Magazine Voir Québec V02 #05 | Mai 2017

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QUÉBEC VO2 #O5 | MAI 2O17 ISABELLE BOULAY PHILIPPE B MAC DEMARCO CARREFOUR INTERNATIONAL DE THÉÂTRE / WE LOVE ARABS CLÉMENCE DESROCHERS LE SON AU CINÉMA LE RETOUR DE TWIN PEAKS CUISINE AU CORPS PROJET BBQ MYRIAM DION DOMINIQUE PÉTRIN

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SOPHIE CADIEUX



UNE PETITE PENSÉE POUR MAMAN !

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O2 O5 QUÉBEC | MAI 2017

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ENTRE UNE SÉRIE TÉLÉ ET DE LA MISE EN SCÈNE, SOPHIE CADIEUX REPLONGE AU THÉÂTRE DANS LES MOTS DE NELLY ARCAN. PORTRAIT D’UNE INFATIGABLE TOUCHE-À-TOUT. Photo | Jocelyn Michel (Consulat) Assistant | Renaud Lafrenière Maquillage et coiffure | Marianne Caron Production | Sébastien Boyer

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SCÈNE

Carrefour international de théâtre: We Love Arabs + nos suggestions Clémence DesRochers

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MUSIQUE

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CINÉMA

Isabelle Boulay Mac DeMarco Philippe B

Le son au cinéma Le retour de Twin Peaks

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ART DE VIVRE

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LIVRES

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

Cuisine au corps Projet BBQ

Inhumaines Taqawan Les adieux

Dominique Pétrin Myriam Dion

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p20) Monique Giroux (p32) Normand Baillargeon (p40) Alexandre Taillefer (p58)


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VO2 #O5

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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

CONFESSION SYSTÉMIQUE Lorsque j’étais petit, dans ce Québec encore assez catholique pour aller à la messe, le curé de la paroisse venait nous visiter à l’école pour nous initier aux grandes étapes de la vie. C’était il y a mille ans, juste avant les milléniaux. Il y avait la première communion, la confirmation et, en chemin, je ne me souviens plus trop quand précisément, il y avait la confession, le sacrement du pardon qu’il fallait périodiquement recommencer. On ne s’en sortait jamais, il fallait irrémédiablement y retourner. On nous y préparait. Un soir donné, tous ensemble, on se retrouvait à l’église, serrés dans nos manteaux, pour faire la file afin d’aller confesser nos péchés. On ne savait pas trop quoi aller raconter. Peu importe, il fallait trouver quelque chose, sinon c’était louche. Je me souviens d’avoir raconté, pour m’en sortir, que j’avais menti à ma mère pour une connerie et que j’avais traité de gros un gros, qui était effectivement gros, dans la cour de récréation. C’était mal, sans aucun doute, mais dans les ruelles, à l’époque, il fallait choisir ses armes. Moi, j’étais moyen et je devais me défendre. Mon finger, c’était mon doigt le plus musclé. On fait avec ce qu’on peut. On répétait l’exercice tous les mois et, chaque fois, il fallait absolument trouver ce qu’on avait fait de mal pour se faire pardonner. À la longue, on ne sait plus trop quoi inventer. Il faut fouiller très loin et savoir improviser pour être sauvé. Je veux dire, à 12 ans, vous savez, le péché, c’est assez tranquille.

Mais, anyway, le même trouble m’envahit, avec la même exclamation teintée de découragement: «Ah non, pas encore!» À multiplier les examens de conscience, on a l’impression de se retrouver en situation de psychanalyse permanente. Avons-nous vraiment besoin, au Québec, d’un autre tour de manège, d’une grande conversation nationale où chacun ira se gratter la plaie de la faute et de la souffrance en attendant la rédemption? Devons-nous encore une fois dresser la liste des recommandations qui iront dormir au cimetière des bonnes intentions? Ça fait plus de 10 ans que le rapport Bouchard-Taylor dort sur une tablette, ou demeure couché sur le divan, devrais-je dire. On a pu dire bien des choses sur ce rapport, mais si on s’attarde à le lire, il est difficile de ne pas voir qu’au chapitre des vœux pieux, on retrouve toutes les grandes lignes de ce qui semble nous préoccuper de manière urgente aujourd’hui: apprentissage de la diversité, promotion d’un cadre civique commun, intégration des immigrants et tant de choses encore.

J’avais oublié ces moments de malaises inutiles enfouis dans mes souvenirs de jeunesse jusqu’à ce que le gouvernement annonce la tenue d’un grand rite de purification: une ronde de consultations sur le racisme et la discrimination systémique.

À ce rapport, aboutissement d’un long psychodrame dont nous tentions de sortir, s’ajoutent bien d’autres initiatives du même ordre: publications de divers conseils et organismes concernés par ces questions, études, chiffres et statistiques sur l’emploi, sur la judiciarisation, sur l’accès à l’éducation. Du côté des Premières Nations, nous avons en main depuis décembre 2015 le rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Je pourrais remplir tout un magazine à dresser la liste de tout ce qui s’est dit et qu’on a promis de se dire depuis le début du millénaire, et encore, je manquerais d’espace.

J’ai eu le même réflexe que lors de ces longues soirées plates à l’église: «Mais que pourrais-je encore aller raconter que je n’ai pas déjà dit? Est-ce donc moi qui dois être sauvé, ou bien le curé qui se cherche une manière de justifier son autorité?»

S’il y a quelque chose de systémique en ce pays, c’est bien cette manie malsaine de se poser toujours les mêmes questions avec des mots différents en faisant chaque fois des têtes d’étonnés, convaincus d’avoir mis la main sur une trouvaille inédite.


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J’aimerais proposer un grand chantier. Je souhaiterais qu’on fasse une commission là-dessus. Une commission sur l’oubli et l’ignorance systémiques, sur les recommandations systémiques, les rapports systémiques, sur notre lente agonie, notre noyade systémique dans toutes ces pages passées à la déchiqueteuse de notre inconscience collective, systémique elle aussi, bien entendu. Le plus dérangeant, dans cet exercice, c’est de voir des intervenants sauter à pieds joints dans cette manigance qui a tous les aspects d’une entourloupette électoraliste. C’est gros et coloré comme un ballon de plage. À moins d’être aveuglés par le soleil, vous ne pouvez pas le manquer. Alors que le Parti québécois tente de se refaire un semblant de réputation en lançant aux oubliettes son projet de charte et la désastreuse campagne de relations publiques qui l’accompagnait, on imagine bien Philippe Couillard distiller une nouvelle formule, se posant la question qui englobe tous les mystères de la foi électorale: «Comment remettre à l’ordre du jour, subtilement, quelques gros mots qui font peur afin de bien marquer les esprits? Rien de plus facile… Proposons une grande réflexion collective sur le racisme et la discrimination et voyons comment le Lisée nouveau se débrouillera avec ce fromage.»

Cette idée de consultation est au Parti libéral ce que la Charte était au Parti québécois: un plan de politique de la division qui sert moins à trouver des solutions qu’à exposer les travers d’un adversaire politique. Il s’agit de gagner du temps sur fond de réclame publicitaire, en espérant que la colère trouve écho dans les urnes. Nous avons assez joué dans ce film pour en connaître le scénario et le dénouement. Ça ne manquera pas. D’ici quelques mois, dans ces sillons de la polarisation, nous récolterons de gros légumes. Loin de régler quoi que ce soit, ce projet d’ausculter encore une fois les travers de notre société ne fera qu’allonger la prescription déjà longue. On ne guérit rien, on entretient. Le curé qui recommandait de faire des chapelets pour se faire pardonner savait bien qu’avec de tels conseils, il n’éradiquait pas le mal du monde, il vendait de la fidélité. Le péché, c’était, en somme, son fonds de commerce. Le mal, comme on le voit, était déjà là, systémique. y sjodoin@voir.ca



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VO2 #O5

SOPHIE CADIEUX: LA FUREUR DE JOUER

Entre une série télé et de la mise en scène, la comédienne replonge au théâtre dans les mots de Nelly Arcan. Portrait d’une infatigable touche-à-tout. MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

C’est Vanessa de Watatatow, Clara de Rumeur, ou encore Sylvie dans Les Lavigueur… Sans compter tous ses rôles au théâtre. Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2001, Sophie Cadieux est très présente sur l’écran et sur les planches. Dans son agenda qui ne désemplit pas figurent notamment le Festival TransAmériques à Montréal et le Carrefour international de théâtre à Québec, qui donnent leur coup d’envoi le 25 mai. Les deux festivals ont programmé une reprise de La fureur de ce que je pense, le spectacle de Marie Brassard inspiré de textes de Nelly Arcan.

Autre reprise au programme, celle Des arbres à l’automne, à La Petite Licorne à Montréal puis au Théâtre Périscope de Québec. Sophie Cadieux y incarne avec Maxime Denommée un couple qui se cherche autour de la parentalité, dans une pièce poignante qui avait connu un joli succès lors de sa création il y a un an. «J’adore reprendre des pièces. C’est comme reprendre avec un ancien amant… ou reprendre le vélo. Ça revient vite!», rit la comédienne. «En tant qu’interprète, on y va comme un retour sur soi. On regarde aussi le spectacle un peu plus de l’extérieur, car on n’est jamais la même personne.»

La pièce, dans laquelle Sophie Cadieux incarne l’une des facettes de la femme selon Arcan, a été développée en 2013 à partir d’une idée de la comédienne, alors en résidence à l’Espace Go: «Je cherchais un projet qui allait me correspondre. Je voulais faire entendre sa voix sans forcément la rattacher à son corps, et synchroniser ses différentes images de la femme.» Sophie Cadieux est fascinée par Arcan, qui arrive à nommer la laideur qui nous habite, car elle a mis le doigt sur quelque chose qui la touche: la dualité entre ce qu’on doit être ou ce qu’on voudrait être, et ce qu’on est. «Chez moi, il y a cette simplicité que j’ai assumée toute ma vie, mais j’aurais peutêtre aimé être celle qui fait tourner les têtes… Arcan, c’est la voix qui me trouble le plus.»

«Il y a quelque chose de plus assis en moi» Et il y a les nouveaux rôles, comme celui de Valérie dans la série Lâcher prise, qu’on a pu découvrir à la télé en janvier. Sophie Cadieux incarne une mère divorcée au bord de la crise de nerfs. Un rôle sur le fil que celui de cette femme forte et fragile à la fois, comme celle(s) d’Arcan: «Des femmes comme dans La fureur m’intéressent, car ce sont des personnages ou des univers assez loin de ma nature première, mais qui exercent une fascination, un mystère par leur noirceur et leur abattement. Ces femmes me touchent tellement que je vibre quand je les aborde. La fragilité et la vulnérabilité en moi sortent pour les nourrir…»

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VO2 #O5

> Sophie Cadieux continue d’évoluer au fil de ses personnages. C’est que, longtemps, elle a campé des jeunes femmes, victime du syndrome de la petite fille dû notamment à son timbre un brin enfantin, au côté jeune et pétillant qu’on lui associe souvent. «Avant, j’essayais de me détacher de cette facette. Maintenant ça ne me dérange plus, car il y a quelque chose de plus assis en moi. Oui, j’ai joué énormément de jeunes filles, mais ça donne ce que je suis aujourd’hui. Si vieillir comporte des deuils, il y a aussi plein de nouveaux rôles qui s’offrent à moi.» Et de nouvelles opportunités, comme la mise en scène, à laquelle Sophie Cadieux s’est essayée en 2014 avec Tu iras la chercher, de Guillaume Corbeil. Un passage qui s’est fait très naturellement: «J’avais commencé à travailler cette pièce en tant qu’interprète. Pour continuer à réinventer mon rapport au texte, il fallait que je passe de l’autre côté de la table. J’aime beaucoup la photo, l’art visuel, et c’est comme si la mise en scène devenait une mise en forme, une transposition dans le réel de mon monde intérieur... C’est un vrai complément à mon métier d’actrice.» Cette année, elle a dirigé deux comédiennes dans Gamète, et travaille sur le prochain spectacle de Pierre Lapointe, Amours, délices et orgues. «Avec Pierre, c’est un peu différent. C’est un créateur foisonnant avec plein d’idées; je suis plutôt une accoucheuse pour lui, une sorte de guide.» Corps électrique Comédienne touche-à-tout, Sophie Cadieux est à la télé comme au théâtre. «Ce sont des formes différentes mais qui ont la même source. J’ai une énergie vitale plus théâtrale, je suis vraiment un corps électrique. Mais la télé me fait concentrer cette énergie-là pour qu’elle sorte d’une autre façon…» Une énergie qu’elle met aussi sur les plateaux télé dans Les dieux de la danse ou comme collaboratrice au Club de lecture de Bazzo.tv: «On a cette culture au Québec de faire un peu de tout, et c’est un petit milieu. Moi, ça ne me dérange pas de voir un comédien à la télé puis de l’entendre à la radio; c’est l’entièreté de la personne qui m’intéresse.» Si sa vie professionnelle est prenante, l’actrice a vu sa vie personnelle chamboulée récemment par l’arrivée de son premier enfant. L’influence de la maternité sur son métier? «Je suis habitée par les mêmes thèmes aujourd’hui. Être mère ne définit pas la créatrice que je suis. Ce que ça change, c’est que je dois trouver une gardienne six soirs par semaine quand je joue», rit-elle. Car son conjoint, le comédien Mani Soleymanlou, multiplie aussi les projets de son côté. Mais le couple a trouvé l’équilibre: «La plupart du temps, on ne sait pas ce

SOPHIE CADIEUX ET MAXIME DENOMMÉE PHOTO | ROLLINE LAPORTE

que l’autre fait. On a conservé cet espace intime de création. Par exemple, je n’avais aucune idée de ce que serait sa dernière pièce avant d’aller la voir!» Une carrière remplie pour la comédienne qui, lors de sa jeunesse à Laval, se serait plutôt vue professeure de littérature. Aujourd’hui, la lecture reste pour elle «le plus bel exutoire du monde»: «Fermer un livre et avoir vécu une vie, je trouve ça très beau…» Mais elle ne regrette pas du tout son choix de carrière, influencé par la découverte de l’impro au cégep. «Je crois que j’aurais capoté derrière un bureau. Le théâtre est une façon de mettre en forme mon plaisir de la littérature, c’est ma passion des mots qui prend corps. Être sur scène, c’est donner, donner, donner, puis sortir en étant énergisé. Il y a quelque chose d’incroyablement grisant à ça…» y La fureur de ce que je pense Le 31 mai au Grand Théâtre de Québec (Dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec) Des arbres Du 31 octobre au 11 novembre au Théâtre Périscope

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MOTS | ALESSANDRA RIGANO

PHOTO | GADI DAGON


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«Je souhaitais faire une parodie de l’art engagé et non pas une pièce engagée.» Hillel Kogan a travaillé pendant 11 ans auprès de la compagnie de renommée internationale Batsheva Dance Company en tant que directeur de répétition. Il a récemment quitté ses principales fonctions afin de se concentrer sur la création. Dans We Love Arabs, il joue son propre rôle, celui d’un chorégraphe juif israélien qui élabore une pièce sur l’identité et ce qui la définit, et cela, tout en mouvement à travers une relation satirique entre un créateur et un danseur arabe, Adi Boutrous. «Parfois, je sens que l’espace est positif; parfois, je le sens négatif […]. L’espace négatif ne m’appartient pas. Je sens que cet espace appartient à un Arabe […].» Cet extrait donne le ton, entre l’humour et la satire, qui définit la signature du chorégraphe. «C’était l’occasion de parler du processus de création, de la relation de pouvoir qui existe entre un danseur et un chorégraphe, un patron et son employé. D’une certaine façon, c’est la réalité politique ou ethnique en Israël et ailleurs; entre Blancs et Noirs, entre chrétiens, Juifs et Arabes; c’est le regard que pose l’Occident sur l’Orient. Tous ces motifs sont en fait une excuse pour parler de danse et non l’inverse.» C’était également une occasion pour Hillel Kogan d’interroger l’art engagé; comment il est possible d’intégrer un discours politique ou social à travers la danse, une discipline qui est habituellement silencieuse. Dans cette pièce, présentée la première fois en 2013, le chorégraphe parle sans arrêt à l’interprète et le guide pour donner un sens aux mouvements abstraits qu’il exécute. «Je soulève des interrogations que plusieurs spectateurs se posent: quelle est la signification de ce qui est présenté? Certains ne comprennent pas ce qu’ils voient et se sentent embarrassés. Ce sentiment existe du point de vue de l’observateur et de l’artiste.» Hillel Kogan a créé ce spectacle en 2013, dans le cadre d’un festival israélien qui proposait aux artistes de concevoir une pièce sur la vie quotidienne et sur ce que la danse pourrait apporter au public. «Je souhaitais prouver de façon ironique que la danse avait le pouvoir de promouvoir la paix entre Juifs et Arabes, un sujet chaud pour la société israélienne.» À cette époque, le chorégraphe s’interrogeait notamment sur la notion d’identité et comment celle-ci était perçue à travers le mouvement. C’est peutêtre cette réflexion qui rend la pièce engagée, même si elle n’en a pas la prétention. «Comment définiton un individu, quel est notre système d’identification, comment créons-nous une hiérarchie entre les différentes ethnies? Quel est le stéréotype d’un mouvement, d’une ethnie et d’une identité? […] We Love Arabs interroge la façon dont on perçoit les

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Arabes, nous, la majorité blanche, juive ou israélienne. Adi, le danseur qui m’accompagne, appartient à la minorité. Nous avons les mêmes droits et le même statut civil, mais nous sommes différents: d’où viennent ces différences? C’est la question que je pose et la recherche que je mets de l’avant dans la pièce, sans donner de réponse.» Quand on lui demande si la responsabilité de soulever de tels débats relève de celle d’un artiste, Hillel Kogan est catégorique: «Non, je pense que le citoyen, celui qui a droit de vote, détient cette responsabilité, beaucoup plus que l’artiste. Les politiciens qui ont été élus aussi.» Selon lui, l’art ne peut prétendre inciter un spectateur à changer de vision politique ou morale. Il peut, au mieux, mettre en

«COMMENT DÉFINIT-ON UN INDIVIDU, QUEL EST NOTRE SYSTÈME D’IDENTIFICATION, COMMENT CRÉONSNOUS UNE HIÉRARCHIE ENTRE LES DIFFÉRENTES ETHNIES?» lumière un enjeu. «Dans cette approche, le créateur peut avoir un impact. Lorsque Picasso a commencé à déconstruire le visage des femmes, il a permis aux gens de voir la femme et la peinture différemment, de voir le monde dans une autre perspective.» We Love Arabs a déjà été présenté dans plusieurs pays, entre autres en France, en Allemagne et en Italie. «Ailleurs dans le monde, les gens pensent que la pièce porte sur la relation entre Juifs et Arabes en Israël. Ce n’est qu’après avoir vu le spectacle qu’ils réalisent que le propos s’adresse à eux directement, qu’il est universel.» Hillel Kogan est un libre penseur qui, comme de nombreux artistes, veut «abattre des frontières». y Les 30 et 31 mai au Théâtre de la Bordée


ALEXANDRE FECTEAU, PHOTO | JASMIN ROBITAILLE

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OÙ TU VAS QUAND TU DORS EN MARCHANT...? Un an après avoir animé la même Haute-Ville, mais pour les célébrations entourant l’inauguration du pavillon Pierre Lassonde, voilà que le brillant Alexandre Fecteau prend les rênes du populaire parcours déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant…?. Un incontournable ultime du calendrier culturel local, une célébration baroque qui sublime la ville et fait courir des foules de tous acabits – néophytes et touristes compris. Entouré de concepteurs triés sur le volet, Fecteau saupoudre une grosse pincée d’audace sur la si strictement sérieuse colline Parlementaire. Un secteur de contrastes rejoint par les fêtards sur Grande Allée à la nuit tombée, un sous-quartier à cheval entre Saint-Jean-Baptiste et Montcalm où siègent nos élus en mode 9 à 5. Élène Pearson et Marie-Josée Bastien maquillent justement les jardins, la cour de l’Assemblée nationale pour deux tableaux: Le 7e continent et Les nervures secrètes. Maxime Robin et Sophie Thibault, collaborateurs récurrents de Fecteau, notamment dans La date et Le NoShow, façonnent également cette cinquième mouture. C’est eux qui donnent un Mouvement perpétuel sur la toujours très venteuse promenade des Premiers-Ministres, sise en bordure du boulevard RenéLévesque. «Un hymne à la vie», promettent-ils, «inspiré de la métaphore des quatre saisons». Le réputé Christian Lapointe (La souricière) et l’artiste visuelle Giorgia Volpe (La grande manufacture) complètent la brochette d’architectes de l’éphémère. Une création collective à grand déploiement à voir gratuitement tous les jeudis, vendredis et samedis soir, du 25 mai au 10 juin 2017. (C. G.) y


PATRICE DUBOIS ET ALAIN FARAH, PHOTO | JEAN-FRANÇOIS BRIÈRE

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LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN Une adaptation théâtrale drôle, presque dansée par moment et formidablement intense. En s’attaquant au classique, avouons-le, un tantinet démodé de Denys Arcand, Patrice Dubois (aussi à la mise en scène) et Alain Farah se permettent d’actualiser légèrement les textes pour que les thèmes d’origine résonnent encore plus chez les spectateurs de 2017 et même chez les milléniaux. Le résultat est saisissant et touchant, le propos vient chatouiller une corde sensible à l’ère des applications de rencontres (une réplique évoque même Tinder) et des romances jetables. Les hommes sont-ils tous des salauds assoiffés de sexe et les femmes sont-elles d’éternelles victimes? On sort de la salle tourmenté par ces questions qui tuent, mais ému par le jeu de ces comédiens AAA que le Théâtre Pas à Pas a su réunir. Bruno Marcil brille dans son rôle doux-amer à mille lieues du gars du câble qu’il incarnait dans les pubs de Vidéotron autrefois, Alexandre Goyette est une fois de plus cet efficace macho rustre, Sandrine Bisson se prête à une performance tout en nuances et Éveline Gélinas est saisissante lorsqu’elle incarne la naïveté brisée du personnage de Catherine. Le casting frôle la perfection et la scénographie, ingénieuse, permet des transitions délicates, parfois même chorégraphiées entre les scènes. La transposition d’un film culte sur les planches était un pari risqué, certes, sauf que l’exercice s’avère très réussi. Un divertissement intelligent à s’offrir du 8 au 10 juin au Théâtre de la Bordée. (Catherine Genest) y



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CET ÉTÉ, ELLE FERA UN JARDIN

Recluse, dans cette maison bordée par le lac, Clémence DesRochers amorce un nouveau chapitre. Une vie à l’écart de la scène sans tricot ni chaise berçante. MOTS | CATHERINE GENEST

Ratoureuse, la reine mère des comiques nous déboussole lorsqu’elle change de rôle avec nous: «Ton père, lui, y est-tu vivant?», «T’es pas mariée?», «T’as fait quoi comme études?» Les questions fusent, les plus intimes surtout. Une entrevue avec Clémence n’en est pas vraiment une: c’est un partage, c’est une conversation. C’est aussi une auteure qui s’adresse à une autre, lui souhaitant «de l’inspiration» en remettant son trench-coat, comme si elle doutait de sa vertigineuse feuille de route, de son curriculum vitae complexant pour autrui – précisément pour une jeune rédactrice. On pourrait citer Jeunet, le père d’Amélie, parler du Fabuleux destin de Clémence DesRochers, et ce serait aussi juste que cette citation est éculée. Écrivaine, actrice, chanteuse, artiste visuelle, humoriste, animatrice télé, électron libre. «Je me suis fait une carrière à mon goût.» Mais, voyez-vous, Clémence n’est pas du genre à regarder dans le rétroviseur. Dans le livre d’Hélène Pednault, à la page 22, elle lui demande déjà, et on la cite, de la «lâcher tranquille avec [s]on passé!» Justement, Mme DesRochers, que je lui demande en évoquant ce passage de la biographie, est-ce que

PHOTO | JULIEN FAUGÈRE

pareille entrevue vous embête un brin? «Énormément!» qu’elle me répond, du tac au tac. «Moi, raconter ma vie… Ça fait des années que je fais ça. Pour toi, t’sais, c’est une première, mais moi, je suis tannée. Des fois, je raconte toutes sortes d’histoires, que mon père travaillait dans le bois…» Réussissezvous à en enfirouaper un ou deux, de temps en temps? «Non!», et elle rit de bon cœur. «Je suis pas capable.» Née à Sherbrooke «d’un père angoissé» (nul autre que le poète Alfred DesRochers) et «d’une mère fatiguée», Clémence parle de son enfance avec un sourire en coin, mais le regard voilé d’amertume. «Dès que l’école commençait le matin, c’était le catéchisme et après ça, l’arithmétique. J’ai haï aller à l’école des années de temps sachant que j’allais me faire engueuler parce que je comprenais pas, à cause des devoirs d’arithmétiques que j’arrivais pas à faire. […] J’ai écrit quelque chose, un moment donné: “Je suis une écolière sur un chemin étroit/ mon sac en bandoulière/ce moment est à moi/juste avant la prière et la règle de trois.” C’est joli, hein?» Ironie du sort, elle travaillera brièvement, diplôme de l’école normale en poche, comme enseignante

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dans le quartier Côte-des-Neiges, mais seulement quelque temps, avant de se lancer dans le vide: quitter le confort financier fraîchement acquis pour s’inscrire au Conservatoire d’art dramatique de Montréal afin de réaliser un rêve qu’elle taisait jusque-là, celui de devenir comédienne. Membre – ce n’est pas rien! – de la première cohorte de six élèves, son ambition sera bloquée par un corps professoral insensible à son charme et à ses folies. De snobinards personnages, tous de la mère patrie à sa mémoire, qui dédaignaient sa parlure, son identité toute locale, québécoise ou «canayenne», pour reprendre l’affreuse et ô combien réductrice orthographe des critiques de l’époque. Une décennie avant son Vol rose du Flamant (comédie musicale avec Olivier Guimond, Janine Sutto et plusieurs autres, dont elle signe le livret), 14 ans avant la bombe langagière des Belles-Sœurs d’un Michel Tremblay, qu’elle a d’ailleurs inspiré (c’est lui-même qui l’avoue), Clémence sera rejetée de cette institution dont elle a si ardemment tenté de défoncer les portes, quoiqu’avec infinie politesse. «Je voulais tellement faire [de la scène], c’était un désir que personne ne pouvait assassiner. Moi, je pensais que j’allais faire du théâtre… Mais le hasard a fait qu’on m’a dit que ce n’était pas ça. […] En fait, [la formation durait] trois ans, et après deux ans, j’ai arrêté. Je n’ai jamais eu de diplôme. Moi, ma force, c’était de faire rire les filles entre les cours dans l’escalier.» Une qualité remarquée par sa camarade Nathalie Naubert, épouse de l’impresario du MC des nuits de Montréal circa 1957: Jacques Normand. Dès lors, la recrue aux allures de couventine entre au Cabaret Saint-Germain-des-Prés et fait un tabac presque instantané. De cette époque, sur YouTube, il nous reste Ce que toute jeune débutante devrait savoir, un monologue d’anthologie dénonçant le sexisme dans l’industrie alors naissante de la télévision. Un tour de force féministe, une prise de position risquée et un premier tabou déboulonné – avec son animosité publiquement étalée à l’endroit des bonnes sœurs dès ses premiers numéros, à la même époque. «C’était vraiment une vengeance, ça. [Je m’étais dit]: je vais rire d’elles parce qu’elles m’ont fait trop chier», elle dit ce verbe-là presque en chuchotant. «Je savais que je soulagerais ben du monde par le rire en faisant ça. Y a un poète qui dit: l’humour, c’est la politesse du désespoir. Il s’appelle Chris Marker.» Suivra, ensuite et pas mal plus tard, J’ai show! (son spectacle sur la ménopause), les références à son orientation sexuelle dès le début des années 1980 (nos salutations à Louise!) et le thème de la vieillesse, qu’elle aborde de plein front autour d’un café, au lendemain de sa dernière

«CE QUE J’AIME, C’EST ÊTRE SUR SCÈNE. SORTIR DE MOI. TU SAIS, JE SUIS UNE FILLE UN PEU TRISTE DANS LA VIE. J’AI UN FOND DE TRISTESSE. QUAND TU ES SUR SCÈNE, TU PEUX L’EXPRIMER ET FAIRE LA FOLLE.»

offrande scénique à Québec. «C’est assez rare qu’on fasse de très belles morts. Il faut toujours attraper une maladie, un cancer, un ci, un ça. Alors, le fait de vieillir ne m’enchante pas du tout. J’y pense, et puis, ce n’est pas très…» Elle s’arrête, puis change de sujet. On ne lui demandera pas de terminer cette phrase; les silences disent souvent plus que les mots. Le clown triste L’héritage de Clémence fleurit sur sept décennies. Presque l’intégralité de son œuvre prend racine dans l’écriture. «Quand c’est en prose, c’est beaucoup plus l’actrice. Quand je fais Les deux sœurs, La jaquette en papier… je joue, j’aime ça. Quand je fais une chanson douce en rimes, c’est la Clémence straight.» Son répertoire, trop riche pour être résumé en six petits feuillets, compte des monologues comiques, des nouvelles, de la poésie et des chansons qui traversent le temps sans qu’on ait eu besoin de les badigeonner de crème antirides, sans qu’on ait eu besoin de les réarranger au goût du jour: elles le sont toutes encore. Les deux vieilles, L’homme de ma vie, La vie d’factrie, Je ferai un jardin… Orchestrées avec soin, dans un style jazzé sans âge, ses paroles sont teintées d’une délicate morosité qui chamboule. Cet été, je ferai un jardin/Si tu veux rester avec moi/Encore quelques mois/Il sera petit,


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> c’est certain/J’en prendrai bien soin/J’en prendrai bien soin/ Pour qu’il soit aussi beau que toi. Des mots qu’on se tarde d’entendre de la bouche de Safia Nolin ou de Fanny Bloom, un «air ancien» qui gagnerait à être mieux connu de la jeune génération. Polyvalente, c’est presque un euphémisme en ce qui la concerne, la belle blonde aux yeux azur a aussi marqué le petit écran: dans la robe de coton de Mademoiselle Sainte-Bénite (Grujot et Délicat), celle d’Agathe Plouffe (téléroman homonyme de Roger Lemelin) et avec un micro-cravate épinglé à son chemisier lorsqu’elle animait des émissions de services sur les ondes de Radio-Canada. Oui, Clémence a fait tout ça. Elle a même ravi un Jutra, celui de la meilleure actrice de soutien, à Dorothée Berryman et Guylaine Tremblay pour son rôle de taquine dans La grande séduction. C’était en 2004, la même année où Juste pour rire lui a offert son premier gala hommage. L’actrice, mise au rancard par une poignée de professeurs à côté de la plaque, a su les faire mentir et emplir les salles du Québec avec les rôles qu’elle s’écrivait toute seule. Des spectacles, comme celui du jour avant notre rencontre, qui mettent un baume sur cette mélancolie romantique qu’elle tient de son père. «Moi, ce que j’aime, c’est être sur scène, comme hier. Sortir de moi. Moi, tu sais, je suis une fille un peu triste dans la vie. J’ai un fond de tristesse. Quand tu es sur scène, tu peux l’exprimer et faire la folle.» À la campagne avec sa compagne Achevée le 25 avril dernier à la Salle Odyssée de Gatineau, cette tournée d’adieu en est vraiment une. Elle le confirme, dans un soupir las d’ailleurs, comme incapable de masquer son chagrin, avant de se ressaisir: «Mais je vais faire des choses. Nécessairement, je vais pas m’asseoir pour commencer à tricoter!» Le futur proche sera fait d’adoptions félines (deux bébés chats) et de dessins. Beaucoup de dessins. Parce qu’en plus d’être porte-parole des Impatients, en plus des mots, Clémence manie les crayons et ne cesse de parfaire sa si singulière pratique comme artiste visuelle. Une esthétique décomplexée qui évoque l’enfance, une certaine fragilité, et dont elle parle sans prétention aucune. «Veux, veux pas, ç’a toujours un côté pas sérieux. J’ai fait un martin-pêcheur qui est très, très comique. On le regarde et on rit! J’ai beau m’appliquer: ça fait toujours un peu caricature… Comme moi!» Le regard tourné vers l’avenir, les deux mains sur le volant, Clémence continue sa route sans un coup d’œil à son miroir ni à la banquette arrière. Un siège qui ne suffit pas à asseoir les héritiers de sa plume et de sa fougue, ceux et surtout celles qui peuvent maintenant conduire leur propre bolide, rouler sur ce chemin de gravelle qu’elle a transformé en autoroute.y

GEL TO


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VO2 #O5

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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE

ÊTRE UN PETIT GARS Selon le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, il faut laisser les petits gars être des petits gars, pis les petits gars, ça aime ça se battre. On en déduit que les petites filles, elles, aiment autre chose. Comme jouer à la princesse, j’imagine. C’est comme ça, c’est sûrement dans nos gènes, dans l’ADN de chacun des sexes (parce que déjà, on suppose ici qu’il n’y a que deux genres et que la nature coupe tout ça au couteau). Si un garçon et une fille grandissent en dehors de notre société, dans la forêt, ou sur une île perdue, et qu’on les place du jour au lendemain devant des camions Tonka et des Barbies, j’imagine que le garçon prendra les camions et la fille, les poupées, si c’est comme ça, être un petit gars et être une petite fille. L’instinct va sûrement prendre le dessus même s’ils ne savent pas c’est quoi. Comme une pulsion sexuelle incontrôlable. Du moins, pour les garçons, ces pulsions, ç’a l’air, sont dures à contrôler. Il paraît, en tout cas. Faudrait surtout pas croire que ça vient de l’éducation que l’on donne à nos enfants et aux stéréotypes que l’on répète partout sans réfléchir. Si notre ministre de l’Éducation tombe sur un garçon qui n’aime pas se battre, va-t-il lui demander s’il est vraiment un petit gars? Va-t-il le traiter de «tapette»? Le poids de la norme est si lourd qu’il peut nous envelopper jusqu’à nous étouffer. En plus, la norme, elle est expansionniste, tel un sombre méchant dans un univers super-héroïque, elle ne cherche qu’à tout avaler sur son passage sans autre but que de tout avaler sur son passage.

Si les petits gars aiment se battre, les femmes, elles, sont humaines, sensibles et aimantes. On se réfère souvent à cette image et je ne suis pas plus à l’aise avec ça. Même si ce sont de belles qualités, ça demeure une image normée et formatée de ce que devrait être une certaine identité sexuelle. Par exemple, parfois, pour vendre la parité à l’Assemblée nationale, on entendra ce discours que la femme, en politique, amènerait une vision humaine à la gestion de l’État. C’est vrai que Margaret Thatcher était très sensible. Ses politiques ont amené plein d’humanité au Royaume-Uni. Marine Le Pen est aussi reconnue pour ses visions pleines d’amour envers son prochain. Si elle devient présidente, la France deviendra assurément une contrée sensible et ouverte. D’ailleurs, j’ai beaucoup aimé cette réplique d’Élodie Cuenot, dans une entrevue avec ma collègue Catherine Genest: «T’as pas envie de te coller en cuillère avec Marine Le Pen pour regarder un film de filles!» En plus d’enfermer la femme dans son rôle de mère (sinon, d’où viendraient ces qualificatifs?), on enferme aussi, du coup, l’homme dans un rôle de rigidité, de rationalité et de sévérité. La parité repose sur le simple principe que nos instances, consultatives ou démocratiques, devraient être à l’image de notre société. Ça adonne que celleci a une proportion similaire de femmes et d’hommes. C’est un simple principe de représentativité. Ça n’a pas rapport avec ce que les hommes ou les femmes devraient avoir comme qualité ou comme défaut, comme personnalité ou comme valeurs.

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21 L’Assemblée nationale aurait une variété de valeurs et de visions parce qu’elle serait plurielle en général. Parce qu’elle aurait un ratio raisonnable d’hommes et de femmes, mais idéalement aussi de personnes trans, de personnes handicapées et d’immigrants. Le manque de cœur des gouvernements ne vient sûrement pas par la trop grande présence d’hommes (même s’ils aiment tant se battre), mais bien par une trop grande présence de profils similaires. On a beaucoup d’avocats, d’entrepreneurs, de gestionnaires, d’économistes et de politiciens de carrière dans les partis. Selon le Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale (vol. 42, no 1), lors de la 40e législature (en septembre 2012), 76% des élus et élues avaient ce profil. Plus des deux tiers étaient des gestionnaires. Un peu moins de gens qui se prennent pour l’élite ferait plus de bien, comme des professeurs, des gens des milieux communautaires, des infirmiers, des artistes, des philosophes, des historiennes, etc. Bref, un peu plus à l’image de la société. D’autant plus que l’intelligence, la compétence et le célèbre «gros bon sens» n’appartiennent pas à un corps de métiers ou à des diplômes (ni à un sexe, à une orientation sexuelle ou à une religion). Tout comme le cœur.

«LE GANGSTA A SA DENT EN OR, L’ÉLITE A SON TITRE. C’EST DU PAREIL AU MÊME.» Je fantasme, tiens: pourquoi pas, aussi, des parents qui sont restés à la maison élever leurs enfants (d’autant plus qu’on ne cesse de comparer les ministres à de bons pères de famille alors qu’ils n’ont, on le sait, jamais le temps d’être à la maison... qu’est-ce qu’ils y connaissent, finalement)? Et pourquoi pas des sans-diplôme (comme moi)? Peut-être pour ça que les titres comme «maître», «docteur» ou «honorable» me gossent. Ce n’est ni impressionnant ni flatteur, c’est juste prétentieux. C’est du bling-bling oral. Le gangsta a sa dent en or, l’élite a son titre. C’est du pareil au même. Être docteure, concierge, serveur, artiste, ministre ou éducatrice; être un gars, une fille, fluide ou cisgenre, tout ça, ce ne sont que des étiquettes, ça ne définit pas la valeur et les goûts d’une personne. Cesse de prétendre être quelque chose, sois-le. Et assume-le. Surtout, «parce que je suis un gars» ou «parce que je suis avocat» n’est jamais une explication à un comportement. Jamais. y

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VO2 #O5

ISABELLE BOULAY: TOUTE LA VÉRITÉ

Toujours aussi humble, Isabelle Boulay en appelle au cœur sur En vérité, un nouvel album réalisé par son inséparable Benjamin Biolay. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

Même si on a l’impression qu’elle n’a jamais quitté les feux de la rampe, Isabelle Boulay signe ici son premier album de chansons originales depuis Les grands espaces, paru il y a déjà six ans. «Des fois, j’ai le goût de prendre l’autoroute, alors que d’autres fois, j’prends le premier chemin qui se présente à moi», dit-elle, sourire en coin, quand on lui demande la raison de ce «grand espace». Pourtant, les balbutiements d’En vérité remontent à loin. Plus précisément, au moment où une certaine Béatrice Martin a mis les pieds dans l’atelier de l’interprète pour lui présenter la chanson Nashville, dont elle signe les mots et la musique. L’étincelle n’aura toutefois pas suffi à allumer le brasier. «J’étais pas dans l’état d’esprit que je voulais», confie l’artiste de 44 ans. «Je venais de perdre un ami à cette époque-là. Pour moi, c’était un mentor, un deuxième père, un vrai ami qui me regardait jamais avec complaisance…» Pour «colmater» la fissure, Isabelle Boulay a trouvé Reggiani sur son chemin. En plus de saluer la mémoire du chanteur franco-italien, son album Merci Reggiani a eu une portée thérapeutique. «Entrer dans

PHOTOS | PETER LINDBERGH

son répertoire, ça m’a consolée», poursuit-elle. «Pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression de chanter un peu pour moi.» Revigorée, la chanteuse a repris les rênes de son projet précédent. Et puisqu’on ne change pas une formule gagnante, elle s’est tournée vers son fidèle acolyte Benjamin Biolay. «C’est quelqu’un d’assez drôle», s’empresse-t-elle de dire, dès qu’on se met à parler de lui. «Les gens pensent que c’est un animal triste, mais moi, il me fait beaucoup rire. Je le considère comme un frère, un alter ego, même. C’est quelqu’un de très exigeant, et ça tombe bien, car je le suis aussi.» Près de 20 ans après leur première collaboration sur Mieux qu’ici-bas, les deux complices ont repris le travail selon leur méthode habituelle. Comme réalisateur, Biolay s’attelle à donner vie au son que Boulay a en tête, en fonction d’un horaire qui penche plus vers la noirceur que la lumière. «C’est un oiseau de nuit total!» admet-elle. «En général, il rentre au studio à 16h, et c’est moi qui dois m’adapter à son horaire. C’est un rythme de travail différent que j’accepte, car Benjamin me donne satisfaction sur le plan de la création. Il m’est indispensable.»

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Chanson country latino-italienne C’est d’ailleurs lui qui a donné le ton à En vérité, en proposant à sa partenaire d’amorcer les séances d’enregistrement avec Won’t Catch Me Crying. Retranchée des Grands espaces, cette reprise de Willie Nelson écrite par Rob Thomas a finalement trouvé son point d’ancrage. «On finissait à peine de se réchauffer, et Benjamin me dit qu’on va commencer avec cette chanson-là. J’m’attendais vraiment pas à ça», raconte-t-elle. «En fin de compte, la deuxième prise qu’on a faite, c’est celle qu’on a gardée. En revenant à Montréal, j’ai voulu la réenregistrer, mais j’ai compris que je pourrais jamais faire mieux que ce que je venais de faire. Ç’a vraiment donné un élan à l’album.» Par la suite, le Rhodanien a ouvert les horizons de la Gaspésienne au hip-hop italien, en lui faisant découvrir l’œuvre du chanteur et rappeur Lorenzo Jovanotti et tout particulièrement la ballade Una storia d’amore. «Je lui parlais de ma volonté de faire une reprise de chanson italienne, et il m’est arrivé avec ça... Je trouvais le texte très compliqué, mais disons qu’il sait comment me prendre pour en arriver à ses fins», explique-t-elle, en riant. «Je me suis laissée prendre par le lyrisme de la chanson.»

Au-delà de ces deux incursions en langue étrangère, En vérité se pose dans la vaste catégorie de la chanson française. Épurée mais pas minimaliste, la direction musicale y est simple, douce, mais viscérale, alors que les textes y sont passionnels. Le tout en phase avec la signature des nombreux paroliers et compositeurs qui y ont contribué, notamment Alex Nevsky, Raphaël, Carla Bruni, Julien Clerc et Biolay. «On voulait que les chansons atteignent le cœur, mais aussi les os. L’enveloppe a quelque chose de charnel, de sexy. La musique devait provoquer quelque chose», décrit Isabelle Boulay. «À travers ça, j’ai essayé de faire entrer toute la beauté que j’avais accumulée à l’intérieur de moi, toutes les choses qui m’ont touchée. Pour mélanger tout ça ensemble, ça prenait un alchimiste comme Benjamin.» Fort de ses influences latines, l’opus est également marqué par l’amour infini que porte la chanteuse au country, ce qui semble être devenu chose commune depuis la sortie du marquant De retour à la source en 2007. «C’est la musique qui joue au plus profond de moi», image-t-elle. «J’en ai tellement écouté quand j’étais enfant que ç’a fini par s’imposer.»

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ÇA ME FLATTE QU’ON DISE DE MOI QUE JE SUIS UNE CHANTEUSE Ă€ VOIX, ALORS QUE J’AI MĂŠME PAS UNE OCTAVE ET DEMIE DE POSSIBILITÉ.Âť Si le country a visiblement retrouvĂŠ ses lettres de noblesse au QuĂŠbec depuis plus d’une dĂŠcennie, la situation reste diffĂŠrente de l’autre cĂ´tĂŠ de l’Atlantique. Peu exposĂŠs Ă ce genre musical emblĂŠmatique de l’amĂŠricanitĂŠ, les Français s’y reconnaissent maintenant davantage, selon ce qu’a pu observer Isabelle Boulay: ÂŤC’est certain que c’est pas le style qui les attire le plus, mais une fois qu’ils s’y habituent, ils ne sont plus capables de s’en passer. RĂŠcemment, j’ai fait la tournĂŠe Chants libres lĂ -bas, et le tiers de mon rĂŠpertoire ĂŠtait franchement country.

J’ai ĂŠtĂŠ surprise de constater que c’est durant ces chansons-lĂ que les spectateurs ĂŠtaient le plus animĂŠs. Tranquillement, y a un changement dans l’oreille du public.Âť Maintenant signĂŠe sous Columbia en France, Isabelle Boulay se considère privilĂŠgiĂŠe de pouvoir mener de front deux carrières sur deux continents. Surtout, elle se dit chanceuse d’avoir ĂŠtĂŠ en mesure de perdurer. ÂŤAutant au dĂŠbut, j’ai senti une immense affection Ă l’Êgard des chanteurs quĂŠbĂŠcois Ă voix en France, autant Ă un moment donnĂŠ, j’ai senti que le pont-levis commençait Ă se releverÂť, analyset-elle. ÂŤEncore aujourd’hui, ça me flatte qu’on dise de moi que je suis une chanteuse Ă voix, alors que j’ai mĂŞme pas une octave et demie de possibilitĂŠ. Comme dirait Zachary Richard, j’ai pas une “grosse rangĂŠe vocaleâ€?, mais je suis bonne pour donner l’impression que j’peux chanter toute.Âť y En vĂŠritĂŠ (Audiogram) En magasin le 19 mai Le 6 juillet sur les plaines d’Abraham (Dans le cadre du Festival d'ĂŠtĂŠ de QuĂŠbec)

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PATIENCE ET MATURITÉ MAC DEMARCO EST UN GARS RELAX. LA RUMEUR SE CONFIRME LORSQU’ON DISCUTE AVEC LUI DE SON NOUVEL ALBUM, THIS OLD DOG. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTO | COLEY BROWN

Si l’on entend toujours sur ce troisième long jeu du jeune homme de 27 ans originaire d’Edmonton l’interprétation nonchalante mêlée à du soft rock qui a fait de lui une star de la musique indé, on y retrouve aussi beaucoup d’introspection. C’est qu’il aime regarder à l’intérieur de lui, ce Mac. Et ses chansons sonnent toujours comme de touchantes confessions d’un bon ami. Sur One Another, il interpelle un jeune pour lui dire qu’il peut apprendre de ses erreurs. Es-tu devenu un mentor, Mac? «La plupart du temps, je me parle à moi-même, en fait! Ou bien je parle à une autre version de moi… Toutes mes chansons sont à propos de ce que je vis parce que je ne connais rien d’autre et je ne pourrais jamais faire des histoires à la Billy Joel.» Un sentiment de maturité fait son chemin sur This Old Dog. Sur la courte mais efficace Sister, il dit vouloir en faire plus pour sa sœur alors que sur On A Wolf Who Wears Sheeps Clothes, on l’entend dire que de vivre dans la légèreté peut parfois créer une ombre. Sur son premier simple, My Old Man, il affirme qu’il y a un prix à payer quand on s’amuse trop. «Je pense que ces paroles me sont venues en tête après la fin de la dernière tournée, ce moment où tu regardes l’horloge tourner», explique-t-il au téléphone. «Les cinq dernières années ont été un flou total. J’ai joué des centaines de spectacles. Je me sentais fatigué et un peu plus vieux après cette tournée. Mais ça recommence bientôt, on débute une nouvelle tournée d’au moins un an. Je me dis que puisque ça ne durera pas pour toujours, aussi bien en profiter tant qu’on le peut.» Mac DeMarco justifie le ton et le rythme plus smooth de son nouvel album par ce temps de repos entre la tournée de Salad Days (2014) et la production de This Old Dog. «Je crois que c’est plus évident cette fois-ci que l’album est personnel. J’ai eu plus de temps libre cette année que dans les quatre à cinq dernières années. Je savais que

j’avais mis le doigt sur mes émotions et sur ce qui se passait dans ma vie, mais quand j’ai eu le temps de m’asseoir et de réfléchir à tout ça, ç’a été un moment éclairant! L’album représente la chance que j’ai eue de pouvoir m’asseoir avec moi-même, je suppose.» Il fut un temps où l’on était si fiers de pouvoir dire que Mac DeMarco était un artiste établi à Montréal, mais cette histoire d’amour avec la métropole québécoise n’a pas fait long feu. Mac DeMarco a habité New York pendant quelques années et est maintenant citoyen de Los Angeles. Ce nouvel album est moitié new-yorkais, moitié angelin. Est-ce que l’Ouest a amené un vent de fraîcheur et est responsable du tempo plus lent de cet album? Pas vraiment, avoue-t-il. «J’ai simplement pris mon studio maison et je l’ai déplacé dans une autre chambre à Los Angeles. Le changement de rythme, je l’attribue davantage au temps que j’ai laissé aux chansons pour mariner. C’est ça, la grande différence pour cet album-ci. Je les ai écrites en février 2016 et je les ai laissées tranquilles pendant un certain temps. Sinon, c’était le même processus: je m’enferme, je compose et je ne vois plus personne, et puis un album naît.» Mac DeMarco a toujours su trouver le juste milieu entre des textes simples mais évocateurs et la livraison empreinte de délire qui s’empare de lui lorsqu’il est sur scène. Mais si les chansons de This Old Dog sont en général moins énergiques que ses hits qui rendent son public fou, est-ce que le spectacle qui suit sera plus apaisant? «Nous jouons encore beaucoup de vieilles chansons», assure le principal intéressé. «C’est vrai qu’il y a beaucoup de nouvelles chansons qui sont plus lentes. Puisque j’aime bien que le rythme du spectacle monte et descende, maintenant, nous avons plus d’occasions de le faire. La chanson Chamber of Reflexion, issue de Salad Days, c’est une chanson assez lente, mais c’est celle qui excite le plus le public, alors ça reste à voir!» y This Old Dog (Captured Tracks) Sortie le 5 mai


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VO2 #O5

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PHILIPPE B ET LA PROJECTION FICTIVE «CE QUI SE PASSE, C’EST DANS SA VIE, OU IL EST EN TRAIN DE PARLER D’UN FILM QU’IL REGARDE?» VOILÀ UNE RÉFLEXION QUE PHILIPPE B S’IMAGINE ET QUI FERA SON CHEMIN DANS LA TÊTE DES AUDITEURS DE SON NOUVEL ALBUM, INTITULÉ LA GRANDE NUIT VIDÉO. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

Notre rapport à la fiction est l’une des grandes trames de son nouvel album. L’auteur-compositeur -interprète québécois de grand talent s’est intéressé, pour ce cinquième tour de piste en solo, aux types d’œuvres que l’on consomme et ce que cela dit sur nous. «Pourquoi se projette-t-on dans des drames de couples qui se déchirent quand on n’a pas ça dans notre quotidien?», se questionne-t-il. «La thématique est explorée à travers le paradigme du couple. C’est pas qu’un individu, c’est beaucoup à deux, mais la thématique n’est pas la relation. Ça me permet de traiter le sujet de façon émotive plutôt que d’avoir quelque chose de plus froid, comme une réflexion scolaire sur la fiction», ajoute celui qui est né Philippe Bergeron et qui nous offre un autre disque sublime de compositions au piano ou à la guitare sèche appuyées par des cordes. La voix qui lui répond sur trois pièces du disque, la femme du couple fictif de La grande nuit vidéo, c’est Laurence Lafond-Beaulne, du duo Milk & Bone. «Il y a trois chansons qui étaient écrites de façon à ce que si je changeais le tu par le je, ça ne marchait pas. Je ne voyais pas des chœurs, mais des voix. C’est plus comme une question-réponse. Sur mon précédent disque Ornithologie, la nuit (2014), j’avais une présence fantomatique des chœurs. Ici, c’est un peu la même chose, mais on prend une autre step en la ramenant à l’avant comme rôle principal incarné.»

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Sur le célébré Ornithologie, «il y avait un effort volontaire d’être plus léger», précise le compositeur et réalisateur. Le défi, cette fois-ci, «c’était plus de trouver une cohésion dans le narratif». «Pour Ornithologie, il y avait un narratif temporel qu’on a trouvé en le faisant, mais y avait pas une thématique de départ. Variations fantômes [sorti en 2011] parlait aussi de bien des choses, mais ça semblait être à propos d’une rupture, un disque lourd et triste à cause du répertoire classique utilisé. Là, j’ai l’impression que la thématique n’est pas si explicite parce que je n’ai pas super appuyé le truc. C’est pas The Wall! Mais pour moi, c’est clair, je le vois, ça me parle: y a un thème, des sous-thèmes, et les choses se tiennent plus.» Sur Ellipse, par exemple, le sujet est plus explicite dans ce couple qui se projette dans la fiction (Nous étions toi et moi/Nous serons Elle et Lui, y entend-on). Philippe B parsème aussi cette idée plus subtilement dans Debra Winger, Explosion – premier simple du disque – et aussi dans la pièce titre, La grande nuit vidéo. Sur deux autres titres, on arrive à un sous-thème: celui de la violence. Rouge-gorge et Les enchaînés ont été composées en 2015 dans le cadre d’un spectacle en duo avec la danseuse Karina Champoux. «C’était beaucoup sur Alfred Hitchcock, la symbolique du film noir, un show relationnel sur l’homme et la femme», explique le chanteur.

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Au début de Rouge-gorge, il est possible qu’on absorbe les mots (Je t’ai montré la violence/La menace au fond de moi) comme de la violence conjugale, mais la suite (Rouge-gorge, c’est le sang de nos langues qui se mordent/Le trop-plein de nos cœurs qui débordent), on y comprend qu’une passion plus forte qu’eux les unit. «Pour moi, c’est très léger, mais ça évoque des blessures plus graves et profondes, dit Philippe B. C’est une saynète d’un gars qui date une fille. Les phrases comme telles au premier degré sont perçues comme violentes. Je me suis dit: OK, on va jouer avec la perception, la suggestion de violence. Dans notre fond historique, on a tous une violence qui nous a marqués même si ce n’était pas si grave. Quand t’es en couple, tu t’ouvres à l’autre et tu parles de tes défauts, c’est du partage. C’était plus une chanson comme ça, mais j’étais à l’aise avec le fait que ça soit plus dramatique.»

Dans tout ça, Philippe B fait confiance à l’auditeur, lui laissant le choix de se projeter ou non dans la fiction de La grande nuit vidéo. «Je suis un peu entre deux chaises, entre les auteurs réalistes – si j’exagère, je dirais Lynda Lemay et Les Cowboys Fringants – et ceux plus poétiques comme Safia Nolin et Salomé Leclerc. Et je me pose toujours la question: combien être explicite ou pas? À quel point expliquer les choses versus ouvrir des portes pour que les gens puissent s’y projeter?» À vous de jouer. y La grande nuit vidéo (Bonsound) Sortie le 12 mai Le 22 juillet au Festif! de Baie-Saint-Paul


À ÉCOUTER

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★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

BLONDIE POLLINATOR (BMG) ★★★ 1/2 Dev Hynes (Blood Orange, Lightspeed Champion), Sia, Johnny Marr, David Sitek (TV On The Radio), Nick Valensi (Strokes), Adam Johnston et Charli XCX ont tous contribué à mettre sur pied ce nouvel effort, un 11e en 40 ans de carrière pour Blondie, avec deux morceaux seulement écrits par le tandem Deborah Harry/Chris Stein. Pollinator est un disque étonnamment homogène, qui ramène Blondie aux styles new-wave, power pop et disco des premiers albums après les infructueuses tentatives électro du précédent Ghosts of Downloads. Pollinator démarre solidement avec Doom or Destiny – sur lequel on retrouve aussi Joan Jett au chant –, et jusqu’au dernier morceau, la pièce cachée Tonight avec Laurie Anderson, on est agréablement surpris par la vitalité et la cohésion de l’ensemble. Mis à part un ou deux titres maladroits, où la voix de Deborah Harry se fait d’ailleurs hésitante – la dame a tout de même 71 ans –, Pollinator révèle un groupe complètement revitalisé. (P. Baillargeon)

WILSEN I GO MISSING IN MY SLEEP

RAGERS JOSHUA

(Secret City Records)

(Indépendant)

★★★ 1/2

★★★ 1/2

La chanteuse Tamsin Wilson évolue depuis quelques années sous le nom Wilsen avec ses musiciens. L’auteurecompositrice-interprète de Brooklyn livre ici un premier album complet après deux EP sortis en 2013 et 2014. Onérique et enveloppante, l’œuvre mise sur un folk rock douillet. L’ambiance sonore est captivante, tout en douceur mais très riche en explorations, alors que la voix de Tamsin Wilson est discrète mais diablement réconfortante. Si on ne peut nier les comparaisons avec les compagnons de tournée de Wilsen en 2016, le groupe britannique Daughter, on entend aussi sur l’album des échos à la weird folk de la Norvégienne Jenny Hval ainsi que des élans à la Patrick Watson – sur A Parting. I Go Missing in My Sleep: à consommer à répétition, les yeux fermés. (V. Thérien)

ARIANE MOFFATT LE PETIT SPECTACLE À LA CHAPELLE (Simone Records) ★★★ 1/2

L’an dernier, Ariane Moffatt s’offrait une tournée en duo et une petite résidence au Théâtre La Chapelle. Lors de ces trois concerts intimes où elle était au piano et lui – son acolyte de longue date Joseph Marchand –, à la guitare, la chanteuse souhaitait «insuffler un peu de lumière sur les jours plus obscurs». L’album live de huit titres débute avec des chansons plus récentes et se conclut de façon solennelle sur la fameuse Combustion lente. Entre les deux, une reprise intéressante mais sans éclat de Glory Box de Portishead, chanson qui se révèle être en synthèse avec le propos de Debout, ode à la monogamie. Très plaisant d’entendre Ariane Moffatt s’amuser dans des traitements électro sur Hôtel amour et Combustion lente – où elle modifie sa voix à la Bon Iver – et sur Le cœur dans la tête, crescendo vers une piste de danse dans la veine de The xx. (V. Thérien)

Moins incisif que Chapters, percutante entrée en matière parue en 2015, Joshua poursuit dans la même voie qu’Unum, brillant EP de transition qui n’a malheureusement pas obtenu l’engouement qu’il méritait à sa sortie l’an dernier. Musiciens d’expérience, les trois acolytes natifs de Saint-Hubert y fignolent leur proposition hip-hop organique en la coiffant d’influences psychédéliques (Cali Shrooms Boom), house (Pure), dream pop (On Horizon) et funk (Open Season). Partiellement enregistré en Californie, le mini-album sonne comme un après-midi ensoleillé, mais évite de tomber dans les clichés du ramassis de hits estivaux prémâchés. Malgré un premier tiers qui manque quelque peu de nerf et de vigueur, Joshua témoigne d’une maturité artistique certaine, que mettent en valeur les excellents collaborateurs (notamment James Di Salvio, Husser et Gabe ‘Nandez). (O. Boisvert-Magnen)

HIGHLAND LOYAL TO THE NIGHTSKY (Indépendant) ★★★★ 1/2

Le premier album complet du trio californien démontre qu’il n’y a pas que le froid qui inspire du black métal mordant. Les 11 morceaux de Loyal to the Nightsky proviennent d’un monolithe de noirceur abyssal dans lequel les musiciens ont insufflé des nuances doom, des ambiances mélancoliques et des rythmiques dansantes qui nous gardent à l’affût d’un bout à l’autre du disque qui dure près d’une heure. D’ailleurs, la richesse des compositions prend vie dans les illustrations à la fois lugubres et fascinantes qui accompagnent chaque chanson (on peut les voir au facebook.com/highland666), donnant ainsi un bon aperçu des thèmes évoqués dans les textes. Highland mérite ses comparaisons à Satyricon, Immortal et Emperor. (C. Fortier)


31 DISQUES VOIR QC

KOBO TOWN WHERE THE GALLEON SANK (Stonefree Records) HHHH

Connaissez-vous Ivan Duran? Vous devriez. Ce réalisateur blanc du Belize, Montréalais à temps partiel, est un rare spécialiste des musiques garifunas et du versant sud de l’arc caraïbe. Après avoir enregistré de pures merveilles pour le label Cumbacha (Andy Palacio et Umalali), il a fondé Stonefree sur laquelle paraissent maintenant Criollo Elektric, un projet allumé avec le Colombien d’ici, Roberto Lopez – complètement revampé – et, bientôt, le nouveau Calypso Rose avec Manu Chao. Mais, en attendant, ce troisième album de Kobo Town vaut vraiment le détour à Trinidad. Truffé de grooves rudimentaires mais fichtrement efficaces (à la Duran), cet opus met en lumière l’énorme talent du chanteur Drew Gonsalves, son accent des West Indies, son écriture d’intello émouvant et ironique, son habileté à jouer plusieurs instruments, dont le cuatro de là-bas. Une jolie réussite qui montre encore l’envers de la carte postale antillaise typique. (R. Boncy)

(Indépendant) ★★★★ Deuxième enregistrement pour le tentet du Vancouvérois établi à Montréal Erik Hove, avec presque le même alignement que pour le premier, dominé par le sax du leader. La flûte d’Anna Webber tient souvent une bonne place dans ce mélange manière Third stream, mais c’est le jeu de l’ensemble, quelquefois coloré d’électronique, qui séduit l’oreille. Le hautbois, la clarinette et les cordes (dont celles de l’altiste Jean René) offrent des teintes foncées à la palette spectrale du compositeur, que la trompette d’Andy King, la flûte ou le sax transpercent sporadiquement de jets de lumière. Erik Hove est parfaitement en contrôle de la matière sonore qu’il tire de ses acolytes et le résultat est aussi original que réussi. (R. Beaucage)

O5 / 2O17

CO/NTRY CELL PHONE 1 (Simone Records) ★★★★ Avec ce nouvel opus, CO/NTRY plonge encore plus loin dans ses explorations sonores à la fois agressives et catchy, raffinant son esthétique. On retrouve sur ce disque une palette vocale extrêmement riche, Beaver Sheppard se promenant agilement entre voix de falsetto et murmures profonds. Des guitares stridentes de Gold Standard aux synthés pulsatoires de Who Cares, ce deuxième opus est comme un cri primal, cru mais tout de même façonné méticuleusement. D’un bout à l’autre des huit pistes, on est tenus en haleine par les rythmes lancinants qu’on nous envoie en pleine gueule. Le duo sait où il s’en va, et on a fortement envie de l’y suivre. (A. Bordeleau)

ARTISTES VARIÉS DESJARDINS (117 Records) ★★★ 1/2

PARC X TRIO DREAM (Challenge Records) ★★★ 1/2

ERIK HOVE CHAMBER ENSEMBLE POLYGON

VO2 #O5

Dix ans déjà? Depuis leur premier coup d’éclat au Festival international de jazz de Montréal, les membres de ce trio local ont produit sept enregistrements et parcouru bien des kilomètres pourtant. Signé chez Challenge Records et New Artist International en Europe, PXT poursuit son petit bonhomme de chemin sans se poser trop de questions. Errances nocturnes, dérives nonchalantes, sursauts rythmiques convulsifs, les trois larrons continuent d’avoir du fun et d’évoluer dans la même vibration contemporaine mais juvénile qui leur a valu tant d’adeptes au Québec, refusant de mûrir ou de vieillir. Alex Lefaivre, Alain Bourgeois et principalement Gabriel Vinuela signent toutes les neuf pièces de l’album. Toutes? Non, car il y a Swan Lake, cette géniale adaptation du thème majeur de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Une version trash et dramatique à souhait du ballet russe; le point culminant par lequel cet album sera référencé. Bravo! (R. Boncy)

Entre le risque de dénaturer l’œuvre originale et celui tout aussi déplorable de verser dans la relecture conforme mais sans âme, le pari de l’album de reprises n’est jamais gagné d’avance. Étant donné la stature de Richard Desjardins, à qui l’on rend hommage ici, l’exercice avait de quoi d’encore plus périlleux, mais le talentueux cortège dépêché pour l’occasion se tire plutôt bien d’affaire. Tous auteurscompositeurs-interprètes, les artistes invités s’approprient avec une vive sensibilité les chansons du RouynNorandien, signe qu’ils ont un profond respect pour son œuvre monumentale. On note tout particulièrement les performances d’Avec pas d’casque, Safia Nolin, Bernard Adamus et Fred Fortin, qui ont tous trouvé le parfait équilibre entre leur signature et l’émotion originelle de la chanson. (O. Boisvert-Magnen)


32 CHRONIQUE VOIR QC

VO2 #O5

O5 / 2O17

MONIQUE GIROUX SUR MESURE

UN AIR DANS LA VILLE En 1642, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, 30 ans, soldat français et fondateur troubadour de Montréal, pinçait du luth. Jean-Sébastien Bach n’était pas né, pas plus que Pachelbel. Donc, point encore de Suite no 1 en sol majeur ou de Canon au moment de la fondation. On dit que Maisonneuve et ses compagnons auraient chanté le Te Deum à leur arrivée à Ville-Marie. Imaginez le tableau. On peut aussi figurer le bruit incessant des battements de tambour et le sifflement des flèches iroquoises. On trouvait dans les poches des bons colons bombardes, guimbardes et autres petits instruments en métal que faisaient vibrer leurs doigts gelés par l’hiver, ennemi redoutable. Il devait bien y avoir dans quelques coins une viole, une flûte ou même une trompette. La chanson, en France du moins, permettait au bon peuple de critiquer Louis XIII et surtout son ministre principal, Armand Jean du Plessis de Richelieu, le cardinal retors et intransigeant, qui s’éteint d’ailleurs en décembre 1642. Les gérants d’estrade, blogueurs et autres Richard Martineau de l’époque travestissaient des compositions religieuses, donc des airs connus, pour en faire des satires qui étaient colportées à travers toute la France. Mais les reprenait-on à Pointe-à-Callière? Les missionnaires traduisaient en langue autochtone les chants religieux pour convertir les Amérindiens au catholicisme. Madeleine Chartrand ne chantait pas encore Ani Kuni. Quelques décennies plus tard, les canotiers pagayaient ferme en chantant À la claire fontaine, la plus populaire des chansons françaises avec Frère Jacques et Au clair de la Lune. On ne s’entend pas sur ses origines. Aurait-elle été composée par un jongleur du 15e siècle ou créée deux siècles plus tard par les hommes de Champlain?

Montréal, et pour cause de guerre, on confiait à l’Église le soin de gérer les festivités. Il n’y a donc que 75 ans, on chantait le Chant du IIIe centenaire – Apothéose de Ville-Marie, composé par l’abbé Charles-Émile Gadbois, père de La Bonne Chanson, dont le credo était: «Un foyer où l’on chante est un foyer heureux». Le texte de cet hymne, lui, était écrit par le Révérend Majestueux Père Georges Boileau o.m.i. (oblat de Marie-Immaculée), qui signait aussi Le doux parler ancestral ou encore Le blé qui lève, respectueusement dédié à «Sa Grandeur Monseigneur O.-E. Mathieu Archevêque de Régina». Admirez comme suit l’abondance de déférences et de superlatifs: Honneur à toi, Ville-Marie, que l’héroïsme ici fonda, tu fais l’orgueil de la patrie et l’ornement du Canada. Ville de paix et de prière, terre d’honneur et de beauté, nous exaltons ton âme altière, ô Montréal, noble cité. Par l’Évangile et par l’épée, tes pionniers, des saints, des preux, ont fait fleurir une épopée, ô Canada, sol des aïeux——eux. Il fallait tenir la note – un si. Je saute un couplet répétitif de glorification afin de vous éviter un hoquet. Voici la suite: Au livre d’or de notre histoire brille le nom de tes guerriers, et les héros de tant de gloire ont ceint ton front de leurs lauriers. La croix là-haut sur la montagne, ce labarum de notre foi, du mont Royal, sur la campagne comme un flambeau plane sur toi. La chute est violente:

Quand la chanson cause

Du haut du ciel, Vierge Marie, bénis tes fils et tes foyers. De Montréal, Ville-Marie, la métropole aux cent clochers, c’est ton domaine ô Notre-Dame! C’est ton fief, Reine des Cieux, un peuple entier te le proclame au beau pays de nos aïeux.

En 1942, Félix Leclerc, qui ne chantait pas encore, écrivait les textes d’une série radiophonique intitulée Je me souviens. Pour souligner le 300e anniversaire de la fondation de

Dans les années 1950, Radio-Canada avait son orchestre symphonique, sa troupe d’opéra et son émission de télé L’heure du concert…

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai…

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33 Attendez, je reviens… Je vais pleurer sur ce noble passé… Le 325e a été souligné par un concert dirigé par Wilfrid Pelletier qui mettait en vedette, entre autres, Gilles Vigneault et Maureen Forrester. Le legs le plus important fut sans doute la sculpture de Calder installée à l’île Sainte-Hélène. Autrement, on fêtait surtout l’année de l’amour, l’année de l’expo et le 100e de la Confédération canadienne. Savoir d’où l’on vient… En 1992, pour souligner le 350e anniversaire de Montréal, Christian Mistral a écrit, sur une musique de Dan Bigras, un hymne à la ville. En voici un extrait: ... Montréal, j’ai vu se fâcher d’autres ciels que celui-ci, se coucher tant d’autres soleils sur d’autres nuits, je n’ai pas trouvé ta pareille. Souvent là-bas, fermant les yeux, j’étais ici. Un bateau dans une bouteille m’a ramené vers tes bras d’eau, c’était un jour de grand soleil qui faisait fondre mon fardeau. Je suis retourné dans la rue où s’est déroulée mon enfance et j’ai fait quelques pas de danse quand mon quartier m’a reconnu. Je vis au rythme des saisons et des parfums mélancoliques, j’ai connu toutes mes passions dans les chaleurs de la musique. Savoir où l’on va… Y aura-t-il une chanson originale pour souligner le 375e? Je l’ignore, mais j’en doute. Je reviendrai à Montréal de Charlebois, qu’on nous offre en présentation du spectacle du 17 mai Bonne fête Montréal, qui n’est pas une production de la Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, mais de Juste pour rire, figure parmi les plus belles chansons inspirées par la métropole. Le 4 avril dernier, dans le cadre du spectacle Des mots sur mesure produit par la Maison de la culture Ahuntsic et que j’ai le bonheur d’animer depuis 2011, sept artistes nouvellement installés à Montréal et qui n’avaient jamais chanté en français ont repris, à leur manière, du Leloup, du Pellerin, du Desjardins, du Vigneault, du Karkwa, etc. Elham Manouchehri du Liban, Anna-Maria Melachroinos de Grèce, Suzi Silva du Portugal, Fernando Gallego d’Espagne, Ilam du Sénégal, Leila Gouchi du Maroc et Nazih Borish, réfugié syrien, ont chanté en finale de spectacle, dans leur langue, Je reviendrai à Montréal. On vivait là ensemble. Le 19 août prochain, un grand spectacle gratuit, offert à tous les Montréalais, un événement jamais vu, réunira trois orchestres symphoniques. L’Orchestre Symphonique de Montréal, l’Orchestre Métropolitain et l’orchestre de McGill feront vibrer la montagne jusqu’aux racines des arbres. Voici en conclusion quelques-uns des mots de Grand Corps malade qui ont été mis en musique par Yann Perreau sous le titre À Montréal, une des dizaines de chansons que Montréal a inspiré et qu’on entendra certainement au cours des semaines à venir. Je veux voir Montréal en grand J’ai plutôt un bon a priori Parce que les gens sont accueillants Y a plus de sourires qu’à Paris… Je prétends pas connaître la ville, j’suis qu’un touriste plein d’amitié Mais j’aime ce lieu, son air, et ses visages du monde entier J’me suis arrêté pour observer la nuit tomber sur Montréal Et l’dernier clin d’œil du soleil changer les couleurs du mont Royal… y


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VO2 #O5

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La qualité du son est d’une importance capitale au cinéma. Ses artisans, travaillant souvent dans l’ombre, s’exercent à tisser une toile réaliste pour notre oreille, de façon à ce que l’environnement sonore ne vienne pas briser l’expérience cinématographique. Des dialogues aux bruits de fond en passant par les effets spéciaux, le travail audio au cinéma est complexe et vital. Un aperçu de cet art trop peu couramment mis en lumière. MOTS & PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Bien que l’on puisse rapidement attribuer tout le mérite de la réussite d’un film aux acteurs livrant des performances fortes ou aux images époustouflantes capturées par la caméra et créées ou modifiées par les artistes d’effets spéciaux, ce qui nous captive et nous tient en haleine d’un bout à l’autre d’un long métrage ratisse en fait beaucoup plus large que ce qui nous vient en tête au premier coup d’œil. L’essentiel, pour toute production, qu’elle soit hollywoodienne ou indépendante, est d’atteindre un niveau d’immersion au seuil duquel le public oublie qu’il est assis devant un écran. C’est là qu’entre en scène un des éléments cinématiques structurels les plus méconnus et ignorés du cinéphile moyen, en dépit qu’il soit absolument fondamental à la création narrative: la bande audio.


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VO2 #O5

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Quoique le processus qui le construit soit artistique et, en certaines occasions, très imaginatif, le design sonore se veut un élément porteur du propos du film et de la vision du réalisateur sans toutefois prendre une place prépondérante. Bref, un art tout en subtilités. La majeure partie du temps, le but premier du concepteur sonore est surtout de recréer des ambiances naturelles autour des images tournées, de plonger auditivement le public dans les lieux qu’il voit à l’écran sans qu’il y ait le moindre décalage entre la vue et l’ouïe. C’est donc un travail qui demande une grande attention aux détails et où les plus petits ajustements peuvent avoir un effet monstre. Travaillant, dans le meilleur des mondes, main dans la main avec le réalisateur dès la préproduction, ces artisans de l’audible ont une mission ingrate: ils doivent s’assurer que leur boulot est sans faille, c’est-à-dire qu’on ne le remarque pratiquement pas. Construire des univers Sylvain Bellemare, concepteur et superviseur sonore lauréat d’un Oscar pour son travail sur Arrival, définit ce qu’est, pour lui, son travail: «Selon moi, le son, c’est avant tout un rapport très émotionnel. Dans un film, à l’audio, tu peux avoir un lien extrêmement narratif qui va suivre le personnage, les sensations et les émotions. On tombe vraiment à ce niveau dans le camp de la scénarisation. Il y a peu de cas comme ça, en général, mais moi, j’ai la chance d’avoir travaillé quelques fois de cette façon-là. Ce qu’on attend d’un sound designer, dans la majorité des cas, c’est de recréer le naturel. C’est un art qui tient du naturalisme, carrément. Mais même si d’un côté, c’est plutôt de l’ordre de la narration, de la métaphore ou de l’onirisme, c’est-à-dire un son qui a un parti pris, quand on tombe dans le naturalisme, il y a tout de même une part d’émotion importante! Si on voit à l’écran deux amoureux qui se câlinent dans un champ, l’environnement sonore autour doit absolument nous imprégner de ce bonheur d’être assis dans un pré avec l’être aimé. Ce n’est jamais que purement technique, ce qu’on fait.» Le son réfère donc à des émotions physiques, sensorielles et très vraies, dans tous les cas. Toutefois, sur Arrival, son équipe et lui (Bellemare insiste très fort sur le fait que cet Oscar a été gagné grâce au travail de tous ceux qui ont collaboré avec lui au matériel sonore) ont eu la chance d’explorer des avenues narratives très originales. «La science-fiction, c’est un peu comme le nec plus ultra du sound designer, tu sais! T’as un univers complet à inventer, fait de sons qui n’existent pas encore! En plus, Arrival, ce n’est vraiment pas un film d’action ou de guerre… C’était un peu le monde idéal! J’ai eu le plaisir d’avoir de nombreux collaborateurs au talent fou là-dessus. Spécifiquement, on a eu bien du plaisir à créer les “voix” des extraterrestres. C’est toujours un plaisir de travailler avec Denis [Villeneuve], parce qu’il se fout un peu des conventions hollywoodiennes. Il nous a laissés expérimenter et sortir des

MARIE-PIERRE GRENIER, SIMON GERVAIS ET PATRICE LEBLANC

sentiers battus tout autant qu’on le désirait, et on a vraiment pu créer quelque chose d’unique qui tombe, comme je le disais plus tôt, dans le domaine de la métaphore et de l’onirisme.» C’était donc, pour lui et tous les autres artisans qui l’entouraient, un défi de taille, mais extrêmement satisfaisant sur le plan professionnel. Même si l’équipe avait devant elle une création sonore particulièrement intéressante à réaliser, la contrainte majeure du métier demeurait tout aussi présente que dans un film plus réaliste: «Denis est quelqu’un qui aime beaucoup le son, mais il désirait [pour Arrival] qu’il soit à la fois tout en sobriété et très présent. On savait que le son devait réellement prendre sa place comme élément cinématographique, mais il fallait toujours faire attention à ce qu’il demeure sobre pour ne pas sortir le spectateur de l’image. C’est ça, la réalité d’un designer sonore!» Un travail toujours changeant La coopérative Bande à Part, située dans Saint-Henri (un quartier du sud-ouest de Montréal) et fondée en 1999 (mais seulement devenue une coop en 2013), se spécialise dans la conception sonore et la postproduction audio pour l’industrie cinématographique québécoise, autant en fiction qu’en documentaire. Marie-Pierre Grenier, conceptrice sonore au sein de la boîte, explique que son métier en est un d’adaptation: «Tu sais, c’est difficile d’expliquer précisément ce qu’on fait, parce que ça change de projet en projet. Dans un monde idéal, la personne à la conception sonore est incluse au moment de l’écriture du scénario. À ce moment-là, on peut


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discuter avec les scénaristes et le réalisateur, donner des cues, faire un suivi par rapport au tournage avec le preneur de son et tout… Au niveau du son, on peut raconter beaucoup de choses. Mais les réalisateurs n’ont pas toujours ce réflexe de nous inclure au début, alors que beaucoup de pistes de lecture peuvent passer par l’audio. Alors souvent, on doit embarquer à différents moments dans les projets et s’adapter. Mais on est rendu pas pire làdedans!» Son collègue Patrice Leblanc reprend la balle: «Il faut que le son soit considéré comme à la base. Souvent, aujourd’hui, en documentaire, dès que l’on a à couper quelque part, on coupe tout de suite le preneur de son. C’est pas un reproche pour personne, parce qu’on est très conscients qu’il y a des limites de budget et tout, mais souvent, ça se sent dans la qualité d’une production, et ça rend notre travail un peu plus tough, disons!» Marie-Pierre complète: «En documentaire, si l’image est so-so, on va facilement l’excuser. On comprend l’urgence de tourner, de capturer le moment sur le vif. Mais si ton son est mal fait, que t’entends pas les dialogues et tout, l’auditeur est complètement déconnecté de ce qui se passe. L’effet d’immersion est extrêmement facile à briser.» Le message est donc clair. Bien qu’on ne le remarque que trop peu, l’art de bien faire sonner un film revêt une importance capitale. Simon Gervais, également concepteur sonore à la coopérative Bande à Part, conclut ainsi notre entretien: «Si ton son n’est pas bon, ça met immédiatement une barrière entre ce que tu veux dire, comme réalisateur, et l’expérience du spectateur. Que ce soit l’image, le jeu des comédiens ou le son, tout se vaut au final. Si les éléments ne sont pas réfléchis et bien amenés dès le départ, ça va nuire à l’expérience.» y

SYLVAIN BELLEMARE ET BERNARD GARIEPY STROBL


TWIN PEAKS: RETOUR DU MAÎTRE LYNCH GRANDE NOUVELLE: DEUX ÉPISODES DE LA SAISON 3 DE LA SÉRIE TWIN PEAKS SONT DÉVOILÉS EN AVANT-PREMIÈRE AU FESTIVAL DE CANNES CETTE ANNÉE! VINGT-CINQ ANS APRÈS LES 30 ÉPISODES DE LA SÉRIE CULTE ET UN ANTÉPISODE FILMIQUE CONTROVERSÉ, DAVID LYNCH EST DE RETOUR AVEC 18 HEURES DE FICTION ATTENDUES COMME LE MESSIE. MOTS | CÉLINE GOBERT

PHOTO | DREAMSTIME


39 «Nous nous reverrons dans 25 ans», lançait Laura Palmer à l’agent Dale Cooper dans l’étrange dernier épisode de Twin Peaks, série réalisée par David Lynch et Mark Frost et qui a laissé son empreinte indélébile sur le paysage télévisuel des années 1990 pour son intransigeance et son esprit libre. Durant deux décennies, l’affirmation a fait fantasmer les fans, en grand nombre déçus par le film Twin Peaks: Fire Walk with Me présenté par Lynch sur la Croisette en 1992 et dont l’intrigue se situe, en fait, avant celle des deux saisons de la série.

caine – viols, prostitution, meurtres, abus de drogues. Le suspense du whodunit – soit l’enquête policière sur le mode du «qui l’a fait?» – repose sur la révélation du meurtrier de Laura, et s’y révèle par fragments et contradictions, à l’image d’une héroïne défunte que Lynch qualifie lui-même de «radieuse en surface, mourante à l’intérieur». Il demeure d’ailleurs chez la blonde des traces de la tourmentée Marilyn Monroe, sur qui Lynch et Frost souhaitaient au départ réaliser un film, avant que le projet soit avorté et devienne Twin Peaks.

Le 21 mai 2017, le rêve deviendra réalité: entièrement réalisée par David Lynch, et tournée comme un long métrage de 18 heures que le cinéaste a divisé en neuf épisodes, la saison 3 réunit la majorité du casting de l’époque (Sheryl Lee, Kyle MacLachlan, Dana Ashbrook, David Duchovny) en plus de nombreux nouveaux venus, dont Laura Dern et Naomi Watts, respectivement croisées dans les chefsd’œuvre lynchiens Inland Empire et Mulholland Drive.

En 1992, en réalisant un antépisode à la série, Lynch va encore plus loin et montre ce que la série ne dévoilait jamais: les derniers jours de Laura Palmer. D’une tristesse furieuse, le film crache aux spectateurs les angoisses existentielles typiquement lynchiennes d’une sacrifiée. La descente aux enfers de

Voir une série fouler les marches cannoises – aux côtés d’ailleurs de la saison 2 de Top of the Lake, signée par Jane Campion – est une chose toute nouvelle qui témoigne de la richesse cinématographique des séries. De plus en plus de réalisateurs renommés se tournent vers ce format, y trouvant davantage d’espace et de liberté pour déployer leur univers, réinventer le storytelling, ou tout simplement être plus audacieux qu’au cinéma. On pense par exemple à Sense8 des sœurs Wachowski, The Get Down de Baz Luhrmann, Vinyl de Martin Scorcese ou encore The Knick de Steven Soderbergh. Et en la matière, David Lynch et son Twin Peaks étaient des précurseurs. En effet, la série, très influencée par les codes du soap opera pour ses exagérations mélodramatiques et ses intrigues parallèles, a déployé un univers aussi ludique que bizarre et violent à une époque où aucune autre n’avait encore franchi un tel pas. Avec près d’une trentaine de personnages (des serveuses, un psy, des étudiants, des enquêteurs, etc.), Twin Peaks jongle avec le fantastique et le parodique, l’humour et le cauchemar. Débutant avec le meurtre de la belle et populaire Laura Palmer, jeune adolescente apparemment sans histoire et appréciée de tous, la série n’a en outre jamais rien sacrifié du monde tordu et très sexuel de David Lynch. Un monde bâti sur la figure du double, une dichotomie innocence/perversion et un surréalisme macabre, qui n’a de cesse de dévoiler ce qui se cache sous la surface des choses: les significations des rêves, les pulsions inconscientes, les forces obscures de la Nature. Ainsi, Twin Peaks, sous ses accents comiques et burlesques, dissimule un cœur sombre et brutal où s’entremêlent tous les tabous de la société améri-

LA DESCENTE AUX ENFERS DE FIGURES INNOCENTES, HANTÉES PAR LEURS OBSESSIONS ET CAUCHEMARS, EST D’AILLEURS UN MOTIF DU CINÉMA DE LYNCH. figures innocentes, hantées par leurs obsessions et cauchemars, est d’ailleurs un motif du cinéma de Lynch, d’Eraserhead à Mulholland Drive, en passant par Blue Velvet et Lost Highway. Chez lui, il y a toujours plusieurs mondes qui existent simultanément, et qui se superposent: le rêve et le cauchemar, le beau et le monstrueux, le fantasme et sa réalisation. Entre les deux, il y a celui de Twin Peaks, dont l’état double est signifié jusque dans le titre, et qui se délecte à perdre le spectateur dans ses dédales cocasses et ténébreux. Interpréter Twin Peaks, c’est comme essayer d’interpréter un rêve: peut-on vraiment en épuiser tous les arcanes? y Dès le 21 mai sur Showtime


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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

PAR-DESSUS LE MARCHÉ … DE DUPES L’annonce que les dirigeants de Bombardier allaient s’octroyer de substantielles hausses de salaire a récemment suscité une vive colère au Québec. Il faut dire qu’elle arrivait alors que l’entreprise, qui venait de bénéficier de 1,3 milliard $ d’aide publique du Québec, disait prévoir supprimer quelque 14 000 postes d’ici l’an prochain. Ajoutez encore à cela le fait que bien que Bombardier ait perdu près de 1 milliard $ l’an dernier, ses cinq plus hauts dirigeants (ces demandeurs d’aide publique) avaient touché 32 millions $ en primes. Bombardier a justifié ces hausses salariales en disant qu’elles sont ce que le marché commande. Mais cette explication n’est guère convaincante dans la bouche de gens qui refusent la discipline du marché quand elle leur est défavorable, et qui se réfugient alors dans les jupes des fonds publics. Bref: des gens qui confirment l’enrageante rengaine usuelle de la privatisation des profits et de la socialisation des risques et des pertes. Tout cela devrait donner à méditer sur ce véritable totem de notre époque qu’est cette idée de marché. Voici quelques informations à ce sujet que l’on souhaiterait connues de tout le monde. Aux origines On a voulu, aux 18e et 19e siècles, faire de l’économie une science, sur le modèle de la physique. Mais s’agissant d’humains supposés libres et imprévisi-

bles, qu’est-ce qui pourrait bien jouer le rôle de ces atomes aux comportements mathématiquement exprimables et prévisibles parce que régis par des forces comme la gravité? Et que seraient ces forces? On postula des Homo œconomicus, rationnels et cherchant toujours à maximiser leur profit. L’agrégation de leurs comportements dès lors prévisibles permettra de définir un «marché» et, par exemple, de dessiner des courbes de l’offre et de la demande et de prévoir des cycles économiques. Des failles vont pourtant vite apparaître dans ce modèle. En voici deux, majeures. Pour commencer, les cycles économiques ne correspondent souvent pas aux prédictions: les prix et les salaires souffrent de «rigidités» et ne s’ajustent pas comme prédit. Un certain Keynes réfléchira en ce sens à la crise de 1929 et recommandera de profondément repenser le modèle classique. Plus tard encore, on devra reconnaître que l’Homo œconomicus est bien loin d’être aussi rationnel qu’on le pensait, et on créera même au 20e siècle une discipline nouvelle, l’économie comportementale, pour en rendre compte. Mais il y a pire encore: sur ses bases mêmes, le marché présente des défaillances importantes. La plus grave pourrait être que le modèle néglige de prendre en compte les effets sur des tiers partis des échanges entre contractants – ce qu’on appelle des externalités.


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> Il arrive que ces effets soient bénéfiques: votre riche voisin fait éclairer sa rue et tous bénéficient sans payer de cette externalité positive. Mais il arrive aussi qu’ils soient néfastes et l’externalité est alors négative, comme quand cette entreprise déverse dans la nature des produits toxiques dont tous pâtissent. (Devinette: saurez-vous dire comment se nomme ce qu’on appelle souvent la plus grave des externalités négatives à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée?) Mais ce n’est pas tout. Ce qui ne devrait pas être «marchandisé» Oublions les défaillances du marché. Oublions tout ce qui fait que, en pratique, on est souvent bien loin du marché idéal théorisé et mathématisé par les économistes. Oublions même que des entités comme des entreprises sont désormais des acteurs à titre de «personnes morales» et oublions aussi qu’elles se tournent vers les fonds publics quand le marché ne les favorise plus. Oublions tout cela, puisque c’est de toute façon ce qu’on fait depuis quelques décennies, en étendant toujours plus la sphère de ce qui est soumis au marché. Une question se pose alors: y a-t-il des limites à cette extension? Y a-t-il des raisons valables qui feraient qu’on devrait refuser que telle ou telle chose soit vendue et achetée? Pour vous aider à y réfléchir, voici quelques exemples, recensés par le philosophe Michael Sandel: Payer les élèves pour qu’ils lisent des livres.

Un village dont nombre des femmes sont des mères porteuses.

Payer quelqu’un pour que, durant des heures, il fasse la file à votre place. Payer pour avoir le numéro de téléphone privé de son médecin. Payer pour avoir, en prison, une cellule privée et très confortable. Vendre son sang.

Vendre un de ses reins.

Acheter un permis de tuer un animal d’une espèce menacée d’extinction.

Payer une personne pour qu’elle se fasse tatouer une publicité sur le front. Privatiser l’éducation; la santé.

Payer pour avoir le droit de polluer.

Payer des mercenaires pour défendre/ attaquer un pays.

Payer une personne pour tester un médicament. Vastes questions.

Sandel nous met d’abord en garde, et je pense qu’il a bien raison de le faire, contre ces cas où lorsqu’un bien devient marchandise, il est par là corrompu et perd de sa valeur – et peut-être même la perd tout à fait à terme. Des exemples? La valeur qu’on attribue au fait de lire n’est-elle pas menacée si l’enfant ne lit plus que pour être payé? La dignité d’une personne n’est-elle pas corrompue quand Nike est en permanence tatoué sur son front? Mais cette personne a bien sûr pu se retrouver dans une situation telle que cette option était l’une des rares qu’il lui restait. Cela nous conduit à une deuxième mise en garde de Sandel: la marchandisation de certains biens peut générer des inégalités qui pèsent lourd sur la possibilité de mener une vie digne. C’est qu’en ce cas, plus vous êtes riche, plus vous avez alors accès à des choses comme la santé, l’éducation et ainsi de suite. Imaginez alors que les décisions économiques prises par les partis politiques soient elles aussi marchandisées, en ce sens qu’on pourra les influencer à proportion de la fortune dont on dispose. (Suivez mon regard…) Arrive là-dessus la mise en garde du vieil Aristote, qui soutenait que la démocratie ne peut tolérer de trop grandes inégalités et que quand celles-ci augmentent excessivement, la démocratie recule. Chez nous, en 2012, les 20% les plus riches détenaient plus des deux tiers (67,4%) de la richesse, alors que les 20% les plus pauvres ne possédaient à peu près rien du tout. Et au Canada, en 1998, la rémunération des patrons des 60 plus grandes entreprises canadiennes cotées en bourse était en moyenne 60 fois le salaire médian. En 2010, elle était de 150 fois ce même salaire. On dit que c’est un record du monde. J’ai ma petite idée sur ce que dirait Aristote… Ah! J’allais oublier. Notre plus grave externalité négative? Le réchauffement climatique anthropique, bien entendu… y


CUISINE AU CORPS

Acte sensuel par définition, le fait de manger peut amener le plaisir bien au-dessus de la ceinture… MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | DREAMSTIME


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hair de poule, picotements, frissons le long de la colonne vertébrale, vague de chaleur, creux dans le ventre, tensions musculaires, sécrétion… Il ne s’agit pas ici des effets d’un acte sexuel, mais de la description d’un orgasme culinaire. Oui, ça existe, explique Magali CrosetCalisto: «C’est une manifestation physiologique qui déclenche un état d’extase et dont le point G se situe au niveau des papilles. C’est une érotisation maximale de la sphère buccale…» Dans son livre Dolce Italia, la sexologue clinicienne raconte sa propre expérience: «Ce fut tout d’abord très localisé. Très focalisé. Langue, palais, gosier. Puis les saveurs imprégnèrent ma bouche, mes lèvres, mon visage entier. Ma langue était en émoi. Mon corps aussi. Il se passait quelque chose. Quelque chose qui m’échappait. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que j’étais en train de vivre un orgasme procuré par le plat en question. Incrédulité. Vertige face à l’idée.»

C

Si les organes génitaux ne sont pas concernés, l’orgasme culinaire suit les mêmes étapes de jouissance: excitation sexuelle, mise en tension, orgasme et relâchement des tensions. Comme lors d’un orgasme sexuel, le cerveau réagit en sécrétant des hormones responsables des sensations de désir, de plaisir, de bien-être et d’attachement. Plusieurs aliments reviennent dans les témoignages étudiés par Magali Croset-Calisto et pourraient ainsi être considérés comme des déclencheurs: la truffe et le chocolat, plusieurs variétés de fromages dont la mozzarella de bufflonne, quelques fruits de mer – les oursins notamment –, certaines crèmes glacées… et les fruits de la passion. Le déclencheur peut être sucré ou salé selon les préférences et dépend souvent des référents culinaires de l’enfance. Le contexte parfait pour atteindre le septième ciel à table? «Cela nécessite avant tout des principes de lâcher-prise et de disponibilité au plaisir. Deux conditions nécessaires à tout orgasme en général», indique la sexologue. Et ça se travaille: il s’agit de se mettre à l’écoute

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OBTENIR

PLUS

D’ARGENT POUR MANGER AU RESTO?

OUI C’EST POSSIBLE!


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«COMME LORS D’UN ORGASME SEXUEL, LE CERVEAU RÉAGIT EN SÉCRÉTANT DES HORMONES RESPONSABLES DES SENSATIONS DE DÉSIR, DE PLAISIR, DE BIEN-ÊTRE ET D’ATTACHEMENT.» des découvertes gustatives et de se focaliser sur les sensations au niveau des papilles. «Une disponibilité physique et mentale s’avère essentielle. Le stress, l’anxiété ou le manque de temps peuvent être des freins à l’expérience.» Pareil que pour le sexe, mais en solo: l’orgasme culinaire est un plaisir personnel érotisé et pas un désir de sexualité à partager. «Il est souvent vécu comme une surprise qui surgit et dont les sensations de plaisir ressenti restent entre soi et soi-même, souligne Magali Crostet-Calisto. C’est avant tout une expérience personnelle…» «Cumfort foods» Alimentation et corps sont liés à plus d’un titre. La cuisine peut parfois même se retrouver dans la chambre à coucher, et vice-versa; prenons pour exemple le nyotaimori, coutume japonaise selon laquelle on dispose des sushis sur une femme nue, ou le fait – plus courant – d’amener de la nourriture dans ses ébats sexuels. Et puis il y a ceux qui cuisinent avec leur corps, comme c’est le cas de Paul «Fotie» Photenhauer, auteur de trois livres de recettes… à base de sperme. Dans Fotie’s Cumfort Foods, on peut ainsi trouver comme faire une sauce BBQ ou une crème caramel dans lesquelles la farine ou le ketchup se mêle à des cuillerées de sperme frais. Dans l’introduction de son premier livre – Natural Harvest: A Collection of Semen-Based Recipes –, l’auteur explique les raisons et les avantages à intégrer son éjaculat à ses plats: «Le sperme est non seulement très nutritif, mais il a aussi une excellente texture et de nombreuses propriétés culinaires. De même que les vins ou les fromages, son goût est complexe et dynamique. Le sperme ne coûte rien à produire.

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Malgré toutes ces qualités, il reste négligé au rayon alimentaire. Le sperme est pourtant un ingrédient excitant qui peut donner à tous les plats un twist intéressant...» Son deuxième livre, Semenology: The Semen Bartender’s Handbook, propose quant à lui des recettes de cocktails un peu «pimpées». C’est en partant d’une réflexion sexo-sociologique (pourquoi les hommes font-ils avaler leur semence à leur partenaire mais bloquent à l’idée de consommer la leur?) que Paul Photenhauer en est venu à lancer ses recueils de recettes. Comme dans le cas de l’orgasme culinaire, la dégustation s’éloigne alors des lieux habituels du plaisir sexuel et du fait plus banal de manger. Le goût? C’est une autre histoire... y

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APRÈS LE SOUPER SPECTACLE ET LE THÉÂTRE DE RUE, VOICI LE SOUPER SPECTACLE À MARCHER SOI-MÊME. LE PROJET BBQ REVIENT DANS SAINT-ROCH POUR NOURRIR LE CORPS ET L’ESPRIT DES SPECTATEURS. MOTS | CAROLINE DÉCOSTE

ILLUSTRATION | CHARLES-ÉTIENNE BEAULNE


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> Certains trouvent que la notion d’«art culinaire», c’est pousser le bouchon un peu trop loin. Claude Breton-Potvin, elle, n’est pas du même avis. «Pour moi, la cuisine est un art comme le sont le théâtre et la peinture. Je suis une fille très gourmande, je mange souvent au resto, ça me passionne. J’avais le désir de rassembler le public autour d’un souper expérimental», explique celle derrière l’idée et la mise en scène du Projet BBQ, dans une scénographie d’Ariane Sauvé, présenté au Carrefour international de théâtre de Québec, après une première mouture (pas dans le sens de café) aux Chantiers – constructions artistiques en 2016. «J’ai eu un flash d’un genre de parcours avec des pièces de théâtre intégrées dans les restos. Je crois que ce sont deux choses qui peuvent bien se mélanger ensemble.» Comme inspiration, la metteure en scène cite en rafale les documentaires Cooked et Chef’s Table, ainsi que la chef Dominique Crenn, double étoilée Michelin et nommée Meilleure femme chef du monde l’an dernier. «J’ai découvert Dominique Crenn après avoir démarré le projet et je voyais des similitudes entre nos visions. Elle décrit chaque plat en une phrase ou quelques mots, très poétiques. Je me disais que si des gens se déplacent dans son resto pour ça, ça pouvait marcher pour moi.» Pour signer les textes de ce parcours gastronomique nouveau genre, sorte de fusion entre le théâtre de rue et un food crawl, Claude a fait appel d’abord à des auteurs qu’elle admirait, sans se douter qu’elle rassemblait autour d’elle une vraie tribu de gourmets. «Ma première idée, c’était de faire appel à cinq plumes différentes et à cinq restos différents, pour une question d’énergie. Finalement, tout le monde est assez foodie dans l’équipe!» Le choix des restaurants s’est fait en considérant les affinités alimentaires des auteurs et le potentiel d’ouverture à accueillir un tel spectacle. Ainsi, le texte d’Anne-Marie Olivier sur la crise de la listériose sera joué au Pied Bleu, dont les propriétaires, Thania Goyette et Louis Bouchard Trudeau, s’étaient déjà prêtés au jeu du repas théâtre avec My Dinner with André en 2015. Le Coin de la Patate recevra la visite du casseau géant rempli de frites et d’ambition sorti de l’imaginaire de Steve Gagnon. Le Cercle, lui, sera théâtre deux fois plutôt qu’une: son Salon Niché recevra Isabelle Hubert et son parallèle entre le consentement sexuel et la gourmandise, alors que son Aquarium verra la campagne de financement imaginée par Érika Soucy virer au désastre. Enfin, tout le monde convergera vers le café-bar Le Zinc aménagé dans la Salle Multi de Méduse, pour assister à la comédie musicale Grosse Tarte de Joëlle Bond et au festin des Belles Tartes (au propre et pas au figuré, cette fois-ci).

Écrire pour deux publics, un volontaire et un involontaire, est toute une contrainte. Ce ne sont pas tous les spectateurs du Projet BBQ qui sont au parfum (au fumet?) de ce qui se passe dans le restaurant, car les lieux ne sont pas réservés au parcours théâtral. Il y a donc des petits couples et des familles qui mangent tranquillement alors que tout ce beau monde débarque à l’improviste pour jouer et manger. «Ils ne sont pas complices de ce qui se passe et c’est assez drôle. Ils sont quand même curieux, ils veulent nous rejoindre», rigole Claude. «C’est plus de la bonne publicité qu’autre chose!» La participation du Cercle pour une deuxième année et pour deux scènes du parcours s’inscrit, autant pour la metteure en scène que pour le chef, dans la continuité des activités du Cercle. «En cuisine, je suis quelqu’un d’assez funky, je délire tout seul»,

«POUR MOI, LA CUISINE EST UN ART COMME LE SONT LE THÉÂTRE ET LA PEINTURE.» expose Nikola Couture, davantage habitué à portionner de la protéine qu’à faire du remue-méninges avec des dramaturges. «J’aime les défis: c’est ben beau éplucher des carottes, mais ce côté fun qu’offre Le Cercle, ce côté artistique, c’est un beau bagage pour ma carrière. Ça sort tout le monde de sa zone de confort. Je n’étais jamais retourné au théâtre depuis le secondaire…» L’an dernier, pour illustrer la pauvreté dans le monde, Nikola avait invité les convives à manger un faux bol de sable et de pétrole, à base de crumble de biscuits et de thé à l’encre de seiche. Et cette année, que réserve-t-il comme folie pour le Projet BBQ? «Claude m’a dit de ne rien dire, faque c’est non!» y Les 29 et 30 mai, 5 et 6 juin Rendez-vous à l'entrée de la bibliothèque Gabrielle-Roy (350 St-Joseph Est)

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INHUMAINES … PAS TANT MOTS | FRANCO NUOVO

Avec Inhumaines, Philippe Claudel n’aurait certainement pas remporté le prix Goncourt des lycéens que lui a valu Le rapport de Brodeck en 2007. Enfin, je ne crois pas. Ou peut-être que oui. Peut-être que les 2000 élèves de France qui constituent ce jury le lui auraient décerné pour son inconvenance, son sens de la provocation, sa façon crue de raconter des histoires et de parler de cul, de délirer, d’imaginer l’inimaginable et de transformer sa plume en épée meurtrière au nom de la liberté d’expression pour s’opposer à toute forme de rectitude. Peut-être. Entre vous et moi, je ne savais trop à quoi m’attendre et je ne sais trop comment en parler ni par quel bout commencer. Comme tout le monde, j’ai tout de suite voulu voir ce que disait la quatrième de couverture. Je ne savais trop à quoi m’attendre, dis-je, de ce roman qui finalement n’en est pas un, d’autant qu’il n’y avait ni résumé ni mise en situation sinon ces quelques mots: «Nous sommes devenus des monstres. On pourrait s’en affliger. Mieux vaut en rire.» Point. Basta. En couverture de ce petit bouquin de 130 pages, aucune référence aux monstres sinon deux couples habillés, enlacés dans une position qu’on pourrait croire suggestive. Intrigant. En fait, Inhumaines n’est même pas un roman. Il s’agit plutôt d’une vingtaine de courtes histoires sans véritables liens sinon des personnages, certains plus familiers que d’autres, qu’on retrouve de temps en temps dans un ou dans l’autre des récits.

Bon, si je voulais faire simple et résumer, je dirais: «C’est fucké!» Un voyage aux limites de l’inhumain; de l’humour plus que noir qui révèle le côté désespérant de l’Homme, ses travers, son étrangeté. Inhumaines, c’est Gros dégueulasse de Reiser transposé sous la plume d’un remarquable écrivain. C’est le Professeur Choron drapé dans sa toge de provocateur. Et ce n’est pas si loin d’une probable réalité. En fait, Inhumaines est terriblement français. Terriblement dans le sens de «terrible», parce qu’il émane d’une culture qui manie avec adresse l’insolence, l’effronterie et l’impudique quelquefois jusqu’à la frontière de l’obscène. Inhumaines est gaulois. Bon. Et je n’ai toujours pas allumé de lumière, ne serait-ce que pour vous éclairer un peu. Et vous verrez… Et peut-être que vous vous désolerez… Et enfin peut-être que, comme le souhaite Claudel, vous rigolerez plutôt que d’être affligé. Ce type, par exemple, qui pour Noël offre à sa femme qui n’aime pas les bijoux trois hommes bien emballés, qu’il glisse sous le sapin. «Pourquoi trois? Un pour chaque orifice.» Ou ce collègue du service de comptabilité qui a épousé une ourse. Une ourse en blanc. C’est un mariage, après tout. «Les mariages mixtes se multiplient et ne choquent plus personne.»

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Et ce confrère aimant tant les animaux de compagnie qu’il partage son jacuzzi avec des poissons, «cinq poissons de tailles différentes qui nageaient dans une eau trouble». Il invite ses camarades à baisser pantalon et slip et à se glisser dans l’eau, les jambes ouvertes et immergées. Je passe sur la description du sexe de tout un chacun et sur «le poisson qui a ouvert grand sa gueule et a gobé le gland» d’un des invités, puis d’un autre et d’un autre. «Le plaisir qu’ils avaient ressenti n’avait pas d’équivalent. Aucune bouche féminine ne parvenait à la hauteur de la gueule de ce poisson.» Peut-être est-ce que ça suffit? Il faut savoir toutefois que ces détails grivois se fondent dans des histoires trop bien écrites pour être totalement étranges. Il y a du Devos aussi, dans tout ça. «Ma femme est morte il y a quelques jours. Sans prévenir. L’ingrate. Je l’ai remplacée tout de suite. J’ai pris la même. Pourquoi changer? Le jour de l’enterrement, je suis venu avec elle…» Rien ne nous est épargné. Ni le cannibalisme, ni la zoophilie, ni le sarcasme, ni l’ironie, ni l’irrévérence, ni les inégalités, ni la cruauté, ni l’avortement et les principes religieux, ni les incivilités, ni le racisme, ni les préjugés autopsiés envers des pauvres qu’on parque comme des bêtes dans une société à deux vitesses «où les riches passent leur temps à s’enrichir et où les pauvres passent le leur à s’appauvrir, rien ne sert que les seconds soient dans le même espace que les premiers». Philippe Claudel nous traîne, sans gêne ni retenue, dans nos contradictions et la fange de nos existences. «Il était jeune. Barbu. Arabe évidemment. Il y en a partout. De banlieue sans doute. Ces gens aiment vivre dans des quartiers inesthétiques. Inconfortables. Je n’ai jamais compris pourquoi. On vit si bien dans de gracieux pavillons. Spacieux. Carrelés…» Alors, lisez Inhumaines, pour vous désoler ou pour en rire… y


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Les Frères de la Côte

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TAQAWAN ÉRIC PLAMONDON Le Quartanier, 2017, 224 pages Éric Plamondon avait fait une entrĂŠe tardive mais fracassante en littĂŠrature quĂŠbĂŠcoise. Ce QuĂŠbĂŠcois habitant Bordeaux nous avait surpris avec son premier livre Hongrie-Hollywood Express (Le Quartanier, 2011), premier bouquin de la trilogie 1984 dont s’Êtaient amourachĂŠs bon nombre de libraires jusqu’à le porter trois fois plutĂ´t qu’une comme finaliste au Prix des libraires du QuĂŠbec. L’après 1984 ĂŠtait attendu avec inquiĂŠtudes, plusieurs se demandant comment il ferait après avoir amorcĂŠ sa carrière littĂŠraire avec tant de force et d’innovation. Le temps est venu de nous servir son quatrième livre, Taqawan, un livre portĂŠ par les flots de la rivière Restigouche, oĂš on y retrouve un Plamondon diffĂŠrent, mais familier. Le 11 juin 1981, OcĂŠane fĂŞte ses 15 ans. L’autobus la menant Ă l’Êcole, Ă l’extĂŠrieur de la rĂŠserve, s’arrĂŞte au pont Van Horne oĂš policiers et Mi’gmaqs attisent la violence sur fond de pĂŞche illĂŠgale. Quelques heures plus tard, elle dort d’un sommeil profond dans le camp de chasse qui sert de logis Ă l’ex-garde de chasse Yves Leclerc. Ce dernier l’a trouvĂŠe presque inconsciente au beau milieu de nulle part, tumĂŠfiĂŠe. Le roman de Plamondon empruntera plusieurs sentiers narratifs. On s’y retrouvera Ă flot sur la Restigouche, dans une chaloupe Ă moteur avec un garde-chasse, un Indien et un anthropologue, mais pour en arriver lĂ , il faudra attendre les dĂŠtails et les tergiversations qui font qu’une histoire de pĂŞche tourne lentement Ă la lĂŠgende, Ă la fiction. On retrouve l’Êrudition de Plamondon, celle qui a tant plu dans 1984, cette savante alchimie avec laquelle l’auteur parsème son histoire de chapitres en marge, faisant tantĂ´t l’Êloge du saumon et de ses dons divins, tantĂ´t l’historiographie des quotas de pĂŞche, si ce n’est pas l’histoire des terres que nous habitons. Roman brillant aux allures de faux polar, Taqawan est un plaidoyer pour la territorialitĂŠ. Plamondon s’empare de la question tendue et sans fond de la cohabitation de ce nouveau continent qui a dĂŠjĂ des airs vieillis sous les rides de ses torts; il sert ici une habile leçon de littĂŠrature contemporaine sans condescendance aucune, une littĂŠrature qui bifurque du savoir Ă la fiction, du rĂŠel au littĂŠraire. Doublant ses ĂŠcrits d’une charge quasi vindicative sur nos incohĂŠrences identitaires, il le fait sans jamais plomber son roman d’un ton moralisateur. Comme le dit si bien son personnage: ÂŤ[A]u QuĂŠbec, on a tous du sang indien. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains.Âť (JĂŠrĂŠmy Laniel) y


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#!-0!'.% $% 3%.3)"),)3!4)/. $5 %2 !5 *5). Sur les rayons

LES ADIEUX RENÉ LAPIERRE Les herbes rouges, 2017, 432 pages Que reste-t-il de l’amour? A-t-il traversĂŠ le temps sans flĂŠtrir, portĂŠ par la candeur des premiers ĂŠmois? L’avons-nous portĂŠ de saccages en renaissances sans le protĂŠger, le croyant inatteignable des vices de notre espèce? En somme, l’avonsnous tenu pour acquis? Telles sont les questions qui hantent l’imposant nouveau recueil du poète RenĂŠ Lapierre. Avec Les adieux, il interroge ici tant le sentiment que le lieu de l’amour, cette espace insĂŠcable oĂš on cumule les dĂŠfaites depuis si longtemps. Le poète s’attaque ici au galvaudĂŠ et au commun, une piste embourbĂŠe de pièges que seules la poĂŠsie et la luciditĂŠ de l’Êcrivain semblent parvenir Ă dĂŠsamorcer l’un après l’autre. Dans cette somme de plus de 400 pages, il nous en livre surtout un clair testament au parfum d’espoir aigri plutĂ´t qu’une quelconque chronique nĂŠcrologique empreinte de cynisme. Le recueil se dĂŠcoupe en trois parties – ClartĂŠs, DĂŠfaites, Commencement – rĂŠunissant 17 suites poĂŠtiques, commençant toutes par des dates et des lieux avec lesquels il remontera le dernier siècle de catastrophes en dĂŠsastres quotidiens. Ces clartĂŠs et ces ĂŠvidences dont on s’aveugle, c’est un peu le legs de ce recueil: ÂŤEt moi, dans ma langue de bĂŞte et dans mon cĹ“ur d’orage, je voudrais les offrir comme des bienveillances, des rĂŠdemptions.Âť Le poète dĂŠsire un rĂŠapprentissage amoureux, libĂŠrĂŠ de tout bon sentiment: ÂŤVous rappelez-vous ce que nous faisaient les peines les plus vives? Combien nous les aimions? Ă€ quel point nos colères flambaient plus que nos joies?Âť Le tour de force de RenĂŠ Lapierre est de tenir aussi longuement sur ce sentiment – cet ĂŠvĂŠnement – qu’on croyait vidĂŠ de regards nouveaux. EntrecoupĂŠ de faits vĂŠritables et de morts passĂŠes, le poème revient toujours Ă son essence: la dĂŠfaite et l’Êchec comme seul rĂŠel brasier du vrai sentiment. ÂŤL’amour est Ă l’inverse. C’est une vĂŠritĂŠ crue, un ĂŠclat d’infini qui s’enfonce dans votre poitrine; c’est une dĂŠbâcle de la vie, une chute, une dĂŠroute sacrĂŠe.Âť Dans le souvenir et dans le poème, l’espoir est prĂŠsent et vif, et c’est exactement lĂ oĂš le recueil prend toute son essence: ÂŤPuis nous sommes entrĂŠs dans une maison. Le monde allait Ă sa ruine mais nous mettions sur la table, une nappe blanche.Âť (JĂŠrĂŠmy Laniel) y

,E -OUVEMENT 0ERSONNE D !BORD DU 1UĂ?BEC -Ă?TROPOLITAIN INVITE LA POPULATION ET REMERCIE LES Ă?TABLISSEMENTS ET RESTAURATEURS PARTENAIRES QUI DIFFUSERONT NAPPERONS DE SENSIBILISATION DANS LA RĂ?GION DE LA #APITALE .ATIONALE

$EPUIS LE -0$!1- EST UN ORGANISME COMMUNAUTAIRE ACTIF DANS LA RĂ?GION VOUĂ? Ă‹ L ENTRAIDE LA PROMOTION ET LA DĂ?FENSE DES DROITS 0AR ET 0OUR LES CITOYENS VIVANT AVEC LgĂ?TIQUETTE DE i DĂ?FICIENCE INTELLECTUELLE w

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DOMINIQUE PÉTRIN: INVENTER LA RÉALITÉ

Autrefois chanteuse du groupe rock expérimental Les Georges Leningrad et artiste visuelle autodidacte, à la fois intuitive et dotée d’une lucidité déconcertante sur sa pratique et son parcours, Dominique Pétrin voit sa carrière internationale s’ouvrir sur de nouvelles perspectives. MOTS | ALESSANDRA RIGANO

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU


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La créatrice qui se spécialise en sérigraphie a déjà habillé la vitrine de l’immeuble Pech-Sherpa et un piano pour un concert de Pierre Lapointe en plus de collaborer en danse avec Antonija Livingstone, Jennifer Lacey et Stephen Thompson à Vienne et en France. Récemment, l’artiste engagé et anonyme Banksy lui a demandé de décorer une chambre du nouvel hôtel Walled Off à Bethléem sous le thème d’une colonie britannique en ruine, un mandat certainement déterminant pour sa carrière. Dominique Pétrin a passé deux mois à imprimer des éléments de consommation de masse comme une caméra de surveillance, une machine à espresso, un livre de yoga et même une tasse où on peut lire «shit happens». Avec l’artiste palestinienne Sami Musa, elle est la seule à avoir été invitée par Banksy qui a signé les sept autres chambres de l’hôtel dont la vue donne sur le mur de la séparation israélien. À peine revenue de son séjour en terre sainte, Dominique Pétrin a été inondée par une pluie médiatique. Pour l’artiste qui dort souvent dans son petit atelier ensoleillé du quartier Mile-Ex à Montréal, trouver un moment pour des entrevues était une tâche complexe. «Tous les gens qui me connaissent – et ceux que j’ai perdus– le savent, il y a une chose dans ma vie et c’est ce que je fais. Je suis inaccessible. C’est un peu plate, c’est un sacrifice. Ma vie personnelle en souffre beaucoup […]. Il n’y a aucune magie. J’ai travaillé toute ma vie. J’ai tout donné.»

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Dominique Pétrin aime les défis. On pourrait facilement penser qu’elle a grandi dans une famille d’artistes ou qu’un parcours scolaire difficile l’a guidée vers cette voix qu’on ne choisit pas toujours. «Un jour, ma mère m’a fait un commentaire – sans mauvaises intentions –, j’étais arrivée avec mon bulletin et ma trâlée de notes à 99%. J’attendais des félicitations, mais elle m’a dit: “Ben t’as pas de mérite, c’est trop facile pour toi.” Ça m’a complètement traumatisée. Inconsciemment, ça m’a poussée vers le chemin le plus difficile dans la vie, celui où tu en arraches le plus – les arts!» Un choix de carrière qu’elle explique ainsi avec un éclat de rire, parce que l’artiste ne se prend pas trop au sérieux, autant dans la vie que dans sa pratique. D’abord intéressée par le fanzine et la bande dessinée, Dominique Pétrin s’est un jour tournée vers la sérigraphie par désir de renouer avec la couleur, ce qui a transformé sa vie. C’est aussi la possibilité de faire de «l’art abordable pour tout le monde» qui l’a attirée vers ce médium. «Si je veux vivre dans le luxe et avoir un mur de marbre, je vais me l’imprimer.» C’est lorsqu’elle travaillait pour Publicité Sauvage qu’elle a rencontré ses acolytes avec qui elle a fondé Les Georges Leningrad en 2000, groupe culte connu pour ses performances éclatées et expérimentales. «La musique n’était pas si pire, mais c’était surtout l’énergie qu’on dégageait qui faisait notre force. J’étais une chanteuse absolument pourrie, mais j’avais vraiment une bonne présence sur scène.» Cette envie de faire vivre une expérience immersive au public se retrouve aujourd’hui dans son approche visuelle. Elle expose la première fois à La Centrale Galerie Powerhouse de Montréal en 2009 où elle s’inspire du collectif The Hairy Who à Chicago afin de défier le cube blanc. En tapissant les murs d’un papier qu’elle a créé, Dominique Pétrin réalise alors que son travail doit s’orienter vers l’installation. «Graduellement, j’ai inclus le plancher et mes environnements sont devenus complètement immersifs. Cela crée un engagement physique qui joue avec la perception du public. J’aime intégrer des références à l’histoire de l’ornementation comme des fresques gréco-romaines. Et en même temps, on retrouve beaucoup d’éléments géométriques qui rappellent les jeux vidéo des années 1980 dans mes œuvres.»

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«J’INTÈGRE L’ARCHITECTURE DU WEB AVEC CELLE D’UN LIEU PHYSIQUE, CE QUI ME PERMET DE CRÉER DES ENVIRONNEMENTS QUI INTERPELLENT NOTRE PERCEPTION D’UN ESPACE AUTANT PHYSIQUE QU’IMAGINAIRE.»

PROCUREZ-VOUS —LA BIBLE— DES COCKTAILS DU RÉPUTÉ CHEF MIXOLOGUE PATRICE PLANTE

... D I S P O N I B L E À L’AT E L I E R OU EN LIGNE.

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Le fait de combiner des objets nobles avec ceux perçus comme étant pauvres lui permet de poser un regard critique sur le concept de représentation dans notre société. «Quand on construit nos profils Instagram, Tinder ou Facebook, on est dans la représentation, mais en même temps, il y a une part de réalité. Ces profils sont une sorte de fenêtre tout comme l’interface internet; quand on navigue en ligne, on ouvre une fenêtre qui s’ouvre sur une autre, c’est une forme d’architecture. Donc j’intègre l’architecture du web avec celle d’un lieu physique, ce qui me permet de créer des environnements qui interpellent notre perception d’un espace autant physique qu’imaginaire.» Comment se sentiraiton dans les «internets»? Qu’est-ce qu’une expérience physique ou virtuelle? «C’est comme une expérience impossible. Mes installations se trouvent dans ces zones-là.» C’est à se demander à quoi ressemble son appartement: «Ha! ha! Mon appart est tapissé! J’ai fait tous mes premiers tests là!» Dominique Pétrin a rassemblé des œuvres récentes pour le projet I Just Wished Martha Stewart Told Me to Chill Down, un teaser de sa prochaine exposition qui sera présentée dans la grande salle de la Galerie Antoine Ertaskiran où elle s’intéresse entre autres

à l’angoisse existentielle issue de l’utilisation des médias sociaux. «Les textes de chaque tableau rappellent toujours le format des messages textes. L’une des œuvres qui s’intitulent Just Chill est une fenêtre très ornementée avec un beau bouquet de fleurs à côté d’une pompe à asthme. Une autre que j’ai intitulée What Would Be Our Future Together If There is Any? évoque une angoisse personnelle associée aux rencontres Tinder.» Avant de retourner au M.A.I. pour la préparation de la pièce de danse Make Banana Cry où elle a créé une série d’objets qui s’inspirent de l’exotisme asiatique, Dominique Pétrin rapatrie ses deux petits chiens, Hermine et Mouchette, visiblement habitués à sa vie agitée. «Ce sont mes mascottes, mes p’tits compagnons.» Ce qui l’attend lui est encore inconnu, mais les questionnements professionnels sont peu pertinents pour cette artiste dont les projets ne cessent de se présenter à elle depuis 2009. À suivre… y I just wished Martha Stewart told me to chill down, like real down Galerie Antoine Ertaskiran à Montréal Jusqu’au 6 mai 2017


56 ARTS VISUELS VOIR QC

VO2 #O5

O5 / 2O17

SUBLIMER LES QUOTIDIENS ELLE AIME L’ODEUR DE L’ENCRE QUI A MOUILLÉ LE PAPIER, LA TEXTURE FINE, VOLATILE DES PAGES. MYRIAM DION A FAIT DU JOURNAL SA TOILE DE FOND. MOTS | CATHERINE GENEST

IMAGES: COURTOISIE MYRIAM DION

Le matériau n’a rien de noble et sert, après usage, à allumer les feux dans les poêles à bois, à emballer la vaisselle qui pourrait se casser dans un déménagement. C’est une matière première fragile, déchirable et en proie aux jaunissements, qui devient dentelle sous le scalpel (un simple X-Acto) infiniment minutieux de Myriam Dion. «L’emploi du journal comme matériau traduit une économie de moyen, un choix vers le commun et l’ordinaire qui, sur le plan de la réception de l’œuvre, agit comme une stratégie pour installer une proximité entre la pièce et le spectateur, un sentiment de familiarité, d’accessibilité.» Comme une réplique aux fausses nouvelles et au diktat des pièges à clics, la pratique de l’artiste montréalaise a comme effet collatéral de rendre

hommage aux graphistes, aux photographes et aux journalistes de la si malmenée presse écrite. Celle qu’on condamne à une mort lente, douloureuse depuis l’avènement du proverbial web 2.0. «Le soin que je porte aux journaux traduit une volonté d’assurer leur préservation. Si cet objet de communication papier menace de s’étendre sous la croissance des médias numériques, mes pièces agissent alors comme une pérennisation en se transformant en œuvre d’art.» Le propos est résolument engagé et contemporain, mais les fondements de la technique typiquement chinoise préconisée par Myriam Dion – le jianzhi – remontent à la nuit des temps. Un joyeux paradoxe entre le thème et la méthode. «Je décèle un […] élément contrastant qui opère dans l’application


> d’un savoir-faire traditionnel ancien de plus de 2000 ans sur un support qui diffuse ce qu’il y a de plus actuel, qui documente le ici et maintenant, en relatant les faits les plus récents.» L’art presque perdu de prendre son temps Écrits, contre-vérifiés, corrigés par une tierce partie avant d’être mis en page puis envoyés chez l’imprimeur, les faits détaillés dans les journaux résultent d’une longue chaîne humaine. Une cohésion d’équipe et un souci du moindre détail, des standards de qualité, d’exactitude même, qui n’ont pu survivre à l’ère des breaking news sur Twitter. Si un terroriste sévit sur le Westminster Bridge de Londres à midi, le journaliste de Québec le saura à midi et une minute et transmettra l’information à son tour. La vitesse de propagation d’une nouvelle, et le partage d’ana lyses boboches à brûle-pourpoint, a priorité sur l’éthique, la recherche, le temps nécessaire à une réflexion posée. Myriam Dion, à sa manière, propose de ralentir ce rythme d’abord instauré par les chaînes d’information en continu dans les années 1980, puis qui s’est considérablement accru avec l’essor du cyberespace. «Je ne cherche pas à dévaluer les nouvelles ni à évacuer totalement les événements qui agitent notre monde. J’aspire plutôt à cristalliser une parcelle d’information dans le temps qui défile dans l’espoir d’aider le spectateur à digérer le monde en pleine accélération et à réfléchir sur les enjeux qui nous dépassent. Je connais une expérience similaire en découpant, le processus étant si lent, calme et solitaire.» Bien qu’elle ne compte pas ses heures, la créatrice estime qu’environ un mois est nécessaire à la réalisation d’une œuvre de gabarit moyen. Rien à voir avec l’urgence des dates de tombée des artisans qui lui fournissent un canevas – une autre antithèse qui façonne sa démarche créative, son discours artistique.

Cet été

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Après s’être, dans un passé pas si lointain, intéressée aux élections indiennes et à la tragédie de L’Isle-Verte, elle proposera une méditation, l’aboutissement de son introspection sur le conflit syrien et la crise des migrants qui secouent la planète presque tout entière. Un sujet inévitable qu’elle met à sa main. «Face à la détresse et à la violence du conflit, devant l’obscénité crue des images médiatiques, je ne donnerai pas dans l’art spectaculaire ou le sensationnalisme. Je propose une exposition qui opère par la délicatesse du geste, la fragilité du papier et la modestie, et qui effectue un retour vers la subtilité, le détail et la sensibilité de l’être.» Une série d’œuvres toutes fraîches qui oscille entre le petit et le très grand format (ça inclut une installation), un corpus qui célèbre le fait main et sa délicatesse intrinsèque comme autant de tapisseries orfévrées. y Étiolements Du 5 mai au 4 juin à l’Œil de Poisson

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58 CHRONIQUE VOIR QC

VO2 #O5

O5 / 2O17

ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

MOI AUSSI J’AIME HYDRO J’ai reçu un courriel il y a quelques mois d’une certaine Christine Beaulieu, comédienne. Elle voulait me rencontrer pour discuter de ma perspective par rapport à Hydro-Québec. Quelques personnes lui avaient alors suggéré de me rencontrer, sûrement en raison de mes positions concernant l’électrification du transport. Christine s’est présentée à l’heure dite. Alors que je réserve habituellement 30 minutes pour ce genre de rencontre, après plus d’une heure, j’avais griffonné une dizaine de pages de schémas; elle me relançait, m’impressionnait par sa connaissance de la matière, me reprenait sur le dernier tarif du solaire. Au bout de 90 minutes, je devais vraiment passer à la prochaine rencontre à mon horaire. Je l’ai invitée à compléter la discussion en fin de journée. On s’est quittés après avoir passé un autre quatre heures ensemble. Je vous avoue que je ne savais pas trop à quoi m’attendre pour la suite, je n’avais pas vu les premiers épisodes de J’aime Hydro, cette pièce de théâtre documentaire en constante évolution qu’elle porte depuis 2015. C’est une expérience théâtrale que j’appréhendais un peu quand j’ai accepté l’invitation d’Annabel Soutar, la directrice de Porte-Parole, une compagnie de théâtre documentaire, d’assister à la première. Ça dure quatre heures, m’a-t-on averti… Quatre heures pendant lesquelles Christine nous présente cinq épisodes bien recherchés et bien remplis. Debbie et moi avons tellement aimé que nous sommes retournés trois fois à l’Usine C en dix jours. Je suis passionné par les questions énergétiques et considère que je connais ça un peu plus que la moyenne. Ça m’a pris quelques années à comprendre la différence entre la production et la puissance, entre un kilowatt et un kilowatt-heure. J’aime

tellement ça que je suis même allé visiter LG2 avec ma fille l’été dernier. Bien sûr, Hydro-Québec touche tout le monde parce que tout le monde doit payer la facture qu’elle nous envoie mensuellement. Mais jamais je n’aurais cru que cette pièce puisse soulever un tel enthousiasme, un enthousiasme unanime. Ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir pourront se reprendre en achetant des billets pour les supplémentaires qui seront présentées cet été et vont alors découvrir une artiste d’une grande humilité qui part à la découverte de la grande Hydro. Et qui soulèvera toutes les roches pour comprendre comment ça fonctionne. Une vidéo brillamment intégrée à la pièce présente un extrait d’un cours magistral que René Lévesque a donné sur les ondes de la télévision d’État à des millions de Québécois en septembre 1962. Alors ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement de Jean Lesage, le formidable pédagogue qu’il était explique dans cette émission, pendant 28 longues minutes, le raisonnement derrière la stratégie de nationalisation de l’électricité. Les libéraux ont tout misé sur ce programme et ont déclenché des élections qualifiées de référendaires. Tout y passe: la dette, les taux d’intérêt, les rendements attendus, la production, lapuissance... Bref, un cours de Production et financement de l’électricité 101 et 201 en accéléré. C’est en réfléchissant à la pièce le lendemain que ça m’a frappé et que j’ai compris quelque chose de fondamental: René Lévesque ne prenait pas les gens pour des cons. Il ne sous-estimait pas la capacité de comprendre des Québécois. Il leur a servi ses arguments, les a expliqués et a compté sur leur capacité à analyser puis à faire un choix éclairé (sans mauvais jeu de mots).


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10 h 17

Le moment où vous donnez le coup d’envoi à votre meilleur parcours.

Et c’est exactement au même genre de rendez-vous que Christine Beaulieu, Annabel Soutar (qui a instauré le projet) et toute l’équipe de Porte-Parole nous ont conviés. Hydro a le dos large et s’attire les foudres de nombreux détracteurs. On l’accuse de ne pas être productive, d’avoir trop d’employés, de ne pas être connectée avec sa communauté, d’avoir eu un impact environnemental trop important. Un peu de tout ça est peut-être vrai. Mais nous avons entre les mains un joyau bâti par des visionnaires et qui demeure un formidable actif qui fait l’envie de tous. Comment s’impliquer pour l’améliorer versus le pourfendre? Les dix prochaines années seront déterminantes. Jamais le monde de l’énergie n’a connu pareils soubresauts. Le statu quo énergétique n’existe plus, il n’y a jamais eu de changements aussi rapides. La pièce a le mérite de mettre la table et de poser de bonnes questions. C’est fou toutes les idées qui peuvent germer et se raffiner quand on aime. Mais sortons de l’électricité maintenant et réfléchissons à ce qui nous rendrait globalement meilleurs comme société. Christine Beaulieu n’aime pas la confrontation, elle le mentionne d’ailleurs quelques fois dans la pièce. N’est-il pas temps que l’on remette au goût du jour la culture du débat de toutes les manières possibles? Avec ses partis-pris (car il en restera toujours), mais sans ses dogmes ni ses attaques personnelles. Nous vivons dans un monde hautement polarisé qui cède de plus en plus au populisme, influencé par la dangereuse culture du clip. Il est là, le problème: l’élite n’a plus de respect pour l’opinion publique. On élimine les référendums municipaux parce qu’on redoute que vox populi soit vox stupide en titi. À nous de faire mentir l’adage qui dit que le peuple se satisfait du pain et des jeux. Je suis certain que la vaste majorité des citoyens ne demande qu’à être mieux renseignée pour mieux comprendre les tenants et aboutissants des situations complexes que doivent gérer les politiciens ainsi que les solutions qu’ils proposent. Sans doute, en comprenant mieux, nous deviendrons moins cyniques. À ce titre, les artistes ont un rôle à jouer. Certes, ils nous divertissent, mais ils nous aident aussi à mieux comprendre notre société. Le travail d’Annabel Soutar et de Christine Beaulieu nous permet justement de nous convaincre que tous ensemble, en nous posant des questions, chacun avec ses compétences, en nous faisant confiance, nous sommes plus forts. Je me permets humblement d’imaginer une suite à leur création... Nous pourrions commencer l’écriture du premier épisode de J’aime le Québec. y

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QUOI FAIRE

PHOTO | MARC-É T IENNE MONGRAIN

MUSIQUE

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MISC

L’OCTOPUS

EMILIE CLEPPER

LE CERCLE – 11 MAI

D I S T R I C T S T-J O S E P H – 10 M A I

T H É ÂT R E P E T I T C H A M P L A I N – 11 M A I

Connu par le passé sous le nom Trio Jérôme Beaulieu, Misc se distingue par son jazz actuel où s’expriment les personnalités des trois musiciens pour créer un tout cohérent et diversifié. Avec des reprises d’artistes qu’il admire et des influences pop et rock, le groupe s’illustre dans cette nouvelle vague de jazz aux beats accrocheurs tout en conservant certains traits d’un jazz plus traditionnel.

Projet solo de la musicienne de formation classique et jazz Claudia Gagné, L’Octopus fait référence aux talents multidisciplinaires de l’artiste qui chante, joue de la basse et assure les percussions avec des instruments attachés à ses pieds. Son talent lui permet de tout faire elle-même, à la manière d’une pieuvre. Son concert est présenté dans le cadre des #ApérosFEQ ayant pour but de faire rayonner la relève.

La chanteuse texane d’origine québécoise s’inspire de sa passion pour le voyage, pour créer une musique dans laquelle s’illustrent autant les forêts de sa province d’origine que le désert infini du Texas. Avec Texas Eagle, réalisé par le Montréalais Joe Grass, l’auteurecompositrice-interprète offre un son plus épuré, laissant toute la place aux paroles.


SAFIA NOLIN

THE WEEKND

I M P É R I A L B E L L – 26 M A I

C E N T R E V I D É O T R O N – 31 M A I

Sacrée révélation de l’année au dernier gala de l’ADISQ, l’auteure-compositriceinterprète originaire de Québec et au parcours atypique nous présente son interprétation de plusieurs succès québécois dans Reprises vol.1. Il y a fort à parier que ce concert fera vibrer l’assistance de l’Impérial.

Canadien de renommée internationale, The Weeknd livrera un concert faisant suite à son nouvel album Starboy, fusionnant comme nul autre les accents de RnB, funk, pop, électro... nommez-les.

QUATUOR CREMA C AT H É D R A L E H O LY T R I N I T Y – 2 5 M A I

ILAM LE CERCLE – 2 JUIN

Fraîchement arrivé en sol québécois, le soliste sénégalais ILAM, fier interprète des sonorités africaines, est chaudement applaudi lors de ses performances. Lauréat de nombreux prix Coup de cœur, et même Révélation de l’année, tout semble prédire qu’il vous fera aussi vibrer.

PATRICE MICHAUD G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C – 24 E T 25 M A I

Après la sortie de son troisième album, Almanach, un heureux mélange de rock, de folk et de soul réalisé par Philippe Brault, Patrice Michaud s’arrête dans la Vieille Capitale dans le cadre de sa tournée québécoise. Lauréat du Félix du spectacle de l’année en 2015, l’artiste récidive avec un concert où le public pourra renouer avec son énergie contagieuse.

Le Quatuor Crema, formé autour d’un café en 2015, est composé de quatre musiciens provenant notamment de l’Orchestre symphonique de Québec, Les Violons du Roy, Artiq Session et La Fresque. Passionnés de musique de chambre, ils nous offrent un concert dans la plus vieille église anglicane du continent.

MARIANNE FISET ET LE QUATUOR PHILANTHROS E S PA C E H Y P E R I O N – 2 3 M A I

La grande soprano québécoise accompagnera le Quatuor Philanthros, actuellement en résidence à l’Espace Hypérion, pour chanter les amours de Mozart lors d’une soirée animée par le psychiatre et spécialiste du compositeur Robert Duguay. C’est à travers la musique du célèbre musicien que seront analysés son rapport aux femmes et la place que celles-ci ont jouée dans son œuvre.

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SCÈNE PHOTO | DAVID COOPER

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LE BARBIER DE SÉVILLE G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C L E S 13 , 16 , 18 E T 2 0 M A I

Opéra phare de l’œuvre de Rossini, Le Barbier de Séville a été composé en un peu moins de deux semaines par le jeune Gioacchino de 24 ans qui en était déjà à son 17e opéra. Celui-ci raconte l’histoire du barbier Figaro et du comte Almaviva dans leur effort pour conquérir Rosine, promise au vieux docteur Bartholo. L’amour finira-t-il par triompher?

VENIR AU MONDE T H É ÂT R E D U T R I D E N T J U S Q U ’ A U 20 M A I

Anne-Marie Olivier nous a émus avec Faire l’amour, ce porno pour le cœur, et reprend la même formule avec Venir au monde. Des histoires d’accouchements récoltées avec soin et portées, notamment, par Charles-Étienne Beaulne, Christian Michaud et l’auteure elle-même.

CARTE BLANCHE, NIVEAU PARKING LE CERCLE – 8 MAI

Lorraine Côté (Les fées ont soif) et Nicola Boulanger (Trois nuits avec Madox) s’offrent un exercice de style autour de la marionnette. Une proposition décalée dont on sait peu de choses sinon que ce sera une tragédie et que des objets du quotidien seront mis à profit. Intrigant.

L’INCROYABLE LÉGÈRETÉ DE LUC L. PREMIER ACTE – 25 MAI

Le dernier volet de la trilogie biographique de Philippe Soldevila mettra en vedette un certain Luc LeBlanc et on pourra en avoir un avant-goût substantiel dans le cadre des Chantiers du Carrefour international de théâtre de Québec. Un labo immanquable si, comme nous, vous avez adoré Le long voyage de Pierre-Guy B. et Les trois exils de Christian E.

EMMANUEL BILODEAU LA PETITE SCÈNE LE CERCLE – 17 MAI

En collaboration avec La Rotonde, La petite scène revient pour une autre édition nous présenter de courts spectacles de danse contemporaine. Un concept simple et accessible dans une ambiance festive inspirée des cabarets.

L E C E R C L E – 10 M A I

Emmanuel Bilodeau, «le plus vieux humoriste débutant», pose ses valises dans Saint-Roch pour un spectacle horsnorme. Tous les profits seront remis à Sawsan Alalwan, une réfugiée irakienne qui cherche à rapatrier ses enfants dans la vieille capitale.


63 QUOI FAIRE VOIR QC

VO2 #O5

O5 / 2O17

DES ARBRES À ABATTRE

TABLE RASE

MURMURES DES MURS

G R A N D T H É ÂT R E D E Q U É B E C – 28 M A I

T H É ÂT R E P É R I S C O P E – 2 A U 4 J U I N

T H É ÂT R E D E L A B O R D É E – 2 A U 4 J U I N

Présenté en polonais, mais surtitré en français, ce texte du dramaturge autrichien Thomas Bernhard dépeint la scène artistique autrichienne sans fard ni fausse tendresse. Une pièce que Le Monde a qualifiée, ni plus ni moins, de chef-d’œuvre et une scénographie de Krystian Lupa qui promet d’être grandiose.

ET SI ELLES Y ALLAIENT, À MOSCOU? C A S E R N E D A L H O U S I E – 26 A U 28 M A I

Christiane Jatahy transpose l’œuvre du grand maître russe Anton Tchekhov dans le Brésil contemporain. Mais attention, l’audace ne s’arrête pas là! Le public sera divisé en deux groupes pour la projection d’un télé-théâtre en coulisses et une présentation scénique standard. Des sièges qui s’inverseront à l’entracte.

Notre collègue Philippe Couture a vu cette pièce à sa création en 2015 et l’a présentée comme «Le déclin de l’empire américain ou Les invasions barbares à la manière de la génération Y». Un texte de Catherine Chabot qui s’annonce poignant, irrévérencieux et hyperréaliste.

Le sort s’acharne sur cette production! Après deux rendez-vous manqués au Carrefour de théâtre de Québec, d’abord à cause d’une blessure puis avec la grève des transports français, voilà que l’onirique spectacle d’Aurélia Thierrée s’amène enfin dans la Vieille Capitale. On se croise les doigts.

FESTIVAL DE MAGIE DE QUÉBEC PLUSIEURS ENDROITS – 4 AU 7 MAI

Initialement présenté à l’automne, le Festival de magie de Québec se reprogramme en mai pour accueillir le mentaliste vedette Rob Zabrecky, un prestidigitateur aussi comique que déroutant! Seront aussi de la programmation: Luc Langevin, Hector Mancha et Boris Wild. PHOTO | R. HAUGHTON


CINÉMA <

GUARDIANS OF THE GALAXY VOL. 2 EN SALLE LE 5 MAI

Les gardiens de la galaxie poursuivent leurs aventures, traversant le cosmos pour protéger des milliers de mondes de la destruction totale. Ils devront redoubler d’efforts pour garder leur fraternité en un seul morceau alors qu’ils découvrent les secrets de la réelle parenté de Peter Quill. D’anciens ennemis deviendront des alliés, et des personnages iconiques de la bande dessinée viendront se joindre à l’action.

ALIEN: COVENANT E N S A L L E L E 19 M A I

Dans cette suite de Prometheus et préquelle du premier Alien, le vaisseau colonisateur Covenant se dirige vers une planète inexplorée et paradisiaque. L’équipage comprendra toutefois très rapidement que ce qui semble être un endroit paisible est en fait un repaire d’horreurs indicibles. Les colons rencontreront également l’androïde David, seul survivant de l’expédition Prometheus.

I, DANIEL BLAKE EN SALLE LE 5 MAI

Un menuisier de 59 ans ayant survécu à une crise cardiaque se lie d’amitié avec une mère monoparentale et ses deux enfants, alors qu’ils doivent tous deux naviguer dans l’impersonnel et kafkaïen système des programmes sociaux britanniques. À travers l’humour, la chaleur humaine et le désespoir, ils se supporteront dans leurs épreuves respectives.


LE COMMUN DES MORTELS E N S A L L E L E 12 M A I

Dans ce documentaire sur le temps qui passe, le réalisateur Carl Leblanc nous présente Éverard Leblanc, un homme qui a su traverser le siècle dernier. Du Canada français au Québec, il a vu notre contrée se transformer à travers des avancées sociales, technologiques et spirituelles. Chaque fois que sa réalité se transformait, il devait s’adapter aux progrès de ce siècle passé sous les signes du changement et de l’évolution. Deux histoires nous sont racontées: la grande histoire du siècle et la petite histoire d’Éverard.

BON COP BAD COP 2 E N S A L L E L E 12 M A I

Le duo atypique formé de Bouchard et Ward est de retour! Cette fois-ci, Bouchard travaillera sous les ordres de Ward, maintenant officier de la GRC. Ils devront enquêter sur un réseau de vols de voiture qui cache une organisation criminelle d’envergure. Ils devront allier leurs forces pour résoudre cette énigme où ils apprendront bien vite que certaines choses ne changent jamais. <

CONCERT DE CLÔTURE

MERCREDI 24 MAI 2017 / 20 H - JEUDI 25 MAI 2017 / 10 H 30

LE MNBAQ ILLUSTRE LA SYMPHONIE ALPESTRE Une œuvre somptueuse qui réunit plus de 100 musiciens sur scène! Concert présenté par

Fabien Gabel chef d’orchestre Vivez le récit d’une excursion en montagne mis en musique par Richard Strauss et illustré par des toiles de peintres québécois. Une symphonie alpestre, dernier grand poème symphonique du compositeur, reste une illustration éblouissante de l’écriture symphonique portée à l’extrême.

OSQ.ORG 418 643 8131


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KING ARTHUR: LEGEND OF THE SWORD E N S A L L E L E 12 M A I

Arthur, jeune brigand ravageant Londonium avec sa bande, se voit confronté à un choix important alors qu’il est le seul à pouvoir extraire la légendaire Excalibur de son fourreau de pierre. Il rejoint la rébellion, rencontre une femme mystérieuse nommée Guenièvre et doit apprendre à maîtriser l’arme mystique pour rallier le peuple et vaincre le tyran Vortigern.

PIRATES OF THE CARIBBEAN: DEAD MEN TELL NO TALES EN SALLE LE 26 MAI

ARTS VISUELS

Dans cet ultime épisode de la saga de Jack Sparrow, ce dernier se trouve plus malchanceux que jamais alors que le capitaine Salazar et tout son équipage reviennent de l’au-delà pour éliminer tous les pirates, dont Sparrow. Sa seule chance de survie devient alors de retrouver le Trident de Poséidon, qui donne à son possesseur le contrôle total sur les océans.

CARL TRAHAN M N B A Q – J U S Q U ’ A U 24 S E P T E M B R E

Lauréat en 2016 du Prix en art actuel du MNBAQ, le polyglotte montréalais Carl Trahan se voit ainsi offrir une exposition solo d’envergure. Un corpus de 17 œuvres tantôt minimalistes, tantôt en néons qui traitent de thèmes aussi durs que le fascisme.

SHUWEI LIU VU PHOTO – 5 MAI AU 4 JUIN

Le bleu, dans toutes ses nuances, devient bien plus qu’une couleur; il devient un espace-temps dans cette série de photographies baignées d’une lumière douce et intrigante.



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