Magazine Voir Québec V02 #02 | Février 2017

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QUÉBEC VO2 #O2 | FÉVRIER 2O17 FROID MOZONGI LEIF VOLLEBEKK HARFANG LE CYCLOTRON MOIS MULTI MANIF D’ART 8 LE THÉ DU LABRADOR CUISINE WENDAT IL Y A CINQ ANS, LE PRINTEMPS ÉRABLE

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CEUX QUI FONT LES RÉVOLUTIONS À MOITIÉ N’ONT FAIT QUE SE CREUSER UN TOMBEAU




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O2 O2 QUÉBEC | FÉVRIER 2017

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«JE VEUX QUE LES GENS SORTENT DE LA SALLE EN SE DISANT: “ESSAYONS D’EN FAIRE DES CHOSES ET NE SOYONS PAS AMORPHES, STAGNANTS ET INDIFFÉRENTS”.» Photo | Jocelyn Michel (Consulat) Assistant | Renaud Lafrenière Stylisme | Roxanne Chagnon et Amanda Van der Siebes Maquillage et coiffure | Brigitte Lacoste Production | Sébastien Boyer

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SCÈNE Froid Mozongi

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MUSIQUE

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DOSSIER

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CINÉMA

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ART DE VIVRE

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LIVRES

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Harfang Leif Vollebekk

Il y a cinq ans, le printemps érable

Le cyclotron

Thé du Labrador Cuisine Wendat

Les nouveaux amants Peggy dans les phares L’immeuble Christodora

ARTS VISUELS

Mois Multi Manif d’art 8

QUOI FAIRE CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p14) Monique Giroux (p22) Normand Baillargeon (p36) Alexandre Taillefer (p54)


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VO2 #O2

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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

MAIS QUI LIT TOUT ÇA? Jeune étudiant en théologie à l’université, dès la première session, je me suis inscrit à un cours d’exégèse biblique, cette discipline qui consiste à lire, à comprendre et à interpréter les saintes Écritures. Comme première incursion dans le vaste monde des textes anciens, j’avais choisi l’étude des écrits sapientiaux – les livres de la sagesse, comme celui de Job, le Qohelet, le Cantique des cantiques, les proverbes et les Psaumes. Il faut que je vous dise, je n’allais pas devenir bibliste. Mais j’adorais ça. Pas pour le texte lui-même, mais pour la discipline, le doute et l’érudition du professeur qui, devant nous, décryptait une à une les lignes de cet immense bouquin mystérieux et hermétique. Il se nommait Guy Couturier, spécialiste de l’Ancien Testament. Il prenait un texte, n’importe lequel, et il pouvait nous renseigner sur tous les détails dissimulés. Ici, un passage en grec avait été ajouté tardivement. Pourquoi? Comment? Là, tel ou tel mot traduit en français ne permettait pas de saisir le sens du texte original. Je ne sais combien de langues il parlait et comprenait. En l’écoutant, j’ai vite compris deux choses. D’abord, je n’aurais jamais les compétences pour saisir toutes ces subtilités. Il m’aurait fallu toute une vie, comme lui. Il était déjà trop tard pour moi. Je ne pouvais que m’en remettre à son érudition. Ensuite, ces écrits, qu’on récite machinalement dans les églises sur la base d’un acte de foi, les fidèles ne les lisent pas vraiment et les prêtres n’ont pas les connaissances pour les expliquer en profondeur. On les récite platement, on répond amen. Pour la liturgie, ça suffit. En simple, voilà, ces textes bibliques anciens comportent des milliers de pages, des modifications apportées au cours de l’histoire, parfois ils se contredisent et, pour les comprendre dans le détail, il faut rassembler des savants capables de les déchiffrer. Ces mêmes savants, à force de travail et d’interprétation, remettent inévitablement en question les certitudes inébranlables de la foi fondée sur ces textes.

Dernièrement, Donald Trump, nouveau président américain, a signifié qu’il allait remettre sur la table l’accord de libre-échange nord-américain et a signé l’acte de retrait des États-Unis du partenariat transpacifique (PTP). J’ai bien écouté tous les commentateurs, journalistes et chroniqueurs s’exprimer sur ces nouvelles. J’ai aussi entendu des politiciens discourir sur l’importance fondamentale de ces traités, sur les milliers d’emplois, sur la force de nos économies. Toutes ces idées sont répétées comme des prières et prennent place dans des homélies. Elles sont même un gage de rédemption. Elles annoncent un monde meilleur qui devrait finir par arriver, un jour. Devant tous ces discours, de toutes les questions que j’aurais pu poser, une seule demeurait sans réponse, persistante: mais qui, au monde, lit tout ça? Qui comprend? Qui connaît toutes les difficultés de ces écritures auxquelles nous sommes liés, comme une communauté de croyants? J’ai beau essayer de m’en convaincre, je n’arrive pas à croire une seconde qu’un chroniqueur, un politicien ou Justin Trudeau puissent décrypter toutes ces lignes de textes qui tissent désormais les liens qui unissent les humains entre eux. Curieux, je me suis faufilé sur le site web des Affaires mondiales du Canada pour trouver le texte de l’accord du PTP. On y trouve 32 chapitres et trois annexes, des appendices, des notes, des listes tarifaires. À elle seule, la liste tarifaire du Pérou fait 215 pages. Celle du Mexique en compte 396. Celle du Brunei, petite monarchie de droit divin sur l’île de Bornéo qui compte 436 000 habitants gouvernés par un sultan dont j’ignorais l’existence, nous propose 345 pages. Les règles qui régissent nos vies atteignent désormais un tel niveau de complexité qu’on doit s’en remettre à des résumés, à des extraits choisis et à des textes didactiques sous forme de «foires aux questions» qui ont tous les aspects de petits catéchismes qu’on doit apprendre par cœur.


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Pour l’ALENA, on trouve en ligne un site intitulé ALENA Aujourd’hui, une initiative conjointe du Canada, des États-Unis et du Mexique. Vous avez des questions? Nous avons des réponses! Question: Quels sont les avantages de l’ALENA? Réponse: Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, les échanges commerciaux et les investissements en Amérique du Nord ont augmenté, se traduisant par une forte croissance économique, la création d’emplois et un plus vaste éventail de biens de consommation à meilleurs prix. Les entreprises, les consommateurs, les ménages, les travailleurs et les agriculteurs de toute l’Amérique du Nord ont tiré profit de ces avantages. On nage ici en pleine liturgie économico-politique. Est-ce vrai? Est-ce faux? Qui sait? Nous sommes confrontés à des mystères expliqués en peu de mots afin de cerner des choses insondables. Des explications auxquelles on ne peut qu’adhérer sans trop savoir. Le commun des mortels, comme le pécheur qui communie, doit confesser son ignorance.

Devant les aspérités du quotidien, on nous propose ni plus ni moins qu’une théodicée: nous vivons dans le meilleur des mondes possibles et si, dans nos vies particulières et contingentes, nous n’arrivons pas à nous en rendre compte, c’est que nous ne pouvons saisir le vaste plan global et transcendant qui est en œuvre. Il est de bon ton, depuis quelque temps, de s’inquiéter des fausses nouvelles et des «faits alternatifs». N’en doutons pas, ce sera le grand défi médiatique de 2017. Nous passerons au crible de la raison telle ou telle rumeur ou de tel ou tel bobard colporté par les politiciens ou leurs partisans. Tant mieux. Mais il faudra aussi, bientôt, envisager de décrypter ce que nous pourrions appeler les «faits mystérieux», ces vérités tirées des milliers de pages qui forment désormais le canon législatif et économique de la globalisation. Il faudra peut-être non plus se demander «qui peut croire de telles sornettes?», mais bien «qui, au juste, a lu tout ça?» y sjodoin@voir.ca


«FAIRE CE GENRE ME DÉCULPABILISE PEUT-ÊTRE D’AVOIR UN EMPLOI QUI NE SERT À RIEN. JE NE SOIGNE PAS DES GENS MALADES, JE N’ENSEIGNE PAS À DES ENFANTS, MAIS C’EST COOL DE FAIRE RÉFLÉCHIR LE MONDE.»


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VO2 #O2

NOTRE MONSTRE INTÉRIEUR POUR SA PREMIÈRE PRODUCTION, LA BRUTE QUI PLEURE (UN SAVOUREUX NOM DE COMPAGNIE) PROPOSE UNE PIÈCE DU GRAND LARS NORÉN, MONUMENT DU THÉÂTRE SUÉDOIS: FROID. UN HUIS CLOS QUI GRATTE LE MAUVAIS QUI DORT EN NOUS ET QUI, SOUVENT, A TOUT SAUF DES ALLURES MACHIAVÉLIQUES. MOTS | MICKAËL BERGERON

PHOTOS | LA BRUTE QUI PLEURE

Présentée pour une première fois en 2003 en Suède, Froid n’en est pas moins actuelle encore aujourd’hui, peut-être même plus que jamais. La montée de l’extrême droite en Europe, le mouvement AltRight aux États-Unis et nos propres relents islamophobes au Québec sont loin de s’éteindre. Une violence banalisée «Trump était une blague aux yeux de plusieurs personnes jusqu’à sa victoire le 8 novembre, lance Olivier Lépine, metteur en scène de Froid. C’est épeurant, il y a du concret dans la pièce. À Québec, par exemple, il y a eu la tête de porc à une mosquée.» Dayne Simard, acteur et producteur, ajoute qu’il y a des phrases dites dans la pièce qui ne sont pas si loin de ce qu’on entend dans certaines radios de Québec. «Ça pourrait être des phrases dites par mon cousin dans un souper», poursuit Olivier Lépine. David Bouchard, également acteur et producteur de la pièce, renchérit: «Ce sont des phrases ordinaires, mais pas du tout non plus. On se dit que ça ne se peut pas, tout ça, mais pourtant... Il y a de plus en plus de gens décomplexés.» Lars Norén s’est inspiré d’un fait divers arrivé dans son coin de la Scandinavie. Quatre jeunes avaient tué un Suédois d’origine tchèque, sans raison particulière, sauf une inexplicable haine mal dirigée.

«Le show demeure un fait divers en quelque sorte, poursuit Olivier Lépine. On n’apporte pas d’explications sur leurs gestes.» Néanmoins, on s’immisce dans l’intimité de cette brutalité. Pendant 75 minutes, on devient témoin de cette violence, de cette haine, laissant ici et là quelques pistes de réflexion sur ce qui peut pousser des jeunes à aller jusque-là. David Bouchard, Olivier Lépine et Dayne Simard ne souhaitent pas pour autant que leur pièce ne soit qu’un coup de poing. Le contexte théâtral transforme ce violent fait divers en un regard sur un discours haineux, présent partout en Occident, et qui, parfois, se fait élire par le peuple. Un mal nuancé Trois jeunes, donc, qui s’ennuient, à «l’aube de leur politisation», précise Dayne Simard. Ils sont pauvres et rejetés par le système. Le plus vieux endoctrine les autres. Selon eux, l’injustice qu’ils subissent puise sa source dans l’immigration. Même s’ils commettent l’irréparable, les trois jeunes ne sont pas que des monstres, et c’est là que réside l’intérêt de cette pièce, croient nos trois amis. En regardant les trois enragés discuter entre eux, on peut comprendre ce qui les amène à ces réflexions, à poser ce geste improvisé lors d’une journée de fin d’année scolaire qui devait pourtant se dérouler comme toutes les autres journées similaires.

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Plus encore, le déroulement fait croire à cet espoir de réconciliation entre la victime, un Coréen adopté par des Suédois alors qu’il était bébé, et ses bourreaux. On se dit qu’il va peut-être s’en sortir. Froid est un peu un pamphlet antimanichéisme. Les tortionnaires ne sont pas des terroristes qui souhaitent nécessairement faire le mal. «Ce ne sont pas seulement des abrutis, on développe une sympathie pour eux, même si on ne partage pas leur point de vue», raconte David Bouchard. Plus encore, la victime, malgré sa position, n’est pas pour autant plus vertueuse que les trois autres jeunes. «On pourrait croire qu’avec sa position de privilégiée, elle soit plus ouverte d’esprit, mais pas du tout, la victime n’est pas plus parfaite», ajoute Dayne Simard.

«MÊME S’ILS COMMETTENT L’IRRÉPARABLE, LES TROIS JEUNES NE SONT PAS QUE DES MONSTRES, ET C’EST LÀ QUE RÉSIDE L’INTÉRÊT DE CETTE PIÈCE.»

Un théâtre nécessaire À propos de la violence du sujet et de la pièce, Olivier Lépine nuance le tout. «Il y a un danger que ça soit juste une claque, juste violent, mais c’est très humain.» C’est une pièce dense, où les acteurs ne quittent jamais la scène, mais qui propose beaucoup de contenu sans tomber dans les longs dialogues. «Ce n’est pas moralisateur», nuance Dayne Simard. «C’est un théâtre d’acteurs», précise David Bouchard.

Néanmoins, les trois créateurs croient en l’importance d’un théâtre coup-de-poing, un style qui reprend de plus en plus ses assises depuis quelques années. «Il faut se servir de notre art, de notre tribune, lance David Bouchard. Le théâtre est le reflet de la société. Si le monde devient alarmant, le théâtre va être alarmant.» «C’est intéressant l’exercice coup-de-poing et c’est important qu’il y en ait», réfléchit Olivier Lépine, qui avoue aimer ce genre, lui qui avait présenté l’an dernier une pièce inspirée par le printemps érable, Architecture du printemps. «Faire ce genre me déculpabilise peut-être d’avoir un emploi qui ne sert à rien. Je ne soigne pas des gens malades, je n’enseigne pas à des enfants, mais c’est cool de faire réfléchir le monde.» David Bouchard ajoute qu’il est important de s’intéresser aux marginaux, aux crashs, aux clashs et autres clivages sociaux. «Il faut savoir faire face à ça, aller au-delà des “voyons donc” et de nos jugements.» Si la pièce parle d’une division sociale, Olivier Lépine note que la pièce fait l’effet inverse. «Plus on travaille sur la pièce, plus on dialogue et plus on se rencontre, entre nous. On se réunit plutôt qu’on se divise.» Nul doute que David, Dayne et Olivier souhaitent que Froid ait le même effet sur les spectateurs. y Du 14 février au 4 mars 2017 à Premier Acte



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LE RYTHME DE LA LIBERTÉ LA COMPAGNIE DANSE NYATA NYATA SOUFFLE CETTE ANNÉE SES 30 BOUGIES. C’EST POURTANT LA TOUTE PREMIÈRE FOIS QUE LA TROUPE SE PRODUIT À QUÉBEC, DANS LE CADRE DE LA REPRISE DE LEUR SPECTACLE EMBLÉMATIQUE MOZONGI. MOTS | ÉMILIE RIOUX

Depuis ses débuts, la compagnie de la chorégraphe Zab Maboungou occupe les mêmes studios, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Un endroit fédérateur où se côtoient ateliers de yoga, musique classique, artistes du noise... et danse africaine! «Ce studio-là, c’est une ancienne manufacture d’habits, raconte Zab. Je m’y suis installée en avril 1987 et j’ai dit: “On ouvre en automne”. J’ai travaillé comme une chienne pour construire ce studio-là, parce qu’il me fallait un lieu. Ensuite, on a fondé la compagnie.» Aussi passionnée qu’énergique, la directrice artistique s’est alors appliquée à enseigner son art, malgré la réticence des danseurs de l’époque. Encore aujourd’hui, l’enseignement est une priorité dans l’approche de la chorégraphe, pionnière dans l’intégration de la culture africaine au sein de la danse contemporaine. Il a d’ailleurs fallu plusieurs années avant que des groupes de danseurs se greffent aux projets de Nyata Nyata. «J’ai commencé comme solo parce que je n’avais pas le choix, parce que personne ne comprenait rien. Les gens disaient: “Mais non, ce n’est pas de la danse contemporaine, ça! C’est de la danse d’Afrique”. Ça, je continue de l’entendre.» Quand l’impossible devient possible Créé en 1997 à la Place des Arts, le spectacle Mozongi (qui signifie «ceux qui reviennent») a été la première pièce d’envergure de la compagnie. Le spectacle, conçu autour du rythme et du temps, avait été pensé pour une vingtaine de danseurs. Quoiqu’impossible à rassembler, cette quantité imaginaire aura été déterminante pour le projet chorégra-

PHOTOS | KEVIN CALIXTE

phique, imposant une dynamique particulière à l’espace et au mouvement. La distribution compte finalement cinq interprètes, dansant au rythme de la vibration des tambours avec lesquels ils partagent l’espace scénique. La présence physique de la musique sur scène compte pour beaucoup dans l’énergie du spectacle et le travail des danseurs, indique Zab Maboungou. «Chez moi, on parle de scénographie rythmique. Les musiciens sont rivés à leurs tambours, mais les rythmes qu’ils jouent sont partie intégrante de la mobilité sur scène.» C’est, en quelque sorte, un dialogue qui se tisse entre les corps animés des interprètes et la partition très précise exécutée en parallèle. Une symbiose qui s’écrit au présent, sans contact visuel ou physique entre eux. «Quand les rythmes parlent, la communication est claire.» Danser sur ses racines Digne représentante de la diversité culturelle dans le milieu québécois de la danse contemporaine, la compagnie Nyata Nyata surprend par des spectacles aux frontières des genres, qui prennent racine dans la tradition africaine. C’est bien souvent à contre-courant que s’inscrivent les choix artistiques de la chorégraphe, ne manquant pas de faire réagir le public et de surpasser les attentes. «Quand les gens parlent de danse traditionnelle, ils ne savent pas du tout de quoi ils parlent. Quand on me parle de tradition, je réponds que je suis en plein dans la modernité», explique joyeusement l’artiste congolaise.

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«C’est la richesse, la diversité et la folie de l’Afrique qui m’ont formée en danse. La racine de Mozongi, c’est les rythmes. En Afrique, on a des rythmes spécifiques et codifiés. Les Africains ont une culture et une connaissance rythmiques. Ce sont des choix rythmiques qui placent le corps dans des structures spatiales et des postures physiques spécifiques. Toutes mes œuvres se préoccupent de ça.» C’est donc avec beaucoup de liberté et de rigueur que la danseuse et chorégraphe se plaît à faire le nœud entre les figures chorégraphiques occidentales et les postures africaines qui habitent son imaginaire. À sa manière, cette approche renouvelle le regard du grand public, créant des événements qui rassem-

blent les communautés et provoquent l’effritement des préconceptions. Une problématique que Zab Maboungou porte au cœur de sa démarche. «À mon avis, la danse contemporaine devrait être en mesure de prendre en charge sa propre actualité. C’est ce que je fais. Je prends en charge. Les préjugés, ils font partie de mon univers. Je n’en suis pas effrayée. Ils sont partout, c’est inévitable. […] Aujourd’hui, la danse contemporaine doit se repenser. Selon moi, c’est la diversité qui va renouveler la danse contemporaine.» y 9 février à 20h au Théâtre de la Bordée (Une présentation de La Rotonde)


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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE

MIEUX VIVRE SA VILLE À quelques reprises, que ce soit lors du plus récent bilan d’achalandage ou de la présentation du plus récent budget, j’ai entendu le président du Réseau de transport de la Capitale (RTC), Rémy Normand, affirmer qu’on allait continuer à miser sur le confort des usagers pour développer le transport en commun à Québec. Le confort? Vraiment?! Je comprends qu’il faut un minimum de confort, mais il y a toujours bien des limites. Ce n’est pas un autobus voyageur non plus, c’est du transport en commun. La mission est de permettre à tous les citoyens et toutes les citoyennes de la région de Québec de se déplacer à un moindre coût personnel – et collectif. J’ai pris le transport en commun à Boston pendant les Fêtes. J’ai utilisé l’autobus, le métro et le train. Ce que j’ai apprécié le plus? Son efficacité. Peu d’attente, mais surtout, un réseau bien développé, me permettant d’aller partout, sans avoir à revenir sur mes pas chaque fois. Clairement, les autobus et les wagons sont moins fashions que les nôtres. Pas mal moins, même. Et je me suis dit qu’ils investissaient sûrement à de meilleurs endroits – pas dans la broderie du nom du réseau sur les bancs, par exemple. Toutefois, je dois donner au RTC que l’affichage en direct du parcours dans les autobus est un gros plus. Il m’est arrivé de me sentir perdu dans le train de Boston, n’ayant aucune référence pour savoir où il était rendu. À ce moment, je pensais à ces écrans dans les autobus du RTC qui sont vraiment pratiques pour savoir où l’on doit débarquer. Sur le site sur RTC, on peut lire que sa mission n’est pas la même que celle que j’imaginais: «Le Réseau de transport de la Capitale a pour mission

de permettre aux citoyens de mieux vivre la ville par un transport collectif de qualité, au meilleur coût pour la collectivité.» Ça veut dire quoi, «mieux vivre la ville»? Et pour qui? Parce que lorsque j’entends Rémy Normand parler d’améliorer le confort, j’ai l’impression qu’il souhaite briser cette image que le transport en commun, c’est terne, déprimant et seulement pour les pauvres. Et ça se défend. Mais l’efficacité d’un réseau sera toujours plus gagnante que des autobus cutes. Et plus encore, il ne faut pas les oublier, ces pauvres, qui, eux, n’ont rien d’autre pour se déplacer. Je suis le premier à vouloir convertir les automobilistes au transport en commun, mais ceci ne doit pas se faire au détriment des plus démunis, qui, eux, n’ont aucune autre option. Et en misant sur le confort plutôt que sur l’accessibilité, on risque de les échapper et de passer à côté de cette mission de «permettre aux citoyens de mieux vivre la ville». En fait, on les empêche de «vivre la ville» si on freine l’accessibilité. Au conseil d’administration du RTC, on n’y retrouve que deux membres usagers, sur neuf. Une est de la Ville de Saint-Augustin. Les six autres membres sont du conseil municipal de Québec, dont le président Rémy Normand. Tous des membres de l’équipe Labeaume, un maire qui a déjà dit que personne ne rêvait de prendre le transport en commun à Québec. Je n’ai pas l’impression que le point de vue de l’usager doit être pris en considération. J’ai une impression que le politique doit beaucoup influencer les stratégies de développement du RTC. Un conseil d’administration avec si peu de représentation citoyenne et une absence d’expertise en transport ou en mobilité augmente ses risques d’être déconnecté de sa mission.


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> Probablement que Milhouse me lancerait un «radical» en m’entendant dire ça, mais je prône un RTC gratuit pour tous. Je crois que c’est un service essentiel, non seulement pour les plus démunis, mais aussi en tant que société. La voiture est un luxe et non une nécessité qui a un énorme coût personnel et collectif. En tant que société, nous devrions déployer un vrai système de transport en commun universel. Tous ces investissements auraient des impacts positifs sur l’environnement, sur la santé publique, sur la congestion, sur les infrastructures, etc. L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publiait il y a un an une étude sur les effets positifs d’un investissement massif en transport en commun au Québec. On y apprenait, entre autres, que l’automobile a un coût de 8 milliards de dollars annuel pour la collectivité (environnement, infrastructures, etc.). Juste en santé publique (asthme, obésité, etc.), on l’estimait à 500 millions. Une récente étude du CAPMO (Carrefour d’animation et de participation pour un monde ouvert) s’est penchée sur l’accessibilité du RTC. Sans surprise, le laissezpasser mensuel et même le coût des billets à l’unité sont un frein pour plusieurs personnes en situation de pauvreté. Si bien que certaines personnes voudraient se trouver un nouvel emploi qu’elles n’arriveraient pas à sortir de leur quartier. Elles aimeraient bien se nourrir, mais leur quartier aux logements abordables est un désert alimentaire et elles sont incapables de se payer un trajet en autobus. Elles auraient besoin d’aller voir un médecin, mais n’ont pas les moyens de se payer l’autobus. Et cetera. Même si le CAPMO a fait une étude à partir du témoignage d’usagers et qu’il est très actif auprès des clientèles plus démunies, le regroupement est moins radical que moi et propose une tarification sociale. C’est une mesure déjà présente dans la très communiste ville de Calgary. Ce qui fait que sous un certain seuil de revenu, le coût du laissez-passer est à 50%, par exemple. Ç’a commencé par un projet-pilote, et devant les effets bénéfiques, le projet s’est bonifié et agrandi. L’achalandage augmente, les trajets deviennent donc plus rentables, et, en plus, le transport en commun devient une mesure de lutte à la pauvreté, à la pollution, à la congestion. Sans parler des effets bénéfiques sur la santé publique. Il me semble que tout ça correspond à l’idée de «permettre aux citoyens de mieux vivre la ville», non? y


DÉBUT D’UNE NOUVELLE ÉTAPE LE GROUPE ÉLECTRO-FOLK LOCAL HARFANG VOULAIT ABSOLUMENT SORTIR UN ALBUM EN 2017. VOILÀ QUI EST FAIT. L’ANNÉE COMMENCE FORT! MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | LLAMARYON


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VO2 #O2

> À chaque album, Harfang expérimente, se redéfinit. Après deux EP prometteurs et formateurs, le quintette local qui mêle électro, folk et rock planant fait le grand saut cet hiver avec un premier album complet, Laugh Away the Sun. L’œuvre a été enregistrée au studio d’un ami du groupe, ce même endroit qui a vu naître leurs précédents disques et situé dans un nouveau quartier pas très loin de sommets montagneux à Sainte-Brigitte-de-Laval. «On aime la liberté là-bas parce qu’on a accès au matériel et on a beaucoup de latitude pour ce qui est de la création et de l’expérimentation», indique le bassiste du groupe, Alexis Taillon-Pellerin. Pour en arriver aux sessions studio cet automne, Harfang a travaillé toute l’année sur ses nouvelles compositions, dont quelques-unes vous seront peut-être familières puisque le groupe aime bien les tester en concert, nous dit Alexis. «LATS, c’est encore le même processus que pour les EP. Il a fallu expérimenter. Les choses se sont présentées comme elles étaient. Ça se passe au gré de nos idées et on les pousse plus loin. Après, on filtre les idées et on fait un tri dans les pièces, ce qui permet de cibler le son de l’album.» Les cinq membres du groupe, qui assurent aussi la production et la réalisation de leurs disques, étaient tellement motivés et prêts à faire un album complet qu’ils se sont fixé une date de sortie avant même d’entrer en studio. «On voulait absolument sortir un album en 2017, on était rendus là, dit Alexis. On en avait besoin pour la suite des choses, pour le développement du groupe, pour aller plus loin. Pour nous, c’est carrément une nouvelle étape: un nouveau spectacle, une nouvelle tournée, de nouveaux objectifs en terme de diffusion et de production de spectacles. Faire des spectacles, c’est vraiment ce qui cimente ce groupe-là et on voulait renouer avec le sentiment d’excitation par rapport à nos pièces.» Laugh Away the Sun est un album bien de son temps, teinté de plusieurs genres musicaux. Un peu plus électro et rock dans l’approche que ses prédécesseurs plus folk, l’album ne renie toutefois pas ses racines. La guitare acoustique y est toujours bien présente. La sublime voix haut perchée de Samuel Wagner est accompagnée de jolies envolées de guitare et les pièces font écho aux mondes pop ou folk alternatifs de Alt-J, Bon Iver, Half Moon Run, Ray LaMontagne, etc. À l’écoute de l’album, on s’imagine déjà bien le concert live. Est-ce que ç’a été pensé en fonction de ce que vous pouvez faire sur scène? «C’est une belle observation, parce que c’est quelque chose qui a

évolué dans notre façon de composer. Quand on a commencé, on faisait vraiment des adaptations de compositions pour la scène, donc le disque et le show étaient deux mondes différents, et plus ça allait, plus on s’est mis à composer en groupe au local en jammant. Maintenant, tout ce qui est studio et spectacle a vraiment une plus grande parité», confirme Alexis. Si le groupe a amorcé ses activités autour des compositions du chanteur Samuel Wagner et que les musiciens ont plusieurs projets parallèles, aujourd’hui, tout le monde met la main à la pâte et consacre beaucoup de temps à Harfang. «Ça reste le projet principal de nous tous. On pratique plusieurs fois par semaine. Pour la composition, c’est un peu plus aléatoire. On peut passer deux ou trois mois sans rien composer comme on peut travailler quatre ou cinq tounes en même temps en un mois. Ça marche en courbe, Harfang. Y a des périodes creuses et y a des périodes où c’est extrêmement rushant, où on est débordés et anxieux, sur la crise de nerfs, etc.!» Et dans une scène locale électronique florissante, les autres projets musicaux des membres de Harfang nourrissent leur groupe principal. «Le fait qu’on soit actifs tous les cinq à Québec à différents niveaux dans la scène locale, je pense que ç’a beaucoup teinté notre nouvel album. Samuel a sorti son premier EP de Floes cet été. Forcément, ç’a influencé un peu le son du groupe parce qu’il s’est mis à expérimenter dans l’électro. Mathieu [Rompré] a joué pour Men I Trust et Antoine [Angers] pour Fjord et Ghostly Kisses, ç’a apporté une approche minimaliste portée vers l’électro aussi. David [Boulet Tremblay] travaille comme sonorisateur pour des groupes d’ici, donc ça apporte un second regard et une touche très Québec.» «Oui, on est inspirés de ce qui est plus connu comme Bon Iver, mais on est aussi vraiment influencés par ce qui se passe autour de nous à Québec, poursuit Alexis. On est aspergés de plein d’idées et de concepts musicaux. C’est très fraternel en musique ici, pratiquement une microsociété! En plus de se prêter de l’équipement, on se prête des idées! J’ai l’impression qu’on est en train de créer un petit mouvement et, souhaitons-le, une école de création et de musique populaire.» y Le 26 janvier au Cercle Laugh Away the Sun Disponible maintenant

O2 / 2O17


SE LAISSER VOYAGER AVEC

LEIF VOLLEBEKK LE CHANTEUR MONTRÉALAIS REVIENT SUR DISQUE APRÈS QUATRE ANS D’ABSENCE AVEC UNE ŒUVRE ÉMOUVANTE ET APAISANTE, TWIN SOLITUDE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


19 MUSIQUE VOIR QC

Quand on regarde Leif Vollebekk interpréter ses chansons, il semble possédé par la musique. Il bouge ses épaules et ses muscles du visage au gré des notes. Il laisse tout son corps aller, se laisse chavirer par la musique et les mots. C’est très physique. Autour de 2014, alors qu’il terminait la tournée de son album North Americana, l’émotion évoquée par ses chansons ne s’emparait plus de lui. «Il arrive un moment où tout d’un coup, tu changes, tes sentiments changent. Une bonne chanson, c’est une chanson qui change avec toi, mais dans ce casci, j’avais des pièces avec lesquelles je n’étais plus d’accord – pas qu’elles étaient mauvaises, mais je ne me voyais plus là-dedans. C’était difficile de les jouer. Il fallait toujours trouver un espace créatif pour les chanter – penser à une personne en particulier, par exemple – et rendu là, ça devenait plus du method acting.» Les pièces qu’il pouvait encore jouer sans problème étaient celles qu’il avait écrites en coup d’éclair pour son précédent disque, Photographer Friend et Off the Main Drag. «Ce sont des chansons avec des rimes pas trop naturelles, mais qui sont sorties de ma tête de façon très organique, sans trop y penser.» Pour en arriver à un nouvel album cette année, Leif Vollebekk voulait retrouver ce même sentiment de pureté créatrice. Ç’a pris plus de temps que prévu, mais Twin Solitude arrive enfin ce mois-ci, quatre ans après son prédécesseur. «Oui, c’était long, mais ce n’était pas long aussi! dit-il. J’écrivais de nouvelles chansons en vue d’un autre album et c’était très artisanal – j’avais une mosaïque d’idées. Mais je n’avais pas envie de les jouer live et y avait quelque chose qui manquait, donc j’ai pris un recul et j’ai arrêté d’écrire. Finalement, la pièce qui ouvre le disque, Vancouver Time, m’est venue, comme ça, un après-midi. C’était pareil quand j’étais plus jeune, j’écrivais des chansons sans y penser. Alors les mois suivants, j’ai commencé à dessiner et à faire plein de choses pour arrêter de penser et de ne pas forcer les chansons.» Mots et paysages Twin Solitude, qui navigue entre folk alternatif et pop de chambre et qui est présenté en deux temps – un côté A au piano et un côté B à la guitare –, fait voyager. Les titres de chansons comme All Night Sedans, Big Sky Country, Michigan, Telluride indiquent que la route et les paysages sont encore primordiaux dans l’œuvre de Leif Vollebekk. Et les histoires qu’il y raconte sont très détaillées: des endroits, des types de voitures, des gens, des conversations, des émotions. On s’imagine bien les scènes qu’il décrit.

VO2 #O2

Sur Elegy, son premier extrait, il y a cette ligne qu’on aime bien: «Everybody ’round here’s telling me to act my age, I’m trying» [Tout le monde me dit d’agir comme quelqu’un de mon âge, j’essaie]. «Mes amis commencent à avoir des vies plus stables et moi, de moins en moins, dit-il en riant. J’ai le sentiment d’avoir 26 ans pour le reste de ma vie!» Et dans le vidéoclip accompagnant la chanson, on creuse encore plus loin dans le passé de Leif. «On l’a tourné à une plage en Floride où j’allais en famille pendant mon enfance. C’est un parc national où y a des oiseaux partout et le sable est plein de coquillages et de branches. Quand je suis là-bas, j’ai l’impression que je suis juste moi, le moi qui a toujours été. Je reconnais la personne que je serai toujours.» Leif dit avoir le sentiment d’être très libre avec cette chanson, et c’est à l’image de sa création. Il nous raconte que pour Elegy, il s’inspirait à la base du roi du soul à la Stevie Wonder. «Je m’imaginais que je chantais un hit du genre Signed, Sealed, Delivered I’m Yours! Je chantais avec plein d’énergie. Et finalement, je me suis dit que ce n’était pas destiné à moi parce que je ne fais pas des chansons comme Stevie ou Ray Charles. Le lendemain, je dessinais et j’avais encore la chanson en tête, alors je me suis dit: “Allez, fais-la à ta manière!”.» Un regain d’énergie et de liberté semble donc avoir teinté ce nouvel album de Leif Vollebekk. S’il a toujours réussi à nous émouvoir par ses compositions sensibles et sa voix bouleversante digne d’un jeune Bob Dylan, Leif Vollebekk clôt son disque avec une dernière sublime pièce de huit minutes, Rest, qui apaisera les plus ardentes âmes. «Je voulais donner un style Tom Waits à la chanson et mon ami musicien Adam Kinner a dit: “Pourquoi on ne ferait pas ça avec un harmonium?” Alors on a ajouté du saxophone et Sarah Pagé a joué de la harpe. L’idée est que tu tombes endormi. Y a un album de Sigur Ros (Valtari) qui est juste planant, sans batterie. Pendant très longtemps, quand j’avais du mal à dormir, c’est le seul album que je pouvais mettre dans notre autobus de tournée et disparaître. T’oublies tout.» y Twin Solitude (Secret City Records) Sortie le 24 février Le 13 avril au Cercle

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À ÉCOUTER

20

★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

HEAT OVERNIGHT

AUSTRA FUTURE POLITICS (Domino Records) ★★★ 1/2 Ce troisième disque marque l’éveil politique du groupe torontois qui mélange électro et voix presque lyrique avec adresse depuis ses débuts. Cette fois, la chanteuse Katie Stelmanis se fait cavalière de l’apocalypse (faut voir la pochette) comme pour annoncer le contenu narratif des nouvelles chansons. Si elle entonne un discours écologiste sur Gaia et la chanson titre, Stelmanis ne renie pas ses anciennes amours sur des titres plus intimistes comme I’m a Monster ou I Love You More than You Love Yourself – une étonnante pièce ponctuée par des chants grégoriens réinventés. On dodeline par moment, certes, mais les rythmes à contretemps (We Were Alive et Angel in Your Eye notamment) viennent casser l’énergie pop du disque, amenuiser le pouvoir des mélodies. Un exercice risqué, et certainement calculé, qui témoigne quand même de beaucoup d’audace. (C. Genest)

ARCHITEK PERCUSSION METATRON

(The Hand Recordings)

(Ambiances Magnétiques / DAME)

★★★★

★★★★

Ils ont leur son bien à eux, mais Heat a été souvent comparé aux Psychedelic Furs – pour la voix éraillée de Susil Sharma, ou à Echo & The Bunnymen – pour les guitares scintillantes de Matt Fiorentino, on présume. Disons qu’il y a pire comme parallèle. On pourrait aussi associer le quintette de Montréal à bien d’autres formations emblématiques du post-punk britannique (Flesh For Lulu, Mighty Lemon Drops) tellement ses influences sont vastes. Ce serait néanmoins passer à côté du principal: l’authenticité palpable de Heat, son assurance, ce côté vaguement nonchalant, cette mélancolie en filigrane, cette couleur pop jamais trop criarde, ces vagues de distorsion à la My Bloody Valentine, cette rythmique souvent galopante et un certain maniérisme dans le chant de Sharma qui séduit bien plus qu’il ne fatigue. Après un EP plutôt convaincant en 2014, Heat répond largement aux attentes avec ce premier album complet. Overnight n’est pas le genre d’album qu’on oubliera du jour au lendemain. Chaud devant. (P. Baillargeon)

Issu de la filière McGill, où tous ses membres ont étudié, le quatuor Architek Percussion (trois percussionnistes «branchés» et un joueur de synthétiseur) offre avec ce disque centré sur une œuvre du compositeur canadien Eliot Britton l’un des enregistrements les plus rafraîchissants entendu depuis longtemps. Augmenté de deux autres percussionnistes, doublant aussi aux électroniques, l’ensemble interprète la musique de Britton avec assurance et précision, le mélange entre les sons percussifs, les abstractions électroniques et les échantillonnages de vieux vinyles provoquant une réjouissante explosion de couleurs. Britton, qui poursuit actuellement un doctorat en composition à McGill, nous donne un bel aperçu des nouvelles directions que peuvent prendre les musiques mixtes grâce aux avancées dans l’instrumentation numérique. Lancement le 16 février, au Gesù/Vivier lors d’un concert saluant les 25 ans de la maison de disques DAME. (R. Beaucage)

CLOUD NOTHINGS LIFE WITHOUT SOUND (Carpack Records) ★★★ 1/2

Avec le premier extrait Modern Act, Cloud Nothings laissait présager un virage pop, un peu trop lisse en regard de sa signature noise rock, si bien exploitée sur l’acclamé Here and Nowhere Else paru en 2014. Heureusement, le quatuor de Cleveland ne s’en remet pas qu’à cette recette édulcorée sur son quatrième album. Loin d’être en manque d’inspiration, l’auteur-compositeurinterprète Dylan Baldi raffine ses mélodies, fignole ses textes et s’entête à contenir une rage latente qu’il finira par libérer sur l’acerbe Realize My Fate. En ressort un album quelque peu disparate qui, à force de tirer dans toutes les directions, finit par viser juste à quelques reprises, notamment sur les puissantes Darkened Rings et Strange Year. (O. Boisvert-Magnen)

LUDOVIC ALARIE L’APPARTEMENT (Coyote Records) ★★★★ C’est un deuxième album exquis que nous offre Ludovic Alarie. Toujours épaulé par Warren C. Spicer (Plants and Animals) et secondé par la voix délicieusement feutrée d’Adèle Trottier-Rivard, le jeune auteur-compositeur-interprète déballe ses chansons doucement, lentement, en laissant la musique respirer et en ne chantant (voire chuchotant) que le nécessaire. Toujours dans un registre entre pop de chambre et folk douillet, L’appartement s’écoute les yeux fermés en s’imaginant voler avec sa douce ou son doux. À travers cette pop délicate, Ludovic Alarie se trame un chemin vers une sensualité à couper le souffle et se révèle un digne héritier de Martin Léon et autres élégants compositeurs contemporains du genre. Un autre bijou qui vous apaisera assurément! (V. Thérien)


21 DISQUES VOIR QC

OVERKILL THE GRINDING WHEEL

JOHN MAYER DHAMMAPADA

(Nuclear Blast Records)

(First Hand Records/Naxos)

★★★

★★★★

En entreprenant l’écriture de leur 18e album, le bassiste D.D. Verni et le chanteur Bobby «Blitz» Ellsworth voulaient exprimer en musique les réalités d’un groupe qui se donne à fond à son art depuis près de 40 ans. Le choix du titre est conséquent avec le thème qui a inspiré les deux membres originaux et principaux compositeurs d’Overkill et donne un disque qui vaut le détour. La mécanique de The Grinding Wheel est parfaitement huilée, les morceaux thrash pimentés d’influences punk, heavy métal (The Long Road) et même d’un soupçon de blues (Come Heavy) donnent le goût de marteler l’air du poing pour encourager Overkill. Le seul bémol concerne la longueur de plusieurs morceaux qui diluent l’impact final de The Grinding Wheel. (C. Fortier)

La pièce titre de ce disque a été enregsitrée en 1976, mais elle n’a été publiée sur disque pour la première fois qu’en 2006! Cette première édition étant épuisée depuis longtemps, revoici le même enregistrement, techniquement amélioré et augmenté de deux autres pièces de cet indo-jazz qui a fait la réputation de Mayer (Portraits of Bengal et Tantrik Dances). Dhammapada raconte la migration du bouddhisme de l’Inde jusqu’au Japon, en passant par la Chine et la Corée, et les 13 musiciens du London Music Fusions, sous la direction du compositeur, comptent des joueurs de sitar, de koto et de sarod (et aussi de flûte, de sax, de piano, etc.). L’Est et l’Ouest s’y retrouvent dans un mélange parfait, ultra joyeux et toujours actuel. (R. Beaucage)

VO2 #O2

O2 / 2O17

RUN THE JEWELS RUN THE JEWELS 3 (Run the Jewels, Inc.) ★★★★

TITO LAURENT BLUES KREYÒL

LE TROUBLE MAKING MATTERS WORSE

(Indépendant)

(Indica)

★★★

★★★★

Sa voix de bluesman immigrant qui s’est battu et ses mélopées créoles sur le courage et l’amitié résonnent de loin dans les couloirs du métro. Version finale d’un démo qu’il vendait à la station Henri-Bourassa, ce disque indépendant et combien cohérent est le premier en carrière pour Tito Laurent, malgré une discographie abondante – comme sideman, batteur et percussionniste – qui débute dès 1968 avec le Combo Negro. Reprenant à son compte des chansons du groupe afro-montréalais Noula qu’il fonda avec Roro d’Haïti au début des années 1990, ainsi qu’un titre percutant des Brothers Posse sur les méfaits causés par les forces de paix onusiennes dans le tiers-monde, cet ancien boxeur et bûcheron d’Abitibi rajoute du reggae, du vaudou et du rap dans sa sauce avec l’aide de Dai Rutz, de Pascal Laraque (Bypass Studio, rue St-Hubert) et du bassiste new-yorkais Chico Boyer, pilier du mouvement «racines». Force de la nature. (R. Boncy)

Pour son premier album chez Indica – après quelques mésaventures auprès d’une étiquette de L.A. qui auraient pu complètement désabuser la bande, le quintette montréalais revient en force. Making Matters Worse propose une collection de 11 titres vitaminés et accrocheurs. Le Trouble se distingue par la voix parfois haut perchée de son chanteur australien Michael Mooney, une rythmique fiévreuse et une solide cohésion. Proche des Jonathan Fire*Eater/Walkmen pour la fougue et la passion et des Strokes pour le côté nerveux, Le Trouble est aussi capable de pencher davantage vers une pop moins agressive – la plus calme Easy Enough –, mais il peut aussi agréablement surprendre en flirtant avec un style plus glam, comme en témoigne Sad Blondes aux couleurs Sparks/Sweet. À cheval entre rock et (power) pop indie, Le Trouble demeure dans une sorte d’urgence, un quelque chose de vaguement punkifié qui nous tient en haleine du début à la fin de l’album. (P. Baillargeon)

Conscients de l’impact qu’ils ont eu avec Run the Jewels 2, un deuxième album unanimement salué par la critique, El-P et Killer Mike reviennent à la charge avec une autre bombe hip-hop de grande envergure. Plus politisé que jamais, le duo new-yorkais envoie des flèches à Donald Trump (2100, Talk to Me), dénonce la violence policière (Thieves!) et enjoint à la population de se révolter contre ses dirigeants (la puissante Kill Your Masters avec l’infatigable Zack de la Rocha). S’il tend parfois à remâcher des textes un peu insipides et à répéter des formules vocales prévisibles, Run the Jewels compense ces rares moments de maladresse par une trame musicale à tout casser qui, dans un feu roulant d’intensité, emprunte au rock, à l’électro et à la musique industrielle. Signant encore une fois l’essentiel des compositions, El-P se surpasse à plusieurs reprises avec de véritables machines de guerre sonores (Hey Kids, Legend Has It). (O. Boisvert-Magnen)


22 CHRONIQUE VOIR QC

VO2 #O2

O2 / 2O17

MONIQUE GIROUX SUR MESURE

LETTRE D’AMOUR Je me souviens de notre première fois. Il me fallait, pour te regarder, monter à genoux sur une chaise. Appuyée sur mes petits coudes, je t’écoutais me parler en des mots que je ne saisissais pas toujours. Mais le timbre de ta voix, tes intonations, la musique dans tes mots, tes rires me transportaient, m’invitaient à te suivre vers un ailleurs meilleur. Ma grand-mère, qui provoquait nos rencontres, après s’en être allée à l’hospice, m’a laissée me débrouiller seule avec toi. De la cuisine où avaient lieu nos rendez-vous, nous sommes rapidement passées à la chambre et je t’ai invitée à partager mes nombreux instants de solitude qui, grâce à toi, n’en étaient plus. Le plus souvent la nuit, à l’insu des parents, je collais mon oreille sur ton souffle. Les yeux fermés, je me faisais mon cinéma. Je te voyais éclairée d’une seule ampoule et je t’imaginais seule toi aussi. Petite, un peu sombre et seule. La lumière ne prête pas toujours aux confidences et aux chansons tristes. Et c’est bien connu, les plus belles chansons sont des chansons tristes. Tu les chantais mieux, plus juste la nuit que le jour. Au fil de ma petite enfance, tu t’es immiscée subtilement en moi, devenant mon inséparable amie imaginaire, mon refuge d’enfant unique dont le seul autre confident avait la forme d’un vieux chat en noir et blanc. Dehors, les gens parlaient beaucoup trop. Le temps passe si vite quand on parle tant. En classe, en cas de dissertation, toujours je me faisais porter, pâle, feignant un malaise qui me clouerait au lit le temps que passe l’exercice. J’étais pourtant enjouée et joyeuse. Qui s’asseyait au fond de la classe près de la fenêtre qui donnait sur le cimetière? «Si vieille pour son âge», disait-on… C’est ta faute sans doute, monstre à batteries et à boutons. Si tôt tu m’as parlé, juste à moi, de choses à découvrir, à aimer, à craindre, avec des mots de quatre syllabes, des mots de grandes personnes.

Tu avais déjà avant moi éduqué ma mère qui, retenue à la maison, n’avait que toi pour apprendre. Espèce de prescripteur à piles. C’est en t’écoutant que j’ai compris que mon pays n’était pas un pays, mais l’hiver, qu’il faisait toujours beau quelque part, que l’alouette pouvait se faire plumer, mais qu’elle pouvait aussi se mettre en colère, que le monde et les temps changent, que mes blues passent pu dans’ porte, qu’on n’apprivoise pas les chats sauvages, que ma plus belle histoire d’amour, c’est vous, et qu’on danse les uns contre les autres, mais qu’au bout du compte, on est toujours tout seul au monde. On y revient. C’est en t’écoutant que j’ai compris aussi qu’il ne fallait pas quitter ceux qu’on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez. Alors que je me destinais à devenir photographe, courbée par en avant, l’œil dans le viseur à cadrer la vie et à choisir la lumière en silence, tu m’as ouvert la porte du Studio 24, le studio de Paul Boutet, dont plus personne ne sait qui il est. Paul Boutet, philosophe, agronome qui a collaboré à de nombreuses émissions cultes de Radio-Canada. Tu m’as ouvert la trappe. La trappe à parler, la trappe à bonheur, la trappe au devoir d’être honnête, authentique, respectueuse de ceux qui écoutent. Parce que tu t’interdis la feinte. Avec toi, pas de faux-semblants, de maquillage, de belles robes. Avec toi, personne ne le sait ni ne s’en offusque quand tu portes un t-shirt de Gerry ou de Céline. Mais on devine tout le reste, on le sait quand tu lis, quand tu ne crois pas en ce qu’on te fait dire. Même les jours de revers, malgré tes efforts, quand on te connaît bien, on perçoit ta peine ou ton désarroi juste là au bord de ta voix.

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«IL Y AURA TOUJOURS EN TON SEIN DES VOIX PASSIONNÉES, DÉVOUÉES ET BELLES À ENTENDRE, POUR DIRE, TOUCHER, ÉCHE VELER, ET POUR DONNER À PENSER.»

d 8 8 44

r u o m e l’A

Depuis, on ne se quitte plus. Je ferme souvent les yeux pour t’écouter et aussi quand je te prête ma voix, à moi. Je t’écoute pour voir. Sans image. Sans texte ni sous-titres. Que le son, rien qui bouge. Tu te tiens bien debout toute seule. Tu n’es pas un passe-temps, un loisir à faire en attendant. Dans sa chanson intitulée Ma radio, la Grande Sophie parle de toi: … celle qui ne s’essouffle jamais au cœur des insomnies perchée sur un meuble, dans un taxi, une épicerie la radio, ma radio celle qui donne l’heure au temps passé, me plonge dans le présent… En effet, tu ne t’essouffleras pas, je le prédis. Je te connais, tu ris. Tu vois venir le jour où, en panne d’électricité depuis plusieurs semaines pour cause de verglas, nos téléphones et nos tablettes seront à plat et que pour savoir où trouver de l’eau, les allumettes et le bois, on te ressortira le transistor. … le visage que j’imagine n’est peut-être pas le tien mais la radio, ma radio alimente mon imaginaire, a construit un château elle est là, c’est elle qui m’accompagne elle respire, je l’entends grésiller elle m’appelle, j’adore quand elle me parle des mots, des airs, des histoires à la radio...

LES SŒURS BOULAY 17 FÉVRIER, 20h Première partie : Amylie

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Devant mon écran, à cet instant, je ferme encore les yeux et cherche tes voix dans mes souvenirs. Elles surgissent pêlemêle, bêtes de radio: Jacques Proulx, Jean-Pierre Coallier, Jacques Matti et Hélène Fontaine, Frenchie Jarraud, Michel Desrochers, Jacques Houde, Lizette Gervais et Andréanne Lafond, Lise Payette, Guy Mauffette, Myra Cree, GérardMarie Boivin, auxquels s’ajoutent ceux qui sont venus plus tard et qui viendront encore. Il y aura toujours en ton sein des voix passionnées, dévouées et belles à entendre, pour dire, toucher, écheveler, et pour donner à penser. Il y aura toujours, de l’autre côté, des auditeurs boulimiques de savoir, joyeux mais solitaires, pour qui tu resteras encore et toujours cette précieuse amie imaginaire.

EMILIE-CLAIRE BARLOW 18 FÉVRIER, 20h

Écoute, pas juste pour voir. y

imperialbell.com 418.523.3131

photo: Eli Bissonnette et Jeanne Joly

EN FÉVRIER À

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25 CINÉMA VOIR QC

VO2 #O2

BRASSEZ-NOUS, POUR L’AMOUR DU CINÉMA EXIGEANT, DÉRANGEANT, EXALTANT, AUTANT DANS SA FORME QUE DANS SON PROPOS, CEUX QUI FONT LES RÉVOLUTIONS À MOITIÉ N’ONT FAIT QUE SE CREUSER UN TOMBEAU EST UN FILM COUP-DE-POING SUR L’IDÉALISME ET L’ENGAGEMENT DANS UN QUÉBEC DE L’APRÈS-PRINTEMPS ÉRABLE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

Les réalisateurs Mathieu Denis et Simon Lavoie se sont imaginé quatre personnages, de jeunes révolutionnaires qui persistent à lutter contre la paresse politique et sociale par tous les moyens. Quoique ce deuxième film à quatre mains ne soit pas une suite de Laurentie (2011), Ceux qui font les révolutions... a été créé «dans le même esprit de liberté et d’urgence qu’on a ressenti de parler du monde dans lequel on vivait», dit Mathieu Denis. À travers une forte signature visuelle, nous nous faisons happer à l’écran par des gestes passionnés et violents, des chorégraphies de comédiens nus, de la musique classique ou métal et des mots éloquents, si inhérents au récit, de grands écrivains militants. «Ce film-là ne doit pas laisser indifférent, dit Mathieu Denis. J’espère que ça bouscule. Y a des gens qui vont détester. Bien, qu’ils détestent avec passion! Je veux aussi que les gens l’aiment avec passion et qu’ils sortent de la salle en se disant: “Essayons d’en faire des choses et ne soyons pas amorphes, stagnants et indifférents”.» Si le printemps érable est perçu comme un échec, n’ayant pas donné les résultats escomptés, et que la nostalgie est condamnée dans le film, des images d’archives d’autres révolutions à travers le monde (Tunisie, Ukraine, Espagne) rendent universel ce soulèvement au Québec. «C’était important d’inscrire cet événement-là et l’après-printemps dans

quelque chose qui a une portée plus grande, parce que c’est pas quelque chose qui est isolé dans le temps, précise Mathieu Denis. L’esprit de révolte qui a animé les étudiants en 2012, jusqu’à un certain point, c’est le même esprit de révolte qui a animé Hubert Aquin en 1964 quand il a décidé de prendre le maquis et de fonder une organisation terroriste. Dans l’échec de l’engagement d’Aquin et du printemps érable, y a aussi quelque chose qui nous ramène à cette espèce d’état d’inachèvement perpétuel qu’on semble vivre au Québec. C’est comme si on n’arrive jamais à aller au bout des choses.» Un constat triste, avoue Mathieu Denis, et qui est aussi vrai pour bien d’autres révolutions. «En Ukraine, qu’est-ce que la révolution de 2014 a donné? Les résultats sont loin d’être probants. L’héritage de tous ces mouvements-là est en suspens, on est loin d’être sûr que ç’a été positif. Il faut essayer de comprendre pourquoi ces mouvements-là persistent à ne pas donner les résultats voulus.» Ce miroir que nous renvoient Mathieu Denis et Simon Lavoie sur grand écran est brutal, mais il faut comprendre que dans ces quatre personnages qui poursuivent la lutte, les réalisateurs y évoquent de l’espoir, un refus catégorique de résignation. «Je pense qu’il y a quelque chose d’émouvant làdedans et de tragique, dit Simon Lavoie. C’est ce qui nous a touchés. Ils refusent de se laisser noyer, d’accepter les choses telles qu’elles sont.»

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26 CINÉMA VOIR QC

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Profondément unis, les quatre personnages du film se retrouvent parfois nus ensemble, ne formant qu’un seul corps. Gabrielle Tremblay, qui joue le rôle de Klas Balato, une transsexuelle qui travaille dans un salon de massage érotique pour subvenir aux besoins du groupe, nous a expliqué comment les acteurs en sont venus à créer ce sentiment d’unité. «Les personnages sont des gens qui vivent confinés ensemble et qui sont vraiment concentrés sur leur objectif, leur révolution. Dans le processus de répétition, on avait beaucoup de scènes de groupe. Ça nous aidait à travailler la fraternité. Les répétitions nous ont aidés à nous accepter aussi. Personnellement, j’avais plein de complexes par rapport à mon corps et tout. Mais de voir que c’est fait avec des yeux professionnels, ça permet de se voir autrement et ç’a fait tomber tout plein de mes barrières.» Engagement absolu Signe que le film ne laisse personne indifférent: lors de la première mondiale du film au Festival international du film de Toronto (TIFF) en septembre, des spectateurs ont quitté la salle et d’autres ont ovationné l’équipe. «On a senti que les esprits étaient très échauffés. Des gens dénigraient le film et claquaient les sièges et d’autres nous appuyaient, se remémore Simon Lavoie. Les moments où y a eu des applaudissements, ça nous a ragaillardis.» «J’ai trouvé ça hyper excitant et j’étais encore plus fier de faire partie de ce projet-là», dit Laurent Bélanger, qui fait ici ses débuts au grand écran en campant le rôle de Tumulto. «Parfois, diviser les gens, ça sert à en réunir d’autres. Là, je sentais qu’il y avait des gens qui n’acceptaient pas ce qu’ils voyaient à l’écran.» Certes, il y a un certain choc à absorber lorsque les réactions sont fortement mitigées, mais ce film devait être fait, tel un appel, déclare sans détour Mathieu Denis. «Faire un film comme celui-ci, ça nécessite un engagement absolu de la part de tous ceux impliqués. Et donc tout de suite quand tu le présentes pour la première fois à un public et qu’il y a cette réaction qu’on a eue à Toronto qui était très violente jusqu’à un certain point, c’est difficile à vivre pendant que ça se vit. En même temps, jamais durant la projection, je me suis dit: “On est allés trop loin”.» Quelque chose de déraisonnable Construit comme un essai, en mélangeant la fiction à des images d’archives, Ceux qui font les révolutions… a été inspiré de La Chinoise de Jean-Luc Godard ou encore 24 heures de plus de Gilles Groulx, des «œuvres très foisonnantes, qui jouent avec du matériel venu de plein d’endroits différents», précise Mathieu Denis. Son ami de longue date Simon Lavoie ajoute que «la gestation du film a été assez longue, mais quand on l’a écrit, on a été financé rapidement et

on l’a tourné rapidement, en un geste. Sans se poser de questions. Si on se posait des questions, on risquait de se dire: “Ç’a pas de bon sens, on doit pas faire ça”. Donc on a foncé. Y a quelque chose d’un film déraisonnable. Comme un poing sur la table dans une taverne.» Les longs mots du titre sont empruntés à une citation de Louis Antoine de Saint-Just pendant la Révolution française. Les férus de littérature politique et militante seront ravis puisque les personnages du film s’abreuvent de citations fortes telles que: «J’avais cherché une raison de vivre dans l’abstrait, alors qu’il fallait la chercher dans la vie, dans l’action.» (Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, Montréal, Parti pris, 1968). Fait à noter: les réalisateurs ont collaboré avec Flammarion afin de mettre à la disposition du spectateur, sous la forme d’un livre disponible en librairie, le scénario et les sources des nombreuses citations et références qui le composent.

«CE FILM-LÀ NE DOIT PAS LAISSER INDIFFÉRENT. J’ESPÈRE QUE ÇA BOUSCULE. Y A DES GENS QUI VONT DÉTESTER. BIEN, QU’ILS DÉTESTENT AVEC PASSION!»

«Y a toutes sortes de lectures qui, au fil des années, nous ont influencés, indique Simon Lavoie. La découverte, par exemple, du Canadien français et son double de Jean Bouthillette, Fernand Dumont... Mathieu avait fait beaucoup de recherche autour de la Révolution tranquille pour son film précédent, Corbo. Tout à coup, c’est comme si Ceux qui font les révolutions... a fait en sorte de cristalliser tout ce cheminement.» Ceux qui font les révolutions… est aussi une lettre d’amour au cinéma. Une grande expérience cinématographique qui allie toutes les formes d’art – la littérature, la musique, la scène et les arts visuels – , créant ainsi une œuvre d’art puissante en soit. y En salle le 3 février


OBTENIR

PLUS

D’ARGENT POUR PROLONGER LA SOIRÉE CINÉ?

OUI C’EST POSSIBLE!


IL Y A CINQ ANS LE PRINTEMPS ÉRABLE LE PRINTEMPS ÉRABLE A EU LIEU EN 2012. NUL DOUTE QUE LA SAISON À VENIR APPORTERA SON LOT DE NOSTALGIE AUTOUR DES CINQ ANS DU GRAND MOUVEMENT, QUI A SANS ÉQUIVOQUE EU UN IMPACT CONSIDÉRABLE SUR NOTRE CULTURE – LES ARTISTES DU QUÉBEC AYANT ÉTÉ NOMBREUX À PRENDRE POSITION ET À CRÉER DES ŒUVRES IMPROVISÉES, À VIF, TEMPORAIRES OU PERMANENTES. DANS LE CADRE DE CE DOSSIER, NOTRE ÉQUIPE DE RÉDACTION REVIENT SUR LES INITIATIVES INTÉRESSANTES INSPIRÉES DE CES ÉVÉNEMENTS ET TENTE DE VOIR SI ELLE A ENCORE UNE INFLUENCE SUR NOTRE CULTURE. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN, CATHERINE GENEST, ANTOINE BORDELEAU & VALÉRIE THÉRIEN


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MUSIQUE MILITANTE Au-delà du port de l’emblématique carré rouge, les musiciens d’ici ont contribué à galvaniser les étudiants lors de la grève de 2012. Leur soutien a été tout particulièrement tangible lorsque la mobilisation a atteint son point culminant. Si les artistes étaient peu nombreux à s’impliquer directement dans le mouvement à ses balbutiements, un groupe arrivait toutefois à rallier les troupes. Fondée en 2007 afin d’amasser des fonds pour le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), la formation folk punk montréalaise Mise en demeure, désormais inactive, a évoqué la grève étudiante dans ses chansons dès le début du soulèvement étudiant. «À la base, on était tous des militants, soit dans la rue ou l’ASSÉ», explique le chanteur et guitariste Robert Fusil. «Notre but était de faire du bien aux militantes et militants en passant un message combatif. On jouait pour tous ceux et celles qui se battaient dans la rue.»

MISE EN DEMEURE, PHOTO | ALEXIS AUBIN

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Parue en octobre 2011, la chanson Liberté d’expression frappait fort avec son refrain martelant que «t’as le droit d’être contre la grève, mais on a le droit de te trouver cave». À quelques jours du rassemblement historique du 21 mars 2012, le groupe remettait les pendules à l’heure avec Violence légitime, mon œil!, une tirade contre les «osti de flics au service des riches et des fascistes». Même si elles n’ont pas obtenu de succès populaire, ces chansons ont contribué à cimenter l’unité de la frange plus radicale du mouvement. Le milieu du hip-hop québécois s’est lui aussi prononcé assez rapidement en faveur des étudiants, notamment par l’entremise des capsules vidéo Contre la hausse du site Hiphopfranco, auxquelles ont participé les rappeurs Helmé, Filigrann, Obia le Chef, Jules & Murph et Beeyoudee. Peu après, ces derniers ont une fois de plus manifesté leur mécontentement sur la compilation Printemps érable, produite par DJ Horg. «Je suis un militant depuis longtemps et, quand j’ai vu que le mouvement étudiant prenait de l’ampleur, j’ai voulu y prendre part de manière plus importante.

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Surtout, je voulais offrir une alternative aux vieux slogans qu’on entend toujours dans les manifs», explique l’initiateur de ces deux projets, Samuel Daigle-Garneau. Le mainstream s’en mêle Plus ou moins engagée dans le mouvement depuis ses débuts, la communauté artistique plus mainstream a commencé à s’impliquer plus activement à partir du 21 mars avec L’HAUSSEtie D’SHOW. Des personnalités telles que Manu Militari, Paul Piché, Michel Rivard et Chloé Sainte-Marie étaient alors montées sur la scène du Métropolis pour chanter leur soutien aux grévistes. Est ensuite venue une petite vague de chansons enregistrées pour la cause. Alors que Godspeed You! Black Emperor a dédié son album Allelujah! Don’t Bend! Ascend! au mouvement étudiant (l’édition vinyle venait d’ailleurs avec un carré de tissu rouge), d’autres ont profité de cette période de mobilisation sociale pour revenir sous les feux de la rampe. On pense plus précisément à Loco Locass qui, en avril, est sorti d’un long silence de huit ans avec [wi], ode au rassemblement présentée comme un hymne au printemps érable. Parfait moment, s’il en était, pour dépoussiérer l’esprit contestataire du groupe qui nous avait donné Libérez-nous des libéraux en 2004. Le groupe a d’ailleurs fait monter sur scène les trois leaders étudiants lors de son concert aux FrancoFolies en juin. À la même période, on a eu droit à des chansons militantes de plusieurs artistes locaux, dont Ariane Moffatt, Jérôme Minière, Le Husky, 2Frères et l’humoriste anglophone Jon Lajoie. Le mouvement gagnait rapidement de la notoriété à l’international et on a même vu Indochine composer Le fond de l’air est rouge pour faire écho à la lutte des étudiants québécois. Chez nos voisins du Sud, on a même pu voir un des membres du groupe hip-hop Public Enemy, fortement politisé, porter le carré rouge. Mais que reste-t-il de la fougue contestataire de 2012 dans notre paysage musical actuel? Bien que l’on puisse relever La fanfare de Louis-Jean Cormier, chanson à caractère social parue en 2015, force est d’admettre que le temps a fortement estompé la présence du printemps érable (et, même, de tout autre sujet contestataire) dans la banque d’inspiration de nos artistes grand public. «La lutte était mainstream pendant le printemps érable et elle aurait dû le rester», croit Robert Fusil. «Y en a des sujets pour être en colère... Le laitte est en train de nous dévorer pis on le chante pas assez.» (O. Boisvert-Magnen et A. Bordeleau)

PAR LA FORCE DES PLANCHES Dès le début du conflit étudiant, les artisans de la scène profitent de l’excellente tribune que représentent les planches de nos théâtres pour livrer des textes poignants. Le public a aussi fait résonner ses casseroles dans les théâtres de la métropole en 2012. Le monde de la danse a mis la main à la pâte en provoquant des initiatives rassembleuses, comme le comité Danse ta grève des étudiants de l’UQAM et autres chorégraphies de groupe improvisées. Côté théâtre, Olivier Choinière sera l’un des premiers à réagir, dans le cadre du FTA du mois de mai 2012, alors que les rues de Montréal tremblaient sous les pas des manifestants. Férocement opposé à la loi 78, le dramaturge montera sur la scène de

«ANTIGONE DEVIENT LE SYMBOLE D’UNE JEUNESSE QUI NE BAISSE PAS LES BRAS DEVANT UN POUVOIR CORROMPU, INJUSTE. IL M’APPARAÎT URGENT DE RACONTER À NOUVEAU CETTE HISTOIRE AFIN QUE L’ESPOIR NE DISPARAISSE PAS DANS LE RONRON ALIÉNANT DES FILS D’ACTUALITÉ.»

l’Usine C après les représentations de Chante avec moi pour y lire un texte engagé et de son cru. Marqué au fer rouge par les événements, il nous offrira ensuite des œuvres qu’il avoue teintées par le printemps érable: la première mouture de son Abécédaire des mots en perte de sens, Mommy (à ne pas confondre avec l’œuvre de Dolan) en 2013 et finalement Ennemi public deux ans plus tard. Si certains de ses collègues effleurent le sujet avec subtilité, comme les sœurs Véronique et Gabrielle Côté dans la courtepointe poétique Attentat, d’autres l’ont attaqué de front, sans demi-mesure. C’est le cas d’Olivier Kemeid avec un texte au ton épique relégué par la revue Jeu dans le feu de l’action, mais


DIMANCHE NAPALM, PHOTO | VALÉRIE REMISE

aussi de Sébastien David avec Dimanche Napalm, le portrait d’une famille québécoise aux opinions diamétralement opposées, une pièce étrennée par une distribution cinq étoiles (notamment Henri Chassé et Louis Danis) en novembre dernier au Théâtre d’Aujourd’hui. Olivier Lépine, auteur et metteur en scène, prendra aussi les traits d’un policier à l’éthique douteuse et d’un documentariste inspiré porté par le bruit des casseroles dans Architectures du printemps, monologue programmé à Premier Acte en mars 2016. Le sujet du printemps érable s’est donc taillé une place de choix dans nos théâtres et il continue d’inspirer nos dramaturges. Ça se poursuivra en avril avec Antigone au printemps de Nathalie Boisvert, pièce qui sera présentée au Théâtre Denise-Pelletier. L’auteure précise qu’«Antigone au printemps n’est pas une pièce sur les événements du printemps 2012. Cependant, elle tente d’extraire l’énergie brute de ce qu’a été ce moment pour nous. Elle questionne notre destin collectif, nos valeurs capitalistes, notre conception du pouvoir et de l’ordre, ce qui nous forge comme individu et comme nation. La pièce est une ode à ce soubresaut d’espoir, de folie magnifique et de révolte qui a déferlé dans nos quartiers, nos rues, nos places publiques. Antigone devient le symbole d’une jeunesse qui ne baisse pas les bras devant un pouvoir corrompu, injuste. Il m’apparaît urgent de raconter à nouveau cette histoire afin que l’espoir ne disparaisse pas dans le ronron aliénant des fils d’actualité». (C. Genest et V. Thérien)

PRISES DE PAROLE VISUELLES Le printemps érable évoque en lui-même un symbole, une forme géométrique indissociable du mouvement étudiant de 2012. Les artistes visuels ont travaillé à partir du proverbial carré rouge pour créer des œuvres ouvertement politiques et laisser une trace poétique. En pleine tourmente, à brûle-pourpoint, un collectif de designers graphiques s’est formé entre les murs de l’UQAM: l’École de la montagne rouge. Nommé ainsi en hommage au Black Mountain College états-unien des années 1940, le groupe à géométrie variable s’est fait remarquer dans les manifestations avec ses pancartes inspirées et ses chiennes rouges de peintres. On se souviendra d’eux dans une rétrospective en novembre 2012, dont Frédéric Metz était le commissaire, et dans le film Aujourd’hui pour moi, demain pour toi (2013) de Maël DemarcyArnaud qui documente leur prompte existence. Les photographes ont eux aussi vécu la grève de l’intérieur et immortalisé, médium oblige, les événements dans la plus grande urgence. C’est le cas du reporter Jacques Nadeau, l’un des plus célèbres employés du Devoir, qui a regroupé 153 clichés sous un même livre (Carré rouge) paru aux éditions Fides en août de la même année. Darren Eli et Philippe

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Montbazet ont aussi marqué le coup à Montréal avec l’exposition Carré rouge – Droit de parole, un corpus d’une soixantaine d’images dévoilées à la Maison de la culture Marie-Uguay en mars 2013. La sculptrice Sarah Marceau-Tremblay prendra possession du hall du Théâtre de la Bordée pour présenter On est tous enceintes/We Are All Pregnants au commencement de 2013. Son triptyque de géantes ensanglantées, habillées de ce qu’elle présente comme ses «dentelles de ciment», nous a émus en raison de sa posture triste. Trois grandes dames longilignes qui auront été présentées préalablement au Centre culturel de Pierrefonds. En 2014, la Manif d’art a fait du printemps érable l’un des thèmes majeurs de sa septième biennale, édition dont Vicky Chainey Gagnon était la commissaire. Elle a d’ailleurs confié la Galerie des arts visuels de l’Université Laval à Gisele Amantea qui y a présenté At the End of the Visible Spectrum, une installation où l’on y voyait une photographie en noir et blanc du Salon bleu de l’Assemblée nationale à laquelle avait été greffé une myriade de carrés rouges. Un immense collage juxtaposant le pouvoir de la rue et celui des communes, pour reprendre les mots de Mme Chainey Gagnon. «C’était une œuvre très exigeante qui évoquait la possibilité d’intervenir, d’agir, de changer, de créer une protestation symbolique.»

Le printemps érable a laissé une trace dans notre histoire politique nationale, c’est indéniable, mais peut-on en dire autant au rayon de l’art? Vicky Chainey Gagnon le croit. «Ç’a été un moment de changement important pour les artistes qui se sont sentis alliés à cette cause et qui continuent de lutter.» (C. Genest)

IMAGES DE TENSION

Outre le long métrage de fiction à la une de ce numéro, ces dernières années le septième art s’est penché sur le printemps érable davantage sous la forme de documentaires, mettant en lumière la force des étudiants et des manifestants. Celui qui a fait le plus de bruit est Carré rouge sur fond noir de Santiago Bertolino et Hugo Samson, sorti le 30 août 2013 et qui a reçu deux prix Gémeaux. Les caméras des deux réalisateurs captent les chamboulements – dont des images de l’intérieur pendant la fameuse débandade au Palais des congrès de Montréal –, sont au cœur des coulisses de la CLASSE avec Gabriel Nadeau-Dubeau et suivent d’autres voix fortes du mouvement étudiant.

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GISELE AMANTEA, AT THE END OF THE VISIBLE SPECTRUM, 2014. PHOTO | RENAUD PHILIPPE

Si ce sont surtout des images réelles et intenses de documentaires autour du printemps érable qui ont été projetées depuis 2012, maintenant, place à la fiction et à la désillusion qui s’empare de nous aujourd’hui avec Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau de Mathieu Denis et Simon Lavoie. Le cinéma du printemps érable ne fait que commencer. (V. Thérien)

DES PAGES ROUGES

Du côté de la littérature, on retient les nombreux essais à caractère politique et social publiés pendant et après le printemps érable, mais il y a aussi eu des romans (Terre des cons de Patrick Nicol) et des bandes dessinées (Je me souviendrai d’un collectif d’auteurs) qui sont nés après cette période chargée d’émotions. L’essai Année rouge du rédacteur en chef de Nouveau Projet Nicolas Langelier, par exemple, est un témoignage personnel et sociologique de cette année particulièrement mouvementée dans l’histoire du Québec, alors que l’auteur Pierre-Luc Brisson analyse les faits et gestes de ses contemporains dans Après le printemps pour tenter d’arriver à une compréhension de la jeunesse d’aujourd’hui. La même année sortait également Insurgence, long métrage documentaire du collectif anonyme Épopée, présenté entre autres à la Manif d’art 7 en 2014. Le film, sans narration, laissait parler les images. Il a été produit dans le but de rendre justice au courage des manifestants et à l’énergie exceptionnelle qui régnait dans les rues de Montréal à cette époque. Le regroupement de créateurs et de citoyens engagés 99%Média, très actif pendant le printemps érable, a également livré un documentaire de 73 minutes, Dérives, en 2013. Il s’agit d’un regard sur la tension entre le SPVM et les citoyens pendant les manifestations. Les vidéastes ont aussi été nombreux à créer dans le vif du conflit étudiant. On se souvient de Casseroles de Jérémie Battaglia, une vidéo qui montrait avec grande beauté toute la solidarité des Montréalais descendus dans les rues, ou bien Je marche à nous de Samuel Matteau, dans laquelle un grand-père fabriquait un chapeau de diplômé en carré rouge pour sa petite-fille.

Tenir tête Gabriel Nadeau-Dubois Lux Éditeur, 224 pages

En octobre 2013, Gabriel Nadeau-Dubois, sans doute le visage le plus médiatisé du printemps érable, livre enfin son brûlot Tenir tête, qui nous plonge dans son monde pendant les manifestations et les assemblées générales de 2012. Dans ces publications écrites à chaud ou à froid, le clavier a certes été une arme importante pour les auteurs et essayistes. Mais les idées et les analyses ont assurément stagné quelque part en 2013. Nous attendons toutefois avec impatience ce que les auteurs auront à nous dire sur le mouvement étudiant avec plus de recul. L’anniversaire à venir de ce printemps apportera sans doute de nouvelles pistes de réflexion… (V. Thérien) y

Année rouge Nicolas Langelier Éditions Atelier 10, 108 pages

Après le printemps Pierre-Luc Brisson Éditions Poètes de brousse, 92 pages

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LE CYCLOTRON REVISITE L’HISTOIRE TOURNÉ EN 20 JOURS À OKA ET GATINEAU AVEC UN BUDGET DE 1,8 MILLION DE DOLLARS, LE CYCLOTRON D’OLIVIER ASSELIN FAIT DES MIRACLES. AMBITIEUX ET LUDIQUE, LE FILM S’IMPOSE COMME LA PÉPITE MADE IN QUÉBEC DE CE DÉBUT D’ANNÉE 2017. MOTS | CÉLINE GOBERT

Un cyclotron est une machine qui accélère les particules. Dans le film du même nom, signé par le Québécois Olivier Asselin, il est dissimulé dans une montre et permet, en résumé, de déclencher l’explosion de la bombe atomique. Les familiers de la filmographie du cinéaste sont en terrain connu puisque Asselin fait une nouvelle fois de l’imbrication entre science et Histoire le fil rouge de son film. De plus, comme dans La liberté d’une statue (1990) et Un capitalisme sentimental (2008), il s’amuse à revisiter un moment historique et à imaginer une version alternative de l’Histoire. «Ce détour par le passé permet de mieux comprendre le présent, nous explique-t-il en entrevue. Il ne faut pas négliger les leçons de l’Histoire.» L’histoire, celle du film, se déroule à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans quelques intérieurs: un bunker, une chambre d’hôtel, un train, un laboratoire. On s’y promène, dans des périodes et lieux différents – de Londres à Berlin, Paris et Bruxelles. L’espionne alliée Simone (Lucille Fluet, également coscénariste du film aux côtés d’Asselin) est chargée de retrouver et de tuer Emil (MarkAntony Krupa), un scientifique allemand. Pourchassé par les militaires hitlériens (dont Helmut König, interprété par Paul Ahmarani) qui veulent s’emparer de sa formule de fabrication de la bombe atomique, Emil est capturé dans le train. Le train, «cette scène en mouvement» comme le nomme Asselin, est un leitmotiv du vieux cinéma américain qu’il chérit tant: on le retrouve notam-

PHOTOS | FUNFILM

ment dans Shanghaï Express de Josef von Sternberg (1932) ou dans The Lady Vanishes d’Alfred Hitchcock (1938). Dans Le cyclotron, le véhicule sert de métaphore à la grande Histoire, celle «qui file dans la nuit», et entraîne une réflexion tant sur le libre arbitre que sur la part de hasard dans les grands bouleversements de l’Histoire. «Les décisions que l’on prend ont un impact prodigieux sur nos vies, explique Asselin. Un petit détail peut tout changer, c’est la réalité de l’Histoire.» Le cyclotron s’éloigne volontairement des codes habituels du film ou du documentaire historique, «très conventionnel tant sur le plan narratif qu’en matière de direction artistique», selon le réalisateur qui ose ici de multiples audaces formelles. Mélanges d’images d’archives réelles et fictionnelles, saut de la couleur au noir et blanc, références au cinéma expressionniste allemand: Asselin s’amuse! Comme dans cette séquence finale où il divise l’écran (split screen) pour mieux illustrer une théorie de mécanique quantique! «Le cinéma est un médium très riche pour représenter des choses très complexes. C’est un médium presque philosophique!» Inspiré par le cinéma dit «muet», le cinéaste estime que «l’étrangeté» qui se dégage de ces films engendre paradoxalement un effet de réalisme, qui, dans le cas du Cyclotron, nous place avec efficacité dans la complexité de l’Histoire. «J’ai montré Nosferatu de Murnau à mes filles, elles étaient pétrifiées d’horreur! Pourtant, les films qu’elles voient aujourd’hui sont remplis de morts, de personnes


PAUL AHMARANI

> foudroyées, de squelettes animés!» Parier sur «l’étrangeté» est, selon lui, un moyen d’accéder à un autre monde, ainsi qu’à plus de singularité. Enfin, explorer cette période sombre et d’incertitude morale, dans laquelle les Juifs étaient persécutés, lui a permis d’explorer ce qui le fascine depuis longtemps: la façon dont l’événement historique peut saisir la pensée. À l’époque, le milieu scientifique s’est scindé: ceux qui ne pouvaient accepter la persécution des Juifs, et ceux qui ont poursuivi leur carrière malgré tout (tel le philosophe Heidegger). Le film d’Asselin s’interroge sur ces positions morales: «Est-on libre ou fait-on seulement ce

qu’on doit faire?» «Emil est déterministe, explique le réalisateur. Il pense que l’on est coincé par nos positions sociales, notre psychologie.» Simone pense au contraire que l’on peut – et que l’on doit – agir dans la grande Histoire. Quant à la question du nucléaire, impossible de ne pas y voir de résonances avec notre époque. «J’espère ne pas être un prophète de malheur, mais quand je vois que des pays comme l’Iran et la Corée du Nord se sont dotés du nucléaire ou que Trump répond en un tweet à la Corée du Nord... c’est terrifiant.» y En salle le 10 février


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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

POPULISME ET POSTVÉRITÉ: OUI, MAIS… On a beaucoup dit de l’année dernière qu’elle était celle du populisme et de la postvérité. Il y a évidemment quelque chose de juste dans ces observations: qu’on pense au Brexit ou à l’élection de Donald Trump, pour prendre les deux exemples les plus souvent cités, on se trouve bien devant ce qu’on peut qualifier d’un populisme accompagné d’un mépris des faits, permettant de raconter n’importe quoi sans être contredit ou sans en subir les usuelles conséquences. Un certain air du temps est bel et bien désigné par là et chacun de nous le sent bien. Mais je suggère un peu de prudence dans l’emploi de ces termes et je me demande, légèrement inquiet, si à trop insister sur la nouveauté radicale de ces phénomènes, on ne laisserait pas échapper une part importante de ce qui se déploie sous nos yeux. Considérez le concept de populisme. Définir le populisme Il y a trois caractéristiques du populisme sur lesquelles on s’entend généralement. Le populisme, dit-on, est l’idée qu’il existe un peuple; que celui-ci a été trahi par des élites; et que les maux et les griefs du peuple sont entendus par la personne ou le parti justement appelé populiste, qui promet de corriger la situation. Mon problème est que ces caractéristiques peuvent, au moins en gros, et si on en donne une acception géné-

reuse, s’appliquer à peu près à n’importe quelle idéologie politique; et je crains que le mot en vienne à servir de repoussoir pour désigner une position que l’on n’aime pas. Le nationalisme, le communisme, le socialisme, le libertarianisme, le fascisme, et j’en passe, prétendent en effet tous parler au nom du peuple – il est même normal qu’il en soit ainsi: faire de la politique, c’est traduire ou dévoiler des aspirations populaires; ces idéologies soutiennent aussi, à des degrés variables, que ce peuple a été trahi par des élites et des groupes (les bourgeois, la métropole, etc.) différents selon le cas; et les partisans de cette idéologie prétendent entendre les griefs du peuple et savoir comment corriger la situation: c’est même en partie pour cela que l’on fait de la politique. Devant ces évidences, on ajoutera alors que c’est le refus du politique, de la discussion, voire des institutions publiques, auquel on substitue le mensonge, la fourberie, les insultes, la démagogie, voire la violence, qui caractérise le populisme. L’argumentaire est alors plus solide et plus convaincant. Mais il reste selon moi discutable. Ce n’est pas tant que chacun, en politique, peut être coupable de nombre de ces travers, mais c’est surtout que cette perversion de la démocratie représentative est trop souvent devenue chose courante. Et s’il est vrai qu’on va rarement jusqu’où se rend Trump en matière d’attaques personnelles et d’injures, en ce qui concerne les tromperies et la fabrication des consentements, on n’a pas attendu le populisme de ces dernières années pour s’en donner à cœur joie.

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37 Malaise dans la démocratie Restons-en aux États-Unis, dont on souhaite qu’ils n’annoncent pas ce qui s’en vient ailleurs. Si on prend un peu de recul, que constate-t-on? Depuis des décennies, les élections sont modelées sur l’exemple des campagnes de marketing de vulgaires dentifrices: la vie démocratique y est profondément pervertie par l’argent, les lobbies et les firmes de relations publiques. Elles font appel aux émotions et sont sans grande substance, ignorent peu ou prou des enjeux que les gens disent importants pour eux, sont faites de promesses vides et généralement non tenues; des politiques d’une immense importance, notamment celles qui concernent l’économie, sont exposées au public dans une langue qui rappelle la novlangue d’Orwell et sont largement décidées par des grandes entreprises et des politiciens qui les sert, cela à l’abri de toute supervision et sans reddition de comptes à… Mais à qui donc? Au peuple! Et le dire n’a rien de populiste. C’est pour une bonne part lui, le peuple, qui vient d’élire Trump, plus précisément cette classe moyenne qui croyait au rêve américain et qui est persuadée d’avoir joué le jeu en toute honnêteté, d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour avancer, à qui on a promis que les échanges supposément libres apporteraient la réalisation de toutes les promesses de mobilité sociale et de réussite économique, mais qui s’est retrouvée flouée et qui ressent intimement cette trahison… et qui s’est une fois de plus fait rouler dans la farine, comme le démontrent les nominations aussitôt faites par Trump, les réactions enthousiastes des marchés à son élection et le fait qu’il s’apprête, comme c’était prévisible, à gouverner comme un bon républicain – ce qui n’est pas si loin d’un bon démocrate, de la même manière que bien des partis politiques de gauche, depuis 40 ans, ont mené des politiques de droite. Ce qui s’est passé aux États-Unis, par-delà la bouffonnerie et la grossièreté de l’homme à la moumoute jaune, c’est, j’en conviens, une forme de populisme à l’heure de la postvérité. Mais, ne l’oublions surtout pas, rien de tout cela n’est entièrement neuf, sinon la dangereuse imprévisibilité du personnage. Trump est ainsi le prolongement bouffon de ce qui se vit depuis trop longtemps dans ce pays – et ailleurs dans le monde aussi. Ce qu’on appelle le populisme de Trump, c’est la démocratie bafouée depuis des décennies qui tire la langue, c’est le «peuple» qui réclame qu’on l’entende, tirant lui aussi la langue. On jurerait qu’une partie de la gauche et des forces progressistes n’a rien entendu de ces cris de colère et de détresse et qu’elle s’est contentée de critiquer les victimes; une autre partie a bien tenté de répondre à ces attentes, par exemple Sanders. Avec un certain succès, il est vrai. Mais si on a à cœur l’avenir de la démocratie, tout cela devrait nous inquiéter. En fait, nous sommes nombreux à ne pas avoir attendu Trump pour être inquiets… et à espérer que les Sanders de ce monde trouvent mieux – et vite – les oreilles, le ton et les mots pour dialoguer avec le… peuple. y


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RICHESSE BORÉALE PLANTE ANCESTRALE MAIS ENCORE PEU CONNUE, LE THÉ DU LABRADOR FAIT SON GRAND RETOUR. CET EMBLÈME DU TERROIR QUÉBÉCOIS POSSÈDE DE NOMBREUSES VERTUS QUI LUI DONNENT UNE PLACE DE CHOIX EN CUISINE ET EN MÉDECINE, ET JUSQUE DANS NOS COSMÉTIQUES…

PAYSAGE DE LA CÔTE-NORD, OÙ EST CUEILLI LE THÉ DU LABRADOR

MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | THIBAULT CARRON


39 ART DE VIVRE VOIR QC

«J’ai découvert le thé du Labrador en arrivant sur la Côte-Nord. Au hasard de mes promenades en forêt, j’ai commencé à en ramasser et j’ai tout de suite aimé son odeur; mes mains embaumaient après la cueillette…» Le thé du Labrador, c’est la plante fétiche d’Andrée Hardy. Cette entrepreneure aux mille carrières a lancé il y a quelques années TIPIKA, une marque de savons naturels pour la peau qu’elle fabrique avec du thé du Labrador. Le laboratoire La Sève de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a en effet découvert que l’une des propriétés

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de la plante était de stimuler la production naturelle de collagène de la peau – on retrouve d’ailleurs depuis peu des extraits de thé du Labrador dans certains produits de Lise Watier. Aussi appelée bois de savane, cette plante indigène typique de l’Amérique du Nord est en outre un vrai médicament naturel. Andrée en utilise les feuilles en infusion pour soigner maux de gorge, maux de tête, fièvre, toux ou insomnie. Les premiers utilisateurs du thé du Labrador, les Amérindiens et les Inuits, en consommaient pour guérir certains troubles respiratoires, digestifs et rénaux, les rhumatismes, le scorbut, mais aussi pour purifier le sang. Il paraît que la plante facilite également les accouchements… À l’instar du laboratoire La Sève de l’UQAC, de plus en plus de scientifiques se penchent sur le thé du Labrador. Des recherches que suit Andrée de près: «La tige du thé du Labrador contiendrait un composé pouvant lutter contre les tumeurs. Une autre étude, réalisée sur la communauté autochtone des Cris, révèle que l’extrait de cette plante favoriserait la lutte contre le diabète.» Malgré son nom, la plante ne contient aucune théine ou caféine, et est très riche en antioxydants. Il est possible d’en distiller les feuilles et les fleurs pour obtenir une huile essentielle efficace comme draineur hépatique, pour nettoyer le foie. À raison d’une à deux tasses par jour, la plante est aussi apaisante et calmante – pour 60% des gens environ, tempère Fabien Girard, biologiste et auteur de Secrets de plantes: «Il y a beaucoup de charlatanisme autour des plantes. Le thé du Labrador est en tout cas un bon digestif grâce à sa concentration en limonène.» En effet, son utilisation permet de traiter diarrhées, indigestions, ballonnements, gaz intestinaux et autres charmants désordres des abus alimentaires... «On étudie le thé du Labrador depuis peu, remarque Fabien. On est moins avancés dans la connaissance de nos plantes que certains pays d’Europe par exemple, mais au lieu de vouloir utiliser les leurs, on commence tout doucement à découvrir nos plantes d’ici… Et tout est à découvrir, c’est fantastique!» Un intérêt (re)naissant que confirme Andrée: «Dans le milieu autochtone, j’ai rencontré des aînées qui avaient bu beaucoup de thé du Labrador lorsqu’elles vivaient en forêt. L’habitude s’est perdue avec la sédentarisation, mais l’intérêt pour les connaissances liées au territoire renaît auprès des jeunes.» Le terroir boréal est donc au goût du jour, et la tendance s’est importée jusque dans les assiettes. Plusieurs chefs, comme Martin Gagné de l’Hôtel des Premières Nations à Wendake, incorporent ainsi le thé du Labrador dans leurs plats et menus.

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40 Le terroir boréal au goût du jour «La cuisine boréale que l’on sert Chez Boulay est une cuisine de territoire, du terroir, indique Arnaud Marchand, qui officie au restaurant de Québec. On élimine ce qui ne pousse pas ici à l’état naturel et on cherche par quoi on peut remplacer ces aliments. On veut interpeller les clients sur la richesse de ce qu’il y a autour d’eux. Notre rôle est d’éduquer; pas tant le touriste que le client québécois, qui souvent ne connaît pas bien son terroir.» Les aliments québécois sont mis en valeur: racine d’épinette, gingembre sauvage, légumes racines… et thé du Labrador. «C’est sûr qu’il y a un effet de mode, mais c’est une plante que la cuisine amérindienne a toujours utilisée», affirme Arnaud. Le chef l’utilise en infusion, par vapeur, en papillotes, dans une huile ou en bouillon, pour y pocher un poisson par exemple… Il cuisine la plante avec des produits fins et délicats, comme un poisson plutôt qu’une grosse pièce de viande. Un conseil: évitez de la poêler ou de la rôtir, car elle dégagera beaucoup d’amertume. «J’apprends à l’utiliser au fil du temps, confie Arnaud. Il y a tellement de qualités différentes de thé du Labrador! J’essaie de trouver les conditions où il est maximisé. Je n’ai pas encore découvert tous ses

secrets…» Enfin, la plante est bien sûr proposée Chez Boulay en infusion, à la fin d’un repas de ratatouille de légumes racines ou d’un tajine boréal à l’agneau de Charlevoix. «Ceux qui n’aiment guère les tisanes sont souvent conquis par le thé du Labrador, assure Fabien Girard, qui s’intéresse aussi au goût des plantes. Sinon, les chasseurs qui aiment relever le goût de leur gibier avec les saveurs de la forêt boréale seront bien servis avec le thé du Labrador.» Le biologiste fait aussi macérer des feuilles dans ses punchs aux fruits ou en met dans ses soupes… Il conseille d’ailleurs de faire sécher un petit sac de feuilles pour l’utiliser tout l’hiver comme assaisonnement. Sa recette préférée? Du thé du Labrador dans un filet de porc coupé en deux, sur lequel on met ensuite du fromage pour garder les arômes à l’intérieur… Et sur une touche sucrée: «Je broie les feuilles au mélangeur et j’en assaisonne certains desserts; l’arôme développé au début de l’été se marie bien avec certaines pâtisseries.» «C’est comme si le thé du Labrador regroupait les arômes de plantes aussi différentes que le carvi, la menthe poivrée, le céleri et les agrumes», note Fabien. De quoi jouer en cuisine… Mais, tout simplement, on peut aussi manger crues les belles fleurs blanches de la plante.


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«À la place d’une gomme chimique, le fait de croquer dans deux ou trois bourgeons par jour peut être une habitude bio intéressante, écrit le biologiste dans ses Secrets de plantes. J’aime le goût fortement épicé et balsamique, qui reste ensuite dans la bouche…» Cueillette propre et responsable À Québec, la brasserie La Korrigane a commencé à brasser une pale ale en remplaçant le houblon, plante d’Australie et de Nouvelle-Zélande, par du thé du Labrador bien de chez nous. Quant à Andrée de TIPIKA, elle fait des essais: «J’ai expérimenté avec les feuilles entières en infusion et broyées en cuisine. J’ai aussi fait des mélanges, comme thé du Labrador, framboises et pétales de roses. Je me suis aperçue aussi qu’on pouvait boire plusieurs fois les mêmes feuilles; il suffit de les laisser sécher à l’air libre entre chaque infusion.» Elle constate en tout cas un engouement récent pour le thé du Labrador, qu’elle vend en vrac en plus de ses savons. «Même si on en entend parler de plus en plus, la plante n’est pas très connue et peu de gens y ont déjà goûté. À ma boutique L’Aquilon à Tadoussac, on en fait déguster tous les jours; après nos dégustions, deux clients sur trois en achètent.»

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véritable aficionada du thé du Labrador: «J’aime son arôme aux effluves de forêt, la couleur dorée de la première infusion, qui devient ambrée à la deuxième et troisième infusion. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui en boit autant que moi! J’en apporte toujours dans mes valises lorsque je vais à l’étranger. Prendre le thé avec quelqu’un, c’est prendre le temps…» Si le thé du Labrador se retrouve dans presque tout le pays et le nord des États-Unis, notamment dans les lieux humides, tourbières et forêts, la cueillette non responsable peut mettre l’espèce en danger. «J’ai vu une entreprise qui faisait de la cueillette à la

La notion de terroir dans les savons ou pour les infusions a un impact bien visible sur ses clients. «La définition même du terroir assure l’authenticité du produit et sa provenance territoriale, commente l’entrepreneure de la Côte-Nord. Pour moi, c’est un élément de fierté à partager! Les Québécois sont de plus en plus sensibles à notre terroir et les visiteurs étrangers sont à l’affût de produits authentiques à rapporter chez eux.» Andrée fait ses cueillettes en août, septembre et octobre, dépendamment des lieux. Le Fjord du Saguenay, Manic 5 et la Minganie sont les trois territoires de prédilection de cette (EN HAUT) LES SAVONS TIPIKA À BASE DE THÉ DU LABRADOR (CI-CONTRE) ARNAUD MARCHAND, FABIEN GIRARD ET JEAN-LUC BOULAY PHOTO | GENEVIÈVE CÔTÉ

serpe. Je n’ai pas senti de respect envers la ressource. Avec cette technique, ça prend quatre ans avant de pouvoir cueillir à nouveau, explique Andrée. Nous, nous cueillons à la main et au sécateur les sommités de la plante; l’année suivante, le nombre de rameaux s’en trouve multiplié.» La cueillette propre consiste ainsi à ne prendre que les jeunes pousses, sans utiliser la faucille. Un point que tient également à souligner Fabien Girard: «On a peur que l’espèce soit en danger, même si on en a partout dans nos bois. Le thé du Labrador peut devenir une ressource non renouvelable si on ne fait pas attention…» y

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WENDAKE MÉMOIRES GUSTATIVES ENTRE MÉTISSAGE ET TRADITION, LA CUISINE AUTOCHTONE PEUT-ELLE PERPÉTUER SON HÉRITAGE? MOTS | HÉLOÏSE LECLERC

PHOTO | SAGAMITÉ


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> À Québec, les restaurants Sagamité et La Traite sont tout aussi réputés que d'autres grandes tables de la capitale, comme le Laurie Raphaël ou le Saint-Amour. Le point commun entre ces deux restos, c’est qu’ils sont situés sur la réserve de Wendake et qu’ils ont su hisser la cuisine huronne-wendat au niveau culinaire des grands. Mais hors des restos, les enjeux de la cuisine autochtone sont nombreux. Alors que les consommateurs recherchent l’expérience la plus «authentique» possible – à l’aune de leurs préconceptions –, les Hurons-Wendats sont connectés à un niveau très variable à leur propre héritage culinaire en raison des changements de modes de vie imposés par la colonisation et la modernité. Ancrées dans des traditions orales, les Premières Nations ne disposent de peu de traces écrites documentant leur alimentation ancestrale. On a surtout retenu qu’elle était «de subsistance», moins axée sur le plaisir du palais que sur un impératif de survie. Les ingrédients principaux sont ceux qui étaient disponibles au gré des saisons: gibiers, poissons, fruits et légumes sauvages. La fumaison ou le séchage avait pour but la préservation des aliments plutôt que le goût ou la texture. Et la cuisine «tête à la queue» reflétait un pragmatisme doublé d’une révérence profonde envers la Terre-Mère. Dans cette sagesse ancestrale, on retrouve à la fois tout ce qui est célébré dans la «nouvelle» cuisine boréale, et tout ce qui a été regardé avec un certain mépris historique parce qu’interprété à la sauce amérindienne, loin des paradigmes de la gastronomie européenne. Viandes sauvages et chefs «blancs» En étudiant les menus des trois restaurants autochtones de Wendake, l’appétit est stimulé, mais on ne peut que se questionner. À côté de Sagamité et des Trois Sœurs, du bison de l’Ouest et du doré de l’Ontario? De la viande flambée à table? Des cuissons à l’huile d’olive? De la truite en croûte d’argile? Qu’est-ce qui est huron-wendat, et qu’est-ce qui est emprunté ou imaginé?

Au-delà d’une culture culinaire non codifiée, de l’impératif de plaire aux consommateurs et de respecter les aspirations créatives des cuisiniers, la législation provinciale ne permet pas aux restaurateurs de vendre des viandes sauvages. Résultat? Les trois restaurants autochtones de Wendake sont tenus par des chefs cuisiniers «blancs» (au cœur amérindien, assurent leurs employeurs hurons), qui transforment avec des bases essentiellement françaises divers aliments qui n’ont jamais été consommés au village pour évoquer son histoire et sa culture. Complexe. Avant de trop s’énerver qu’on serve du bison de l’Ouest aux Français, il faut rappeler que l’interdiction de la commercialisation de la viande sauvage affecte d’abord les Autochtones. Ceux et celles qui n’ont pas la possibilité de pratiquer la trappe et la chasse doivent compter sur leurs proches et leur communauté pour un accès à la ressource. Sinon, tant pis: il y a du porc et du poulet industriel pour tout le monde à l’épicerie. Chanter en cuisinant «Non codifiée» ne signifie pas «inexistante». Louise Siouï Picard, une Huronne-Wendat de 62 ans, a consacré les 30 dernières années de sa vie à la transmission et à la réinterprétation d’un patrimoine culturel culinaire et médicinal légué par ses aïeules. Elle se souvient d’un passé pas si lointain, où l’accès au territoire était facile. «Juste à l’extérieur du village, il y avait une lisière avec toutes les plantes nécessaires pour se nourrir et se guérir. Avec la construction domiciliaire et les réseaux routiers, il faut aller toujours plus loin.» Chef, pâtissière, traiteure et entrepreneure, elle a cuisiné à l’invitation du Château Frontenac, du Musée de la civilisation, sur la Réserve aussi, du pain à la farine de quenouilles, de l’eau d’épinette aux baies. «Il y a la nourriture folklorique, mais aussi celle que tu cuisines dans l’intimité, pour ta famille, confie-telle. En chantant; on chante toujours en cuisinant.» Est-ce que la cuisine autochtone peut se réinventer tout en renforçant son héritage? Manuel Kak’wa Kurtness, consultant culinaire innu spécialisé dans le patrimoine culinaire des Premières Nations, est formel: «Métisser les plats, ce n’est pas mauvais. Au contraire, c’est l’évolution normale des tendances. D’ici 10 ans, on devrait [rétablir une ligne d’accès] aux gibiers chassés par les Autochtones pour créer un vrai garde-manger qui permettrait le retour d’une alimentation culturelle […]. Pas pour un show pour les touristes, mais pour nourrir les nôtres en premier.» Il faut, comme le dit Louise Siouï Picard, «réveiller ensemble les mémoires». y

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LES NOUVEAUX AMANTS MOTS | FRANCO NUOVO

Je m’apprêtais à quitter la maison pour aller prendre l’avion. Je cherchais quelque chose à lire pour le voyage. Le roman était posé sur une chaise dans mon bureau. Alexandre Jardin? Bof! Pourquoi pas? Je l’ai pris. «Léger», me suis-je dit. Parfait. Y avait belle lurette que je ne m’étais pas plongé dans un bouquin de ce romancier romantique. J’avais lu Le zèbre et Fanfan au début des années 1990, dans lequel l’amour non assouvi était au premier plan. C’était charmant. Quelques années plus tard, l’auteur, devenu soudain réalisateur, tournait un film tiré de son roman. J’étais allé l’interviewer aux studios de Billancourt, ainsi que sa comédienne, Sophie Marceau. Je garde de ces rencontres un joli souvenir. Le mot joli n’est pas anodin. Joli comme dans mignon. Rien de plus. Depuis, aucun son, aucune image, aucun livre d’Alexandre Jardin n’ont suscité mon intérêt, sauf peut-être sa confession publique sur sa famille, son grand-père. J’ai eu envie de ces Gens très bien dans lequel cet auteur plutôt gentil révèle le passé peu glorieux de son grand-père, Jean Jardin, un proche de Laval, un collaborateur, haut dignitaire du régime de Vichy. Jean aurait participé en 1942 à l’enfermement, dans le cadre de l’aryanisation, de 13 000 juifs au Vélodrome d’Hiver. Le bouquin a fait du bruit. J’étais intrigué par cette confession d’un petit-fils de collabo honteux. Et ce mea-culpa déguisé m’est sorti de la tête. Bref… Rien, jusqu’à ce que ces Nouveaux amants me fassent de l’œil. Un roman d’amour qui trempe le bout des orteils dans l’eau de rose. Roses, c’est justement le prénom de l’héroïne – avec un s à la fin –, Roses Violente. Une femme de 25 ans qui habite SaintSébastien-sur-Loire, qui blogue, tweete et s’éprend, au fil d’un échange de gazouillis, d’un dramaturge parisien qui succombe à la puissance des mots écrits par Roses. En fait, au cours de ce chassé-croisé virtuel, ils s’éprennent l’un de l’autre.

Au fait, Alexandre Jardin, il faut le rappeler, donne aussi dans la politique puisqu’après avoir fondé plusieurs associations de citoyens à travers la France et un mouvement, citoyen toujours, Bleu Blanc Zèbre, l’écrivain se présente aux présidentielles françaises de 2017. Il est le candidat de L’Appel des mouvements citoyens. Remarquez bien, cela n’a rien à voir avec Les nouveaux amants. Alors, ces gazouillis? C’est ce qui m’a accroché, happé. Les réseaux sociaux, qui sont au cœur de l’intrigue, entrent en collision avec l’écriture un peu «vieille France» de Jardin. Or, il les récupère pour les glisser au centre de son récit. Et ça, c’est intéressant. Parce que la nouveauté à laquelle fait allusion le romancier est là, dans ce rapport amoureux et passionnel qui passe à travers les mots, les écrits, mais aussi d’autres canaux de communication. À propos de cette technologie devenue le fondement de la découverte amoureuse, Jardin a déclaré à la parution de son livre: «Les médias sociaux rendent fous, car c’est immédiat». Et c’est vrai que cette instantanéité, cette absence de recul, dans une situation de reconnaissance entre deux êtres, comme celle proposée par Alexandre Jardin, infléchit l’approche amoureuse. Les textos, les tweets, Instagram et même Skype, puisqu’il en est aussi question dans le roman, agissent comme des amplificateurs d’émotions. En les utilisant, les héros du récit injectent des stéroïdes à leurs sentiments, alimentent démesurément les amours infidèles et nourrissent une passion destructrice. N’est-ce pas un peu le réel? Roses et Oskar, d’ailleurs, s’aimeraient-ils autant s’ils ne se réfugiaient pas derrière leur cellulaire, s’ils ne se cachaient pas derrière un écran, s’ils n’écrivaient pas ce qu’ils n’auraient peut-être jamais osé dire de vive voix? Pas aussi rapidement, en tout cas.

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Cet anonymat, faux par ailleurs, devient rapidement un accélérateur d’énergie. Il libère l’interdit. Il rend tout plus facile et ouvre grand la porte au fantasme et à l’illicite. Il réveille le désir. Il érotise. L’écran sur lequel glissent les mots cache la beauté, la réalité. Il isole les amoureux et fait basculer dans le passionnel ce qui ne serait peut-être qu’une simple attirance jamais avouée. Alexandre Jardin fait ainsi des réseaux sociaux le personnage le plus important et intéressant de son roman. Celui qui permet à ses héros de vivre la plus grande des aventures romantiques, qui les autorise à basculer dans une folie engendrée par la passion, qui les affranchit du conservatisme de la société et les libère de leurs chaînes, même les plus intimes.

C’est ça qu’Alexandre Jardin a réussi dans son roman. Il fait la démonstration de la puissance de l’amour virtuel, celui qui donne à l’impossible sa véritable licence. y Alexandre Jardin Les nouveaux amants Grasset, 2016, 342 pages


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Sur les rayons

L’IMMEUBLE CHRISTODORA TIM MURPHY Coll. ÂŤFeux croisĂŠsÂť, Éditions Plon, 2017, 444 pages Dans le New York des annĂŠes 1980, aux balbutiements de la crise du sida, Jared fume tranquillement Ă la fenĂŞtre de l’immeuble Christodora. Ă€ l’entrĂŠe, en plein cĹ“ur de la rue, une manifestation bât son plein alors que la transformation de ce vieil ĂŠdifice en appartements d’artistes semble devenir le symbole de l’embourgeoisement d’East Village. C’est en ces murs que le journaliste amĂŠricain Tim Murphy placera l’essentiel de son premier roman: ces murs immuables comme notre seul point d’ancrage d’un roman dans lequel dĂŠfileront les dĂŠcennies et les gĂŠnĂŠrations marquĂŠes inĂŠvitablement par la maladie, d’une façon ou d’une autre. Il y aura d’abord Ava, cette fonctionnaire du dĂŠpartement de santĂŠ aux prises avec les premiers cas de ce qu’on allait connaĂŽtre sous l’appellation du syndrome d’immunodĂŠficience acquise, elle-mĂŞme aux prises avec des problèmes de santĂŠ mentale. Toujours Ă la course entre son travail et son ĂŠtat de santĂŠ, elle aura peu de temps Ă consacrer Ă sa fille Milly. Cette dernière, on la dĂŠcouvre au dĂŠtour des annĂŠes 1990 sous les noms de Millicent et de Mille-pattes, alors en couple avec Jared. Lui sculpteur, elle peintre, ils sont la quintessence du couple d’artistes d’East Village. Ensemble, ils adopteront Mateo, jeune enfant dont la mère est dĂŠcĂŠdĂŠe des suites de la maladie. C’est avec lui qu’on entrera dans le 21e siècle alors que les ĂŠcoles d’art lui ouvriront leurs portes au mĂŞme moment oĂš les affres de la drogue ne seront qu’au coin de la rue. Cette saga new-yorkaise butine d’une ĂŠpoque Ă l’autre, permettant de bien saisir l’importance et l’impact de cette maladie sur l’ensemble d’une sociĂŠtĂŠ. Un personnage comme Hector – ancien stagiaire d’Ava au dĂŠpartement de la santĂŠ avant de devenir activiste au cĹ“ur de la crise sans savoir que son existence est Ă quelques annĂŠes de pĂŠricliter – est d’une grande importance dans le liant de ce rĂŠcit, qui demeure beaucoup en surface et dans le tape-Ă -l’œil, qui ne plonge jamais vraiment au fond des choses. Il faut souligner la traduction de JĂŠrĂ´me Schmidt qui n’est pas sans dĂŠranger, avec des ÂŤteufs ouf oĂš on kiffe avec des gens chelous qui ÂŤcloppent en plein New York. On repassera pour la sincĂŠritĂŠ du lieu. Et si on souhaite rĂŠellement se plonger dans le milieu artistique de la Grosse Pomme, on relit avec plaisir Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt. (JĂŠrĂŠmy Laniel)


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,E CAFĂ? BISTRO DU &AUBOURG

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PEGGY DANS LES PHARES MARIE-ĂˆVE LACASSE Flammarion QuĂŠbec, 2017, 245 pages Il y a plus de 10 ans, Marie-Ăˆve Lacasse crĂŠait une onde de choc en publiant Ainsi font-elles toutes aux ĂŠditions XYZ sous le pseudonyme de Clara Ness. Alors âgĂŠe de 22 ans, elle nous livrait un livre sur la beautĂŠ, la vie, l’amour, mais surtout sur la libertĂŠ, grande et belle. Elle fait cette annĂŠe paraĂŽtre Peggy dans les phares chez Flammarion QuĂŠbec, un troisième roman dressant le portrait de la styliste française Peggy Roche, compagne fidèle et ĂŠternelle de Françoise Sagan, l’une des figures les plus intrigantes et volatiles de la littĂŠrature française d’après-guerre. Si le personnage d’une des enfants terribles de la mode française fut toujours dans l’ombre de l’Êcrivaine, c’est exactement pour cette mĂŞme raison que Lacasse dĂŠcide aujourd’hui d’y jeter un ĂŠclairage aussi vrai que cru, portant Ă notre attention une relation d’une grande beautĂŠ qui est parvenue Ă passer au travers des annĂŠes. Se rencontrant d’abord dans les bureaux du magazine Elle en 1955, elles se recroiseront dans une ruelle sombre de Saint-Tropez en 1958, quelque temps avant d’enfin s’accorder une nuit oĂš elles sembleront dicter le lever du soleil. ÂŤTu ĂŠtais un roman en marche. J’Êtais trop consciente de cela pour ĂŞtre charmĂŠe. [...] Peut-ĂŞtre ĂŠtions-nous encore trop remplies d’espĂŠrance, pas encore assez fracassĂŠes par la vie pour connaĂŽtre l’humilitĂŠ brutale que nĂŠcessite l’expĂŠrience d’aimer?Âť PrĂŠsentĂŠ comme un dĂŠsordre anachronique avec comme trame de fond l’hospitalisation de Sagan Ă la suite de son voyage Ă Bogota avec François Mitterrand, le roman est prĂŠsentĂŠ avec la fougue, la frivolitĂŠ et la libertĂŠ sans borne dont se sont ĂŠprises les deux hĂŠroĂŻnes. Dans ce roman sur la rĂŠsilience en amour et la libertĂŠ en plein cĹ“ur d’une rĂŠvolution des mĹ“urs, Lacasse parvient, au dĂŠtour de cette histoire de l’intime, Ă dresser un portrait du Paris d’après-guerre des plus vivifiants et littĂŠraires. Rarement la littĂŠrature et la mode ont ĂŠtĂŠ mariĂŠes: ici, ces mondes se rencontrent avec ĂŠlĂŠgance et brio. Si Peggy Roche a trop souvent ĂŠtĂŠ ignorĂŠe par l’histoire et par Sagan elle-mĂŞme, Lacasse lui livre ici un vibrant hommage faisant un pied de nez aux biographies oĂš elle n’est qu’anonymat, pour la cĂŠlĂŠbrer en grand dans toute sa beautĂŠ. Laissons les derniers mots Ă Sagan, ou peut-ĂŞtre sont-ils de Lacasse: ÂŤIl n’y aura pas d’autre salut que de vivre en littĂŠrature.Âť (JĂŠrĂŠmy Laniel)

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48 DES FILS BARBELÉS, DES PETITES RADIOS D’ALLURE VIEILLOTTE ET UN COUSIN PAS SI LOINTAIN DE L’ACCORDÉON. STEVE BATES PRÉSENTE CONCERTINA, UNE INSTALLATION AUSSI POLITIQUEMENT CHARGÉE QUE LUDIQUE. MOTS | CATHERINE GENEST

Créée il y a plus d’une demi-décennie, mais reprise par le 18e Mois Multi, l’œuvre de Steve Bates résonne plus que jamais en 2017. Elle évoque irrémédiablement les importants mouvements migratoires de notre temps, ces populations – on pense d’emblée aux réfugiés syriens – qui voient leurs exils parsemés d’obstacles physiques ou idéologiques. Six ans après la Triennale québécoise qui a vu naître Concertina, son concepteur jouit d’une conjoncture politico-médiatique tristement favorable, mais qui tient davantage du hasard que de la prémonition. «La trame narrative originale de cette pièce est inspirée par la guerre civile au El Salvador qui a eu lieu de 1979 à 1992. À l’époque, la résistance armée qui s’opposait au régime fasciste se servait des radios communautaires pour communiquer des informations critiques aux gens qui vivaient en campagne.» Un stratagème, explique-t-il sommairement, auquel l’armée mettra fin en attaquant les stations du haut des airs. Dès lors, les forces rebelles développent, et dans l’urgence, une nouvelle technique franchement ingénieuse. «L’un des techniciens de ces stations de radio a réalisé que leurs ennemis ne pouvaient pas trouver le transmetteur si ce dernier était connecté sur des clôtures de fils barbelés. […] J’ai trouvé qu’il y avait vraiment quelque chose d’assez beau et poétique à propos de ce matériau qui a été pensé pour renforcir les frontières.» Susceptible de charcuter la peau humaine, la barrière de Concertina est enguirlandée de véritables lames de rasoir. Disposée dans un espace immaculé aux murs peints de blanc, ladite clôture saisit. Il en va de même pour le récit entourant son achat lors d’une récente présentation au Radio Revolten de

CONCERTINA, STEVE BATES. PHOTO | GUY L’HEUREUX

Halle, en Allemagne. «Quand le gouvernement hongrois construisait une frontière pour garder les réfugiés loin d’eux, la compagnie allemande [qui m’a vendu la clôture] a refusé de participer à l’appel d’offres parce qu’elle était en désaccord avec cette

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STEVE BATES, AUTOPORTRAIT

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> mesure politique. Je me suis dit que, si je devais acheter cette patente horrible, il valait mieux que je le fasse auprès d’une entreprise qui exprime quelques-unes de mes inquiétudes concernant l’utilisation de ses produits.» Le cartésien créatif À l’instar de bien des invités du Mois Multi, Steve Bates est à la fois technicien érudit et artiste inspiré. Formé à la radio de l’Université de Winnipeg, il a aussi œuvré comme bénévole dans une station communautaire au El Salvador avant de fonder le festival Send + Receive en 1998. La radio est, pour ainsi dire, devenue son médium de prédilection. Concertina lui permet une fois de plus d’exploiter ses connaissances nichées. «C’est une composition sonore qui est basée sur des fréquences de 60 hertz qui sont transférées en musique. […] Ça devient presque une composition de musique minimaliste. Les notes harmoniques sont jouées sur le concertina, l’instrument qui donne aussi son nom à la barrière de fils barbelés.» Deux homonymes qui, jusqu’ici, n’avaient qu’une orthographe en commun. y Du 19 février au 19 mars à la Petite Galerie de l’Œil de Poisson (Dans le cadre du Mois Multi)


PHOTO | TOMMO

PHOTO | SIMONE CAPPELLETTI

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QUIET ENSEMBLE Les Romains Fabio Di Salvo et Bernardo Vercilli, du duo Quiet Ensemble, nous présentent deux œuvres cette année au Mois Multi: Orienta; è qui ora, che decido di fermarmi et The Enlightenment. Cette dernière, une performance particulièrement intrigante et trimballée de leur Italie natale jusqu’en Belgique, recrée un orchestre avec des dispositifs d’éclairage qui bourdonnent. Les projecteurs et les néons «joueront» une partition musicale spécialement composée pour eux, des instruments (un total saisissant de 96 lampes!) remplaçant les traditionnels violons ou clarinettes actionnés par les deux artistes tout au long de ce concert qui s’annonce pour le moins hors-norme. Il fallait y penser. Au Studio d’Essai du Complexe Méduse les 18 et 19 février.

PATRICK TRESSET Les robots n’ont peut-être pas d’âme, mais ils peuvent avoir une esthétique, un trait de crayon qui leur est propre. Avec 5 Robots Named Paul – Étude humaine #1, le Britannique Patrick Tresset invite le public à se faire tirer le portrait par cinq machines placées sur d’anciens pupitres d’écoliers. Les résultats, tous différents, sont saisissants de réalisme, complètement déconcertants. Une séance plutôt longue (entre 30 et 40 minutes par personne) qui transcendera les publics initiés comme les néophytes grâce à sa vocation interactive amusante, cet alliage de technologie de pointe, d’art pur et d’un brin de narcissisme inhérent à la culture du selfie. Une expérience à vivre dans le hall du Complexe Méduse du 2 au 26 février.


JULIEN LEBARGY, SEUL DANS L’HYPERESPACE PHOTO | CATHERINE GENEST CHRISTIAN BOLTANSKI, ANIMITAS, 2015 (VIDÉO, DURÉE 13H00''16', FULL HD, COULEUR, SON) PHOTO | MADELINE HURTADO B-2


53 ARTS VISUELS VOIR QC

VO2 #O2

LES FRANÇAIS DÉBARQUENT ALEXIA FABRE DU MAC/VAL, COOLISSIME MUSÉE DE LA BANLIEUE PARISIENNE, FORCE LES RENCONTRES ENTRE UNE POIGNÉE DE SES COMPATRIOTES ET NOS PLUS ILLUSTRES ARTISTES LOCAUX. MOTS | CATHERINE GENEST

La Biennale de Québec sera marquante ou ne sera pas. En réunissant des légendes vivantes de l’art contemporain à des nouveaux venus prometteurs, la commissaire invitée Alexia Fabre insuffle une grosse bouffée de fraîcheur sur la sage capitale. Une fête qui étendra ses tentacules de Lévis jusqu’à Lebourgneuf, de Regart en passant par les centres commerciaux. Difficile de faire plus rassembleur: même l’emblématique Maison Simons, temple vestimentaire quasi identitaire pour les gens de Québec, prêtera ses vitrines de son magasin originel, en plus de ceux de Place Ste-Foy et des Galeries de la Capitale. Le sculpteur Julien Lebargy et le collectif Acapulco, entre autres, bénéficieront de cette mise en lumière assez originale, de cet acte de démocratisation presque radical. Le MNBAQ n’aura pas grand-chose à envier au Palais de Tokyo, servant d’hôte pour les œuvres d’une brochette de grosses pointures de la mère patrie pour toute la durée de la Manif d’art. Annette Messager en est. Elle présentera une version remodelée de Danses du scalp, œuvre originalement produite en 2012 et par le MAC/VAL qui se sert de la chevelure comme d’un prétexte, d’un symbole évocateur pour discuter de féminité, de militantisme qui passe par la crinière (ou l’absence de) et d’affirmation de soi. Une thématique forte et une installation franchement ludique. Christian Boltanski, figure majeure et plasticien moult fois étudié, fait de l’île d’Orléans le décor d’une œuvre présentée en grande première à la Manif d’art 8. Des images qui, précisons-le, ont été tournées par une équipe de cinéastes locaux selon un protocole, des directives

extrêmement précises formulées par Boltanski luimême. Animitas, c’est le titre de l’œuvre, est un projet planétaire en quatre parties pour autant de saisons et qui a déjà, au préalable, magnifié le désert d’Atacama au Chili pour représenter l’été. Sans surprise, Québec sera le théâtre du tableau hivernal. Toujours au MNBAQ, les fanfarons de BGL rebâtiront une partie de leur Canadassimo, installation monumentale qu’ils avaient présentée à la Biennale de Venise en 2015. Cette fois, détaille le fondateur de la Manif d’art Claude Bélanger, le trio proposera une version revue et corrigée de l’espace, du segment qu’il avait intitulé L’atelier. «Ils ont récupéré une partie, et là, ils sont en train de la reconfigurer pour que ce soit presque une pièce autonome. […] Ils reconstruisent une sorte de bâtiment autour, un genre de maisonnette.» Une saucette s’impose aussi dans la Grande Galerie de l’Œil de Poisson (Coopérative Méduse) pour découvrir le fruit de la résidence du duo parisien Nøne Futbol Club au pays des caribous. Des rigolos, des sortes de cousins cosmiques de nos BGL, qui s’adonnent à des coups d’éclat à l’occasion et qui, cette fois, présenteront Work no 101: On Air. Une installation qui reprend le principe du pendule de Newton en remplaçant les billes par des écrans qui diffusent des téléjournaux. Une proposition bizarre, intrigante, mais ancrée dans le quotidien. y Manif d’art 8 Du 17 février au 14 mai 2017

O2 / 2O17


54 CHRONIQUE VOIR QC

VO2 #O2

O2 / 2O17

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

ÇA VA NOUS PRENDRE BEAUCOUP DE LAINE… Tiens, une petite métaphore pour ma chronique de février. J’en ai lu une dernièrement sur l’immigration dans Le Devoir qui utilisait le poisson. C’est Christian Rioux qui nous a pondu ça. Ça sentait plutôt fort... J’ai choisi de parler du même sujet en restant aussi dans le monde animal. Regardez la situation du Québec comme vous le voulez. La démographie est notre enjeu numéro un. Les babyboomers quittent massivement le marché du travail et l’arrivée d’une nouvelle population active ne remplace qu’une infime partie des mises à la retraite. Le déclin du bassin des travailleurs ne fait que commencer malgré les quelque 50 000 immigrants que l’on accueille chaque année. Ça ne prend pas une Jojo Savard pour prévoir que nous aurons de plus en plus de misère à nous acquitter de nos obligations envers nos pensionnés, que ce soit pour payer leurs retraites ou leurs soins de santé. Au net, c’est plutôt 35 000 immigrants, parce que près de 15 000 quittent le Québec pour s’établir dans une autre province, majoritairement en Ontario depuis le ralentissement de l’économie de l’Alberta. Le maintien de notre population active en nécessiterait trois fois plus. Une étude préparée par Cirano il y a environ deux ans s’inquiétait de l’impact économique de l’immigration. Il serait moins bénéfique que prévu. Si l’on regarde le taux de chômage au Québec, difficile de nier cette situation. Avec un taux de chômage de 6,2%, le nombre de personnes qui se cherchent un emploi n’a jamais été aussi bas depuis les 25 dernières années. Mais le taux de chômage des immigrants, lui, dépasse le 16%. Deux poids, deux mesures? Qu’est-ce qui explique cette situation? Aux premières loges, les ordres professionnels qui s’obstinent à rendre la vie extrêmement difficile à ceux qui ont obtenu une éducation à l’étranger. Cette situation doit être corrigée. Le

protectionnisme passéiste pratiqué par ces «syndicats» est clairement au détriment du bien commun. Le gouvernement se doit d’agir et d’imposer un programme accéléré de reconnaissance et de mise à niveau des compétences d’une maind’œuvre hautement qualifiée et formée à fort prix par d’autres pays. Vous n’avez pas idée du nombre d’ingénieurs, de biologistes, de professeurs et d’économistes qui travaillent chez Téo à 15 piastres de l’heure. Ensuite, il faut bien l’admettre, on semble avoir un petit dédain pour la laine importée. On a le stéréotype rapide. Et quand on tente un examen de conscience à cet égard, comme l’a fait Rima Elkouri dans La Presse dans une série de trois articles parus en janvier, c’est pas long que nos petits SaintJean-Baptiste citent le «fake news» ou invoquent le risque terroriste. L’immigration a toujours fait partie de l’histoire de l’Amérique du Nord, et le Québec ne fait heureusement pas exception. Par exemple, en 1820, les Irlandais représentaient plus de 20% de la population du Québec. J’aime relater que le petit Taillefer a plus de sang irlandais que de sang français et que ma fille, qui a l’air tricotée ici, a plus du tiers de son sang qui provient du Liban. Nier l’héritage extraordinaire que nous a apporté l’immigration, tant d’un point de vue culturel qu’économique, et la pourfendre en faisant la promotion du nationalisme identitaire, c’est non seulement ignorer l’histoire, mais c’est surtout se tirer dans le pied. Aussi contre-intuitif que ça puisse paraître, si nous voulons offrir une chance au français de se développer et de grandir au Québec, nous n’avons d’autres choix que d’ouvrir encore plus grand la porte aux immigrants. En s’assurant de ne pas laisser qu’au hasard l’adhésion à nos valeurs et à notre langue commune. L’intégration doit aussi se faire de façon active.


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> L’objectif de créer une Charte des valeurs du Québec avait ça de bon en ce sens qu’elle aurait pu permettre d’établir un consensus autour de nos valeurs communes. C’est le dérapage lié à la promotion de valeurs identitaires et les objectifs à tendances discriminantes qui ont miné son développement et suscité tant de dégoût. L’intégration ne se fait pas en criant ciseau. Elle se déroule sur 10 ans, 20 ans, 30 ans. Elle prend la forme d’amitiés développées à l’école, au travail, d’histoires d’amour qui entraînent un magnifique métissage. Je me doute bien que de nombreux tenants d’une immigration restreinte rêvent d’un Québec aux Québécois et voient dans l’arrivée des immigrants davantage de Néo-Québécois qui voteront majoritairement non lors du prochain référendum finement planifié en 2022 ou à tout autre moment qui paraîtra gagnant. On s’éloigne tranquillement, disent-ils, de la terre promise par le 50%+1. Veut-on vraiment d’un pays qui serait gagné par une majorité «pure laine», mais refusé massivement par les «ethnies et l’argent»? La souveraineté se ferait ainsi peut-être démocratiquement selon la formule mathématique, mais serait-elle souhaitable si elle oppose si farouchement deux groupes? J’ai le goût de vous parler de ma fierté d’être Montréalais, d’être Québécois, et que si l’indépendance se fait un jour, c’est parce que nous aurons convaincu les clientèles moins naturelles de son bien-fondé. L’immigration est aujourd’hui un phénomène essentiellement montréalais. Environ 75% des immigrants s’installent dans la métropole. C’est la moitié plus que son poids démographique. Avec comme conséquence que Montréal représentera dans les prochaines années l’essentiel de la croissance économique québécoise et que son poids démographique ne cessera de croître. Les autres villes doivent réaliser cette situation et développer leurs propres stratégies pour freiner cette tendance, au risque de connaître des pénuries de maind’œuvre chroniques qui freineront leur développement. Avec un taux de chômage à 4,4%, la ville de Québec devrait installer un kiosque à l’aéroport Montréal-Trudeau pour faire une promotion active de ses grandes qualités, de ses nombreuses opportunités et de son ouverture. L’immigration est essentielle à notre survie tant culturelle qu’économique. À nous de jouer les bergers adéquatement en continuant à croire et à encourager le multiculturalisme, mais en redoublant d’efforts afin de nous assurer que les immigrants qui choisissent de venir ici et ceux qu’on accueille pour des raisons humanitaires adhèrent à nos valeurs. Appelons ça le beau risque. Parce que si on choisit de se refermer sur nous pour protéger le pure laine, on n’en aura bientôt plus assez pour se tricoter une tuque. Espérons que bientôt, pour tricoter serré, il faudra ajouter un peu de laine de mérinos ou de laine du Cachemire. En plus d’améliorer le produit, ça permet de se tenir au chaud. y


QUOI FAIRE

PHOTO | JÉRÔME GUIBORD

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MUSIQUE

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AVEC PAS D’CASQUE

RICHARD SÉGUIN

CHOCOLAT

G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C – 18 F É V R I E R

T H É ÂT R E P E T I T C H A M P L A I N – 1 E R A U 4 M A R S

L E C E R C L E – 16 F É V R I E R

On sait qu’un groupe est passé à la prochaine étape, a atteint un certain niveau ou même la consécration lorsqu’il est programmé à la salle Octave-Crémazie. Présentées dans des conditions optimales, les chansons d’Effets spéciaux sauront assurément réchauffer les cœurs.

Pilier incontesté de la chanson québécoise, Richard Séguin est toujours aussi actif sur le plan créatif et viendra nous présenter le fruit de ses récents efforts dans le cadre d’une série de supplémentaires. Il sera accompagné de deux guitaristes et d’une violoncelliste.

Plus prog que yé-yé, le son du quintette rock montréalais ne cesse de muter pour le plaisir de nos oreilles. Hunt, Éthier et les autres nous livreront assurément un concert psychédélique à la hauteur de leurs réputations de joyeux sacripants.

OSQ + WEBSTER AGNES OBEL

HEAT ET LOS L’ANTI – 4 FÉVRIER

Le trio montréalais débarque à Québec avec son rock nostalgique, indiscutablement teinté par les années 1980 et ses synthés. C’est LOS, groupe local de talent à ascendance garage/surf, qui dégourdira le public pour lui.

PAL AIS MONTCALM – 1ER MARS

Ce sera le troisième passage d’Agnes Obel à Québec en deux ans seulement. Elle prendra possession du piano de la maison une fois de plus pour offrir son chant céleste et ses compositions mélancoliques, romantiques à souhait. Enchantement.

G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C – 2 3 F É V R I E R

Fabien Gabel qui s’intéresse à la musique afro-américaine? Ça promet d’être tout sauf plate! Le maestro de l’Orchestre symphonique de Québec célèbre le Mois de l’histoire des Noirs à sa manière en dirigeant notamment des œuvres de Gershwin (Rhapsody in Blue, Variations sur «I Got Rhythm») et Ellington (Harlem).


LES HAY BABIES

IGLOOFEST

L E C E R C L E – 26 F É V R I E R

ÎLOT FLEURIE – 11 FÉVRIER

Émules de Lisa LeBlanc, les Hay Babies misent sur une parlure riche et colorée, une culture néo-brunswickoise qui teinte leur folk inspiré. Elles nous présentent leur second opus, La 4ième dimension (version longue), un disque orchestré à l’ancienne avec une touche de country.

Sleepy Tom et Dopamyne montent sur la rampe de Big Air du Snowboard Jamboree pour la deuxième édition d’Igloofest Québec. Une soirée dansante riche en basses fréquences qui débutera tout juste après les finales de la Coupe du monde. <

ÉMILE BILODEAU

VALAIRE

PASCALE PICARD

T H É ÂT R E P E T I T C H A M P L A I N – 8 F É V R I E R

LE CERCLE – 3 MARS

L’ANTI – 17 FÉVRIER

Émile Bilodeau en a «plein son cass», c’est indéniable, mais ça ne l’empêche certainement pas de ravir les cœurs un à un. La rumeur est favorable pour le poulain de Grosse Boîte qui a, avouons-le, la présence scénique qu’il faut pour survivre au hype.

À la suite de la sortie du très groovy et accrocheur Oobopopop en septembre dernier, le quintette électropop originaire de Sherbrooke revient en basse-ville de la Capitale faire les choses en grand. Un concert qui vous mettra assurément un sourire au visage.

La talentueuse Pascale Picard a survécu à l’écroulement d’un buzz et elle en est ressortie plus inspirée que jamais. Elle nous présente All Things Pass, un titre d’album fort évocateur pour cette musicienne à la voix douce, cette mélodiste franchement douée.


58 QUOI FAIRE VO2 #O2

O2 / 2O17

TIRE LE COYOTE

MACHINE DE CIRQUE

A CURE FOR WELLNESS

T H É ÂT R E P E T I T C H A M P L A I N – 10 F É V R I E R

S A L L E A L B E R T-R O U S S E A U – 2 6 F É V R I E R

E N S A L L E L E 17 F É V R I E R

Benoit Pinette étrennera les pièces de son album à naître dans un spectacle intimiste. Une rencontre privilégiée avec ce musicien à la voix si particulière et, avouons-le, chavirante.

La troupe de Québec donne un nouveau tour de piste à ses pirouettes athlétiques, ce spectacle qui avait été présenté à La Bordée au préalable et qui met aussi en vedette le percussionniste Frédéric Lebrasseur.

Un jeune cadre ambitieux est envoyé pour retrouver le PDG de sa compagnie dans un centre de bien-être idyllique mais mystérieux situé au cœur des Alpes suisses. Une fois sur les lieux, il se rendra rapidement compte que les traitements miraculeux du spa ne sont pas ce qu’ils semblent être.

BOBBY BAZINI G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C – 25 F É V R I E R

Sous-estimé de ses pairs, ou peut-être tout simplement envié, Bobby Bazini allie blues et folk comme personne. Et que dire de la voix, si singulière et enivrante, de cet auteur-compositeur hors-norme? À redécouvrir.

À TOI, POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU T H É ÂT R E D E L A B O R D É E D U 21 F É V R I E R A U 18 M A R S

Alexandre Fecteau (Le NoShow, Changing Room) qui met en scène Michel Tremblay en dirigeant, notamment, le grand Hugues Frenette? Voilà qui tient de l’événement!

LES SŒURS BOULAY I M P É R I A L B E L L – 17 F É V R I E R

SCÈNE

Stéphanie et Mélanie ne chôment pas. Entre deux dates de leur perpétuelle tournée panquébécoise, les deux musiciennes ont même eu le temps de nous offrir Lendemains, un EP encore chaud qu’elles présenteront dans le cadre des Nuits FEQ.

FABIEN CLOUTIER S A L L E A L B E R T-R O U S S E A U – 21 F É V R I E R

Oubliez le chum à Chabot. C’est Fabien, seul, en son nom et sans costume qui monte maintenant sur les scènes pour livrer ses réflexions et autres blagues. Un one-man-show à forte valeur théâtrale pour ce comédien et auteur beauceron qui cartonne bien au-delà du royaume de l’entrepreneuriat.

LES VÉRITABLES AVENTURES DE DON QUICHOTTE DE LA MANCHA T H É ÂT R E P É R I S C O P E – 21 F É V R I E R

Philippe Soldevlia (à ne pas confondre avec son neveu muraliste Phelipe) s’associe à la compagnie barcelonaise Gataro pour revisiter le mythe bâti de toutes pièces par Miguel de Cervantès, une œuvre phare de la littérature hispanique.

ENCORE UNE FOIS, SI VOUS PERMETTEZ

RINGS EN SALLE LE 3 FÉVRIER

Treize ans après les événements contés dans les premiers opus (The Ring, The Ring 2), l’histoire de la cassette qui tue est devenue une légende urbaine. Lorsque son copain se met à s’intéresser à la bande vidéo, une jeune femme devra se sacrifier pour le sauver de la malédiction.

S A L L E A L B E R T-R O U S S E A U – 2 7 F É V R I E R

T2 TRAINSPOTTING

Guylaine Tremblay, comédienne chouchou du petit écran, revient au bercail pour jouer dans ce classique de Michel Tremblay. Elle donnera la réplique au non moins excellent Henri Chassé.

E N S A L L E L E 10 F É V R I E R

LOUISE EN HIVER EN SALLE LE 3 FÉVRIER

Dans ce film d’animation, une vieille femme nommée Louise se retrouve prise dans une station balnéaire après que le dernier train de la saison eut quitté la gare. Loin d’être déconfite, elle décide d’y rester et d’affronter tout obstacle pouvant survenir. Évidemment, tout ne se passera pas aussi facilement qu’elle l’aurait voulu.

JOHN WICK – CHAPTER 2

Mark Renton retourne en Écosse 20 ans après les péripéties délirantes du premier film. Il tentera de renouer avec ses amis de l’époque Spud et Sickboy tout en essayant d’éviter de croiser le psychotique Franco, qui vient tout juste d’être remis en liberté après avoir purgé une peine de prison.

NEW MILLENNIUM WORKOUT ROUTINE L A B A N D E V I D É O – 18 F É V R I E R A U 1 9 M A R S

Basée à Chicago, Yaloo (née Ji Yeon Lim) s’inspire d’une vidéo d’exercice sudcoréen de 1999 pour cette œuvre en apparence humoristique qui appelle à l’engagement citoyen.

E N S A L L E L E 10 F É V R I E R

John Wick est de retour! L’ex-tueur à gages est forcé de sortir de sa retraite lorsqu’un ancien associé décide de prendre le contrôle d’une guilde d’assassins internationale. Ayant fait un pacte de sang avec lui, Wick n’a d’autre choix que de l’aider dans sa quête sanglante.

JEAN-PIERRE MORIN GALERIE L ACERTE ART CONTEMPORAIN 18 F É V R I E R A U 12 M A R S 2 017

Tout le monde connaît le travail de Jean-Pierre Morin – parfois même sans le savoir. Maître de l’art public stupéfiant, le sculpteur compte moult 1% marquants, comme à l’hôpital Laval et à la Grande Bibliothèque de Montréal.

ARTS VISUELS

VOIR QC


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«Imaginer, explorer, douter… jusqu’à l’épuisement. Recommencer, passionnément, intensément, jusqu’à devenir réel.»

Téo, le taxi réinventé. Imaginé et créé par des gens d’ici.

teomtl.com PP 40010891

Paul-Émile Rioux


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