Magazine Voir Montréal V02 #03 | Mars 2017

Page 1

MONTRÉAL VO2 #O3 | MARS 2O17 ANOTHER BRICK IN THE WALL - L’OPÉRA AKRAM KHAN BENOÎT MCGINNIS OLIVIER KEMEID PHILIPPE DUCROS DAINA ASHBEE PETER PETER GEOFFROY GOON 2 IQALUIT RESTOS DE STARS LES IMPATIENTS

Abonnement 12 numéros: 59$ + tx voir.ca/abonnement

PAUL PICHÉ 40 PRINTEMPS



CHOISISSEZ L’AMOUR MARCH EZ EN EN PAIX PAIX

L A B O U T I Q U E F LU E VO G V I E UX- P O R T E ST M A I N T E N A N T O U V E R T E ! La boutique Fluevog de MontrĂŠal a maintenant une compagne au Vieux-Port! Nous avons doublĂŠ notre empreinte dans la ville, vous avez maintenant deux boutiques magnifiques Ă visiter pour voir tous vos modèles prĂŠfĂŠrĂŠs. Retrouvez-nous Ă notre première boutique sur la rue Saint-Denis et maintenant au cĹ“ur du Vieux-MontrĂŠal!

CHAUSSURES JOHN FLUEVOG R U E S T- D E N I S ¡ ¡ | S T- PAU L O U E S T ¡ ¡ F L U E VO G C O M


V

#

O2 O3 MONTRÉAL | MARS 2017

RÉDACTION

PUBLICITÉ

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnatrice des contenus: Alicia Beauchemin Correctrice: Marie-Claude Masse

Directeur des ventes: Jean Paquette Adjointe aux ventes: Karyne Dutremble Ventes régionales: Céline Lebrun Représentants: Catherine Charbonneau, Antonio Genua, Daniel Boudreau

PHOTO COUVERTURE John Londoño | leconsulat.ca

COLLABORATEURS

DISTRIBUTION

Caroline Décoste, Réjean Beaucage, Christine Fortier, Ralph Boncy, Jérémy Laniel, Monique Giroux, Jean-Baptiste Hervé, Alexandre Taillefer, Franco Nuovo, Émilie Dubreuil, Normand Baillargeon, Catherine Genest, Alessandra Rigano, Eric Godin

Transmet / Diffumag 514 447-4100

COMMUNICATIONS VOIR Président: Michel Fortin Vice-président: Hugues Mailhot

OPÉRATIONS / PRODUCTION

Coordonnatrice promotion et mise en ligne: Anaïs Radé Coordonnateur marketing et projets spéciaux: Nicolas Perrette Directeur du développement web: Simon Jodoin Chef de projets web: Jean-François Ranger Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas Développeurs et intégrateurs web: Emmanuel Laverdière, Martin Michaud Développeur web: Maxime Larrivée-Roy Contrôleur: Patrice Sorrant / Administration générale: Céline Montminy Commis de bureau: Frédéric Sauvé Coordonnateur service à la clientèle: Maxime Comeau Service à la clientèle: Sophie Privé Chef de service, production: Julie Lafrenière Directeur artistique: Luc Deschambeault Infographie: René Despars

Impression: Imprimerie Chicoine

VOIR est distribué gratuitement par Communications Voir inc.

© 2017 Communications Voir inc. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920

338, rue Saint-Antoine Est, bureau 301. Montréal (Qc) H2Y 1A3 Téléphone général: 514 848 0805 Télécopieur: 514 848 0533

ABONNEMENT AU MAGAZINE 338, rue Saint-Antoine Est, bureau 301. Montréal (Qc) H2Y 1A3 VOIR MONTRÉAL

67,84 $ = 12 numéros

89,79 $ = 12 numéros + Guide Restos

PRÉNOM

VOIR QUÉBEC

148,43 $ = 12 numéros + Guide Restos + VIP 40 % Boutique Voir 12 mois NOM

ADRESSE VILLE

CODE POSTAL

TÉLÉPHONE

COURRIEL

CHÈQUE*

CARTE DE CRÉDIT

#

ÉCHÉANCE

CVV mois | année

* Faire un chèque à l’ordre de Communications Voir. PP 40010891


26

«AVEC UN CERTAIN RECUL, JE CROIS QU’AU FIN FOND DE MOI, JE VOULAIS DEVENIR UN CHANTEUR, MAIS QUE J’ÉTAIS PAS CAPABLE DE ME L’AVOUER. SANS DOUTE QUE J’AVAIS PEUR DE L’ÉCHEC.» Photo et retouche | John Londoño (Consulat) Production | Eliane Sauvé (Consulat) Maquillage | Brigitte Lacoste Assistantes | Claudia Grégoire & Frédérique Duchesne Studio | Consulat

8

SCÈNE

Another Brick in the Wall - L’opéra Akram Khan Benoît McGinnis Olivier Kemeid Daina Ashbee Philippe Ducros

26

MUSIQUE

40

CINÉMA

48

ART DE VIVRE

52

LIVRES

56

ARTS VISUELS

62

QUOI FAIRE

Peter Peter Geoffroy

Goon 2: Le dernier des durs à cuire Iqaluit

Restos de stars

Nouvelles de jeunesse Article 353 du Code pénal Des chants pour Angel

Les Impatients

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Émilie Dubreuil (p24) Monique Giroux (p38) Normand Baillargeon (p46) Alexandre Taillefer (p60)


6 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

IL N’AIMAIT PAS LES MUSULMANS Vous m’avez fait quand même un peu rire depuis cette fusillade. Pas aux éclats, sans aucune joie. Avec une certaine gêne et un peu honteux. N’allez pas croire que je rigolais. Je riais, nerveusement, connement, caché. Comme lorsque je ris en écoutant Bernard Drainville débattre avec Luc Lavoie à LCN. On peut vraiment dire autant d’insignifiances en si peu de temps? Je ris, le plus souvent, pour ne pas pleurer. Un peu comme dans un salon funéraire, quand le deuil se transforme en malaise, lorsque quelqu’un dit une connerie, ce qui arrive toujours quand la seule chose utile à faire serait de se taire quelques minutes. À chaque attentat, à chaque fusillade, une question m’apparaît essentielle: mais qui est ce type? Qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête? Ce jeune homme, cet individu dont je ne connais que le visage affiché dans les journaux et qui, un matin, s’est levé avec l’envie de jouer du gun pour tuer des gens, d’où vientil? C’est qui? Cette question, je me la pose toujours. À Paris, à Bruxelles, à Saint-Jean-sur-Richelieu, partout, toujours, le doute est un luxe que j’apprécie. Et vous aussi, la plupart du temps. Peut-on vraiment accuser une religion? Les discours haineux de quelques prédicateurs sont-ils réellement en cause? Et l’inégalité? Et les conditions de vie? Et le chômage? Et tout ça? C’est compliqué, une vie humaine. Surtout lorsqu’elle dérape. En fait, une vie humaine n’est jamais aussi compliquée que lorsqu’elle manque un virage. Mais pour cet Alexandre Bissonnette, rien de compliqué. La conclusion était écrite avant même qu’on ne sache son nom. Tout est si simple. On ne connaissait pas encore le scénario et les personnages – que vous ne connaissez pas encore, si ça ne vous fait pas trop mal de vous en rendre compte – qu’on se gargarisait déjà sur la conclusion et les leçons à en tirer. Ah! Oui! Voilà!

Enfin! Vous voyez bien, depuis le temps qu’on vous le dit! Un raciste, un islamophobe, la charte du PQ, la radio de Québec, les identitaires, Bernard Drainville, Jeff Fillion, le Brexit, Donald Trump, Le Pen, tout le kit, en même temps, d’un seul coup. Allez, on emballe tout ce qui traîne comme saleté! Enfin, il était temps un peu, de la haine pure laine qui permet de nous envelopper les pieds, comme des pantoufles! Confortables. On se tient au chaud. Ça ne vous dérange pas, vous, toute une vie résumée dans un grand titre? Ça vous suffit? Un nom, une photo, toutes les minutes d’un sinistre destin agglutinées sur du papier journal dans une manchette? Je veux dire, ça ne peut pas être si simple. Ça ne peut jamais être aussi simple. Pas si simple que ça, en tout cas. Pas comme on le raconte: le gars écoutait tel ou tel animateur, il lisait tel ou tel truc, et hop! un matin, voilà, cause à effet, il s’enfile une mitraillette et se paye un massacre dans une mosquée. Il n’aimait pas les musulmans. Sans doute. Peut-être aussi qu’il n’aimait personne. Même pas lui-même. Avouez un peu que cette question a pu vous passer par la tête. Furtivement. Il détestait qui, ce type perdu? Et qui le détestait, lui? Ces questions me turlupinent solidement. Comme ça me turlupine chaque fois qu’on se lance dans des raccourcis au bruit des premières explosions, à la moindre rafale, dès qu’on entend Allah akbar quelque part, quand un illuminé du bon dieu se fait sauter sur une place publique. On emprunte la même ligne droite, à vol d’oiseau, pour éviter la distance des sentiers sinueux. On savoure, avec contentement, la saveur du coupable qu’il nous fallait. Mieux encore, on le fabrique à notre goût.


>

Cet empressement à poser un diagnostic concernant un sujet qu’on n’a jamais observé ne risque pas d’aider qui que ce soit et ne préviendra rien du tout. Allez donc improviser un remède sans comprendre ce qu’il y a à guérir, au juste. Vous sortez la chimiothérapie pour un torticolis, vous vous plantez. Même chose si vous sortez l’aspirine pour un cancer généralisé. Alors, il souffrait de quoi Alexandre Bissonnette? Vous le savez, vous? Pour répondre à cette question, on se lance assez facilement dans des réponses commodes: c’est la société qui est coupable. Le racisme, l’islamophobie, tout ça, voyez-vous, c’est quelque chose de systémique. C’est un mal qui infecte la société, comprise comme un système, insidieusement, malicieusement, sans que l’individu puisse s’en rendre compte lui-même. Ces explications, comme un verrou, scellent tout simplement la compréhension des cas particuliers pour établir des théories générales. Pour soigner Bissonnette, il faut soigner tout le monde, en même temps, une fois

pour toutes. De la même manière que pour soigner Martin Couture-Rouleau, auteur de l’attentat à SaintJean-sur-Richelieu, il aurait suffi d’éradiquer l’islam radical, qui lui aussi serait systémique. Tout est si simple, quand c’est systémique. Reste que Bissonnette, lui, est toujours vivant. Il aura un procès. On a pu lire aussi que ses parents, sans doute terrifiés et presque morts-vivants depuis les événements, souhaiteraient parler, dire quelque chose. Je pense à eux, assez souvent. Ce sont, eux aussi, des victimes. Dans leur maison, il y avait un continent inexploré qu’ils viennent de découvrir. Gageons que nous apprendrons à connaître un peu plus ce jeune homme qui a choisi la rupture sociale la plus radicale qui soit. Non pas pour l’excuser, mais pour comprendre. Nous pourrons peut-être alors répondre à une question qu’on n’a pas encore posée. Est-ce qu’il aimait quelqu’un? y sjodoin@voir.ca


LA TÊTE DANS LE MUR L’ŒUVRE MASSIVE QU’EST ANOTHER BRICK IN THE WALL A QUELQUE CHOSE D’INTEMPOREL. LES INCIDENCES PHILOSOPHIQUES ET LES THÈMES PROFONDS ABORDÉS PAR ROGER WATERS RÉSONNENT AUSSI FORT AUJOURD’HUI QU’ILS POUVAIENT LE FAIRE IL Y A PRÈS DE 40 ANS. PASSANT DU MUR DE BERLIN AU MUR DE TRUMP, LE MOMENT SEMBLE PARFAIT POUR REVISITER L’ŒUVRE – CETTE FOIS SOUS FORME OPÉRATIQUE. MOTS | ANTOINE BORDELEAU


9 SCÈNE VOIR MTL

VO2 #O3

DOMINIC CHAMPAGNE ET JULIEN BILODEAU, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Pour Dominic Champagne et Julien Bilodeau, respectivement metteur en scène et compositeur de l’opéra Another Brick in the Wall, les bases du projet datent toutefois d’une époque où tout le monde croyait encore que la victoire de Trump n’était pas possible et que sa candidature n’était qu’une sombre farce. «L’idée venait de Pierre Dufour (directeur général de l’Opéra de Montréal) à l’origine, explique Julien Bilodeau. Il en a ensuite parlé avec le directeur artistique Michel Beaulac, qui avait entendu la création que j’avais faite à l’ouverture de la Maison symphonique en 2011. En mai 2014, Michel m’appelle pour me convier à une rencontre et m’annonce qu’ils veulent qu’on fasse une version de The Wall à l’Opéra.» La genèse Le compositeur s’est donc affairé à créer deux morceaux, histoire de pouvoir présenter leur idée grandiose à de potentiels partenaires. Après une rencontre avec Gilbert Rozon, commissaire aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal,

il devient clair que le projet a désormais besoin d’un metteur en scène. C’est à ce moment que Dominic Champagne embarque dans le navire et que l’équipe se prépare à la prochaine étape: présenter tout cela à Roger Waters. «Ce qui est intéressant à dire, c’est que Waters n’était pas très chaud à l’idée, mentionne-t-il. On le lui avait déjà offert, et il a toujours refusé. Les gars pensaient lui envoyer des trucs pour le convaincre, mais je n’étais pas d’accord. Ce qu’il fallait, c’était une rencontre.»

>

O3 / 2O17


10 SCÈNE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

Quelques coups de téléphone plus tard, ladite rencontre s’est confirmée. Julien s’en souvient comme d’un moment des plus uniques: «On était assis là, dans son studio, avec la basse qu’on entend sur Money juste à côté, et je devais lui faire entendre mes deux pièces. Pas besoin de te dire que la pression que j’avais sur les épaules était quelque chose!» Heureusement, après quelques minutes d’écoute, le légendaire bassiste s’est mis à sourire et y est allé d’un «You got it». Après deux bouteilles de vin en compagnie de Waters, Dominic et Julien sont repartis avec le feu vert qu’ils espéraient. «À partir de là, Julien et moi avions la responsabilité de livrer la marchandise, développe Dominic Champagne. C’est une œuvre colossale, que tout le monde connaît. The Wall est déjà chargée de toutes sortes de sens et d’une lourdeur iconographique. À ce moment-là, on s’est dit: on a besoin de réfléchir. C’est donc là qu’on a fait appel à Normand

Cette réflexion constante a été utile à tout le travail effectué, en commençant par la composition musicale elle-même. «J’avais un gros défi parce que j’avais un texte hyper court, concis, mais très vague, mentionne le compositeur. C’est une écriture contemplative, poétique, par moment larmoyante. C’est là que la collaboration entre nous trois a été si utile à la création musicale: c’est important pour moi, qui suis seul dans mon studio pendant deux mois à composer, d’en sortir parfois et de méditer avec deux autres têtes sur un passage de texte. En sortant de ces rencontres, on se rendait compte qu’on allait vraiment tous dans la même direction.» Selon le metteur en scène, c’est cette complicité entre les trois partenaires qui a mené à terme l’élaboration d’un projet si massif. «À nous trois, on a réussi à répondre à toutes les grandes questions: Comment on traite l’œuvre? Qu’est-ce qui se passe? De quoi ça parle? Comment on se l’approprie? Comment on se

«TOUTE LA COMPLEXITÉ PSYCHOLOGIQUE, MÉTAPHORIQUE, POLITIQUE ET PHILOSOPHIQUE DE L’ŒUVRE NOUS A FAIT RÉALISER À QUEL POINT ON VIT DANS UN MONDE QUI BÂTIT DES MURS.»

Baillargeon. Je l’ai invité à s’inscrire dans le processus créatif, parce qu’on voulait avoir un regard audessus de nous sur notre travail, une façon de réfléchir aux portées psychologiques et philosophiques de ce qu’on était en train de faire.»

distancie des traitements déjà réalisés? Moi, très préoccupé par ce qui se passe sur scène, Julien, par la teneur du matériel musical, de son élaboration… Normand a été une sorte de guide, de repoussoir, d’esprit de synthèse.»

Réflexion créative

S’inspirer sans emprunter

L’apport de ce dernier à la création de l’opéra n’est pas négligeable, l’œuvre originale étant si fertile en symbolique. «Je pense que comme toutes les grandes œuvres théâtrales, littéraires ou philosophiques, elle est polysémique, explique Normand Baillargeon. Ce qui y est mis de l’avant part dans différentes directions et peut être interprété par toutes les époques. The Wall comprend un ensemble de symboles qui se connectent les uns aux autres et qui résonnent très fort en nous parce qu’ils sont puissants. Ce qu’on a cherché, c’est à comprendre pourquoi cette œuvre est si marquante, et ce qu’elle peut vouloir dire aujourd’hui. Tout ça sans dénaturer la vision originale.»

En ce qui concerne le matériel musical en tant que tel, une question s’impose d’elle-même: quelle part prend la musique originale dans la création de Julien Bilodeau? Bien que l’on pourra reconnaître au passage des mélodies ou des rythmes rappelant l’album de 1979, il ne faut pas s’attendre à de simples arrangements du matériel initial, et c’est tant mieux. «La structure est presque inchangée, en ce qui a trait à l’ordre des pièces, explique-t-il. Il n’y a que quelques morceaux qui ne sont pas dans la chronologie initiale. Pour ce qui est de la musique elle-même, je l’imagine comme ça: il y a une ligne d’horizon,


11

> qui représente l’œuvre originale. Moi, je suis toujours en train de suivre cette ligne, mais je me décolle au-dessus ou je plonge… Mais on revient toujours à cette ligne. C’est pour ça que ce n’est pas des arrangements. Quand je décolle, je prends les motifs, je prends les idées musicales et je les développe. Ils se mettent à fleurir, à devenir autre chose, mais sans qu’on s’en rende compte! On suit la musique, et tout à coup on est complètement ailleurs, mais on ne se demande pas pourquoi car la dramaturgie a pris le pas. C’est une expérience d’allerretour entre le connu et l’inconnu, mais sans que ce soit essoufflant.» Du côté de la mise en scène, on entend le même son de cloche. Selon Dominic Champagne, l’équipe avait le défi de s’éloigner du film: «Assez tôt, il y a eu une volonté de ne pas platement adapter à la scène ce qui a été fait dans le film ou ce qui existe dans l’iconographie qui est déjà là. Notre point de base est venu d’une rencontre avec Waters où il m’a dit que tout ça était parti d’un événement survenu à Montréal en 1977, où il avait craché au

Une présentation

visage d’un fan. C’est de là qu’est né ce fantasme de construire un mur entre la scène et le public. Cet événement-là, il n’appartient pas au film. Il est encore intouché, et ç’a été ça notre point d’attache.» L’œuvre finale sera donc une expérience qui devrait plaire tout autant aux fans de la première heure qu’aux néophytes. Plus que jamais, l’idée de remettre à jour Another Brick in the Wall semble être d’actualité. L’époque actuelle s’y prête à merveille, comme le dit si bien le metteur en scène: «C’était le temps de se reraconter cette histoire-là. Cette prise de conscience, cette aliénation et cette rédemption. Toute la complexité psychologique, métaphorique, politique et philosophique de l’œuvre nous a fait réaliser à quel point on vit dans un monde qui bâtit des murs. Aujourd’hui, on ne peut pas contester la pertinence de remettre cette création à l’avant-plan. Le message, c’est que le fasciste qui naît dans le cœur de Pink finit par le placer dans un état extrêmement souffrant. Ça aurait été difficile d’être plus dans l’ère du temps.» y Another Brick in the Wall – L’opéra sera présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts du 11 au 27 mars

En collaboration avec

65 ANS SAISON16/17 avec

chantal baril éric bruneau louise cardinal normand carrière jean-pierre chartrand sébastien dodge benoît drouin-germain milène leclerc jean-philippe lehoux macha limonchik benoît mCginnis étienne pilon denis roy rebecca vachon conception pierre-étienne locas mérédith caron erwann bernard michel smith angelo barsetti rachel tremblay marie-hélène dufort production

théâtre du nouveau monde

tnm.qc.ca

he à l’affic4 mars dès le 1 déjà des entaires ! supplém



13 SCÈNE VOIR MTL

VO2 #O3

LA FACE CACHÉE DE L’HISTOIRE «TANT ET AUSSI LONGTEMPS QUE LES LIONS N'AURONT PAS LEURS HISTORIENS, LA CHASSE GLORIFIERA TOUJOURS LE CHASSEUR...» EN S’INSPIRANT DE CE PROVERBE AFRICAIN ET D’UN TEXTE DE LA POÉTESSE INDIENNE KARTHIKA NAÏR, LE CHORÉGRAPHE AKRAM KHAN, RECONNU INTERNATIONALEMENT, OFFRE UNE NOUVELLE PERSPECTIVE; CELLE DE LA FEMME DANS UN MYTHE FONDATEUR REVISITÉ. PRESQUE TROIS ANS APRÈS SON DERNIER PASSAGE À MONTRÉAL, IL PRÉSENTE UNTIL THE LIONS EN PREMIÈRE NORD-AMÉRICAINE. MOTS | ALESSANDRA RIGANO

PHOTOS | TRISTAM KENTON

Akram Khan n’en est pas à sa première visite au Québec, il avait notamment présenté In-I, un duo avec l’actrice Juliette Binoche, Vertical Road, une œuvre forte et spirituelle, et iTMOi, inspirée du personnage de Stravinsky. Une passion pour l’histoire, aussi bien politique que mythologique, qu’il explore un peu plus avec Until the Lions. Une réflexion qui d’ailleurs transcende la présentation sur la scène. «L’histoire, la religion et les mythes ont principalement été écrits par des hommes.» En s’intéressant au point de vue féminin, le chorégraphe souhaitait offrir une nouvelle perspective. L’œuvre indienne Mahabharata, épique et millénaire, qui a inspiré la poétesse dans la rédaction de l’ouvrage Until the Lions: Echoes from the Mahabharata, est extrêmement complexe. Dans ce poème revisité, ce sont des personnages effacés, presque oubliés, que Karthika Naïr a choisi de mettre au premier plan. Grande collaboratrice du milieu de la danse, c’est elle qui a approché le chorégraphe pour adapter son texte sur scène. Akram Khan a ainsi donné une voix à la princesse Amba qui fut enlevée le jour de ses noces par Bheeshma – un guerrier mi-homme, mi-dieu – dont il assume le rôle sur scène. Ayant fait vœu de chasteté, ce dernier offre Amba à un autre plutôt que de l’épouser. Elle invoquera les dieux pour demander vengeance. «Avec Amba, c’est une histoire d’amour,

de trahison, de vengeance, plus de vengeance, encore plus de vengeance et encore plus et plus de vengeance.» Une histoire qui, propre aux mythes, sert de rappel pour les erreurs commises par l’être humain, son rapport aux autres, à son environnement et à la société où il évolue. La scène circulaire, que le chorégraphe explore pour la première fois en création, est un dispositif fort à propos pour cette œuvre où la poésie a été utilisée de façon musicale, comme un mantra, une prière ou un rituel. «J’ai toujours été inspiré par la poésie» Cette forme d’expression a quelque chose de viscéral et de profondément humain, explique le chorégraphe. Des qualités que l’on retrouve également dans ses pièces. «D’une certaine façon, nous avons perdu notre boussole, nos repères parce que nous avons perdu notre sens du mythe. S’il y a un mythe de nos jours, il est étrangement relié à la technologie et motivé par l’économie.» Until the Lions est un retour aux sources, un moyen pour rappeler l’importance des valeurs et des morales exprimées à travers ces histoires épiques qui ont traversé les époques. Malgré tout, les questionnements qui motivent le chorégraphe sont bien ancrés dans la réalité actuelle. «À ce moment précis, nous devons réfléchir à la civilisation, à ce que cela signifie d’évoluer dans un système capitaliste où une très petite minorité

>

O3 / 2O17


14 SCÈNE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

bénéficie de la majorité de la richesse et où la grande majorité vit dans la pauvreté [...]. On ne devrait pas mesurer notre niveau d’humanité quand les choses vont bien, on devrait le mesurer quand les situations sont difficiles et comportent des défis, lorsqu’on se sent menacé.» «Ce sont les gens, l’humain, qui m’intéressent» À l’écouter parler de ses collaborateurs, on comprend que l’humanité qu’on retrouve dans ses œuvres se construit d’abord avec les gens qui l’entourent. «Elle est mon âme sœur artistique», dit-il en faisant référence à la dramaturge Ruth Little qui l’a accompagné tout au long du processus de création.

«NOUS DEVONS RÉFLÉCHIR À LA CIVILISATION, À CE QUE CELA SIGNIFIE D’ÉVOLUER DANS UN SYSTÈME CAPITALISTE OÙ UNE TRÈS PETITE MINORITÉ BÉNÉFICIE DE LA MAJORITÉ DE LA RICHESSE.» «Si je le peux, j’aimerais travailler avec Ruth Little pour tous mes projets à venir. Elle apporte une rigueur intellectuelle et conceptuelle au travail alors que je suis davantage dans l’aspect physique et émotif. Nous croyons tous les deux en la force du corps et nos inspirations sont similaires. Je n’ai jamais l’impression que c’est son projet ni le mien, mais plutôt le nôtre, celui des nombreux collaborateurs. C’est un sentiment de famille.» Savoir bien s’entourer contribue également à son succès. Pour Until the Lions, c’est l’artiste visuel Tim Yip, couronné d’un Oscar en 2001 pour la direction artistique du film Crouching Tiger, Hidden Dragon (Tigre et Dragon), qui signe la conception visuelle du spectacle. Ching-Ying Chien, interprète qui partage la scène avec Akram Khan, vient de remporter un prix des National Dance Awards au Royaume-Uni pour sa performance exceptionnelle dans la pièce. Ils seront accompagnés par une autre interprète, Christine Joy Ritter, et quatre musiciens. Pour cette nouvelle œuvre, comme celles qu’il a créées dans le passé, Akram Khan cultive un désir profond, un legs qu’il souhaite transmettre sur scène pour en imprégner le spectateur. «Je veux rappeler aux gens la poésie du corps, son pouvoir, sa fragilité et son caractère politique. Chaque individu bâtit sa vie depuis son corps qui demeure sa seule et unique perspective du monde. Le corps est l’outil technologique le plus sacré que nous ayons.» y

AKRAM KHAN

Akram Khan Company, Until the Lions À La Tohu 17 et 18 mars à 20h 19 mars à 14h 23, 24 et 25 mars à 20h



LE COMÉDIEN EST À L’AFFICHE DE LA PIÈCE CALIGULA, D’ALBERT CAMUS, QUI SERA PRÉSENTÉE DÈS LE 14 MARS AU THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE. ENTRETIEN AVEC UN PASSIONNÉ DE THÉÂTRE QUI EST PASSÉ D’ÉTUDIANT TIMIDE À ACTEUR DE PREMIER PLAN. MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | JEAN-FRANÇOIS GRATTON


17 SCÈNE VOIR MTL

VOIR: Vous avez souvent travaillé avec le metteur en scène René Richard Cyr, et vous êtes un habitué du TNM depuis 2013: pour ce Caligula, vous êtes dans un contexte connu... Benoît McGinnis: C’est rassurant et confortable, mais aussi angoissant; c’est quand même le TNM, il y a des attentes, on se demande comment ça va être reçu. J’ai travaillé presque 20 fois avec René Richard! Plus on se connaît, plus ça peut être parfois difficile. Je vais moins le surprendre... Et je suis plus tenté d’argumenter ses décisions, alors que je ne ferais jamais ça avec un metteur en scène avec qui je travaille pour la première fois. Comment vous êtes-vous retrouvé dans la peau de cet empereur fou? Marc Béland m’avait beaucoup parlé de ce personnage [qu’il a joué en 1993, dans une mise en scène de Brigitte Haentjens]. Il me disait souvent: «C’est tellement un beau rôle!» J’avais lu Caligula au secondaire et je me souvenais surtout que c’était intense. Je l’ai relu plus tard et j’ai eu envie de le proposer… C’était le moment, avant d’être trop vieux. Il y a une jeunesse, un manque de raisonnement chez ce genre de personnages qui devient plus difficile à rendre avec le temps. Néron dans Britannicus, Hamlet, Béranger dans Le roi se meurt… Vous n’auriez pas un petit penchant pour les rôles de royauté, d’autorité? Je n’ai pas particulièrement couru après ce type de rôles, mais c’est vrai que j’en ai beaucoup fait. Ils me permettent d’aller complètement ailleurs; il y a quelque chose d’attirant à faire ces personnages fous et tyranniques. À l’École nationale de théâtre, on me disait que je n’allais pas assez dans ces zones-là. Je me sens plus «acteur» quand je vais vers ces rôles loin de moi. Il y a une sorte de liberté, je me laisse aller... Les gens pensent connaître ces personnages. Caligula, on pense que c’est simplement un tyran, un fou. Il y a de ça, mais on ne peut pas juste l’aborder ainsi. Il faut aller chercher d’où vient cette violence et comment il est devenu fou. Vous dites être orgueilleux, directif, quelqu’un qui aime que les choses se fassent à sa manière… Mon côté directif est un peu caché dans la vie. Mais c’est vrai que je veux tout de suite que ça avance, j’aime être en contrôle. Je ne veux pas de niaisage. Et puis, il y a un côté chez les rois qui attire l’attention,

VO2 #O3

qui fascine, qui fait qu’on les écoute. Moi, j’étais très timide quand j’étais plus jeune; les gens ne me croyaient pas quand je disais que je faisais du théâtre, tant j’étais gêné de parler en public. Aujourd’hui, c’est un peu comme une revanche... On vous associe plutôt aux rôles dramatiques, très intenses. Vous n’avez pas peur que cette étiquette vous colle à la peau? J’ai l’impression au contraire que ça va être la fin d’une période. Je vais avoir 40 ans, et Caligula va clore un cycle dans mon travail. La période suivante? Je pourrais jouer plus de rôles de père, d’amant... Mais je fais plus jeune que mon âge, ça prendra peut-être du temps avant qu’on me propose ce type de personnages. La mise en scène, ça pourrait faire partie de ce deuxième cycle de carrière? J’aimerais vraiment ça, je pense. L’esprit créatif de partir d’un texte et de tout construire de là, je trouve ça excitant. Je n’aurais jamais dit ça avant, j’étais persuadé d’être juste un interprète! Je crois que ç’a commencé avec Marc Béland, qui me montrait les maquettes des décors et des costumes et me demandait mon avis. Aujourd’hui, René Richard me consulte aussi parfois. Je prends goût à ça. J’aime notamment le théâtre de création, j’ai envie de plus le découvrir. Et la télé, le cinéma dans tout ça? Le théâtre, c’est ma passion. J’ai besoin de la scène, du travail de répétitions, des discussions entre comédiens et metteur en scène, de cette ambiance particulière... Mais il y a quelque chose dans la caméra qui me stimule. J’espère refaire de la télé, car l’un nourrit l’autre dans le travail d’acteur; à la télé, j’ai appris des choses pour m’aider au théâtre, et vice-versa. En attendant, vous enchaînez les pièces avec un rythme stakhanoviste. Êtes-vous un obsédé du travail? C’est la première fois en quatre ans que je fais du théâtre sans jouer dans 30 Vies à côté! Ça repose. Mais c’était mon choix de faire théâtre et télé en même temps, et je suis capable d’en prendre! Je suis presque déstabilisé aujourd’hui d’avoir autant de temps à consacrer à la pièce. C’est pour ça aussi qu’on fait du théâtre plutôt que de la télé, pour avoir le temps... y Au Théâtre du Nouveau Monde Du 14 mars au 8 avril 2017

O3 / 2O17


18

EN BANLIEUE DE L’HISTOIRE, VRAIMENT? EN 2012, OLIVIER KEMEID METTAIT EN SCÈNE LA VIE DU COMÉDIEN D’ORIGINE UKRAINIENNE SASHA SAMAR DANS MOI, DANS LES RUINES ROUGES DU SIÈCLE, UNE PIÈCE AYANT FAIT LE TOUR DU QUÉBEC. DEPUIS, IL CHERCHAIT UN PRÉTEXTE POUR RETRAVAILLER AVEC SAMAR ET CETTE OCCASION EST VENUE À LA LECTURE D’UN CLASSIQUE CONTEMPORAIN DE LA LITTÉRATURE UKRAINIENNE: LE PINGOUIN, D’ANDREÏ KOURKOV. AINSI NAISSAIT LES MANCHOTS. MOTS | JÉRÉMY LANIEL

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Le roman relate l’histoire d’un journaliste vivant avec un pingouin neurasthénique dans un appartement de Kiev. Kemeid a alors imaginé un huis clos sous quatre différentes perspectives, nous plongeant dans quatre chambres d’hôtel à Kiev, Montréal, Oslo et au Caire, au pied d’une grande place où la révolution commencerait à gronder. L’idée dictait ainsi la distribution, et Sasha Samar, Paul Ahmarani, Kevin McCoy et Larissa Corriveau se retrouvaient alors dans le projet. «Je pose la question suivante: Qu’est-ce que vous feriez si vous étiez dans un hôtel au Caire et que subitement, la guerre apparaissait et la révolution se mettait au pied de votre hôtel, avec chars d’assaut et tirs de mitraillettes? Qu’estce que vous feriez? Si ce n’est sans doute que de se mettre à plat ventre et attendre que ça passe.» Si l’idée fut présentée ainsi au Théâtre de Quat’Sous et aux acteurs, elle a beaucoup évolué pendant le travail avec les comédiens, à tel point qu’on a évacué les quatre villes et que tous se retrouvent dans un même hôtel d’une cité anonyme, pris au piège par l’histoire. «Un est là pour se venger, un est là pour témoigner et un est là pour chercher son fils. Ils seront rattrapés par la marche du monde. Au moment où ils s’y rendent, on sent qu’il y a des manifestations et des émeutes dans ce pays que je ne nomme pas, et ça bascule. Il y a une sorte de guerre civile, de révolution, qui se produit et eux restent cantonnés dans leur chambre, protégés par le double vitrage des tremblements du monde. Et apparaîtra une femme qui leur rappellera un peu malgré eux qu’on ne peut pas fuir l’histoire en marche.»

Si on semble s’éloigner du roman de Kourkov, le titre de la pièce demeure Les manchots, car pour Kemeid, il y a là une signification forte qui dicte le spectacle. «Cette idée d’être figé, d’avoir les deux bras figés devant ce monde qui bascule et de ne pas pouvoir saisir ni le temps ni le pays. Cette impossibilité d’étreindre la nation, cette nation qui nous échappe.» Là se retrouvent deux thèmes qui s’entrechoquent souvent dans l’œuvre de Kemeid, que ce soit par la dramaturgie ou par la scénographie: l’immobilisme et le mouvement. Que ce soit dans ses réécritures de Shakespeare (Five Kings, 2015) ou de Virgile (L’Énéide, 2007), l’homme de théâtre se retrouve toujours dans des productions de grande envergure, où la scène s’éclate de mille et une façons. Cette idée d’encloîtrer trois de ses personnages dans les chambres d’un même hôtel l’aventure donc dans une nouvelle recherche formelle. «Dans la forme théâtrale, il y a quelque chose de très nouveau pour moi, car je pense que c’est mon premier huis clos, ce qui est très étouffant parce que c’est toujours épique mes affaires – des odyssées, des voyages pas possibles. Alors l’idée de se confiner volontairement dans une chambre, parce que c’est ça le cœur du projet, c’est très vertigineux, très excitant, très nouveau.»

>


PAUL AHMARANI ET SASHA SAMAR EN RÉPÉTITION

Dans ce projet typiquement kemeidien juxtaposant l’individualité et la grande histoire, cette révolution en marche que ces manchots apercevront par la fenêtre est un peu celle que nous regardons chaque soir sur notre téléviseur. Le metteur en scène désire interroger notre impuissance ou encore notre volonté d’y aller, d’en faire plus. Là est bien l’essence de son travail; montrer qu’on est de cette marche du monde. «Cette idée d’arrêter de croire qu’on est en banlieue de l’histoire, qui est au cœur de ma démarche, et mettre des acteurs québécois au centre du monde, faisant partie de cette marche, c’est au cœur des Manchots. Parce que cette place-là, cette grande place, elle est au cœur de la cité, une cité qui pourrait toujours être Montréal.»

À la fois huis clos et révolution en marche, tant catalysée par un pingouin neurasthénique d’un écrivain ukrainien que par le désir de retrouver Sasha Samar sur scène, Les manchots d’Olivier Kemeid poursuit l’idée de mettre le théâtre au centre de la cité. y Les manchots Texte et mise en scène: Olivier Kemeid Avec: Paul Ahmarani, Larissa Corriveau, Kevin McCoy et Sasha Samar Au Théâtre de Quat’Sous, du 14 mars au 1er avril 2017


20

DAINA ASHBEE PARLE DOUCEMENT EN RETRAÇANT SON PARCOURS ARTISTIQUE QUI LUI A FAIT QUITTER L’ÎLE DE VANCOUVER OÙ ELLE A GRANDI ET QUI L’A MENÉE JUSQU’À MONTRÉAL, IL Y A PRESQUE QUATRE ANS. SI ON NE CONNAISSAIT PAS SA SIGNATURE CHORÉGRAPHIQUE, ON AURAIT BEAUCOUP DE MAL À CROIRE QUE CETTE JEUNE CRÉATRICE, AUSSI DÉLICATE ET CALME SOIT-ELLE, PEUT CRÉER DES PIÈCES AUSSI VIOLENTES. C’EST SA FAÇON DE PERCUTER ET D’ABORDER LA SEXUALITÉ, LE CORPS DE LA FEMME, LA CRUAUTÉ QU’ON LUI INFLIGE, SA VULNÉRABILITÉ ET SA FORCE QUI LUI A VALU UNE RECONNAISSANCE QUASI IMMÉDIATE SUR LA SCÈNE CONTEMPORAINE. MOTS | ALESSANDRA RIGANO

PHOTO | ALAIN DAHAN


Lauréate du Prix de la danse Montréal 2016, catégorie Découverte, pour Unrelated, son premier spectacle, elle a également obtenu le prix du CALQ pour la meilleure œuvre chorégraphique 2015-2016 avec When the ice melts, will we drink the water?. Tout porte à croire que l’artiste, qui se dirigeait vers une carrière d’interprète, a trouvé sa voie. «Je sais que les thèmes traités dans mes pièces sont sombres, mais je pense que ce sont des choses qu’il faut que j’exprime. Depuis que je suis chorégraphe, je suis beaucoup plus saine comme personne. J’ai beaucoup moins de violence envers moi-même.» Daina Ashbee se base sur ses expériences pour créer, sur la façon dont elle se percevait et dont les autres l’ont perçue. Elle aime jouer avec le corps de la femme en tant qu’objet, ce qu’elle fait notamment en utilisant la répétition de mouvements pour susciter des émotions et influencer la perception du public. «En répétant un mouvement, c’est non seulement la gestuelle qui se transforme, mais aussi notre regard.» Elle désire ainsi toucher celui qui observe pour que les tableaux résonnent avec le vécu individuel et collectif: «Quand j’étais jeune, je voulais sauver des animaux et aider des personnes.» C’est en évoquant des images fortes que la chorégraphe cherche «à faire du bien» de façon inversée. Si la critique sociale n’est pas une volonté exprimée d’emblée par la créatrice, ses pièces n’en sont pas moins politiques. «Chaque fois que je fais des entrevues, on parle toujours de mes origines autochtones.» Bien qu’elle réussisse à évoquer certains souvenirs d’enfance attachés à ses racines hollandaises, ce sont les drames qui façonnent l’histoire des peuples des Premières Nations, l’actualité des dernières années et, plus intimement, certains événements qu’elle a vécus personnellement qui ont été au cœur de ses motivations pour sa pièce Unrelated. Elle s’est par la suite intéressée au cycle menstruel pour aborder le concept de transformation avec Pour. Elle a également exploré l’endurance et la survie avec When the ice melts, will we drink the water?, pièce qui sera présentée à l’Agora de la danse: «C’est très lent. Il y a beaucoup de répétitions et c’est dur.» L’œuvre a été conceptualisée comme une installation ou une sculpture vivante: «Je souhaitais travailler avec le corps de la femme de façon abstraite pour que l’essence de la pièce – l’endurance – puisse habiter chaque spectateur différemment.» Une abstraction qui permet à l’idée de départ, soit la sexualité de la femme, d’évoluer pour traiter de thématiques universelles comme les enjeux climatiques et leurs effets sur les communautés. C’est ce qui justifie en fait le titre du spectacle. Le corps qui servira ces propos, c’est celui d’Esther Gaudette, ont la performance en solo sera accompagnée du musicien JeanFrançois Blouin. Pour créer, Daina Ashbee fait beaucoup de méditation, puis échange ses idées et ses inspirations avec les interprètes qui participent au processus. Des interprètes qu’elle choisit d’abord pour leur énergie et qui influencent inévitablement ses pièces. La chorégraphe bénéficiera d’une résidence de trois ans à l’Agora de la danse, où elle compte explorer à nouveau le corps, celui de l’homme. «J’aimerais traiter de ma relation avec mon père et mon frère ou de mes relations sexuelles avec les hommes. Je ne veux pas parler de genres. La base est simple, mais je pense que ça va devenir complexe, parce que j’ai quand même des relations complexes avec les hommes.» y When the ice melts, will we drink the water? Agora de la danse – Édifice Wilder 29 au 31 mars – 19h 1er avril – 16h


FRÈRES D’ARMES PHILIPPE DUCROS TRAVAILLE DEPUIS TOUJOURS SUR UNE DRAMATURGIE DE L’AUTRE. AUTEUR ET METTEUR EN SCÈNE AUTODIDACTE, SES VOYAGES DE PAR LE MONDE ONT FORMÉ SON REGARD SUR L’ACTE THÉÂTRAL. CETTE FOIS, EN S’ALLIANT DE LA LANGUE DU DRAMATURGE FRANSASKOIS GILLES POULIN-DENIS, L’AUTRE POURRAIT BIEN ÊTRE DANS NOTRE COUR, PARTAGEANT LE MÊME SANG QUE NOUS. MOTS | JÉRÉMY LANIEL

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


-/ /1/ĂŠ / ĂŠ ĂŠ 1 /1,

C’est Ă l’invitation de la compagnie de thÊâtre le Cercle Molière de Winnipeg que Ducros et Poulin-Denis se sont mis Ă plancher sur ce projet. Bien que les producteurs aient depuis changĂŠ, la rencontre artistique entre les deux hommes semblait inĂŠvitable. Le travail de l’Êcrivain avec sa pièce Dehors a rapidement allumĂŠ le metteur en scène. La pièce traite d’un correspondant de guerre qui, après 10 ans d’exil, sera ramenĂŠ chez lui par la mort de son père et sera confrontĂŠ Ă un frère ne dĂŠsirant pas laisser le dehors entrer chez lui.  J’ai toujours travaillĂŠ sur une dramaturgie de l’autre, et dans cette pièce-lĂ , l’autre, on le retrouve Ă plein de niveaux. D’abord, une rencontre avec le fait français Ă l’extĂŠrieur du QuĂŠbec, qui est une rencontre qui m’intĂŠresse. Il y a aussi toute cette rĂŠflexion sur le dehors qui, en ce moment, je trouve, est cruciale au QuĂŠbec. Toutes les dĂŠrapes qu’il y a eues avec les accommodements raisonnables, avec la charte des valeurs, la charte de la laĂŻcitĂŠ... tout ça, pour moi, c’est un QuĂŠbec qui tente de se positionner.ÂťÂ

JEAN-MARC DALPÉ ET PATRICK HIVON EN RÉPÉTITION

Il s’agit pour Ducros d’un texte habile et d’une grande force poĂŠtique qui parvient Ă cerner des enjeux contemporains au dĂŠtour d’une histoire de famille. ÂŤIl y a des pressions qui viennent de l’extĂŠrieur, c’est rendu indĂŠniable. Au-delĂ de la question des rĂŠfugiĂŠs ou de l’immigration, c’est aussi des pressions Ă cause d’un certain populisme qui amène un retour Ă des idĂŠes plus Ă droite, une libĂŠration du discours de la haine, ce qui fait que toute opinion a sa valeur. L’Êtrange et le non compris deviennent cibles et cette pièce-lĂ rĂŠflĂŠchit à ça.Âť Il y a dans la langue de Gilles Poulin-Denis une couleur unique, un français qui se cĂŠlèbre hors les murs, d’une certaine façon, et pour lui faire honneur, la distribution s’est un peu faite d’elle-mĂŞme. Ç’a dictĂŠ plusieurs choix de ma mise en scène. Ç’a dictĂŠ le fait que Jean-Marc DalpĂŠ soit lĂ , que Robin-JoĂŤl Cool soit lĂ , que MarieĂˆve Fontaine soit lĂ . La langue est magnifique, d’abord par la manière dont il s’approprie cette parlure liĂŠe au territoire, qui est reliĂŠ Ă un fait francophone minoritaire; c’est riche de poĂŠsie. Au mĂŞme moment, ça se marie bien avec mon travail et mes rĂŠflexions sur l’autre, cette idĂŠe de sortir le QuĂŠbec de ses cuisines et d’aller ailleurs.Âť Si la pièce semble d’abord s’installer dans un choc fraternel et autour d’un dilemme quasi cornĂŠlien, le metteur en scène souligne aussi l’intelligence avec laquelle Poulin-Denis aborde une sorte d’atavisme quant aux stigmates familiaux. ÂŤCe qui est intĂŠressant dans le texte de Gilles, c’est que ce n’est pas juste un conflit entre deux frères. Ce qu’on voit, ce sont des blessures gĂŠnĂŠrationnelles qui ont ĂŠtĂŠ transmises Ă la gĂŠnĂŠration suivante et qui vont ĂŠclater dans la famille. Ça, je trouve ça intĂŠressant, de savoir qu’on peut lĂŠguer Ă nos enfants des blessures qui peuvent sauter des gĂŠnĂŠrations, mais qui vont se rĂŠveiller Ă un moment ou Ă un autre et qui vont rendre des familles complètement explosives, des situations familiales complètement catastrophiques; c’est extrĂŞmement puissant.Âť Si Philippe Ducros a l’habitude de mettre en scène ses propres textes, c’est peut-ĂŞtre un frère d’armes qu’il vient de trouver en Gilles Poulin-Denis, pour notre plus grand plaisir. y Dehors Texte: Gilles Poulin-Denis Mise en scène: Philippe Ducros Avec: Robin-JoĂŤl Cool, Jean-Marc DalpĂŠ, Marie-Ăˆve Fontaine, Patrick Fontaine, Patrick Hivon, Boris Letarte, Miko Mathieu, Isabelle Roy et Richard ThĂŠriault Au Centre du ThÊâtre d’Aujourd’hui, du 7 au 25 mars 2017

ÂŁĂ“ää]ĂŠ>Ă›iĂŠ Ă€°ĂŠ*i˜vˆiÂ?` ÂœÂ˜ĂŒĂ€j>Â?ĂŠ­+ ÂŽĂŠ ĂŽ ĂŠÂŁ ™ xÂŁ{‡n{™‡Î{ÇÎ

ĂœĂœĂœ°ÂˆÂˆVÂ“ÂœÂ˜ĂŒĂ€i>Â?°iĂƒĂŒiĂ€Âˆ°ÂˆĂŒ

"1,-ĂŠ ĂŠ 1 ĂŠ /ĂŠ 1 /1, / -ĂŠ*"1,ĂŠ 1 / - -- " ĂŠ*, / *ÂŁ ĂŠ ĂŠ 1ĂŠĂ“ĂŽĂŠ 1 ĂŠĂ“ä£Ă‡ ,

UĂŠĂŠ jLĂ•ĂŒ>Â˜ĂŒĂŠÂŁĂŠiĂŒĂŠ jLĂ•ĂŒ>Â˜ĂŒĂŠĂ“ UĂŠĂŠ ÂœÂ˜Ă›iĂ€Ăƒ>ĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠ`jLĂ•ĂŒ>Â˜ĂŒĂŠÂŁĂŠiĂŒĂŠĂ“ UĂŠĂŠ ÂœÂ˜Ă›iĂ€Ăƒ>ĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠÂˆÂ˜ĂŒiÀ“j`ˆ>ÂˆĂ€iĂŠÂŁĂŠiĂŒĂŠĂ“ UĂŠĂŠ ÂœÂ˜Ă›iĂ€Ăƒ>ĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠ>Ă›>˜VjiĂŠÂŁĂŠiĂŒĂŠĂ“ UĂŠĂŠ ÂœÂ˜Ă›iĂ€Ăƒ>ĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠ>Ă›>˜VjiĂŠqĂŠĂŒÂ…m“iĂŠ Ă€ĂŒ , ÂœÂ˜Ă›iĂ€Ăƒ>ĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠĂŒÂœĂ•ĂƒĂŠÂ?iĂƒĂŠÂ˜ÂˆĂ›i>Ă•Ă? Ă“{äfÊÉÊÓÓʅiĂ•Ă€iĂƒ ÂœĂ€>ÂˆĂ€iĂƒ\ĂŠÂ?Ă•Â˜`ˆ‡“iĂ€V°ĂŠÂœĂ•ĂŠÂ“>Ă€`ˆ‡Â?iĂ•`ˆ £äĂŠÂ…ĂŠqĂŠÂŁĂ“ĂŠÂ…ĂŠĂŠÂœĂ•ĂŠĂŠÂŁnĂŠÂ…ĂŠqĂŠĂ“äĂŠÂ… 6i˜`Ă€i`ÂˆĂŠÂœĂ•ĂŠĂƒ>“i`ÂˆĂŠĂŠÂ™ĂŠÂ…ĂŠĂŽäĂŠqĂŠÂŁĂ“ĂŠÂ…ĂŠĂŽä

jLĂ•ĂŒ>Â˜ĂŒĂŠÂŁĂŠiĂŒĂŠ jLĂ•ĂŒ>Â˜ĂŒĂŠĂ“ {ĂŽäfÊÉÊ{{ĂŠÂ…iĂ•Ă€iĂƒ ÂœĂ€>ÂˆĂ€iĂƒ\ĂŠÂ?Ă•Â˜`ÂˆĂŠiĂŒĂŠÂ“iĂ€V°ĂŠ£äĂŠÂ…ĂŠDĂŠÂŁĂŽĂŠÂ…ĂŠ ÂŁiÀʓ>ÂˆĂŠ>ÕÊ£™ÊÂ?Ă•ÂˆÂ˜

"1,-ĂŠ ĂŠ 1 /1, I Â˜ĂŒĂ€Âœ`Ă•âˆœ˜iĂŠ>Â?ĂŠĂŒi>ĂŒĂ€ÂœĂŠiĂŠ>Â?Â?½ÂœÂŤiĂ€>ĂŠÂˆĂŒ>Â?ˆ>˜>ĂŠ Ă€>ÂˆĂƒ\ĂŠÂŁnäfÊÉÊ£xʅʇÊ >Ă€°Â‡Â?iĂ•°ĂŠ`iĂŠ£äĂŠÂ…ĂŠqĂŠÂŁĂ“ĂŠÂ… I-ˆ“œ˜iĂŒĂŒ>ĂŠ6iĂƒÂŤĂ•VVˆ]ĂŠ >ĂŒiĂ€ÂˆÂ˜>ĂŠ-vÂœĂ€â>] Ă•VĂ€iâˆ>ĂŠ ÂœĂ€}ˆ>]ĂŠĂŒĂ€iĂŠ`œ˜˜i iĂŠÂ?>ĂŠÂ?ÂœĂ€ÂœĂŠiÂŤÂœV>\ĂŠÂˆÂ?ĂŠ,ˆ˜>ĂƒVˆ“iÂ˜ĂŒÂœ Ă€>ÂˆĂƒ\ĂŠĂ“{äfÊÉÊÓÓʅʇÊ Ă€>ÂˆĂƒ\ĂŠĂ“{äfÊÉÊÓÓʅʇÊ6i˜`°ĂŠ`iĂŠÂŁĂŽĂŠÂ…Â‡ÂŁĂˆĂŠÂ… ĂŠ­ ÂœĂ•Ă€ĂƒĂŠ`iĂŠVĂ•Â?ĂŒĂ•Ă€iĂŠÂœvviĂ€ĂŒĂƒĂŠiÂ˜ĂŠÂˆĂŒ>Â?ˆiÂ˜ĂŠĂƒiĂ•Â?i“iÂ˜ĂŒÂŽĂŠ ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ

, -ĂŠ ĂŠ£äĂŠÂŻ

ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ

ĂƒÂˆĂŠÂŤ>ˆi“iÂ˜ĂŒĂŠiĂŒĂŠÂˆÂ˜ĂƒVĂ€ÂˆÂŤĂŒÂˆÂœÂ˜ĂŠ £äĂŠÂ?ÂœĂ•Ă€ĂƒĂŠ>Ă›>Â˜ĂŒĂŠÂ?iĂŠ`jLĂ•ĂŒĂŠ`Ă•ĂŠVÂœĂ•Ă€Ăƒ°

VÂœĂ•Ă€Ăƒ°ÂˆÂˆVÂ“ÂœÂ˜ĂŒĂ€i>Â?JiĂƒĂŒiĂ€Âˆ°ÂˆĂŒ


24 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

DE LA BIBLIOTHÈQUE AU CHSLD Pour des raisons familiales, j’ai quitté le Québec pour quelques semaines et me suis installée à Paris, grande et magnifique Paris aux appartements tout petits, tout petits. Pour travailler, je sors donc de mon nid confortable, mais néanmoins minuscule et viens travailler à la bibliothèque Sainte-Geneviève, lieu peuplé d’un silence bruyant et animé du grincement des chaises, du son des mains qui cherchent interminablement des crayons dans un sac, de livres qu’on déplace et de toussotements ponctuels. Sur les rayonnages, des milliers de livres en robe de cuir ou carton dur. De loin, l’ensemble ressemble à une tapisserie, à une photo.

que ma grand-mère paternelle vouait une passion dévorante à la littérature et au vaste monde des lettres. Elle chérissait ses livres, particulièrement les biographies d’hommes politiques et de grands écrivains. Elle écoutait l’émission Apostrophes de Bernard Pivot comme si elle était à la messe. Lulu, 95 ans aujourd’hui, avait même été élue, dans les années 1980, «Lectrice de l’année» au Salon du livre de Montréal. Les livres, c’était son seul luxe. Née dans un milieu très modeste, elle n’achetait du linge neuf que lorsque c’était nécessaire, elle n’allait pas au restaurant ou chez la coiffeuse; mais à la librairie, elle faisait des folies.

J’ai toujours aimé les bibliothèques, temples de connaissances et de réflexions. Quand j’étais étudiante, je fréquentais celle de l’Université de Montréal. J’y avais mon bureau de prédilection, au septième étage, dans le coin droit. Je flirtais avec un étudiant qui y venait aussi presque tous les jours, nous nous regardions à la dérobée en levant le nez de nos livres… De nos livres, car à cette époque pré-internet et quasi préhistorique, la bibliothèque, c’était cela: avoir le monde des idées à portée de main, à portée de papier, à portée de recherches et de désirs de comprendre le monde. La discipline que j’avais choisie: la littérature, qui m’obligeait à consulter des ouvrages d’histoire, de sociologie, de politique pour remettre l’œuvre dans son contexte, etc.

Lulu, 95 ans, ne lit plus. En fait, elle ne lit plus que le dictionnaire. Elle aime encore apprendre de nouveaux mots ou de nouvelles expressions. «Y a plus rien à mon goût, je ne trouve pas que c’est une époque intéressante», m’a-t-elle déclaré lors de ma dernière visite dans sa chambrette du CHSLD. «Heureusement que la politique m’intéresse encore, bien que je sois bien contrariée. Les ministres font des fautes, c’est effrayant. As-tu remarqué Émilie que les ministres font des fautes?»

Parfois, quand je viens d’avaler une heure de lumière bleue en surfant mécaniquement d’un statut Facebook à l’autre, ce qui m’arrive un peu trop souvent, je me dis, avec une sorte de culpabilité molle: «Tiens! J’ai déjà utilisé tout ce temps pour… lire.» Lire était une activité presque sacrée dans ma famille parce

Sur la table, il y a une petite télévision où Lulu écoute les nouvelles en continu, et son cerveau fatigué accouche parfois d’observations un peu confuses, mais souvent révélatrices. L’autre jour, elle m’a demandé: «Dis donc, pourquoi le p’tit Trudeau a été remplacé par le monsieur aux cheveux jaunes? Il est si beau le jeune Trudeau, ça me fait de la peine. Le monsieur aux cheveux jaunes, on peut pas dire que la nature l’a beaucoup gâté.» À force de voir Donald Trump à la télé depuis des mois, ma grand-mère a fini par croire qu’il était devenu notre

>


25

chef politique à nous. Je lui ai dit de ne pas s’en faire, que le p’tit Trudeau était toujours en poste et que Trump gouvernait un autre pays. «Alors, pourquoi on en parle autant?» Elle me demande aussi parfois pourquoi mon grand-père, qui est mort il y a plus de 15 ans, ne vient pas la voir. Entre ses égarements, elle reprend tout à fait ses esprits, comme si sa confusion était intermittente. «Je m’ennuie tellement que je m’égare, je n’ai pas d’amies, elles sont toutes mortes. Ici, les vieux dorment tout le temps, même le jour, et je n’ai personne à qui parler. Personne ne veut finir sa vie comme ça, personne! Je te le dis, moi. C’est tellement long! C’est trop long. En plus, les dames qui travaillent ici, je ne peux pas leur parler non plus, elles me traitent comme si j’étais une enfant. Elles me chicanent!» Lulu imite le personnel en riant: «Madaaaame Dubreuil.» Ma grand-mère a toujours eu un humour grinçant dont les contours sont encore visibles. Ces jours-ci, Lulu est particulièrement perplexe vis-à-vis d’un débat dont on lui parle encore et encore. «La commission Bouchard-Taylor, me semble que ça fait ben longtemps que ç’a été fait ça, non? Veux-tu ben m’dire pourquoi on en reparle tant? Y en parle tellement à la télévision de cette religion-là. Les musulmans... Coudonc, y a-t-il autant de musulmans que ça au Québec?» À la cafétéria du CHSLD, où je l’accompagne parfois, la bouffe est infecte. Ma grand-mère me fait un clin d’œil. «T’aimes pas ça? Le docteur Barrette, lui, il aime beaucoup ça, la cuisine du CHSLD.» Ainsi, le monde de ma grand-mère se construit à partir des images qu’elle voit en boucle à la télévision. Elle investit les faits d’émotions, de confusions, de l’ironie qu’il lui reste, de ses a priori, de sa connaissance ou non des enjeux dont il est question… et parfois, elle déforme la réalité. Au moins, elle a l’excuse de ses 95 ans, ce qui est rarement le cas des auteurs de statuts (gérants d’estrades, chroniqueurs de gauche ou de droite) qui flottent dans la lumière bleue de mon écran et qui pourtant déchirent et gonfle la réalité et les faits dans une grosse balloune gonflée d’un excès d’opinions, d’un excès d’émotions. À la bibliothèque, j’ai sorti le roman Le guépard de Lampedusa, dont Visconti avait tiré un film marquant dans les années 1960. Au détour de ma lecture, ce passage: «La vérité a une vie brève. Le fait vient de se produire il y a à peine cinq minutes que déjà le cœur de la question est disparu, camouflé, embelli, déformé, anéanti par l’imagination ou les intérêts, la pudeur, la peur, la générosité, l’animosité, l’opportunisme, la charité, toutes les passions autant les bonnes que les mauvaises se précipitent sur le fait et le mettent en lambeau; en bref, il disparaît.» Lampedusa a écrit cela en 1957. Grand-maman, as-tu lu Le guépard de Lampedusa? «Je ne m’en souviens plus.» y



27 MUSIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

IL Y A 40 ANS: À QUI APPARTIENT L’BEAU TEMPS? À UNE ÉPOQUE OÙ LES EXPÉRIMENTATIONS ROCK PROGRESSIVES AVAIENT LA COTE, À QUI APPARTIENT L’BEAU TEMPS A DONNÉ UN NOUVEAU SOUFFLE À LA CHANSON D’ICI AVEC SES ÉLANS CONTESTATAIRES ET SON ALLIAGE ÉPURÉ DE FOLK AMÉRICAIN ET DE MUSIQUE TRADITIONNELLE QUÉBÉCOISE. À L’OCCASION DU SPECTACLE MARQUANT LE 40e ANNIVERSAIRE DE CE PREMIER ALBUM, ON REVIENT SUR SA GENÈSE ET SON IMPACT, EN COMPAGNIE DE PAUL PICHÉ MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTO | JOHN LONDOÑO (CONSULAT)

L’histoire de ce classique de la musique québécoise prend racine dans un contexte étudiant, alors que Paul Piché, en fin d’adolescence, donne ses premiers spectacles à vie dans le café du collège LionelGroulx, à Sainte-Thérèse. «C’est mes chums qui m’avaient poussé à monter sur scène», se souvient l’artiste originaire de La Minerve qui, durant le secondaire, avait composé plusieurs chansons «très misérabilistes». «J’ai fait quelques shows là-bas, mais à un moment donné, j’ai senti que j’avais besoin d’une toune qui swinguait plus.» Arrive ainsi une ébauche du futur méga succès Y a pas grand-chose dans l’ciel à soir: «J’avais envie de réfléchir à ce que ça implique, être un chanteur engagé. De rappeler que les dimensions égoïste et altruiste cohabitent à travers cette étiquette-là. En fait, j’avais surtout envie de rire de moi… J’avais envie de me “basher” en partant!» C’est dans un désir d’autodérision similaire que naît, plus tard, Essaye donc pas, dans laquelle Piché se targue de chanter «vraiment ben trop du nez». «C’est une chanson que j’avais composée pour mes amis. Je m’amusais à poser des commentaires sociaux, mais sans me prendre trop au sérieux. Je me disais qu’en me niaisant moi-même, ça me donnait le droit de niaiser les autres», se rappelle le chanteur. Plus pessimiste dans son message, Chu pas mal mal parti est également écrite au début des années 1970:

«La cause indépendantiste traversait une période difficile, et on était plusieurs militants à se décourager. Ça bougeait pas, le monde était pas là…» Loin de baisser les bras, Piché intègre plusieurs cercles militants à cette époque: «J’ai d’abord chanté pour des causes sociales, notamment des cliniques médicales populaires, des coopératives alimentaires, des garderies… C’est l’engagement politique qui m’intéressait avant tout. Avec un certain recul, je crois qu’au fin fond de moi, je voulais devenir un chanteur, mais que j’étais pas capable de me l’avouer. Sans doute que j’avais peur de l’échec.» Avant d’entrer dans un programme d’anthropologie à l’Université de Montréal, le chanteur s’installe à Québec pendant plusieurs mois et fait la tournée des bars avec sa guitare. «C’est vraiment là que le personnage de Paul Piché a commencé à prendre forme et à résonner un peu plus. L’underground artistique était très fort à Québec, entre autres sur la rue Saint-Jean, et je commençais à avoir un début de public qui me suivait. Je me sentais vraiment chez nous là-bas.» C’est durant cette période qu’arrive Le renard, le loup, inspiré d’un rêve qu’il transpose sur papier dès son réveil. Amené à travailler à la Baie-James comme archéologue, il y poursuit la création d’Heureux d’un printemps, assis sur le bord d’un trou à écrire «au lieu de faire ma job». Animé par l’histoire des Innus avec

>

O3 / 2O17


28

qui il cohabite, il y écrit aussi La gigue à Mitchounano, un hommage aux citoyens qui se sont fait déposséder de leurs terres, notamment ceux de Forillon et de Mirabel. En abordant de front les problématiques sociales du moment, Piché s’inscrit dans un filon de chanson contestataire encore peu exploité au Québec: «À l’époque, le courant le plus fort, c’était celui du retour à la terre et des fumeux de pot. Moi, j’ai été identifié à ça, mais c’était loin d’être le cas, car j’en fumais pas. Ce qui m’intéressait, c’était de parler de ce qui préoccupait les ouvriers et les citoyens.»

«À L’ÉPOQUE, LE COURANT LE PLUS FORT, C’ÉTAIT CELUI DU RETOUR À LA TERRE ET DES FUMEUX DE POT. MOI, J’AI ÉTÉ IDENTIFIÉ À ÇA, MAIS C’ÉTAIT LOIN D’ÊTRE LE CAS, CAR J’EN FUMAIS PAS.» Abordant la grève à travers un argumentaire marxiste soutenant la lutte des classes, Jean-Guy Léger en est un exemple particulièrement probant, à l’instar de Réjean Pesant, une ode à la justice sociale et à la solidarité humaine. «Les Pesant, c’était une famille qui habitait à côté de chez nous», explique-t-il. «On peut dire que c’est un hommage à mes racines, car la mélodie est un rip-off de la chanson Bonhomme, Bonhomme que mon père chantait quand j’étais petit.» Désirant ramener au goût du jour la musique qui a bercé son enfance, le chanteur s’emploie à trouver des façons originales de la mélanger aux mouvances folk du moment: «Je savais que c’était impossible

d’inventer quelque chose de totalement nouveau, alors après y avoir longuement pensé, j’ai décidé de joindre mes influences américaines et françaises à mon background traditionnel familial. J’ai essayé de reproduire en musique ce que j’étais.» Naissent ainsi Mon Joe et Où sont-elles?, deux relectures de chansons folkloriques québécoises. Avec un bagage de compositions de plus en plus fourni, le Minervois fait sa marque sur les petites scènes du Québec, mais refuse d’enregistrer un album, jugeant l’initiative trop commerciale. Celui qui désire poursuivre une carrière en archéologie préhistorique troque d’ailleurs la guitare contre la truelle à plusieurs reprises: «Je mettais souvent la chanson de côté pour accepter des contrats. Avant d’aller à la Baie James, je me rappelle avoir passé tout un été à faire des travaux de reconnaissance sur l’île d’Orléans comme technicien de fouilles.» Le projet de Robert Léger C’est Robert Léger qui convainc Paul Piché de franchir la prochaine étape. L’auteur et compositeur de Beau Dommage veut alors prendre une pause de la scène pour se concentrer sur la réalisation d’albums. «Disons qu’il s’était mis dans la tête de me faire faire un disque!» résume l’artiste. «J’avais des réticences au début, mais je lui faisais confiance. On a enregistré un démo, qu’on a envoyé à une douzaine de compagnies de disques. Une après l’autre, elles nous ont toutes refusés! Alors on s’est tournés vers la seule qu’il restait: Kébec-Disc. On avait peu d’espoir parce que c’est la même compagnie qui, quelques années avant, avait tourné le dos à Beau Dommage… Quand le directeur de l’étiquette Gilles Talbot a vu Robert Léger débarquer à son bureau, il a été très honnête et nous a dit: “C’est pas vrai que j’vais me tromper une deuxième fois!”» Les deux musiciens ne perdent pas de temps à entreprendre les séances d’enregistrement d’À qui appartient l’beau temps. Entre mai et septembre 1977, ils prennent possession du studio Tempo à Montréal, accompagnés d’une horde de talentueux musiciens de l’époque comme Pierre Bertrand, Réal Desrosiers et Michel Rivard de Beau Dommage, Serge Fiori et Libert Subirana d’Harmonium, Mario Légaré d’Octobre et le légendaire chef d’orchestre Neil Chotem, qui joue du piano électrique sur Le renard, le loup. «J’me trouvais tellement chanceux de pouvoir compter sur tous ces gens-là. C’était juste beau et magnifique», se rappelle Paul Piché avec enthousiasme. «Pour un gars qui avait zéro expérience en studio, ç’a été un apprentissage de tous les instants.

>


29 MUSIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

Parfois, y a fallu que j’aie l’humilité de dire que j’étais moins habile que certains d’entre eux. Je pense notamment à Pierre Bertrand qui a joué la guit acoustique sur Heureux d’un printemps, une chanson que je faisais en show depuis quatre ou cinq ans.»

signer des papiers comme quoi les producteurs ne savaient pas que j’allais dire ça. Bref, il y avait eu une petite controverse dans les bureaux, mais au-delà de ça, ça avait installé le personnage que j’étais, un artiste qui disait tout haut ce qu’il pensait.

L’album sort sous Kébec-Disk le 5 septembre 1977, soit le jour du 24e anniversaire de son créateur et met un temps considérable avant de trouver son public: «En novembre, j’ai appelé Gilles Talbot pour lui demander où on en était dans les ventes. Il me disait que c’était pas fort, mais qu’il comptait sur Noël pour que ça décolle. Après les Fêtes, je l’ai rappelé, et il m’a avoué qu’au contraire, les ventes avaient baissé!»

Dès l’été 1978, Paul Piché voit sa vie changer du tout au tout, alors que son album se hisse au sommet des palmarès, dépassant en quelques semaines le cap honorifique des 100 000 exemplaires vendus. À l’automne, il termine une série de spectacles panquébécoise au Théâtre St-Denis devant un public en liesse. Avec sa longue barbe, sa chemise à carreaux et ses bottes de travail, il devient peu à peu l’emblème d’une jeunesse contestataire et souverainiste. «Tellement que, le jour où j’ai osé me présenter sur scène sans ma barbe, je me suis fait huer!» se rappelle-t-il, en riant. Quatre décennies plus tard, le chanteur refuse de verser dans la nostalgie, préférant voir cet âge phare comme le point de départ d’un parcours artistique conséquent. Conscient que son premier album a pavé la voie à plusieurs autres artistes qui, à leur façon, ont actualisé le folk ou la musique traditionnelle en abordant de front les problématiques sociales de leur époque (Richard Desjardins, Les Colocs, Les Cowboys Fringants, Mes Aïeux), il constate surtout que les idéaux de justice sociale qu’ils défendaient dans ses chansons sont toujours d’actualité: «Même si on évolue, les enjeux restent les mêmes. Le meilleur exemple, c’est la condition féminine: l’évolution est grande et visible, mais la cause reste à défendre continuellement parce qu’il y a des forces qui tirent dans l’autre sens.»

L’attaché de presse Jacques Ouimet tente alors par tous les moyens de développer le marché des radios commerciales. À force d’acharnement, il réussit à convaincre le propriétaire de la station montréalaise CFGL, Jean-Pierre Coallier, de faire entrer Heureux d’un printemps sur ses ondes. L’impact est instantané. «Ce qui a aussi aidé, c’est que je suis passé à la télé», poursuit Paul Piché. «C’était l’époque de la grève de Commonwealth Plywood, où des gardes de sécurité avaient tiré sur des grévistes. Moi, j’étais en direct à Radio-Canada et j’avais dit que les gars qui avaient fait ça étaient des bandits. Après le show, on m’a fait

Même chose pour l’indépendance du Québec, qui demeure le cheval de bataille de sa vie: «Je suis encore confiant que ça va se réaliser. Je suis particulièrement confiant parce que ceux qu’on doit convaincre en ce moment, c’est les jeunes, et des jeunes, c’est beaucoup plus facile à convaincre que des vieux, qui ont une vision très arrêtée des débats. À mon âge, tu me feras pas devenir Canadien et triper sur Justin Trudeau… même si c’est dans l’ère du temps.» y Paul Piché 40 printemps 17 mars, Centre Bell

O3 / 2O17



31 MUSIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

LA POÉSIE DES DÉRACINEMENTS PETER PETER A TERGIVERSÉ PUIS CHANTÉ LES BEAUTÉS BAROQUES AVANT DE POSER SA VALISE À PARIS. UNE MYRIADE DE QUESTIONS S’IMPOSAIENT À L’ARRIVÉE DE SON TROISIÈME ALBUM, NOIR ÉDEN. MOTS | CATHERINE GENEST

PHOTO | PAUL ROUSTEAU

Né à Jonquière, Peter Peter aura grandi à Chicoutimi puis vécu de part et d’autre de l’autoroute 20 avant de migrer à l’est de l’Atlantique. «J’avais déjà ce fantasme-là à 16 ans. J’écoutais Smashing Pumpkins en boucle et je m’imaginais fuguer à Toronto, vivre quelque chose de nouveau. Après, oui, je suis déménagé de Québec vers Montréal, il y avait l’épiphanie de la grande ville et tout ça, mais quand je suis arrivé ici, j’ai vraiment vécu ça au centuple.» Un nouveau départ ultime qui nourrit sa pop déjà inspirée, une occasion de s’isoler, anonyme et au milieu de la foule, pour mieux reconnecter avec sa propre vérité.

moment) sans pour autant renier les «faque», les «in» et les «là» de son enfance au Saguenay. Comme un hybride entre deux accents, comme le ferait un comédien soucieux de doubler un film dans un français international. La parlure Peter Roy (c’est le nom inscrit sur son passeport) est la somme d’expériences, de rencontres. C’est l’aboutissement de sa vie de jeune adulte longtemps resté sans domicile fixe, mais qui a finalement trouvé le bonheur à Paris.

Étrangement, c’est en France qu’il se distancera de M83, influence manifeste d’Une version améliorée de la tristesse – son précédent disque –, pour devenir l’architecte d’un nouveau son: le sien. Sa musique est aujourd’hui teintée par le gospel (nous y reviendrons), la deep house, une certaine idée de la proverbiale French Touch qui s’immisce dans l’intro de Fantôme de la nuit comme sur la finale de Bien réel, et d’un usage décomplexé de la langue de Bowie. Un exercice de style qui passe essentiellement par la prononciation. «Je trouvais ça intéressant de chanter dans un anglais presque francisé. […] Moi, dans ma tête, c’était Roch Voisine qui faisait ce genre de chansons-là! C’est sûr que j’ai changé de références et que je me suis libéré de ce tabou-là. C’était la même chose quand je suis arrivé à Montréal, je me faisais reprocher mes accents toniques en anglais. Quand t’arrives ici et que tu dis ces mots-là comme un anglophone, tu te rends compte que ce n’est pas perçu de la même façon. Tout ça a altéré, changé mes codes.» Caméléon, il ponctuera par ailleurs notre entretien téléphonique dans le + 33 de «carrément» (son expression du

L’album Noir Éden marque aussi l’émancipation de l’esthète qui, plus que jamais, tire les ficelles de son propre truc. Enregistré à la manière d’un bedroom project bonifié de quelques séances en studio, notamment avec Emmanuel Éthier pour les batteries, ce troisième opus aura été une occasion pour lui d’explorer le producing. Pardon pour les anglicismes. «Tous les sons [complémentaires] ont été enregistrés au iPhone. Les gens qui parlent ou mon chat sur Venus, par exemple. Pour moi, c’est quelque chose de très identitaire, c’est l’album qui me ressemble le plus. Je signe tous les arrangements, la plupart des synthés ainsi que les voix finales de Bien réel et Damien, qui ont été faites chez moi.»

Cavalier (presque) seul

Le clavier rétrofuturiste d’Orchidée témoigne merveilleusement de ses expérimentations sonores avec les instruments électroniques qui meublent son petit appartement. Des techniques non orthodoxes et un brin saugrenues qui confèrent à la plage 11 des tonalités si uniques, captivantes. «Bizarrement, je n’utilise aucun plug-in. Je suis très old school par rapport à ça. […] Les genres de séquences

>

O3 / 2O17


DISPONIBLE DÈS MAINTENANT EN LIBRAIRIE ET SUR BOUTIQUE.VOIR.CA


33 MUSIQUE VOIR MTL

«PARFOIS, C’EST LA SOLITUDE QUI FAIT EN SORTE QUE TU FINIS PAR PERDRE LA CONNEXION AVEC LA RÉALITÉ. L’ALBUM RACONTE ÇA.» de piano qu’on entend au début [d’Orchidée] sont faites à partir d’un synthé qu’on appelle le OP-1. C’est hyper sali. En fait, j’ai enregistré en mettant le clavier devant mes speakers d’ordi. Y a pas plus lofi que ça, mais je trouvais que, justement, ça avait plus de personnalité qu’un plug-in. Je cherchais à mettre une griffe vraiment authentique sur ça.» Ce goût, ce désir d’explorer des sonorités organiques, colore aussi le refrain du troisième extrait radio Loving Game. Sorti de sa talle, c’est lui-même qui le dit, il a tendu la main à quatre membres d’une chorale gospel de Montréal. Du nombre, la spectaculaire et infatigable Kim Richardson. «C’est elle qui fait le lead, le blow, c’est elle qui fait les “yeah!” et les “ouh!”. J’avais une première version où c’était moi qui chantais et j’aimais vraiment pas ça. J’ai toujours imaginé un chœur gospel pour cette compo-là. [C’est parce que] j’intègre l’anglais au disque d’une autre façon, d’une façon un peu plus slacker comme sur Allégresse, par exemple. Là, c’était un refrain trop pop pour que je me vois chanter ça.» Vérités alternatives Peter Peter est allé au bout du retranchement pour l’écriture de ses textes, se laissant porter au passage par les écrits du romancier de science-fiction américain Philip K. Dick. Une influence majeure pour le parolier, un univers onirique et étrange où l’existence même des protagonistes est remise en question – un peu à la manière du film The Truman Show. Noir Éden, la pièce-titre, détaille justement cette impression de vivre sur un plateau de ciné, entouré d’acteurs qui jouent nos parents, nos amis, nos voisins. «Les myriades de questions que j’évoque sont par rapport à ça. Parfois, c’est la solitude qui fait en sorte que tu finis par perdre la connexion avec la réalité. L’album raconte ça.»

VO2 #O3

L’ermite du 18e arrondissement, des buttes de Montmartre, plonge enfin dans le monde réel pour présenter le fruit de sa fuite. Une tournée qui le ramènera à la maison de manière imminente, où il sera épaulé par une escouade de musiciens exclusivement français qui «ne sont jamais venus au Québec». Une récompense qui arrive cinq ans après la sortie de son dernier effort, tant de temps après l’isolement qu’il s’est lui-même forcé à vivre. On récolte toujours ce que l’on sème. y Noir Éden (Audiogram) Disponible maintenant Le 8 mars au Club Soda dans le cadre de Montréal en lumière

O3 / 2O17


ENRICHISSEMENT COLLECTIF LA LISTE DE COLLABORATEURS EST LONGUE SUR COASTLINE. POUR SON PREMIER ALBUM COMPLET ÉLECTRO AUX COULEURS HIP-HOP ET REGGAE, LE CHANTEUR MONTRÉALAIS GEOFFROY A CRÉÉ UN BEAU PARTY SUR DISQUE AVEC L’APPORT DE NOMBREUX MUSICIENS, CHANTEURS ET COMPOSITEURS. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

À la suite de séances de préproduction des pièces avec les réalisateurs Max-Antoine Gendron et Gabriel Gagnon à Montréal ainsi que Fjord et Men I Trust à Québec, Geoffroy et Gabriel ont invité aux Studios Apollo Simon Pedneault (guitariste de Louis-Jean Cormier), Clément Leduc (claviériste de La Bronze) et Charles Papasoff (flûte et clarinette basse), entre autres, pour jouer certaines parties et pimenter de vrais sons chauds le compact Coastline. «La présence de tous ces super bons musiciens a donné une twist à l’album, indique Geoffroy, révélé

PHOTO | JIMMI FRANCOEUR

à La Voix en 2014. Souvent, quand un album est vraiment juste électro, ça t’accroche, mais tu te tannes, alors que lorsqu’il a de vrais instruments, y a tellement de subtilités et de détails aux chansons. Y a plus d’émotion aussi.» «Les instruments rendent ça plus vivant et imparfait, ajoute Gabriel Gagnon, qui a auparavant signé la réalisation de l’album Little Mourning de Milk & Bone. C’est facile de réaliser un album seul et contrôler tous les éléments, mais là on a amené le party et on a brassé les idées avec d’autres compositeurs


35

> et tous les collaborateurs. Ensuite y a eu un tri créatif pour trouver l’identité de l’album et pouvoir raconter une histoire à travers tout ça.» C’est bien de pouvoir composer et jouer tout soimême, dit Geoffroy, mais les musiciens invités ont amené plein d’autres saveurs en jouant freestyle. «Charles Papasoff est arrivé avec son pipeau, sa clarinette, et il a dit: “Bon, qu’est-ce qu’on fait les boys?!”, raconte le réalisateur. On lui a donné des lignes directrices et il est parti avec ses idées et on a enregistré. Day at the Museum [pièce instrumentale qui arrive en milieu de disque], c’est un solo de clarinette basse. Ça amène une histoire à la toune qui n’existerait pas sans lui.» Les groupes électro de Québec Fjord et Men I Trust – qui apparaissent chacun sur une chanson de Coastline – ajoutent des vagues de sensualité et de soul à l’album de Geoffroy. «Men I Trust sont des amis, commente le chanteur. On s’envoie souvent des idées, des bouts de chanson. Ils m’ont envoyé l’instrumental d’une chanson et je leur ai dit: “Donnez-moi 24h”, et j’ai écrit la toune. Je trouvais ça trop bon pour passer à côté.»

Lorsque la musique est composée avec ses réalisateurs, place aux mots. Geoffroy explique qu’il écrit toujours les paroles dans un deuxième temps, choisissant les mots par rapport à la musique. «Je porte beaucoup d’importance à la sonorité des paroles et à combien de syllabes peuvent aller dans tel petit bout de musique. Quand une toune est composée, j’apporte tout chez nous et je m’enferme pendant des jours. Tout le monde est fâché parce que je fais rien et je reviens finalement en studio avec la pièce complète.» Geoffroy préfère s’inspirer de sa vie pour ses textes, donc les histoires d’évasion outre-mer et autour de l’amour prennent une grande place dans les chansons de Coastline. «Ça vient tout seul, dit-il. J’aime vraiment voyager, je suis souvent parti. Ça reflète la réalité. J’ai de la misère à inventer des scénarios pour écrire les paroles.» Cet été, Geoffroy va sans doute s’évader surtout au Québec puisqu’il souhaite prendre part aux nombreux festivals estivaux en province. À suivre! y Coastline (Bonsound) Sortie le 10 mars Lancement au Centre Phi le jour même


À ÉCOUTER

36

★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

BEYRIES LANDING (Bonsound) ★★★ 1/2 Une grande chaleur humaine émane de ce premier disque d’Amélie Beyries. L’artiste montréalaise se dévoile sur cette œuvre aux couleurs de folk épuré, country et chanson pop, réalisée en compagnie d’Alex McMahon (Alex Nevksy, Catherine Major). À la fois douillet et cru, c’est un disque qui donne des frissons et qui nous transperce alors que la voix délicate mais puissante et les musiques nous bercent dans la mélancolie et l’espoir. En résulte un disque très intimiste où l’auditeur prend place dans le cocon de Beyries alors que tout s’efface autour. Avec un tout léger accent, Beyries chante en anglais, mais à l’écoute du seul titre en français du disque, l’émouvant duo avec Louis-Jean Cormier J’aurai cent ans, on en redemande. (V. Thérien)

PATRICE MICHAUD ALMANACH

JACQUES JACOBUS LE RETOUR DE JACOBUS

(Spectra Musique)

(Duprince)

★★★★

★★ 1/2

Moins folk que les deux efforts précédents, Almanach marque un tournant dans l’œuvre de Patrice Michaud. L’album s’ouvre sur des sonorités électroniques suivies d’une guitare électrique assez rock, d’une basse groovy à souhait. Les arrangements riches de Cherry Blossom, mais aussi de Kamikaze et Apocalypse Wow avec leurs cuivres, accotent les textes intelligents de l’auteur-compositeur-interprète. Une première dans sa discographie, le fruit d’une collaboration réussie avec Philippe Brault. Le Gaspésien n’a rien perdu de son verbe, ses paroles sont toujours aussi référencées. Il cite Paul Éluard (Éloïse) et Réjean Ducharme (fédératrice Kamikaze) au passage, puis pique un clin d’œil presque mi funk, mi blues à Francis Ford Coppola sur Apocalypse Wow. On tape du pied souvent, certes, mais s’émeut aussi à l’écoute de L’anse blanche, doux hommage à son Cap-Chat natal. (C. Genest)

THE FRANKLIN ELECTRIC BLUE CEILINGS

«Sors ta crazy glue à cause que la radio est cassée», envoie Jacques Jacobus en intro, signe qu’il désire d’emblée tourner la page sur l’épopée Radio Radio. Renouant avec le producteur Arthur Comeau, le rappeur se permet ici d’explorer des sujets plus personnels, abordant en surface sa dépendance aux soirées avec ses «boys de brosse» (B&B), son enfance à Baie SainteMarie (Unbelievable) et son ouverture à la différence (C’est lovely). Là où le bât blesse, c’est dans cette obsession qu’entretient l’Acadien à toujours vouloir répéter ad nauseam ses refrains, ce qui donne parfois l’impression de réentendre une ritournelle datée de Radio Radio. Ajoutez à ça une trame musicale féconde mais confuse, et vous obtenez un premier album solo en demiteinte, tout de même plus captivant que les deux dernières parutions en groupe du rappeur. (O. Boisvert-Magnen)

(Indica)

POWER TRIP NIGHTMARE LOGIC

★★★

(Southern Lord)

Grosse année en vue pour le quatuor montréalais. Après la sortie de ce deuxième album, The Franklin Electric s’offrira le Métropolis le 1er avril. Ici, les musiciens s’abreuvent à la même source qu’Half Moon Run ou Edward Sharpe & The Magnetic Zeros, trouvant leur aisance entre du folk puissant et du pop-rock planant. Difficile de s’aventurer dans les terrains connus du folk rock anglophone sans évoquer un sentiment de déjà entendu, mais le groupe relève le défi avec maturité et parsème ses compositions enveloppantes de féérie et d’électricité. Si certains élans vocaux rendent l’œuvre trop sirupeuse par moments, l’agilité des musiciens vient rétablir le tout. Et quoiqu’il y ait quelques longueurs, nul doute que la décharge en concert sera intense puisque Blue Ceilings semble être déjà prêt pour la scène. (V Thérien)

★★★★ Pas besoin d’être nostalgique du thrash et du hardcore punk des années 1980 pour avoir envie de se désarticuler le cou en écoutant le deuxième disque de Power Trip. En fait, les influences du groupe de Dallas sont tellement évidentes – bonjour Slayer, Anthrax, D.R.I. et Integrity! – sur Nightmare Logic qu’on pourrait avoir l’impression d’entendre du réchauffé, mais ce n’est pas le cas. C’est sûrement attribuable au son organique et moderne de l’album masterisé par Joel Grind (Toxic Holocaust), ainsi qu’à la créativité de Power Trip. Les chansons de Nightmare Logic sont truffées de mélodies accrocheuses et de galopades entraînantes qui ne s’éternisent jamais trop longtemps. Un exemple d’efficacité et de précision. (C. Fortier)


37 DISQUES VOIR MTL

THOSE WHO WALK AWAY THE INFECTED MASS

NICOLAS HORVATH GLASS ESSENTIALS

(Contellation)

(Grand Piano / Naxos)

★★★

★★★★

Those Who Walk Away, c’est en fait Matthew Patton, un compositeur de Winnipeg que vous pourriez connaître comme le gagnant d’un Emmy pour sa musique du ballet Speaking In Tongues, ou comme le commissaire du New Music Festival de l’Orchestre symphonique de Winnipeg. Il nous offre ici un très étrange objet présenté comme un «requiem minimaliste», qui mêle des passages mélancoliques joués par une section de cordes, ou par des voix fantomatiques, à de longs extraits de conversations, compréhensibles ou pas, entre pilotes d’avion et tours de contrôle (le frère du compositeur serait décédé dans un écrasement d’avion). L’ensemble, baignant dans un lancinant bruit de fond lo-fi qui rend les écoutes multiples difficiles, construit une ambiance délétère au goût de cendres. (R. Beaucage)

DIOM DE KOSSA WASSO (Heilo / Naxos) ★★★★ Il y a des chances que vous n’ayez jamais entendu parler de Diom de Kossa. Avec sa voix furieuse et ses talents de danseur, jadis, ce cogneur de percussions émérite a quitté son petit village de Toufinga, abandonnant la cueillette de café sous ce vieux soleil d’Afrique de l’Ouest pour parcourir le monde avec le Ballet national de Côte d’Ivoire. Installé en Norvège depuis belle lurette, Diom nous propose ici le fruit hallucinant de sa collaboration avec un nouveau bassiste brésilien, Tiago Mendez, et un tandem hollandais avec lequel il roule sa bosse depuis plus d’une dizaine d’années: le batteur Kenneth Ekornes et le remarquable guitariste électrique Olav Torget, qui signe la réalisation et joue aussi du n’goni. Une musique tendue, envoûtante et spectaculaire qui mélange le rock, l’afrobeat et le mandingue dans une mixture nouvelle. On en redemande! (R. Boncy)

Alors que le prolifique Philip Glass a déjà derrière lui une fort impressionnante discographie, on peut s’attendre à ce que son 80e anniversaire (31 janvier) entraîne dans son sillage un bon paquet de petites galettes. Pas facile là-dedans de distinguer les «essentielles» pour le piano, mais, oui, il y aurait certainement quelquesunes de ses Études (les 6, 16, 18 et 20), et pourquoi pas des extraits de la musique de The Hours (2), de Music in Fifths, ou des Metamorphosis. Pas sûr que j’y mettrais l’arrangement de Glass de Sound of Silence, mais après tout, pourquoi pas! Et tout ça, joué par Nicolas Horvath, un exégète qui jouait récemment toutes les œuvres pour piano de Glass dans un concert d’une douzaine d’heures. Ah oui, je veux. (R. Beaucage)

RICHARD GALLIANO NEW JAZZ MUSETTE (Ponderosa) ★★★★ «Quand le jazz est là, la java s’en va», chantonnait le poète Nougaro. Mais c’était pour mieux négocier: «Jazz et java copains, ça doit pouvoir se faire!» À l’écoute de ce double compact qui célèbre avec panache les 30 ans de carrière discographique de Richard Galliano, l’accordéoniste suprême, on se dit qu’il n’y a rien de plus franchement swing qu’un petit bal musette bien franchouillard, en somme. Pourtant, c’est le grand Astor Piazzolla qui lui aurait dit un jour: «J’ai fait le new tango, il faut absolument que vous fassiez le new musette». D’où le titre de cet opus, évidemment. On ouvre le bal avec A French Touch puis une galerie de portraits déclinant des prénoms féminins (Laurita, Billie, Marion, Giselle…) défile pendant trois jours de studio avec ce quartette imbattable où brille la guitare de Sylvain Luc et les petites valses italo-françaises. Ringardise, vraiment? Non. C’est ce qu’on appelle l’excellence. (R. Boncy)

VO2 #O3

O3 / 2O17

KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD FLYING MICROTONAL BANANA (ATO Records) ★★★★ Premier album d’une série de 5 (!) à paraître cette année, Flying Microtonal Banana marque également le début d’une exploration dans le monde de la microtonalité pour le septuor australien. Pour bien apprécier l’œuvre, il faut s’enlever de la tête les conceptions traditionnelles de tonalité à 12 tons, car le groupe utilise ici des notes contenues entre les notes «traditionnelles». Une fois ces appréhensions mises de côté, on peut pleinement savourer l’apport de ces sonorités exotiques aux compositions habiles du groupe. De la lancinante Rattlesnake aux passages presque western de Billabong Valley, les musiciens démontrent une fois de plus leur polyvalence désarmante. King Gizzard demeure, avec cette nouvelle offre, l’un des groupes rock modernes les plus intéressants à regarder évoluer. (A. Bordeleau)


38 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

MONIQUE GIROUX SUR MESURE

ÉCRITE UN PEU EN FRANÇAIS ET DANS LA LANGUE DE L’IRONIE «Made for Sharing», le slogan de la campagne de la candidature de Paris aux JO2024 affiché sur le tour Eiffel, aurait dû me faire hurler. À peine ai-je haussé les sourcils et soupiré un tout petit coup. Le 14 juillet dernier, un animateur de France Inter souhaitait «Happy Fet’Nat» à ses concitoyens. Au lendemain du Superbowl, un commentateur sportif de Franceinfo saluait l’exploit de Tom Brady, célèbre «quarterback» des Patriots. J’ai eu un hoquet. En décembre dernier, alors que je marrainais le Festival Aurores Montréal à Paris, j’ai rapidement constaté que toutes les vitrines de la capitale affichaient des vœux bien sentis: Merry Christmas, Happy New Year et Season’s Greetings. Après en avoir photographié deux douzaines, je me suis trouvée ridicule et me suis dit que l’exercice était vain. Que tout ce que mes post susciteraient, c’est une augmentation de votre détestation des Français que j’aime tant… la plupart du temps. J’ai préféré m’arrêter manger un lemon cake au Season Market, bien meilleur que ceux de Carrefour City. J’ai demandé un thé glacé. «Madame veut sans doute dire un iced tea?» Je suis bilingue maintenant, je suis de mon temps. Alors que la tour Eiffel brillait de tous ses feux et arborait sa bannière de séduction Made for Sharing, un follower Facebook a tenté un «qu’en pensezvous, madame Giroux, de ce slogan Made for Sharing?» Tel Rocky Balboa qui prend des coups, qui vacille mais reprend le combat, j’aurais dû jumper,

me glisser entre les cordes du ring de cette chronique et monter au créneau. Parce que l’air de rien, je suis sportive. Je me suis même fracturé un doigt de pied aux Olympiques d’hiver de Vancouver en 2010. J’allais faire une brassée de lavage quand je me suis pété l’orteil sur le cadre de porte. J’ai été championne junior de pétanque en 1972 aux Jeux du Québec de Chicoutimi et je suis arrivée deuxième en double féminin au tournoi de badminton d’Oka. À cette époque, pas si lointaine, on mettait la vaisselle qui traînait sur la pantry dans le sink pour la laver, on «pitchait» la balle dans la mitt du catcher, on accrochait le muffler avec de la corde après le bumper si y «slaquait» en chemin, pis on «mallait» nos lettres. Les francophones «punchaient» à shop aussi. Pendant que les boss unilingues anglos «runnaient» la business. Il n’y a donc pas de quoi s’inquiéter. Tout est normal. On va avancer en arrière comme à tant d’autres chapitres. Dans sept ans, Paris pourra peut-être «sharer» tout ce qu’elle veut around the world. Si le comité olympique français remporte les Jeux, la planète ira à Paris en 2024 «trower» du javelin, «pichter» du hammer, «runner» du 100 meters, «spiner» du bike et «drinker» à la santé perdue de la langue française. Paris est sur les startings blocks.

>


39 C’est si joli Paris. On y boit, on y chante, on y rit. Depuis quelque temps, on y a peur aussi. On se recueille sur les tombes d’Apollinaire et Baudelaire, de Simone et Jean-Paul, de Molière et La Fontaine, d’Oscar Wilde et Jim Morrison. On peut même manger un mille-feuille caramel et poire sur les marches de l’Académie française, en espérant voir passer notre ami Dany. On déambule, le nez en l’air, rue de la Ferronnerie, là où Henri IV, qui avait eu la bonne idée d’envoyer Samuel de Champlain fonder Québec, a été assassiné en 1610 par un loup solitaire. Elle est jolie, la France, elle qui se moque plus souvent qu’à son tour de cette encombrante francophonie et des 275 millions de locuteurs francophones qui lorgnent toujours un peu du côté de l’Hexagone dans l’espoir de… De quoi d’ailleurs? Ne lui doit-on pas, à la France, berceau de notre belle langue et de quelques valeurs en partage, ce grand classique de la chanson populaire mondiale My Way, titre que Trump a choisi pour sa première danse, si tant est qu’on puisse appeler ça une danse, créée à l’origine par Claude François et reprise par Paul Anka, Frank Sinatra, Elvis Presley, Nina Simone, etc.? Je me lève et je te bouscule, tu ne te réveilles pas, comme d’habitude. Adapté, ça donne: And now, the end is near, and so I face the final curtain.

«IL N’Y A DONC PAS DE QUOI S’INQUIÉTER. TOUT EST NORMAL. ON VA AVANCER EN ARRIÈRE COMME À TANT D’AUTRES CHAPITRES.» Trump a donc dansé sur And now, the end is near? Maintenant, la fin est proche. J’ai fait à ma tête. Gageons qu’il n’avait retenu que le refrain: I did it my way. J’en entends certains glousser: «Ouin pis, come on, on est en 2017, on se calme, tout le monde parle anglais pis si on veut se faire comprendre dans le monde, ben on parle anglais… on est pas obligé de tout traduire, ça change quoi de toute façon.» Vous avez raison, tout ne se traduit pas de toute façon. Strawberries fields forever… Essayez pour voir. Et si the end était near? y CHANSONS SUGGÉRÉES IT IS NOT BECAUSE YOU ARE, RENAUD FOR ME FORMIDABLE, CHARLES AZNAVOUR LA LANGUE FRANÇAISE, LÉO FERRÉ



41 CINÉMA VOIR MTL

VO2 #O3

MARC-ANDRÉ GRONDIN

VIOLENCE OPÉRATIQUE ULTIME HOMMAGE À CES ARMOIRES À GLACE QUI, JADIS, FAISAIENT LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS SUR LA PATINOIRE, GOON: LE DERNIER DES DURS À CUIRE REMET DE L’AVANT L’IMPROBABLE TANDEM SEANN WILLIAM SCOTT ET MARC-ANDRÉ GRONDIN DANS UNE MISE EN SCÈNE LYRIQUE SIGNÉE JAY BARUCHEL. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

Rejoint par téléphone à Toronto, là où il habite depuis quelques années, Baruchel déborde d’enthousiasme. «C’est la plus belle expérience de toute ma vie», dit-il à propos de cette suite de Goon, qui marque ses débuts derrière la caméra. «J’avais 9 ans quand j’ai dit à ma mère qu’un jour, j’allais réaliser des films d’action. Et voilà que 25 ans plus tard, je vis mon rêve.»

SEANN WILLIAM SCOTT

Dans cette aventure initiatique, le Montréalais d’origine a eu le privilège de renouer avec sa chaleureuse bande d’acolytes, la même avec qui il avait partagé l’écran dans le premier volet paru en 2012. En plus de Scott et Grondin, il a pu compter sur plusieurs autres acteurs clés de la franchise, notamment Liev Schreiber, Alison Pill et Kim Coates, puis a pris soin d’ajouter un peu de sang neuf en allant recruter Elisha Cuthbert et Wyatt Russell, nouvelle coqueluche des comédies américaines qui interprète ici un caïd détestable. «Ce sont tous des acteurs très humbles. L’important pour eux, ce n’était pas de mettre la rondelle au fond du but, mais bien de la passer à un coéquipier pour qu’il complète le jeu», image-t-il, quand on lui demande des détails sur l’ambiance qui prévalait durant le tournage. «Ça peut paraître anodin dit comme ça, mais sur un plateau ou dans une chambre de hockey, c’est essentiel de laisser tomber son ego.»

PHOTOS | COURTOISIE LES FILMS SÉVILLE

Pour en arriver là, les acteurs ont pris part à un camp d’entraînement à Toronto, quelques semaines avant le début du tournage. «On était déjà une gang tissée serré, mais cette expérience-là nous a donné un vrai feeling d’équipe», explique Marc-André Grondin. «On se trouve vraiment chanceux d’être payés pour apprendre à jouer au hockey et dire des niaiseries. Pour vrai, on m’offrirait une figuration principale dans le prochain Goon, et j’annulerais tout ce que j’ai de prévu pour y aller.» Rechaussant les patins du talentueux Xavier Laflamme, l’acteur montréalais constate que son personnage a évolué en cinq ans. Présenté comme un jeune débauché toxicomane dans le premier film, le joueur étoile des Highlanders d’Halifax a tiré un trait sur son passé. «Xavier s’est beaucoup calmé entre les deux films. Y en a beaucoup qui vont être déçus, mais je crois que son cheminement est très représentatif de celui de certains joueurs de la LNH. Je pense notamment à Alex Ovechkin qui, à ses débuts, connaissait des épisodes olé olé pendant la saison morte. Maintenant, il est beaucoup plus sérieux», compare Grondin.

>

O3 / 2O17



JAY BARUCHEL SUR LE PLATEAU AVEC SEANN WILLIAM SCOTT.

> Nostalgie d’une époque révolue Bref, au-delà de son enrobage comique et particulièrement grossier, ce deuxième chapitre de Goon met en lumière certaines réalités qui touchent à certains égards le monde du hockey. Interprété par Seann William Scott, le personnage principal Doug «The Thug» Glatt fait face à plusieurs dilemmes inhérents au parcours de n’importe quel dur à cuire digne de ce nom. «Doug est appelé à se redéfinir, car il sait qu’il ne pourra pas assurer son rôle de goon indéfiniment. Il devient le symbole d’une époque qui tire à sa fin, celle des bagarreurs», observe Baruchel. «Sans glorifier ce rôle, on a voulu lui rendre hommage en le romantisant. À un certain moment, le film devient un genre d’opéra canadien, où tout est exagéré, dont la violence, afin que les spectateurs ressentent au maximum l’émotion des scènes.» Point culminant de cette violence exacerbée, le tournoi Bruised and Battered enjoint plusieurs vieux goons en fin de carrière à se battre sur une patinoire jusqu’à ce que tous leurs adversaires tombent au combat, inconscients. Aussi surréaliste

qu’elle puisse paraître, cette compétition fictive est le pastiche d’un véritable concours: le Battle of the Hockey Enforcers, qui a eu lieu en 2005 à Prince George en Colombie-Britannique. «C’est un tournoi qui combinait spectacle de boxe et hockey», résume le réalisateur. «J’en ai écouté des extraits pour les bienfaits du film, mais ç’a été difficile, car c’est quelque chose de très triste.» À la fois héros et personnage déchu, le goon que met en scène Baruchel porte en lui quelque chose de nostalgique. Un portrait juste assez nuancé qu’endosse Marc-André Grondin, même s’il n’entretient pas la même fascination que son fidèle complice pour les bagarreurs: «Si certaines personnes apprécient ce film, car il leur rappelle les good old days, je crois que c’est un pas dans la bonne direction. Ça veut dire que le monde du hockey a changé et que les vieilles mentalités commencent à s’y habituer.» y En salle le 17 mars


L’INÉVITABLE RETOUR À IQALUIT APRÈS ÊTRE FUGACEMENT PASSÉ PAR IQALUIT POUR LE TOURNAGE DE CE QU’IL FAUT POUR VIVRE, BENOÎT PILON Y RETOURNE CETTE FOIS-CI POUR UN TROISIÈME LONG MÉTRAGE SUR FOND D’INTRIGUE POLICIÈRE ET DE FILIATION. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ


45

> L’excellent documentariste de Roger Toupin, épicier variété et cofondateur des Films de l’autre cultive un intérêt profond pour le Nord et ses populations. En 2007, il tournait le documentaire Des nouvelles du Nord qui s’intéressait aux habitants des villes de Radisson et de Chisasibi. En 2008, Ce qu’il faut pour vivre se penchait sur un sanatorium de Québec accueillant des tuberculeux inuits dans les années 1950. Avec Iqaluit, son premier scénario original de fiction, le registre est radicalement différent du film d’époque et du documentaire sur la survivance des traditions. Le film raconte l’histoire de Carmen (Marie-José Croze) qui doit partir de façon précipitée à Iqaluit au chevet de son mari Gilles (François Papineau), gravement blessé. Sur place, elle découvre un monde inconnu et des secrets qui vont la bouleverser. Aux côtés de Noah (Natar Ungalaq), un ami de son mari, elle partagera de façon insoupçonnée avec lui un drame dans les remous de la mer du Labrador. Ce troisième long métrage a été entièrement tourné dans la baie de Frobisher avec tout ce que cela implique en matière de défis logistiques et humains. Iqaluit, avec une population de près de 7000 individus, est une ville isolée qui se situe à plus de 2000 kilomètres de Montréal. On peut dire que Benoît Pilon avait vraiment envie de retourner dans le Nord. «Ce qu’il faut pour vivre m’avait déjà donné le goût de connaître Iqaluit et de montrer cette ville lointaine et inconnue de presque tous. J’ai tout de suite été fasciné par la population et les relations unissant ses membres. C’est précisément cette réalité que j’avais envie de percer et de mettre en scène. Je me suis demandé comment je pourrais raconter une histoire qui mettrait en lumière Iqaluit et qui me permettrait de retravailler avec Natar, qui est un acteur extraordinaire.»

Natar Ungalaq, acteur à la présence solaire, renoue ici en effet avec Pilon pour un rôle tout en introspection d’un père repentant ayant réussi à dompter ses démons. Ungalaq, que le monde entier a connu pour son rôle dans Atanarjuat, la légende de l’homme rapide, est aussi un sculpteur reconnu dont les œuvres sont exposées aux quatre coins du globe. Dans le rôle de Noah, il fera découvrir à Carmen un monde bien loin de ses référents, ce qui l’aidera à se reconnaître et à retrouver ses repères. Et c’est précisément ce qu’a voulu léguer Pilon en réalisant ce film: une meilleure compréhension de l’autre, et une possible ouverture. «On est dans le même pays, nos compagnies vont là-bas faire des affaires. Nos gouvernements prennent des décisions qui ont des conséquences. Et nous avons un impact sur ces communautés même si nous vivons à des milliers de kilomètres. Ce que je tente de dire, c’est que nous sommes liés sans trop nous en rendre compte. Et c’est ce que le personnage de Carmen, joué par Marie-Josée Croze, permet de réaliser.» L’actrice, qui n’avait pas tourné au Canada depuis 2014 pour Le règne de la beauté de Denys Arcand, effectue un retour dans le froid polaire et les grands espaces de la terre de Baffin. Dans la peau de Carmen, elle est froide, distante et occupée à trouver des réponses à ses interrogations sur la vie de son mari, une vie qui lui est presque inconnue. «Ultimement, Carmen me permet de raconter ce récit d’ouverture progressive à l’autre. Une fois sur place, elle réalisera que tout est différent, le rapport au temps, l’air, la lumière et la ville. Tranquillement, elle n’a pas d’autre choix que de se connecter et de s’ouvrir.» C’est le récit d’un voyage qui deviendra en quelque sorte initiatique que nous propose Benoît Pilon avec Iqaluit. Mais plus que cela, le film nous présente un monde qui a ses problématiques et ses contradictions. Pilon dépose sa caméra sans jamais poser de jugement définitif ou esquisser de caricature ridicule. Le fils de Noah tente de se reconnecter aux traditions de son peuple après que son père en eut été coupé par le drame des pensionnats autochtones. Ainsi, l’une des plus belles scènes du film nous présente Gilles qui est invité à partager le phoque que Dany vient de pêcher. Iqaluit réussit à raccourcir la distance entre Montréal et le Nunavut et nous démontre qu’il est possible de changer ses perceptions, ses jugements. Dans notre monde contemporain, cela est plus que nécessaire. Il faut garder toujours vivant un espace de dialogue franc. y En salle le 10 mars


46 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

POUR DÉSINTOXIQUER LES DÉBATS Désintoxiquons les débats

Malaises…

À propos de la démocratie, j’ai appris du philosophe John Dewey (1859-1951) quelques idées que je tiens pour justes et importantes. Elles méritent qu’on leur donne le temps de faire leur chemin en nous et me semblent en ce moment plus pertinentes que jamais. Les voici.

Ce qui me préoccupe, au fond, ce sont toutes ces manières par lesquelles on refuse le dialogue et que je vois se répandre, à gauche comme à droite de l’échiquier politique. Et s’il n’y a pas de conversation, par définition, il ne peut y avoir de conversation démocratique.

La vie démocratique selon Dewey

Voici des manières de la refuser que je déplore. Je ne donnerai aucun exemple précis: mais vous les fournirez aisément.

Dewey soutient que s’il est possible de définir la démocratie par les habituels critères juridiques ou politiques (présence d’une constitution, séparation des pouvoirs, représentation, et ainsi de suite), ces critères, qui sont certes importants, ne vont pas au fond des choses. C’est qu’une démocratie est en effet, et même avant tout, un mode de vie associatif, c’està-dire une manière de vivre ensemble. Deux choses la caractérisent, dit Dewey. La première est que les différents groupes qui composent une société démocratique ont des contacts nombreux et variés. La deuxième est que tous ces gens ont des intérêts communs qui sont consciemment partagés. Plus ces deux critères sont satisfaits, plus la vie démocratique est riche et profonde. Moins ces deux critères sont satisfaits, moins la vie démocratique est riche et profonde. Une conséquence de cette analyse est que la vie démocratique suppose qu’on échange, qu’on discute, qu’on se parle. Bref: que se tienne une conversation démocratique. Je l’ai déjà dit et souvent écrit: je suis, et je pèse mes mots, profondément inquiet de certains aspects de notre actuelle conversation démocratique au Québec. Je le suis même plus que jamais. Je voudrais redire ici pourquoi; puis avancer quelques modestes idées pour contribuer à l’améliorer.

Ne jamais donner la parole à des groupes dont on parle, le plus souvent pour en dire du mal. Interdire à des personnes qui ont des positions différentes des nôtres de s’exprimer, y compris à l’université, où cette pratique semble se répandre. Décider que des interlocuteurs ne peuvent être entendus parce que nous leur sommes moralement ou intellectuellement supérieurs et que nous ne pouvons donc rien en apprendre. Appliquer une étiquette infamante (fasciste, terroriste, nazi, ayant du sang sur les mains, etc.) à des personnes ou à des groupes, de manière à ce que discuter avec eux soit impensable. Décider que le fait de vouloir aborder un certain sujet est nécessairement la preuve d’une carence morale grave qui vous assimile à ces groupes que je viens de nommer. S’exprimer, à l’écrit ou à l’oral, sur un ton ou avec des mots ou des expressions qui ne laissent aucun doute sur le fait que l’on pense que l’on a absolument raison et que les autres sont au mieux des crétins qui se trompent, au pire des personnes intellectuellement malhonnêtes.

>


47 Je vois tout cela. Je le vois beaucoup trop. Vous aussi, j’en fais le pari. Et je pense que cela a des effets délétères sur nous tous et nous toutes et sur la conversation que nous devons tenir. Car le fait est que, plus que jamais, il est des sujets difficiles, polémiques, qui nous divisent, mais que nous devons ensemble aborder.

[ LA ] boutique de fine plomberie

En voici quelques-uns. Il y en a d’autres. L’immigration; la nature de la laïcité souhaitable; les accommodements raisonnables; les accommodements religieux raisonnables; la culture et l’identité québécoises; les rapports de la religion avec le politique; l’islam politique; la tension entre certaines croyances ou pratiques, notamment religieuses, et des valeurs très largement embrassées, voire légalement protégées, dans une démocratie libérale; le multiculturalisme; le nationalisme. Voici ce que j’aimerais qu’il se passe… Modestes propositions Pour commencer, rien a priori, sinon ce que prévoient nos lois et notre pratique de la liberté d’expression (et universitaire), ne devrait être exclu de cette conversation. Notre position de base doit être que tout peut et doit être mis sur la table. Il ne saurait y avoir de compromis là-dessus. Ensuite, il faut «reciviliser» nos échanges. On ne peut l’imposer, mais il faut le demander. On ne devrait pas insulter les gens, leur intimer de se taire, employer des mots dénigrants; on devrait toujours s’en prendre aux idées plutôt qu’aux gens; on devrait écouter ce qu’autrui veut dire et présumer qu’on pourrait en apprendre quelque chose. Toutes ces choses, qui n’interdisent pas d’avoir de profondes convictions et de vrais désaccords, sont connues et nous devrions exiger qu’on les applique. La pratique de déplorer qu’on ne s’y emploie pas devrait se répandre, partout, depuis les médias sociaux jusqu’aux grands médias en passant par les conversations privées. Je propose à cette fin un petit test que les personnes de bonne volonté pourront faire. Il est un calque de la règle d’or en éthique (qui dit: ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse; ou encore: traite ton prochain comme toi-même) et repose sur le fait que, le plus souvent, nous savons tous identifier qui ne pense pas comme nous dans ces débats hautement polarisés. Voici ce test: un propos, un ton, un argument ou une épithète que l’on s’apprête à utiliser passe ce test si – et seulement si – on trouve raisonnable et acceptable que l’autre parti l’utilise aussi. Dans le cas contraire, il vaut mieux s’abstenir de l’employer. Et ce, même si les cotes d’écoute ou le lectorat en pâtiront. Car il va sans dire que les personnes ayant le privilège de prendre la parole ou la plume en public ont, plus que toutes les autres, ce devoir de symétrie. Il faut qu’on se parle, Québécoises et Québécois, et il faut qu’on le fasse civilement en désintoxiquant la conversation démocratique. Car l’alternative, on l’a trop vu depuis quelques années, n’est pas très jolie. Elle peut même être horrible… y

CÉRAGRÈS-LES-BAINS 8240, boul. Leduc, suite 20, Quartier DIX30 MONTRÉAL-LES-BAINS 2174, av. du Mont-Royal Est, Montréal CERAGRESLESBAINS.CA


48 ARt de vivRe VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

Restos étoiles AloRs que le milieu de lA RestAuRAtion est de plus en plus tendAnce, des stARs en tous genRes se lAncent dAns le business, sAns foRcément connAîtRe les ficelles du métieR… bon coup mARketing ou échec pRévisible? MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | DREAMSTIME.COM

Céline Dion et son Schwartz’s, le Grenouille de MarieClaude Savard, Jeff Stinco et le Mangiafoco, l’Agrikol d’Arcade Fire... La liste des célébrités propriétaires de restos est longue. Rien d’étonnant à cela pour Michael Killam, copropriétaire du Rosewood, dans le VieuxMontréal: «La restauration est glorifiée aujourd’hui, via les métiers de chef, de barman, etc., qui sont devenus glamours. C’est donc tout à fait normal que ça attire les stars.» Le restaurateur et son associé dirigent l’établissement depuis 2014 avec un troisième partenaire d’affaires, le chanteur Jonas. Déjà à la tête du Joverse, ils ont vu une occasion d’affaires lorsque le local d’à côté s’est libéré. «Ça fait longtemps qu’on est amis avec Jonas. Posséder son resto, c’était une idée qu’il avait depuis un bout», raconte Michael. Une association qui s’est donc faite naturellement avec le chanteur – et ancien barman. «Pour nous, on a juste ouvert une place avec notre ami», tranche le restaurateur. Un ami qui a pu amener des compétences à l’équipe. Car dans le concept du Rosewood, la musique a sa place, ce qui n’était pas la force des deux premiers associés. «Avoir une équipe diversifiée aide beaucoup quand il faut cultiver une clientèle au quotidien. Jonas a de l’expérience et des contacts en musique, et il a apporté son expertise. Il s’implique aussi dans l’animation. Dans la restauration, on cherche toujours à avoir un angle pour avoir plus de visibilité, plus de clientèle… Quelque chose qui amène une autre dimension.» Comme y associer le nom d’une vedette, qui devient alors un genre de porte-parole. Jonas donne de sa présence au Rosewood quand il est en ville – il vient au resto environ trois fois par semaine, hors saison des festivals – et passe du temps avec les clients. «Il n’a pas de poste précis, il est un ajout. Et il fait ça par passion», assure Michael. Une répartition des rôles donc bien définie.

«À chacun son domaine» Même chose au Chien Fumant, dont Louis Morissette est l’un des quatre associés. L’acteur et scénariste s’était pourtant toujours dit que, ne connaissant pas le milieu, il ne mettrait jamais les pieds dans le business de la restauration… «Le Chien Fumant, c’est un endroit où j’allais régulièrement. L’avantage, c’est les horaires: la cuisine est ouverte jusqu’à 2h du matin, c’est très intéressant pour les artistes qui font des shows et finissent tard. Et je suis tombé en amour avec la cuisine du chef Maksim Morin… C’était un move de passion», raconte le scénariste. Depuis trois ans, il s’occupe de la communication, fait connaître la cuisine et le chef via les réseaux sociaux et amène des clients au resto où il vient presque toutes les semaines – notamment après les spectacles. «On a mis cartes sur table dès le début. À chacun son domaine», affirme Louis Morissette. Il ne s’occupe pas du tout de la gestion et se considère comme un «genre de side partner». S’il partage ses avis sur les plats, le chef a toujours le dernier mot sur le menu. L’acteur essaie aussi de mettre de l’avant le plus possible le chef dans sa communication – «mon spotlight à moi, je l’ai ailleurs…» Ces restos, dès leur lancement, sont associés aux vedettes et deviennent «le resto de…». Si ce n’est pas très juste pour le chef, ça permet en tout cas de faire du chiffre d’affaires. Car les célébrités ont un impact sur la clientèle, confirme Michael: au début du Rosewood, des fans venaient régulièrement pour voir «la place de Jonas», et peut-être avoir l’occasion de le rencontrer. Encore aujourd’hui, environ deux fois par semaine, quelqu’un entre au Rosewood en demandant si le chanteur est là. «C’est un atout marketing, certes, mais si on n’a pas la qualité derrière pour faire revenir le client, c’est un échec,


tempère Michael. C’est pas la célébrité qui va créer une clientèle fidèle à long terme. À nous de continuer le travail.» Un avis que partage complètement Louis Morissette: tout reste basé sur le produit, et il n’y a pas une personnalité qui fera oublier un mauvais plat. «On n’est pas à Los Angeles non plus! ajoute François Meunier, président de l’Association des restaurateurs du Québec. C’est moins dans notre culture de courir les vedettes…» La base, ça reste la cuisine, mais aussi les compétences en gestion. Les chefs et restaurateurs qui ont déploré le fait que certains se lancent en affaires sans trop savoir ce qu’ils font, Louis Morissette les comprend: «C’est enlever un peu de noblesse à ce métier. C’est dur, très exigeant, et il y a des gens qui se lancent comme ça sans imaginer la difficulté de l’opération. Ceux qui ouvrent leur resto en pensant qu’ils vont devenir riches, ils rêvent…» Et à ce rayon, il n’y a pas que les chanteurs ou les acteurs,

souligne le président de l’ARQ. Mais pour ces derniers, «posséder un resto est une manière d’assurer leur retraite, d’avoir une certaine stabilité quand on exerce un métier au gré de contrats. Avoir un resto, c’est plus agréable qu’un dépanneur! Ensuite, il s’agit de bien s’associer. Garou, par exemple, a fait un excellent choix en travaillant avec Marc Bolay, qui a beaucoup d’expérience dans le domaine.» L’échec du Laurea Si Garou ou Louis Morissette font de belles recettes à l’Auberge Saint-Gabriel et au Chien Fumant, d’autres stars n’ont pas eu autant de succès. L’animatrice et mannequin Maripier Morin voit ainsi la fermeture de son défunt Laurea comme un échec. Le projet partait pourtant bien: sept associés, 2,5 millions de dollars. «Le resto, c’est un désir qu’on avait, mon chum et moi. Quand on nous a approchés, on n’a pas hésité et on a prêté les sous. On se disait

>


9

SEULEMENT

95$

PRIX COURANT : 13,25 $

TARTE À LÉRABLE

UNE OFFRE À NE PAS MANQUER ! DU 27 FÉVRIER AU 26 MARS 2017

PREMIEREMOISSON.COM


51 ARt de vivRe VOIR MTL

«si lA célébRité Aide? pAs tAnt que çA. c’est un pRéjugé de penseR que pARce que t’es connu, ton Resto vA êtRe plein. çA vA mARcheR seulement si le stAff est bon et que lA cuisine est bonne.»

VO2 #O3

O3 / 2O17

vraiment courir les nouveaux endroits, j’étais une vraie foodie et mon chum aussi. Après la fermeture du Laurea, je suis devenue comme paralysée. Je n’ai pas repris mes habitudes de sorties... Depuis, j’ai mes petites places que j’aime, et je suis aussi de plus en plus casanière. Si je me relancerai dans la restauration? Absolument pas!» Depuis la fermeture, le Laurea s’est d’ailleurs fait prendre son nom de domaine sur internet… qui renvoie désormais à un site de rencontres allemand. y

«Si la célébrité aide? Pas tant que ça. C’est un préjugé de penser que parce que t’es connu, ton resto va être plein. Ça va marcher seulement si le staff est bon et que la cuisine est bonne.» À l’ouverture, en août 2014, Brandon Prust et Maripier Morin ne communiquent même pas sur leur implication dans le Laurea, pour que l’accent soit plutôt mis sur le sommelier et le chef. Au bout d’un an, les affaires commencent à aller mal: «On savait qu’on était dans une position instable, mais on espérait toujours se relever. Mais parmi les associés, ceux qui avaient des connaissances et de l’expertise dans le domaine de la restauration n’étaient pas assez investis. Les gens se reposaient trop les uns sur les autres.» S’ensuit une restructuration du resto en mars 2016, sans succès. L’expérience laisse à Maripier Morin un goût amer. «On a plus de restaurants à Montréal qu’à New York! C’était un peu fou de penser qu’on pouvait rivaliser avec toute cette concurrence. Avant, j’aimais

LOUIS MORRISSETTE, UN DES QUATRE ASSOCIÉS DU CHIEN FUMANT.

aussi que peu importe ce qui arriverait dans nos carrières respectives, on aurait toujours ce projet», confie l’animatrice. Si elle et son conjoint [le joueur de hockey Brandon Prust] ne géraient pas le resto sur une base quotidienne, ils étaient là pour les grosses décisions, participaient aux tests des plats, etc. Maripier Morin faisait aussi en sorte que tous les lancements et événements autour de sa carrière se passent au Laurea. «J’ai même participé aux rénovations et au grand ménage de tout le resto après ça», raconte le mannequin. Bref, elle a mis la main à la pâte.


NOUVELLES DE JEUNESSE MOTS | FRANCO NUOVO

PHOTO | SLIM AARONS


53 LIVRES VOIR MTL

Je flânais. Je glissais entre les étals en jetant un œil sur les livres qu’on y avait savamment placés: les nouveautés, les biographies, les coups de cœur… Je ne cherchais rien de particulier, j’espionnais en espérant qu’un bouquin me fasse de l’œil, un roman de préférence. Je les préfère aux essais, toujours académiques et si souvent laborieux. Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’on avait réédité tout ce que Bob Dylan, «nouveau» Nobel de littérature, avait pu écrire: des chroniques, des textes divers, des chansons bien sûr. Il y avait aussi des bouquins sur l’homme, le poète, le musicien. Des gros, des petits, avec ou sans photographies; il n’y en avait que pour lui. Enfin presque. Fidel Castro était mort. Cuba était donc aussi très présent. Là encore, des récits sur la vie du lider maximo, sa lutte, ses liens avec ses frères d’armes, sa relation avec les ÉtatsUnis… On avait placé bien en évidence les pour et les contre. Entre les coups de cœur trônait, par exemple, Castro l’infidèle de Serge Raffy qu’on avait tiré du fond des rayons. Une biographie dédicacée «au peuple cubain héroïque et martyr». Une simple dédicace déjà suffisait pour savoir dans quel camp se tenait l’auteur. Bien sûr, El Commandante n’était pas très loin ni le témoignage récent de son frère Juan Martin Guevara qui, après 50 ans de silence, s’est décidé à lever un voile plus intime sur Che, son aîné. Cette déambulation m’a permis de constater à quel point les livres de cuisine avaient toujours la cote et qu’ils me laissaient, tel un buffet, toujours aussi froid. De constat en constat, j’ai aussi pu réaliser que Le plongeur de Stéphane Larue n’avait pas fini de nous éclabousser. Et là, posée dans un coin, discrète, une pile: Truman Capote, Mademoiselle Belle. En page couverture, sous une photo de lui alors qu’il est jeune homme, était inscrit «Nouvelles de jeunesse». Un tout petit bouquin, tout petit, même pas 200 pages. J’aime bien Capote, Petit déjeuner chez Tiffany et bien entendu De sang-froid, son chef-d’œuvre qui l’a inscrit dans la légende. En fait, j’aime bien les auteurs américains du 20e siècle: Hemingway, Fitzgerald, Salinger… Tantôt aventuriers, tantôt voyous, tantôt mondains, tantôt rêveurs. Capote, lui, mondain à ses heures, était dans la marge.

VO2 #O3

Je n’avais jusque-là jamais lu de ses nouvelles, encore moins de ses nouvelles de jeunesse. Truman venait de me faire de l’œil. Donc, après avoir parcouru la quatrième de couverture et après l’avoir feuilleté, j’ai payé le libraire et j’ai glissé Capote dans mon sac en me disant que je découvrirais peut-être ce qui l’avait mené, bien des années plus tard, à raconter le meurtre d’une famille du Kansas par deux jeunes voyous. Quatorze nouvelles, certaines ayant déjà été publiées entre 1940 et 1942 et d’autres qui ne demandent aujourd’hui qu’à être découvertes. Des textes que Capote, déjà auteur, a écrits très jeune, pendant et jusqu’à la fin de son adolescence. Les puristes jugent la jeunesse, la nuancent, mais reconnaissent le talent précoce de Capote. Sérieusement, ces textes qui nous entraînent du sud au nord des États-Unis démontrent à quel point, obsédé par l’écriture, cet ado si singulier était déjà un écrivain. Les récits sont ancrés dans des décennies bien identifiables. Il s’agit d’une Amérique d’avant les droits civiques, d’une Amérique humide qui a chaud et qui transpire, d’une Amérique dans laquelle les Noirs n’ont pas la même vie que les Blancs, et les pauvres, la même que celle des riches. On sent La Nouvelle-Orléans tout autant que l’opulence new-yorkaise. On voit la couleur et derrière elle, le racisme. Ces histoires toutes plus différentes les unes que les autres portent sa griffe, celle qui témoigne de son intérêt pour le genre humain, quel que soit le milieu, la classe sociale. Une écriture déjà étoffée telle cette phrase: «Elle voulait rester ici, dans la nuit, dont elle pouvait respirer l’odeur, qu’elle pouvait presque toucher, si palpable qu’elle humait sa texture comme un délicat satin bleu.» Entre 15 et 19 ans, Capote savait déjà nous faire vivre la peur d’un enfant poursuivi et égaré en forêt, flirter à la frontière du fantasque avec l’agonisante aristocratie du sud, donner un écho à la rivière Hudson qui «ne cessait de murmurer “Alabama river”», évoquer cette chaleur à peine supportable qui pousse à la somnolence, se glisser dans une académie de jeunes filles, dépeindre la jalousie derrière trop de beauté et rapporter la bitcherie de deux vieilles embourgeoisées. Chez Capote-le-jeune, le suspense était déjà bien installé, l’amour interdit effleuré et l’injustice affichée. «Toute sa vie elle avait voulu vivre dans le Nord pour, ainsi qu’elle le disait, vivre comme un être humain…» y Truman Capote Mademoiselle Belle: Nouvelles de jeunesse Paris, Grasset, 2016, 180 pages

O3 / 2O17


54

Sur les rayons

DES CHANTS POUR ANGEL MARIE-CLAIRE BLAIS, Éditions du Boréal, 2017, 240 p. «Daniel pensait souvent que le monde s’effondrait plusieurs fois avant notre réveil du matin, ce dont nous avions quelque aperçu dans nos rêves et cauchemars, pendant que nous dormions, quand nous apprenions que le monde s’était ainsi effondré plusieurs fois pendant notre sommeil, nous étions révoltés, nous éprouvions un malaise honteux de vivre dans un tel univers, si sombre et si cruel, et puis nous ne ressentions plus rien, comme si ce monde n’eût plus été notre affaire, il y avait une coupure, il nous fallait retourner dignement à nos préoccupations, et c’est ainsi que Daniel se remettait à l’écriture…» C’est ce qu’on peut lire dans les premières pages du neuvième et avant-dernier tome du cycle Soifs de Marie-Claire Blais, Des chants pour Angel, et on ne peut s’empêcher de croire avec certitude qu’il s’agit là d’un modus operandi que l’écrivaine partage avec son personnage de Daniel. Nous retrouvons Petites Cendres, Mabel, Daniel, Mai, Vincent et tant d’autres personnages peuplant l’univers romanesque de Marie-Claire Blais depuis maintenant plus de vingt ans. Si plusieurs se questionnent sur comment célébrer une dernière fois Angel qui vient de les quitter, c’est surtout le personnage du Jeune Homme qui est au centre de ce roman, lui qui opérera une tuerie raciste en plein cœur d’un lieu de culte, événement qui n’est pas sans rappeler un fait divers des dernières années. Il serait par contre dommage de décrire ce grand livre comme un roman autour d’un fait divers, alors que l’écrivaine poursuit son analyse clinique et critique des maux sombres qui forment notre monde. Bien que le racisme fut toujours présent chez Blais, ici, elle le met en scène avec toute la violence qu’il génère, créant un roman comme une charge qui terrasse le lecteur en l’expulsant de toute zone de confort. L’écriture de Marie-Claire Blais est fidèle à elle-même, une phrase-fleuve, un roman comme la vie, sans pause aucune, ne laissant pas au lecteur le plaisir de prendre son souffle, car comme le réel, l’écriture de Blais est toujours en marche, toujours vivante. Si de prime abord l’exercice peut sembler difficile – certains diraient pénible –, la maîtrise dont fait preuve Blais est telle que le lecteur est happé dans un tourbillon d’une grande force, d’une grande humanité. Enfin, bien qu’elle offre ici peut-être l’un de ses livres les plus noirs, elle réussit encore une fois le tour de force de trouver une certaine lumière au fond de l’histoire, au fond de nous. (Jérémy Laniel)


55

« Un petit miracle de poéesie » Le Figaro

un film de Jim Jarmusch Sur les rayons

ARTICLE 353 DU CODE PÉNAL TANGUY VIEL

Version

originale anglaise avec sous-titres francçais

Éditions de Minuit, 2016, 173 p. Un homme en jette un autre par-dessus bord. Tranquillement, il retourne piloter l’embarcation jusqu’à la côte avant de retourner chez lui. Ainsi débute Article 353 du Code pénal, septième roman de l’auteur français Tanguy Viel, romancier ayant façonné l’art du faux-semblant et du coup de Jarnac littéraire. Lui qui avait batifolé avec le roman noir dans Insoupçonnable et L’absolue perfection du crime nous avait déjà démontré comment il pouvait habilement se jouer de certains codes littéraires pour les transcender dans un travail allant beaucoup plus loin que le simple exercice de style. Il nous offre peut-être ici son meilleur livre, un roman sur l’honneur des hommes, sur ce qui nous reste lorsqu’on perd tout. Martial Kermeur était employé à l’arsenal de Brest. Lorsque ce dernier ferme, il se retrouve gardien d’un château en décrépitude sur une presqu’île où il vit comme le père, le divorcé et le licencié qu’il est devenu au début de la cinquantaine. L’onde de choc est créée dans le voisinage lorsqu’arrive Lazenec, promoteur immobilier promettant un renouveau complet pour la région. Il convaincra Kermeur de miser son fonds de pension dans un superbe appartement d’un immeuble locatif qui devrait être construit en lieu et place du château. C’est dans l’attente de cette première pelletée de terre, de l’érection de ce nouveau chez soi, que Kermeur découvrira lentement, mais assurément, qu’on l’a roulé dans la farine, lui et tant d’autres. Réel entretien judiciaire, Article 353 du Code pénal se lit comme une immense confession de Kermeur à un juge, tentant d’expliquer la nature de son geste. Si une lecture politique émane de cette histoire tel un vrai cimetière des promesses socialistes, le tour de force de Viel est ici tout autre. C’est dans la liberté du phrasé de l’écrivain qu’on reconnaît toute sa maîtrise, sa façon de parvenir si aisément à éclater les murs de cet entretien judiciaire pour établir des chassés-croisés brillants doublés des réflexions de Kermeur, alors qu’habilement Viel jumelle le personnage du lecteur à celui du juge, les deux se retrouvant à la solde et à l’écoute de celui qui devrait être jugé. Avec ce roman d’une grande sensibilité et brillamment construit, Tanguy Viel confirme un talent qu’on connaissait déjà, mais qu’on fréquentait trop peu, avec une offrande jouissive et d’une immense lucidité. (Jérémy Laniel)

Version originale anglaise avec sous-titres français.

AU CINÉMA LE 17 MARS

HHHHH

Version originale anglaise


56 DEPUIS UN QUART DE SIÈCLE, CEUX QUI NE FITTENT NULLE PART SONT REÇUS DANS LES ATELIERS DE L’ORGANISME LES IMPATIENTS COMME DES ARTISTES, NON COMME DES MALADES. ET LEUR ART BRUT CÔTOIE DES CHAGALL, DES RIOPELLE ET DES MARC SÉGUIN. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE

Tout a commencé dans un sous-sol de Pointe-auxTrembles. «Ma mère [Lorraine Palardy] avait une galerie et était présidente de l’Association des galeries d’art contemporain de Montréal. En collaboration avec la Fondation des maladies mentales, elle a fait un projet-pilote d’atelier de création à l’Hôpital Louis-H.-Lafontaine. Deux jours après la fin de l’atelier, une adjointe a appelé ma mère: “Ils font la file devant le local…” Ma mère a fondé Les Impatients parce qu’elle se disait que c’était nécessaire», raconte Frédéric Palardy, directeur général de l’organisme depuis 3 ans. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le modeste atelier s’est transformé en un organisme unique offrant 60 ateliers à plus de 600 participants par semaine, avec 11 points de service dans la région de Montréal et aux alentours, associé à 6 hôpitaux, 2 galeries et 1 musée. Tout ça, gratuitement. Tout sauf des malades On pourrait croire que le nom «Les Impatients» a été donné pour rappeler ces patients qui piaffaient devant le local en attente d’un autre atelier. Mais la vision de Lorraine Palardy était beaucoup plus poétique: «C’est à la fois une façon de voir la personne comme n’étant pas une patiente, au sens médical, et comme étant impatiente de guérir, d’arrêter de souffrir. Et c’est une référence à l’impatiente, une fleur qui pousse bien à l’ombre. C’est un nom qui est encore porteur après 25 ans», s’émeut le directeur général. Bien que son organisme utilise l’art pour venir en aide aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, Frédéric Palardy se défend bien de faire de l’artthérapie. «Le critère principal pour choisir nos animateurs, c’est qu’ils doivent être d’abord des artistes. > JACQUES HURTUBISE, ELROSADO (1975) SÉRIGRAPHIE, 23 DE 30. 69,6 X 108,7 CM. DON ANONYME.


57 ARTS VISUELS VOIR MTL

Oui, nous travaillons avec des art-thérapeutes, mais on fait tout l’inverse de l’art-thérapie. Quand les participants arrivent dans un atelier, ils viennent créer, tout simplement. Pas de thème, pas de “aujourd’hui, on dessine la colère”! C’est un exemple un peu bancal, mais c’est ça. Le bien-être arrive dans la création, les rencontres, la diffusion des œuvres. On fait ce qu’on appelle dans le système de la santé du “rétablissement”: pour certains, ça veut dire arriver à se trouver une job; pour d’autres, juste mettre un pied devant l’autre.» Malgré les cas lourds, abandonnés du système de santé, qui arrivent parfois aux ateliers des Impatients, une règle demeure: ne pas les recevoir comme

VO2 #O3

des patients. Certains participants sont référés par leur psychiatre, comme une sorte de prescription artistique de la dernière chance. «On ne sait plus quoi en faire… on les envoie aux Impatients!» L’organisme n’a pas la recette miracle, certes, mais les statistiques prouvent qu’il y a de l’espoir même pour les plus désespérés: «87% des gens qui ont fréquenté nos ateliers disent que leur état de santé s’est amélioré et 63% disent avoir évité une hospitalisation grâce à nous. C’est énorme!» Bipolarité, schizophrénie, psychose ou épisode dépressif: aucun cas n’est trop léger ou trop lourd pour Les Impatients, et aucune question n’est posée sur leur maladie. Aucune durée maximale de «traitement créatif» non plus.

O3 / 2O17



PARLE-MOI D’AMOUR, 2016. PHOTO | JEAN-MICHAEL SEMINARO

>

«Ici, il n’y a aucune pression de laisser la place au prochain. Y a des participants pour qui c’est plus long, d’autres moins, et ça fait partie de la magie. On a une base de vieux de la vieille qui sont là depuis des années et ils apaisent les nouveaux! Il n’y a pas de date de fin à nos ateliers, le roulement doit se faire naturellement. Je ne me mets pas la tête dans le sable, tout le monde est dans le rendement en 2017, mais je me bats contre ça», expose Frédéric Palardy. Tout sauf du macramé Pour continuer de financer les ateliers, en plus de l’apport précieux de quelques mécènes privés, Les Impatients comptent sur l’encan annuel où sont mises aux enchères des œuvres d’artistes établis et d’artistes impatients, côte à côte. «Ce que nos participants font, on le considère comme de l’art. On ne donne pas d’atelier de macramé! On possède maintenant la plus grande collection d’art brut au Canada. On la conserve de façon muséale, pas dans des boîtes de carton toutes croches!» s’emballe le directeur général. Et l’accueil du milieu artistique lui donne raison: c’est le Musée d’art contemporain de Montréal qui sera l’hôte du 19e encan Parle-moi d’amour, en plus d’exposer gratuitement plus de 300 œuvres. À cette exposition-encan, tout le monde est traité sur un pied d’égalité. «À côté d’un Chagall, tu trouves un impatient, pis à côté un Stikki Peaches. C’est

un heureux mélange! Toutes les œuvres partent au même prix. C’est traité de façon très professionnelle, on prend soin des œuvres et tous les profits reviennent aux Impatients. C’est impressionnant, il y a des artistes qui ont du mal à payer leur encadrement, mais qui donnent tout à l’organisme. Et un collectionneur nous a donné un Chagall. J’en reviens pas! On est privilégiés avec un grand P.» À la fin de l’exposition-encan, une trentaine d’œuvres sont vendues à la criée, responsabilité assumée cette année par Patrick Masbourian. L’encan ne sert pas qu’à financer les activités de l’organisme: c’est aussi, en quelque sorte, la suite logique des ateliers créatifs. «Tu peux t’imaginer: t’es pas un artiste, t’as des problèmes de santé mentale, ta famille est tannée de voir tes dessins, elle ne sait plus où les mettre, pis du jour au lendemain t’es exposé au MAC avec le who’s who de l’art contemporain!» se réjouit Frédéric Palardy. Et la fierté de voir une mise à côté de son œuvre fait aussi son chemin dans le processus de rétablissement. «Que quelqu’un soit prêt à dépenser pour acheter ce qu’ils font donne aux Impatients le sentiment de contribuer, au lieu d’être un fardeau pour la société.» y Exposition-encan Parle-moi d’amour Musée d’art contemporain de Montréal Du 16 au 29 mars 2017 impatients.ca


60 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

ON ESCALADE LA PYRAMIDE? On a beaucoup parlé de préjugés dans les dernières semaines. De différences, de valeurs. On a relancé le débat sur l’importance de mettre en place notre charte des valeurs. De légiférer rapidement pour promouvoir la laïcité comme valeur commune, comme seule voie possible au vivre-ensemble. La laïcité obligatoire, donc, dans les fonctions de l’État. Parce que nous avons réussi à nous sortir du joug de la religion dans les années 1960 et que nous avons, de ce fait, atterri dans la modernité, tous devraient s’y plier. C’est drôle, parce que quand on fait référence à la modernité, ce qu’on entend le plus comme contreexemples dans les débats se résume en trois mots qui, comme le shish-taouk ou l’agneau vindaloo, ne faisaient pas partie de notre vocabulaire il y a 20 ans: le kirpan, le tchador et la burqa. Je parlais d’affranchissement par rapport à la religion et d’égalité homme-femme. Parce que l’un des arguments le plus souvent cité pour imposer la laïcité est l’asservissement de la femme face à l’homme, le symbole de soumission que représente le tchador. Je parlais le mois dernier d’intégration douce. Selon moi, si le tchador est réellement un signe de soumission et non un choix symbolique ou religieux, mais quand même un choix, il m’apparaît plus sage de compter sur le temps pour que ce bout de tissu disparaisse, qu’il se fasse moins présent, et que l’égalité entre l’homme et la femme soit atteinte. Je me suis longtemps décrit comme un athée, quelqu’un qui ne croyait pas en Dieu ni en l’Église. Mais j’ai depuis révisé ma position. L’athéisme me semble tout aussi dogmatique que bien des religions. Il existe des

intégristes chez les athées qui veulent convertir les croyants en non-croyants. Ça me semble tout aussi dangereux qu’un imam radical ou un chrétien fondamentaliste viscéralement opposé à l’avortement. Je suis maintenant agnostique. M’en fous. Tu veux croire, crois. Tu ne veux pas croire, ben crois pas. Mais respecte que ça me passe 10 pieds par-dessus la tête et essaie pas de me l’enfoncer dans la gorge. Je pense qu’on est une méchante gang comme ça au Québec. Je reviens sur le commentaire très entendu concernant la femme qui n’est pas traitée avec égalité dans la religion musulmane. Je ne vois pas de grandes manifestations et de grands déchirages de chemises reliés à l’impossibilité pour des femmes d’être ordonnées curées chez les catholiques. C’est pas injuste et rétrograde, ça? Comment ça, c’est pas pareil? Prendre en grippe une race, un segment sociodémographique, une ville et ses habitants, c’est laisser nos préjugés nous diriger. On ne se rend même plus compte qu’on les entretient en utilisant des cas d’espèce et en les généralisant. Un Chinois, ça conduit mal, un Polonais c’est toujours saoul, un Marocain, ça va se faire sauter. Dans le temps, quand j’étais plus jeune, un newfie, ben, c’était ça: un newfie. Je me pose la question: d’où viennent ces préjugés, qu’est-ce qui alimente la peur de l’autre, qu’est-ce qui nous rend si bêtes? Je ne suis pas meilleur qu’un autre. J’ai mes propres préjugés qui engendrent des comportements réprimandables. Je ne vais quand même pas vous divulguer tous mes défauts, mais sachez que quand je pense à des individus pour des postes de direction dans mes entreprises ou des conseils d’administration, j’ai encore trop souvent le réflexe de penser à des hommes. Je me


61

> dompte, j’en prends conscience et je dois me donner quelques claques. Heureusement que des initiatives comme l’Effet A m’ont aidé à en prendre conscience. Me suis fait traiter de mononc’ une fois sur Facebook et ça m’a ébranlé. J’y pense encore. J’accuse mon éducation, mes a priori, l’époque qui m’a élevé, les médias vrais et les médias faux. Et je me trouve bon d’en avoir pris conscience et de travailler sur mes préjugés… Mais entre vous et moi, je ne suis pas sorti de l’auberge. Quand je tente de contrer les conséquences de mes préjugés et que j’y arrive tranquillement, je m’aperçois que j’en ai encore plein à régler. Comme la tête de la marmotte sur laquelle on doit cogner dans les jeux forains. Lutter contre ses préjugés, c’est un sport à temps plein. Devenir une meilleure personne, c’est ce à quoi j’aspire. Je vous avoue que ce n’est pas facile tous les jours. Dans la pyramide de Maslow, l’homme atteint le sommet lorsqu’il s’est actualisé. Je ne crois pas qu’ils soient nombreux, les hommes et les femmes, à y être arrivés. Mais je vais vous proposer un petit exercice d’escalade. Prenez un préjugé que vous avez et abordez-le sans a priori, avec une certaine ouverture d’esprit. Gardez-le pour vous, pas besoin de le dire à quiconque. Vous n’en avez pas? Vraiment? À part que les Arabes ont comme mission de nous convertir à l’islam et de nous faire obéir à la charia, rien d’autre? Ne pensezvous pas que la ville de Québec est pleine de fonctionnaires qui se plaignent le ventre plein, que les gays couraillent 10 fois plus que nous, que les pauvres sont gras dur et veulent juste rester sur le BS? OK, ces préjugés-là sont gros. Mais: je n’habiterais jamais en Ontario, j’irai jamais manger à Repentigny, je fais plus attention dans les stationnements des centres d’achat à Laval. Et que dire des conducteurs de Honda Civic rouges qui ont tous des casquettes… Ces préjugés sont un peu plus proprets. Forcez-vous, je suis sûr que vous allez en trouver quelques-uns.

Pour une vaste sélection de bières artisanales fabriquées dans les règles de l’art par une équipe d’experts chevronnés Bar complet et menu réconfortant

On a tous des préjugés et nous allons passer notre vie à les renforcer ou les éliminer. Bashung disait: «J’ai dans mes bottes des montagnes de questions.» Monter plus haut dans la pyramide implique de trouver des réponses, et d’éliminer nos préjugés. Prenez donc votre préjugé soigneusement choisi et faites un effort. Lisez, visitez, rencontrez, visionnez. Faites comme si vous vous donniez comme mission de faire une thérapie pour l’éliminer, vous en débarrasser. De mon côté, je vais profiter du congé scolaire pour m’attaquer à deux petits préjugés que j’ai. D’abord, je vais m’ouvrir à l’Ontario. Je ne connais pas mes voisins et, franchement, je trouve que c’est bête. Ensuite, je vais tenter de comprendre pourquoi quelqu’un peut adhérer au libertarisme. Finalement, j’irai peut-être manger à Repentigny, si vous insistez... Je ne vous promets pas de réussir à y arriver. Mais ne jugeons jamais un homme avant d’avoir marché un mille dans ses souliers. Bon repos. y

1485, rue Ottawa Montréal 514.788.4500 ext. 227 775, rue Berri Montréal 514.788.4500 ext. 310

brasseurdemontreal.com


62

QUOI FAIRE

PHOTO | DANIEL BÉLANGER

MUSIQUE

<

DANIEL BÉLANGER

REGINA SPEKTOR

DEVENDRA BANHART

M É T R O P O L I S – 30 M A R S

MÉTROPOLIS – 5 MARS

M É T R O P O L I S – 10 M A R S

À la surprise générale, le grand compositeur québécois lançait en novembre un nouvel album, Paloma. Dans ces pages, il nous avait expliqué à quel point il avait repris goût à la tournée. Le revoici donc en forme et heureux sur les planches montréalaises avec de nouvelles chansons fort bien ficelées, émotives et accrocheuses.

La chanteuse, pianiste et guitariste américaine d’origine russe Regina Spektor présentera en ville un nouveau spectacle pour notre plus grand bonheur. Remember Us to Life est le titre de son plus récent album, sorti à l’automne 2016. Elle poursuit sa grande maîtrise de la pop baroque et nous envoûte totalement. Soirée magique en vue.

Le chanteur américano-vénézuélien revient en ville avec la douceur et la chaleur de sa pop minimaliste et sa voix si délicate. Sa tournée nord-américaine le mènera au Métropolis ce mois-ci. Ce sera l’occasion de renouer avec son plus récent album, Ape in Pink Marble, sorti en septembre dernier.


63 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O3

MANU MILITARI

DINOSAUR JR.

CLUB SODA – 11 MARS

T H É ÂT R E C O R O N A V I R G I N M O B I L E - 9 M A R S

Encore aujourd’hui, Manu Militari est l’un des rappeurs les plus populaires au Québec, comme en témoignent ses impressionnants chiffres de vente maintenus album après album. Pour souligner sa faste carrière (et les 10 ans de son classique Voix de fait), l’artiste de Côte-des-Neiges offrira un spectacle au Club Soda, entouré de ses alliés DJ Skorpyon, OTT et Rime Organisé.

Sept ans après son passage au Club Soda, le trio rock du Massachusetts revient à Montréal le temps d’un spectacle attendu, en lien avec la sortie de son 11e album studio, Give a Glimpse of What Yer Not. Comme d’habitude, l’unique J Mascis montera au maximum le volume de sa guitare électrique, s’assurant ainsi de donner de potentielles otites aux fans.

O3 / 2O17

LES DEUXLUXES

SALON DU DISQUE ET DES ARTS UNDERGROUND

T H É ÂT R E FA I R M O U N T – 1 E R AV R I L

É G L I S E S A I N T-D E N I S – 18 E T 1 9 M A R S

L’électrique et sensuel duo Les Deuxluxes est de retour sur les planches montréalaises après une tournée en Amérique du Sud cet hiver. Anna Frances Meyer (voix, guitare) et Étienne Barry (batterie, guitare et voix) proposaient à l’automne dernier un premier album complet qui brasse la cage bien comme il faut, Springtime Devil. Vive le rock’n’roll!

Après huit ans d’existence, on peut dire que le Salon du disque et des arts underground est maintenant bien établi à Montréal. Ça se poursuit le temps d’un week-end dans le sous-sol de l’église coin Rivard et Laurier. C’est l’heure de faire le plein de disques ou de vinyles, de romans, de BD, de zines, de bijoux, de vêtements et d’art local de toute sorte.

>

PHOTO | JOHN LONDOÑO


64 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

PHOTO | AUDREY CANUEL

<

CHOCOLAT T H É ÂT R E FA I R M O U N T – 30 M A R S

Après avoir rencontré LooLoo, mystérieux personnage du troisième type au centre du concept décalé de leur troisième album, les acolytes de Chocolat s’apprêtent à faire vibrer le Mile-End avec leurs guitares hard rock et leurs synthés psychédéliques. Hunt chantera les louanges de Mars et du coke aux cerises avec sa prestance aussi charismatique que nonchalante.


VINCE STAPLES T H É ÂT R E C O R O N A – 25 M A R S

Celui qui avait tout donné lors de son passage au Belmont à l’automne 2015 revient ici pour un autre spectacle. Le rappeur de Long Beach viendra cette fois présenter les chansons de son plus récent EP, Prima Donna, ainsi que plusieurs nouvelles pièces. Il y a toutefois fort à parier que ce sont les succès de son chef-d’œuvre Summertime ’06 qui auront le plus d’impact.

HAMZA LE BELMONT – 4 MARS

De passage aux FrancoFolies l’été dernier, la sensation rap belge Hamza continue de faire son chemin partout dans la francophonie. Avec son flow détendu, ses paroles crues et ses beats accrocheurs, Hamza ne laisse personne indifférent. Au Belmont, il sera notamment accompagné par le rappeur lillois Amima et le Montréalais Jah Maaz du talentueux groupe local LaF.

<


HAR UTERIE

fruits et légumes c h a rc u t e r i e s f ro m a g e s boulangerie boucherie

PHOTO | SHAYNE LAVERDIÈRE

<

ATTENTAT T H É ÂT R E D E Q U AT ’ S O U S – 4 M A R S

Attentat, ce sont une trentaine de poèmes assemblés signés par Jean-Paul Daoust, Gaston Miron ou encore Evelyne de la Chenelière. Ces mots mis en scène dressent un portrait du Québec, de son identité, de ses habitants, de sa culture... Une création de 2014 reprise dans le cadre de la résidence d’artiste de Véronique Côté.

AVANT-GARDE E S PA C E G O – 2 9 M A R S

La pièce est signée par l’Allemande Marieluise Fleisser, ex-compagne du célèbre écrivain et dramaturge Bertolt Brecht. Dans cette mise en scène de Denis Marleau, les comédiens Dominique Quesnel et Jérôme Minière nous plongent dans la relation de ce couple d’auteurs, dans l’histoire de cette femme qui a dû fuir l’ombre de Brecht pour pouvoir s’épanouir.

5733, boulevard Léger, Montréal www.charcuterienoel.com


67 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN

LA VIE LITTÉRAIRE

E S PA C E G O – 29 M A R S

T H É ÂT R E L A C H A P E L L E – 30 M A R S

Alain Farah et Patrice Dubois se sont inspirés du scénario de Denys Arcand pour adapter le film sur les planches. Une pièce soutenue par un beau casting: Sandrine Bisson, Éveline Gélinas, Alexandre Goyette, Simon Lacroix... Trente ans après le film-événement, un groupe de quarantenaires se plonge dans des questionnements existentiels.

Si Mathieu Arsenault est un habitué des lectures publiques et des micros ouverts de la scène littéraire depuis une dizaine d’années, cette pièce est la première occasion de le voir s’essayer au théâtre. Dans un long monologue, La vie littéraire parle aussi bien de l’industrie culturelle québécoise que de la question de la consommation.

IRÈNE SUR MARS

MONSIEUR IBRAHIM ET LES FLEURS DU CORAN

C E N T R E D U T H É ÂT R E D ’ A U J O U R D ’ H U I – 15 M A R S

T H É ÂT R E D U N O U V E A U M O N D E – 2 2 M A R S

Alors que son fils veut la placer dans une résidence pour personnes âgées, Irène s’inscrit à un projet de colonisation de la planète Mars. Pour fêter son acceptation dans le programme, elle organise une fête qui se déroulera de façon plutôt incongrue... Une pièce drôle qui parle de communication et d’âge, signée Jean-Philippe Lehoux.

Après avoir présenté son spectacle à travers tout le Québec, Eric-Emmanuel Schmitt s’arrête sur la scène du TNM, remplaçant au pied levé André Dussollier et son Novecento annulé pour raisons de santé. Seul en scène, le célèbre auteur français déclame son propre texte, une ode à la tolérance entre les religions.


68 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

T2 – TRAINSPOTTING 2 EN SALLE LE 31 MARS

Vingt ans après les événements du premier film, Mark Renton revient à la maison. Les vieux amis sont toujours là: Spud, Sick Boy, Begbie. D’autres anciennes connaissances y sont toujours: chagrin, perte, joie, vengeance, haine, amitié, amour, diamorphine, autodestruction et danger mortel sont prêts à entrer dans la danse.

BEAUTY AND THE BEAST E N S A L L E L E 17 M A R S

Le classique d’animation de Disney prend une toute nouvelle couleur dans cette refonte moderne. Un jeune prince, emprisonné dans le corps d’une bête, ne peut être sauvé de son triste sort que par une seule chose: un amour sincère. Sa chance semble tourner lorsqu’il rencontre Belle, la première femme à pénétrer son château depuis qu’il a été ensorcelé.

>


<

T2 โ TRAINSPOTTING 2

-&4 %*."/$)&4 &5 -6/%*4 OPT UBSUBSFT TPOU ยน FU OPT GJTI DIJQT TPOU ยน (SBOE DIPJY EF CJร SFT EF NJDSPCSBTTFSJFT 0OUBSJP &TU .POUSร BM p p CJTUSPMBDFSWPJTF DPN


70

.UL BESOIN DE VOYAGER EN )TALIE POUR TROUVER UN AUTHENTIQUE PASTIFICIO

IL SUFFIT DE SE RENDRE AU

-ARCHĂ? *EAN 4ALON <

GHOST IN THE SHELL EN SALLE LE 31 MARS

InspirĂŠ de la sĂŠrie d’animation japonaise du mĂŞme nom, ce film met en scène Major, une crĂŠature cyborg-humain unique au monde qui dirige l’escouade tactique Section 9. Ayant pour tâche de stopper les criminels et terroristes les plus dangereux au monde, Section 9 se retrouve face Ă un ennemi qui dĂŠsire dĂŠtruire tout l’avancement fait dans le domaine cybernĂŠtique par Hanka Robotics.

LES OUBLIÉS E N S A L L E L E 10 M A R S

Cette collaboration entre l’Allemagne et le Danemark dĂŠpeint un très sombre ĂŠpisode de l’histoire danoise. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un groupe de prisonniers allemands formĂŠ d’adolescents est affectĂŠ au dĂŠminage des plages danoises, au pĂŠril de leur vie.Â

0ASTIFICIO 3ACCHETTO -ARCHĂ? *EAN 4ALON AVENUE (ENRI *ULIEN -ONTRĂ?AL s WWW PASTIFICIO CA


71 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O3

O3 / 2O17

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM POUR ENFANTS DE MONTRÉAL CINÉMA BEAUBIEN – 4 AU 12 MARS

Pour sa 20e édition, le FIFEM aura comme marraine d’honneur la comédienne Noémie Yelle. On prévoit «une programmation haute en couleur» avec, notamment, le film Le cœur en braille du réalisateur et acteur français Michel Boujenah en ouverture. En clôture, le film Primaire, réalisé par Hélène Angel, sera présenté en première nord-américaine.

LES DÉTECTIVES DE LA PATAPHYSIQUE C I N É M AT H È Q U E Q U É B É C O I S E – 10 M A R S A U 2 AV R I L

Le collectif montréalais Clyde Henry Productions (formé des réalisateurs Chris Lavis et Maciek Szczerbowski) fabrique «des mondes à la fois étranges et invitants». Cette expo regroupe plus de 60 œuvres, pièces et extraits vidéo inédits créés par ceux à qui on doit des films singuliers comme Madame Tutli-Putli et des œuvres de commande pour Arcade Fire et Patrick Watson. >

CLYDE HENRY PRODUCTIONS



73

i

- BNCJBODF MF DPOGPSU MF TFSWJDF FU MB TĂ„MFDUJPO EFT QMBUT TPOU VO BSU RVJ WB BV EFMĂ€ EF M BTTJFUUF

w

<

LOGAN EN SALLE LE 3 MARS

Dans un futur rapprochĂŠ, un Logan ĂŠpuisĂŠ prend soin du Professeur X, lui-mĂŞme souffrant, dans un repaire camouflĂŠÂ près de la frontière mexicaine. Mais ses efforts pour se cacher du monde et de son passĂŠ sanglant se rĂŠvèlent vains lorsqu’une jeune mutante apparaĂŽt, poursuivie par des forces sombres.

RÉPARER LES VIVANTS E N S A L L E L E 10 M A R S

Trois jeunes surfeurs affrontent une mer dĂŠchaĂŽnĂŠe. Sur le chemin du retour, un grave accident survient. L’un des adolescents, Simon, n’est maintenu en vie que grâce Ă l’aide de nombreuses machines dans un hĂ´pital du Havre. Au mĂŞme instant, Ă Paris, une femme attend une greffe qui pourrait lui sauver la vie.

KONG – SKULL ISLAND E N S A L L E L E 10 M A R S

Dans cette prĂŠquelle de l’histoire bien connue de King Kong, une ĂŠquipe d’explorateurs et de soldats mettent le cap sur une ĂŽle inconnue du pacifique. Ce qu’ils sont loin de se douter, c’est que celle-ci est peuplĂŠe d’animaux monstrueux et gigantesques.Â

SVF 4IFSCSPPLF 0VFTU .POUSĂ„BM 2VĂ„CFD

CSBO[JOP DB


74

PHOTO | COURTOISIE MUSÉE McCORD, BIBLIOTHÈQ UE ET ARCHIVES CANADA

<

25$

0/5,%4 %.4)%2

MODE EXPO 67

DÊ ½>V >ÌÊ`½Õ iÊL ÕÌi i `iÊÛ Ê>«ÀmÃÊÓ£

Cette exposition propose «un saut dans l’univers d’Expo 67». Pour l’occasion, plus de 60 costumes, des uniformes d’hôtesses de différents pavillons, des vêtements de designers québécois et des produits de la mode canadienne d’antan (chapeaux, gants, parapluies, fourrure) seront rassemblés, au même titre que des croquis, des photos, des vidéos et des témoignages d’époque.

M U S É E M C C O R D - 17 M A R S A U 1 E R O C T O B R E

É(E)S – EXPOSITION C E N T R E C U LT U R E L G E O R G E S -VA N I E R - J U S Q U ’ A U 17 M A R S

Accompagnée par 12 illustratrices montréalaises, qui proviennent de plusieurs domaines comme le graffiti, le design graphique et le tatouage, l’auteure Garance Philippe propose une exposition éclectique qui met en image ses écrits. Au total, ce sont 24 œuvres (deux par illustratrice) qui rendent hommage «à la puissance de l’association créative au féminin».

TERESA MARGOLLES: MUNDOS MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL – JUSQU’AU 14 MAI

ÎÇÎ{ÊÀÕiÊ ÌÀi > iÊ"ÕiÃÌ ÌÀj>

x£{ÊÎäÎ äÇÇÇ ÎÇÎ{°V>

L’artiste conceptuelle mexicaine Teresa Margolles fait sa marque depuis une trentaine d’années en développant «une pratique en réaction à la violence endémique qui ravage son pays (narcotrafic et morts violentes qui en découlent, marginalités et exclusions, féminicides et injustices sociales)». Dans Mundos, on pourra voir des sculptures, des photos, des interventions performatives et des projections vidéo.



Ma ville, mon Téo

Utilisez ce code promo VoirTeo Recevez 15$ de crédit applicable sur votre première course en Téo

PP 40010891

Taxi 100% électrique, wi-fi et tablette numérique à bord, service à YUL Application disponible sur teomtl.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.