Magazine Voir Québec V03 #01 | Janvier 2018

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QUÉBEC VO3 #O1 | JANVIER 2O18 CAP SUR L’ALLEMAGNE QUÉBÉCOISE QUAND LA PLUIE S’ARRÊTERA OLIVIER ARTEAU TRAME SONORE DE 2O18 ARTHUR H JASON BAJADA LABRECQUE, UNE CAMÉRA POUR LA MÉMOIRE ANTOINE NESSI LES QUÉBÉCOIS DU VIN FRANÇAIS

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LES SCÈNES FORTUITES


parce que le monde a besoin d’artisans-créateurs

Isabelle Prévost, Tranche de vie, 2013 (photo : Étienne Dionne)

La Maison des métiers d’art de Québec (MMAQ) est un centre de formation, de création et de recherche en céramique, en sculpture et en textile.

Un milieu de vie et de travail unique en son genre

Vingt-cinq ateliers, vastes, ensoleillés et très bien équipés, répartis sur sept étages, en plein cœur du dynamique quartier Saint-Roch, à Québec.

Une programmation d’activités spécialisées et pour tous • Formation collégiale (avec le Cégep Limoilou) • Classes de perfectionnement pour les artisans • Conférences • Ateliers grand public (niveaux débutant, intermédiaire et avancé) • Camps d’été (pour les jeunes et les adultes)

À la MMAQ, savoir-faire ancestral et innovation se conjuguent dans un seul but : contribuer à l’essor des nouvelles pratiques en métiers d’art. Parce que le monde a besoin d’artisans-créateurs.

« Grâce à ma formation en céramique, je crée des objets décoratifs qui mélangent mon vécu et mes émotions, en façonnant des formes de façon intuitive. Être céramiste est une façon extraordinaire de vivre sa vie. L’argile est pour moi le meilleur outil pour exprimer mes idées, mes passions et vivre chaque instant en restant connectée avec la matière. » Isabelle Prévost (DEC Techniques de métiers d’art - option Céramique)

Maison des métiers d’art de Québec 367, boul. Charest Est Québec (Québec) G1K 3H3 | 418 524-7337

mmaq.com


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J’investis dans le REER sans pétrolière de la Caisse d’économie solidaire

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Karel Mayrand, écologiste

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QUÉBEC | JANVIER 2018

RÉDACTION

PUBLICITÉ

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Coordonnatrice à la rédac­tion et journaliste: Catherine Genest Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections restos, mode de vie et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnateur des contenus: René Despars Correctrice: Marie-Claude Masse

Vice-présidente - Ventes: Valérie Brasseur Stratège média: Geneviève Fabio Directeur, solutions médias - Ventes régionales: Jean Paquette Adjointe aux ventes: Karyne Dutremble Conseillers aux solutions médias: Lucie Bernier, Patrick Carrier (agences), Mizia Émond-Lavoie (comptes majeurs), Suzie Plante.

COLLABORATEURS

Transmet / Diffumag 514 447-4100

Émilie Rioux, Philippe Couture, Nicolas Gendron, Mickaël Bergeron, Ralph Boncy, Franco Nuovo, Réjean Beaucage, Christine Fortier, Monique Giroux, Normand Baillargeon, Jérémy Laniel, Alexandre Taillefer, Eric Godin

COMMUNICATIONS VOIR

OPÉRATIONS / PRODUCTION Vice-Président - Production et Technologies: Simon Jodoin Chef de projets web: Jean-François Ranger Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas Développeur et intégrateur web: Emmanuel Laverdière Développeur web: Maxime Larrivée-Roy Contrôleuse: Yen Dang Coordonnateur technique: Frédéric Sauvé Service à la clien­tèle: Sophie Privé Directrice - Production: Julie Lafrenière Directeur artistique: Luc Des­chambeault Infographie: René Despars

PHOTO COUVERTURE Jocelyn Michel | leconsulat.ca

DISTRIBUTION

Président: Michel Fortin Vice-président: Hugues Mailhot Impression: Transcontinental Interweb VOIR est distribué par Communications Voir inc. © 2018 Communications Voir inc. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920 Convention de la poste-publications: No 40010891 771, rue Saint-Joseph Est, bureau 205. Québec, Qc G1K 3C7 Téléphone général: 418 522 7777 Télécopieur: 514 848 0533

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«JE VOULAIS QUELQUE CHOSE PRÈS DE LA BD – CHARLIE BROWN AVEC UN NUAGE SUR LA TÊTE –, MAIS AVEC DU VRAI MONDE. » Photo | Jocelyn Michel (Consulat) Assistants | Julien Grimard, Frédérique Duchesne Stylisme | Amanda Van Der Siebes Maquillage / coiffure | Léonie Lévesque & Josianne Cournoyer Accessoires (nuages) | Taos-Daphné Houasnia Production: Sébastien Boyer (Consulat)

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SCÈNE

Cap sur l’Allemagne québécoise Quand la pluie s’arrêtera Olivier Arteau

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MUSIQUE

Trame sonore de 2018 Jason Bajada Arthur H

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CINÉMA

Labrecque, une caméra pour la mémoire

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ART DE VIVRE

Les Québécois du vin français

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LIVRES

Ma mère avait raison

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ARTS VISUELS

Antoine Nessi

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QUOI FAIRE

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p16) Monique Giroux (p32) Normand Baillargeon (p42) Alexandre Taillefer (p52)

Sarianne Cormier, Mickaël Gouin, Éric Bernier, Guillaume Lambert, Jean-Carl Boucher, Valérie Cadieux et François Perusse


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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

LA SAGESSE DE L’ESCARGOT ILLUSTRATION | ERIC GODIN

C’est un bien curieux revers que l’année 2017 allait nous offrir. Elle commençait avec une tragédie, cette fusillade dans une mosquée de Québec. On a compris plus tard que ce drame n’allait pas seulement devenir la nouvelle de l’année, mais aussi celle de la décennie. Selon Influence Communi­ cation, qui compile depuis 10 ans le poids des dépê­ ches qui tapissent notre univers médiatique, aucune histoire n’avait provoqué autant de bruit depuis la catastrophe de Lac-Mégantic. Plus une nouvelle est reprise, commentée, diffusée, plus elle a du poids. On parle ainsi de «poids média». Le poids média. Je ne sais si on aurait pu choisir une meilleure expression. Car le poids, comme chacun le sait, c’est une force, une pression qui pousse vers le bas. Plus vous avez du poids, plus vous êtes lourd, plus vous êtes pesant. On n’imagine pas qu’une nouvelle légère puisse avoir du poids. C’est là un grand drame de l’univers médiatique. Pratiquement toutes les nouvelles qui pèsent dans la balance sont lourdes. Mais je m’égare, car je voulais vous parler de ce revers qui s’est joué à la toute fin de l’année. Un autre grand titre allait marquer les esprits. Mi-décembre, TVA mettait la table pour une grande polémique. Vous connaissez l’histoire. C’est à propos d’une mosquée, encore. Des religieux, disait-on, auraient exigé qu’aucune femme ne travaille sur un chantier de construction voisin afin de ne pas déranger les hommes dans leur prière. La journaliste, armée

d’une certitude téméraire, hurlait avoir des preuves écrites noir sur blanc. C’était la totale. Ceux qui ont autorisé la diffusion de ce reportage bidon avaient sans doute oublié que la nouvelle de la décennie dont je vous parlais plus haut pesait une tonne et quart, et c’est avec une légèreté déconcertante qu’ils ont allumé la mèche du bulletin de nouvelles. Du beau travail de saucisse. On a su plus tard que ces preuves n’existaient pas, que toute cette affaire se situait quelque part entre le mensonge et la lubie, mais le mal était fait. Il n’aura fallu que quelques secondes pour que la toile s’enflamme dans un concert d’indignation jalonné de likes et de retweets. En somme, cette nouvelle n’avait aucun poids, mais, une fois lâchée, elle allait atteindre une vélocité dépassant l’entendement. Dans le vide, tous les corps, peu importe leur poids, tombent à la même vitesse. *** Assez paradoxalement, la question de la lenteur n’a jamais été si urgente. Il faudrait rapidement s’y intéresser. Car justement, nous n’habitons pas dans le vide. Plein de facteurs devraient ralentir les objets en chute libre non identifiés qui échouent dans nos demeures. On assiste, depuis quelques années, à une vaste opération de propagande autour de la rapidité qui dissimule son vrai visage, celui de la précipi­tation.

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CHRONIQUE 7 VOIR QC

Prenez ces téléphones qu’on nous vend et qui devraient, normalement, nous permettre de con­ verser entre nous, de prendre du temps pour nous parler. Curieusement, cette fonction essentielle est devenue secondaire et accessoire. Ces outils nous invitent à ne rien manquer, à performer, à faire toujours plus de choses en moins de temps. C’est la dictature de l’instant qui s’installe tranquillement.

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on jette tout et, quelques instants plus tard, ce qui nous semblait si précieux n’a plus aucune valeur. C’est ce que je nous souhaiterais, un peu candidement, pour cette année qui commence. De la lenteur. La lenteur est une vertu avec laquelle il faudra renouer. Appelons cela la sagesse de l’escargot. ***

Suivant ces avancées technologiques, toute la culture de l’information, qui forge en quelque sorte notre compréhension du monde, est entraînée dans cette mouvance. Bien sûr, la notion de scoop n’est pas nouvelle. Les grands titres sont, par définition, corollaires d’un empressement. Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes désormais, tout autant que nous sommes, des camelots qu’on invite à crier en chœur pour relayer les découvertes du moment. On nous invite à réagir, à commenter, à cliquer sur un cœur, sur un pouce, à relayer, à partager. Du partage? Vraiment? Dans la notion de partage, on doit donner une part et en garder une autre. Il y a cette idée qu’on devra, pour un temps, mettre quelque chose en commun. Or, dans l’empressement,

Un dernier mot pour vous, lecteurs et lectrices qui, tous les mois, vous procurez ce magazine que nous vous offrons. Il y a justement, dans ce format, de la lenteur. Vous êtes nombreux à nous dire qu’il s’agit pour vous d’un moment de lecture, hors de l’urgence de la dépêche. C’est le plus beau compliment qu’on puisse nous faire. Ce magazine souffle ce mois-ci sa deuxième bougie! Presque un exploit, dont nous sommes très fiers. Sachez que de notre côté, c’est aussi en prenant bien le temps de faire quelque chose de beau que nous le créons pour vous. Au nom de tous mes collègues, je vous souhaite une belle et bonne année 2018. y sjodoin@voir.ca

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(EN-HAUT) FABIEN CLOUTIER ET ROMAN KONIECZNY DANS UNE MISE EN LECTURE DE SCOTSTOWN PAR JENNIFER BISCHOFF. TRADUCTION DE FRANK WEIGAND, AU STAATSTHEATER SAARBRÜCKEN EN NOVEMBRE 2015. PHOTO | IRUNE ORBEA JIMÉNEZ (À GAUCHE) ANNE MÜLLER (GRETA) DANS LA LECTURE RADIOPHONIQUE DE LA PIÈCE LES HAUTS-PARLEURS (SCHWINGUNGEN), DE SÉBASTIEN DAVID. TRADUCTION DE FRANK WEIGAND, PRÉSENTÉE LE 23 NOVEMBRE 2017 À SARREBRUCK AU FESTIVAL PRIMEURS. PHOTO | SR/OLIVER DIETZE


SCÈNE 9 VOIR QC

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CAP SUR L’ALLEMAGNE QUÉBÉCOISE SE POURRAIT-IL QUE LA DRAMATURGIE QUÉBÉCOISE SOIT MIEUX COMPRISE ET MIEUX REÇUE EN ALLEMAGNE QUE DANS LA FRANCOPHONIE? DES TRADUCTIONS EN NOMBRE GRANDISSANT ET UN CERTAIN ENTHOUSIASME DES DIFFUSEURS DU MONDE GERMANOPHONE NOUS LE LAISSENT DE PLUS EN PLUS CROIRE. REGARD SUR UN PHÉNOMÈNE. MOTS | PHILIPPE COUTURE

Foire du livre de Francfort, octobre 2017. Les écrivains de langue française sont à l’honneur, dans les marges d’une édition consacrée à la France. Ce soir-là, pendant un atelier de traduction en direct de sa pièce Pour réussir un poulet avec son traducteur Frank Weigand, Fabien Cloutier est frénétique. «Un moment donné, raconte l’auteur dramatique, on a senti la sauce prendre. Les gens s’obstinaient sur une tournure de phrase, et j’ai observé une sorte d’euphorie grimper. Ma langue théâtrale, une langue de la rue que certains pourraient trouver pauvre, semble représenter une certaine richesse dramaturgique pour les Allemands. Un truc que les Français n’arrivent tout simplement pas à voir.» Cloutier entretient depuis plusieurs mois une relation soutenue avec l’Allemagne. Même si aucune de ses pièces n’y a encore fait l’objet d’une véritable production (ce qui ne saurait tarder), ses textes y sont de plus en plus traduits et font l’objet de mises en lecture soignées – avec du budget et devant un vaste public. Ce fut le cas de Scotstown, un texte, semble-t-il, très remarqué là-bas, puis de Billy (Les jours de hurlement). Son traducteur Frank Weigand, un Berlinois amoureux du Québec, que l’on croise souvent à Montréal et qui a aussi traduit Etienne Lepage, Sarah Berthiaume et David Paquet, est branché sur les «jeunes écritures» et s’assure de les faire découvrir d’un bout à l’autre du monde germanophone. Récemment, il a fait paraître dans la revue Scène 20 (une influente publication de l’Institut français d’Allemagne) des extraits de Pour réussir un poulet, mais aussi de Baby-sitter, de Catherine Léger.

Sa traduction de la pièce Les haut-parleurs, de Sébastien David, sous le titre Schwingungen, a récolté les grands honneurs du plus récent festival Primeurs, un événement allemand consacré aux écritures francophones et se déroulant chaque année à Sarrebruck, dans le Land de Sarre. Ces noms s’ajoutent à ceux de Larry Tremblay, Wajdi Mouawad, Carole Fréchette, Daniel Danis et Jennifer Tremblay, tous traduits en Allemagne depuis longtemps, mais de mieux en mieux popularisés dans le monde germanophone. «L’intérêt va en grandissant», nous assure notamment le traducteur Andreas Jandl, aussi un passionné de la Belle Province, diplômé de l’UQAM, qui est le traducteur principal des œuvres de Michel Tremblay. Une recension de la Délégation du Québec à Munich avance un chiffre rondelet: 120 pièces québécoises auraient désormais été traduites en allemand et la majorité d’entre elles l’ont été depuis le début des années 2000, à un rythme constant, «dans une régularité remarquable», comme le souligne Jandl. Des chiffres confirmés par l’Association nationale des éditeurs de livre (ANEL), qui chapeaute le programme international Rendez-vous Québec Édition et qui, après avoir accueilli des éditeurs allemands au Salon du livre de Montréal, s’affaire en ce moment à préparer une grosse offensive québécoise à la Foire du livre de Francfort en 2020, où le Canada sera honoré. En théâtre jeune public, phénomène semblable. La traduction de Noyades, de Jean-François Guilbault et Andréanne Joubert, a récemment fait l’objet

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> d’une grosse production dans un théâtre national à Essen. «Quand j’ai envoyé la vidéo de cette production aux auteurs, raconte Frank Weigand, ils n’en revenaient pas de l’ampleur du spectacle. Au Québec, Noyades connaît un beau succès et gagne des prix, mais le spectacle a été produit par leur propre compagnie, avec des moyens somme toute modestes.» L’intérêt allemand pour leur travail s’ajoute à celui que connaissent depuis longtemps les œuvres jeune public de Suzanne Lebeau, par exemple. Le pouvoir de la narration Notre force? Le sens du récit! Une denrée de plus en plus rare dans une Allemagne théâtrale influente, qui a fait basculer tout l’Occident dans le règne du théâtre formaliste et déconstruit. Avant-gardiste, l’Allemagne a été au cœur de ce qu’on a appelé, d’après les théories de Hans-Thies Lehmann, le théâtre postdramatique. Formes éclatées, théâtre d’images et de paysages, disparition du personnage au profit d’un théâtre de voix anonymes, déconstruction temporelle et rejet de la linéarité forment plus ou moins les principes de ce théâtre apparu au fil des quatre ou cinq dernières décennies et devenu canonique. Un tel théâtre règne sur toute l’Europe, jusqu’à chez nous, où sa prégnance se fait toutefois plus timide.

En généralisant un peu, on conclut souvent que le théâtre québécois demeure un théâtre d’action, qui se fonde sur de bonnes histoires et dans lequel les chemins narratifs traditionnels sont encore favorisés (même exacerbés). C’est peut-être la principale raison pour laquelle nos auteurs trouvent un nouveau nid en Allemagne, là où le postdramatique a régné si fort qu’il commence peutêtre à s’épuiser. «À force d’expérimenter des formes déconstruites, l’Allemagne a perdu son sens de la narration, analyse Frank Weigand. La dramaturgie québécoise a des choses à offrir qu’on ne faisait plus depuis très longtemps en Allemagne. Et le Québec a un avantage sur la France, parce que ses narrations parlent davantage aux sens et font appel à une pluralité d’émotions et de sensations, pendant que les dramaturgies françaises et allemandes se confinent davantage à l’intellect.» Les Allemands connaissent bien le théâtre britannique, des «pièces bien faites» desquelles le théâtre québécois se rapproche parfois. Mais, selon Andreas Jandl, le Québec offre une nouvelle perspective sur ce théâtre narratif bien construit, peut-être quelque chose comme un supplément d’âme. «Des auteurs québécois comme Wajdi Mouawad et Larry Tremblay, ou encore David Paquet et Evelyne de la Chenelière, arrivent à raconter

une histoire ou à monter des romans scéniques en respectant la tradition anglophone tout en y ajoutant quelque chose de plus incarné, parfois des éléments plus glauques ou plus grinçants. Ça plaît particulièrement aux Allemands.» «En tout cas, les acteurs allemands ont l’air d’avoir un fun fou avec nos textes, remarque Fabien Cloutier. Dans la majorité des festivals, on sent qu’on arrive après les auteurs français et belges et que nos textes sont perçus très différemment, qu’ils ne sonnent pas comme la majorité des textes de la francophonie et que ça étonne et excite les Allemands. Les comédiens qui ont lu des extraits de Pour réussir un poulet à Francfort, par exemple, m’ont dit prendre un plaisir immense à jouer cette écriture.» Du québécois à l’allemand, une adaptation fluide Du joual, ça se traduit comment, en allemand? On pourrait avoir la tentation de donner à la langue les colorations d’un dialecte précis, la rapprochant par exemple du bavarois. Mais les traducteurs évitent pour l’instant ce choix, cherchant plutôt une langue vernaculaire universelle, propre à être comprise dans l’ensemble du monde germano­ phone, tout en conservant un ton familier. «Ce qui marche le mieux, dit Andreas Jandl, est de trouver des manières de faire correspondre le québécois le plus familier à une certaine classe sociale, et de varier les sociolectes en fonction des différents personnages.» Il faut créer un certain «slang», pense Frank Weigand, mais éviter formellement le bavarois, «même si la tentation pourrait être forte, notamment parce que les sacres en bavarois sont aussi issus du catholicisme comme au Québec». C’est aussi le choix qu’ont fait les traducteurs Frank Heibert, qui a entre autres traduit des textes d’Olivier Kemeid et de Michel Marc Bouchard, et Uli Menke, traducteur de la plupart des pièces de Wajdi Mouawad. «Le québécois sonne bien en allemand», conclut Fabien Cloutier. Qu’on se le tienne pour dit. y

HENRIETTE HÖLZEL ET ALEXEY EKIMOV DANS UNTER W@SSER (NOYADES), DE JEAN-FRANÇOIS GUILBAULT ET ANDRÉANNE JOUBERT, TRADUIT PAR FRANK WEIGAND, UNE PRODUCTION DU SCHAUSPIEL ESSEN. PHOTO | MATTHIAS JUNG


EN ATTENDANT L’ÉCLAIRCIE SUR UNE TRAME DE DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE IMMINENT, LES MOTS DE L’AUTEUR ANDREW BOVELL DESSINENT UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES, AU CARREFOUR DES GÉNÉRATIONS FUTURES ET PASSÉES. MOTS | ÉMILIE RIOUX

PHOTO | STÉPHANE BOURGEOIS & HÉLÈNE BOUFFARD


SCÈNE 13 VOIR QC

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> D’abord encensée par la critique australienne et américaine, Quand la pluie s’arrêtera est transposée pour une toute première fois à la scène francophone, grâce au travail de traduction et de mise en scène de Frédéric Blanchette, instigateur de cet ambitieux projet. C’est par hasard que le texte lui est tombé entre les mains, dans le cadre du comité de lecture de la compagnie théâtrale LAB87, aussi coproductrice du spectacle. Réunissant le talent de neuf comédiens sur scène, le projet a notamment la qualité de nouer de nouveaux liens entre les scènes théâtrales de la capitale et de la métropole. «Les coproductions, ça donne l’occasion de rencontrer de nouveaux visages. Je connaissais déjà Paule Savard, mais je n’avais jamais travaillé avec Christian Michaud ou Marie-Renée BourgetHarvey à la scénographie. Ça force à sortir de sa zone de confort», affirme Frédéric Blanchette, à la lumière des premières représentations ayant eu lieu l’automne dernier, à Montréal. Plus ça change... plus c’est pareil Bien que le récit des personnages soit ancré dans des thématiques très concrètes et réalistes, la prémisse laisse toutefois présager une approche surnaturelle. Dans un futur pas si lointain, en terres australiennes, un poisson tombe du ciel aux pieds d’un homme, sous une pluie diluvienne qui ne semble jamais vouloir cesser. Cet événement s’avère être le signe de la fin imminente du monde, dans une inondation dévastatrice annoncée par les générations antérieures. «C’est un événement fantastique, un peu mythique. […] La pièce dépeint un monde tellement déréglé, où il n’y a pas de soleil et où il pleut tout le temps. Donc, on se dit, pourquoi pas. Si on observe tant de choses aujourd’hui, avec la fonte des glaciers, je n’imagine même pas [ce que ce sera] en 2039.» Le phénomène n’est pourtant qu’une excuse pour parler de la responsabilité d’une génération envers une autre, tant dans la sphère environnementale que sur le plan humain. Quand la pluie s’arrêtera met en scène un récit pluriel, déployé sur une ligne du temps éclatée où les paroles et les gestes des protagonistes se font écho de 1959 à 2039. «Chaque histoire est super; ce sont vraiment de fabuleuses histoires. L’intérêt de la pièce, c’est comment elles se parlent et s’influencent sans même se rencontrer.» Dans cet enchevêtrement d’époques, l’auteur tisse des liens entre des réalités et des enjeux qui traversent immanquablement chaque branche d’un arbre généalogique. Tandis que le casse-tête s’assemble progressivement sur une planète à l’écologie décrépite, c’est surtout un questionnement sur leur propre héritage qui mobilise les personnages, incapables d’échapper à leur passé.

«CE SONT DES GENS POGNÉS DANS LE MAL QUI LEUR A ÉTÉ FAIT, INCAPABLES DE TRANSMETTRE QUELQUE CHOSE DE VALABLE.» Père manquant, fils manqué? À la mise en scène, Frédéric Blanchette semble avoir eu un réel plaisir à façonner cette fiction aux protagonistes torturés. «Les personnages sont de mauvais parents. Il y a des gens qui ont fui, un père absent, des enfants non désirés. Ce sont des gens pognés dans le mal qui leur a été fait, incapables de transmettre quelque chose de valable. Ça en dit long sur notre incapacité à s’occuper de la génération qui s’en vient après nous.» C’est donc avec un propos ferme, sombre, mais non dénudé d’espoir que la pièce tente d’expliquer les déchirements qui séparent nos générations. C’est d’abord un constat d’échec, dont le potentiel avenir pourrait s’ouvrir sur un futur plus lumineux, où il y aurait possibilité d’un pardon. «Pour changer, il faut un aveu de certains torts. Sans cette demande de pardon là, il ne se passe rien. On peut penser à notre rapport aux Autochtones, par exemple», explique le metteur en scène. Ici, le théâtre se fait donc métaphore pour s’attaquer à une problématique plus large, qui traverse les nations et les siècles. D’une décennie à l’autre, à travers les tempêtes, les humains demeurent immanquablement perméables aux conséquences de leurs prédécesseurs. La pièce commande au spectateur une réflexion plus poussée sur la portée de ses gestes et sur les relations humaines qu’il tisse autour de lui, autant que sur l’état global de sa société. Qui sait, les averses éternelles (et autres chutes de poissons) ne sont peut-être pas si loin de nous qu’on le pense. «Quand on pense qu’aujourd’hui, il y a encore des climatosceptiques, on est tellement loin d’un début de quelque chose», conclut cyniquement Frédéric Blanchette. y Théâtre du Trident Du 16 janvier au 10 février


«C’EST LE REGARD D’UN CRÉATEUR SUR SON PEUPLE QUI SE DÉRACINE PEU À PEU, MAIS QUI, EN CONTREPARTIE, EMBRASSE DES VALEURS PLUS PROGRESSISTES.»


SCÈNE 15 VOIR QC

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UNE TRANCHE DE P’TIT QUÉBEC EN 2004, MES AÏEUX CHANTAIT DÉGÉNÉRATION ET GALVANISAIT LA PROVINCE ENTIÈRE. QUATORZE ANS PLUS TARD, LE SPECTRE DE CE MÊME ARRIÈRE-ARRIÈRE-GRAND-PÈRE QUI LABOURAIT LA TERRE FLOTTE AU-DESSUS DE LA PIÈCE MADE IN BEAUTIFUL (LA BELLE PROVINCE). MOTS | CATHERINE GENEST

PHOTO | BÉATRICE MUNN

À l’instar de Claude Meunier, Olivier Arteau s’immisce dans une chaumière et met en scène des personnages plus grands que nature et méticuleusement construits. Un groupe d’individus colorés et forts en bouche qui servent de moteur à cette fable sur le Québec d’hier et d’aujourd’hui, un spectacle étalé sur deux décennies. On les voit passer du joual au franglais, de Marie-Soleil Tougas à House of Cards, du pâté chinois au hummus, de 1995 à 2017. «Ce qui m’a surtout intéressé, c’est notre rapport aux valeurs traditionnelles. Quand est-ce qu’on a arrêté de nous les transmettre? […] J’ai l’impression que la génération de mes parents les a abandonnées en se libérant de la religion. Nous, entre guillemets, on écope de ça. On a perdu des mets autant que certaines fêtes et notre rapport à la musique québécois n’est pas le même.» MADE IN BEAUTIFUL (La Belle Province) est l’autopsie d’une culture qui, du point de vue de l’auteur et metteur en scène, s’effrite et s’américanise. C’est le regard d’un créateur sur son peuple qui se déracine peu à peu, mais qui, en contrepartie, embrasse des valeurs plus progressistes. «Internet a peutêtre fait de nous des citoyens un peu plus ouverts, un peu plus respectueux des libertés individuelles autant par rapport au sexe, à l’orientation sexuelle et à la religion.» Olivier Arteau a grandi à Joliette, il vit et travaille aujourd’hui dans la Vieille Capitale. Il est né en 1992 et n’a, pour ainsi dire, pas vécu

le deuxième référendum ni le combat pour la préservation de la langue. «Les gens de mon âge ne sentent pas un clivage entre les anglophones et les francophones parce qu’ils peuvent avoir des postes de pouvoir, aspirer à ce qu’ils veulent. C’est comme si on avait perdu ce débat-là qui va de pair avec l’essor du nationalisme québécois.» Jayden, l’amoureux de l’ex de Linda, ce protagoniste interprété par le comédien Vincent Roy, représente précisément cette levée de boucliers. Il symbolise également l’intégration sociale plus douce des homosexuels. «J’écris beaucoup en m’inspirant des interprètes, de leur vécu, et il y a Jonathan Gagnon dans le spectacle. Nos discours se sont confrontés par rapport à certains changements… Moi, j’ai pu m’assumer en tant qu’homosexuel à 18 ans et ça n’a pas été un fardeau, confie le dramaturge. Je suis chanceux de ne pas avoir vécu ça comme un enjeu si marquant. Autant on perd des valeurs traditionnelles – et il faudrait se questionner sur les valeurs qu’on va laisser en héritage aux générations futures –, autant il y a quand même du positif!»

pour ressembler à l’actrice Halle Berry. «Il n’y a pas de moyen de faire un blackface autrement qu’en le plaçant dans le passé et de se dire qu’à cette époque-là, c’était normal! On se déguisait en Indien, en Japonais… On ne se posait même pas la question. […] L’idée, c’était de témoigner de ces changements-là. On a quand même eu des débats importants même si on n’a plus un rêve collectif aussi fort qu’en 1995.»

Le supplice du miroir

MADE IN BEAUTIFUL (La Belle Province) s’écoute comme un vieux VHS familial. Les mises en plis et les propos douteux s’y entremêlent pour générer une bonne dose de honte, mais aussi une réflexion sur ce chemin parcouru tous ensemble. y

Chaque scène marque une nouvelle année, une autre soirée d’Halloween. «Une fête qui tend à disparaître progressivement», le prétexte parfait pour aborder la question de la réappropriation culturelle. D’abord avec cet homme déguisé en geisha, puis cette fille à la peau (blanche) barbouillée de fond de teint

Le racisme, régulièrement dénoncé, est omniprésent dans ce texte. Le tableau du 31 octobre 2001, millésime de tous les préjugés, sert de cadre pour une série de dialogues à prendre au deuxième degré. Nancy, la cousine de Linda, «l’ignorante par excellence» campée par Lucie M. Constantineau, y lance une phrase qui nous replonge dans l’ambiance d’alors: «Les musulmans c’est pas toutes des terroristes, mais toutes les terroristes sont musulmans.» Ce n’est qu’une des nombreuses répliques de ce segment visant à ridiculiser les gens xénophobes et à les cantonner dans le passé.

Du 23 janvier au 3 février à Premier Acte


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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE

UN ACTE DE SURVIE Le gouvernement a volontairement décidé d’appuyer certains préjugés et de leur donner du poids. Il y a les pauvres qui font vraiment pitié et il y a les pauvres qui ne font vraiment pas pitié. Notons que le gouvernement veut «lutter» contre la pauvreté de la même manière qu’il souhaite lutter contre le racisme et la discrimination systémique, c’est-à-dire en misant sur l’employabilité. Qui sait, ce printemps aura-t-on peut-être, aussi, un plan d’employabilité pour lutter contre la pollution. Se pensant courageux ou généreux, Philippe Couillard et François Blais ont pitié des bons pau­ vres et bonifieront les montants des prestataires «inaptes» au travail, rattrapant en fait un retard injuste. Sans aucun doute, ce n’est pas pour «profiter du système» que ces gens ne travaillent pas. Contrairement aux «autres» pauvres, on ne peut pas les culpabiliser de leur état. Cette distinction est plus dure à faire avec une personne n’ayant aucune limitation physique, ou aucune maladie mentale apparente. «Être apte au travail», c’est une notion vachement difficile à définir et c’est là-dessus que joue le gouvernement pour trancher si une personne sera maintenue dans l’extrême pauvreté ou un peu sous le seuil de pauvreté. Je pense à Gisèle qui a travaillé dur, vraiment dur, toute sa vie, parfois deux emplois en même temps, dont un à temps plein, pour réussir à payer le loyer et à nourrir ses enfants. Des emplois presque toujours au salaire minimum. Juste de quoi arriver. Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Peut-être un burn-out, peut-être une dépression, peut-être juste un épuisement vraiment profond, accumulé par 30 années à jongler avec un salaire

venant des seuls emplois possibles sans diplôme d’études secondaires. Quand on est toujours en train de se débattre pour ne pas se noyer sous les factures, consulter un psychologue est un gros luxe. Mais elle avait besoin d’un break. Se distancer du milieu du travail qui ne lui a jamais fait de cadeau, de promotion, témoigné de la gratitude et encore moins valorisé. Elle endurait ce calvaire parce que sinon ses enfants ne mangeaient pas. Alors quand ils ont quitté le logement, sa seule motivation à se faire chier au travail a disparu. Le break a duré quelques années. Étant donné les 30 dernières années, elle était clairement «apte» au travail. Même si l’aide sociale lui avait demandé si elle allait bien, elle n’était sûrement pas consciente de sa propre détresse. De toute façon, tu n’as pas envie de raconter à quel point ça fait 30 ans que tu te bats pour des riens pis que t’es juste écœurée. Parce que tu as honte, comme si c’était de ta faute. Tu préfères endurer le mépris et le jugement des autres et du ministère plutôt que raconter ton histoire. Je pense à Annie, qui, à 18 ans, a quitté sa famille d’accueil. Garrochée d’une famille à une autre pendant son adolescence, elle doit du jour au lendemain tout assumer dans sa vie, même si on ne l’a pas vraiment préparée à ça. Sa situation familiale et sociale ne lui a pas permis de travailler avant. Ces familles qui l’ont prise ne l’ont jamais vraiment encouragée ni encadrée. Sans parler du viol qu’elle a subi et qu’elle n’a raconté à personne. Ça ne paraît pas, sur un carnet de santé, que tu as besoin de te bâtir au complet. Apprendre à te gérer, à recevoir de la confiance des autres, à avoir


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> des responsabilités. Construire ta confiance et ton autonomie. Comprendre que tu peux être autre chose qu’un boulet. Ces trucs que beaucoup de gens apprennent jusqu’à la vingtaine dans le nid familial, elle a dû les apprendre en accéléré, avec tout l’étourdissement que ça peut donner de partir de 0 à 18 ans, sans l’appui de personne, avec 628$ par mois. Elle était clairement apte au travail, d’un de point de vue médical, mais l’était-elle vraiment? Et moi, est-ce que j’étais apte au travail lors de mes deux passages sur l’aide sociale? Je n’étais pas malade. Aucun handicap, aucune maladie mentale diagnostiquée. Pourtant, avec le recul, je vois bien que j’avais quelque chose à rebâtir en moi. Ce n’était pas une dépression. C’était quelque chose de brisé. Et ça, les préposés que j’ai rencontrés s’en fichaient. J’aurais peut-être eu un passé comme Annie ou Gisèle à raconter qui aurait permis de mieux comprendre la situation, de mieux comprendre ma temporaire inaptitude au travail, mais ça n’aurait rien changé. On est apte au travail jusqu’à preuve du contraire.

Cette preuve du contraire n’arrive parfois jamais. Je ne sais pas comment j’aurais pu prouver que je n’étais pas prêt mentalement à travailler. Pour moi, c’était une évidence que si je cognais à l’aide sociale, c’est que j’avais atteint le fond du baril. On est tellement pauvre sur l’aide sociale que je me demande bien de quoi on est censé profiter là-dessus. On subit le système, on ne profite d’absolument rien, sauf du jugement de tout le monde. L’aide sociale est en soi un acte de survie. Quand un.e député.e perd son siège, une allocation de transition vient adoucir le changement de vie, le choc, aussi, sûrement. Cette allocation est là, peu importe si la personne est apte ou non au travail. Quand on est un.e simple travailleur.euse, il n’y a aucune allocation de transition quand tout bascule, rien pour se permettre de se rebâtir, de se relever. Juste l’aridité de l’aide sociale, souvent. Et le Parti libéral du Québec vient de dire que même ça, c’est trop doux. C’est franchement insultant. y

23 janvier au 3 février

20 au 24 février

PAR LE THÉÂTRE KATA

PAR LE THÉÂTRE POUR PAS ÊTRE TOUT SEUL

Made in Beautiful (Belle P rovince)

Angle mort

27 février au 3 mars

13 a u 3 1 m a r s

10 au 28 avril

PAR LE THÉÂTRE BISTOURI

PAR LES PENTURES

PAR LE THÉÂTRE DE PASSAGE

Conversation avec

mon Pénis

Embrigadés

Extras et

ordinaires


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APRÈS L’EXERCICE DES FAMEUX TOPS DE FIN D’ANNÉE OÙ L’ON REGARDE DANS LE RÉTROVISEUR, NOS YEUX SONT MAINTENANT RIVÉS VERS L’AVANT SUR CES ARTISTES MUSICAUX PROMETTEURS QUI FERONT VIBRER LA NOUVELLE ANNÉE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

Zen Bamboo Coup de foudre immédiat pour ce quatuor de jeunes hommes de Saint-Lambert en août dernier. À ce moment, Juvénile, un premier volet de quatre EP avait vu le jour et un deuxième, Plus mature, plus assumé, allait suivre quelques mois plus tard. L’intérêt envers le groupe rock-grunge s’est accentué cet automne alors qu’il se retrouvait au sommet des palmarès des radios étudiantes. Deux autres mini-albums de quatre titres arriveront d’ici l’été, puis les 16 chansons des quatre volumes formeront un album complet dans l’harmonie (ou pas). La rencontre des membres Simon, Léo, Xavier et Cao a eu lieu dans le cadre de Secondaire en spectacle et la formation de Zen Bamboo s’est officialisée en 2014. Après de belles présences en festivals (M pour Montréal, FrancoFolies, POP Montréal), Zen Bamboo est entré en studio avec Thomas Augustin, claviériste de Malajube. On se réjouit d’ailleurs à l’idée que le groupe puisse reprendre la place laissée vacante par Malajube sur la scène musicale locale. Le rock de Zen Bamboo, qui emprunte autant au grunge qu’au prog, est délicieusement spasmodique, porté par une interprétation en montagnes russes et très instinctive de Simon Larose. Dans les textes, la plume s’avère mature et écorchée. «J’vais boucher mes oreilles avec un gun/J’trouve pu mon fun nulle part», chantet-il sur Si c’est correct. La suite prochainement. Ouri On voit de plus en plus cette compositrice électronique, DJ et multi-instrumentiste originaire de Paris sur nos scènes, dans des événements musicaux (Mutek, Boiler Room) et dans les clubs (Newspeak, Datcha). Celle qui a collaboré avec le producteur


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(À GAUCHE) LOU-ADRIANE CASSIDY, PHOTO | YOLA VAN LEEUWENKAMP (À DROITE) DAVE CHOSE, PHOTO | JULIEN LAPERRIÈRE


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CRi et le rappeur de Dead Obies Joe Rocca récemment a eu un parcours classique en harpe, piano et violoncelle avant de se lancer tête première en électro. On ne peut que s’imaginer que ses connaissances classiques lui ont été bénéfiques après son changement de cap. Ouri sortait ce printemps son premier album complet, Superficial, une œuvre épatante, entraînante, dynamique, qui s’est frayé un chemin dans notre palmarès de fin d’année sans hésitation. L’album confirmait une créativité et une maturité accrues. On ne peut qu’être fébriles pour la suite. Si sur son album, elle s’entourait de voix féminines sensuelles (Odile Myrtil et Munya), voilà qu’elle sortait en surprise en novembre dernier un EP assez envoûtant et électrisant avec le chanteur R&B montréalais Mind Bath. Ouri fera partie de la programmation du rendez-vous annuel hivernal Igloofest ce mois-ci. Elle y sera le 19 janvier. Dave Chose Originaire du Lac-Saint-Jean et désormais installé à Montréal, Dave Chose évolue dans un folk aux teintes de rock et de grunge. Lors de sa participation au concours musical Les Francouvertes l’an dernier, on en savait très peu à son sujet – on a découvert depuis qu’il était du trio folk qui gueulait fort Faudrait faire la vaisselle –, mais Dave Chose s’est bien démarqué et a été l’une des révélations de l’événement. Son premier extrait, Chez Françoise, qui fait office d’avant-goût à son premier


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album à venir chez Bonsound au printemps, est savamment construit comme une ballade planante, vaporeuse, qui magnifie le quotidien, celui des lendemains de veille et du thé glacé du dépanneur du coin. C’est comme si tout s’arrêtait le temps d’une chanson alors que sa voix grave mais apaisante nous sert de guide. L’expérience sonore de Dave Chose sur scène devrait brasser davantage alors que le chanteur s’entoure du bassiste Sam Beaulé (Samito), du batteur Jonathan Bigras (Galaxie) et du guitariste Nicolas Beaudoin (PONI). Quelques années après l’arrivée en trombe du folk sale sur les scènes au Québec (Bernard Adamus et compagnie), voilà que Dave Chose arrive avec quelque chose qui semble adhérer à cet esprit tout en y apportant un vent de fraîcheur qui fait résolument du bien. Lou-Adriane Cassidy

(EN-HAUT À GAUCHE) ZEN BAMBOO, PHOTO | MATHIEU FORTIN; (EN-HAUT À DROITE) SORAN DUSSAIGNE, PHOTO | JEREMIE DIONNE (EN BAS) OURI, PHOTO | OUMAYMA B. TANFOUS

Finaliste au 49e Festival international de la chanson de Granby, qui avait lieu en août dernier et lors duquel elle a reçu deux prix, Lou-Adriane Cassidy faisait aussi partie des chansonneurs de la Destination Chanson Fleuve qui l’a menée au Festival en chanson de Petite-Vallée et à Tadoussac. Après cet été créatif sur la route, la jeune interprète a lancé en octobre le titre Ça va ça va, une composition de Philémon Cimon. Sur cette pièce initiatrice, Lou-Adriane Cassidy – vue souvent sur scène avec sa mère Paule-Andrée Cassidy – chante avec chaleur et assurance. Ses qualités d’interprète avaient été dévoilées au grand jour lors de sa participation à la populaire émission La Voix en 2016. Elle avait chanté avec conviction La voix humaine de Catherine Major et son aventure télévisuelle l’avait menée jusqu’en demi-finale. À 20 ans, elle en est maintenant à l’étape de tracer son chemin, et son tout jeune répertoire en chanson est fort prometteur. Originaire de Québec, Lou-Adriane Cassidy est certainement une voix à suivre en 2018. On peut d’ailleurs vous annoncer qu’un album est prévu pour l’automne. Pour les curieux, elle sera en prestation en formule 5 à 7 au District Saint-Joseph de Québec le 18 janvier et en soirée au Verre Bouteille à Montréal le 22 janvier. Soran Dussaigne Il y a un an, l’étiquette de disques Audiogram annonçait un nouveau venu dans l’équipe: Soran Dussaigne. Avant une apparition remarquée à La Voix en 2016 où il avait épaté les quatre coachs avec une reprise reggae pleine de chaleur et d’énergie d’Hotel California, le jeune interprète a fait ses armes avec les instruments de son père dans sa jeunesse, puis en chantant dans le métro de Montréal, entre autres. Cette année, Soran se dévoilera au grand jour avec la sortie d’un premier album complet qui devrait naviguer dans des eaux reggae, folk, pop et funk. Déjà le premier extrait, le titre en anglais I Wish, une composition originale sortie en octobre dernier, fait des vagues et n’est pas peu prometteur. C’est pop et accrocheur, bref, une très belle entrée en matière. Avec son timbre de voix si unique et captivant, il s’adresse à quelqu’un qui n’en vaut peut-être pas la peine. Il devra maintenant faire ses preuves sur scène. Si vous voulez l’attraper en concert, il en a plusieurs à son horaire ces prochains mois. y

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«ON DIRAIT QUE, SECRÈTEMENT, COMME SINGER-SONGWRITER, TU SOUHAITES UN PEU CETTE MÉLANCOLIE… SAUF QUE LORSQUE T’ES LÀ-DEDANS, C’EST PAS COOL. VRAIMENT PAS COOL.»


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CUEILLIR LA LUMIÈRE IL A DÉMINÉ SON CERVEAU, TREMPÉ SON CŒUR DANS LE PEROXYDE. JASON BAJADA DÉSINFECTE SES PLAIES PUIS EN MAGNIFIE LES CICATRICES SUR CE POIGNANT OPUS DOUBLE. MOTS | CATHERINE GENEST

Il s’était vautré dans le noir, il aurait voulu mourir. Jason Bajada, l’homme, s’est arraché à son mal-être et l’auteur-compositeur en est ressorti plus fort, armé d’une inspiration nouvelle. Loveshit II (Blondie & The Backstabberz) est une ode à la résilience. C’est un recueil qu’on écoute les bras hérissés de frissons, la gorge pesante. Le vent finit toujours par tourner. Joint à L.A., de cette villa hollywoodienne dans les montagnes, le chanteur a la voix souriante. «Je suis en train de coécrire des chansons avec plein de monde de partout sur la planète et, nous autres, on est les trois petits poussins d’Audiogram: Matt Holubowski, Aliocha et moi. Y a pas de pression. On écrit des tounes et y a comme des semi-commandes. Aujourd’hui, tu vois, je suis jumelé avec des producteurs italiens.» Cette surréaliste résidence est une trêve pour le drama queen autoproclamé, une percée de soleil à l’aube d’une tournée qui le replongera dans d’intenses émotions. «C’est tellement un cliché, je pensais jamais dire ça, mais cet album-là m’a sauvé la vie.»

PHOTO | GAELLE LEROYER

«Ceci est mon sang, ma sueur, mes larmes» Les choses de l’amour à marde, pour citer la poétesse Maude Veilleux, ont toujours inspiré Bajada. Loveshit (premier du nom) l’avait guéri d’une relation destructrice en 2009. Huit ans et trois offrandes plus tard, il en dévoile un second chapitre décliné en deux disques. Lui-même vous dira qu’il s’agit de son offrande la plus personnelle à ce jour, tant sur le plan des paroles (nous y reviendrons) que des arrangements qu’il cosigne avec son réalisateur Philippe Brault. «J’avais déjà une trentaine de maquettes avant de le rencontrer. J’avais choisi des instruments, j’avais programmé des drums. Habituellement, on se sert d’environ 5% des trucs que je fais moi-même, mais là on a gardé plus ou moins 30%. Il y a quand même un gros chunk qui a été enregistré en pyj’ chez nous avec la basse directe dans la carte de son.» Ce nouveau bras droit l’a mis en confiance. L’autre musicien, qui l’accompagnera d’ailleurs sur scène, a apaisé ses insécurités pour mieux le pousser à aller au bout de ses idées, à assumer la pluralité de ses références. Sur Loveshit II, le Montréalais concilie toutes ses voix: celle du crooner, du rockeur façon Julian Casablancas ou Iggy Pop, du poète tourmenté à la Morrissey ou du contemporain de Springsteen pour le côté roots. Des influences qu’il n’avait jamais osé assembler jusqu’ici. «Je le dis sans gêne, c’est l’album qui me ressemble le plus.»

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> C’est le vocaliste séducteur, voire taquin, qui nous tend la main sur Blondie. Dix plages narratives, l’évolution d’une fréquentation amoureuse de son effervescent commencement jusqu’à sa dissolution. «Je l’ai mise en premier parce qu’elle est plus uplifting. C’est vraiment pas dépressif du tout. Je voulais aussi montrer le bon côté. Naturellement, je commence à être habitué d’écrire des tounes d’amour, donc j’ai commencé avec le plus facile.» Le volume I s’introduit et se conclut avec la même pièce, A Collision, une chanson d’espoir sur fond de méfiance. Un cycle que l’humain est condamné à revivre, comme dans une spirale infinie, parce que l’histoire se répète toujours un peu. Cette pièce, c’est aussi l’autopsie d’une «infatuation»

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La détresse psychologique est le thème central de The Backstabberz. Il a réussi à mettre des mots sur une douleur indicible: l’anxiété telle que vécue à son paroxysme. Celle qui t’amène à l’urgence, l’angoisse qui consume ta poitrine et te ronge les entrailles. Help Me Feel Nothing at All est, en ce sens, un appel à l’aide. «Cette toune-là, c’est aussi une écoeurantite d’être le poster boy pour les chansons tristes. Genre: “On le sait ben, Jason, avec ses chansons…” Moi, je me rappelle avoir regardé mes idoles quand j’étais jeune, quand ma vie allait bien, des gars comme Elliott Smith ou Kurt Cobain qui vivaient des dépressions, qui étaient sur la drogue et qui se sont finalement suicidés. T’sais, on glorifie un peu ça pour notre entertainment et on se sent un peu imposteur quand on écrit des chansons et qu’on vit pas ces émotions-là si intensément. On dirait que, secrètement, comme singer-songwriter, tu souhaites un peu cette mélancolie… Sauf que lorsque t’es là-dedans, c’est pas cool. Vraiment pas cool.» Jason Bajada a transformé sa souffrance en œuvre d’art. C’est la création, de pair avec la thérapie, qui lui a permis de se reconstruire, mais également de repousser les limites de son talent. «J’ai jamais été aussi fier du matériel. Chaque chanson est ma préférée.» Cet album, il le défendra de tout son corps. y

Jeudi 11 janvier au Théâtre Petit Champlain Loveshit II (Blondie & The Backstabberz) Audiogram En vente maintenant

– un mot intraduisible en français. Ça parle de ce ramassis de pensées obsédantes à l’endroit d’une seule et même personne, de ces fantasmes qui meublent notre tête au moindre temps mort. «C’est l’ultime chanson à propos de la personne que tu rencontres lorsque tu n’y crois plus. Quelqu’un va juste débarquer dans ta vie et te faire oublier ton ancienne peine en prenant toute la place dans ton esprit.» Bajada ne croit peut-être pas au mariage, c’est d’ailleurs ce à quoi I Believe in Cake fait référence, mais il a assurément foi en l’amour qui répare et enivre. Dans la seconde portion de son diptyque, Jason Bajada descend jusqu’aux abysses de son âme et déboulonne un grand tabou du même coup: celui de la santé mentale. «C’était comme the heaviest year of my life. Oui, je me suis ramassé à l’hôpital, oui, j’ai eu des idées suicidaires, oui, j’ai magasiné des pistolets sur Google.»

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ARTHUR H FAIT CONFIANCE À SON INSTINCT SUR AMOUR CHIEN FOU, PREMIER ALBUM STUDIO DOUBLE DE SA CARRIÈRE. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTOS | YANN ORHAN


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’auteur-compositeur-interprète parisien le reconnaît: l’album double a quelque chose d’un peu casse-gueule, surtout à cette époque d’abondance où l’auditeur moyen se gave de musique en continu avec un infime degré de concentration. «Disons que c’est une utopie passéiste. C’est une façon de dire que le disque n’est pas qu’une collection disparate de chansons destinées à s’envoler dans l’océan d’internet, mais aussi un voyage, un film, une histoire dans laquelle on peut entrer et se perdre.» C’est sa compagne Léonore Mercier, plasticienne et musicienne expérimentale, qui l’a convaincu du bien-fondé de ce format, somme toute idéal pour présenter deux ambiances foncièrement différentes. «Elle m’a dit: “Les gens aiment quand tu fais des ballades émotionnelles, atmosphériques, mais ils aiment aussi quand tu chantes en boucle la caissière du super, elle est super, ce genre de chanson pop disco.” Elle m’a donc convaincu de séparer les deux, de permettre aux gens d’avancer dans un univers ou l’autre. On peut faire le choix de la douceur méditative et cosmique [sur Amour] ou celui de l’énergie de la danse [sur Chien fou].» Mais ce deuxième chapitre, effectivement plus ardent, n’est pas non plus le disque dansant et léger que son auteur semble laisser croire. Ses récits rêveurs et romantiques y côtoient des poésies obscures et caustiques, interpellant l’amour assassin, les nuits infinies et le chaos cacophonique. «On peut essayer de se trahir, mais en réalité, c’est un exercice très difficile», lance-t-il, évoquant son penchant naturel pour les histoires ténébreuses. «En fait, il y a une dimension yin et yang sur les deux disques: un point noir dans la zone blanche et un point blanc dans la zone noire.» Au terme de cette aventure, la pièce éponyme retient l’attention, à la fois par sa structure en triptyque et sa portée synthétique, qui fait le point sur l’ensemble des thématiques traversées d’un bout à l’autre des deux œuvres. «Le morceau parle du respect de l’amour, de l’amour sensuel, destructeur, joyeux... C’est une collection de toutes les sortes d’amour possibles et, en ce sens, je crois qu’il résume un peu le disque. D’ailleurs, je suis très content d’explorer ce nouveau sujet qu’est l’amour! C’est très original, je dois l’avouer», blague-t-il, avec l’autodérision qu’on lui connaît.

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28 Premier extrait de ce 10e album officiel, La boxeuse amoureuse donne habilement le ton avec son récit percutant, qui confronte la violence des relations amoureuses à celle d’un match de boxe. «C’est une chanson sur ma mère, nous apprend l’artiste. En l’écrivant, j’ai constaté que ma mère avait encaissé des gros coups émotionnels, des histoires d’amour très, très belles et d’autres très douloureuses. Elle

a sombré, mais s’est relevée, et je crois qu’à un moment, on a tous les capacités de retrouver la pureté de notre âme, même après toutes les chutes qu’on a vécues. Si on lâche prise, la rédemption est possible, et on peut retrouver la forme originelle de notre âme.» Plus loin, Sous les étoiles à Montréal apparaît comme une autre déclaration d’amour, non pas à notre métropole directement, mais à l’une de ses représentantes les plus mythiques: Lhasa de Sela. «Je n’avais pas du tout envie d’écrire une chanson [en sa mémoire], même si je pense très souvent à elle. En fait, ça s’est passé de manière assez étrange: je me suis mis au piano, et ces accords sont sortis. Puis ces mots sont apparus en moi avec tous les souvenirs des moments que j’ai passés chez elle à boire du thé, avec l’hiver dehors... Lhasa était quelqu’un d’extrêmement inspirant. Une soirée avec elle ouvrait plein de nouvelles portes.» C’est notamment à travers la chanteuse qu’Arthur H a redécouvert Montréal, cette «ville blanche et mystique», comme il la décrit dans cette même chanson. Son album précédent, Soleil dedans, avait d’ailleurs été entièrement enregistré ici, de pair avec le talentueux claviériste et réalisateur François Lafontaine.

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«TU PEUX MARCHER EN DEHORS DES CLOUS ET REFUSER D’ÊTRE ENFERMÉ DANS LES BOÎTES QUE LA SOCIÉTÉ TENTE DE T’IMPOSER, MAIS TU DOIS ACCEPTER DE N’ÊTRE PRESQUE NULLE PART, D’ÊTRE PARFOIS INVISIBLE.»

Liberté à tout prix Malgré la richesse de cette expérience inédite en sol québécois, l’artiste a préféré retourner à ses vieilles habitudes pour ce nouvel album, en renouant avec son collègue Nicolas Repac, multi-instrumentiste français et échantillonneur de haut vol. «Pour être franc, j’étais assez nostalgique de son travail. C’est vraiment un artiste du sample. Il a une façon unique de voler des morceaux de musique, de les détourner et de les transformer complètement, tout en conservant leur part de magie initiale. Ça me manquait de travailler sur de la matière pure comme ça. Il a aussi apporté son jeu de guitariste, très intuitif. En ce moment, il a beaucoup de plaisir à se jeter dans le vide comme ça. Parfois, il s’envole et se scratche, mais d’autres fois, il atterrit dans un endroit surprenant, et un nouveau point de vue s’ouvre.» Cette manière de créer a évidemment des résonances avec le travail d’un électron libre de la chanson française comme Arthur H. «Je suis comme Nicolas. J’ai envie de faire totalement confiance à mon instinct. C’est une nécessité, sinon on est coincés dans nos propres systèmes et on arrive plus à en sortir, estime-t-il. J’aime quand une chanson commence et qu’on n’a aucun moyen de savoir comment elle va se terminer. C’est stimulant de ne pas savoir où s’en aller.»

Aussi bénéfique soit-elle, la liberté que procure cet exercice spontané vient avec ses répercussions. Même s’il n’a jamais cherché à plaire au plus grand nombre, le chanteur à la voix éraillée constate les contrecoups de ses choix artistiques. «Quand on essaie de faire les choses comme moi, de façon un peu borderline, le prix à payer peut être assez élevé... Tu peux marcher en dehors des clous et refuser d’être enfermé dans les boîtes que la société tente de t’imposer, mais tu dois accepter de n’être presque nulle part, d’être parfois invisible. Encore aujourd’hui, je suis très content de payer ce prix.» y Amour chien fou Sortie le 26 janvier


À ÉCOUTER

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HHHHH CLASSIQUE HHHH EXCELLENT HHH BON HH MOYEN H NUL

NEIL YOUNG + PROMISE OF THE REAL THE VISITOR (Reprise Records) HHH

EMILE PROULXCLOUTIER MARÉE HAUTE

(La Tribu) HHH 1/2

Poétiques et imagés, les textes d’Emile Proulx-Cloutier démontrent tout son amour des mots. Quoique sa voix ait ses limites, le comédien chante toujours avec grande conviction, tantôt intense, tantôt doux, tout en se lançant tête première dans des terrains près du slam ou du rap. Autour du piano, instrument maître du disque, les arrangements signés Guido Del Fabbro sont riches et puissants mais ne font jamais obstacle à la proposition. Marée haute se veut une œuvre captivante et le chanteur réussit bien son pari. Toutefois, le disque a un côté très théâtral qui pourrait déplaire à certains auditeurs. Mentionnons le beau travail sur Maman (adaptation de l’influente Mommy, Daddy de Marc Gélinas et Gilles Richer) qui devient ici fort spirituelle. (V. Thérien)

En ouverture d’album, Neil Young interpelle ses amis américains en les incitant à prendre la rue pour s’unir contre la haine grandissante. Épaulé par le groupe Promise of the Real – avec qui il a fait The Monsanto Years en 2015 –, le grand Neil donne le ton dès le départ de ce disque sans surprise très politisé. Ça bouillonne peut-être fort à l’intérieur, mais Neil reste assez pacifique à travers ce énième cri du cœur inspiré par la morosité ambiante qui règne chez une partie de nos voisins du Sud. Son discours est noble – ne pas laisser la haine nous emporter, par exemple –, mais les idées transmises sentent un peu le réchauffé ou, du moins, la redite. Voilà une œuvre rock n’ roll, sans grands éclats, plutôt linéaire, mais avec des touches de blues et de folk bien senties. (V. Thérien)

HUU BAC QUINTET ON THE STEPS OF ST-PAUL’S (Indépendant) HHHH «Jazz inusité», prévient le communiqué pour décrire cette rencontre heureuse entre les sonorités asiatiques, latines et nord-américaines, assemblées au Québec. Arrivé bébé par la première vague des boat people du Vietnam, Huu Bac Quach, ce sympathique virtuose de Valleyfield, maîtrise aujourd’hui la guitare, la quena (la fameuse flûte andine), le erhu (vièle chinoise) et le dan bau (instrument magique qui donne à voir une chorégraphie des doigts autour d’une corde unique et invisible). Il a aussi du goût ainsi que l’art de parler au monde. Le titre de cet album fait référence à la première église catholique en Chine, symbole des premières rencontres entre l’Orient et l’Occident. Commencée à Macao et enregistrée successivement à Shanghai, à Lima et à Montréal avec 13 musiciens, cette première œuvre a comme principal mérite de ne pas tomber dans le folklorisme. (R. Boncy)

GENE PRITSKER’S SOUND LIBERATION RITE THROUGH AN ECLECTIC SPECTRUM (Composers Concordance Records / Naxos) HHH 1/2 Le graphisme de la pochette pourrait rebuter l’amateur le plus intentionné, mais celui qui dépasse cet obstacle sera récompensé. S’attaquer au Sacre du printemps, évidemment, peut être casse-gueule, et la version du compositeur new-yorkais Gene Pritsker pourrait bien provoquer une émeute chez les puristes, mais elle est au contraire un bel hommage au courage de Stravinski. Dès les premières notes de la célèbre phrase d’ouverture, jouée à la trompette plutôt qu’au basson, et immédiatement brisée, on comprend que ce ne sera pas une simple transposition. Pritsker est à la guitare, au milieu d’un septet jazz-rock qui malaxe et remixe les thèmes originaux avec brio. Cette version, captée en concert au Outreach Festival (Autriche), aurait pu mériter un meilleur enregistrement, mais ça reste une belle surprise. (R. Beaucage)

THE CORE-TET PROJECT THE CORE-TET PROJECT (Naxos) HHHH C’est en entendant le disque Upcast, lancé par ses trois collègues en 2011, qu’Evelyn Glennie a eu envie de se joindre à eux pour improviser à quatre. La grande dame de la baguette, seule star internationale de la percussion sur la scène des orchestres symphoniques, est bien entourée avec Szilard Mezei à l’alto, Michael Jefry Stevens au piano et Jon Hemmersam à la guitare acoustique, trois musiciens qui viennent plutôt du monde du jazz. Le résultat, qui se situe plutôt du côté d’une musique contemporaine free, est un bel exercice d’écoute mutuelle – cela dit en sachant, bien sûr, que Glennie est sourde, mais qu’elle a développé des façons plutôt convaincantes de contourner cet «inconvénient». Le genre de quartet qui serait tout à fait à sa place sur une scène du FIMAV. (R. Beaucage)


DISQUES 31 VOIR QC

CORROSION OF CONFORMITY NO CROSS NO CROWN

CADENCE WEAPON CADENCE WEAPON

(Nuclear Blast Records) HH 1/2

(Entertainment One Music) HHH 1/2 Sur une scène hip-hop canadienne de plus en plus sclérosée, là où les émules de Drake et de Tory Lanez se multiplient sans grande originalité, la simple annonce d’un nouvel album de Cadence Weapon a de quoi réjouir. Révélé en 2005 avec l’ingénieux Breaking Kayfabe, le rappeur d’adoption torontoise évite le surplace et la redite avec ce quatrième album homonyme, fortement enraciné dans l’univers des afterparties montréalais, là où il s’est illustré en tant que DJ dans les dernières années. S’il se fait un peu trop conventionnel en première moitié, autant dans sa direction musicale en manque de constance que dans ses textes génériques sur l’ambition et le destin, l’Edmontonien d’origine arrive à nous surprendre en cours de route, en s’adaptant remarquablement à l’incursion future garage High Rise et à la déconstruction house Infinity Pool, deux signes probants de son exploration fertile dans le microcosme nocturne de la métropole. (O. Boisvert-Magnen)

Le premier album avec le chanteur-guitariste Pepper Keenan depuis In the Arms of God (2005) n’est pas une catastrophe si on le compare à Corrosion of Conformity (2012) et IX (2014), deux disques peu inspirés de la part de Woody Weatherman (guitare), Mike Dean (basse) et Reed Mullin (batterie), le trio fondateur de C.O.C. Cela dit, il faut patienter jusqu’à Nothing Left to Say, le neuvième morceau de No Cross No Crown, pour sentir le groupe sludge métal émerger de sa torpeur et encore, ça ne dure pas. La chanson est suivie d’un interlude instrumental qui rompt le charme, un problème qui caractérise tout le disque, qui aurait peut-être gagné en profondeur avec une production plus brute (ça manque de bayou!). L’impact des bonnes chansons (The Luddite, Wolf Named Crow, Old Disaster, E.L.M.) est en fin de compte dilué dans un ensemble qui manque de ferveur. (C. Fortier)

FRANÇOIS BOURASSA QUARTET NUMBER 9 (Effendi) HHHH 1/2 Pour marquer la sortie de son 150e album, l’étiquette Effendi – dévouée au jazz d’ici – avait besoin d’une œuvre solide avec une signature, une valeur sûre. Le quartette du pianiste François Bourassa fera largement l’affaire avec cet opus 9 qui en donne plus que le client en demande. Il faut dire que ça part en lion! Mais les amateurs de musiques atonales et dissonantes ont à peine le temps de se lécher les babines que les intros s’adoucissent, nous amenant vers des climats plus intimistes, comme la nostalgique et splendide Past Ich. Fan avoué de Carla Bley, de Karlheinz Stockhausen et de John Lennon (le titre Number 9 n’est donc pas innocent?), le compositeur annonce d’emblée qu’il n’a aucune envie de se répéter. Un maestro qui veut repousser les limites, mais un groupe vieux de 15 ans chez qui la pure maestria n’empêche pas l’expression des fêlures et des sentiments. Une coche au-dessus. (R. Boncy)

LHASA LIVE IN REYJAVIK (Audiogram) HHH 1/2 Enregistré en mai 2009 à l’occasion du Reykjavik Arts Festival, quelques mois avant le départ prématuré de cette sensible chanteuse américanomexicaine devenue montréalaise, ce concert live est d’une grande douceur et d’un charme impeccable. Lhasa est ici entourée de talentueux acolytes qui évoluent aujourd’hui au sein de The Barr Brothers et Patrick Watson: Joe Grass (guitares), Miles Perkin (contrebasse), Andrew Barr (batterie) et Sarah Pagé (harpe). Treize des quatorze titres sont un amalgame de pièces des trois albums de Lhasa (La Llorona, The Living Road et Lhasa) et puis, il y a cette reprise du cri d’espoir soul de Sam Cooke, A Change Is Gonna Come. Et à l’image de l’interprétation sur cet album, la chanteuse y insuffle à la fois de la délicatesse et de la force. (V. Thérien)

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MIGUEL WAR & LEISURE

(ByStorm / RCA) HHHH

Sur ce quatrième album, le chanteur californien poursuit les explorations R&B organiques entamées sur son précédent Wildheart, désertant (ou presque) les alliages de néo-soul et d’électro qui ont fait sa renommée au début de la décennie, principalement sur l’éminent Kaleidoscope Dream en 2012. Guitares au timbre chaud et brut, influences funk psychédéliques, voix dépouillée mise à l’avant-plan du mixage... War & Leisure contient une belle intensité, que Miguel traduit et incarne avec des textes passionnés, à la fois tributaires de sa vision pessimiste du monde socio­politique actuel (Now), de ses pensées moroses (Criminal) et de ses nombreuses pulsions sexuelles (Wolf). Malgré quelques compositions moins inspirées (Anointed notamment) et une poésie parfois trop artificielle (Banana Clip), l’album témoigne d’une admirable évolution digne d’un mélodiste pop de haut vol, encore trop sous-estimé. (O. Boisvert-Magnen)


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MONIQUE GIROUX SUR MESURE

LA DAME VERTE Tous les jours on la voyait aller, on ne savait où, à l’épicerie sans doute, à la poste peut-être. La dame verte habitait tout à côté de la caserne de pompiers qui ne servait que très rarement. Heureusement, parce que les pompiers volontaires – c’est ainsi qu’on les appelait –, bien que très volontaires, n’étaient ni très nombreux, ni très pompiers au demeurant. Elle venait d’on ne sait où, ce qui est, il faut le dire, assez rare dans un village de quelques centaines d’habitants. Ou tu viens de là, de génération en génération depuis Kateri Tekakwhita, ou le curé a déjà raconté l’histoire de ta famille de maison en maison dans sa visite de paroisse. «Marthe, la jumelle Léger, va marier un nouveau. Y vient de la ville, mais c’t’un bon gars, y va entrer dans les Chevaliers de Colomb et y veut être pompier...» Mon père était un homme volontaire. Quel âge avait-elle la dame verte? Comment s’appelait-elle? Sa maison était si petite qu’on se demandait comment elles pouvaient y tenir à deux. Parce que ça, on le savait, forcément. Elles étaient deux. Elle habitait avec sa sœur, qui ne lui ressemblait en rien, mais alors en rien du tout. La maison était toute mini, on dit maintenant micro, blanche avec au-dessus de la porte d’entrée un tout petit toit en fibre de verre verte ondulée… Vous voyez ce que je veux dire, de la fibre de verre verte ondulée? D’ailleurs, et voilà un élément-clé du mystère, la dame était elle-même toujours verte. Enfin, pas elle en propre, mais tous ses vêtements: des chaussures au chapeau, des gants au foulard, tout était vert. Elle ne portait que du vert, encore du vert, toujours du vert. Certains se souviendront, j’espère, de deux personnages hautement colorés de notre histoire culturelle, Nestor et la Poune. Alors, imaginez un joyeux mélange des deux, au chapitre de l’apparence. La couleur de cheveux de Nestor et la coupe

de la Poune. C’était seyant et du plus bel effet sur un joli kit vert 7Up, ou mieux, vert voiture anglaise MG ou Jaguar. Le chic du chic, le fin du fin. Vert, quoi. Cette dame verte occupe mon esprit depuis des décennies. Étais-je la seule petite âme du village à la regarder avec tant de curiosité? Pourquoi cette petite dame, cette petite maison, cette petite vie verte? Et sa «sœur»? On n’a jamais entendu le son de sa voix, ni la sienne, ni celle de sa sœur d’ailleurs. Ni bonjour-hi, ni oui, ni non, ni au revoir et merci. Pas de sayonara ni de danke schön non plus, rien, jamais rien. Que des pas, clac-clac-clac, des pas dans une rue qui mène à une autre rue qui mène à l’épicerie, à la poste, éventuellement au lac et à l’église bien sûr. On l’a rarement vue à la messe, tiens. Et quand elle y venait, on ne l’entendait pas dire à voix haute comme tout le monde ni le Notre Père ni amen à la communion. C’est simple, elle ne communiait pas. Il n’y avait pourtant que les divorcés qui ne communiaient pas dans le temps et peutêtre les sœurs qui n’en étaient pas pour vrai. J’ai entendu le président Macron clamer dans son éloge funèbre à Jean d’Ormesson, qui ne manquait pas de vocabulaire… de son vivant: «Il était trop conscient des ruses de l’histoire pour se navrer des temps présents.» Cette inspirante affirmation devrait me rassurer. Je travaille en effet à ne pas me navrer des temps présents parce que l’avenir va être long longtemps. Bref, on disait et on dit encore légerte, le monde sont et ça l’a. Tant pis. Ma dame verte était légerte, c’est presque poétique. Ou alors, je devrais dire: ma dame en vert était légère… Voilà qui est beaucoup plus joli. Quoi qu’il en soit, ça ne résout pas l’énigme qui m’obsède depuis le début des années 1970. Qui était la légère dame en vert, sans voix, sans passé, cachant son présent et sans avenir?

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Ma mère avait pour toute réponse à ma question «pourquoi elle est toujours habillée en vert, la madame?»: «Elle a fait un vœu.» Oh là là! Ça se complique. «Elle a fait un vœu??? Et elle s’habille en vert à cause de ça?» Je comprenais encore moins: — Mais oui, elle a fait une prière, elle a demandé une faveur, elle a fait un vœu. — Mais à qui? — À Dieu, voyons! — Mais elle ne parle pas quand elle va à l’église… — Elle l’a fait en silence dans son cœur et elle a fait la promesse de s’habiller en vert pour le reste de ses jours si sa faveur était exaucée. — Donc son vœu a été exaucé? Mais c’était quoi son vœu? Et qu’est-ce que ça apporte à Dieu que la dame s’habille en vert jusqu’à sa mort?

«SOIGNE TON ENTRÉE, SOIGNE TA SORTIE ET ENTRE LES DEUX, FAIS CE QUE TU VEUX.» J’avais 8 ans et ça me taraude encore cette histoire d’une inconnue qui ressemblait à Nestor et dont personne ne se souvient, qui n’a laissé d’autres traces que ces quelques lignes dans le numéro de janvier 2018 d’un magazine culturel vachement branché. Au moment de les écrire, ces lignes, on enterre la dernière des idoles. Un enfant abandonné par ses parents, un éternel adolescent chanteur hurlant, baroudeur tatoué, qui ne parlait pas beaucoup lui non plus mais de qui on savait tout des menus détails de la vie. Il avait pour devise: «Soigne ton entrée, soigne ta sortie et entre les deux, fais ce que tu veux.» C’est à elle que je pense aujourd’hui, à ma dame verte dont on ne saura jamais par où elle est entrée, par quelle porte elle est sortie et ce qu’elle a fait entre les deux.

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OUVERT LES MIDIS

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C’est assurément pas donné à tout le monde d’être Johnny. y

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34 CINÉMA VOIR QC

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DRÔLES DE TRISTESSES AVEC LES SCÈNES FORTUITES, LE SYMPATHIQUE COMÉDIEN ET AUTEUR GUILLAUME LAMBERT SIGNE UN PREMIER LONG MÉTRAGE DE FICTION DANS LEQUEL IL SE MET EN SCÈNE. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | JOCELYN MICHEL (CONSULAT)

«J’ai souvent confié mes scénarios à d’autres réalisateurs, mais là, je trouvais que c’était une opportunité pour faire quelque chose de très intime.» Les scènes fortuites est un film fait avec peu d’argent, mais visiblement avec beaucoup d’amour, concocté à l’automne 2016. «Tout le monde a donné beaucoup d’âme, de cœur, et très peu de temps. C’est beaucoup d’effort, devoir travailler avec un petit budget, mais en même temps, cette liberté-là d’avoir carte blanche, j’en garde un souvenir impérissable.» Le comédien jouit de belles années professionnelles avec le succès de deux séries humoristiques dans lesquelles il joue – L’âge adulte, qu’il écrit également, et Like-moi! – Cette opportunité de premier saut en long métrage cadrait parfaitement dans son horaire. «J’ai la chance de ne faire que des projets de cœur ces temps-ci, dit-il. Je n’ai pas non plus à faire des choix déchirants. Ç’a été facile, logique, même, d’imbriquer Les scènes fortuites entre deux tournages de Like-moi! et de L’âge adulte.» Retour en 2014 pour vous expliquer la prémisse assez loufoque des Scènes fortuites qui, vous comprendrez, porte bien son nom. Les hasards de la vie nous mènent parfois bien loin. «J’avais l’intention de faire un court métrage composé de retailles de scènes coupées en production dans d’autres projets. Cette année-là, j’ai su que l’acteur français Denis Lavant était en ville et je lui ai proposé d’être dans mon film. J’ai écrit une scène et on l’a filmée sans aucun budget. Finalement, ça ne marchait pas pantoute dans le court métrage. Plus tard, j’avais une chance de postuler pour le Programme de production à micro-budget de Téléfilm Canada. Mon pitch a alors été: c’est l’histoire d’un gars qui a fait un film avec Denis Lavant, mais qui ne l’a jamais fini!»

Cette fameuse scène est donc le point de départ de cette comédie dramatique où l’on suit le quotidien plutôt morne du personnage campé par Guillaume Lambert, Damien Nadeau-Daneau. C’est un homme de peu de mots dont l’humeur est en synthèse avec la grisaille ambiante de l’automne montréalais. Faute de pouvoir compléter son film, il se résout à trouver un autre gagne-pain: celui d’écrire les textes qui accompagnent des émissions de type Drôles de vidéos. «J’aime beaucoup les paradoxes, explique le comédien. Damien, c’est quelqu’un qui travaille avec des drôles de vidéos, mais qui fait une dépression parce qu’il fait ça! Il aspire à mieux, mais il se rend compte de la médiocrité autour de lui.» Dans le ton, le film navigue avec beaucoup de justesse entre le tragique et le comique, l’absurde et la tristesse. Alimenté par une trame sonore d’improvisation jazz, Les scènes fortuites s’avère aussi fort poétique et mélancolique. «Je voulais quelque chose près de la BD – Charlie Brown avec un nuage sur la tête –, mais avec du vrai monde. Je voulais un film choral aussi. Quand j’étais jeune, j’ai été beaucoup inspiré par des films comme Happiness, Magnolia, le cinéma américain du début des années 2000, Noah Baumbach, Alex Ross Perry… Quand je suis allé au Festival du film de Sundance en 2014, j’étais porté par ce cinéma qu’on ne fait pas beaucoup ici et j’avais envie de faire une comédie triste. J’avais le goût de parler d’une relation frère-sœur (incarnée par Valérie Cadieux, une amie de longue date) noyée dans un melting-pot de souffrances tragicocomique. Un film sur des trajectoires où les gens se croisent mais où il ne se passe rien, avec une évolution dramatique assez ténue, celle d’un gars aigre-doux, mi-amer, qui regarde le monde.» En réitérant son amour des paradoxes, Guillaume Lambert précise ses intentions ainsi: «J’essaie de mettre une profondeur sur des choses très banales,

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> une tristesse sur des choses très drôles, un ordre dans un certain chaos.» Les personnages autour de Damien sont nombreux, à l’image des films choraux qu’admire le scénariste. Outre sa sœur qui fait des allers-retours dans sa vie sans comprendre le mal-être de son frère, il y a Judith, sa nouvelle collègue de travail au studio de postproduction. «Quand on a compris que Damien allait travailler dans un studio, ça nous prenait un personnage secondaire. J’avais envie de faire un clin d’œil à Frances Ha et à Greta Gerwig, et Sarianne s’imposait naturellement pour le faire.» La Judith en question a de grands yeux inquisiteurs, est légèrement inconfortable et se cache toujours derrière une petite boîte de jus de fruits, qu’elle sirote. Il y a aussi ce couple de producteurs un peu bobo (Monia Chokri et Éric Bernier) et un autre couple (trop) en symbiose à un mariage (Léane Labrèche-Dor et Mickaël Gouin), ce qui n’irrite pas peu Damien. Pour Damien et Judith, Guillaume Lambert explique s’être inspiré «des gens qui font avec beaucoup de passion des choses très mauvaises». C’est avant tout la passion des hasards et des gens qui le motive à écrire ce type de personnages drôles/tristes. «Je viens de Sorel et y a eu le cas Éric Salvail récemment. Il devait y avoir un agenda scolaire avec son visage un peu partout et le jour où c’était prêt, y a une fille qui a dû annuler la commande et remplacer la couverture, à la suite du scandale… Moi, j’ai profondément envie de savoir c’est qui cette fille! J’aime beaucoup les choses improbables.» «Quand on joue ces personnages, on joue des gens qui habitent des grands drames, dit Sarianne Cormier, qui a aussi aidé à la scénarisation du film. Il faut jouer le drame parce que c’est ce qui est drôle. Ce sont des gens tous un peu en détresse.» Le réalisateur ajoute: «L’ennui de ces personnages-là, l’attente de vivre, est en soi une tragédie. Il ne se passe pas grand-chose, mais les personnages ont laissé aller cette insatisfaction-là et le film se termine comme si c’était un peu le premier jour de leur vie.»

(PAGE DE DROITE) VALÉRIE CADIEUX JEAN-CARL BOUCHER FRANÇOIS PÉRUSSE MICKAËL GOUIN ÉRIC BERNIER SARIANNE CORMIER

Le seul et unique François Pérusse est également de la distribution dans un rôle inattendu: celui du narrateur plutôt sérieux du film. Guillaume Lambert explique que l’humoriste était ému de se faire offrir un mandat qui sortait de ce qu’on lui propose habituellement. «Sa voix a tellement été entendue et elle habite tellement les gens de ma génération qu’il y a quelque chose d’extrêmement touchant quand, par exemple dans le film, il lit du Marguerite Duras. Ça me donnait des frissons à l’enregistrement. Sa voix a beaucoup d’humanité quand il ne fait pas de blagues. Je voulais exploiter ça.»

Sans jouer son propre personnage, Guillaume Lambert inculque quand même à ses Scènes fortuites des éléments de sa vraie vie. «C’est pas autobiographique, mais j’aime faire en sorte que les spectateurs croient que ce l’est», explique-t-il en riant. Tout comme Damien, Guillaume a déjà, dans une autre vie, traduit des Drôles de vidéos et il a déjà joué un lutin aux côtés du père Noël, comme dans cette scène où Jean-Carl Boucher joue un réalisateur. Pour jouer avec le vrai et le faux, le comédien a aussi puisé dans ses archives personnelles et a utilisé une entrevue réalisée à la télé communautaire de Sorel alors qu’il a 7 ans et qu’il parle très sérieusement de ses grandes ambitions. «C’est sur l’acide cette affaire-là! Ç’a pas de bon sens. Mais ç’a été une des premières images qui a inspiré le film. Je me suis dit que ce serait le fun d’incarner un enfant vedette. J’ai toujours été fasciné par Macaulay Culkin. Le passage à l’âge adulte de ces gens-là qui n’est pas toujours heureux. Je ne voulais pas y aller trop trash avec Damien, mais plutôt exploiter la désillusion: quand ton grand succès est arrivé quand t’avais 7 ans, que fais-tu après?» Des moments plus drôles qui ponctuent Les scènes fortuites, on retient ces courtes vignettes où, par exemple, Damien se penche pour attacher son soulier et un homme lui fonce dedans. Rien pour aider Damien dans sa détresse... «C’est tellement épais! commente Guillaume Lambert. C’est des scènes qu’on n’a jamais le droit de faire parce que ça nécessite de faire déplacer plein de gens, d’engager des acteurs, de se trouver un permis de tournage, etc. Tout ça pour une joke de trois secondes! Mais on se l’est permis.» Ces petits moments humoristiques nous rappellent aussi l’excellent court métrage Toutes des connes, que Guillaume Lambert a fait avec le réalisateur François Jaros en 2013. Y aurait-il une continuation dans ce style d’écriture? «Oui, tout à fait, répond l’auteur. Je développe ma plume. Puisque j’aime les paradoxes, pour Toutes des connes, je voulais faire quelque chose de très court qui couvrait une longue période de temps. Je m’étais donné comme défi de faire 100 scènes de quelques secondes en un film de 5 minutes. Avec Les scènes fortuites, je voulais tester cette forme-là, mais en plus long, avec des scènes très courtes qui venaient ponctuer des moments plus dramatiques.» Pour la suite des choses, Guillaume Lambert souhaite poursuivre ses projets web et télé et a confiance que l’avenir le mènera là où il veut. «Tous mes projets partent d’une idée assez précise. Là, c’était le mot “fortuite”: je m’intéressais à la vacuité, la raison pour laquelle les choses arrivent, à l’errance, à l’existentialisme, et ç’a donné ça. Reste à voir ce qui m’inspirera pour le prochain projet.» y En salle le 26 janvier




CINÉMA 39 VOIR QC

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AVIVER LA FLAMME APRÈS AVOIR PRIS LE POULS DE L’HÔTEL LA LOUISIANE, À SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS, LE DIRECTEUR PHOTO MICHEL LA VEAUX REVIENT À LA RÉALISATION, EN SALUANT BIEN BAS SON CONFRÈRE QUI NOUS A TIRÉS VERS LE HAUT, NUL AUTRE QUE JEAN-CLAUDE LABRECQUE. MOTS | NICOLAS GENDRON

PHOTOS | ONF

Le premier fut l’assistant du second à trois reprises, en plus de prêter son talent aux cinéastes Benoit Pilon (Iqaluit), Catherine Martin (Trois temps après la mort d’Anna) et Sébastien Pilote, dont il signe toutes les images (Le vendeur, Le démantèlement et bientôt La disparition des lucioles). Le second a marqué notre cinéma par une quarantaine de titres d’exception, en étant directeur photo pour Claude Jutra (À tout prendre), Gilles Carle (La vie heureuse de Léopold Z.) ou Bernard Émond (La neuvaine), tout en réalisant des dizaines de documentaires (L’histoire des trois, Infiniment Québec) et quelques fictions «issues d’un mouvement documentaire» (Les smattes, Les vautours, Les années de rêves). Appelé à prendre la parole lors d’une soirée des Rendez-vous du cinéma québécois où l’on plébiscitait Labrecque, Michel La Veaux

avait perçu le caractère éphémère de l’hommage, ce qui lui a donné l’idée d’un long métrage sur l’homme. «Labrecque a un esprit d’archiviste, de souligner La Veaux, et je trouvais ça beau de lui rendre la pareille, de rappeler son importance dans la culture québécoise. Notre cinéma est très effervescent, en ce moment, mais on oublie souvent qu’on ne vient pas de la cuisse de Jupiter. Des gens avant nous ont tracé la voie. Et je suis très reconnaissant envers Jean-Claude.» Le principal intéressé est bien heureux du résultat, même s’il s’avoue un peu gêné de recevoir tant d’attention. «Cela étant dit, je suis content parce qu’on n’y parle pas seulement de moi, mais de la collectivité de l’époque, les Michel Brault, Gilles Groulx, Claude Jutra et Paul Vézina, un gars brillant dont j’ai beaucoup appris, qui connaissait la lumière de Québec par cœur.»

En plaçant Labrecque devant la caméra, seul en piste, le parti pris de La Veaux est limpide: «Ç’aurait été facile de lui lancer des fleurs à plusieurs pendant une heure et demie, mais de n’avoir que Jean-Claude, au contraire, me permet un rapport de connivence, franc et amical, comme avec Juliette Gréco dans Hôtel La Louisiane.» Au-delà des extraits d’une douzaine de films captés en 35mm sur le grand écran de la Cinémathèque québécoise subsiste cet échange contagieux entre deux hommes de lumière qui s’emballent comme des gamins à la vue d’une caméra. En parallèle, Labrecque se prête au jeu de fouler les lieux marquants de son parcours – qui par un travelling aux abords du fleuve Saint-Laurent, qui par une mise en abyme ingénieuse au Stade olympique. «C’était touchant, de me retrouver sur les lieux de mes souvenirs, de confesser le vétéran. De repenser entre autres

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L’un a manifestement été pour l’autre une vive source d’inspiration. «Pour moi, Labrecque était un modèle d’audace et de virtuosité. Dès 60 cycles, j’ai vu à quel point il utilisait le langage du cinéma pour le pousser à l’extrême, entre autres avec de longues focales. Il déjouait les attentes, et ce, avec des outils pas si performants. Plusieurs directeurs photo peuvent en témoigner, dès que tu montes dans un hélicoptère pour un plan, une des premières choses qu’on te dit, c’est: “J’espère que ça sera aussi bon que Jean-Claude Labrecque!”» N’empêche que ce qui ressort surtout de ce portrait éloquent, c’est la façon vibrante qu’a eu l’artiste de témoigner, sur plus d’un demi-siècle et «à travers son viseur», de l’évolution du Québec, de la culture (La nuit de la poésie, trois fois plutôt qu’une, en 1970, 1980 et 1991) à la politique (La visite du général de Gaulle au Québec, Le RIN). Labrecque émet une hypothèse sur sa mentalité d’archiviste: «Ça doit me venir

Le chat dans le sac, de Gilles Groulx

à Marie Uguay [poète disparue trop tôt, dont il a signé un portrait éponyme], dont je me suis beaucoup occupé. Et Michel me connaissant très bien, j’avais tout le loisir d’étudier avec bonheur son approche visuelle.»

LABRECQUE EN TROIS TITRES LE CHAT DANS LE SAC DE GILLES GROULX «C’est LE film qui a été pour moi la confirmation que je voulais dédier ma vie à la lumière, de s’enthousiasmer La Veaux. C’était absolument renversant, la façon qu’avait Jean-Claude de travailler avec des lumières artificielles et naturelles en même temps, sans qu’on s’en aperçoive. Assurément un film majeur de notre cinéma, que Godard avait, paraît-il, adoré.»

JEUX DE LA XXIE OLYMPIADE CORÉALISÉ PAR LABRECQUE

de Québec, qui est une grande ville d’histoire. Quand j’étais jeune, je fouillais pour trouver Champlain, avec René Lévesque. On allait sur la rue De Buade et on creusait avec des cuillères! On était à côté de la track à 100 milles à l’heure, mais ça fait rien. Cette ville m’a mené là où je suis.» Celui qui aime filmer les visages comme s’il s’agit d’un pays observe le Québec d’aujourd’hui avec une certaine tristesse. «On s’attaque de plus en plus. On ne rêve pas des bonnes affaires. On pousse trop sur les ouvriers, qui n’ont pas le temps de construire leurs ponts que ça tombe déjà. C’est fondamental, le temps. Ça, et le respect des ouvriers.» À tout le moins, La Veaux aurat-il pris le temps de lui vouer respect et admiration. «Le p’tit gars de Limoilou n’est pas juste monté dans la voiture du général de Gaulle, il a aussi pavé la voie à plusieurs directeurs photo. Et j’ai envie de perpétuer sa démarche, afin que le langage du cinéma continue d’être signifiant.» La flamme du cinéma demeure, s’allumant à relais. y Labrecque, une caméra pour la mémoire Sortie en salle le 12 janvier

«D’un humanisme foudroyant, affirme La Veaux. On est à l’inverse des films américains et de la performance. Il y a des plans hallucinants de gens qui viennent de perdre quatre ans de leur vie, parce qu’ils n’ont pas de médaille. C’est de la tragédie grecque. Et en même temps, on touche à ce que l’humain a de beau dans la défaite et la victoire.»

À HAUTEUR D’HOMME DE LABRECQUE «J’avais réalisé un livre de photos qui s’appelait ainsi, se remémore Labrecque, avant de m’approprier cette expression à l’époque des Olympiques. Je la trouvais parfaite pour le film autour de Bernard Landry, qu’on a tourné très instinctivement, au nom de la démocratie, comme le disait lui-même le premier ministre. Jamais pendant le tournage, même à l’aube de tout perdre, il ne m’a dit de le laisser tranquille!» Et La Veaux de renchérir: «C’est un des plus grands films sur la dignité humaine.»


42 CHRONIQUE VOIR QC

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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

EN 2018, J’AIMERAIS... Vous la connaissez sans doute. C’est une petite fille qui est assise sur les genoux du père Noël et qui lui dit ce qu’elle voudrait en cadeau: une licorne! Embarrassé, le brave barbu lui demande si elle n’a pas un autre souhait. La petite répond alors: «Je voudrais qu’on ait un gouvernement qui ne se préoccupe que du bien commun et qui ne soit pas là pour servir des intérêts particuliers.» Le père Noël: «De quelle couleur tu la veux, ta licorne?» Voici 5 souhaits pour 2018. Je les pense raisonnables – à des degrés divers, sans doute. Mais raisonnables. Disons, pour certains, comme demander une licorne…

Politique Après une mûre réflexion collective, je voudrais qu’on établisse une forme ou l’autre de mode de scrutin proportionnel. Est-il besoin de dire pourquoi? Non, bien sûr! On entendra donc sous peu, c’est certain, le beau consensus de tous les partis politiques, nous disant que le temps est venu de faire ce qui doit être fait, en se préoccupant uniquement du bien commun, sans penser à servir les intérêts particuliers, et afin de… Je la veux bleue, ma licorne... Art

Éducation Je plaide pour elle depuis longtemps. Elle devrait rassembler tout le monde, au-delà des divergences et des parti­saneries politiques. Elle est depuis trop longtemps déjà nécessaire et la créer donnerait enfin un précieux gage du sérieux que nous accordons à l’éducation, qui est selon moi l’enjeu des enjeux. Quoi donc? Une commission Parent 2.0. J’en rêve. Je rêve d’une solide équipe de gens sérieux, informés, non partisans. Ils et elles consulteraient, réfléchiraient, étudieraient. Puis ces personnes avanceraient, en ayant pris tout le temps qu’il leur faudra, des propositions pour faire arriver l’éducation du Québec au 21e siècle. On mettrait ainsi fin aux rapiéçages improvisés, aux solutions partisanes, mal avisées ou à courte vue, qui sont notre lot depuis si longtemps, depuis trop longtemps.

L’état de notre conversation démocratique m’inquiète souvent, avec ces parfums de censure qu’on y subodore ici et là, avec ces limites imposées à la liberté d’expression, avec cette irrespirable atmosphère de rectitude politique. Je souhaite qu’en 2018 elle n’atteigne pas, comme certains le redoutent, dont moi, le monde des arts. Deux personnes ont mieux dit que moi ce qu’il convient de dire ici et je les citerai donc: «En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière. À ceux qui nous presseraient, que ce soit pour aujourd’hui ou pour demain, de consentir à ce que l’art soit soumis à une discipline que nous tenons pour radicalement incompatible avec ses moyens, nous opposons un refus sans appel et notre volonté délibérée de nous en tenir à la formule: toute licence en art.» (André Breton et Diego Riviera)

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43 Économie Voici une petite énigme facile à résoudre. Il s’est récemment créé au Québec un nombre record d’emplois et nous avons, au moment où j’écris, le plus bas taux de chômage depuis plus de 50 ans: 5,4%. Pourtant les gens, quand on les sonde sur le sujet, jugent très sévèrement les politiques du gouvernement pour favoriser la création d’emplois et stimuler les investissements économiques. Vous avez deviné. C’est la redistribution de la richesse qui n’est pas au rendez-vous et qui est la clé qui résout cette énigme. Le drame, perçu par tout le monde, est que notre société devient de plus en plus et dramatiquement inégalitaire. Insécurité alimentaire, emplois mal rémunérés, travailleurs demeurant pauvres, inégale redistribution de la richesse: voilà le mal. C’est vrai au Québec et c’est vrai partout ailleurs, à des degrés divers. La croissance profite, de manière massivement prévalente, aux plus favorisés, tandis que les plus faibles souffrent d’une austérité dont on ne leur redistribuera que des miettes quand on y mettra fin et si on y met fin. C’est un enjeu économique majeur, sans doute notre plus grand défi sur ce plan. Et ce défi, à vrai dire, n’est pas qu’économique. Aristote rappelait en effet, avec raison, que la démocratie recule à proportion que les grandes inégalités économiques s’accroissent. Si vous avez de trop grandes inégalités, il vient en effet un moment où, à proportion, vous n’avez plus de substantielle démocratie, puisque celle-ci suppose que des gens échangent, se rencontrent, ont entre eux des liens et partagent des intérêts communs, qui les unissent. Une véritable égalité des chances devrait, en démocratie, produire une certaine égalité des conditions. On en est loin. On s’en éloigne encore. Rêvons qu’en 2018 on commence sérieusement à travailler à réduire les inégalités économiques et qu’on… Je la prendrai bleue, cette fois encore… Littérature Laissez-moi rêver. Comme vous le savez, il n’y a jamais eu de prix Nobel de littérature attribué à un auteur québécois. Nous avons pourtant chez nous des écrivains tout à fait nobélisables. Rêvons que ce soit le tour d’un d’entre eux cette année. Pour ma part, je plébiscite Michel Tremblay. Pour la diversité de son œuvre, pour la quantité et la qualité de sa production. Et aussi parce qu’il a su, comme Marcel Pagnol, atteindre l’universel en restant chez lui et parler de la condition humaine en parlant de nous. Il y a plusieurs années, on a bien ri de moi et des quelques autres qui pétitionnaient pour que le Nobel de littérature soit attribué à Bob Dylan. Existe-t-il un comité qui milite pour que le Nobel soit décerné à Tremblay? Si ce n’est pas le cas, je suggère qu’on le fonde immédiatement. Comptez-moi parmi les premiers signataires du Manifeste pour l’attribution du Nobel de littérature à Michel Tremblay. Bonne année. Et pas trop de licornes. Même bleues… y


SI LA FRANCE EST CONSIDÉRÉE COMME LE PAYS DU VIN, QUELQUES QUÉBÉCOIS ARRIVENT À SE FAIRE UNE PLACE EN OR DANS SES CAVES OU DANS SES VIGNES. PORTRAITS DE DEUX DE CES EXPATRIÉS DU VIN. MOTS | MARIE PÂRIS


GASTRONOMIE 45 VOIR QC

VO3 #O1

Marco Pelletier,

le sommelier des grandes cartes Marco est tombé dans le vin un peu par hasard; ses parents ne buvaient même pas. Diplômé en génie civil, il part à 22 ans passer un été en Europe et atterrit dans un café à Épernay, en Champagne – à un jet de pierres des caves de Moët & Chandon. Il rencontre des vignerons, commence à déguster… «Je suis finalement resté pour les vendanges et les vinifications!» Le Montréalais aime tellement ça qu’il revient l’été suivant pour travailler dans les vignes, et postule au passage à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). «J’ai été refusé, mais je les ai harcelés jusqu’à ce qu’une place se libère», se souvient Marco. À l’issue de sa formation en restauration et sommellerie, l’ancien étudiant en génie civil a su faire ses preuves dans le vin. Il décroche la Bourse d’excellence GérardDelage, qui lui offre l’opportunité d’aller travailler dans un Relais & Châteaux en France. Le voilà donc parti à Brantôme, dans le Sud-Ouest; et ça y est, il est expatrié pour de bon. En 2000, Marco arrive comme commis à Maison Rostang, à Paris, où il apprend le métier sous la tutelle du chef sommelier Alain Ronzatti. «Je me suis retrouvé commis, puis assistant et chef sommelier en même temps», raconte Marco, qui remplace son mentor lors de ses voyages. Son resto suivant? L’étoilé Taillevent, toujours dans la capitale, où il gère une cave de plus de 400 000 bouteilles. En 2008, le célèbre hôtel Le Bristol cher­che un nouveau chef sommelier pour son restaurant L’Épicure. Vingt-huit candidats se présentent; c’est Marco qui est retenu. À 33 ans, le voilà au sommet. Difficile pour un étranger de pénétrer le monde secret et sacré du vin français? «Je ne trouve pas. Quand vous avez de l’humilité, les gens vous acceptent plus facilement. Ça m’est arrivé une seule fois de ne pas être bien accueilli, quand un client m’a dit: “Est-ce que c’est vous le sommelier américain?” Il a ensuite demandé à être servi par mon collègue français…», raconte Marco. Un an plus tard, le sommelier devient associé de la maison de champagne Michel Gonet, dont il est depuis ambassadeur de marque, et vigneron au Domaine de Galouchey, dans le bordelais. Il possède également une société qui organise des dégustations. «Mais tout ça devenait difficile à gérer avec un travail en hôtel où il fallait être présent tout le temps, explique Marco. Je regrette aussi que les grands hôtels deviennent des restos-musées, où les clients demandent le code wifi avant de boire un verre…» En 2016, il saute le pas et ouvre son propre resto avec un associé, le chef Iacopo Chomel. Vantre, à Paris, est une table de bistronomie très

abordable, associée à une cave incroyable: 1500 références à la carte, et 1200 de plus à la cave. Au bout de cinq mois, le Guide Lebey distingue Vantre comme «Meilleure carte des vins de Paris». «Aujourd’hui, on est complet midi et soir», souligne fièrement Marco. Les sommeliers du monde défilent au Vantre, tandis que les critiques enthousiastes se multiplient dans les journaux. Bref, la France, pour lui, c’est un succès. «Mais je ne suis pas chauvin! Au contraire… Je dis sans problème que la qualité des vins mythiques en France est en train de baisser, indique l’expatrié. Le vrai pays du vin, du point de vue de la consommation, c’est New York.» Quant à l’émergence des vins québécois, Marco reconnaît suivre ça d’un peu loin: «Quand je reviens pour les vacances, je décompresse complètement et je me coupe du travail. Je ne connais donc pas bien les vins du Québec…» Revenir vivre ici? La question ne se pose pas pour le sommelier. «La qualité de vie au Québec est incroyable, mais je reste près de mon vignoble…» Et si la qualité de vie n’a rien à envier à la France, il en va de même pour les conditions de travail en restauration selon Marco: «Le milieu est encore plus dur ici. On n’a pas les pourboires comme au Québec, on fait des doubles shifts, c’est 10 fois plus difficile. J’ai fait plus de 75 heures par semaine pendant 18 ans. En France, vous avez l’armée, et juste après vous avez la restauration…»

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GASTRONOMIE 47 VOIR QC

VO3 #O1

> Pascal Marchand,

pionnier du vin nature en Bourgogne Originaire de Laval, Pascal arrive en Bourgogne pour la première fois en 1984, à 21 ans; à 22 ans, il s’y établissait pour le reste de sa vie. «C’est un hasard qui a fait que je suis arrivé là, mais la culture du vin m’intéressait et j’avais envie d’apprendre pour ensuite voyager dans d’autres régions viticoles dans le monde», explique Pascal. Après avoir découvert les plaisirs de la vigne en ayant participé à des vendanges avec des amis, il suit une formation à l’École de viticulture de Beaune, en Bourgogne. Il a ensuite la chance d’être remarqué par le comte Armand, du Domaine des Épeneaux, qui lui offre le poste de régisseur dès 1985. «J’avais beaucoup d’appréhension en arrivant, confie le vigneron. Est-ce que les gens allaient m’accepter? Finalement, je me suis bien intégré dans le sérail bourguignon. J’arrivais aussi à un moment où beaucoup de gens de mon âge reprenaient des vignobles… Et l’avantage, c’est que j’avais pas à rendre des comptes à une génération au-dessus de moi, j’avais une certaine liberté que les autres n’avaient pas.» En Bourgogne, Pascal est l’un des premiers à se lancer dans la viticulture biologique et la biodynamie – il laboure même avec un cheval. Rapidement, le vigneron se fait remarquer dans le milieu; dans le top 100 du Wine Spectator des meilleurs vins du monde, le Pommard Clos des Épeneaux 96 est le meilleur des vins de Bourgogne. En 1999, Pascal quitte finalement le Domaine des Épeneaux pour celui de la Vougeraie. Grâce à une association de domaines, il travaille sur l’élaboration du Clos Jordanne (pinot noir et chardonnay), dans la vallée de Niagara. S’il aime la Bourgogne, le vigneron prend plaisir à voyager partout dans le monde; il devient alors un «flying winemaker», selon l’expression anglaise. Pascal se rend ainsi six fois par an dans la vallée de Bio Bio au Chili pour les vins de Veranda, et travaille dans la vallée de Sonoma, en Californie, pour les vins de Joseph Phelps. En Australie, il a créé le domaine Marchand and Burch dans la Western Australia et devient consultant des maisons Turner’s Crossing, Carlei et Prancing Horse. En 2006, le vigneron lance son micronégoce, et sa propre étiquette en partenariat avec le financier de Toronto Moray Tawse. MarchandTawse, c’est huit hectares de terrain en Bourgogne, qui produisent environ 10 000 bouteilles de vin d’appellations Premier Cru et Grand Cru – la bouteille phare, le Musigny, atteint les 800 dollars US. Finalement, Pascal a fait sa place

parmi les Français. «Il y a quelques étrangers dans le milieu, mais pas tant que ça… Quand on commence à jouer dans le foncier, c’est plus difficile, il faut être introduit. Tout se passe de manière un peu secrète. Mais bon, les Français ont plus peur des Chinois que des Québécois!», rigole le vigneron, faisant allusion au rachat en 2012 du domaine de Gevrey-Chambertin. En 34 ans, Pascal a remarqué que le monde du vin français a changé: «La qualité est la même, mais les prix montent, par exemple en Bourgogne. L’accès aux bouteilles est plus difficile et ça change la donne. Avant, un jeune qui s’intéressait au vin pouvait goûter à plein de choses; aujourd’hui, c’est beaucoup plus dur...» En attendant, Pascal est devenu l’un des représentants de la Bourgogne dans le monde – le réalisateur montréalais David Eng lui a d’ailleurs consacré un portrait-documentaire, Grand Cru, sorti fin 2017. Et les vins du Québec dans tout ça? «Je suis admiratif devant ce qui se passe là-bas. J’ai la chance de pouvoir y revenir environ quatre fois par an, et j’ai goûté des choses qui m’ont vraiment étonné, confie Pascal. Mais depuis tout ce temps, je ne me vois pas vivre ailleurs qu’en Bourgogne.» y

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48 LIVRES VOIR QC

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«SA» MÈRE AVAIT RAISON MOTS | FRANCO NUOVO

Oui, «Sa» et pas «Ma» comme dans le titre de son plus récent roman. Parce que c’est vrai que si sa vie n’est pas à ce point romancée qu’elle en devient fausse, elle, Fanou (c’est son nom), avait raison de vivre comme elle l’a fait. Libre. Libre jusqu’à frôler l’inconscience. Libre jusqu’à l’excès. Libre jusqu’à l’intransigeance, jusqu’à la folie, sans être sage ni juger, sans avoir peur. Je n’ai jamais été très Alexandre Jardin. Je l’ai souvent trouvé un peu cucul dans son romanesque. Ce qui ne m’a pas empêché, dans tout mon paradoxe, plus jeune, d’apprécier Le Zèbre qui reçut le prix Femina et puis Fanfan. J’aimais son goût de la conquête, je crois. Son goût de l’amour absolu. C’était romantique. J’étais romantique, je suppose. Lorsqu’il a porté Fanfan au cinéma, je suis même allé sur son plateau dans les studios à Boulogne-Billancourt. Je ne me souviens plus trop comment je me suis retrouvé là. Concours de circonstances probablement. J’y ai vu à l’œuvre un jeune garçon enthousiaste, que la passion du cinéma consumait, probablement parce qu’il avait vu cet art de près pendant son adolescence, grâce à un père scénariste et des cinéastes importants qui vivaient avec lui. Entre vous et moi, je me rappelle très bien que j’étais plus excité à l’idée de rencontrer son héroïne incarnée par Sophie Marceau qu’à celle de l’interviewer, lui. Ceci n’était qu’une petite parenthèse. En fait, après, j’ai pendant longtemps délaissé cet auteur descendant de Jaurès, jusqu’à ce qu’il écrive sur sa famille, son grand-père collabo et maintenant sa mère, femme d’exception s’il en est et à qui le petit et le grand Alexandre vouent amour, bien sûr, mais aussi admiration, voire adulation et dévotion.

PHOTO | JEAN-FRANÇOIS PAGA

J’ai commencé par feuilleter quelques pages de Ma mère avait raison grâce, je ne le cacherai pas, à la photo de couverture révélant une femme à la beauté si atypique et au regard si perçant qu’ils invitent à la découverte. Pendant ma lecture relatant l’existence extra­ ordinairement libre de cette mère peu commune, j’ai entendu, à l’émission de MarieLouise Arsenault, Pierre Lebeau parler de Bukowski et d’un ouvrage regroupant des lettres écrites à des éditeurs, des directeurs de revue, des confrères, des amis, etc. Or, là où Lebeau m’a interpellé, ce n’est pas tant dans sa lecture de Bukowski, mais plutôt dans les raisons qui l’ont poussé à s’arrêter sur cet auteur à la vie dissolue dans l’alcool. «Ce qu’il représente, exprimait ce jour-là Lebeau en parlant de Bukowski, c’est quelque chose qui n’existe presque plus maintenant. On vit dans une telle époque de pudibonderie, de puritanisme, de rectitude politique… Probablement Bukowski pourrait-il écrire encore aujourd’hui, mais ça resterait dans ses tiroirs. Je pense que plusieurs de ses textes, sérieusement, seraient interdits de publication. On dirait qu’il est misogyne (on n’aurait peut-être pas tort), violent, provocateur… Or ces personnes-là, on en a besoin. Elles représentent un peu un phare. Alors qu’en ce moment, on traverse une période éteignoir où presque plus rien n’est possible, dans l’expression et dans le geste. Pour moi, ce Bukowski représente la liberté.» Je ne sais pas si le couperet de la censure s’abattrait sur son œuvre. Je ne crois pas. Je crois au contraire que la littérature est encore la seule terre de liberté, avec tout ce que le mot liberté comporte d’exagération, de délire, de fantasmes, d’audace, d’irrévérence et de courage. C’est pour ça que cette parole, répondant ou non à la morale du temps, il faut la propager et la sortir des tiroirs.

Maintenant, loin de moi l’idée de comparer Fanou à Bukowski, mais si on en croit son fils, la vie qu’a menée cette femme à son époque, les hommes avec qui elle partageait simultanément, sous le même toit, son amour et son lit, Pascal (Jardin), Claude (Sautet), Jacques (Santi) peut-être même Robert Enrico, l’acceptation que le sexe est une joie si pure qu’elle permet à Pascal de ramener à la maison, chez lui, chez elle, chez eux, la sulfureuse Régine Deforges... Cette quête de l’écriture et cette poursuite de l’art qui ont engendré les films de Sautet, mais aussi le phénoménal Le vieux fusil de Robert Enrico, tout cela serait-il encore possible aujourd’hui? La question se pose-t-elle? Toutefois la phrase retenue par Alexandre Jardin et formulée par sa mère est toute simple: «Mon chéri, il faut avoir le courage d’aimer.» En fait, le livre repose sur ces neuf mots, parce que pour Jardin, à en croire ce récit, c’est du courage de vivre qu’il est question. y Ma mère avait raison Alexandre Jardin Grasset, 2017, 216 pages


LA PHRASE RETENUE PAR ALEXANDRE JARDIN ET FORMULÉE PAR SA MÈRE EST TOUTE SIMPLE: «MON CHÉRI, IL FAUT AVOIR LE COURAGE D’AIMER».


50 ARTS VISUELS VOIR QC

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MATIÈRE GRISE

Antoine Nessi verse des larmes de métal. En résidence à L’Œil de Poisson depuis la mi-octobre, le Français temporairement déraciné a rompu avec son quotidien et vit dans un genre de bulle. À l’écart de la foule, il observe les employés des bureaux de Saint-Roch et analyse leur routine effrénée. La productivité et l’aliénation lui servent justement de thèmes pour cette création. «Je vais apposer des autocollants inspirés de slogans de startups. Des trucs que j’ai trouvés sur internet comme “Work hard and stay humble”, cette espèce de propagande de l’entreprise. Ces maquettes, c’est un peu des logements. C’est comme si on habitait sur notre lieu de travail.»

IL EST SCULPTEUR, SOUDEUR PAR LA FORCE DES CHOSES, PHILOSOPHE À SES HEURES. LE MARSEILLAIS ANTOINE NESSI FAÇONNE L’ACIER ET ÉVOQUE UN MONDE DYSTOPIQUE SANS COULEURS NI LOISIRS DANS SA NOUVELLE EXPOSITION.

Le corpus se compose notamment de modèles réduits aux allures de petits fours qui servent de maisons à ses poupées de carton dont les visages ont été découpés dans des paquets de cigarettes. Des personnages prisonniers de leur dépendance et isolés des non-fumeurs à cause des législations en place – ici comme dans l’Hexagone. Nessi, lui-même accro à la nicotine, met les choses en perspective. «C’est une bonne chose, mais il y a tellement de soucis dans la société. On va pas écrire “La finance tue” sur les banques, tu vois. [Le tabac] n’est qu’un ennemi parmi tant d’autres.»

MOTS | CATHERINE GENEST PHOTOS | COURTOISIE L’OEIL DE POISSON

La Ferme des animaux Exclusivement constituée d’acier brut, un matériau enclin à la rouille, l’installation de grande échelle qui trône au centre de la galerie rappelle un véhicule du RTC. Le plasticien force un rapprochement entre les usagers des transports en commun et les bêtes; il compare littéralement les humains à des vaches laitières. C’est un message à l’endroit des citadins pressés et résignés à leur sort. Des enclos de traite sont fusionnés aux bancs desdits passagers, une forme qui rappelle aussi celle des cubicules qui les attendent à destination. Le symbole est lourd de sens. La structure permet également une rencontre insolite entre ville et campagne. «Ce sont des mondes qui sont dépendants, l’élevage nourrit tous les citadins, mais c’est deux mondes qui ne se touchent jamais. Ils sont dans des univers complètement séparés alors que, dans d’autres pays, il peut avoir des animaux en ville ou dans le bus!» L’étrange mobilier d’Antoine Nessi est décoré avec des boîtes de pizzas surgelées mises en cage, un clin d’œil au bovin et son pepperoni, son fromage. C’est le fruit d’une réflexion sur les aliments transformés dont on oublie parfois la provenance. «J’ai jamais été militant pour les animaux, j’ai jamais été végane, mais je trouve ça horrible quand même. […] On a un rapport très abstrait [avec la nourriture]. Et puis, ça me renvoie à l’humain. Si on traite les animaux si mal, c’est que ça dit quelque chose sur nous.» y 12 janvier au 11 février à l’Œil de Poisson

DÉTAIL DE L’INSTALLATION NOBODYBUILDER, POLYSTYRÈNE, ENDUIT, ACIER, 2017


> PRISON POUR UN PHILOSOPHE, ACIER GALVANISÉ, ACIER, 2016 UNKNOWN ORGANS (DÉTAIL), ACIER, ACIER GALVANISÉ, ALUMINIUM, INOX, LAITON, 2014 <


52 CHRONIQUE VOIR QC

VO3 #O1

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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

GAUCHE-DROITE, GAUCHE-DROITE, GAUCHE-DROITE Vous voyez le nom qui coiffe chacune de mes chroniques? «De la main gauche». J’ai choisi cette petite phrase afin de désancrer la perception qu’a un vaste pan de la population: un homme d’affai­res, ce que je suis avant tout, ne peut avoir un discours progressiste et se soucie avant tout de la liberté individuelle avant le bien commun. Cette façon de nous qualifier d’un côté ou de l’autre nous enferme, il me semble, de plus en plus dans un dialogue de sourds, un monologue qui alimente l’incompréhension, le durcissement des positions de tout un chacun. Il me semble que ça commence à ressembler à un prélude à des jours moins heureux, que nous semblons avoir oubliés, ceux des bottes bien cirées qui bruissent sur le pavé, un pied après l’autre. Monologue donc, parce que l’on cantonne les compétences, les objectifs et les moyens de chaque côté du spectre, comme des compétences ou des attributs exclusifs. Comme si la violence et le racisme ne pouvaient émaner que de la droite, comme si l’éducation gratuite pour tous ne pouvait être qu’un rêve de la gauche, qui ne saurait pas compter et ne rêverait que d’État-providence sans prendre en compte les impacts financiers. On a entendu des propos qui sous-entendent tous la même chose: on va se positionner afin de tirer le meilleur de chacun des côtés, histoire de plaire à un plus large électorat. Combien de fois avons-nous entendu des partis politiques tenter de se définir sur le spectre gauche-droite et nous dire: «Nous avons le cœur à gauche et la tête à droite» ou «Nous sommes pour une gauche efficace»? Bref: «Nous sommes une droite de cœur».

Je ne suis pas un intellectuel – je me le fais d’ailleurs souvent rappeler par ceux qui rigolent de mes réfle­ xions inspirées de Simplet. Ça ne m’empêchera pas de vous dire que je pense que nous sommes arrivés à la fin de notre mécanique politique actuelle. Une mécanique où l’on change de direction à chaque élection, ou chacun souhaite implanter sa réforme, où les intérêts de segments importants de notre population sont mis en veilleuse périodiquement. Une mécanique qui compresse pour mieux réinvestir quelques mois avant que ça compte. Où les décisions ne sont rationnelles qu’en fonction d’élections prochaines. Où le pouvoir est concentré auprès de quelques personnes proches du grand manitou, influencées par les lobbys les plus efficaces. Et un pouvoir qui n’a souvent comme influence que celle de déterminer vaguement la direction à prendre, avant que la machine n’accapare le reste. Cette réalité est vraie au municipal, au provincial, au fédéral. Elle est vraie ici et ailleurs. Bref, une mécanique politique bien usée. «On n’a rien inventé de mieux que le capitalisme», dit-on, en rappelant les échecs des systèmes socialistes, englobés dans le fourre-tout démoniaque du communisme. Comme si nous étions tenus au statu quo mécanique parce que l’utopie incarnée par la Russie était morte et enterrée. Ça n’a strictement rien à voir. Alors, on s’y prend comment? Je ne prétends pas avoir la réponse à cette question, mais je vais me permettre quelques pistes de réflexion. Quelques lacunes nous empêchent d’avoir un système politique plus efficace visant un meilleur dialogue entre les citoyens de toutes classes et de toutes allégeances. On pourrait déjà commencer par permettre

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une meilleure représentativité des différentes strates de notre population. D’abord, le mode de scrutin. Élire un gouvernement majoritaire avec moins de 35% des voix qui aura carte blanche pendant un ou plusieurs mandats m’apparaît dépassé. Il existe de nombreuses versions d’un mode de scrutin proportionnel. Pourquoi ne pas établir les objectifs que l’on viserait, les écueils que l’on veut éviter et proposer quelque chose en conséquence? Ensuite, la gouvernance. Devoir choisir parmi des députés élus qui sera ministre alors que des individus extrêmement compétents pourraient être responsables de ministères gérant des milliards de dollars annuellement, est-ce vraiment ce qui est le mieux pour nous comme société? Ne pourrions-nous pas aussi mettre en place un Conseil des Sages pour chacun des ministères, constitués des ressources les plus compétentes en la matière, et qui pourrait jouer un rôle important sur la détermination des orientations et des moyens pour y arriver? Puis, l’imputabilité. Quelles sont les variables concrètes sur lesquelles on veut avoir de l’impact

dans notre société? Comment les mesure-t-on et quels objectifs transmet-on à ceux qui en ont la responsabilité? Je m’étonne toujours des budgets anémiques attribués à la récolte de statistiques qui nous permettaient de mieux gérer et de calculer les impacts réels des politiques mises en place. Et puis, bien entendu, la mécanique comme telle. Peut-on imaginer par exemple une meilleure utilisation du temps de nos députés que les heures passées en chambre à se répondre de manière partisane? La question nécessite des réflexions bien plus exhaustives, j’en conviens. On effleure à peine un sujet si complexe dans une chronique de 900 mots. Mais j’aimerais connaître vos idées pour réinventer notre parlementarisme et le rendre plus collaboratif, plus constructif, plus en lien avec notre siècle. Quelque chose me dit que les avancées technologiques nous y aideront beaucoup. Nous entrons dans une nouvelle ère qui nécessite une révision en profondeur de notre système démocratique. Pour éviter son implosion, il faut diminuer le cynisme ambiant et augmenter la confiance qu’on lui accorde. y

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QUOI FAIRE

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MUSIQUE

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RYMZ IMPÉRIAL BELL – 20 JANVIER

Nommé dans la catégorie du meilleur album hip-hop au dernier Gala de l’ADISQ, Rymz s’est vu ravir le prix au profit d’Alaclair Ensemble. Mais le Petit Prince n’a pas dit son dernier mot! Le prolifique rappeur nous présentera aussi des pièces de Mille soleils et Amsterdam, ses deux plus récents disques.


Plus de 150 fromages fins

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ALEXANDRA LOST DISTRICT SAINT-JOSEPH – 11 JANVIER

Simon Paradis (claviériste d’Anatole) et la sirène folk Jane Ehrhardt s’offrent un retour vers le futur. Avec son nouveau projet musical, le duo du comté de Portneuf se prête à un exercice de style synth pop un tantinet suranné. Des compositions qui nous rappellent les années 1980!

KRISTIAN BEZUIDENHOUT AVEC LES VIOLONS DU ROY PALAIS MONTCALM – 18 JANVIER

Ce pianiste a vraiment un parcours atypique. Né en Afrique du Sud, Kristian Bezuidenhout a étudié au pays de Mozart puis dans l’État de New York avant de migrer vers Londres. Le citoyen du monde unira ses forces au chef Jonathan Cohen et aux Violons du Roy pour un concert assurément spectaculaire!

KROY AVEC GHOSTLY KISSES LE CERCLE – 26 JANVIER

Camille Poliquin est indiscutablement l’une des musiciennes québécoises les plus influentes de sa génération. D’abord avec Milk & Bone, le projet qu’elle mène en tandem avec Laurence Lafond-Beaulne, puis avec son projet solo KROY. Une électropop accrocheuse, mais dramatique qui s’agence hyper bien avec celle de Margaux Sauvé, alias Ghostly Kisses.

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FRED FORTIN LE CERCLE – 27 JANVIER

Le Jeannois magnifie le quotidien et les petites banalités de sa plume bien acérée, sa prose sensible mais ancrée dans une certaine idée de la masculinité. Qui d’autre aurait pu jeter un regard si doux et réaliste sur la vie d’un garagiste? C’est dans la simplicité et les québécismes bien assumés que Fred Fortin excelle, des textes comme ceux d’Ultramarr (la pièce titre de son plus récent opus) ou de 10$.

ALIOCHA ET BERNHARI LE CERCLE – 2 FÉVRIER

Les deux auteurs-compositeurs-interprètes montréalais et compagnons d’étiquette s’unissent pour un double plateau. Dans le coin gauche: un chanteur folk charismatique armé d’un premier album fort convaincant. À sa droite: un énigmatique personnage qui donne dans la chanson prog.

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HÔTEL-DIEU (EN RÉPÉTITION), PHOTO | DANIEL ROSS

SCÈNE

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HÔTEL-DIEU

BLEU

LE VISITEUR

LES GROS BECS – 16 JANVIER AU 3 FÉVRIER

MÉDUSE – SALLE MULTI – 18 ET 19 JANVIER

L’ANGLICANE – 25 JANVIER

Présentée par Le Périscope, mais relocalisée en raison des travaux qui s’éternisent au théâtre, la nouvelle création d’Alexandre Fecteau (Le NoShow, Changing Room) avait dû être reportée en octobre dernier. Une pièce documentaire très attendue qui traite de la mort avec des non-acteurs, des gens éprouvés mais résilients qui en ont long à dire sur le sujet.

Le titre de cette pièce du Français Yvann Alexandre fait référence aux ecchymoses. C’est une métaphore pour parler des blessures qui nous transforment, mais qui ne nous empêchent pas d’avancer. Une partition pour sept danseurs qui incarnent la fragilité et un spectacle qui nous est présenté grâce à La Rotonde.

Ce texte d’Eric-Emmanuel Schmitt prend ses bases dans de véritables événements historiques: l’Anschluss de 1938. Au cœur du récit? Nul autre que le Viennois Sigmund Freud et sa fille Anna, tous deux menacés par un SS et visités par un énigmatique personnage campé par Frédéric Desager. Serait-ce Dieu en personne?


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MME G. THÉÂTRE DE LA BORDÉE – 16 JANVIER AU 10 FÉVRIER

ARTS VISUELS

Ce texte, le tout premier de Maxime Beauregard-Martin par ailleurs, avait marqué la saison 15-16 de Premier Acte. Mettant en vedette la vibrante Marie-Ginette Guay, Mme G. raconte la belle et fascinante histoire de feu Thérèse Drago. Une légende locale, une héroïne des nuits de Québec et l’hôtesse de l’after-hour qui portait son prénom.

SCOTT MASSEY VU –12 JANVIER AU 18 FÉVRIER

L’artiste vancouvérois Scott Massey connaît une carrière pancanadienne couronnée de succès. De passage à Québec, il s’accorde avec le Mois Multi pour présenter une série de photographies sous le thème «Inventer le risque».

COOKE-SASSEVILLE GALERIE 3 – 19 JANVIER AU 18 FÉVRIER

Jean-François et Pierre sont vraiment partout! À la place Jean-Béliveau, dans la cour de l’école La Myriade, devant le Centre de santé universitaire McGill à Montréal... Entre deux œuvres publiques monumentales, les deux sculpteurs ont trouvé le temps de présenter quelques petits formats. >

CUISINE D'IDÉES

AMBIANCE RELAX SERVICE SYMPA

MAÎTRE MOOSE, COOKE-SASSEVILLE (2014), PHOTO | COURTOISIE COOKE-SASSEVILLE


58 QUOI FAIRE VOIR QC

VO3 #O1

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CINÉMA

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I, TONYA

HOCHELAGA, TERRE DES ÂMES

PROUD MARY

EN SALLE LE 5 JANVIER

EN SALLE LE 19 JANVIER

EN SALLE LE 12 JANVIER

Tonya Harding était en voie, au début des années 1990, de devenir l’une des plus grandes stars de patinage artistique en Amérique. Tout son univers bascule, toutefois, lorsqu’une de ses adversaires se fait agresser et blesser dans une attaque impliquant son ex-mari et entraîneur. Sa place au sein du sport sera mise en doute et elle se verra expulsée de la fédération américaine de patinage.

Un spectaculaire affaissement de terrain au stade Percival Molson en plein match de football transforme le lieu sportif en véritable site archéologique alors que des siècles d’histoire se révèlent. L’archéologue mohawk Baptiste Asigny entreprendra des fouilles qui le rapprocheront de son but de vie, retrouver la trace du village iroquoien d’Hochelaga, où ses ancêtres reçurent Jacques Cartier en octobre 1535.

Mary est une tueuse à gages travaillant pour une famille puissante du crime organisé de Boston. Sa vie changera complètement lorsqu’un contrat tourne au vinaigre. Elle rencontrera un jeune homme qui viendra remettre en question toute la direction de sa vie et la poussera à faire des choix déchirants.

THE POST

TÉHÉRAN TABOU

EN SALLE LE 12 JANVIER

EN SALLE LE 26 JANVIER

Basé sur une histoire véridique, le film relate l’histoire de Kay Graham, première femme éditrice d’un grand journal, le Washington Post, alors qu’elle doit se battre contre des instances gouvernementales voulant l’empêcher de publier une histoire.

Dans ce film d’animation à la direction artistique magnifique, quatre jeunes de Téhéran, en Iran, passent leur vie à chercher la liberté et le bonheur. Pour ce faire, ils devront briser de nombreux tabous inhérents à leur société islamique extrêmement restrictive.

ESPACES PSYCHIQUES MUSÉE DE LA CIVILISATION DE QUÉBEC 31 JANVIER AU 4 FÉVRIER

Antitube s’accorde une fois de plus avec l’exposition Cerveau à la folie et présente une série de films psychologiquement troublants. Au menu cette fois-ci: Les fraises sauvages d’Ingmar Bergman, Blue Velvet de David Lynch et Psycho d’Alfred Hitchcock.


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