Magazine Voir Québec V02 #01 | Janvier 2017

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QUÉBEC VO2 #O1 | JANVIER 2O17 LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ ALBUM DE FINISSANTS MUSIQUE CONTEMPORAINE MARITZA SAMUEL BRETON LA DANSEUSE NELLY JEUNE, CHEF ET PROPRIO

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GABRIELLE SHONK




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O2 O1 QUÉBEC | JANVIER 2017

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DES RUES ROCK’N’ROLL DU RHODE ISLAND À LA VIE INSULAIRE EN PÉRIPHÉRIE DE QUÉBEC, GABRIELLE SHONK A TOUJOURS RÊVÉ DE MUSIQUE. Photo | Maxyme G. Delisle (Consulat) Stylisme | Marianne Dubreuil Maquillage | Léonie Lévesque Assistant | Renaud Lafrenière Merci à Leclubmay et Ruse Boutique

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SCÈNE

Le songe d’une nuit d’été Album de finissants

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MUSIQUE

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CINÉMA

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ART DE VIVRE

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LIVRES

Musique contemporaine Maritza

Nelly La danseuse

Jeune, chef et proprio

Le motel du voyeur Le droit d’être rebelle N’essuie jamais de larmes sans gants

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

Samuel Breton

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p14) Monique Giroux (p30) Normand Baillargeon (p38) Alexandre Taillefer (p52)


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VO2 #O1

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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

APPEL À LA RÉSOLUTION Fin 2016. Mi-décembre. Je lis un bilan d’Influence Communication qui compile, à toutes les fins d’année, les nouvelles, les tendances, les mots-clés qui marquent l’imaginaire médiatique au Québec. C’est une sorte de test sanguin. Ça vous résume tout ce que vous avez consommé comme poison: attentats de Nice, de Bruxelles, les pitbulls, Brexit, Zika et Trump. Trump, surtout, qui prend la tête des nouvelles annuelles. Du jamais vu. De ces fruits cueillis, on distille une grande thématique: l’année 2016 aura été celle de la peur. J’allais écrire à ce sujet. La peur. Je m’en voulais déjà, car je savais que vous n’alliez pas me lire avant le début du mois de janvier et que quelques jours après le Nouvel An, vous bassiner avec la peur, disons que ça ne part pas la rentrée du bon pied. Comment vous souhaiter bonne année avec un truc pareil? Mais bon, les derniers jours de décembre allaient sceller cette thématique pour de bon. Un lundi comme un autre. Ambassadeur de Russie assassiné en Turquie, attentat au camion dans un marché de Noël à Berlin. Vraiment, la peur, elle ne prend pas de vacances. Tant pis pour le réveillon. Il y a toujours quelque chose à briser. Ce qui se brise, petit à petit, maille par maille, face au terrorisme, c’est le tissu social des sociétés occidentales. Le type qui se fait exploser dans un lieu public, qui fonce au volant d’un autobus ou d’un camion dans une foule, il ne vise pas directement les gens qui vont mourir dans tel ou tel endroit. Il crée un choc. L’effet escompté, c’est la fracture, la division et la polarisation. C’est dans ces cicatrices que s’installe le réel danger. À chaque coup d’éclat, on se retrouve de plus en plus divisés, en opposition les uns envers les autres,

de manière toujours plus marquée. Ainsi, le glissement vers l’extrême droite n’est pas, comme on pourrait le penser, un remède contre ces attaques ou une solution qui pourrait les prévenir: c’est précisément le virus que le terrorisme nous injecte à petite dose. Car c’est dans les sociétés fracturées que le terrorisme trouve son compte. C’est le terreau parfait pour faire pousser l’exclusion, l’ostracisme et tout ce qui peut faire en sorte que des groupes de citoyens se sentent exclus. C’est là qu’on cueillera, facilement, les prochains fruits de la haine. À ce titre, l’endroit où la terreur éclate importe peu. On peut tout aussi bien frapper à Nice, à Bruxelles ou à Berlin, la polarisation et le glissement vers les extrêmes pourront se vérifier un peu partout en occident. On frappe en Allemagne, on est blessés à Pointe-aux-Trembles. Les terroristes ont compris ça. S’il faut faire un constat en regardant l’année 2016 dans le rétroviseur, c’est bien celui-ci: le terrorisme nourrit l’extrême droite qui, à chaque attentat, trouve un nouveau prétexte pour recruter des gens en colère qui n’hésitent pas à se mobiliser. Dans ces territoires idéologiques, on ne s’embarrasse pas avec les détails. À quoi bon distinguer un musulman d’un adepte de l’islam radical? Mettons tous les étrangers dans le même sac. Détestons tout le monde également. À l’inverse, ce constat nous oblige à en faire un autre: ceux qu’on pourrait nommer de manière très large les «progressistes» ne parviennent pas à proposer un discours qui pourrait prévenir ce glissement vers la droite extrême. Au contraire, en se contentant le plus souvent de lancer des anathèmes à tous ceux qui n’adhèrent pas à leur vision du


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monde, ils contribuent à creuser les fissures qu’ils prétendent réparer. Là encore, on préfère travailler à la pelle plutôt qu’au scalpel. Au Québec, la mouvance «inclusive» se complaît bien souvent dans la simple opposition à quelques grandes gueules populistes en apposant assez facilement l’étiquette commode du racisme sur quiconque ose émettre un doute sur la possibilité de réconcilier la démocratie et l’islamisme radical. Crier à l’islamophobie suffit la plupart du temps pour clore tout débat, comme si le citoyen lambda n’avait pas quelques bonnes raisons d’avoir peur, justement. S’il faut risquer une résolution pour l’année qui commence, c’est sans doute dans ce jardin un peu mal foutu qu’il faudrait la semer, en espérant récolter quelque chose de bon. Si les progressistes souhaitent contrer la montée de la droite et le populisme ambiant, ils devront proposer un projet qui saura composer avec la peur légitime des citoyens tout en proposant un idéal de réconciliation qui pourra les rassurer. Ce ne sera pas une mince affaire, car une

telle résolution devra passer inévitablement par une critique sévère et rigoureuse du conservatisme religieux. Nous sommes, en quelque sorte, pris au piège entre deux dogmatismes qui s’affrontent: l’orthodoxie de la droite et celle de l’islam radical. Pour nous sortir de cette impasse, ce sont nos propres mythes qu’il faudra remettre en question. C’est sans doute l’exercice le plus difficile. Puis-je quand même vous souhaiter bonne année? Je sais, j’aurais pu vous proposer la course à pied ou un régime minceur comme résolution... Mais serait-ce vraiment plus facile? Dans tous les cas, ce qu’il faut vaincre, d’abord, c’est l’habitude. Il est là, notre pire ennemi. Je vous en souhaite une bonne. Quand même. y sjodoin@voir.ca



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VO2 #O1

CÉLÉBRER LE RÊVE LA SAISON HIVERNALE DU THÉÂTRE DU TRIDENT S’OUVRE SUR UN AUDACIEUX CROISEMENT ENTRE LES ARTS DU CIRQUE ET L’ŒUVRE LA PLUS ÉCLATÉE DE WILLIAM SHAKESPEARE, LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ. mots | Émilie Rioux

photo | stÉphane BouRgeois & hÉlène BouffaRd

Au sein d’une forêt magique, un puissant philtre d’amour commandé par le roi des fées sème la confusion la plus totale dans la romance entre deux couples d’amants, Dimitrius et Héléna, ainsi que Lysandre et Hermia. Célèbre conte shakespearien, Le Songe d’une nuit d’été raconte la rencontre improbable d’une pléiade de personnages légendaires, dans un enchaînement de quiproquos rocambolesques. «La pièce peut sembler très hétéroclite à la première lecture. En la lisant, je me suis dit qu’on ne doit pas se battre contre le foisonnement de la pièce», explique le metteur en scène Olivier Normand, s’attaquant pour la première fois à Shakespeare avec l’intention d’en offrir une relecture hors du commun. «Quand Anne-Marie Olivier m’a proposé de monter la pièce, c’était à condition d’utiliser le texte comme un matériau avec lequel on peut travailler. J’ai une bonne liberté et je pense qu’on doit se la donner. Ce n’est pas une pièce de musée. C’est simplement un langage que j’essaie d’amalgamer avec les autres.» L’originalité et la pertinence de la production résident d’ailleurs dans la présence acrobatique des artistes de Flip FabriQue, mieux connu dans la capitale pour la production circassienne estivale Crépuscule, aussi mise en scène par Olivier Normand. Voie d’accès efficace sur une dimension spectaculaire des arts de la scène, le cirque captive rapidement l’attention du public, créant systématiquement un

rapport très physique au spectacle. Cet aspect très organique en faisait donc un apport de choix pour le metteur en scène, déterminé à surprendre les attentes des spectateurs les plus avertis. Néanmoins, au sein de l’imposante distribution de 14 artistes, les acrobates seront loin d’être un simple agrément. Présents tout au long des cinq actes, ils feront intrinsèquement partie de l’univers onirique et fantaisiste déployé sur scène; tantôt des doubles immatériels des protagonistes, tantôt une véritable incarnation poétique du désir, au cœur de la mythique forêt qui enveloppe Le Songe. Au confluent du rêve Désireux de mettre au premier plan un jeu plus physique, le metteur en scène a fait appel aux services du chorégraphe et interprète Alan Lake. Si ce dernier avoue ne connaître que très peu l’univers théâtral de Shakespeare, le décloisonnement des disciplines artistiques l’intéresse hautement. «J’aspire à une collaboration qui fusionne les arts de façon moins sectionnée. On dissocie trop danse et théâtre: il faut des metteurs en scène audacieux qui vont vouloir collaborer avec des chorégraphes. Le mouvement, le geste, peut être présent tout au long d’une pièce, ça permet d’augmenter le potentiel du texte de la même manière que le texte appuie le mouvement dansé.»

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photos | stÉphane BouRgeois

Les deux créateurs partagent une telle affinité que la création théâtrale, acrobatique et chorégraphique semble se faire dans une perméabilité réelle. Malgré tout, la symbiose entre les arts coexistant sur scène demeure la clé d’une telle production, explique Alan Lake. «Je pense que c’est toujours ça, le défi, quoique les paramètres de la pièce me permettent déjà d’aller plus loin que dans une pièce de théâtre conventionnelle. Olivier a la porte d’entrée du rêve: on peut établir une convention qui permet plus facilement de sauter d’une chose à l’autre. C’est plus facile d’injecter le côté acrobatique et dansé dans l’univers du rêve immatériel; de développer un mouvement qui se détache du quotidien.» Le choré-

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photo | stÉphane BouRgeois

«on dissocie tRop danse et thÉâtRe: il faut des metteuRs en scène audacieux qui vont vouloiR collaBoReR avec des choRÉgRaphes. le mouvement, le geste, peut êtRe pRÉsent tout au long d’une pièce, ça peRmet d’aug menteR le potentiel du texte de la même manièRe que le texte appuie le mouvement dansÉ.» — alan lake

graphe soutient également l’importance de suivre la direction du metteur en scène, courroie de transmission entre les interprètes et les concepteurs du projet, dont fait également partie Josué Beaucage, responsable de la composition musicale omniprésente qui habite le récit. Olivier Normand, quant à lui, se considère davantage comme le capitaine d’une équipe effervescente, soudée par l’interdisciplinarité. «C’est assez clair depuis le début, la manière dont je veux que ça s’influence, l’un et l’autre. Le mélange des disciplines, en répétition, c’est vraiment l’fun. Mais le local de répétition, c’est un vrai bordel! (rires) On est 14. Y a un mât chinois, une fosse de réception, et moi je suis assis dans le mur pour essayer de voir tout ça.» Au carrefour des époques, des disciplines artistiques et des langages scéniques, cette audacieuse production incarne, à sa manière, un tournant pour la scène théâtrale institutionnelle; une ouverture franche à la nouveauté et au choc des idées. y Du 17 janvier au 11 février au Théâtre du Trident



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Bureaux, chaises et micro s’amènent sur la scène du Théâtre Périscope pour Album de finissants, une collaboration entre Pirata Théâtre et Matériaux Composites et une incursion dans le monde de l’école secondaire ponctuée par le son de la cloche. Le flash de faire passer le livre de Mathieu Arsenault à la scène est venu presque au hasard pour la metteure en scène Anne Sophie Rouleau, qui avait en tête de travailler avec les ados depuis un moment. «J’avais vu l’adaptation de Vu d’ici, tirée d’un roman de Mathieu. J’ai découvert une écriture différente, qui brassait la cage. Je suis allée à la biblio, j’ai regardé ce qu’il avait écrit. Je me vois encore debout, entre les rayonnages, avec en tête un bal de finissants avec des guitares électriques!» C’est assise dans un bar, avec son assistante à la création Michelle Parent, que la metteure en scène a obtenu l’accord de l’auteur pour adapter le texte. «Comme je n’écris pas pour la scène, je ne m’occupe pas de l’adaptation. Ça devient autre chose. Le plus important

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Pour sa mise en place, la metteure en scène a passé près de deux ans à observer des ados dans leur milieu naturel. «On a filmé près de 800 jeunes, tout le langage scénographique part d’eux: comment ils s’accotent en deuxième période, en quatrième période, comment ils passent des feuilles...» Malgré son souci de réalisme, Anne Sophie n’a pas perdu de vue l’aspect professionnel de sa discipline et a tenu à ce que l’authenticité des jeunes ne trahisse jamais leur amateurisme: «C’était un défi de mise en scène, comment transformer en force le fait que ce sont des amateurs. Ma crainte, c’était que les spectateurs se disent: “Ah, ils sont cutes!” Je voulais qu’ils se rendent compte que les ados sont là pour vrai, avec leur côté tremblant, un peu baveux par moment.» De leur côté, les cinq acteurs qui tissent le fil de la pièce (Dany Boudreault, Xavier Malo, Joseph Martin, Michelle Parent et Annie Valin) n’interprètent pas des jeunes. Anne Sophie préfère parler de «partition»: «Il y a un côté performance dans le spectacle, on est sur scène et on s’adresse au public. Les acteurs disent des textes au

200 FOIS 16 ANS AVEC SES CHŒURS DE VRAIS ADOLESCENTS, DANS UNE SORTE DE «BAL DE FIN D’ANNÉE AVEC DES GUITARES ÉLECTRIQUES», LA PIÈCE DE THÉÂTRE ALBUM DE FINISSANTS DONNE LA PAROLE À CEUX QU’ON N’AIME PAS TROP ENTENDRE D’HABITUDE. mots | caRoline dÉcoste

photos | maRie-ève foRtieR

pour moi, c’était d’avoir confiance», confie Mathieu Arsenault. «Quand j’ai rencontré Anne Sophie et Michelle, on a passé la soirée à jaser, j’ai vu qu’on avait la même idée. Je leur ai dit qu’elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient de mon texte.» Avec Michelle Parent, Anne Sophie Rouleau a imaginé un spectacle porté par cinq acteurs professionnels soutenus par un chœur de 20 vrais finissants (ceux de Joseph-François-Perreault et du Collège de Champigny, pour cette série de représentations). Au total, ce sont plus de 200 ados qui sont montés sur scène depuis la création de la pièce au Théâtre Denise-Pelletier, il y a presque 3 ans. Même s’ils sont sur scène, les jeunes ne «jouent» pas. «On voulait travailler avec des jeunes qui n’ont pas fait de théâtre, qui n’ont pas d’idée préconçue de ce que c’est, le théâtre. On voulait réfléchir à l’idée d’être là pour vrai, à quelque chose dont ils sont les spécialistes: être assis derrière un bureau! Il y a un rapport très frontal avec le public, ils sont à découvert.»

micro, ils portent une voix et c’est le chœur d’ados que l’on regarde qui nous donne accès au texte et à sa résonnance.» En quatre périodes, comme à l’école, on entendra parler d’amour, de sexe, d’apprentissage, de performance, d’angoisse, bref, de ce qu’est la vie à 16 ans. Comme le résume Anne Sophie Rouleau, «c’est un spectacle à l’image de l’adolescence: on traverse des états, en cinq secondes, on est amoureux, on rit ou on est grave. Il y a un élastique qu’on tire et qui éclate un peu à la fin!» À partir du livre de Mathieu Arsenault, qui n’est pas vraiment un roman, Anne Sophie Rouleau a fait une pièce avec des ados qui n’est pas pour ados. «C’est un spectacle qui met les gens face à leur propre jeunesse. Ça les ébranle, ça les émeut. Les jeunes remettent en question l’apprentissage, ils expriment leurs désirs et leurs joies. Parfois, y a des murs à défaire, des préjugés à déconstruire. Album de finissants, c’est un appel à tout le monde à venir rencontrer des jeunes.» y Album de finissants Du 17 au 21 janvier 2017, au Théâtre Périscope

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MICKAËL BERGERON Roulette Russe

N’IMPORTE QUOI Une personne me disait l’autre jour qu’un animateur vedette de la radio de Québec qu’elle écoute régulièrement s’était mis à parler en ondes de son domaine et qu’il se trompait sur plusieurs affaires. Il balançait des préjugés et des idées reçues comme de grandes vérités. Évidemment, cette personne était offensée et surprise. Pourquoi cet animateur parlait-il d’un sujet qu’il ne connaît pas tant sans vérifier ses informations? Parce que c’est un show de radio et non pas une émission d’information serait la réponse courte, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse dans cette histoire. C’est plutôt l’absence de perspective qui l’entoure. J’ai demandé si, avec cette anecdote, elle allait écouter différemment cet animateur. Après tout, s’il dit n’importe quoi sur ça, pourquoi ne le ferait-il pas sur d’autres sujets? À cette occasion-là, elle se rendait compte du ridicule parce qu’elle connaissait bien le sujet, mais connaît-elle assez les autres sujets discutés en ondes pour savoir si ce qui est dit est fiable? C’est difficile de savoir quand une personne dit n’importe quoi quand on ne connaît pas le sujet. Quelqu’un pourrait facilement me dire des niaiseries sur la mécanique automobile sans que je m’en rende compte parce que je ne connais pas ça. Si cette personne est à mes yeux crédible, je lui fais confiance. Bref, malgré cette histoire, cette personne continue de faire confiance à cet animateur. Cette anecdote est, selon elle, justement, une anecdote, une exception. C’est plus facile faire de confiance à une personne qui nous conforte en général dans nos préjugés et frustrations que de tout remettre en question. On a beau dire qu’on se méfie des vendeurs de chars, on finit souvent par se faire avoir par l’un d’eux quand même. Juste parce qu’ils ont le talent

de nous dire ce qu’on aime entendre, de nous flatter dans le sens du poil, de nous charmer. Et c’est là que repose le talent de plusieurs animateurs vedettes de Québec, de plusieurs politiciens, de plusieurs vendeurs. Ils ont ce don de nous faire croire qu’ils sont crédibles, que nous pouvons leur faire confiance, de nous dire ce que nous voulons entendre, plus encore, de nous faire croire qu’ils sont comme nous. Je le dis souvent, j’ai la chance d’être payé pour apprendre un tas de trucs sur plein de sujets. Je suis un autodidacte sans diplôme, je ne suis spécialiste de rien, mais je suis un professionnel de la culture générale. Et contrairement à ce que plusieurs pensent, je me considère quand même comme inculte. Cette phrase de Socrate me suit depuis mon enfance et refuse de s’en aller: «Je sais que je ne sais rien». Comme Jon Snow (sauf que lui l’ignore). J’ai donc tendance à me méfier de ceux et celles qui disent tout savoir, qui pensent avoir toujours raison, qui se présentent comme des sauveurs. Même envers ceux et celles qui pensent comme moi. Certes, parfois ces personnes me font dire «OK, je ne me trompe peut-être pas», mais je laisse toujours place à cette possibilité que je puisse me tromper. J’ai fait des milliers d’entrevues depuis 15 ans avec des gens de tous les domaines et s’il y a une chose que j’ai apprise, c’est qu’on se trompe tous, qu’on est souvent déconnectés et ignorants. C’est difficile de s’avouer ignorant. C’est vu comme une faiblesse. Pis on aime faire croire que nous sommes forts, comme si la puissance était quelque chose qui existait vraiment. En refusant ses faiblesses, en espérant devenir forts, on se fait passer des sapins, on s’embourbe

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15 dans des raisonnements qui ne tiennent pas. On s’attribue nos rĂŠussites et on rejette nos ĂŠchecs sur les autres. Avouez que c’est complètement con! Combien d’histoires, en littĂŠrature, en cinĂŠma ou en thÊâtre, nous montrent des antagonistes qui s’Êgarent dans le cĂ´tĂŠ obscur parce qu’ils refusent d’avouer leur faiblesse? Leur ignorance? Leur souffrance? C’est un ĂŠnorme clichĂŠ que le mĂŠchant pallie ses faiblesses en voulant conquĂŠrir le monde et en voulant faire souffrir les autres. Chaque fois, il analyse mal la situation, il se trompe de problème, il persĂŠcute les mauvaises personnes, etc. On a tous ce mĂŠchant en nous. On va accuser les autres d’être la source de nos problèmes. On va essayer de contrĂ´ler ce qui nous entoure. On devient cette personne qui, mĂŞme si elle est bien intentionnĂŠe, seconde le mĂŠchant parce qu’il nous promet de mettre fin Ă nos souffrances ou de contrĂ´ler notre vie et mĂŞme le monde. On a envie d’y croire. On a besoin d’y croire.

ÂŤC’EST PLUS FACILE DE FAIRE CONFIANCE Ă€ UNE PERSONNE QUI NOUS CONFORTE EN GÉNÉRAL DANS NOS PRÉJUGÉS ET FRUSTRATIONS QUE DE TOUT REMETTRE EN QUESTION.Âť Alors on partage de fausses informations sans aller plus loin que le titre. On ĂŠcoute des tribuns qui disent n’importe quoi. On vote pour des politiciens qui se disent antiĂŠlites alors qu’ils en font partie et qu’ils prennent des dĂŠcisions qui n’avantagent que celles-ci. Sauf que le contrĂ´le est une illusion. Le monde est un chaos et nous sommes faibles. Ce n’est pas du cynisme, encore moins une manière de dire qu’on ne peut rien changer. Au contraire. C’est un appel Ă une rĂŠvolution. Mettre fin Ă la bullshit. Sans tomber dans la psychopop, c’est lorsqu’on fait semblant qu’on emprisonne nos vraies forces. En plus, entre vous et moi, je trouve que c’est lĂ que rĂŠside la beautĂŠ du monde, dans son anarchie et dans ses failles. y

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LE VŒU DE PROVIDENCE DE LA VILLE DE PROVIDENCE AU RHODE ISLAND AUX PAYSAGES BUCOLIQUES DE L’ÎLE D’ORLÉANS, GABRIELLE SHONK A TOUJOURS RÊVÉ DE MUSIQUE, DE CETTE GRANDE CARRIÈRE QU’UNE MYRIADE DE LABELS SE BOUSCULENT MAINTENANT POUR CHAPEAUTER. MOTS | CATHERINE GENEST

PHOTOS | MAXYME G. DELISLE (CONSULAT)

Elle a complété toutes les étapes – étudié le chant jazz jusqu’au baccalauréat, parfait son instrument, appris le métier à la dure dans les bars, prêté sa voix à Men I Trust, enseigné à d’autres et même (c’est devenu un passage quasi obligé) flirté avec le large public de La Voix. Solide comme peu de musiciens de son âge, Gabrielle Shonk était prête quand l’ouragan Habit est passé, secouant au passage une blogosphère globale qui ignorait tout d’elle, de cette auteure-compositrice qui ne s’était jamais risquée à téléverser une de ses chansons jusque-là. C’était en mai dernier. «J’ai commencé à recevoir des courriels de partout dans le monde, j’étais dans la liste des 50 tounes à écouter au mois de juin sur BuzzFeed, avec Beyoncé et Drake. Je capotais! […] Il y a plein d’affaires un peu inusitées comme ça qui sont arrivées. Des maisons de disques m’ont écrit, et là, ça s’est rendu à Toronto, puis les gens de Montréal ont répondu… Il y a eu un label de Vancouver, d’autres aux States. J’étais toute seule chez nous en train de me dire: “Mais qu’est-ce que je fais avec ça?” C’est malade… Les gens me demandaient “c’est qui ton équipe?”, et là je répondais que, bien, j’en avais pas! C’était un peu paniquant.» Dès lors, il devient impératif pour Gabrielle de bien s’entourer, ce qu’elle fait depuis longtemps, mais en se limitant à ce qui se passe sur la scène, en choisissant finement ses bassistes, guitaristes et batteurs d’un contrat à l’autre. Pour ne pas se jeter dans la gueule du loup, elle trouvera un gérant bien connecté (et à l’identité encore confidentielle à ce

jour) qui l’aidera à magasiner les maisons de disques, rarissime privilège acquis à la sueur de son front. C’est aussi avec lui qu’elle veillera à engager l’avocat adéquat pour décrypter ses contrats, le bookeur avec un bon réseau de contacts pour organiser sa tournée. Un processus voilé de mystères au moment d’écrire ces quelques lignes, une période charnière pour l’artiste qui lorgne un fauteuil confortable dans l’industrie depuis toujours. «Je ne veux pas que l’espèce de buzz meure, mais je veux prendre mon temps parce que j’ai tellement investi, parce que ç’a été tellement long. Je ne pouvais pas prendre le premier [label] du bord et dire: “Fuck off, on sort l’album au plus vite!”» Perfectionniste, bien que retardée par moult heureux imprévus comme La Voix, la chanteuse a mis près de deux ans à enregistrer cet opus initiatique et autoproduit de A à Z avec la complicité du réalisateur Simon Pedneault – guitariste de Louis-Jean Cormier et membre de Who Are You. Dix pièces organiques, mais généreusement orchestrées (notamment avec des cuivres), gardées dans un coffre-fort depuis mars 2016. Une éternité. «Quand on a fini, j’ai envoyé mon album à tous les labels de Montréal et de Québec. Je voulais voir si quelqu’un serait prêt à le prendre en licence et à le sortir, mais je n’ai pas vraiment eu de réponse. […] À un certain moment, tu te butes à des petits moments de découragement, tu te dis que tu as fait ça pour rien et que tu as envie de sacrer tout ça aux poubelles. C’est des montagnes russes!» Dès lors, elle entreprend de sortir le

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DISPONIBLE DÈS MAINTENANT EN LIBRAIRIE ET SUR BOUTIQUE.VOIR.CA


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> disque en septembre, de façon totalement indépendante. Un plan qui sera contrecarré par une attention médiatique jusque-là inégalée, une comparaison avec Alicia Keys (dans un texte publié par Noisey) et un vidéoclip réalisé par son grand ami Dragos Chiriac, qui évoque l’Amérique malfamée, ses racines, une certaine idée de la côte Est des États-Unis. Née pour chanter Enfant de la balle, née d’une rencontre entre une graphiste limouloise et un bluesman new-jersiais encore très actif à Québec, Gabrielle trimballe sa guitare dans les restaurants de la capitale depuis 2009, gagnant sa vie avec les covers. Un monde qu’elle s’apprête à quitter pour se concentrer sur ses compositions bilingues et, forcément, inspirées par ses idoles comme Billie Holiday, Tracy Chapman et les gars de Karkwa. Un bagage culturel bigarré qui teinte son identité artistique. L’attente a été longue, mais c’est parce qu’elle s’est laissé le temps qu’il faut pour mûrir, pour trouver son propre style: du folk chanté avec une voix jazz, la somme de ses forces de parolière impudique et de chanteuse émotivement engagée. «C’est sûr que [mon parcours académique] laisse des traces. Je pense qu’il y a quelque chose dans le phrasé, dans le feeling.

«JE PENSE QUE C’EST LA CHANSON FRANCOPHONE ET LE FOLK QUI M’APPORTENT CE CÔTÉ-LÀ, L’IMPORTANCE ET LA SIGNIFICATION DES MOTS.»

J’ai besoin qu’il y ait des couleurs dans un accord, d’aller chercher des textures. Y a quelque chose de slack un peu avec le jazz, en plus des accents toniques amenés par le swing. Les dynamiques, des moments plus chuchotés ou plus puissants, c’est tellement important aussi. […] Par contre, c’est sûr que les standards ne sont pas beaucoup axés sur le texte… Ça, je pense que c’est la chanson francophone et le folk qui m’apportent ce côté-là, l’importance et la signification des mots.» Gabrielle a toujours voulu être chanteuse, son destin était tracé dans le ciel. «Mon père m’a raconté une histoire tellement drôle de quand j’habitais à Saint-Ferréol-des-Neiges! Il m’a dit qu’un jour, j’étais sortie sur le bord de l’autoroute où on vivait, au milieu de nulle part, avec une pancarte que

je m’étais faite. J’avais 7 ou 8 ans et c’était écrit: “Je me cherche des musiciens pour me partir un band.” C’est vraiment drôle. Moi, j’étais crinquée depuis longtemps.» Le fruit ne tombe jamais bien de l’arbre et la fille de Peter Shonk est sur le point de récolter le fruit de ses propres efforts, de vivre un rêve auquel ses parents ne se sont jamais opposés en lui demandant «de se trouver une vraie job». y

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WALTER BOUDREAU, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


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L’ATTRAIT DE L’INCONNU MUSIQUE MODERNE, MUSIQUE CONTEMPORAINE, MUSIQUE NOUVELLE... PEU IMPORTE COMMENT ON LA NOMME, ELLE EST LOIN D’ÊTRE MORTE. ELLE SE COMPOSE ET SE JOUE TOUJOURS, QUE CE SOIT ICI OU AILLEURS. MAIS QU’EN EST-IL DE LA VITALITÉ DE CETTE FORME DE CRÉATION MUSICALE AU QUÉBEC? PEU CONNUE DU GRAND PUBLIC, ELLE MÉRITE D’ÊTRE EXPLORÉE PLUS AVANT. MOTS | ANTOINE BORDELEAU

La perception traditionnelle du grand public de la musique contemporaine est souvent remplie d’incompréhension, la majorité des gens ayant l’impression fausse que c’est une musique toujours très abstraite et difficile d’approche. Le fait est que, un peu comme pour les termes «rock» ou «jazz», la classification «musique contemporaine» ne veut pas dire grand-chose en elle-même. Alors que certaines pièces présentent des sonorités extrêmement étrangères à nos conceptions occidentales de la musique, il y a de nombreux compositeurs dont les œuvres ne sont pas du tout ardues à écouter. Avant de disserter sur l’état de cette musique en nos terres, un peu d’histoire s’impose, question de bien savoir de quoi il en retourne. Un art de recherche Après que l’époque romantique eut amené les compositeurs aux extrêmes des explorations permises par le système tonal, plusieurs d’entre eux ont cherché à se sortir des balises imposées par les systèmes classiques. On pense notamment à la seconde école de Vienne, composée d’Arnold Schönberg, d’Alban Berg et d’Anton Webern, qui a théorisé le dodécaphonisme, à la musique longtemps perdue et imagée de Charles Ives ou aux magnifiques explorations dans le rythme et les intensités d’Olivier Messiaen. Au sortir de l’Holocauste, les compositeurs se sont rapidement mis à chercher de nouvelles avenues, de

nouvelles techniques pour faire exploser les carcans rigides de la composition de musique savante (terme que l’on utilise pour séparer la musique de type plus «classique» de la musique populaire). Naissent alors de nombreux sous-courants qui seront reconnus comme parties intégrantes de la musique dite contemporaine: le sérialisme intégral (suite logique du dodécaphonisme), la musique concrète (combinant exécution instrumentale et utilisation de bandes préenregistrées et/ou modifiées), l’indétermination (œuvres ouvertes où l’interprète prend une grande part de choix esthétiques; John Cage en est l’emblème avec sa musique laissant place au hasard), le minimalisme (où la répétition, le décalage de phases ou l’addition et la soustraction de motifs forment une grande partie de l’exploration artistique) et le courant spectral (où l’on explore les composantes mêmes du son comme matériel musical, décomposant le spectre sonore et mettant à nu ce qui compose chaque timbre). Il faut donc se sortir de la tête cette idée préconçue de la musique contemporaine selon laquelle elle serait froide, clinique, inappréciable pour les gens qui aiment la musique qui «a du sens». La musique contemporaine est aussi (sinon plus!) riche, variée et sensible que tous les autres courants musicaux existants. Son esprit de recherche l’amène dans nombre de terrains où l’on ne l’y attendrait pas.

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GABRIEL LEDOUX, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

L’offre et la demande C’est précisément ces conceptions erronées de ce qu’est réellement la musique contemporaine qui nuisent d’une certaine façon à sa diffusion. Selon Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), ce n’est clairement pas à cause d’un manque de productions que le public ne s’y connaît pas: «Y a jamais eu autant de compositeurs qui composent. Y a jamais eu autant de concerts, on se pile parfois même sur les pieds. À notre dernière production, il y avait trois concerts simultanés dans trois salles différentes et même une lecture d’œuvres de jeunes compositeurs par l’OSM. Donc, sur le plan de l’offre, c’est incroyable. Le problème est la demande, en dehors d’un milieu très restreint. On dirait qu’on a tellement peur de découvrir quelque chose de neuf, il faut que tout soit formaté.» Ce n’est pas sans lancer une petite pointe du côté des médias, qui ne parlent que très peu de musique savante, qu’il poursuit en développant une seconde idée: celle du soutien de l’État. «Contrairement à la France et au Royaume-Uni, le soutien de la radio d’État ici est complètement disparu. Il faut comprendre que la musique contemporaine, ce n’est

pas une offre de grande consommation; c’est de la recherche et du développement. Il y a beaucoup moins de restaurants fins qu’il y a de McDonald’s, on peut pas faire de grand vin avec de la garnotte. Si Radio-Canada avait diffusé aussi peu de musique savante il y a 50 ans qu’il le fait aujourd’hui, on aurait rien de nos grands compositeurs. La problématique est là: il y a une barrière qui a été créée entre les gens qui font de la recherche musicale et le grand public. Maintenant que les médias ont trop peur pour diffuser des choses nouvelles, le public s’en désintéresse, naturellement.» Comme il le mentionne, il est plus difficile que jamais d’avoir accès à cette musique nouvelle, qui pourtant est foisonnante. Alors que Radio-Canada a fait sa toute dernière commande de musique contemporaine en 2011 (pour le Concerto de l’asile, de Boudreau), la société d’État signait du même coup la fin d’une époque. Effectivement, elle commandait auparavant des œuvres, les enregistrait et les diffusait, ce qui donnait au moins au milieu le sentiment d’être soutenu un tant soit peu. «Le problème, c’est que les décideurs, en haut, ont décidé d’abandonner le navire pour des intérêts purement en lien avec un profit immédiat. Moi, je trouve ça tout bonnement honteux.»

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Revoir ses méthodes Cette situation délicate n’est pas étrangère aux autres courants musicaux et aux formes d’art novatrices en général. Les temps sont durs pour les créateurs, et ceux-ci doivent redoubler d’inventivité pour tirer leur épingle du jeu dans un climat socioculturel qui favorise souvent le prémâché au détriment de l’innovation. Désireux de sortir des sentiers battus et de donner au public l’envie de la découverte, certains ensembles modernes développent donc de nouveaux partenariats afin de s’exposer dans le paysage musical actuel. Raphael Guay, directeur artistique d’EP4 (un ensemble de percussions basé à Québec), explique: «Depuis environ deux ans, ça bouge beaucoup pour la musique nouvelle à Québec. Il y a de plus en plus d’intérêt de la part d’organisations qui ne sont normalement pas du tout impliquées dans la musique contemporaine. Par exemple, on a pu faire un gros événement au Festival OFF en 2015. Avec le soutien de l’ensemble Lunatik et du Pantoum, qui ne donne pas du tout dans le contemporain en temps normal, on a pu présenter Music for 18 Musicians de Steve Reich en concert d’ouverture... Ce n’est

pas rien! Le festival des Nuits psychédéliques de Québec nous a aussi fait confiance deux fois depuis sa création. Ç’a permis aux gens qui aiment les musiques un peu alternatives de découvrir des choses auxquelles ils n’avaient pas nécessairement accès auparavant. Maintenant, ceux qui ont trippé suivent nos activités et se déplacent aux concerts.» Autre pilier important de la musique nouvelle œuvrant dans la Vieille Capitale, l’organisme de production Erreur de type 27 mise quant à lui sur l’exploitation de techniques modernes pour créer un engouement autour de ses concerts. PierreOlivier Roy, qui y tient le rôle de directeur artistique, précise: «Aujourd’hui, la facilité technologique d’intégration de différents médiums qui te permettent de sublimer la musique, de la mettre au centre d’une production mais de l’entourer d’une expérience qui la dépasse, je trouve ça super enthousiasmant. On se sert beaucoup de ces outils-là pour aller répondre à la demande d’un public qui attend maintenant plus d’un concert que la simple musique. C’est comme un DJ, c’est bien rare qu’il ne va pas s’entourer d’un kit de lumières! Il ne faut pas avoir peur d’amener ces éléments-là dans la musique nouvelle.»


PIERRE-OLIVIER ROY, PHOTO | JAY KEARNEY

Composer avec le passé Du côté des jeunes compositeurs, on sent toutefois une certaine insatisfaction. Âgé de 28 ans, Gabriel Ledoux réussit à vivre modestement de la musique. Lorsqu’il s’exprime sur la place laissée à sa génération dans la diffusion de la musique contemporaine, il n’est visiblement pas enthousiaste: «Le problème, c’est que les comités artistiques qui décident de ce qui est diffusé font des choix politiques qui ont une incidence esthétique. Ils vont prendre quelqu’un qui a eu un certain succès et définir que ce qu’il a fait, c’est ça, l’excellence et le “standard” à atteindre, alors que c’est une musique qui, par définition, doit être motivée par la découverte. C’est comme mettre des barrières à quelque chose qui ne devrait pas en avoir.» Cette nouvelle génération de créateurs devra faire preuve d’audace et de résilience pour s’installer comme une force fondamentale dans le paysage lourdement standardisé de la diffusion musicale. L’objectif, désormais, est de recréer chez le public l’envie de découverte. Mais sans le soutien de l’État et des diffuseurs, le défi est de taille. Boudreau l’image: «Si tout ce qu’on te sert partout où tu vas, toute ta vie, c’est de la dinde et des patates pilées, tu ne sauras jamais à quel point tu aurais pu aimer la cuisine raffinée.» y Pour obtenir plus de détails sur les différents courants, les compositeurs et les organismes mentionnés dans cet article, consultez sa version numérique sur voir.ca.


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MARITZA SE LIBÈRE LA CHANTEUSE REVIENT AVEC UN NOUVEL ALBUM PAR LA GRANDE PORTE ET SE LIBÈRE DE SES DÉMONS. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

«C’est un hymne à la liberté», indique d’emblée Maritza à propos de son nouvel album à venir cet hiver. «Il y a l’idée de s’affranchir de son diable personnel ou encore d’un environnement qui est toxique, et puis, il y a une chanson à propos de se libérer d’un quotidien beige.» Libérons-nous arrive cinq ans après un EP folk mélancolique, Dans un autre regard. La chanteuse, que l’on a découverte lors de la toute première édition de Star Académie en 2003, est née en République dominicaine et a grandi à L’AncienneLorette. Après un premier album pop en 2005, elle a pris une pause pour mieux se retrouver et a évolué à son rythme dans le monde de la musique tout en devenant maman en 2013 et en travaillant dans des organismes communautaires ces dernières années. Elle n’était jamais bien loin des planches, collaborant avec Paul Cargnello et José Major, par exemple. En réapparaissant en solo avec un EP en 2012, elle a pu faire la ronde des concours, dont Les Francouvertes et le Festival en chanson de Petite-Vallée. Maritza a aussi fait partie du trio Les Sœurs Becker avec Amylie et Audrey-Michèle Simard et elle évolue toujours au sein de Lisbonne Télégramme, dont le premier album en 2015 a été salué par la critique. La revoilà donc en 2017 avec un nouvel album à elle. Maritza avoue que les années entre le mini-album et Libérons-nous lui a permis de se libérer de certaines craintes personnelles par rapport à sa musique. «Le EP en 2012, je ne l’assumais pas. C’était mes premières chansons et j’étais très critique envers moi. Au final, les réactions ont été positives, ç’a été une belle carte de visite et ça m’a ouvert plein de portes,

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

confie-t-elle. Avec la musique, avant, j’avais besoin que les gens me bottent les fesses pas mal. Avec ce nouveau disque, on n’a pas eu à faire ça. Au contraire, j’étais contente de la façon dont je vivais tout ça.» Au départ, le disque qui arrivera en février devait être un EP de trois titres, qu’elle concoctait avec le batteur José Major, mais la création s’est finalement échelonnée sur trois séances d’enregistrement, en février 2016, puis en avril et en mai dernier. Maritza a fait appel à son public pour financer Libérons-nous. En partageant la page de sociofinancement, elle écrivait: «Dire que j’ai failli ne jamais la faire, par peur de ne pas y arriver, d’être déçue, que le monde me trouve fatigante et plein d’autres mauvaises raisons de ne pas oser!» Il y avait donc encore le doute et les remises en question? «J’étais stressée, tranche-t-elle. J’ai tellement repoussé longtemps la date de départ de la campagne parce que je n’aime pas ça dans la vie demander des choses aux gens. En même temps, j’ai eu un bon exemple que parfois, ça peut être surprenant. J’ai même réussi à dépasser l’objectif qui était fixé!» Inspirée, Maritza a travaillé fort sur cet album qu’elle dit rempli de nuances, sur lequel elle se fait sensible, sensuelle, mais aussi énergique et forte. «C’est ce que j’aime dans la musique, quand c’est pas plat et que ça nous transporte en nous faisant vivre différentes émotions. C’est d’aller dans le doux et jusqu’au très fort. J’aime ça donner dans le un peu plus méchant parfois.»

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Que tout recommence est un exemple de cette force nouvelle qui l’habite. «Pour que tout recommence/Et la vie retrouve son sens/Et que tout recommence/Une autre chance», y chante-t-elle. «J’aimais beaucoup le texte et l’idée, avec cet album-là, d’aller dans du lumineux sans aller dans la morale. Je souhaite que tout le monde puisse s’approprier ce refrain-là. La vie nous donne une autre chance et on repart ça!»

sur album, en show, je m’amuse!», lance-t-elle – et pour rendre sa fille fière. «Elle a trois ans et je trouve ça le fun qu’elle soit présente. Elle est venue me voir en concert deux ou trois fois. J’étais contente de pouvoir partager ça avec elle. Et elle aime ça! Ça me touche quand elle est là. Je veux lui montrer que je fais ce que j’aime et que pour elle aussi ce sera possible.» y

Pour la suite des choses, Maritza est fébrile à l’idée de présenter des concerts, pour que ses chansons s’épanouissent encore plus – «si elles sont figées

Libérons-nous (Ste-4 Musique) Sortie le 24 février


À ÉCOUTER

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★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

NEIL YOUNG PEACE TRAIL (Reprise Records) ★★★ 1/2 «Je ne peux plus m’arrêter de travailler», répète le grand Neil Young sur ce 37e album studio. Mais c’est bon pour l’âme de bosser sur ses idées, convient le septuagénaire. Peace Trail a été produit rapidement et arrive six mois après Earth et un an et demi après The Monsanto Years, deux brûlots plutôt rock. Ici, des cris de guitares résonnent, mais c’est un tour de piste plus acoustique, folk rock avec des touches de country et de reggae. Même si règne toujours cette grande verve contestataire, il y a ce désir de paix d’esprit sur le disque qui lui fait un grand bien. Neil continue sa route et pointe du doigt les injustices envers les peuples autochtones et la technologie, par exemple. Une œuvre qui respire la liberté. (V. Thérien)

PLANT PLANT

ALEJANDRA RIBERA THIS ISLAND

(Smeraldina Rima/DAME)

(Pheromone)

★★★ 1/2

★★★★

SEPULTURA MACHINE MESSIAH

LEPAGE, LUSSIER, QUATUOR BOZZINI CHANTS ET DANSES... WITH STRINGS!

Le duo Plant, c’est un saxophoniste/flûtiste (Jim Denley) et un bassiste (Éric Normand) qui font avec leurs instruments tout ce que ne songerait pas à faire en temps normal le commun des musiciens. Comme disait Gainsbourg: «Ça fait crac, ça fait pschtt.» L’Australien Denley a pratiqué l’improvisation avec, entre de nombreux autres, Derek Bailey, tandis que Normand est l’âme du Grand groupe régional d’improvisation libérée (GGRIL) de Rimouski. Leur rencontre se produit dans un univers bruitiste très richement texturé et ultra dynamique. On a l’impression par moment de traverser l’ambiance industrielle du plateau d’Eraserhead, avec toute l’étrangeté que ça implique, et qui n’est pas désagréable du tout. Le disque vinyle paraît sous étiquette Smeraldina Rima dans une pochette faite à la main par l’artiste belge Marnix Everaert. (R. Beaucage)

Elle était partie vivre à Paris après un long séjour à Montréal pour développer sa carrière prometteuse, mais elle est revenue avec sa voix poignante, ses mélodies attachantes et son carnet de notes rempli d’observations sur la solitude. En 12 jours dans un chalet au bord du lac Ontario, elle a complété ce magnifique album folk avec Bryden Baird (Feist) et Cédric Dind-Lavoie, le contrebassiste montréalais. «Je ne crois pas avoir jamais expérimenté une telle chimie avec aucun autre groupe de musiciens auparavant», affirme-t-elle. On la croit sur parole, car cette île, c’est beaucoup de guitare, du violoncelle, des cuivres et une chanteuse toujours à fleur de peau. Alejandra a choisi entre ses origines l’Écosse et l’Argentine pour faire une suite intemporelle à La Boca, mais que pouvait-elle faire de mieux en 2017? (R. Boncy)

(Nuclear Blast Records)

(Tour de bras/DAME)

★★★ 1/2

★★★★

Le quatuor brésilien ne s’est jamais gêné pour incorporer des influences musicales variées et inattendues à son thrash métal, ce qui a donné plusieurs albums incontournables, dont Chaos A.D. (1993), Roots (1996) et Roorback (2003). Sur son 14e album, Sepultura continue d’exploiter son vaste registre d’influences pour créer des chansons qui accrochent à la première écoute (I Am the Enemy, Sworn Oath, Silent Violence) et des pièces aux multiples facettes qui s’apprivoisent plus lentement. Le meilleur exemple de cela est l’instrumentale Iceberg Dances avec son mélange de sons tribaux, de flamenco, de claviers et de guitares progressives. Machine Messiah est un album dense, varié et inspiré. (C. Fortier)

Après un premier volume paru en vinyle en 1984, puis un deuxième en CD en 1996 lors de la réédition du premier, on revient au vinyle (et CD) avec ce troisième volume des Chants et danses du monde inanimé de Robert M. Lepage et René Lussier. La clarinette du premier et la guitare du second se rencontrent avec la même fraîcheur qu’au premier jour (c’était alors la naissance de ce que l’on appelle maintenant la «musique actuelle»!), dans un mélange d’électrique et d’acoustique où le bruit fraie avec la mélodie. L’ajout du Quatuor Bozzini dans la recette agrandit singulièrement l’univers sonore du duo (écoutez Les 12 chakras du placement boursier). On retrouve avec grand plaisir ces chants sans voix et ces danses arythmiques! (R. Beaucage)


OBTENIR

PLUS

D’ARGENT POUR MULTIPLIER LES CONCERTS?

OUI C’EST POSSIBLE!


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MONIQUE GIROUX SUR MESURE

ILS ÉTAIENT TROIS Ils étaient trois, un auteur, un compositeur et un interprète. Ils avaient des noms bizarres. Melchior, Gaspard et Balthazar. Ils avaient connu au début de leur carrière, bien que brièvement, des jours meilleurs. C’était tout juste après leur victoire dans un concours encourageant la relève. L’un d’eux, le plus vieux des trois, celui qui cultivait l’énergie du désespoir avec force et talent, sans doute par habitude, avec convaincu ses camarades de prendre la route et de partir à la recherche de quoi gagner leur pain, à défaut de succès retentissants. «Allons là où ils sont, nous arriverons bien à nous faire entendre.» Pendant des jours et des nuits, ils avancèrent à pas lents, chargés de leurs instruments, traversant déserts froids de neige, surtout de nuit, montagnes, vallées et vallons, cherchant une cuisine, un balcon, un salon pour chanter quelques chansons en échange, au pire, d’un bout d’aile de poulet et d’un verre de bière. Notre trio de troubadours chantait l’amour, la mort, la liberté et les roses. Leurs chansons rappelaient celles d’Aristide Bruant qui, au début du 20e siècle, avait pour habitude de se nommer systématiquement avant chaque interprétation et de donner le titre de son œuvre. D’une voix nasillarde, il clamait: «D’Aristide Bruant, Nini peau d’chien»… C’était comment dire… particulier. Leurs chansons étaient en somme des chroniques de vie, descriptions d’un quotidien bien morne, d’une histoire de cul camouflée. Et si le public, difficile à conquérir, finalement s’enthousiasmait, c’est bien parce qu’il se reconnaissait dans ces petites «bafouilles» de trois minutes. Dans le dictionnaire des synonymes, force est de constater que la liste comporte un certain nombre d’entrées pas toutes glorieuses: babiole, bourde, fadaise, futilité, rengaine, gazouillis, bagatelle, baliverne, bêtise, beuglante, sottise et fumisterie. On y trouve aussi fort heureusement poème, propos, air, refrain, mélodie, berceuse, ballade, murmure, chant et romance.

En 2025, il y avait bien longtemps que les CD avaient disparu, de toute façon tous les appareils servant à les écouter étaient depuis des lustres passés au pilon de l’obsolescence programmée. Par un phénomène aussi inexpliqué qu’inexplicable, on voyait arriver dans les rayons des magasins de disques, transformés depuis longtemps en boutiques cadeaux de bric et de broc et de livres de recettes, un petit rayon de 33 tours. Sur les pochettes, on avait du mal à lire les titres de chansons, mais on lisait aisément au recto en grosses lettres le poids du disque et sa couleur. Bleu 180 grammes… Un vieux maire de ville de banlieue, qui avait vu sa carrière ruinée par une affaire criminelle trop longue à raconter, avait appris en prison à réparer les tables tournantes. On disait que dehors, les jeunes prenaient goût à ses vieilles platines dont le mécanisme était assez simple finalement. On lève le bras, la table se met à tourner grâce à une courroie, on y dépose une galette et hop! ça joue. Le vieux maire décati qui croyait en la jeunesse espérait faire fortune dans le pick-up. Et il n’était pas bien seul à se lancer dans une telle entreprise. Parmi ses associés rêveurs, un ancien syndicaliste et quelques autres truands de grand chemin dont nous terrons le nom de peur de représailles. Il était devenu depuis si longtemps bien inutile d’enregistrer les chansons qui, de toute façon, se perdraient dans le lot, se feraient voler en paquet et profiteraient à tout le monde sauf à leurs créateurs. Non, il fallait les chanter live. Le public se bâtissait au porte-à-porte. «Bonjour, je suis livreur de chansons. Téléphonezmoi, précisez le nombre d’invités qui prendront place sur votre canapé et j’arriverai dans l’heure avec aussi quelques bouchées et de quoi boire. Tout est compris. Si ce délai n’est pas respecté, la chanson sera gratuite et les bouchées aussi.»

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Un ingénieux faiseur de ritournelles avait eu la bonne idée de distribuer lors de ces soirées, et contre quelques pièces, la partition et le texte. Ainsi, grâce à ce qu’on avait appelé «les petits formats», les admirateurs pouvaient, en rentrant chez eux et avec seulement quelques notions de piano ou de guitare, reprendre le titre à loisir et le répéter sans fin. Nos trois ménestrels allaient donc ainsi de par les routes, non seulement chargés de leurs instruments et de leurs petits formats, mais aussi équipés du souvenir d’un temps passé où inscrire «artiste» dans la case profession du passeport et autres formulaires était encore possible. Un soir en début d’année, après avoir connu une période particulièrement active et festive, alors qu’ils s’apprêtaient à monter le campement, ils virent au loin de par derrière le sommet d’un talus, une lumière exceptionnellement éblouissante. Attirés par l’étoile, ils se rendirent jusqu’à une minimaison écoénergétique, modeste mais confortable. Un bébé naissant hurlait à fendre l’âme, tandis que le père faisait tourner à la main les pales de l’éolienne et que la mère brassait le

compost. Nos chansonniers n’avaient pour seul cadeau que quelques notes jolies et apaisantes. Point d’or, ni d’encens, ni de myrrhe. Juste une chanson. Et c’est là que je me suis réveillée… Qui était donc ce beau bébé-là? Était-il né, le sauveur de la business, le messie du couplet-refrain, le libérateur des créateurs? Vous aurez compris que ces mots ci-haut cités ne sont pas le reflet de ma vision d’avenir. Peut-être est-ce seulement là une mauvaise prophétie inspirée des inquiétudes et de la somme des découragements de mes amis et amies artistes qui, pour un certain nombre, ont évoqué ces derniers temps l’éventualité de quitter la scène pour se recycler en d’autres plaisirs. Je leur dis en ce début d’année que la solution existe et qu’elle n’est pas finale. Je leur dis de ne pas fermer les écoutilles de l’inspiration et de la création. En ce début d’année nouvelle, je souhaite un avenir à la chanson francophone, à ceux et à celles qui l’aiment et à ceux et à celles qui la font. Juste ça: un avenir. y TITRE SUGGÉRÉ LES ROIS MAGES, DE SHEILA



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DÉCLINER NELLY PORTÉ PAR UNE MYLÈNE MACKAY BOULEVERSANTE DE JUSTESSE, CAMPÉ DANS UN MONTRÉAL FAMILIER ET MIS EN SCÈNE AVEC UNE FRANCHE LIBERTÉ, NELLY D’ANNE ÉMOND SE TIENT LOIN DU BIOPIC CLASSIQUE. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

C’est un pari formel audacieux et librement inspiré de la vie d’Isabelle Fortier (nom de naissance de Nelly Arcan), que propose Nelly, troisième film de la réalisatrice originaire de Saint-Roch-des-Aulnaies, Anne Émond. Un long métrage sur une écrivaine et personnalité phare des nuits montréalaises des années 1990 et 2000, que beaucoup attendent avec impatience. Sur cette femme qui a bouleversé le milieu de la littérature avec son premier roman Putain, elle qui avait su trouver un ton approprié et une persona forte dans un monde qui la tenait en joue; ce monde aura finalement eu raison d’elle. Petit rappel dans le temps, Nelly Arcan a mis fin à ses jours par pendaison le 24 septembre 2009, à Montréal. Cette ville qui l’avait accueillie 15 ans plus tôt, fraîchement arrivée de Lac-Mégantic alors qu’elle était jeune étudiante en littérature. Une période que l’on aurait d’ailleurs aussi aimé voir à l’écran pour comprendre l’engrenage et les obsessions naissantes de l’écrivaine, qui a consacré son mémoire de maîtrise au livre de Daniel Paul Schreber Les mémoires d’un névropathe, sur les délires de persécution d’un homme qui a terminé sa vie dans un asile psychiatrique après quelques tentatives de suicide... Dans son film, Anne Émond a fait le choix de décliner l’auteure en quatre mouvements évoquant tantôt sa biographie et tantôt des personnages de ses romans. On retrouve ainsi Nelly (l’écrivaine), Amy (l’amoureuse), Cynthia (la putain) et Marilyn, l’excentrique vedette de la littérature. Un choix scénaristique qui s’est imposé plus naturellement à la réalisatrice. «En préparant le film, nous raconte Anne Émond, j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont été importantes pour Nelly: des anciennes collègues escortes, un éditeur, des ex et des membres

PHOTOS | LES FILMS SÉVILLE

de sa famille. À chaque discussion, un nouveau personnage se dégageait, une nouvelle facette d’Isabelle Fortier se dévoilait. Cela a fortement contribué au scénario, il devenait impossible de raconter une seule Nelly Arcan, sa personnalité était beaucoup trop morcelée, paradoxale et complexe.» Avec une mise en scène dynamique doublée d’un rythme trépidant, le film situe son action dans le Montréal de Nelly; souvent luxuriant et débauché. C’est dans un univers impitoyable que sont enfermées les quatre incarnations de l’écrivaine, toujours victimes et prisonnières du regard de l’autre. L’amoureuse éplorée est incapable de vaincre sa dépendance à un homme qui la maltraite tandis que la prostituée est incapable de briser ce mur de verre entre le monde réel et le fantasme qu’elle incarne. Nelly l’écrivaine a connu ses moments de gloire et de satisfaction que l’on voit bien dans le film, mais on semble vouloir nous faire comprendre que la suite ne fut qu’une pénible tentative de retrouver la fulgurance de son premier roman, Putain. En plus d’une écriture efficace, le scénario compte sur une comédienne qui offre un jeu solide et une incarnation protéiforme à l’écrivaine. «Je me suis préparée comme lorsque je joue au théâtre, nous dit Mylène Mackay. Je viens de ce milieu, et lorsqu’on travaille un rôle, on y va par couches et l’on prend du temps pour définir un personnage. Pour moi, lorsqu’on tournait, ma seule préoccupation était de faire honneur à l’œuvre et à la femme que j’incarnais. C’est la raison pour laquelle je me suis commise entièrement, comme je le fais toujours.»

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ANNE ÉMOND

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On est tellement happĂŠ par le jeu de Mackay, que lors de l’entrevue, on a ressenti une quasi-confusion entre Nelly et la comĂŠdienne. Mais comment se prĂŠpare-t-on Ă incarner l’angoisse dans laquelle se trouvait bien souvent Nelly? ÂŤJ’ai eu beaucoup plus de facilitĂŠ Ă incarner la sĂŠduction, car c’est quelque chose de très clair Ă jouer. J’ai eu beaucoup plus de mal avec ce mal-ĂŞtre et la tension qui ĂŠtait Ă l’œuvre en Nelly. C’est un sentiment qui ĂŠtait difficile Ă comprendre, car je ne le vis pas dans ma vie de tous les jours. Ce qui ĂŠtait important sur le plateau, c’est que je sois assez ouverte pour l’interprĂŠter.Âť Après Nuit #1 et Les ĂŞtres chers, Anne Émond revient avec une autre fiction oĂš elle explore la noirceur et la violence de la psychĂŠ, abordant de nouveau le motif du suicide qui semble devenu chez elle un leitmotiv. Il faut dire que toute l’œuvre de l’Êcrivaine est traversĂŠe par ce sujet, comme une annonce du forfait qu’elle commettra un jour ou l’autre, comme une promesse sombre. Dans le film, ce dernier est prĂŠsent en filigrane, car nous connaissons tous la fin, nous savons tous ce que porte la femme en elle, ce dĂŠsir d’en finir qu’elle a d’ailleurs dĂŠjĂ elle-mĂŞme qualifiĂŠ de ÂŤlibertĂŠ de choixÂť dans

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un texte paru dans le défunt webzine P45. Comme si Nelly y voyait enfin la solution à ce «vertigineux défaut d’existence» qui affuble l’ensemble de ses écrits. Mais ce thème n’est pas du tout envisagé de cette façon par Anne Émond: «Avec le suicide de Nelly Arcan, il y a une fatalité qui m’a pesée sur les épaules et qui m’a rendue profondément triste. Il y avait un mélange de hargne et de peine et je me disais: “Encore une autre qui n’a pas trouvé d’autre option après Hubert Aquin, Dédé Fortin”... Ce suicide m’a confrontée et je me suis demandé si moi aussi j’allais réussir à passer au travers de la vie comme femme, comme artiste... Pour avoir connu le suicide de très près, je suis incapable de le voir comme une liberté.» Avec une proposition puissante et une interprétation de Mylène Mackay qui la confirme parmi les grandes comédiennes de sa génération, Nelly vient une fois de plus démontrer que notre grande aventure collective semble se buter, chaque fois, à l’incapacité de nous projeter plus loin, plus haut. La question du suicide demeure sans réponse, en suspens, seulement un pourquoi qui résonne à jamais entre les silences de la femme, de l’écrivaine, de la putain, de la jeune fille. y En salle le 20 janvier

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36 CINÉMA VOIR QC

VO2 #O1

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«Je ne voulais pas être doublée pour ce film, je voulais le faire à fond», confie d’emblée Soko. «C’est une responsabilité de dingue que de rendre grâce et hommage à une femme aussi puissante, qui a créé tout un monde n’ayant jamais été vu avant.» Comme Loïe Fuller, Soko se donne à 100% dans son art comme dans sa vie. Voilà peut-être pourquoi la réalisatrice Stéphanie Di Giusto a écrit le rôle en pensant à elle. Quant à Soko, la force de Fuller lui rappelle celle de son amie cinéaste. «Stéphanie a rencontré tellement d’obstacles pour faire ce premier film! Trouver le financement, le casting, les gens qui se désistent… Monter un film, c’est un puzzle, il faut dépasser des montagnes. Et elle me disait: “Colline après colline, j’avance”.»

Le film, magnifié par la direction photo de Benoît Debie (qui a notamment travaillé avec Gaspar Noé et Harmony Korine), voit le jour au Festival de Cannes dans la section Un certain regard. Les cinéphiles y découvrent cette danseuse oubliée qui se mouvait sous plusieurs mètres de soie blanche et mettait en place une scénographie aux jeux de lumière travaillés. «Loïe allait complètement à l’encontre de la vague de danse classique de l’époque, ce n’était pas une petite danseuse en tutu», explique Soko avant d’ajouter que le fait qu’elle fut ouvertement lesbienne avait aussi fait partie de sa carrière et de sa liberté. En effet, Loïe Fuller a vécu une histoire d’amour de plusieurs décennies avec le personnage de Gabrielle Bloch, joué par Mélanie

L’ART DE SE DONNER À 100% DEUX MOIS D’ENTRAÎNEMENT, NEUF SEMAINES DE TOURNAGE. C’EST LE TEMPS QU’IL A FALLU À L’ACTRICE SOKO POUR SE METTRE DANS LA PEAU DE LOÏE FULLER, UNE DANSEUSE AMÉRICAINE AVANT-GARDISTE AYANT SECOUÉ LE PARIS DE LA BELLE ÉPOQUE À LA FIN DU 19e SIÈCLE. RENCONTRE AVEC LA TÊTE D’AFFICHE DU FILM LA DANSEUSE, PRÉSENTÉ EN CE DÉBUT D’ANNÉE DANS LES SALLES QUÉBÉCOISES. MOTS | CÉLINE GOBERT

PHOTO | COURTOISIE TVA

Soko a passé plusieurs heures quotidiennes à s’entraîner aux côtés de la chorégraphe new-yorkaise Jody Sperling, fine connaisseuse du travail de Fuller. «Il fallait se dépasser, surpasser le tournis, l’envie de vomir, la peur du vide.» Peu à peu, son corps s’est transformé en corps de danseuse, elle qui s’estime d’ordinaire «maladroite et peu gracieuse». «Là, je devais être féminine, avoir une beauté d’artiste, la faire briller.» Certains matins, elle n’arrivait même plus à enfiler sa culotte tellement son corps souffrait. Tard le soir, elle appelait son ostéopathe au secours, ne pouvant plus bouger la tête. «J’y suis allée pour de vrai, comme n’importe quel danseur qui veut faire ces performances et qui passe par les mêmes douleurs.» La première fois qu’elle a essayé la robe de Fuller, elle s’est mise à pleurer. «C’était hyper émotionnel que de rentrer dans la peau de cette femme, d’aller jusqu’au bout de la performance et de ressentir ce que c’est que de travailler tous les jours pour apprendre cette chorégraphie.»

Thierry. Toutefois, le sujet n’est que vaguement abordé dans le film. La réalisatrice lui a même inventé un amant masculin, Louis (Gaspard Ulliel), qui n’a pas existé dans la vraie vie, ce qui n’a pas manqué de faire grincer des dents certains médias et spectateurs français qui ont taxé le film d’«hétérocentriste». «Ce n’est pas un biopic, se défend Soko. On montre une petite période de sa vie. Oui, elle a passé 30 ans avec cette femme. C’était écrit dans le scénario, après, c’est le choix artistique de la réalisatrice de parler davantage de sa carrière, de sa danse, et d’elle en tant qu’artiste. Elle pensait qu’elle l’exprimait suffisamment justement dans son trouble face à Isadora et Gabrielle.»

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Le personnage, absorbé par son travail et son art, se définit par ses relations aux autres. «Louis, c’est son compagnon, la personne qui lui a permis de créer sa danse, c’est un témoin de son ascension, son partenaire», explique Soko. Quant à sa rivale Isadora Duncan, interprétée par Lily-Rose Depp (fille de Vanessa Paradis et de Johnny Depp), elle traduit l’arrivée de la jeunesse, d’une nouvelle génération. «Il y a un mélange d’admiration, de jalousie, d’amour.» Complexe, Fuller est avant tout une femme en souffrance, qui tire son art de sa douleur. D’ailleurs, le film débute avec la mort du père. «Dans nos vies, il n’y a pas de soleil sans la nuit, il n’y a pas de force sans vulnérabilité, dit Soko. Les personnages que j’incarne ont des hauts et des bas, du noir et du blanc, des zones grises.» L’actrice se retrouve dans le personnage. «J’ai également perdu mon père quand j’étais petite, je n’en serais pas là

aujourd’hui si je n’avais pas eu cette conscience de la mort et le fait de me dire que chaque jour que je vis est peut-être le dernier. J’ai envie de remplir toutes mes journées avec des choses incroyables, partir à l’aventure, apprendre des choses nouvelles, être stimulée par la création.» L’art qui la touche, c’est l’art «vulnérable», «à fleur de peau». «C’est intéressant d’avoir des histoires qui ont plus qu’une couleur», conclut-elle. Pour l’heure, Soko a déserté les plateaux de tournage et se consacre à 100% à son troisième album. «Le cinéma et la musique sont deux choses aussi vitales que manger et dormir pour moi, je ne peux pas les faire en même temps.» y En salle le 6 janvier


38 CHRONIQUE VOIR QC

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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

COMMENT TENIR SES RÉSOLUTIONS Note de la rédaction: Cette rubrique (à brac…) devait être illustrée par un dessinateur qui, hélas, une fois de plus, n’a pas rendu ses planches à temps. Le professeur Burp s’avance, portant son célèbre sarrau blanc. — Chers amis, chères amies, bonjour. Ici le professeur Burp qui vient, encore une fois, vous aider à surmonter les menus tracas de la vie quotidienne. Une coccinelle entre dans le cadre, en souriant d’un air malicieux. — Aujourd’hui, il sera question d’un gros tracas qui revient chaque année: l’art de tenir ses résolutions du Nouvel An. Car on le sait: elles sont si difficiles à tenir que la plupart des gens n’y arrivent pas. Mais grâce aux judicieux conseils de votre ami le professeur Burp, vous les tiendrez. Tout en parlant, il fouille dans les dossiers éparpillés sur sa table de travail, très désordonnée. La fouille s’éternise. Le temps passant, il est de plus en plus gêné et cherche de plus en plus fébrilement. La coccinelle sourit, du même air malicieux. On aperçoit des gouttelettes de sueur qui perlent sur le front du professeur. Il exhibe enfin un dossier et le consulte. — Mon premier conseil est d’une grande importance. Il hésite, avant de lancer: Faites les résolutions les plus vagues possible: de cette manière, quoi qu’il arrive, on ne pourra pas vous accuser de ne pas les avoir tenues!

Il réfléchit, visiblement intrigué... Soudain, son visage s’éclaire et il lance: — Donnons un exemple. Ça tombe toujours à point, un exemple. Sur ces mots, venu de nulle part, un homme vêtu d’une redingote apparaît; une pomme est en train de chuter au-dessus de sa tête. Une voix off déclare: «Tomber à point. Cela fait inévitablement penser à Isaac Newton. Sa vie fut un événement d’une grande gravité.» L’image revient sur le professeur: — Vous ne direz pas: «Cette année, j’arrête de fumer». Ni même: «Cette année je vais diminuer ma consommation de cigarettes». Non. Vous direz plutôt, très habilement: «Je vais cette année revoir ma consommation de cigarettes». De cette façon, quoi qu’il arrive, vous êtes couverts! Habile, hein? La coccinelle sourit de plus en plus et commence même à se plier en deux… — Un deuxième conseil? Allons-y. Une des résolutions les plus courantes, mais aussi les plus difficiles à tenir, concerne l’argent. Faire un budget, s’y tenir, investir là où il le faut: ce sont pourtant des choses indispensables. Le mieux, pour y arriver (il consulte son document…), sera de (il hésite…) dissimuler une part des revenus puis (il hésite encore…) de procéder à de somptueuses et ostentatoires dépenses le moment venu afin de bien se faire voir.

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39 Il hĂŠsite, puis lance, confiant: — Ce qui est en somme un excellent conseil. Isaac Newton revient dans le cadre et lance: ÂŤAucun exemple qui tombe Ă point, cette fois? Ah bon‌ Puis il sort, tandis qu’une pomme tombe au-dessus de sa tĂŞte. Le professeur s’efforce de reprendre sa contenance; y arrive Ă peine. La coccinelle est encore tordue de rire, mais dĂŠsormais en quatre. — Vous voilĂ dĂŠjĂ bien outillĂŠs. Heureusement, d’ailleurs, car le temps file et il nous en reste Ă peine assez pour un tout dernier conseil. De quoi devrais-je vous parler? (Il consulte son dossier) Difficile de choisir‌ Ah, si! Se rĂŠconcilier avec ses ennemis. VoilĂ une belle idĂŠe! VoilĂ une belle rĂŠsolution! Il lit en silence; se passe nerveusement un doigt autour du col de son sarrau; il transpire de plus en plus‌ — Ce qui compte par-dessus tout, c’est de savoir, au moment opportun, c’est-Ă -dire quand cela sera Ă votre avantage, donner Ă vos ennemis l’illusion qu’une alliance avec eux est possible et que vous la souhaitez. Pour cela, vous devriez‌

ÂŤFAITES LES RÉSOLUTIONS LES PLUS VAGUES POSSIBLE: DE CETTE MANIĂˆRE, QUOI QU’IL ARRIVE, ON NE POURRA PAS VOUS ACCUSER DE NE PAS LES AVOIR TENUES!Âť Il s’interrompt. La coccinelle, qui l’a rejoint, pointe du doigt la première page du dossier qu’il est en train de lire. Le professeur est visiblement très mal Ă l’aise. — Mes amis, je me rends compte, un peu confus, que j’ai malencontreusement mĂŠlangĂŠ mon dossier ÂŤTenir ses rĂŠsolutions du Nouvel An avec un dossier prĂŠparĂŠ Ă l’intention d’un parti politique par une firme de relations publiques sur l’art de tenir ses promesses ĂŠlectorales. Mes excuses‌ EmbarrassĂŠ, il sort prĂŠcipitamment. La coccinelle hurle de rire. Puis soudainement, elle se fige et ĂŠclate en sanglots. Newton, qui est rĂŠapparu, lui tend la main; elle s’y blottit; il pleure avec elle. On aperçoit s’Êlevant au ciel une pomme sur laquelle on devine un visage avec de grosses lunettes‌ *** Ă€ la mĂŠmoire d’un gĂŠant appelĂŠ Marcel Gotlib, Ă qui, comme d’innombrables autres, je dois des moments inoubliables. y

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41 GASTRONOMIE VOIR QC

VO2 #O1

JEUNE, CHEF ET PROPRIO POUR DEVENIR ENFIN CHEFS, POUR AUGMENTER LEUR REVENU OU DANS LE BUT DE PASSER À LA TÉLÉ, DE PLUS EN PLUS DE JEUNES CUISINIERS VEULENT AVOIR LEUR PROPRE RESTO. UNE MAUVAISE BONNE IDÉE? MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | DREAMSTIME.COM

«Quand je demande à mes étudiants combien veulent ouvrir leur restaurant, ils sont 100 sur 105 à lever la main. Et quand je leur demande quand ils pensent se lancer, ils me répondent “le plus tôt possible”...» Pour Julie Faucher, professeure en gestion et culture culinaire à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), la tendance est bien visible: si posséder son propre resto est un rêve pour la plupart des cuisiniers, ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l’aventure, et de plus en plus tôt. Pourquoi cette envie de devenir chef proprio? Selon Samuel Pinard, qui tient les rênes et la cuisine de sa Salle à Manger, ouvert depuis 2008 à Montréal, cette tendance est due notamment aux bas salaires des employés dans la restauration. «Je faisais plus quand j’étais dans la construction», s’est déjà fait dire le boss. «Mais quel choix on a? Soit tu coupes sur les salaires, soit tu coupes sur la qualité des produits, explique Samuel. Chaque fois que je cherche un sous-chef, je ne peux pas le payer comme il le voudrait…» Il y a aussi l’attrait exercé par la célébrité fantasmée des chefs restaurateurs. «Depuis cinq ans, la médiatisation de certains chefs vedettes a un effet amplifiant», acquiesce Julie Faucher. Elle le voit bien dans les lettres de motivation qu’elle reçoit des gens qui veulent intégrer l’ITHQ: «Ils veulent être célèbres, passer à la télé…» Ces dernières années, les chefs sont devenus des superstars et le métier est devenu glamour. Cette médiatisation des restaurateurs permet certes une valorisation du métier, mais envoie une image tronquée de la réalité.

«C’est ça que veulent les jeunes maintenant: faire de la télé, jardiner pour leur cuisine, participer à des événements culinaires internationaux… car c’est le miroir que renvoient les médias, indique Samuel. Mais quand les jeunes voient Chuck Hughes, ils ne savent pas comme il a galéré avant pour y arriver. C’est du stress à vie ce métier… C’est pas facile!» 15% des restos survivent sur 10 ans Cette tendance, c’est aussi la faute au peu d’avancement des carrières des employés en restauration. «Les jeunes lancent leur entreprise, car ils n’ont pas d’autre potentiel d’évolution. Je choisis mon personnel au sortir de l’école et je les forme moimême, mais au bout d’un moment, comme ils ne peuvent pas tous devenir chef ou sous-chef parce que la place est déjà prise, ils partent.» Un choix que Samuel comprend cependant; lui-même a quitté les cuisines du Toqué! notamment parce qu’il ne pouvait pas évoluer beaucoup plus en restant là. Un phénomène qui entraîne un roulement des équipes – un peu trop? – régulier… À la Salle à Manger, aucun des employés présents à la création du resto en 2008 n’y est encore aujourd’hui: «Ils partent en général au bout de quatre ans», indique Samuel. Même chose au Pastaga de Martin Juneau, où l’équipe a déjà changé trois fois depuis l’ouverture. Selon le chef de la Salle à Manger, il y a trop de restos, beaucoup de chefs, et pas assez d’employés pour les soutenir: «T’as beau être un super chef, si t’as pas d’équipe, t’as pas de resto! Tu mets pas Sidney Crosby sans aucun joueur sur la ligne…»

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Mais le chef ne jette pas pour autant la pierre à la relève: «Aujourd’hui, les nouvelles générations en veulent plus, mais ils ont aussi besoin de plus qu’avant pour vivre. C’est une autre réalité. Ils sont nés avec plus d’accessibilité, ils savent comment ça se passe ailleurs, combien les gens gagnent, ça communique plus… Ils veulent travailler, avoir des sous et aussi du temps pour eux. Et je les comprends! Mais c’est pas comme ça que ça se passe dans le milieu.» Un milieu loin d’être idéal pour un restaurateur débutant: sur 100 restos au Québec, seuls 15 seront encore ouverts dans 10 ans. Et si on entend souvent dire que les Québécois vont tout le temps au resto, «c’est un mythe», assure François Meunier, vice-président de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ). «Au Canada, le Québec est à la 6e position sur 10 en matière de revenu disponible des ménages…» «Avoir toutes les compétences, pas juste en cuisine» Les jeunes restaurateurs vont en majorité préférer des établissements plus petits et plus modestes, facilitant l’accès à l’entrepreneuriat. Le problème, c’est que ça n’aide pas à se démarquer. «Trop de restos offrent trop la même chose, constate François Meunier. Par exemple, on fait trop de service à table, alors que le marché est au service au comptoir ou de livraison.» Dans un contexte où ouvrir un nouveau restaurant demande en moyenne 1,2 million de dollars d’aménagements, les jeunes chefs proprios mettent la main à la pâte aussi bien dans les rénovations que la déco, pour limiter les coûts. Obtenir un financement des banques reste difficile, et 95% des restaurants indépendants ont une structure financière fragile basée sur des prêts familiaux ou des hypothèques… La restauration est ainsi le domaine au Canada où il y a le taux de faillite le plus important – et le Québec est le champion des provinces. «Une erreur, un mauvais calcul et c’est la faillite. C’est très subtil, ça se joue à rien», assure Julie Faucher, qui souligne que la marge de profit d’un resto est en moyenne de 2%, 4,5% pour les chaînes. «Aujourd’hui, on est dans l’instantanéité, tout le monde veut accéder à l’entrepreneuriat, et on veut aller trop vite», regrette le vice-président de l’ARQ. «Quand on se lance en restauration, il faut avoir toutes les compétences. Pas juste en cuisine, mais aussi en gestion et en affaires.» C’est là le nerf de la guerre: la plupart de ces jeunes loups des restos «ne savent pas, n’aiment pas, ne veulent pas compter», confie Julie Faucher, qui fait aussi de la consultation individuelle auprès de restaurateurs. Quand on vient la voir avec un «super plan de resto» et qu’elle demande combien ça coûte, on lui

répond 9 fois sur 10: «Ça n’a pas d’importance, ça va être bon!» Et quand elle parle des taux de faillite: «Mais avec moi ça sera pas pareil.» Oui, elle a aussi enseigné à des Martin Picard ou Charles-Antoine Crête, mais «ça, c’était des élèves qui travaillaient dur, vraiment dur…» «C’est un métier de passion. Les jeunes arrivent pleins de rêves, avec la tête dans les nuages, raconte l’enseignante. Je pensais qu’une année suffirait à les ramener sur terre, mais non; cette sorte d’inconscience persiste jusque chez certains finissants. C’est sûr, on est plus téméraire à 25 ans qu’à 40, mais je vois encore des cinquantenaires en affaires qui n’arrivent pas à générer du bénéfice, car ils ne maîtrisent pas leurs chiffres…» Et tandis que les nouveaux restos éphémères

«T’AS BEAU ÊTRE UN SUPER CHEF, SI T’AS PAS D’ÉQUIPE, T’AS PAS DE RESTO! TU METS PAS SIDNEY CROSBY SANS AUCUN JOUEUR SUR LA LIGNE…» pullulent, les vieux établissements plus stables ne trouvent pas toujours de repreneurs. Bernard Cazes, ancien copropriétaire du Mistral, à Québec, a vu à regret son établissement fermer après 16 ans de succès. «On voulait que ce soit repris par des jeunes. J’étais même prêt à rester deux ou trois ans avec eux pour les aider, raconte le restaurateur. J’avais un resto tout prêt, avec la publicité, le nom établi, les cinq étoiles sur TripAdvisor. Tout était prêt, c’était facile. Personne ne voulait qu’on parte; le proprio nous renouvelait le bail tous les six mois pour nous aider, et les clients ont pleuré quand on a fermé...» Pour autant, Bernard n’accuse pas les jeunes: «C’est pas de leur faute, c’est pas de la mauvaise volonté, mais on les aide pas. Au début du resto, je me suis retroussé les manches, et j’ai travaillé deux, trois mois sans salaire. Mais qui est

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JUAN LOPEZ, PHOTO | MICKAËL BANDASSAK

prêt à faire ça aujourd’hui? C’est pas un milieu qui donne envie, alors pourquoi les jeunes iraient làdedans? Mais je suis un passionné; ça me reprend dès que j’entre dans un resto…» Combler le manque d’expérience Malgré la passion, difficile de s’accrocher au milieu de toute cette concurrence. «On forme trop de gens, et peu restent dans le milieu au final», note Samuel, qui est également professeur-formateur à la Pearson School of Culinary Art. «Parmi mes étudiants, 5 sur 20 seront encore dans la restauration dans cinq ans...» Alors, comment faire pour éviter d’aller dans le mur avec un nouveau restaurant? Julie Faucher a réfléchi à la question: pour elle, il faudrait commencer par exiger un minimum de certification. «Restaurateur est encore considéré comme un métier facile, on pense qu’on peut ouvrir un resto sans qualifications…» Elle suggère aussi de mieux travailler sur la répartition des pourboires, et d’augmenter les salaires pour garder les jeunes – «jusqu’à 10%, ça serait acceptable; Montréal est une des villes en Amérique du Nord où l’on mange le mieux au prix le plus bas, on peut donc jouer un peu là-dessus». Enfin, il y a les bourses des grandes entreprises, qui sont mal distribuées et peu demandées, regrette l’enseignante: «Il y a trop d’exigences pour les candidats, et les étudiants ne font pas beaucoup de dossiers… Résultat: on en

laisse chaque année sur la table.» Ces bourses pourraient donc être utilisées pour aider la relève et permettre à des restaurateurs qui se retirent de passer le relais, par exemple sous forme de soutien financier au repreneur pendant six mois… Et tous, professeurs et restaurateurs, s’entendent pour dire que les jeunes cuisiniers doivent combler leur manque d’expérience avant d’ouvrir leur propre établissement. «Une erreur faite chez quelqu’un d’autre coûte moins cher qu’une erreur faite dans le restaurant dont on est propriétaire», souligne François Meunier, de l’ARQ. «J’encourage tous les jeunes qui veulent se lancer à le faire, mais à y aller à fond. Voyez le maximum de restos avant de vous lancer», conseille Samuel Pinard, qui a fait son expertise en Europe et aux Îles-de-la-Madeleine avant de revenir à Montréal. Le chef de la Salle à Manger aborde aussi la question des critiques culinaires, qui selon lui ne laissent pas assez le temps de démarrer aux nouveaux restos avant d’aller y faire un tour… et peut-être de publier ensuite un article assassin. «Tout le monde est tout le temps aux aguets des nouveautés, mais on oublie les vieux qui sont bons… En dix ans, je n’ai vu passer que deux critiques de L’Express, par exemple.» Bref, rien n’est jamais gagné d’avance. La recette du succès d’un resto, un mystère? «Totalement», répond Samuel, avec une cuillerée de cynisme. «Faut mieux ouvrir un IGA!» y


44 LIVRES voir qc

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LE MOTEL DU VOYEUR MOTS | FRANCO NUOVO

Par où commencer? La fin? Le début? Je me pose même la question: pourquoi me suis-je lancé dans la lecture de cet ouvrage qu’on présente comme une enquête, mais qui se veut davantage un échange «épistolaire» entre un auteur, considéré comme le fondateur du nouveau journalisme, et un voyeur, un vrai, qui regarde ses contemporains baiser en invoquant toutes sortes de prétextes? En fait, je voulais d’abord lire de ce même auteur, Gay Talese, dont m’avait parlé ma collègue Karine Lefebvre, Sinatra a un rhume. Je trouvais le sujet amusant: le crooner des crooners souffrant d’un rhume d’homme et la terre entière s’arrête de tourner… Or, la librairie en bas de la Grande Tour n’avait pas le bouquin dans ses rayons. En attendant qu’il arrive, je me suis donc aventuré dans les couloirs et le grenier de ce motel, propriété d’un être hors de l’ordinaire qui prend un plaisir avoué à regarder zigonner, forniquer, se branler et même s’aimer les clients de son établissement à travers une grille surplombant les chambres. Et si cette histoire est vraie, ce mateur a sévi non pas quelques années, mais pendant des décennies. Je m’étonne un peu d’ailleurs que Talese, qui a écrit dans les plus grandes publications américaines sur tant de personnalités, se soit laissé happer par ce récit. En fait, je crois que ce reporter qui s’est mis un jour à parler au «Je» en appliquant des techniques de fiction à ses enquêtes s’est laissé hameçonner par la démarche de Gerald Foos – le pervers qui ne veut pas être qualifié de la sorte. D’ailleurs, n’est-il pas écrit en grosses lettres en page couverture de ce bouquin: Une enquête de Gay Talese? Une enquête, pas une fiction. Comment tout cela est-il arrivé? En 1980, Talese a reçu une lettre anonyme d’un citoyen du Colorado, propriétaire d’un motel, qui lui confessait être un voyeur. L’homme lui racontait qu’après avoir découpé

avec la complicité de son épouse des trappes rectangulaires dans le plafond des chambres, il a épié sa clientèle durant des années en notant tous leurs ébats dans les moindres détails. Il y prétextait, grâce à ses méthodes, être devenu le témoin de son époque, une espèce de Master and Johnson pour paumés. Talese, intrigué, mais pour qui il est hors de question d’écrire quoi que ce soit sans nommer sa source, a accepté d’aller rencontrer Foos dans son antre après avoir signé un document de confidentialité. Une fois à Denver, Foos l’a entraîné dans son labyrinthe pour lui prouver qu’il n’avait rien inventé. Talese a vu ce qu’il devait voir et est reparti chez lui.

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Toutefois, l’histoire était loin d’être terminée puisque pendant des années, Gerald Foos a écrit des pages de son journal décrivant des scènes, les commentant, les mettant en contexte et les a fait parvenir à Talese. Et puis un jour, il y a quelques années, Foos, devenu vieux, n’étant plus propriétaire du motel, réalisant qu’il vivait désormais chez Big Brother où tout le monde est devenu un voyeur, a autorisé Talese, qui n’était jamais retourné à Denver, à raconter son histoire et à donner son nom. Franchement, tant qu’on garde en tête qu’il s’agit d’une histoire vraie, Le motel du voyeur reste un curieux bouquin. Parce que le personnage est étrange, parce qu’il est dépravé même s’il ne s’avoue pas pervers, parce que malgré le sujet et la dissection des scènes, malgré les détails, il n’y a dans ce bouquin aucune forme d’érotisme alors que c’est sur un supposé érotisme que repose cette histoire. Alors, ou Talese ne sait pas décrire la sensualité et même la volupté quand elle se présente, ou bien il refuse de tomber dans le piège pornographique. J’opte pour la seconde thèse.

Même si par moment, on peut se croire en plein roman, même si les personnages peuvent sembler chimériques, même si l’écriture de Talese baigne dans un esthétisme recherché, il refuse de toute évidence de rendre attrayante la démarche de son voyeur. Il aurait été facile d’en faire un héros. Facile aussi de le transformer en victime d’autant plus que c’est toute sa vie que l’on découvre, de son enfance à son âge avancé. Non, Gerald Foos n’est qu’un humain: un homme quelque peu tordu comme il y en a des millions, voyeurs, dont 90% sont des mâles et 10% seulement des femmes, mais un être somme toute pitoyable. J’avoue, cet ouvrage m’a laissé un petit goût amer. Peut-être parce que je n’y ai pas trouvé le cul divertissant que j’attendais ou peut-être seulement parce qu’il révèle le tragique d’une nature par trop humaine. y

LE MOTEL DU VOYEUR: UNE ENQUÊTE DE GAY TALESE Éditions du sous-sol, 2016, 256 pages


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LE DROIT D’ÊTRE REBELLE: CORRESPONDANCES DE MARCELLE FERRON AVEC JACQUES, MADELEINE, PAUL ET THÉRÈSE FERRON BABALOU HAMELIN Éditions du Boréal, 2016, 632 pages Il y a de ces familles dont le Québec n’aurait simplement pas pu se passer, et les Ferron sont assurément l’une d’entre elles. Marcelle la peintre, Jacques l’écrivain et médecin, Madeleine la romancière, Thérèse la journaliste et Paul, aussi médecin, sont autant de plumes acerbes et vives qui nous donnent à lire le Québec du 20e siècle. Les Éditions du Boréal, par le travail de Babalou Hamelin – fille de Marcelle Ferron –, réunissent ici 500 lettres écrites entre 1944 et 1985 qui montrent la pertinence du regard tantôt social tantôt intime que ce clan de Louiseville porte sur le Québec d’après-guerre. Hamelin tente de créer par l’assemblage de ces lettres un réel roman épistolaire, et c’est ce qu’elle nous offre avec Le droit d’être rebelle, un livre aussi essentiel que fascinant sur une famille qui a su marquer son époque. L’effervescence qui émane de cette correspondance est tout simplement galvanisante. À travers ces lettres, une famille se crée sous nos yeux, une idée de l’importance de l’art naît, et une façon d’intellectualiser le Québec voit le jour. D’une lettre à l’autre, se promenant entre Paris, Londres, Saint-Joseph-de-Beauce, Montréal, Clamart, Saint-Alexis-des-Monts et bien d’autres lieux, on entre dans une intimité qui peut être parfois banale, mais qui parvient à rester intéressante sans jamais tomber dans le voyeurisme. On y parle de musique, de théâtre, de littérature et surtout de la fonction du créateur et de son rôle social. Au détour de ces lettres qui dessinent habilement un monde qui soudainement s’ouvre à eux, on nous donne le goût de nous plonger dans les écrits de Virginia Woolf et d’Elsa Morante, ou dans les correspondances de Gorki et de Makarenko. Au fil des pages, on s’amourache de Cornichon, de Merle, de Béber, de Poussière, de Blondinette et de tant d’autres qui peuplent ce livre. Cette correspondance, bien que marquée par la mort et la tragédie, a quelque chose de foncièrement lumineux, quelque chose comme un désir de voir grand et sans ornières. Ici, la langue est maître et s’élève au rythme des échanges et des argumentations, elle s’installe comme le réel point d’ancrage de cette famille qui, par le besoin d’échanger, laisse derrière elle peut-être l’une des correspondances québécoises les plus jouissives qui nous est donnée de lire. (Jérémy Laniel) y


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Sur les rayons

N’ESSUIE JAMAIS DE LARMES SANS GANTS JONAS GARDELL Les éditions Gaïa, 2016, 592 pages Rasmus grandit dans l’arrière-pays suédois, en plein cœur des années 1970, au sein d’une famille aimante. À 19 ans, il quittera son petit patelin pour Stockholm, laissant derrière lui une famille qui n’a rien vu des coups qu’on lui portait ni rien entendu des insultes qu’on lui criait; il se dirige vers le cœur du pays en plein battement des années 1980, «le cœur battant et les bagages bourrés d’humiliations, avec en bandoulière une enfance qu’il va s’acharner à oublier». N’essuie jamais de larmes sans gants de l’écrivain suédois Jonas Gardell est le récit de Rasmus, qui part pour la capitale question de vivre sa vie comme il l’entend, l’histoire de Benjamin, un témoin de Jéhovah qui devra tout abandonner par amour, le portrait d’une Suède aux prises avec un vieux fond de conservatisme et l’impuissance de tous devant une pandémie qui marquera sombrement notre entrée dans le 21e siècle. Arrivé à Stockholm, Rasmus se met rapidement au parfum des us et coutumes de la communauté homosexuelle de la capitale. Lors de ses sorties nocturnes, il rencontrera Paul qui, de manière informelle, lui présentera sa nouvelle famille. Il y aura Bengt qui brûle déjà les planches de l’École nationale de théâtre, Reine qui tombe en amour comme d’autres tombent à vélo – toujours en se pétant la gueule. Il y a aussi Seppo le Finnois et son copain Lars-Åke, l’un des premiers réduits par la maladie. Et il y aura surtout Benjamin, ce témoin de Jéhovah qu’il rencontre un soir de Noël chez Paul. Benjamin qui devra rapidement choisir entre sa famille, sa congrégation et sa foi ou la personne qu’il est vraiment, cet homosexuel qui n’a malheureusement aucune place auprès du seigneur selon les écrits saints. Avec habileté, Jonas Gardell tisse un portrait social d’une Suède dont les mœurs sont en lente transformation. En parallèle, la communauté homosexuelle et les balbutiements de la pandémie du sida, qu’on sait alors à peine nommer, sont dépeints avec une vérité stupéfiante qui rend le tout fascinant. Ce livre qui aurait pu s’intituler Chronique d’une mort annoncée se joue du drame avec brio, la mort n’étant jamais finalité ou surprise, mais devenant plutôt un personnage avec lequel les lecteurs «s’étaient invités à danser et avaient maladroitement commencé à tournoyer. Au bord d’un précipice». Gardell signe ici l’un des grands livres de la dernière année. (Jérémy Laniel) y


«ÇA ABORDE LA PERTE D’UN LIEU IDENTITAIRE. C’EST SÛR QUE C’EST POLITIQUE, MAIS JE NE VAIS PAS COGNER SUR UN CLOU AVEC UN MARTEAU.»


49 ARTS VISUELS VOIR QC

VO2 #O1

LAISSER UNE TRACE LE CENTRE DUROCHER EST UN SYMBOLE, UN OBJET DE QUERELLES ET, ACCESSOIREMENT, LE SUJET DES PLUS RÉCENTES ŒUVRES DE SAMUEL BRETON. MOTS | CATHERINE GENEST

Condamné, le Centre Duroucher croule lentement sous les bulldozers. Une agonie interminable, une situation délicate qui soulève les passions, une certaine révolte chez moult Basse-Vilains. L’avenir du 680 Raoul-Jobin est incertain et les groupes d’actions citoyennes s’inquiètent d’y voir pousser des condos, ce qui serait le comble d’une gentrification déjà amorcé dans le quartier, une démolition de plus dans ce quartier au patrimoine sous-estimé bien qu’immortalisé par Lemelin avec ses Plouffe. Comme pour survivre à l’oubli, marquer encore davantage l’imaginaire collectif, l’édifice Art déco sera au cœur de la prochaine exposition de Samuel Breton: St-Centre, Sauveur Durocher. «Ça aborde la perte d’un lieu identitaire. C’est sûr que c’est politique, mais je ne vais pas cogner sur un clou avec un marteau. Ce ne sera pas un gros statement politique pour dire [aux dirigeants municipaux] à quel point ils ont tort de le détruire. Moi, mon souhait, c’est de créer quelque chose qui le sublime de façon poétique. Après, on verra comment ce sera interprété.» Nourri par l’architecture, une source d’inspiration récurrente dans son travail, le dessinateur révélait le meilleur de lui-même avec Le Géant de l’AngloPulp il y a un an et demi à la Bande Vidéo. La pierre angulaire de son catalogue. L’identité, ce qui est typiquement québécois ou générationnel, est un thème cher pour ce membre de Canadian Bacon qui effleurait aussi une certaine idée du magasinage avec K-Way Papillon (aussi de 2015) et Eskimo de Sorel – une référence à la botte homonyme. «Ce sont des marques identitaires.

PHOTO | SAMUEL BRETON

C’est ce que j’expliquais aux gens au Symposium de Baie-Saint-Paul, cet été: je travaille avec l’objet identitaire. Le K-Way, pour les gens de mon âge, c’est le coupe-vent que tout le monde possédait. C’est même dans 1981 de Ricardo Trogi!» On le devine: la nordicité et le cinéma teintent aussi sa production déjà riche en références. Avec sa série Ouchanka, il présentait la vidéo d’animation Mon oncle Antoine Breton, un clin d’œil à Claude Jutra juxtaposé au chapeau folklorique du pays de Poutine. Un dialogue entre passé et présent, un collage en osmose avec son époque, le mouvement post-internet. «On est une génération qui est surconsciente de tout ce qui s’est fait avant nous. C’est super récent dans l’histoire humaine d’avoir autant d’archives, et là, on n’est plus capables d’en faire abstraction. Tout ce visuel nous construit.»

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> À main levée Samuel Breton est un illustrateur de haute voltige qui n’efface jamais, qui couche tout dans le même carnet de croquis qu’il reproduit et revend ensuite à compte d’auteur. «J’y vais à l’encre parce qu’il ne faut pas que ce soit trop droit. Mon Centre Durocher est croche, mais pour moi, c’est ça dessiner. C’est un commitment. Ce n’est pas un geste engagé s’il y a du plomb en dessous.» Le parcours de Breton, titulaire d’une maîtrise obtenue à l’Université Laval, a d’abord été marqué par le dessin animé à l’ancienne, image par image, un médium dont il a appris les rudiments au Cégep de Rivière-du-Loup. «Mon stage était à la Bande Vidéo, ici, à Québec, et j’ai eu la chance de gagner le prix Vidéaste recherché à l’époque, en 2005, avec mon film Le fumeur. Ç’a été mon espèce de tremplin en vidéo d’animation. J’ai reçu des


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«ON EST UNE GÉNÉRATION QUI EST SURCONSCIENTE DE TOUT CE QUI S’EST FAIT AVANT NOUS. C’EST SUPER RÉCENT DANS L’HISTOIRE HUMAINE D’AVOIR AUTANT D’ARCHIVES.» bourses du Conseil des arts et des lettres pour produire un nouveau film, j’habitais à Trois-Rivières à cette période-là.» Ce après quoi il abandonnera, devant l’intensité de la tâche, la patience extrême que pareille forme d’art nécessite. Dès lors, il s’inscrit

au baccalauréat en arts visuels à l’Université Concordia. Naturellement, sans forcer les choses, beaux-arts et vidéo feront corps dans sa pratique. Créateur accompli, prisé des collectionneurs comme en témoignent ses ventes à la dernière FAAQ, Samuel Breton préconise une approche multidisciplinaire, des compétences qui l’amenait récemment à collaborer avec Spira, la Joujouthèque et le Carrefour des enfants de Saint-Malo pour ce qui allait devenir la bougie d’allumage pour St-Centre, Sauveur Durocher. «C’était un projet de médiation culturelle avec des enfants d’âge préscolaire et primaire, de 3 à 8 ans. On les amenait à créer des vidéos d’animation et du bruitage, et ça, c’est vraiment ma tasse de thé. […] J’ai abordé ça comme si j’avais créé une de mes propres œuvres. C’est juste que là, c’est de l’art plus près de la communauté.» Une vidéo résulte de cette rencontre improbable, une œuvre brute et narrée par des gamins qui trouvera sa place dans la galerie d’Engramme. Un soupçon de douceur dans un dossier qui divise la ville. y Du 14 janvier au 12 février à Engramme


52 CHRONIQUE VOIR QC

VO2 #O1

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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL À LA RESCOUSSE Je vais peut-être vous étonner, mais pour commencer l’année, je vais vous parler d’entrepreneuriat social en citant un exemple exceptionnel: celui du Dr Julien, parce que ce docteur porte à bout de bras un projet social d’envergure et qu’il le dirige de main de maître depuis près de 15 ans. Sa méthode d’intervention, qui permet de gérer un enjeu de santé physique ou mentale que vivent un enfant et sa famille, en rassemblant autour d’une même table tous les intervenants requis pour y arriver – des avocats à la DPJ, en passant par des pédiatres, des psychiatres, et j’en passe –, a fait ses preuves et soulève de plus en plus d’intérêt. Il réussit désormais à accompagner près de 5000 enfants par année dans la vingtaine de centres qu’il a pu ouvrir. Des sortes de franchises, dirigées par d’autres médecins qui doivent suivre une formation complète et maintenir une homologation avec la fondation. Son côté entrepreneur l’a amené à faire un deal avec le gouvernement. Son offre était simple: «Je vais ouvrir d’autres centres si tu m’accompagnes financièrement». L’État a dit oui. Vingt millions sur quatre ans proviennent du ministère de l’Éducation. Cinq millions par année, et hop! on pourra accompagner près de 20 000 enfants qui doivent affronter ce qui représente probablement une des plus grandes épreuves de leur vie. C’est un moment charnière qui aura un impact déterminant. C’est là que se joue pour eux la loterie de la vie: avoir la chance de devenir un citoyen capable de s’épanouir en toute liberté ou devoir vivre aux crochets de la société. De manière plus tragique, cette loterie tranchera aussi, parfois, entre la vie et la mort. Il gère son projet entrepreneurial avec une vision à long terme. Il ne gère pas des trimestres, il déploie un projet social soutenu par une vision de l’humanité. J’ai demandé

au Dr Julien s’il n’y avait pas un danger à ce qu’une fonction si importante de notre société soit prise en charge par autre chose que l’État. Sa réponse a été sans appel. Il ne fait pas confiance au système pour remplir nos responsabilités envers nos enfants. Il ne croit pas que son projet puisse fonctionner s’il est absorbé par la machine. Il parle d’implication civique, de l’importance de responsabiliser les citoyens et de les faire travailler à améliorer notre société. Le Dr Julien et son entente avec l’État n’ont pas fait l’unanimité. D’aucuns ont décrié le partenariat en mentionnant qu’il ne s’agissait, ni plus ni moins, que du commencement d’une privatisation du système de santé. Je suis d’avis que ce questionnement a un certain mérite et que des projets entrepreneuriaux sociaux peuvent représenter au moins deux risques. Le premier risque, et il est sérieux, c’est le désinvestissement de l’État et son remplacement par l’argent du privé, celui des dons, des fondations, des commanditaires. Risque sérieux, dis-je, parce qu’il ouvre effectivement la porte à une privatisation des fonctions de base de l’État. Il s’agit d’une direction qu’il n’est pas souhaitable d’envisager. Quand il s’agit de santé, d’éducation, de culture, pas question de transférer ça à une business qui devra éventuellement répondre aux impératifs financiers de ses actionnaires ou qui augmenterait la productivité sur la seule base d’une diminution des conditions de travail de ses employés. Le second risque, plus pervers, est de retirer du financement aux organismes qui sont performants, qui réussissent à connecter avec leur communauté et à attirer des partenaires sous prétexte, justement, qu’ils ont du succès. La raison pour laquelle ces organismes ont du succès, c’est d’abord


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> grâce aux gens qui les dirigent et qui y travaillent: leur crĂŠdibilitĂŠ, leur feuille de route, leurs rĂŠsultats. Le soutien du gouvernement sert d’effet de levier, il permet de multiplier l’impact de ces entrepreneurs sociaux. La tentation peut ĂŞtre forte de couper les subventions des organismes qui rĂŠussissent Ă lever beaucoup de sous pour augmenter leur financement autonome en prĂŠtextant que les besoins financiers de base sont maintenant couverts de cette façon. Le Dr Julien peut s’occuper de 20 000 enfants avec environ cinq millions par annĂŠe provenant de fonds publics, le reste provient du privĂŠ. Les besoins sont probablement cinq fois plus importants pour tout le QuĂŠbec. Devrait-on attendre d’obtenir le financement privĂŠ avant de donner plus de moyens Ă ce projet et le pĂŠrenniser? Que non! Tout en gardant ces deux risques en tĂŞte, le partenariat public et privĂŠ dans un contexte social m’apparaĂŽt rĂŠellement porteur et nous invite Ă nous poser une question: comment peut-on nous responsabiliser, Ă titre de citoyens, de parents ou de pairs aidants, et cesser de compter toujours sur l’État? Quel est le modèle qui nous permettrait d’injecter une grande dose de responsabilitĂŠ Ă la sociĂŠtĂŠ civile et Ă ses constituants? Et si l’État devait, dans l’avenir, jouer un rĂ´le rĂŠduit? Le gouvernement pourrait ĂŠtablir les grandes directions, les objectifs, les budgets et les contrĂ´les, mais compter sur des entrepreneurs pour la livraison des services. Il s’agirait de dĂŠmanteler la machine et de la rapprocher des citoyens. Ce pourrait ĂŞtre possible en santĂŠ, en ĂŠducation, pour les services sociaux. Pour la culture, c’est dĂŠjĂ chose faite en grande partie. Ă€ peu près tous les pans de notre sociĂŠtĂŠ pourraient bĂŠnĂŠficier d’une plus grande mobilisation des entrepreneurs. Que ce soit Ă temps plein, comme le fait le Dr Julien, mais aussi Fabrice Vil de l’organisme Pour 3 Points et Jean-François Archambault de La TablĂŠe des Chefs, ou encore Ă temps partiel, en s’impliquant sur des conseils d’administration d’organismes ou des comitĂŠs de parents dans les ĂŠcoles, par exemple. La cĂŠlèbre phrase de John F. Kennedy me revient en tĂŞte: ÂŤNe vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.Âť Il me semble que nous avons un modèle Ă revoir, Ă rĂŠinventer. C’est la rĂŠponse Ă la question que soulève cette affirmation fondamentale du dĂŠfunt prĂŠsident des États-Unis qui est compliquĂŠe. Comment? Ă€ nous de trouver la rĂŠponse. Elle doit impĂŠrativement inclure entrepreneuriat, rĂŠinvestissement, performance et mesure d’impact, mais aussi gouvernance, plan de relève et contrĂ´le. Ce que je nous souhaite pour 2017? Plus d’entrepreneurs qui choisissent de changer le monde. Une bonne annĂŠe Ă vous, chers lecteurs. y

)CI TOUT EST FAIT MAISON SUR PLACE OU PROVIENT D ARTISANS LOCAUX DES PAINS BRIOCHĂ?S AUX BOISSONS GAZEUSES RUE DU &ORT 1UĂ?BEC ' 2 : q WWW LECHICSHACK CA


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QUOI FAIRE

PHOTO | RENATA RAKSHA

MUSIQUE

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AUSTRA

LES DALES HAWERCHUCK

HARFANG

L E C E R C L E – 22 J A N V I E R

L’ANTI – 2 FÉVRIER

LE CERCLE – 26 JANVIER

Le projet de la musicienne torontoise Katie Stelmanis prendra un nouveau départ en 2017 avec la sortie de Future Politics, un troisième album qui s’annonce déjà mieux que le décevant Olympia, paru il y a déjà quatre ans. Le mélange de synthpop et de dark wave d’Austra envahira une fois de plus la capitale le temps d’un enivrant spectacle.

Le quatuor originaire du Lac revenait en force sur disque en novembre dernier avec Désavantage numérique, une autre galette de bombes rock. Le retour à Québec du groupe ne passera pas inaperçu, et ce sera assurément le gros party entre chums. À vos pintes!

Le groupe indie-rock planant Harfang s’offre un concert à la maison en ce début d’année. Révélé par un mini-album homonyme en 2014, le quintette en a livré un second en 2015, Flood. Cette fois, ils nous dévoilent leur tout nouvel opus.


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MENTANA VIEUX BUREAU DE POSTE D E S A I N T- R O M U A L D – 2 8 J A N V I E R

Le sympathique et talentueux groupe folk americana Mentana se payait une belle tournée en Italie à l’automne dernier. Les chanceux! De retour au Québec, ils présenteront à la maison leur tout premier album complet, Inland Desire, sorti en mars 2016, sur les planches.

ZAGATA D I S T R I C T S T-J O S E P H – 2 5 J A N V I E R

Jesse Proteau trempe ses chansons tristes dans un bain de synthétiseurs et propose une musique résolument ancrée dans les années 1980. Zagata, c’est le nom de son projet, plaira fort probablement aux fans de Peter Peter et M83.

DATA MNBAQ – 26 ET 27 JANVIER

DUCHESS SAYS

DE LA REINE

L ’ A N T I – 26 J A N V I E R

D I S T R I C T S T-J O S E P H – 1 8 J A N V I E R

Un concert de Duchess Says ne laisse personne indifférent. Habituellement, les sourires sont légion à la sortie des spectacles puisque le groupe donne vraiment le paquet sur scène. Un concert qui sera précédé par le lancement de la Revengeance des Duchesses.

Le printemps arrivera, mais en attendant, Odile Marmet-Rochefort (aussi de Men I Trust) et ses hommes présentent le fruit de leurs efforts communs. Un album de huit pièces teintées par le trip-hop et la poésie dans la langue de Molière.

L E C E R C L E – 12 J A N V I E R

La folkeuse Rosie Valland a trimballé Partir avant à travers la province et c’est à Québec qu’elle offrira l’avant-dernier concert de sa première grande tournée. Une musique rassurante, réconfortante, bien que teintée de mélancolie.

L’ANGLICANE – 27 JANVIER

Terriblement charismatique et talentueuse, Lisa LeBlanc ne cesse d’impressionner, particulièrement en concert. Cerise sur le sundae: elle sera précédée de l’excellent duo Les Deuxluxes, des musiciens accomplis qui ont, eux aussi, le sens du spectacle.

I M P É R I A L B E L L – 27 J A N V I E R

Alaclair Ensemble, Brown et Koriass s’offrent un clin d’œil au «cho» mythique de 1968. Amorcée en novembre dernier, leur tournée bas-canadienne s’arrête enfin dans la capitale.

J’accuse, c’est cinq monologues de femmes qui laissent sortir leur frustration, épuisées d’une société qui les juge. Léanne LabrècheDor et Debbie Lynch-White seront fortes sur les planches de La Bordée pour interpréter ce texte d’Annick Lefebvre dans une mise en scène de Sylvain Bélanger.

ATTENTAT VIOLETT PI

L’OSSTIDTOUR

J’ACCUSE T H É ÂT R E D E L A B O R D É E D U 10 J A N V I E R A U 4 F É V R I E R

LISA LEBLANC + LES DEUXLUXES ROSIE VALLAND

Le chorégraphe montréalais Manuel Roque interprète un solo de son cru, une œuvre forcément teintée par ses antécédents acrobatiques auprès du Cirque Éloize. Une signature unique!

L ’ A N T I – 13 J A N V I E R

T H É ÂT R E P É R I S C O P E 24 J A N V I E R A U 4 F É V R I E R

Imprévisible et insaisissable, Karl Gagnon (alias Violett Pi) bricole ses spectacles presque à la manière d’un artiste issu de la performance. Des concerts impeccables sur le plan musical, mais agrémentés d’une grosse dose de folie.

Depuis sa création au Quat’Sous en 2014, la pièce des sœurs Côté (Véronique et Gabrielle) a été programmée au Carrefour international de théâtre et adulée par les journalistes spécialisés. Une œuvre politique nécessaire.

SCÈNE

PHOTO | OLIVIER MAGUIRE

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LE JEU P R E M I E R A C T E – 17 J A N V I E R A U 4 F É V R I E R

Après nous avoir offert Sauver des vies et Julie – Tragédie canine, voilà que le prolifique Collectif Le Vestiaire nous revient avec une nouvelle création. Un texte qui se servira du concept de jeu de rôles pour explorer le vaste et complexe thème du couple.

PHIL ROY S A L L E A L B E R T-R O U S S E A U LES 31 JANVIER, 1ER ET 3 FÉVRIER

Près de quatre ans après avoir tiré son épingle du jeu à En route vers mon premier gala, l’humoriste Phil Roy se dévoilera sur scène avec un premier one-man-show. L’humoriste irrévérencieux «à la bonne humeur contagieuse» présentera le fruit de plusieurs mois d’écriture et de rodage. L’auteur Sébastien Ravary (derrière SNL Québec) l’a aidé à l’écriture. PHOTO | ANDRÉANNE GAUTHIER

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57 QUOI FAIRE VOIR QC

CINÉMA

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LIVE BY NIGHT EN SALLE LE 13 JANVIER

Dans le Boston des années 1920, la prohibition donne naissance à un grand nombre de malfaiteurs cherchant à faire de l’argent sur le dos des amateurs d’alcool. Joe Coughlin est l’un d’eux, malgré son éducation stricte. Il vivra sa vie au maximum, bien qu’elle risque d’être courte.

VO2 #O1

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,E CAFĂ? BISTRO DU &AUBOURG

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THE FOUNDER EN SALLE LE 20 JANVIER

L’histoire, beaucoup moins rose que l’on pourrait croire, de l’expansion massive des restaurants McDonald’s. D’une petite fabrique de burgers crĂŠĂŠe par les frères McDonald naĂŽtra dans l’esprit de Ray Kroc l’idĂŠe d’une mĂŠgachaĂŽne de restauration rapide. Ce dernier fera tout pour rĂŠaliser son plan.

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SPLIT Trois jeunes adolescentes sont kidnappĂŠes par un homme ĂŠtrange. Une fois qu’elles sont enfermĂŠes dans son sous-sol, elles commencent Ă dĂŠcouvrir, l’une après l’autre, les 24 personnalitĂŠs de cet ĂŞtre profondĂŠment dĂŠrangĂŠ. Certaines de ces identitĂŠs pourraient toutefois les aider Ă s’Êchapper des griffes du maniaque.

E N S A L L E L E 13 J A N V I E R

Alors qu’ils s’installent dans une vieille demeure hors campus, trois ĂŠtudiants libèrent une entitĂŠ surnaturelle, nommĂŠe le Bye Bye Man, qui ne s’attaque qu’à ceux qui dĂŠcouvrent son nom.

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Une mère monoparentale emmĂŠnage avec ses deux filles et son fils malade dans une nouvelle demeure, histoire de sauver de l’argent pour payer les frais mĂŠdicaux de ce dernier. Alors qu’il rĂŠcupère miraculeusement et que des phĂŠnomènes ĂŠtranges se manifestent, les deux jeunes filles apprennent la vĂŠritĂŠ: leur famille habite dĂŠsormais la maison d’Amityville.

EN SALLE LE 20 JANVIER

THE BYE BYE MAN

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EN SALLE LE 6 JANVIER

BASTARDS EN SALLE LE 27 JANVIER

Lorsqu’ils apprennent que leur mère leur a menti toute leur vie Ă propos de la vĂŠritable identitĂŠ de leur père, deux frères jumeaux non identiques dĂŠcident de retrouver celui qui les a conçus.

TONI ERDMANN EN SALLE LE 27 JANVIER

Winfried ne voit pratiquement jamais sa fille, une femme d’affaires carriĂŠriste. Professeur de musique se trouvant subitement sans ĂŠtudiant, il dĂŠcide de reconnecter avec elle après la mort de son chien. Se frappant Ă un mur alors que sa fille le refuse dans sa vie, il se dĂŠguisera pour entrer dans son monde de business.

VALÉRIE POTVIN GALERIE 3 – 6 AU 22 JANVIER

ValÊrie Potvin marque les esprits avec ses installations sculpturales, des œuvres bien souvent chargÊes d’humour et de rÊfÊrences historiques. Une artiste absolument fascinante, dont les œuvres sont de plus en plus collectionnÊes.

ARTS VISUELS

"RAISĂ?S 4ARTARES 3TEAK FRITES 0ĂŠTES ET 0IZZAS

AMITYVILLE – THE AWAKENING



«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

LES MÊMES-CACAÏSTES De janvier à juin au 6464 St-Laurent, Montréal lesmemescacaistes.com

teomtl.com

PP 40010891

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.


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