Magazine Voir Montréal V02 #02 | Février 2017

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MONTRÉAL VO2 #O2 | FÉVRIER 2O17 50 ANS DU CAFÉ CAMPUS LEIF VOLLEBEKK LE CYCLOTRON ESPACE DANSE DE L’ÉDIFICE WILDER DANS LA TÊTE DE PROUST EMANUEL LICHA MANIF D’ART 8 MONTRÉAL EN LUMIÈRE LE THÉ DU LABRADOR IL Y A CINQ ANS, LE PRINTEMPS ÉRABLE

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CEUX QUI FONT LES RÉVOLUTIONS À MOITIÉ N’ONT FAIT QUE SE CREUSER UN TOMBEAU




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O2 O2 MONTRÉAL | FÉVRIER 2017

RÉDACTION

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«JE VEUX QUE LES GENS SORTENT DE LA SALLE EN SE DISANT: “ESSAYONS D’EN FAIRE DES CHOSES ET NE SOYONS PAS AMORPHES, STAGNANTS ET INDIFFÉRENTS”.» Photo | Jocelyn Michel (Consulat) Assistant | Renaud Lafrenière Stylisme | Roxanne Chagnon et Amanda Van der Siebes Maquillage et coiffure | Brigitte Lacoste Production | Sébastien Boyer

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SCÈNE

Espace Danse de l’édifice Wilder Dans la tête de Proust

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MUSIQUE

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DOSSIER

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CINÉMA

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ART DE VIVRE

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LIVRES

50 ans du Café Campus Leif Vollebekk

Il y a cinq ans, le printemps érable

Le cyclotron

Thé du Labrador Cuisine Wendat Montréal en lumière

Les nouveaux amants Peggy dans les phares L’immeuble Christodora

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

Emanuel Licha Manif d’art 8

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Émilie Dubreuil (p14) Monique Giroux (p24) Normand Baillargeon (p40) Alexandre Taillefer (p60)


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VO2 #O2

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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

MAIS QUI LIT TOUT ÇA? Jeune étudiant en théologie à l’université, dès la première session, je me suis inscrit à un cours d’exégèse biblique, cette discipline qui consiste à lire, à comprendre et à interpréter les saintes Écritures. Comme première incursion dans le vaste monde des textes anciens, j’avais choisi l’étude des écrits sapientiaux – les livres de la sagesse, comme celui de Job, le Qohelet, le Cantique des cantiques, les proverbes et les Psaumes. Il faut que je vous dise, je n’allais pas devenir bibliste. Mais j’adorais ça. Pas pour le texte lui-même, mais pour la discipline, le doute et l’érudition du professeur qui, devant nous, décryptait une à une les lignes de cet immense bouquin mystérieux et hermétique. Il se nommait Guy Couturier, spécialiste de l’Ancien Testament. Il prenait un texte, n’importe lequel, et il pouvait nous renseigner sur tous les détails dissimulés. Ici, un passage en grec avait été ajouté tardivement. Pourquoi? Comment? Là, tel ou tel mot traduit en français ne permettait pas de saisir le sens du texte original. Je ne sais combien de langues il parlait et comprenait. En l’écoutant, j’ai vite compris deux choses. D’abord, je n’aurais jamais les compétences pour saisir toutes ces subtilités. Il m’aurait fallu toute une vie, comme lui. Il était déjà trop tard pour moi. Je ne pouvais que m’en remettre à son érudition. Ensuite, ces écrits, qu’on récite machinalement dans les églises sur la base d’un acte de foi, les fidèles ne les lisent pas vraiment et les prêtres n’ont pas les connaissances pour les expliquer en profondeur. On les récite platement, on répond amen. Pour la liturgie, ça suffit. En simple, voilà, ces textes bibliques anciens comportent des milliers de pages, des modifications apportées au cours de l’histoire, parfois ils se contredisent et, pour les comprendre dans le détail, il faut rassembler des savants capables de les déchiffrer. Ces mêmes savants, à force de travail et d’interprétation, remettent inévitablement en question les certitudes inébranlables de la foi fondée sur ces textes.

Dernièrement, Donald Trump, nouveau président américain, a signifié qu’il allait remettre sur la table l’accord de libre-échange nord-américain et a signé l’acte de retrait des États-Unis du partenariat transpacifique (PTP). J’ai bien écouté tous les commentateurs, journalistes et chroniqueurs s’exprimer sur ces nouvelles. J’ai aussi entendu des politiciens discourir sur l’importance fondamentale de ces traités, sur les milliers d’emplois, sur la force de nos économies. Toutes ces idées sont répétées comme des prières et prennent place dans des homélies. Elles sont même un gage de rédemption. Elles annoncent un monde meilleur qui devrait finir par arriver, un jour. Devant tous ces discours, de toutes les questions que j’aurais pu poser, une seule demeurait sans réponse, persistante: mais qui, au monde, lit tout ça? Qui comprend? Qui connaît toutes les difficultés de ces écritures auxquelles nous sommes liés, comme une communauté de croyants? J’ai beau essayer de m’en convaincre, je n’arrive pas à croire une seconde qu’un chroniqueur, un politicien ou Justin Trudeau puissent décrypter toutes ces lignes de textes qui tissent désormais les liens qui unissent les humains entre eux. Curieux, je me suis faufilé sur le site web des Affaires mondiales du Canada pour trouver le texte de l’accord du PTP. On y trouve 32 chapitres et trois annexes, des appendices, des notes, des listes tarifaires. À elle seule, la liste tarifaire du Pérou fait 215 pages. Celle du Mexique en compte 396. Celle du Brunei, petite monarchie de droit divin sur l’île de Bornéo qui compte 436 000 habitants gouvernés par un sultan dont j’ignorais l’existence, nous propose 345 pages. Les règles qui régissent nos vies atteignent désormais un tel niveau de complexité qu’on doit s’en remettre à des résumés, à des extraits choisis et à des textes didactiques sous forme de «foires aux questions» qui ont tous les aspects de petits catéchismes qu’on doit apprendre par cœur.


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Pour l’ALENA, on trouve en ligne un site intitulé ALENA Aujourd’hui, une initiative conjointe du Canada, des États-Unis et du Mexique. Vous avez des questions? Nous avons des réponses! Question: Quels sont les avantages de l’ALENA? Réponse: Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, les échanges commerciaux et les investissements en Amérique du Nord ont augmenté, se traduisant par une forte croissance économique, la création d’emplois et un plus vaste éventail de biens de consommation à meilleurs prix. Les entreprises, les consommateurs, les ménages, les travailleurs et les agriculteurs de toute l’Amérique du Nord ont tiré profit de ces avantages. On nage ici en pleine liturgie économico-politique. Est-ce vrai? Est-ce faux? Qui sait? Nous sommes confrontés à des mystères expliqués en peu de mots afin de cerner des choses insondables. Des explications auxquelles on ne peut qu’adhérer sans trop savoir. Le commun des mortels, comme le pécheur qui communie, doit confesser son ignorance.

Devant les aspérités du quotidien, on nous propose ni plus ni moins qu’une théodicée: nous vivons dans le meilleur des mondes possibles et si, dans nos vies particulières et contingentes, nous n’arrivons pas à nous en rendre compte, c’est que nous ne pouvons saisir le vaste plan global et transcendant qui est en œuvre. Il est de bon ton, depuis quelque temps, de s’inquiéter des fausses nouvelles et des «faits alternatifs». N’en doutons pas, ce sera le grand défi médiatique de 2017. Nous passerons au crible de la raison telle ou telle rumeur ou de tel ou tel bobard colporté par les politiciens ou leurs partisans. Tant mieux. Mais il faudra aussi, bientôt, envisager de décrypter ce que nous pourrions appeler les «faits mystérieux», ces vérités tirées des milliers de pages qui forment désormais le canon législatif et économique de la globalisation. Il faudra peut-être non plus se demander «qui peut croire de telles sornettes?», mais bien «qui, au juste, a lu tout ça?» y sjodoin@voir.ca



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VO2 #O2

L’ESPACE DANSE DE L’ÉDIFICE WILDER OUVRE SES PORTES LE 21 FÉVRIER PROCHAIN, TANGENTE ET L’AGORA DE LA DANSE INAUGURERONT LE NOUVEAU POINT NÉVRALGIQUE DE LA DANSE À MONTRÉAL AVEC DEUX CRÉATIONS DES CHORÉGRAPHES MÉLANIE DEMERS ET JACQUES POULIN-DENIS. REGARD SUR SES POSSIBILITÉS ET CÉLÉBRATIONS. mots | AlessAndrA rigAno

La cuisine de Wilder Comme tout bon rassemblement, c’est dans la cuisine que ça se passe. Lorsqu’on pense aux atouts de cet espace, on pense aux trois nouvelles salles de spectacles qui comportent chacune des ambiances et un design différents, à leur plancher de danse de haute qualité et à la possibilité de travailler en géométrie variable. Mais étonnamment, c’est la cuisine qui semble particulièrement enthousiasmer les diffuseurs qui partagent les locaux. Avec son esprit d’entremetteuse bienveillante, Francine Bernier, directrice générale et artistique de l’Agora, «espère que le point de rencontre va être la cuisine et qu’il va en sortir quelque chose. Parce qu’un artiste qui est en train de travailler dans la petite salle au soussol va peut-être en rencontrer un qui travaille au premier ou un autre qui est en répétition.» On comprend donc l’engouement. La cuisine aura une mission importante dans cet espace, soit celle de favoriser un rapprochement entre les artistes, souligne Stéphane Labbé, directeur général de Tangente: «Mon rêve, c’est de permettre des échanges,

photos | mAthieu doyon

la communication, la relation entre différents artistes. C’est ça qui, pour moi, va être merveilleux dans ce projet-là. Il faut briser l’isolement et faire en sorte que les artistes puissent avoir un lieu de rencontre.» Isabelle Boulanger, jeune chorégraphe à la tête de la compagnie La Grande Fente, sera la première à bénéficier d’une résidence à Tangente dès l’automne 2017, et ce, pour une période de deux ans. Le Wilder, situé sur la rue Berri, en plein cœur de la Place des festivals, permettra également au diffuseur de lancer le programme Les habitations, où des artistes se regrouperont pendant une semaine, sans aucune pression de production. Offrir des résidences était auparavant impossible pour Tangente, et si l’Agora le faisait, il ne pouvait accueillir plusieurs artistes à la fois. Alors que Tangente sert de tremplin pour la relève contemporaine, l’Agora présente des artistes plus établis. Pour les deux institutions, le nouvel espace permettra de mieux suivre le processus artistique des créateurs et de leur donner la possibilité de faire

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> éclater les formats traditionnels. «Ça va ouvrir un chemin différent et nous permettre de mieux suivre l’évolution d’un travail. J’espère que ça va permettre de voir émerger un travail créatif complètement différent de ce qu’on est habitué de voir, que ça va exploser dans la recherche», explique Francine Bernier. C’est (presque) l’heure de célébrer Stéphane Labbé pèse ses mots pour ne pas dévoiler la surprise. Le spectacle que présente le diffuseur de danse contemporaine à l’occasion du 21 février est une performance in situ du chorégraphe et artiste multidisciplinaire Jacques Poulin-Denis. Le thème et la pièce, présentée par l’organisme La Serre – Arts vivants (dirigé par les directeurs artistiques du OFFTA, Jasmine Catudal et Vincent de Repentigny), ne pourront être dévoilés que 375 heures avant sa présentation. Une certitude demeure, le diffuseur est heureux de pouvoir renouer avec les deux directeurs artistiques, une relation qui avait été «mise sur la glace» puisque Tangente a été nomade pendant cinq ans. «Je crois beaucoup à la collaboration entre organismes culturels, entre compagnies et entre artistes.» Collaboration est un mot qui revient continuellement dans le discours de Stéphane Labbé et de Francine Bernier de l’Agora de la danse. Cette dernière a choisi de présenter l’exposition Danse dans la neige, qui porte sur une des premières pièces en danse contemporaine à Montréal, signée par Françoise Sullivan. Pour la directrice artistique et générale, la «création d’aujourd’hui est importante, mais il faut se rappeler d’où on vient». Afin de définir un premier pas vers l’avenir, elle a fait appel à la chorégraphe Mélanie Demers pour ouvrir la première saison dans l’espace. «Mélanie représente bien le Québec d’aujourd’hui; elle est Haïtienne de mère québécoise blanche. Elle représente bien Montréal et questionne la société.»

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fait avancer dans la vie.» La condition humaine, l’évolution, la transformation, la passation et l’héritage sont au cœur de cette nouvelle création. «Il y a quelque chose de très charnel, beaucoup moins militant et politisé. S’il y a quelque chose qui est politique, c’est peut-être dans le vivre-ensemble qui est tellement crucial. J’interroge un peu les destins individuels versus la dépendance collective.» Mélanie Demers a choisi une distribution hétérogène, tel un «microcosme de sa société idéale». «La beauté dans ce casting-là, c’est qu’il y a un danseur dans la vingtaine, la trentaine, la quarantaine et la cinquantaine. À plusieurs niveaux, il y a des expériences différentes, des énergies différentes, des histoires différentes.»

Animal triste

stéphAne lAbbe, photo | svetlA AtAnAsovA

La chorégraphe a d’ailleurs fait ses études à l’École de danse contemporaine, qui occupe déjà les locaux du Wilder, avant de travailler comme interprète pour la compagnie O Vertigo. Puis, elle s’est dirigée vers la création avec une signature forte et engagée. Ses dernières pièces en témoignent, des coups de poing que le public prenait de front et ressentait jusqu’aux tripes. Des pièces où la théâtralité tenait une place importante, et que Mélanie Demers a choisi de délaisser pour cette nouvelle œuvre.

La pièce s’illustre en quatre chapitres et repose en grande partie sur la capacité des interprètes Marc Boivin, Francis Ducharme, Chi Long et Riley Sims à tisser des liens entre eux. «Ils portent la pièce sur leurs épaules, comme si je m’étais effacée derrière les danseurs. Comme si la chorégraphie n’existait pas. Comme si eux étaient en train d’écrire spontanément la pièce à travers des stratégies de mise en scène. Comme si je donnais le relais. Comme si mon ego d’artiste s’était presque effacé derrière le leur.» y

«J’ai voulu revenir à la base par l’écriture chorégraphique, graphique et très physique pour aller à l’essence de ce qui fait mouvoir les humains et les

Animal triste/Mélanie Demers 22 au 24 février – 19h 25 février – 16 h

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«Je trouve que sA vie A été son propre processus de créAtion et d’écriture. ÇA m’A complètement fAscinée et c’est l’Angle que J’Ai choisi d’Adopter pour DANS LA TÊTE DE PROUST.»

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13 «J’ai appelé ça pastiche, collage et fabulations parce que je me suis permis absolument toutes les libertés pour faire comprendre un peu la manière proustienne de voir la vie et les êtres», raconte la créatrice qui s’affranchit du réalisme afin de laisser libre cours à son imaginaire et à celui de l’auteur. Stimulée par les écrits de Proust autant que la littérature qui l’entoure, écrite par différents psychanalystes, scientifiques et philosophes s’étant intéressés à ses œuvres, elle est surtout éblouie par la démarche artistique de l’auteur derrière À la recherche du temps perdu. «Je trouve que sa vie a été son propre processus de création et d’écriture. Ça m’a complètement fascinée et c’est l’angle que j’ai choisi d’adopter pour Dans la tête de Proust. C’est surtout que je mets en scène Marcel Proust qui va, en se couchant pendant huit ans, faire apparaître l’œuvre du Temps perdu.» Malade et reclus dans une petite chambre à Paris, Marcel Proust s’est dédié entièrement à l’écriture complète de ce roman colossal jusqu’en 1922, année

Travailler avec autant de matériel ne semble pas avoir intimidé la créatrice, qui y a plutôt trouvé une façon de créer sans contrainte, à la hauteur de ses désirs. «J’ai envie de parler de beauté, de notre monde à partir d’un autre qui n’existe pas, qui nous permet beaucoup plus d’accepter nos défauts, nos qualités, nos horreurs, quoi. C’est sûr que le mime corporel d’Omnibus correspond exactement à cette philosophie-là que j’ai toujours eue par rapport à mon art, qui est de trouver beaucoup plus intéressant de transposer, de poétiser la réalité que de simplement la mettre en scène.» Le Temps perdu est aussi un legs historique important, une véritable mine d’or de références et de réflexions sur son époque. «C’est vraiment une œuvre qui est le point de convergence de son siècle. Elle rend compte de la décadence du monde de l’aristocratie au profit du monde de la bourgeoisie, mais c’est surtout une description capotée et microscopique de l’intérieur humain. Alors, que les enveloppes corporelles soient celles d’aristocrates ou

SUIVEZ LA GUIDE LA DÉCOUVERTE D’À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU DE MARCEL PROUST A BOULEVERSÉ SON RAPPORT AUX ARTS, AUX ÊTRES ET À LA SOCIÉTÉ. SOUS LE CHARME DU ROMAN DEPUIS LONGTEMPS, SYLVIE MOREAU S’INVITE AUJOURD’HUI AVEC DANS LA TÊTE DE PROUST AU CŒUR DE L’IMAGINAIRE DE L’AUTEUR ET S’OFFRE LA CONCEPTION, L’ÉCRITURE ET LA MISE EN SCÈNE DU SPECTACLE. RENCONTRE. mots | mArie villeneuve

photos | pAscAle gAuthier

qui marque son décès. Dans la tête de Proust n’est pas pour autant une adaptation théâtrale des sept tomes du Temps perdu. Sylvie Moreau a imaginé une guide, très moderne, qui invite le spectateur à venir à la rencontre des personnages les plus marquants de l’œuvre littéraire et à visiter l’imaginaire de l’auteur, «comme si on était dans un musée, dans le musée de la tête de Proust». Avec Réal Bossé et Jean Asselin, qui assurent avec elle la codirection artistique de la compagnie Omnibus, axée sur le théâtre corporel, elle s’est entourée d’Isabelle Brouillette, Pascal Contamine et Nathalie Claude pour incarner plusieurs personnages du Temps perdu. «J’ai décidé que les corps seraient un texte autant que la littérature. Je trouvais que le travail avec Omnibus, une compagnie avec laquelle je travaille depuis presque 30 ans, était le véhicule absolument parfait pour transposer le travail d’une œuvre littéraire. Non pas en assommant les gens avec des textes, mais en montrant le processus de création et surtout les personnages qui s’incarnent dans des corps, et que ces corps peuvent nous parler tout autant que 3000 pages de texte.»

de bourgeois, on a les mêmes intérieurs, les mêmes âmes. C’est ça le génie d’observation de Proust.» Grâce aux personnages «extrêmement théâtraux, très décrits, avec un aspect très caricatural», c’est tout un nouveau monde théâtral qu’offriront Sylvie Moreau et Omnibus, portés par une envie de célébrer la littérature à travers le mouvement, le corps et un imaginaire décomplexé, festif, qui s’inspire de la démarche artistique d’un homme hors du commun. «La création est avant tout un acte de liberté face à son propre imaginaire et, évidemment, c’est une métaphore très forte, que quelqu’un qui est limité physiquement par sa santé ait décidé de faire vivre une œuvre aussi puissante et complexe.» y Dans la tête de Proust (pastiche, collage et fabulations) au Théâtre Espace Libre du 21 février au 18 mars 2017


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ÉMILIE DUBREUIL sAle temps pour sortir

POURQUOI LES GENS ATTENDENT-ILS EN FILE POUR DÉJEUNER? Un jour, nous sommes allés manger chez une amie, profiter du soleil sur sa terrasse et, surtout, de la piscine. Lui, à l’écart, lisait Le Devoir. Derrière son journal déployé, alors que je m’ébrouais dans l’eau en cette glorieuse journée d’été lumière bleu layette, je sentais toute son agressivité rentrée par en dedans, le silence lourd, sombre, gris. Je savais, en maillot de bain, alors qu’il était apparemment réjoui devant les autres, que par ce geste anodin et, pourtant, subrepticement brutal, il me signifiait que c’était terminé, qu’il avait cessé de jouer avec moi. Par sa mine sombre et absorbée, il me signifiait que c’était fini. Nous sommes rentrés à la maison. Brouillés. Et, je ne me souviens plus qui a dit en premier... «ça marche pu». Nous avons eu cette conversation que l’on redoute, que l’on pressent comme l’animal sait qu’il va pleuvoir. Nous nous sommes quittés, cet après-midi-là, après des mois de déchirures, de déchirements, après des années d’une relation tumultueuse. Nous nous sommes revus quelques fois dans les mois suivants, histoire de régler des trucs; meubles, verres, vaisselle, conneries. Quelques années après, nous avons pris un café. Il m’était venu l’idée saugrenue que peut-être nous pourrions nous retrouver. Il a beaucoup ri et a coupé court à mon élan, l’air narquois: «Ben voyons, on n’a jamais été heureux ensemble!» Puis, je ne l’ai jamais revu. Je ne lui ai pas reparlé, nos chemins physiques se sont séparés pour de bon. Or, en vieillissant, je réfléchis de plus en plus à ceci: on peut bien rompre dans la vie, cesser de croiser ses quotidiens, ne plus se parler au présent,

les ruptures, amicales comme amoureuses, ne sont effectives, somme toute, que partiellement. Cet été, j’étais sur une terrasse du boulevard SaintLaurent. Quelqu’un m’a saluée et j’ai répondu par réflexe sans le reconnaître. Il avait pris du poids et avait perdu quelques cheveux, il avait vieilli. Moi aussi, sans doute. Ça m’a pris quelques secondes avant de comprendre que je venais de saluer, sans le reconnaître, cet homme avec qui j’avais dormi pendant des années. Celui qui m’avait quittée un samedi glorieux d’été, caché dans Le Devoir. Pourtant, tout de suite après avoir compris que c’était lui, j’ai su intuitivement qu’il attendait un enfant. Je ne sais pas pourquoi. Alors que depuis des années, je ne pensais plus à lui, il est survenu cette nuit-là dans mon inconscient. Un enfant dans les bras. Quelques jours plus tard, sur la même rue, j’ai rencontré un de ses amis, qui m’a dit: «Tu sais que Fabrice attend un enfant?» On a beau ne plus se voir, ne plus s’apprécier même, les liens forts, dans nos courtes existences, ne sont pas légion et laissent une sorte d’intuition, difficile à expliquer, de nos fantômes vivants. Les gens qu’on a largués sur le chemin restent là quand même dans un coin obscur de nos têtes, dans le rétroviseur du moins. On ne peut s’empêcher d’y penser parfois en écoutant une chanson, en visitant un lieu. Ces liens forts peuvent-ils réellement se casser ou sont-ils des roseaux pliés par le temps? Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, mais la mer est-elle assez puissante pour effacer définitivement les pas des amants ou des amis désunis?


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> Plusieurs choses en ce bas monde me turlupinent: pourquoi les gens attendent-ils en file pour manger des œufs et du bacon? Pourquoi y a-t-il encore de la musique techno qui joue dans la plupart des restaurants branchés? Pourquoi l’avenue du MontRoyal fait-elle si dur? Pourquoi donne-t-on encore autant d’espace médiatique à Denise Bombardier? Va-t-on se décider à faire un moratoire sur le port de la barbe et de la chemise à carreaux? Céline Dion va-t-elle bien? Pourquoi Richard Therrien aimet-il tant le nouveau show de Véro? Pourquoi les gens soulèvent-ils leurs essuie-glaces quand ils laissent leurs autos à l’arrêt dès qu’on annonce 5 centimètres de neige? Bernard Drainville aime-til sa nouvelle job? Fabien Cloutier comprend-il le concept de surexposition médiatique? Pourquoi tant de monde ressent le besoin d’aller au spa? Pourquoi l’amour est-il dans le pré? Pourquoi La Chicane fait-elle un come-back? Où vont les bas perdus dans la sécheuse? Mais ces histoires de ruptures me turlupinent plus encore que l’issue des séries éliminatoires.

Il y a quelques jours, j’ai fait un reportage sur une dame qui venait de gagner un procès. Une histoire triste de personne défavorisée en tout. Je lui demandais comment elle avait pensé à poursuivre… Elle a mentionné le nom d’une avocate rencontrée au hasard de ses déboires… J’ai su tout de suite qu’elle parlait d’une copine que j’ai perdue de vue à cause d’un malentendu il y a cent ans et dont je n’avais plus de nouvelles. Je l’ai trouvée sur Facebook – les réseaux sociaux font en sorte que l’on peut renouer si facilement avec qui on veut… Je lui ai écrit que le monde était petit, que le hasard m’avait menée vers une de ses clientes et que j’étais fière de ce qu’elle était devenue. Je ne sais pas si nous nous reverrons, si les liens peuvent se renouer, mais l’espace de quelques secondes et de deux, trois messages Facebook, j’ai revécu ce lien rompu, replongé dans notre adolescence complice. Je n’ai pas trouvé que La La Land était un grand film. Mais la scène de la fin m’a particulièrement touchée. La scène où elle recrée le film de sa vie n’eût été les embranchements causés par des malentendus. Et si...? La vie est-elle une immense table de billard où nos relations se font et se défont au gré de coups de bâton? y

UNE PRÉSENTATION DU THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE EN COLLABORATION AVEC DIDIER MORISSONNEAU

11 REPRÉSENTATIONS EXCEPTIONNELLES DU 22 FÉVRIER AU 4 MARS 2017 Réservations : tnm.qc.ca 514 866-8668



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50 ANS DU CAFÉ CAMPUS RITE DE PASSAGE UN DEMI-SIÈCLE PLUS TARD, LE CAFÉ CAMPUS CONTINUE D’ÊTRE À L’AFFÛT DE LA RELÈVE MUSICALE, TOUT EN S’ASSURANT DE RENOUVELER AVEC ASSIDUITÉ SA CLIENTÈLE ÉTUDIANTE, INDISSOCIABLE DE SA FONDATION ET DE SON DÉVELOPPEMENT. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

Tous ceux (ou presque) qui ont déjà eu 18 ans à Montréal ont des souvenirs plus ou moins clairs d’une soirée un peu trop arrosée au Café Campus. Ouverte en février 1967, la coopérative a cultivé avec assiduité son image de «carrefour de la jeunesse étudiante», là où sont permis les relâchements et les excès typiques des partys collégiaux et universitaires. «C’est un cliché qui nous sert bien», admet le programmateur Marc St-Laurent, qui y travaille depuis 20 ans. Le DJ et responsable de la publicité Jean-François Beaudoin abonde dans le même sens: «Ça donne une clientèle fidèle de jeunes qui, pendant un ou deux ans, vont fréquenter l’endroit régulièrement. Le Café Campus va parfois même être leur première expérience de club à vie. À l’inverse, c’est vrai que certaines personnes de 23-24 ans vont nous snober.» Quelque peu dans l’ombre des soirées festives de la mythique discothèque, la programmation artistique de l’établissement, qui cumule près de 300 spectacles par année, attire un public plus diversifié. Porte-parole du cinquantième anniversaire, le duo Sèxe Illégal y a d’ailleurs présenté bon nombre de numéros à travers les années, notamment lors des Soirées Juste pour rire qu’il a animées en 2014. «C’est un endroit polyvalent, qui s’adapte très bien à son public», remarque Philippe Cigna, l’un des deux humoristes. «J’ai l’impression que c’est un peu son modèle de gestion en coopérative qui crée ce rapportlà avec la clientèle. Ça donne une ambiance plus familiale et chaleureuse, notamment parce que les gens mettent du cœur dans leur shift.»

Génération hippie Cette fraternité entre les travailleurs est d’ailleurs une caractéristique emblématique du Café Campus. Fondé par la défunte Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM) à la suite d’un boycott de la cafétéria, l’endroit situé au coin de Decelles et Queen-Mary est rapidement devenu un lieu de rassemblement pour la génération hippie, qui voyait à travers la gestion du Café Campus une façon de résister aux modèles entrepreneuriaux en place. Directeur artistique et programmateur de l’établissement à ses balbutiements, Michel Sabourin se souvient avec enthousiasme de l’atmosphère qui y régnait: «L’endroit n’était pas officiellement politisé, mais disons que les jeunes qui le fréquentaient l’étaient. Il y avait beaucoup de débats, de réflexions, de prises de paroles… On était des activistes, on préparait la grève.» Au-delà du foisonnement d’idées qui y a lieu, le Café Campus attire alors bon nombre d’étudiants grâce à son menu abordable et à son ambiance décontractée. Contrairement à la cafétéria, l’endroit sert de la bière et tolère qu’on y fume le cannabis. Peu étoffée dans les mois qui suivent son ouverture, la programmation musicale demeure toutefois un défi de taille pour Michel Sabourin: «C’était très dur. On n’était pas encore dans une période très fertile pour la musique d’ici: Charlebois s’accompagnait seul à la guitare et c’était un peu plate, les groupes yéyé avaient la cote mais n’intéressaient pas vraiment les étudiants… Bref, on écoutait pratiquement juste de la musique en anglais. C’est vraiment dans les années 1970 que ç’a pris son envol.»

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De retour à la programmation en 1972, après un court détour en journalisme culturel, Sabourin établit plus clairement la signature musicale du Café. Alors que les jeudis, vendredis et samedis vibrent au rythme de «la discothèque la plus hot en ville», les lundis permettent à plusieurs artistes de la relève de faire leur marque, notamment Diane Dufresne, Plume Latraverse, Octobre et Beau Dommage. «J’connaissais Michel Rivard, et il avait peur de venir jouer chez nous parce que c’était une salle quand même très rock’n’roll. J’ai mis du temps à le convaincre, mais ç’a marché. Le soir du show, ça s’est plutôt mal passé… Tout le monde s’était mis à parler!» se souvient-il. «Le folk, ça marchait pas toujours, mais des groupes plus costauds comme Octobre, c’était une valeur sûre.» Pour être en phase avec son public, le programmateur invite également des pointures du blues américain, notamment Willie Dixon, Muddy Waters et Luther Allison: «Pour des musiciens aussi talentueux qui, malgré tout, subissaient une certaine ségrégation dans leur pays, c’était cool d’avoir une foule aussi réceptive devant eux. Le show de Luther Allison était particulièrement mémorable: il jouait de la guitare en se promenant debout sur les tables. Moi, je devais tenir son fil de guitare, tout en tassant des verres.»

Autogestion, déménagement et Piment fort Sabourin quitte le bateau au milieu des années 1970, au moment où la structure du Café Campus commence à changer. Détenu par Services Campus, une organisation temporaire créée afin de combler le vide laissé par l’écroulement de l’AGEUM en 1969, l’établissement traverse une période un peu plus mouvementée, qui culmine avec la syndicalisation des employés en 1974. La toute nouvelle Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAECUM) prend le relais en 1976 comme propriétaire de l’endroit, et la tension est à son comble avec le syndicat. «L’entreprise était déficitaire, et la Fédération voulait la vendre», raconte Marc St-Laurent. «Pour éviter que ça arrive, les employés ont créé une OBNL.» Entre 1979 et 1981, le bar est donc géré à la fois par la FAÉCUM et l’Association des travailleurs et travailleuses du Café Campus (ATTCC). «Y a eu énormément de négociations à ce moment-là», poursuit le programmateur actuel. «La Fédération voulait vendre la place pour une piasse à une entreprise. Les employés ont trouvé des preuves et ont défoncé les portes de l’asso.»


19 MUSIQUE VOIR MTL

Le 17 mars 1981, la FAÉCUM accepte finalement de vendre le Café Campus à l’ATTCC, qui élabore alors un modèle d’autogestion viable. «La décennie 1980, c’est vraiment l’âge d’or du Café. La place était toujours pleine ou presque», indique JeanFrançois Beaudoin.

Si son modèle d’autogestion l’aide alors à survivre, l’avènement de Piment fort l’aidera, étrangement, à regagner ses lettres de noblesse. En tout, c’est plus de 1000 enregistrements que la populaire émission de TVA tournera en son sein entre 1993 et 2001. «C’est clair que ç’a aidé à remettre sur pied la place», analyse Marc St-Laurent. «Quand un million de personnes par jour entendent parler qu’il y a de la “BOISSON!!!” au Café Campus, ça amène une certaine notoriété.» Depuis, la coopérative continue de surfer sur les réformes fructueuses qu’elle a mises en place il y a deux décennies, en plus de mettre à profit son Petit Campus, une salle à l’acoustique décente qui peut accueillir jusqu’à 400 spectateurs. Si, avec les années, sa clientèle s’est largement diversifiée et

CAFÉ CAMPUS, AVANT LA FERMETURE EN 1992.

La popularité grandissante de l’endroit ne fait pas que des heureux. Invoquant la «perte de jouissance due au bruit», quelques résidents voisins déposent une plainte à la Régie des alcools, qui ordonne au Café de fermer ses portes pour 15 jours. Loin de baisser les bras, les étudiants et clients manifestent devant l’établissement et signent une pétition au nombre de 15 000. Devant une telle mobilisation, la Régie donne un sursis à l’ATTCC, qui a un an pour se relocaliser.

VO2 #O2

En 1993, l’emblème du campus de l’Université de Montréal déménage sur Prince-Arthur, à quelques pas de la Main, là où se trouvait le bar Chez Swan. Le délogement et la récession économique des années 1990 ont des impacts négatifs sur le bar, qui traverse alors sa période la plus difficile. «On a dû faire des ajustements, comme fermer la cuisine et remanier les soirées», précise l’actuel responsable de la publicité, en mentionnant l’instauration des Mardis rétro et des (feux) Dimanches francophones. C’est également durant cette période creuse que le Café Campus devient officiellement une coopérative et qu’elle décide de mettre davantage l’accent sur les spectacles d’artistes de la relève comme Fred Fortin, Anonymus ou Xavier Caféine.

atteint maintenant un bassin de «gens de McGill qui traversent la rue en jogging», sa politique interne n’a jamais changé: le code vestimentaire est toujours inexistant (ce qui est rare pour un club aux abords de la Main), et ses prix sont restés abordables. Bref, à l’aube des festivités entourant son cinquantième anniversaire, le Café Campus est en voie de devenir une institution montréalaise à part entière. «Par-dessus tout, ce que je trouve le plus cool, c’est que c’est un endroit qui est né de la contestation», rappelle Philippe Cigna. «En fait, c’est comme si Gabriel Nadeau-Dubois avait fini par s’ouvrir un cégep!» y Lancement des festivités du 50e anniversaire avec The Damn Truth 8 février, 20h

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SE LAISSER VOYAGER AVEC

LEIF VOLLEBEKK LE CHANTEUR MONTRÉALAIS REVIENT SUR DISQUE APRÈS QUATRE ANS D’ABSENCE AVEC UNE ŒUVRE ÉMOUVANTE ET APAISANTE, TWIN SOLITUDE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


21 MUSIQUE VOIR MTL

Quand on regarde Leif Vollebekk interpréter ses chansons, il semble possédé par la musique. Il bouge ses épaules et ses muscles du visage au gré des notes. Il laisse tout son corps aller, se laisse chavirer par la musique et les mots. C’est très physique. Autour de 2014, alors qu’il terminait la tournée de son album North Americana, l’émotion évoquée par ses chansons ne s’emparait plus de lui. «Il arrive un moment où tout d’un coup, tu changes, tes sentiments changent. Une bonne chanson, c’est une chanson qui change avec toi, mais dans ce casci, j’avais des pièces avec lesquelles je n’étais plus d’accord – pas qu’elles étaient mauvaises, mais je ne me voyais plus là-dedans. C’était difficile de les jouer. Il fallait toujours trouver un espace créatif pour les chanter – penser à une personne en particulier, par exemple – et rendu là, ça devenait plus du method acting.» Les pièces qu’il pouvait encore jouer sans problème étaient celles qu’il avait écrites en coup d’éclair pour son précédent disque, Photographer Friend et Off the Main Drag. «Ce sont des chansons avec des rimes pas trop naturelles, mais qui sont sorties de ma tête de façon très organique, sans trop y penser.» Pour en arriver à un nouvel album cette année, Leif Vollebekk voulait retrouver ce même sentiment de pureté créatrice. Ç’a pris plus de temps que prévu, mais Twin Solitude arrive enfin ce mois-ci, quatre ans après son prédécesseur. «Oui, c’était long, mais ce n’était pas long aussi! dit-il. J’écrivais de nouvelles chansons en vue d’un autre album et c’était très artisanal – j’avais une mosaïque d’idées. Mais je n’avais pas envie de les jouer live et y avait quelque chose qui manquait, donc j’ai pris un recul et j’ai arrêté d’écrire. Finalement, la pièce qui ouvre le disque, Vancouver Time, m’est venue, comme ça, un après-midi. C’était pareil quand j’étais plus jeune, j’écrivais des chansons sans y penser. Alors les mois suivants, j’ai commencé à dessiner et à faire plein de choses pour arrêter de penser et de ne pas forcer les chansons.» Mots et paysages Twin Solitude, qui navigue entre folk alternatif et pop de chambre et qui est présenté en deux temps – un côté A au piano et un côté B à la guitare –, fait voyager. Les titres de chansons comme All Night Sedans, Big Sky Country, Michigan, Telluride indiquent que la route et les paysages sont encore primordiaux dans l’œuvre de Leif Vollebekk. Et les histoires qu’il y raconte sont très détaillées: des endroits, des types de voitures, des gens, des conversations, des émotions. On s’imagine bien les scènes qu’il décrit.

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Sur Elegy, son premier extrait, il y a cette ligne qu’on aime bien: «Everybody ’round here’s telling me to act my age, I’m trying» [Tout le monde me dit d’agir comme quelqu’un de mon âge, j’essaie]. «Mes amis commencent à avoir des vies plus stables et moi, de moins en moins, dit-il en riant. J’ai le sentiment d’avoir 26 ans pour le reste de ma vie!» Et dans le vidéoclip accompagnant la chanson, on creuse encore plus loin dans le passé de Leif. «On l’a tourné à une plage en Floride où j’allais en famille pendant mon enfance. C’est un parc national où y a des oiseaux partout et le sable est plein de coquillages et de branches. Quand je suis là-bas, j’ai l’impression que je suis juste moi, le moi qui a toujours été. Je reconnais la personne que je serai toujours.» Leif dit avoir le sentiment d’être très libre avec cette chanson, et c’est à l’image de sa création. Il nous raconte que pour Elegy, il s’inspirait à la base du roi du soul à la Stevie Wonder. «Je m’imaginais que je chantais un hit du genre Signed, Sealed, Delivered I’m Yours! Je chantais avec plein d’énergie. Et finalement, je me suis dit que ce n’était pas destiné à moi parce que je ne fais pas des chansons comme Stevie ou Ray Charles. Le lendemain, je dessinais et j’avais encore la chanson en tête, alors je me suis dit: “Allez, fais-la à ta manière!”.» Un regain d’énergie et de liberté semble donc avoir teinté ce nouvel album de Leif Vollebekk. S’il a toujours réussi à nous émouvoir par ses compositions sensibles et sa voix bouleversante digne d’un jeune Bob Dylan, Leif Vollebekk clôt son disque avec une dernière sublime pièce de huit minutes, Rest, qui apaisera les plus ardentes âmes. «Je voulais donner un style Tom Waits à la chanson et mon ami musicien Adam Kinner a dit: “Pourquoi on ne ferait pas ça avec un harmonium?” Alors on a ajouté du saxophone et Sarah Pagé a joué de la harpe. L’idée est que tu tombes endormi. Y a un album de Sigur Ros (Valtari) qui est juste planant, sans batterie. Pendant très longtemps, quand j’avais du mal à dormir, c’est le seul album que je pouvais mettre dans notre autobus de tournée et disparaître. T’oublies tout.» y Twin Solitude (Secret City Records) Sortie le 24 février Concert le 2 mars au Cabaret La Tulipe dans le cadre de Montréal en lumière

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À ÉCOUTER

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★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

HEAT OVERNIGHT

AUSTRA FUTURE POLITICS (Domino Records) ★★★ 1/2 Ce troisième disque marque l’éveil politique du groupe torontois qui mélange électro et voix presque lyrique avec adresse depuis ses débuts. Cette fois, la chanteuse Katie Stelmanis se fait cavalière de l’apocalypse (faut voir la pochette) comme pour annoncer le contenu narratif des nouvelles chansons. Si elle entonne un discours écologiste sur Gaia et la chanson titre, Stelmanis ne renie pas ses anciennes amours sur des titres plus intimistes comme I’m a Monster ou I Love You More than You Love Yourself – une étonnante pièce ponctuée par des chants grégoriens réinventés. On dodeline par moment, certes, mais les rythmes à contretemps (We Were Alive et Angel in Your Eye notamment) viennent casser l’énergie pop du disque, amenuiser le pouvoir des mélodies. Un exercice risqué, et certainement calculé, qui témoigne quand même de beaucoup d’audace. (C. Genest)

ARCHITEK PERCUSSION METATRON

(The Hand Recordings)

(Ambiances Magnétiques / DAME)

★★★★

★★★★

Ils ont leur son bien à eux, mais Heat a été souvent comparé aux Psychedelic Furs – pour la voix éraillée de Susil Sharma, ou à Echo & The Bunnymen – pour les guitares scintillantes de Matt Fiorentino, on présume. Disons qu’il y a pire comme parallèle. On pourrait aussi associer le quintette de Montréal à bien d’autres formations emblématiques du post-punk britannique (Flesh For Lulu, Mighty Lemon Drops) tellement ses influences sont vastes. Ce serait néanmoins passer à côté du principal: l’authenticité palpable de Heat, son assurance, ce côté vaguement nonchalant, cette mélancolie en filigrane, cette couleur pop jamais trop criarde, ces vagues de distorsion à la My Bloody Valentine, cette rythmique souvent galopante et un certain maniérisme dans le chant de Sharma qui séduit bien plus qu’il ne fatigue. Après un EP plutôt convaincant en 2014, Heat répond largement aux attentes avec ce premier album complet. Overnight n’est pas le genre d’album qu’on oubliera du jour au lendemain. Chaud devant. (P. Baillargeon)

Issu de la filière McGill, où tous ses membres ont étudié, le quatuor Architek Percussion (trois percussionnistes «branchés» et un joueur de synthétiseur) offre avec ce disque centré sur une œuvre du compositeur canadien Eliot Britton l’un des enregistrements les plus rafraîchissants entendu depuis longtemps. Augmenté de deux autres percussionnistes, doublant aussi aux électroniques, l’ensemble interprète la musique de Britton avec assurance et précision, le mélange entre les sons percussifs, les abstractions électroniques et les échantillonnages de vieux vinyles provoquant une réjouissante explosion de couleurs. Britton, qui poursuit actuellement un doctorat en composition à McGill, nous donne un bel aperçu des nouvelles directions que peuvent prendre les musiques mixtes grâce aux avancées dans l’instrumentation numérique. Lancement le 16 février, au Gesù/Vivier lors d’un concert saluant les 25 ans de la maison de disques DAME. (R. Beaucage)

CLOUD NOTHINGS LIFE WITHOUT SOUND (Carpack Records) ★★★ 1/2

Avec le premier extrait Modern Act, Cloud Nothings laissait présager un virage pop, un peu trop lisse en regard de sa signature noise rock, si bien exploitée sur l’acclamé Here and Nowhere Else paru en 2014. Heureusement, le quatuor de Cleveland ne s’en remet pas qu’à cette recette édulcorée sur son quatrième album. Loin d’être en manque d’inspiration, l’auteur-compositeurinterprète Dylan Baldi raffine ses mélodies, fignole ses textes et s’entête à contenir une rage latente qu’il finira par libérer sur l’acerbe Realize My Fate. En ressort un album quelque peu disparate qui, à force de tirer dans toutes les directions, finit par viser juste à quelques reprises, notamment sur les puissantes Darkened Rings et Strange Year. (O. Boisvert-Magnen)

LUDOVIC ALARIE L’APPARTEMENT (Coyote Records) ★★★★ C’est un deuxième album exquis que nous offre Ludovic Alarie. Toujours épaulé par Warren C. Spicer (Plants and Animals) et secondé par la voix délicieusement feutrée d’Adèle Trottier-Rivard, le jeune auteur-compositeur-interprète déballe ses chansons doucement, lentement, en laissant la musique respirer et en ne chantant (voire chuchotant) que le nécessaire. Toujours dans un registre entre pop de chambre et folk douillet, L’appartement s’écoute les yeux fermés en s’imaginant voler avec sa douce ou son doux. À travers cette pop délicate, Ludovic Alarie se trame un chemin vers une sensualité à couper le souffle et se révèle un digne héritier de Martin Léon et autres élégants compositeurs contemporains du genre. Un autre bijou qui vous apaisera assurément! (V. Thérien)


23 DISQUES VOIR MTL

OVERKILL THE GRINDING WHEEL

JOHN MAYER DHAMMAPADA

(Nuclear Blast Records)

(First Hand Records/Naxos)

★★★

★★★★

En entreprenant l’écriture de leur 18e album, le bassiste D.D. Verni et le chanteur Bobby «Blitz» Ellsworth voulaient exprimer en musique les réalités d’un groupe qui se donne à fond à son art depuis près de 40 ans. Le choix du titre est conséquent avec le thème qui a inspiré les deux membres originaux et principaux compositeurs d’Overkill et donne un disque qui vaut le détour. La mécanique de The Grinding Wheel est parfaitement huilée, les morceaux thrash pimentés d’influences punk, heavy métal (The Long Road) et même d’un soupçon de blues (Come Heavy) donnent le goût de marteler l’air du poing pour encourager Overkill. Le seul bémol concerne la longueur de plusieurs morceaux qui diluent l’impact final de The Grinding Wheel. (C. Fortier)

La pièce titre de ce disque a été enregsitrée en 1976, mais elle n’a été publiée sur disque pour la première fois qu’en 2006! Cette première édition étant épuisée depuis longtemps, revoici le même enregistrement, techniquement amélioré et augmenté de deux autres pièces de cet indo-jazz qui a fait la réputation de Mayer (Portraits of Bengal et Tantrik Dances). Dhammapada raconte la migration du bouddhisme de l’Inde jusqu’au Japon, en passant par la Chine et la Corée, et les 13 musiciens du London Music Fusions, sous la direction du compositeur, comptent des joueurs de sitar, de koto et de sarod (et aussi de flûte, de sax, de piano, etc.). L’Est et l’Ouest s’y retrouvent dans un mélange parfait, ultra joyeux et toujours actuel. (R. Beaucage)

VO2 #O2

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RUN THE JEWELS RUN THE JEWELS 3 (Run the Jewels, Inc.) ★★★★

TITO LAURENT BLUES KREYÒL

LE TROUBLE MAKING MATTERS WORSE

(Indépendant)

(Indica)

★★★

★★★★

Sa voix de bluesman immigrant qui s’est battu et ses mélopées créoles sur le courage et l’amitié résonnent de loin dans les couloirs du métro. Version finale d’un démo qu’il vendait à la station Henri-Bourassa, ce disque indépendant et combien cohérent est le premier en carrière pour Tito Laurent, malgré une discographie abondante – comme sideman, batteur et percussionniste – qui débute dès 1968 avec le Combo Negro. Reprenant à son compte des chansons du groupe afro-montréalais Noula qu’il fonda avec Roro d’Haïti au début des années 1990, ainsi qu’un titre percutant des Brothers Posse sur les méfaits causés par les forces de paix onusiennes dans le tiers-monde, cet ancien boxeur et bûcheron d’Abitibi rajoute du reggae, du vaudou et du rap dans sa sauce avec l’aide de Dai Rutz, de Pascal Laraque (Bypass Studio, rue St-Hubert) et du bassiste new-yorkais Chico Boyer, pilier du mouvement «racines». Force de la nature. (R. Boncy)

Pour son premier album chez Indica – après quelques mésaventures auprès d’une étiquette de L.A. qui auraient pu complètement désabuser la bande, le quintette montréalais revient en force. Making Matters Worse propose une collection de 11 titres vitaminés et accrocheurs. Le Trouble se distingue par la voix parfois haut perchée de son chanteur australien Michael Mooney, une rythmique fiévreuse et une solide cohésion. Proche des Jonathan Fire*Eater/Walkmen pour la fougue et la passion et des Strokes pour le côté nerveux, Le Trouble est aussi capable de pencher davantage vers une pop moins agressive – la plus calme Easy Enough –, mais il peut aussi agréablement surprendre en flirtant avec un style plus glam, comme en témoigne Sad Blondes aux couleurs Sparks/Sweet. À cheval entre rock et (power) pop indie, Le Trouble demeure dans une sorte d’urgence, un quelque chose de vaguement punkifié qui nous tient en haleine du début à la fin de l’album. (P. Baillargeon)

Conscients de l’impact qu’ils ont eu avec Run the Jewels 2, un deuxième album unanimement salué par la critique, El-P et Killer Mike reviennent à la charge avec une autre bombe hip-hop de grande envergure. Plus politisé que jamais, le duo new-yorkais envoie des flèches à Donald Trump (2100, Talk to Me), dénonce la violence policière (Thieves!) et enjoint à la population de se révolter contre ses dirigeants (la puissante Kill Your Masters avec l’infatigable Zack de la Rocha). S’il tend parfois à remâcher des textes un peu insipides et à répéter des formules vocales prévisibles, Run the Jewels compense ces rares moments de maladresse par une trame musicale à tout casser qui, dans un feu roulant d’intensité, emprunte au rock, à l’électro et à la musique industrielle. Signant encore une fois l’essentiel des compositions, El-P se surpasse à plusieurs reprises avec de véritables machines de guerre sonores (Hey Kids, Legend Has It). (O. Boisvert-Magnen)


24 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O2

O2 / 2O17

MONIQUE GIROUX SUR MESURE

LETTRE D’AMOUR Je me souviens de notre première fois. Il me fallait, pour te regarder, monter à genoux sur une chaise. Appuyée sur mes petits coudes, je t’écoutais me parler en des mots que je ne saisissais pas toujours. Mais le timbre de ta voix, tes intonations, la musique dans tes mots, tes rires me transportaient, m’invitaient à te suivre vers un ailleurs meilleur. Ma grand-mère, qui provoquait nos rencontres, après s’en être allée à l’hospice, m’a laissée me débrouiller seule avec toi. De la cuisine où avaient lieu nos rendez-vous, nous sommes rapidement passées à la chambre et je t’ai invitée à partager mes nombreux instants de solitude qui, grâce à toi, n’en étaient plus. Le plus souvent la nuit, à l’insu des parents, je collais mon oreille sur ton souffle. Les yeux fermés, je me faisais mon cinéma. Je te voyais éclairée d’une seule ampoule et je t’imaginais seule toi aussi. Petite, un peu sombre et seule. La lumière ne prête pas toujours aux confidences et aux chansons tristes. Et c’est bien connu, les plus belles chansons sont des chansons tristes. Tu les chantais mieux, plus juste la nuit que le jour. Au fil de ma petite enfance, tu t’es immiscée subtilement en moi, devenant mon inséparable amie imaginaire, mon refuge d’enfant unique dont le seul autre confident avait la forme d’un vieux chat en noir et blanc. Dehors, les gens parlaient beaucoup trop. Le temps passe si vite quand on parle tant. En classe, en cas de dissertation, toujours je me faisais porter, pâle, feignant un malaise qui me clouerait au lit le temps que passe l’exercice. J’étais pourtant enjouée et joyeuse. Qui s’asseyait au fond de la classe près de la fenêtre qui donnait sur le cimetière? «Si vieille pour son âge», disait-on… C’est ta faute sans doute, monstre à batteries et à boutons. Si tôt tu m’as parlé, juste à moi, de choses à découvrir, à aimer, à craindre, avec des mots de quatre syllabes, des mots de grandes personnes.

Tu avais déjà avant moi éduqué ma mère qui, retenue à la maison, n’avait que toi pour apprendre. Espèce de prescripteur à piles. C’est en t’écoutant que j’ai compris que mon pays n’était pas un pays, mais l’hiver, qu’il faisait toujours beau quelque part, que l’alouette pouvait se faire plumer, mais qu’elle pouvait aussi se mettre en colère, que le monde et les temps changent, que mes blues passent pu dans’ porte, qu’on n’apprivoise pas les chats sauvages, que ma plus belle histoire d’amour, c’est vous, et qu’on danse les uns contre les autres, mais qu’au bout du compte, on est toujours tout seul au monde. On y revient. C’est en t’écoutant que j’ai compris aussi qu’il ne fallait pas quitter ceux qu’on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez. Alors que je me destinais à devenir photographe, courbée par en avant, l’œil dans le viseur à cadrer la vie et à choisir la lumière en silence, tu m’as ouvert la porte du Studio 24, le studio de Paul Boutet, dont plus personne ne sait qui il est. Paul Boutet, philosophe, agronome qui a collaboré à de nombreuses émissions cultes de Radio-Canada. Tu m’as ouvert la trappe. La trappe à parler, la trappe à bonheur, la trappe au devoir d’être honnête, authentique, respectueuse de ceux qui écoutent. Parce que tu t’interdis la feinte. Avec toi, pas de faux-semblants, de maquillage, de belles robes. Avec toi, personne ne le sait ni ne s’en offusque quand tu portes un t-shirt de Gerry ou de Céline. Mais on devine tout le reste, on le sait quand tu lis, quand tu ne crois pas en ce qu’on te fait dire. Même les jours de revers, malgré tes efforts, quand on te connaît bien, on perçoit ta peine ou ton désarroi juste là au bord de ta voix.

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UNE PRODUCTION DU CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI

«IL Y AURA TOUJOURS EN TON SEIN DES VOIX PASSIONNÉES, DÉVOUÉES ET BELLES À ENTENDRE, POUR DIRE, TOUCHER, ÉCHE VELER, ET POUR DONNER À PENSER.»

J’ACCUSE EN REPRISE ET EN SUPPLÉMENTAIRES

Depuis, on ne se quitte plus. Je ferme souvent les yeux pour t’écouter et aussi quand je te prête ma voix, à moi. Je t’écoute pour voir. Sans image. Sans texte ni sous-titres. Que le son, rien qui bouge. Tu te tiens bien debout toute seule. Tu n’es pas un passe-temps, un loisir à faire en attendant. Dans sa chanson intitulée Ma radio, la Grande Sophie parle de toi: … celle qui ne s’essouffle jamais au cœur des insomnies perchée sur un meuble, dans un taxi, une épicerie la radio, ma radio celle qui donne l’heure au temps passé, me plonge dans le présent… En effet, tu ne t’essouffleras pas, je le prédis. Je te connais, tu ris. Tu vois venir le jour où, en panne d’électricité depuis plusieurs semaines pour cause de verglas, nos téléphones et nos tablettes seront à plat et que pour savoir où trouver de l’eau, les allumettes et le bois, on te ressortira le transistor. … le visage que j’imagine n’est peut-être pas le tien mais la radio, ma radio alimente mon imaginaire, a construit un château elle est là, c’est elle qui m’accompagne elle respire, je l’entends grésiller elle m’appelle, j’adore quand elle me parle des mots, des airs, des histoires à la radio... Devant mon écran, à cet instant, je ferme encore les yeux et cherche tes voix dans mes souvenirs. Elles surgissent pêlemêle, bêtes de radio: Jacques Proulx, Jean-Pierre Coallier, Jacques Matti et Hélène Fontaine, Frenchie Jarraud, Michel Desrochers, Jacques Houde, Lizette Gervais et Andréanne Lafond, Lise Payette, Guy Mauffette, Myra Cree, GérardMarie Boivin, auxquels s’ajoutent ceux qui sont venus plus tard et qui viendront encore. Il y aura toujours en ton sein des voix passionnées, dévouées et belles à entendre, pour dire, toucher, écheveler, et pour donner à penser. Il y aura toujours, de l’autre côté, des auditeurs boulimiques de savoir, joyeux mais solitaires, pour qui tu resteras encore et toujours cette précieuse amie imaginaire. Écoute, pas juste pour voir. y

TEXTE ANNICK LEFEBVRE MISE EN SCÈNE SYLVAIN BÉLANGER AVEC LÉANE LABRÈCHE-DOR, DEBBIE LYNCH-WHITE, CATHERINE PAQUIN-BÉCHARD, ALICE PASCUAL, CATHERINE TRUDEAU

SALLE PRINCIPALE DU 9 AU 24 FÉVRIER 2017 THEATREDAUJOURDHUI.QC.CA/JACCUSE

« UN TOUT QUI FRÔLE LA PERFECTION » LE DEVOIR « ELLES SONT DRÔLES, ÉMOUVANTES ET PARFOIS EXTRÊMES » LA PRESSE « UNE PLUME TRÈS FORTE, FOUGUEUSE, CISELÉE » SAMEDI ET RIEN D’AUTRE « UNE GRANDE PAROLE POUR UNE GRANDE AUTEURE » DESSINE-MOI UN DIMANCHE « ÉBLOUISSANT DE VOIR DES ACTRICES DE CETTE QUALITÉ » CULTURE CLUB « DES MONOLOGUES PUISSANTS ET DENSES » HUFFINGTON POST

PARTENAIRES DE SAISON



27 CINÉMA VOIR MTL

VO2 #O2

BRASSEZ-NOUS, POUR L’AMOUR DU CINÉMA EXIGEANT, DÉRANGEANT, EXALTANT, AUTANT DANS SA FORME QUE DANS SON PROPOS, CEUX QUI FONT LES RÉVOLUTIONS À MOITIÉ N’ONT FAIT QUE SE CREUSER UN TOMBEAU EST UN FILM COUP-DE-POING SUR L’IDÉALISME ET L’ENGAGEMENT DANS UN QUÉBEC DE L’APRÈS-PRINTEMPS ÉRABLE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

Les réalisateurs Mathieu Denis et Simon Lavoie se sont imaginé quatre personnages, de jeunes révolutionnaires qui persistent à lutter contre la paresse politique et sociale par tous les moyens. Quoique ce deuxième film à quatre mains ne soit pas une suite de Laurentie (2011), Ceux qui font les révolutions... a été créé «dans le même esprit de liberté et d’urgence qu’on a ressenti de parler du monde dans lequel on vivait», dit Mathieu Denis. À travers une forte signature visuelle, nous nous faisons happer à l’écran par des gestes passionnés et violents, des chorégraphies de comédiens nus, de la musique classique ou métal et des mots éloquents, si inhérents au récit, de grands écrivains militants. «Ce film-là ne doit pas laisser indifférent, dit Mathieu Denis. J’espère que ça bouscule. Y a des gens qui vont détester. Bien, qu’ils détestent avec passion! Je veux aussi que les gens l’aiment avec passion et qu’ils sortent de la salle en se disant: “Essayons d’en faire des choses et ne soyons pas amorphes, stagnants et indifférents”.» Si le printemps érable est perçu comme un échec, n’ayant pas donné les résultats escomptés, et que la nostalgie est condamnée dans le film, des images d’archives d’autres révolutions à travers le monde (Tunisie, Ukraine, Espagne) rendent universel ce soulèvement au Québec. «C’était important d’inscrire cet événement-là et l’après-printemps dans

quelque chose qui a une portée plus grande, parce que c’est pas quelque chose qui est isolé dans le temps, précise Mathieu Denis. L’esprit de révolte qui a animé les étudiants en 2012, jusqu’à un certain point, c’est le même esprit de révolte qui a animé Hubert Aquin en 1964 quand il a décidé de prendre le maquis et de fonder une organisation terroriste. Dans l’échec de l’engagement d’Aquin et du printemps érable, y a aussi quelque chose qui nous ramène à cette espèce d’état d’inachèvement perpétuel qu’on semble vivre au Québec. C’est comme si on n’arrive jamais à aller au bout des choses.» Un constat triste, avoue Mathieu Denis, et qui est aussi vrai pour bien d’autres révolutions. «En Ukraine, qu’est-ce que la révolution de 2014 a donné? Les résultats sont loin d’être probants. L’héritage de tous ces mouvements-là est en suspens, on est loin d’être sûr que ç’a été positif. Il faut essayer de comprendre pourquoi ces mouvements-là persistent à ne pas donner les résultats voulus.» Ce miroir que nous renvoient Mathieu Denis et Simon Lavoie sur grand écran est brutal, mais il faut comprendre que dans ces quatre personnages qui poursuivent la lutte, les réalisateurs y évoquent de l’espoir, un refus catégorique de résignation. «Je pense qu’il y a quelque chose d’émouvant làdedans et de tragique, dit Simon Lavoie. C’est ce qui nous a touchés. Ils refusent de se laisser noyer, d’accepter les choses telles qu’elles sont.»

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28 Profondément unis, les quatre personnages du film se retrouvent parfois nus ensemble, ne formant qu’un seul corps. Gabrielle Tremblay, qui joue le rôle de Klas Balato, une transsexuelle qui travaille dans un salon de massage érotique pour subvenir aux besoins du groupe, nous a expliqué comment les acteurs en sont venus à créer ce sentiment d’unité. «Les personnages sont des gens qui vivent confinés ensemble et qui sont vraiment concentrés sur leur objectif, leur révolution. Dans le processus de répétition, on avait beaucoup de scènes de groupe. Ça nous aidait à travailler la fraternité. Les répétitions nous ont aidés à nous accepter aussi. Personnellement, j’avais plein de complexes par rapport à mon corps et tout. Mais de voir que c’est fait avec des yeux professionnels, ça permet de se voir autrement et ç’a fait tomber tout plein de mes barrières.» Engagement absolu Signe que le film ne laisse personne indifférent: lors de la première mondiale du film au Festival international du film de Toronto (TIFF) en septembre, des spectateurs ont quitté la salle et d’autres ont ovationné l’équipe. «On a senti que les esprits étaient très échauffés. Des gens dénigraient le film et claquaient les sièges et d’autres nous appuyaient, se remémore Simon Lavoie. Les moments où y a eu des applaudissements, ça nous a ragaillardis.» «J’ai trouvé ça hyper excitant et j’étais encore plus fier de faire partie de ce projet-là», dit Laurent Bélanger, qui fait ici ses débuts au grand écran en campant le rôle de Tumulto. «Parfois, diviser les gens, ça sert à en réunir d’autres. Là, je sentais qu’il y avait des gens qui n’acceptaient pas ce qu’ils voyaient à l’écran.» Certes, il y a un certain choc à absorber lorsque les réactions sont fortement mitigées, mais ce film devait être fait, tel un appel, déclare sans détour Mathieu Denis. «Faire un film comme celui-ci, ça nécessite un engagement absolu de la part de tous ceux impliqués. Et donc tout de suite quand tu le présentes pour la première fois à un public et qu’il y a cette réaction qu’on a eue à Toronto qui était très violente jusqu’à un certain point, c’est difficile à vivre pendant que ça se vit. En même temps, jamais durant la projection, je me suis dit: “On est allés trop loin”.» Quelque chose de déraisonnable Construit comme un essai, en mélangeant la fiction à des images d’archives, Ceux qui font les révolutions… a été inspiré de La Chinoise de Jean-Luc Godard ou encore 24 heures de plus de Gilles Groulx, des «œuvres très foisonnantes, qui jouent avec du matériel venu de plein d’endroits différents», précise Mathieu Denis. Son ami de longue date Simon Lavoie ajoute que «la gestation du film a été assez longue, mais quand on l’a écrit, on a été financé rapidement et

on l’a tourné rapidement, en un geste. Sans se poser de questions. Si on se posait des questions, on risquait de se dire: “Ç’a pas de bon sens, on doit pas faire ça”. Donc on a foncé. Y a quelque chose d’un film déraisonnable. Comme un poing sur la table dans une taverne.» Les longs mots du titre sont empruntés à une citation de Louis Antoine de Saint-Just pendant la Révolution française. Les férus de littérature politique et militante seront ravis puisque les personnages du film s’abreuvent de citations fortes telles que: «J’avais cherché une raison de vivre dans l’abstrait, alors qu’il fallait la chercher dans la vie, dans l’action.» (Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, Montréal, Parti pris, 1968). Fait à noter: les réalisateurs ont collaboré avec Flammarion afin de mettre à la disposition du spectateur, sous la forme d’un livre disponible en librairie, le scénario et les sources des nombreuses citations et références qui le composent.

«CE FILM-LÀ NE DOIT PAS LAISSER INDIFFÉRENT. J’ESPÈRE QUE ÇA BOUSCULE. Y A DES GENS QUI VONT DÉTESTER. BIEN, QU’ILS DÉTESTENT AVEC PASSION!»

«Y a toutes sortes de lectures qui, au fil des années, nous ont influencés, indique Simon Lavoie. La découverte, par exemple, du Canadien français et son double de Jean Bouthillette, Fernand Dumont... Mathieu avait fait beaucoup de recherche autour de la Révolution tranquille pour son film précédent, Corbo. Tout à coup, c’est comme si Ceux qui font les révolutions... a fait en sorte de cristalliser tout ce cheminement.» Ceux qui font les révolutions… est aussi une lettre d’amour au cinéma. Une grande expérience cinématographique qui allie toutes les formes d’art – la littérature, la musique, la scène et les arts visuels – , créant ainsi une œuvre d’art puissante en soit. y En salle le 3 février


18 e é dition

23 FÉ VRIER AU 11 M ARS

AGNES OBEL 28 février, 20 h THÉÂTRE MAISONNEUVE, PdA

PREMIÈRE MONTRÉALAISE

LES HAY BABIES

présenté par

Première partie : GARRETT MASON

BENJAMIN BIOLAY

24 février, 20 h CLUB SODA

Première partie : SÉBASTIEN LACOMBE

en collaboration avec

26 février, 20 h THÉÂTRE MAISONNEUVE, PdA

PREMIÈRE MONTRÉALAISE

VALAIRE

GRATUIT !

Première partie : KAHLI ABDU

1er mars, 20 h

RÉSEAU DÉLICE, VILLES GOURMANDES MONDIALES

25 ŒUVRES LUMINEUSES RÉPARTIES SUR UN PARCOURS DE 3,6 KM AU CŒUR DU QUARTIER DES SPECTACLES

LA PLUS GRANDE DIVERSITÉ DE CHEFS INTERNATIONAUX JAMAIS VUE EN VILLE

présenté par

DÎNERS ET BRUNCH DES COPRÉSIDENTS D’HONNEUR

JÉRÔME BOCUSE ET CHRISTOPHE MULLER 24, 25 et 26 février

BILLETTERIE

MAISON BOULUD

PLACE DES ARTS 514 842-2112 1 866 842-2112 • placedesarts.com CLUB SODA 514 286-1010 • clubsoda.ca

montrealenlumiere.com

CLUB SODA

en collaboration avec


IL Y A CINQ ANS LE PRINTEMPS ÉRABLE LE PRINTEMPS ÉRABLE A EU LIEU EN 2012. NUL DOUTE QUE LA SAISON À VENIR APPORTERA SON LOT DE NOSTALGIE AUTOUR DES CINQ ANS DU GRAND MOUVEMENT, QUI A SANS ÉQUIVOQUE EU UN IMPACT CONSIDÉRABLE SUR NOTRE CULTURE – LES ARTISTES DU QUÉBEC AYANT ÉTÉ NOMBREUX À PRENDRE POSITION ET À CRÉER DES ŒUVRES IMPROVISÉES, À VIF, TEMPORAIRES OU PERMANENTES. DANS LE CADRE DE CE DOSSIER, NOTRE ÉQUIPE DE RÉDACTION REVIENT SUR LES INITIATIVES INTÉRESSANTES INSPIRÉES DE CES ÉVÉNEMENTS ET TENTE DE VOIR SI ELLE A ENCORE UNE INFLUENCE SUR NOTRE CULTURE. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN, CATHERINE GENEST, ANTOINE BORDELEAU & VALÉRIE THÉRIEN


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MUSIQUE MILITANTE Au-delà du port de l’emblématique carré rouge, les musiciens d’ici ont contribué à galvaniser les étudiants lors de la grève de 2012. Leur soutien a été tout particulièrement tangible lorsque la mobilisation a atteint son point culminant. Si les artistes étaient peu nombreux à s’impliquer directement dans le mouvement à ses balbutiements, un groupe arrivait toutefois à rallier les troupes. Fondée en 2007 afin d’amasser des fonds pour le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), la formation folk punk montréalaise Mise en demeure, désormais inactive, a évoqué la grève étudiante dans ses chansons dès le début du soulèvement étudiant. «À la base, on était tous des militants, soit dans la rue ou l’ASSÉ», explique le chanteur et guitariste Robert Fusil. «Notre but était de faire du bien aux militantes et militants en passant un message combatif. On jouait pour tous ceux et celles qui se battaient dans la rue.»

MISE EN DEMEURE, PHOTO | ALEXIS AUBIN

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Parue en octobre 2011, la chanson Liberté d’expression frappait fort avec son refrain martelant que «t’as le droit d’être contre la grève, mais on a le droit de te trouver cave». À quelques jours du rassemblement historique du 21 mars 2012, le groupe remettait les pendules à l’heure avec Violence légitime, mon œil!, une tirade contre les «osti de flics au service des riches et des fascistes». Même si elles n’ont pas obtenu de succès populaire, ces chansons ont contribué à cimenter l’unité de la frange plus radicale du mouvement. Le milieu du hip-hop québécois s’est lui aussi prononcé assez rapidement en faveur des étudiants, notamment par l’entremise des capsules vidéo Contre la hausse du site Hiphopfranco, auxquelles ont participé les rappeurs Helmé, Filigrann, Obia le Chef, Jules & Murph et Beeyoudee. Peu après, ces derniers ont une fois de plus manifesté leur mécontentement sur la compilation Printemps érable, produite par DJ Horg. «Je suis un militant depuis longtemps et, quand j’ai vu que le mouvement étudiant prenait de l’ampleur, j’ai voulu y prendre part de manière plus importante.

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Surtout, je voulais offrir une alternative aux vieux slogans qu’on entend toujours dans les manifs», explique l’initiateur de ces deux projets, Samuel Daigle-Garneau. Le mainstream s’en mêle Plus ou moins engagée dans le mouvement depuis ses débuts, la communauté artistique plus mainstream a commencé à s’impliquer plus activement à partir du 21 mars avec L’HAUSSEtie D’SHOW. Des personnalités telles que Manu Militari, Paul Piché, Michel Rivard et Chloé Sainte-Marie étaient alors montées sur la scène du Métropolis pour chanter leur soutien aux grévistes. Est ensuite venue une petite vague de chansons enregistrées pour la cause. Alors que Godspeed You! Black Emperor a dédié son album Allelujah! Don’t Bend! Ascend! au mouvement étudiant (l’édition vinyle venait d’ailleurs avec un carré de tissu rouge), d’autres ont profité de cette période de mobilisation sociale pour revenir sous les feux de la rampe. On pense plus précisément à Loco Locass qui, en avril, est sorti d’un long silence de huit ans avec [wi], ode au rassemblement présentée comme un hymne au printemps érable. Parfait moment, s’il en était, pour dépoussiérer l’esprit contestataire du groupe qui nous avait donné Libérez-nous des libéraux en 2004. Le groupe a d’ailleurs fait monter sur scène les trois leaders étudiants lors de son concert aux FrancoFolies en juin. À la même période, on a eu droit à des chansons militantes de plusieurs artistes locaux, dont Ariane Moffatt, Jérôme Minière, Le Husky, 2Frères et l’humoriste anglophone Jon Lajoie. Le mouvement gagnait rapidement de la notoriété à l’international et on a même vu Indochine composer Le fond de l’air est rouge pour faire écho à la lutte des étudiants québécois. Chez nos voisins du Sud, on a même pu voir un des membres du groupe hip-hop Public Enemy, fortement politisé, porter le carré rouge. Mais que reste-t-il de la fougue contestataire de 2012 dans notre paysage musical actuel? Bien que l’on puisse relever La fanfare de Louis-Jean Cormier, chanson à caractère social parue en 2015, force est d’admettre que le temps a fortement estompé la présence du printemps érable (et, même, de tout autre sujet contestataire) dans la banque d’inspiration de nos artistes grand public. «La lutte était mainstream pendant le printemps érable et elle aurait dû le rester», croit Robert Fusil. «Y en a des sujets pour être en colère... Le laitte est en train de nous dévorer pis on le chante pas assez.» (O. Boisvert-Magnen et A. Bordeleau)

PAR LA FORCE DES PLANCHES Dès le début du conflit étudiant, les artisans de la scène profitent de l’excellente tribune que représentent les planches de nos théâtres pour livrer des textes poignants. Le public a aussi fait résonner ses casseroles dans les théâtres de la métropole en 2012. Le monde de la danse a mis la main à la pâte en provoquant des initiatives rassembleuses, comme le comité Danse ta grève des étudiants de l’UQAM et autres chorégraphies de groupe improvisées. Côté théâtre, Olivier Choinière sera l’un des premiers à réagir, dans le cadre du FTA du mois de mai 2012, alors que les rues de Montréal tremblaient sous les pas des manifestants. Férocement opposé à la loi 78, le dramaturge montera sur la scène de

«ANTIGONE DEVIENT LE SYMBOLE D’UNE JEUNESSE QUI NE BAISSE PAS LES BRAS DEVANT UN POUVOIR CORROMPU, INJUSTE. IL M’APPARAÎT URGENT DE RACONTER À NOUVEAU CETTE HISTOIRE AFIN QUE L’ESPOIR NE DISPARAISSE PAS DANS LE RONRON ALIÉNANT DES FILS D’ACTUALITÉ.»

l’Usine C après les représentations de Chante avec moi pour y lire un texte engagé et de son cru. Marqué au fer rouge par les événements, il nous offrira ensuite des œuvres qu’il avoue teintées par le printemps érable: la première mouture de son Abécédaire des mots en perte de sens, Mommy (à ne pas confondre avec l’œuvre de Dolan) en 2013 et finalement Ennemi public deux ans plus tard. Si certains de ses collègues effleurent le sujet avec subtilité, comme les sœurs Véronique et Gabrielle Côté dans la courtepointe poétique Attentat, d’autres l’ont attaqué de front, sans demi-mesure. C’est le cas d’Olivier Kemeid avec un texte au ton épique relégué par la revue Jeu dans le feu de l’action, mais


DIMANCHE NAPALM, PHOTO | VALÉRIE REMISE

aussi de Sébastien David avec Dimanche Napalm, le portrait d’une famille québécoise aux opinions diamétralement opposées, une pièce étrennée par une distribution cinq étoiles (notamment Henri Chassé et Louis Danis) en novembre dernier au Théâtre d’Aujourd’hui. Olivier Lépine, auteur et metteur en scène, prendra aussi les traits d’un policier à l’éthique douteuse et d’un documentariste inspiré porté par le bruit des casseroles dans Architectures du printemps, monologue programmé à Premier Acte en mars 2016. Le sujet du printemps érable s’est donc taillé une place de choix dans nos théâtres et il continue d’inspirer nos dramaturges. Ça se poursuivra en avril avec Antigone au printemps de Nathalie Boisvert, pièce qui sera présentée au Théâtre Denise-Pelletier. L’auteure précise qu’«Antigone au printemps n’est pas

une pièce sur les événements du printemps 2012. Cependant, elle tente d’extraire l’énergie brute de ce qu’a été ce moment pour nous. Elle questionne notre destin collectif, nos valeurs capitalistes, notre conception du pouvoir et de l’ordre, ce qui nous forge comme individu et comme nation. La pièce est une ode à ce soubresaut d’espoir, de folie magnifique et de révolte qui a déferlé dans nos quartiers, nos rues, nos places publiques. Antigone devient le symbole d’une jeunesse qui ne baisse pas les bras devant un pouvoir corrompu, injuste. Il m’apparaît urgent de raconter à nouveau cette histoire afin que l’espoir ne disparaisse pas dans le ronron aliénant des fils d’actualité». (C. Genest et V. Thérien)

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GISELE AMANTEA, AT THE END OF THE VISIBLE SPECTRUM, 2014 PHOTO | RENAUD PHILIPPE


35 DOSSIER VOIR MTL

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PRISES DE PAROLE VISUELLES Le printemps érable évoque en lui-même un symbole, une forme géométrique indissociable du mouvement étudiant de 2012. Les artistes visuels ont travaillé à partir du proverbial carré rouge pour créer des œuvres ouvertement politiques et laisser une trace poétique. En pleine tourmente, à brûle-pourpoint, un collectif de designers graphiques s’est formé entre les murs de l’UQAM: l’École de la montagne rouge. Nommé ainsi en hommage au Black Mountain College états-unien des années 1940, le groupe à géométrie variable s’est fait remarquer dans les manifestations avec ses pancartes inspirées et ses chiennes rouges de peintres. On se souviendra d’eux dans une rétrospective en novembre 2012, dont Frédéric Metz était le commissaire, et dans le film Aujourd’hui pour moi, demain pour toi (2013) de Maël DemarcyArnaud qui documente leur prompte existence. Les photographes ont eux aussi vécu la grève de l’intérieur et immortalisé, médium oblige, les événements dans la plus grande urgence. C’est le cas du reporter Jacques Nadeau, l’un des plus célèbres employés du Devoir, qui a regroupé 153 clichés sous un même livre (Carré rouge) paru aux éditions Fides en août de la même année. Darren Eli et Philippe Montbazet ont aussi marqué le coup à Montréal avec l’exposition Carré rouge – Droit de parole, un corpus d’une soixantaine d’images dévoilées à la Maison de la culture Marie-Uguay en mars 2013.

«LES ARTISTES VISUELS ONT TRAVAILLÉ À PARTIR DU PROVERBIAL CARRÉ ROUGE POUR CRÉER DES ŒUVRES OUVERTEMENT POLITIQUES ET LAISSER UNE TRACE POÉTIQUE.»

ÉCOLE DE LA MONTAGNE ROUGE

La sculptrice Sarah Marceau-Tremblay prendra possession du hall du Théâtre de la Bordée pour présenter On est tous enceintes/We Are All Pregnants au commencement de 2013. Son triptyque de géantes ensanglantées, habillées de ce qu’elle présente comme ses «dentelles de ciment», nous a émus en raison de sa posture triste. Trois grandes dames longilignes qui auront été présentées préalablement au Centre culturel de Pierrefonds. En 2014, la Manif d’art a fait du printemps érable l’un des thèmes majeurs de sa septième biennale, édition dont Vicky Chainey Gagnon était la commissaire. Elle a d’ailleurs confié la Galerie des arts visuels de l’Université Laval à Gisele Amantea qui y a présenté At the End of the Visible Spectrum, une installation où l’on y voyait une photographie en noir et blanc du Salon bleu de l’Assemblée nationale à laquelle avait été greffé une myriade de carrés rouges. Un immense collage juxtaposant le pouvoir de la rue et celui des communes, pour reprendre les mots de Mme Chainey Gagnon. «C’était une œuvre très exigeante qui évoquait la possibilité d’intervenir, d’agir, de changer, de créer une protestation symbolique.» Le printemps érable a laissé une trace dans notre histoire politique nationale, c’est indéniable, mais peuton en dire autant au rayon de l’art? Vicky Chainey Gagnon le croit. «Ç’a été un moment de changement important pour les artistes qui se sont sentis alliés à cette cause et qui continuent de lutter.» (C. Genest)

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VO2 #O2

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IMAGES DE TENSION Outre le long métrage de fiction à la une de ce numéro, ces dernières années le septième art s’est penché sur le printemps érable davantage sous la forme de documentaires, mettant en lumière la force des étudiants et des manifestants. Celui qui a fait le plus de bruit est Carré rouge sur fond noir de Santiago Bertolino et Hugo Samson, sorti le 30 août 2013 et qui a reçu deux prix Gémeaux. Les caméras des deux réalisateurs captent les chamboulements – dont des images de l’intérieur pendant la fameuse débandade au Palais des congrès de Montréal –, sont au cœur des coulisses de la CLASSE avec Gabriel Nadeau-Dubeau et suivent d’autres voix fortes du mouvement étudiant.

«SI CE SONT SURTOUT DES IMAGES RÉELLES ET INTENSES DE DOCUMENTAIRES AUTOUR DU PRINTEMPS ÉRABLE QUI ONT ÉTÉ PROJETÉES DEPUIS 2012, MAINTENANT, PLACE À LA FICTION ET À LA DÉSILLUSION QUI S’EMPARE DE NOUS AUJOURD’HUI.»

La même année sortait également Insurgence, long métrage documentaire du collectif anonyme Épopée, présenté entre autres à la Manif d’art 7 en 2014. Le film, sans narration, laissait parler les images. Il a été produit dans le but de rendre justice au courage des manifestants et à l’énergie exceptionnelle qui régnait dans les rues de Montréal à cette époque. Le regroupement de créateurs et de citoyens engagés 99%Média, très actif pendant le printemps érable, a également livré un documentaire de 73 minutes, Dérives, en 2013. Il s’agit d’un regard sur la tension entre le SPVM et les citoyens pendant les manifestations.

Les vidéastes ont aussi été nombreux à créer dans le vif du conflit étudiant. On se souvient de Casseroles de Jérémie Battaglia, une vidéo qui montrait avec grande beauté toute la solidarité des Montréalais descendus dans les rues, ou bien Je marche à nous de Samuel Matteau, dans laquelle un grand-père fabriquait un chapeau de diplômé en carré rouge pour sa petite-fille. Si ce sont surtout des images réelles et intenses de documentaires autour du printemps érable qui ont été projetées depuis 2012, maintenant, place à la fiction et à la désillusion qui s’empare de nous aujourd’hui avec Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau de Mathieu Denis et Simon Lavoie. Le cinéma du printemps érable ne fait que commencer. (V. Thérien)

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DES PAGES ROUGES Du côté de la littérature, on retient les nombreux essais à caractère politique et social publiés pendant et après le printemps érable, mais il y a aussi eu des romans (Terre des cons de Patrick Nicol) et des bandes dessinées (Je me souviendrai d’un collectif d’auteurs) qui sont nés après cette période chargée d’émotions. L’essai Année rouge du rédacteur en chef

Tenir tête Gabriel Nadeau-Dubois Lux Éditeur, 224 pages

de Nouveau Projet Nicolas Langelier, par exemple, est un témoignage personnel et sociologique de cette année particulièrement mouvementée dans l’histoire du Québec, alors que l’auteur Pierre-Luc Brisson analyse les faits et gestes de ses contemporains dans Après le printemps pour tenter d’arriver à une compréhension de la jeunesse d’aujourd’hui. En octobre 2013, Gabriel Nadeau-Dubois, sans doute le visage le plus médiatisé du printemps érable, livre enfin son brûlot Tenir tête, qui nous plonge dans

son monde pendant les manifestations et les assemblées générales de 2012. Dans ces publications écrites à chaud ou à froid, le clavier a certes été une arme importante pour les auteurs et essayistes. Mais les idées et les analyses ont assurément stagné quelque part en 2013. Nous attendons toutefois avec impatience ce que les auteurs auront à nous dire sur le mouvement étudiant avec plus de recul. L’anniversaire à venir de ce printemps apportera sans doute de nouvelles pistes de réflexion… (V. Thérien) y

Année rouge Nicolas Langelier Éditions Atelier 10, 108 pages

Après le printemps Pierre-Luc Brisson Éditions Poètes de brousse, 92 pages


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LE CYCLOTRON REVISITE L’HISTOIRE TOURNÉ EN 20 JOURS À OKA ET GATINEAU AVEC UN BUDGET DE 1,8 MILLION DE DOLLARS, LE CYCLOTRON D’OLIVIER ASSELIN FAIT DES MIRACLES. AMBITIEUX ET LUDIQUE, LE FILM S’IMPOSE COMME LA PÉPITE MADE IN QUÉBEC DE CE DÉBUT D’ANNÉE 2017. MOTS | CÉLINE GOBERT

Un cyclotron est une machine qui accélère les particules. Dans le film du même nom, signé par le Québécois Olivier Asselin, il est dissimulé dans une montre et permet, en résumé, de déclencher l’explosion de la bombe atomique. Les familiers de la filmographie du cinéaste sont en terrain connu puisque Asselin fait une nouvelle fois de l’imbrication entre science et Histoire le fil rouge de son film. De plus, comme dans La liberté d’une statue (1990) et Un capitalisme sentimental (2008), il s’amuse à revisiter un moment historique et à imaginer une version alternative de l’Histoire. «Ce détour par le passé permet de mieux comprendre le présent, nous explique-t-il en entrevue. Il ne faut pas négliger les leçons de l’Histoire.» L’histoire, celle du film, se déroule à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans quelques intérieurs: un bunker, une chambre d’hôtel, un train, un laboratoire. On s’y promène, dans des périodes et lieux différents – de Londres à Berlin, Paris et Bruxelles. L’espionne alliée Simone (Lucille Fluet, également coscénariste du film aux côtés d’Asselin) est chargée de retrouver et de tuer Emil (MarkAntony Krupa), un scientifique allemand. Pourchassé par les militaires hitlériens (dont Helmut König, interprété par Paul Ahmarani) qui veulent s’emparer de sa formule de fabrication de la bombe atomique, Emil est capturé dans le train. Le train, «cette scène en mouvement» comme le nomme Asselin, est un leitmotiv du vieux cinéma américain qu’il chérit tant: on le retrouve notam-

PHOTOS | FUNFILM

ment dans Shanghaï Express de Josef von Sternberg (1932) ou dans The Lady Vanishes d’Alfred Hitchcock (1938). Dans Le cyclotron, le véhicule sert de métaphore à la grande Histoire, celle «qui file dans la nuit», et entraîne une réflexion tant sur le libre arbitre que sur la part de hasard dans les grands bouleversements de l’Histoire. «Les décisions que l’on prend ont un impact prodigieux sur nos vies, explique Asselin. Un petit détail peut tout changer, c’est la réalité de l’Histoire.» Le cyclotron s’éloigne volontairement des codes habituels du film ou du documentaire historique, «très conventionnel tant sur le plan narratif qu’en matière de direction artistique», selon le réalisateur qui ose ici de multiples audaces formelles. Mélanges d’images d’archives réelles et fictionnelles, saut de la couleur au noir et blanc, références au cinéma expressionniste allemand: Asselin s’amuse! Comme dans cette séquence finale où il divise l’écran (split screen) pour mieux illustrer une théorie de mécanique quantique! «Le cinéma est un médium très riche pour représenter des choses très complexes. C’est un médium presque philosophique!» Inspiré par le cinéma dit «muet», le cinéaste estime que «l’étrangeté» qui se dégage de ces films engendre paradoxalement un effet de réalisme, qui, dans le cas du Cyclotron, nous place avec efficacité dans la complexité de l’Histoire. «J’ai montré Nosferatu de Murnau à mes filles, elles étaient pétrifiées d’horreur! Pourtant, les films qu’elles voient aujourd’hui sont remplis de morts, de personnes


PAUL AHMARANI

> foudroyées, de squelettes animés!» Parier sur «l’étrangeté» est, selon lui, un moyen d’accéder à un autre monde, ainsi qu’à plus de singularité. Enfin, explorer cette période sombre et d’incertitude morale, dans laquelle les Juifs étaient persécutés, lui a permis d’explorer ce qui le fascine depuis longtemps: la façon dont l’événement historique peut saisir la pensée. À l’époque, le milieu scientifique s’est scindé: ceux qui ne pouvaient accepter la persécution des Juifs, et ceux qui ont poursuivi leur carrière malgré tout (tel le philosophe Heidegger). Le film d’Asselin s’interroge sur ces positions morales: «Est-on libre ou fait-on seulement ce

qu’on doit faire?» «Emil est déterministe, explique le réalisateur. Il pense que l’on est coincé par nos positions sociales, notre psychologie.» Simone pense au contraire que l’on peut – et que l’on doit – agir dans la grande Histoire. Quant à la question du nucléaire, impossible de ne pas y voir de résonances avec notre époque. «J’espère ne pas être un prophète de malheur, mais quand je vois que des pays comme l’Iran et la Corée du Nord se sont dotés du nucléaire ou que Trump répond en un tweet à la Corée du Nord... c’est terrifiant.» y En salle le 10 février


40 CHRONIQUE VOIR MTL

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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

POPULISME ET POSTVÉRITÉ: OUI, MAIS… On a beaucoup dit de l’année dernière qu’elle était celle du populisme et de la postvérité. Il y a évidemment quelque chose de juste dans ces observations: qu’on pense au Brexit ou à l’élection de Donald Trump, pour prendre les deux exemples les plus souvent cités, on se trouve bien devant ce qu’on peut qualifier d’un populisme accompagné d’un mépris des faits, permettant de raconter n’importe quoi sans être contredit ou sans en subir les usuelles conséquences. Un certain air du temps est bel et bien désigné par là et chacun de nous le sent bien. Mais je suggère un peu de prudence dans l’emploi de ces termes et je me demande, légèrement inquiet, si à trop insister sur la nouveauté radicale de ces phénomènes, on ne laisserait pas échapper une part importante de ce qui se déploie sous nos yeux. Considérez le concept de populisme. Définir le populisme Il y a trois caractéristiques du populisme sur lesquelles on s’entend généralement. Le populisme, dit-on, est l’idée qu’il existe un peuple; que celui-ci a été trahi par des élites; et que les maux et les griefs du peuple sont entendus par la personne ou le parti justement appelé populiste, qui promet de corriger la situation. Mon problème est que ces caractéristiques peuvent, au moins en gros, et si on en donne une acception géné-

reuse, s’appliquer à peu près à n’importe quelle idéologie politique; et je crains que le mot en vienne à servir de repoussoir pour désigner une position que l’on n’aime pas. Le nationalisme, le communisme, le socialisme, le libertarianisme, le fascisme, et j’en passe, prétendent en effet tous parler au nom du peuple – il est même normal qu’il en soit ainsi: faire de la politique, c’est traduire ou dévoiler des aspirations populaires; ces idéologies soutiennent aussi, à des degrés variables, que ce peuple a été trahi par des élites et des groupes (les bourgeois, la métropole, etc.) différents selon le cas; et les partisans de cette idéologie prétendent entendre les griefs du peuple et savoir comment corriger la situation: c’est même en partie pour cela que l’on fait de la politique. Devant ces évidences, on ajoutera alors que c’est le refus du politique, de la discussion, voire des institutions publiques, auquel on substitue le mensonge, la fourberie, les insultes, la démagogie, voire la violence, qui caractérise le populisme. L’argumentaire est alors plus solide et plus convaincant. Mais il reste selon moi discutable. Ce n’est pas tant que chacun, en politique, peut être coupable de nombre de ces travers, mais c’est surtout que cette perversion de la démocratie représentative est trop souvent devenue chose courante. Et s’il est vrai qu’on va rarement jusqu’où se rend Trump en matière d’attaques personnelles et d’injures, en ce qui concerne les tromperies et la fabrication des consentements, on n’a pas attendu le populisme de ces dernières années pour s’en donner à cœur joie.

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41 Malaise dans la dĂŠmocratie Restons-en aux États-Unis, dont on souhaite qu’ils n’annoncent pas ce qui s’en vient ailleurs. Si on prend un peu de recul, que constate-t-on? Depuis des dĂŠcennies, les ĂŠlections sont modelĂŠes sur l’exemple des campagnes de marketing de vulgaires dentifrices: la vie dĂŠmocratique y est profondĂŠment pervertie par l’argent, les lobbies et les firmes de relations publiques. Elles font appel aux ĂŠmotions et sont sans grande substance, ignorent peu ou prou des enjeux que les gens disent importants pour eux, sont faites de promesses vides et gĂŠnĂŠralement non tenues; des politiques d’une immense importance, notamment celles qui concernent l’Êconomie, sont exposĂŠes au public dans une langue qui rappelle la novlangue d’Orwell et sont largement dĂŠcidĂŠes par des grandes entreprises et des politiciens qui les sert, cela Ă l’abri de toute supervision et sans reddition de comptes à ‌ Mais Ă qui donc? Au peuple! Et le dire n’a rien de populiste. C’est pour une bonne part lui, le peuple, qui vient d’Êlire Trump, plus prĂŠcisĂŠment cette classe moyenne qui croyait au rĂŞve amĂŠricain et qui est persuadĂŠe d’avoir jouĂŠ le jeu en toute honnĂŞtetĂŠ, d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour avancer, Ă qui on a promis que les ĂŠchanges supposĂŠment libres apporteraient la rĂŠalisation de toutes les promesses de mobilitĂŠ sociale et de rĂŠussite ĂŠconomique, mais qui s’est retrouvĂŠe flouĂŠe et qui ressent intimement cette trahison‌ et qui s’est une fois de plus fait rouler dans la farine, comme le dĂŠmontrent les nominations aussitĂ´t faites par Trump, les rĂŠactions enthousiastes des marchĂŠs Ă son ĂŠlection et le fait qu’il s’apprĂŞte, comme c’Êtait prĂŠvisible, Ă gouverner comme un bon rĂŠpublicain – ce qui n’est pas si loin d’un bon dĂŠmocrate, de la mĂŞme manière que bien des partis politiques de gauche, depuis 40 ans, ont menĂŠ des politiques de droite. Ce qui s’est passĂŠ aux États-Unis, par-delĂ la bouffonnerie et la grossièretĂŠ de l’homme Ă la moumoute jaune, c’est, j’en conviens, une forme de populisme Ă l’heure de la postvĂŠritĂŠ. Mais, ne l’oublions surtout pas, rien de tout cela n’est entièrement neuf, sinon la dangereuse imprĂŠvisibilitĂŠ du personnage. Trump est ainsi le prolongement bouffon de ce qui se vit depuis trop longtemps dans ce pays – et ailleurs dans le monde aussi. Ce qu’on appelle le populisme de Trump, c’est la dĂŠmocratie bafouĂŠe depuis des dĂŠcennies qui tire la langue, c’est le ÂŤpeupleÂť qui rĂŠclame qu’on l’entende, tirant lui aussi la langue.Â

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On jurerait qu’une partie de la gauche et des forces progressistes n’a rien entendu de ces cris de colère et de dĂŠtresse et qu’elle s’est contentĂŠe de critiquer les victimes; une autre partie a bien tentĂŠ de rĂŠpondre Ă ces attentes, par exemple Sanders. Avec un certain succès, il est vrai. Mais si on a Ă cĹ“ur l’avenir de la dĂŠmocratie, tout cela devrait nous inquiĂŠter. En fait, nous sommes nombreux Ă ne pas avoir attendu Trump pour ĂŞtre inquiets‌ et Ă espĂŠrer que les Sanders de ce monde trouvent mieux – et vite – les oreilles, le ton et les mots pour dialoguer avec le‌ peuple. y

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RICHESSE BORÉALE PLANTE ANCESTRALE MAIS ENCORE PEU CONNUE, LE THÉ DU LABRADOR FAIT SON GRAND RETOUR. CET EMBLÈME DU TERROIR QUÉBÉCOIS POSSÈDE DE NOMBREUSES VERTUS QUI LUI DONNENT UNE PLACE DE CHOIX EN CUISINE ET EN MÉDECINE, ET JUSQUE DANS NOS COSMÉTIQUES…

PAYSAGE DE LA CÔTE-NORD, OÙ EST CUEILLI LE THÉ DU LABRADOR

MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | THIBAULT CARRON


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«J’ai découvert le thé du Labrador en arrivant sur la Côte-Nord. Au hasard de mes promenades en forêt, j’ai commencé à en ramasser et j’ai tout de suite aimé son odeur; mes mains embaumaient après la cueillette…» Le thé du Labrador, c’est la plante fétiche d’Andrée Hardy. Cette entrepreneure aux mille carrières a lancé il y a quelques années TIPIKA, une marque de savons naturels pour la peau qu’elle fabrique avec du thé du Labrador. Le laboratoire La Sève de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a en effet découvert que l’une des propriétés

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de la plante était de stimuler la production naturelle de collagène de la peau – on retrouve d’ailleurs depuis peu des extraits de thé du Labrador dans certains produits de Lise Watier. Aussi appelée bois de savane, cette plante indigène typique de l’Amérique du Nord est en outre un vrai médicament naturel. Andrée en utilise les feuilles en infusion pour soigner maux de gorge, maux de tête, fièvre, toux ou insomnie. Les premiers utilisateurs du thé du Labrador, les Amérindiens et les Inuits, en consommaient pour guérir certains troubles respiratoires, digestifs et rénaux, les rhumatismes, le scorbut, mais aussi pour purifier le sang. Il paraît que la plante facilite également les accouchements… À l’instar du laboratoire La Sève de l’UQAC, de plus en plus de scientifiques se penchent sur le thé du Labrador. Des recherches que suit Andrée de près: «La tige du thé du Labrador contiendrait un composé pouvant lutter contre les tumeurs. Une autre étude, réalisée sur la communauté autochtone des Cris, révèle que l’extrait de cette plante favoriserait la lutte contre le diabète.» Malgré son nom, la plante ne contient aucune théine ou caféine, et est très riche en antioxydants. Il est possible d’en distiller les feuilles et les fleurs pour obtenir une huile essentielle efficace comme draineur hépatique, pour nettoyer le foie. À raison d’une à deux tasses par jour, la plante est aussi apaisante et calmante – pour 60% des gens environ, tempère Fabien Girard, biologiste et auteur de Secrets de plantes: «Il y a beaucoup de charlatanisme autour des plantes. Le thé du Labrador est en tout cas un bon digestif grâce à sa concentration en limonène.» En effet, son utilisation permet de traiter diarrhées, indigestions, ballonnements, gaz intestinaux et autres charmants désordres des abus alimentaires... «On étudie le thé du Labrador depuis peu, remarque Fabien. On est moins avancés dans la connaissance de nos plantes que certains pays d’Europe par exemple, mais au lieu de vouloir utiliser les leurs, on commence tout doucement à découvrir nos plantes d’ici… Et tout est à découvrir, c’est fantastique!» Un intérêt (re)naissant que confirme Andrée: «Dans le milieu autochtone, j’ai rencontré des aînées qui avaient bu beaucoup de thé du Labrador lorsqu’elles vivaient en forêt. L’habitude s’est perdue avec la sédentarisation, mais l’intérêt pour les connaissances liées au territoire renaît auprès des jeunes.» Le terroir boréal est donc au goût du jour, et la tendance s’est importée jusque dans les assiettes. Plusieurs chefs, comme Martin Gagné de l’Hôtel des Premières Nations à Wendake, incorporent ainsi le thé du Labrador dans leurs plats et menus.

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44 Le terroir borĂŠal au goĂťt du jour ÂŤLa cuisine borĂŠale que l’on sert Chez Boulay est une cuisine de territoire, du terroir, indique Arnaud Marchand, qui officie au restaurant de QuĂŠbec. On ĂŠlimine ce qui ne pousse pas ici Ă l’Êtat naturel et on cherche par quoi on peut remplacer ces aliments. On veut interpeller les clients sur la richesse de ce qu’il y a autour d’eux. Notre rĂ´le est d’Êduquer; pas tant le touriste que le client quĂŠbĂŠcois, qui souvent ne connaĂŽt pas bien son terroir.Âť Les aliments quĂŠbĂŠcois sont mis en valeur: racine d’Êpinette, gingembre sauvage, lĂŠgumes racines‌ et thĂŠ du Labrador. ÂŤC’est sĂťr qu’il y a un effet de mode, mais c’est une plante que la cuisine amĂŠrindienne a toujours utilisĂŠeÂť, affirme Arnaud. Le chef l’utilise en infusion, par vapeur, en papillotes, dans une huile ou en bouillon, pour y pocher un poisson par exemple‌ Il cuisine la plante avec des produits fins et dĂŠlicats, comme un poisson plutĂ´t qu’une grosse pièce de viande. Un conseil: ĂŠvitez de la poĂŞler ou de la rĂ´tir, car elle dĂŠgagera beaucoup d’amertume. ÂŤJ’apprends Ă l’utiliser au fil du temps, confie Arnaud. Il y a tellement de qualitĂŠs diffĂŠrentes de thĂŠ du Labrador! J’essaie de trouver les conditions oĂš il est maximisĂŠ. Je n’ai pas encore dĂŠcouvert tous ses

secrets‌ Enfin, la plante est bien sĂťr proposĂŠe Chez Boulay en infusion, Ă la fin d’un repas de ratatouille de lĂŠgumes racines ou d’un tajine borĂŠal Ă l’agneau de Charlevoix. ÂŤCeux qui n’aiment guère les tisanes sont souvent conquis par le thĂŠ du Labrador, assure Fabien Girard, qui s’intĂŠresse aussi au goĂťt des plantes. Sinon, les chasseurs qui aiment relever le goĂťt de leur gibier avec les saveurs de la forĂŞt borĂŠale seront bien servis avec le thĂŠ du Labrador.Âť Le biologiste fait aussi macĂŠrer des feuilles dans ses punchs aux fruits ou en met dans ses soupes‌ Il conseille d’ailleurs de faire sĂŠcher un petit sac de feuilles pour l’utiliser tout l’hiver comme assaisonnement. Sa recette prĂŠfĂŠrĂŠe? Du thĂŠ du Labrador dans un filet de porc coupĂŠ en deux, sur lequel on met ensuite du fromage pour garder les arĂ´mes Ă l’intĂŠrieur‌ Et sur une touche sucrĂŠe: ÂŤJe broie les feuilles au mĂŠlangeur et j’en assaisonne certains desserts; l’arĂ´me dĂŠveloppĂŠ au dĂŠbut de l’ÊtĂŠ se marie bien avec certaines pâtisseries.Âť ÂŤC’est comme si le thĂŠ du Labrador regroupait les arĂ´mes de plantes aussi diffĂŠrentes que le carvi, la menthe poivrĂŠe, le cĂŠleri et les agrumesÂť, note Fabien. De quoi jouer en cuisine‌ Mais, tout simplement, on peut aussi manger crues les belles fleurs blanches de la plante.

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«À la place d’une gomme chimique, le fait de croquer dans deux ou trois bourgeons par jour peut être une habitude bio intéressante, écrit le biologiste dans ses Secrets de plantes. J’aime le goût fortement épicé et balsamique, qui reste ensuite dans la bouche…» Cueillette propre et responsable À Québec, la brasserie La Korrigane a commencé à brasser une pale ale en remplaçant le houblon, plante d’Australie et de Nouvelle-Zélande, par du thé du Labrador bien de chez nous. Quant à Andrée de TIPIKA, elle fait des essais: «J’ai expérimenté avec les feuilles entières en infusion et broyées en cuisine. J’ai aussi fait des mélanges, comme thé du Labrador, framboises et pétales de roses. Je me suis aperçue aussi qu’on pouvait boire plusieurs fois les mêmes feuilles; il suffit de les laisser sécher à l’air libre entre chaque infusion.» Elle constate en tout cas un engouement récent pour le thé du Labrador, qu’elle vend en vrac en plus de ses savons. «Même si on en entend parler de plus en plus, la plante n’est pas très connue et peu de gens y ont déjà goûté. À ma boutique L’Aquilon à Tadoussac, on en fait déguster tous les jours; après nos dégustions, deux clients sur trois en achètent.»

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véritable aficionada du thé du Labrador: «J’aime son arôme aux effluves de forêt, la couleur dorée de la première infusion, qui devient ambrée à la deuxième et troisième infusion. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui en boit autant que moi! J’en apporte toujours dans mes valises lorsque je vais à l’étranger. Prendre le thé avec quelqu’un, c’est prendre le temps…» Si le thé du Labrador se retrouve dans presque tout le pays et le nord des États-Unis, notamment dans les lieux humides, tourbières et forêts, la cueillette non responsable peut mettre l’espèce en danger. «J’ai vu une entreprise qui faisait de la cueillette à la

La notion de terroir dans les savons ou pour les infusions a un impact bien visible sur ses clients. «La définition même du terroir assure l’authenticité du produit et sa provenance territoriale, commente l’entrepreneure de la Côte-Nord. Pour moi, c’est un élément de fierté à partager! Les Québécois sont de plus en plus sensibles à notre terroir et les visiteurs étrangers sont à l’affût de produits authentiques à rapporter chez eux.» Andrée fait ses cueillettes en août, septembre et octobre, dépendamment des lieux. Le Fjord du Saguenay, Manic 5 et la Minganie sont les trois territoires de prédilection de cette (EN HAUT) LES SAVONS TIPIKA À BASE DE THÉ DU LABRADOR (CI-CONTRE) ARNAUD MARCHAND, FABIEN GIRARD ET JEAN-LUC BOULAY PHOTO | GENEVIÈVE CÔTÉ

serpe. Je n’ai pas senti de respect envers la ressource. Avec cette technique, ça prend quatre ans avant de pouvoir cueillir à nouveau, explique Andrée. Nous, nous cueillons à la main et au sécateur les sommités de la plante; l’année suivante, le nombre de rameaux s’en trouve multiplié.» La cueillette propre consiste ainsi à ne prendre que les jeunes pousses, sans utiliser la faucille. Un point que tient également à souligner Fabien Girard: «On a peur que l’espèce soit en danger, même si on en a partout dans nos bois. Le thé du Labrador peut devenir une ressource non renouvelable si on ne fait pas attention…» y

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WENDAKE MÉMOIRES GUSTATIVES ENTRE MÉTISSAGE ET TRADITION, LA CUISINE AUTOCHTONE PEUT-ELLE PERPÉTUER SON HÉRITAGE? MOTS | HÉLOÏSE LECLERC

PHOTO | SAGAMITÉ


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> À Québec, les restaurants Sagamité et La Traite sont tout aussi réputés que d'autres grandes tables de la capitale, comme le Laurie Raphaël ou le Saint-Amour. Le point commun entre ces deux restos, c’est qu’ils sont situés sur la réserve de Wendake et qu’ils ont su hisser la cuisine huronne-wendat au niveau culinaire des grands. Mais hors des restos, les enjeux de la cuisine autochtone sont nombreux. Alors que les consommateurs recherchent l’expérience la plus «authentique» possible – à l’aune de leurs préconceptions –, les Hurons-Wendats sont connectés à un niveau très variable à leur propre héritage culinaire en raison des changements de modes de vie imposés par la colonisation et la modernité. Ancrées dans des traditions orales, les Premières Nations ne disposent de peu de traces écrites documentant leur alimentation ancestrale. On a surtout retenu qu’elle était «de subsistance», moins axée sur le plaisir du palais que sur un impératif de survie. Les ingrédients principaux sont ceux qui étaient disponibles au gré des saisons: gibiers, poissons, fruits et légumes sauvages. La fumaison ou le séchage avait pour but la préservation des aliments plutôt que le goût ou la texture. Et la cuisine «tête à la queue» reflétait un pragmatisme doublé d’une révérence profonde envers la Terre-Mère. Dans cette sagesse ancestrale, on retrouve à la fois tout ce qui est célébré dans la «nouvelle» cuisine boréale, et tout ce qui a été regardé avec un certain mépris historique parce qu’interprété à la sauce amérindienne, loin des paradigmes de la gastronomie européenne. Viandes sauvages et chefs «blancs» En étudiant les menus des trois restaurants autochtones de Wendake, l’appétit est stimulé, mais on ne peut que se questionner. À côté de Sagamité et des Trois Sœurs, du bison de l’Ouest et du doré de l’Ontario? De la viande flambée à table? Des cuissons à l’huile d’olive? De la truite en croûte d’argile? Qu’est-ce qui est huron-wendat, et qu’est-ce qui est emprunté ou imaginé?

Au-delà d’une culture culinaire non codifiée, de l’impératif de plaire aux consommateurs et de respecter les aspirations créatives des cuisiniers, la législation provinciale ne permet pas aux restaurateurs de vendre des viandes sauvages. Résultat? Les trois restaurants autochtones de Wendake sont tenus par des chefs cuisiniers «blancs» (au cœur amérindien, assurent leurs employeurs hurons), qui transforment avec des bases essentiellement françaises divers aliments qui n’ont jamais été consommés au village pour évoquer son histoire et sa culture. Complexe. Avant de trop s’énerver qu’on serve du bison de l’Ouest aux Français, il faut rappeler que l’interdiction de la commercialisation de la viande sauvage affecte d’abord les Autochtones. Ceux et celles qui n’ont pas la possibilité de pratiquer la trappe et la chasse doivent compter sur leurs proches et leur communauté pour un accès à la ressource. Sinon, tant pis: il y a du porc et du poulet industriel pour tout le monde à l’épicerie. Chanter en cuisinant «Non codifiée» ne signifie pas «inexistante». Louise Siouï Picard, une Huronne-Wendat de 62 ans, a consacré les 30 dernières années de sa vie à la transmission et à la réinterprétation d’un patrimoine culturel culinaire et médicinal légué par ses aïeules. Elle se souvient d’un passé pas si lointain, où l’accès au territoire était facile. «Juste à l’extérieur du village, il y avait une lisière avec toutes les plantes nécessaires pour se nourrir et se guérir. Avec la construction domiciliaire et les réseaux routiers, il faut aller toujours plus loin.» Chef, pâtissière, traiteure et entrepreneure, elle a cuisiné à l’invitation du Château Frontenac, du Musée de la civilisation, sur la Réserve aussi, du pain à la farine de quenouilles, de l’eau d’épinette aux baies. «Il y a la nourriture folklorique, mais aussi celle que tu cuisines dans l’intimité, pour ta famille, confie-telle. En chantant; on chante toujours en cuisinant.» Est-ce que la cuisine autochtone peut se réinventer tout en renforçant son héritage? Manuel Kak’wa Kurtness, consultant culinaire innu spécialisé dans le patrimoine culinaire des Premières Nations, est formel: «Métisser les plats, ce n’est pas mauvais. Au contraire, c’est l’évolution normale des tendances. D’ici 10 ans, on devrait [rétablir une ligne d’accès] aux gibiers chassés par les Autochtones pour créer un vrai garde-manger qui permettrait le retour d’une alimentation culturelle […]. Pas pour un show pour les touristes, mais pour nourrir les nôtres en premier.» Il faut, comme le dit Louise Siouï Picard, «réveiller ensemble les mémoires». y

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LYON PASSE À TABLE LE VOLET GOURMAND DE MONTRÉAL EN LUMIÈRE PROPOSE POUR SON ÉDITION 2017 UN ZOOM SUR CETTE DESTINATION GASTRONOMIQUE FRANÇAISE… PHOTO | JULIEN BOUVIER, MONTRÉAL EN LUMIÈRE

RECETTE D’ÉPAULE D’ AGNEAU DE JOSEPH VIOLA

MOTS | MARIE PÂRIS

Il y a 18 ans, le célébrissime chef lyonnais Paul Bocuse était président d’honneur de Montréal en lumière. Cette année, spéciale puisqu’elle marque le 375e anniversaire de Montréal, le 150e de la Confédération canadienne et le 50e de l’Expo 67, c’est son fils Jérôme Bocuse qui prend la relève comme coprésident d’honneur. Car en 2017, le festival hivernal met les pleins feux sur Lyon. «On choisit en général un pays comme thème. Mais Lyon est une ville gourmande qui est déjà tellement riche à elle seule, indique Jean-Pierre Curtat, chef du restaurant du Casino Le Montréal et porte-

parole du volet gastronomique de Montréal en lumière. Ça faisait un moment que Lyon était dans le collimateur, d’autant qu’on s’est beaucoup inspirés de cette ville pour créer le festival. Et pour cette année spectaculaire, on voulait faire quelque chose de retentissant…» Au programme, des menus et des événements spéciaux proposés dans 50 tables montréalaises, en plus des conférences sensorielles, de la Fête des fromages d’ici, du Mondial des cidres ou encore de Paye ton âge, qui permet aux jeunes enfants de

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s’initier à la gastronomie des grands restaurants en ne payant que la somme équivalente à leur âge. Ces événements spéciaux dans les restos, «il faut les voir comme une performance artistique», explique le chef. «C’est la beauté de Montréal en lumière, chaque année c’est différent. Vous pourrez revenir dans ces restos en dehors du festival, mais ça ne sera pas la même chose…» En outre, une délégation de chefs de 15 villes du réseau Délice sera présente, sur les 22 destinations gourmandes internationales regroupées dans cette association. «J’ai reçu beaucoup de chefs et ç’a toujours été des moments de bonheur, raconte Jean-Pierre Curtat. Montréal, c’est la ville parfaite pour ça: ici, tous les chefs sont à l’aise, qu’ils soient américains ou européens.» «Une cuisine un peu canaille» Les mariages de chefs sont les activités phares du festival, et parmi la douzaine de Montréalais participants se trouvent aussi bien des chefs de tables consacrées (Europea, Maison Boulud…) que des jeunes talents d’établissements plus modestes. Joseph Viola, qui dirige les cuisines de Daniel et Denise à Lyon, sera notamment de la partie. Le chef se rendra au Balmoral pour transformer le restaurant en authentique bouchon lyonnais le temps du festival. «Donner une âme de bouchon, ça commence par le décorum: nappes à carreaux rouge et blanc, cuivre, bois, fer, beaucoup d’objets… On doit avoir l’impression que le temps s’est arrêté, décrit le chef. Les tables sont assez rapprochées, on partage même le vin et les discussions de table en table.» On est loin des restaurants modernes, mais aussi de l’ambiance des restos parisiens. Au menu, le Balmoral proposera une salade lyonnaise, avec œuf poché et lardons, un pâté en croûte au foie gras et ris de veau, une tarte à la praline, un baba au rhum à la crème de mascarpone, du sorbet vigneron… «On va aussi travailler avec des produits locaux, comme des volailles fermières du Québec», souligne Joseph Viola, qui sera jumelé au chef montréalais Jonathan Lapierre-Réhayem. Les produits typiques du bouchon lyonnais? La praline de SaintGenix, le pâté en croûte, la quenelle de brochet ou encore les abats... «C’est une cuisine un peu canaille», explique le chef français, qui préside l’Association des bouchons lyonnais. Mais à ceux qui parlent de cuisine grasse, il rétorque que c’est un préjugé: «La cuisine lyonnaise a changé, même si son ADN reste le même. On la fait évoluer mais sans déroger à la tradition». Un vrai bouchon lyonnais, selon Joseph Viola, c’est des recettes de la région, des produits locaux et de qualité et le fameux décorum, «un peu comme un musée». Un prix abordable aussi, à savoir environ 35 euros par personne. «La richesse de notre gastronomie dépend aussi des petits restos, insiste le chef. Imaginez s’il fallait à chaque fois dépenser 200 euros pour goûter la cuisine française!» Si on pense souvent à Paris quand on parle de gastronomie française, Lyon prend de plus en plus de place. Une ville incontournable pour Jean-Pierre Curtat: «J’ai été chef invité à Lyon, et j’ai trouvé cette ville hyper effervescente. La qualité des aliments est incroyable: Lyon est un jardin d’Eden de produits. Et il y a une vraie confrérie des chefs, qui m’a impressionné. Ils sont très unis.» Une effervescence culinaire à découvrir pendant deux semaines à Montréal, d’autant qu’au volet gourmand du festival s’ajoute une programmation Arts de la scène ainsi que Divertissement et lumière. Mais d’abord, on soupe à la française… y Montréal en Lumière Du 23 février au 11 mars 2017


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LES NOUVEAUX AMANTS MOTS | FRANCO NUOVO

Je m’apprêtais à quitter la maison pour aller prendre l’avion. Je cherchais quelque chose à lire pour le voyage. Le roman était posé sur une chaise dans mon bureau. Alexandre Jardin? Bof! Pourquoi pas? Je l’ai pris. «Léger», me suis-je dit. Parfait. Y avait belle lurette que je ne m’étais pas plongé dans un bouquin de ce romancier romantique. J’avais lu Le zèbre et Fanfan au début des années 1990, dans lequel l’amour non assouvi était au premier plan. C’était charmant. Quelques années plus tard, l’auteur, devenu soudain réalisateur, tournait un film tiré de son roman. J’étais allé l’interviewer aux studios de Billancourt, ainsi que sa comédienne, Sophie Marceau. Je garde de ces rencontres un joli souvenir. Le mot joli n’est pas anodin. Joli comme dans mignon. Rien de plus. Depuis, aucun son, aucune image, aucun livre d’Alexandre Jardin n’ont suscité mon intérêt, sauf peut-être sa confession publique sur sa famille, son grand-père. J’ai eu envie de ces Gens très bien dans lequel cet auteur plutôt gentil révèle le passé peu glorieux de son grand-père, Jean Jardin, un proche de Laval, un collaborateur, haut dignitaire du régime de Vichy. Jean aurait participé en 1942 à l’enfermement, dans le cadre de l’aryanisation, de 13 000 juifs au Vélodrome d’Hiver. Le bouquin a fait du bruit. J’étais intrigué par cette confession d’un petit-fils de collabo honteux. Et ce mea-culpa déguisé m’est sorti de la tête. Bref… Rien, jusqu’à ce que ces Nouveaux amants me fassent de l’œil. Un roman d’amour qui trempe le bout des orteils dans l’eau de rose. Roses, c’est justement le prénom de l’héroïne – avec un s à la fin –, Roses Violente. Une femme de 25 ans qui habite SaintSébastien-sur-Loire, qui blogue, tweete et s’éprend, au fil d’un échange de gazouillis, d’un dramaturge parisien qui succombe à la puissance des mots écrits par Roses. En fait, au cours de ce chassé-croisé virtuel, ils s’éprennent l’un de l’autre.

Au fait, Alexandre Jardin, il faut le rappeler, donne aussi dans la politique puisqu’après avoir fondé plusieurs associations de citoyens à travers la France et un mouvement, citoyen toujours, Bleu Blanc Zèbre, l’écrivain se présente aux présidentielles françaises de 2017. Il est le candidat de L’Appel des mouvements citoyens. Remarquez bien, cela n’a rien à voir avec Les nouveaux amants. Alors, ces gazouillis? C’est ce qui m’a accroché, happé. Les réseaux sociaux, qui sont au cœur de l’intrigue, entrent en collision avec l’écriture un peu «vieille France» de Jardin. Or, il les récupère pour les glisser au centre de son récit. Et ça, c’est intéressant. Parce que la nouveauté à laquelle fait allusion le romancier est là, dans ce rapport amoureux et passionnel qui passe à travers les mots, les écrits, mais aussi d’autres canaux de communication. À propos de cette technologie devenue le fondement de la découverte amoureuse, Jardin a déclaré à la parution de son livre: «Les médias sociaux rendent fous, car c’est immédiat». Et c’est vrai que cette instantanéité, cette absence de recul, dans une situation de reconnaissance entre deux êtres, comme celle proposée par Alexandre Jardin, infléchit l’approche amoureuse. Les textos, les tweets, Instagram et même Skype, puisqu’il en est aussi question dans le roman, agissent comme des amplificateurs d’émotions. En les utilisant, les héros du récit injectent des stéroïdes à leurs sentiments, alimentent démesurément les amours infidèles et nourrissent une passion destructrice. N’est-ce pas un peu le réel? Roses et Oskar, d’ailleurs, s’aimeraient-ils autant s’ils ne se réfugiaient pas derrière leur cellulaire, s’ils ne se cachaient pas derrière un écran, s’ils n’écrivaient pas ce qu’ils n’auraient peut-être jamais osé dire de vive voix? Pas aussi rapidement, en tout cas.

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Cet anonymat, faux par ailleurs, devient rapidement un accélérateur d’énergie. Il libère l’interdit. Il rend tout plus facile et ouvre grand la porte au fantasme et à l’illicite. Il réveille le désir. Il érotise. L’écran sur lequel glissent les mots cache la beauté, la réalité. Il isole les amoureux et fait basculer dans le passionnel ce qui ne serait peut-être qu’une simple attirance jamais avouée. Alexandre Jardin fait ainsi des réseaux sociaux le personnage le plus important et intéressant de son roman. Celui qui permet à ses héros de vivre la plus grande des aventures romantiques, qui les autorise à basculer dans une folie engendrée par la passion, qui les affranchit du conservatisme de la société et les libère de leurs chaînes, même les plus intimes.

C’est ça qu’Alexandre Jardin a réussi dans son roman. Il fait la démonstration de la puissance de l’amour virtuel, celui qui donne à l’impossible sa véritable licence. y Alexandre Jardin Les nouveaux amants Grasset, 2016, 342 pages


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L’IMMEUBLE CHRISTODORA TIM MURPHY

PEGGY DANS LES PHARES MARIE-ÈVE LACASSE

Coll. «Feux croisés», Éditions Plon, 2017, 444 pages

Flammarion Québec, 2017, 245 pages

Dans le New York des années 1980, aux balbutiements de la crise du sida, Jared fume tranquillement à la fenêtre de l’immeuble Christodora. À l’entrée, en plein cœur de la rue, une manifestation bât son plein alors que la transformation de ce vieil édifice en appartements d’artistes semble devenir le symbole de l’embourgeoisement d’East Village. C’est en ces murs que le journaliste américain Tim Murphy placera l’essentiel de son premier roman: ces murs immuables comme notre seul point d’ancrage d’un roman dans lequel défileront les décennies et les générations marquées inévitablement par la maladie, d’une façon ou d’une autre.

Il y a plus de 10 ans, Marie-Ève Lacasse créait une onde de choc en publiant Ainsi font-elles toutes aux éditions XYZ sous le pseudonyme de Clara Ness. Alors âgée de 22 ans, elle nous livrait un livre sur la beauté, la vie, l’amour, mais surtout sur la liberté, grande et belle. Elle fait cette année paraître Peggy dans les phares chez Flammarion Québec, un troisième roman dressant le portrait de la styliste française Peggy Roche, compagne fidèle et éternelle de Françoise Sagan, l’une des figures les plus intrigantes et volatiles de la littérature française d’après-guerre. Si le personnage d’une des enfants terribles de la mode française fut toujours dans l’ombre de l’écrivaine, c’est exactement pour cette même raison que Lacasse décide aujourd’hui d’y jeter un éclairage aussi vrai que cru, portant à notre attention une relation d’une grande beauté qui est parvenue à passer au travers des années.

Il y aura d’abord Ava, cette fonctionnaire du département de santé aux prises avec les premiers cas de ce qu’on allait connaître sous l’appellation du syndrome d’immunodéficience acquise, ellemême aux prises avec des problèmes de santé mentale. Toujours à la course entre son travail et son état de santé, elle aura peu de temps à consacrer à sa fille Milly. Cette dernière, on la découvre au détour des années 1990 sous les noms de Millicent et de Millepattes, alors en couple avec Jared. Lui sculpteur, elle peintre, ils sont la quintessence du couple d’artistes d’East Village. Ensemble, ils adopteront Mateo, jeune enfant dont la mère est décédée des suites de la maladie. C’est avec lui qu’on entrera dans le 21e siècle alors que les écoles d’art lui ouvriront leurs portes au même moment où les affres de la drogue ne seront qu’au coin de la rue. Cette saga new-yorkaise butine d’une époque à l’autre, permettant de bien saisir l’importance et l’impact de cette maladie sur l’ensemble d’une société. Un personnage comme Hector – ancien stagiaire d’Ava au département de la santé avant de devenir activiste au cœur de la crise sans savoir que son existence est à quelques années de péricliter – est d’une grande importance dans le liant de ce récit, qui demeure beaucoup en surface et dans le tape-à-l’œil, qui ne plonge jamais vraiment au fond des choses. Il faut souligner la traduction de Jérôme Schmidt qui n’est pas sans déranger, avec des «teufs ouf» où on «kiffe» avec des gens «chelous» qui «cloppent» en plein New York. On repassera pour la sincérité du lieu. Et si on souhaite réellement se plonger dans le milieu artistique de la Grosse Pomme, on relit avec plaisir Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt. (Jérémy Laniel)

Se rencontrant d’abord dans les bureaux du magazine Elle en 1955, elles se recroiseront dans une ruelle sombre de Saint-Tropez en 1958, quelque temps avant d’enfin s’accorder une nuit où elles sembleront dicter le lever du soleil. «Tu étais un roman en marche. J’étais trop consciente de cela pour être charmée. [...] Peut-être étions-nous encore trop remplies d’espérance, pas encore assez fracassées par la vie pour connaître l’humilité brutale que nécessite l’expérience d’aimer?» Présenté comme un désordre anachronique avec comme trame de fond l’hospitalisation de Sagan à la suite de son voyage à Bogota avec François Mitterrand, le roman est présenté avec la fougue, la frivolité et la liberté sans borne dont se sont éprises les deux héroïnes. Dans ce roman sur la résilience en amour et la liberté en plein cœur d’une révolution des mœurs, Lacasse parvient, au détour de cette histoire de l’intime, à dresser un portrait du Paris d’aprèsguerre des plus vivifiants et littéraires. Rarement la littérature et la mode ont été mariées: ici, ces mondes se rencontrent avec élégance et brio. Si Peggy Roche a trop souvent été ignorée par l’histoire et par Sagan elle-même, Lacasse lui livre ici un vibrant hommage faisant un pied de nez aux biographies où elle n’est qu’anonymat, pour la célébrer en grand dans toute sa beauté. Laissons les derniers mots à Sagan, ou peut-être sont-ils de Lacasse: «Il n’y aura pas d’autre salut que de vivre en littérature.» (Jérémy Laniel)


DISPONIBLE DÈS MAINTENANT EN LIBRAIRIE ET SUR BOUTIQUE.VOIR.CA



55 ARTS VISUELS VOIR MTL

VO2 #O2

REGARDER PAR LA FENÊTRE EMANUEL LICHA S’INTÉRESSE AU CONFLIT, OU PLUTÔT, IL S’EN INQUIÈTE. POUR AGIR, IL FAUT COMPRENDRE. C’EST CE QUI A MOTIVÉ L’ARTISTE ET CINÉASTE À SE PENCHER SUR LES MÉCANISMES DE REPRÉSENTATION, PLUS PARTICULIÈREMENT SUR CELUI DE L’HÔTEL DE GUERRE, DANS SA PLUS RÉCENTE ŒUVRE INSTALLATIVE. ET MAINTENANT, REGARDEZ CETTE MACHINE. MOTS | ALESSANDRA RIGANO

Pour l’artiste, le conflit est un choix qui ne se conteste pas: «Honnêtement, je ne sais pas comment on peut ne pas s’intéresser au conflit. Pour moi, c’est une évidence. Cette question, si j’étais un artiste bosnien ou libanais, vous ne la poseriez pas. En habitant à Montréal ou à Paris, la guerre, c’est quelque chose de lointain, quelque chose de distant.» Pour réaliser le film documentaire Hotel Machine au cœur de cette installation, il a scruté les hôtels qui ont fait office de quartiers généraux des journalistes à Beyrouth, Sarajevo, Gaza, Kiev et Belgrade. Emanuel Licha s’intéresse aux moyens utilisés pour fabriquer, observer et rapporter les images de conflits. Il a suivi des guides touristiques sur des lieux postconflits pour son œuvre War Tourist (2004), puis il s’est immiscé dans un camp d’entraînement transformé en village irakien et digne des décors hollywoodiens, au milieu du désert californien, pour observer la démarche opératoire de militaires américains dans le cadre du projet Mirages (2010). C’est à ce moment qu’il prend conscience des appareils destinés à accommoder les journalistes et à exercer leur regard de spectateurs.

© EMANUEL LICHA, HOTEL MACHINE, 2016 (ARRÊT SUR IMAGE)

Une fenêtre sur la guerre Faute d’identification possible pour un artiste en étude, on l’a pris pour un journaliste dès son arrivée au camp d’entraînement. L’hôtel était le seul bâtiment fonctionnel qui servait à héberger les journalistes de passage ou les visiteurs importants. «À un moment donné, je me suis assis sur le lit et j’ai regardé la fenêtre. Je me suis amusé à la mesurer – j’ai toujours un mètre sur moi – et j’ai vu que les proportions de cette fenêtre – qui donnait sur les meilleurs lieux du camp – étaient exactement les mêmes qu’un écran de cinéma.» Ce fut l’élément déclencheur pour Hotel Machine. Dans sa version installative au Musée d’art contemporain, le film, élément central, est entouré de cinq postes d’archives qui explorent l’hôtel de guerre comme lieu de proximité, d’observation, de sécurité, de communication et finalement comme lieu de convergence où défilent tous les protagonistes des conflits.

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© EMANUEL LICHA, HOTEL MACHINE, 2016 (ARRÊT SUR IMAGE)

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Au rythme de l’art Dans un voyage de recherche en Syrie, il est arrivé trop tard et a constaté que la ville qui, auparavant, fourmillait de journalistes s’était vidée complètement en quelques jours: «J’ai compris que ce serait la bonne temporalité pour le film. Et que cette idée d’arriver trop tard, qui est le lot des artistes, pouvait être un ressort pour le film.» Emanuel Licha a décidé d’en tirer profit et d’en faire la position éthique du film, soit celle de «prendre son temps» et de se rendre dans les hôtels après les conflits. Il a mis près de six ans pour réaliser cette œuvre qu’il considère comme particulièrement marquante dans son parcours. «Hotel Machine est un projet qui a nécessité beaucoup de recherche et c’est peut-être celui qui m’a permis le plus de mettre en place des collaborations que je souhaitais pour mon travail à l’intérieur de la production, mais aussi entre disciplines.» Destiné à faire des études au doctorat en géographie, Emanuel Licha a eu la bonne idée de prendre une pause pour entamer une formation en arts visuels, il y a de cela plusieurs années. Ce virage fut déterminant: «C’était de l’intuition, mais j’ai eu l’impression qu’il y avait quelque chose à faire là et je n’ai pas poursuivi mes études en géographie et en anthropologie. J’ai vu que ce rapport entre histoire, géographie, sciences politiques et art n’était pas incompatible du tout.» Et de toute évidence, il ne s’est pas trompé. y Au Musée d’art contemporain de Montréal Du 17 février au 14 mai 2017


JULIEN LEBARGY, SEUL DANS L’HYPERESPACE PHOTO | CATHERINE GENEST CHRISTIAN BOLTANSKI, ANIMITAS, 2015 (VIDÉO, DURÉE 13H00''16', FULL HD, COULEUR, SON) PHOTO | MADELINE HURTADO B-2


59 ARTS VISUELS VOIR MTL

VO2 #O2

LES FRANÇAIS DÉBARQUENT ALEXIA FABRE DU MAC/VAL, COOLISSIME MUSÉE DE LA BANLIEUE PARISIENNE, FORCE LES RENCONTRES ENTRE UNE POIGNÉE DE SES COMPATRIOTES ET NOS PLUS ILLUSTRES ARTISTES LOCAUX. MOTS | CATHERINE GENEST

La Biennale de Québec sera marquante ou ne sera pas. En réunissant des légendes vivantes de l’art contemporain à des nouveaux venus prometteurs, la commissaire invitée Alexia Fabre insuffle une grosse bouffée de fraîcheur sur la sage capitale. Une fête qui étendra ses tentacules de Lévis jusqu’à Lebourgneuf, de Regart en passant par les centres commerciaux. Difficile de faire plus rassembleur: même l’emblématique Maison Simons, temple vestimentaire quasi identitaire pour les gens de Québec, prêtera ses vitrines de son magasin originel, en plus de ceux de Place Ste-Foy et des Galeries de la Capitale. Le sculpteur Julien Lebargy et le collectif Acapulco, entre autres, bénéficieront de cette mise en lumière assez originale, de cet acte de démocratisation presque radical. Le MNBAQ n’aura pas grand-chose à envier au Palais de Tokyo, servant d’hôte pour les œuvres d’une brochette de grosses pointures de la mère patrie pour toute la durée de la Manif d’art. Annette Messager en est. Elle présentera une version remodelée de Danses du scalp, œuvre originalement produite en 2012 et par le MAC/VAL qui se sert de la chevelure comme d’un prétexte, d’un symbole évocateur pour discuter de féminité, de militantisme qui passe par la crinière (ou l’absence de) et d’affirmation de soi. Une thématique forte et une installation franchement ludique. Christian Boltanski, figure majeure et plasticien moult fois étudié, fait de l’île d’Orléans le décor d’une œuvre présentée en grande première à la Manif d’art 8. Des images qui, précisons-le, ont été tournées par une équipe de cinéastes locaux selon un protocole, des directives

extrêmement précises formulées par Boltanski luimême. Animitas, c’est le titre de l’œuvre, est un projet planétaire en quatre parties pour autant de saisons et qui a déjà, au préalable, magnifié le désert d’Atacama au Chili pour représenter l’été. Sans surprise, Québec sera le théâtre du tableau hivernal. Toujours au MNBAQ, les fanfarons de BGL rebâtiront une partie de leur Canadassimo, installation monumentale qu’ils avaient présentée à la Biennale de Venise en 2015. Cette fois, détaille le fondateur de la Manif d’art Claude Bélanger, le trio proposera une version revue et corrigée de l’espace, du segment qu’il avait intitulé L’atelier. «Ils ont récupéré une partie, et là, ils sont en train de la reconfigurer pour que ce soit presque une pièce autonome. […] Ils reconstruisent une sorte de bâtiment autour, un genre de maisonnette.» Une saucette s’impose aussi dans la Grande Galerie de l’Œil de Poisson (Coopérative Méduse) pour découvrir le fruit de la résidence du duo parisien Nøne Futbol Club au pays des caribous. Des rigolos, des sortes de cousins cosmiques de nos BGL, qui s’adonnent à des coups d’éclat à l’occasion et qui, cette fois, présenteront Work no 101: On Air. Une installation qui reprend le principe du pendule de Newton en remplaçant les billes par des écrans qui diffusent des téléjournaux. Une proposition bizarre, intrigante, mais ancrée dans le quotidien. y Manif d’art 8 Du 17 février au 14 mai 2017

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60 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O2

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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

ÇA VA NOUS PRENDRE BEAUCOUP DE LAINE… Tiens, une petite métaphore pour ma chronique de février. J’en ai lu une dernièrement sur l’immigration dans Le Devoir qui utilisait le poisson. C’est Christian Rioux qui nous a pondu ça. Ça sentait plutôt fort... J’ai choisi de parler du même sujet en restant aussi dans le monde animal. Regardez la situation du Québec comme vous le voulez. La démographie est notre enjeu numéro un. Les babyboomers quittent massivement le marché du travail et l’arrivée d’une nouvelle population active ne remplace qu’une infime partie des mises à la retraite. Le déclin du bassin des travailleurs ne fait que commencer malgré les quelque 50 000 immigrants que l’on accueille chaque année. Ça ne prend pas une Jojo Savard pour prévoir que nous aurons de plus en plus de misère à nous acquitter de nos obligations envers nos pensionnés, que ce soit pour payer leurs retraites ou leurs soins de santé. Au net, c’est plutôt 35 000 immigrants, parce que près de 15 000 quittent le Québec pour s’établir dans une autre province, majoritairement en Ontario depuis le ralentissement de l’économie de l’Alberta. Le maintien de notre population active en nécessiterait trois fois plus. Une étude préparée par Cirano il y a environ deux ans s’inquiétait de l’impact économique de l’immigration. Il serait moins bénéfique que prévu. Si l’on regarde le taux de chômage au Québec, difficile de nier cette situation. Avec un taux de chômage de 6,2%, le nombre de personnes qui se cherchent un emploi n’a jamais été aussi bas depuis les 25 dernières années. Mais le taux de chômage des immigrants, lui, dépasse le 16%. Deux poids, deux mesures? Qu’est-ce qui explique cette situation? Aux premières loges, les ordres professionnels qui s’obstinent à rendre la vie extrêmement difficile à ceux qui ont obtenu une éducation à l’étranger. Cette situation doit être corrigée. Le

protectionnisme passéiste pratiqué par ces «syndicats» est clairement au détriment du bien commun. Le gouvernement se doit d’agir et d’imposer un programme accéléré de reconnaissance et de mise à niveau des compétences d’une maind’œuvre hautement qualifiée et formée à fort prix par d’autres pays. Vous n’avez pas idée du nombre d’ingénieurs, de biologistes, de professeurs et d’économistes qui travaillent chez Téo à 15 piastres de l’heure. Ensuite, il faut bien l’admettre, on semble avoir un petit dédain pour la laine importée. On a le stéréotype rapide. Et quand on tente un examen de conscience à cet égard, comme l’a fait Rima Elkouri dans La Presse dans une série de trois articles parus en janvier, c’est pas long que nos petits SaintJean-Baptiste citent le «fake news» ou invoquent le risque terroriste. L’immigration a toujours fait partie de l’histoire de l’Amérique du Nord, et le Québec ne fait heureusement pas exception. Par exemple, en 1820, les Irlandais représentaient plus de 20% de la population du Québec. J’aime relater que le petit Taillefer a plus de sang irlandais que de sang français et que ma fille, qui a l’air tricotée ici, a plus du tiers de son sang qui provient du Liban. Nier l’héritage extraordinaire que nous a apporté l’immigration, tant d’un point de vue culturel qu’économique, et la pourfendre en faisant la promotion du nationalisme identitaire, c’est non seulement ignorer l’histoire, mais c’est surtout se tirer dans le pied. Aussi contre-intuitif que ça puisse paraître, si nous voulons offrir une chance au français de se développer et de grandir au Québec, nous n’avons d’autres choix que d’ouvrir encore plus grand la porte aux immigrants. En s’assurant de ne pas laisser qu’au hasard l’adhésion à nos valeurs et à notre langue commune. L’intégration doit aussi se faire de façon active.

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61 L’objectif de créer une Charte des valeurs du Québec avait ça de bon en ce sens qu’elle aurait pu permettre d’établir un consensus autour de nos valeurs communes. C’est le dérapage lié à la promotion de valeurs identitaires et les objectifs à tendances discriminantes qui ont miné son développement et suscité tant de dégoût. L’intégration ne se fait pas en criant ciseau. Elle se déroule sur 10 ans, 20 ans, 30 ans. Elle prend la forme d’amitiés développées à l’école, au travail, d’histoires d’amour qui entraînent un magnifique métissage. Je me doute bien que de nombreux tenants d’une immigration restreinte rêvent d’un Québec aux Québécois et voient dans l’arrivée des immigrants davantage de Néo-Québécois qui voteront majoritairement non lors du prochain référendum finement planifié en 2022 ou à tout autre moment qui paraîtra gagnant. On s’éloigne tranquillement, disent-ils, de la terre promise par le 50%+1. Veut-on vraiment d’un pays qui serait gagné par une majorité «pure laine», mais refusé massivement par les «ethnies et l’argent»? La souveraineté se ferait ainsi peut-être démocratiquement selon la formule mathématique, mais serait-elle souhaitable si elle oppose si farouchement deux groupes? J’ai le goût de vous parler de ma fierté d’être Montréalais, d’être Québécois, et que si l’indépendance se fait un jour, c’est parce que nous aurons convaincu les clientèles moins naturelles de son bien-fondé.

L’immigration est aujourd’hui un phénomène essentiellement montréalais. Environ 75% des immigrants s’installent dans la métropole. C’est la moitié plus que son poids démographique. Avec comme conséquence que Montréal représentera dans les prochaines années l’essentiel de la croissance économique québécoise et que son poids démographique ne cessera de croître. Les autres villes doivent réaliser cette situation et développer leurs propres stratégies pour freiner cette tendance, au risque de connaître des pénuries de main-d’œuvre chroniques qui freineront leur développement. Avec un taux de chômage à 4,4%, la ville de Québec devrait installer un kiosque à l’aéroport Montréal-Trudeau pour faire une promotion active de ses grandes qualités, de ses nombreuses opportunités et de son ouverture. L’immigration est essentielle à notre survie tant culturelle qu’économique. À nous de jouer les bergers adéquatement en continuant à croire et à encourager le multiculturalisme, mais en redoublant d’efforts afin de nous assurer que les immigrants qui choisissent de venir ici et ceux qu’on accueille pour des raisons humanitaires adhèrent à nos valeurs. Appelons ça le beau risque. Parce que si on choisit de se refermer sur nous pour protéger le pure laine, on n’en aura bientôt plus assez pour se tricoter une tuque. Espérons que bientôt, pour tricoter serré, il faudra ajouter un peu de laine de mérinos ou de laine du Cachemire. En plus d’améliorer le produit, ça permet de se tenir au chaud. y


QUOI FAIRE

PHOTO | RAPHAËL OUELLET

SCÈNE

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FABIEN CLOUTIER

ASSOIFFÉS

UNE MORT ACCIDENTELLE

T H É ÂT R E S T- D E N I S – 4 F É V R I E R

T H É ÂT R E D E N I S E- P E L L E T I E R – 2 5 F É V R I E R

L A L I C O R N E – 17 J A N V I E R A U 2 5 F É V R I E R

Après avoir piqué la curiosité du public avec ses spectacles Scotstown et Cranbourne, l’humoriste et auteur Fabien Cloutier se dévoile plus intimement dans son premier one-man-show Assume, dans lequel il «pourfend la bêtise, chausse les petites manies du Québec contemporain et n’épargne personne», autant les décorateurs de maisons que les «fabricants d’opinion».

Cette pièce de Wajdi Mouawad a été jouée près de 250 fois dans le monde entre 2006 à 2012. Elle revient ce mois-ci sur les planches du théâtre Denise-Pelletier, avec son histoire qui nous rappelle un peu La nuit des temps de Barjavel. Rêve, adolescence, désir et amour s’entrelacent dans une belle mise en scène de Benoît Vermeulen.

C’est l’histoire d’une enquête sur un crime commis par un chanteur populaire. Dans ce texte créé en résidence d’auteur à la Manufacture, François Archambault explore avec humour le monde du mensonge, de la culpabilité, de l’imposture, du pardon... Huit comédiens se croisent sur les planches, dans une mise en scène de Maxime Denommée.


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MARIANA MAZZA

IRÈNE SUR MARS

T H É ÂT R E S T-D E N I S – 10 A U 1 2 F É V R I E R ( S U P P L É M E N TA I R E S 2 E T 3 J U I N , 29 ET 30 SEPTEMBRE)

C E N T R E D U T H É ÂT R E D ’ A U J O U R D ’ H U I 28 F É V R I E R

C’est «avec sa fougue de prépubère en pleine métamorphose» que Mariana Mazza présente son premier one-woman-show. Avec un titre aussi percutant que Femme ta gueule, ce spectacle sera sans doute à l’image de l’humoriste énergique, voire verbomotrice, qui laissera aller «son franc-parler de fille pas baptisée».

Irène est une femme vieillissante qui décide de s’inscrire dans un programme pour quitter la Terre et coloniser la planète Mars… et elle est sélectionnée. Un personnage qui cherche sa place – librement inspiré de la mère de l’auteur, Jean-Philippe Lehoux – auquel s’ajoute un désir d’exil très fort.

TABLE RASE E S PA C E L I B R E – 2 0 F É V R I E R

PEER GYNT T H É ÂT R E D E Q U AT ’ S O U S – 1 9 F É V R I E R

C’est une belle fable d’Ibsen que nous présente le Théâtre de l’Opsis. Dans le cadre de son Cycle scandinave, il nous plonge parmi paysans nordiques et rennes sauvages... Le comédien Olivier Morin nous fait réfléchir, philosopher et rire sur la question d’être soi-même. Un spectacle tout en humour noir.

Six jeunes femmes se retrouvent pour signer un pacte d’amitié. Une soirée pendant laquelle elles vont voir grand, et essayer de changer d’identité... Portée par de jeunes comédiennes, Table rase dessine le portrait d’une génération qui veut plus, sans complexe et avec passion.

FRED DUBÉ CLUB SODA – 22 FÉVRIER

LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN E S PA C E G O – 28 F É V R I E R

Des quarantenaires d’aujourd’hui se retrouvent pendant le temps d’un repas, entre face-à-face, désirs, mensonges et codes moraux. Trente ans plus tard, Alain Farah et Patrice Dubois reprennent le scénario du célèbre film de Denys Arcand pour nous proposer leur version théâtralisée...

Fort du succès de Catapulte à marde, spectacle présenté au Zoofest l’été dernier, Fred Dubé rapplique avec Anarcho-Taquin, dans lequel il présentera quelques nouveaux numéros. Reconnu pour son franc-parler et ses prises de position radicales, l’humoriste montréalais sait également provoquer les fous rires avec ses réflexions.

PUNCH CLUB MONTRÉAL S A L A R O S S A – 24 F É V R I E R

AFRIQUE EN CIRQUE L ’ O LY M P I A – 1 7 F É V R I E R

Le grand spectacle Afrique en cirque sera présenté dans la métropole dans le cadre de la 26e édition du Mois de l’histoire des Noirs. Place aux percussions des musiciens et aux chorégraphies hautes en couleur des acrobates de Kalabanté.

Pour sa 64e édition, la ligue de street impro Punch Club propose un duel de haut vol, qui opposera les chouchous Arnaud Soly, LeLouis Courchesne et Virginie Fortin aux talentueux Tammy Verge, Marie-Soleil Dion et Pierre Turcotte. Comme d’habitude, le fougueux Robert Nelson (alias Ogden d’Alaclair Ensemble) animera cette soirée qui risque d’être des plus hilarantes.


PHOTO | MAXYME G. DELISLE

MUSIQUE

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KROY T H É ÂT R E F A I R M O U N T – 2 M A R S

Dans le cadre de Montréal en lumière, Kroy (l’une des révélations électropop les plus probantes des dernières années) viendra présenter ses ambiances lugubres et ses mélodies accrocheuses, les mêmes qui résonnent avec intensité sur son premier album Scavenger, lancé l’an dernier. Récoltant un succès critique enviable, la moitié plus sombre de Milk & Bone est toujours très à l’aise sur scène.

ANTOINE CORRIVEAU C E N T R E P H I – 11 F É V R I E R

Après avoir livré l’un des meilleurs albums québécois de l’année, l’enivrant Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter, Corriveau poursuit sa quête artistique avec un spectacle au Centre PHI, dans lequel il laissera une grande place «aux cordes, au piano et aux cuivres qui s’enlacent et s’abandonnent aux étreintes».

LE TROUBLE LE PETIT CAMPUS – 9 FÉVRIER

Février sonnera le retour sur disque de l’énergique quintette montréalais. Making Matters Worse et ses premiers extraits Vampire et How Was I To Know laissent présager qu’on dansera de plus belle sur les riffs accrocheurs du groupe et avec le charismatique chanteur Michael Mooney.


65 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O2

O2 / 2O17

LES HAY BABIES C L U B S O D A – 24 F É V R I E R

Quel bon album elles ont dÊvoilÊ cet automne! Maintenant, il faut les voir sur scène! La 4ième dimension (version longue) confirmait un retour tout en rock, en Ênergie et en kitsch pour le trio originaire du Nouveau-Brunswick. Que le party commence!

VALAIRE CLUB SODA – 1ER MARS

Ă€ la suite de la sortie du très groovy et accrocheur Oobopopop en septembre dernier, le quintette ĂŠlectropop originaire de Sherbrooke revient en ville faire les choses en grand dans le cadre de MontrĂŠal en lumière. Un concert qui vous mettra assurĂŠment un sourire au visage.Â

MATT HOLUBOWSKI CLUB SODA – 23 FÉVRIER

Après avoir ĂŠpatĂŠ la galerie cet automne avec un premier album complet qui rappelle l’intimitĂŠ et la douceur folk de l’univers de Bon Iver, Solitudes, l’ancien participant Ă La Voix prĂŠpare son retour Ă la maison en grand dans le cadre de MontrĂŠal en lumière.

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KID KOALA CENTRE PHI – 2 AU 4 FÉVRIER

Le maÎtre du turntablism montrÊalais prÊsentera un ensemble de titres planants composÊs spÊcialement pour l’ÊvÊnement. Toujours prêt à rehausser l’expÊrience immersive de ses concerts, Koala enjoindra aux spectateurs d’utiliser une table tournante, une pÊdale d’effets et des vinyles, puis guidera son public à l’aide de subtils changements d’Êclairage. La foule formera ainsi un orchestre d’ambiances musicales sur vinyles.

MYKKI BLANCO T H É ÂT R E FA I R M O U N T – 13 F É V R I E R

InspirĂŠe par le mouvement riot grrrl et le courant queer hip-hop, l’artiste californienne Mykki Blanco offre toujours des spectacles très colorĂŠs et intenses, qui vont de pair avec sa musique, un hip-hop expĂŠrimental aux consonances noise et industrielles. Après avoir attirĂŠ l’attention avec plusieurs EP et mixtapes, la rappeuse transgenre a fait paraĂŽtre son premier album, Mykki, l’an dernier.

RUN THE JEWELS M É T R O P O L I S – 21 F É V R I E R

El-P et Killer Mike ont beau avoir dĂŠpassĂŠ le cap de la quarantaine, ils sont toujours aussi imposants et importants sur la scène hip-hop amĂŠricaine. Deux ans après l’album coup-de-poing RTJ2, le duo rappliquait en dĂŠcembre dernier avec un troisième volet tout aussi puissant. Sa visite au MĂŠtropolis sera des plus mĂŠmorables.

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L A T O H U – 9 F É V R I E R A U 12 M A R S

Le festival d’art immersif Chromatic s’associe à la Tohu, haut lieu circassien de la métropole, le temps d’une «exposition stimulante, des plus conviviales» mettant en vedette plusieurs artistes prometteurs. Un événement d’envergure qui s’adresse «aux amateurs de créations modernes, annonciatrices de tendances futures».

STEFFIE BÉLANGER – L’UTILITÉ DE L’INUTILITÉ M A I S O N D E S A R T S D E L AVA L 19 F É V R I E R A U 2 3 A V R I L

CINÉMA

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LOUISE EN HIVER

RINGS

EN SALLE LE 3 FÉVRIER

EN SALLE LE 3 FÉVRIER

Dans ce film d’animation, une vieille femme nommée Louise se retrouve prise dans une station balnéaire après que le dernier train de la saison eut quitté la gare. Loin d’être déconfite, elle décide d’y rester et d’affronter tout obstacle pouvant survenir. Évidemment, tout ne se passera pas aussi facilement qu’elle l’aurait voulu.

Treize ans après les événements contés dans les premiers opus (The Ring, The Ring 2), l’histoire de la cassette qui tue est devenue une légende urbaine. Lorsque son copain se met à s’intéresser à la bande vidéo, une jeune femme devra se sacrifier pour le sauver de la malédiction.

Revisitant les fondements techniques de l’ébénisterie «en construisant des sculptures qui s’apparentent à des prothèses, du mobilier, des jouets géants et des mécanismes industriels», la sculptrice Steffie Bélanger désire d’abord et avant tout rappeler que «l’important est que l’art demeure indéfiniment inutile». Des croquis et des performances accompagnent le parcours de cette œuvre, majoritairement axée sur l’invention d’objets insolites. >

T2 TRAINSPOTTING JOHN WICK – CHAPTER 2

E N S A L L E L E 10 F É V R I E R

E N S A L L E L E 10 F É V R I E R

John Wick est de retour! L’ex-tueur à gages est forcé de sortir de sa retraite lorsqu’un ancien associé décide de prendre le contrôle d’une guilde d’assassins internationale. Ayant fait un pacte de sang avec lui, Wick n’a d’autre choix que de l’aider dans sa quête sanglante.

Mark Renton retourne en Écosse 20 ans après les péripéties délirantes du premier film. Il tentera de renouer avec ses amis de l’époque Spud et Sickboy tout en essayant d’éviter de croiser le psychotique Franco, qui vient tout juste d’être remis en liberté après avoir purgé une peine de prison.

A CURE FOR WELLNESS

LE CYCLOTRON

E N S A L L E L E 17 F É V R I E R

E N S A L L E L E 10 F É V R I E R

Un jeune cadre ambitieux est envoyé pour retrouver le PDG de sa compagnie dans un centre de bien-être idyllique mais mystérieux situé au cœur des Alpes suisses. Une fois sur les lieux, il se rendra rapidement compte que les traitements miraculeux du spa ne sont pas ce qu’ils semblent être.

Dans cette production québécoise, un espion allié doit exécuter un scientifique berlinois qui découvre le secret de la fabrication d’une bombe atomique. Les choses se compliquent lorsque des souvenirs amoureux et la mécanique quantique viennent à se mêler à l’affaire. PHOTO | STEFFIE BÉLANGER

ARTS VISUELS

EXPOSITION NUMÉRIQUE


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«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

teomtl.com PP 40010891

Paul-Émile Rioux


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