QUÉBEC VO2 #11 | NOVEMBRE 2O17 CHARLOTTE GAINSBOURG PHILIPPE BRACH ÉDITH PATENAUDE CHSLD PRÊT-À-CUISINER CANADIAN BACON LE DOCUMENTAIRE AU QUÉBEC LA PETITE FILLE QUI AIMAIT TROP LES ALLUMETTES
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QUÉBEC | NOVEMBRE 2017
RÉDACTION
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Jocelyn Michel | leconsulat.ca
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«J’AI VÉCU DES TRUCS TRÈS, TRÈS TOUGH ET ON DIRAIT QUE LE LAC M’A APAISÉE. PAREIL POUR LES CONIFÈRES, LES FEUILLUS, LES ÉTOILES…» Photo | Jocelyn Michel (Consulat) Assistant | Renaud Lafrenière 2e assistante | Frédérique Duchesne Maquillage / Coiffure | Laurie Deraps (TEAMM) Production Consulat | Martine Goyette
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SCÈNE
Édith Patenaude CHSLD
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MUSIQUE
Charlotte Gainsbourg Philippe Brach
32
CINÉMA
Le documentaire au Québec La petite fille qui aimait trop les allumettes
40
GASTRONOMIE
Prêt-à-cuisiner
44
LIVRES
Hemingway, Hammett, dernière L’habitude des bêtes Zabor ou Les psaumes
48
ARTS VISUELS
Canadian Bacon
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QUOI FAIRE
CHRONIQUES
Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p16) Monique Giroux (p30) Normand Baillargeon (p38) Alexandre Taillefer (p50)
6 CHRONIQUE VOIR QC
VO2 #11
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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE
JE VOUS ÉCRIS D’AUSSI LOIN QUE POSSIBLE ILLUSTRATION | ERIC GODIN
C’était au milieu du mois d’octobre. Il faisait pres que canicule par ici. Une anomalie saisonnière. Une amie m’envoyait une missive du nord: «Je t’écris en direct de Puvirnituq, mais ce pourrait être le code postal de la lune.» Ça m’a foutu le cafard solide. D’où? Il a fallu que je cherche. Ça me sem blait plus loin que le Laos. Pas la porte à côté, en tout cas. Tout est si loin en ce pays. Si loin, ou trop proche. Quelques jours plus tard, la tête d’Éric Salvail roulait dans l’arène du showbusiness local. Gilbert Rozon, après lui. Tout le monde semble se connaître dans ce grand festival de la bite au vent. Tout le monde le savait, qu’on entend sur les ondes. Tout le monde se taisait, aussi. Bon, pas tout le monde, mais on a assisté à une étrange performance de promiscuité où la pure ignorance n’était pas monnaie courante. On dit parfois que le monde est petit. Ça n’a jamais été aussi vrai. Quelques mots de mon amie me sont arrivés par courriel. Elle prenait l’avion pour reve nir par ici avec l’envie de boire une bière. «Il fait plus froid ici que n’importe où ailleurs, que je lui ai répondu. Quand tu veux pour une bière.» On dit que ces types sont tombés de haut. Je me demande bien de quelle hauteur au juste. Je ne peux quand même pas me désolidariser com plètement du monde, mais j’aimerais dire, pour la postérité, que, moi, je ne savais pas. J’ignore tout de ce qui se passe dans ces galas à la mords-
moi-le-succès-mon-vieux et ces étranges espaces célestes où on transforme un cuistot du shooter en sommité culturelle et un magnat du gag en messie de la gestion d’entreprise. C’est le niaiseux ordinaire qui m’intéresse, moi. Ce jeune homme qui, tôt ou tard, en se touchant la graine, devra faire un choix: devenir un pauvre con ou un immense salopard. C’est lui que je connais, que j’ai croisé à maintes occasions, dans lequel je me reconnais. J’aimerais, à mon tour, lui dire deux mots: moi aussi. Qui lui apprendra, à lui, qu’on peut devenir autre chose qu’une bête? Pas un saint, pas un surhomme, pas l’achèvement de l’humanité… Simplement quelqu’un de bien, de pas trop mal, de correct. Commencée avec l’affaire Weinstein, cette chute des gros bonnets de l’écran a quelque chose qui relève de l’artifice hollywoodien. Comme si, ce qui craquait, c’était le vernis de la célébrité. Cette vie des gens riches et célèbres, je la croise tous les jours à l’épicerie, à la pharmacie, reluisante sur les pages couvertures de revues criardes. Tromperies, men songes, fourberies et hypocrisie semblent être les ingrédients d’un univers parallèle. On nage ici dans la fabrication du faux, comme si la vie des stars était une société secrète. Cette chute à laquelle on a assisté, c’est comme si toutes ces couvertures de magazines se déchiraient. Tout ce papier glacé réduit en miettes, bon pour les ordures.
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Il y a là un paradoxe malsain: tout faire pour être le plus visible possible, pour mettre sa face partout, et découvrir un jour que cette fuite constante vers le haut ne sert qu’à dissimuler tout le glauque de la condition humaine. Il faudra un jour rendre hommage aux victimes qui ont brisé le silence pour ça, après la tempête. Il faudra les remercier d’avoir découpé une fenêtre dans ce monde opaque où on confond la lumière aveuglante des projecteurs avec la clarté du jour. Entraînés dans ces affaires comme dans un vor tex, c’est à coup de grands titres qu’on mène de grandes discussions bruyantes qui dissimulent des questions qui semblent désormais lointaines et accessoires. Comment faire pour rencontrer quelqu’un? Comment séduire, tisser des liens de confiance, bâtir une relation et avoir l’espoir de laisser quelque chose de moins pire après soi? Qu’est-ce donc que le bonheur et l’amitié? Et l’amour dans tout ce bordel? C’est sans doute en avançant lentement qu’on trouvera des indices pour résoudre ces mystères. C’est peut-être la seule chose essentielle que je
«QUI LUI APPRENDRA, À LUI, QU’ON PEUT DEVENIR AUTRE CHOSE QU’UNE BÊTE?» puisse dire à ce jeune con qui assiste à ces explo sions en se demandant si, lui-même, il ne fonce pas à toute allure, guidé par sa queue, vers le pré cipice de la bêtise. Prends ton temps, mon vieux. Marche lentement et n’hésite pas à t’arrêter en chemin pour saisir les charmes du paysage. Tu ver ras, pour contempler la beauté, il vaut mieux être très loin. De trop près, on ne voit plus rien. y sjodoin@voir.ca
SCÈNE 9 VOIR QC
VO2 #11
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CASSER LES CYCLES LE THÉÂTRE CLASSIQUE, LIEU DES DRAMES ÉPIQUES, DES INTROSPECTIONS ET DES GRANDES MORALES... MASCULINES. EN REVISITANT TITUS DE SHAKESPEARE, LES ÉCORNIFLEUSES REVIRENT LA SITUATION DE BORD. MOTS | MICKAËL BERGERON
PHOTO | ÉVA-MAUDE TC
La place des femmes dans ces univers joués et rejoués se résume souvent à la femme de, la fille de, la maîtresse de, la bonne de. Cette fois-ci, les femmes jouent les hommes, les hommes jouent les femmes. Boum! Pas de #JouerEntreHommes. La pièce n’a pas encore été présentée qu’elle soulève déjà plusieurs questions, dont celle-ci: doit-on parler d’un théâtre féministe? «La proposition est féministe», indique la metteure en scène, Édith Patenaude. «Je voulais voir des femmes puissantes, pas nécessairement dans des rôles de pouvoir, mais avec de la puissance.» Quant au terme «féministe», la metteure en scène souligne que la compagnie l’a probablement toujours été, sans le dire directement, parce qu’il y a 10 ans, le terme était plus tabou et péjoratif qu’aujourd’hui, mais ces valeurs ont toujours été là. «Les Écornifleuses, on a souvent féminisé les rôles. Ici, c’est radical, mais c’est essentiel d’être radical parfois pour trouver un point d’équilibre», estime Édith Patenaude. Jouer avec les codes En renversant le genre des rôles, Les Écornifleuses pointent l’éléphant dans la pièce. Dans leur livre La coalition de la robe, les trois auteures, MarieClaude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, racontent leur passage dans une école de théâtre, où un professeur soulevait le défi de trouver des pièces pour cette cuvée majoritairement féminine. Elles écrivent: «Aujourd’hui, il nous apparaît évident que le “problème” n’était pas le nombre de comédiennes dans la classe, mais
(CI-CONTRE) ÉDITH PATENAUDE
bien cette double résistance à chercher des pièces où les femmes sont mieux représentées, des pièces qui souvent ont été invisibilisées dans l’Histoire, et à inventer de nouvelles façons de distribuer les rôles des pièces classiques afin qu’elles soient plus inclusives.» À l’instar des auteures du livre qui réfléchissent sur le théâtre féministe, Édith Patenaude se questionne sur le genre que l’on donne aux rôles. Pourquoi tel personnage devrait-il nécessairement être joué par un homme? Si on dissèque l’essence du personnage, soit ses motivations, ses questionnements, ses valeurs, un genre s’impose-t-il vraiment? Doit-on nécessairement donner un sexe aux personnages? «On joue aussi avec d’autres codes, mentionne la metteure en scène. On a fait fi de l’âge des rôles et des origines culturelles.» Une jeune joue le rôle d’un sexagénaire, un Noir joue le rôle d’une Blanche, etc. Aussi, bien que les rôles masculins soient joués par des femmes, leurs interprètes utiliseront le pronom «il». Selon Édith Patenaude, l’enjeu porte sur «la question fondamentale de l’être humain, peu importe le genre, l’âge, l’origine, le handicap – quelle est la graine profonde?» Puissance rythmique Souvent, aussi, la musique en théâtre est le fruit d’artistes masculins. Ici, la musique de Titus sera une création de Mykalle Bielinski, une femme. Une autre inversion des rôles. «L’aspect féministe vient me confronter, admet la musicienne. Je travaille souvent la douceur, là, c’est l’opposé, c’est un beau terrain de jeu.»
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(DE GAUCHE À DROITE) DOMINIQUE LECLERC (AARON) ET MYKALLE BIELINSKI (BASSIANUS), PHOTO | PHILIPPE JOBIN
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Pour ce spectacle, Édith Patenaude voulait un instrument puissant, comme la batterie. Finalement, Mykalle et elle optent pour des tambours et des percussions que les actrices et les acteurs manipuleront sur la scène. Un échange dans les deux directions, puisque la musicienne devient aussi interprète dans Titus, elle qui a étudié en théâtre, mais dont la musique a pris le dessus dans son parcours. Vous l’avez peut-être d’ailleurs vue et entendue au Mois Multi 2016 avec Gloria.
Une bonne histoire quand même
Mykalle Bielinski parle d’une pièce sombre et lumineuse, un jeu avec des oppositions. «Les tambours, relève la compositrice, c’est très impérial, brutal. Les lier comme ça au féminin, c’est intéressant, ça détourne les clichés», en plus de rythmer les scènes. C’est aussi une façon d’aller chercher l’énergie féminine.
Les cycles de vengeance sont infinis... jusqu’à ce qu’une personne abdique, qu’une personne décide de casser le mouvement, de remettre en question ce qui est tenu pour acquis. «Il y a, dans ce texte, une tradition qu’aucun personnage ne remet en question», soulève Édith Patenaude.
Édith Patenaude confie avoir été chercher Mykalle Bielinski pour sa vision globale, pour son sens profond du spectacle. Justement, pour la performeuse, «la musique est un autre personnage de la pièce» et elle ne voit pas comment elle pourrait séparer le théâtre et la musique. 6478-PUB-ENTREC-magazineVoir_demi-HR-20171011.pdf
MENU POUR 2 À
La metteure en scène insiste, à un moment: «On parle beaucoup de la forme, mais le texte demeure pertinent, il a aussi de quoi à dire!» Elle compare même l’action de Titus, reconnue comme étant la pièce la plus sanglante de Shakespeare, à un film de Rambo. Néanmoins, il «faut passer par-dessus la violence et le sang» et voir le relief créé par l’auteur.
La femme de théâtre y trouve aussi des échos contemporains. «À l’époque où la pièce a été écrite, le stoïcisme était fort et ça explique pourquoi, parfois, les personnages ne semblent pas vivre d’émotions en exécutant des gens, avance-t-elle. Aujourd’hui, poursuit-elle, on vit une forme de stoïcisme social. Devant le nombre effarant de tragé1
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17-10-11
Du Périscope au LANTISS En raison du prolongement des travaux au Périscope, la pièce se déplace vers le LANTISS de l’Université Laval, dans le pavillon Casault. «C’est une salle similaire», explique la metteure en scène, contente de la tournure des événements. Ce pavillon universitaire est reconnu pour être labyrinthique, mais le Périscope se prépare à rendre l’expérience aussi ouateuse que possible. Édith Patenaude rappelle également que le théâtre est une expérience. Sortir du centreville, essayer une nouvelle salle, fait donc partie, aussi, de cette expérience. y Titus 17 novembre au 2 décembre 2017 LANTISS (Une présentation du Théâtre Périscope)
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SCÈNE 13 VOIR QC
VO2 #11
PIROUETTES ET PILULES EN MARIANT L’ART CLOWNESQUE À LA BANALITÉ D’UNE RÉSIDENCE POUR AÎNÉS, LA METTEURE EN SCÈNE VÉRONIKA MAKDISSI-WARREN CHOISIT DE PARLER DE LA VIEILLESSE DE MANIÈRE ON NE PEUT PLUS VIGOUREUSE. MOTS | ÉMILIE RIOUX
PHOTOS | NICOLA-FRANK VACHON
Comme une manière de virer à l’envers nos jugements et nos préconceptions sur le troisième âge, la pièce propose une intrusion dans la salle commune d’un Centre d’Humbles Survivants Légèrement Détraqués (une libre interprétation de l’acronyme CHSLD). Au sein de ce décor de chaises berçantes et de tricots inachevés, cinq résidents pour le moins loufoques traversent un quotidien rythmé par les prises de médicaments, les feuilletons et les repas; une ritournelle absurde où s’invitera rapidement la clownerie. «C’est pas toujours facile. Ils sont là à attendre, à essayer de remplir leur journée. Après, on y met plein de folie, plein d’événements qui peuvent devenir amusants pour le public. C’est riche, théâtralement, et c’est très humain. On veut faire ça touchant, mais c’est drôle aussi», explique l’instigatrice du projet, qui tente de tisser un univers à la croisée du tragique et du comique.
Articulé autour d’enjeux auxquels fait face une génération vieillissante, le spectacle est essentiellement visuel, puisque l’économie de répliques est habilement traduite par un jeu très physique, mettant en valeur la virtuosité des comédiens. «On veut le moins de mots possible. L’idée c’est de trouver comment on peut passer l’information en allant toujours à l’essentiel. Les comédiens improvisent et moi je coupe, je ramasse ce que je veux, pour que ça soit aussi plaisant à regarder», indique la metteure en scène, comparant les cabrioles des person nages au slapstick de l’iconique Charlie Chaplin. Le défi sera d’autant plus intéressant à observer que les rôles de vieillards sont campés par de jeunes acteurs, dans un renversement carnavalesque qui promet d’ajouter beaucoup à l’aspect comique de cet environnement déjà rocambolesque. Accomplir le quotidien
Jouer à être vieux C’est dans le cadre des Cartes blanches du Théâtre Niveau Parking, en 2015, que CHSLD a d’abord vu le jour. Véronika, reconnue pour son travail du jeu clownesque, s’était alors déjà entourée d’une équipe de comédiens créateurs qui l’ont aidée à façonner ses protagonistes colorés, au fil d’improvisations dirigées.
Au-delà des pirouettes et des grimaces, le clown s’avère être le véhicule parfait pour jouer avec les codes de la vieillesse, grâce à la profonde humanité qui le caractérise. «Le clown, c’est proche de l’enfance, et les vieux, c’est aussi très proche de l’enfance. Je trouvais que c’était une matière assez intéressante à exploiter et une ressource très riche où tout est possible. J’aime ces personnages-là, qui
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> sont naïfs et attachants», des archétypes à mobilité réduite, qui transformeront leur salon en cour de récréation. Un ancien combattant, un musicien jovial, une douce dame, un nouvel arrivant et, au milieu de tout ce cirque, un préposé «qui se tape toute la job avec beaucoup d’amour, en faisant son gros possible». Évidemment, il est difficile d’éviter de parler des côtés moins joyeux des CHSLD, qui ont souvent mauvaise presse, relativement aux coupes budgétaires qu’ils subissent. «Oui, on fait des petits clins d’œil à l’actualité, on dit certaines choses, sauf qu’en même temps, je ne veux pas non plus seulement dénoncer.» Nul besoin de souligner l’état des lieux à gros traits, pense Véronika. Le fait d’aborder le sujet sur une scène suffit pour émettre un commentaire socialement engagé, pour dire les choses sans les nommer. Bien que le sort des personnes âgées soit un thème universel susceptible de toucher toutes les générations, la metteure en scène admet qu’il s’agit d’un
sujet sensible, à traiter avec douceur. «On espère que les gens vont sortir de la pièce et appeler leurs grands-parents, visiter leurs proches et dire merci au préposé. C’est le message que je veux passer. Il faut prendre un temps pour se dire que ces gens-là, ils sont là, ils sont dévoués.» Il y a une bonne dose de tendresse dans le portrait scénique proposé par la metteure en scène. Dans un genre théâtral déjanté, peu souvent à l’affiche en saison régulière, le public n’est pas invité à rire de ses aînés, mais plutôt avec eux. À rire de ces traits de caractère trop bien imprégnés dans la vitalité de personnages plus grands que nature, qui s’opposent et font souvent des flammèches, sur scène comme dans la vie. Comme le résume Véronika Makdissi-Warren: «Tout le monde l’est un peu, clown. C’est ça qui est beau.» y
Jusqu’au 18 novembre au Théâtre de la Bordée
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16 CHRONIQUE VOIR QC
VO2 #11
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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE
LE MONOPOLE DU PÉNIS Je ne sais pas ce qu’il se passera entre le moment où j’écris ces lignes et où vous aurez ce texte entre vos mains. Est-ce que le mouvement #MoiAussi se sera essoufflé? Aurons-nous une centaine de nouvelles poursuites? La moitié du vedettariat québécois sera-t-il tombé? Je n’en ai aucune idée, mais d’une certaine façon, je l’espère bien. Pas que je désire voir de gros noms tomber. En soi, je m’en fiche un peu si les personnes dénoncées sont «importantes», connues ou inconnues; j’espère simplement que ce réveil en est un vrai, qu’on ne pèse pas à nouveau sur snooze, comme on l’a déjà fait tant de fois par le passé. Soulignons, quand même, qu’après chaque mouvement d’indignation, de moins en moins de personnes se rendorment. Plusieurs demeurent même très alertes, renforçant, chaque fois, les nouvelles vagues comme celles de #MeToo de cet automne. Ce n’est pas non plus que je souhaite que toutes et tous les agresseurs ou harceleurs passent par la justice. Cette décision ne m’appartient pas, et ne nous appartient pas: elle appartient aux victimes. Notre rôle, comme ami.e, comme frère ou sœur, comme collègue, comme société, est de les soutenir dans leur décision. Je respecterai toujours la décision des victimes de se lancer ou non dans le lourd et mal adapté processus judiciaire. Je ne suis pas animé par une soif de vengeance, mais par une soif de respect et d’amour. D’une part, prendre soin des victimes, d’autre part, faire un examen de conscience individuelle et collective, puis éduquer. Et changer les choses, surtout. Personnellement, j’aimerais aussi que cette réfle xion dépasse le cadre des agressions sexuelles et du
harcèlement sexuel. Toute la question du besoin de dominer l’autre, en général, doit être réfléchie. Il faudra un jour avoir cette réflexion sur la domination dans le sexe. Je ne parle pas ici des relations bien définies dans le sadomasochisme, mais bien de ce qui est considéré comme normal dans la porno, où l’homme se contrefiche si la fille jouit, où la finalité ne repose que sur l’éjaculation masculine, où ça ressemble plus à un viol qu’à une relation sexuelle. Je ne ferai pas semblant que je n’écoute jamais de pornographie, ça serait hypocrite. Toutefois, depuis mon adolescence, je suis mal à l’aise avec la majorité de la production pornographique. Je me suis déjà demandé si j’étais asexuel, si j’avais un problème avec le sexe. Finalement, ce n’est pas avec le sexe que j’ai un problème, mais avec sa représentation habituelle, où il y a cette étrange domination. Dès que la femme, en fait, n’est pas traitée en égalité, dès qu’elle sert de simple jouet à faire venir l’homme, je décroche. C’est donc dire que je n’accroche pas souvent. Quand je fais l’amour avec une femme, bien honnêtement, ce qui m’importe est de lui donner du plaisir. C’est le rapport intime, la proximité, l’échange. Éjaculer ou non, pénétrer ou non, c’est secondaire pour moi. Ce n’est qu’une manière parmi d’autres de créer cet échange intime, de faire l’amour. Sauf que voilà, la majorité de la porno tourne autour du pénis qui éjacule. Qu’on se comprenne bien: à chacun ses genres et ses goûts. Je suis bien conscient que mon propos est cisgenre et hétérosexuel, mais justement, pourquoi voudrais-je voir un pénis éjaculer? Pourquoi voir une femme soumise devrait-il m’exciter?
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17 Même en solo, parfois, la femme reproduit cette forme de soumission. Ça démontre à quel point c’est enraciné. Les moments où l’homme tente de donner du plaisir à la femme sont souvent montrés comme de courts préliminaires. Ça en dit long sur l’importance et le respect qu’on accorde au plaisir féminin. Il existe une pornographie où tout ce qu’on voit, c’est le visage d’une fille en train de jouir. Ça, ça m’allume beaucoup plus que la majorité de la production XXX. En plus, il y a plus de chance que ça soit plus respectueux, souvent filmé par d’autres femmes, ou par elle-même. Il existe de la porno féministe, et c’est souvent bien meilleur. Inévitablement, il faudra aussi réfléchir à l’image masculine. Dans la porno et dans l’imaginaire, l’homme doit être puissant. Être toujours prêt à être en érection. Être dominant. Éjaculer avec vigueur. L’homme doit mener la relation sexuelle. La sexualité masculine ne se résume vulgairement qu’au pénis (gros, long et puissant, de surcroît). Bref, comme si le pénis était un dieu et que tous et toutes devaient le vénérer.
«APRÈS CHAQUE MOUVEMENT D’INDIGNATION, DE MOINS EN MOINS DE PERSONNES SE RENDORMENT.» Cette image qui ne correspond pas à la réalité crée inévitablement quantité de frustrations et de problèmes d’estime chez plusieurs hommes. Et ça, ça crée des distorsions et des problèmes relationnels, et donc des relations malsaines. Prenons l’idée de l’éjaculation précoce. Qui a décidé que c’était précoce? Qui a décidé que la relation sexuelle devait s’arrêter à ce moment-là? Pourquoi ne pourrait-elle pas se poursuivre autrement? Pourquoi la relation ne pourrait-elle pas simplement s’adapter selon les particularités des partenaires? Arrêtons de ne résumer la sexualité masculine qu’à son pénis. Pour certaines personnes, ça passe sûrement par là, mais cessons de faire comme si c’était là la seule avenue. Ouvrons grand les portes à la diversité sexuelle, pas seulement dans les genres et les attirances, mais aussi dans sa façon de la pratiquer concrètement. Je suis tanné de voir la femme réduite à un objet sexuel. Je suis tanné de voir l’homme réduit à une brute éjacu latrice. Casser ces mythes est essentiel pour briser la culture du viol. y
7 au 25 novembre PAR DÉTOUR NAZARETH
Abadou veut
jouer du piano
29 novembre au 9 décembre PAR CATHERINE DORION ET MATHIEU CAMPAGNA
Fuck toute
enhanced version !!!
15, 20, 21, 22, 28 et 29 décembre à 20 h 16, 17, 23 et 30 décembre à 15 h et à 20 h PAR LA VIERGE FOLLE
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Lieu : La Maison historique Chevalier 50, rue du Marché-Champlain
18 MUSIQUE VOIR QC
VO2 #11
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ÉCRIRE DANS LE CIEL LES YEUX POSÉS SUR LES CONSTELLATIONS, MARA TREMBLAY RETROUVE LE NORD. C’EST DANS LA NUIT NOIRE, ÉTENDUE DANS L’HERBE HUMIDE, QU’ELLE A TROUVÉ LE FILON DE SON PLUS RÉCENT ALBUM: CASSIOPÉE. MOTS | CATHERINE GENEST
PHOTO | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)
Son rire béat résonne dans le combiné. Sa dernière une du Voir? «Je te dirais que c’est dans une autre vie.» C’était il y a précisément 12 ans, c’était pour Les nouvelles lunes. Un cliché léché de Stéphane Najman, un astre orangé, un hibou comme ceux de Poudlard, un parc à la nuit tombée. Dans les yeux de Mara se mélangent l’appréhension et l’as surance. Magnétique, aussi intense sur pellicule que sur disque, la parolière met son âme à nu à la moindre occasion. Elle est de ces rares hypersen sibles capables de rallier la masse à son œuvre très personnelle, infiniment intime. Ses chansons sont universelles. Il y a deux décennies que ses compositions bercent nos vies. Les fans de la première heure se souvien nent de son Chihuahua. Les plus jeunes, de Tu m’intimides. Un disque important, un tournant, un exer cice électro-folk qui a fait des petites, inspiré Rosie, Salomé et leurs semblables. D’un label québécois à un autre, l’impact se ressent encore. Elle est passée de l’anticonformiste, du mouton noir de l’indus trie, à ce genre de reine mère des auteures-compo sitrices-interprètes ou figure de proue d’une pop à ascendance country qui ne veut pas mourir. Mara est au tournant du millénaire ce que Safia est à la dernière année: un oiseau (rare) qu’on ne met pas en cage, une artiste qui chante sa vérité et refuse d’entrer dans le moule. L’authenticité finit toujours par payer, elle en sait quelque chose.
Cassiopée est son septième disque. Déjà. Pour la toute première fois, c’est elle qui réalise – «eh oui», lâche-t-elle dans un soupir de soulagement. «Avec Olivier [Langevin], je pense qu’on est arrivés à un point où est-ce qu’on allait quelque part qui m’in téressait un petit peu moins. On [faisait appel à] des musiciens que je connaissais moins et moi, j’aime vraiment ce qui est familial, ce qui est amical, quelque chose de proche de moi. Le dernier album, tu vois, c’était beaucoup des musiciens engagés qui venaient…» C’est dans ce cocon, entourée des siens, dans le confort de son logis, que la musicienne fleurit. Si bien qu’elle a enregistré cette douzaine de chansons avec sa progéniture et son «meilleur ami»: Victor Tremblay-Desrosiers et François Sunny Duval. Un batteur et un guitariste qui l’ont épaulée dans la création, conseillée pour les arrangements. «En tant que réalisatrice, la direction que je voulais prendre, c’était de faire sentir aux gens l’énergie qu’il y a entre moi et surtout mon fils quand on joue ensemble. Je trouve ça assez hallucinant. Sunny, lui, il vient se greffer à ça.» L’ancien élu de son cœur cimente musicalement les deux êtres, une mère et son gar çon liés dans le sang comme le son. Une complicité émouvante. «Lui, le premier rythme qu’il a entendu, c’est mon cœur qui bat, qui résonne. Cet enfant-là est sorti de mon ventre et ça n’a pas pris six, sept mois pour qu’il se mette à tapocher sur tout.»
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MUSIQUE 21 VOIR QC
«JE ME SUIS DIT QUE J’ALLAIS FAIRE UN ALBUM QUI RESSEMBLE À CE QUE J’AIME FAIRE EN SHOW. FAIRE UN ALBUM QUI ME RESSEMBLE, FINALEMENT.» Édouard, le plus jeune, 15 ans au moment d’écrire ces lignes, y met également son grain de sel. «L’histoire est super belle. On était en pré-prod chez moi, on était en train de faire de la musique, Sunny, son frère et moi, pour essayer de trouver la direction des chansons. Édouard est arrivé de l’école pendant qu’on était en break, il est entré dans le studio parce que c’est tripant, y a une belle ambiance, et il s’est mis à jouer de la guitare acoustique. Mais comme, pour la première fois! Il jouait de la guitare électrique avant. Il a joué pen dant environ 15 minutes. Je lui ai dit: “Wow, man! C’est vraiment débile, tu sonnes comme moi.”» Impressionnée, la fière maman place un micro dans l’instrument de son fils et lui demande d’impro viser. Le résultat fut fort concluant: «Je suis par tie de ça pour faire Avec le soleil.» C’est également sa voix de tout jeune homme et ses doigts posés sur les cordes qu’on entend sur Entre toi et moi, la plage 6. «J’étais dans l’auto et, un moment donné, il m’a envoyé un texto: “Maman, j’ai composé une toune!” Je lui ai dit: “OK, envoie-moi ça.” Il me fait jouer ça… et je capote. C’est la première toune qu’il a composée de sa vie!» En plus de cristalliser le quotidien d’une famille créativement hors-norme et tissée serrée, cette nouvelle offrande marque un retour au rock. Mara se reconnecte à sa vraie nature, la force brute qui la consume. «Depuis Les lunes, c’est ce que j’ai envie de faire en tournée, c’est ce que j’ai dans le ventre, ce que j’ai besoin de sortir. Je me suis dit que j’al lais faire un album qui ressemble à ce que j’aime faire en show. Faire un album qui me ressemble, finalement.»
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La thérapie des encres Seule face au lac Notre-Dame, la Montréalaise s’est prêtée à une introspective séance d’écriture, un ermitage productif. C’est là, à Wentworth-Nord dans les Laurentides, que la poète-chanteuse a enregistré Notre amour est un héros. Une «version démo» empreinte de pureté qui capte la complainte d’un oiseau au passage, par inadvertance. Un heu reux accident, un petit extra qui encapsule à jamais ce séjour fort réconfortant. «[Ce lieu-là] a été une oasis à un moment de ma vie où j’étais pas très bien. J’ai comme lancé un appel à l’aide: “Est-ce que quelqu’un a un chalet, quelque part, où je peux aller avec mon chien?” Y a quelqu’un qui s’appelle Sonia Cesaratto, une attachée de presse, qui m’a répondu très rapidement. Ç’a été magique. Je suis arrivée et ça m’a apporté du repos, de la paix, de la créativité. Beaucoup de choses ont changé à partir de ce moment-là dans ma vie. J’ai vécu des trucs très, très tough et on dirait que le lac m’a apaisée. Pareil pour les conifères, les feuillus, les étoiles…» Justement, les métaphores célestes sont récur rentes dans les textes de Mara. On devine chez elle une fascination pour le cosmos et sa lumière dans le titre de son troisième album paru en 2005, sur On a du violon («on a dit y a longtemps qu’on avait rendez-vous dans les étoiles»), dans la ligne «tu fais mon amour danser les aurores»… La pièce homonyme du nouveau disque, ce morceau un tan tinet punk et accessoirisé de synthés à la limite new wave, est une référence directe à la figure stellaire zigzagante. Un symbole qui fait écho à sa propre mythologie. «Ça signifie un grand, grand amour qui a pas vécu, mais qui vit quand même, qui me suit depuis une vingtaine d’années. C’est toujours relié à cette constellation-là parce que les rares fois où nous nous sommes aimés, on passait la nuit la tête dans les étoiles entre deux couvertures.» Qu’elle soit n’importe où sur la planète Terre, l’amas d’astres la ramène à cet amour comète. Un souve nir qui ne la quitte jamais comme autant d’idylles perdues, mais bien emmitouflées dans ses cahiers. y Cassiopée (Audiogram) Sortie le 3 novembre
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LA CHANTEUSE FRANCO-BRITANNIQUE SORT SON CINQUIÈME ALBUM, REST, UN OPUS TRÈS PERSONNEL DONT ELLE A ÉCRIT LES TEXTES. ENTRETIEN AVEC CETTE TIMIDE SI IMPRESSIONNANTE. MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTO | AMY TROOST
«C’est la première fois que je me livre et que l’objet entier m’appartient.» Cet album, Charlotte Gainsbourg en est très fière. Six ans après Stage Whisper, elle nous offre Rest, concocté avec des collaborateurs de taille: Connan Mockasin, Owen Pallet (arrangeur d’Arcade Fire et de Caribou), Emile Sornin (Forever Pavot), Vincent Tae ger (Poni Hoax), Tom Elmhirst (mixeur de David Bowie, Jamie xx, Adele), et même Paul McCartney, qui lui a écrit une chanson. Charlotte Gainsbourg pose sur ces 11 titres d’électro contemporaine sa voix si caracté ristique, son timbre de soprano tellement léger qu’il en semble parfois chuchoté, son chant en voix de tête qui se casse parfois dans les aigus. En plus de signer les textes, la chanteuse est aussi passée derrière la caméra pour réaliser les clips vidéo.
La mort et le temps qui passe sont des thèmes récurrents dans cet album. C’est que Charlotte Gainsbourg se livre beaucoup dans ses textes, évoquant sans détour son père ou Kate Barry, sa sœur décédée fin 2013. Rest (in peace), c’est un adieu à un ancien moi, celui d’une timide qui se cache pour se protéger. Les blessures sont évoquées ouvertement pour mieux faire la paix avec le passé. Rest, c’est une mue. Pour en parler, la chanteuse réfléchit et pèse ses mots, mais répond avec beaucoup d’assurance et de confiance. Simple, menue et discrète, elle dégage pourtant une belle aura de femme forte, d’oiseau blessé qui s’est relevé. Charlotte Gainsbourg nous montre avec ses talents avec les images, les mots et la voix qu’elle est une artiste à part entière, loin de l’étiquette de fille de, de sœur de ou
de femme de qu’on lui accole trop souvent. Et qu’elle s’assume enfin, jusqu’à livrer cet album autoportrait. Voir: Rest a failli s’appeler Take One. Le cinéma est toujours présent chez vous… Charlotte Gainsbourg: Take One c’était comme une première prise, il y avait un clin d’œil au cinéma. Au final, ce que je raconte avec l’album, c’est vraiment ce double sens de «rest» en anglais et en français. Mais à l’ori gine, il y avait en effet des musiques de film qui m’inspiraient, dont je voulais m’appro cher (les films de Brian De Palma, l’ambiance pesante de The Shining de Kubrick, Rebecca de Hitchcock, Jaws de Spielberg…). C’était plutôt des films d’horreur: une ambiance un peu étouffante, nerveuse et effrayante.
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Ce qui me plaisait dans la musique de SebastiAn [le producteur de Rest, qui a aussi travaillé sur des albums de Kavinsky et de Franck Ocean], c’est ce quelque chose d’un peu grandiose et d’ample. Il y a ce côté grandiloquent parfois, de brutal aussi. C’est ça que je voulais: essayer d’approcher avec ma voix – qui n’est pas une grosse voix – ce genre de musique et de production. Et SebastiAn a totalement compris le challenge que c’était. Vous habitez aujourd’hui à New York. Quelle influence a la ville sur vous? En France, à cause de mes parents, on attend de moi que je fasse des œuvres grandioses… À New York, tout le monde est un peu artiste, et moi je suis plus libre. Quand j’ai perdu ma sœur, j’avais déjà commencé l’album, mais j’ai eu besoin de partir. On s’est donc isolés avec ma famille à New York. C’était un nouveau départ là-bas: j’avais une nouvelle vie, un nouveau quotidien, personne ne me reconnais sait, alors qu’en France tout le monde savait quel drame on venait de vivre. À nouveau, j’arrivais à respirer. SebastiAn a senti ce nouveau souffle.
Il y a beaucoup de chansons douloureuses dans l’album, mais ce n’était pas conscient. Et j’ai eu envie qu’il y ait une énergie derrière tout ce que je me per mettais de raconter, malgré les thèmes de mort, de peine, de manque, etc. SebastiAn comprenait cette combinaison. J’aime bien quand les choses sont vraiment contradictoires… Moi, ça m’excite, y a un truc qui me porte. La brutalité dans la timidité, c’est ce que je ressens aussi de moi en tant qu’actrice: souvent, on me voit comme quelqu’un d’un peu fragile, effacé, timide, mais quand je fais des films comme ceux de Lars von Trier, je sors des choses beaucoup plus brutales, énergiques et violentes. L’album est presque tout en français, alors que vous préférez d’habitude l’anglais. Pourquoi ce choix? J’ai toujours écrit en français; j’écris un journal depuis que je suis adolescente. Mais le journal, c’est un style thérapeutique, c’est pas fait pour être lu, et j’avais parfois un style très complaisant avec le malheur. À chaque album, j’ai voulu écrire en français, mais l’ombre de mon père était tellement
LECTURE PUBLIQUE D’UNE PIÈCE DE LUC J. VIGNEAULT
LE POUVOIR D’INTIMIDER VENDREDI 1ER DÉCEMBRE 2017 À 20H MISE EN LECTURE ET INTERPRÉTÉ PAR LUC J. VIGNEAULT
AU TAM T AM CAFÉ 421, bou
levard Lang elier, Québ ec ENTRÉE L IBRE CONTRIB UTION VO LONTAIRE Info : 418523-9 ou sur ma rteau_5@ 486 hotmail.c om
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présente et pesante que ça rendait les choses beau coup trop compliquées. À chaque fois, c’était des tentatives avortées, je n’aimais pas ce que je faisais, je me jugeais… Donc très vite, j’ai voulu chanter en anglais. Là, SebastiAn voulait que je retrouve un peu le style de mon premier album avec mon père, Charlotte Forever, et il m’a suggéré d’écrire en français. Moi, je ne pensais pas vouloir au départ, donc j’ai essayé d’écrire en anglais. Et puis c’est venu en français… Connan [Mockasin] m’a aussi dit que je devais chanter en français. Il m’a dit: «On va s’isoler tous les deux, je serai à la guitare, je ne parle pas français, donc je ne comprendrai rien de ce que tu racontes, et tu vas juste essayer de placer tes textes.» Il faisait de très jolies mélodies – cer taines sont sur l’album d’ailleurs. J’ai compris que je pouvais y arriver. Tout ça est allé par étape, car je suis quelqu’un de très laborieux. Faut avoir beau coup de patience avec moi! À New York, tout ce patchwork a commencé à prendre du sens. Je n’écrivais plus qu’à propos de ma sœur parce que je venais de la perdre. J’avais
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aussi énormément de plaisir à écrire, c’est pas comme si je me morfondais… Mais je ne voulais que parler d’elle, et ç’a été possible principalement en français. Je ne me posais plus la question de savoir si c’était assez bien ou pas, si j’étais aussi bonne que mon père, etc. Je m’en foutais. Et aujourd’hui, j’arrive encore à tenir bon avec cette idée. Écrire ces textes si personnels, ça s’est passé comment? Comme j’étais aux commandes des textes, je ne pouvais pas imaginer faire ça uniquement comme un exercice de style. C’était obligatoirement sin cère, personnel, et du coup très intime et ressenti. Je ne pouvais pas l’envisager autrement. J’aimerais arriver à écrire à nouveau, c’est pas sûr, et j’espère que si j’y arrive je pourrai être un peu plus distante. Cet album, ç’a été particulier comme expérience… Comme j’étais seule avec mon projet à New York, avec SebastiAn comme seul interlocuteur pour valider mes textes, je ne me suis pas protégée, j’étais pas trop prudente... Je me suis sentie com plètement libre et sans censure. Et c’est seulement en mixant l’album que j’ai réalisé comme je m’étais livrée beaucoup. Mais je l’ai assumé, je n’étais pas prise au piège. Ça me plaisait d’être impudique. J’ai l’impression que je suis une ex-timide: c’est vraiment propre aux gens timides d’avoir besoin de se provoquer. On est tellement dans un embar ras constant… Le métier d’actrice m’a permis de me pousser, mais j’étais quand même tout le temps dans la frustration. Je ne prenais pas possession de moi, de ce que je voulais. Les timides, on est toujours un peu sur notre faim, c’est donc un rêve de pouvoir aller trop loin. Aujourd’hui, je suis allée là où je voulais aller. Je me laisse toujours la possibilité de changer d’avis demain, mais je suis en paix avec ce que j’ai fait. Votre fille Alice fait les back vocals sur une chanson, il y a une piste cachée où chante la plus petite, et les deux sœurs jouent dans un des clips… C’est nouveau, cette volonté de mettre votre famille en avant? Avant, j’ai toujours eu l’idée qu’il fallait les proté ger, j’étais persuadée qu’il fallait tout garder secret, qu’il ne fallait pas qu’on parle de notre vie privée. Peut-être parce qu’on en a souffert beaucoup, Kate et moi, quand mes parents se sont séparés. Mais aujourd’hui, mes enfants, c’est ce que j’ai de plus cher, et j’ai envie qu’ils soient là et qu’ils fassent partie de l’histoire. Ce que j’ai de plus précieux avec mon père, ça sera toujours Lemon Incest… y
PHOTO | COLLIER SCHORR
Rest (Because Records) Sortie le 17 novembre
L’ILLUSIONNISTE FIDÈLE À LUI-MÊME, C’EST À TRAVERS UN VÉRITABLE «STUNT» PUBLICITAIRE QUE PHILIPPE BRACH A DÉCIDÉ D’ANNONCER SON PROCHAIN ALBUM, LE SILENCE DES TROUPEAUX. MAIS LE PRINCIPAL INTÉRESSÉ SOULIGNE QUE CE N’EST PAS UNE BLAGUE. CE N’EST NI PLUS NI MOINS QU’UNE ILLUSION. MOTS & PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
D’entrée de jeu, Brach est catégorique: «T’es aussi ben de pas écrire que c’t’une joke. Le but c’est pas de rire de personne.» C’est ainsi qu’il décrit Troupeaux, cette chanson lancée en août dernier pour annoncer son prochain album qui ne s’y retrouvera finalement même pas. «On s’est inspirés de tounes qui vendent du 100 000 albums, mais c’est pas pour alimenter la machine à hate. Les gars (2Frères) avaient complètement compris le niveau du truc pis ils ont embarqué. Concrètement, la toune, on s’en câlisse. C’pas bon, c’pas mauvais, y en a pas de vérité dans la vie. Je voulais juste aller là où on m’attendait pas.» Dans le même ordre d’idées, ce n’est pas à d’autres chansons du genre qu’il faut s’attendre sur ce troisième opus de Brach. Au contraire, l’artiste y navigue dans des eaux plutôt novatrices et nous amène plus loin dans son univers musical, recrutant au passage Jesse Mac Cormack à la coréalisation et La Contro verse (Gabriel Desjardins) aux arrangements. C’est avec cette offre qu’il tire un trait sur ce que l’on pourrait qualifier de trilogie initiatrice: «Ces trois albums, c’est comme un triptyque. À chaque fois, j’y mettais en scène une présence animale pis moi-même, dans une volonté de reprise de mon instinct perdu. Sur La foire et l’ordre, j’en étais comme témoin, sur Portraits de famine, ça devenait vraiment plus familier et sur celui-ci, de façon vraiment plus incarnée, c’est moi-même qui deviens comme une créa ture entre l’humain pis l’animal. Le but de tout ça, c’était de me définir artistiquement, de sorte qu’après ça, je puisse aller dans d’autres zones sans constamment avoir à me définir ou à me justifier. Ces trois albums-là c’est comme: “Bon, voilà ce que je suis, astheure allons ailleurs pis posons-nous des questions.”» Justement, Philippe Brach n’est pas le genre d’artiste à éviter les questions. Témoin du monde moderne et de ses problèmes, il s’en est inspiré pour Le silence des troupeaux. «On est comme à un moment pas très glorieux pour l’être humain en ce moment. On dirait que dans toutes les sphères, y a quelque chose qui marche pas. Pis moi, ce que je fais à longueur de journée,
c’est parler de moi? C’est quand même absurde. On a jamais été autant connectés, rejoignables, pis en même temps on dirait qu’on a jamais autant eu, collectivement, notre tête dans notre cul. Pis moi le premier, là! Je me suis dit: “Crisse, on peut-tu se poser des questions majeures pis essayer de faire de quoi avec tout ça?” C’est un peu ça, Le silence des troupeaux. Au final, oui, ça reste un album personnel, mais les thèmes abordés vont vraiment plus vers l’autre.» Parlant entre autres de la guerre et de racisme sur cet opus, Brach s’est demandé s’il ne faisait pas que tomber dans la redite et s’il n’allait pas être reçu comme rien de plus «qu’un autre» qui vient ajouter son grain de sel dans des débats clos. «T’sais, t’arrives en 2017 pis tu parles de racisme, tu te dis: “Hey, y en a du monde qui sont passés sur cette discussion-là, t’as peutêtre pas ta place là-dedans, le grand.” Pis là, pendant qu’on enregistrait l’album, y a eu Char lottesville. Pis là, j’ai allumé. On a beau en avoir fait, du progrès, on est encore vraiment cons. Pis y faut encore en parler. C’est plate en ostie à dire, mais c’est encore dans l’air du temps.» Du côté musical, Brach se réaffirme dans ses fondations folk-bluesy, mais la présence de l’orchestre se fait sentir fortement. Allant d’in fluences telles que Nat King Cole à l’ouverture du Sacre du printemps de Stravinsky, Le silence des troupeaux est une créature unique. «C’est sûr que le monde va me reconnaître, c’est du Brach. Mais je pense que c’est encore plus assumé, plus réfléchi, peut-être plus straight to the point, d’une certaine manière. Je savais où je m’en allais, je me suis entouré des bonnes personnes pour mener le projet au bout. On s’est gâtés, y a 41 musiciens sur cet album-là. J’pense que je tourne la page sur le triptyque dont je te parlais de la meilleure manière que je pouvais. Astheure, j’ai mis “quatrième album” sur ma to-do list. On va voir ce que ça va donner, ça.» y Le silence des troupeaux (Spectra Musique) Disponible Le 7 avril 2018 à l’Impérial Bell
À ÉCOUTER
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HHHHH CLASSIQUE HHHH EXCELLENT HHH BON HH MOYEN H NUL
COURTNEY BARNETT AND KURT VILE LOTTA SEA LICE
(Matador / Marathon Artists / Milk!) HHH 1/2
Heureusement, Courtney Barnett et Kurt Vile se sont trouvés. Sur Lotta Sea Lice, l’Australienne et l’Américain s’affichent comme deux âmes sœurs musicales, cultivant une attitude rock indolente, sans autre prétention que celle du jam sympathique et amical. Manifestes, les influences country et folk se prêtent plutôt bien aux harmonies vocales douces et apaisantes des deux auteurs-composi teurs-interprètes, capables de faire interagir leurs guitares avec une remar quable aisance qu’on devine spontanée, instinctive. Poètes à la nonchalance caractéristique, les deux camarades se livrent à quelques réflexions sur la solitude, en appelant au calme, à l’accalmie, au laisser-aller, à l’indépendance. Paradoxalement, Lotta Sea Lice est l’expression d’une communion bien portante entre deux artistes aux affinités flagrantes, qui commencent à peine à concevoir l’étendue du potentiel de leur tandem. (O. Boisvert-Magnen)
DEATH TOLL 80K STEP DOWN
THE HELIOSONIC TONE-TETTE HELIOSONIC TONEWAYS VOL. 1
(Svart Records) HHH
(ScienSonic Laboratories) HHHH Enregistré 50 ans jour pour jour après la séance d’en registrement du disque The Heliocentric Worlds of Sun Ra, le 20 avril 1965, voici un disque qui rend hom mage au grand composi teur afro-américain avec beaucoup de bonheur. On trouve ici le saxophoniste Marshall Allen (93 ans), qui était membre du Solar Arkestra à l’époque et que l’on entend même ici jouer du marimba qu’utilisait Sun Ra sur le disque. Le saxophoniste Danny Thompson, qui joignait l’Arkestra en 1967, est aussi présent. Avec huit autres musiciens, l’ensemble est tout à fait similaire à l’équipe originale (on a même retrouvé l’ingénieur du son qui a enregistré en 1965!). Il ne s’agit pas, bien entendu, d’inter préter la musique de Sun Ra, mais bien de se brancher avec son souvenir pour retrouver son inspiration, et ça marche! (R. Beaucage)
Les principales différences entre Harsh Realities (2011) et Step Down se mesurent surtout en matière de durée des albums (25 minutes versus 15) et de fluidité des chansons. Sur Harsh Realities, les enchaînements étaient tellement organiques qu’on se rendait à peine compte de la brièveté des 23 morceaux. Cette fluidité permettait de savourer les transitions entre les breakdowns et les courtes séquences de pure cacophonie grindcore. Step Down ne s’éloigne pas trop de cette formule, mais les transitions sont moins réussies et plusieurs titres se terminent à leur meilleur (Trampled, Abolish Fur Farms, Binary), nous laissant avec un étrange sentiment d’inachève ment. Ce qui est plutôt rare et peut-être une bonne chose finalement. (C. Fortier)
LEWIS FUREY HAUNTED BY BRAHMS (Atma classique) HHH 1/2 Imaginons Johannes Brahms (1833-1897) jouant du piano au petit matin dans un bar enfumé de la belle époque, un troquet malfamé au plancher mouillé d’alcool, poussant la chansonnette pour lui-même plus que pour les clients... C’est là que nous emmène Lewis Furey, chantant et jouant ces lieder de Brahms avec un détachement extrême, sans se soucier le moins du monde d’éventuels auditeurs. À cent lieues de la voix de stentor générale ment associé au genre, il demeure au contraire personnel, solitaire et intime. Avec une approche semblable à celle que Keith Kouna avait adoptée pour le Voyage d’hiver de Schubert, Furey rajeunit Brahms de quelques décennies, et cette interprétation iconoclaste est peut-être après tout la plus véritablement respectueuse de l’œuvre. (R. Beaucage)
PERSÉIDES FLEUR PERSANE (Malasartes musique / Dame) HHH 1/2 Perséides, c’est un duo formé du contrebassiste Jean Félix Mailloux et du joueur de santour Amir Amiri, auxquels se joint sur quelques titres la violoniste Marie Neige Lavigne, complice de Mailloux au sein de son ensemble Cordâme. Les sonorités du santour (un instrument à cordes frappées, comme un petit cymbalum) sont bien en avant, comme les inflexions si caractéristiques de la musique persane, qui inspire tout le programme, mais l’ensemble demeure d’une étonnante variété. L’apport du contrebassiste, avec ses teintes jazzées, fusionne admirablement avec les mélodies rythmées du santour, et lorsque le violon se met de la partie, la palette de textures des cordes est garnie à souhait. Une belle proposition, éclectique et accessible à la fois. (R. Beaucage)
DISQUES 29 VOIR QC
AMADOU & MARIAM LA CONFUSION
JOHN RONEY/TEVET SELA THE RIVER
(Because) HHH
(Effendi) HHH 1/2
Ceux qui aiment leur Amadou & Mariam à la sauce John Lee Hooker ou encore assaisonné façon Manu Chao risquent d’être un peu déçus. Les chansons sont toujours aussi bonnes, mais l’emballage électropop avec boîtes à rythmes et synthés à bon marché fait passer la première moitié de ce nouveau compact comme une suite de maquettes. Heureusement, les choses se corsent en cours de route avec les instruments à vent, la guitare électrique qui reprend sa place et ces mélodies lancinantes et irrésistibles, caractéristiques du couple chéri de Bamako city. Fait à Paris par Adrien Durand et mixé par Jimmy Douglass à Miami, le répertoire de La confusion s’éloigne peu à peu de la chanson naïve et culmine en crescendo avec Mokou Mokou, Yiki Yassa et Massah Allah, toutes chantées dans la langue maternelle des tourtereaux. (R. Boncy)
L’hiver dernier, le 2 février, le pianiste John Roney et le saxophoniste alto Tevet Sela se sont enfermés librement et de leur plein gré au Studio 270, rue Saint-Grégoire, et ont enregistré cette heure de musique originale partagée en six compositions de l’un et quatre de l’autre. Pas le genre de duo timide où l’on passe son temps à contempler les silences méditatifs de l’autre yogi dans la nature avant de se lancer à l’eau. Non. Malgré des thèmes très mélodiques, les duellistes volubiles atteignent régulièrement des sommets d’intensité comme dans le superbe Pahon, aux accents klezmer, suivi du lyrique Closer Horizon, d’inspiration franchement gospel. Si l’excellent Roney trahit volontiers son expertise classique, c’est l’impétueux Sela qui étonne, faisant même penser au Norvégien Jan Garbarek dès le thème d’ouverture: The River. (R. Boncy)
ALL PIGS MUST DIE HOSTAGE ANIMAL (Southern Lord) HHH 1/2 Il ne faut pas se laisser tromper par la première impression qui se dégage du nouveau All Pigs Must Die. Hostage Animal est aussi sauvage, sinon plus, que son prédécesseur, Nothing Violates This Nature (2013). Que le groupe composé de membres de Converge, The Hope Conspiracy et Bloodhorse se soit assagi sur son troisième disque aurait été plutôt ironique étant donné l’arrivée du guitariste Brian Izzy de Trap Them (qui donne ses derniers concerts en novembre), renommé pour son grindcore essoufflant. Donc, bien qu’APMD ne décélère pas significativement sur Animal Hostage, la troupe hardcore met plus d’accent sur ses influences doom et sludge, insufflant une dose d’atmosphère lugubre aux chansons, sans leur enlever leur lourdeur, réalise-t-on après avoir comparé les deux albums. On approuve. (C. Fortier)
FÉLIX DYOTTE POLITESSES (Coyote Records) HHHH Politesses nous fait voyager, comme une série de rêves éveillés sous forme de chansons tantôt parfaite ment atmosphériques, tantôt franchement entraî nantes. Dans les musiques, Félix Dyotte navigue toujours avec justesse dans des eaux entre la chanson française d’hier et l’électropop d’aujourd’hui. Sa plume éloquente et poétique et sa voix grave trouvent ici de bons partenaires (Evelyne Brochu, Cœur de pirate et Philémon Cimon) qui ajoutent une touche de charme à une œuvre déjà assez irrésistible, merci. Avec son amal game de cordes, de flûte traversière, de bongos et de maracas, Que ce soit toi, que ce soit moi s’avère l’un des moments forts de ce disque, qui, comme son prédécesseur (album homo nyme, 2015), a de la grande classe. Sublime, encore une fois. (V. Thérien)
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LOUD UNE ANNÉE RECORD
(Joy Ride Records) HHH 1/2
On n’écoute pas Loud de la même manière qu’on écoute les autres rappeurs québécois. Très minutieux dans ses écrits, le Montréa lais sait comment stimuler constamment l’intérêt de l’auditeur avec ses habiles doubles sens et son flow agile, l’un des plus notables de la scène rap d’ici. À bien des égards, c’est ce Loud qu’on retrouve sur Une année record, un honorable premier album solo réalisé par ses deux fidèles alliés Ajust et Ruffsound. Toujours aussi ambigu dans son rapport à la gloire, qu’il convoite autant qu’il repousse, le membre de Loud Lary Ajust poursuit la réflexion intimiste entamée sur son EP New Phone, en rappe lant avec résilience quelques épisodes mouvementés de son adolescence (Il était moins une) et en clamant avec fierté son authenticité et son indépendance face à un entourage hypocrite (SWG, Hell, What A View). Même s’il se fait un peu moins pertinent sur On My Life et Nouveaux riches, une réplique convenue de son hit estival 56K, Loud montre qu’il a l’étoffe des grands en s’adaptant avec souplesse aux différentes ambiances orchestrées par ses producteurs. (O. Boisvert-Magnen)
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VO2 #11
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MONIQUE GIROUX SUR MESURE
À MOURIR POUR MOURIR Vous avez vu tout le tintamarre qu’on fait autour de l’anniversaire de la mort de Barbara? Mathieu Amalric a réalisé un film dans un film qui n’est pas un biopic, mais l’histoire d’un gars qui aimerait faire un film sur la vie de Barbara et qui, au final, ne le fait pas. Le pianiste clas sique Alexandre Tharaud, admirateur inconditionnel de Barbara, propose un magnifique album de reprises avec entre autres Vanessa Paradis, Jane Birkin, Dominique A, Radio Elvis. Il a aussi monté un spectacle intitulé Vaille que vivre avec la comédienne Juliette Binoche qui récite les textes de Barbara. Et Bruel, le premier, et Depardieu le grincheux. Et combien de livres édités. Et une grande exposition qui lui est consacrée à la Philharmonie de Paris. Et je m’y mets aussi en réunissant sur scène, pour reprendre ses chansons, quelques-uns de ses enfants de musique: Catherine Major, Alexandre Désilets, Jorane, Ludo Pin, Marie-Thérèse Fortin et Robert Charlebois, qui a écrit pour elle Le piano noir (Quand je serai morte/ Enterrez-moi dans un piano/Noir comme un corbeau). Barbara s’est éteinte le 24 novembre 1997. Elle a été emportée – on nous l’a caché jusqu’à tout récemment – par un empoisonnement dû à de bien criminels champi gnons congelés, décongelés, recongelés, et ainsi de suite… jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ils auront eu raison d’une femme qui pourtant avait combattu de bien plus cruels adversaires. C’est tellement con. Non, mais franchement, ça ne ferait même pas une jolie chanson. Ses ennemis, fussent-ils son père agresseur ou les nazis, elle n’a cessé de les fuir dans la création. Monique Serf, juive née à Paris en 1930, avait 9 ans au début de la guerre et 10 ans et demi quand elle a voulu porter plainte contre son géniteur devenu incestueux, mais personne ne l’a écoutée, apprend-on dans ses mémoires qui portent le titre Il était un piano noir: «J’ai de plus en plus peur de mon père. Il le sent. Il le sait. […] Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent
coupables. Parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls au monde avec leur terrible secret. […] Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse, une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après.» Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik écrit dans Les vilains petits canards (cité dans le cadre de l’exposition pari sienne): «Par quel mystère Barbara a-t-elle pu méta morphoser sa meurtrissure en poésie? Quel est le secret de la force qui lui a permis de cueillir des fleurs sur le fumier? Après les deux fracas de l’inceste et de la guerre, il a bien fallu que la grande fille mette en place quelques mécanismes de défense: étouffer sous ses pas les voix du passé qui la hantent, renforcer la part de sa personnalité que l’entourage accepte, sa gaieté, sa créativité, son grain de folie, son aptitude à provoquer l’amour. On ne peut pas être celle qui n’a pas été, mais on peut donner de soi ce qui rend les autres heureux. Le fait d’avoir été blessée la rend sensible à toutes les blessures du monde et l’invite au chevet de toutes les souffrances.» Elle disait avec pudeur: «Je m’en suis sortie parce que je chante.» Sur ses miroirs de loge, elle affichait les mots suivants: «J’ai peur, mais j’avance, j’ai peur, mais j’avance, j’ai peur mais j’avance.» Tu ne te souviendras pas/De mon visage, de mon nom/Les marionnettes d’ici-bas/Font trois petits tours et puis s’en vont. Elle a fait pourtant de bien grands petits tours. Elle savait bien l’impact qu’elle avait sur son public éperdu d’amour pour elle. Ses dernières scènes arpentées par elle, dès le matin, se couvraient de milliers de roses au dernier rappel. Le public, sa plus belle histoire d’amour, ne voulait pas la quitter. Les ovations ne s’achevaient que tard, très tard, longtemps, très longtemps après les spectacles.
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> Était-elle à l’image de son image? Sombre, torturée, grande dame brune, triste, porteuse d’un passé qu’elle aurait préféré oublier comme elle semblait du moins le chanter? Fourrures, lunettes fumées des sixties, hauteur et dis tance pour se donner un genre, silence et mystère sous les flashs. Grands gestes d’aigle noir pour aller de la cour au jardin, intensité, regards vifs, timbre franc à la scène. Pourtant, elle était, dit-on, drôle, sautillante, légère, accessible, parfois cinglante, mais toujours généreuse. Qui parlerait encore d’elle si on ne soulignait pas le 20e anniversaire de la mort de Barbara? Sans doute quelques refugiés demandeurs d’asile poétique, resca pés d’un naufrage culturello-33 tours ou théâtreux nos talgiques du sacré et d’une époque révolue où on ne se souciait pas du petit quotidien des artistes qui n’étaient pas des stars. Selon les jours, je suis de ces trois-là. Il suffit que je distingue trois notes du début de Drouot pour retomber en mélancolie, mais surtout en admiration. Dans les paniers d’osier de la salle des ventes Une gloire déchue des folles années trente Avait mis aux enchères, parmi quelques brocantes Un vieux bijou donné par quel amour d’antan […] Le marteau se leva, dans la salle des ventes Une fois, puis deux fois, alors, dans le silence Elle cria: «Je prends, je rachète tout ça Ce que vous vendez là, c’est mon passé à moi» […] Hagarde, elle sortit de la salle des ventes Je la vis s’éloigner, courbée et déchirante De ses amours d’antan, rien ne lui restait plus Pas même ce souvenir, aujourd’hui disparu... Oui, madame, c’est du texte! Et encore, je n’ai repro duit que trois des dix couplets de cette chanson sans refrain! Lalalonlère!!! En 2000, trois ans après sa mort, ses héritiers ont vendu aux enchères à Cheverny son piano noir, ses vêtements, ses partitions annotées, préemptés par le ministère de la Culture de France qui promettait la création d’un Musée de la chanson française qui se fait toujours attendre. Il reste à ceux et celles qui ne la connaissent pas plus de 100 chansons à écouter les yeux fermés, et aux autres comme moi à retomber en mélancolie et en admiration éternelle. y
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OUI, IL FAUT EN PARLER. MAINTENANT. ENCORE. LE MILIEU EST UNANIME: LE DOCUMENTAIRE AU QUÉBEC A BESOIN D’AMOUR, D’UN COUP DE POUCE DES GOUVERNEMENTS PROVINCIAL ET FÉDÉRAL, SINON LES PRODUCTIONS FRANCOPHONES SERONT VOUÉES À DISPARAÎTRE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN
PHOTO | DREAMSTIME
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«On ne passe pas à côté d’une opportunité de parler du documentaire», nous dit Karine Dubois lorsqu’elle nous accueille dans les bureaux de Picbois Productions, avenue Mozart, qu’elle partage avec d’autres petites boîtes de production documentaire. Un cri du cœur a été lancé le 1er juin lors d’une conférence de presse avec plusieurs acteurs du milieu, dont Hugo Latulippe, documentariste et président de l’Observatoire du documentaire. «Si y a pas un coup de barre qui est donné, je pense que le Québec va perdre cette forme d’art qui est liée à la culture québécoise», réitère-t-il en entrevue. Après des années Harper désastreuses pour la culture, le gouvernement libéral a remis de l’argent dans les coffres, mais tout juste assez – environ 50% de ce qui avait été coupé – pour garder la tête hors de l’eau, nous dit-on. La récente conférence de presse a eu pour effet de raviver les élans revendicatifs du milieu. «On a tellement crié pendant les coupes du gouvernement conservateur qu’on s’est essouflés et y a beaucoup de gens qui ont lâché, indique Karine Dubois. On a perdu espoir que ça valait la peine d’en parler tellement on était convaincus qu’il n’y aurait aucun changement ou amélioration. Mais là, on dirait qu’on se réveille et qu’on se dit que c’est le temps. Les libéraux ont réparé les dégâts, mais y a pas eu de hausse dans le financement du documentaire.» Malgré les remous budgétaires, la passion envers le documentaire est toujours très forte chez les cinéastes. Les films ne sont pas moins nombreux, mais les conditions sont devenues plutôt difficiles. «Y a moins de plages horaires pour le documentaire à la télévision, les budgets ont diminué», détaille Mara Gourd-Mercado, directrice générale des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), grand rendez-vous annuel du documentaire qui soulignera ses 20 ans ce mois-ci. «J’ai l’impression que souvent, au Québec, on a cette culture-là de dire: “Oui, mais de toute façon, ils sont capables! On coupe les budgets, mais regardez, ils continuent à en produire!” OK, mais dans quelles conditions?!», lance-t-elle. «Aux RIDM, on pense que tout passe par les créateurs et les cinéastes. Si ceux-ci n’ont plus les moyens de faire leur job, si on n’investit pas dans les boîtes de production et le cinéma documentaire, ça va disparaître, croit-elle. Dans une étude récente de l’ARRQ [Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec] on constatait que la plupart des
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documentaristes ne vivent pas du documentaire. Ils sont obligés de faire plein de choses à côté. En ce qui a trait aux boîtes de production, ce qui est terrible, c’est qu’elles ont un apport économique au Québec et au Canada, mais elles ne sont pas aidées par les gouvernements. Pourquoi les boîtes se retrouvent à quémander des miettes alors que Bombardier reçoit des milliards en “aide” au secteur industriel? Ce genre de cinéma est important et on doit le soutenir. Il faut arrêter de dire que c’est de l’aide. Ce n’est pas de l’aide, c’est de l’investissement. Ces gens-là créent de l’emploi au Québec.» Même son de cloche chez Karine Dubois, qui mentionne une blague que ses comparses de bureau et elle se disent souvent et qui en dit long sur la précarité du milieu: «On est à un refus de subvention d’être prof de yoga!» «Moi, mon cheval de bataille, c’est que le financement en culture, ce n’est pas de la charité ni une bonne cause, poursuit-elle. On est des entreprises créatives innovantes au même titre que le jeu vidéo. On crée autant d’emplois, on fait autant rayonner le Québec à l’étranger. On n’est pas des quêteux d’artistes, on est des entreprises qui sont prêtes à faire de la croissance, mais qui présentement sont maintenues en mode survie parce qu’on se dit que les industries ne sont pas toutes égales. Le problème avec le documentaire est que puisque c’est un métier de passion et de vocation, les gens vont toujours continuer à en faire même si c’est bénévolement.» En ce sens, Hugo Latulippe, de son côté, craint la mort d’un métier, le sien, celui de documentariste. Lui qui a appris avec les géants Brault et Perrault en début de carrière et qui est bien en vue dans le milieu est inquiet. «Pendant environ 15 ans, on travaillait avec des moyens qui étaient plutôt bons, qui nous permettaient de nous comparer aux autres pays, d’aller dans les festivals, de rendre nos films sur les marchés internationaux. Mais depuis 3, 4, 5 ans, personnellement, je n’arrive plus à financer de grands films documentaires. On me dit qu’il n’y a plus d’argent. Les gens se disent que moi, mes affaires vont bien, mais je dis et je répète: je n’arrive plus à vivre de mon métier.» Si «le documentaire a cette fonction d’éclairer le temps», comme le dit Hugo Latulippe, il ne faudrait pas se rendre jusqu’à perdre des voix qui émergent et qui ont des choses importantes à dire. Le documentaire est intimement lié à notre histoire.
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HUGO LATULIPPE EN TOURNAGE, PHOTO | ESPERAMOS
MARA GOURD-MERCADO, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU
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> «Du point de vue du talent et de la capacité de poursuivre la tradition cinématographique documentaire au Québec, on pourrait dire que ça va très bien parce qu’il y a énormément de relève – de jeunes et moins jeunes cinéastes qui s’inscrivent tout à fait dans la poursuite de ce filon artistique créé par la génération des Perrault et Brault, indique-t-il. Pour moi, le cinéma documentaire est une spécificité de la culture québécoise. Le Québec est sûrement l’un des territoires de la planète qui a le plus contribué à cette forme-là dans les 50 dernières années. Mais là, on est en train de l’échapper, mais solide.» La crise du documentaire arrive à un moment où il semble y avoir une grogne générale dans le milieu culturel québécois. Alors que Mélanie Joly et Patrimoine Canada forment des alliances avec le géant Netflix, le Manifeste pour la pérennité et le rayonnement de la culture et des médias nationaux à l’ère numérique, signé entre autres par l’ADISQ, la FTQ et l’UDA, demande aux gouvernements provincial et fédéral de mettre en place des conditions pour que l’industrie retrouve une stabilité. Cette solidarité pourrait porter ses fruits. «Ça fouette le milieu, dit Mara Gourd-Mercado. C’est 40 organismes qui se mettent ensemble pour parler d’une seule voix. Les gens se rendent compte qu’on est en train de perdre quelque chose.» «La production francophone est menacée, ajoute Hugo Latulippe. La clé est dans une alliance entre nos organisations, toutes formes d’art confondues. Même si nos contextes sont différents, y a des liens entre tout ça. On est en train de reculer parce que notre génération est pas consciente des chances qu’on a dans ce pays. Notre coalition est historique. C’est la première fois qu’on est unanime pour dire que le Canada a un problème dans sa compréhension de la conjoncture. Les anglophones et francophones comprennent que la culture canadienne et québécoise est en danger, y a pas de doute.» Désormais résident du Bas-Saint-Laurent, Hugo Latulippe pose un regard dans le rétroviseur en espérant que les choses se rétablissent pour le mieux. «Le cinéma documentaire dans les écoles et les cinémas indépendants au Québec, j’y suis très attaché. Y a déjà eu une grande époque de ça. Quand j’ai sorti Bacon, le film [2001], on a fait plus de 100 projections dans la première année. Ç’a permis à des milliers de gens de se rassembler et de discuter de l’avenir du pays. Y a quelque chose de vraiment précieux là-dedans. Mais aujourd’hui, on ne produit plus de grands films et les modèles ne nous permettent plus de faire ça. Une des clés, c’est de s’allier et de rallier le grand public qui aime le documentaire dans ce pays.» y Les 20e RIDM se tiendront du 9 au 19 novembre
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PRENDRE L’UNIVERS EN MAIN C’EST AVEC AMBITION QUE SIMON LAVOIE MET À L’ÉCRAN L’UN DES ROMANS LES PLUS MARQUANTS DE NOTRE LITTÉRATURE. IL EN A FAIT UN FILM D’UNE VIOLENTE BEAUTÉ D’OÙ SURGIT LE SUBLIME ET LES BLESSURES DE LA LUMINEUSE ALICE SOISSONS DE COËTHERLANT. LA PETITE FILLE QUI AIMAIT TROP LES ALLUMETTES EST LE PLUS BEAU FILM SORTI SUR NOS ÉCRANS CETTE ANNÉE. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ
PHOTOS | MAX RHEAULT
La faute, le remords et la culpabilité sont trois thèmes omniprésents dans le roman de Gaétan Soucy, sorti en 1998 et internationalement acclamé. Ce roman, qui présente l’histoire d’une famille cloîtrée, enfermée sur elle-même, les Soissons de Coëtherlant, est également une formidable métaphore du patriarcat et de la religion qui oppressent de tout leur poids une société québécoise pré-révolution tranquille. Et cela n’a pas échappé à l’attention de Simon Lavoie, un cinéaste qui a fait de la quête d’identité l’une de ses obsessions. «Lorsqu’on m’a approché pour réaliser ce film, il fallait d’abord et avant tout que Gaétan Soucy souscrive à mon adaptation», explique Simon Lavoie. «Nous étions en 2013 et cela faisait plusieurs années qu’on essayait d’adapter le roman sans succès. Gaétan était cinéphile et quelqu’un de très intelligent (l’auteur est décédé subitement en 2013 d’une crise cardiaque). Il ne fallait pas en faire une adaptation littérale, puisque c’est un roman d’une grande dextérité langagière, cela aurait été laborieux. J’ai donc décidé d’écrire mon adaptation selon mes premières impressions sur le livre: un univers poétique trouble mâtiné d’inceste, de violence, de religion et d’éradication de la féminité.» Pour ce faire, Lavoie décide de raconter l’histoire du point de vue d’Alice, alors que
le monde se dévoile à celle-ci. Il ne fera appel à aucun narrateur pour illustrer l’histoire qui est écrite par la jeune fille dans le roman. Avec ce brillant parti-pris narratif, le réalisateur nous fait donc vivre la quête initiatique de la jeune Soissons avant et après le suicide du père (Jean-François Casabonne). Ainsi laissés à eux-mêmes dans un monde qu’ils ne connaissent pas, le frère (intuitif Antoine L’Écuyer) et la sœur (fascinante Marine Johnson) vivent deux parcours bien différents. Alors que le jeune homme se terre dans le déni et la violence, la jeune femme s’ouvre et tente d’entrer de plein fouet dans le réel après en avoir été écartée toute son existence. «Anne Hébert se défendait des métaphores simplistes et réfutait les interprétations de son œuvre», nous explique Simon Lavoie. «Gaétan Soucy s’est défendu un peu sur le même mode. Je souscris à cette inter prétation métaphorique de ce roman qui dit que le Québec ressemble un peu à ces deux orphelins, notamment en ce qui a trait à la religion et au patriarcat. Je crois qu’il faut faire des films qui font sens, car la vacuité ne peut pas nous tenir pendant la durée de production d’un film qui peut s’échelonner sur plusieurs années. Ce genre d’œuvre contribue à l’élaboration de notre mythologie collective. Notre existence est une question incessante ici, au Québec, et nous sommes tout le temps en instance de dissolution.»
Outre le travail d’adaptation et de scéna risation, il a fallu aussi créer l’univers physique de la famille Soissons. Un univers dont la date et le lieu demeurent vagues et difficiles à situer dans le roman. C’est ici qu’interviennent le chef opérateur Nicolas Canniccioni et la directrice artistique Marjorie Rhéaume. En privilégiant l’utilisa tion de la caméra Red Epic Monochrome 6K, Canniccioni et Lavoie y vont d’un plaidoyer en faveur du noir et blanc. Cette caméra filme directement en noir et blanc et non en couleurs. C’est donc tout un agencement des couleurs qui a été pensé par la direction photo et artistique en fonction de ce choix. Et cela donne une image sublime tout en retenue et en éclatants contrastes dans les scènes de jour. On retient un très beau rêve d’Alice où un oiseau s’enflamme dans la nuit, ou encore cette scène où Alice pénètre dans une église avec un cheval. Avec son cinquième long métrage, Simon Lavoie réussit à arrimer avec fluidité et rigueur le fond que constitue le roman avec la forme cinématographique. En plus de la très belle caméra de Canniccioni et du jeu sans concession de Marine Johnson, Jean-François Casabonne et Antoine L’Écuyer viennent compléter un film qui ajoute du sens à notre odyssée collective et à celle de l’œuvre de Gaétan Soucy. Du grand art. y En salle le 3 novembre
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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE
TROIS TRUCS POUR NAVIGUER DE MANIÈRE CRITIQUE Nous passons tous désormais beaucoup, beaucoup de temps sur internet. On ne sera pas surpris d’apprendre que les plus jeunes forment le groupe d’âge qui en passe le plus. Or internet et tout ce qu’on y trouve – depuis les médias sociaux jusqu’aux sites les plus crédibles, en passant par tout ce que vous savez ou imaginez – sont potentiellement une formidable machine à désinformer. Comment s’y retrouver, comment conserver son esprit critique devant cette surabondance d’informations qui ne sont manifestement pas toutes crédibles? L’enjeu est de taille puisque la qualité de la conversation démocratique dépend de manière décisive qu’elle se tienne entre citoyens informés. Et c’est loin d’être gagné. Considérez à ce propos les conclusions d’une récente recherche réalisée aux États-Unis.
À autant d’étudiants du collège, on demande s’ils utiliseraient, dans un travail, les données statistiques sur le système de santé publiées par un certain Joe Smith, qui commente un article de journal.
peurs, dont certains ont même été sciemment créés pour nous tromper, qu’on a proposé des stratégies pour aider les surfeurs de la Toile à départager le vrai du faux, ou du simplement plausible.
La réponse semble évidente, mais plus de 40% ont répondu oui.
On enseigne ainsi, notamment aux élèves, à porter une grande attention à la facture générale du site et à examiner avec soin divers aspects importants de son contenu.
À 58 étudiants universitaires et 95 étudiants préuniversitaires, on demande de juger si est crédible un site informant sur les effets (décrétés très négatifs) de l’instauration du salaire minimum dans l’industrie de la restauration. Le site est une création d’une firme de relations publiques travaillant pour cette industrie. Seulement 6% des étudiants du premier groupe et 9% du deuxième ont échappé au piège. Comment faire mieux?
On se demandera par exemple, à propos d’un site donné: est-il fait de manière professionnelle? Les textes sont-ils rédigés en une langue irréprochable? Des références sont-elles fournies? Sont-elles crédibles? Expose-t-on de manière acceptable une idée avec laquelle on n’est finalement pas en accord? Propose-t-on des arguments? Est-ce une adresse .com ou .org? Est-il possible de contacter une personne responsable du site? Et plusieurs autres semblables.
Les stratégies usuelles Tristes résultats À quelque 200 élèves du secondaire, on montre une page du web sur le réchauffement climatique tirée de la section «science» d’un magazine, puis, sur le même sujet, une page commanditée par une pétrolière et identifiée comme telle. On leur demande de dire laquelle est la plus crédible. 70% ont choisi la deuxième.
Une première et incontournable solution consiste à transmettre des savoirs, ce qui est bien entendu le rôle de l’éducation (j’allais écrire: de l’instruction…) publique. Car le fait est que pour naviguer les phares grands ouverts sur internet, posséder un grand nombre de savoirs est salutaire. Mais on ne peut tous les détenir; et il existe tant de pièges sur internet, de sites trom-
Mais cela ne fonctionne manifestement pas très bien, entre autres parce que les sites trompeurs sont bien faits et qu’ils sont parfois même conçus pour passer avec succès tous ces tests qu’on veut leur faire subir. Que faire, alors? Existe-t-il des stratégies plus efficaces que nous devrions tous connaître et enseigner dans les écoles? Les chercheurs ayant fait passer les épreuves rapportées plus haut ont eu l’heureuse idée
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d’aller voir comment, en allant sur internet, procédaient ces gens qu’on appelle en anglais des «facts checkers», des vérificateurs de faits ou d’informations. Ces personnes qui travaillent dans les médias ou pour diverses entreprises ou institutions ont un métier qui exige qu’elles soient justement capables, de manière rapide et efficace, et notamment sur internet, de départager le vrai du faux, ou du plausible. Que font ces experts? Il se trouve qu’ils utilisent couramment trois stratégies simples et efficaces.
TARTAR E S
Avis d’experts Pour commencer, les experts pratiquent ce qu’on peut appeler la «lecture latérale». Passer du temps sur un site pour en évaluer la crédibilité, on l’a vu, risque d’être peu utile et constituer une énorme perte de temps. Les experts, eux, quand ils arrivent sur un site, ouvrent plutôt rapidement d’autres fenêtres pour lire à propos du site examiné. La page de la pétrolière était bien faite et on aura du mal à en percer le secret même en y restant pour lui faire passer les tests habituels: mais en en sortant, en quelques clics, on aurait su qui était derrière. Et il en va de même pour la page sur le salaire minimum.
B U RG E RS
Ensuite, les experts utilisent Wikipédia. J’entends d’ici votre étonnement mêlé d’incrédulité. «On dit sans arrêt à nos étudiants de ne pas consulter ça!» Mais attention: si les experts vont sur Wikipédia, c’est pour en faire un bon usage. D’abord, là aussi, ils lisent latéralement; ensuite, ils consultent surtout les références et les sites proposés, en allant vers ceux qu’ils savent crédibles, plutôt que le texte de l’article; enfin, ils vont sur les pages de discussion des articles pour apprendre ce qui pose problème sur les sujets controversés. Finalement, les experts, quand ils font une recherche sur Google, pratiquent ce que l’on pourrait appeler la «modération du clic». Une tendance courante, quand on fait une recherche, est en effet de consulter les tout premiers sites que le moteur de recherche nous propose. Les experts, eux, passent plutôt du temps à examiner les URL des sites proposés et à lire les bribes de textes qui accompagnent chaque résultat. Cela fait, ils cliquent bien souvent sur des sites ne figurant que sur la deuxième ou la troisième page des résultats. Simple. Utile. Efficace. À pratiquer sans modération.
BAR CR É ATI F & N I G HTLI FE
Pour en savoir plus Pour lire sur la recherche originale, allez à [goo.gl/ xz9Xvf] et à [goo.gl/hNrqis]. Sur ce dernier site, vous trouverez des idées pour enseigner tout ça et les mettre en pratique. (C’est en anglais…) y 624, GRANDE ALLÉE EST 418.522.2225 BISTROLATELIER . COM
GASTRONOMIE 41 VOIR QC
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PRÊT-ÀCUISINER DES INITIATIVES DE CUISINE CENTRALE POURRAIENT-ELLES PALLIER LA PÉNURIE DE MAIN-D’ŒUVRE QUALIFIÉE EN RESTAURATION? ZOOM SUR UN PROJET DE QUÉBEC QUI PROMET. MOTS | MARIE PÂRIS
PHOTO | PEXELS
Ce n’est un scoop pour personne, la restauration au Québec va mal. Si le talent est bien là, les restaurateurs ont de plus en plus de difficulté à trouver des employés. Et la relève ne sera pas au rendez-vous, à voir la situation dans les écoles hôtelières: les inscriptions diminuent, les classes ferment… À l’école de Québec, cinq professeurs ne sont pas rentrés cette année. Alors que les chiffres sont pires chaque année, d’ici 2030 on annoncerait un manque de près de 29 000 emplois dans la restauration au Québec. «Il y a un certain dégoût qui apparaît chez les cuisiniers qui en sont à 80 heures de travail par semaine», commente Arnaud Marchand, chef de Chez Boulay à Québec. «Et une compétition malsaine se met en place: des membres de mon équipe se sont fait approcher dans mon propre resto par des concurrents. On s’inquiète de la situation à Montréal ou Québec, mais en Gaspésie ou aux Îles-de-la-Madeleine, c’est encore pire… Et ça devrait être comme ça pour encore au moins cinq ans.» En effet, pour les restos en régions – dont beaucoup sont fermés pendant l’hiver –, trouver des employés saisonniers est un défi encore plus grand. Bref, ça va mal. «C’est notre boulot de sauver ce métier de passion», affirme le chef de Chez Boulay, qui lance avec deux comparses (de chez La Bête et Le Fumoir ancestral) l’usine Véritable, une initiative de cuisine centrale à Québec, qui permettra aux restaurateurs et aux traiteurs du coin de gagner du temps et de l’argent sur la transformation des produits. Véritable ouvrira à l’automne ses 9000 pieds carrés de cuisine équipée dans le quartier de Limoilou, avec une vingtaine d’employés aux fourneaux. Et le trio d’associés a des champs d’expertise reconnus (gibier,
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fumage, cuisson sous vide) pour donner une valeur ajoutée. «On va faire la recette que nous donnera le client, voire développer sa recette! indique Arnaud. Même si ce n’est pas lui qui a fait le produit, il décide du goût. On va commencer avec nos charquis de bœuf, nos saumons fumés... Le but, c’est pas de remplacer le resto, c’est de l’aider en lui amenant un produit très stable. Le but, c’est de mieux travailler que dans les restos.» Une bonne approche sans trop de frais pour une start-up qui veut faire des essais avant de démarrer un produit, ou pour un resto qui a des besoins plus occasionnels.
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Le concept de Véritable repose sur plusieurs principes. D’abord, des cuisiniers partants pour travailler du lundi au vendredi de 8h à 16h, c’est plus facile à trouver qu’aux horaires traditionnels de la restauration. En outre, l’espace et la technologie offerts par Véritable – 1 500 000$ d’investissements – permettent de faire de la quantité. «On a un fumoir d’une capacité de 700 kg! explique le chef. On fait donc un certain volume qui permet de sauver en productivité. C’est l’enjeu en restauration: gagner du temps. Avec le temps que je gagne, je peux aller chercher de la rentabilité.» C’est que, quand on a les infrastructures nécessaires, il n’y a plus une grande différence entre 20 et 100 kg de joues de bœuf braisé... La production est ensuite livrée directement au client dans des boîtes isothermes. Et le fait que les bons plans et les producteurs spéciaux de Chez Boulay soient maintenant accessibles aux autres restaurateurs? «Partager mes producteurs, les mettre en avant, c’est une fierté!», assure Arnaud. La motivation originelle du trio d’entrepreneurs, c’était d’être capable de trouver une solution aux problèmes actuels de la restauration sans passer par l’intermédiaire du supermarché, et avec des produits de qualité. «Parfois, certains ont peur à l’idée de moins faire de choses eux-mêmes, et je les comprends quelque part. Mais les restaurateurs n’ont plus le choix que d’aller chercher plus de qualité de vie pour leurs cuisiniers.» C’est que le milieu de la restauration n’est pas au bout de ses peines, notamment avec les débats sur la hausse du salaire minimum à 15$. Bref, c’est le moment d’en trouver, des idées pour réduire les coûts et augmenter la productivité, conclut Arnaud. «Le besoin de nouvelles solutions est plus que jamais là...» y
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HEMINGWAY, HAMMETT, DERNIÈRE MOTS | FRANCO NUOVO
ILLUSTRATION | DREAMSTIME
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e vous ai déjà dit ma passion pour Hemingway, pour les auteurs américains du 20e siècle, pour cette génération perdue. Je n’ai pas changé d’avis. Mes sentiments et mon goût pour leurs mots sont les mêmes.
L’autre dimanche, un dimanche matin comme tant d’autres, dans le couloir désert de ce sinistre sous-sol de Radio-Canada qui mène au studio 17 où on a l’habitude de dessiner des mondes et des idées, j’ai croisé le responsable littéraire du Devoir, Fabien Deglise, que j’avais invité, comme je le fais régulièrement, à venir faire l’autopsie d’un classique. Quelques semaines plus tôt, il était venu pour me parler du Vieil homme et la mer, de son auteur et du Nobel. À cette émission-là, il avait évoqué un roman imaginant la rencontre, sur les derniers milles de leur vie, d’Hemingway et de Dashiell Hammett, considéré par plusieurs comme le père du roman noir. Ce dimanche matin, donc, dans ce couloir trop froid, Fabien, connaissant désormais mon intérêt pour cette littérature, a sorti de son sac un bouquin en me disant: «Tiens, j’ai un cadeau pour toi.» C’était Hemingway, Hammett, dernière de Gérard Guégan, un écrivain, journaliste et scénariste français que je ne connaissais pas. Guégan, ai-je découvert par la suite, a écrit sous de nombreux pseudonymes, travaillé à L’Humanité, aux Cahiers du cinéma, côtoyé Rivette, Godard, traduit Bukowski. Bref, il a fait beaucoup de choses. Ah oui! Fait non négligeable, il a été communiste avant de rompre avec l’idéologie. Quand j’insiste sur «communiste» et «non négligeable», c’est que dans ce roman, ce mélodrame imaginant la rencontre de ces deux géants, le communisme se retrouve au centre de l’intrigue. Guégan y relate les retrouvailles de deux écrivains, camarades du parti, qui ont foulé
l’Italie, l’Espagne et mené une vie baignée d’alcool et de nuits folles. Ils se sont éloignés, disputés, fâchés. Détestés par les maccarthystes qui voyaient en eux des suppôts de Satan, bien installés dans la mire de Hoover, suivis par le FBI, ils sont devenus à leur tour des personnages de roman. Guégan ancre son récit en 1956, soit quelques années avant la mort des deux hommes. Les années ont passé. Maganés par une vie dissolue, ils portent sur leurs épaules, en pliant à peine les genoux, les guerres, les affrontements, les rivalités politiques et littéraires de tout un siècle, et leurs jalousies aussi. Comme dans la fable, sentant probablement sa mort prochaine, un riche Hemingway part à la recherche de Hammett, son vieil ami. Oui, ami malgré tout. Il prend la route à bord d’un taxi conduit par une magnifique femme noire. Il retrouve Hammett, cogne à sa porte. Et les voilà tous deux face à face, face à leur passé, à leurs histoires, à leurs altercations. Dans ce roman au style saccadé, construit presque comme le scénario d’un film où coulent et découlent les scènes, on plonge en plein 20e siècle. On y retrouve les événements, les guerres, les idéologies et les personnages qui l’ont façonné. Staline et Hoover passent et repassent. Flaubert et Stendhal font un saut dans le temps. Aragon et Sartre apparaissent et disparaissent. On assiste à un corps-à-corps. Dans des situations inventées, imaginées et modelées sur la personnalité de ces deux hommes hors-norme. Dès les premières pages, j’ai été happé, intrigué par le style de Guégan. Je ne savais pas où il voulait m’entraîner ni ce qui était vrai et ne l’était pas. La désillusion aussi se creuse une place dans ce roman à travers l’effondrement des idées et des régimes, à travers aussi les trahisons.
J’y ai vu également le mélodrame de la vie que cause l’inéluctable vieillesse, celle du corps plus que celle de l’esprit, bien que l’esprit en subisse inévitablement les contrecoups. Ces deux géants ne sont plus ce qu’ils ont été physiquement et moralement. Ils ont perdu confiance et n’ont plus l’énergie de leur talent. Ils marchent, boitillent, se blessent, bien que pour le fier Hemingway se fouler la cheville ne soit pas une blessure. S’accrochant malgré tout à leur bouteille, l’un subit les maux de sa prostate et l’autre les affres d’une dépression qui le guette. La faucheuse est présente sous la forme d’un révolver, d’un pistolet ou de la maladie. Une vie d’aventure, c’est court quand la mort est au bout. C’est ça que raconte Guégan, les dernières années, les derniers moments avant la fin. En appendice, Guégan nous rappelle que Dashiell Hammett est mort le 10 janvier 1961 d’un cancer du poumon dans la chambre 823 du Lennox Hill Hospital. Et qu’Ernest Hemingway, lui, s’est suicidé le 2 juillet de la même année. Parce que même les géants finissent par tomber. y Hemingway, Hammett, dernière Gérard Guégan Gallimard, coll. «Blanche» 2017, 240 pages
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Sur les rayons
L’HABITUDE DES BÊTES LISE TREMBLAY Les éditions du Boréal, 2017, 168 pages Après son récit intimiste Chemin Saint-Paul, Lise Tremblay revient à la fiction avec son court roman L’habitude des bêtes, où elle tente de sublimer l’histoire de la chasse pour mieux comprendre la tension des hommes lorsqu’on empiète sur des territoires aux frontières tout aussi imaginaires qu’ancestrales. Plaçant son histoire au nord de son Chicoutimi natal, Tremblay revient sur des terres qu’elle connaît trop bien. On retrouve ici le talent de l’auteure de La héronnière pour créer rapidement et efficacement un village où tous semblent être beaucoup plus que ce qu’ils laissent voir. Ainsi tentera-t-elle de cerner l’habitude des bêtes que nous sommes.
Bistrot Corse
Docteur Ouellette est dentiste à la retraite. Divorcé, il décide de s’installer pour de bon dans son chalet, sur le flanc de la montagne, avec son vieux chien Dan. Au fil des pages, Lise Tremblay fait vivre une galerie de personnages où tout le monde tient un rôle bien précis. Chaque jour, le docteur marche jusqu’au lac, près de chez Mina chez qui il arrête. Ancienne propriétaire du dépanneur du coin, elle se gave désormais à même les chaînes de nouvelles en continu, mais ne manque aucune rumeur du village. La plus persistante est celle du retour des loups dans le parc, à quelques jours de l’ouverture de la chasse. Ce temps de l’année où l’homme civilisé laisse place à la bête en lui. Lorsqu’on croise les chasseurs au village, leurs regards hagards laissent présager le pire et, lentement, l’information circule comme quoi un groupuscule tenterait de braconner les loups qui attaquent sans gêne chevreuils et orignaux. Même si la tension monte dans le village et que le commérage ne semble que vouloir remettre de l’huile sur le feu, Lise Tremblay se joue habilement de ce faux suspense pour plonger au fond des hommes qui prennent place de près ou de loin dans le conflit. La concision que maîtrise Tremblay dans son dernier livre nous laisse pourtant ici un peu sur notre faim. Bien que l’on comprenne qu’elle ne veut pas se jouer des violences, mais plutôt de ce qui la génère, que l’entreprise est ailleurs, reste qu’on a l’impression qu’on aurait pu pousser quelques personnages plus loin. Si la trame narrative autour de la mort prochaine du chien Dan nous émeut, celle avec la fille du docteur Ouellet en pleine crise identitaire nous semble ici superflue et aurait pu être développée dans une autre entreprise littéraire. (Jérémy Laniel) y
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Z E S I M O N ÉCO $ Sur les rayons
ZABOR OU LES PSAUMES KAMEL DAOUD Actes Sud, 2017, 328 pages Kamel Daoud publiait l’année dernière Mes indépendances, recueil de ses chroniques tenues dans le Quotidien d’Oran, le quotidien le plus lu d’Alger. Ce sont ces mêmes chroniques qui sont à l’origine d’une fatwa et de menaces de mort contre lui. Son premier roman, Meursault contre-enquête (une réécriture de L’étranger de Camus de point de vue de la famille de l’Arabe assassiné sur la plage), fut finaliste au Goncourt et lauréat du Goncourt du premier roman. Il revient avec Zabor ou Les psaumes, un roman où l’écrivain expose sans gêne son rapport romantique et total à l’écriture. Dans une société où tous semblent refouler désirs et envies, Zabor se questionne sur la liberté par l’écriture et la littérature. Fils du boucher du village, Zabor est l’enfant dont on a honte, celui qui a toujours le nez dans les bouquins à défaut de rester les yeux bien collés sur le livre sacré. Vivant un peu reclus du village avec une tante vieille fille, il passe ses journées à lire et à écrire, à remettre en question l’ordre des choses et à trouver le sublime à même les mots. Alors que plusieurs baissent le regard en le croisant dans la rue, ils sont plusieurs, le soir tombé, à venir à sa porte quémander ses services, car l’écriture sauve des vies. Bien que la formule soit galvaudée, ici c’est exactement ce dont il est question. Lorsque Zabor se retrouve au chevet des mourants, il écrit des nuits durant, éloignant la mort et peuplant ainsi la ville d’une étrange proportion de centenaires. Avec une prémisse particulière, le roman de Daoud laisse se déplier une langue riche et envoûtante, les phrases partent en vrilles, les aphorismes se découvrent au détour des pages, laissant Daoud exprimer haut et fort son besoin de littérature. Livre-plaidoyer, Zabor ou Les psaumes est d’abord celui d’un homme qui a décidé de ne pas se taire, celui d’un écrivain qui trouve dans la fiction une liberté plus grande que dans les chroniques. Car si, comme le dit Zabor, «la langue est le versant impétueux du silence», Daoud n’hésite pas ici à aborder les tabous d’une société qu’il n’a jamais eu peur de critiquer: la sienne. Tantôt vindicatif, tantôt sulfureux, mais toujours habilement littéraire, Zabor ou Les psaumes se lit comme une charge en règle, comme une fête, comme un souffle, comme un conte; une entreprise tout aussi ambitieuse qu’ingénieusement menée. (Jérémy Laniel) y
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ELLE PARTAGE SON TEMPS ENTRE MEXICO ET QUÉBEC, ENTRE FRESQUES GÉANTES ET PETITS FORMATS. CYRIELLE TREMBLAY EST DE LA SEPTIÈME ÉDITION DE CANADIAN BACON, CETTE EXPO TOUTE SPÉCIALE QUI AURA LIEU DANS UNE MAISON DU QUARTIER SILLERY. MOTS | CATHERINE GENEST
ŒUVRES | CYRIELLE TREMBLAY
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La mystérieuse résidence, particulièrement grande à ce qu’on raconte, est vide et vouée à la démolition. Le sort du bâtiment était déjà scellé quand Phelipe Soldevila, grand chef du collectif à géométrie variable, a entrepris de le transformer en laboratoire artistique. Un projet «capoté, capoté, viré su’l top», pour citer les poètes bas canadiens d’Alaclair Ensemble, d’une ampleur sans précédent pour le groupe de plasticiens. À l’instar de Catherine McInnis, Kaël Mercader, Samuel Breton et Pishier, pour ne nommer qu’eux, Cyrielle Tremblay verra son travail exhibé dans cet écrin des plus farfelus. Une myriade d’acryliques sur bois teintés de bleu, d’écru et de vieux rose, «principalement des portraits qui côtoient des abstractions». Réalisme et non-figuratif se côtoient tout naturellement dans la pratique de la peintre. «Ça vient alimenter mon obsession pour les contrastes au sein d’un même élément ou d’une même entité, confie-t-elle. C’est un peu une des lignes directrices de mon processus [créatif], au niveau conceptuel.» On reconnaît les personnages de Cyrielle Tremblay à leurs yeux mi-clos, ce regard qui évoque à la fois le bien-être et la fatigue, l’exaltation des sens et le sommeil qui nous guette. Tous ses protagonistes semblent plongés dans ce même état d’esprit indescriptible mais enjôleur. «C’est comme ça que ça sort et c’est probablement dû à mon background en dessin et en illustration. C’est vrai que ça donne peut-être un air un peu dreamy, une vibe poétique. […] Dans ma propre lecture, je pense juste que c’est comme un clash avec ma personnalité. Ceux qui me connaissent savent que je suis plutôt du genre up beat, hop-la-vie. J’en reviens aux oppositions qui me suivent partout! Ça vient équilibrer.»
Fleur de bitume Lorsque ses œuvres ne tapissent pas les murs des chics demeures de la Haute-Ville, la Québécoise peint essentiellement à l’extérieur, en pleine rue. C’est ce qui la ramène toujours au pays de Frida. «Le Mexique a une tradition de muralisme super forte avec des gros noms de l’histoire de l’art qui en ont fait. La population en général y est donc initiée, il y a plein de festivals, de projets communautaires ou gouvernementaux. Et si tu veux te taper un petit mur avec des amis un dimanche après-midi, t’as souvent juste à trouver un spot et à aller cogner chez les proprios qui sont souvent bien contents. Dans les barrios, il y a plein de maisons en béton vierge, donc ça fait leur affaire!» Aussi graphiste de son état, une formation universitaire qui transparaît «surtout en matière de composition», Cyrielle Tremblay ne se cantonne pas dans un seul style ou médium. Elle prend des risques, expérimente énormément. «Je suis en constant apprentissage et je n’ai pas la prétention de maîtriser quoi que ce soit encore… à part l’espagnol, peut-être!» y Canadian Bacon: Flip/Flop 17 au 19 novembre 2391 Marie-Victorin à Sillery
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VO2 #11
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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE
LE BS CORPO Je jouis d’une réputation et d’une notoriété enviables, fruit de 25 ans de travail acharné qui a permis la création ou l’expansion de plus d’une vingtaine d’entreprises. J’ai participé directement à la création de plus de 2000 emplois au Québec. J’en suis très fier. Depuis un an, les radios de Québec m’accusent d’être un BS corporatif, un téteux de subventions, un ultra-subventionné. Pas occasionnellement. Je reçois les clips médias me citant chaque jour. C’est une moyenne de 20 mentions par semaine. Certains journaux en rajoutent, sans nuance. C’est devenu un fait. Si vous saviez le nombre de messages haineux que je reçois de gens qui gobent ces paroles comme étant celles de l’évangile, vous resteriez saisis. Tout y passe. La dernière salve en règle a été formulée à la suite d’une proposition pour que la subvention pour l’achat de véhicules électriques utilisés par l’industrie du taxi soit majorée de 8000$ à 15 000$. On a passé sous silence que cette demande a été soumise par le regroupement représentant la majorité des intermédiaires de taxi au Québec, parce que c’est plus sensationnaliste de jouer Téo à la une en y adjoignant ma photo. Je me suis dit qu’il était peut-être temps d’expliquer à quoi servent les crédits d’impôt. Si des fonctionnaires déterminent qu’il est utile de mettre en place un programme de soutien, ce n’est pas pour enrichir leurs «petits amis», mais bien pour encourager des secteurs ou des comportements que l’on estime importants pour notre société. Prenons l’exemple précédent. L’argent pour subventionner les véhicules électriques provient du Fonds vert, un fonds qui se remplit par les crédits carbone générés par le Québec et qui sont vendus sur la bourse du même nom. En gros, quand une province ou un État met en place des mesures de diminution d’émissions de GES, il peut vendre ses diminutions (ou crédits) à un marché qui les achète pour compenser son inefficacité. Le Québec a généré
des milliards de dollars de recettes provenant de ces ventes. Ces sommes doivent être réinvesties dans des initiatives de réduction de ces émissions. La tonne de GES se vend autour de 20$ sur le marché du carbone. On estime qu’un véhicule d’un particulier va en éviter la génération d’environ 4 tonnes par année. Sur une durée de vie de 5 ans, c’est donc 20 tonnes qui ne seront pas émises. La subvention que l’État octroie est donc d’environ 325$ par tonne économisée (le 8000$ inclut la TPS et la TVQ). Un taxi va rouler environ 100 000 km par année et émettre 5 fois plus de GES qu’une voiture personnelle. Même en doublant la subvention pour un véhicule commercial, la tonne de GES coûterait le tiers du prix d’une voiture individuelle (20 tonnes x 5 ans = 100 tonnes / 12 500$ ÷ par 100 = 125$). C’est pourquoi l’industrie a proposé d’augmenter la subvention pour elle. Cette logique devrait s’appliquer à toutes les flottes commerciales: taxis, mais aussi camions de livraison, camions lourds, bref, tout véhicule qui pollue lourdement. Le secteur du transport émet 41% de nos GES annuellement. Nous visons une réduction de 37,5% de nos GES, basée sur les niveaux produits en 1990 d’ici 2030; 13 ans pour réduire nos émissions d’environ 25 millions de tonnes de GES annuellement. Vous avez bien lu. Certains attaquent le programme de crédit de GES. Selon eux, le programme de GES ne serait pas ren table parce que nous pouvons acheter des crédits carbone pour moins cher. Ce raisonnement n’est pas dénué de logique. Pourquoi payer 300$ une tonne alors qu’on peut l’acheter 20$ sur le marché? Il est important de noter que le programme mis en place n’est pas unique au Québec. Il est offert dans de nombreux autres États et provinces dans le monde – en Ontario (où le crédit est à 12 000$) et en Norvège, mais aussi dans plusieurs États américains. La logique en est une de développement de bonnes
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ARTS VISUELS 51 VOIR QC
habitudes. Les subventions ne seront pas en place éternellement. Le prix des batteries diminue et le choix deviendra alors évident: une voiture électrique coûtera moins cher qu’une voiture à essence dans les 5 prochaines années. Si vous cherchez à calculer le vrai retour sur investissement pour la société, il faut considérer des facteurs intangibles, l’effet d’entraînement par exemple, mais aussi d’autres aspects: le prix de la tonne va monter dans les prochaines années, certains disent 50$, d’autres 100$... On doit aussi miser sur le fait qu’essayer l’électricité, c’est l’adopter. Si 80% des gens qui ont acheté une voiture électrique en rachètent une, sans subvention, dans 5 ans, il faut inclure ça dans le calcul. Mais avant tout, il faut se rappeler que nos programmes sont payés par les sommes recueillies par les crédits que nous obtenons en diminuant nos émissions… Le Québec est devant l’une des plus belles possibilités: celle d’éliminer notre dépendance à l’énergie fossile. Nous ne produisons aucun pétrole et devons en importer à hauteur de plus de 12 milliards de dollars chaque année. Il s’agit du plus important facteur affectant négativement notre balance commerciale. On se doit de s’attaquer à ce problème et y consacrer l’attention requise.
VO2 #11
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Tous les programmes de subvention tablent sur des logiques similaires: comment stimuler des secteurs économiques qui créeront des emplois bien rémunérés? Comment encourager des investissements qui entraîneront des répercussions positives pour notre communauté? Si la société investit un certain montant et en retire davantage, que ce soit en impôts, en taxes diverses ou en crédits verts, elle a la capacité de le faire. Il s’agit d’un levier économique puissant. C’est sur cette base que devraient être analysés les programmes en place. Certains mériteraient certainement d’être revus. Mais s’attaquer à tout programme de subvention relève de l’idéologie libertarienne, la même qui privatiserait aussi nos systèmes de santé, nos écoles et j’en passe. C’est aussi nier à quel point qu’il s’agit d’un levier utilisé ad nauseam par d’autres nations – les États-Unis figurant à l’avant-plan. Sans programme de subvention, point de Boeing, de Tesla ou d’Amazon. C’est facile de casser du sucre sur le dos des entreprises d’ici, ça fait de la belle chair à offrir. Enfoncer les gens dans un analphabétisme économique, c’est aussi ça, le populisme. y
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QUOI FAIRE
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PHOTO | CARL LESSARD
MUSIQUE
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MARTHA WAINWRIGHT
HUU BAC QUINTET
JEAN-MICHEL BLAIS
L’ANGLICANE – 9 NOVEMBRE
PALAIS MONTCALM – 10 NOVEMBRE
GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC - 30 NOVEMBRE
Elle est tellement plus que la sœur de Rufus, la fille de Kate et de Loudon, tellement plus que l’héritière d’une dynastie folk. Martha Wainwright est une auteure-compositrice d’exception, une interprète qui vient chatouiller nos tripes.
Le Montréalais Huu Bac a étudié la guitare jazz à McGill avant de se tourner vers le dàn bâu, un instrument monocorde du Vietnam, son pays d’origine. Aujourd’hui, le polyvalent musicien crée une musique fusion à mi-chemin entre le Pérou et la Chine, le Vietnam et le royaume de l’érable.
Vous aimez Chilly Gonzales? Les compositions de Jean-Michel Blais vous plairont certainement. Comme son compatriote, le pianiste montréalais s’inspire des minimalistes (Glass, Satie) pour créer des pièces instrumentales empreintes d’une belle sensibilité pop.
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DANIEL BÉLANGER
UN VÉRITABLE INCONTOURNABLE À LÉVIS!
GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC – 17 NOVEMBRE
Sa bohème ne s’est jamais usée. Aussi addictive que l’opium qu’il nous sert depuis un quart de siècle, la discographie de Bélanger s’est récemment enrichie d’une nouvelle offrande: Paloma. Un bouquet de chansons dont on s’enivre.
MEN I TRUST LE CERCLE – 22 NOVEMBRE
Auparavant considéré comme une simple curiosité de la vaste scène alternative de Québec, le trio Men I Trust s’impose de plus en plus comme une révélation électro à l’échelle nationale. Porté par les mélodies éthérées de Dragos Chiriac, le groove de Jessy Caron et la voix douce d’Emmanuelle Proulx, le groupe sera accompagné par le groupe pop lo-fi Toddler.
ANTOINE CORRIVEAU THÉÂTRE PETIT CHAMPLAIN/MAISON DE LA CHANSON – 24 NOVEMBRE
Le doppelgänger vocal de Daniel Lavoie est l’architecte d’un folk écorché qui redresse le duvet de nos bras, qui gonfle nos gorges. De sombres chansons qui apaisent autant qu’elles marquent au fer rouge.
DÉLICES
d'ailleurs et d'ici
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www.auxptitsoignons.ca PHOTO | LEPETITRUSSE
45, AVENUE BÉGIN, LÉVIS 418 835-1816
PHOTO | BARRERE & SIMON
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POLO & PAN LE CERCLE – 16 NOVEMBRE
Paul Armand-Dellile (Paulo) et Alex Grynzpan (Pan) créent une musique séduisante qui donne envie de se délier les jambes. Un riche mélange d’afrobeat dans les percussions, de sonorités expérimentales à la manière de Jacques, de house filtrée typiquement française, de xylophone enfantin et de textes poétiques dans la langue de Molière. Sophistiqué et accessible!
DARAN
THE HUNTERS
LE CERCLE – 7 NOVEMBRE
L’ANTI – 24 ET 25 NOVEMBRE
Le Franco-Québécois signe un neuvième disque dans l’air du temps, alliant sonorités de guitare et bidouillages électroniques, «une certaine vision humaniste des choses» et constats cyniques. Une œuvre forte.
Avant Caravane, il y avait The Hunters. Plus rock, voire carrément incisive, la musique du premier groupe de Dominic Pelletier et sa bande aura résonné à Québec pendant 12 ans. Prêts à tirer la plogue, les membres du quatuor nous offrent ces deux concerts d’adieu.
ALACLAIR ENSEMBLE, KING ABID
KLÔ PELGAG
LA SOURCE DE LA MARTINIÈRE
L’ANGLICANE – 2 DÉCEMBRE
24 NOVEMBRE
Les Frères Cueilleurs sont en ville! Passé au rang de groupe culte pour les milléniaux, le boys band bas-canadien compte bien faire dodeliner les Limoulois avec ses textes aussi drôles que remplis de références culturelles et historiques. Première partie: King Abid.
Créative, libre, terriblement talentueuse. L’auteure-compositrice-interprète s’est inspirée des écrits de Boris Vian pour modeler un univers empreint d’une douce folie, le plus beau véhicule qui soit pour ses chansons de chambre à la fois absurdes et touchantes.
KARIM OUELLET
DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU CERCLE - LAB VIVANT LE CERCLE – 11 NOVEMBRE
Le Cercle - Lab vivant célèbre son dixième anniversaire en compagnie du chanteur Karim Ouellet, du DJ High Klassified, du rapper Lou Phelps, de Fred Everything et la formation 5 for Trio ! Une soirée remplie d’invités surprises et de musique où la gastronomie se manifestera dans tous les lieux du Cercle!
LES HAY BABIES
BETTY BONIFASSI
THÉÂTRE PETIT CHAMPLAIN/
L’ANGLICANE – 23 NOVEMBRE
MAISON DE LA CHANSON – 3 DÉCEMBRE
C’est un projet transcendant. La vibrante Betty Bonifassi a déterré quelques-uns des plus beaux chants d’esclaves à ne jamais avoir été composés. Des hymnes à la résilience qui consolent, des pièces intemporelles d’une force inouïe.
Le trio acadien a fait équipe avec le même Pierre-Guy B. que dans la pièce de Soldevila pour la réalisation de son plus récent disque, La 4ième dimension. Des chansons tendres, mais qui ne donnent pas dans la mollesse.
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LECTURE PUBLIQUE LE POUVOIR D’INTIMIDER
PHOTO | KARINE BAUDOT
TAM TAM CAFÉ - 1ER DÉCEMBRE 2017
Octobre 1969, au Palais de justice. La cour entend l’appel d’un acteur dont la copine a été assassinée par des partenaires de scène. Une pièce écrite, mise en lecture et interprétée par Luc J. Vigneault. Au Tam Tam Café, 421, boulevard Langelier, Québec. Entrée libre, contribution volontaire. Info: 418-523-9486 ou sur marteau_5@hotmail.com
vous n’avez pas encore réservé ?
SCÈNE
PARTY DES FÊTES
CONFIDENCES SUR L’OREILLER SALLE ALBERT-ROUSSEAU – 5 NOVEMBRE
Dulcinée Langfelder & Cie sonde notre subconscient dans ce nouveau spectacle inspiré par les rêves. Une proposition multidisciplinaire et poétique, une rencontre entre mouvements et images présentée par La Rotonde.
LE CAS JOÉ FERGUSON THÉÂTRE DU TRIDENT – JUSQU’AU 25 NOVEMBRE
La prolifique auteure Isabelle Hubert place un meurtrier campagnard de 19 ans au cœur de sa nouvelle histoire, un personnage qui sera vraisemblablement incarné par le comédien Steven Lee Potvin. De solides comédiennes lui donneront par ailleurs la réplique: Sylvie Drapeau, Valérie Laroche et Joëlle Bond.
DES ARBRES THÉÂTRE DU CONSERVATOIRE D’ART DRAMATIQUE DE QUÉBEC JUSQU’AU 11 NOVEMBRE
Inscrite à la programmation du Périscope, mais relocalisée en raison des interminables travaux de rénovation du théâtre, cette adaptation québécoise du texte de Duncan Macmillan sera finalement jouée dans la cité intra-muros. En vedette: Sophie Cadieux et Maxime Denommée.
PRÉFÈRE NOVEMBRE SALLE ALBERT-ROUSSEAU – 21 AU 24 NOVEMBRE
Le maître farceur Louis-José Houde revient à la charge avec «l’œuvre qui [lui] ressemble le plus», un one-man-show tout frais dans lequel il se risque à quelques blagues à caractère social.
JULIEN LACROIX ET MEHDI BOUSAIDAN THÉÂTRE PETIT CHAMPLAIN/MAISON DE LA CHANSON – 29 NOVEMBRE AU 2 DÉCEMBRE
Tout comme Virginie Fortin et Mariana Mazza l’avaient fait il y a quelques années, les jeunes humoristes Julien Lacroix et Mehdi Bousaidan joignent leurs forces le temps d’une tournée qui, après avoir été initiée à Zoofest cet été, se poursuit partout au Québec. Entre l’humour noir et rose du premier et celui plus cinglant du deuxième, ce programme double s’annonce mémorable. >
Restaurant CUISINE ESPAGNOLE º TAPAS º GRILLADES º FRUITS DE MER 595, Grande-Allée Est, Québec QC 418 521·2373
COPAS.CA
PHOTO | MARIANNE PLAISANCE
QUOI FAIRE 57 VO2 #11
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CINÉMA
VOIR QC
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MURDER ON THE ORIENT EXPRESS
THOR: RAGNAROK
ROMAN J ISRAEL, ESQ.
EN SALLE LE 10 NOVEMBRE
EN SALLE LE 3 NOVEMBRE
EN SALLE LE 10 NOVEMBRE
Dans un huis clos enfermant tout un groupe de passagers dans le célèbre train de l’Orient-Express, un meurtre sordide vient tout juste d’être commis. Le célèbre détective belge Hercule Poirot, heureusement à bord, mènera une enquête où personne n’est écarté comme suspect, et où les apparences peuvent assurément être trompeuses.
Dans ce troisième opus de la saga du dieu du tonnerre de l’univers Marvel, Thor devra faire face à Hela, la déesse des morts. Exilé à l’autre bout de l’univers sans son marteau de légende, il devra redoubler d’adresse pour retourner à Asgard avant que Ragnarok, l’apocalypse, ne se produise.
Ce thriller dramatique prend place dans le système de cour criminelle surchargée de Los Angeles. Roman Israel, un avocat de la défense idéaliste et motivé, se retrouvera pris dans une situation de crise après qu’une série d’événements tumultueux viennent brasser les fondations mêmes de la firme pour laquelle il travaille. Il devra alors faire des choix extrêmes.
DOUBLE PEINE
EN SALLE LE 17 NOVEMBRE
MOLLY’S GAME
EN SALLE LE 3 NOVEMBRE
Le jeune August Pullman est né avec une malformation au visage qui l’a empêché d’aller à l’école jusqu’ici. Entrant finalement au primaire à l’école de son quartier, il devra confronter tout autant ses nouveaux camarades que sa famille à leurs propres limites, leur générosité et leur étroitesse d’esprit. À travers cette quête humaine, il finira par unir les gens autour de lui.
EN SALLE LE 22 NOVEMBRE
WONDER
Dans ce documentaire déchirant réalisé par Léa Pool, on fait le portrait d’enfants laissés pour compte alors que leurs parents ont été incarcérés. De pays en pays, on pose les questions suivantes: quel est le sort réservé à ces enfants et quels sont leurs droits? Est-ce que l’aide qu’ils reçoivent est suffisante?
Ce film présente l’histoire véridique de Molly Bloom, une jeune et belle skieuse de calibre olympique qui a tenu pendant une décennie complète une série de parties de poker extrêmement exclusive. Ses joueurs comprenaient des stars d’Hollywood, des vedettes du sport, des magnats de la finance et, finalement, à son insu, la mafia russe.
58 QUOI FAIRE VOIR QC
VO2 #11
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Plus qu’une épicerie traiteur!
C’est aussi un espace café où savourer de délicieux plats, salades, croissants, sandwichs et desserts, où tout est préparé p dans notre cuisine.
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ARTS VISUELS
Heure d’ouverture de 7h à 18h De 7h a 19h les jeudis et vendredis
PHOTO | ANDRÉ CORNELLIER
DALLAIRE: DE L’IDÉE À L’OBJET MUSÉE DE LA CIVILISATION DE QUÉBEC 6 DÉCEMBRE 2017 AU 26 AOÛT 2018
C’est lui qui a dessiné la torche olympique des Jeux de Montréal en 76, lui qui a créé le BIXI. Michel Dallaire est un designer industriel de légende et l’institution muséale sise dans le Vieux-Port de Québec lui dédie toute une expo.
MITCHELL/RIOPELLE MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC JUSQU’AU 7 JANVIER 2018
Lui, on l’étudie dès la petite école, dans les cours d’arts plastiques. Elle, on ne la connaît pas tellement. Et pourtant! Michel Martin, commissaire passionné et spécialiste des automatistes, nous raconte la longue histoire d’amour de Jean-Paul Riopelle et Joan Mitchell à travers leurs toiles.
THING LA BANDE VIDÉO – JUSQU’AU 26 NOVEMBRE
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Plasticienne et vidéaste à la fois, la Belge Anouk De Clercq s’est vue offrir des vitrines au Tate Modern de Londres et au Centre George-Pompidou à Paris. Pour son passage dans la Vieille Capitale, l’artiste multidisciplinaire nous invite à explorer sa ville imaginaire. Onirique.
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