Magazine Voir Montréal V02 #08 | Août 2017

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MONTRÉAL VO2 #O8 | AOÛT 2O17 BURHAN ÖZBILICI RAP AU FÉMININ NICOLAS CRUZ + DÉCOUVERTES @ MUTEK LA VIRÉE CLASSIQUE LA RELÈVE CHEZ DUCEPPE FINANCEMENT DU THÉÂTRE A GHOST STORY RECETTES: DES SECRETS PAS TRÈS BIEN GARDÉS LES APPELLATIONS CONTRÔLÉES

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LE PROBLÈME D'INFILTRATION


NOUVELLE EXPOSITION LA VRAIE NATURE D’EXPO 67

Musée de l’Environnement Environment Museum Jean-Drapeau | ec.gc.ca/biosphere


COURSE

MEDITATION


V

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O2 O8 MONTRÉAL | AOÛT 2017

RÉDACTION

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Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnateur des contenus: René Despars Correctrice: Marie-Claude Masse

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«MON PERSONNAGE PUBLIC EST TRÈS POLARISANT, LES GENS L’AIMENT OU LE DÉTESTENT. J’AI DÉJÀ EU DES MENA CES DE MORT POUR MES PRISES DE POSITION.» Photo | John Londoño (Consulat) Stylisme | Amanda Van Der Siebes Maquilleuse | Sophie Parrot Assistant | Renaud Lafrenière

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SCÈNE

Financement du théâtre La relève chez Duceppe Camillien Houde

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MUSIQUE

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CINÉMA

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GASTRONOMIE

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LIVRES

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ARTS VISUELS

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QUOI FAIRE

Rap au féminin Nicola Cruz Mutek: les découvertes La virée classique de l’OSM

A Ghost Story

Appellations contrôlées Recettes: des secrets pas très bien gardés

Les aventures de Nick Adams Imagine que je sois parti Nous sommes bien seules

World Press Photo: Burhan Özbilici

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Émilie Dubreuil (p18) Monique Giroux (p34) Normand Baillargeon (p42) Alexandre Taillefer (p60)


6 CHRONIQUE VOIR MTL

VO2 #O8

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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

CRIER AU LOUP ILLUSTRATION | ERIC GODIN

Je me suis longtemps demandé si je devais vous parler de La Meute, ce regroupement nébuleux qui dit vouloir protéger «nos valeurs, nos droits, notre liberté et notre sécurité». J’hésite toujours, d’ailleurs. D’abord, parce que je ne sais pas qui se cache derrière ce «nous» qui a besoin d’être protégé. Ils parlent de moi, eux? Ils veulent me défendre? J’aurais aimé qu’on me demande mon avis. Je ne sais pas non plus qui ils sont, eux, en fait. On ne cesse de nous parler de ces 43 000 membres qui auraient rejoint un groupe secret Facebook. Un chiffre qu’on répète dans tous les reportages à leur sujet. Ah oui? 43 000 membres? Vraiment? Mais qui, au juste, a bien pu vérifier cela? Et que signifie être membre de ce groupe? Nul ne le sait. Mystère. Impossible de confirmer ces affirmations pour la simple et bonne raison que les protagonistes de La Meute cultivent avec soin l’art du secret. Tout ce qu’on sait, c’est que, de toute évidence, on nous cache quelque chose. Comment ce regroupement pourrait-il rassembler autant de gens? Peut-on consulter un registre? Est-ce qu’on peut voir les statuts et règlements de cette organisation? Mystère encore… Un mystère troublant, puisque tous ces inconnus anonymes se proposent de nous défendre. Est-ce trop demander de savoir de qui il s’agit? Je pensais à ça en remontant la 138 pour me rendre dans Charlevoix. À La Malbaie, à l’épicerie, un type qui attendait à la caisse devant moi portait un coton ouaté de loup. Vous savez, ces chandails très laids où on peut voir la silhouette d’un loup au sommet d’une montagne, avec la pleine lune en arrière-plan. Tiens… Peut-être un membre de La Meute, que je me suis dit. Je n’ai pas osé lui demander. Mais depuis cette rencontre, je ne peux m’empêcher de penser que toute l’esthétique de La Meute repose sur cette quétainerie du loup telle qu’on peut la saisir dans

l’art vestimentaire qui se décline sur des t-shirts, des casquettes et même des serviettes de plage. Je sais, je fais fausse route, car sur le site web de La Meute, on peut trouver leur boutique en ligne où on peut se procurer les accessoires avec leur logo officiel, une patte de loup dont la paume épouse la forme de la province de Québec. On y trouve par exemple le stylo de La Meute, le gobelet sous vide de luxe de La Meute, des manteaux performance pour hommes et femmes de La Meute, des plaques aimantées de La Meute. Très pratiques, les plaques aimantées. Le sympathisant de La Meute peut ainsi coller sa liste d’épicerie sur son frigo. Chérie, pense à prendre des pâtes et une caisse de 12 pour souper. Il n’y a pas de petit combat. Notez bien mes mots, je vous en prie: je refuse d’être défendu par une bande de comiques qui fabriquent des stylos, des gobelets sous vide de luxe et des plaques aimantées pour financer leur combat. Leur combat contre quoi? Contre l’islam radical, disentils. Ou l’islam tout court, devrais-je dire, car selon les protagonistes de cette meute, il n’y a qu’un seul islam et il est radical. À ce jour, ce regroupement de loups n’a publié qu’un seul pamphlet dont le principal avantage est de tenir sur une feuille 8 1/2 x 11. Quelles sont donc nos valeurs qu’il faut protéger? On ne trouve rien à ce sujet. Nos droits? Allez savoir. Il n’y a qu’une menace, la charia, et si nous continuons de dormir, on se réveillera bientôt au mieux en guerre civile, au pire gouvernés par l’État islamique. Rien que ça. Autrement, c’est la même soupe entendue mille fois: les médias nous mentent, les élus nous entubent, les intellectuels et les artistes sont de mèche avec tout ce beau monde tandis que le peuple dort au gaz.

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Il faut donc se réveiller pour prendre la mesure du faux dilemme que nous proposent ces artisans du petit fascisme ordinaire: vous devez choisir entre la tyrannie des élites ou la liberté du peuple en vous joignant au groupuscule et si vous doutez de l’urgence, c’est que vous êtes un mouton inconscient. Notez quand même l’ironie de la métaphore. Ici, les loups veulent réveiller les moutons pour les protéger. C’est à l’aune de cette ironie que se mesure toute l’imposture de La Meute et de la sémantique que ces joyeux drilles déploient au sein de leur organisation. Car les loups, c’est bien connu, bouffent du mouton. Ils ne protègent personne, sauf les membres de leurs clans. Le pouvoir de leurs chefs est arbitraire et gare à ceux qui iront le remettre en question. Aller s’imaginer qu’une meute anonyme cultivant le secret et faisant la promotion d’une hiérarchie postiche dont on ignore les règles puisse représenter une sorte de solution pour délivrer le peuple, c’est purement et simplement faire un triste constat d’échec. Loin de proposer une solution de rechange aux dérives du

fondamentalisme religieux, cette poignée de combattants de fin de semaine indique tout simplement la voie la plus courte vers le précipice. Pire encore, ils ne s’en rendent pas compte, mais cet esprit de clan du genou dont La Meute fait la promotion ne peut que donner des arguments de plus aux âmes perdues qui seraient tentées par les chimères du fondamentalisme religieux. La Meute et les loups solitaires sont ainsi le recto et le verso de la même pièce de monnaie qu’on dépense au marché de l’illusion à rabais. Il n’y a pas de hasard. J’écris ces lignes en regardant le fleuve, sur un balcon d’un petit appartement à Pointeau-Pic que j’ai loué pour quelques soirs. Par la fenêtre du logement d’à côté, j’entends ma voisine qui engueule au téléphone le type du rayon viande de l’épicerie. Elle semble très fâchée, car elle ne voulait pas acheter du poulet halal, mais plutôt du poulet BBQ. Ah, Madame! Si vous saviez tout ce que La Meute pourrait faire pour vous. y sjodoin@voir.ca



SCÈNE 9 VOIR MTL

VO2 #O8

THÉÂTRE ASPHYXIÉ CHERCHE FINANCEMENT LES ARTISTES RÉCLAMAIENT 40 MILLIONS. ILS N’EN ONT OBTENU QUE QUATRE. «UNE INSULTE», HURLENT LES GENS DE THÉÂTRE, PARTICULIÈREMENT AFFECTÉS PAR LE FINANCEMENT PRÉCAIRE DU CONSEIL DES ARTS ET DES LETTRES DU QUÉBEC (CALQ). POURQUOI LES ARTS DE LA SCÈNE RUGISSENT-ILS SI FORT? RÉSUMÉ D’UNE SITUATION DE MOINS EN MOINS TENABLE SUR LES SCÈNES DU QUÉBEC. MOTS | PHILIPPE COUTURE

Un goulot d’étranglement. C’est ainsi que la metteure en scène Brigitte Haentjens, présidente du Conseil québécois du théâtre, décrit souvent la situation des artistes de théâtre désireux d’accéder aux fonds publics. L’image est claire, parlante, et assez fidèle à l’esprit des revendications actuelles des gens de théâtre, qui clament depuis de nombreuses années que le CALQ ne remplit plus ses promesses. Depuis sa création en 1994, ses moyens n’ont pas augmenté au même rythme que le nombre d’artistes, de compagnies et de structures qui le sollicitent. Force est de constater que ses capacités s’essoufflent. Un désengagement de l’État? Peut-on parler de désengagement de l’État alors que, dans les faits, le budget du CALQ a toujours augmenté? Dans un article de la revue Liberté paru au printemps 2014, l’aguerri Pierre MacDuff, qui a dirigé de nombreuses compagnies et institutions, dénonçait le vocabulaire abusif des artistes qui parlent constamment de ce prétendu désengagement. Rectifions donc les faits: il est vrai que le montant des bourses et des subventions aux artistes augmente. Mais probablement pas assez. En 23 ans, il

PHOTO | RENAUD PHILIPPE

est passé de 36,6 millions à 100,7 millions. Il y eut un bond plus considérable de 20% entre 2010 et 2016, l’aide financière accordée aux artistes passant de 85 à 100 millions. Mais, comme le souligne le Conseil québécois du théâtre (CQT) dans le mémoire déposé lors des consultations pour la politique culturelle, ces chiffres ne veulent rien dire si on ne les met pas en perspective avec le coût de la vie qui n’a cessé d’augmenter, et le coût des productions théâtrales qui suit la même courbe. «Ajustées en dollars constants, de manière à supprimer l’inflation et à établir l’évolution réelle de l’aide financière délivrée par le CALQ, les données révèlent une diminution de 3,7%, de 95,2 M$ en 2010-2011 à 91,6 M$ en 2015-2016», lit-on. C’est peu d’argent, disent les artistes de théâtre, mais aussi leurs collègues danseurs, dont les revendications sont entre autres portées par le Regroupement québécois de la danse. C’est peu, soutiennent aussi les partis d’opposition, surtout dans un contexte où le gouvernement libéral nage dans les surplus. Les mots de Martin Faucher, directeur artistique du Festival TransAmériques,

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> résument avec superbe la colère ambiante. «Depuis 10 ans, j’ai vu avec tristesse le théâtre québécois prendre son trou, se taire, farmer sa yeule, et obéir à un manque ahurissant de moyens pour qu’il accomplisse ce qu’il a à faire: la contribution à un imaginaire québécois, à l’affirmation de l’identité québécoise, francophone et anglophone, par ses auteurs, ses metteurs en scène, ses scénographes et autres concepteurs, ses actrices et acteurs.» Compagnies étouffées «À mon avis, dit le metteur en scène Alexandre Fecteau, on ne peut pas se lancer en compagnie dans la production théâtrale avec un budget de moins de 60 000$ par année. Et c’est un chiffre modeste. La réalité est pourtant que nombre de jeunes compagnies dont le travail est reconnu n’ar-

rivent pas à atteindre ce standard.» Le metteur en scène de Québec a tout de même réussi, à force de débrouillardise, ce qui paraissait presque impensable: faire une tournée française de plusieurs dates avec son spectacle Le NoShow, qui, ô ironie, met d’ailleurs en scène cette précarité de l’artiste. La pièce vient de faire salle comble pendant un mois à Avignon dans la programmation du festival OFF. Mais les compagnies comme celles de Fecteau sont précisément celles qui n’osent plus rêver d’accéder à un financement adéquat par le CALQ et qui, malgré le succès, sont condamnées à faire chaque année une nouvelle demande qui sera peut-être refusée. Voilà ce que déplore particulièrement David Lavoie, coprésident du CQT, qui constate que le CALQ a été un incroyable propulseur pour les carrières d’une certaine génération – celle de Robert Lepage, pour ne pas la nommer –, mais qu’il a laissé en plan toutes les autres à mesure que le milieu s’est développé et a augmenté ses ouailles.

BRIGITTE HAENTJENS, PRÉSIDENTE DU CONSEIL QUÉBÉCOIS DU THÉÂTRE PHOTO | MATHIEU RIVARD


SCÈNE 11 VOIR MTL

Des artistes aujourd’hui quarantenaires tels qu’Olivier Choinière ou Olivier Kemeid, ou tels qu’Anne-Marie Olivier et Sylvain Bélanger, ont fini par accéder à des postes-clés au sein des théâtres établis, certains d’entre eux dirigeant les plus prestigieux théâtres, mais leur pratique personnelle n’avait jamais auparavant été soutenue à la hauteur de celle de leurs prédécesseurs. «Au point qu’aujourd’hui, dit David Lavoie, une artiste géniale telle que l’auteure et metteure en scène Edith Patenaude ne peut pas espérer fonctionner autrement que de manière indépendante, vivotant de projet en projet. Et je ne parle même pas des jeunes ambitieux comme Philippe Boutin, qui, bien souvent, ne font même pas de demande de subventions parce qu’ils savent que c’est peine perdue. Or, je pense que tout cela est très mauvais pour l’avenir, pour le développement à long terme de notre pratique théâtrale. Il ne sera bientôt plus possible de faire en sorte que se développent chez nous des esthétiques de haut niveau comme celles de Robert Lepage ou, plus simplement, un art qui correspond vraiment aux ambitions et aspirations de ses créateurs.»

VO2 #O8

Un effritement général À cela s’ajoutent des problèmes plus spécifiques, reliés aux modalités d’un financement qui noie les petites compagnies de théâtre dans un embrouillamini d’administration ou à des problèmes de diffusion et de tournée, non seulement à l’international mais en priorité sur notre propre territoire. Le réseau de tournée est hyperlimité et a besoin de soutien financier pour se structurer une fois pour toutes. Autre enjeu de taille: les théâtres établis ont de moins en moins les moyens de jouer leur rôle de producteur et agissent de plus en plus seulement comme coproducteur des œuvres, investissant ce qu’ils peuvent dans des productions au financement de plus en plus fractionné et infiniment complexe. Tous ne s’en inquiètent pas – car la coproduction a aussi ses avantages –, mais nombreux sont les artistes qui y voient un affaiblissement du rôle des grands théâtres. À quelques mois de l’adoption d’une nouvelle politique culturelle, les artistes aboient, tentant à juste titre de modeler le document pour s’assurer d’un avenir meilleur. Il faudra suivre le dossier. y

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DAVID LAURIN ET JEAN-SIMON TRAVERSY


SCÈNE 13 VOIR MTL

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DEUX PAR DEUX RASSEMBLÉS APRÈS 27 ANS DE LOYAUX SERVICES, MICHEL DUMONT LAISSERA LA DIRECTION ARTISTIQUE DU THÉÂTRE JEAN-DUCEPPE À UNE JEUNE RELÈVE: JEAN-SIMON TRAVERSY ET DAVID LAURIN ONT ÉTÉ NOMMÉS CODIRECTEURS ARTISTIQUES DU MYTHIQUE LIEU DE LA RUE SAINTE-CATHERINE. MOTS | JÉRÉMY LANIEL

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Depuis plus de 10 ans, Jean-Simon Traversy et David Laurin pensent et repensent le théâtre ensemble. À l’origine de Lab87, compagnie de théâtre visant à promouvoir les dramaturgies anglo-saxonnes émergentes, les deux acolytes ont décidé de postuler ensemble pour le poste de directeur artistique au Théâtre Jean-Duceppe. Traversy souligne que cela s’est fait progressivement: «Au mois de janvier, on a su que Michel Dumont partait, et Louise Duceppe avait envie de savoir ce que les jeunes pensaient de son théâtre. On s’est permis de dire des choses qu’on se dit parfois entre nous dans des loges... C’est après ça qu’on a reçu un appel pour déposer nos candidatures individuelles. On s’est dit que si on le faisait, on allait le faire ensemble. Je pense que ça a surpris pas mal tout le monde.» Si pour certains cette nomination peut ressembler à une rupture dans l’histoire de ce théâtre qui n’a connu que deux directions artistiques – celle de Jean Duceppe et celle de Michel Dumont –, Laurin rappelle pourtant les ponts évidents qui s’érigent entre le théâtre et leur compagnie. «Il y a quand même des rapprochements à faire entre nous, avec notre compagnie Lab87, et le Duceppe. Eux aussi faisaient du théâtre américain et britannique, grand public et accessible. Quand on a déposé notre projet, c’était une façon de le réinventer.» Bien qu’ils savent qu’ils ne peuvent – et ne doivent pas – tout changer et mettre le feu, les nouvelles directions qu’ils voudront prendre avec cette institution seront des changements à long terme. Et leur soif de théâtre et leurs ambitions demeurent intactes. Pour Jean-Simon Traversy, il y a le devoir de rester ouvert à ce qui se fait dans le monde: «Notre travail sera beaucoup de ramener

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«LOUISE DUCEPPE AVAIT ENVIE DE SAVOIR CE QUE LES JEUNES PENSAIENT DE SON THÉÂTRE. ON S’EST PERMIS DE DIRE DES CHOSES QU’ON SE DIT PARFOIS ENTRE NOUS DANS DES LOGES...» la dramaturgie au diapason de ce qui s’écrit en ce moment. Les pièces qui gagnent les grands prix internationaux, les meilleurs textes, ne devraient pas être programmées dans sept ans; d’ici là, elles n’auront plus rien à nous dire. Elles devraient être programmées demain matin. C’est ça, notre job: rester à l’affût.»

Un retour au théâtre Quant à David Laurin, sa foi inébranlable n’en est que redoublée: «On est convaincus qu’il va y avoir un retour au théâtre, que ça va être l’art du 21e siècle. Parce qu’à un moment donné, on va atteindre un point de saturation avec les écrans. Déjà là, on s’approche d’un seuil où les gens vont être tannés. Moi, je le suis, et ce retour aux gens et aux contacts humains, j’y crois comme jamais.» Si cette place et cet amour de la littérature anglosaxonne se retrouvent tant chez Lab87 que chez Duceppe, Laurin souhaite maintenant pouvoir amener ça ailleurs. Lui et son partenaire ont déjà ouvert différents canaux de communication avec des théâtres à Londres et ailleurs, et espèrent désormais avoir la possibilité de créer plus d’échanges pour promouvoir les dramaturges québécois à l’étranger. «Un des rôles qu’on aimerait jouer, c’est celui de facilitateur des talents de nos dramaturges québécois à l’international. On s’est tellement laissés inspirer par des théâtres qui laissaient entrer de la dramaturgie étrangère... Nous aussi on a des auteurs qui seraient prêts à être joués dans d’autres pays, et ça aurait vraiment de l’allure. Dès qu’on va avoir en main un texte d’un de nos auteurs en résidence, on


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> va immédiatement le traduire en anglais et le proposer dans des salles à l’étranger. Parce que nous, on parle avec ces salles-là, on leur commande des textes, maintenant, et au même moment, on va pouvoir leur glisser des textes d’auteurs d’ici qui pourraient résonner entre leurs murs.» L’Australie ouvre le bal Le hasard faisant bien les choses, la dernière production de Lab87 se retrouve dans la programmation de chez Duceppe; une première pour le duo. Montant une pièce à neuf acteurs pour la première fois, ils se sont donné le droit de cogner à la porte des grands théâtres pour la proposer. Ils ne s’attendaient pas à ce que cette production soit présentée au Trident de Québec et en ouverture de saison chez Duceppe. «Je cherchais une pièce de création australienne ou néo-zélandaise et je me suis rendu compte qu’il y en avait peu. Et quand je suis tombé sur ce texte de Bovell, j’ai été complètement sorti de ma zone de confort.» Quand la pluie s’arrêtera de l’Australien Andrew Bovell a été traduite par Frédéric Blanchette, qui signera aussi la mise en scène. Ils se sont donc assis chez Duceppe

l’automne dernier pour réfléchir à la distribution, avant même de savoir qu’ils piloteraient ce théâtre quelques mois plus tard. Campée en 2039 entre un appartement londonien et la vastitude du territoire australien, la pièce est un chassé-croisé dans les méandres d’une histoire familiale se déroulant sur plusieurs générations. Mettant en vedette entre autres Normand D’Amour, Véronique Côté, David Laurin et Linda Sorgini, cette production ouvre sans le savoir l’ère TraversyLaurin chez Duceppe. Elle s’inscrit aussi dans les changements de garde des théâtres montréalais, incluant l’arrivée d’Olivier Kemeid au Quat’Sous, d’Olivier Bertrand à La Chapelle et de Geoffrey Gaquère à l’Espace Libre. Un renouveau qui démontre l’importance de la circulation des idées et des créateurs, cette nécessité d’une mouvance des visions et d’une rencontre de différentes esthétiques pour garder une scène vive, plurielle et sans limites. y Quand la pluie s’arrêtera, d’Andrew Bovell Au Théâtre Jean-Duceppe Du 6 septembre au 14 octobre


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CAMILLIEN HOUDE, PLUS GRAND QUE NATURE CAMILLIEN HOUDE, «LE P’TIT GARS DE SAINTE-MARIE», NOUVEAU SPECTACLE D’ALEXIS MARTIN POUR L’ESPACE LIBRE, TENTE DE DÉPOUSSIÉRER NOTRE «JE ME SOUVIENS»... MOTS | JÉRÉMY LANIEL

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

C’est l’histoire d’un homme qui quitte les faubourgs pour devenir quelqu’un, l’histoire d’un homme du peuple qui décide de le servir, celle d’un homme qui croise le fer avec Duplessis, Taschereau et King, un homme qui se retrouve en prison pendant près de quatre ans par conviction et naïveté. Un homme aussi romanesque que réel qui ne prit que quelques années pour sombrer dans l’oubli.

de Montréal, tantôt député provincial, puis député fédéral, et son parcours politique fut long et non sans taches. Celui dont le numéro de téléphone fut retrouvé dans le calepin de quelques mafieux biens placés était un homme bien de son époque. Ses discours, tout aussi éloquents qu’ils pouvaient être démagogues, ont su faire sa renommée. C’est le comédien Pierre Lebeau qui tiendra son rôle.

«C’est un personnage coloré, atypique. Moi, je suis un vrai Montréalais et je trouvais que c’était un personnage digne de la ville, affirme Alexis Martin. Il en a été maire pendant quand même 25 ans, et pendant l’une des périodes les plus sombres de l’histoire, la grande crise économique de la fin des années 1920. Près du quart de la ville était sur le chômage, c’est inouï. Un destin assez intéressant et un personnage emblématique de la transition du vieux Canada français au Québec moderne: c’est un peu le chaînon manquant entre deux Québec. Je ne pense pas qu’il comprenait ce qu’il représentait, mais il est un peu ce trait d’union-là, pour le meilleur et pour le pire, parce qu’il était loin d’être un saint.»

«Quand je suis né en 1954, Camillien Houde était maire, c’était quelques mois avant son départ. Lorsque j’étais enfant, dans ma famille, on parlait de lui, même s’il n’était plus maire de la ville. […] C’est un personnage assez paradoxal, très curieux à interpréter. Il était mû par une ambition démesurée qui venait de sa mère. C’est le seul survivant d’une famille de 10 enfants. Sa mère voulait le meilleur pour lui, qu’il quitte les faubourgs, qu’il devienne un homme qui puisse travailler sans se salir, qu’il puisse rencontrer ce qu’on appelait à l’époque le beau monde... Ça l’a toujours habité. […] Mais il ne s’agit pas d’un personnage qu’on veut canoniser. C’était un homme assez complexe, et les défis d’interprétation sont assez nombreux...»

Une vie en quelques heures Alexis Martin avait d’abord travaillé le personnage de Camillien Houde pour la télé, projet qui ne vit pourtant jamais le jour. L’épopée du personnage se serait mariée à merveille à la chronique télévisuelle, mais il a tout de même désiré relever le défi du théâtre: circonscrire une vie en quelques heures et quelques décors. Camillien Houde fut tantôt maire

Toute pièce à saveur historique se doit de faire son possible pour éviter les pièges du didactisme, et Alexis Martin en est bien conscient. «C’est le grand défi. Pour les premières versions, on me disait qu’il y avait trop de chiffres, trop de données historiques, c’était fastidieux. J’en enlevais, je cherchais l’équilibre, mais je crois qu’on doit quand même transmettre quelque chose, ce qu’on appelle du hard facts.

PIERRE LEBEAU ET ALEXIS MARTIN

VOIR MTL


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Il a perdu cette élection-là, il a gagné celle-là... C’est l’histoire d’un homme politique, on ne peut pas faire abstraction de ça. Il faut qu’il y ait une partie de ça qui percole dans la pièce sans que ce soit assommant.» Plongée dans l’histoire Dans le cadre des festivités du 375e de Montréal, Alexis Martin et Geoffrey Gaquère – directeur artistique de l’Espace Libre – ont tenu à rendre ce spectacle aux Montréalais et aux résidents du quartier. Ils accompagneront donc les représentations avec des parcours déambulatoires avant la représentation et un bal à l’extérieur après les spectacles. Très tôt dans l’émancipation du projet, Martin voyait son bon ami Pierre Lebeau incarner le personnage. Il y avait là la charpente à la hauteur des ambitions de l’homme et l’éloquence d’un grand.

L’acteur se retrouvera sur scène avec plus d’une vingtaine de résidents du quartier qui prendront part au spectacle. «Le sérieux et la détermination avec lesquels ils travaillent, c’est beau à voir. Ce qui est important, c’est le mouvement de masse, et ça me touche énormément. Ici, on n’accroche pas sur des détails, c’est l’esprit de communauté qui prime.» La scénographie est épurée, constituée principalement de projections provenant des archives de la Ville de Montréal. La pièce se veut une réelle plongée dans une histoire trop peu connue, une rencontre d’abord avec un homme par qui il nous sera donné de découvrir une ville. y Camillien Houde, «le p’tit gars de Sainte-Marie», d’Alexis Martin À l’Espace Libre du 22 août au 2 septembre


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ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

LA SOLITUDE ET LES CHOSES Il y a quelques années, j’avais pris l’habitude de prendre en photo des meubles abandonnés au détour de la ville. Une chaise de bois sur un coin de rue, un sofa à fleurs semblant attendre avec bonhomie que quelqu’un s’y assoie. Dans le quartier Côte-des-Neiges où j’enseignais le français à l’époque de Mathusalem, les nombreux déménagements dans les appartements miteux des environs de l’école expliquent que j’en ai rencontré de toutes sortes en toutes saisons; des objets abandonnés, seuls, et souvent, pour une raison étrange, à l’arrêt d’autobus au coin de Victoria et de Plamondon. En attente de quelque chose, sans doute de leur fin utile. Je ne pouvais passer à côté sans me demander d’où ils venaient. Qui les avait laissés sur le trottoir? J’ai des dizaines de clichés de ces choses souvent laides ou amochées sur un disque dur. Étrangement, je leur trouve pourtant une beauté digne. Ces images distillent en moi une sorte d’émotion trouble qui dépasse évidemment la logique matérielle et concrète du meuble dont on ne veut plus. Les images me bouleversent parce qu’elles évoquent la solitude. Cet état complexe, difficile à définir, qui peut rimer autant avec sérénité qu’avec angoisse. So-li-tu-de, un mot cristallin, plein de mystères, qui décrit un des grands fondements de la nature humaine et son paradoxe le plus important. Un mot qui n’en appelle pas beaucoup d’autres. Il est si vaste et étanche à l’analyse intelligente. Je me souviens, adolescente, d’avoir été marquée par quelques pages de Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète. «Il n’y a qu’une seule solitude et elle est grande, il n’est pas facile de la supporter et il arrive à presque tout le monde de vivre des heures qu’on voudrait bien pouvoir échanger contre une quelconque compagnie aussi banale et peu choisie fût-elle…

La solitude, il sera toujours plus évident que ce n’est là, au fond, rien qu’on puisse changer ou quitter. Nous sommes solitaires. On peut s’abuser à ce propos et faire comme s’il n’en était pas ainsi. C’est tout.» Ces mots, je les avais soulignés en ayant l’impression de comprendre une donnée de base, une intuition de la condition humaine qui nous tenaille, si secrète et pourtant si explicite. La solitude est partout, comme les meubles abandonnés, au détour de la ville. Cet hiver déjà, je la voyais tous les soirs en rentrant à la maison, seule sur son divan de cuir beige évoquant un «modernisme» depuis longtemps passé de mode. Chaque soir, je constatais qu’elle regardait la télé sans vraiment y porter attention, car dès qu’elle m’apercevait, elle se levait, peu importe l’heure de mon arrivée, venait à la fenêtre et me faisait un salut timide de la main. Pourtant, elle ne me connaissait pas, nous ne nous étions jamais parlé. Dans ce salon trop éclairé, égayé seulement de fleurs de plastique, elle avait l’air en cage, comme un petit animal qui vient voir les visiteurs à la barrière dans un zoo. Et puis, le printemps est arrivé, et plus tard l’été. Elle prend, quand le temps le permet, le frais sur le perron. Elle guette les passants avec qui elle pourrait faire un brin de conversation. Comme un animal qui saute sur sa proie, elle kidnappe quiconque passe devant chez elle et elle monologue, jusqu’à ce que l’interlocuteur se lasse. Tout et rien y passe; des clichés sur la température à des trucs très intimes. Le tout est souvent surprenant. — Regarde, regarde, j’ai une infection à la paupière!

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19 Elle soulève ladite paupière, me montre la rougeur. Elle court à l’intérieur pour revenir me montrer les gouttes que le médecin lui a prescrites. — Attends, attends, je vais te montrer! Toi tu dois connaître ça! La voisine ne m’a jamais demandé mon nom ou ce que je faisais dans la vie, mais elle me prête toutes les connaissances. Elle pousse maintenant la hardiesse jusqu’à venir sonner à la maison avec des raisons assez farfelues. Des prétextes. Hier, par exemple, elle tenait à me dire que le guichet automatique de la Caisse populaire pas loin de chez nous était hors d’usage. — Je ne voudrais pas que tu t’y rendes pour rien! J’ai préféré t’avertir. Comme j’étais occupée – en fait, comme je n’avais pas envie de l’écouter –, j’ai été brusque avec elle et lui ai pratiquement fermé la porte au nez. Mes moments de solitude à moi, je les attends avec impatience. Je passe mes journées à écouter tout un chacun. Quand je rentre à

«SOLITUDE. UN MOT QUI N’EN APPELLE PAS BEAUCOUP D’AUTRES. IL EST SI VASTE ET ÉTANCHE À L’ANALYSE INTELLIGENTE.» la maison, j’ai besoin de silence; c’est tout léger, l’absence du bruit des autres. Alors que sa solitude à elle est lourde; l’absence du bruit des autres est lourde sans doute comme un camion qui transporte du ciment. C’est bien de cela qu’il s’agit. Au début, comme elle n’est pas toute jeune, je croyais à de la démence et puis, non, il s’agit tout simplement de cela: de solitude extrême. L’an dernier, le Bureau du coroner en chef publiait des statistiques qui ne sont pas sans laisser songeur. Le nombre de corps non réclamés dans les morgues du Québec a augmenté de façon vertigineuse dans les dernières années. C’est horrible, bien sûr, mais c’est un rappel morbide que c’est surtout cela, la vie. On se caresse, on se cajole, on se comprend, on se console, mais au bout du compte… Ce matin, à la douane de Lacolle, j’ai vu un homme traverser la frontière à pied. Il tenait une seule valise à la main, venu, sans doute, demander le statut de réfugié au Canada. Nos regards se sont croisés furtivement et j’y ai reconnu la bouleversante solitude de l’homme. Eût-il été accompagné, que cette émotion eût été la même: une vision furtive de notre nudité et de notre fragilité intrinsèque face à la peur, l’amour et la mort. y



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ELLES PIS LEURS HOMIES MALGRÉ L’AGITATION VIVE QUI CARACTÉRISE ACTUELLEMENT LA SCÈNE HIP-HOP QUÉBÉCOISE, PEU DE RAPPEUSES RÉUSSISSENT À Y FAIRE LEUR PLACE DE FAÇON MARQUÉE. TOUR D’HORIZON DE LA SITUATION AVEC QUELQUES-UNES D’ENTRE ELLES. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

Figure bien connue du rap montréalais depuis les années 1990, Jenny Salgado (alias J.Kyll du groupe Muzion) ne peut que constater la place limitée qu’occupent les femmes dans son milieu. «Entre mes débuts et maintenant, il n’y a pas eu de grande évolution», observe-t-elle. «Au fil des années, j’ai vu beaucoup de filles s’essayer, comme on essaie n’importe quoi, sans nécessairement s’investir à long terme.» «Y en a beaucoup qui vont et qui viennent, mais ça reste toujours éphémère», abonde dans le même sens Sarahmée, active depuis le milieu de la décennie 2000. «Est-ce en raison de l’entourage, d’un manque d’encadrement? C’est une question que je me pose très souvent.»

À cet égard, les hypothèses sont nombreuses. D’abord, il y a ce postulat de base: le manque de rappeuses au sein du mouvement hip-hop québécois serait tributaire d’une carence en matière de têtes d’affiche féminines dans les festivals et spectacles d’envergure. «Ce n’est pas encore un automatisme pour les organisateurs de mettre une femme dans leur line-up», croit Sarahmée. «Récemment, je suis tombée sur la programmation du Rapfest et, sur une quarantaine de noms, il n’y avait aucune femme. C’est sûr que si on ne donne pas un minimum de visibilité aux rappeuses, les petites filles n’auront pas d’exemples et ne seront pas tentées de faire du rap.» La visibilité au sein des médias a également un rôle à jouer, selon Marie-Gold du quatuor féminin Bad Nylon: «À une certaine époque, j’étais inconsciente de l’effet des médias et, sans m’en rendre compte, je n’étais pas portée vers le rap car je ne voyais pas vraiment de filles à l’œuvre. Mais, vers l’âge de 1920 ans, j’ai tout simplement eu envie de rapper et j’ai décidé de me foutre de tout le reste.» Dès les balbutiements de sa formation à l’hiver 2015, Marie-Gold a senti que l’engouement médiatique était au rendez-vous. «On essaie parfois de nous faire dire que les femmes dans le milieu du rap sont boudées par les médias car elles seraient dans l’ombre des hommes, alors que ce n’est pas du tout ce qu’on a vécu. La raison du manque de visibilité, c’est tout simplement qu’il n’y a pas assez de filles qui le font avec rigueur.»

> BAD NYLON (DE GAUCHE À DROITE): MARIE-GOLD, AUDREY BÉLANGER, KAYIRI ET ZOZ.

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JENNY SALGADO / J.KYLL

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Pour d’autres, ce milieu d’hommes peut paraître intimidant. Active en solo et au sein de Nomadic Massive depuis plus de 10 ans, la chanteuse Meryem Saci a mis du temps avant d’essayer le rap: «J’ai toujours été entourée de très bons rappeurs, de gars qui font uniquement ça de leur temps, écrire des verses et rapper. Moi, j’avais toujours eu cette envie d’essayer, mais j’avais pas nécessairement d’espace pour le faire. J’me sentais pas super à l’aise… En tant que femme, la barre était tellement haute que je devais arriver avec quelque chose de next level.» Un voyage au Brésil avec son groupe lui aura finalement ouvert les horizons: «J’étais tombée full malade et je n’avais plus de voix pour chanter, alors j’ai dû convertir mes couplets de chant en rap. C’est à partir de là que j’ai dû m’assumer derrière le micro. C’était vraiment juste une peur à franchir.» Les appréhensions à s’imposer dans cet univers masculin ont été moins fortes pour J.Kyll. «J’ai toujours travaillé d’égal à égal avec eux. Ils ne m’ont jamais mise en arrière-plan», soutient-elle, en se référant tout particulièrement à ses collègues de Muzion. «Mais il faut dire que j’ai eu toujours du leadership. J’ai rapidement pris ma place sur scène, dans les entrevues et les décisions internes.» Différences de genre et d’identité Au-delà de son histoire personnelle, la vétérane souligne l’importance des enjeux inhérents aux questions de genre et d’identité. Intimement associé à la jeunesse, le rap serait une forme d’expression artistique qui, à long terme, résonnerait davantage chez les hommes. «Encore plus rapide-

ment que les gars, les filles sont amenées à construire quelque chose de concret dans leur vie. Les gars, ça reste longtemps des gamins: ça chill à kicker des verses, fumer une couple de joints et ouvrir des bouteilles au studio. La vue d’ensemble est moins calculée chez eux que chez les filles, qui pensent généralement plus à leur futur. Si les choses n’aboutissent pas à court ou moyen terme, elles ont tendance à passer à autre chose puisqu’il est très difficile de percer dans le rap au Québec.» «Les facteurs externes à la musique sont très importants», poursuit dans le même ordre d’idées Sarahmée. «Avec les années, j’ai vu beaucoup de femmes arrêter, car elles voulaient se marier ou avoir un enfant. Faut être vraiment têtue pour ne pas lâcher.» «La majorité des femmes give up, c’est vrai», ajoute Meryem Saci. «Quand tu deviens une mère, c’est souvent mal vu que tu fasses du rap. L’industrie musicale prête aussi beaucoup d’attention à ton âge.» Toutes dans la jeune vingtaine, les quatre acolytes de Bad Nylon représentent l’exemple type du groupe rap en plein essor, animées et excitées par leur récente camaraderie et l’ensemble des possibilités artistiques que leur offre leur nouveau projet artistique. «On prend le temps de se voir souvent, de chiller, de fumer un bat et d’apprendre à se connaître», énumère Kayiri. Pour elles, le portrait dressé par Saci, Sarahmée et Salgado est vrai, mais bientôt caduc. «Je crois que la réalité est amenée à changer», poursuit la rappeuse. «Je ne m’imagine pas avoir des enfants avant un

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bout encore, et j’ai cette impression qu’on va toutes en avoir vraiment plus tard dans nos vies. Récemment, les filles ressortent beaucoup plus en musique au Québec, car la société elle-même change.» À leur avis, les mécanismes de discrimination qu’on retrouve dans le hip-hop québécois ne sont pas plus exacerbés que dans les autres scènes musicales. «En fait, je dirais même que c’est pire dans certains milieux», soutient Kayiri, violoniste avec une formation en musique classique et en jazz. «Dans mes autres gigs, on me dit parfois “mets-toi belle” ou on essaie de me convaincre de danser en jouant de mon instrument.» «La problématique sexiste s’étend bien plus loin», ajoute Audrey Bélanger, DJ du groupe. «Ça touche la place de toutes les femmes en musique. Je pense, par exemple, à ces réflexes qu’ont parfois les hommes de venir voir si l’on a bien branché notre instrument.» «On est sous-estimées par rapport à nos compétences», renchérit Sarahmée. «Il y a toujours une sous-attente et, après, on vient nous dire qu’on a de l’énergie ou qu’on rappe bien “pour une femme”. Pour moi, c’est pas un compliment, ça.»

«ON VIENT NOUS DIRE QU’ON A DE L’ÉNERGIE OU QU’ON RAPPE BIEN “POUR UNE FEMME”. POUR MOI, C’EST PAS UN COMPLIMENT, ÇA.» Ayant participé à quelques rencontres de Femmes en musique (FEM), regroupement de femmes issues du milieu musical visant à dénoncer le sexisme ambiant qui prévaut dans leur milieu de travail, J.Kyll croit aussi que la scène hip-hop d’ici est touchée par une misogynie qui dépasse le cadre du genre musical pour atteindre des proportions sociales, fortement enracinées dans l’industrie musicale: «Puisque [le sexisme] existe dans la société, bien évidemment qu’il existe dans la culture hip-hop. À l’époque, j’ai déjà eu des meetings avec des businessmen qui ne me regardaient même pas dans les yeux ou qui me suggéraient de perdre du poids. Quand on est allés en Europe avec Muzion, c’était encore pire! On voulait me mettre en second plan du groupe et on me proposait de changer de tenue.» Face à cette industrie aux automatismes patriarcaux, l’acte de rapper demeure à lui seul une forme de résistance pour ces femmes qui ont eu le courage de leurs ambitions. «On ne se sent pas toujours obligées de parler d’une cause dans nos textes, car juste le fait de faire du rap, c’est en soi quelque chose de politique», résume Zoz de Bad Nylon. «Si ça peut éventuellement en inspirer d’autres, tant mieux.» y


ELDORADO SONORE IL NOURRIT LE MYTHE DES CITÉS D’OR, LA FASCINATION DES GENS DE SA GÉNÉRATION POUR LA SÉRIE D’ANIMATION HOMONYME. NICOLA CRUZ EST LE SEUL À CONNAÎTRE LA RECETTE DE SA HOUSE PLAQUÉE 24 CARATS. MOTS | CATHERINE GENEST

PHOTO | HANNA QUEVEDO


25 es confrères outre-Atlantique ont déjà écrit que sa musique était une «révolution électro-folklorique», une déclaration pompeuse, certes, mais pas moins juste. Nicola Cruz met la musique des Andes à sa main. Il la touille, la transforme, l’incorpore à ses bidouillages informatisés. Il est l’architecte d’un son nouveau et grandement rafraîchissant, un entremetteur entre passé et présent. «J’imagine que ça m’est venu naturellement en grandissant dans une ville comme Quito, là où la tradition est très présente. En tant que musicien, je suis toujours curieux d’expérimenter et de découvrir des sonorités différentes. J’ai le sentiment que cette région, et pas seulement celle de la côte ouest du continent sud-américain, recèle des histoires et des musiciens vraiment particuliers qui méritent d’être découverts.»

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Né à Limoges de parents équatoriens, il regagne la mère patrie avant même de pouvoir garder un souvenir de l’Hexagone et de sa langue officielle. Sa discographie est plutôt un hommage à ses origines génétiques, à cette contrée de l’hémisphère sud qui l’a vu s’épanouir comme créateur, comme être humain. «C’est une célébration, le témoin de ma reconnaissance et mon admiration envers cette culture.» Ses paroles, lorsqu’il y en a, réfèrent justement à des contes de son coin du globe, à des légendes souvent en lien avec la création du monde. Son prochain EP, cuisiné conjointement avec le Chilien Rodrigo Gallardo, compte une reprise d’une chanson de Luzmila Carpio qui rend hommage à la guérisseuse mexicaine María Sabina. Une figure mythique bien au-delà de l’Amérique latine, une chamane que Bob Dylan et John Lennon auraient visitée. Par-delà la Cordillère C’est autour du rythme que se brodent les pièces de Nicola Cruz. Des cadences séduisantes et toujours mises à l’avant-plan par ce type qui, d’abord et avant tout, se décrit comme un percussionniste. «C’est comme ça que j’ai appris la musique et c’est devenu ma voix depuis, que je le veuille ou non. J’essaie de conceptualiser mes chansons, donc je choisis des instruments de percussion en fonction des thèmes. Ça peut être des percussions “montagnardes”, afro-cubaines ou du derbarke. Peu importe. Ça change toujours et c’est nice de faire des arrangements hybrides aussi.» Hybrides, oui, mais surtout métissés. On ne peut pas dire qu’on tombe des nues quand il cite Fela Kuti parmi ses influences! «L’Afrique, c’est inévitable quand tu fais de la musique.» L’art ne connaît pas de frontières et le compositeur explore même les confins du cosmos avec les projections de l’artiste Fidel Eljuri lors de ses concerts. Nicola Cruz invite son public à se rapprocher des étoiles, à goûter à la vie en haute altitude comme à Quito, 2850 mètres au-dessus du niveau de la mer. Une expérience presque mystique. y 27 août à la SAT (Dans le cadre de MUTEK)


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Herman Kolgen Le Montréalais Herman Kolgen travaille entre autres la synergie possible entre l’image et le son, créant des installations audiovisuelles hautement techniques et extrêmement poignantes. S’éloignant des simples prouesses technologiques, il amène dans son art une dimension émotionnelle puissante. Plus récemment, après qu’une tige de métal lui a percé le crâne lors d’un accident, il a développé son projet Impakt, où il se plonge dans une exploration des chocs, de nos réactions physiques à des objets de prime abord inoffensifs, mais qui peuvent endommager gravement nos enveloppes corporelles. La performance élaborée pour MUTEK utilisera des armes et des projectiles pour sublimer la violence brute et la transformer en poésie. 25 août, 19h à 21h, Théâtre Ludger-Duvernay du Monument-National

DAPHNI, PHOTO | JIMMY MOULD > KARA-LIS COVERDALE, PHOTO | SCOTT PILGRIM >


MUSIQUE 27 VOIR MTL

VO2 #O8

MUTEK / DÉCOUVERTES LE FESTIVAL INTERNATIONAL DE CRÉATIVITÉ NUMÉRIQUE ET DE MUSIQUES ÉLECTRONIQUES MUTEK EST À NOS PORTES. VOICI UNE PETITE SÉLECTION DE PERFORMANCES À NE PAS MANQUER LORS DE CETTE 18e ÉDITION. MOTS | ANTOINE BORDELEAU

Sarah Davachi

Graham Dunning

Musicienne, compositrice et musicologue aguerrie, Sarah Davachi explore le minimalisme synthétique à travers de nombreux synthétiseurs d’époque, du Buchla au EMS Synthi, et en tire des textures extrêmement riches, denses et veloutées. Véritables nappes sonores presque méditatives, ses créations s’écoutent comme autant de mantras cristallins. Son dernier album, All My Circles Run, met de côté les synthétiseurs pour plutôt se concentrer sur des instruments acoustiques et la voix, mais poursuit son approche de recherche timbrale et nous fait découvrir chaque sonorité contenue dans ces sources.

Scientifique de garage, musicien de bricole et pionnier artistique, le Britannique Graham Dunning livrera certainement un concert inoubliable. Il a lui-même développé un style tout entier, qu’il nomme la «techno mécanique». Pour créer cette musique, il superpose, sur une seule table tournante, de nombreux disques vinyles et autres dubplates trafiqués pour générer des sons à intervalles réguliers au contact de capteurs électriques. Réussissant malgré ces éléments rudimentaires à livrer des sonorités complexes, Dunning est véritablement un ovni musical à ne pas manquer. 23 août, 21h30 à 3h Société des arts technologiques

24 août, 21h à 1h30 Métropolis

Daphni

Kara-Lis Coverdale

Après s’être nommé Manitoba et Caribou, le producteur canadien Dan Snaith revêt désormais le pseudonyme de Daphni pour livrer sa musique au monde. Résolument plus épurées que ses offres précédentes, ses plus récentes explorations puisent leur source au cœur même des sons de Detroit et de Chicago, qu’il parsème de ses influences krautrock et psychédéliques. Toujours en train de se réinventer, même en plein DJ set, Snaith a récemment livré Fabriclive 93, un long mix de 27 morceaux composés sur le tas, en se servant de boucles et d’échantillons inutilisés de ses anciens projets.

La compositrice montréalaise Kara-Lis Coverdale verse dans la musique électroacoustique, tissant des ambiances enveloppantes en étant entourée de machines électroniques. À l’aide de boucles diverses, elle parvient à tisser une toile multitimbrale qui apaise sans jamais lasser, comme de douces vagues musicales plongeant l’auditoire dans une marée fluide de sonorités rêveuses. Sa performance pour MUTEK Montréal, intitulée VoxU, s’inspire de la voix synthétique, qui n’a ni limites de souffle ni restrictions de hauteur, émise par la technologie ancienne que l’on retrouve dans un orgue d’église.

23 août, 21h à 2h Métropolis

27 août, 19h à 3h Société des arts technologiques

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28 MUSIQUE VOIR MTL

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LA VIRÉE CLASSIQUE

LE FESTIVAL MONDIAL DE L’OSM

Avec de nombreuses activités gratuites et des concerts à petits prix dans des lieux multiples, l’OSM veut se faire entendre du plus grand nombre. MOTS | RÉJEAN BEAUCAGE

’est le calme plat lors de mon passage dans les bureaux de l’Orchestre symphonique de Montréal, au lendemain de la tempête médiatique déclenchée par l’annonce du départ de son directeur musical Kent Nagano à la fin de son mandat, en 2020. La directrice de la programmation musicale, Marianne Perron, commente: «Je suis arrivée à l’OSM en 1999, alors que Charles Dutoit était toujours en poste, et donc pour moi ce ne sera pas la première transition. Il y a encore bien des projets à développer avec Kent Nagano, et ce n’est que dans trois ans, alors ça nous laisse encore trois belles saisons.» Ajoutons que le contexte du départ est bien différent!

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Parmi les souvenirs que laissera derrière lui le maestro, il y a celui de la création de la Virée classique, cette grande fête de la musique qui en est à sa sixième édition. Une célébration pour laquelle l’Orchestre n’hésite pas à se mettre de côté. Marianne Perron explique: «L’Orchestre compte des musiciens qui sont aussi des solistes, des chambristes, et nous

PHOTO | PIERRE POULIN

aimons profiter de cette occasion pour le faire découvrir au public. Et puis, c’est vrai que c’est essentiellement une célébration de la musique classique, mais il y a une thématique particulière cette année en raison du 50e anniversaire d’Expo 67. Nous célébrons le Festival mondial des arts, un événement qui a permis aux gens de découvrir les musiques du monde, le jazz, et aussi des musiques innovantes. De plus, c’est un événement durant lequel on a donné de la place aux artistes émergents, à la jeunesse.» L’OSM le fait aussi, en invitant plusieurs des lauréats du Concours OSM Manuvie, par exemple. Trois concerts saluent spécifiquement le 50e anniversaire de l’Expo: celui de la pianiste Lorraine Desmarais, qui rend hommage en solo à Brubeck, Ellington et Monk; les concerts Place à la relève du Complexe Desjardins, et le concert électroacoustique Voyage dans le temps. Ce dernier fera entendre des œuvres de Xenakis, Gilles Tremblay, Otto Joachim, Francis Dhomont et, en reprise, l’œuvre acousmatique commandée l’année dernière par

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ADAM JOHNSON: «DANS LA VIRÉE, JE VAIS DÉMYSTIFIER LE FONCTIONNEMENT DE L’ORCHESTRE, MONTRER COMMENT ON FAIT POUR ARRIVER À INTERPRÉTER UNE ŒUVRE TOUS ENSEMBLE.»

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> l’OSM à Robert Normandeau, qui procédera à la spatialisation des pièces au programme. Marianne Perron précise: «Je dirais que c’est presque l’ensemble de la Virée qui reflète cette célébration du Festival mondial des arts. Il y a les musiques du monde, avec le concert des griots, et celui sur la musique iranienne. Il y a aussi des concerts à thématique nationale comme celui consacré à l’Asie, avec la soprano Sumi Jo, ou celui qui salue la France, avec le pianiste Jean-Philippe Collard interprétant Ravel. Au même programme, les gens qui veulent découvrir la musique classique pourront le faire avec L’apprenti sorcier, de Dukas.» Pour ce qui est d’une introduction à la musique classique, il faudra surtout aller à la rencontre du chef assistant de l’OSM, Adam Johnson, qui donnera une présentation du fonctionnement de l’Orchestre. Il est arrivé en poste en septembre 2016, après le mandat de Dina Gilbert (qui vient d’être nommée directrice de l’orchestre symphonique de Kamloops, en Colombie-Britannique). «Dans la Virée, explique-t-il, je vais démystifier le fonctionnement de l’Orchestre, montrer comment on fait pour arriver à interpréter une œuvre tous ensemble, ce que c’est que de lire la musique, et aussi le rôle du chef d’orchestre, etc. Je vais aussi préparer André Robitaille pour son rôle de narrateur dans Pierre et le loup (Prokofiev), et Patrice Robitaille pour L’histoire du soldat (Stravinsky).» Autre clin d’œil au Festival mondial des arts de 1967, le danseur Étienne Gagnon-Delorme concevra une chorégraphie pour l’œuvre de Stravinsky, qui deviendra donc un grand spectacle incorporant le théâtre, la danse et la musique. L’opéra n’est pas laissé de côté, ni même le cinéma, puisqu’une nouvelle collaboration avec le Metropolitan Opera permettra la projection d’une version de 2014 du Barbier de Séville (Rossini), qui animera l’esplanade de la Place des Arts; idem pour la comédie musicale West Side Story (Bernstein). Il y a aussi le grand concert d’ouverture – gratuit – au Parc olympique dans HochelagaMaisonneuve, avec une version adaptée de Porgy and Bess (Gershwin) et les voix de Marie-Josée Lord et de Gardy Fury, entre autres. Et puis tout ça se terminera dans l’apothéose de l’Ode à la joie de la Neuvième de Beethoven, chantée par plusieurs chœurs amateurs accompagnés par le Grand Orgue Pierre-Béique. La Virée classique est toujours un succès populaire, avec sa trentaine de concerts et ses activités gratuites, et c’est une tradition qui pourrait bien rester à Montréal après 2020 comme un important legs du passage de Kent Nagano à la barre de l’Orchestre. y Du 10 au 13 août vireeclassique.osm.ca


À ÉCOUTER

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★★★★★ CLASSIQUE ★★★★ EXCELLENT ★★★ BON ★★ MOYEN ★ NUL

BROKEN SOCIAL SCENE HUG OF THUNDER

ARCADE FIRE EVERYTHING NOW (Columbia) ★★★ 1/2 Le groupe montréalais, à son apogée, livre un cinquième album fort appréciable, dansant, puissant et parfois plus atmosphérique, mais qui n’est pas aussi mémorable que son prédécesseur, Reflektor (2013). Everything Now s’ouvre et se conclut sur une réflexion sur notre surconsommation et le trop-plein d’information qui nous aveugle. Avec des collaborateurs hors pair (Daniel Lanois, Geoff Barrow de Portishead et Thomas Bangalter de Daft Punk, entre autres), la bande menée par Win Butler démarre en trombe avec quelques titres accrocheurs où l’on prône le disco ABBAesque. Puis le groupe tombe dans une série de titres hétéroclites où, par exemple, le reggae se marie à l’électro et où l’on trouve deux versions consécutives de l’expéditive Infinite Content – l’une, savant mélange d’énergie punk et de cordes, et l’autre, plus grassroots. Tout ça est très déroutant, mais si vous aimez votre Arcade Fire tirant dans toutes les directions, ce disque est un plaisir assuré. (V. Thérien)

KUTMAH TROBBB!

(Arts & Crafts)

(Big Dada)

★★★ 1/2

★★★★

Après sept ans d’absence, les nombreux musiciens de Broken Social Scene reviennent avec un cinquième album où le virage plus pop est totalement assumé. On reconnaît rapidement leur formule: fortes harmonies vocales, sonorités baroques, musicalité oscillant entre chaos et optimisme, textes évocateurs, mais jamais trop engagés… Et, surtout, une place importante pour les femmes, qui occupent les meilleurs moments de Hug of Thunder (Feist sur la pièce-titre, Emily Haines sur Protest Song et Ariel Engle sur Gonna Get Better). Les amateurs de la première heure apprécieront le post-rock éclaté de Vanity Pail Kids ou les sublimes crescendo émotionnels de Victim Lover. Toutefois, le côté sage de l’album donne aussi lieu à des moments moins réussis, dont la générique Please Take Me with You. Sans réinventer quoi que ce soit, le collectif torontois signe un album prudent et efficace qui gagne en profondeur au fil des écoutes. (E. Guay)

ILLA J HOME (Jakarta) ★★★ 1/2

Reconnu pour son flow posé et précis, le rappeur montréalais d’adoption Illa J ajoute des cordes à son arc avec Home, un troisième album solo où il dévoile ses habiletés de mélodiste. Fusionnant chant et rap avec délicatesse et fluidité, l’ex-membre de Slum Village et frère du regretté producteur J Dilla pose sa voix sur les compositions veloutées du Californien Calvin Valentine, qui s’en tient à l’essentiel en misant presque exclusivement sur des échantillons soul découpés finement et des rythmes hip-hop bruts. Moins ambitieux et impressionnant que son brillant prédécesseur paru en 2015, Home respire l’authenticité et la simplicité, signe que les deux complices ont réussi haut la main leur pari de se faire plaisir en rendant hommage aux racines du genre musical. (O. Boisvert-Magnen)

Pour son opus initiateur, le beatmaker berlinois – et président du label Izwid Records – Kutmah frappe fort. Avec rien de moins que 31 titres, cette sortie nous présente une palette sonore d’une richesse rare. Fortement ancré dans un psychédélisme électronique à l’énergie brute, presque punk, TROBBB! est la preuve que le hip-hop expérimental a encore de nombreux territoires sonores à explorer. Tantôt méditatives, tantôt presque agressives, les boucles d’échantillonnages choisies par le producteur sont extrêmement recherchées et approchent parfois les horizons de la musique concrète. Les collaborations avec N8NOFACE et Jonwayne, plus «traditionnelles», sont de véritables petits bijoux hip-hop. Un premier album qui établit Kutmah comme l’un des chefs de file d’un mouvement musical des plus intriguants. (A. Bordeleau)

BÏA & MAMSELLE RUIZ BANDIDAS (Bandidas) ★★★ 1/2

Le nouvel accord de libre-échange intervenu entre le Québec, le Mexique et le Brésil nous donne ce disque inattendu et presque improvisé comme un premier cadeau. Groupe bicéphale, las Bandidas nous font le bonheur de chanter ensemble. Toutes deux guitaristes, auteures et compositrices, elles s’amusent à piger dans le répertoire de l’une et de l’autre et font les choses simplement, avec le cœur. Avec un petit coup de pouce de quelques amis: Dan Gigon (basse), Sheila Hannigan (violoncelle) et Sacha Daoud (percussion), qui ne donnent guère dans l’espièglerie; on se sent plus proche de Lhasa de Sela que de Bonnie Parker. La version de Cuccurucucù Paloma, par exemple, est aussi différente de celle de Bïa sur l’album Navegar que de celle de la Mexicaine Mamselle sur son Miel de cactus. Recherchées, les Montréalaises? Pourvu qu’elles ne s’arrêtent pas là! (R. Boncy)


DISQUES 33 VOIR MTL

FWONTE NO WANGA 2

VO2 #O8

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VENOM INC. AVÉ

(Indépendant)

(Nuclear Blast Records)

★★★

★★★★

Comme son nom l’indique, Fwonte a du front tout l’tour de la tête. Venu d’Haïti et «backé», entre autres, par la gang à Poirier, il commence par échantillonner Yaya, d’un vieux succès du DP Express, sous son nom de rappeur Mr. OK. Plus consistant, ce compact de huit titres, tous chantés, fait suite au EP No Wanga (2015), qui avait un peu circulé. Réalisé par Franky Selector, Gardy Girault et Vincent Letellier (Freeworm) – un récidiviste! –, ce produit inclassable, car inédit, ressemble à une pop créole 2.0, boostée dans un contexte électro avec des éléments house. Un brin mégalo, le chanteur sort l’artillerie lourde et les gros beats pour Diva, Loko et Dife, mais il arrive quand même à nous attendrir avec une chanson pour sa grand-mère, assaisonnée comme un cocktail tropical avec la trompette de Hichem Khalfa. (R. Boncy)

Même s’il s’agit d’un premier album, les trois musiciens de Venom Inc. sont loin d’être des nouveaux venus. Après s’être réunis en 2015 pour jouer des classiques de Venom au festival Keep It True en Allemagne, le guitariste Jeff «Mantas» Dunn, le batteur Anthony «Abaddon» Bray et le chanteurbassiste Tony «Demolition Man» Dolan ont décidé de former Venom Inc. Le noyau de Venom de 1989-1992 a ajouté «Inc.» à son nom pour qu’on n’espère pas de nouvelles versions des classiques Welcome to Hell et Black Metal. N’empêche, le lien de parenté est indiscutable sur Avé à travers l’amalgame de heavy, speed, black et thrash métal qui nous ramène aux années 1980. Les chansons I Kneel to No God, Dein Fleisch, War, Time to Die et Metal We Bleed démontrent que le trio britannique ne manque ni d’inspiration ni de mordant. (C. Fortier)

THELONIOUS MONK LES LIAISONS DANGEREUSES 1960 (Sam Records / Saga) ★★★★

WAXAHATCHEE OUT IN THE STORM (Merge)

JOAN LA BARBARA THE EARLY IMMERSIVE MUSIC OF JOAN LA BARBARA

★★ 1/2

(Mode/Naxos)

Sur ce quatrième effort, Katie Crutchfield – l’âme derrière le groupe – relate sans retenue une déception amoureuse et professionnelle qui l’a durement affectée, ce qu’elle avait touché du bout des doigts sur son précédent Ivy Tripp (2015). Plus cru et direct, Out in the Storm est en quelque sorte l’album exutoire de cette crise sentimentale et sans doute le plus agressif de Waxahatchee. Ici, à part deux titres plus calmes, les guitares sont fortes et omniprésentes mais la voix demeure posée, un peu à la façon des Breeders. Enregistré en compagnie du réalisateur John Agnello (Sonic Youth, Dinosaur Jr), Out in the Storm demeure toutefois un peu banal et redondant. Katie Crutchfield n’est ni la première ni la dernière personne à relater une séparation, et la façon dont elle s’y prend n’est pas réellement convaincante ou poignante. (P. Baillargeon)

★★★★ La chanteuse Joan La Barbara a émergé au début des années 1970 à New York, d’abord connue pour ses collaborations avec Steve Reich et Philip Glass, mais ce sont ses propres compositions que l’on peut entendre ici. Disons-le tout de suite, ses «environnements sonores» sont l’équivalent musical d’une possession diabolique, ou d’une psychose. La Barbara est une virtuose dont la voix passe du chuchotement au cri primal dans le temps de le dire, et son imaginaire assez sombre peut rappeler celui de Diamanda Galás. On trouve ici deux nouveaux mixages (2017) d’as lightning comes, in flashes (1981) et d’Autumn Signal (1978), de même qu’une première édition de Cyclone (1977), pour plusieurs voix, synthétiseurs, etc. La version Blu-ray contient des versions mixées en 5.1. (R. Beaucage)

Offerte pour la première fois, voici la version CD de la bande originale du film de Roger Vadim sortie en vinyle en avril dernier. Monk n’a pas enregistré de nouvelles compositions à cette occasion, mais il y a quelques raretés, comme le seul enregistrement en studio de Light Blue (dont on a aussi le making of), deux versions de la vieille Well, You Needn’t (1947), et quelques solos du pianiste. Il est accompagné de Sam Jones (contrebasse), Art Taylor (batterie) et des saxophonistes ténors Charlie Rouse et Barney Wilen (ce dernier accompagnait Miles Davis sur la BOF d’Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle, paru l’année précédente). Inutile de dire que cette musique se passe très bien d’images! (R. Beaucage)


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MONIQUE GIROUX SUR MESURE

LE GRAND BUFFET CHINOIS DES NOTES ET DES MOTS Me voilà bien reposée. J’ai eu l’idée du siècle en prévoyant des vacances estivales au Mexique! Vu l’été auquel on a droit au Québec cette année, je me félicite d’avoir joué à la roulette russe avec Météomédia qui prévoyait 10 jours d’orages violents sur la péninsule du Yucatan. Que nenni! Je rentre de vacances reposée d’avoir entendu toutes ces vagues, ce vent, le cri des pélicans – eh oui, ça crie des pélicans. Qu’elle était douce, la musique du «pouiche» qu’émettait le tube de crème solaire presque vide et qui réclamait que je le secoue pour en extirper trois gouttes qu’il me fallait étaler sur des épaules pourtant déjà bronzées. Et puis les enfants qui font des trous dans le sable pour se rendre jusqu’en Chine... ce bruit-là m’a également reposée. Et les vendeurs de ci pis de ça qui répétaient comme des mantras des noms de fruits et de bricoles en faisant des allers-retours sur la plage... ils sont arrivés à me calmer également. La petite chute d’eau toute bucolique dans la piscine, les deux perroquets vieillissants qui se faisaient entendre de temps en temps, les freins de vélo pas graissés qui couinaient devant les terrasses entre ceviche, margarita et mariachis du soir... tout ça m’a bercée. Et dire que je ne voulais plus rien entendre! La dernière fois que j’ai évoqué dans ces pages la musique de la vie et ma vaine quête de silence, je rentrais de Thaïlande. Comme si les très grandes chaleurs, humidex en prime, accentuaient mon désir de n’entendre rien. Mais n’entendre rien, c’est déjà entendre quelque chose. Au cours de ces quelques derniers jours épicés au jalapeño, j’ai enfin compris qu’en réalité, je ne cherchais pas le silence, mais le vide de sens, pour me reposer vraiment.

Emmenez-en des bruits de chansons et de musiques, pourvu que je ne comprenne rien de ce que le chanteur raconte quand je suis en vacances. Parce que je suis myope, je n’entends pas bien sans mes lunettes, c’est comme ça. Demandez à quiconque porte le binocle et il vous le confirmera. Vous me direz alors: «Si tu ne veux rien entendre, retire tes lunettes, c’est ben simple.» C’est une avenue, en effet, mais attraper une vague de plein fouet quand tu ne l’as pas vue venir, c’est comme entendre une chanson de Renaud ou de Desjardins pour la première fois: ça fesse. On connaît tous l’expression «mieux vaut être sourd qu’entendre ça». Bon, il ne faudrait pas exagérer non plus. Beethoven était sourd. Il n’a jamais entendu son œuvre la plus connue, sa Neuvième Symphonie. C’est quand même dommage! On dit que sa surdité était la conséquence d’une syphilis ou alors d’une labyrinthite… intestinale. Barbara est bien morte d’un empoisonnement aux champignons... c’est aussi con, vous me direz. Si au moins j’arrivais à faire abstraction des paroles de chansons seulement 15 jours par année, en lisant par exemple un magazine de mode plate avec dedans des bikinis jolis que je ne porterai jamais. Juste laisser vrombir les notes sans chercher à capter un message, un sens aux mots des chansons, je pourrais, tout en bronzant, taper du pied et claquer des doigts. Mais non, j’analyse la rime riche ou pauvre, je tente de déceler l’originalité du sujet, l’angle abordé, le sens, comme s’il fallait à tout prix un sens. Alors je vais là où on ne chante pas dans ma langue. J’entends.

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35 Le verbe «écouter», selon le Larousse, se définit ainsi: «Être attentif à un bruit, à un son, à de la musique, les entendre volontairement.» Attentif. Volontairement. «Accepter d’entendre ce que quelqu’un a à dire, lui donner audience.» Que c’est joliment dit, «lui donner audience». Le verbe «entendre» est carrément plus technique: «Percevoir par l’ouïe des bruits, des sons, produits par quelque chose ou quelqu’un.» J’ai lu cet été ce tweet de Renaud: «Ma chanson Mistral gagnant, c’est du pipi de chat à côté des chansons de Brassens, de Nougaro et de Jean Ferrat.» Ben dis donc, j’en connais qui videraient des litières pour moins que ça. Vous voyez, par exemple, cette chanson-là, je l’ai beaucoup écoutée. Seulement l’entendre ne m’aurait pas suffi. Et quoi qu’en pense Renaud, les Français la citent toujours comme leur préférée devant Ne me quitte pas, L’aigle noir, Avec le temps, et loin devant tout le répertoire de Ferrat et Nougaro. Elle date de 1985. Elle a 32 ans. Quand on fait le même sondage ici, invariablement c’est Quand les hommes vivront d’amour qui arrive en tête. Elle date de 1956. Elle a 61 ans. Pas loin derrière, on cite Si Dieu existe (1996), Si fragile (1990), L’amour existe encore (1991) et Hymne à la beauté du monde (1973).

«QUEL ÂGE A LA DERNIÈRE CHANSON QUE VOUS AVEZ ÉCOUTÉE VRAIMENT?» Quel âge a la dernière chanson que vous avez écoutée vraiment? Je veux dire, assez pour m’en raconter le propos? Pourquoi ai-je l’impression que devant le grand buffet chinois des notes et des mots, on ne prend plus le temps d’écouter les chansons et on n’a plus l’estomac assez grand pour goûter tous les plats – et surtout pour y revenir une deuxième fois. Et Dieu sait que personnellement, je n’ai que ça à faire, 350 jours par année. Alors j’imagine mon gérant de banque, ma dentiste, le véto de mon chat. Ils font comment ces gens-là pour écouter des chansons? Et surtout, à quelle heure le font-ils? On lit et on entend beaucoup les crieurs de tout acabit, les hurleurs, les lanceurs de fausses alertes qui soudainement se soucient de notre bien-être et nous mettent en garde contre les feux de l’enfer et les pires malheurs de l’Apocalypse à grands coups de Messenger. Pour ça, on a le temps. Mais que sait-on des mots des chansons? De celles qui traversent et traverseront les âges et marqueront les esprits? Les vacances sont finies... va falloir s’y remettre. y

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quand le vernis craque entre deux poses pour la couverture, l’acteur christian Bégin et le cinéaste roBert Morin, qui travaillent pour la preMière fois enseMBle, ont sondé avec nous LE PROBLÈME D’INFILTRATION. filM disséquant la laideur dans ses Banlieues les plus intiMes, il sera présenté en clôture de fantasia. MOTS | NICOLAS GENDRON

PHOTO | JOHN LONDOÑO (CONSULAT)

Croyez-le ou non, mais Christian Bégin n’avait vécu que des one night stands avec le septième art jusqu’à aujourd’hui, tantôt chez Érik Canuel (La Loi du cochon, Nez rouge, Cadavres), tantôt l’an dernier dans 9, le film et La chasse au collet. «J’ai adoré vivre l’aventure d’un film de la première à la dernière scène. J’ai accueilli ce rôle avec gratitude, d’autant plus que j’ai une admiration sans bornes pour le cinéma de Robert Morin. Parce que j’aime les gens qui ne marchent pas dans les sentiers balisés, les têtes de cochon, les empêcheurs de tourner en rond.» Un air de famille avec le réalisateur de Petit pow! pow! Noël, peut-être? «Sûrement que je me reconnais là-dedans: l’entêtement, la résistance, la liberté aussi.» Bégin n’était pourtant pas pressenti pour incarner Louis, ce chirurgien dédié au sort des grands brûlés qui, confronté à un patient amer (Guy Thauvette) qui intente une poursuite contre lui, voit sa vie rangée avec femme (Sandra Dumaresq) et enfant (William Monette) parfaits se déconstruire en une journée. Morin lui-même se réjouit du flash d’un de ses collègues, après qu’un de ses chums eut refusé le rôle: «Christian Bégin, c’était parfait! D’une part, c’est un excellent comédien, j’ai vu des shows de sa gang [Les Éternels Pigistes]. Et puis, il part avec un capital de sympathie, comme mon personnage avec sa fondation des grands brûlés. C’était le fun de jouer avec son image publique de bon vivant. C’est Curieux… qui devient Furieux Bégin!» Le principal intéressé en fut le premier surpris. «Mon personnage public est très polarisant, les gens l’aiment ou le détestent. J’ai déjà eu des menaces de mort pour mes prises de position.» Mais il comprenait où le cinéaste voulait le mener. «Il fallait

que le personnage puisse se transformer, et qu’a priori on lui donne le bon Dieu sans confession. Qu’il puisse ensuite y avoir cette métamorphose, cette descente aux enfers complète.» De victime dans la première scène, on découvre qu’il peut lui aussi se déshumaniser, et Bégin a lu beaucoup sur les pervers narcissiques pour s’y préparer. Aussi auteur de théâtre – il en est à écrire son premier roman –, l’artiste a bien sûr interrogé le scénariste en amont du tournage, mais une fois sur le plateau, Bégin l’a encouragé à faire confiance à ce qu’il avait écrit: «Ne joue plus avec l’objet, tu risquerais de le dénaturer, mais joue avec la forme, l’environnement.» Il a ainsi «sauvé le film» à quelques reprises, aux dires de Morin. Miroir, miroir Pensé comme un ballet expressionniste en plusieurs actes, aux mouvements de lumière insidieux, avec des plans-séquences trafiqués à la Birdman qui ont demandé un rare abandon à Christian Bégin, Le problème d’infiltration porte assurément la marque du formaliste qu’est Robert Morin, même s’il assure ne pas avoir de signature. «Le cinéma, c’est mon jouet, une façon de m’amuser avant de mourir. Mon prochain film sera un wildlife, mais ça ressemblera pas à Walt Disney, c’est sûr. Les codes de départ vont être là, comme ils sont là avec l’expressionnisme, même si on n’est pas nécessairement dans du Murnau.» Le déclic s’est opéré quand il s’est demandé ce qu’un Fritz Lang ou un F. W. Murnau feraient avec les moyens d’aujourd’hui, eux qui n’ont connu ni la couleur ni le CGI, pas plus que ces «plans-séquences

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> qui enferment les gens dans le temps.» Pour le cinéaste, l’art doit d’abord être conceptuel avant d’être narratif. N’empêche, ayant vécu à l’époque des grands tyrans, les expressionnistes auraient sans doute aimé réfléchir au narcissisme exacerbé du troisième millénaire. «Aujourd’hui, il y a encore des dictateurs, mais la démocratie a noyé l’idée du tyran, avance Morin. Par contre, on l’a remplacée par des personnages narcissiques. Le web a amplifié le Narcisse en chacun de nous. Mais il y en a qui sont pathologiques. Tout leur univers part d’eux-mêmes. Comme Guy Turcotte ou les gars qui mettent le feu à leur maison, avec leur famille dedans. Quand quelque chose leur échappe, c’est une explosion, un système solaire qui éclate, comme ils sont des satellites d’eux-mêmes.» On pourrait croire que de vouloir toucher à cette part sombre de soi-même a de quoi effrayer un acteur, mais pas Christian Bégin – enfin, plus maintenant. «C’est mon ami Normand D’Amour qui m’avait rappelé, alors qu’on jouait dans la pièce La société des loisirs, qu’on était là pour faire semblant. Je jouais un personnage obsédant, pour lequel je me mettais dans tous mes états, et ça aurait été facile de tomber là-dedans pour le film de Robert, parce que c’est quand même dark! Mais j’ai réussi à me préserver de ça.» Même s’il n’y a rien de rassurant à explorer sa laideur intérieure – à l’inverse du concept édulcoré de la beauté intérieure. «Elle nous

habite tous, c’est ça qui est terrifiant. Bien sûr, on ne va pas tous flipper et perdre les pédales, mais ce monstre-là, on le porte en nous. Rien ne nous dit qu’on est à l’abri.» Dès lors qu’on s’en prend à son système de valeurs, aussi illusoires soient-elles, le vernis de Louis craque sous la pression d’une chanson rap ou d’un vin bouchonné. «C’est voulu comme ça, d’avouer Morin: sympathie, neutralité graduelle, puis antipathie. C’est la courbe inverse de Nosferatu et de M le maudit. Dans les deux cas, ces personnages-là sont d’abord présentés comme des monstres. Et à la fin, on a pitié d’eux. Alors que dans mon cas, le monstre, il n’éveille pas la pitié, il est épeurant. C’est plus Shining que Nosferatu.» Son acteur salue d’ailleurs ce film qui se distingue dans sa filmographie, aux côtés d’un Quiconque meurt, meurt à douleur. «C’est un objet unique et en même temps son film le plus accessible depuis longtemps. Quand je l’ai vu, mon premier réflexe, absolument narcissique, a été de me regarder. J’ai-tu bien fait ma job? C’est un des films les plus oppressants qu’il m’a été donné de voir, mais ce qui me réjouit, c’est que j’ai fini par oublier que c’était moi à l’écran. J’ai été happé par le vortex du film. Tout ça grâce au talent de Robert.» y Le problème d’infiltration Sortie en salle le 25 août En clôture du festival Fantasia le 2 août

viens voir les coMédiens Tel était le titre d’une lettre ouverte signée par Christian Bégin, parue dans le journal Voir en 2002, et qui l’a suivi de nombreuses années – entre autres sur le plateau de Tout le monde en parle. Quinze ans plus tard, à la une du Voir, toujours, comment mesure-t-il le chemin parcouru?

«Beaucoup de gens m’en ont tenu rigueur. Mais le temps fait bien les choses. Quand j’ai revu l’extrait aux Enfants de la télé, je me suis trouvé insupportable. Depuis, tout a bougé, et moi aussi. Je ne redirai jamais ce que j’ai dit de la façon dont je l’ai dit. Parce que ça visait des individus. Dans notre industrie et notre monde, il y a encore ces questions-là, sur la façon dont on crée des icônes, pour les consommer et les jeter ensuite. Beaucoup de gens à l’époque ont vu ça comme un débat acteurs contre humoristes, alors que j’ai pratiqué le métier d’humoriste de nombreuses années.

Dans la vie, je suis multitasking. Ça ne pourrait pas être autrement. Malheureusement, je suis, à certains égards, inassouvissable. C’est quelque chose qu’il me faut apprendre: à 54 ans, on commence à penser en fonction du temps qu’il nous reste. Il me faut accepter que je ne peux pas tout faire. J’ai commencé cet été un show qui s’appelle Y’a du monde à messe, à Télé-Québec, et j’avais jamais fait ce type d’animation-là. C’est fantastique de constater qu’après 30 ans de métier, j’ai bâti une boîte à outils dans laquelle je peux piger et qui me permet de pas me sentir imposteur.

Récemment, sur la page Facebook de l’émission, quelqu’un évoquait justement ma lettre d’il y a 15 ans: «Comment ça se fait que vous vous retrouvez là, vous êtes pas un animateur?» Mais j’ai jamais écrit que chacun devait rester dans une boîte! Ça fait 10 ans que j’anime Curieux Bégin; j’ai commencé à la télé comme animateur à Télé-Pirate; le premier Gémeaux que j’ai gagné, c’en est un d’animation, même pas de jeu. Si je suis pas blasé, c’est parce que je me suis justement arrangé pour pas qu’on m’enferme dans une boîte. C’est pour ça que je sens une fraternité d’esprit avec Robert.»


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dans la peau d’un fantôMe A GHOST STORY n’est pas une histoire de fantôMe coMMe les autres. hanté par l’angoisse du vide et l’aBsurdité de l’existence, le nouveau long Métrage de david lowery (PETE’S DRAGON, AIN’T THEM BODIES SAINTS) Mise sur l’aBstrait et une atMosphère éthérée pour évoquer l’état de Mort. MOTS | CÉLINE GOBERT

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Pour être en paix avec l’immuabilité de sa propre disparition et l’impermanence de toutes choses, David Lowery a réalisé A Ghost Story, film dans lequel se nichent toutes ses angoisses. «Je suis très stressé quand je pense au futur, celui de nos enfants, de notre planète, et j’essayais de trouver un moyen d’être plus optimiste et moins nihiliste. Ce film est la réponse.» Le long métrage du réalisateur texan a la particularité d’adopter une perspective nouvelle et intéressante: raconter l’histoire du point de vue du fantôme. «Je savais dès le départ que le fantôme, recouvert d’un simple drap, serait l’image centrale du film. J’adore cette représentation enfantine du fantôme, tout seul, dans une maison vide. Il s’en dégage quelque chose de naïf et de mélancolique.» C’est sous ce drap blanc aux deux yeux noirs que le défunt (Casey Affleck) hante désormais la maison où il vivait avec son amoureuse (Rooney Mara) avant de mourir dans un accident de voiture. Les deux acteurs incarnaient déjà un couple maudit dans le précédent film de Lowery. «Ils ont une magnifique chimie entre eux, ils aiment être ensemble, comptent l’un pour l’autre, et il fallait que ce couple apparaisse d’emblée à l’écran avec une histoire, une tendresse.» Autre particularité: les noms des personnages ne sont jamais prononcés et sont crédités au générique comme C et M. «Je voulais que les gens ne s’investissent pas trop dans ce couple et portent plutôt leur attention sur la figure du fantôme.»

David Lowery préfère donc miser sur l’atmosphère vaporeuse pour définir ses protagonistes, sans expliciter qui ils sont ou quelles sont leurs motivations. Et comme l’on ne voit jamais le visage du fantôme, le défi était de faire comprendre aux spectateurs ce que ce dernier ressent. «Ce sont les sons, la musique, la mise en scène qui laissent entendre aux spectateurs les émotions qui sont en jeu. Le fantôme n’est qu’une lentille qui met l’accent sur celles-ci.» A Ghost Story évoque formellement l’angoissant état de vide: il explore de longues plages de silence, l’écoulement du temps, n’offre que très peu de dialogues. Les spectateurs sont entraînés à projeter leurs propres peurs dans le fantôme. Si le film évoque les préoccupations d’un Terrence Malick, notamment quand il s’aventure sur des terrains plus cosmiques, David Lowery cite Virginia Woolf en ouverture. Point intéressant quand on sait que l’auteure a largement exploré le passage du temps dans son œuvre, un thème qui fascine le cinéaste. «Je voulais que le film reflète les différentes façons dont nous faisons l’expérience du temps qui passe. Au début du film, le temps est fragmenté, avant d’adopter un rythme anormalement long, puis, enfin, d’accélérer.» Lowery étire ainsi plusieurs séquences, dont certains moments d’intimité du couple. «Ces moments sont inconfortablement longs et traduisent le tragique. Je voulais que le spectateur ait clairement conscience de

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LE RÉALISATEUR DAVID LOWERY

chaque minute qui passe. Ça m’intéressait de regarder le temps sous toutes ses formes et ses vagues – il y a des moments comme cela dans la vie, inconfortablement longs, et l’on voudrait qu’ils se terminent.» Enfin, dernière particularité du long métrage: son format 4:3. «Utiliser ce ratio d’image un peu désuet sur nos écrans modernes a un effet saisissant, nous explique Lowery. Ici, le personnage est piégé dans une boîte pour l’éternité, le format vient immédiatement traduire une certaine claustrophobie inhérente à sa condition». Le cinéaste a également ajouté des coins arrondis à l’image pour amplifier le rendu vieillot. «Ça donne un effet nostalgique. Ça rappelle les vieilles photographies, les vieux diaporamas. Et le film parle aussi de ça: de nostalgie, et de lâcher-prise.» y


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norMand Baillargeon PRISE DE TÊTE

la statue À la fin de sa vie, le grand poète et parolier Gilbert Langevin (1938-1995), qui fut mon ami, demandait malicieusement à la ronde: «Quelle est la devise du Québec?» Et il répondait aussitôt lui-même à sa propre question par: «Je m’en souviens plus!» Il n’est pas nécessaire d’avoir notre devise pour nous préoccuper de mémoire collective (et il ne suffit pas de l’avoir pour le faire correctement…); mais tous les pays, comme on sait, s’efforcent de garder souvenir et trace de leur passé. On le fait en écrivant son histoire, bien entendu, mais aussi, entre autres, en érigeant des monuments, des musées, des sites et des statues. Ce devoir de mémoire peut faire polémique au moment où on l’exerce; il peut aussi, avec les années, finir par susciter la controverse. Considérez à ce propos ce qui se passe en ce moment à Halifax. Le cas Cornwallis Edward Cornwallis (1713-1776) est un militaire anglais qui sera nommé gouverneur de la Nouvelle-Écosse en 1749. Il y fondera la ville de Halifax. L’événement est commémoré en 1931 par l’érection d’une statue située dans un parc de la ville qui porte également son nom. Or, depuis plusieurs années, cette statue suscite la controverse. Tout récemment, en attendant de décider s’il convient ou non de la démolir, la municipalité l’a fait recouvrir d’une bâche. Le nœud de la polémique est le traitement que Cornwallis a fait subir aux Autochtones; il offrait même des primes pour des scalps, c’est vous dire… L’occasion m’a semblé pertinente pour réfléchir sur ces devoirs de mémoire. Se souvenir On peut distinguer deux grandes questions que nous posent ces commémorations: de quoi convient-il de se souvenir? Comment convient-il de le faire?

À la deuxième question, on peut donner diverses réponses: en écrivant des livres; en installant des plaques commémoratives; en préservant des lieux ou des bâtiments; en observant, à un moment convenu, toujours le même, un moment de silence (en Grande-Bretagne, 2 minutes de silence sont observées le 11 du 11e mois à 11 heures pour souligner la fin de la guerre de 14-18); et de bien d’autres manières encore, notamment par l’érection de statues. Mais c’est bien entendu ce dont on choisit de se souvenir (ou pas…) qui est le plus délicat et qui pose parfois problème – ou qui finira par poser problème, en raison de nos changements collectifs de pensées ou de valeurs. D’abord, il n’y a rarement, voire jamais, de consensus sur les événements importants. Prenons justement cette guerre que je viens d’évoquer et que nous commémorons chez nous avec ces coquelicots de papier vendus en novembre. Comme toute guerre, elle a fait des résistants, des pacifistes, des nationalistes et des bellicistes, sans oublier les vainqueurs et les vaincus ni toutes les victimes – militaires et civiles, des deux côtés. Qui aura son monument? Ce sont souvent les vainqueurs, ceux qui écrivent l’histoire comme le veut le vieil adage, qui en décident. De plus, l’événement s’éloignant, il arrivera que l’on porte sur lui un autre regard que celui qu’on lui a d’abord porté. On le devine sans doute: les enjeux sont ici aussi importants que les questions sont complexes. Je ne prétends pas avoir de réponse, mais je veux me risquer à modestement indiquer dans quelle direction se trouveront sans doute les réponses que je trouverais les meilleures.

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Quelques pistes Je suggère qu’il conviendrait d’aller là où nous conduiraient quatre grands principes. Le premier est une sorte de cosmopolitisme humaniste qui adopte la perspective selon laquelle l’humanité ne fait qu’un et qu’il faut se méfier des cloisonnements, des enfermements, identitaires ou nationalistes. Quand Russell et Einstein écrivaient, dans leur combat contre la menace nucléaire, «Souvenez-vous de votre humanité et oubliez le reste», c’est de ce principe qu’ils se réclamaient. Le deuxième est un principe d’équivalence qui devrait nous inciter autant que faire se peut à ne pas occulter nos propres erreurs, nos crimes, nos turpitudes, et à honorer toutes les victimes. Le troisième nous invite à prendre l’exercice au sérieux en nous rappelant que ce que nous ferons sera un témoignage de notre lecture du monde et de nous-mêmes à un moment précis de notre histoire. Le dernier nous rappelle le caractère provisoire et en droit toujours révisable du jugement porté. Certaines commémorations vont en ce sens; d’autres guère, voire pas du tout. Le monument érigé à Washington en souvenir de la guerre du Vietnam, guerre injuste s’il en fut, entre dans cette dernière catégorie: il ne contient que les noms des quelque 60 000 soldats américains tués durant cette guerre. L’Anneau de la Mémoire (Pas-de-Calais, France, 2014), par contre, va dans le sens que je préconise. On y trouve les noms de 579 606 soldats morts durant la Première Guerre placés en ordre alphabétique, toutes nationalités, origines ou religions confondues. Le Mémorial de l’Holocauste, à Berlin, va lui aussi en ce sens, tout comme la préservation des bâtiments d’Auschwitz. Les Allemands ont même un terme pour désigner des monuments qui gardent une trace de nos erreurs et de nos crimes: Mahnmal. Une plaque sur les écoles de Paris rappelant que si des enfants juifs en furent arrachés pour aller vers leur mort, ce fut avec la complicité de la police française, va aussi en ce sens. La statue à Cornwallis? Je pense qu’avec mes principes, je la laisserais là: mais avec une toute nouvelle et très objective inscription et en érigeant une autre statue, juste à côté. y



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APPELLATIONS CONTRÔLÉES

PROTÉGER LE TERROIR

Alors que le maïs sucré de Neuville vient d’obtenir son appellation officielle, de plus en plus de certifications de produits sont à l’étude… Le terroir québécois serait-il (enfin) reconnu? MOTS | MARIE PÂRIS

Il sera sans doute la vedette des Fêtes gourmandes de Neuville, qui auront lieu du 25 au 27 août: le maïs sucré de Neuville a sa propre appellation réservée depuis le 5 juin dernier. On le trouve désormais accompagné d’un logo assurant son identification géographique protégée (IGP) ainsi que sa certification Écocert Canada. C’est que ce maïs du terroir québécois a des caractéristiques bien spécifiques: cultivé à Neuville depuis le 17e siècle, il se différencie de ses congénères par son goût très sucré dû à un microclimat doux et à l’abri du vent, et au sol sableux et calcaire propre à la région. Cette appellation réservée, l’Association des producteurs de maïs sucré de Neuville l’attendait depuis décembre 2014, date à laquelle ils ont lancé leur dossier de demande au Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). «Le cahier

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des charges doit être accepté, ensuite il y a un plan de contrôle, et le ministre doit accepter le dossier… Ça prend trois ans de démarches», conclut Isabelle Béland, secrétaire de l’association. Cette appellation vise surtout à protéger de l’usurpation du nom ce produit vedette de la région. Si la dizaine de membres producteurs vendent principalement leur maïs dans la région de Portneuf et à Québec, ils ont déjà trouvé du «maïs sucré de Neuville» sur des étals de la Côte-Nord, ou alors bien avant que les premiers épis de l’année n’aient été récoltés à Neuville. «C’est un travail de longue haleine sur une dizaine de générations qui fait de notre maïs ce qu’il est. Quand on travaille fort pour créer un produit particulier, c’est bien de le protéger, souligne Isabelle Béland. Une réputation est plus facile à détruire qu’à bâtir…»

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> CARTVgate Cette nouvelle appellation réservée assure notamment que tout «maïs sucré de Neuville» est bien fait à Neuville, et sans semences OGM. «La fraude alimentaire est un problème mondial», regrette Pascale Tremblay, directrice du CARTV. Pour lutter contre cela, une inspectrice du Conseil entreprend des visites de contrôle (698 visites pour 2016), que ce soit sur le terrain ou pour vérifier les publicités et autres annonces utilisant une appellation, qu’elle soit de territoire, de mode de production ou de spécificité.

des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Yohan Dallaire Boily, responsable des relations de presse du ministère, dément pourtant toute volonté de mettre des bâtons dans les roues: «On a posé plusieurs gestes pour soutenir les produits du Québec, dont des gestes financiers. On soutient le CARTV.» De son côté, Pascale Tremblay n’a pas voulu commenter plus le «CARTVgate». «Ma prédecesseure a eu son droit de parole. On est un organisme indépendant, même si on relève du ministre, et les relations sont bonnes avec le ministère.» Répondre à la demande Sept nouveaux dossiers sont à l’étude au CARTV: le terme valorisant de fromage fermier, le cheddar de l’Île-aux-Grues, les vins du Québec, les produits marins fumés traditionnellement, l’alcool d’érable vinifié Acer, le bleuet du Lac-Saint-Jean et l’eau de vie du Québec. «Il y a une augmentation du nombre de demandes, souligne Yohan Dallaire Boily. Le consommateur est de plus en plus ouvert à acheter des produits reconnus et locaux. Et c’est très important pour le MAPAQ de répondre à cela.» Même optimisme du côté du CARTV: «Les gens sont de plus en plus sensibilisés à l’authenticité, et ils veulent que le produit soit à la hauteur de leurs attentes. Ils recherchent une valeur ajoutée; ici, cette valeur est en plus validée par une loi. Le succès de ces appellations va certainement en appeler d’autres. J’ai confiance dans les Québécois et dans leur recherche d’authenticité. Ça va faire un effet boule de neige... Les consommateurs d’ici sont un bon terreau pour développer les appellations.»

Le maïs sucré de Neuville est la sixième appellation reconnue au Québec, après le bio (2000), l’agneau de Charlevoix (2009), le cidre de glace et le vin de glace (2014) et le fromage au lait de vache canadienne (terme valorisant reconnu depuis 2015). Si le Québec fait pâle figure à côté de la France, qui enregistre près de 400 produits protégés, la province compte avec le CARTV la seule juridiction de ce type existant en Amérique du Nord. En attendant, le Conseil s’est retrouvé sous les projecteurs en février dernier avec la démission de son ancienne directrice: cette dernière a notamment dénoncé dans les médias le manque de collaboration flagrante du ministère de l’Agriculture,

Car le système d’appellations au Québec est relativement jeune. Les demandes viennent de la base: une appellation est portée par un groupe, souvent de producteurs. «Une appellation protège un mode de production, ça circonscrit une région. C’est des années de travail qui amènent à la reconnaissance, à l’issue de démarches rigoureuses… On veut faire en sorte que les produits soient protégés, notamment avec l’Accord économique et commercial global (CETA)», conclut la directrice du CARTV. Et, de même que l’appellation bio est arrivée au niveau fédéral en 2009, on pourrait espérer que d’autres appellations remonteront aussi. Parce que protéger le terroir, c’est d’abord le reconnaître. y

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RECETTES: DES SECRETS PAS TRÈS BIEN GARDÉS QUE ÇA PLAISE OU NON À L’INVENTEUR DU BŒUF BOURGUIGNON OU DE LA POUTINE, LEURS PLATS SONT CONDAMNÉS À ÊTRE RECOPIÉS. EN EFFET, LES RECETTES NE PEUVENT PAS ÊTRE PROTÉGÉES PAR LE DROIT D’AUTEUR… MOTS | DELPHINE JUNG

PHOTOS | PATRICIA BROCHU

Les chefs le savent. Aussitôt leur recette publiée, peu importe le support, des cuisiniers en herbe risquent de se les approprier. Il suffit de voir sur internet le nombre de recettes de pouding chômeur, de choucroute et de macarons qui circulent... Et la plupart du temps, elles se ressemblent toutes. «Les lois de la propriété intellectuelle ne sont pas adaptées aux recettes culinaires, car elles sont considérées comme des techniques ou comme une idée, mais pas comme l’expression d’une idée. C’est son expression concrète dans une forme littéraire qui est protégée», explique Me Vincent Bergeron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle. Ce qui est protégé, c’est donc le médium utilisé pour transmettre l’idée: un livre de recettes, une vidéo de tutoriel ou encore une photo du résultat final restent des œuvres protégées, au même titre que n’importe quelles œuvres artistiques. Arnaud Marchand, chef et copropriétaire du restaurant Chez Boulay, à Québec, est bien au courant de la situation: «C’est difficile de protéger une recette, parce que c’est difficile de savoir tout ce qui se fait dans le monde. Essayer de s’approprier une recette, c’est avoir un ego qui n’est pas nécessaire.» Pas de quoi le frustrer pour autant. Le chef, qui essaye toujours de réinventer ses plats, voit cela avec philosophie:

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TARTARE DE BETTERAVES, DE DANNY ST PIERRE

«Le but, c’est de transmettre quelque chose, de pousser les choses plus loin.» Jean-Philippe Cyr, blogueur culinaire végane, a déjà été victime de «plagiat». Encore plus faciles à trouver que dans les livres, ses recettes sont disponibles sur sa chaîne

YouTube et son site internet. «Certains s’approprient clairement mes recettes et ne prennent même pas la peine de changer les quantités. J’ai même une fois retrouvé mon site internet copié en intégralité», indique le blogueur.



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> Danny St Pierre au St-Hubert Le seul recours dont les chefs disposent est celui de la marque déposée, comme l’a fait le pâtissier français Dominique Ansel, l’inventeur du «cronut» – un savant mariage du croissant avec son équivalent plus calorique américain, le donut. En revanche, la démarche est longue et coûteuse, rappelle Me Bergeron. Et le cronut pourra se retrouver dans n’importe quelle boulangerie d’ici ou d’ailleurs, tant qu’il ne se fera pas appeler «cronut». Au Québec, Danny St Pierre a tenté de protéger sa recette de «poutine inversée», en vain. «J’ai donc entamé des démarches pour fabriquer mon produit à l’échelle industrielle», explique le chef. La chaîne St-Hubert embarque dans le projet, et propose depuis les croquettes de pommes de terre avec sauce et fromage de Danny St Pierre. «Mais il y a quelque temps, j’ai vu dans les rayons d’un supermarché qu’on vendait une poutine inversée. Je ne toucherai jamais rien pour ça», dit-il avec une pointe d’amertume. Le chef semble pourtant accepter la règle, même si elle n’est pas en sa faveur. «C’est un peu malheureux de voir que je ne peux pas protéger mon concept, mais d’un autre côté, je me demande comment on peut attribuer la paternité d’un plat... Ce serait ouvrir une boîte de Pandore.» Il y a trouvé finalement son compte: «J’ai plutôt vu cela comme une opportunité d’utiliser le marketing qui sera fait autour de cette recette par la chaîne de supermarchés. Ça prend du temps de faire entrer dans la tête des gens l’existence d’un produit. Finalement, cette enseigne va aussi me donner de la visibilité.» Mais au-delà de l’aspect pécuniaire, tous s’entendent pour dire que la cuisine est marquée par le partage et que les recettes sont aussi faites pour que chacun se les approprie à sa sauce. «Si je simplifie autant mes recettes, c’est aussi pour que les gens puissent les faire chez eux», explique JeanPhilippe Cyr. «On n’invente rien» «Nous sommes tous inspirés par nos mentors, nos amis. Un cuisinier est formé par tous les chefs qu’il va rencontrer. Et quand bien même une recette est copiée, elle sera toujours différente, que ce soit l’assaisonnement ou la cuisson. Pour réaliser ma version des artichauts à la barigoule, celles de trois personnes différentes m’ont inspiré», lance Arnaud Marchand. Jean-Philippe Cyr ajoute: «C’est sûr qu’on n’invente rien… Je m’inspire beaucoup de la cuisine française et asiatique, par exemple.» Pris les fesses entre deux chaises, les cuisiniers hésitent alors entre fierté et frustration d’avoir été copiés, entre le désir de partager leur cuisine et la rancœur de ne pas avoir été crédités.

(EN HAUT) DANNY ST PIERRE (EN BAS) LA POUTINE INVERSÉ E

La question se pose moins entre collègues, puisqu’une certaine courtoisie et un respect du travail des autres chefs sont de mise dans la profession. Le chef de Chez Boulay prend ainsi grand soin de ne pas mettre à sa carte un plat qu’un confrère aurait réalisé avant lui: «On a tous des plats signature et on aspire tous à ne pas les voir partout. Alors, je ne me permets pas de copier la carte d’un confrère; avant de faire la mienne, je prends soin de vérifier. Par exemple, je voulais proposer un magret de canard à partager… Finalement, j’ai vu qu’un autre chef l’offrait déjà sur sa carte, alors j’ai changé d’idée.» Et Danny St Pierre résume avec son franc-parler: «Si tu prends la recette de quelqu’un d’autre, t’as l’air d’un con...» y

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MARGAUX HEMINGWAY ET FRANCO NUOVO

ON RÊVE, LÀ...


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MOTS | FRANCO NUOVO

n rêve, là… J’aurais aimé être Hemingway. Pas seulement parce qu’il est mon auteur américain de prédilection, mais parce que sa vie est un roman. Du moins, il l’a vécue comme si elle en était un. «La seule écriture valable, disait-il, c’est celle qu’on invente, celle qu’on imagine. C’est ça qui rend les choses réelles… La vie, il faut la digérer puis créer ses propres personnages…»

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Par hasard, je suis tombé l’autre jour à la librairie sur un recueil de nouvelles dont je n’avais jamais entendu parler, Les aventures de Nick Adams, des nouvelles mettant en scène un personnage qui apparaît dès son tout jeune âge. Tout commence dans un autre monde. Il y a cent ans. À une époque où on appelait encore les Indiens des Indiens, où on pêchait et chassait. Où il était plus simple de rentrer chez soi en s’enfonçant pieds nus dans les bois. Les phrases de l’auteur étaient alors courtes et la vie peut-être moins compliquée. Ce Nick Adams, donc, on le retrouve ici et là au fil des ans, des aventures. On le rencontre au Michigan, en Italie à l’hôpital et enrôlé, à Paris au cœur d’une génération perdue, en Espagne à la guerre, en Suisse à ski, accroché à sa plume pour arriver à «écrire comme Cézanne peint»… Et on comprend que c’est lui, lui Hemingway, lui et ses amours, lui et ses blessures. De petites nouvelles qui nous rappellent qui il était. Or, ici, cet Adams/Hemingway est plus discret, plus secret, plus réservé, plus pudique dans ses amours et moins passionné que le modèle. Comme si l’écrivain, au fil des ans, n’avait pas trop voulu en mettre, comme s’il s’était réservé la grosse part du gâteau, le beau rôle, celui du vrai aventurier. Nick Adams est un petit héros, pas Hemingway. Il est géant, un gigantisme qui lui a coûté la vie. Nick aurait-il écrit Le soleil se lève aussi et plus tard Pour qui sonne le glas? Paris aurait-elle été une fête? Nick n’est pas le reporter de guerre témoin des carnages et de la victoire des franquistes. Nick ne danse pas aussi intensément le tango de l’amour et des combats. Nick n’aurait pas vécu cette même

passion dévorante avec la journaliste Martha Gellhorn. Nick aurait-il pu survivre à un safari, écrire Le vieil homme et la mer et naviguer sur un océan de rhum entre Key West et Cuba? Nick est porté par la vie et les événements. Il faut croire que ça lui suffit. Hemingway, lui, les a portés sur ses épaules de colosse de l’Amérique à l’Europe, à l’Afrique, jusque dans sa maison de Key West. Magnifique. Une maison coloniale et une immense piscine au cœur d’un gigantesque jardin servant de cimetière aux chats polydactyles de l’écrivain et à leurs descendants. Ils vivent d’ailleurs toujours là en rois et maîtres. Ils marchent. Ne courent pas. Ils dorment, alanguis sur les tables, sur l’écritoire ou en haut de l’escalier, à l’ombre de la bibliothèque où Simenon, en français, règne en maître. Heming way admirait le travail de Georges Simenon. J’ai cru, un instant, qu’il était mort dans cette maison maquillée en musée où la cuisine et les chambres sont restées pratiquement intouchées. Il s’est enlevé la vie en Idaho. Mis en joue par la maladie, mitraillé par la folie ou la bipolarité ou l’hémochromatose, une maladie génétique qui a peut-être aussi eu raison de son père et de sa petitefille, Margaux. Dieu qu’elle était belle Margaux. Et nul besoin de dégrafer son corsage. Mannequin, actrice, je l’ai rencontrée une fois. Elle était venue, à une époque où on y venait encore, au Festival des films du monde, présenter je ne sais plus quoi. J’en ai gardé un souvenir. L’autre jour, en mettant de l’ordre dans des photos, j’ai revu une partie de mon autre vie, celle d’avant, celle où j’écrivais tous les jours régulièrement. Bizarres, ces voyages dans le temps. Bref, j’aurais préféré, malgré son charme et sa beauté, interviewer son grand-père. Peut-être aller à la pêche à l’espadon, voguer sur ses souvenirs à lui, me faire raconter sa vie à lui. Cette vie qu’il a rêvée, inventée, digérée. Tant et si bien qu’il en est mort, une balle dans la bouche. Et alors, lui qui avait toujours écrit debout, s’est enfin allongé. y

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COURS DE LANGUE ET CULTURE ITALIENNES POUR ADULTES Session automne 2017 9j - hZeiZbWgZ Vj &* Y XZbWgZ '%&, 8djgh ]ZWYdbVYV^gZh kZcYgZY^ dj hVbZY^ 9j && hZeiZbWgZ Vj '( cdkZbWgZ '%&, 8djgh YZjm [d^h eVg hZbV^cZ bVi^c dj hd^g

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Sur les rayons

IMAGINE QUE JE SOIS PARTI ADAM HASLETT Gallimard, coll. «Du monde entier», 2017, 448 pages Dans la bonne majorité des livres constituant la série Les Rougon-Macquart d’Émile Zola, l’écrivain français du 19e siècle abordait d’une certaine façon la question de l’atavisme social. Est-ce que les malheurs sociaux qui incombent à une génération finissent par se transmettre à celle lui succédant d’une façon ou d’une autre? Dans Imagine que je sois parti, deuxième roman et troisième livre de l’écrivain américain Adam Haslett, l’auteur propose ce même regard sur la maladie mentale. Est-ce que la dépression et le mal de vivre s’inscrivent d’une façon dans le code génétique? Avons-nous tous les mêmes dispositions quant au bonheur? Il signe ici un roman autant empathique que nuancé sur un sujet qui méritait pleinement un regard exempt de tout pathos. John est anglais, Margaret, américaine. Quelque temps après leur rencontre, elle le retrouve hospitalisé à cause d’une dépression. Au cœur du Londres des années 1960, elle ne veut point quitter celui qu’elle aime et emprunte avec lui la route sinueuse de la maladie mentale, par amour et persévérance – John et elle vont de l’avant avec les plans de mariage et de famille les unissant depuis leur rencontre. De cette union naîtront trois enfants. Célia, une jeune et ambitieuse conseillère, Alec, un journaliste idéaliste tentant tant bien que mal de vivre son homosexualité, et Michael, le personnage autour de qui tout le roman tourne, lui qui semble, comme son père, peu doué au bonheur. Dans un chassé-croisé narratif mêlant ces cinq voix singulières et se jouant de la chronologie, Haslett dédouane le drame par le vrai et le beau, remettant en question sans cesse notre aptitude au bonheur. À mi-chemin entre Pauvres petits chagrins de Miriam Toews et Les corrections de Jonathan Franzen, Imagine que je sois parti est un livre aussi maîtrisé qu’efficace. On erre en ses pages sans jamais y trouver le labeur d’Haslett qui, pourtant, a dû écrire et réécrire pour en arriver à cet équilibre parfait où le lecteur, tout comme l’écrivain et les personnages, marche sur une fine ligne où rien n’est ni noir ni blanc, franchissant à chaque pas un nouveau jalon de la complexité humaine. Ici, la littérature est au service du regard porté sur tout un chacun, le jugement n’est que factice et les conclusions percolent lentement entre les mailles de l’histoire. Il ne restera qu’au lecteur d’y trouver son chemin. (Jérémy Laniel) y


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Sur les rayons

NOUS SOMMES BIEN SEULES JULIE BOSMAN LemĂŠac, 2017, 100 pages La nouvelle littĂŠraire est un genre difficile Ă maĂŽtriser, en plus d’être peu lu. Lorsque bien exĂŠcutĂŠ, l’art de la nouvelle est pourtant aussi jouissif, voire plus, que tout bon roman. Lorsque la nouvelle est ciselĂŠe, efficace et qu’elle ne rĂŠpond pas invariablement Ă la dictature de la chute, elle peut ĂŞtre marquante. Avec Nous sommes bien seules, Julie Bosman signe un recueil de nouvelles cohĂŠrent qui s’inscrit comme une variation sur un mĂŞme thème. Fruit d’entrevues faites avec des femmes solitaires, le recueil transmet ici le rĂŠel Ă la fiction avec pudeur. L’auteure parvient Ă inscrire clairement son ton sans sombrer dans le piège trop souvent inĂŠvitable de la rĂŠpĂŠtition. Ă€ la façon d’une documentariste, Bosman a fait des recherches sur son sujet et l’a cernĂŠ. Une sĂŠrie d’entrevues avec des femmes de tous âges, chacune vivant sa solitude Ă sa manière. InspirĂŠe par l’Êcrivaine biĂŠlorusse Svetlana Alexievitch, Bosman tente de cerner le rĂŠel par la fiction. Elles sont veuves, divorcĂŠes, cĂŠlibataires, errantes, mĂŠlancoliques ou nostalgiques, et toutes tentent de dĂŠfinir leur solitude. Au fil du recueil, leurs vĂŠcus se croisent parfois. Il y a dans leur solitude un souvenir doux-amer des bras de l’autre, d’une chaleur humaine, d’un besoin d’être Ă deux. Il y a celle qui vit avec son chien, celle qui raconte ses aventures hors mariage Ă ses enfants, cette veuve dès l’âge de 26 ans. Toutes, si diffĂŠrentes et identiques, se rejoignent au cĹ“ur de ce premier livre.

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En nouvelle, la concision fait foi de tout, le temps est comptĂŠ. Bosman parvient Ă brosser des portraits au dĂŠtour d’une phrase, ĂŠvite les descriptions inutiles, n’amène que les personnages secondaires qui font avancer le propos. Son ĂŠcriture sert ses sujets avec une tendresse qui dĂŠsarçonne le lecteur. Nous sommes bien seules se lit comme une rare invitation, une errance solitaire qui ne serait pas sans dĂŠplaire Ă Rousseau. Les fragments de vie que Bosman donne Ă lire sont une pause essentielle Ă l’ère de nos constantes relations virtuelles et de nos vies hyperconnectĂŠes. (JĂŠrĂŠmy Laniel) y

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BURHAN ÖZBILICI

«JE NE SUIS PAS UN HÉROS»

On a tous pu voir cette foudroyante photo du tireur ayant abattu de sang-froid l’ambassadeur russe en Turquie Andreï Karlov en pleine galerie d’exposition, le 20 décembre 2016. Remportant grâce à elle – comme plusieurs l’avaient prédit – le prestigieux prix du World Press Photo, le journaliste turc de l’Associated Press Burhan Özbilici n’a fait selon lui que son métier. MOTS | ANTOINE BORDELEAU

Ce n’était rien d’autre qu’une journée ordinaire pour Özbilici, lorsqu’une amie l’a invité à aller visiter une exposition photo portant sur les régions les plus nordiques de la Russie. Sachant que l’ambassadeur russe serait sur place, il y a vu une bonne occasion de prendre quelques clichés de lui, histoire de fournir la banque de photos de l’Associated Press dans l’éventualité d’en faire un reportage. «Lorsqu’il (Andreï Karlov) a commencé à s’adresser à nous, il m’a tout de suite fait l’impression d’un homme bon, honnête. J’ai pris quelques photos, je me suis retiré et tout d’un coup, il y a eu des tirs, ça résonnait comme une attaque de char d’assaut dans les murs de la galerie blanche. Tous les gens devant moi ont soudainement disparu, ils pleuraient, ils hurlaient… J’ai eu peur. J’étais surtout immensément malheureux de voir quelqu’un d’innocent mort, comme ça, à mes pieds.» Alors que l’on a couvert d’éloges ses photos du tireur, Özbilici n’a pas l’impression d’avoir agi en héros. Pour lui, il ne faisait que son travail de photojournaliste. «Je n’ai pas paniqué. C’était comme si mon cœur voulait sortir de ma poitrine, mais je me suis ressaisi. Fuir, ce n’était pas une solution, je devais faire mon travail. Je me suis rappelé les paroles de mon père: “Si, dans un moment de danger, tu peux

PHOTO | BURHAN ÖZBILICI

faire quelque chose pour les gens, pour aider, tu te dois de le faire”. Et c’est simplement ça que j’ai fait. Je joue toujours avec l’espoir, I don’t surrender to fear. J’ai senti tout d’un coup le soutien de toute ma famille, de tous mes amis, de tous mes collègues journalistes honnêtes et intègres, et c’est eux qui m’ont permis de surmonter la peur. Seul, je me suis mis une armée derrière moi. J’ai immédiatement commencé à faire des photos.» C’est à ce moment qu’il a reconnu le tireur. Effectivement, quelques instants plus tôt, celui-ci se trouvait juste derrière Karlov, dans un calme absolu. On aurait pu croire qu’il était un ami, un garde du corps, un membre de la sécurité du musée. «J’ai été choqué de comprendre que c’était lui qui avait tiré. Il était impassible un instant et le moment d’après, il hurlait et tirait sur un homme. Peu de temps après, il a crié aux gens sur place de sortir de là. Il ne voulait pas tuer quelqu’un d’autre, seulement l’ambassadeur. Après avoir dit ça, il s’est retourné et a de nouveau tiré sur le corps étendu de l’ambassadeur… Il faisait un discours, que je ne comprenais pas à ce moment-là, et je ne voulais tout simplement pas diviser mon cerveau entre ses mouvements et ses paroles. Après peut-être 4 ou 5 minutes, les gardes sont arrivés et ils m’ont demandé de sortir.»

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PHOTOS PRISES PAR BURHAN ÖZBILICI - ASSOCIATED PRESS


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JE ME SUIS RAPPELÉ LES PAROLES DE MON PÈRE: “SI, DANS UN MOMENT DE DANGER, TU PEUX FAIRE QUELQUE CHOSE POUR LES GENS, POUR AIDER, TU TE DOIS DE LE FAIRE”. ET C’EST SIMPLEMENT ÇA QUE J’AI FAIT. Un travail essentiel Le résultat de cette soirée terrible a maintenant fait plus d’une fois le tour de la toile. Ces images, saisissantes, ont été reprises par à peu près tous les organes de presse pour relayer la nouvelle de l’assassinat de Karlov. Il en a découlé une vague de protestations chez certains contre le fait même de diffuser des photographies dépeignant des actes horribles tels qu’un assassinat. Mais selon Özbilici, son travail est essentiel. «C’est sûr que ça peut déranger, c’est ce que disent les critiques. Mais selon moi et mes collègues, c’est important de les montrer pour faire comprendre aux gens en face de quel genre de tragédie et de danger on se trouve. Il n’y a pas de sûreté dans notre monde. Les terroristes frappent partout. Ces photos-là peuvent – et doivent – nous confronter et nous faire réaliser les atrocités que subissent des gens partout, et très particulièrement au Moyen-Orient. Après, de l’autre côté, on m’applaudit, on me félicite... Je dois dire que je ne suis pas un héros. J’ai adopté depuis 40 ans une mentalité basée sur des valeurs qui me font détester d’être égoïste ou matérialiste. Ce n’est pas pour moi que j’ai fait ces clichés. C’est pour partager, avec les gens, la vérité.»

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l’Associated Press. C’est un travail exceptionnel et il est d’une importance capitale. Il y a des gens qui sont prêts à mourir pour l’argent, pour devenir présidents ou commandants. Moi, si je meurs, ce ne sera pas pour rien. Mon père m’a toujours dit de ne pas vouloir devenir quelqu’un de grand, d’important, mais bien quelqu’un d’utile, d’honnête. Je pense que grâce à notre travail, les gens prendront plus au sérieux les guerres, les catastrophes et comprendront mieux la valeur des droits de l’homme, de la solidarité et de l’amour, qu’on a banalisée.» Lorsque questionné sur la reprise parfois – voire souvent – très partisane du travail plus critique, dérangeant, des photojournalistes, Özbilici se fait catégorique. «Le sensationnalisme, c’est trop dangereux. C’est sale. Il faut s’en méfier, il faut y être vraiment attentif. Peut-être que certains disent que ma photo glorifie le terrorisme, mais je ne faisais que mon travail. Ceux qui y voient du sensationnalisme n’ont rien compris. Ceux qui couvrent ces événements avec un but en tête, sans seulement considérer les faits, ils sont malhonnêtes. Pour moi, mon travail de ce soir-là doit servir à prouver que le cœur et le cerveau humain sont plus forts que n’importe quelle arme, sans banaliser les actes terroristes. Pour moi, la meilleure photo de cette soirée restera toujours celle où l’on peut voir Andreï Karlov s’adressant à la foule, vivant.» y L’exposition du World Press Photo Du 30 août au 1er octobre 2017 Au marché Bonsecours

Ces valeurs le guident dans son travail, chaque jour. De son propre aveu, il fait son métier en se basant sur l’honnêteté, l’indépendance, la solidarité, la justice et l’amour pour tout ce qui le mérite: la nature, la littérature, l’art, le journalisme. Et c’est de là que naît une question-clé: quel est le bon journalisme, celui dont on a besoin? «Dans ma vie, j’ai appris que le seul bon journalisme, c’est le journalisme libre. C’est ce que l’on pratique ici, à PHOTO DE BURHAN ÖZBILICI - ASSOCIATED PRESS

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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

CHRONIQUE SCANDINAVE À SAVEUR DE FOIE DE VEAU Je supporte de moins en moins bien la chaleur. C’est sûrement le réchauffement de la planète. Difficile de me convaincre de partir dans le sud de l’Europe en juillet. Les 40 degrés à l’ombre m’empêchent d’apprécier pleinement les campagnes italiennes, encore moins les côtes du Maroc. L’été que l’on connaît cette année au Québec me sied à merveille. Depuis quelques années, je me découvre par conséquent une passion pour les villes nordiques, plus fraîches. Debbie en est moins certaine, par contre. Un 18 degrés venteux l’enrhume. En route vers Copenhague, j’ai eu l’idée de faire un arrêt d’une journée à Toronto, histoire de commencer les vacances un peu plus tôt et de faire découvrir cette ville à ma fille. C’est en marchant sur un trottoir du Theater District que Daphnée m’arrête et me crie: «Papa, y a une étoile au nom de Ginette Reno insérée dans le trottoir!» Vraiment? me suis-je demandé, avant de me rappeler la superbe performance qu’elle a offerte dans Léolo, le géantissime second (et tristement dernier) long métrage de Jean-Claude Lauzon, un film qui m’a profondément remué. C’est pour avoir l’air savant auprès de ma progéniture que j’ai fait de petites recherches la nuit venue, couché dans un lit queen dans un hôtel de la Ville reine. Saviez-vous que Léolo figure au palmarès des 15 films canadiens les plus importants de notre histoire? Qu’il est aussi au palmarès des 100 meilleurs films de tous les temps selon le magazine Time? Ça te ravigote la fierté québécoise ça, mon ami! J’explique sommairement l’œuvre à Daphnée. «C’est un film sur l’identité, sur le reniement de la génétique, sur les dysfonctionnements familiaux. Un film dur, qui m’a marqué au fer rouge. Le grand frère qui s’entraîne

comme un fou, mais qui, malgré ses énormes muscles ainsi gagnés, finit par manger la même volée du petit maudit anglais. Les premières relations sexuelles avec un foie de veau, les suppositoires en format familial, les fantasmes sur Bianca.» Elle me regarde inquiète, ne sachant pas comment réagir. Jean-Claude Lauzon parlait d’un film «à 85% autobiographique», inspiré par le livre L’avalée des avalées de Réjean Ducharme, un autre jalon de notre culture. Pour ceux qui n’ont pas vu le film, il est disponible sur Éléphant. Vous reviendrez me lire après. Et vous me remercierez, j’en suis certain. Léo Lauzon, un jeune garçon qui est le personnage central, choisit pour s’extirper de sa très difficile réalité de s’inventer une origine, dans son cas italienne. Selon lui, sa mère aurait été fécondée par une tomate Roma bien mûre, rien de moins. «Appelez-moi Léolo Lauzone», claironne-t-il avec un accent romanorosemontois. Le rapport avec les pays nordiques? Eh bien, je crois bien que je me suis moi aussi découvert des origines. J’ai pourtant fait faire mon profil ADN, je vous en ai déjà parlé. Mes gènes sont écossais et irlandais. Ils sont aussi français. Mais c’est en visitant un musée historique à Copenhague que j’ai tout compris: il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis le descendant d’un Viking! Écosse, Irlande, Normandie... tous des territoires conquis par les pirates scandinaves. Ma vie a maintenant du sens. Mon amour pour la rhubarbe, un fruit si prisé des Scandinaves que l’on retrouve partout. Mes sentiments très particuliers envers Fifi Brindacier et l’envie que je ressentais pour Vicky le Viking. J’ai fait découvrir il y a une dizaine


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d’années à mes deux jeunes ces deux séries pour enfants que j’ai écoutées en boucle – sans grand succès je dois avouer. Mon amour pour le spaghetti «meatball», un plat italien très certainement volé aux Suédois. Ma robustesse physique, mes poils roux dans la barbe, mon attitude de conquérant, ma relation complexe avec l’alcool. Il n’y a que mon incapacité à assembler une bibliothèque Ikea qui me laisse perplexe. Je me raisonne en me disant que ça doit sauter une génération, parce que mon père était vraiment le roi de la clé Allen. Si heureux de cette déduction qui me permet de mieux me comprendre, je me suis acheté un linge à vaisselle à l’effigie de Fifi et un t-shirt noir où il est écrit Viking en norrois. Deux symboles qui sont l’équivalent d’un tatouage, en moins contraignant. Je reviens transformé de mon voyage, convaincu d’avoir découvert le chaînon qui manquait à ma mère qui s’évertue pourtant depuis 40 ans à remonter notre arbre généalogique. Elle doit de ce pas prendre la direction des archives de Stockholm.

«JE PENSE QUE L’ON RESSENT SES ORIGINES. ELLES LOGENT AU PLUS PROFOND DE NOTRE CERVEAU BIEN PLUS QUE DE NOS GÈNES.» Vous aurez compris que je file un peu philosophique. Je pense que l’on ressent ses origines. Elles logent au plus profond de notre cerveau bien plus que de nos gènes. Elles ont été influencées par nos lectures, nos visionnements, nos conversations, nos voyages, nos amitiés et nos amours, nos jobs, nos joies et nos peines. Elles sont ensuite mises en relation par notre cerveau, ce puissant malaxeur. JeanClaude Lauzon parlait de la créativité comme du plus puissant des moteurs. Il avait tellement raison. L’amour que vous portez pour l’odeur du canard laqué, votre rapidité à compléter le cube Rubik, vos talents de cuisinier, votre goût pour le jonglage, le jardinage, les chiffres, cette passion pour la littérature russe, vos talents de lanceur de couteaux... Voilà autant d’indices qui expliquent d’où vous venez. Appelez-moi Alexander Taïfergolind. y

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62

QUOI FAIRE

JOSMAN, PHOTO | COURTOISIE SMOKING CAMEL

MUSIQUE

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JOSMAN & EAZY DEW LE BELMONT – 2 SEPTEMBRE

Installés à Paris, les rappeurs et producteurs Josman et Eazy Dew bénéficient d’un succès d’estime de plus en plus enviable sur la scène hip-hop de leur pays. Pressenti comme «meilleur espoir rap français» par Les Inrocks, le premier a frappé fort cet été avec la mixtape 000$, alors que le deuxième attire l’attention depuis la sortie de son EP Homea l’an dernier.


QUOI FAIRE 63 VOIR MTL

VO2 #O8

ÎLESONIQ

ÉCLIPSE

PA R C J E A N-D R A P E A U – 1 1 E T 12 A O Û T

S A I N T E-T H É R È S E-D E-L A-G AT I N E A U – 3 A U 7 A O Û T

Le rendez-vous estival des fêtards est encore une fois à nos portes, alors que ÎLESONIQ battra son plein au parc Jean-Drapeau. Les festivaliers pourront vibrer au son de quelques-uns des DJ les plus courus du moment, dont Tiesto, R3hab, Afrojack et Porter Robinson. Le hip-hop sera aussi au programme avec la présence de Migos et de Desiigner.

Toujours très attendu, le festival bisannuel Éclipse se tient sur un site enchanteur. Marqué par un traditionnel premier 24 heures sous le signe de la «connexion à la terre», l’événement se change ensuite en piste de danse géante, où se relaient les DJ et où cohabitent restaurants, dôme cinéma, camping et zone thérapeutique.

FESTIVAL DE MUSIQUE ÉMERGENTE

INTERNATIONAL DE MONTGOLFIÈRES DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU

R O U Y N-N O R A N D A – 31 A O Û T A U 3 S E P T E M B R E

S A I N T-J E A N-S U R-R I C H E L I E U – 12 A U 2 0 A O Û T

Le festival le plus mythique de la grande région abitibienne se prépare à une 15e édition mémorable. En plus des valeurs sûres que sont A Tribe Called Red, Pierre Flynn, Pierre Kwenders, Duchess Says, Klô Pelgag, Alaclair Ensemble et Jean-Michel Blais, le FME proposera plusieurs spectacles d’artistes à découvrir comme I Shot Samo, Mat Vezio, FUUDGE et Geoffroy. Un incontournable.

Le traditionnel festival de Saint-Jean-sur-Richelieu propose cette année une programmation relevée et hétéroclite, qui comprend notamment Dubmatique, Wyclef Jean, Alaclair Ensemble, Dead Obies, Geoffroy, Charlotte Cardin, La Chicane, Alex Nevsky et Les Cowboys fringants. Célébrant toujours les 40 ans de son classique premier album, Paul Piché offrira un spectacle spécial avec invités, le 13 août.

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A TRIBE CALLED RED

O8 / 2O17


64 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO2 #O8

O8 / 2O17

DAPHNI (AKA CARIBOU)

ZH – HABITAT + CHEF D’ŒUVRE

M É T R O P O L I S – 23 A O Û T

M A I S O N D E L A C U LT U R E M A I S O N N E U V E – 9 A O Û T

Mieux connu sous le nom de Caribou, le musicien canadien Daniel Snaith sera de passage au Métropolis avec Daphni, son projet parallèle, plus dansant. Le savoir-faire de l’artiste touche-à-tout est à ne pas manquer pour les amateurs de musique électronique cérébrale et savamment bricolée.

Habitat mêle sculpture (Jacinthe Derasp), danse contemporaine (Bettina Szabo) et musique électronique (Brice Gatine) dans un spectacle qui met en scène un être découvrant son corps et son environnement. Six personnes ont travaillé sur le texte de Christian Lollike, Chef d’œuvre, qui propose une étude de l’humanisme moderne: partant du 11-Septembre, l’auteur se promène entre interventions journalistiques et forum d’agitation politique.

KENDRICK LAMAR C E N T R E B E L L – 24 A O Û T

Quelques semaines après avoir reçu un accueil plutôt mitigé au Festival d’été de Québec, notamment en raison d’un problème informatique qui a brisé le rythme de son spectacle, le roi promis du hip-hop américain se prépare à enflammer le Centre Bell. Sur une lancée depuis la parution de son quatrième album DAMN., Lamar poursuit son ascension.

YAMANTAKA // SONIC TITAN RITZ PDB – 17 AOÛT

Le collectif multidisciplinaire montréalo-torontois Yamantaka // Sonic Titan ne fait pas les choses comme personne. Empruntant autant au métal et au stoner rock qu’à l’opéra et à la musique traditionnelle japonaise, le groupe voit la scène comme un laboratoire d’expérimentations. Acclamés par la critique, ses deux albums YT/ST et UZU sont des bijoux encore trop sous-estimés de la scène canadienne.

PALLBEARER RITZ PDB – 2 SEPTEMBRE

SCÈNE

Le groupe doom métal originaire de Little Rock en Arkansas arrive à Montréal avec en main Heartless, un troisième album de grande qualité qui, en plus d’avoir été acclamé par la critique, a réussi l’exploit d’entrer au Billboard 200 à sa sortie. Au sommet de sa forme, Pallbearer s’arrêtera à Québec et à Montréal pour deux concerts de haut vol.

SOIR R O S E M O N T–L A P E T I T E-PAT R I E – R U E B E A U B I E N 11 A O Û T

Voué à «faire rayonner des artistes émergents au sein d’espaces alternatifs tout en favorisant la création d’un réseau multidisciplinaire au sein de la relève», le festival Soir propose une pléiade d’expositions, de rencontres artistiques et de concerts sur toute la rue Beaubien, entre Saint-Hubert et Saint-Laurent. On pourra notamment voir cette année Laurence-Anne, Violett Pi, Bad Nylon, LaF et Mort Rose.

ZH – SONT PARTIS DANS LE SUD M A I S O N D E L A C U LT U R E M A I S O N N E U V E – 8 A O Û T

Le festival Zone Homa veut mettre en avant la scène émergente, et c’est ce qu’il fait avec cette pièce de Charles-Louis Thibault, qui assure aussi la mise en scène. Trois comédiens interprètent cette histoire de tout-inclus où une amitié est mise à mal pendant des vacances dans le Sud. Les pistes se brouillent alors entre le réel et la fiction, la narration et la thérapie... Attention, la pièce ne sera jouée qu’un seul soir!

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU T H É ÂT R E D U R I D E A U V E R T – 16 A U 2 6 A O Û T

Après son succès lors de son premier passage au Rideau Vert en mars dernier, cette adaptation du film oscarisé de Milos Forman revient sur les planches ce mois-ci. Le comédien Mathieu Quesnel y incarne un Randle McMurphy rockabilly et électrique, favoris aux joues et blouson de cuir sur le dos. Il donne la réplique à Julie Le Breton, glaçante dans le personnage de Ratched. Une belle adaptation du roman de Ken Kesey signée Michel Monty.

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CINÉMA

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DETROIT EN SALLE LE 4 AOÛT

Un raid de la police dans le Detroit de 1967 mène Ă l’une des plus grandes ĂŠmeutes raciales de l’histoire amĂŠricaine. Le film se concentre sur l’incident du Motel Algiers, le 25 juillet, oĂš trois hommes noirs sont morts, sept ont ĂŠtĂŠ battus brutalement et deux femmes blanches ont ĂŠtĂŠ violentĂŠes.Â

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BRIGSBY BEAR EN SALLE LE 4 AOÛT

Brigsby Bear Adventures est une ĂŠmission de tĂŠlĂŠ produite pour un public unique: James. Lorsque l’Êmission s’arrĂŞte brusquement, la vie de ce dernier se voit chamboulĂŠe, et il tentera de terminer l’histoire lui-mĂŞme.Â

THE HITMAN’S BODYGUARD E N S A L L E L E 18 A O Û T

Le meilleur garde du corps de la planète se fait engager par un nouveau client, un tueur à gages qui doit tÊmoigner à la Cour internationale de justice. Ils devront mettre un terme à leurs diffÊrends pour rÊussir à se rendre à temps au procès.

LOGAN LUCKY E N S A L L E L E 18 A O Ă› T

DÊsireux de briser une malÊdiction qui plane sur leur famille, Jimmy, Mellie et Clyde Logan se mettent en tête de planifier un vol ÊlaborÊ pendant la lÊgendaire course de NASCAR Coca-Cola 600 à la Charlotte Motor Speedway, qui se tient pendant la fin de semaine du jour du Souvenir.

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THE DARK TOWER

FESTIVAL DES FILMS DU MONDE

EN SALLE LE 4 AOÛT

24 A O Û T A U 4 S E P T E M B R E

Dans un monde parallèle aux allures de Far West, Roland Deschain poursuit l’Homme en noir, qui cherche à détruire cet univers et le nôtre en atteignant la Tour noire. Roland et un jeune adolescent feront équipe pour sauver ces deux réalités. Adaptation cinématographique de romans de Stephen King.

Le Festival des films du monde tiendra cette année sa 40e édition, où 75 autres grandes métropoles participeront aux célébrations du 375e en venant y présenter chacune un film de fiction ou un documentaire inédit réalisé dans leur écrin urbain respectif.

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LES MARDIS CINÉMA E S PA C E L A F O N TA I N E – J U S Q U ’ A U 2 9 A O Û T

AISLIN: 50 ANNÉES DE CARICATURE M U S É E M C C O R D – J U S Q U ’ A U 13 A O Û T

Sévissant sous le nom d’Aislin depuis près de 50 ans, dont 45 au Montreal Gazette, Terry Mosher est probablement le caricaturiste le plus influent du Canada anglais. Aujourd’hui, il se voit célébré au Musée McCord, qui propose une rétrospective de ses croquis les plus irrévérencieux et les plus pertinents, réunissant les deux solitudes canadiennes. À la fois instructives et cruelles, les caricatures d’Aislin n’épargnent personne…

CSI: L’EXPÉRIENCE CENTRE DES SCIENCES – JUSQU’AU 4 SEPTEMBRE

THE GLASS CASTLE EN SALLE LE 11 AOÛT

Une jeune fille grandit dans une famille dysfonctionnelle de nomades non conformistes. Née d’une mère artiste et excentrique et d’un père alcoolique, elle s’échappera de cette vie pour revenir à une normalité qui finira par lui sembler bien fade en regard de sa liberté d’antan.

MENASHE EN SALLE LE 11 AOÛT

Dans la communauté juive ultra-orthodoxe de Brooklyn, un homme veuf se bat pour la garde de son fils. Ce drame sensible joué entièrement en yiddish explore de façon intime la nature de la foi et le prix de la parentalité.

Inspiré de la populaire série télévisée CSI, le Centre des sciences de Montréal invite ses visiteurs à plonger au cœur d’une scène de crime. Lors de cette exposition hautement interactive, les enquêteurs en herbe devront résoudre une série de mystères en recueillant des indices et en les examinant grâce à la science médico-légale.

NOURRIR LE QUARTIER, NOURRIR LA VILLE ÉCOMUSÉE DU FIER MONDE – JUSQU’AU 4 FÉVRIER

Les marchés publics et les épiceries de quartier ont façonné Montréal dans les 200 dernières années, marquant ainsi une évolution dans les produits que nous consommons au quotidien. L’exposition retrace le cheminement de la vie de quartier et des habitudes alimentaires montréalaises et permet de faire réfléchir à divers enjeux actuels liés à la transformation alimentaire et à la surconsommation. Plusieurs initiatives citoyennes pour contrer la discrimination alimentaire sont également soulignées.

ARTS VISUELS

Le cinéma en plein air est à l’honneur tous les mardis de l’été au parc La Fontaine. En collaboration avec le Théâtre de Verdure, plusieurs films de répertoire seront présentés, dont de nombreux documentaires. Le goût d’un pays (22 août) et Montréal New Wave (8 août) font notamment partie de la programmation. Des discussions avec les réalisateurs sont également prévues après certaines projections.



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