MONTRÉAL VO1 #11 | DÉCEMBRE 2O16 LIGUE NATIONALE D’IMPROVISATION DANIEL LÉVEILLÉ LES 7 DOIGTS FOLK SALE LES DALES HAWERCHUK DANIEL BÉLANGER LE GOÛT D’UN PAYS D’ENCRE ET DE SANG 887 DOSSIER LE QUÉBEC À TABLE
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SAFIA NOLIN
Soyez les premiers à découvrir le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein
« Un phare culturel » — Wallpaper
« D’une beauté à couper le souffle » — ICI Radio-Canada Première
« … un supplément d’âme, une prestance, une classe sans précédent »
750 œuvres des maîtres anciens à l’art contemporain
— La Presse
« Un nouveau joyau culturel pour Montréal »
ENTRÉE GRATUITE JUSQU’AU 15 JANVIER 2017
— Téléjournal, Radio-Canada
Présentateur de l’année de la paix
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La construction du Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein a été réalisée grâce au financement du gouvernement du Québec. Le réaménagement des collections d’art international du Musée a été rendu possible en partie grâce à l’appui du gouvernement du Canada. | Atelier du baron François-Pascal-Simon Gérard, Portrait en buste de Napoléon Ier en costume de sacre (détail), vers 1805. | John Currin, Sœur (détail), 1992. © John Currin
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O1 11 MONTRÉAL | DÉCEMBRE 2016
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«ON DIRAIT QUE, DANS LA VIE, J’AI DÉCIDÉ DE FAIRE ÇA COMME SI PERSONNE M’ÉCOUTAIT OU ME REGARDAIT. POUR ÊTRE BIEN AVEC MOI.» Photo | Maxyme G. Delisle & Jocelyn Michel (Consulat), assisté de Marc-Antoine Dubois Stylisme | Olivia Leblanc (Folio) Maquillage | Maïna Militza (Folio) Vêtements | La Baie Centre-ville et Addition Elle
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SCÈNE
LNI en quête de reconnaissance Daniel Léveillé Les 7 doigts
18
MUSIQUE
34
CINÉMA
42
DOSSIER
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LIVRES
56
ARTS VISUELS
62
QUOI FAIRE
Folk sale Daniel Bélanger Les Dales Hawerchuk Le goût d’un pays D’encre et de sang Le Québec à table Les yeux tristes de mon camion 887, de Robert Lepage et Steve Blanchet
CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Monique Giroux (p32) Normand Baillargeon (p40) Émilie Dubreuil (p50) Alexandre Taillefer (p60)
6 CHRONIQUE VOIR MTL
VO1 #11
12 / 2O16
SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
UNE IDÉE DE LA BEAUTÉ Vous vouliez la voir bien habillée, maquillée, arrangée pour les soirs de gala, avec des vêtements loués pour l’occasion et plus d’une heure de soins de beauté prodigués devant un miroir? Voilà, c’est fait. Elle est là, Safia Nolin, en page couverture de notre magazine, grimée pour les grandes soirées. Eh oui, c’est son majeur qu’elle brandit, comme pour essuyer une larme.
une oie afin que le foie soit bien gras pour Noël. C’est une cirrhose, jusqu’à l’écœurement, qu’on a déployée pour faire valoir qu’en ce plate pays qui est le nôtre, il y a toujours ben des &?(!* de limites, et le gros bon sens, et toutes ces niaiseries qu’on nous sert, et ne mets pas tes coudes sur la table, ne mange pas avec tes doigts et machin m’as-tu-vu, je pense si bien, moi.
C’est de la provoc, un peu, oui. Mais il y a plus que ça. C’est ainsi que nous avons choisi de terminer l’année et de souffler la bougie du premier anniversaire de ce magazine que nous vous proposons depuis le mois de janvier. Pour quelques raisons qui dépassent un peu la simple provocation.
Vos yeules les mouettes. Vos velléités d’entretenir la polémique pour vous garder la tête hors de l’eau dans l’océan de la visibilité, sur votre trip de café matinal pour choisir le sujet du jour qui fera la manchette, c’est de la daube.
D’abord, oui, pour Safia, afin de célébrer son talent auquel nous avons toujours cru, bien avant qu’elle fût sacrée «Révélation de l’année» dans un gala. Nous avons voulu la mettre en vedette. Parce qu’elle est belle et que nous l’aimons. Nous avions commencé ce projet de magazine, vous vous en souviendrez, avec Charlotte Cardin, jeune artiste issue de La Voix, aussi mannequin. Une fille d’une grande beauté, au talent indéniable. Nous bouclons aujourd’hui la boucle avec Safia, sortie de nulle part, aux antipodes de l’idée qu’on se fait généralement de la «jolie fille». Ensuite, nous avons voulu souligner quelque chose qui nous semble plus important encore. Le look de Safia Nolin a suscité une «controverse» lors du plus récent gala de l’ADISQ. Cette discussion était complètement factice, inventée, alimentée par une poignée de perruches qui, dans les médias, ont su transformer l’art du commérage en gagne-pain. Qu’on roucoule dans les chaumières, cela ne surprendra personne. Qu’on le fasse dans les journaux, c’est autre chose. Il ne suffisait pas de faire une chronique à ce sujet: il fallait en faire 32, en remettre, se rouler dedans, gaver le lecteur comme
Mais qui, au monde, peut considérer que ces discussions sur le look d’une fille qui peut bien faire ce qu’elle veut méritent plus qu’un mot prononcé en secret dans un ascenseur? Il faut être vraiment riche pour avoir le luxe d’ainsi se répandre sur toutes les tribunes en causant esthétique du t-shirt. Cette richesse, cette suffisance érigée en morale, mérite d’être épinglée sur le babillard des grandes insignifiances. Ce que Safia Nolin a mis au jour, cette année, ce n’est pas son look ou la sacro-sainte liberté poétique. C’est d’abord cette capacité des médias à alimenter quotidiennement, sans vergogne, une machine qui se nourrit d’elle-même. On commence par crier. Les gens crient avec nous. On parle ensuite du cri. Des gens crient encore. Soudainement, on a une affaire, parlons donc des gens qui crient. Pourquoi crient-ils? Voilà un phénomène de société qu’il faut rapporter. Crions donc tous ensemble. Après quelques jours de ce régime, on peut parler de la polémique de la semaine. Le finger de Safia Nolin, j’aimerais donc qu’il soit aussi le mien. Je lui ai proposé l’idée, sur un coup de tête. Elle a accepté. C’était un peu un cadeau de Noël. Ça l’a fait rigoler. Nous avons passé cette séance photo à chanter
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ensemble toutes les chansons de Rendez-vous doux de Gerry Boulet. Un grand moment. J’en garderai un souvenir mémorable. C’était aussi un cadeau que je me faisais, à moi, égoïstement. Un majeur que j’aurais voulu brandir moi aussi, comme pour essuyer une larme encore, à toutes ces fausses polémiques, ces grands drames que l’on invente pour faire rouler la machine à imprimer des cris qui résonnent comme du silence. En lançant notre magazine, en janvier, avec Charlotte Cardin en première page, nous disions à l’époque que c’était un statement. Que pour nous, il n’y avait pas lieu de snober des artistes qui tentent leur chance à La Voix. Nous disions aussi que la frontière entre la culture «alternative» et «grand public» était désormais poreuse et que c’était tant mieux comme ça. Nous terminons l’année en disant que même ceux qui avancent sur des avenues hors-norme, que ce soit par le choix de leurs vêtements, le corps que la nature leur a confié ou leur personnalité forgée au hasard des sentiers
du vécu, n’ont pas à subir les foudres des esthètes du dimanche qui sont à l’ère du temps ce que les chanoines étaient aux salles de classe où on apprenait naguère le catéchisme à coups de règles sur les doigts. Enfin, pour conclure cette dernière chronique de 2016, permettez-moi de faire un souhait. Un vœu tout con, pour vrai. La beauté est parfois fausse. Je nous souhaite un peu de vérité. Combien sont-ils, bien habillés, propres, souriants, à nous mentir, à nous entuber avec du lubrifiant parfumé? Cette année s’est soldée par ce grand slogan du great again aux États-Unis, cette grande beauté qui ne demande qu’à redevenir magnifique. Et que dire de ces nouveaux menus dans les CHSLD, d’une grande beauté aussi. Et tous ceux qui applaudissent, en riant, avec des nappes blanches et des verres propres... Ils ont tellement de beaux vêtements. Heurter la beauté, c’est aussi, souvent, fracasser le mensonge. y sjodoin@voir.ca
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VO1 #11
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(DE GAUCHE À DROITE) ÉTIENNE ST-LAURENT, SALOMÉ CORBO ET FRANÇOIS-ÉTIENNE PARÉ.
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VO1 #11
EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE EN 2017, LA LIGUE NATIONALE D’IMPROVISATION CÉLÉBRERA SON 40 e ANNIVERSAIRE. FONDÉE PAR ROBERT GRAVEL ET YVON LEDUC, ELLE FUT À L’ORIGINE DE LA POPULARISATION DE L’IMPROVISATION À LA GRANDEUR DU QUÉBEC ET DE LA PROPAGATION DE CETTE DISCIPLINE DANS PRÈS DE 30 PAYS. MOTS | JÉRÉMY LANIEL
PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
Malgré ses assises fortes au Québec et son rayonnement à l’international, la LNI ne peut pas s’asseoir sur ses lauriers. Pour une entreprise autofinancée, les défis budgétaires sont constants. L’an dernier, à pareille date, elle lançait sa première campagne de sociofinancement de son histoire avec l’objectif d’aller chercher 50 000$. Pour Étienne St-Laurent, le directeur général de la ligue, bien qu’ils n’aient pas atteint leur objectif, ce ne fut tout de même pas une vaine entreprise. «La LNI avait peut-être plafonné dans le financement public, s’autofinançant à 80%. On s’est dit qu’il y avait une cote très forte auprès du public face aux matchs d’impro, avec les ligues existantes, les cours d’improvisation dans les écoles et tout. Donc, pourquoi pas y aller dans le sociofinancement, avec des forfaits, de la vente de billets dans l’optique de se financer. On a eu un excellent rayonnement pour la LNI et autour de l’urgence de la situation, plus qu’une réelle réussite financière quant aux objectifs qu’on s’était donnés.»
L’un des problèmes récurrents dans le financement de la LNI, et pour une bonne partie des différentes ligues d’improvisation, c’est sa spécificité. Bien que jugée par des pairs dans les multiples conseils des arts, elle peut difficilement être comparée à une troupe de théâtre. Dans cet ordre d’idées, la LNI a désiré mettre en branle depuis juin une démarche pour inscrire cette spécificité dans la prochaine politique culturelle sur laquelle le gouvernement travaille présentement. Cet automne, ils ont fait paraître un manifeste qui se terminait comme suit: «Nous appelons le gouvernement du Québec à reconnaître formellement, dans le cadre de la Politique culturelle, l’improvisation théâtrale comme une discipline à part entière et à adapter ses programmes et ses outils de soutien pour assurer la consolidation de ses acquis, son rayonnement et sa pleine évolution.» Lorsqu’ils ont rendu public ce manifeste, la veille de leur 39e anniversaire, ils ne s’attendaient pas à ce que l’Assemblée nationale adopte une motion à l’unanimité en ce sens. Eux qui croyaient avoir mis le premier jalon d’une longue démarche pour la reconnaissance de leur art ont vu rapidement leur champ de possibilités s’agrandir. François-Étienne Paré, directeur artistique, aimerait bien pouvoir agir dans la prochaine année. «J’aimerais dans un an, lors de notre 40e, qu’on puisse faire des annonces, qu’on puisse annoncer une nouvelle façon de faire dans le milieu.»
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du 24 janvier au 18 février 2017
texte
et mise en scène Olivier Choinière
avec Marc Beaupré Stéphane Crête Maude Guérin Emmanuelle Lussier-Martinez Joanie Martel Monique Miller Gilles Renaud une coproduction
THÉÂTRE ESPACE GO | BILLETTERIE : 514 845-4890 | ESPACEGO.COM PARTENAIRE DE SAISON
ESPACE GO +L’ACTIVITÉ
11 SCÈNE VOIR MTL
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> Il ne s’agit pas ici d’une démarche strictement pour la LNI, mais bien pour l’ensemble de la discipline qui compte plus d’une centaine de ligues à travers la province. Une reconnaissance de la sorte aurait de grandes répercussions dans le milieu, selon Étienne St-Laurent. «Le jour où il y aura une enveloppe budgétaire pour l’improvisation, ça va permettre de professionnaliser la discipline, des ligues dans lesquelles la qualité est souvent déjà là mais qui sont portées à bout de bras par des gens qui travaillent bien, mais qui travaillent comme des fous!» Et bien qu’à travers le temps l’improvisation se soit transformée, que certaines ligues se soient créées en opposition au cadre plus rigide du match d’impro comme le propose la LNI, Salomé Corbo – joueuse dans la LNI depuis 15 ans – croit fermement qu’il y a un liant entre chacun des différents types d’improvisation. «Il y a un tronc commun dans toutes les ligues d’improvisation, il y a des règles de base qui sont beaucoup plus grandes que les règles autour du match. Qu’on pense à l’écoute ou à la générosité.» Selon François-Étienne Paré, les différences entre les ligues et les façons de faire sont d’autant plus de forces pour la discipline. On est rendu à un point où on doit se parler pour une cause commune. «Faut qu’on se regroupe, faut qu’on discute, faut qu’on énonce les réalités. D’une certaine façon, les ligues se parlent, au sens où les artistes se promènent d’une ligue à l’autre. Mais les entités organisationnelles, elles, doivent se parler. Il reste encore beaucoup à faire.» Pour cette ligue dont les matchs furent un temps télédiffusés, qui a déménagé du Medley au Club Soda et qui est présentement en tournée dans différentes régions de la province, le renouvellement et les nouvelles initiatives sont sur la table. L’année dernière, ils présentaient La LNI s’attaque aux classiques en décembre à l’Espace libre, expérience qu’ils réitèrent une deuxième fois cette année. Il ne s’agit pas de la première fois que la LNI investit ce lieu et collabore avec ce théâtre, rappelons que Robert Gravel – fondateur de la compagnie de théâtre Nouveau Théâtre expérimental – et sa compagnie sont l’un des fondateurs de ce théâtre. Et c’est sur l’invitation du directeur artistique de l’Espace libre, Geoffrey Gaquère, qu’ils se sont mis à réfléchir à un concept avec François-Étienne Paré. «Il voulait de quoi de festif pour le mois de décembre et finalement, on est arrivés avec quelque chose d’assez pédagogique, mais c’est une proposition qui permet de célébrer le théâtre d’une certaine façon!»
«LE JOUR OÙ IL Y AURA UNE ENVE LOPPE BUDGÉTAIRE POUR L’IMPROVISATION, ÇA VA PER METTRE DE PROFESSIONNALISER LA DISCIPLINE.» La troupe s’attaque à 11 dramaturges différents à raison d’un par soir. L’année dernière, on passait de Shakespeare à Molière en faisant un détour par Brecht, alors que cette année les spectateurs pourront plonger dans l’imaginaire de Robert Lepage, Luc Plamondon, Tennessee Williams, Marcel Dubé et autres. François-Étienne Paré, qui assure l’animation, est accompagné d’Alexandre Cadieux – critique théâtrale –, avec qui les comédiens et le public vont passer au travers des différentes clés de compréhension dramaturgiques des œuvres présentées. Après une série d’exercices d’improvisation pour comprendre et saisir l’univers de l’auteur, les improvisateurs se lancent dans une improvisation de 30 minutes, au bonheur du public qui voit se déplier devant lui une création spontanée, mais respectant des codes bien précis. Après cette escapade à l’Espace libre, la LNI reprendra ses quartiers au Club Soda pour une nouvelle saison dès le 23 janvier 2017. Mais bien au-delà de cette saison, on peut être certain que leurs bureaux de la rue Parthenais ne cesseront de s’activer, l’horaire de la LNI étant encore bien chargé. Le 40e approche en plein cœur des festivités du 375e de Montréal, l’idée d’un Mondial de l’improvisation est dans l’air, mais ils devront poursuivre les démarches pour la Politique culturelle du Québec. Bref, une année de tous les possibles. y La LNI s’attaque aux classiques Du 7 au 21 décembre À l’Espace libre
12 SCÈNE VOIR MTL
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BEAUCOUP D’AMOUR, UN PEU D’ACIDITÉ, AUCUNE PUDEUR DANIEL LÉVEILLÉ, UN GRAND HOMME DE LA DANSE CONTEMPORAINE AU QUÉBEC, CÉLÈBRE SES 40 ANS DE CARRIÈRE ET LE 25e ANNIVERSAIRE DE LA FONDATION DE SA COMPAGNIE. IL PRÉSENTE DEUX PIÈCES PHARES DE SON RÉPERTOIRE, AMOUR, ACIDE ET NOIX AINSI QUE LA PUDEUR DES ICEBERGS AU THÉÂTRE LA CHAPELLE. MOTS | ALESSANDRA RIGANO
PHOTO | JOHN MORSTAD
«Quessé ça les tout nus?» est la façon dont Daniel Léveillé explique la réaction du public français aux premières présentations de la pièce Amour, acide et noix en 2001. «J’ose dire que ç’a fait des p’tits parce que, depuis, beaucoup de Français ont travaillé avec la nudité, dont Olivier Dubois, qui affirme ouvertement avoir été inspiré par mes pièces.» On ne peut parler de son œuvre sans mentionner son adoration pour le corps et la place qu’a prise la nudité dans l’esthétisme de son travail. «Ç’a été une révélation [lors de la création d’Amour, acide et noix], ce n’était plus la même pièce. On sortait de la séduction et de la sexualité. En bobettes, t’avais juste envie de les déshabiller, mais une fois tout nu, c’était complètement autre chose.» Le corps nu n’est pas séduisant, l’humain sans costume est soudainement fragile, selon le chorégraphe qui souhaite mettre en scène des danseurs avec le moins de masques possible. La vulnérabilité n’est pas réservée qu’aux interprètes. Mais qu’est-ce qui plonge le créateur dans cet état? «Tout. On pourrait penser qu’en vieillissant ou avec l’expérience, ça s’atténue, mais c’est le contraire qui se passe. J’arrive pour la première répétition et il y a des danseurs qui attendent quelque chose. On ne peut pas être plus proche de l’idée de Dieu; les danseurs attendent tout de toi, c’est une pression incroyable.»
Amour, acide et noix (2001) est dure, alors que La Pudeur des icebergs (2004) comporte une certaine douceur. La première pièce met en scène quatre interprètes et la deuxième en comprend trois. Elles seront présentées en tandem parce que le chorégraphe ne peut les séparer. «Elles forment une sorte de couple.» Des pièces marquantes qui lui ont valu la reconnaissance internationale et celle du Québec. Elles ont aussi transformé la forme de son travail. On le connaissait déjà pour sa volonté d’aller au bout d’une idée – Louise Bédard avait dansé un solo dans lequel la même séquence se répétait pendant 25 minutes. «C’était insupportable! Il y a des gens qui haïssaient ça pour tuer.» À la répétition et à la fascination pour les corps s’est ajoutée l’obsession de l’espace. «Je suis devenu hyper maniaque de ça.» Ses pièces sont extrêmement précises, «au millimètre près». C’est, selon lui, ce qui fait qu’elles fonctionnent ou pas. Il a appris la création aux côtés de Françoise Sullivan, artiste visuelle, chorégraphe et signataire de Refus global qui a côtoyé les automatistes. Interprète à l’époque, il s’est inspiré de la méthode quand il a changé de rôle. «Je travaille beaucoup avec le subconscient. J’arrive en répétition et je ne sais pas ce
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AMOUR, ACIDE ET NOX
L E G R O U P E S ATO R I V O U S O F F R E
E T V O U S I N V I T E À C H O I S I R S E S É TA B L I S S E M E N T S P O U R V O S F E S T I V I T É S !
F I E R S M E M B R E S D U G R O U P E S AT O R I
Brossard (Quar tier Dix30)
Montréal (Centre-ville)
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Saint-Jean-sur-Richelieu
PHOTO | ÉMILIE TOURNEVACHE
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que je vais faire. Sauf que je me suis énormément préparé à ne pas savoir quoi faire.» Il trace un premier trait et une première contrainte qui lui donneront son élan. «J’ai la chance d’avoir des danseurs extraordinaires. Je leur demanderais n’importe quoi, ils le feraient.» Cette confiance qui «se gagne» est de la plus haute importance pour le chorégraphe qui accorde un immense respect aux interprètes avec qui il travaille. «Ma responsabilité première, comme chorégraphe, c’est d’épurer le plus possible.» C’est l’essence qu’il a recherchée à travers la création, dans la forme, le mouvement et le sens de ses œuvres, dont l’amour est un thème central. Pourquoi une gestuelle si rude quand on parle d’amour? Inconsciemment, c’est une rencontre avec un jeune homme de la rue et la relation qui s’est ensuivie qui, à l’époque, ont teinté la création. «Je ne pouvais pas comprendre qu’il soit tombé aussi bas et qu’il veuille se faire autant de mal.» Aucunement littérale, la chorégraphie a été créée pour trois hommes et une femme. Les solos sont durs, mais les duos sont empreints de sensibilité «comme si la vie était plus facile avec quelqu’un d’autre».
Daniel Léveillé serait prêt à arrêter de chorégraphier. «Je pourrais ne plus en faire et ce serait le bonheur total.» Peut-être est-ce le fonctionnement d’une compagnie de cette envergure qui l’épuise, ou le fait qu’il soit plutôt en paix avec la relève qui occupe maintenant les planches. Une «relève» qu’il accompagne en diffusant les œuvres de plusieurs de ses créateurs. Un «secret encore bien gardé», Daniel Léveillé Danse présente plus de 120 représentations par année, dont la moitié à l’étranger. Parmi les artistes sous son aile, on compte entre autres Frédérick Gravel, Dana Michel et Nicolas Cantin. Un geste naturel pour celui qui a enseigné plus de 20 ans à ceux qui font aujourd’hui partie du paysage de la danse au Québec. Peu de chorégraphes contemporains ont la chance de pouvoir tourner et reprendre leurs œuvres. Pourtant, Daniel Léveillé n’aime pas particulièrement la reprise: «Je suis fondamentalement créateur, donc ce qui m’intéresse, c’est ce qui s’en vient.» Il retournera bientôt en studio pour compléter sa nouvelle pièce afin de lui faire «une p’tite coupe de cheveux» et regarder le matériel de façon consciente. Quand il l’aura comprise, il pourra la nommer; et peut-être, lui donner son dernier coup de pinceau. y Amour, acide et noix Théâtre La Chapelle 12 et 13 décembre
16 SCÈNE VOIR MTL
VO1 #11
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ANCRÉ DANS LE RÉEL APRÈS 14 ANS D’EXISTENCE ET PLUS D’UNE DIZAINE DE PRODUCTIONS, LA TROUPE CIRCASSIENNE LES 7 DOIGTS SEMBLE AVOIR RELEVÉ SON PARI DE FAIRE DES ARTS DU CIRQUE QUELQUE CHOSE D’HUMAIN ET D’ANCRÉ DANS LE RÉEL. EN CETTE FIN D’ANNÉE, ELLE PREND D’ASSAUT LA TOHU AVEC RÉVERSIBLE, UN SPECTACLE DE GYPSY SNIDER SONDANT CETTE FOIS-CI L’INTIME ET LE PASSÉ. MOTS | JÉRÉMY LANIEL
PHOTOS | ALEXANDRE GALLIEZ
«Moi, j’ai 46 ans maintenant, je suis à la moitié de ma vie, et je me mets de plus en plus à regarder vers le passé pour me donner la force et le courage d’avancer. Je m’appuie sur ma famille, sur des choses que j’ai déjà faites. Je m’intéresse aux époques révolues, et c’est elles qui me donnent des idées pour demain. À un moment, on se rend tous compte que tout est réversible.» Le spectacle s’ouvre comme un roman, dans ce qu’on pourrait appeler un prologue, les différents artistes prenant la parole et s’adressant à un grand-père ou à un aïeul. Sur scène, quelques murs extérieurs d’une maison les accompagnent. Ainsi débutera cette marche vers l’autre, ce retour dans le passé; les artistes sondant chacun à leur façon la conjoncture et la filiation les ayant amenés sur cette scène. «L’idée, c’est de donner un défi aux artistes, et eux, ils la comblent: “Là, vous allez exister en ces murs et vous allez explorer votre personne, mais pour que ça ne soit pas vous, j’aimerais que vous trouviez chez vos ancêtres un personnage et compreniez comment ils ont avancé dans la vie. C’est eux que vous allez mettre en scène”. […] Je ne le voyais pas tout à fait comme ça au départ, car avec Les 7 doigts, on demande souvent aux artistes d’être euxmêmes. Cette fois-ci, ils ont dû gruger plus profond, allez au-delà d’eux-mêmes pour comprendre que le passé peut sûrement fournir une raison pour laquelle aujourd’hui ils font du cirque.» S’il y a quelque chose qui surprend dans Réversible, c’est à quel point on passe outre le grandiose du cirque pour plonger sans filet dans l’intime. Qu’avec
ses trois pans de mur, on ne cesse de créer des univers à échelle humaine dans lesquels l’artiste et la performance se déplient. Sobre et polyvalent, ce décor est à la fois élément de prouesse et outil scénographique. Il parvient à garder le spectateur bien ancré dans le quotidien à quelques secondes de l’émerveillement. «C’est pour ça que j’ai conçu ce décor-là. Normalement, chaque fois que je fais de la mise en scène, on conçoit des décors et une scénographie qui se retrouvent à l’arrière de la scène pour avoir le plus d’espace possible pour les performances. Cette fois-ci, j’étais intrigué par l’architecture, la géométrie, et nous, Les 7 doigts, on veut mettre l’art du cirque en relation avec l’humain. Donc si j’ai une artiste dans les airs en mouvement sur un tissu, la hauteur devient relative à la hauteur des murs du décor et c’est encore plus impressionnant. Ça crée un rapport au réel. De pouvoir jouer avec des espaces concrets et pouvoir les faire exploser, c’était symbolique et important pour moi. […] L’idée des murs est arrivée pendant que j’étais en casting pour le spectacle, j’ai donc pu réfléchir à la discipline qui s’insérerait bien dans ce décor, dans quelque chose à cette échelle, dans le but de créer des contrastes, des effets.» Réversible est un spectacle où le grandiose se frotte à l’intime, ou le fabuleux côtoie et habite le réel. La mise en scène est efficace pour détourner notre attention d’une simple succession de numéros et de performances, créant ici un ensemble des plus cohérent. Aidé par Colin Gagné à la direction musicale, Gypsy Snider emballe ce spectacle d’une
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ambiance sonore originale, créée pour le spectacle, nous plongeant de plus en plus dans l’univers fantasmé du souvenir, du passé. Encore une fois, Les 7 doigts fait l’événement en ramenant les arts du cirque à échelle humaine, créant un spectacle qui happe le public par son réalisme et sa charge émotive. Et pour Gypsy Snider, le quotidien reste un moteur de création inépuisable. «C’est l’un des spectacles les plus visuels, les plus poétiques, les plus lyriques qu’on n’a jamais faits, et ça, c’est à partir du réel, du quotidien, de l’humanité. Et en créant ce genre de spectacle, je me dis qu’on pourrait encore continuer longtemps dans cette direction.» y
Réversible Les 7 doigts Mise en scène: Gyspy Snider Avec: Maria del Mar Reyes Saez, Vincent Jutras, Jérémi Lévesque, Natasha Patterson, Hugo Ragetly, Émilie Silliau, Julien Sillliau, Émi Vauthey À la TOHU jusqu’au 30 décembre
19 MUSIQUE VOIR MTL
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LA DUCHESSE DE LIMOILOU ELLE PRÉSENTE SES CHANSONS TRISTES DANS UN ÉCLAT DE RIRE, VOUE UN CULTE AU RÉPERTOIRE DE FEU ROCK DÉTENTE ALORS QUE SES COMPOSITIONS NE TOURNENT MÊME PAS À LA RADIO COMMERCIALE. SAFIA NOLIN EST UN FASCINANT PARADOXE. MOTS | CATHERINE GENEST
PHOTO | MAXYME G. DELISLE ET JOCELYN MICHEL (CONSULAT)
Safia Nolin est vraie. Elle jase avec la serveuse du café, au comptoir, avec la même timidité, la même candeur qu’entre ses chansons sur la scène. Partager un repas avec elle, c’est voir une fenêtre s’ouvrir sur son âme, c’est comme renouer avec une vieille amie. Née d’une mère québécoise et d’un père algérien, Safia a eu deux vies: après sa signature chez Bonsound, et celle d’avant, une succession de malchances, d’épisodes de grande solitude dans la basse-ville de son Igloo et ailleurs en périphérie de Québec. Elle revient de loin. Elle n’a pas toujours été cette Montréalaise en osmose avec son temps et à la parlure teintée par le franglais, cette jeune femme si joliment épanouie. «J’ai trop pas eu une enfance heureuse. Semi, là. Mais bon, ça fait partie de mon sub-story, tout le monde en a une. Ç’a été rough. On a été très, très pauvres et, un moment donné, on a eu du cash et c’est devenu vraiment wack, je me faisais beaucoup intimider pendant tout mon primaire et mon secondaire. Après ça, on est redevenus pauvres, mes parents se sont séparés et c’est devenu vraiment trash… Jusqu’à ce que je déménage!» À l’aube de la vingtaine, avec sa guitare pour seule arme, Safia s’exile donc à Granby pour apprendre un métier qu’elle connaissait déjà, une vocation qu’elle portait déjà en elle et qui avait été remarquée par les radios universitaires dès la mise en ligne de sa modeste page Bandcamp. Poussée par l’envie urgente de diffuser ses textes, elle abandonne ses cours et traverse l’autoroute 10 avec son journal intime dans ses bagages. Limoilou, son premier album longuement mûri, sortira finalement le 11 septembre 2015.
Dès lors, la musicienne sera emportée dans un tourbillon. «C’est comme si les quatre dernières années équivalaient à 40 ans.» Elle sillonnera la France, la Suisse et la Belgique avec Lou Doillon, une tournée qui l’amènera aussi à prendre l’avion pour la toute première fois. Elle fera les premières parties de Louis-Jean Cormier pour Les grandes artères et remportera, c’était en juin dernier, le prestigieux prix Félix-Leclerc. Puis, coup de théâtre: son nom sera nommé par Philippe Brach au 38e Gala de l’ADISQ. Succédant à Brach, à Pierre Lapointe, à Cœur de Pirate, à Mistou et à tant d’autres, elle tiendra le Félix de Révélation de l’année entre ses mains. Dès lors, Safia entrera dans les chaumières par la grande porte et se retrouvera, bien malgré elle, au cœur d’une controverse dont moult chroniqueurs ont fait leurs choux gras. En cause? Un cardigan gris, un t-shirt de Gerry Boulet, des espadrilles, une paire de jeans, deux «fuck» nerveux et un mot d’église accordé à la troisième personne du singulier. «Je savais que ça allait faire chier une femme ou deux, un monsieur… mais je ne pensais jamais que ça allait faire une polémique. Une polémique, littéralement. C’est vraiment ridicule! […] Ça me désole un tout petit peu pour le Québec. Le Journal de Montréal est très influent. Il ne faut pas que le public oublie que les chroniqueurs sont payés pour faire ça, ils se font du cash, c’est pas du bénévolat qu’ils font parce qu’ils ont un besoin criant de dire leurs opinions. Ils sont rémunérés parce qu’ils font du clickbait.» Ironie du sort, son disque grimpera au sommet des
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> palmarès des ventes sur iTunes, devançant même Lady Gaga, une de ses idoles en plus, qui venait de lancer Joanne. «De tout le négatif, il en ressort beaucoup de positif. Dans la vie, il y a toujours une balance entre les deux. Je suis contente, t’sais.» N’en déplaise aux Petrowski, Durocher, Ravary et Bombardier de ce monde, Safia Nolin cultive un look grunge sans effort, non sans rappeler un certain Cobain, une image en décalage avec les diktats d’une industrie locale qui accorde encore beaucoup d’importance au paraître des femmes. «J’ai rien décidé, j’ai juste naturellement voulu me respecter. […] Quand j’étais ado, quand je rêvais d’être chanteuse, je me disais: “Ouin, y a pas moyen que moi je fasse de la musique avec le physique que j’ai…” Mais je me suis rendu compte que c’est pas vrai! Si t’as l’idée de faire de la musique pareil, ça se passe ou ça se passe pas, mais y a un moment où la musique overtake whatever parce que c’est ça la base.» Les chansons de Safia Nolin sont aussi authentiques que sa vision de la mode et reposent sur des textes très personnels, presque indiscrets, posés sur des lits de guitares acoustiques. Une proposition plus thérapeutique que mercantile. «On dirait que, dans la vie, j’ai décidé de faire ça comme si personne m’écoutait ou me regardait. Pour être bien avec moi. C’est tellement égoïste ce que je vais dire, mais c’est vraiment une chance que les gens aiment ma musique. Je le fais pour moi à la base, pour me faire du bien. C’est tellement incroyable que ça fasse du bien à d’autres aussi! C’est la même affaire pour comment je m’habille ou comment je parle. Si je change mon langage, si je change mes vêtements ou ce que je dis, je suis automatique déphasée avec moi-même et je ne suis pas bien. La vie, c’est trop court. Fuck tout ça, les standards et l’idée de faire les choses pour les autres.» Une liberté créative absolue, exempte de compromis, qui ne l’empêche pas de célébrer la musique la plus commerciale qui soit: la pop velours surannée des ondes hertziennes. Dans un EP enregistré en secret et paru à la mi-novembre, Safia se risque à des reprises d’Éric Lapointe (Loadé comme un gun), de Claude Dubois (Laisser l’été avoir 15 ans) et d’Offenbach (Ayoye), notamment. Un patrimoine musical malaimé et souvent ridiculisé, auquel elle redonne ses lettres de noblesse avec des interprétations à fleur de peau. Comme un pacte d’honnêteté avec ellemême, une réponse au snobisme culturel. «Dans toutes les tounes, il y a une ligne qui me touche plus. Dans Loadé comme un gun, c’est je suis sûre que
le vide est rempli de lumière. C’est tellement une belle image, ça m’a touchée beaucoup. Mélodiquement, cette chanson-là est folle, mais le texte me vire à l’envers.» La compilation s’ouvre sur sa version de Calvaire de La Chicane, une version aux arrangements dépouillés qui cristallise sa symbiose avec Joseph Marchand, celui qui l’accompagne en concert, son meilleur ami. «Quand on joue ensemble, des fois, on dirait qu’il y a juste une guit. Calvaire, pour moi, c’est la plus émotive parce que c’est la première qu’on a tapée et les guits me troublent. On écoute ça et on sent qu’on est tissés super serré. Pour moi, c’est comme une photo d’un moment vraiment intense. Quand on fait de la musique, Joseph et moi, j’ai rien besoin de lui dire. C’est la seule personne sur terre avec qui ça me fait ça. Tout ce qu’il fait, ça me fucking tue, ça me mindblow. Nos shit s’emboîtent tellement bien naturellement.» Ce disque-là, c’est aussi une main tendue aux grandes dames qui l’ont bercée, celles qui ont aussi défoncé des portes pour elle. Des artistes à part entière comme Marie Carmen – qui cosigne Entre l’ombre et la lumière qu’elle a par ailleurs réenregistrée avec Safia –, des femmes qui n’ont jamais été reconnues comme les auteures qu’elles sont pourtant. Des musiciennes que le public regardait au lieu d’écouter, bien souvent. «J’ai revu des vidéos de Julie Masse et je me suis dit: “Ih qu’elle doit être tannée d’être belle de même!” […] Pour vrai, le rôle de la chanteuse, je crois que c’était dur à porter dans les années 1990. Moi, j’ai plein d’amies qui ont décidé de ne pas le faire et, en 2016, on a le droit. C’est justement pour ça que la polémique [à l’ADISQ] m’a tellement surprise.» L’entrevue se termine, Safia renoue son foulard autour de sa tête, prend son manteau et (surprise!) un groupe d’adolescents la reconnaît de la fenêtre du petit resto où nous étions attablées. L’excitation est totale. On croirait revivre un épisode de Plus sur commande sur Sainte-Catherine à l’âge d’or de MusiquePlus. Les «bye bye» fusent, les sourires aussi. Deux rentrent: «Bravo pour votre Oscar!», «Je capote de te voir en vrai!»... Émue, mais déboussolée, elle enfouit sa gêne dans une blague – «Je me sens comme Miley Cyrus!» –, mais ne réalise manifestement pas la portée symbolique d’une marque d’amour aussi spontanée et retentissante. La preuve qu’elle est, peut-être, en voie de devenir la superhéroïne ou l’icône féministe que ses détracteurs refusent de reconnaître. y
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FOLK SALE ET BONNE HUMEUR EN MARGE D’UN FOLK DOUCEREUX QUI CONTINUE D’ENVAHIR LES ONDES COMMERCIALES S’ÉTABLIT SON PENDANT BRUT ET ANTICONFORMISTE. DEPUIS LE DÉBUT DE LA DÉCENNIE, CE MOUVEMENT FOLK IMPÉTUEUX AUX RACINES PUNK PREND DE L’AMPLEUR DANS L’UNDERGROUND QUÉBÉCOIS. RENCONTRE AVEC CINQ MUSICIENS ISSUS DE CETTE PRÉTENDUE SCÈNE «FOLK SALE». MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN
PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
Réunis autour d’une même table, Olivier Renaud (des Chiens de ruelles), Nicolas Laflamme (de Québec Redneck Bluegrass Project), Daphné Brissette (de Canailles), Robert Fusil et Bernard Adamus se connaissent déjà bien, s’étant tous déjà côtoyés dans les mêmes festivals, les mêmes salles, les mêmes bars. «J’en garde surtout des mauvais souvenirs», clame Bernard Adamus, pince-sans-rire, en référence aux dérapes alcoolisées qui suivent souvent ces rencontres musicales. «J’me rappelle d’une fois, au Festival du folk sale… On avait joué le lendemain que t’avais dormi sur le parvis de l’église», lui lance Nicolas Laflamme, sourire en coin. «C’est-tu la fois où il était abrié avec une housse de barbecue, ça?» demande Daphné Brissette, recueillant l’approbation plus ou moins convaincante du principal intéressé. Portée par une franche camaraderie, cette scène folk prend racine dans plusieurs bars-spectacles de la métropole comme le Divan orange, les Katacombes et le Quai des brumes (alias le «quartier général»). À la grandeur du Québec, plusieurs événements maintenant révolus comme le Festival du folk sale de Sainte-Rose-du-Nord (remplacé par Virage en
2015) et les Nuits blanches de L’Anse-de-Roche ont également aidé à cimenter le mouvement, à l’instar de différentes auberges de jeunesse à la réputation festive comme celle de Tadoussac. C’est d’ailleurs à cet endroit que Les Chiens de ruelles se sont formés en 2012. «C’est un bon point de ralliement pour les tout croches», blague le chanteur et guitariste Olivier Renaud. Si tous s’entendent sur l’importance primordiale de ces différents lieux de diffusion, le consensus visant à étiqueter le genre fait moins l’unanimité. Sur le point de faire paraître un quatrième album avec QRBP, le mandoliniste Nicolas Laflamme critique d’ailleurs vivement l’appellation «folk sale»: «C’est pas un concept valable ou approprié. Je crois juste qu’on est dans un moment où la musique folk identitaire est la bienvenue. On est chanceux de pouvoir compter sur un public réceptif à cette musique-là. Il y a un peu plus de 10 ans, un groupe comme Lake of Stew faisait la même chose que nous, mais il était pas dans le bon timing.»
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(EN HAUT) DAPHNÉ BRISSETTE ET NICOLAS LAFLAMME (EN BAS) BERNARD ADAMUS, OLIVIER RENAUD ET ROBERT FUSIL
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«Je suis d’accord, mais je crois que “folk sale”, c’est simplement pour nous différencier de l’image que les gens se font généralement du folk, réplique Daphné Brissette. On joue pas du Michel Rivard!» «Ce sont les gens qui nous ont identifiés au “folk sale”, pas nous, poursuit Robert Fusil. Je crois que le terme vient principalement de notre attitude punk dans les shows. On fait pas la même affaire que Les sœurs Boulay: il y a quelque chose de plus ludique et contestataire.» «C’est pas la même rage au cœur», résume Bernard Adamus.
«SI TU CREUSES UN PEU LES PAROLES, TU TE RENDS COMPTE QUE C’EST PAS TOUT LE TEMPS FESTIF CE QU’ON DIT» Au-delà du party Traînant tous un bagage d’influences punk et/ou métal, les cinq artistes en ont gardé le côté effréné, mordant et «trash», qu’ils ont ensuite canalisé dans une forme acoustique, là où règnent les banjos, les mandolines, les violons et les planches à laver. En résulte une musique vivante et fougueuse, qui rejoint un bassin de fans fidèles partout au Québec. En spectacle, l’alcool coule à flots: Quebec Redneck Bluegrass Project se commande de nombreuses tournées de shooters sur scène, alors que Les Chiens de ruelles crient «GORGÉE» entre chaque chanson. «Le show, c’est comme un gros souper de famille: t’as le goût de boire pis d’être sur le party avec la foule», explique Olivier Renaud. «L’étiquette “party” nous est collée dessus, renchérit Daphné Brissette. On a des tounes relax, mais on les fait presque pus. Le public veut trop se défoncer.»
«La décadence et le party, c’est présent dans mes thèmes, mais pas toujours de manière positive. Je crois pas que se torcher la yeule chaque soir, ça sort juste le beau de nous autres», nuance Robert Fusil, qui a récemment fait paraître son deuxième album Les mardis gras à Hochelaga. «Reste que je suis pas capable de monter sur un stage si j’ai pas pris une bière.» «Même chose pour nous. On a déjà essayé de pas boire durant un show, mais ça se passe pas pantoute», poursuit la chanteuse, qui prépare un album pour le mois de mai avec Canailles. Parfois en spectacle de trois à cinq soirs par semaine, Bernard Adamus n’a évidemment pas le choix de ralentir la cadence en matière de party: «Avec la route, ça devient très difficile physiquement. J’ai pas le choix d’apprendre à me doser et à contrôler mes démons.» Dans l’assistance, le dosage n’est toutefois pas chose commune. Vigoureuse et parfois incontrôlable, la foule chante à gorge déployée les paroles des chansons, pinte de bière chancelante à la main. «Y a ben du monde qui sortent une à deux fois par mois pis que ça tombe sur un de nos shows. Ils en profitent pour crever l’abcès pis partir sur le gros party, remarque Adamus. Je comprends très bien tout ça, mais vient qu’à l’occasion, je tombe tanné de voir du monde complètement défoncé front row.» «On n’a pas à être paternalistes non plus. S’il y a un spectateur qui sait pas boire et qui part en ambulance, c’est de sa faute, ajoute Nicolas Laflamme. Pour nous, l’alcool, c’est quelque chose de positif: une façon de nous rassembler entre chums pis d’avoir du fun sur scène.» Aux prises avec une image de «groupe de party» à défendre, les cinq artistes s’entendent toutefois pour rejeter l’étiquette «festif», qu’ils jugent vide de sens. «En voyant ce mot-là, y a ben des gens qui voulaient nous booker en pensant qu’on faisait du trad, genre La Bottine Souriante, dit Daphné Brissette. Mais Canailles, c’est un gros mur de son… On peut pas jouer dans des foires alimentaires!» «Si tu creuses un peu les paroles, tu te rends compte que c’est pas tout le temps festif ce qu’on dit», explique Olivier Renaud, qui prépare lui aussi un album pour l’an prochain avec Les Chiens de ruelles. «Anyway, festif, c’est devenu un mot surexploité de nos jours. Même une poivrière peut être festive.»
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Une scène boudée? Entre les histoires de brosse, les pieds de nez aux normes sociales et les récits sombres mettant en vedette des personnages torturés, le folk sale parle à son public de façon crue, sans détour. Si sa simplicité poétique a le potentiel de rejoindre encore plus de gens, son habillage brut, parfois rude, l’écarte jusqu’à maintenant d’un rayonnement populaire. Exception faite de Bernard Adamus et de Lisa LeBlanc, aucun artiste de ce genre n’a réussi à percer le marché des radios commerciales, malgré le succès incontestable qu’obtient le folk de variétés sur les ondes de celles-ci. «Le banjo résonne plus qu’avant à la radio, mais disons que c’est pas le nôtre», se contente de dire Olivier Renaud. «Je pense que 2Frères a pris notre place!» lance Robert Fusil avec une douce ironie. «Pour vrai, je crois juste que les radios sont frileuses d’aller fouiller là-dedans, ce que je trouve complètement déphasé vu qu’on est un des shits de l’heure dans la contre-culture. On vit à peu près la même chose que le hip-hop.»
Loin de faire dans le compromis, les cinq artistes n’ont aucunement l’intention d’adapter leur musique aux standards commerciaux. Bernard Adamus rappelle d’ailleurs qu’il n’y a rien de «calculable» dans cette industrie: «La seule stratégie, c’est de faire le meilleur criss de show possible. Le plus important, c’est que ton chum à côté de toi te dise qu’elle est bonne, ta toune.» «Je me suis déjà fait dire par un taré que si on changeait nos paroles, notre groupe pognerait plus… Va te cacher mon gars!» enchaîne Nicolas Laflamme. «On est en 2016, on sacre dans les tounes pis on s’exprime comme on veut! L’honnêteté, c’est ce qu’il y a de plus important.» «Moi, je m’en criss tellement du succès: je joue pour mes amis pis les gens que j’aime», soutient Robert Fusil. «Tant que j’aurai de quoi à leur dire, je vais continuer de chanter.» y Réguine Royale! de Québec Redneck Bluegrass Project Disponible dès le 2 décembre
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LA PAIX DANS LES VOILES DANIEL BÉLANGER EST DE RETOUR SUR DISQUE AVEC PALOMA, PLUS MOTIVÉ QUE JAMAIS À RETROUVER LA SCÈNE ET SON PUBLIC. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
Daniel Bélanger s’est acheté un tout petit voilier cet été. En parallèle à ses moments de plein air «les fesses à l’eau», comme il nous l’explique, le chanteur concoctait seul dans son studio un nouvel album, Paloma, qui a pris forme à la fin de la saison. En résulte un album de «chansons sur la paix intérieure versus la paix extérieure» rempli de réflexions, de crises, mais aussi d’espoir où Daniel Bélanger signe la réalisation et presque tous les instruments. «Mes connaissances techniques s’améliorent au fil des années et là, je me suis retrouvé avec une préproduction qui, franchement, me plaisait et que je n’avais pas envie de reproduire en studio, explique le chanteur. Comme je suis multi-instrumentiste, j’ai vu que ça se pouvait et quand je suis allé écouter mon entourage [sa blonde, ses filles et ses amis ont la chance d’avoir la première écoute], j’ai vu que ça plaisait. Y a donc seulement quatre chansons que je suis allé réenregistrer avec un batteur et un bassiste. Pour le reste, j’ai assuré.» Les quelques premiers titres donnent le ton. Sur Tout viendra s’effacer, il voit la vie si sombre, mais «demain se lève un autre jour/Et c’est tant mieux». Sur la pièce suivante, son premier simple lancé le 15 novembre, Il y a tant à faire, l’élan est similaire. Le cri du cœur est collectif à travers des tourments personnels. «Il y a tant à faire/Et ce n’est pas ridicule/ C’est comme si c’était facile/S’immiscer dans la lumière/ D’une longue nuit de l’hiver», chante-t-il sur le
PHOTO | DANIEL BÉLANGER
refrain accrocheur, soutenu par un chœur grave. «C’est une des chansons de l’album les plus optimistes et les plus pessimistes en même temps. C’est une espèce de constat qu’il y a encore bien de l’ouvrage, sur soi et collectivement.» Métamorphose, un éclat électrique qui arrive en milieu de disque, confirme la trajectoire de cet opus: la difficulté d’accéder à une sérénité. «C’est le nœud dans cette espèce de crise et après ça, ça se calme!», précise le principal intéressé, qui expliquera plus tard avoir composé Paloma à la guitare surtout en accord ouvert en Ré. «Ça pousse à composer autrement parce que le doigté est différent, donc ça fait sortir de nos réflexes de composition. Ça m’a beaucoup inspiré.» Avec une aussi longue et belle carrière que celle de Daniel Bélanger, est-ce que chaque album représente la continuité d’un tout ou voit-il plutôt ce Paloma (qui désigne le mot colombe en espagnol, symbole de la paix) comme un objet plus singulier? «C’est la continuité, tranche-t-il. J’ai cette conscience-là depuis Chic de ville (2013) que tout ce que je fais maintenant s’inscrit dans une discographie plutôt que chaque album est indépendant du précédent. Puisque je commence à avoir une histoire discographique, c’est devenu presque un objet que je peux façonner. Si la discographie est une grosse sculpture, je travaille ma sculpture. Qu’est-ce que j’ai envie de faire sur la sculpture?»
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Cette sculpture est encore énormément énergisante pour Daniel Bélanger. Lorsqu’on revient sur l’expérience de son précédent disque, Chic de ville, une œuvre entraînante teintée de rockabilly, il jubile encore. «Ç’a été une aventure extraordinaire. En spectacle aussi, ç’a été fabuleux. On était une petite formation, quatre en tout dont deux musiciens qui ne travaillaient pas professionnellement comme musiciens. Le spectacle a donc aussi été de voir ces deux-là s’ébahir de ce qui arrivait, de voir leur plaisir de jouer partout au Québec et de remplir les salles. C’était pour moi vraiment un ravissement, une cure de spontanéité, et ça m’a fait vraiment beaucoup de bien.»
Et si la dernière tournée a été à ce point magique, est-ce encore aujourd’hui un réel plaisir de penser à repartir en tournée? «Ouiiiii! dit-il sincèrement. Une tournée plus difficile a été L’échec du matériel (2007), pour toutes sortes de raison. Après, j’ai sorti Nous (2009). J’étais encore sur le beat de L’échec et je n’arrivais pas à assumer que je n’allais pas faire de tournée pour Nous, donc j’ai fait ça court: 16 spectacles seulement. Après, avec Chic de ville, on a fait une soixantaine de concerts et ça m’a redonné le goût de repartir longtemps et souvent.» À voir sur nos scènes prochainement, donc! y
JOUER EN ÉQUIPE CINQ ANS APRÈS LE TOUR DU CHAPEAU, LES DALES HAWERCHUK, NOS FIDÈLES ROCKEURS ORIGINAIRES DU LAC-SAINT-JEAN, REPRENNENT LE JEU AVEC DÉSAVANTAGE NUMÉRIQUE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
À l’instar de ses précédents albums, le quatuor rock a été expéditif en studio pour livrer ce Désavantage numérique. Sorte de retour aux bases d’antan, l’album a été complété en quelques jours. «Oui, c’est rapide, mais quand tu sais où tu t’en vas, tu sauves beaucoup de temps perdu, explique le chanteur et guitariste Sébastien Séguin. On avait l’habitude d’enregistrer live, mais on l’a pas fait pour le Tour du chapeau (2011) parce qu’on voulait essayer autre chose. Celui-ci, on voulait vraiment retrouver l’énergie brute du live.»
PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
Chez Les Dales Hawerchuk, le sentiment familial est autant présent au sein du groupe (Sébastien y évolue avec son frère Sylvain et ses amis d’enfance Pierre Fortin et Charles Perron) qu’avec son public fidèle, qui prend plaisir à le retrouver dans un bar près de chez lui à chaque tournée. Pour cet albumci, la réalisation a été confiée tout naturellement au batteur Pierre (aidé par Olivier Langevin sur quelques titres). «Pierre a vraiment grandi ces dernières années avec ses autres groupes, Galaxie et Les Cowboys fringants, commente Sébastien. Son expérience nous aide beaucoup. Et puis qu’il soit notre batteur et réalisateur, c’est un 2 pour 1!»
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Aujourd’hui, le groupe désire plus que tout faire sa musique à son rythme et favoriser de bonnes conditions dans leurs concerts pour que ce soit aussi plaisant pour lui que pour le public. «C’est les tripeux de rock qui nous donnent confiance et qui nous donnent le goût de continuer. Souvent, on devient chum avec des gens du public qu’on revoit et qu’on apprend à connaître. L’essence des Dales, c’est vraiment dans les bars, quand ça se met à trasher et qu’on décolle des vieux hits. Les meilleurs shows sont ceux-là.» Si les références au hockey sont presque disparues sur ce nouvel album – «On s’est demandé si on devait pas changer de nom, mais en même temps les gens nous connaissent comme ça», commente Sébastien –, la pochette et le titre poursuivent la tradition. Énergiques, les chansons de Désavantage numérique sont toujours aussi rapides et dangereuses. Les Dales y rendent quelques hommages: un titre pour le légendaire Lemmy Kilmister, leader de Mötorhead décédé l’an dernier; un autre – assez surprenant – à Jerry Lee Lewis, teinté de sa fameuse intensité rock ’n’ roll, puis un éloge aux gars qui aiment les moteurs.
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Pandore, pièce qui ouvre le disque, est aussi un hommage puisqu’elle est dédiée au groupe luimême, qui a toujours fait les choses à sa manière sans vouloir plaire à tout prix au grand public. «Ça parle de la difficulté de faire des albums en 2016. On se fait du tort en le faisant parce qu’en bout de ligne, on compose et on est créatifs et l’argent qu’on fait, on le met dans la location d’un studio et on le donne à tous ceux qui nous aident. On se tire dans le pied, mais on en est conscients. On aime faire ça et on va le faire de toute manière. On s’assume et on est obstinés dans notre style. On ne réinvente rien, mais on est honnêtes, et ça, c’est très important.» Finalement, les Dales Hawerchuk, ça restera toujours un beau trip familial selon les envies et les horaires de tous. «C’est de vieillir ensemble, de s’assurer que tout le monde est ben là-dedans et de respecter le rythme de chacun. C’est un défi, mais on le réussit super bien.» y Désavantage numérique (La meute) Disponible maintenant
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À ÉCOUTER ★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL
LYDIA KÉPINSKI EP (Chivi Chivi) ★★★★ Voilà une excellente introduction sur disque que nous présente Lydia Képinski. Les quatre titres, réalisés avec grande maîtrise par Blaise B. Léonard (ex-Hôtel Morphée), présentent toutes les facettes de la jeune chanteuse qui nous séduit avec sa voix pure, légèrement détachée, et son vocabulaire recherché et poétique. Elle se fait plus entraînante et théâtrale sur Andromaque, cynique et planante sur Apprendre à mentir – prix de la chanson SOCAN du Festival international de la chanson de Granby. Sur Brise-glace, elle se regarde dans le miroir et c’est assez brutal puis sur M’attends-tu, elle incarne la délicatesse sur fond d’espoir amoureux. On écoute tout ça, cette pop-chanson alternative joliment entourée de cordes, et on se dit que ça promet. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de Lydia Képinski. (V. Thérien)
MARTHA WAINWRIGHT GOODNIGHT CITY
SHE & HIM CHRISTMAS PARTY
(Cadence Music)
(Columbia Records)
★★★★
★★★ 1/2
Toujours de sa voix si distincte et imprévisible, Martha Wainwright, capable de jurer une seconde puis d’émouvoir profondément quelques secondes plus tard, nous épate et nous fait vibrer sur les 12 pièces de ce nouvel album concocté en compagnie de son mari bassiste Brad Albetta et de Thomas Bartlett (Sufjan Stevens, Julia Stone). La chanteuse montréalaise signe ici la moitié des pièces et les autres sont des dons de son frère Rufus Wainwright, Beth Orton, Glen Hansard, Michael Ondaatje et Merrill Garbus. En se glissant dans les mots des autres, elle se fait caméléon, parfois plus électrique, séduisante, dominante, et tout est réussi. Gros, gros coup de cœur pour la puissante pièce jazzée bilingue Look Into My Eyes, sur laquelle la famille se joint à Martha aux chœurs. Que du bon! (V. Thérien)
MICHAEL GORDON TIMBER REMIXED (Cantaloupe Music / Naxos) ★★★★ La pièce de Michael Gordon Timber est écrite pour six madriers (ou 2 par 4) amplifiés; elle dure 50 minutes et représente certainement un exercice très zen pour les six percussionnistes impliqués dans son interprétation (et une belle réussite pour le minimalisme!). On peut l’entendre sur le deuxième disque de cet album double, interprétée par l’ensemble Mantra Percussion, mais le premier nous offre 12 remix très variés, qui démontrent éloquemment la liberté que peuvent s’octroyer les artistes du genre, et les possibilités infinies de transformation d’une source donnée. Jóhann Jóhannsson, Tim Hecker, Squarepusher, Ikue Mori, Mira Calix ou Greg Saulnier (Deerhoof) sont parmi les artistes invités à réinventer l’œuvre de Gordon et chacun trouve un nouvel angle d’attaque, tout en conservant l’esprit de l’œuvre originale. (R. Beaucage)
Le duo américain bien-aimé, formé de la chanteuse et actrice Zooey Deschanel et du guitariste M. Ward, revient à la charge avec un deuxième album de Noël en cinq ans. Leur pop se prête bien à l’esprit de Noël, mais est-ce que ça se prête vraiment à un party des Fêtes comme le soutien le titre? Un party de famille de salon, oui, plus qu’un party dansant. Ça débute avec l’énergisante All I Want for Christmas Is You avec chœur féminin pour ensuite aller vers une pop très classique et/ou sirupeuse, des reprises de Chuck Berry, Bing Crosby et un titre plus obscur de Sinatra. À travers tout ça, la voix de Zooey Deschanel trône comme toujours, aussi parfaitement mielleuse, alors que les guitares de M. Ward sont discrètes mais bien ouatées. Un disque fort plaisant (si vous appréciez Noël, bien sûr) et rempli de douceur, mais sans grandes surprises. (V. Thérien)
KHAOS-DEI OPUS II: CATECHISM (Osmose Productions) ★★★★ Le trio français est qualifié de black métal, mais son deuxième disque se rapproche plus d’un mélange de pagan black death pour diverses raisons. La voix gutturale du guitariste Patrick «Natch» Vernhes (ex-Fornication, ex-Seth) est rarement grinçante et les textes en français clamés sur un ton solennel sont intelligibles. Le rythme mesuré des 11 chansons d’Opus II: Catechism contribue aussi à atténuer le son corrosif du black, tout de même présent sur Où vous tomberez, Sous la bannière noire, Une armée entière et Là où les mots ne parlent plus. En ce qui concerne l’influence pagan d’Opus II: Catechism, elle s’exprime surtout à travers le côté rituel primitif qui rappelle, et plaira, aux fans de Rotting Christ. (C. Fortier)
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ALEXANDRE DA COSTA STRADIVARIUS À L’OPÉRA (Spectra)
A TRIBE CALLED QUEST WE GOT IT FROM HERE... THANK YOU 4 YOUR SERVICE
★★★ 1/2
(Epic/SME)
Déjà un 25e opus pour le violoniste Alexandre Da Costa, qui n’a pas encore 40 ans. Avec son Stradivarius Di Barbaro (1727) sous le bras, le voici en Autriche pour enregistrer avec l’Orchestre symphonique de Vienne, qu’il dirige tout en jouant la partie soliste. Le disque présente une enfilade d’arrangements pour violon et orchestre de grands succès de l’opéra: la Habanera de Carmen, la Méditation de Thaïs ou Nessun Dorma de Turandot sont de la partie; le jeu est vigoureux (les Montaigu et Capulet de Roméo et Juliette sont en feu!) et la prise de son en rend les moindres nuances avec une belle clarté. Le violoniste présentera ce programme en février prochain lors de son passage à Montréal en lumière. (R. Beaucage)
ANDREA LINDSAY ENTRE LE JAZZ ET LA JAVA (Disques de la cordonnerie) ★★★ On aime Andrea Lindsay. Pour sa simplicité, pour ses choix et pour son petit accent anglophone. Ce disque n’a pas la prétention de faire d’elle une vraie chanteuse de jazz. D’ailleurs, elle n’en rajoute jamais et en fait peu, de sa voix fragile, pour surclasser l’énergie juvénile d’une Diane Tell dans Les cinémas-bars. Par contre, le charme suranné de Sylvain Lelièvre lui sied parfaitement dans Les choses inutiles. Mais avec Pierre Girard au son et Joshua Zubot au violon, ce travail met surtout en vedette le double talent de Jordan Officer comme guitariste et comme réalisateur. Autant sinon plus encore qu’à l’époque où il accompagnait Susie Arioli, on le sent libre et inspiré, ménageant ses effets pour tracer des traits lumineux dans l’espace de chacune des chansons. Comme dirait Henri Salvador (le seul absent, étrangement, de cette playlist idéale): «On fait du chouette!» (R. Boncy)
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★★★★ Dès les premières minutes de la prodigieuse The Space Program, on sait qu’A Tribe Called Quest ne ratera pas son coup. Appel à l’unité sur fond de crise sociale, la chanson met la table pour une heure de textes avisés, mûris et équilibrés, brandis avec brio par Q-Tip, Jarobi White, le regretté Phife Dawg et leurs nombreux collaborateurs (tout particulièrement Consequence et l’irremplaçable Busta Rhymes). Puisant comme il l’entend dans ses inspirations jazz, soul et funk, Q-Tip livre 16 productions qui évoquent le New York des années 1990. Le producteur de 46 ans s’assure toutefois de ne pas tomber dans la redite et propose des arrangements étonnants, flirtant parfois avec le rock progressif, le reggae et le blues. Bref, WGIFH… TY4YS est la définition même d’un retour réussi. (O. Boisvert-Magnen)
JANE BUNNETT & MAQUEQUE ODDARA (Linus) ★★★ 1/2
Maqueque (prononcer
«Ma-ké-ké»), c’est un vrai trip de filles. Les six copines cubaines réunies autour de l’excellente flûtiste et saxophoniste canadienne Jane Bunnett ont été chercher un prix Juno en 2015 pour leur premier album enregistré sur un coup de tête alors qu’elles se connaissaient à peine. Deux ans et cent concerts plus tard, les revoilà percutantes à souhait et plus complices que jamais. Piano, basse électrique, batterie, congas et violon... ces musiciennes aguerries chantent toutes en même temps qu’elles jouent pour célébrer ensemble la force, la beauté et la joie. Matériel original, compositions collectives: on passe sans cesse et sans prévenir du bebop à la santeria, des tambours batas à une version improbable et pas piquée des vers du thème A Song for You de Leon Russell. (R. Boncy)
XARAH DION FUGITIVE (Visage Musique) ★★★ 1/2 Impliquée dans différents projets culturels depuis plusieurs années (Les Momies de Palerme, le lieu de création La brique), Xarah Dion s’est imposée davantage sous son propre nom avec un premier album, Le mal nécessaire, paru en 2014 et sur lequel on a pu (re)découvrir une artiste sensible et tourmentée, distillant son spleen, ses états d’âme et ses combats avec (un faux?) détachement sur une trame synthpop glaciale. L’insaisissable Dion remet le couvert avec Fugitive, un album qui reprend là où le précédent s’était arrêté. Si l’artiste emprunte des chemins déjà bien balisés, elle assume sa «québécitude» en ne se cachant pas derrière un petit accent français à l’instar de plusieurs émules de la synthwave ou de l’électro-pop frenchie du début des années 1980. On parle le même langage musical mais sans parler la même langue. Il y a une certaine retenue dans la démarche de Dion, une retenue qui cache un esprit vindicatif que, quelquefois, on souhaiterait voir jaillir plus violemment. Fugitive car elle voudrait toujours être ailleurs? Fugitive parce que souvent la réalité est trop lourde? Quelle que soit la raison, on a plutôt l’impression que Xarah Dion est là pour rester. (P. Baillargeon)
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MONIQUE GIROUX SUR MESURE
QUELQUE CHOSE COMME UN GRAND DISQUE 1969: le poste de radio à la maison était, selon les heures et les humeurs, branché sur CKAC, CKVL ou CJMS, rarement sur Radio-Canada. J’ai fait mes premières armes au AM730. Un matin, à 7h, j’y ai lu, au téléphone, dans le cadre de l’émission du célèbre Jacques Proulx, mon non moins célèbre poème sur la vache blanche qui n’aimait pas le dimanche. AM? Eh boy, comment vous expliquer? AM pour modulation d’amplitude et FM pour modulation de fréquence.
On ne saisit pas toutes ces subtilités à 6 ans, mais on comprend qu’il y a quelque chose qui ne nous est pas destiné dans le propos.
En tout cas, ça modulait ferme chez les Giroux, du matin au soir, du soir au matin. Mon père allumait la radio à 5h, ma mère la fermait à 6h avant le souper, avec pour conséquence que j’assimilais mieux les chansons que les tables de multiplication. Pourquoi est-ce que je garde un souvenir si vif d’avoir entendu Je t’aime moi non plus sur les ondes de CJMS… Pourquoi? Sans doute pour la même raison qui a valu à la chanson d’être censurée par le Vatican… J’avais 6 ans.
Aujourd’hui quoi qu’on fasse Nous faisons l’amour Près de toi le temps paraît si court Toi tu es gai comme un Italien Quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin C’est toujours comme la première fois Quand je suis enfin devenue Femme, femme, une femme avec toi
Tu es la vague, moi l’île nue Tu vas, tu vas et tu viens Entre mes reins Et je te rejoins Maintenant viens Et je vous passe les soupirs langoureux qui en disaient bien plus que les mots. La même année, Léo Ferré chantait C’est extra: Un Moody Blues qui chante la nuit Comme un satin de blanc marié Et dans le port de cette nuit Une fille qui tangue et vient mouiller Ben oui, toi… Et vas-y que je te passe le voile à peine clos et la touffe de noir jésus qui ruisselle dans son berceau comme un nageur qu’on n’attend plus…
Quelques années plus tard, assise à l’arrière du Valiant bleu cendré, alors qu’on roulait inlassablement vers la grande ville qui était donc ben loin, encore plus loin que dimanche passé, je chantais à tue-tête mon légendaire duo avec Nicole Croisille:
Ma mère se retournait et me jetait, par-dessus son épaule gauche, un regard inquiet. Ça ne s’est pas arrangé avec les années. Beau Dommage, ça pouvait encore aller, La complainte du phoque en Alaska, Chinatown, ce n’était pas bien compromettant, du moins en apparence. Parce que les chansons de Beau Dommage nous offraient des courts-métrages d’urbanité, inédits depuis la Bolduc, elles confirmaient subrepticement dans l’amorce de ma quête identitaire notre devoir d’exister. C’est quand est arrivé Harmonium que ça s’est gâté. Où est allé tout ce monde Qui avait quelque chose à raconter On a mis quelqu’un au monde On devrait peut-être l’écouter Arme redoutable. Laissée entre les mains d’une ado, une chanson peut faire beaucoup de ravage. Le volume dans
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le tapis, je vous assure que le message a fini pas passer. Si on m’a écoutée? Peut-être, oui. Mais mes parents ont surtout compris qu’ils n’auraient pas le dernier mot quand je suis arrivée avec L’Heptade et The Dark Side of the Moon. On ne parlait déjà plus la même langue. L’enfant deviendra grand Quand ses jouets vivront sur place Il aura laissé sa trace Une voix, ça tremble la première fois Ça dit n’importe quoi … Un arbre s’est dessiné Tout le long de mon dos Comme tous les déracinés Ses racines sont en haut On venait de passer à un niveau supérieur. En vérité, moi non plus je ne comprenais pas grand-chose à L’Heptade, mais je l’écoutais en boucle comme d’autres vont à la messe, religieusement. L’ampleur de la musique, les nombreuses couches de subtilités musicales, la voix de Fiori, ses airs de Jésus-Christ, les orchestrations à la fois classiques et modernes de Neil Chotem, la longueur des pièces et cette façon de chanter... ça ne ressemblait à rien. Comme un sage Monte dans les nuages Monte d’un étage Viens voir le paysage Laisse-moi voir ton visage… Vas-y, existe, sors de ton cocon, envole-toi, pars, fly, monte, vole, viens, on va y aller ensemble. Tout ça exprimé à la deuxième personne du singulier, adressé à nous en disant «tu», amalgamé, gravé sur un disque et cent fois, mille fois écouté. Ça laisse des traces. Je sentais qu’on faisait appel à ma capacité de saisir la poésie, que ce message en disque double et qui résonnait dans mes écouteurs, j’étais en mesure de le comprendre. On ne saisit pas toutes ces subtilités à 13 ans, mais cette fois, je le savais: les propos m’étaient totalement destinés. L’Heptade a été lancé le 15 novembre 1976, jour de la première élection du Parti québécois. L’annonce de la sortie de L’Heptade XL a fait frémir de bonheur toute une génération. Certains on dit: «Ne touchez pas à mon Heptade». Et si on découvrait que finalement, c’était moins bien que le souvenir qu’on en gardait, que nos rêves d’adolescents n’étaient que du vieux vent de poteux et qu’on avait eu tort d’y croire et que, et que… Les plus jeunes – nos fils et nos filles – l’écoutent avec nous et ressentent ce qu’on ressentait. Dix jours après l’élection de Donald Trump, une semaine après la mort de Cohen, 14 rubans 24 pistes qui dormaient en silence depuis 40 ans, dans un entrepôt, sur une tablette, nous ont été rendus. La technologie nous permet d’entendre tout ce qu’on n’entendait pas. Et le temps qui nous est passé sur le corps comme la vie qui nous a râpé le cœur nous permet de comprendre enfin ce qu’on ne comprenait pas. Le vent fait de son mieux Pour nous aider à changer d’air Le vrai vient quand il peut Quand on lui demande ce qu’il veut faire. y
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L’AUTOPSIE D’UN ÉTÉ QUI NE VIENT PAS C’EST LE FRUIT D’UNE RENCONTRE ENTRE GILLES VIGNEAULT ET FRED PELLERIN QUI A DONNÉ NAISSANCE À CE FILM. FRANCIS LEGAULT A DONC RASSEMBLÉ LES DEUX HOMMES AUTOUR DE LA QUESTION DU SIROP D’ÉRABLE ET UN DOCUMENTAIRE ALLAIT SUIVRE. LE VOICI. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ
Francis Legault a une feuille de route solide depuis ses débuts. Il a amorcé sa pratique au Japon en réalisant des documentaires sonores pour l’émission de radio Ici comme ailleurs avec Michel Désautels. Ensuite, il passera plusieurs années à décoder les papilles gustatives des Québécois en tant que réalisateur avec Josée Di Stasio et Daniel Pinard. Mais son véritable succès, et ce qui lui a donné une signature unique, c’est l’émission radiophonique L’autre midi à la table d’à côté. «Avec la radio, il n’y a pas le diktat de l’image, dit Legault. Les auditeurs peuvent se former un monde à partir de la proposition sonore. Tu n’imposes rien et ce médium fait beaucoup appel à la créativité et à l’imagination des gens. Mais il ne faut pas se tromper, j’aime beaucoup les images. Et dans Le goût d’un pays, elles ont été magnifiées grâce au travail de mes chefs opérateurs.» Avec ce film, Francis Legault avait envie de prolonger la rencontre des deux auteurs qu’on avait pu entendre à la radio, justement lors d’un épisode de L’autre midi à la table d’à côté.
«C’est moi qui ai provoqué la rencontre de Fred Pellerin et de Gilles Vigneault dans le cadre de l’émission. À la fin de l’enregistrement, Gilles Vigneault a regardé par la fenêtre en faisant une réflexion sur les sucres qui s’en venaient. Les deux se sont ensuite mis à échanger sur le sujet et l’idée de les rassembler dans une érablière avec comme trame de fond la question du pays était née.» C’est ce qui compose l’essence de ce documentaire. Une conversation nourrie entre les deux hommes à propos de la possibilité du pays et des gestes simples qui nous rassemblent comme peuple. Il faut dire que le sujet ne pouvait que donner naissance à une plus large réflexion avec ces deux auteurs qui sont bavards sur le sujet. Legault réussit dans son documentaire à établir le lien entre les rituels et l’affirmation identitaire. Autrement dit, s’il n’y a plus de rituel, il n’y a plus de peuple; ces gestes quotidiens et fraternels sont nécessaires à l’identité.
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> Au fil du récit, les intervenants se succèdent pour donner une voix à ce pays: Roméo Bouchard et son fils Géronimo dans l’érablière familiale, Daniel Turcotte qui éclaire de sa connaissance l’histoire intime des Québécois et leur nature profonde, Fabien Cloutier qui, de son côté, se demande pourquoi l’été n’arrive jamais par ici. À ces protagonistes et à la rencontre Pellerin-Vigneault viennent aussi se greffer Simon Tessier et Maëcha Nault qui ont fait le choix de vivre le temps des sucres chaque année en famille. On visite aussi l’érablière centenaire de la famille Vermette. Toute cette constellation de visages et de propos permet de mettre en relief l’ADN de notre peuple. «Ce film m’a conforté dans l’idée qu’on pouvait être fiers de ce qu’on est ici, nous explique Legault. Fiers de notre culture et de nos acquis. Je me pose encore la question du rêve de construire un pays.
descendant. Ensemble, ils font l’analogie des cicatrices de l’arbre et de l’histoire d’un peuple. À ce moment, le documentaire prend une forme poétique d’une grande beauté. Une poésie qui laisse en suspens des questions tragiques: l’histoire estelle une suite de cicatrices? Chose certaine, elles laissent des traces et permettent de comprendre qui nous avons été, mais aussi, surtout, qui nous sommes devenus. La chanson Mommy de Pauline Julien vient un peu galvaniser cette prise de conscience où se rencontrent la nostalgie, l’actualité et un futur qui demeure difficile à deviner. Un choix musical qui se présente comme une trame de fond pour le documentariste: «Cette chanson traite de la disparition de la langue française et de la possible assimilation. Quand Gilles Vigneault dit qu’on ne veut peut-être pas devenir un pays, cela me fait peur. C’est une
«JE ME POSE ENCORE LA QUESTION DU RÊVE DE CONSTRUIRE UN PAYS. EST-CE UN RÊVE QUI NOUS HANTE, A-T-ON ENCORE LE GOÛT?» Est-ce un rêve qui nous hante, a-t-on encore le goût? Je n’ai toujours pas la réponse à cette question. Ce que j’ai essayé de faire, ce n’est pas tant de répondre à mes propres questions, mais plutôt de montrer cette société à travers plusieurs portraits pour que l’on comprenne ce que nous sommes.» Le témoignage de Roméo Bouchard sur son érablière qu’il a baptisée «le petit pays» fait partie des moments forts du documentaire. On aime voir sa complicité avec son fils. On sent la froidure, les gestes quotidiens et la véracité du propos tenu par l’ancien prêtre devenu militant paysan. Un personnage formidable, un homme plus grand que nature. On retiendra sans aucun doute ce fameux dialogue entre Gilles Vigneault, en verve, toujours éloquent et passionné par tout ce qui touche au pays, et Fred Pellerin, qu’on pourrait voir comme son digne
chanson que j’entends depuis que je suis tout petit, c’est déchirant. J’adore le paradoxe entre la douceur de la mélodie et le grinçant du propos, c’est d’une formidable beauté.» Ainsi, le documentaire de Francis Legault réussit à nous donner le goût du sucre, du pays et de beaux lendemains. Mais parfois, le sucre peut avoir un goût amer, et l’été ne jamais arriver. Chose certaine, Legault signe ici un documentaire efficace, qui offre une belle réflexion kaléidoscopique sur la question nationale en ces temps troubles et tristes de politicaillerie. y En salle le 2 décembre 2016
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DERRIÈRE LE VISAGE DE NOS AMOURS L’AMOUR A DE MULTIPLES VISAGES. SES ORIGINES ET SES SOURCES CHANGERONT SELON QU’IL SOIT FAMILIAL, ROMANTIQUE OU AMICAL. À CE FIL SE TISSENT NOS PROPRES FACETTES, TOUTES PLUS OU MOINS ÉCLAIRÉES, OU OBSCURCIES, SELON LES RELATIONS QUE NOUS CONSTRUISONS. LE FILM D’ENCRE ET DE SANG SE PROMÈNE HABILEMENT SUR CETTE MINCE LIGNE, OÙ LE MANICHÉISME N’A PAS SA PLACE. MOTS | MICKAËL BERGERON
Œuvre collective, D’encre et de sang se démarque étonnamment par sa signature intimiste. Bien que le film soit divisé en trois actes, chacun supervisé par un réalisateur différent (Alexis Fortier Gauthier, Maxim Rheault, Francis Fortin), on sent que les scénaristes (Kelly-Anne Bonnieux, Ariane LouisSeize, Rémi Dufresne) ont peaufiné leur écriture afin que le basculement narratif ne crée aucune cassure. Le long métrage commence avec Sébastien (Martin Desgagnés), un libraire qui tente de faire éditer son roman, Vestiges. Les silences, les regards et la posture du personnage amer nous montrent, sans avoir besoin de le nommer, son regret de ne pas être un écrivain reconnu. Une blessure qui influence visiblement sa relation avec sa fille, Sasha (Lysandre Ménard).
De son côté, Sasha est, sans surprise, égratignée par l’amertume de son père, qui consacre plus de temps à contacter les maisons d’édition qu’à s’occuper de sa fille. «On dirait que ça lui fait plaisir que je pense qu’il est un trou du cul, raconte à un moment Sasha à un psychologue. Sauf que c’est pas vrai que c’est un trou du cul non plus.» Cette seule phrase résume cette relation père-fille, où le malaise règne continuellement, comme si l’un et l’autre ne savaient pas s’ils se dérangeaient ou se faisaient du bien, s’ils voulaient – ou pouvaient – compter sur l’autre ou non. Entre-temps, Sébastien reçoit à sa librairie un auteur qu’il admire, Joseph Fontaine. Celui-ci se fera frapper par une voiture en sortant de la librairie. Encore une fois, l’équipe
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39 derrière le film a su éviter de tomber dans les clichés, amenant plus loin les chemins déjà parcourus. Joseph avait avec lui un manuscrit d’un livre jamais édité. Jamais lu par personne, même. Pendant que Sébastien jongle avec l’idée d’utiliser ce manuscrit à ses fins, Sasha entame une relation amoureuse avec le fils de Joseph, Sidney (Iannicko N’Doua) – sans qu’il soit au courant des liens précédemment relatés. D’encre et de sang va plus loin que la simple usurpation d’un manuscrit, ou de la relation amoureuse basée sur le mensonge. Ce point de bascule sert plutôt à pousser plus loin les relations intimes, les trahisons, les mensonges et la complexité des relations humaines. Les trois réalisateurs parlent de faux-semblants et de dualités. Ils soutiennent que ce fil conducteur, le manuscrit dérobé, a pris du temps à s’imposer. La trahison était le moteur dès les premières rencontres, plutôt que l’inverse. Ils ont pris le temps qu’il fallait, un an, pour créer ces nœuds autour des personnages. Alexis, Francis et Maxim ajoutent qu’ils ne voulaient pas d’un film impersonnel, malgré la multitude de mains en coulisses. Aidés par un tournage serré de 17 jours (les contraintes ont parfois du bon), tous appuyés par la même équipe technique, et étant eux-mêmes souvent de cette équipe lorsqu’ils ne réalisaient pas leurs segments, ils proposent un film qui résonne plus comme un film d’auteur qu’une œuvre collective.
Selon les trois réalisateurs, le microbudget a aussi aidé à cette signature personnelle et uniforme, puisque l’absence de moyens financiers freinait leurs ambitions personnelles. Le montage aura aussi permis de resserrer encore plus le nœud coulant de leur film. D’encre et de sang a une facture sobre, à l’image des personnages. Il n’y a rien d’extravagant, rien de plus grand que nature. L’équipe a plutôt misé sur l’authenticité et la justesse. Certes, le film contient quelques défauts. Les vrais enjeux prennent un temps avant de s’installer et cette volonté de brouiller les pistes pendant un moment nous fait garder un pied sur le pas de la porte. À la fin, néanmoins, nous sommes entrés pieds joints, facilement émus par l’histoire de Sébastien, Sasha et Sidney. Elle nous ramène à nos propres faux-semblants. On ne peut que souhaiter que les membres de cette équipe, liés par l’amitié et celle d’avoir étudié ensemble à l’Institut national de l’image et du son (INIS), puissent à nouveau écrire et réaliser de prochains longs métrages. y D’encre et de sang À l’affiche dès le 9 décembre 2016
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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE
RITUELS, CALENDRIERS ET TRADITIONS Noël, pour beaucoup de personnes, qu’elles soient croyantes ou non, est un moment fort de l’année. C’est d’abord un point de repère avec lequel nous nous situons, nous, animaux qui avons tant besoin de tels ancrages pour nous repérer dans le temps: c’était à Noël il y a deux ans, dira-t-on; déjà Noël!; ce ne sera pas avant Noël; comme j’ai hâte à Noël; et ainsi de suite. Mais Noël, c’est aussi un moment ritualisé, avec ses rencontres en famille, ses décorations, ses cadeaux, sa mythologie et tout le bataclan – et on sait à quel point nous sommes des animaux qui avons besoin, autant que de repères temporels, de tels rituels. Noël, c’est enfin, bien entendu, du moins pour les chrétiens, le moment de célébrer la naissance du Christ, laquelle marque même l’an 0 de notre calendrier, ce qui représente le summum en matière d’ancrage temporel: c’est en fonction de ce moment privilégié, décisif, que tout le reste va se situer pour les croyantes et les croyants. Rituels anciens et nouveaux Si on m’accorde ce qui précède, ce qui ne devrait pas poser problème, on en viendra peut-être à se demander si certains rituels, certaines commémorations et même notre calendrier ne sont pas, à un titre ou à un autre, aliénants, oppressants, déplorables et ne mériteraient pas, pour cette raison, d’être abandonnés. Abandonnés, mais aussi, tant notre besoin de ritualisation est grand, remplacés par d’autres rituels et d’autres ancrages temporels, plus conformes à certaines valeurs que l’on défend. Prenez ce que nos voisins du Sud appellent la «guerre à Noël». Elle oppose des traditionalistes croyants qui défendent la représentation de la symbolique de Noël
dans l’espace public à laquelle ils sont attachés, notamment en raison de la portée civilisationnelle qu’elle a à leurs yeux et de leur foi, à ceux qui veulent s’en distancer et souhaitent un espace public neutre. Mais ceux qui ne sont pas attachés à cette symbolique veulent bien souvent la remplacer par autre chose, par un autre rituel. C’est ainsi que des humanistes, des athées et des laïcs célèbrent, autour du 25 décembre, la fête qui existait bien avant Noël, celle du solstice d’hiver qui annonce ce moment tant attendu du retour de la lumière et où le jour recommence à allonger. Dans un film récent, une famille atypique américaine célèbre pour sa part le Noam Chomsky Day! Pas sûr que Chomsky apprécierait… C’est encore ainsi que les humanistes, les laïcs, les athées ont imaginé toutes sortes de cérémonies et de rituels différents marquant des moments forts de nos existences qui méritent d’être soulignés en étant d’une manière ou d’une autre ritualisés: ils ont pour cela imaginé des cérémonies de naissance, de mariage, sans oublier des cérémonies funèbres humanistes. Toutes ces pratiques sont aujourd’hui de plus en plus connues et répandues. Calendriers et vies exemplaires Le calendrier lui-même a souvent fait l’objet de telles réappropriations. L’islam a ainsi son propre calendrier, lunaire, qui compte 355 ou 354 jours et qui commence avec l’hégire, soit notre 16 juillet 622. J’écris ce texte le 18 novembre 2016, selon notre calendrier georgien; nous sommes, semble-t-il, le al-jum’a: 17, Safar 1438, selon le calendrier islamique.
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L’importance sociale, politique, du calendrier, avec sa symbolique et tous ces moments qu’il marque et ritualise, est bien entendu immense. D’où cette tentation de réformateurs et de révolutionnaires, religieux ou autres, d’en produire un. Lors de la Révolution française, les révolutionnaires ont ainsi, mais sans succès, proposé l’adoption d’un calendrier particulier, républicain. Les 12 mois portent des noms qui nous semblent bien étranges (comme ventôse, messidor, frimaire, et d’autres encore), tandis que les jours portent des noms de fruits, de légumes, d’animaux, etc. Nous sommes aujourd’hui le coing brumaire. Un autre exemple? Le philosophe Auguste Comte est le fondateur d’une doctrine appelée «positivisme», qui défend, pour aller vite, la primauté de la science. Mais conscient de l’importance des rituels, de la symbolique, il finira par prôner une sorte de «religion de l’humanité» qui s’incarne entre autres dans un calendrier célébrant les grands hommes (et quelques femmes…). Il comporte 13 mois appelés, par exemple, Descartes, Shakespeare, Archimède, Dante ou Aristote et des jours appelés Condorcet, Mme de Lafayette, Newton, Mme de Staël, etc. Si je ne me trompe pas trop, nous sommes aujourd’hui le jour Guillaume le Taciturne du douzième mois de l’année, le mois Frédéric, qui est consacré à la politique moderne.
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dès le 17 janvier
Ces exemples, par leur étrangeté, nous rappellent ce qu’on ne voit parfois plus sur ce qui nous est (trop) familier: les calendriers, avec les fêtes, les rituels et les symboliques qu’ils ponctuent et commandent, tout cela incarne des valeurs qui renvoient à un modèle de vie jugée bonne et souhaitable. Voyons cela sur le 25 décembre. Selon le calendrier georgien, c’est Noël, et donc, pour les croyants, la naissance du Christ; c’est le Boërhaave du mois de Bichat (consacré à la science moderne) pour les positivistes; c’est le al-’ahad: 25 Rabi al-Awwal 1438 pour les musulmans; c’est le chien du mois de nivôse pour les républicains; et c’est peut-être, inspirés par un film, le Noam Chomsky Day pour certains. Mais pour tout le monde, et comme tous les jours de l’année, c’est un bon moment pour se demander ce qu’est une vie bonne et les valeurs qu’elle incarne. Il se trouve qu’il n’y a pas une si grande quantité de ces modèles exemplaires de vie bonne. Le saint, la sainte; le héros, l’héroïne; le sage, la sage; le militant, la militante en sont des exemples. Il y en a quelques autres. Je vous laisse en trouver et penser à ce qui vous semble préférable et pourquoi, tout en vous souhaitant un très joyeux N… Pardon: un très beau jour du solstice d’hiver… y
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le québec à table le temps des Fêtes, c’est l’occasion de ressortir les classiques de la gastronomie québécoise sur la table. l’occasion également de réFléchir à ce qu’on mange et pourquoi on le mange, sur nos racines culinaires et leur signiFication… parce que la bouFFe, c’est aussi de l’histoire et de la sociologie. breF, c’est toute une identité culturelle. on a posé nos questions à Jean-pierre lemasson, sociologue et auteur de L’HISTOIRE DU PÂTÉ CHINOIS et de L’HISTOIRE DE LA TOURTIÈRE. MOTS | MARIE PÂRIS
Vous avez fondé en 2003 le certificat en gestion et pratiques socioculturelles de la gastronomie à l’UQAM. Pourquoi cette discipline? Il y a une quinzaine d’années, j’ai remarqué que l’étude de la gastronomie comme phénomène social n’existait pas au Québec. La nourriture m’intéressait, en soi, mais aussi sous un angle culturel. J’ai constaté que le Québec était amnésique quant à son histoire culinaire, alors j’ai voulu montrer la richesse de l’approche culturelle. Grâce à l’étude, on peut se réapproprier un patrimoine presque oublié. Pourquoi utiliser le terme de «patrimoine» alimentaire? La gastronomie s’ancre dans l’histoire et la sociologie: ce qu’on mange et la manière dont on le mange sont une construction sociale, un héritage social. Et c’est surtout à Noël qu’on suit les rituels culinaires, car on reçoit, on a plus de temps… C’est un moment de réappropriation culturelle. Le Québec est au carrefour de plusieurs traditions culturelles. Pareil pour sa cuisine? On ne peut pas comprendre la gastronomie québécoise sans comprendre ce que sont et ont été les gastronomies française et anglaise. Mais quant à la cuisine amérindienne, son influence est quasi nulle dans cette tradition culinaire…
La cuisine québécoise, c’est une cuisine familiale et réconfortante. Peut-on parler de «gastronomie» quand il s’agit de plats plus populaires? La gastronomie ne désigne pas juste les produits, et ce n’est pas forcément de la haute cuisine, car ça inclut aussi la gastronomie populaire. C’est l’art de bien manger. C’est la conjonction entre les produits et la subjectivité des convives; pour un enfant, un popsicle peut être le summum de la gastronomie… Le plaisir gastronomique, ce sont les plats, bien sûr, mais c’est aussi et surtout la convivialité. Les classiques de la gastronomie québécoise, c’est quoi? Il y a le pâté chinois – qui avait d’ailleurs gagné le concours du Devoir visant à déterminer le plat national du Québec. Et les pâtés à la viande, le cipaille, la soupe aux pois, le ragoût de pattes, les boulettes de porc… On accompagne tout ça de condiments, souvent acides ou très sucrés, comme le ketchup ou les betteraves au vinaigre, qui nous viennent de l’influence anglaise.
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«c’est surtout à noël qu’on suit les rituels culinaires, car on reçoit, on a plus de temps… c’est un moment de réappropriation culturelle.»
Mais s’il y a un plat emblématique de Noël, c’est bien la tourtière! Elle est indétrônable. Enfin, elle a un rôle central indiscutable surtout en région, car en ville, c’est une autre affaire, elle n’a plus forcément le monopole. Comment ça? À la reprise des cours après les Fêtes, quand je demandais à mes élèves ce qu’ils avaient mangé à Noël, j’étais surpris d’entendre souvent «des sushis». Et un tiers d’entre eux ne mangeaient jamais de tourtière. Autrefois, le patrimoine québécois était exclusif, mais ça n’est plus le cas aujourd’hui: par exemple, les jeunes urbains mangent à Noël ce qu’ils ont envie de manger, sans forcément suivre la tradition… Mais le plat choisi reste exceptionnel – si la tradition n’est plus là, la notion de plat exceptionnel reste.
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JEAN-PIERRE LEMASSON
VOIR MTL
Comment ont évolué les plats traditionnels qu’on mange encore aujourd’hui?
Et comment réinventer ou moderniser les plats traditionnels sans les trahir?
Les accompagnements ont changé, notamment les légumes. On mangeait avant des légumes racines, des pommes de terre, etc., alors qu’aujourd’hui, ils sont plus variés. Les viandes aussi ne sont plus les mêmes: on trouvait du gibier, qui n’avait pas le même parfum que les «viandes civilisées» qu’on utilise à la place aujourd’hui, comme le porc, le bœuf ou le veau…
À peu près toutes les recettes donnent lieu à des réinterprétations. Pendant que je faisais mon livre L’histoire du pâté chinois, j’ai goûté plus de 40 versions du plat en un an… Et regardez les luttes intestines autour de la recette du cassoulet en France! Mais je ne crois pas que les innovations soient une menace. Ce sont des flambées de paille; ce qui reste, ce sont les classiques. Et au moment de Noël, les gens restent plutôt dans la tradition… y
Côté alcool, si on buvait avant du caribou, de la bière d’épinette, du cidre ou des alcools maison, aujourd’hui, pratiquement tout le monde boit du vin pendant les Fêtes.
NORMAND LAPRISE
noël de cheF les traditions de noël ont la dent dure, et on ne déroge pas aux classiques à table. par contre, on n’a plus Forcément envie de passer l’après-midi en cuisine pour préparer le repas… MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTO | BÉNÉDICTE BROCARD
«La cuisine traditionnelle québécoise, celle qu’on retrouvait à Noël, elle vient de mon enfance, des partys de famille à 40 ou 50 personnes. On faisait un potluck, on cuisinait à l’avance et on mangeait de la tourtière, de la soupe aux fèves, on sortait les conserves faites plus tôt dans l’année... On mangeait et on buvait toute la soirée, et ça se terminait au petit matin!» Ça, c’était les Noëls de Normand Laprise. Aujourd’hui, le renommé chef du restaurant montréalais Toqué! passe des réveillons plus tranquilles, en comité réduit. Mais l’essentiel est toujours là: Noël, c’est avant tout un moment convivial. S’il s’est par le passé parfois cassé la tête avec des menus très élaborés à plusieurs services, il privilégie aujourd’hui les plats de partage, qui demandent moins de travail. «Pour moi, faut que ça reste simple, pour pouvoir avant tout passer du temps en famille.» Qu’on en ait marre des traditions, qu’on n’ait pas envie de recevoir, qu’on ait envie de se faire servir les pieds sous la table ou simplement pour voir du monde, parce qu’on sera seul ou en tout petit comité... Pour différentes raisons, certains fêtent la veille et le jour de Noël au resto,
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et de plus en plus d’Êtablissements sont dorÊnavant ouverts à ces dates. Mais certainement pas le ToquÊ!, qui ferme du 23 dÊcembre au 9 janvier. Pour moi, les 24 et 25 dÊcembre sont des soirÊes familiales, explique Normand Laprise. Le ToquÊ! est fermÊ, et ça restera ainsi tant que c’est possible. J’ai envie d’être avec ma famille, alors je me dis que mes employÊs aussi‌ D’autant que beaucoup de marchÊs sont Êgalement fermÊs et que les producteurs sont moins disponibles à cette pÊriode. Selon le chef, si de plus en plus de restos restent ouverts, c’est surtout dans les grandes villes, notamment à MontrÊal, oÚ l’on retrouve beaucoup d’immigrÊs et de jeunes qui ont quittÊ leur rÊgion natale pour venir travailler‌ et se retrouvent parfois seuls pendant les Fêtes. Menu surgelÊ D’autres, dÊsirant être chez eux pour le rÊveillon, mais sans cuisiner, choisissent pour leur part des menus de NoÍl à emporter. Patricia Hovington, propriÊtaire des boutiques de surgelÊs Aliments -40, remarque en effet une aug-
de toute Façon, la nourriture n’est pas le Focus. ce qui compte, c’est d’être ensemble. mentation dans ses ventes. Et pendant les Fêtes, on fait quatre fois notre volume de ventes habituel‌ Les clients achètent un repas intÊgral, ou alors ils complètent leur repas avec nos plats surgelÊs s’ils n’ont pas le temps ou sont moins à l’aise de cuisiner certains plats plus ÊlaborÊs. À la saison festive, Aliments -40 Êlargit la gamme de ses plats en proposant des recettes traditionnelles, comme de la tourtière ou des pâtÊs à la viande, pour que les gens puissent recevoir même si le temps de cuisiner leur manque. Des menus qui restent toujours dans la tradition culinaire quÊbÊcoise... D’emblÊe, pendant les Fêtes, les gens tombent dans les produits classiques, assure la propriÊtaire. On ne peut pas enlever le souvenir d’enfance, le parfum des plats traditionnels des rÊunions de famille‌ Et puis, il y a les sans gluten ou les intolÊrants au lactose. Les gens multiplient ainsi les plats pour s’adapter aux allergies alimentaires, remarque Patricia Hovington. On ne dÊroge pas au plat traditionnel, mais on propose quelque chose d’autre pour ceux qui ne peuvent pas en manger. Mais de toute façon, la nourriture n’est pas le focus, conclut le chef Normand Laprise. Ce qui compte, c’est d’être ensemble. y
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50 chronique VOIR MTL
VO1 #11
12 / 2O16
émilie dubreuil SALE TEMPS POUR SORTIR
loadé comme un gun? C’est un sujet tabou qu’on aborde au Québec que du bout des doigts, avec la peur de se salir et que ça sente un peu le cul, le renfermé. C’est un sujet délicat qui range celui qui s’en empare dans le rang des grincheux, ou pire, des «nationaleux», comme si, par une étrange perversion intellectuelle, parler de notre langue, parler de la qualité de la langue au Québec, était une discussion qui ne pouvait se dérouler en terrain neutre, soit à l’extérieur du spectre politique. Il y a cette jeune blogueuse parmi mes amis virtuels. Je l’aime bien. Elle est drôle, divertissante, intéressante. Plusieurs fois par semaine, je vois arriver ses statuts sur Facebook. Une francophone. Beaucoup de déclarations en français donc, mais souvent, souvent de trucs en anglais. Ça, on s’en fout à la rigueur. Elle a bien le droit de s’exprimer en anglais. Ce sont ses statuts en «bilingue» qui me turlupinent. Un mot en français, un mot en anglais, une maille à l’envers, une maille à l’endroit. #YouknowHowItGoes Comme je fais partie de ces maîtresses d’école insupportablement acariâtres qui se donnent le droit de faire des remarques, je lui écris spontanément un matin: «Pourquoi t’écris toujours en anglais?» J’ai souligné un peu fort le trait en employant l’adverbe «toujours». Je me sens parfois provocante, comme dirait l’autre. Avalanche de réponses. «So what if she does?» Ou encore, un bien-pensant: «Évoluons dans toutes les langues. Soyons ouverts à toutes les cultures et les différences.» Être sensible à la «créolisation» de la langue, à la «chiaquisation» de la langue, revient-il dans notre schizophrénie identitaire indécrottable à refuser d’autres cultures, à fermer la porte aux différences?
La principale intéressée y va d’un long commentaire: «Je suis sur *ma* page Facebook. Je peux tu m’exprimer dans les langues ou les emoticons que je veux? Je suis tu vraiment en train de me justifier parce que j’évolue de façon bilingue, autant dans ma vie personnelle, que professionnelle, que virtuelle? Franchement.» Franchement! Adverbe exprimant l’exaspération. Come on, girl! pourrait-elle rajouter… Exaspération, c’est souvent ce que je provoque en reprenant systématiquement mon chum lorsqu’il dit «je vais canceller mon appointement» ou me demande «as-tu vu mon wallet?» Je provoque l’exaspération quand, au dépanneur, j’entends un francophone avec un très fort accent québécois s’adresser à un immigrant en anglais, parce que c’est un immigrant. «Pourquoi lui parlez-vous en anglais?» «J’ai ben le droit de lui parler en anglais si je veux.» Exaspération quand je fais remarquer à des copines que lorsqu’elles ont un verre dans le nez, elles se mettent à ponctuer sans raison la conversation d’expressions anglaises alors que nous ne sommes que des francophones dans la pièce. Whatever works! Pourquoi, au Québec, se soucier de notre langue, soulever même la question, provoque-t-il de l’exaspération? Pourquoi est-ce une question ringarde, teintée, loadée comme un gun? L’autre jour, je suis tombée en pitonnant sur une émission diffusée à VRAK. ALT avec Phil Roy. C’est une émission franchement intéressante mais truffée de mots comme buzz, weird, nice, BFF, alouette… Ah! Estce que personne là-bas ne s’est dit: «Et si on faisait un peu attention? Et si on disait beau au lieu de nice?»
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Il y a ce type qui ĂŠcrit systĂŠmatiquement Ă tous les journalistes indiffĂŠremment des mĂŠdias dans lesquels ils travaillent, provoquant, sans doute, un peu dâ&#x20AC;&#x2122;exaspĂŠration chez certains de mes collègues. Il relève les fautes, les anglicismes en ondes, Ă lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠcrit. Je reçois, pour une raison qui mâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠchappe, tous ses courriers ĂŠlectroniques en copie. Personne nâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠchappe Ă la vigilance de cet auteur et de ce lecteur avide. Un exemple rĂŠcent. Jâ&#x20AC;&#x2122;enlève le nom des journalistes mentionnĂŠs. Bonsoir Ă tous, Madame X, ÂŤsalle de courÂť est un anglicisme, il faut dire ÂŤsalle dâ&#x20AC;&#x2122;audienceÂť. Madame Y, encore cet ÂŤultimementÂť, un anglicisme trop courant au QuĂŠbec, il faut dire ÂŤfinalementÂť ou ÂŤau finalÂť. Monsieur Truc, lâ&#x20AC;&#x2122;enfant nĂŠÂ après le dĂŠcès de son père nâ&#x20AC;&#x2122;est pas dans les ÂŤlimbesÂť, mĂŞme bureaucratiques. Un anglicisme, qui mâ&#x20AC;&#x2122;a fait penser Ă saint Augustin, selon lequel les bĂŠbĂŠs morts sans avoir ĂŠtĂŠÂ baptisĂŠs sont condamnĂŠs aux limbes. Je dirais que cet enfant faisait face Ă un ÂŤvideÂť, ou Ă une ÂŤlacune juridiqueÂť. Enfin, jâ&#x20AC;&#x2122;ai lu, Monsieur Machin, que Richard Henry Bain a ĂŠtĂŠ ÂŤtrouvĂŠÂť coupable. Encore... Câ&#x20AC;&#x2122;est une abomination: il a ĂŠtĂŠ ÂŤreconnuÂť coupable. Dans ma vie virtuelle, encore celle-lĂ , je suis souvent choquĂŠe, voire peinĂŠe, de constater que des filles avec qui jâ&#x20AC;&#x2122;allais Ă lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠcole (jâ&#x20AC;&#x2122;allais dans une ĂŠcole de filles), des francophones, ne rendent compte de leur vie quâ&#x20AC;&#x2122;en anglais. Ă&#x2021;a me heurte, mais surtout, ça me fait peur. Peur de ce spectre: la disparition du français ou, pis encore, une grosse fatigue culturelle du Canada français qui se solderait en tube collectif dâ&#x20AC;&#x2122;un nouveau groupe acadien dans le vent. Ce qui mâ&#x20AC;&#x2122;effraie le plus, ce sont les dĂŠrives linguistiques de mon propre cerveau. Jâ&#x20AC;&#x2122;ai ĂŠtudiĂŠ plus de sept langues, jâ&#x20AC;&#x2122;en parle quatre. Jâ&#x20AC;&#x2122;dis pas ça pour faire ma fraĂŽche, mais ça se glisse bien dans un texte. Enfin, je le dis pour dire que ce nâ&#x20AC;&#x2122;est que lâ&#x20AC;&#x2122;anglais qui mâ&#x20AC;&#x2122;englue les neurones. Je me surveille, je me discipline, mais you know what? Sometimes it just comes easier in Englishâ&#x20AC;Ś Fuck. Comme je ne voudrais pas ĂŞtre accusĂŠe de plagiat (ce qui est Ă peu près le pire crime dans notre mĂŠtier), je dois dire que jâ&#x20AC;&#x2122;ai lu ça, me semble, dans Le Devoir, il y a quelques annĂŠes. Une lettre ou une chronique? Jâ&#x20AC;&#x2122;arrive pas Ă la retrouver, mais ça disait ça, en gros: neurones assiĂŠgĂŠs.Â
0REMIĂ&#x2019;RE EXPĂ?RIENCE DE TRAVAIL AU 1UĂ?BEC -ETTEZ TOUTES LES CHANCES DE VOTRE CĂ&#x2122;TĂ? 6HUYLFHV GH UHFKHUFKH GâHPSORL VSĂ&#x2019;FLDOLVĂ&#x2019;V SRXU OHV QRXYHOOHV DUULYDQWHV 0LVHU VXU OHV IDFWHXUV IDYRUDEOHV Âż OâREWHQWLRQ GâXQ HPSORL &RPSUHQGUH OHV YDOHXUV HW OHV FRGHV FXOWXUHOV GH OD VRFLĂ&#x2019;WĂ&#x2019; GâDFFXHLO 3RVVLELOLWĂ&#x2019; GH VWDJH -XPHODJH HW UĂ&#x2019;VHDXWDJH
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Les autres langues, je leur ai consacrĂŠ des heures dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠtude, dâ&#x20AC;&#x2122;amour, de curiositĂŠ, mais la langue de ma mère, de sa mère, de mon arrière-grand-mère Ă&#x2030;milie, jâ&#x20AC;&#x2122;y suis viscĂŠralement attachĂŠe et je la trouve ben maganĂŠe. #YouKnow? Mais peut-ĂŞtre aussi que je capote pour rien. Câ&#x20AC;&#x2122;est peut-ĂŞtre aussi un symptĂ´me de notre schizophrĂŠnie collective quand il sâ&#x20AC;&#x2122;agit de la langue de chez nous. y
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52 LIVRES VOIR MTL
VO1 #11
12 / 2O16
LES YEUX TRISTES DE MON CAMION MOTS | FRANCO NUOVO
Je le connais bien ce camion, ce Mack modèle B. Pas celui de 1958 qui orne la page couverture de l’ouvrage de Serge Bouchard. Je connais davantage son petit frère né, lui, en 1960. Identique. On aurait dit des jumeaux, le même rouge pétant, les mêmes ailes arrondies, la même calandre, les mêmes grandes oreilles qui servent de rétroviseurs et le même bouledogue, à l’avant, sur le capot, trahissant sa force et prêt à bondir. À l’intérieur de la cabine, le même vert, les mêmes cadrans archaïques, les mêmes deux bras de vitesse et le même volant énorme. Je le connais bien, c’était le camion de mon papa. Et comme celui de Serge Bouchard, il avait, c’est vrai, les yeux tristes. Je le connais bien parce que petit, je passais des journées entières à rouler à côté de mon père, bien installé à la place du passager avec les jambes qui ne touchaient pas à terre. Le temps venu de traverser la guérite de chez Miron, je me cachais au pied du fauteuil dans ce minuscule espace parce que l’entrée de la carrière était interdite aux enfants. Une fois le garde faussement trompé, je reprenais ma place en attendant avec papa que vienne le moment de charger. Et la benne pleine de pierres concassées, nous repartions le cœur léger. Probablement que cette couverture où le Mack pose l’air penaud m’a donné envie d’ouvrir cet ouvrage éclectique où il est question de tout mais jamais de rien: du temps qui passe, de traversier, de camionneur, de voyage, du capitalisme, des Premières Nations, d’animaux sauvages, etc. Évidemment, Serge Bouchard n’a jamais travaillé au volant de sa bête, mais il a toujours aimé ceux qu’il appelle «les cowboys d’aujourd’hui», les camionneurs, les «truckers». Ce mastodonte est pour lui un trophée
récupéré au bord d’une route. En passant, en voyant ses yeux tristes, il en a fait l’acquisition. C’est cette histoire qu’il nous raconte dans le premier chapitre de son bouquin; ce coup de foudre, cette passion, et enfin le lustre qui, rattrapé par le temps, s’est terni. Serge a vieilli. Il ne peut plus grimper dans la cabine de son Mack. C’est la fin de la route. Il y a de la mélancolie dans le voyage qu’il nous propose, dans cette rencontre avec un routier croisé à la traverse de Tadoussac. Là encore, ils ont parlé camion, des Mack d’aujourd’hui à la cabine allongée et de ceux d’hier sans vrai chauffage ni volant assisté. Frères de route, ils ont sympathisé. Or, chapitre après chapitre, dans cet ouvrage qui ressemble davantage à un journal de bord qu’à n’importe quoi d’autre, il ne parle pas que du courage de son camion et de voyage. Ou plutôt, si! Jusqu’à l’inéluctable... «Il n’est de beauté qui résiste au choc de sa propre fin. Le temps file, jusqu’à ce qu’il ne file plus, certains obstacles ne se contournent pas.» Si la beauté veille, la mort rôde, celle de son père qui l’attendait avec détachement jusqu’à ce qu’elle se montre vraiment le bout du nez et qu’il ne veuille plus la rencontrer. Celle de sa «sœur qui est partie en criant: Maman!». Celle de sa mère athée qui juste avant de mourir «appelait le bon Dieu». C’est peut-être, finalement, un livre sur la fatalité! Il est aussi question de sa vieille Honda avec qui il converse, des avions qu’il trouve beaux, mais, petit problème, l’homme n’aime pas voler; de politique aussi. Il souhaiterait ainsi fonder le Parti des loups qui veillerait sur la beauté du monde, celle qu’il ne faut pas
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toucher. Parce que les loups sont les gardiens des nuitsâ&#x20AC;Ś quâ&#x20AC;&#x2122;ils ont le sacrĂŠ dans la peauâ&#x20AC;Ś quâ&#x20AC;&#x2122;ils ne nĂŠgocient pas leur libertĂŠÂť. Ă&#x20AC; partir de cet endroit, Bouchard, le vieux loup, hurle Ă la lune. Il rejoint, lui lâ&#x20AC;&#x2122;ancien, la spiritualitĂŠ des Premières Nations, leur rapport Ă la terre Ă qui ils appartiennent, aux animaux qui sont leurs frères. Et en cette pĂŠriode oĂš les Sioux de Standing Rock jusquâ&#x20AC;&#x2122;aux Innus de la CĂ´te-Nord, en cette pĂŠriode oĂš les Autochtones de lâ&#x20AC;&#x2122;AmĂŠrique se mobilisent, se dressent, unis, pour protester contre la construction du Dakota access Pipeline qui menace leur environnement et piĂŠtine sans respect leur terre sacrĂŠe, Serge Bouchard, sans lien aucun avec ce qui se passe lĂ -bas, nous raconte la naissance du capitalisme par la voix du vieux sage de la nation Wampanoag. Massasoit, câ&#x20AC;&#x2122;ĂŠtait son nom. Il vivait au 17e siècle. Il ignorait, nous
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LE MACK B DU PĂ&#x2C6;RE DE FRANCO NUOVO.
raconte lâ&#x20AC;&#x2122;anthropologue, que ces protestants de noir vĂŞtus quâ&#x20AC;&#x2122;il avait aidĂŠs Ă survivre Ă leur arrivĂŠe et Ă passer Ă travers lâ&#x20AC;&#x2122;hiver nâ&#x20AC;&#x2122;avaient, eux, quâ&#x20AC;&#x2122;une idĂŠe en tĂŞte: spĂŠculer, sâ&#x20AC;&#x2122;enrichir, possĂŠder la terre.   Il a eu beau rĂŠpĂŠter et rĂŠpĂŠter encore aux pèlerins anglais ÂŤque la terre ne se vendait pas, ne se louait pas, ne se transigeait pasÂť, nul ne lâ&#x20AC;&#x2122;entendait. La graine du capitalisme ĂŠtait semĂŠe. Serge Bouchard a signĂŠ un magnifique livre qui fait rĂŞver, voyager, rĂŠflĂŠchir. Un livre oĂš il nous rappelle que ÂŤla poĂŠsie est un acte de libertĂŠÂť. y
SERGE BOUCHARD LES YEUX TRISTES DE MON CAMION BorĂŠal, coll. ÂŤPapiers collĂŠsÂť, 2016, 208 pages
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Sur les rayons
Sur les rayons
LE GARÇON MARCUS MALTE
MICHEL VÉZINA PÉPINS DE RÉALITÉS
Éditions Zulma, 2016, 544 pages
Tête première, coll. «Récit lysergique», 2016, 272 pages
Elle voulait voir la mer. Telle était sa dernière volonté. Alors, comme un bon garçon, lorsqu’il sentit la mort rôder, lorsqu’il sentit le temps jouer contre lui, mais surtout contre elle, lorsqu’il le sut, il l’emmena voir la mer. Avec sa mère attachée sur son dos, ne pouvant plus se mouvoir par elle-même, il la mena à son dernier souffle, voir une dernière fois un horizon infini. Ainsi débute le roman Le garçon de l’écrivain français Marcus Malte, récemment primé du prix Femina. À mi-chemin entre roman historique et récit initiatique, Le garçon est un roman où l’histoire mythifie l’homme et vice versa, un livre dans lequel on est autant en dedans qu’en dehors du monde.
Michel Vézina fut tour à tour clown, fondateur d’une troupe de théâtre, documentariste, rédacteur en chef, critique littéraire et théâtral, chroniqueur radio, directeur littéraire, écrivain, lecteur, carnettiste... et maintenant libraire ambulant. Il est difficile d’apposer une étiquette sur ce vagabond littéraire sans adresse fixe. Avec Pépins de réalités – vers tiré de la poésie de Jacques Prévert –, Vézina signe son quatorzième livre sous l’appellation «récit lysergique». À la façon d’un journal d’une année, il nous offre ici un carnet comme lui seul sait le faire. Embrassant l’hybridité littéraire qui remet en doute de plus en plus la forme romanesque, ce livre est le fruit d’un été de tous les possibles pour l’auteur, lui qui a vu son rêve d’ouvrir une librairie ambulante devenir réalité.
Élevé par sa mère en marge de la civilisation dans ce qui semble avoir l’air d’une forêt dans le sud de la France, le garçon – ne sachant ni parler, ni écrire, ni lire – attendra quelques jours après le décès de celle qui était tout pour lui avant de quitter cette cabane et cette forêt qui furent tout pour lui. Au fil de ses pérégrinations, en marchant vers le Nord, il tente de trouver nourriture et gîte à même la forêt, chose qu’il a toujours su faire. C’est par ses errances, en pleins balbutiements du vingtième siècle, qu’il sera contraint – oui, contraint – à rencontrer les hommes. Ils seront tantôt issus de la lutte et du cirque, tantôt au volant d’une des premières voitures, tantôt en pleines tranchées au cœur d’un conflit trop grand pour lui. Au détour, bien sûr il rencontrera l’amour, bien sûr il côtoiera la haine. Ce livre est un périple, cette histoire est une errance. Malte nous offre une possibilité inégalée, celle de redécouvrir le siècle dernier avec la virginité de l’innocence. À mi-chemin entre Rosa Candida d’Auður Ava Ólafsdóttir, paru chez le même éditeur, et du film Big Fish de Tim Burton, Le garçon de Marcus Malte est le genre de livre précieux dans lequel on côtoie l’émerveillement et la découverte. Le genre de bouquin dans lequel il fait bon se perdre, dans lequel l’homme est encore de prime abord foncièrement bon. Réel récit d’apprentissage porté par la brillante écriture et la justesse narrative de Marcus Malte, Le garçon est l’un de ces livres rares et ambitieux qui tiennent toutes les promesses faites au fil de la lecture. (Jérémy Laniel) y
On propose ici une réelle plongée dans la psyché de l’auteur, un accès aux troubles et aux questionnements qui le tiennent en place, entrecoupée de souvenirs et de regrets. Pépins de réalités est, au fond, beaucoup plus qu’un simple carnet estival. Vézina s’y livre avec une liberté dont ses contemporains se réclament rarement. On y voit les deux figures qui l’habitent, soit le clown et l’écrivain. L’un veut mourir et l’autre aspire à l’immortalité. Tout au long de la lecture, on tente de conjuguer l’un et l’autre, avançant et reculant au rythme de leurs désirs. Interrogeant notre besoin de littérature et nos envies de s’extraire du monde, l’auteur donne l’impression d’avoir eu sept vies, toutes transcendées par les mêmes questionnements qui tiennent ses os en place. Réflexions et pérégrinations, ce livre est marqué par l’écriture de Vézina, une écriture qui semble se moquer des codes et des genres, quelque chose de brut dans ces fragments, parfois proches de l’oralité et toujours dans l’urgence d’écrire, de dire, de crier, de hurler. Comment l’écrivain peut-il conjuguer sa finitude à la perpétuité des écrits? Maelström d’anecdotes, de souvenirs, de regrets, de réflexions, d’analyses, de coups de cœur et de coups de gueule, Pépins de réalités est un livre extrêmement personnel dans lequel, pourtant, on se retrouve étrangement. Ici vagabond littéraire aux accents circassiens, là-bas écrivain errant fort en gueule, Michel Vézina est un mythe comme il y en a peu dans notre monde littéraire. À nous de l’entretenir. (Jérémy Laniel) y
57 ARTS VISUELS VOIR MTL
VO1 #11
JE ME SOUVIENS EN 2015, LE NOUVEAU SOLO DE ROBERT LEPAGE FUT PRÉSENTÉ EN FRANCE, À MONTRÉAL, À QUÉBEC ET À TORONTO AINSI QU’UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE. PLUS D’UN AN PLUS TARD, LEPAGE FAIT PARAÎTRE, AVEC L’AIDE DE STEVE BLANCHET, UN LIVRE ILLUSTRÉ DE CETTE PIÈCE INTIME QUI BASCULE ENTRE MÉMOIRE COLLECTIVE ET PERSONNELLE. MOTS | JÉRÉMY LANIEL
ILLUSTRATIONS | STEVE BLANCHET
Les pièces de Robert Lepage sont toujours des événements. Avec le temps, lui et sa compagnie Ex Machina sont devenus maîtres dans l’art de la création scénique, repoussant souvent les limites du possible avec des innovations sur scène qui éblouissent. Tenter de transmettre cela avec un véhicule aussi statique que le livre peut sembler représenter un immense défi.
«Nous, le texte n’a jamais de grande valeur littéraire et il vient assez tard dans le processus, après plusieurs dizaines de représentations; et lorsque tu le publies, le texte, tu es comme pris pour le figer. Pour en faire un livre, tu peux rajouter des photos de production, mais il n’en demeure pas moins que moi, ce que je fais, c’est de l’écriture scénique, où la mise en scène parle souvent plus que le texte.» Ils ont pourtant déjà réussi cette transposition de la scène au livre avec la pièce Le dragon bleu, lorsqu’ils avaient demandé à Fred Jourdain de l’illustrer pour une adaptation en bande dessinée. Mais encore faut-il que ce genre de projet aille plus loin que la simple transposition ou l’unique adaptation. «Quand on a fait Le dragon bleu, on a eu beaucoup de demandes pour le publier, on a essayé, mais on a dû se rendre rapidement compte que ça ne marchait pas, ça ne lui rendait pas justice. Et on s’est dit: “Qu’est-ce que ça pourrait être si l’idée d’en faire un livre devenait un prolongement de la pièce plutôt qu’une photo?” Ça devient l’occasion d’une nouvelle création, quelque chose comme un écho.» Ici, pour ce faire, Robert Lepage s’est adjoint Steve Blanchet, directeur de création chez Ex Machina. Formé aux beaux-arts et graphiste de formation, celui qui a travaillé dans le domaine des communications pendant 17 ans chez Cossette avait le mandat d’illustrer le texte de Lepage, ce qui n’était pas une tâche facile.
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12 / 2O16
58 «D’une certaine façon, j’étais fort heureux de renouer avec un vieux plaisir qu’est celui de dessiner, mais en même temps, il y a tellement d’illustrateurs incroyables aujourd’hui au Québec que tu te sens un peu imposteur quand tu te lances dans un tel projet. Mais mon avantage sur n’importe qui d’autre dans ce projet, c’est que je fais partie du noyau, on a créé ça ensemble, Robert et moi, autour d’une table. Je connais tout ce qui n’est pas dans le spectacle.» S’inspirant de la jeunesse de Lepage passée au 887 de l’avenue Murray, cette pièce parle néanmoins du Québec: on passe de la crise du FLQ à la Nuit de la poésie, en errant dans la ville de Québec de l’époque. C’est au détour de tout cela que le père de Lepage devient un personnage en soi, un chauffeur de taxi plutôt discret, mais quand même bien de son temps. «Je ne pensais pas avoir hérité grand-chose de mon père. Mais plus j’avançais dans ce spectacle-là sur la mémoire et sur mon père, plus je me rendais compte qu’il devenait un incontournable, qu’il était monumental. Je ne pouvais pas en faire abstraction. C’est là que je me suis rendu compte de tout ce que j’ai hérité de lui. C’est une catharsis incroyable. […]
Je suis à l’âge où je suis capable de me reconnaître en lui. Quand je l’ai connu, il avait déjà digéré le monde.» Pour bien appuyer un texte qui est campé dans une époque précise, mais par l’entremise de souvenirs qui sont, par définition, toujours un peu vaporeux, Steve Blanchet a décidé de donner le ton par le choix de couleur. «On n’a pas sorti mille crayons couleur, mais bien une douzaine qui vont avec le spectacle. C’est un spectacle minimaliste, parce que lorsqu’on réfère à des souvenirs, on est dans l’impression, dans quelque chose qui est plus vague, ce qui nous permet d’être dans l’impressionnisme.» Qu’on ait vu ou non la pièce, en lisant 887, on plonge dans l’intimité de l’artiste par la posture dramaturgique de Lepage. Alors que, normalement, lire le théâtre n’est pas chose facile pour le néophyte, ici, le sujet, les référents et la forme – en plus des illustrations – aident à se plonger dans l’esprit très personnel de la pièce et dans le cœur du texte.
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ÂŤTous mes spectacles, tous mes solos, sont hyper personnels, mais lĂ , câ&#x20AC;&#x2122;est la première fois que jâ&#x20AC;&#x2122;ai le courage de ne pas me dĂŠguiser, mais câ&#x20AC;&#x2122;est aussi parce que la forme de lâ&#x20AC;&#x2122;autofiction mâ&#x20AC;&#x2122;intĂŠressait. Par contre, lâ&#x20AC;&#x2122;autofiction, ça vient avec ĂŠnormĂŠment de prĂŠtention, il est lĂ le danger. Tu dis â&#x20AC;&#x153;ma vie est assez pertinente pour la mettre sur scèneâ&#x20AC;? et moi, ça, jâ&#x20AC;&#x2122;haĂŻs ça. Faut que tu sois autocritique, faut que tu te moques de toi. Tu dois le faire avec humour pour que ça passe, tu dois absolument avoir de lâ&#x20AC;&#x2122;humilitĂŠ.Âť Cela restant tout de mĂŞme un livre de Robert Lepage, on peut tĂŠlĂŠcharger une application qui va avec le livre, nous plongeant dans une rĂŠalitĂŠ augmentĂŠe nous permettant de voir lâ&#x20AC;&#x2122;ĂŠdifice en trois dimensions ou encore de visionner la lecture du manifeste du FLQ. En somme, 887 est un livre autant pour ceux qui veulent se remĂŠmorer ce grand moment de thÊâtre que pour les autres qui dĂŠsirent simplement se plonger dans une quĂŞte sur les mĂŠandres de notre mĂŠmoire. y
887 ROBERT LEPAGE ET STEVE BLANCHET QuĂŠbec AmĂŠrique, 2016, 168 pages
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60 CHRONIQUE VOIR MTL
VO1 #11
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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE
DANS TOUS NOS ÉTATS J’ai connu Luc De Larochellière alors qu’il chantait à ses débuts dans un restaurant du Vieux-Montréal qui s’appelait Le Troquet à Lina. J’étais très jeune, 12 ou 13 ans. Il avait de l’esprit, de la verve, du cynisme à revendre. Au fil des ans, j’ai chanté ses succès, en me les appropriant, en y adhérant toujours. Je n’allais donc pas manquer son tout dernier opus, D’état en état, que j’écoute avec ravissement depuis sa sortie. L’évolution de l’homme est constante et indéniable. Larochellière avance lentement, mais fidèlement, sans sortir du sentier. Après avoir chanté l’amour en duo avec sa conjointe Andrea Lindsay – un autre magnifique album –, il revient avec un recueil de chansons encore plus intimes où il nous parle de ses sentiments, de philosophie, du beau qui l’entoure. Il travaille des semaines, voire des mois, sur chacune des chansons qu’il nous offre. Un véritable travail d’orfèvrerie et de précision. Je suis tombé sur une entrevue radio qu’il a donnée au moment du lancement de son plus récent disque, il y a quelques semaines. Il s’avouait plus zen, moins revendicateur, moins cynique. Il vieillissait. Il ne ramollissait pas pour autant, mais avait une fois de plus mûri. Il n’est plus révolté. C’est très intéressant de pouvoir constater l’évolution d’un artiste, sa transformation au fil de ses expériences, de ses épreuves, de son âge. Je vous parle de ça parce qu’il m’est venu une réflexion en réécoutant ses chansons: toute personne qui prend la parole publiquement, qui partage ses états d’âme, qui se prononce sur un sujet, a une certaine influence. Quelques personnes en ont plus que d’autres, bien entendu – les médias créent des personnalités qui sont devenues nos nouveaux curés. J’en suis peut-être même devenu un. Humblement. Il faut dire que je l’ai quand même cherché.
Tout le monde veut que tout le monde l’aime, mais personne n’aime tout le monde L’année se termine et, comme d’habitude, ce sera bientôt le temps des réjouissances, de la paix, des souhaits de bonheur. Il y avait cette idée, à l’origine, dans l’essence de Noël. Or, justement, par les temps qui courent, à observer les médias et ceux qui s’y prononcent, je me demande si on ne pourrait peutêtre pas plutôt se souhaiter qu’on se calme un peu parfois. Trop souvent, les tribunes médiatiques se transforment en tranchées où on se fusille et se mitraille. Est-ce vraiment l’influence que nous voulons avoir? Il n’est pas question ici de proposer de convertir les médias en apôtres de l’amour infini. Il ne s’agit pas de se mettre des lunettes roses. Les médias constituent le quatrième pouvoir; ils ont la responsabilité d’enquêter, de dénoncer, de donner une voix à ceux qui n’en ont pas et dont on abuse. Et elles sont nombreuses les ignominies qui doivent être dénoncées. Si vous constatez des injustices et que vous ne prenez pas la parole, vous êtes complice. La richesse d’une société vient du choc des pensées. Il serait dommageable pour notre démocratie que l’on pratique la pensée unique, positive, magique, insouciante. Mais prendre la parole ne signifie pas nécessairement dégainer le premier pour tuer son adversaire. Amère America On accepte la plupart du temps les débordements dans les commentaires en se disant que ce n’est qu’une fraction de la population qui est comme ça, qu’il ne faudrait pas y porter trop d’attention. Mais on doit faire face à la triste réalité: il n’y a pas de petite haine.
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61 ARTS VISUELS VOIR MTL
Si vous êtes l’un de ces cardinaux qui bénéficient d’une antenne à titre de chanteur, de journaliste, de chroniqueur ou d’animateur, sachez qu’il s’agit d’un privilège et que vos propos et vos commentaires peuvent avoir une très grande portée. Si vous ne relayez que des messages négatifs, que vous ne faites que chialer, critiquer ou que vous passez votre temps à vous moquer des autres, à les descendre, eh bien, dites-vous que votre influence a des effets graves sur notre société. Le parvis de votre église est rempli de fidèles qui relaient votre message, souvent amplifié, plus dur, plus dangereux. Vous savez qui vous êtes. Vous pouvez facilement vous reconnaître par les commentaires laissés par vos fidèles sur les médias sociaux. Ils sont en grande majorité négatifs, méchants, insultants. Si vous encouragez les débordements et que vous persistez à offrir une tribune aux plus enragés de vos disciples, il est inutile de tenter de vous cacher: vous êtes coupables par votre inaction et votre complicité implicite de relayer un message haineux et de participer au malheur ambiant. Votre influence et votre tribune ne font pas partie de la solution, mais bien du problème.
VO1 #11
Car la vie est si fragile La vie est assez dure comme ça, faut-il vraiment en ajouter une couche? On ne semble pas avoir appris du passé – les pires moments de notre histoire ont toujours été initiés par la haine qui a nourri une foule qui s’est faite de plus en plus grosse, jusqu’à devenir la voix de la majorité. On a ri des débordements de Trump comme certains riaient sûrement d’un petit Autrichien qui avait compris que rien ne sert d’argumenter, qu’il vaut mieux séduire, et frapper. Un mouvement ne se crée pas seul; il est amplifié par les influenceurs. Espérons que les dimanches, à l’abri des ondes, du papier ou des caméras, les cardinaux du malheur et leurs ouailles entonnent tous ensemble le succès d’un chanteur qui a, depuis, beaucoup évolué: Sauvez mon âme. Parce qu’un péché avoué est à moitié pardonné. Gandhi disait: «Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde». Il n’est pas trop tard pour changer. y
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QUOI FAIRE
KAARIS, PHOTO | COURTOISIE OLYMPIA
MUSIQUE
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KAARIS + KALASH CRIMINEL L ’ O LY M P I A – 8 D É C E M B R E
Le rappeur d’origine ivoirienne Kaaris connaît un succès considérable chez nos cousins français. Signé sous Def Jam France, il a récemment fait paraître son troisième album, Okou Gnakouri. Pour son passage à Montréal, il sera accompagné par son collègue d’étiquette, Kalash Criminel, ainsi que par l’improbable phénomène québécois Roi Heenok, qui offrira un DJ set.
MSTRKRFT T H É ÂT R E F A I R M O U N T – 2 D É C E M B R E
Les maîtres torontois du dance punk MSTRKRFT donnent toujours des spectacles endiablés, souvent mémorables. Moins de six mois après la sortie de leur troisième album OPERATOR, qui marquait la fin d’une longue pause de plus de sept ans sur disque, Al-P et Jesse F. Keeler (également de Death From Above 1979) reprennent la route des podiums.
PIERRE FLYNN T H É ÂT R E O U T R E M O N T – 9 D É C E M B R E
Après la sortie de Sur la terre en avril 2015 qui soulignait son retour sur disque, le grand Pierre Flynn a sillonné les routes du Québec pour une cinquantaine de concerts. Pour clore l’année (et sa tournée) en beauté, il revient à la maison pour un dernier spectacle avec ses énergiques musiciens.
PETER HENRY PHILLIPS C E N T R E C U LT U R E L D E V E R D U N – 1 6 D É C E M B R E
Pierre-Philippe Côté, dit Pilou, sortait un premier album solo sous son nom de plume en septembre 2015. Entre folk planant et puissant pop-rock, le musicien et réalisateur promet un concert intense et captivant. >
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PHOTO | BARRY RUSSEL
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PHOTO | JOCELYN MICHEL
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LES COWBOYS FRINGANTS MĂ&#x2030;TROPOLIS â&#x20AC;&#x201C; 28 ET 29 DĂ&#x2030;CEMBRE
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Quoi de mieux que de terminer lâ&#x20AC;&#x2122;annĂŠe de manière festive avec Les Cowboys Fringants? Le groupe, toujours aussi uni, fort et authentique après toutes ces annĂŠes, tirera un trait sur 2016 avec deux concerts pendant les FĂŞtes. Et puisquâ&#x20AC;&#x2122;Octobre, son petit dernier, est disque dâ&#x20AC;&#x2122;or, fĂŞtons!
SAFIA NOLIN â&#x20AC;&#x201C; UN SPECTACLE UNPLUGGED TRISTE POUR NOĂ&#x2039;L C H A P E L L E N O T R E-D A M E-D E-B O N-S E C O U R S â&#x20AC;&#x201C; D U 14 A U 16 D Ă&#x2030; C E M B R E
La RĂŠvĂŠlation de lâ&#x20AC;&#x2122;annĂŠe au dernier Gala de lâ&#x20AC;&#x2122;ADISQ remet ça avec ses derniers spectacles en 2016. Dans les murs de la chapelle, elle fera un concert acoustique sans micro, vraiment ÂŤunpluggedÂť. Dans ce genre de cadre intimiste, la soirĂŠe devrait ĂŞtre magique.
FLATBUSH ZOMBIES Lâ&#x20AC;&#x2122; O LY M P I A â&#x20AC;&#x201C; 6 D Ă&#x2030; C E M B R E
Figure centrale de lâ&#x20AC;&#x2122;explosion hip-hop new-yorkaise du dĂŠbut de la dĂŠcennie, aux cĂ´tĂŠs dâ&#x20AC;&#x2122;Action Bronson, Joey Badass, ASAP Rocky et The Underachievers, le groupe hip-hop brooklynois Flatbush Zombies a lancĂŠ en mars dernier son tout premier album, 3001: A Laced Odyssey. Très ĂŠnergique sur scène, le trio sait comment faire pour galvaniser la foule.
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SOULDIA L I O N D ’ O R – 30 D É C E M B R E
Même si son plus récent album Sacrifice est moins incisif et mordant que son précédent Krime Grave, Souldia n’y va pas avec le dos de la cuillère en spectacle. Intense et unique dans sa livraison vocale, le rappeur limoulois pourra compter sur la présence des rappeurs montréalais Lost et David Lee, nouvelle recrue de l’étiquette Silence d’or.
MONONC’ SERGE ET ANONYMUS C L U B S O D A – 30 D É C E M B R E
Huit ans après Musique barbare, leur deuxième album collaboratif, l’auteurcompositeur-interprète Mononc’ Serge et le groupe métal Anonymus reprennent les routes du Québec avec la tournée Les fêtes en enfer. Après Trois-Rivières, Saguenay et Sherbrooke, ce sera au tour de Montréal de goûter à la médecine des fougueux protagonistes, appuyés par les convives punk-trad de Carotté.
KAYTRANADA
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L ’ O LY M P I A – 10 D É C E M B R E
Phénomène musical de l’année au Québec, le producteur et DJ longueuillois Kaytranada revient en terre conquise pour un spectacle qui tombe à point. Tout juste lauréat du prix Polaris, l’artiste viendra faire état de son énorme talent en mélangeant house, funk, hip-hop, soul, jazz et R&B comme lui seul sait le faire. Plusieurs invités spéciaux sont au programme. >
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PHOTO | LIAM McCRAE
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ANDY SHAUF L E N AT I O N A L â&#x20AC;&#x201C; 9 D Ă&#x2030; C E M B R E
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NommĂŠ sur les plus rĂŠcentes courtes listes du prix de la chanson SOCAN (pour sa chanson The Bearer of Bad News) et du prix Polaris (pour son album The Party), le chanteur et musicien saskatchewanais Andy Shauf, signĂŠ sous Arts & Crafts au Canada, est un mĂŠlodiste de haut vol qui rappelle tantĂ´t Elliott Smith, tantĂ´t Sufjan Stevens.
THE DILLINGER ESCAPE PLAN LES FOUFOUNES Ă&#x2030;LECTRIQUES â&#x20AC;&#x201C; 18 DĂ&#x2030;CEMBRE
Quelques mois après son passage brutal Ă Heavy MontrĂŠal, le groupe mathcore originaire du New Jersey sâ&#x20AC;&#x2122;apprĂŞte Ă livrer son (probable) dernier concert Ă vie Ă MontrĂŠal. Ayant annoncĂŠ sa sĂŠparation en juillet dernier, The Dillinger Escape Plan se permet toutefois une tournĂŠe dâ&#x20AC;&#x2122;adieu, qui devrait se terminer en 2017.
GUSTAFSON T H Ă&#x2030; Ă&#x201A;T R E D E Q U AT â&#x20AC;&#x2122; S O U S â&#x20AC;&#x201C; D U 15 A U 17 D Ă&#x2030; C E M B R E
En plus dâ&#x20AC;&#x2122;ĂŞtre comĂŠdiens, Adrien Bletton et Jean-Philippe Perras sont aussi musiciens au sein du groupe pop-rock Gustafson. Le duo mĂŞlera ses deux amours le temps de trois soirs de concerts thÊâtraux, mis en scène par Sophie Cadieux. >
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PHOTO | MARTIN GIRARD
SCÃ&#x2C6;NE
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AMOUR, ACIDE ET NOIX T H Ã&#x2030; Ã&#x201A;T R E L A C H A P E L L E 12 E T 13 D Ã&#x2030; C E M B R E
Le chorégraphe et professeur Daniel Léveillé souligne les 15 ans de la création de son Å&#x201C;uvre Amour, acide et noix avec deux nouvelles représentations à La Chapelle. Menée par les danseurs Jean-François Déziel, David Kilburn, Ivana Milicevic et Dave St-Pierre, la pièce «offre la nudité comme seule alternative à une lecture du corps, sans fard, ni fausse pudeur». PHOTO | JOHN MORSTAD
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68 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #11
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PHOTO | YVES RENAUD
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POURQUOI TU PLEURESâ&#x20AC;Ś? T H Ă&#x2030; Ă&#x201A;T R E D U N O U V E A U M O N D E â&#x20AC;&#x201C; J U S Q U â&#x20AC;&#x2122; A U 10 D Ă&#x2030; C E M B R E
Pour son quatrième texte de thÊâtre, Christian BĂŠgin se pose des questions sur ÂŤnotre ĂŠtonnante capacitĂŠ de nous cacher Ă nous-mĂŞmes les maux qui empoisonnent notre sociĂŠtĂŠ, notre pays, notre planèteÂť. CĂŠlĂŠbrant son 20e anniversaire, sa troupe Les Ă&#x2030;ternels Pigistes (complĂŠtĂŠe par Pier Paquette, Isabelle Vincent et Marie Charlebois) sera en vedette aux cĂ´tĂŠs de Pierre Curzi.
LA LNI Sâ&#x20AC;&#x2122;ATTAQUE AUX CLASSIQUES E S PA C E L I B R E â&#x20AC;&#x201C; D U 7 A U 2 1 D Ă&#x2030; C E M B R E
Replongeant dans les univers classiques de Shakespeare, Brecht, Tremblay et Tchekhov, les acteurs de la Ligue nationale dâ&#x20AC;&#x2122;improvisation (LNI) rendent hommage Ă lâ&#x20AC;&#x2122;art thÊâtral. Cette fois, le public nâ&#x20AC;&#x2122;est pas appelĂŠ Ă voter, mais bien ÂŤĂ vivre en direct lâ&#x20AC;&#x2122;expĂŠrience vertigineuse des acteurs improvisateursÂť, notamment RĂŠal BossĂŠ, SalomĂŠ Corbo et Anne-Ă&#x2030;lisabeth BossĂŠ.
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70 QUOI FAIRE VOIR MTL
VO1 #11
12 / 2O16
NORGE E S PA C E G O â&#x20AC;&#x201C; J U S Q U â&#x20AC;&#x2122; A U 10 D Ă&#x2030; C E M B R E
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Cette pièce intergĂŠnĂŠrationnelle se concentre sur Kevin, le personnage central, qui dĂŠcide de partir vers la Norvège pour dĂŠcouvrir le secret de sa grand-mère maternelle qui a quittĂŠ la Scandinavie plusieurs dĂŠcennies auparavant. Norge, autofiction du metteur en scène Kevin McCoy, oscille entre les thèmes de lâ&#x20AC;&#x2122;errance, des fantĂ´mes, de la lumière et de lâ&#x20AC;&#x2122;obscuritĂŠ.
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CINÉMA
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ROGUE ONE – A STAR WARS STORY EN SALLE LE 16 DÉCEMBRE
Dans ce préquel à l’épisode 6 de Star Wars (Un nouvel espoir), la criminelle Jyn Erso est recrutée par la Rébellion pour remplir l’une des missions les plus périlleuses de leur histoire: voler les plans de l’Étoile noire. Elle sera aidée par d’autres Rebelles ainsi que des forces non alliées dans cette aventure aux allures suicidaires. >
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PASSENGERS EN SALLE LE 21 DĂ&#x2030;CEMBRE
Un vaisseau colonisateur, lâ&#x20AC;&#x2122;Avalon, entame un long voyage de 120 ans pour rejoindre une planète oĂš doivent sâ&#x20AC;&#x2122;implanter 5259 humains. Alors quâ&#x20AC;&#x2122;il reste encore 90 annĂŠes avant dâ&#x20AC;&#x2122;arriver Ă destination, deux chambres dâ&#x20AC;&#x2122;hybernation sont victimes dâ&#x20AC;&#x2122;une panne. Jim Preston et Aurora Dunn doivent donc vivre ensemble tout le reste de leur vie sur un vaisseau flottant dans le vide sidĂŠral.
VOTEZ BOUGON! EN SALLE LE 16 DĂ&#x2030;CEMBRE
Câ&#x20AC;&#x2122;est le grand retour de la famille Bougon, et cette fois elle prend dâ&#x20AC;&#x2122;assaut le grand ĂŠcran! Pour cette nouvelle aventure, Paul Bougon sâ&#x20AC;&#x2122;attaque au niveau supĂŠrieur de la ÂŤcrosseÂť: la politique. Avec le support de sa douce Rita et de ses charmants enfants Junior et Dolorès, il fondera son propre parti: le PEN, pour Parti de lâ&#x20AC;&#x2122;Ă&#x2030;cĹ&#x201C;urement national.
GOLD EN SALLE LE 25 DĂ&#x2030;CEMBRE
Kenny Wells, un entrepreneur criblĂŠ de problèmes et de malchance, dĂŠcide de faire ĂŠquipe avec le gĂŠologue Michael Acosta dans le but de dĂŠcouvrir de lâ&#x20AC;&#x2122;or quâ&#x20AC;&#x2122;il croit pouvoir dĂŠnicher au plus profond des jungles inexplorĂŠes de lâ&#x20AC;&#x2122;IndonĂŠsie.
ROGER D’ASTOUS E N S A L L E L E 16 D É C E M B R E
Ce biopic retrace la vie de Roger D’Astous, un des plus importants architectes canadiens du 20e siècle. L’homme derrière le Village olympique vécut la vie d’une star dans les années 1960, puis tomba en disgrâce avant de renaître au crépuscule du siècle.
TOTAL CRAP SPÉCIAL NOËL T H É ÂT R E P L A Z A – 17 D É C E M B R E
Les soirées Total Crap, c’est une collection de tout le pire que nous ont donné les petits et grands écrans. Simon Lacroix et Pascal Pilote présenteront ce spécial Noël et promettent qu’il y aura au menu: le père Noël contre les zombies, de la porn de Noël, les tounes les plus affreuses de Noël de tous les temps, un Chuck Norris de Noël, des nains de Noël, des ninjas de Noël et autres… de Noël.
< PHOTO | ÉTAT BRUT
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ARTS VISUELS
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WIM DELVOYE D H C /A R T – J U S Q U ’ A U 19 M A R S
Sept ans après la présentation montréalaise de la «machinesculpture audacieuse» Cloaca No 5, le Belge Wim Delvoye a droit à une «présentation majeure» de l’ensemble de ses sculptures, vidéos et dessins récents. DHC/ART souligne «la stratégie singulière de Delvoye qui consiste à employer la fusion et la torsion pour (…) offrir une nouvelle signification à une variété d’objets, de symboles et d’icônes».
MOI, PETITE MALGACHE-CHINOISE M A I ( M O N T R É A L , A R T S I N T E R C U LT U R E L S ) 9 E T 10 D É C E M B R E
ART DE VIVRE
Surprenant mélange de documentaire et de danse contemporaine, Moi, petite Malgache-Chinoise est une «recomposition subjective» des racines et de l’imaginaire de son auteure Claudia Chan Tak. La démarche de la réalisatrice et interprète montréalaise s’inspire de son récent pèlerinage à Madagascar, là où elle a retrouvé des souvenirs d’enfance. Elle tisse ainsi un conte personnel, «entre le réel et l’onirique».
SOUK@SAT S O C I É T É D E S A R T S T E C H N O L O G I Q U E S [ S AT ] JUSQU’AU 4 DÉCEMBRE
Le Souk réinvestit la Société des arts technologiques pour sa 13e édition, jusqu’au 4 décembre. Différents designers montréalais y présentent leurs créations pour la maison: vêtements, accessoires, déco, bijoux, alimentation, jouets... 100% local, 100% design.
Photo : Shannon Bool
«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»
Eric Godin
teomtl.com
PP 40010891
Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.