie-Claire Barlow (28 août).
62 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #O7
O8 / 2O16
PRÉSENCE AUTOCHTONE p l a c e D e S f e S t i va l S e t a i l l e u r S J u S q u ’ a u 10 a o û t
Le festival consacré à la culture des Premières Nations présente cette année de la musique (Digging Roots, Shauit, Kawandak et Logan Staats), du cinéma (100 Tiki en ouverture et Le cercle des nations en clôture), des arts visuels (l’exposition Pulpe fiction de l’artiste abénakis Sylvain Rivard), et bien plus.
FESTIVAL MONGOLFIÈRES | KORIASS S c è n e l o t o -q u é B e c ( S a i n t-J e a n-S u rr i c h e l i e u ) – 15 a o û t
Koriass, sur toutes les scènes du Québec cet été, fera un détour à l’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu. Sur la scène principale, le champion de la rime eustachois sera précédé par Samian, un de ses complices de label chez 7e Ciel. Et pour ajouter à ce beau party de famille, on pourra également voir Brown en début de soirée sur la scène L’Étoile Tim Hortons. photo | Jean-philippe SanSfaçon
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LES ANTICIPATEURS ET BLACK TABOO foufouneS électriqueS – 26 août
HELENA DELAND l e c h a m p S D e S p o S S i B l e S – 30 a o û t
Cette auteure-compositrice-interprète, à la voix sirupeuse et aux arrangements aériens, fera une prestation extérieure pour la sortie de son tout premier EP intitulé Drawing Room le 30 août, alors que la sortie officielle du EP se fera le 26. Il est intéressant de noter la collaboration de Jesse Mac Cormack sur cet enregistrement où les paroles féminines engageantes des pièces s’entremêlent au son doux et frais de la musique.
Forts du succès de leur premier spectacle collaboratif de l’hiver dernier, les deux groupes rap satiriques les plus controversés de l’histoire du hip-hop québécois refont alliance aux Foufounes électriques, le temps d’une soirée qui promet d’être ridicule à souhait. Précédés par les groupes hommages Cypress Chill, Slim Charlie et Pimp Bizkit, Les Anticipateurs et Black Taboo mettront le feu aux Foufs.
FESTIVAL DE LA POUTINE S c è n e l o t o -q u é B e c ( D r u m m o n D v i l l e ) Du 25 au 27 août
XENO & OAKLANDER S a l a r o S S a - 19 a o û t
Liz Wendelbo et Sean McBride forment ce duo basé à Brooklyn, dont la musique électro minimaliste – très axée sur les synthés – fonctionne autant comme bande sonore d’after-partys arrosés que pour ensoleiller un dimanche matin pluvieux.
Organisé par Les Trois Accords, le Festival de la poutine animera Drummondville pour une neuvième année. En plus de mettre de l’avant les créations culinaires d’une dizaine de poutiniers, notamment celle du renommé Jerôme Ferrer d’Europea, le festival propose une programmation relevée à souhait, incluant notamment Bernard Adamus, Vilain Pingouin, Dead Obies, Philippe Brach et Safia Nolin.
SCÈNE
FESTIBLUES DE MONTRÉAL
STREET VIEW
parc ahuntSic et environS D u 11 a u 14 a o û t
f e S t i va l D e t h é ât r e D e r u e D e lachine - 25, 26 et 27 août
Le grand Jean-Pierre Ferland lancera les festivités de ce 19e FestiBlues. Les jours suivants au parc Ahuntsic, on pourra y voir Louis-Jean Cormier, Philippe Brach, Bob Walsh et Guy Bélanger, Martin Goyette, Ariane Moffatt, et d’autres plus petits concerts dans des bars et restaurants du coin.
Cette installation du Montréalais Patrick Saint-Denis s’avère un ensemble de chœurs d’accordéon alimenté par Internet. Le tout est nourri par un système de captation par caméra, puis se restitue dans une composition musicale à saveur folklorique.
BORIS
C’EST QUI DANS LA TENTE? granDe Salle – 20 août
B a r l e r i t z p D B - 10 a o û t
Le groupe heavy rock/métal japonais Boris célèbre les 10 ans de son album phare, Pink, avec la sortie d’une réédition du LP. Au grand plaisir de ses fans nord-américains, Boris proposera également des concerts où il jouera le disque en entier pour cet anniversaire spécial.
Dans le cadre de Zone Homa, les créateurs de C’est qui dans la tente? amènent le spectateur à réfléchir, en pleine mise en abyme théâtral, et à s’interroger sur le jeu de l’acteur, son parcours, son implication émotionnelle ainsi que son intellectualisation du jeu.
J’AIME HYDRO FESTIVAL COUNTRY DE LONGUEUIL À côté De l a marina De longueuil D u 24 a u 2 8 a o û t
LA PLUS VASTE SÉLECTION DE BIÈRES QUÉBÉCOISES DE LA GRANDE RÉGION DE MONTRÉAL
C’est la 18e édition de ce festival qui célèbre la culture country sur un grand site extérieur tout près du pont Jacques-Cartier. Cette année, le festival propose une soirée dédiée à l’Acadie, avec les chanteurs Tammy Adams, Hert Leblanc et Louis Bérubé.
t h é ât r e l a l i c o r n e – D è S l e 3 0 a o û t
Dirigée par la compagnie Porte Parole, cette pièce propulse le spectateur dans un univers où Hydro-Québec, symbole de la prise de pouvoir et d’affranchissement du Québec moderne, est mis en avant-plan. La mise en scène sera confiée à Philippe Cyr, déjà connu pour Les cendres bleues et Selfie. >
BALTHAZAR CENTROPOLIS
/ LeBalthazarCentropolis • 450 682 - 2007 195, promenade du Centropolis Laval, QC H7T 0B3
BALTHAZAR DIX30
/ LeBalthazarQuartierDix30 • 450 890 - 3927 9180, Boulevard Leduc, suite 210, Brossard, QC J4Y 0L1
photo | alexiS hoBBS
65 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #O7
O8 / 2O16
photo | vitor munhoz
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CUBE
MACBETH MUET
ANDRÉ SAUVÉ
f e S t i va l D e t h é ât r e D e r u e D e l a c h i n e 25, 26 e t 27 a o û t
f e S t i va l D e t h é ât r e D e r u e D e l a c h i n e 25, 26 e t 2 7 a o û t 2 01 6
p l a c e é m i l i e- g a m e l i n - 10 a o û t
Compagnie de danse active sur la scène internationale depuis 2001, [ZØGMA] présente sa toute première création in situ. Cube expose un trio de danseurs accompagné d’un percussionniste, manipulant six planches de bois qui se transforment graduellement en structure cubique.
La fille du laitier, compagnie de danse encore toute fraîche, livre une adaptation sans paroles de Macbeth du dramaturge anglais William Shakespeare. Cette œuvre, oscillant entre le film muet, le mélodrame ainsi que l’humour, transporte le spectateur dans une course effrénée vers le pouvoir et la tentation du célèbre couple maudit
L’humoriste verbomoteur est l’une des têtes d’affiche de la 10e édition du festival Fierté Montréal. Nommé révélation de l’année au festival Juste pour rire il y a maintenant une décennie, André Sauvé a su faire évoluer son public avec une belle constance, comme le prouvent les 160 000 spectateurs qui se sont déplacés pour voir son deuxième spectacle cette année. L’humoriste Neev assurera la première partie.
66 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #O7
O8 / 2O16
FAUVESWORKS z o n e h o m a - g r a n D e S a l l e – 11 a o û t
CINÉMA
Ce laboratoire formel portant sur le fauvisme comporte une belle sélection de jeunes acteurs de la relève. Jeanne RouxCôté, Jean-Carl Boucher, Karelle Tremblay, Guillaume Rodrigue et plusieurs autres se partageront la scène.
LES INNOCENTES e n S a l l e l e 19 a o û t
Pologne 1945. En pleine Deuxième Guerre mondiale, une infirmière athée est appelée au secours dans un couvent, où un drame effroyable prend naissance. Le huis clos qu’exerce Anne Fontaine, la réalisatrice, sur ses religieuses et le chamboulement de leur communauté, s’avère riche en émotions.
KALO POTHI, UN VILLAGE AU NÉPAL en Salle le 5 août
Dans un petit village du nord du Népal, où le cessez-le-feu de la guerre civile demeure très précaire, deux amis, Prakash et Kiran, élèvent une poule qui leur produit des œufs pour ensuite les vendre. Ceci devient alors leur gagne-pain. Leur vie change brusquement lorsque cet animal si précieux disparaît et que les deux protagonistes décident de partir vers une quête de voyage dangereux.
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SUICIDE SQUAD
SAUSAGE PARTY
WAR DOGS
en Salle le 5 août
en Salle le 12 août
e n S a l l e l e 19 a o û t
DC Comics et Warner Bros reviennent en force avec un film de super-vilains, légèrement déjanté. Le ton est donné dès le visionnement de la bande-annonce avec la chanson Bohemian Rhapsody du légendaire groupe Queen. Le synopsis relate l’histoire d’une bande de supervilains incarcérés, qui se font donner une deuxième chance en prenant part à une mission pour sauver le monde, à leur façon bien évidemment.
Ce film d’animation, réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon, est idéal pour vos dernières soirées d’été avant la rentrée. Dans un supermarché, une saucisse nommée Frank vit avec ses comparses. Leur but ultime s’avère de se faire choisir par un client, puis espérer une vie meilleure. S’ensuivront alors la découverte effroyable de leur destinée et la course contre la montre pour échapper à leur misérable sort.
Ce film, basé sur des faits réels, et réalisé par Todd Phillips, raconte l’inimaginable descente aux enfers de deux jeunes Américains, David Packouz et Efraim Diveroli. Les deux comparses, après avoir reçu la somme de 300 millions par le Pentagone, doivent fournir des armes aux soldats afghans et constateront l’ampleur de leur engagement.
Nouveauté MAX L’AFFAMÉ vous accueille chez lui afin de vous concocter un menu gastronomique et original !
LA TÉLÉ QUI CUISINE
zeste.tv
Dès le 31 août, MERCREDI 21 H
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.
Gabrielle Laïla Tittley
teomtl.com